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Journée du 12 Mars 2020 Intervenants : Olivier Legrand - Parallèlement à sa carrière de scénariste BD et d'auteur de jeux de rôle, il est professeur de lettres et il réside à Caen. Fabrice Neaud – Auteur et artiste français. Il est notamment connu comme auteur de bande dessinée, en particulier pour son Journal publié entre 1996 et 2002. Alain Demarco - University of Nice Sophia Antipolis, Nice (UNS) Première intervention (par skype) d’Olivier Legrand Olivier Legrand revendique être un auteur de BD de genre (Policier, Fantaisie, Aventure,…) J’utilise déjà des univers existants dans lesquels j’insère des personnages et un récit afin de créer d’emblée une familiarité avec le lecteur. Ainsi Les quatre de Baker Street. Ce sont trois enfants qui vont aider Sherlock Holmes. Et à chaque fois, dans cet univers déjà connu de Baker Street au XIXè, on s’intéresse à un quartier de Londres et à un sujet social offrant plusieurs niveaux de lecture. Je travaille avec Jean-Blaise Djian, scénariste français de bande dessinée d’origine arménienne qui a commencé ses travaux de scénariste avec Loisel. La série « Baker Street » est dessinée par David Etien , dessinateur et coloriste français de bande dessinée. Les Quatre de Baker Street est une série de bande dessinée d’aventure policière française éditée en 2009 par les éditions des Vents d'Ouest. Elle met en scène des Irréguliers de Baker Street, en faisant référence à leurs apparitions dans les romans de Conan Doyle, et en expliquant l'absence remarquée de leur ancien chef, Wiggins. Billy, Black Tom et Charlie sont trois enfants livrés à eux-mêmes dans l’East End londonien de la fin du XIXe siècle. Ils sont inséparables et font parfois office d'espions des rues pour le célèbre Sherlock Holmes. Dans le tome 1 L’Affaire du rideau bleu, les enfants ont 10 ans. Dans le tome 8, ils arrivent à l’adolescence. On retrouve dans cette série quelques personnages du « Canon Doylien ». Les auteurs tiennent à une certaine orthodoxie par rapport à l’univers de Conan Doyle. Cette BD s’adresse au lecteur de 7 à 77 ans. Si les contraintes d’écritures sont assez fortes (Espace-temps des bas quartiers de Londres à l’époque victorienne), si aucun élément relevant du fantastique n’y est admis, les personnages peuvent cependant évoluer dans leur histoire et dans le pathos conformément au ton dominant donné par ces œuvres. À Londres, dans le dernier quart du XIX e siècle, on comptait 90 000 arrestations en moyenne par an, deux cents cas de morts violentes, plus d’une centaine de corps repêchés dans la Tamise. La misère était considérable, à la mesure des triomphes de l’Empire. À cette époque, Charles Dickens (1812-1870) et Lewis Carroll (1832-1898) contaient, chacun à sa manière, les gloires de l’enfance, Jack The Ripper (1888) semait la terreur, la Grande-Bretagne était fière de ses conquêtes, et Conan Doyle (1859-1930) inventait Sherlock Holmes.

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Journée du 12 Mars 2020

Intervenants :

Olivier Legrand - Parallèlement à sa carrière de scénariste BD et d'auteur de jeux de rôle, il est professeur de lettres et il réside à Caen.

Fabrice Neaud – Auteur et artiste français. Il est notamment connu comme auteur de bande dessinée, en particulier pour son Journal publié entre 1996 et 2002.

Alain Demarco - University of Nice Sophia Antipolis, Nice (UNS)

Première intervention (par skype) d’Olivier Legrand

Olivier Legrand revendique être un auteur de BD de genre (Policier, Fantaisie, Aventure,…)

J’utilise déjà des univers existants dans lesquels j’insère des personnages et un récit afin de créer d’emblée une familiarité avec le lecteur. Ainsi Les quatre de Baker Street. Ce sont trois enfants qui vont aider Sherlock Holmes. Et à chaque fois, dans cet univers déjà connu de Baker Street au XIXè,on s’intéresse à un quartier de Londres et à un sujet social offrant plusieurs niveaux de lecture.

Je travaille avec Jean-Blaise Djian, scénariste français de bande dessinée d’origine arménienne qui acommencé ses travaux de scénariste avec Loisel. La série « Baker Street » est dessinée par David Etien , dessinateur et coloriste français de bande dessinée.

