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Le Monde Diplomatique 2015 03
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Afrique CFA : 2 400 F CFA, Algrie : 250 DA, Allemagne : 5,50 , Antilles-Guyane : 5,50 , Autriche : 5,50 , Belgique : 5,40 , Canada : 7,50 $C,
Espagne : 5,50 , Etats-Unis : 7,50 $US, Grande-Bretagne : 4,50 , Grce : 5,50 , Hongrie : 1835 HUF, Irlande : 5,50 , Italie : 5,50 , Luxem-
bourg : 5,40 , Maroc : 30 DH, Pays-Bas : 5,50 , Portugal (cont.) : 5,50 , Runion : 5,50 , Suisse : 7,80 CHF, TOM: 780 CFP, Tunisie : 5,90 DT.
nance Athnes ne changeait rien, puisque
la politique rejete par les Grecs devrait
tre poursuivie sans aucune modification.
Sur un ton plus doucereux, on susurra la
mme chose Rome, Bruxelles et Paris :
Il faut, estimait par exemple le ministre
des affaires trangres franais Laurent
Fabius, concilier le respect du vote par
llecteur et le respect des engagements de
la Grce en matire de rformes. Mais
tous les gouvernements de lUnion euro-
penne semblent ne connatre que le
second terme de cette quation. Et soffus-
quer quand M.Alexis Tsipras insiste pour
rappeler le premier.
Bien quisole au sein de lUnion euro-
penne, soumise au harclement de ses
cranciers et confronte des comptes qui
se dgradent, Syriza semploie en effet
rhabiliter des mots devenus aussi insolites
dans la vie dmocratique que souverai-
net , dignit , fiert , espoir .
Mais comment peut-elle y parvenir dans
une situation de dtresse financire per-
manente quand, ngociation aprs ngo-
ciation, il lui faut en rabattre. Et s'y rsi-
H
VINGT ET UN dcembre 2006. Les tlvisions dEtat annoncent
en boucle la mort du prsident du Turkmnistan, Saparmourad
Niazov. Nous sommes tous sous le choc , indique alors
lAgence France-Presse un haut responsable gouvernemental.
Chez Bouygues aussi, cest la consternation. Il y a de quoi.
Implant depuis 1994 dans cette rpublique gazire dAsie cen-
trale, le groupe franais de construction voit steindre un client
fidle. Autoproclam pre des Turkmnes, le Turkmenbachi na
jamais regard la dpense. Potentat mgalomane rgnant dune
main de fer sur une population rduite lobissance, Niazov na
cess de couvrir la capitale ddifices de prestige. Un opulent
palais prsidentiel, des ministres somptueux, une banque centrale
en forme de lingot, une maison des journalistes agrmente de
son profil...
Prestataire zl, Bouygues a tapiss la capitale, Achkhabad,
dun crin de luxe. Au nom de Niazov ou pour le compte de son
successeur, lactuel prsident Gourbangouly Berdymoukhammedov,
aussi prompt remplir le carnet de commandes du groupe. Au
cours des deux dernires dcennies, lentreprise franaise a livr
soixante-quatre btiments. A elle seule, la liale turkmne reprsente
la moiti de lactivit internationale de Bouygues Construction durant
cette priode selon le ministre franais des affaires trangres.
(Lire la suite page 6
et les articles pages 4 6.)
(Lire la suite page 12.)
(Lire la suite page 21.)
LESGrecs nont pas besoin quon leur
explique la signification du terme dmo-
cratie. Pourtant, les leons pleuvent sur
leurs ttes depuis quils ont port au pouvoir
une force de gauche dcide tourner le
dos aux politiques daustrit qui depuis
six ans les tourmentent. Les admonestations
sont dispenses par desmatres dcole qui
savent de quoi ils parlent. Nont-ils pas
impos des traits rejets par le suffrage
populaire et reni leurs engagements de
campagne sitt llection acquise? Dsor-
mais, une preuve de force les oppose
ceux qui cherchent tenir ce quils ont
promis, et quoi ils croient. Elle sera dau-
tant plus rude que ces derniers pourraient
diffuser des tiers, jusqualors rsigns
limpuissance, des ides de rsistance.
Au-del du sort de la Grce, cet affronte-
ment engage le destin de la dmocratie
europenne (1).
Sitt connue la victoire de Syriza,
chacun semblait stre donn le mot sur le
Vieux Continent. Sur un mode arrogant,
Berlin mais aussi Madrid, La Haye, Lis-
bonne et Helsinki expliqurent que lalter-
5,40 - Mensuel - 28 pages N 732 - 62
e
anne. Mars 2015
FRANCE PRIPHRIQUE CONTRE BOBOS DES VILLES ? pages 8 et 9
HUGO CHVEZ,
DIEU ET LA
RVOLUTION
CONVERSATION AVEC
IGNACIO RAMONET
Pages 16 et 17.
H
S O MM A I R E C OM P L E T E N PA G E 2 8
Absence totale de libert et culte caricatural de la
personnalit nont pas empch le Turkmnistan
dentretenir de bons rapports tant avec les Occidentaux
quavec les Russes ou les Chinois. Ce pays neutre
dAsie centrale, au sous-sol gorg de gaz, reprsente
un client de choix pour les entreprises trangres qui
savent ne pas poser trop de questions, linstar du
champion franais du btiment.
DLIRE URBAIN AU TURKMNISTAN
Bouygues,
le btisseur
du dictateur
UNE ENQUTE
DE DAVID GARCIA *
Appuye par la plupart des capitales europennes,
lAllemagne naccepte pas larrive au pouvoir
Athnes dun gouvernement de gauche qui souhai-
terait appliquer son programme. Elle prtend utiliser
sa domination conomique et nancire pour
contraindre la Grce tenir le cap dune politique
daustrit qui la ruine.
PAR SERGE HALIMI
CONTRE LAUSTRIT PERPTUIT
Soutenir
la Grce
YANNIS GATIS. Bote sardines ou La Mise en bote , 1972-1973
* Journaliste, auteur de louvrage Le Pays o Bouygues est roi, Danger public, Paris, 2006.
gner dautant plus douloureusement que
les instruments destins garrotter la
volont dun peuple indocile sont exhibs
aux yeux de tous et que ses tourmenteurs
se dlectent chaque fois quils dtaillent
le dernier de leurs faits d'armes.
M.Tsipras la compris : on attend de lui
quil capitule sur toute la ligne. Car ds
quil se cabre, quil mobilise lenthou-
siasme de sa population, il dfie un ordre
conomique et sa camisole de force, il
chamboule les usages politiques les mieux
installs.Aprs tout,M. Franois Hollande
na pas eu besoin de plus de vingt-quatre
heures pour se rendre Berlin, pitiner ses
promesses de campagne la rengociation
du pacte de stabilit europen, le combat
contre son vritable adversaire, la
finance et endosser ainsi sans broncher
la politique de son prdcesseur.
(1) Lire De Paris Athnes, choisir ses combats,
Le Monde diplomatique, fvrier 2015.
DE MADAN MINSK, UN PAYS EN DROUTE
LUkraine entre guerre et paix
PAR IGOR DELANO *
A LORS que la guerre en Ukraine
orientale reprenait un caractre offensif en
janvier, les seconds accords deMinsk appa-
raissent comme le fruit defforts diploma-
tiques entrepris in extremis. Il aura fallu
tout le poids du couple franco-allemand
pour offrir une nouvelle chance la paix.
Lvocation par Washington dbut fvrier
dune possible livraison darmes sophisti-
ques aux Ukrainiens a conduit Paris et
Berlin lancer une initiative au plus haut
niveau afin de repousser un risque desca-
lade militaire avec la Russie.
Prs de seize heures de ngociation ont
t ncessaires aux reprsentants du
format Normandie (1) le prsident
Franois Hollande, la chancelire alle-
mandeAngelaMerkel, le premier ministre
ukrainien Petro Porochenko et le prsident
russe Vladimir Poutine runis le 12 f-
vrier dans la capitale bilorusse pour par-
venir un compromis. Comportant treize
points ainsi quune note additionnelle, les
accords de Minsk 2 restent similaires sur
le fond ceux deMinsk 1, signs le 5 sep-
tembre 2014 par les responsables de la
Russie, de lUkraine et des rpubliques
autoproclames (2).
Les Europens ont pein renouer avec
la Russie un dialogue trop longtemps
nglig. Les difficults daujourdhui
prennent racine dans une absence pro-
longe de coordination face aux problmes
poss par les pays de leur voisinage par-
tag (Armnie,Azerbadjan, Bilorussie,
Gorgie, Moldavie, Ukraine), que la crise
ukrainienne na fait quapprofondir. En
mai 2009, lUnion europenne a lanc son
partenariat oriental linitiative de la
Pologne et de la Sude, deux Etats qui
entretiennent des relations historiquement
pineuses avec la Russie.
La chute du chaudron de Debaltsevo ruine les espoirs de reconqute
militaire contre les insurgs du Donbass. Aprs un an de dconture, les
dirigeants ukrainiens ont d accepter de nouveaux accords Minsk. Mais
la perspective dune solution politique durable, sappuyant sur le respect
des minorits et un dialogue avec Moscou, semble lointaine.
* Docteur en histoire, enseignant au Collge univer-
sitaire franais de Saint-Ptersbourg.
(1) En rfrence la rencontre diplomatique qui sest
tenue le 6 juin 2014 entre les quatre dirigeants enmarge
des commmorations du dbarquement de Normandie.
(2) Cet accord a t complt par un mmorandum
sign le 19 septembre 2014 par les mmes parties.
