28
Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algérie : 250 DA, Allemagne : 5,50 €, Antilles-Guyane : 5,50 €, Autriche : 5,50 €, Belgique : 5,40 €, Canada : 7,50 $C, Espagne : 5,50 €, Etats-Unis : 7,50 $US, Grande-Bretagne : 4,50 £, Grèce : 5,50 €, Hongrie : 1835 HUF, Irlande : 5,50 €, Italie : 5,50 €, Luxem- bourg : 5,40 €, Maroc : 30 DH, Pays-Bas : 5,50 €, Portugal (cont.) : 5,50 €, Réunion : 5,50 €, Suisse : 7,80 CHF, TOM : 780 CFP, Tunisie : 5,90 DT. nance à Athènes ne changeait rien, puisque la politique rejetée par les Grecs devrait être poursuivie sans aucune modification. Sur un ton plus doucereux, on susurra la même chose à Rome, Bruxelles et Paris : « Il faut, estimait par exemple le ministre des affaires étrangères français Laurent Fabius, concilier le respect du vote par l’électeur et le respect des engagements de la Grèce en matière de réformes.» Mais tous les gouvernements de l’Union euro- péenne semblent ne connaître que le second terme de cette équation. Et s’offus- quer quand M. Alexis Tsipras insiste pour rappeler le premier. Bien qu’isolée au sein de l’Union euro- péenne, soumise au harcèlement de ses créanciers et confrontée à des comptes qui se dégradent, Syriza s’emploie en effet à réhabiliter des mots devenus aussi insolites dans la vie démocratique que « souverai- neté », « dignité », « fierté », « espoir ». Mais comment peut-elle y parvenir dans une situation de détresse financière per- manente quand, négociation après négo- ciation, il lui faut en rabattre. Et s'y rési- H V INGT ET UN décembre 2006. Les télévisions d’Etat annoncent en boucle la mort du président du Turkménistan, Saparmourad Niazov. « Nous sommes tous sous le choc », indique alors à l’Agence France-Presse un haut responsable gouvernemental. Chez Bouygues aussi, c’est la consternation. Il y a de quoi. Implanté depuis 1994 dans cette république gazière d’Asie cen- trale, le groupe français de construction voit s’éteindre un client fidèle. Autoproclamé « père des Turkmènes », le Turkmenbachi n’a jamais regardé à la dépense. Potentat mégalomane régnant d’une main de fer sur une population réduite à l’obéissance, Niazov n’a cessé de couvrir la capitale d’édifices de prestige. Un opulent palais présidentiel, des ministères somptueux, une banque centrale en forme de lingot, une maison des journalistes agrémentée de son profil... Prestataire zélé, Bouygues a tapissé la capitale, Achkhabad, d’un écrin de luxe. Au nom de Niazov ou pour le compte de son successeur, l’actuel président Gourbangouly Berdymoukhammedov, aussi prompt à remplir le carnet de commandes du groupe. Au cours des deux dernières décennies, l’entreprise française a livré soixante-quatre bâtiments. A elle seule, la filiale turkmène représente la moitié de l’activité internationale de Bouygues Construction durant cette période selon le ministère français des affaires étrangères. (Lire la suite page 6 et les articles pages 4 à 6.) (Lire la suite page 12.) (Lire la suite page 21.) LES Grecs n’ont pas besoin qu’on leur explique la signification du terme « démo- cratie». Pourtant, les leçons pleuvent sur leurs têtes depuis qu’ils ont porté au pouvoir une force de gauche décidée à tourner le dos aux politiques d’austérité qui depuis six ans les tourmentent. Les admonestations sont dispensées par des maîtres d’école qui savent de quoi ils parlent. N’ont-ils pas imposé des traités rejetés par le suffrage populaire et renié leurs engagements de campagne sitôt l’élection acquise ? Désor- mais, une épreuve de force les oppose à ceux qui cherchent à tenir ce qu’ils ont promis, et à quoi ils croient. Elle sera d’au- tant plus rude que ces derniers pourraient diffuser à des tiers, jusqu’alors résignés à l’impuissance, des idées de résistance. Au-delà du sort de la Grèce, cet affronte- ment engage le destin de la démocratie européenne (1). Sitôt connue la victoire de Syriza, chacun semblait s’être donné le mot sur le Vieux Continent. Sur un mode arrogant, Berlin mais aussi Madrid, La Haye, Lis- bonne et Helsinki expliquèrent que l’alter- 5,40 € - Mensuel - 28 pages N° 732 - 62 e année. Mars 2015 FRANCE PÉRIPHÉRIQUE CONTRE BOBOS DES VILLES ? – pages 8 et 9 HUGO CHÁVEZ, DIEU ET LA RÉVOLUTION CONVERSATION AVEC IGNACIO RAMONET Pages 16 et 17. H SOMMAIRE COMPLET EN PAGE 28 Absence totale de liberté et culte caricatural de la personnalité n’ont pas empêché le Turkménistan d’entretenir de bons rapports tant avec les Occidentaux qu’avec les Russes ou les Chinois. Ce pays neutre d’Asie centrale, au sous-sol gorgé de gaz, représente un client de choix pour les entreprises étrangères qui savent ne pas poser trop de questions, à l’instar du champion français du bâtiment. DÉLIRE URBAIN AU T URKMÉNISTAN Bouygues, le bâtisseur du dictateur U NE ENQUÊTE DE D AVID G ARCIA * Appuyée par la plupart des capitales européennes, l’Allemagne n’accepte pas l’arrivée au pouvoir à Athènes d’un gouvernement de gauche qui souhai- terait appliquer son programme. Elle prétend utiliser sa domination économique et financière pour contraindre la Grèce à tenir le cap d’une politique d’austérité qui l’a ruinée. P AR S ERGE H ALIMI CONTRE L AUSTÉRITÉ À PERPÉTUITÉ Soutenir la Grèce YANNIS GAÏTIS. – «Boîte à sardines ou La Mise en boîte », 1972-1973 * Journaliste, auteur de l’ouvrage Le Pays où Bouygues est roi, Danger public, Paris, 2006. gner d’autant plus douloureusement que les instruments destinés à garrotter la volonté d’un peuple indocile sont exhibés aux yeux de tous et que ses tourmenteurs se délectent chaque fois qu’ils détaillent le dernier de leurs faits d'armes. M. Tsipras l’a compris : on attend de lui qu’il capitule sur toute la ligne. Car dès qu’il se cabre, qu’il mobilise l’enthou- siasme de sa population, il défie un ordre économique et sa camisole de force, il chamboule les usages politiques les mieux installés. Après tout, M. François Hollande n’a pas eu besoin de plus de vingt-quatre heures pour se rendre à Berlin, piétiner ses promesses de campagne – la renégociation du pacte de stabilité européen, le combat contre son «véritable adversaire», la finance – et endosser ainsi sans broncher la politique de son prédécesseur. (1) Lire « De Paris à Athènes, choisir ses combats », Le Monde diplomatique, février 2015. DE MAÏDAN À MINSK, UN PAYS EN DÉROUTE L’Ukraine entre guerre et paix P AR I GOR D ELANOË * A LORS que la guerre en Ukraine orientale reprenait un caractère offensif en janvier, les seconds accords de Minsk appa- raissent comme le fruit d’efforts diploma- tiques entrepris in extremis. Il aura fallu tout le poids du couple franco-allemand pour offrir une nouvelle chance à la paix. L’évocation parWashington début février d’une possible livraison d’armes sophisti- quées aux Ukrainiens a conduit Paris et Berlin à lancer une initiative au plus haut niveau afin de repousser un risque d’esca- lade militaire avec la Russie. Près de seize heures de négociation ont été nécessaires aux représentants du « format Normandie (1) » – le président François Hollande, la chancelière alle- mande Angela Merkel, le premier ministre ukrainien Petro Porochenko et le président russe Vladimir Poutine – réunis le 12 fé- vrier dans la capitale biélorusse pour par- venir à un compromis. Comportant treize points ainsi qu’une note additionnelle, les accords de Minsk 2 restent similaires sur le fond à ceux de Minsk 1, signés le 5 sep- tembre 2014 par les responsables de la Russie, de l’Ukraine et des républiques autoproclamées (2). Les Européens ont peiné à renouer avec la Russie un dialogue trop longtemps négligé. Les difficultés d’aujourd’hui prennent racine dans une absence pro- longée de coordination face aux problèmes posés par les pays de leur « voisinage par- tagé » (Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie, Ukraine), que la crise ukrainienne n’a fait qu’approfondir. En mai 2009, l’Union européenne a lancé son partenariat oriental à l’initiative de la Pologne et de la Suède, deux Etats qui entretiennent des relations historiquement épineuses avec la Russie. La chute du chaudron de Debaltsevo ruine les espoirs de reconquête militaire contre les insurgés du Donbass.Après un an de déconfiture, les dirigeants ukrainiens ont dû accepter de nouveaux accords à Minsk. Mais la perspective d’une solution politique durable, s’appuyant sur le respect des minorités et un dialogue avec Moscou, semble lointaine. * Docteur en histoire, enseignant au Collège univer- sitaire français de Saint-Pétersbourg. (1) En référence à la rencontre diplomatique qui s’est tenue le 6 juin 2014 entre les quatre dirigeants en marge des commémorations du débarquement de Normandie. (2) Cet accord a été complété par un mémorandum signé le 19 septembre 2014 par les mêmes parties. ADAGP

Le Monde Diplomatique 2015 03

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Le Monde Diplomatique 2015 03

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  • Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algrie : 250 DA, Allemagne : 5,50 , Antilles-Guyane : 5,50 , Autriche : 5,50 , Belgique : 5,40 , Canada : 7,50 $C,

    Espagne : 5,50 , Etats-Unis : 7,50 $US, Grande-Bretagne : 4,50 , Grce : 5,50 , Hongrie : 1835 HUF, Irlande : 5,50 , Italie : 5,50 , Luxem-

    bourg : 5,40 , Maroc : 30 DH, Pays-Bas : 5,50 , Portugal (cont.) : 5,50 , Runion : 5,50 , Suisse : 7,80 CHF, TOM: 780 CFP, Tunisie : 5,90 DT.

    nance Athnes ne changeait rien, puisque

    la politique rejete par les Grecs devrait

    tre poursuivie sans aucune modification.

    Sur un ton plus doucereux, on susurra la

    mme chose Rome, Bruxelles et Paris :

    Il faut, estimait par exemple le ministre

    des affaires trangres franais Laurent

    Fabius, concilier le respect du vote par

    llecteur et le respect des engagements de

    la Grce en matire de rformes. Mais

    tous les gouvernements de lUnion euro-

    penne semblent ne connatre que le

    second terme de cette quation. Et soffus-

    quer quand M.Alexis Tsipras insiste pour

    rappeler le premier.

    Bien quisole au sein de lUnion euro-

    penne, soumise au harclement de ses

    cranciers et confronte des comptes qui

    se dgradent, Syriza semploie en effet

    rhabiliter des mots devenus aussi insolites

    dans la vie dmocratique que souverai-

    net , dignit , fiert , espoir .

    Mais comment peut-elle y parvenir dans

    une situation de dtresse financire per-

    manente quand, ngociation aprs ngo-

    ciation, il lui faut en rabattre. Et s'y rsi-

    H

    VINGT ET UN dcembre 2006. Les tlvisions dEtat annoncent

    en boucle la mort du prsident du Turkmnistan, Saparmourad

    Niazov. Nous sommes tous sous le choc , indique alors

    lAgence France-Presse un haut responsable gouvernemental.

    Chez Bouygues aussi, cest la consternation. Il y a de quoi.