Les Quatre de Baker Street est une série de bande dessinée d’aventure policière française éditée en 2009 par les éditions des Vents d'Ouest. Elle met en scène des Irréguliers de Baker Street, en faisant référence à leurs apparitions dans les romans de Conan Doyle, et en expliquant l'absence remarquéede leur ancien chef, Wiggins. Billy, Black Tom et Charlie sont trois enfants livrés à eux-mêmes dansl’East End londonien de la fin du XIXe siècle. Ils sont inséparables et font parfois office d'espions des rues pour le célèbre Sherlock Holmes.

Dans le tome 1 L’Affaire du rideau bleu, les enfants ont 10 ans. Dans le tome 8, ils arrivent à l’adolescence.

On retrouve dans cette série quelques personnages du « Canon Doylien ». Les auteurs tiennent à une certaine orthodoxie par rapport à l’univers de Conan Doyle. Cette BD s’adresse au lecteur de 7 à 77 ans. Si les contraintes d’écritures sont assez fortes (Espace-temps des bas quartiers de Londres à l’époque victorienne), si aucun élément relevant du fantastique n’y est admis, les personnages peuvent cependant évoluer dans leur histoire et dans le pathos conformément au ton dominant

donné par ces œuvres. À Londres, dans le dernier quart du XIXe siècle, on comptait 90 000 arrestations en moyenne par an, deux cents cas de morts violentes, plus d’une centaine de corps repêchés dans la Tamise. La misère était considérable, à la mesure des triomphes de l’Empire.

À cette époque, Charles Dickens (1812-1870) et Lewis Carroll (1832-1898) contaient, chacun à sa manière, les gloires de l’enfance, Jack The Ripper (1888) semait la terreur, la Grande-Bretagne étaitfière de ses conquêtes, et Conan Doyle (1859-1930) inventait Sherlock Holmes.

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Quelles sont les étapes du travail ?

1 - D’abord, je travaille avec Jean-Blaise Djian sur le script, comme pour une pièce de théâtre ; -

2 - Ensuite vient le découpage. Il s’agit alors d’une version mise en scène et détaillée case par case.

3 - Le découpage, c’est la colonne vertébrale d’un récit. Si on le rate, on perd le lecteur.

Avec ce découpage le dessinateur travaille un premier storyboard puis le renvoie aux scénaristes pour approbation. Le storyboard découpe l’action rapidement pour aller à l’essentiel. Il sera moins précis que la planche de bd en elle-même, mais il donne un aperçu rapide du lieu, de l’ambiance, des personnages et de l’action.

4 – Le trait et l’encrage. Encrer, c'est repasser le trait crayonné, mais pas seulement. C'est définir ce trait à la fois par sa forme, son épaisseur, sa place. C'est une confirmation d'un choix possible. C'est aussi une indication de matière, de lumière, de plan.

5 – Puis la finalisation qui n’est pas toujours faite par le dessinateur.

2 - L’écriture BD

Elle est très différente de l’écriture romanesque et plus prochede l’écriture cinématographique. Dans une BD, le temps devientespace. La pagination contraint l'espace-temps du récit.Particulièrement dans la BD de genre, la pagination est fixée audébut. Pour Les quatre de Bakerstreet, on sait que la paginationdurera 54 pages soit tant de pages droites et tant de pagesgauches. Et cela compte aussi dans la mesure où l'auteur pourrafaire monter la tension du récit au moment précis où le lecteurdevra tourner la page.

Les productions sont de plus en plus exigeantes et peut être de plus en plus calibrées. Ce qu'une maison d'édition acceptait de publier hier ne serait peut être pas publié aujourd'hui. Ainsi, Edgar P Jacobs (Edgard Félix Pierre Jacob, plus connu sous le nom d'Edgar P. Jacobs, est un auteur de bandedessinée belge. Il est le créateur de la série des Blake et Mortimer) qui rêvait d'être chanteur d'opéra,baryton en particulier écrit énormément de texte. Ainsi ses défenseurs évoquent son rêve d'opéra et regardent ses pavés de texte comme la ligne de basse sur une partition. Il est probable qu'aujourd'huiEdgard P. Jacobs et Tardi ne réussiraient pas à se faire publier Ils restent des maîtres incontestés et bénéficient de cela mais leur travail est marginal et très différent de ce qui est publié aujourd'hui.