ADAGP
MARS 2015 LE MONDE diplomatique
2
Radicalisation
Le dossier Attentats de Paris,
londe de choc (Le Monde diplo-
matique, fvrier 2015) nous a valu un
abondant courrier. M
me
Annie Abriel
ragit ainsi lune des phrases de
larticle de Laurent Bonelli, Les
chemins de la radicalisation:
Larticle retrace utilement le parcours des
auteurs des rcents attentats. Suivre les che-
mins qui peuvent expliquer cette radicali-
sation meurtrire et suicidaire est la pre-
mire piste pour la combattre. Lauteur
signale que leurs scolarits semblent cor-
respondre celles des fractions les moins
qualies des milieux populaires, ce quat-
teste lorientation vers des lires tech-
niques (CAP, BEP ou baccalaurat pro)
un moment o le baccalaurat est devenu
un diplme minimal de rfrence. Voici
les chiffres : pour le bac 2014, 49,7% des
inscrits le sont au bac gnral, 30% au bac
pro, qui comprend quatre-vingt-six spcia-
lits, et 20,4% au bac technologique. Quand
cessera-t-on de propager des jugements
lemporte-pice sur ces lires qui forment
des millions dlves ? Ces propos dvalo-
risants ont un fort impact sur les jeunes. (...)
Prolophobie
M. Franois Reynaud estime que le
message qua voulu faire passer
Benot Brville dans Islamophobie
ou prolophobie ? nest pas for-
cment bien pass :
Lauteur dit que le dbat public sur les
discriminations ethniques et religieuses est
une stratgie des groupes sociaux dominants
pour dtourner le dbat public des ingalits
sociales. Ces derniers joueraient sur les
fortes corrlations entre appartenance eth-
nico-religieuse et classe sociale en exacer-
bant la premire dimension et en occultant
la seconde (...). Cependant, durant la lecture
de cet article, jai eu le sentiment que lauteur
expliquait que les discriminations taient sur-
tout envers les classes populaires et quil ny
avait pas (ou beaucoup moins) de discrimi-
nations ethniques et religieuses. Cest uni-
quement en lisant le dernier paragraphe que
jai compris ses propos ; il met en vidence
les liens troits entre lappartenance ethnique
et religieuse et lappartenance sociale. (...)
Lauteur pousse les citoyens-lecteurs privi-
lgier lutilisation dune grille de lecture en
termes de classes sociales.
Lumires
Du par le dossier, M. Jean Pierre
Carlet a cependant apprci larticle
dAnne-Ccile Robert, Assauts contre
les Lumires.
Sans doute est-il ncessaire de ne pas se
tromper de combat en occultant le conit
fondamental des intrts sociaux par la mise
en scne de laffrontement entre identits
prtendument religieuses ou culturelles.
Sans doute les violences dites communau-
taires peuvent-elles tre relies une poli-
tique conomique mondiale comme leur
cause premire. Mais quest-ce qui permet
ce discernement, sinon lengagement pour
les Lumires (une cole qui instruise vri-
tablement, une rpublique laque rellement
conforme sa devise) ? (...) En tout cas, il
y a quelque paradoxe pour un Franais
vouloir aujourdhui oublier Paris au prot
dAthnes dont il ne peut, de loin, quad-
mirer les luttes prometteuses.
De son ct, M. Flix Dupin-Mey-
nard conteste la vision de la lacit
donne dans larticle.
Avec dautres lecteurs, je regrette que lon
puisse encore lire des loges de la solution
miracle des Lumires et de la Rpu-
blique (dont on oublie lhistoire, labstrac-
tion, lethnocentrisme, le colonialisme, lim-
prialisme, lautoritarisme, le patriarcat, le
capitalisme... et leur instrumentalisation pas-
se et prsente au service dumaintien de lor-
dre social et de son racisme structurel),
comme valeurs supposes universelles de
la Raison, menaces par les dange-
reuses critiques postcoloniales identi-
taires ( identit tant visiblement un gros
mot, tout comme foi)... Pierre Bourdieu
vous rpondait dj, dans ses Mditations
pascaliennes: Lobscurantisme des Lumires
peut prendre la forme dun ftichisme de la
raison et dun fanatisme de luniversel qui
restent ferms toutes les manifestations tra-
ditionnelles de croyance et qui, comme lat-
teste par exemple la violence rexe de cer-
taines dnonciations de lintgrisme religieux,
ne sont pas moins obscurs et opaques eux-
mmes que ce quils dnoncent.
SUSPECT DETORTURE
ET DCOR
Alors quil a fait lobjet de plusieurs
plaintes devant la justice hexagonale
pour torture, le chef du contre-
espionnage marocain reoit les louanges
du ministre de lintrieur franais,
dont le magazine Tel Quel du 14 fvrier
rapporte les propos tenus lors
dune visite Rabat.
M. Cazeneuve a (...) tenu rendre
hommage en premier lieu Abdellatif
Hammouchi. La France avait dj eu
loccasion de distinguer M. Hammouchi
en 2011, en lui attribuant le titre
de chevalier de lordre de la Lgion
dhonneur. Elle saura prochainement lui
tmoigner nouveau son estime en lui
remettant cette fois les insignes dofficier,
a indiqu le ministre.
PRESSE ETMAFIA
LItalie a perdu vingt-quatre places dans
le classement de la libert de la presse
tabli chaque anne par Reporters
sans frontires. En cause, explique
La Repubblica (12 fvrier 2015),
les menaces que la Maa fait peser
sur les journalistes.
En Italie, pendant les dix premiers mois
de 2014, quarante-trois agressions
physiques et sept cas dincendie criminel
(maison ou automobile) ont t commis
contre des journalistes. Le nombre de
procs en diffamation injustis (...)
est pass de quatre-vingt-quatre en 2013
cent vingt-neuf lanne suivante. Dans
le classement de la libert de la presse,
notre pays se voit dsormais devanc
par la Hongrie de Viktor Orbn
(65
e
position), le Burkina Faso ou le Niger
(respectivement 46
e
et 47
e
). Seul Andorre,
qui a perdu vingt-sept places, accuse
une plus grande chute que lItalie,
en raison des difficults que rencontrent
les journalistes de la principaut
qui enqutent sur le secteur bancaire.
MAGOUILLEAFRICAINE
Aprs la rvlation de lvasion scale
organise par HSBC, le site Guine
Conakry Info estime que lAfrique
nchappe pas la magouille
dans les affaires dargent sale
(www.guineeconakry.info).
LEgypte, la Tunisie, le Sngal, la
Zambie, lAfrique du Sud, la Cte dIvoire,
la Guine ont plong des degrs divers
dans la vaste magouille internationale
de blanchiment dargent, au grand dam
des populations africaines, qui se
mouraient dans la mouise quand leurs
chefs jubilaient ou festoyaient dans les plus
grands palaces de ce monde. (...)
Les rvlations de SwissLeaks nous
ramnent au cur de la problmatique
du dveloppement de lAfrique,
outrancirement spolie de ses richesses
au prot de ltranger par des rseaux
sinon maeux, du moins terriblement
dsquilibrs.
VOITURE LECTRIQUE
Une fois conquis le secteur
de linformatique puis celui de
la tlphonie mobile, la multinationale
Apple entend dsormais produire
des voitures lectriques. A en croire
Bloomberg Businessweek, la partie est
loin dtre gagne (16 fvrier 2015).
Une centaine demploys dApple
travaillent actuellement au dveloppement
dune voiture lectrique qui ressemblerait
un minivan. Ce vhicule permettrait
de concurrencer celui construit par Tesla
Motors, ainsi que les voitures hybrides
de Nissan, General Motors ou Ford. (...)
Apple sest lanc dans le commerce des
tlphones et a russi, mais ce sera plus
compliqu avec lautomobile, analyse
Eric Gordon, professeur luniversit
du Michigan. Vous pouvez facilement sous-
traiter une entreprise base en Chine
lassemblage dun produit simple comme
un tlphone, mais ce nest pas pareil
pour la production de voitures
lectriques.Apple a nanmoins un atout
de taille : un magot de 178 milliards
de dollars. Cest six fois plus que les fonds
disponibles sur les comptes de Volkswagen
et sept fois plus que ceux de General
Motors.
LA SCIENCE DU CRIME
La violence criminelle dans le monde,
mesure au nombre dhomicides,
connat une baisse tendancielle.
Mais, comme le pointe Manuel Eisner,
chercheur lInstitut de criminologie
de Cambridge, un facteur est susceptible
dentraver cette dynamique
(New Scientist, 7 fvrier 2015).
Entre les lieux dtenant
la connaissance et ceux o les besoins
sont les plus criants, il y a un norme
foss quil faudra combler. La moiti des
quatre cent cinquante mille homicides
recenss annuellement ne concernent que
vingt pays dAmrique latine et
dAfrique subsaharienne, qui ne
reprsentent que 10 % de la population
mondiale et ne disposent que de faibles
moyens de recherche. A contrario,
95 % des connaissances sur les moyens
de prvenir la violence portent sur
les Etats-Unis et les pays europens
riches.
Vous souhaitez ragir
lun de nos articles :
Courrier des lecteurs,
1, av. Stephen-Pichon 75013 Paris
HISTOIRE retiendra-t-elle que, le 11 janvier dernier, prs de quatre millions
de Franais secous par les attentats de Paris ont manifest en faveur
de... la loi Macron ? De prime abord, le rapport ne saute pas aux yeux
entre la tuerie de Charlie Hebdo et un texte qui tend le travail dominical, facilite
les licenciements collectifs, privatise des aroports et supprime les peines de
prison pour les patrons coupables de pitiner le droit syndical.
Aux esprits triqus qui nauraient pas saisi le lien, le reprsentant dun
cabinet de lobbying invit sur la chane BFM Business expliquait ds le
lendemain du grand dfil : Le moment dunit nationale autour de ce qui
sest pass peut avoir des prolongements dans le vote de ces textes, parce
que les prmices taient dj l, dans une sorte de consensus sur la ncessit
de libraliser lconomie (1). Sans doute noues par la timidit, les foules
navaient pas os, jusque-l, crier leur dsir de loi Macron. A en croire
lextralucide Nicolas Baverez, cette pulsion imprieuse serait mme le vritable
motif des manifestations. Le 11 janvier 2015, crit-il, les Franais ont adress
au monde et leurs dirigeants un message de dignit et de courage, dont
lesprit est clair : sortir du dni, lever les tabous, passer des paroles aux actes.