    Implant depuis 1994 dans cette rpublique gazire dAsie cen-

    trale, le groupe franais de construction voit steindre un client

    fidle. Autoproclam pre des Turkmnes, le Turkmenbachi na

    jamais regard la dpense. Potentat mgalomane rgnant dune

    main de fer sur une population rduite lobissance, Niazov na

    cess de couvrir la capitale ddifices de prestige. Un opulent

    palais prsidentiel, des ministres somptueux, une banque centrale

    en forme de lingot, une maison des journalistes agrmente de

    son profil...

    Prestataire zl, Bouygues a tapiss la capitale, Achkhabad,

    dun crin de luxe. Au nom de Niazov ou pour le compte de son

    successeur, lactuel prsident Gourbangouly Berdymoukhammedov,

    aussi prompt remplir le carnet de commandes du groupe. Au

    cours des deux dernires dcennies, lentreprise franaise a livr

    soixante-quatre btiments. A elle seule, la liale turkmne reprsente

    la moiti de lactivit internationale de Bouygues Construction durant

    cette priode selon le ministre franais des affaires trangres.

    (Lire la suite page 6

    et les articles pages 4 6.)

    (Lire la suite page 12.)

    (Lire la suite page 21.)

    LESGrecs nont pas besoin quon leur

    explique la signification du terme dmo-

    cratie. Pourtant, les leons pleuvent sur

    leurs ttes depuis quils ont port au pouvoir

    une force de gauche dcide tourner le

    dos aux politiques daustrit qui depuis

    six ans les tourmentent. Les admonestations

    sont dispenses par desmatres dcole qui

    savent de quoi ils parlent. Nont-ils pas

    impos des traits rejets par le suffrage

    populaire et reni leurs engagements de

    campagne sitt llection acquise? Dsor-

    mais, une preuve de force les oppose

    ceux qui cherchent tenir ce quils ont

    promis, et quoi ils croient. Elle sera dau-

    tant plus rude que ces derniers pourraient

    diffuser des tiers, jusqualors rsigns

    limpuissance, des ides de rsistance.

    Au-del du sort de la Grce, cet affronte-

    ment engage le destin de la dmocratie

    europenne (1).

    Sitt connue la victoire de Syriza,

    chacun semblait stre donn le mot sur le

    Vieux Continent. Sur un mode arrogant,

    Berlin mais aussi Madrid, La Haye, Lis-

    bonne et Helsinki expliqurent que lalter-

    5,40 - Mensuel - 28 pages N 732 - 62

    e

    anne. Mars 2015

    FRANCE PRIPHRIQUE CONTRE BOBOS DES VILLES ? pages 8 et 9

    HUGO CHVEZ,

    DIEU ET LA

    RVOLUTION

    CONVERSATION AVEC

    IGNACIO RAMONET

    Pages 16 et 17.

    H

    S O MM A I R E C OM P L E T E N PA G E 2 8

    Absence totale de libert et culte caricatural de la

    personnalit nont pas empch le Turkmnistan

    dentretenir de bons rapports tant avec les Occidentaux

    quavec les Russes ou les Chinois. Ce pays neutre

    dAsie centrale, au sous-sol gorg de gaz, reprsente

    un client de choix pour les entreprises trangres qui

    savent ne pas poser trop de questions, linstar du

    champion franais du btiment.

    DLIRE URBAIN AU TURKMNISTAN

    Bouygues,

    le btisseur

    du dictateur

    UNE ENQUTE

    DE DAVID GARCIA *

    Appuye par la plupart des capitales europennes,

    lAllemagne naccepte pas larrive au pouvoir

    Athnes dun gouvernement de gauche qui souhai-

    terait appliquer son programme. Elle prtend utiliser

    sa domination conomique et nancire pour

    contraindre la Grce tenir le cap dune politique

    daustrit qui la ruine.

    PAR SERGE HALIMI

    CONTRE LAUSTRIT PERPTUIT

    Soutenir

    la Grce

    YANNIS GATIS. Bote sardines ou La Mise en bote , 1972-1973

    * Journaliste, auteur de louvrage Le Pays o Bouygues est roi, Danger public, Paris, 2006.

    gner dautant plus douloureusement que

    les instruments destins garrotter la

    volont dun peuple indocile sont exhibs

    aux yeux de tous et que ses tourmenteurs

    se dlectent chaque fois quils dtaillent

    le dernier de leurs faits d'armes.

    M.Tsipras la compris : on attend de lui

    quil capitule sur toute la ligne. Car ds

    quil se cabre, quil mobilise lenthou-

    siasme de sa population, il dfie un ordre

    conomique et sa camisole de force, il

    chamboule les usages politiques les mieux

    installs.Aprs tout,M. Franois Hollande

    na pas eu besoin de plus de vingt-quatre

    heures pour se rendre Berlin, pitiner ses

    promesses de campagne la rengociation

    du pacte de stabilit europen, le combat

    contre son vritable adversaire, la

    finance et endosser ainsi sans broncher

    la politique de son prdcesseur.

    (1) Lire De Paris Athnes, choisir ses combats,

    Le Monde diplomatique, fvrier 2015.

    DE MADAN MINSK, UN PAYS EN DROUTE

    LUkraine entre guerre et paix

    PAR IGOR DELANO *

    A LORS que la guerre en Ukraine

    orientale reprenait un caractre offensif en

    janvier, les seconds accords deMinsk appa-

    raissent comme le fruit defforts diploma-

    tiques entrepris in extremis. Il aura fallu

    tout le poids du couple franco-allemand

    pour offrir une nouvelle chance la paix.

    Lvocation par Washington dbut fvrier

    dune possible livraison darmes sophisti-

    ques aux Ukrainiens a conduit Paris et

    Berlin lancer une initiative au plus haut

    niveau afin de repousser un risque desca-

    lade militaire avec la Russie.

    Prs de seize heures de ngociation ont

    t ncessaires aux reprsentants du

    format Normandie (1) le prsident

    Franois Hollande, la chancelire alle-

    mandeAngelaMerkel, le premier ministre

    ukrainien Petro Porochenko et le prsident

    russe Vladimir Poutine runis le 12 f-

    vrier dans la capitale bilorusse pour par-

    venir un compromis. Comportant treize

    points ainsi quune note additionnelle, les

    accords de Minsk 2 restent similaires sur

    le fond ceux deMinsk 1, signs le 5 sep-

    tembre 2014 par les responsables de la

    Russie, de lUkraine et des rpubliques

    autoproclames (2).

    Les Europens ont pein renouer avec

    la Russie un dialogue trop longtemps

    nglig. Les difficults daujourdhui

    prennent racine dans une absence pro-

    longe de coordination face aux problmes

    poss par les pays de leur voisinage par-

    tag (Armnie,Azerbadjan, Bilorussie,

    Gorgie, Moldavie, Ukraine), que la crise

    ukrainienne na fait quapprofondir. En

    mai 2009, lUnion europenne a lanc son

    partenariat oriental linitiative de la

    Pologne et de la Sude, deux Etats qui

    entretiennent des relations historiquement

    pineuses avec la Russie.

    La chute du chaudron de Debaltsevo ruine les espoirs de reconqute

    militaire contre les insurgs du Donbass. Aprs un an de dconture, les

    dirigeants ukrainiens ont d accepter de nouveaux accords Minsk. Mais

    la perspective dune solution politique durable, sappuyant sur le respect

    des minorits et un dialogue avec Moscou, semble lointaine.

    * Docteur en histoire, enseignant au Collge univer-

    sitaire franais de Saint-Ptersbourg.

    (1) En rfrence la rencontre diplomatique qui sest

    tenue le 6 juin 2014 entre les quatre dirigeants enmarge

    des commmorations du dbarquement de Normandie.

    (2) Cet accord a t complt par un mmorandum

    sign le 19 septembre 2014 par les mmes parties.

    ADAGP

  • MARS 2015 LE MONDE diplomatique

    2

    Radicalisation

    Le dossier Attentats de Paris,

    londe de choc (Le Monde diplo-

    matique, fvrier 2015) nous a valu un

    abondant courrier. M

    me

    Annie Abriel

    ragit ainsi lune des phrases de

    larticle de Laurent Bonelli, Les

    chemins de la radicalisation:

    Larticle retrace utilement le parcours des

    auteurs des rcents attentats. Suivre les che-

    mins qui peuvent expliquer cette radicali-

    sation meurtrire et suicidaire est la pre-

    mire piste pour la combattre. Lauteur

    signale que leurs scolarits semblent cor-

    respondre celles des fractions les moins

    qualies des milieux populaires, ce quat-

    teste lorientation vers des lires tech-

    niques (CAP, BEP ou baccalaurat pro)

    un moment o le baccalaurat est devenu

    un diplme minimal de rfrence. Voici

    les chiffres : pour le bac 2014, 49,7% des

    inscrits le sont au bac gnral, 30% au bac

    pro, qui comprend quatre-vingt-six spcia-

    lits, et 20,4% au bac technologique. Quand

    cessera-t-on de propager des jugements

    lemporte-pice sur ces lires qui forment

    des millions dlves ? Ces propos dvalo-

    risants ont un fort impact sur les jeunes. (...)

    Prolophobie

    M. Franois Reynaud estime que le

    message qua voulu faire passer

    Benot Brville dans Islamophobie

    ou prolophobie ? nest pas for-

    cment bien pass :

    Lauteur dit que le dbat public sur les

    discriminations ethniques et religieuses est

    une stratgie des groupes sociaux dominants

    pour dtourner le dbat public des ingalits

    sociales. Ces derniers joueraient sur les

    fortes corrlations entre appartenance eth-

    nico-religieuse et classe sociale en exacer-

    bant la premire dimension et en occultant

    la seconde (...). Cependant, durant la lecture

    de cet article, jai eu le sentiment que lauteur

    expliquait que les discriminations taient sur-

    tout envers les classes populaires et quil ny

    avait pas (ou beaucoup moins) de discrimi-

    nations ethniques et religieuses. Cest uni-

    quement en lisant le dernier paragraphe que

    jai compris ses propos ; il met en vidence

    les liens troits entre lappartenance ethnique

    et religieuse et lappartenance sociale. (...)

    Lauteur pousse les citoyens-lecteurs privi-

    lgier lutilisation dune grille de lecture en

    termes de classes sociales.

    Lumires

    Du par le dossier, M. Jean Pierre

    Carlet a cependant apprci larticle

    dAnne-Ccile Robert, Assauts contre

    les Lumires.

    Sans doute est-il ncessaire de ne pas se

    tromper de combat en occultant le conit

    fondamental des intrts sociaux par la mise

    en scne de laffrontement entre identits

    prtendument religieuses ou culturelles.

    Sans doute les violences dites communau-

    taires peuvent-elles tre relies une poli-

    tique conomique mondiale comme leur

    cause premire. Mais quest-ce qui permet

    ce discernement, sinon lengagement pour

    les Lumires (une cole qui instruise vri-

    tablement, une rpublique laque rellement

    conforme sa devise) ? (...) En tout cas, il

    y a quelque paradoxe pour un Franais

    vouloir aujourdhui oublier Paris au prot

    dAthnes dont il ne peut, de loin, quad-

    mirer les luttes prometteuses.

    De son ct, M. Flix Dupin-Mey-

    nard conteste la vision de la lacit

    donne dans larticle.

    Avec dautres lecteurs, je regrette que lon

    puisse encore lire des loges de la solution

    miracle des Lumires et de la Rpu-

    blique (dont on oublie lhistoire, labstrac-

    tion, lethnocentrisme, le colonialisme, lim-

    prialisme, lautoritarisme, le patriarcat, le

    capitalisme... et leur instrumentalisation pas-

    se et prsente au service dumaintien de lor-

    dre social et de son racisme structurel),

    comme valeurs supposes universelles de

    la Raison, menaces par les dange-

    reuses critiques postcoloniales identi-

    taires ( identit tant visiblement un gros

    mot, tout comme foi)... Pierre Bourdieu

    vous rpondait dj, dans ses Mditations

    pascaliennes: Lobscurantisme des Lumires

    peut prendre la forme dun ftichisme de la

    raison et dun fanatisme de luniversel qui

    restent ferms toutes les manifestations tra-

    ditionnelles de croyance et qui, comme lat-

    teste par exemple la violence rexe de cer-

    taines dnonciations de lintgrisme religieux,

    ne sont pas moins obscurs et opaques eux-

    mmes que ce quils dnoncent.