3 – L'aspect commercial

Le marché francophone est énorme (avec les Comics aux EU et les mangas en Asie). Les contraintes de compétitivité sont également énormes. La carrière d'un album se décide dans les premières semaines de sa conception et les énormes moyens qui y seront mis ne devront pas décevoir. Les seuils de rentabilités sont de plus en plus élevés dans la BD.

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Intervention de Fabrice Neaud

Depuis 1994, Fabrice Neaud a entrepris un projet novateur et ambitieux : réaliser son journal en bande dessinée. La BD d'auteur est le qualificatif qui accompagne cet artiste dès la sortie de son Journal sans pour autant qu'il le revendique. Son travail qui commence en 1992 n'était attendu de personne. Comme plusieurs autres auteurs réunis à Angoulême, il se questionnait sur l'avenir d'un métier auquel il s'était formé. Lui même qui rêvait de BD SF et qui avait tout juste 24 ans n'envisageait pas immédiatement d'écrire un journal ou une autobiographie. Le Journal raconte la vie du narrateur, artiste homosexuel au chômage habitant une « ville moyenne de province », « qui sort la nuit dans les parcs pour faire des rencontres [et] qui tombe amoureux ». Neaud utilise un style « sans fausse pudeur, sans faux-semblants, sans tabous » pour décrire de manière très précise son quotidien au moyen d'un dessin réaliste épuré. L'homosexualité constitue un thème central dans l'œuvre.

Il a fallu que des amis m'y poussent. Nous étions tous en train de chercher notre place et notre légitimité. Après la création de quelques saynètes que proposait chacun de nous, nous décidions entre nous de produire une sorte de Fanzine à l'aide d'une photocopieuse en nous imposant des chartes graphiques exigeantes dont nous convenions. Depuis ses origines, la BD passait, la plupart du temps, par une pré-publication dans les journaux. Or, petit à petit, et particulièrement dans les années 1990, la BD est devenue un média, à part entière, qui ne s'est plus uniquement destiné à la presse. Profitant de cette mutation, l'album a pris le dessus. Cependant, ce nouveau support s'est coupé d'une partie du lectorat populaire. À la fin des années 1990, rares étaient les créations, datant de moins de 20 ans, qui vendaient à plus de 100 000 exemplaires. Nous voulions renouveler cet art autant que nous espérions en vivre. Toute une génération de jeunes auteurs entre 20 et 30 ans décide de s'imposer. Loin des récits d'aventure qui se sclérosent un peu, loin des héros de SF qui se caricaturent de plus en plus, nous décidions de faire une proposition alternative avec une charte graphique assez pointue en faisant référence aux graveurs du XVIIIè qui revendiquaient eux aussi l'expérimental. Il n'y avait alors que Métal Hurlant qui sortait des rangs depuis les années 1970. Nous voulions rester dans une logique d'auteur « complet » qui bien sur va puiser dans le vocabulaire du cinéma. On parlait de BD d'auteur comme on parlait de cinéma d'auteur, une notion non dépourvue de prétention qui est aujourd'hui totalement dépassée. À l'instar de nos recherches, labande dessinée finit par se trouver un peu. Elle connaît un renouvellement important en France dansces années là suite à plusieurs parutions emblématiques (Approximativement de Lewis Trondheim, Livret de Phamille de Jean-Christophe Menu, L’Ascension du Haut-Mal de David B, les comix de Mattt Konture) qui marquent un véritable engouement des auteurs de bande dessinée pour l’écriture à la première personne, traduit concrètement par la création de la maison d’édition « ego comme x », qui publie en 1994, dans sa revue éponyme, le Journal de Fabrice Neaud et se spécialise en partie dans l’autobiographie dessinée. L’engouement se poursuit dans les années 2000, selon des modalités variées dont le Persepolis de Marjane Satrapi, les carnets de Joann Sfar, Le combat ordinaire de Manu Larcenet ou le Faire semblant c’est mentir de Dominique Goblet seront d’autres exemples à la fois marquants et distincts.