Ces principes (...) ne seront crdibles que sils sappliquent aussi la rforme
conomique et sociale (Le Point, 12 fvrier 2015). Sur les pancartes Je suis
Charlie , il fallait en ralit lire Je suis Macron.
Profiter dun vnement traumatique pour imposer des dcisions impopulaires :
cette stratgie du choc sduit aussi Pierre-Antoine Delhommais. Lditorialiste
a dj planifi ltape suivante. Le gouvernement de Manuel Valls se retrouve
aujourdhui en position de force pour passer outre aux braillements des
frondeurs, aux lamentations des syndicats et de tous ceux qui sopposent aux
rformes denvergure dont la France a besoin pour vaincre ses archasmes et
dbloquer son conomie, par exemple touchant lorganisation du march
du travail ou aux trente-cinq heures. Pour renforcer ce souffle libral qui a
inspir la loi Macron et pour aller bien plus loin (...). Il faut seulement souhaiter
pour la France que M. Valls ne laisse pas passer cette chance conomique
unique que la tragdie des attentats terroristes lui offre (Le Point, 5 fvrier 2015).
Le 11 septembre 2001, M
me
Jo Moore, conseillre du ministre britannique des
transports, stait rjouie dans un courriel interne de la chance offerte par
Al-Qaida : Cest une trs bonne journe pour sortir toutes les mauvaises
nouvelles. Mais, contrairement Delhommais, elle navait pas song rendre
publique cette leon de probit politique.
PIERRE RIMBERT.
(1) 12 janvier 2015, cit dans La Dcroissance, n
o
116, Lyon, fvrier 2015.
Loi Macron,
obscur objet du dsir
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Les Amis du Monde diplomatique
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COURRIER DES LECTEURSCOURRIER DES LECTEURS
L
Nuclaire en Ukraine : vous
avez dit sant publique?
Dans le cadre des cinq jours Expo-
cinma-thtre-dbat-bal (du 11 au
15mars), Sbastien Gobert et Laurent
Geslin, auteurs de larticle Sur le front
de luranium (lire pages 22 et 23),
participeront au dbat organis par la
compagnie de thtre de Bruno
Boussagol Brut de bton, le dimanche
15 mars 16h15, la Maison de
larbre, 9, rue Franois-Debergue,
93100 Montreuil.
Informations : 06-08-46-69-44 ou
www.brut-de-beton.net
RECTIFICATIF. Georges Nzongola-Ntalaja,
auteur dune biographie de Patrice Lumumba
(fvrier 2015), prcise quil nest pas un his-
torien amricain , comme crit par erreur, mais
un politologue congolais vivant aux Etats-
Unis (depuis le 31 juillet 1962) .
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me
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3LE MONDE diplomatique MARS 2015
AUX RACINES DU DJIHADISME
Surenchres traditionalistes en terre dislam
PAR NABIL MOULINE *
Le monde musulman sunnite est confront un phnomne
de rislamisation, aviv par la faiblesse des forces moder-
nistes et des socits civiles ainsi que par la duplicit des
pouvoirs politiques. Tout porte croire que, malgr leur
opposition idologique, le wahhabisme saoudien et le courant
des Frres musulmans vont poursuivre leur expansion. Leur
avatar commun, le djihadisme, devrait lui aussi se renforcer.
DANS le monde arabe, les ambitions
hgmoniques du traditionalisme musul-
man ne datent pas dhier. Quelles que
soient sa forme ou sa dnomination, ses
dpositaires ont russi y occuper, depuis
la seconde moiti du IX
e
sicle, une place
centrale. Cela sest fait au prix de combats
acharns, et au dtriment dautres discours
dont certains taient novateurs, ou du
moins rnovateurs.
Ce nest qu partir du XIX
e
sicle que
lordre ancien est progressivement,
quoique involontairement, secou par le
choc colonial. Des discours sappuyant sur
les systmes de valeurs et de reprsenta-
tions occidentaux sintroduisent en terre
dislam. Ils offrent une nouvelle conception
du monde et permettent des courants
intellectuels, politiques et religieux de
spanouir. Le traditionalisme musulman
ne disparat pas pour autant. Aprs une
priode dadaptation force au dbut du
XX
e
sicle, ses promoteurs rapparaissent
et prtendent jouer un rle structurant en
tant que dfenseurs des vraies valeurs de
lislam contre une modernit trop enva-
hissante. Le renouveau et lexpansion du
traditionalisme, quil soit religieux (wah-
habisme [1]) ou politico-religieux (fr-
risme [2] et djihadismes), ont plusieurs
causes. Sans ngliger les facteurs socio-
conomiques, dont limportance est ind-
niable, il nous parat ncessaire ici disoler
quelques variables dterminantes et de les
mettre en perspective.
Tout au long du XX
e
sicle, plusieurs
pays musulmans ont essay dutiliser leur
capital religieux pour tendre leur prestige
et leur influence au niveau international.
premier temps, ils estiment que le
contrle des acteurs et le monopole du
discours religieux passent par la main-
mise sur les institutions, comme Al-
Azhar en Egypte, la Zitouna en Tunisie
et la Qaraouiyine au Maroc. Cette poli-
tique a un effet pervers : les reprsentants
de ces institutions, qui taient en situation
de quasi-monopole, se retrouvent non
seulement discrdits durablement, mais
galement concurrencs par de nouveaux
acteurs religieux, notamment les Frres
musulmans et les wahhabites. Le champ
spirituel se retrouve ainsi fragment. Pis,
une surenchre traditionaliste sengage.
commun des mouvements se rclamant de
prs ou de loin de ce groupement est la
volont dislamiser les socits. Cela sans
pour autant abandonner le rve dune prise,
partielle ou intgrale, du pouvoir, soit par
lentrisme, soit par le jeu dmocratique.
De leur ct, et quelle que soit leur
obdience politique, les rgimes qui
sinstallent au pouvoir aprs les indpen-
dances instrumentalisent la religion,
notamment le traditionalisme. Lchec ou
linexistence dun projet de construction
nationale leur permet dutiliser cette
valeur refuge par excellence. Dans un
* Chercheur au Centre dtudes interdisciplinaires
des faits religieux (CEIFR) lEcole des hautes tudes
en sciences sociales (EHESS), auteur de louvrage Les
Clercs de lislam.Autorit religieuse et pouvoir politique
enArabie saoudite (XVIII
e
-XXI
e
sicle), Presses univer-
sitaires de France (PUF), Paris, 2011.
Ptrodollars et proslytisme
(1) Du nom du fondateur du mouvement, Mohamed
Ibn Abdel Wahhab (1703-1732).
(2) En rfrence aux Frres musulmans.
(3) Certains pays, dont lEgypte, taient formellement
indpendants, mais en ralit sous contrle colonial.
(4) En rfrence AbulAlaMawdoudi (1903-1979),
intellectuel, religieux et homme politique indo-paki-
stanais, qui fut lun des principaux promoteurs de lisla-
misme moderne.
quel rgime, ou tout au moins sen
accommoder, pourvu quil les autorise
islamiser la socit par le bas. La restau-
ration du califat ne compte pas parmi leurs
proccupations. Ce qui nest pas le cas de
leurs principaux concurrents : les Frres
musulmans.
Ds sa fondation vers 1928 par Hassan
Al-Banna, la confrrie des Frres musul-
mans a pour objectif de recrer lunit poli-
tique et religieuse originelle de loumma.
Pour raliser cette utopie, son fondateur
envisage une stratgie tlologique: il faut
dabord islamiser la socit par le bas en
dpassant toutes les coles juridiques et
thologiques avant de conqurir le pouvoir
et de crer des Etats islamiques. Ces Etats,
qui assurent la suprmatie des valeurs reli-
gieuses traditionnelles, sengagent dans un
processus dintgration travers des pro-
grammes de coopration intenses. Cela
aboutit tout naturellement labolition des
frontires et la proclamation du califat.
Bien que traditionaliste, le discours des
Frres est relativement modr durant les
premires annes de leur existence. Beau-
coup dides occidentales, du moins dans
leurs procds rhtoriques, sont adoptes
pour permettre lentre dans le champ poli-
tique moderne en vue de le contrler. Si la
confrrie stend trs rapidement en Egypte
et ailleurs, elle choue conqurir le pou-
voir. A la fin des annes 1940, elle sen-
gage dans un processus de radicalisation
qui sintensifie la dcennie suivante cause
de la rpression froce quemne le rgime
de Nasser contre ses membres.
Cest dans ce contexte de crise que sont
nes les ides de Sayyed Qotb (1906-
1966), lun des idologues de la confrrie.
En 1950, cet ancien journaliste opre un
revirement idologique qui aura des cons-
quences immenses sur le champ politico-
religieux arabo-musulman. Il considre en
effet que le monde dans lequel il vit est
tomb dans lapostasie. Les vrais croyants,
dsormais minoritaires, doivent accomplir
une migration en se sparant spirituel-
lement et physiquement des socits
impies. Aprs avoir cr une plate-forme
solide, ces lus doivent se lancer la
conqute du pouvoir pour instaurer lEtat
et la loi islamiques dans le cadre dun
djihad intgral. Cette culture denclave,
qui nest pas nouvelle dans lhistoire
musulmane, devient trs rapidement le
socle du djihadisme contemporain. Son
hybridation avec le wahhabisme, le maw-
doudisme (4) et des idologies euro-
pennes notamment fascistes et commu-
nistes la rendent encore plus redoutable
entre les mains de groupes comme Al-
Qaida, le FrontAl-Nosra et lOrganisation
de lEtat islamique.
Si la majorit des Frres musulmans
conteste les arguments de Qotb, ne bascule
pas dans le djihadisme et lui prfre lac-
tivisme, elle ne sloigne toutefois pas du
traditionalisme ; elle doit en effet conserver
sa part de march. Mme sil y a des par-
ticularismes locaux, le dnominateur
LA grande expansion du wahhabisme
commence durant les annes 1960, la
faveur des luttes qui opposent lArabie
saoudite lEgypte et de laugmentation
substantielle des revenus du royaume grce
lexportation du ptrole. Pour se prmunir
contre les ambitions panarabes du prsident
gyptien Gamal Abdel Nasser, le pouvoir
saoudien se pose comme le champion de
lislam et des valeurs traditionnelles en
inaugurant une politique de solidarit
islamique. Ainsi plusieurs organisations
politiques, conomiques, sociales, duca-
tives et religieuses (la Ligue islamique
mondiale, lUniversit islamique de
Mdine, etc.) voient-elles le jour, grce
notamment au concours des Frres musul-
mans exils dEgypte par Nasser et bien
accueillis cette poque.