    SUSPECT DETORTURE

    ET DCOR

    Alors quil a fait lobjet de plusieurs

    plaintes devant la justice hexagonale

    pour torture, le chef du contre-

    espionnage marocain reoit les louanges

    du ministre de lintrieur franais,

    dont le magazine Tel Quel du 14 fvrier

    rapporte les propos tenus lors

    dune visite Rabat.

    M. Cazeneuve a (...) tenu rendre

    hommage en premier lieu Abdellatif

    Hammouchi. La France avait dj eu

    loccasion de distinguer M. Hammouchi

    en 2011, en lui attribuant le titre

    de chevalier de lordre de la Lgion

    dhonneur. Elle saura prochainement lui

    tmoigner nouveau son estime en lui

    remettant cette fois les insignes dofficier,

    a indiqu le ministre.

    PRESSE ETMAFIA

    LItalie a perdu vingt-quatre places dans

    le classement de la libert de la presse

    tabli chaque anne par Reporters

    sans frontires. En cause, explique

    La Repubblica (12 fvrier 2015),

    les menaces que la Maa fait peser

    sur les journalistes.

    En Italie, pendant les dix premiers mois

    de 2014, quarante-trois agressions

    physiques et sept cas dincendie criminel

    (maison ou automobile) ont t commis

    contre des journalistes. Le nombre de

    procs en diffamation injustis (...)

    est pass de quatre-vingt-quatre en 2013

    cent vingt-neuf lanne suivante. Dans

    le classement de la libert de la presse,

    notre pays se voit dsormais devanc

    par la Hongrie de Viktor Orbn

    (65

    e

    position), le Burkina Faso ou le Niger

    (respectivement 46

    e

    et 47

    e

    ). Seul Andorre,

    qui a perdu vingt-sept places, accuse

    une plus grande chute que lItalie,

    en raison des difficults que rencontrent

    les journalistes de la principaut

    qui enqutent sur le secteur bancaire.

    MAGOUILLEAFRICAINE

    Aprs la rvlation de lvasion scale

    organise par HSBC, le site Guine

    Conakry Info estime que lAfrique

    nchappe pas la magouille

    dans les affaires dargent sale

    (www.guineeconakry.info).

    LEgypte, la Tunisie, le Sngal, la

    Zambie, lAfrique du Sud, la Cte dIvoire,

    la Guine ont plong des degrs divers

    dans la vaste magouille internationale

    de blanchiment dargent, au grand dam

    des populations africaines, qui se

    mouraient dans la mouise quand leurs

    chefs jubilaient ou festoyaient dans les plus

    grands palaces de ce monde. (...)

    Les rvlations de SwissLeaks nous

    ramnent au cur de la problmatique

    du dveloppement de lAfrique,

    outrancirement spolie de ses richesses

    au prot de ltranger par des rseaux

    sinon maeux, du moins terriblement

    dsquilibrs.

    VOITURE LECTRIQUE

    Une fois conquis le secteur

    de linformatique puis celui de

    la tlphonie mobile, la multinationale

    Apple entend dsormais produire

    des voitures lectriques. A en croire

    Bloomberg Businessweek, la partie est

    loin dtre gagne (16 fvrier 2015).

    Une centaine demploys dApple

    travaillent actuellement au dveloppement

    dune voiture lectrique qui ressemblerait

    un minivan. Ce vhicule permettrait

    de concurrencer celui construit par Tesla

    Motors, ainsi que les voitures hybrides

    de Nissan, General Motors ou Ford. (...)

    Apple sest lanc dans le commerce des

    tlphones et a russi, mais ce sera plus

    compliqu avec lautomobile, analyse

    Eric Gordon, professeur luniversit

    du Michigan. Vous pouvez facilement sous-

    traiter une entreprise base en Chine

    lassemblage dun produit simple comme

    un tlphone, mais ce nest pas pareil

    pour la production de voitures

    lectriques.Apple a nanmoins un atout

    de taille : un magot de 178 milliards

    de dollars. Cest six fois plus que les fonds

    disponibles sur les comptes de Volkswagen

    et sept fois plus que ceux de General

    Motors.

    LA SCIENCE DU CRIME

    La violence criminelle dans le monde,

    mesure au nombre dhomicides,

    connat une baisse tendancielle.

    Mais, comme le pointe Manuel Eisner,

    chercheur lInstitut de criminologie

    de Cambridge, un facteur est susceptible

    dentraver cette dynamique

    (New Scientist, 7 fvrier 2015).

    Entre les lieux dtenant

    la connaissance et ceux o les besoins

    sont les plus criants, il y a un norme

    foss quil faudra combler. La moiti des

    quatre cent cinquante mille homicides

    recenss annuellement ne concernent que

    vingt pays dAmrique latine et

    dAfrique subsaharienne, qui ne

    reprsentent que 10 % de la population

    mondiale et ne disposent que de faibles

    moyens de recherche. A contrario,

    95 % des connaissances sur les moyens

    de prvenir la violence portent sur

    les Etats-Unis et les pays europens

    riches.

    Vous souhaitez ragir

    lun de nos articles :

    Courrier des lecteurs,

    1, av. Stephen-Pichon 75013 Paris

    ou [email protected]

    HISTOIRE retiendra-t-elle que, le 11 janvier dernier, prs de quatre millions

    de Franais secous par les attentats de Paris ont manifest en faveur

    de... la loi Macron ? De prime abord, le rapport ne saute pas aux yeux

    entre la tuerie de Charlie Hebdo et un texte qui tend le travail dominical, facilite

    les licenciements collectifs, privatise des aroports et supprime les peines de

    prison pour les patrons coupables de pitiner le droit syndical.

    Aux esprits triqus qui nauraient pas saisi le lien, le reprsentant dun

    cabinet de lobbying invit sur la chane BFM Business expliquait ds le

    lendemain du grand dfil : Le moment dunit nationale autour de ce qui

    sest pass peut avoir des prolongements dans le vote de ces textes, parce

    que les prmices taient dj l, dans une sorte de consensus sur la ncessit

    de libraliser lconomie (1). Sans doute noues par la timidit, les foules

    navaient pas os, jusque-l, crier leur dsir de loi Macron. A en croire

    lextralucide Nicolas Baverez, cette pulsion imprieuse serait mme le vritable

    motif des manifestations. Le 11 janvier 2015, crit-il, les Franais ont adress

    au monde et leurs dirigeants un message de dignit et de courage, dont

    lesprit est clair : sortir du dni, lever les tabous, passer des paroles aux actes.

    Ces principes (...) ne seront crdibles que sils sappliquent aussi la rforme

    conomique et sociale (Le Point, 12 fvrier 2015). Sur les pancartes Je suis

    Charlie , il fallait en ralit lire Je suis Macron.

    Profiter dun vnement traumatique pour imposer des dcisions impopulaires :

    cette stratgie du choc sduit aussi Pierre-Antoine Delhommais. Lditorialiste

    a dj planifi ltape suivante. Le gouvernement de Manuel Valls se retrouve

    aujourdhui en position de force pour passer outre aux braillements des

    frondeurs, aux lamentations des syndicats et de tous ceux qui sopposent aux

    rformes denvergure dont la France a besoin pour vaincre ses archasmes et

    dbloquer son conomie, par exemple touchant lorganisation du march

    du travail ou aux trente-cinq heures. Pour renforcer ce souffle libral qui a

    inspir la loi Macron et pour aller bien plus loin (...). Il faut seulement souhaiter

    pour la France que M. Valls ne laisse pas passer cette chance conomique

    unique que la tragdie des attentats terroristes lui offre (Le Point, 5 fvrier 2015).

    Le 11 septembre 2001, M

    me

    Jo Moore, conseillre du ministre britannique des

    transports, stait rjouie dans un courriel interne de la chance offerte par

    Al-Qaida : Cest une trs bonne journe pour sortir toutes les mauvaises

    nouvelles. Mais, contrairement Delhommais, elle navait pas song rendre

    publique cette leon de probit politique.

    PIERRE RIMBERT.

    (1) 12 janvier 2015, cit dans La Dcroissance, n

    o

    116, Lyon, fvrier 2015.

    Loi Macron,

    obscur objet du dsir

    Edit par la SA Le Monde diplomatique.

    Actionnaires : Socit ditrice du Monde,

    Association Gunter Holzmann,

    Les Amis du Monde diplomatique

    1, avenue Stephen-Pichon, 75013 Paris

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    Directoire: Serge HALIMI,

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    COURRIER DES LECTEURSCOURRIER DES LECTEURS

    L

    Nuclaire en Ukraine : vous

    avez dit sant publique?

    Dans le cadre des cinq jours Expo-

    cinma-thtre-dbat-bal (du 11 au

    15mars), Sbastien Gobert et Laurent

    Geslin, auteurs de larticle Sur le front

    de luranium (lire pages 22 et 23),

    participeront au dbat organis par la

    compagnie de thtre de Bruno

    Boussagol Brut de bton, le dimanche

    15 mars 16h15, la Maison de

    larbre, 9, rue Franois-Debergue,

    93100 Montreuil.

    Informations : 06-08-46-69-44 ou

    www.brut-de-beton.net

    RECTIFICATIF. Georges Nzongola-Ntalaja,

    auteur dune biographie de Patrice Lumumba

    (fvrier 2015), prcise quil nest pas un his-

    torien amricain , comme crit par erreur, mais

    un politologue congolais vivant aux Etats-

    Unis (depuis le 31 juillet 1962) .

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  • 3LE MONDE diplomatique MARS 2015

    AUX RACINES DU DJIHADISME

    Surenchres traditionalistes en terre dislam

    PAR NABIL MOULINE *

    Le monde musulman sunnite est confront un phnomne

    de rislamisation, aviv par la faiblesse des forces moder-

    nistes et des socits civiles ainsi que par la duplicit des

    pouvoirs politiques. Tout porte croire que, malgr leur

    opposition idologique, le wahhabisme saoudien et le courant

    des Frres musulmans vont poursuivre leur expansion. Leur

    avatar commun, le djihadisme, devrait lui aussi se renforcer.

    DANS le monde arabe, les ambitions

    hgmoniques du traditionalisme musul-

    man ne datent pas dhier. Quelles que

    soient sa forme ou sa dnomination, ses

    dpositaires ont russi y occuper, depuis

    la seconde moiti du IX

    e

    sicle, une place

    centrale. Cela sest fait au prix de combats

    acharns, et au dtriment dautres discours

    dont certains taient novateurs, ou du

    moins rnovateurs.

    Ce nest qu partir du XIX

    e

    sicle que

    lordre ancien est progressivement,

    quoique involontairement, secou par le

    choc colonial. Des discours sappuyant sur

    les systmes de valeurs et de reprsenta-

    tions occidentaux sintroduisent en terre

    dislam. Ils offrent une nouvelle conception

    du monde et permettent des courants

    intellectuels, politiques et religieux de

    spanouir. Le traditionalisme musulman

    ne disparat pas pour autant. Aprs une

    priode dadaptation force au dbut du

    XX

    e

    sicle, ses promoteurs rapparaissent

    et prtendent jouer un rle structurant en

    tant que dfenseurs des vraies valeurs de

    lislam contre une modernit trop enva-

    hissante. Le renouveau et lexpansion du

    traditionalisme, quil soit religieux (wah-

    habisme [1]) ou politico-religieux (fr-

    risme [2] et djihadismes), ont plusieurs

    causes. Sans ngliger les facteurs socio-

    conomiques, dont limportance est ind-

    niable, il nous parat ncessaire ici disoler

    quelques variables dterminantes et de les

    mettre en perspective.