Aujourd'hui, la critique a rangé la BD du coté de la sémiologie tentant ainsi de l'éloigner du cinéma auquel elle emprunte encore beaucoup de son vocabulaire tant il est vrai que la BD ne s'est pas

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encore constitué un vocabulaire indépendant ? La BD dans ces années 90 avait un coté « Factory » àpartir duquel son évolution et son autonomisation ont été possibles. Il y eut alors une sorte de « parenthèse radieuse » du moins de ce coté de l'Atlantique. Les auteurs se posaient la question de comment faire pour imposer la BD comme art ? Comment lui constituer un vocabulaire particulier ?Comment sortir des catégories établies de genre liées à la littérature romanesque ? L'idée pour nous était d'être plus frontal. Néanmoins ces formes perdurent et perdureront. Il reste encore aujourd'hui une importante production politique ou idéologique pour le meilleur et parfois pour le pire.

Échange avec le public

La question du statut de l'auteur de BD :

Cette « parenthèse radieuse » s'est refermée mais le statut d'auteur de BD en a bénéficié dans la mesure ou ce dernier peut rentrer dans la catégorie des artistes. Pour autant être auteur de BD (indépendamment d'être scénariste, lettreur, coloriste, …) est très compliqué car il ne dispose d'aucun statut établi et reconnu. L'auteur de BD dépend à la fois de l'AGESSA et de la Maison des Artistes. Il reste dans une situation encore et toujours précaire.

La question de l’œuvre et celle d'une exposition consacrée à un auteur de BD :

Depuis plusieurs années, la bande dessinée fait l’objet de grandes expositions au sein du Musée national de la dessinée à Angoulême, au Centre belge de la bande dessinée à Bruxelles et, de plus enplus souvent, dans des lieux qui ne sont pas forcément dédiés au Neuvième art. Sans dénier tout intérêt à ces expositions il importe que le spectateur ait conscience du fait que « l'original » en BD est un déchet de production depuis toujours. D'ailleurs, depuis que les auteurs travaillent sur palette graphique cet « original » n’existe plus. L’œuvre de l’auteur de BD c'est le livre fini. Sa duplication ne lui retire pas sa dimension d’œuvre. L'exposition de croquis et de planches à l'état d'esquisses, relativement récente  répond à une fascination universelle pour les secrets de fabrication mais caractérise également la réception de la bande dessinée comme résultat d'un processus complexe d'élaboration. La planche, le crayonné, l'esquisse, les étapes techniques marqués par les repentirs, les collages, les grattages, les retouches, les rajouts, les montages – invisibles dans l'impression finale – deviennent paradoxalement une œuvre en soi. L'ensemble de cet effort de légitimation qui puise autant aux sources de la collection, du fétichisme, du commerce que de l'étude raisonnée du travail de création sert spontanément de base à une étude plus approfondie des processus créatifs mais ne constitue pas l’œuvre qui n'existe qu'achevée par sa publication.

La question des autres arts qui entretiennent un rapport étroit avec la BD

On établit souvent un parallèle entre Cinéma et BD alors qu’il existe un autre parallèle notable entre Architecture et BD ? C’est sûrement l'appellation commune à la BD et au cinéma de « story-board » qui a verrouillé cette tendance mais on pourrait aussi bien faire un parallèle avec la musique(à l’instar du travail de Edgard P. Jacobs cité plus haut) Le scénario ce serait la partition et les cases seraient les accords.

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En 2010, il y avait eu au palais de Tokyo une exposition très féconde sur Architecture et BD ;

« Archi & BD » L’exposition abordait, sans volonté d’exhaustivité, les représentations de la ville dans la bande dessinée.

Le propos était chronologique des années 1900 à nos jours avec une présentation, en fin d’exposition, de projets particuliers : la ville imaginaire de Villemolle des Requins Marteaux,

Cette chronologie était ponctuée par des références aux métropoles. New-York, Paris et Tokyo observées à travers le prisme d’auteurs, comme Will Eisner, Jack Kirby, David Mazzuchelli, Riad Sattouf pour New York ; Blutch, Tardi, Dupuy-Berberian pour Paris ; Jiro Taniguchi, Osamu Tezuka, Toiyo Matsumoto, Maoki Urasawa pour Tokyo. Cette dimension internationale était confirmée par la présence d’auteurs chinois et coréens.

Le dialogue des arts populaires et académiques

En ce qui concerne les arts populaires, l’art est passé par la BD dans les années 1990/2000 de la même manière qu’aujourd’hui nous pourrions considérer qu’il passe par les séries de télévision. Ainsi la BD rentre dans une logique muséale, elle n’en finit pas d’investir les musées et les institutions culturelles, privées ou publiques et pourtant la considérer ainsi pourrait revenir à lui faire du tort.