Aprs la guerre isralo-arabe de
juin 1967, qui sonne le glas du panara-
bisme, lArabie saoudite augmente son
influence. Elle utilise ces organisations
pour exporter son islam, et dpense sans
compter. Alors que la Ligue islamique
mondiale tend ses activits des dizaines
de domaines (construction de mosques,
aide humanitaire, jeunesse, enseignement,
fatwas, apprentissage du Coran, etc.),
lUniversit islamique de Mdine forme
des Saoudiens et des trangers porter la
bonne nouvelle travers le monde.
Depuis sa cration en 1961, cette universit
a produit environ quarante-cinq mille
cadres religieux de cent soixante-sept
nationalits. Il faut ajouter cela des mil-
liers dtudiants trangers qui passent par
dautres organismes denseignement saou-
diens, lintrieur comme lextrieur du
pays, et par des rseaux denseignement
informels. Dautres organismes officiels,
officieux et privs ont vu le jour depuis,
pour rpondre la demande dun march
du religieux en perptuelle croissance.
Paralllement aux voies institutionnelles,
Riyad finance, gnralement en toute dis-
crtion, des individus, des groupes et des
organisations qui servent plus ou moins
ses desseins. Il aurait ainsi dpens plus
de 4 milliards de dollars pour soutenir les
moudjahidins en Afghanistan durant les
annes 1980.
En tant que moyen de visibilit et dex-
pansion de premier ordre, le mondemdia-
tique et virtuel nchappe bien sr pas
la vigilance des autorits politico-reli-
gieuses du royaume. Il est investi ds les
annes 1990. Des dizaines de chanes satel-
litaires et des centaines de sites Internet
closent. Les rseaux sociaux sont gale-
ment pris dassaut. Toutes sortes de ser-
vices y sont proposs, parfois en plusieurs
langues. Cet engagement dans les nou-
velles technologies, financ par lEtat, ne
doit toutefois pas faire oublier les moyens
de diffusion traditionnels. Par exemple, des
millions de brochures, de cassettes, de CD
et de livres pieux ont t distribus travers
le monde des prix modiques, si ce nest
gratuitement, depuis les annes 1980.
Grce aux ptrodollars, la prsence de
Lieux saints de lislam sur le territoire
saoudien, la simplicit de ses prceptes
et au zle de ses adeptes, le wahhabisme
sest impos comme une orthodoxie par
rapport laquelle tous les autres acteurs
se positionnent dsormais. Son arme la
plus efficace reste sans doute la capacit
de ses dpositaires sallier avec nimporte
Carreau de revtement calligraphi Ya Mubdi (O Dieu lorigine de toute chose), XIV
e
-XV
e
sicle
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Les Frres musulmans contre la gauche
TOUT en restant sur leurs gardes, la plu-
part des rgimes essaient dutiliser ces
entrepreneurs religieux leur avantage ds
le dbut des annes 1970. Pour se dbar-
rasser des mouvements dopposition, plu-
sieurs rgimes, dont ceux dAnouar El-
Sadate en Egypte et de Hassan II auMaroc,
utilisent ainsi les Frres musulmans. Sous
lil bienveillant des autorits, ces derniers
affaiblissent durablement les positions de
la gauche, notamment dans les tablisse-
ments denseignement, les universits, les
syndicats, etc.Mais les choses ne sarrtent
pas l. Les rgimes vont jusqu puiser
dans le rpertoire des Frres, la fois pour
les satisfaire et pour leur couper lherbe
sous le pied. Cela concerne non seulement
le domaine de la loi (la constitutionnalisa-
tion de lislam, voire de la charia, le statut
personnel, des articles du code pnal, etc.),
mais galement lducation (les pro-
grammes scolaires) et les mdias. Pour
couronner le tout, les chefs dEtat ne man-
quent plus aucune occasion de manifester
publiquement leur pit (accomplisse-
ment des rituels, notamment le plerinage
La Mecque, organisation de crmonies
religieuses, construction ddifices de
culte, etc.).
Mme si les rgimes tolrent et instru-
mentalisent les Frres musulmans, la
mfiance reste de mise. Ils noublient pas
que lobjectif ultime de ces derniers
demeure la prise du pouvoir. Ils ne man-
quent ainsi aucune occasion dessayer de
les dcrdibiliser, de les affaiblir et mme
de les anantir. Cela a t par exemple le
cas en Arabie saoudite aprs une contes-
tation frriste au dbut des annes 1990.
Dautres rgimes ont essay, notamment
aprs les attentats du 11 septembre 2001,
de sappuyer sur les confrries soufies pour
arriver au mme objectif. En vain.
Cest ainsi que, devant la monte des
Frres musulmans aprs les soulvements
populaires de 2011, plusieurs rgimes de
la rgion dcouvrent les bienfaits du
wahhabisme: lantifrrisme, lantimoder-
nisme politique et lappel obir absolu-
ment aux gouvernants. Ils nont pas
manqu de les utiliser, ce qui laisse prvoir
des collusions dans les prochaines annes.
Tout laisse donc penser que le traditiona-
lisme religieux poursuivra son expansion,
dautant que les socits civiles sont bal-
butiantes et que le champ intellectuel,
notamment moderniste, est en ruine.
Mais lexprience saoudienne est la plus
impressionnante, par son ampleur et par
sa longvit. Le wahhabisme, avatar du
hanbalisme (lune des quatre coles juri-
diques et thologiques du sunnisme), se
conoit ds son apparition au XVIII
e
sicle
comme la seule vraie religion. Son inter-
prtation littraliste, conservatrice et
exclusiviste de lislam doit donc simposer
tous ; ceux qui la refusent sont dclars
gars, hypocrites, hrtiques, voire
mcrants. Cependant, les autorits poli-
tiques et religieuses saoudiennes nont pas
les moyens humains et financiers de ra-
liser leurs ambitions, dautant que leur
doctrine souffre dune mauvaise rputation
en raison des accusations dextrmisme
portes par ses dtracteurs, non sans fon-
dement. Les choses vont changer radica-
lement au lendemain de la premire guerre
mondiale.
Le roiAbdelAziz (dit Ibn Soud), fon-
dateur du royaume saoudien moderne, pro-
fite du contexte de recomposition de la
rgion au lendemain du conflit pour tirer
son pingle du jeu. Il entreprend, entre
autres, une opration de grande envergure
pour redorer le blason du wahhabisme,
quil rebaptise salafisme. Son objectif :
convaincre que cette doctrine est conforme
aux croyances et aux pratiques orthodoxes
des salaf les trois premires gnrations
de musulmans. Sa plus belle russite dans
ce domaine est sans doute davoir sduit
plusieurs intellectuels et oulmas influents.
Lentreprise de rhabilitation, double du
prestige dtre rest le seul pays arabe
indpendant entre les deux guerres (3),
permet cette doctrine dacqurir le statut
de nouvelle orthodoxie.
(1) Sur lhistoire de la dette, lire Franois Ruffin et
ThomasMorel (sous la dir. de), Vive la banqueroute !,
Fakir ditions, Amiens, 2013.
(2) Respectivement sur LCI, le 4 fvrier 2015 ;
dans International New York Times, les 31 janvier et
1
er
fvrier 2015 ; et sur la British Broadcasting Corpo-
ration (BBC), le 30 dcembre 2014.
(3) Ce qui suit puise dans les travaux dEric
Toussaint et Renaud Vivien pour le Comit pour
lannulation de la dette du tiers-monde (CADTM),
www.cadtm.org
(4) Cnuced, The concept of odious debt in public
international law ,Discussion Papers, n 185, Genve,
juillet 2007.
(5) Lire Eric Toussaint, Une dette odieuse, Le
Monde diplomatique, fvrier 2002.
(6) Comme dans le cas de la France. Lire Jean
Gadrey, Faut-il vraiment payer toute la dette ? , Le
Monde diplomatique, octobre 2014.
(7) Cf. Damien Millet et Eric Toussaint, La Dette
ou la vie,Aden-CADTM, Bruxelles, 2011.
(8) Cit par Richard Gott dansCuba: A NewHistory,
Yale University Press, New Haven, 2004.
(9)AnasTamen, La doctrine de la dette odieuse
ou lutilisation du droit international dans les rapports
de puissance , travail prsent le 11 dcembre 2003
lors du troisime colloque de droit international du
CADTM Amsterdam.
(10) Les fameux emprunts russes, stocks par de
nombreux pargnants franais et finalement rembourss,
pour un montant de 400 millions de dollars, la suite
dun accord entre Paris et Moscou, en 1996.
4
TOUTES LES CRANCES DOIVENT
Dette publique, un
favoriser le relvement des niveaux de
vie, le plein-emploi et des conditions de
progrs et de dveloppement dans lordre
conomique et social .
Un jeuneGrec sur deux est au chmage ;
30% de la population vit sous le seuil de
pauvret ; 40% a pass lhiver sans chauf-
fage. Une portion de la dette a t gnre
sous la dictature des colonels (1967-1974),
au cours de laquelle elle a quadrupl ; une
autre a t contracte au prjudice de la
population (puisquelle a largement vis
renflouer les tablissements de crdit fran-
ais et allemands) ; une autre encore
dcoule directement de la corruption de
dirigeants politiques par des transnationales
dsireuses de vendre leurs produits, parfois
dfectueux, Athnes (comme la socit
allemande Siemens [7]) ; sans parler des
turpitudes de banques telles que Goldman
Sachs, qui a aid le pays dissimuler sa
fragilit conomique... Les Grecs disposent
de mille et une justifications pour recourir
au droit international et allger le fardeau
dune dette dont un audit tablirait les carac-
tres odieux, illgitime et illgal (lire ci-
dessous Dans nos archives). Mais la
capacit de faire entendre sa voix repose
avant tout sur la nature du rapport de forces
entre les parties concernes.