    Tout au long du XX

    e

    sicle, plusieurs

    pays musulmans ont essay dutiliser leur

    capital religieux pour tendre leur prestige

    et leur influence au niveau international.

    premier temps, ils estiment que le

    contrle des acteurs et le monopole du

    discours religieux passent par la main-

    mise sur les institutions, comme Al-

    Azhar en Egypte, la Zitouna en Tunisie

    et la Qaraouiyine au Maroc. Cette poli-

    tique a un effet pervers : les reprsentants

    de ces institutions, qui taient en situation

    de quasi-monopole, se retrouvent non

    seulement discrdits durablement, mais

    galement concurrencs par de nouveaux

    acteurs religieux, notamment les Frres

    musulmans et les wahhabites. Le champ

    spirituel se retrouve ainsi fragment. Pis,

    une surenchre traditionaliste sengage.

    commun des mouvements se rclamant de

    prs ou de loin de ce groupement est la

    volont dislamiser les socits. Cela sans

    pour autant abandonner le rve dune prise,

    partielle ou intgrale, du pouvoir, soit par

    lentrisme, soit par le jeu dmocratique.

    De leur ct, et quelle que soit leur

    obdience politique, les rgimes qui

    sinstallent au pouvoir aprs les indpen-

    dances instrumentalisent la religion,

    notamment le traditionalisme. Lchec ou

    linexistence dun projet de construction

    nationale leur permet dutiliser cette

    valeur refuge par excellence. Dans un

    * Chercheur au Centre dtudes interdisciplinaires

    des faits religieux (CEIFR) lEcole des hautes tudes

    en sciences sociales (EHESS), auteur de louvrage Les

    Clercs de lislam.Autorit religieuse et pouvoir politique

    enArabie saoudite (XVIII

    e

    -XXI

    e

    sicle), Presses univer-

    sitaires de France (PUF), Paris, 2011.

    Ptrodollars et proslytisme

    (1) Du nom du fondateur du mouvement, Mohamed

    Ibn Abdel Wahhab (1703-1732).

    (2) En rfrence aux Frres musulmans.

    (3) Certains pays, dont lEgypte, taient formellement

    indpendants, mais en ralit sous contrle colonial.

    (4) En rfrence AbulAlaMawdoudi (1903-1979),

    intellectuel, religieux et homme politique indo-paki-

    stanais, qui fut lun des principaux promoteurs de lisla-

    misme moderne.

    quel rgime, ou tout au moins sen

    accommoder, pourvu quil les autorise

    islamiser la socit par le bas. La restau-

    ration du califat ne compte pas parmi leurs

    proccupations. Ce qui nest pas le cas de

    leurs principaux concurrents : les Frres

    musulmans.

    Ds sa fondation vers 1928 par Hassan

    Al-Banna, la confrrie des Frres musul-

    mans a pour objectif de recrer lunit poli-

    tique et religieuse originelle de loumma.

    Pour raliser cette utopie, son fondateur

    envisage une stratgie tlologique: il faut

    dabord islamiser la socit par le bas en

    dpassant toutes les coles juridiques et

    thologiques avant de conqurir le pouvoir

    et de crer des Etats islamiques. Ces Etats,

    qui assurent la suprmatie des valeurs reli-

    gieuses traditionnelles, sengagent dans un

    processus dintgration travers des pro-

    grammes de coopration intenses. Cela

    aboutit tout naturellement labolition des

    frontires et la proclamation du califat.

    Bien que traditionaliste, le discours des

    Frres est relativement modr durant les

    premires annes de leur existence. Beau-

    coup dides occidentales, du moins dans

    leurs procds rhtoriques, sont adoptes

    pour permettre lentre dans le champ poli-

    tique moderne en vue de le contrler. Si la

    confrrie stend trs rapidement en Egypte

    et ailleurs, elle choue conqurir le pou-

    voir. A la fin des annes 1940, elle sen-

    gage dans un processus de radicalisation

    qui sintensifie la dcennie suivante cause

    de la rpression froce quemne le rgime

    de Nasser contre ses membres.

    Cest dans ce contexte de crise que sont

    nes les ides de Sayyed Qotb (1906-

    1966), lun des idologues de la confrrie.

    En 1950, cet ancien journaliste opre un

    revirement idologique qui aura des cons-

    quences immenses sur le champ politico-

    religieux arabo-musulman. Il considre en

    effet que le monde dans lequel il vit est

    tomb dans lapostasie. Les vrais croyants,

    dsormais minoritaires, doivent accomplir

    une migration en se sparant spirituel-

    lement et physiquement des socits

    impies. Aprs avoir cr une plate-forme

    solide, ces lus doivent se lancer la

    conqute du pouvoir pour instaurer lEtat

    et la loi islamiques dans le cadre dun

    djihad intgral. Cette culture denclave,

    qui nest pas nouvelle dans lhistoire

    musulmane, devient trs rapidement le

    socle du djihadisme contemporain. Son

    hybridation avec le wahhabisme, le maw-

    doudisme (4) et des idologies euro-

    pennes notamment fascistes et commu-

    nistes la rendent encore plus redoutable

    entre les mains de groupes comme Al-

    Qaida, le FrontAl-Nosra et lOrganisation

    de lEtat islamique.

    Si la majorit des Frres musulmans

    conteste les arguments de Qotb, ne bascule

    pas dans le djihadisme et lui prfre lac-

    tivisme, elle ne sloigne toutefois pas du

    traditionalisme ; elle doit en effet conserver

    sa part de march. Mme sil y a des par-

    ticularismes locaux, le dnominateur

    LA grande expansion du wahhabisme

    commence durant les annes 1960, la

    faveur des luttes qui opposent lArabie

    saoudite lEgypte et de laugmentation

    substantielle des revenus du royaume grce

    lexportation du ptrole. Pour se prmunir

    contre les ambitions panarabes du prsident

    gyptien Gamal Abdel Nasser, le pouvoir

    saoudien se pose comme le champion de

    lislam et des valeurs traditionnelles en

    inaugurant une politique de solidarit

    islamique. Ainsi plusieurs organisations

    politiques, conomiques, sociales, duca-

    tives et religieuses (la Ligue islamique

    mondiale, lUniversit islamique de

    Mdine, etc.) voient-elles le jour, grce

    notamment au concours des Frres musul-

    mans exils dEgypte par Nasser et bien

    accueillis cette poque.

    Aprs la guerre isralo-arabe de

    juin 1967, qui sonne le glas du panara-

    bisme, lArabie saoudite augmente son

    influence. Elle utilise ces organisations

    pour exporter son islam, et dpense sans

    compter. Alors que la Ligue islamique

    mondiale tend ses activits des dizaines

    de domaines (construction de mosques,

    aide humanitaire, jeunesse, enseignement,

    fatwas, apprentissage du Coran, etc.),

    lUniversit islamique de Mdine forme

    des Saoudiens et des trangers porter la

    bonne nouvelle travers le monde.

    Depuis sa cration en 1961, cette universit

    a produit environ quarante-cinq mille

    cadres religieux de cent soixante-sept

    nationalits. Il faut ajouter cela des mil-

    liers dtudiants trangers qui passent par

    dautres organismes denseignement saou-

    diens, lintrieur comme lextrieur du

    pays, et par des rseaux denseignement

    informels. Dautres organismes officiels,

    officieux et privs ont vu le jour depuis,

    pour rpondre la demande dun march

    du religieux en perptuelle croissance.

    Paralllement aux voies institutionnelles,

    Riyad finance, gnralement en toute dis-

    crtion, des individus, des groupes et des

    organisations qui servent plus ou moins

    ses desseins. Il aurait ainsi dpens plus

    de 4 milliards de dollars pour soutenir les

    moudjahidins en Afghanistan durant les

    annes 1980.

    En tant que moyen de visibilit et dex-

    pansion de premier ordre, le mondemdia-

    tique et virtuel nchappe bien sr pas

    la vigilance des autorits politico-reli-

    gieuses du royaume. Il est investi ds les

    annes 1990. Des dizaines de chanes satel-

    litaires et des centaines de sites Internet

    closent. Les rseaux sociaux sont gale-

    ment pris dassaut. Toutes sortes de ser-

    vices y sont proposs, parfois en plusieurs

    langues. Cet engagement dans les nou-

    velles technologies, financ par lEtat, ne

    doit toutefois pas faire oublier les moyens

    de diffusion traditionnels. Par exemple, des

    millions de brochures, de cassettes, de CD

    et de livres pieux ont t distribus travers

    le monde des prix modiques, si ce nest

    gratuitement, depuis les annes 1980.

    Grce aux ptrodollars, la prsence de

    Lieux saints de lislam sur le territoire

    saoudien, la simplicit de ses prceptes

    et au zle de ses adeptes, le wahhabisme

    sest impos comme une orthodoxie par

    rapport laquelle tous les autres acteurs

    se positionnent dsormais. Son arme la

    plus efficace reste sans doute la capacit

    de ses dpositaires sallier avec nimporte

    Carreau de revtement calligraphi Ya Mubdi (O Dieu lorigine de toute chose), XIV

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    Les Frres musulmans contre la gauche

    TOUT en restant sur leurs gardes, la plu-

    part des rgimes essaient dutiliser ces

    entrepreneurs religieux leur avantage ds

    le dbut des annes 1970. Pour se dbar-

    rasser des mouvements dopposition, plu-

    sieurs rgimes, dont ceux dAnouar El-

    Sadate en Egypte et de Hassan II auMaroc,

    utilisent ainsi les Frres musulmans. Sous

    lil bienveillant des autorits, ces derniers

    affaiblissent durablement les positions de

    la gauche, notamment dans les tablisse-

    ments denseignement, les universits, les

    syndicats, etc.Mais les choses ne sarrtent

    pas l. Les rgimes vont jusqu puiser

    dans le rpertoire des Frres, la fois pour

    les satisfaire et pour leur couper lherbe

    sous le pied. Cela concerne non seulement

    le domaine de la loi (la constitutionnalisa-

    tion de lislam, voire de la charia, le statut

    personnel, des articles du code pnal, etc.),

    mais galement lducation (les pro-

    grammes scolaires) et les mdias. Pour

    couronner le tout, les chefs dEtat ne man-

    quent plus aucune occasion de manifester

    publiquement leur pit (accomplisse-

    ment des rituels, notamment le plerinage

    La Mecque, organisation de crmonies

    religieuses, construction ddifices de

    culte, etc.).

    Mme si les rgimes tolrent et instru-

    mentalisent les Frres musulmans, la

    mfiance reste de mise. Ils noublient pas

    que lobjectif ultime de ces derniers

    demeure la prise du pouvoir. Ils ne man-

    quent ainsi aucune occasion dessayer de

    les dcrdibiliser, de les affaiblir et mme

    de les anantir. Cela a t par exemple le

    cas en Arabie saoudite aprs une contes-

    tation frriste au dbut des annes 1990.

    Dautres rgimes ont essay, notamment

    aprs les attentats du 11 septembre 2001,

    de sappuyer sur les confrries soufies pour

    arriver au mme objectif. En vain.

    Cest ainsi que, devant la monte des

    Frres musulmans aprs les soulvements

    populaires de 2011, plusieurs rgimes de

    la rgion dcouvrent les bienfaits du

    wahhabisme: lantifrrisme, lantimoder-

    nisme politique et lappel obir absolu-

    ment aux gouvernants. Ils nont pas

    manqu de les utiliser, ce qui laisse prvoir

    des collusions dans les prochaines annes.