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Au Louvre aussi, enfin, la bande dessinée est bel et bien présente, mais sans être suspendue aux cimaises les plus prestigieuses. Le musée a lancé sa propre collection BD il y a dix ans en partenariat avec l’éditeur Futuropolis. Doté d’un pass permanent, un dessinateur réalise ainsi chaqueannée un album dont la seule contrainte est d’évoquer l’endroit. Reste à savoir ce que les auteurs pensent de tout cela. Entrer de façon pérenne dans les collections d’un musée revient, d’une certainefaçon, à devenir « académique », un mot honni au regard de l’esprit alternatif dont se réclame une partie de la bande dessinée. N’est-ce pas une hérésie que d’extraire une planche, fut-elle très bien dessinée pour l’accrocher sur une cimaise ?

Les personnages de BD ?

La BD a cette spécificité de pouvoir faire un portrait en narration. LeCapitaine Haddock n’est pas seulement un marin barbu qui fume lapipe, coiffé d’une casquette. Le personnage d'Haddock, impulsif,colérique et alcoolique est surtout ce Cyrano de l'insulte dont lescélèbres emportements ont élevé l'injure au rang d'art. Son portrait sedessine au fil des vignettes.

L’entrée du numérique dans la BD

Pour l’heure, l’entrée du numérique a davantage modifié la pratique des lecteurs que celle des auteurs mais bien sur cette réflexion est toujours eninstance. Certains auteurs choisissent d’intégrer cesnouveaux paramètres dans leur création et d’autres s’y refusent. Avec le numérique l’auteur peut exploiter au mieux différents formats, en les faisantvarier, ce que le papier ne permet que difficilement. Il peut guider le lecteur dans son

cheminement ou au contraire le laisser libre, brouiller l’ordre des séquences, ouvrir des digressions et cacher des parties de sa bande dessinée. L’ellipse peut être présente, davantage que dans une création destinée au « Turbomédia ». Quoi qu’il en soit, la lecture n’est terminée que quand la totalité de la bande dessinée a été explorée : le lecteur reste donc maître de la temporalité, comme lors de la lecture d’un ouvrage papier.

Sur papier comme dématérialisée, la (ou les) technique(s) du (ou des) dessinateurs / graphistes revêtson importance.

Une pratique qui se multiplie aujourd’hui est celle d’auditionner plusieurs dessinateurs / graphistes pour un projet afin que les personnages correspondent au mieux au projet du scénarise et de l’éditeur. La relation de collaboration créative exige cette adéquation puisque le dessin est prépondérant. Une création numérique doit inclure les systèmes de navigation imaginés par les artistes.

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Après midi - Alain Demarco - University of Nice Sophia Antipolis, Nice (UNS)

Plan de la conférence ;

1 – Les codes de la BD : Comment la lire ? Comment la comprendre ?

2 – Panorama historique de la BD

3 – Relation BD et arts

1 – Les codes de la BD

la première définition de la BD est : narration à dominante visuelle composée de plusieurs cases. Moins coûteuse que le cinéma, elle développe des codes de suppléance qui lui seront propres. Codes de bruits ou de mouvements, par exemple, afin de donner à l’image du mouvement, du son, de la vitesse.

a / La lecture de l’image

L’ordre habituel de la lecture textuelle est modifié. La planche propose un parcours autre. Elle mélange horizontalité et verticalité quand elle ne propose pas d’autres organisations.

Pour la narration, ce qui va dominer est l’ellipse. L’art de la BD consiste à juxtaposer des images qui jouent avec ces ellipses. Les cases d'une bande dessinée fragmentent à la fois l'espace et le temps, proposant sur un rythme haché des instants qui ne sont pas enchaînés. Mais notre sens de l'ellipse nous permet de relier ces instants et de construire mentalement une réalité globale et continue.

Ellipses temporelles et ellipses spatiales ; laBD doit les résoudre.

Comment faire pour que deux casesfonctionnent l’une par rapport à l’autre ?Comment construire la planche ? Commentpenser les raccords ? Comment penser lesdialogues ?

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Le tracé de la queue de la bulle et/ou du texte peut traverser plusieurs cases ou le raccord peut se faire sur un objet.