En 1898, les Etats-Unis dclarent la
guerre lEspagne en prtextant une
explosion bord de lUSS Maine, qui
mouille dans le port de La Havane. Ils
librent Cuba, quils transforment en
protectorat rduisant lindpendance
et la souverainet de la Rpublique
cubaine ltat de mythe (8), selon le
gnral cubain Juan Gualberto Gmez,
qui avait pris part la guerre dindpen-
dance. LEspagne exige le remboursement
de dettes que lle avait contractes
auprs delle ; en loccurrence, les frais
de son agression. Elle sappuie sur ce que
M. Cur aurait sans doute appel les
rgles du jeu. Comme lindique la cher-
cheuseAnasTamen, la requte espagnole
sappuyait sur des faits analogues, notam-
ment le comportement de ses anciennes
colonies qui avaient pris leur charge la
part de la dette publique espagnole ayant
servi leur colonisation. Les Etats-Unis
eux-mmes navaient-ils pas revers plus
de 15 millions de livres sterling au
Royaume-Uni lors de leur accession lin-
dpendance (9) ?
Washington ne lentend pas ainsi et
avance une ide encore peu rpandue (qui
contribuera fonder la notion de dette
odieuse) : on ne saurait exiger dune popu-
lation quelle rembourse une dette
contracte pour lasservir. La presse am-
ricaine relaie la fermet de cette position :
LEspagne ne doit pas entretenir le
moindre espoir que les Etats-Unis soient
suffisamment stupides ou veules pour
accepter la responsabilit de sommes
ayant servi craser les Cubains, clame
le Chicago Tribune du 22 octobre 1898.
Cuba ne versera pas un centime.
Quelques dcennies auparavant, le
Mexique avait tent de dvelopper des
arguments similaires. En 1861, le prsident
Benito Jurez suspend le paiement de la
dette, en grande partie contracte par les
rgimes prcdents, dont celui du dictateur
Antonio Lpez de SantaAnna. La France,
le Royaume-Uni et lEspagne occupent
alors le pays et fondent un empire quils
livrent Maximilien dAutriche.
PAR RENAUD LAMBERT
Lchec de leurs politiques a priv les partisans de laus-
trit de largument du bon sens conomique. De Berlin
Bruxelles, les gouvernements et les institutions financires
fondent dsormais leur vangile sur lthique : la Grce
doit payer, question de principe ! Lhistoire montre toutefois
que la morale nest pas le principal arbitre des conflits
entre crditeurs et dbiteurs.
MARS 2015 LE MONDE diplomatique
Pas suffisamment stupides pour payer
Une rduction de 90% pour lAllemagne
!
!
!
EN 2007, sept mois aprs avoir t lu, le prsident quatorien Rafael Correa
a fait procder un audit de la dette du pays. Les conclusions ont montr que
de nombreux prts avaient t accords en violation des rgles lmentaires du
droit international. En novembre 2008, lEquateur a donc dcid de suspendre le
remboursement de titres de la dette venant chance les uns en 2012, les autres
en 2030. Ce faisant, ce petit pays dAmrique du Sud est parvenu racheter pour
900 millions de dollars des titres valant 3,2 milliards de dollars. Si lon prend en
compte les intrts que lEquateur ne devra pas verser, puisquil a rachet des
titres qui arrivaient chance en 2012 ou en 2030, le Trsor public quatorien
a conomis environ 7 milliards de dollars. Cela a permis de dgager de nouveaux
moyens nanciers et daugmenter les dpenses sociales dans la sant, lducation,
laide sociale et le dveloppement dinfrastructures de communication.
En matire dendettement, la Constitution quatorienne, adopte au suffrage
universel en septembre 2008, reprsente une grande avance. Larticle 290 soumet
notamment tout endettement futur aux rgles suivantes :
on ne recourra lendettement public que si les rentres scales et les ressources
provenant de la coopration internationale sont insufsantes ;
on veillera ce que lendettement public naffecte pas la souverainet nationale,
les droits humains, le bien-tre et la prservation de la nature ;
lendettement public nancera exclusivement des programmes et projets
dinvestissement dans le domaine des infrastructures, ou des programmes et
projets qui gnrent des ressources permettant le remboursement. On ne pourra
renancer une dette publique dj existante qu condition que les nouvelles
modalits soient plus avantageuses pour lEquateur ;
l tatisation des dettes prives est interdite.
JUILLET 2011
DANSNOS
ARCHIVES
LEquateur dit non
LA doctrine Pacta sunt servanda na
pourtant rien de granitique (3) : Lobli-
gation que formule le droit international
de rembourser ses dettes na jamais t
considre comme absolue et sest fr-
quemment vue limite ou nuance , pr-
cise un document de la Confrence des
Nations unies sur le commerce et le
dveloppement (Cnuced) (4). Dnoncia-
tion des dettes odieuses (emprunts
raliss par un pouvoir despotique [5]),
des dettes illgitimes (contractes
sans respecter lintrt gnral de la
population [6]) ou des vices de consen-
tement , les arguments juridiques ne
manquent pas pour justifier la suspen-
sion des paiements, voire leffacement
de tout ou partie des crances qui acca-
blent un pays. A commencer par lar-
ticle 103 de la Charte de lOrganisation
des Nations unies (ONU), qui proclame :
En cas de conflit entre les obligations
des membres des Nations unies en vertu
de la prsente Charte et leurs obligations
en vertu de tout autre accord interna-
tional, les premires prvaudront.
Parmi celles-ci, on trouve, larticle 55
de la Charte, lengagement des Etats
IL fut un temps o les Etats se libraient
facilement du fardeau de la dette. Il suf-
fisait par exemple aux rois de France
dexcuter leurs cranciers pour assainir
leurs finances : une forme balbutiante,
mais commune, de restructuration (1).
Le droit international a priv les dbiteurs
dune telle facilit. Il aggrave mme leur
situation en leur imposant le principe de
continuit des engagements.
Si les juristes se rfrent cette obligation
par une formule latine Pacta sunt ser-
vanda (Les conventions doivent tre res-
pectes) , les traductions les plus diverses
ont circul au cours des dernires semaines.
Version moralisatrice : La Grce a le
devoir thique de rembourser sa dette
(Front national). Version nostalgique des
cours de rcration: LaGrce doit payer,
ce sont les rgles du jeu (M. Benot
Cur, membre du directoire de la Banque
centrale europenne). Version insensible
aux susceptibilits populaires : Les lec-
tions ne changent rien aux engagements
des Etats (M.Wolfgang Schuble, ministre
des finances allemand) (2).
La dette hellnique dpasse les 320 mil-
liards deuros ; proportionnellement la
production de richesse, elle a bondi de
50% depuis 2009. Selon le Financial
Times, la rembourser requerrait de la
Grce quelle fonctionne comme une co-
nomie esclave (27 janvier 2015). Mais
les principes saccommodent mal
darithmtique. Une dette est une dette,
martle la directrice du Fonds montaire
international Christine Lagarde (Le
Monde, 19 janvier 2015). Autrement dit :
quimporte de savoir si la Grce peut ou
non payer, il faut quelle paie...
Dans ldition de juillet 2011, les conomistes DamienDans ldition de juillet 2011, les conomistes Damien
Millet et Eric TMillet et Eric Toussaint proussaint prsentaient linitiative innovante desentaient linitiative innovante de
lEquateur : un audit de sa dette lui ayant permislEquateur : un audit de sa dette lui ayant permis
dconomiser plusieurs milliardconomiser plusieurs milliards de dollars.ds de dollars.
A LIMAGE de lURSS, qui annonce en
1918 quelle ne remboursera pas les dettes
contractes par Nicolas II (10), les Etats-
Unis ritrent leur coup de force au bn-
fice de lIrak au dbut du XXI
e
sicle.
Quelques mois aprs linvasion du pays, le
secrtaire au Trsor John Snow annonce
sur Fox News : De toute vidence, le
peuple irakien ne doit pas tre accabl par
les dettes contractes au bnfice du rgime
dun dictateur dsormais en fuite
(11 avril 2003). Lurgence, pourWashing-
ton: assurer la solvabilit du pouvoir quil
vient de mettre en place Bagdad.
Emerge alors une ide qui stupfierait
les tenants de la continuit des engage-
ments des Etats : le paiement de la dette
relverait moins dune question de prin-
cipe que de mathmatique. Le plus
important, cest que la dette soit soute-
nable , ose un ditorial du Financial
Times le 16 juin 2003. La logique convient
Washington : les chiffres ont parl, et les
Etats-Unis sassurent que leur verdict
simpose aux yeux des principaux cran-
ciers de lIrak, France et Allemagne en
tte (avec respectivement 3 et 2,4 milliards
de dollars de titres en leur possession).
Presss de se montrer justes et souples,
ceux-ci qui refusaient deffacer plus de
50% de la valeur des titres quils dte-
naient concdent finalement une rduc-
tion de 80% de leurs crances.
Trois ans auparavant, ni la loi des chif-
fres ni celle du droit international
navaient suffi convaincre les cran-
ciers de Buenos Aires de faire preuve de
souplesse . Pourtant, culminant
environ 80 milliards de dollars lors du
dfaut de paiement, en 2001, la dette
argentine savre insoutenable. Elle
dcoule de surcrot demprunts en grande
partie raliss par la dictature (1976-
1983), la qualif iant au titre de dette
odieuse. Qu cela ne tienne : les cran-
ciers exigent dtre rembourss, faute de
quoi ils interdiront Buenos Aires
laccs aux marchs financiers.
LArgentine tient bon. On lui promettait
la catastrophe ? Entre 2003 et 2009, son
conomie enregistre un taux de crois-
sance oscillant entre 7 et 9%. Entre 2002
et 2005, le pays propose ses cranciers
dchanger leurs titres contre de nou-
veaux, dune valeur 40% plus faible. Plus
des trois quarts acceptent en renclant.