    Tout laisse donc penser que le traditiona-

    lisme religieux poursuivra son expansion,

    dautant que les socits civiles sont bal-

    butiantes et que le champ intellectuel,

    notamment moderniste, est en ruine.

    Mais lexprience saoudienne est la plus

    impressionnante, par son ampleur et par

    sa longvit. Le wahhabisme, avatar du

    hanbalisme (lune des quatre coles juri-

    diques et thologiques du sunnisme), se

    conoit ds son apparition au XVIII

    e

    sicle

    comme la seule vraie religion. Son inter-

    prtation littraliste, conservatrice et

    exclusiviste de lislam doit donc simposer

    tous ; ceux qui la refusent sont dclars

    gars, hypocrites, hrtiques, voire

    mcrants. Cependant, les autorits poli-

    tiques et religieuses saoudiennes nont pas

    les moyens humains et financiers de ra-

    liser leurs ambitions, dautant que leur

    doctrine souffre dune mauvaise rputation

    en raison des accusations dextrmisme

    portes par ses dtracteurs, non sans fon-

    dement. Les choses vont changer radica-

    lement au lendemain de la premire guerre

    mondiale.

    Le roiAbdelAziz (dit Ibn Soud), fon-

    dateur du royaume saoudien moderne, pro-

    fite du contexte de recomposition de la

    rgion au lendemain du conflit pour tirer

    son pingle du jeu. Il entreprend, entre

    autres, une opration de grande envergure

    pour redorer le blason du wahhabisme,

    quil rebaptise salafisme. Son objectif :

    convaincre que cette doctrine est conforme

    aux croyances et aux pratiques orthodoxes

    des salaf les trois premires gnrations

    de musulmans. Sa plus belle russite dans

    ce domaine est sans doute davoir sduit

    plusieurs intellectuels et oulmas influents.

    Lentreprise de rhabilitation, double du

    prestige dtre rest le seul pays arabe

    indpendant entre les deux guerres (3),

    permet cette doctrine dacqurir le statut

    de nouvelle orthodoxie.

  • (1) Sur lhistoire de la dette, lire Franois Ruffin et

    ThomasMorel (sous la dir. de), Vive la banqueroute !,

    Fakir ditions, Amiens, 2013.

    (2) Respectivement sur LCI, le 4 fvrier 2015 ;

    dans International New York Times, les 31 janvier et

    1

    er

    fvrier 2015 ; et sur la British Broadcasting Corpo-

    ration (BBC), le 30 dcembre 2014.

    (3) Ce qui suit puise dans les travaux dEric

    Toussaint et Renaud Vivien pour le Comit pour

    lannulation de la dette du tiers-monde (CADTM),

    www.cadtm.org

    (4) Cnuced, The concept of odious debt in public

    international law ,Discussion Papers, n 185, Genve,

    juillet 2007.

    (5) Lire Eric Toussaint, Une dette odieuse, Le

    Monde diplomatique, fvrier 2002.

    (6) Comme dans le cas de la France. Lire Jean

    Gadrey, Faut-il vraiment payer toute la dette ? , Le

    Monde diplomatique, octobre 2014.

    (7) Cf. Damien Millet et Eric Toussaint, La Dette

    ou la vie,Aden-CADTM, Bruxelles, 2011.

    (8) Cit par Richard Gott dansCuba: A NewHistory,

    Yale University Press, New Haven, 2004.

    (9)AnasTamen, La doctrine de la dette odieuse

    ou lutilisation du droit international dans les rapports

    de puissance , travail prsent le 11 dcembre 2003

    lors du troisime colloque de droit international du

    CADTM Amsterdam.

    (10) Les fameux emprunts russes, stocks par de

    nombreux pargnants franais et finalement rembourss,

    pour un montant de 400 millions de dollars, la suite

    dun accord entre Paris et Moscou, en 1996.

    4

    TOUTES LES CRANCES DOIVENT

    Dette publique, un

    favoriser le relvement des niveaux de

    vie, le plein-emploi et des conditions de

    progrs et de dveloppement dans lordre

    conomique et social .

    Un jeuneGrec sur deux est au chmage ;

    30% de la population vit sous le seuil de

    pauvret ; 40% a pass lhiver sans chauf-

    fage. Une portion de la dette a t gnre

    sous la dictature des colonels (1967-1974),

    au cours de laquelle elle a quadrupl ; une

    autre a t contracte au prjudice de la

    population (puisquelle a largement vis

    renflouer les tablissements de crdit fran-

    ais et allemands) ; une autre encore

    dcoule directement de la corruption de

    dirigeants politiques par des transnationales

    dsireuses de vendre leurs produits, parfois

    dfectueux, Athnes (comme la socit

    allemande Siemens [7]) ; sans parler des

    turpitudes de banques telles que Goldman

    Sachs, qui a aid le pays dissimuler sa

    fragilit conomique... Les Grecs disposent

    de mille et une justifications pour recourir

    au droit international et allger le fardeau

    dune dette dont un audit tablirait les carac-

    tres odieux, illgitime et illgal (lire ci-

    dessous Dans nos archives). Mais la

    capacit de faire entendre sa voix repose

    avant tout sur la nature du rapport de forces

    entre les parties concernes.

    En 1898, les Etats-Unis dclarent la

    guerre lEspagne en prtextant une

    explosion bord de lUSS Maine, qui

    mouille dans le port de La Havane. Ils

    librent Cuba, quils transforment en

    protectorat rduisant lindpendance

    et la souverainet de la Rpublique

    cubaine ltat de mythe (8), selon le

    gnral cubain Juan Gualberto Gmez,

    qui avait pris part la guerre dindpen-

    dance. LEspagne exige le remboursement

    de dettes que lle avait contractes

    auprs delle ; en loccurrence, les frais

    de son agression. Elle sappuie sur ce que

    M. Cur aurait sans doute appel les

    rgles du jeu. Comme lindique la cher-

    cheuseAnasTamen, la requte espagnole

    sappuyait sur des faits analogues, notam-

    ment le comportement de ses anciennes

    colonies qui avaient pris leur charge la

    part de la dette publique espagnole ayant

    servi leur colonisation. Les Etats-Unis

    eux-mmes navaient-ils pas revers plus

    de 15 millions de livres sterling au

    Royaume-Uni lors de leur accession lin-

    dpendance (9) ?

    Washington ne lentend pas ainsi et

    avance une ide encore peu rpandue (qui

    contribuera fonder la notion de dette

    odieuse) : on ne saurait exiger dune popu-

    lation quelle rembourse une dette

    contracte pour lasservir. La presse am-

    ricaine relaie la fermet de cette position :

    LEspagne ne doit pas entretenir le

    moindre espoir que les Etats-Unis soient

    suffisamment stupides ou veules pour

    accepter la responsabilit de sommes

    ayant servi craser les Cubains, clame

    le Chicago Tribune du 22 octobre 1898.

    Cuba ne versera pas un centime.

    Quelques dcennies auparavant, le

    Mexique avait tent de dvelopper des

    arguments similaires. En 1861, le prsident

    Benito Jurez suspend le paiement de la

    dette, en grande partie contracte par les

    rgimes prcdents, dont celui du dictateur

    Antonio Lpez de SantaAnna. La France,

    le Royaume-Uni et lEspagne occupent

    alors le pays et fondent un empire quils

    livrent Maximilien dAutriche.

    PAR RENAUD LAMBERT

    Lchec de leurs politiques a priv les partisans de laus-

    trit de largument du bon sens conomique. De Berlin

    Bruxelles, les gouvernements et les institutions financires

    fondent dsormais leur vangile sur lthique : la Grce

    doit payer, question de principe ! Lhistoire montre toutefois

    que la morale nest pas le principal arbitre des conflits

    entre crditeurs et dbiteurs.

    MARS 2015 LE MONDE diplomatique

    Pas suffisamment stupides pour payer

    Une rduction de 90% pour lAllemagne

    !

    !

    !

    EN 2007, sept mois aprs avoir t lu, le prsident quatorien Rafael Correa

    a fait procder un audit de la dette du pays. Les conclusions ont montr que

    de nombreux prts avaient t accords en violation des rgles lmentaires du

    droit international. En novembre 2008, lEquateur a donc dcid de suspendre le

    remboursement de titres de la dette venant chance les uns en 2012, les autres

    en 2030. Ce faisant, ce petit pays dAmrique du Sud est parvenu racheter pour

    900 millions de dollars des titres valant 3,2 milliards de dollars. Si lon prend en

    compte les intrts que lEquateur ne devra pas verser, puisquil a rachet des

    titres qui arrivaient chance en 2012 ou en 2030, le Trsor public quatorien

    a conomis environ 7 milliards de dollars. Cela a permis de dgager de nouveaux

    moyens nanciers et daugmenter les dpenses sociales dans la sant, lducation,

    laide sociale et le dveloppement dinfrastructures de communication.

    En matire dendettement, la Constitution quatorienne, adopte au suffrage

    universel en septembre 2008, reprsente une grande avance. Larticle 290 soumet

    notamment tout endettement futur aux rgles suivantes :

    on ne recourra lendettement public que si les rentres scales et les ressources

    provenant de la coopration internationale sont insufsantes ;

    on veillera ce que lendettement public naffecte pas la souverainet nationale,

    les droits humains, le bien-tre et la prservation de la nature ;

    lendettement public nancera exclusivement des programmes et projets

    dinvestissement dans le domaine des infrastructures, ou des programmes et

    projets qui gnrent des ressources permettant le remboursement. On ne pourra

    renancer une dette publique dj existante qu condition que les nouvelles

    modalits soient plus avantageuses pour lEquateur ;

    l tatisation des dettes prives est interdite.

    JUILLET 2011

    DANSNOS

    ARCHIVES

    LEquateur dit non

    LA doctrine Pacta sunt servanda na

    pourtant rien de granitique (3) : Lobli-

    gation que formule le droit international

    de rembourser ses dettes na jamais t

    considre comme absolue et sest fr-

    quemment vue limite ou nuance , pr-

    cise un document de la Confrence des

    Nations unies sur le commerce et le

    dveloppement (Cnuced) (4). Dnoncia-

    tion des dettes odieuses (emprunts

    raliss par un pouvoir despotique [5]),

    des dettes illgitimes (contractes

    sans respecter lintrt gnral de la

    population [6]) ou des vices de consen-

    tement , les arguments juridiques ne

    manquent pas pour justifier la suspen-

    sion des paiements, voire leffacement

    de tout ou partie des crances qui acca-

    blent un pays. A commencer par lar-

    ticle 103 de la Charte de lOrganisation

    des Nations unies (ONU), qui proclame :

    En cas de conflit entre les obligations

    des membres des Nations unies en vertu

    de la prsente Charte et leurs obligations

    en vertu de tout autre accord interna-

    tional, les premires prvaudront.

    Parmi celles-ci, on trouve, larticle 55

    de la Charte, lengagement des Etats

    IL fut un temps o les Etats se libraient

    facilement du fardeau de la dette. Il suf-

    fisait par exemple aux rois de France

    dexcuter leurs cranciers pour assainir

    leurs finances : une forme balbutiante,

    mais commune, de restructuration (1).

    Le droit international a priv les dbiteurs

    dune telle facilit. Il aggrave mme leur

    situation en leur imposant le principe de

    continuit des engagements.

    Si les juristes se rfrent cette obligation

    par une formule latine Pacta sunt ser-

    vanda (Les conventions doivent tre res-

    pectes) , les traductions les plus diverses

    ont circul au cours des dernires semaines.

    Version moralisatrice : La Grce a le

    devoir thique de rembourser sa dette

    (Front national). Version nostalgique des

    cours de rcration: LaGrce doit payer,

    ce sont les rgles du jeu (M. Benot

    Cur, membre du directoire de la Banque

    centrale europenne). Version insensible

    aux susceptibilits populaires : Les lec-

    tions ne changent rien aux engagements

    des Etats (M.Wolfgang Schuble, ministre

    des finances allemand) (2).