Plus tard, le gouvernement relance de
nouvelles ngociations qui aboutissent,
en 2010, un nouvel change de titres
auprs de 67% des cranciers restants.
8% des titres en suspension de paiement
depuis 2001 nont cependant toujours
pas fait lobjet dun accord. Des fonds
vautours semploient aujourdhui les
CONTRAIREMENT ce qui se passe dans la plupart
des pays europens, les chanes de tlvision et
de radio prives disposent en Grce, depuis 1989, de
licences dites provisoires, sans avoir jamais vers
le moindre centime lEtat.
Il y a quelques annes, le journaliste PaschosMan-
dravelis rsumait ainsi la situation : le fonctionnement
des mdias grecs ne sinscrit pas dans le cadre dun
march de linformation, mais dans celui dun
march de la politique (1). La proximit entre ces
deux mondes est dailleurs apparue au grand jour en
novembre 2011, lorsque le directeur du quotidien Ta
Na, Pantelis Kapsis, a quitt son poste pour rejoindre
le gouvernement de M. Lucas Papadmos, un ancien
banquier. Comme la soulign le journaliste Nikos
Smyrnaios lpoque, la famille Kapsis ne disparais-
sait pas pour autant de la presse : Manolis, le frre de
Pantelis, offici[ait] tous les soirs au journal tlvis
deMega Channel, o, en tant que commentateur poli-
tique, il sout[enait] ce mme gouvernement (2).
Aujourdhui, une population denviron onze mil-
lions dhabitants se voit proposer pas moins dune
trentaine de quotidiens et dhebdomadaires nationaux,
une dizaine de journaux sportifs quotidiens, six
chanes de tlvision prives (en plus des deux chanes
nationales) et cent cinquante chanes locales, sans
compter prs dun millier de stations de radio. De
toute vidence, tous ces organes de presse ne peuvent
coexister en mme temps de faon autonome. Dau-
tant moins que le march publicitaire, qui assure une
partie des ressources, pouse la courbe de la produc-
tion de richesses du pays, en chute libre.
La vrit est que la presse agonise. Ta Na, lun
des principaux quotidiens proche du parti socialiste
grec (Pasok) , vend peine dix-huit mille exem-
plaires par jour. Un autre journal historique, Elefthe-
rotypia, a disparu au dbut de la crise. La diffusion
des hebdomadaires a chut, de plus dun million et
demi dexemplaires environ six cent mille. La plu-
part des entreprises de presse crite sont dficitaires,
et la moiti des ventes des quotidiens dpend de
loffre promotionnelle de la semaine : coupons de
rduction, loterie avec lots de plusieurs milliers
deuros la cl, etc.
Dans ces conditions, leurs propritaires recruts
parmi les grandes fortunes du pays, notamment les
armateurs, qui ne paient pas dimpts nattendent
pas de leurs investissements quils dgagent des pro-
fits. Dtenir un groupe de presse leur offre en revanche
une influence politique susceptible de leur permettre
de remporter des marchs publics. Le groupe Pegasus,
par exemple, qui dite les quotidiens Ethnos et Proto
Thema, appartient la famille Bobolas, spcialise
dans le secteur du btiment et des travaux publics et
principale bnficiaire des contrats publics de
construction ces vingt dernires annes.
Ds le dbut de la crise, les mdias se sont allis
aux lites politiques pour faciliter le maquillage de
la ralit conomique du pays auquel avait uvr
la banque dinvestissement Goldman Sachs et dis-
simuler lampleur de la corruption. Ils ont dautant
plus soutenu le programme daustrit impos par la
troka (Banque centrale europenne, Fonds mon-
taire international et Commission europenne) quune
grande partie des mesures prnes correspondaient
leurs prfrences. Le groupe DOL [Lambrakis
Press Group] a t parmi les premiers mettre en
uvre lune des principales mesures imposes par la
troka, savoir la suppression des conventions
collectives par branches au profit de conventions
dentreprise, prcise Smyrnaios. Il a ainsi russi
imposer une baisse de salaire de 22% ses
employs.
TOUT ce qui pouvait conduire discrditer le pro-
gramme de Syriza rencontrait un large cho. En 2013,
par exemple, les grandes chanes de tlvision ont
diffus une vido o un dirigeant de la coalition
antiaustrit expliquait : On va sortir de leuro !
Son discours avait t tronqu car la suite prcisait :
... si, et seulement si, [la chancelire allemande
Angela] Merkel nous fout dehors. Il a fallu que
Syriza menace les chanes de poursuites judiciaires
pour quelles en interrompent la diffusion. Tous les
sondages le rappellent : la plupart des Grecs ne sont
pas favorables un abandon de la monnaie unique.
Outre la relance conomique du pays, le pro-
gramme de Syriza prvoit une relance dmocra-
tique qui passe par une rglementation du secteur
des mdias, ce qui distingue la coalition des autres
formations grecques. Elle sest ainsi engage faire
payer les socits de laudiovisuel pour les licences
provisoires qui leur sont accordes. Leur attribution
permanente se traduirait par un contrle approfondi
de la composition du capital des entreprises, de sa
provenance, de sa viabilit et de ses incompatibilits
ventuelles avec dautres investissements. La mesure
pourrait changer la donne : la majorit des chanes
survivent grce aux prts des taux favorables
attribus par les banques, avec la bndiction des
gouvernements prcdents. Surprise : depuis llec-
tion de M. Alexis Tsipras, les grandes chanes sem-
blent avoir chang dattitude son gard et dpeignent
le nouveau gouvernement de faon moins caustique...
Autre question-cl, celle de la radiotlvision
nationale (ERT), ferme le 11 juin 2013 par le gou-
vernement deM.Antonis Samaras. Rassembl autour
de syndicalistes et misant sur une ventuelle victoire
de Syriza, un noyau dur de salaris a rejet la pro-
position de lancien gouvernement : rouvrir avec un
effectif amput dun tiers. Chass des locaux de la
chane par les forces de lordre en dcembre 2013,
ce groupe a cr une structure autogre qui reven-
dique le titre de vraie ERT. Nombre de journa-
listes et de techniciens lont toutefois quitte depuis,
en dsaccord avec la manire autoritaire de lex-pr-
sident du syndicat et sa faon opaque de grer la
caisse de grve. Rsultent donc de cette scission deux
structures distinctes, auxquelles nappartiennent
dailleurs pas la plupart des anciens employs dERT,
victimes la fois de la troka (qui ampute leurs
allocations-chmage) et du bras de fer de leurs col-
lgues et des partis politiques.
Syriza a promis de rouvrir ERT mais ne semble
pas presse, mme si elle dposera un projet de loi
la fin du mois. Dailleurs, elle na pas suivi la
demande des syndicalistes qui exigeaient que la
structure soit reprise lidentique, et se montre plutt
favorable la cration dun organisme bas sur des
fondations nouvelles, en rupture avec le caractre
tatique dantan.
5
faire rembourser, et menacent de conduire
lArgentine un nouveau dfaut (11).
Les cranciers acceptent donc de mau-
vaise grce la perte de valeur des titres quils
dtiennent. Pourtant, ils sy rsignrent lors
de la confrence internationale visant
allger la dette de la Rpublique fdrale
dAllemagne (RFA), qui se tint Londres
entre 1951 et 1952. Les dbats de lpoque
rappellent ceux entourant la Grce contem-
poraine, commencer par la contradiction
entre principes et bon sens conomique.
Des milliards de dollars sont en jeu,
rapporte alors le journaliste Paul Heffernan,
qui suit les dbats pour TheNewYorkTimes.
Mais il ne sagit pas uniquement dune
question dargent. Les confrences du
palais de Lancaster House vont avant tout
traiter de lun des principes vitaux du capi-
talisme international : la nature sacro-
sainte des contrats internationaux
(24 fvrier 1952). Ces proccupations
lesprit, les ngociateurs principalement
amricains, britanniques, franais et alle-
mands entendent galement celles de
lAllemagne. Dans un courrier du
6 mars 1951, le chancelier Konrad Ade-
nauer enjoint ses interlocuteurs de
prendre en compte la situation cono-
mique de la Rpublique fdrale, notam-
ment le fait que la charge de sa dette sac-
crot et que son conomie se contracte.
Comme le rsume lconomiste Timothy
W. Guinnane, chacun convient bientt que
rduire la consommation allemande ne
constitue pas une solution valide pour
garantir le paiement de sa dette (12).
Un accord est finalement sign le
27 fvrier 1953, y compris par laGrce (13).
Il prvoit une rduction dauminimum50%
des montants emprunts par lAllemagne
entre les deux guerresmondiales ; unmora-
toire de cinq ans pour le remboursement des
dettes ; un report sine die des dettes de
guerre qui auraient pu tre rclames
Bonn, ce qui conduit Eric Toussaint, du
Comit pour lannulation de la dette du tiers-
monde (CADTM), estimer la rduction
des dettes allemandes 90% (14) ; la pos-
sibilit pour Bonn de rembourser dans sa
propre monnaie ; une limite aux montants
A Athnes, des mdias genoux
consacrs au service de la dette (5 % de la
valeur des exportations du pays) et au taux
dintrt servi par lAllemagne (5% gale-
ment). Ce nest pas tout. Dsireux, prcise
Heffernan, quun tel accord ne soit que le
prlude un effort visant aiguillonner la
croissance allemande, les cranciers four-
nissent la production germanique les
dbouchs dont elle a besoin et renoncent
vendre leurs propres produits la Rpu-
blique fdrale. Pour lhistorien de lco-
nomie allemand Albrecht Ritschl, ces
mesures ont sauv lamise Bonn et jet les
fondations financires du miracle cono-
mique allemand (15) des annes 1950.
Depuis plusieurs annes, Syriza au
pouvoir en Grce la suite des lections
du 25 janvier 2015 demande bnficier
dune confrence de ce type, anime par
lesmmes proccupations.Au sein des ins-
titutions bruxelloises, on semble toutefois
partager le sentiment de Leonid Ber-
shidsky : LAllemagne mritait quon
allge sa dette, pas la Grce. Dans une
tribune parue le 27 janvier 2015, le journa-
liste du groupe Bloomberg dveloppe son
analyse: Lune des raisons pour lesquelles
lAllemagne de lOuest a bnfici dune
rduction de sa dette, cest que la Rpu-
blique fdrale devait devenir un rempart
de premier rang dans la lutte contre le com-
munisme. (...) Les gouvernements ouest-
allemands qui bnficirent de ces mesures
taient rsolument antimarxistes.
Le programme de Syriza na rien de
marxiste. La coalition revendique une
forme de social-dmocratie modre,
encore commune il y a quelques dcennies.
De Berlin Bruxelles, il semblerait toute-
fois quemme cela soit devenu intolrable.
RENAUD LAMBERT.
LE MONDE diplomatique MARS 2015
TRE HONORES, SAUF...
sicle de bras de fer
YANNIS GATIS. La Rencontre ou Face face , de la srie Paysages dhommes, 1977
ADAGP
ADAGP
(1) Le dficit entrepreneurial des mdias grecs (en grec),
2 juillet 2009, www.medium.gr/a/3275-1549.html
(2) Nikos Smyrnaios, Grce : la fabrication du consentement par
les mdias, 26 fvrier 2012, www.ephemeron.eu (toutes les citations
de Smyrnaios proviennent de cet article).
Pour lexemple
Outre le Mexique (1861), Cuba
(1898), lUnion sovitique (1918),
la Rpublique fdrale dAllemagne
(1953) et lIrak (2004)
cas dannulation de la dette
analyss dans larticle ci-contre ,
on peut signaler :
1868. Etats-Unis. A la fin de la guerre
civile, Washington dclare la dette
de la Confdration nulle.
1883. Mexique. Loi sur le rglement
de la dette nationale qui rpudie les
dettes contractes de 1857 1860
et de 1863 1867.
1902-1903. Venezuela. A la suite
du refus de Caracas de rembourser
sa dette, les flottes britannique,
allemande et italienne imposent
un blocus naval au pays.
1907. Venezuela. La convention
Drago-Porter interdit le recours
la force pour le recouvrement
de crances.
1919. Pologne. Le trait de Versailles
annule la dette rclame par
lAllemagne et la Prusse Varsovie.
1922. Costa Rica. San Jos dnonce
les contrats passs de 1917 1919
par le gnral putschiste Federico
Tinoco. La Cour suprme
amricaine, qui arbitre laffaire
opposant le Costa Rica la Grande-
Bretagne, juge les contrats
invalides puisque raliss
au dtriment de la population.
1991. Pologne. Ds larrive
au pouvoir de M. Lech Walesa,
en 1990, les cranciers du pays lui
accordent une rduction de 50 %
de sa dette.
Egypte. Soucieux dobtenir le
soutien du Caire lors de la premire
guerre du Golfe, les cranciers
rduisent de moiti la dette du pays.
1996. Le Fonds montaire
international (FMI) et la Banque
mondiale lancent linitiative Pays
pauvres trs endetts (renforce
en 1999).
2008. Equateur (lire Dans nos
archives).
Islande. A la suite dune
mobilisation populaire, Reykjavk
refuse de rgler au Royaume-Uni
et aux Pays-Bas une dette lie aux
activits de la banque prive
Landsbanki.
(11) Lire Mark Weisbrot, En Argentine, les fonds
vautours tenus en chec , Le Monde diplomatique,
octobre 2014.
(12) TimothyW. Guinnane, Financial Vergangen-
heitsbewltigung : The 1953 London debt agreement ,
Working Papers, n 880, Economic Growth Center,
Yale University, New Haven, janvier 2004.
(13) Il ne traite pas de lemprunt forc impos par
Berlin Athnes en 1941.
(14) Entretien avec Maud Bailly, Restructuration,
audit, suspension et annulation de la dette ,
19 janvier 2015, www.cadtm.org
(15) Albrecht Ritschl, Germany was biggest debt
transgressor of 20th century , 21 juin 2011,
www.spiegel.de
* Journaliste, Athnes.
PAR VALIA KAIMAKI *
Rarement partis de largent et presse
se sont trouvs en aussi troite
symbiose quen Grce. La relance
dmocratique annonce par Syriza
pourra-t-elle librer linformation ?
YANNIS GATIS. Rassemblement ,
de la srie Paysages dhommes, 1977-1978
6LA SOLIDARIT VUE PAR COSTA-GAVRAS
O sont les Sartre, les Foucault ?
FILM suspense, Z est dabord lhistoire
dun petit juge (incarn par Jean-LouisTrin-
tignant) et dun journaliste (Jacques Perrin)
plongeant dans le labyrinthe de lEtat
profond pour lucider lassassinat politique
du dput de la gaucheGrigoris Lambrakis
(YvesMontand).Tire du roman deVassilis
Vassilikos (1), cette qute de vrit colle de
prs lhistoire relle de laGrce des annes
1960, peine remise de la guerre
civile (1946-1949) et qui sapprtait lire
une majorit de centre gauche. Mais, alors
que le spectateur se prpare savourer le
happy end et voir les responsables mili-
taires (Pierre Dux et Julien Guiomar) jets
en prison, ceux-ci prennent le pouvoir...
LExpress parlait du premier grand
film politique franais, mais il ny avait
personne dans la salle la premire semaine,
se souvient Costa-Gavras, rencontr Paris
le 10 fvrier. Puis le bouche--oreille se
fait. La dictature des colonels venait de
provoquer un choc, quelque chose dinac-
ceptable enEurope.On tait en fvrier 1969,
quelques mois aprs Mai 68. A toutes les
sances, les gens applaudissaient la fin.
Le film resta en dfinitive pendant quarante
semaines laffiche et fit plus de huit cent
mille entres rien qu Paris. Lavantage
du cinma est de permettre dincarner une
situation, de faciliter une identification.
Ctait devenu un phnomne qui nous
chappait compltement.
En 1967, ds les premiers jours du coup
dEtat, le monde de la culture est en moi.
Il accueille de nombreux rfugis, comme
lactrice Melina Mercouri. On ptitionne
au-del des cercles militants pour obtenir
la libration du musicien Mikis Theodo-
rakis, fondateur des Jeunesses Lambrakis,
emprisonn Oropos. Costa-Gavras
dcouvre par son frre le roman deVassi-
likos, crit le scnario avec Jorge
Semprn et runit sans diff icult une
palette de vedettes : On a trouv les
acteurs tout de suite, mais il a fallu plus
dun an pour runir largent. Edgar
Morin, qui prsidait la commission
davance sur recettes, nous a aids
lobtenir. Trintignant cherchait des
solutions avec Jacques Perrin, qui se
retrouvait producteur faute de candidat :
Faisons-le en Algrie !Montand tait
prt tourner pour rien. Mme Pierre
Dux, socitaire de la Comdie-Franaise
et plutt gaulliste, voulait faire quelque
chose pour dfendre lide de dmocratie.
Alors que le film est encore au montage,
un entretien tlvis avec Trintignant
restitue latmosphre de lpoque (2) :
Certains comdiens disent quil ne faut
absolument pas faire de politique. Moi, je
dis au contraire quil faut faire de la
politique. Le drame, cest que lon ne fait
pas de film politique. On en fait trop peu.
Moi, je suis ravi de mengager. Louis
Aragon, Jean-Paul Sartre et Simone de
Beauvoir assistent aux projections prives.
Des dbats sont organiss avec le rali-
sateur, les acteurs ou les rfugis politiques
grecs, qui distribuent aussi des tracts aux
entres des salles.
Certes, lemouvement nest pas unanime.
A droite,Le Figaro ne cache pas sa compr-
hension pour le gouvernement en treillis :
selon le quotidien, la pauvret rendmalais
lexercice dune dmocratie loccidentale.
Le penchant au dsordre y est constant ;
les lections dbouchaient normalement
sur la guerre civile (3).Toutefois, lhostilit
au rgime des colonels dborde largement
les colonnes de la presse progressiste : Je
me souviens que le patron de France-Soir,
Pierre Lazareff, mavait invit chez lui avec
quelques personnes qui ntaient pas de
gauche et qui avaient de la sympathie pour
la Grce, raconte Costa-Gavras. Un soir, le
journaliste Eric Rouleau nous avait runis
pour un dner avec Lo Hamon, gaulliste
Tsipras en mai dernier, le cinaste a repris
got la politique : Il a voulu me voir
quand il est venu Paris. Nous avons pass
une soire ensemble dans un restaurant
grec. Son programme pour la culture est
le fruit dune rflexion profonde, il propose
quelque chose dimportant et de diffrent.
Or chacun sait quil faut changer la Grce.
Je nai jamais pris position pour un parti
depuis llection dAndras Papandrou
en 1981. Mais, aprs le discours deTsipras
lors de la dissolution du Parlement, je lui
ai envoy un texto pour lui dire :Jespre
que vous allez gagner.
La victoire lectorale de Syriza voque
chez Costa-Gavras le souvenir inquiet du
Chili de Salvador Allende, o il tourna
Etat de sige en 1972, et dont il raconta
la tragdie traversMissing, en 1982: Je
pense que lon fera tout pour empcher
Tsipras de russir. Cela ne passe plus par
les armes comme au Chili ; la violence est
conomique. Ils vont semployer le casser.
Le laisser russir constituerait un mauvais
exemple, en Espagne srement, en Italie,
mais aussi ailleurs...
PAR PHILIPPE DESCAMPS
Leur opposition aux politiques conomiques conserva-
trices vaudra-t-elle aux Grecs autant de sympathies que
leur combat contre la dictature des colonels ? Aprs le
coup dEtat du 21 avril 1967, la solidarit internationale
stendit de larges secteurs dopinion, au-del de la
gauche. Costa-Gavras raconte comment son film Z
en devint lemblme.
MARS 2015 LE MONDE diplomatique
de gauche, alors ministre. Il coutait les
jeunes tudiants grecs avec attention et
exprimait sa sympathie pour les Grecs en
exil. Un autre soir, jai reu un coup de fil
du directeur du cinma Concorde aux
Champs-Elyses. Il mindiqua que Valry
Giscard dEstaing venait de voir le film.