    La dette hellnique dpasse les 320 mil-

    liards deuros ; proportionnellement la

    production de richesse, elle a bondi de

    50% depuis 2009. Selon le Financial

    Times, la rembourser requerrait de la

    Grce quelle fonctionne comme une co-

    nomie esclave (27 janvier 2015). Mais

    les principes saccommodent mal

    darithmtique. Une dette est une dette,

    martle la directrice du Fonds montaire

    international Christine Lagarde (Le

    Monde, 19 janvier 2015). Autrement dit :

    quimporte de savoir si la Grce peut ou

    non payer, il faut quelle paie...

    Dans ldition de juillet 2011, les conomistes DamienDans ldition de juillet 2011, les conomistes Damien

    Millet et Eric TMillet et Eric Toussaint proussaint prsentaient linitiative innovante desentaient linitiative innovante de

    lEquateur : un audit de sa dette lui ayant permislEquateur : un audit de sa dette lui ayant permis

    dconomiser plusieurs milliardconomiser plusieurs milliards de dollars.ds de dollars.

    A LIMAGE de lURSS, qui annonce en

    1918 quelle ne remboursera pas les dettes

    contractes par Nicolas II (10), les Etats-

    Unis ritrent leur coup de force au bn-

    fice de lIrak au dbut du XXI

    e

    sicle.

    Quelques mois aprs linvasion du pays, le

    secrtaire au Trsor John Snow annonce

    sur Fox News : De toute vidence, le

    peuple irakien ne doit pas tre accabl par

    les dettes contractes au bnfice du rgime

    dun dictateur dsormais en fuite

    (11 avril 2003). Lurgence, pourWashing-

    ton: assurer la solvabilit du pouvoir quil

    vient de mettre en place Bagdad.

    Emerge alors une ide qui stupfierait

    les tenants de la continuit des engage-

    ments des Etats : le paiement de la dette

    relverait moins dune question de prin-

    cipe que de mathmatique. Le plus

    important, cest que la dette soit soute-

    nable , ose un ditorial du Financial

    Times le 16 juin 2003. La logique convient

    Washington : les chiffres ont parl, et les

    Etats-Unis sassurent que leur verdict

    simpose aux yeux des principaux cran-

    ciers de lIrak, France et Allemagne en

    tte (avec respectivement 3 et 2,4 milliards

    de dollars de titres en leur possession).

    Presss de se montrer justes et souples,

    ceux-ci qui refusaient deffacer plus de

    50% de la valeur des titres quils dte-

    naient concdent finalement une rduc-

    tion de 80% de leurs crances.

    Trois ans auparavant, ni la loi des chif-

    fres ni celle du droit international

    navaient suffi convaincre les cran-

    ciers de Buenos Aires de faire preuve de

    souplesse . Pourtant, culminant

    environ 80 milliards de dollars lors du

    dfaut de paiement, en 2001, la dette

    argentine savre insoutenable. Elle

    dcoule de surcrot demprunts en grande

    partie raliss par la dictature (1976-

    1983), la qualif iant au titre de dette

    odieuse. Qu cela ne tienne : les cran-

    ciers exigent dtre rembourss, faute de

    quoi ils interdiront Buenos Aires

    laccs aux marchs financiers.

    LArgentine tient bon. On lui promettait

    la catastrophe ? Entre 2003 et 2009, son

    conomie enregistre un taux de crois-

    sance oscillant entre 7 et 9%. Entre 2002

    et 2005, le pays propose ses cranciers

    dchanger leurs titres contre de nou-

    veaux, dune valeur 40% plus faible. Plus

    des trois quarts acceptent en renclant.

    Plus tard, le gouvernement relance de

    nouvelles ngociations qui aboutissent,

    en 2010, un nouvel change de titres

    auprs de 67% des cranciers restants.

    8% des titres en suspension de paiement

    depuis 2001 nont cependant toujours

    pas fait lobjet dun accord. Des fonds

    vautours semploient aujourdhui les

  • CONTRAIREMENT ce qui se passe dans la plupart

    des pays europens, les chanes de tlvision et

    de radio prives disposent en Grce, depuis 1989, de

    licences dites provisoires, sans avoir jamais vers

    le moindre centime lEtat.

    Il y a quelques annes, le journaliste PaschosMan-

    dravelis rsumait ainsi la situation : le fonctionnement

    des mdias grecs ne sinscrit pas dans le cadre dun

    march de linformation, mais dans celui dun

    march de la politique (1). La proximit entre ces

    deux mondes est dailleurs apparue au grand jour en

    novembre 2011, lorsque le directeur du quotidien Ta

    Na, Pantelis Kapsis, a quitt son poste pour rejoindre

    le gouvernement de M. Lucas Papadmos, un ancien

    banquier. Comme la soulign le journaliste Nikos

    Smyrnaios lpoque, la famille Kapsis ne disparais-

    sait pas pour autant de la presse : Manolis, le frre de

    Pantelis, offici[ait] tous les soirs au journal tlvis

    deMega Channel, o, en tant que commentateur poli-

    tique, il sout[enait] ce mme gouvernement (2).

    Aujourdhui, une population denviron onze mil-

    lions dhabitants se voit proposer pas moins dune

    trentaine de quotidiens et dhebdomadaires nationaux,

    une dizaine de journaux sportifs quotidiens, six

    chanes de tlvision prives (en plus des deux chanes

    nationales) et cent cinquante chanes locales, sans

    compter prs dun millier de stations de radio. De

    toute vidence, tous ces organes de presse ne peuvent

    coexister en mme temps de faon autonome. Dau-

    tant moins que le march publicitaire, qui assure une

    partie des ressources, pouse la courbe de la produc-

    tion de richesses du pays, en chute libre.

    La vrit est que la presse agonise. Ta Na, lun

    des principaux quotidiens proche du parti socialiste

    grec (Pasok) , vend peine dix-huit mille exem-

    plaires par jour. Un autre journal historique, Elefthe-

    rotypia, a disparu au dbut de la crise. La diffusion

    des hebdomadaires a chut, de plus dun million et

    demi dexemplaires environ six cent mille. La plu-

    part des entreprises de presse crite sont dficitaires,

    et la moiti des ventes des quotidiens dpend de

    loffre promotionnelle de la semaine : coupons de

    rduction, loterie avec lots de plusieurs milliers

    deuros la cl, etc.

    Dans ces conditions, leurs propritaires recruts

    parmi les grandes fortunes du pays, notamment les

    armateurs, qui ne paient pas dimpts nattendent

    pas de leurs investissements quils dgagent des pro-

    fits. Dtenir un groupe de presse leur offre en revanche

    une influence politique susceptible de leur permettre

    de remporter des marchs publics. Le groupe Pegasus,

    par exemple, qui dite les quotidiens Ethnos et Proto

    Thema, appartient la famille Bobolas, spcialise

    dans le secteur du btiment et des travaux publics et

    principale bnficiaire des contrats publics de

    construction ces vingt dernires annes.

    Ds le dbut de la crise, les mdias se sont allis

    aux lites politiques pour faciliter le maquillage de

    la ralit conomique du pays auquel avait uvr

    la banque dinvestissement Goldman Sachs et dis-

    simuler lampleur de la corruption. Ils ont dautant

    plus soutenu le programme daustrit impos par la

    troka (Banque centrale europenne, Fonds mon-

    taire international et Commission europenne) quune

    grande partie des mesures prnes correspondaient

    leurs prfrences. Le groupe DOL [Lambrakis

    Press Group] a t parmi les premiers mettre en

    uvre lune des principales mesures imposes par la

    troka, savoir la suppression des conventions

    collectives par branches au profit de conventions

    dentreprise, prcise Smyrnaios. Il a ainsi russi

    imposer une baisse de salaire de 22% ses

    employs.

    TOUT ce qui pouvait conduire discrditer le pro-

    gramme de Syriza rencontrait un large cho. En 2013,

    par exemple, les grandes chanes de tlvision ont

    diffus une vido o un dirigeant de la coalition

    antiaustrit expliquait : On va sortir de leuro !

    Son discours avait t tronqu car la suite prcisait :

    ... si, et seulement si, [la chancelire allemande

    Angela] Merkel nous fout dehors. Il a fallu que

    Syriza menace les chanes de poursuites judiciaires

    pour quelles en interrompent la diffusion. Tous les

    sondages le rappellent : la plupart des Grecs ne sont

    pas favorables un abandon de la monnaie unique.

    Outre la relance conomique du pays, le pro-

    gramme de Syriza prvoit une relance dmocra-

    tique qui passe par une rglementation du secteur

    des mdias, ce qui distingue la coalition des autres

    formations grecques. Elle sest ainsi engage faire

    payer les socits de laudiovisuel pour les licences

    provisoires qui leur sont accordes. Leur attribution

    permanente se traduirait par un contrle approfondi

    de la composition du capital des entreprises, de sa

    provenance, de sa viabilit et de ses incompatibilits

    ventuelles avec dautres investissements. La mesure

    pourrait changer la donne : la majorit des chanes

    survivent grce aux prts des taux favorables

    attribus par les banques, avec la bndiction des

    gouvernements prcdents. Surprise : depuis llec-

    tion de M. Alexis Tsipras, les grandes chanes sem-

    blent avoir chang dattitude son gard et dpeignent

    le nouveau gouvernement de faon moins caustique...

    Autre question-cl, celle de la radiotlvision

    nationale (ERT), ferme le 11 juin 2013 par le gou-

    vernement deM.Antonis Samaras. Rassembl autour

    de syndicalistes et misant sur une ventuelle victoire

    de Syriza, un noyau dur de salaris a rejet la pro-

    position de lancien gouvernement : rouvrir avec un

    effectif amput dun tiers. Chass des locaux de la

    chane par les forces de lordre en dcembre 2013,

    ce groupe a cr une structure autogre qui reven-

    dique le titre de vraie ERT. Nombre de journa-

    listes et de techniciens lont toutefois quitte depuis,

    en dsaccord avec la manire autoritaire de lex-pr-

    sident du syndicat et sa faon opaque de grer la

    caisse de grve. Rsultent donc de cette scission deux

    structures distinctes, auxquelles nappartiennent

    dailleurs pas la plupart des anciens employs dERT,

    victimes la fois de la troka (qui ampute leurs

    allocations-chmage) et du bras de fer de leurs col-

    lgues et des partis politiques.

    Syriza a promis de rouvrir ERT mais ne semble

    pas presse, mme si elle dposera un projet de loi

    la fin du mois. Dailleurs, elle na pas suivi la

    demande des syndicalistes qui exigeaient que la

    structure soit reprise lidentique, et se montre plutt

    favorable la cration dun organisme bas sur des

    fondations nouvelles, en rupture avec le caractre

    tatique dantan.

    5

    faire rembourser, et menacent de conduire

    lArgentine un nouveau dfaut (11).

    Les cranciers acceptent donc de mau-

    vaise grce la perte de valeur des titres quils

    dtiennent. Pourtant, ils sy rsignrent lors

    de la confrence internationale visant

    allger la dette de la Rpublique fdrale

    dAllemagne (RFA), qui se tint Londres

    entre 1951 et 1952. Les dbats de lpoque

    rappellent ceux entourant la Grce contem-

    poraine, commencer par la contradiction

    entre principes et bon sens conomique.

    Des milliards de dollars sont en jeu,

    rapporte alors le journaliste Paul Heffernan,

    qui suit les dbats pour TheNewYorkTimes.