En juillet 1974, deux mois aprs avoir t
lu prsident de la Rpublique, celui-ci
mettra son avion la disposition de
Constantin Caramanlis, lancien premier
ministre exil en France, charg de restaurer
la dmocratie Athnes.
YANNIS GATIS. Le Passage troit , de la srie Paysages dhommes, 1977-1978
(2) Respectivement cit par Les Echos, Paris, 17 f-
vrier 2015, et interrog par Europe 1, 12 fvrier 2015.
(3) The NewYork Times, 17 fvrier 2015.
(4) Entretien avec la radio publique allemande
Deutschlandfunk, 16 fvrier 2015.
(5) M. Barack Obama, interrog par Cable News
Network (CNN) le 1
er
fvrier 2015.
(6) Sur une base 100 en 1913, le produit national
brut franais est tomb 75,3 en 1919 (Jean-Paul
Barrire, La France au XX
e
sicle, Hachette, Paris,
2000). De son ct, lconomiste amricain Paul
Krugman relve dans le NewYork Times du 17 fvrier
2015 que la Grce a perdu 26% de son produit intrieur
brut entre 2007 et 2009, contre 29 % dans le cas de
lAllemagne entre 1913 et 1919.
(7) Entretien avec M. Varoufakis, Le Monde,
3 fvrier 2015.
(8) Depuis 1997, lAllemagne a pourtant t mise
en procdure de dficit excessif huit fois par les autorits
europennes, la France, onze fois.
(9) Runion de lEurogroupe sur la Grce
(Bruxelles, 16 fvrier 2015), Reprsentation perma-
nente auprs de lUnion europenne, www.rpfrance.eu
(10) SimoneWeil, La vie et la grve des ouvrires
mtallos, uvres compltes. Ecrits historiques et
politiques, vol. II, Gallimard, Paris, 1991.
CONTRE LAUTRIT PERPTUIT
Soutenir la Grce
Moins de dix jours aprs la victoire de
Syriza, les banquiers centraux de la zone
euro envoyaient leur premire salve puni-
tive en privant subitement les banques
grecques de leur principal canal de finan-
cement. Ctait un moyen pour eux
dobliger Athnes ngocier dans lur-
gence un accord avec ses cranciers,
essentiellement les Etats europens et le
FMI, et reprendre le programme daus-
trit l o le prcdent gouvernement
lavait laiss. M. Hollande jugea aussitt
lgitime le coup de force de la Banque
centrale europenne (BCE). Tout comme
le premier ministre italien, M. Matteo
Renzi. Si lon ne sait jamais trs prcis-
ment o se trouve le prsident franais, du
moins comprend-on dsormais o il ne se
situe pas : avec le peuple grec.
Pendant que ltau europen se resserre,
que les marchs financiers accentuent leur
pression sur le gouvernement dAthnes,
les termes du jeu deviennent terriblement
clairs. La Grce est soumise un diktat.
En change des financements dont elle a
besoin, on exige quelle entrine sur-le-
champ une avalanche dexigences dogma-
tiques et inefficaces, toutes contraires
au programme de son gouvernement :
rduire une fois de plus les retraites et les
salaires, augmenter encore le taux de la
taxe sur la valeur ajoute (TVA), engager
la privatisation de quatorze aroports,
affaiblir davantage le pouvoir de ngocia-
tion des syndicats, affecter des excdents
budgtaires croissants au remboursement
de ses cranciers alors mme que la
(1) Vassilis Vassilikos, Z, Gallimard, Paris, 1967.
(2) Document de lInstitut national de laudio-
visuel (INA), 2 dcembre 1968.
(3) Le Figaro, Paris, 7 septembre 1967. Cit par
Corinne Talon, La dictature des colonels en Grce,
1967-1974,Cahiers balkaniques, n 38-39, Paris, 2011.
(Suite de la premire page.) dtresse sociale de son peuple est
immense. Les ministres [de lEuro-
groupe], a prcis M. Pierre Moscovici,
commissaire europen aux affaires cono-
miques, taient tous daccord sur le fait
quil nexiste pas dalternative la
demande dune extension du programme
actuel.Avant de rpter le clbre slogan
de Margaret Thatcher, M. Moscovici, se
souvenant peut-tre quil tait membre
dun parti socialiste, avait nanmoins tenu
prciser : Ce que nous voulons, cest
aider le peuple grec (2). Laider, mais
en lui interdisant de dvier de la politique
daustrit qui la ruin.
roger la totalit des gouvernements euro-
pens. Et dabord lAllemagne : les rgles
disciplinaires qui ont chou sont les
siennes ; elle entend craser les peuples qui
refusent de les subir indfiniment, surtout
quand ils sontmditerranens (8).Avec lEs-
pagne, le Portugal, lIrlande, le mobile du
crime est encore plus sordide. Les popula-
tions de ces Etats auraient en effet intrt
ce que la main de fer de laustrit cesse
enfin de les broyer. Mais leurs gouverne-
ments ont peur, en particulier quand chez
eux une force de gauche lesmenace, quun
Etat ne dmontre enfin quon peut refuser
demprunter un chemin balis, un chemin
connu, un chemin connu des marchs,
comme des institutions et de lensemble des
autorits europennes, celui-lmme dont
M. Michel Sapin, ministre des finances
franais, prtend quon doit lexplorer
jusquau bout (9). Une ventuelle
chappe belle dAthnes dmontrerait que
tous ces gouvernements se sont fourvoys
en faisant inutilement souffrir leur peuple.
Chacun sait en effet qu moins de
parvenir tirer du sang une pierre, la
dette grecque ne sera jamais rembourse.
Comment ne pas comprendre galement
que la stratgie conomique de Syriza
consistant financer des dpenses sociales
urgentes grce une lutte dtermine contre
la fraude fiscale pourrait enfin sappuyer
sur une jeune force politique, populaire,
dtermine, issue desmouvements sociaux,
dgage des compromissions du pass. A
dfaut dtre balise, la voie est donc
trace. Et lavenir, incertain, fait penser
ce qucrivait la philosophe SimoneWeil
propos des grves ouvrires de juin 1936
en France : Nul ne sait comment les choses
tourneront. Plusieurs catastrophes sont
craindre. (...)Mais aucune crainte nefface
la joie de voir ceux qui toujours, par dfi-
nition, courbent la tte la redresser. (...)
Quoi quil puisse arriver par la suite, on
aura toujours eu a. Enfin, pour la pre-
mire fois, et pour toujours, il flottera
autour de ces lourdes machines dautres
souvenirs que le silence, la contrainte, la
soumission (10). Le combat des Grecs
est universel. Il ne suffit plus que nos
vux laccompagnent. La solidarit quil
mrite doit se traduire en actes. Le temps
est compt.
SERGE HALIMI.
DEPUIS que les institutions europennes
ont jet leur dvolu sur la Grce et soumis
lconomie la plus dprime de lUnion
la politique daustrit la plus draconienne,
de quel bilan peuvent-elles se prvaloir?
Celui quon pouvait attendre et qui fut dail-
leurs annonc : une dette qui ne cesse den-
fler, un pouvoir dachat qui seffondre, une
croissance atone, un taux de chmage qui
senvole, un tat sanitaire dgrad. Mais
peu importe, le Gramophone europen ne
cesse de rpter : La Grce doit respecter
ses engagements! (lire larticle page 4).
Sclrose dans ses certitudes, la sainte
alliance refuse mme dentendre le prsi-
dent des Etats-Unis quand il explique,
encourag dans son analyse par une armada
dconomistes et dhistoriens : On ne peut
pas continuer pressurer des pays en
dpression.A unmoment donn, il faut une
La Grce, fait savoir son ministre des
financesYanisVaroufakis, est dtermine
ne pas tre traite comme une colonie de
la dette dont le destin est de souffrir (3) .
Lenjeu en cause dpasse celui du droit dun
peuple choisir son destin, y compris
quand un arbitre des lgances dmocra-
tiques aussi dlicat que le ministre des
finances allemand,M.Wolfgang Schuble,
estime quil a lu un gouvernement qui
agit de manire un peu irresponsable (4).
Car la question pose porte aussi sur la
possibilit pour un Etat de sextraire de stra-
tgies destructrices, au lieu de devoir les
durcir chaque fois quelles chouent.
stratgie de croissance pour pouvoir
rembourser ses dettes (5).
Leffondrement conomique que laGrce
a subi depuis six ans est comparable celui
que quatre ans de destructions militaires et
une occupation trangre avaient inflig
la France pendant la premire guerre
mondiale (6). On comprend alors que le
gouvernement deM.Tsipras bnficie dans
son pays, y compris droite, dun norme
appui populaire chaque fois quil refuse de
prolonger une politique aussi destructrice.
Et quil rencle donc survivre comme un
drogu qui attend sa prochaine dose (7) .
Hlas, Syriza compte moins dappuis
ailleurs. Un peu la manire du roman
dAgatha Christie Le Crime de lOrient-
Express, enquter sur les assassins potentiels
de lesprance grecque obligerait inter-
Les vingt-sept assassins de lesprance
Quand Z triomphait aux Etats-Unis
ADAGP
LUVRE de Costa-Gavras marque les
consciences et reoit une pluie de rcom-
penses. En respectant les codes du cinma
daction pour toucher un large public, il a
fait mouche. A Cannes, il obtient le prix
du jury et celui de linterprtation mascu-
line pourTrintignant.A Hollywood, Z rafle
lOscar du meilleur film tranger et du
meilleur montage. Jules Dassin et Melina
Mercouri font connatre la cause grecque.
Le film triomphe aux Etats-Unis et
dplace la princesse Margaret, sur de la
reine dAngleterre. Costa-Gavras sen
amuse encore : Dans les annes qui ont
suivi, Jacques Perrin mappelait pour me
dire : Tiens, tel pays vient de lacheter.
Cela signifiait en gnral que le rgime
venait de changer... A Moscou, une
projection est organise pour les intellec-