    Mais il ne sagit pas uniquement dune

    question dargent. Les confrences du

    palais de Lancaster House vont avant tout

    traiter de lun des principes vitaux du capi-

    talisme international : la nature sacro-

    sainte des contrats internationaux

    (24 fvrier 1952). Ces proccupations

    lesprit, les ngociateurs principalement

    amricains, britanniques, franais et alle-

    mands entendent galement celles de

    lAllemagne. Dans un courrier du

    6 mars 1951, le chancelier Konrad Ade-

    nauer enjoint ses interlocuteurs de

    prendre en compte la situation cono-

    mique de la Rpublique fdrale, notam-

    ment le fait que la charge de sa dette sac-

    crot et que son conomie se contracte.

    Comme le rsume lconomiste Timothy

    W. Guinnane, chacun convient bientt que

    rduire la consommation allemande ne

    constitue pas une solution valide pour

    garantir le paiement de sa dette (12).

    Un accord est finalement sign le

    27 fvrier 1953, y compris par laGrce (13).

    Il prvoit une rduction dauminimum50%

    des montants emprunts par lAllemagne

    entre les deux guerresmondiales ; unmora-

    toire de cinq ans pour le remboursement des

    dettes ; un report sine die des dettes de

    guerre qui auraient pu tre rclames

    Bonn, ce qui conduit Eric Toussaint, du

    Comit pour lannulation de la dette du tiers-

    monde (CADTM), estimer la rduction

    des dettes allemandes 90% (14) ; la pos-

    sibilit pour Bonn de rembourser dans sa

    propre monnaie ; une limite aux montants

    A Athnes, des mdias genoux

    consacrs au service de la dette (5 % de la

    valeur des exportations du pays) et au taux

    dintrt servi par lAllemagne (5% gale-

    ment). Ce nest pas tout. Dsireux, prcise

    Heffernan, quun tel accord ne soit que le

    prlude un effort visant aiguillonner la

    croissance allemande, les cranciers four-

    nissent la production germanique les

    dbouchs dont elle a besoin et renoncent

    vendre leurs propres produits la Rpu-

    blique fdrale. Pour lhistorien de lco-

    nomie allemand Albrecht Ritschl, ces

    mesures ont sauv lamise Bonn et jet les

    fondations financires du miracle cono-

    mique allemand (15) des annes 1950.

    Depuis plusieurs annes, Syriza au

    pouvoir en Grce la suite des lections

    du 25 janvier 2015 demande bnficier

    dune confrence de ce type, anime par

    lesmmes proccupations.Au sein des ins-

    titutions bruxelloises, on semble toutefois

    partager le sentiment de Leonid Ber-

    shidsky : LAllemagne mritait quon

    allge sa dette, pas la Grce. Dans une

    tribune parue le 27 janvier 2015, le journa-

    liste du groupe Bloomberg dveloppe son

    analyse: Lune des raisons pour lesquelles

    lAllemagne de lOuest a bnfici dune

    rduction de sa dette, cest que la Rpu-

    blique fdrale devait devenir un rempart

    de premier rang dans la lutte contre le com-

    munisme. (...) Les gouvernements ouest-

    allemands qui bnficirent de ces mesures

    taient rsolument antimarxistes.

    Le programme de Syriza na rien de

    marxiste. La coalition revendique une

    forme de social-dmocratie modre,

    encore commune il y a quelques dcennies.

    De Berlin Bruxelles, il semblerait toute-

    fois quemme cela soit devenu intolrable.

    RENAUD LAMBERT.

    LE MONDE diplomatique MARS 2015

    TRE HONORES, SAUF...

    sicle de bras de fer

    YANNIS GATIS. La Rencontre ou Face face , de la srie Paysages dhommes, 1977

    ADAGP

    ADAGP

    (1) Le dficit entrepreneurial des mdias grecs (en grec),

    2 juillet 2009, www.medium.gr/a/3275-1549.html

    (2) Nikos Smyrnaios, Grce : la fabrication du consentement par

    les mdias, 26 fvrier 2012, www.ephemeron.eu (toutes les citations

    de Smyrnaios proviennent de cet article).

    Pour lexemple

    Outre le Mexique (1861), Cuba

    (1898), lUnion sovitique (1918),

    la Rpublique fdrale dAllemagne

    (1953) et lIrak (2004)

    cas dannulation de la dette

    analyss dans larticle ci-contre ,

    on peut signaler :

    1868. Etats-Unis. A la fin de la guerre

    civile, Washington dclare la dette

    de la Confdration nulle.

    1883. Mexique. Loi sur le rglement

    de la dette nationale qui rpudie les

    dettes contractes de 1857 1860

    et de 1863 1867.

    1902-1903. Venezuela. A la suite

    du refus de Caracas de rembourser

    sa dette, les flottes britannique,

    allemande et italienne imposent

    un blocus naval au pays.

    1907. Venezuela. La convention

    Drago-Porter interdit le recours

    la force pour le recouvrement

    de crances.

    1919. Pologne. Le trait de Versailles

    annule la dette rclame par

    lAllemagne et la Prusse Varsovie.

    1922. Costa Rica. San Jos dnonce

    les contrats passs de 1917 1919

    par le gnral putschiste Federico

    Tinoco. La Cour suprme

    amricaine, qui arbitre laffaire

    opposant le Costa Rica la Grande-

    Bretagne, juge les contrats

    invalides puisque raliss

    au dtriment de la population.

    1991. Pologne. Ds larrive

    au pouvoir de M. Lech Walesa,

    en 1990, les cranciers du pays lui

    accordent une rduction de 50 %

    de sa dette.

    Egypte. Soucieux dobtenir le

    soutien du Caire lors de la premire

    guerre du Golfe, les cranciers

    rduisent de moiti la dette du pays.

    1996. Le Fonds montaire

    international (FMI) et la Banque

    mondiale lancent linitiative Pays

    pauvres trs endetts (renforce

    en 1999).

    2008. Equateur (lire Dans nos

    archives).

    Islande. A la suite dune

    mobilisation populaire, Reykjavk

    refuse de rgler au Royaume-Uni

    et aux Pays-Bas une dette lie aux

    activits de la banque prive

    Landsbanki.

    (11) Lire Mark Weisbrot, En Argentine, les fonds

    vautours tenus en chec , Le Monde diplomatique,

    octobre 2014.

    (12) TimothyW. Guinnane, Financial Vergangen-

    heitsbewltigung : The 1953 London debt agreement ,

    Working Papers, n 880, Economic Growth Center,

    Yale University, New Haven, janvier 2004.

    (13) Il ne traite pas de lemprunt forc impos par

    Berlin Athnes en 1941.

    (14) Entretien avec Maud Bailly, Restructuration,

    audit, suspension et annulation de la dette ,

    19 janvier 2015, www.cadtm.org

    (15) Albrecht Ritschl, Germany was biggest debt

    transgressor of 20th century , 21 juin 2011,

    www.spiegel.de

    * Journaliste, Athnes.

    PAR VALIA KAIMAKI *

    Rarement partis de largent et presse

    se sont trouvs en aussi troite

    symbiose quen Grce. La relance

    dmocratique annonce par Syriza

    pourra-t-elle librer linformation ?

    YANNIS GATIS. Rassemblement ,

    de la srie Paysages dhommes, 1977-1978

  • 6LA SOLIDARIT VUE PAR COSTA-GAVRAS

    O sont les Sartre, les Foucault ?

    FILM suspense, Z est dabord lhistoire

    dun petit juge (incarn par Jean-LouisTrin-

    tignant) et dun journaliste (Jacques Perrin)

    plongeant dans le labyrinthe de lEtat

    profond pour lucider lassassinat politique

    du dput de la gaucheGrigoris Lambrakis

    (YvesMontand).Tire du roman deVassilis

    Vassilikos (1), cette qute de vrit colle de

    prs lhistoire relle de laGrce des annes

    1960, peine remise de la guerre

    civile (1946-1949) et qui sapprtait lire

    une majorit de centre gauche. Mais, alors

    que le spectateur se prpare savourer le

    happy end et voir les responsables mili-

    taires (Pierre Dux et Julien Guiomar) jets

    en prison, ceux-ci prennent le pouvoir...

    LExpress parlait du premier grand

    film politique franais, mais il ny avait

    personne dans la salle la premire semaine,

    se souvient Costa-Gavras, rencontr Paris

    le 10 fvrier. Puis le bouche--oreille se

    fait. La dictature des colonels venait de

    provoquer un choc, quelque chose dinac-

    ceptable enEurope.On tait en fvrier 1969,

    quelques mois aprs Mai 68. A toutes les

    sances, les gens applaudissaient la fin.

    Le film resta en dfinitive pendant quarante

    semaines laffiche et fit plus de huit cent

    mille entres rien qu Paris. Lavantage

    du cinma est de permettre dincarner une

    situation, de faciliter une identification.

    Ctait devenu un phnomne qui nous

    chappait compltement.

    En 1967, ds les premiers jours du coup

    dEtat, le monde de la culture est en moi.

    Il accueille de nombreux rfugis, comme

    lactrice Melina Mercouri. On ptitionne

    au-del des cercles militants pour obtenir

    la libration du musicien Mikis Theodo-

    rakis, fondateur des Jeunesses Lambrakis,

    emprisonn Oropos. Costa-Gavras

    dcouvre par son frre le roman deVassi-

    likos, crit le scnario avec Jorge

    Semprn et runit sans diff icult une

    palette de vedettes : On a trouv les

    acteurs tout de suite, mais il a fallu plus

    dun an pour runir largent. Edgar

    Morin, qui prsidait la commission

    davance sur recettes, nous a aids

    lobtenir. Trintignant cherchait des

    solutions avec Jacques Perrin, qui se

    retrouvait producteur faute de candidat :

    Faisons-le en Algrie !Montand tait

    prt tourner pour rien. Mme Pierre

    Dux, socitaire de la Comdie-Franaise

    et plutt gaulliste, voulait faire quelque

    chose pour dfendre lide de dmocratie.

    Alors que le film est encore au montage,

    un entretien tlvis avec Trintignant

    restitue latmosphre de lpoque (2) :

    Certains comdiens disent quil ne faut

    absolument pas faire de politique. Moi, je

    dis au contraire quil faut faire de la

    politique. Le drame, cest que lon ne fait

    pas de film politique. On en fait trop peu.

    Moi, je suis ravi de mengager. Louis

    Aragon, Jean-Paul Sartre et Simone de

    Beauvoir assistent aux projections prives.

    Des dbats sont organiss avec le rali-

    sateur, les acteurs ou les rfugis politiques

    grecs, qui distribuent aussi des tracts aux

    entres des salles.

    Certes, lemouvement nest pas unanime.

    A droite,Le Figaro ne cache pas sa compr-

    hension pour le gouvernement en treillis :

    selon le quotidien, la pauvret rendmalais

    lexercice dune dmocratie loccidentale.

    Le penchant au dsordre y est constant ;

    les lections dbouchaient normalement

    sur la guerre civile (3).Toutefois, lhostilit

    au rgime des colonels dborde largement

    les colonnes de la presse progressiste : Je

    me souviens que le patron de France-Soir,

    Pierre Lazareff, mavait invit chez lui avec

    quelques personnes qui ntaient pas de

    gauche et qui avaient de la sympathie pour

    la Grce, raconte Costa-Gavras. Un soir, le

    journaliste Eric Rouleau nous avait runis

    pour un dner avec Lo Hamon, gaulliste

    Tsipras en mai dernier, le cinaste a repris

    got la politique : Il a voulu me voir

    quand il est venu Paris. Nous avons pass

    une soire ensemble dans un restaurant

    grec. Son programme pour la culture est

    le fruit dune rflexion profonde, il propose

    quelque chose dimportant et de diffrent.

    Or chacun sait quil faut changer la Grce.

    Je nai jamais pris position pour un parti

    depuis llection dAndras Papandrou

    en 1981. Mais, aprs le discours deTsipras

    lors de la dissolution du Parlement, je lui

    ai envoy un texto pour lui dire :Jespre

    que vous allez gagner.

    La victoire lectorale de Syriza voque

    chez Costa-Gavras le souvenir inquiet du

    Chili de Salvador Allende, o il tourna

    Etat de sige en 1972, et dont il raconta

    la tragdie traversMissing, en 1982: Je

    pense que lon fera tout pour empcher

    Tsipras de russir. Cela ne passe plus par

    les armes comme au Chili ; la violence est

    conomique. Ils vont semployer le casser.

    Le laisser russir constituerait un mauvais

    exemple, en Espagne srement, en Italie,

    mais aussi ailleurs...

    PAR PHILIPPE DESCAMPS

    Leur opposition aux politiques conomiques conserva-

    trices vaudra-t-elle aux Grecs autant de sympathies que

    leur combat contre la dictature des colonels ? Aprs le

    coup dEtat du 21 avril 1967, la solidarit internationale

    stendit de larges secteurs dopinion, au-del de la

    gauche. Costa-Gavras raconte comment son film Z

    en devint lemblme.

    MARS 2015 LE MONDE diplomatique

    de gauche, alors ministre. Il coutait les

    jeunes tudiants grecs avec attention et

    exprimait sa sympathie pour les Grecs en

    exil. Un autre soir, jai reu un coup de fil

    du directeur du cinma Concorde aux

    Champs-Elyses. Il mindiqua que Valry

    Giscard dEstaing venait de voir le film.

    En juillet 1974, deux mois aprs avoir t

    lu prsident de la Rpublique, celui-ci

    mettra son avion la disposition de

    Constantin Caramanlis, lancien premier

    ministre exil en France, charg de restaurer

    la dmocratie Athnes.

    YANNIS GATIS. Le Passage troit , de la srie Paysages dhommes, 1977-1978

    (2) Respectivement cit par Les Echos, Paris, 17 f-

    vrier 2015, et interrog par Europe 1, 12 fvrier 2015.

    (3) The NewYork Times, 17 fvrier 2015.

    (4) Entretien avec la radio publique allemande

    Deutschlandfunk, 16 fvrier 2015.

    (5) M. Barack Obama, interrog par Cable News

    Network (CNN) le 1

    er

    fvrier 2015.

    (6) Sur une base 100 en 1913, le produit national

    brut franais est tomb 75,3 en 1919 (Jean-Paul

    Barrire, La France au XX

    e

    sicle, Hachette, Paris,

    2000). De son ct, lconomiste amricain Paul

    Krugman relve dans le NewYork Times du 17 fvrier

    2015 que la Grce a perdu 26% de son produit intrieur

    brut entre 2007 et 2009, contre 29 % dans le cas de

    lAllemagne entre 1913 et 1919.

    (7) Entretien avec M. Varoufakis, Le Monde,

    3 fvrier 2015.

    (8) Depuis 1997, lAllemagne a pourtant t mise

    en procdure de dficit excessif huit fois par les autorits

    europennes, la France, onze fois.

    (9) Runion de lEurogroupe sur la Grce

    (Bruxelles, 16 fvrier 2015), Reprsentation perma-

    nente auprs de lUnion europenne, www.rpfrance.eu

    (10) SimoneWeil, La vie et la grve des ouvrires

    mtallos, uvres compltes. Ecrits historiques et

    politiques, vol. II, Gallimard, Paris, 1991.

    CONTRE LAUTRIT PERPTUIT

    Soutenir la Grce

    Moins de dix jours aprs la victoire de

    Syriza, les banquiers centraux de la zone

    euro envoyaient leur premire salve puni-

    tive en privant subitement les banques

    grecques de leur principal canal de finan-

    cement. Ctait un moyen pour eux

    dobliger Athnes ngocier dans lur-

    gence un accord avec ses cranciers,

    essentiellement les Etats europens et le

    FMI, et reprendre le programme daus-

    trit l o le prcdent gouvernement

    lavait laiss. M. Hollande jugea aussitt

    lgitime le coup de force de la Banque

    centrale europenne (BCE). Tout comme

    le premier ministre italien, M. Matteo

    Renzi. Si lon ne sait jamais trs prcis-

    ment o se trouve le prsident franais, du

    moins comprend-on dsormais o il ne se

    situe pas : avec le peuple grec.

    Pendant que ltau europen se resserre,

    que les marchs financiers accentuent leur

    pression sur le gouvernement dAthnes,

    les termes du jeu deviennent terriblement

    clairs. La Grce est soumise un diktat.

    En change des financements dont elle a

    besoin, on exige quelle entrine sur-le-

    champ une avalanche dexigences dogma-

    tiques et inefficaces, toutes contraires

    au programme de son gouvernement :

    rduire une fois de plus les retraites et les

    salaires, augmenter encore le taux de la

    taxe sur la valeur ajoute (TVA), engager

    la privatisation de quatorze aroports,

    affaiblir davantage le pouvoir de ngocia-

    tion des syndicats, affecter des excdents

    budgtaires croissants au remboursement

    de ses cranciers alors mme que la

    (1) Vassilis Vassilikos, Z, Gallimard, Paris, 1967.

    (2) Document de lInstitut national de laudio-

    visuel (INA), 2 dcembre 1968.

    (3) Le Figaro, Paris, 7 septembre 1967. Cit par

    Corinne Talon, La dictature des colonels en Grce,

    1967-1974,Cahiers balkaniques, n 38-39, Paris, 2011.

    (Suite de la premire page.) dtresse sociale de son peuple est

    immense. Les ministres [de lEuro-

    groupe], a prcis M. Pierre Moscovici,

    commissaire europen aux affaires cono-

    miques, taient tous daccord sur le fait

    quil nexiste pas dalternative la

    demande dune extension du programme

    actuel.Avant de rpter le clbre slogan

    de Margaret Thatcher, M. Moscovici, se

    souvenant peut-tre quil tait membre

    dun parti socialiste, avait nanmoins tenu

    prciser : Ce que nous voulons, cest

    aider le peuple grec (2). Laider, mais

    en lui interdisant de dvier de la politique

    daustrit qui la ruin.

    roger la totalit des gouvernements euro-

    pens. Et dabord lAllemagne : les rgles

    disciplinaires qui ont chou sont les

    siennes ; elle entend craser les peuples qui

    refusent de les subir indfiniment, surtout

    quand ils sontmditerranens (8).Avec lEs-

    pagne, le Portugal, lIrlande, le mobile du

    crime est encore plus sordide. Les popula-

    tions de ces Etats auraient en effet intrt

    ce que la main de fer de laustrit cesse

    enfin de les broyer. Mais leurs gouverne-

    ments ont peur, en particulier quand chez

    eux une force de gauche lesmenace, quun

    Etat ne dmontre enfin quon peut refuser

    demprunter un chemin balis, un chemin

    connu, un chemin connu des marchs,

    comme des institutions et de lensemble des

    autorits europennes, celui-lmme dont

    M. Michel Sapin, ministre des finances

    franais, prtend quon doit lexplorer

    jusquau bout (9). Une ventuelle

    chappe belle dAthnes dmontrerait que

    tous ces gouvernements se sont fourvoys

    en faisant inutilement souffrir leur peuple.

    Chacun sait en effet qu moins de

    parvenir tirer du sang une pierre, la

    dette grecque ne sera jamais rembourse.

    Comment ne pas comprendre galement

    que la stratgie conomique de Syriza

    consistant financer des dpenses sociales

    urgentes grce une lutte dtermine contre

    la fraude fiscale pourrait enfin sappuyer

    sur une jeune force politique, populaire,

    dtermine, issue desmouvements sociaux,

    dgage des compromissions du pass. A

    dfaut dtre balise, la voie est donc

    trace. Et lavenir, incertain, fait penser

    ce qucrivait la philosophe SimoneWeil

    propos des grves ouvrires de juin 1936

    en France : Nul ne sait comment les choses

    tourneront. Plusieurs catastrophes sont

    craindre. (...)Mais aucune crainte nefface

    la joie de voir ceux qui toujours, par dfi-

    nition, courbent la tte la redresser. (...)

    Quoi quil puisse arriver par la suite, on

    aura toujours eu a. Enfin, pour la pre-

    mire fois, et pour toujours, il flottera

    autour de ces lourdes machines dautres

    souvenirs que le silence, la contrainte, la

    soumission (10). Le combat des Grecs

    est universel. Il ne suffit plus que nos

    vux laccompagnent. La solidarit quil

    mrite doit se traduire en actes. Le temps

    est compt.

    SERGE HALIMI.

    DEPUIS que les institutions europennes

    ont jet leur dvolu sur la Grce et soumis

    lconomie la plus dprime de lUnion

    la politique daustrit la plus draconienne,

    de quel bilan peuvent-elles se prvaloir?

    Celui quon pouvait attendre et qui fut dail-

    leurs annonc : une dette qui ne cesse den-

    fler, un pouvoir dachat qui seffondre, une

    croissance atone, un taux de chmage qui

    senvole, un tat sanitaire dgrad. Mais

    peu importe, le Gramophone europen ne

    cesse de rpter : La Grce doit respecter

    ses engagements! (lire larticle page 4).

    Sclrose dans ses certitudes, la sainte

    alliance refuse mme dentendre le prsi-

    dent des Etats-Unis quand il explique,

    encourag dans son analyse par une armada

    dconomistes et dhistoriens : On ne peut

    pas continuer pressurer des pays en

    dpression.A unmoment donn, il faut une

    La Grce, fait savoir son ministre des

    financesYanisVaroufakis, est dtermine

    ne pas tre traite comme une colonie de

    la dette dont le destin est de souffrir (3) .

    Lenjeu en cause dpasse celui du droit dun

    peuple choisir son destin, y compris

    quand un arbitre des lgances dmocra-

    tiques aussi dlicat que le ministre des

    finances allemand,M.Wolfgang Schuble,

    estime quil a lu un gouvernement qui

    agit de manire un peu irresponsable (4).

    Car la question pose porte aussi sur la

    possibilit pour un Etat de sextraire de stra-

    tgies destructrices, au lieu de devoir les

    durcir chaque fois quelles chouent.

    stratgie de croissance pour pouvoir

    rembourser ses dettes (5).

    Leffondrement conomique que laGrce

    a subi depuis six ans est comparable celui

    que quatre ans de destructions militaires et

    une occupation trangre avaient inflig

    la France pendant la premire guerre

    mondiale (6). On comprend alors que le

    gouvernement deM.Tsipras bnficie dans

    son pays, y compris droite, dun norme

    appui populaire chaque fois quil refuse de

    prolonger une politique aussi destructrice.

    Et quil rencle donc survivre comme un

    drogu qui attend sa prochaine dose (7) .

    Hlas, Syriza compte moins dappuis

    ailleurs. Un peu la manire du roman

    dAgatha Christie Le Crime de lOrient-

    Express, enquter sur les assassins potentiels

    de lesprance grecque obligerait inter-

    Les vingt-sept assassins de lesprance

    Quand Z triomphait aux Etats-Unis

    ADAGP

    LUVRE de Costa-Gavras marque les

    consciences et reoit une pluie de rcom-

    penses. En respectant les codes du cinma

    daction pour toucher un large public, il a

    fait mouche. A Cannes, il obtient le prix

    du jury et celui de linterprtation mascu-

    line pourTrintignant.A Hollywood, Z rafle

    lOscar du meilleur film tranger et du

    meilleur montage. Jules Dassin et Melina

    Mercouri font connatre la cause grecque.

    Le film triomphe aux Etats-Unis et

    dplace la princesse Margaret, sur de la

    reine dAngleterre. Costa-Gavras sen

    amuse encore : Dans les annes qui ont

    suivi, Jacques Perrin mappelait pour me

    dire : Tiens, tel pays vient de lacheter.

    Cela signifiait en gnral que le rgime

    venait de changer... A Moscou, une

    projection est organise pour les intellec-