Un seul et même objet peut être repris sur chaque vignette de la planche. La gamme chromatique peut établir ce raccord.

Il peut aussi y avoir des montages particuliers c’est à direune relation entre une image et la suivante.

b / Texte et signes textuels

Classiquement, il y a sur une planche de BD les encadrés (ourécitatifs) et les bulles (ou phylactères ou ballons). Il y aaussi les cadres qui découpent l’image. La bulle fonctionnecomme un objet signifiant : son contour, son dessin, sonformat et la taille du texte peuvent varier. Il y a aussi desbulles mentales dans lesquelles un système poly signifiantexprime des sentiments ou ressentis : onomatopées,pictogrammes et autres signes indiciels.

c / Le travail des cases

L’accélération du récit peut être signifié par le resserrement des cases. Son ralentissement par l’insertion d’une longue case horizontale. On trouve de plus en plus dans les planches contemporaines des cases « à bord perdu » L’auteur efface, sur tout ou partie de la planche, les contours des cases. De la même manière le contour des cases peut être « déformé ». Le dessin peut « déborder » de la case, en dégouliner ou même s’en échapper.

Il arrive que la BD reprenne quelques éléments cinématographiques ; Champs / Contrechamps

Le format des personnages et leurproportion induisent la perception dulecteur. De même, l’orientation dupoint de vue de la case : plongée,contre plongée, point de vueperspectif, plan lointain et planrapprochés influencent la lecture.

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Les premières BD publiées en périodiques s’achevaient sur une dernière case énigmatique qui devait inciter à l’achat du prochain numéro. Cet usage perdure dans la conception d’une planche. Lacouleur qui est arrivée plus tard, étant partie prenante de la signification, sera largement utilisée.

d / Dynamisme des cases et des bandes successives de cases

L’auteur peut jouer sur : leur succession

Accélération

et étirement

Le sillage

Les lignes de vitesse très utilisées Manga sont de plus en plus pratiquées

Le cadrage serré comme si le personnage allait trop vite pour êtreretenu par la case.

La décomposition du geste à la manière de la chronophotographie deMuybridge.

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Des insert c’est à dire une petite case dans la case qui fonctionne comme un arrêt sur image pour fournir au lecteur une explication complémentaire.

Des effets de zoom ou de travelling

e / Planche et récit – La stripologie

On observe dans la BD classique des mises en page assez orthodoxes, surtout quand elle revendiqueun genre particulier (Aventure, S.F., )

Le plan gaufre

Le plan manga

Les effets de symétrie où le récit sepense sur les 2 pages

Toute variante semble possible comme ici où ils’agit de raconter la déambulation du narrateurà travers Paris et de donner à ressentir son sentiment que sa ville était en train de disparaître.

L’auteur utilise une seule image de façades parisiennes, déclinée de nombreuses fois en jouant avec la forme et l’orientation des cases.

La première partie, horizontale, accompagne lamarche du narrateur. Les cases s’étendent sur la largeur de la page, comme le narrateur traverse la ville. Mais, dans le même temps, elles s’écrasent, alors que le narrateur ressent une sensation d’étouffement.

Dans la deuxième partie de la page, les cases verticales ne lui donnent pas la possibilité de lever les yeux et de reprendre de l’air.

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Leur écrasement, puis leur dégringolade incarnent un décor qui s’effondre. L’usage des bulles – inhabituel puisqu’elles ne sont pas reliées à un personnage – accentue la scansion introduite par les cases verticales.

2 – Historique de la BD

La bande dessinée est un art narratif, graphique et séquentiel (séquentialité définie par au moins

trois images juxtaposées. Au IVe millénaire avant notre ère apparaît en Égypte un système d'écriture, les hiéroglyphes, comprenant des caractères pictographiques où les représentations humaines et animales sont très présentes. Différentes narrations séquentielles ornent les tombes et les temples. Elles racontent certaines scènes de la vie terrestre en Égypte ou bien parfois certaines scènes de la mythologie égyptienne.

Les reliefs de la colonne Trajane forment une narration séquentielle sous forme de frise continue en bas-reliefs.

La tapisserie de Bayeux, tissée entre 1066 et 1082 retrace la conquête normande de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant. Différentes batailles majeures de cette conquête y sont décrites.

Il existe différents manuscrits illustrés persans, datant du XIe siècle et XIIe siècle, il s'agit majoritairement de textes agrémentés d'enluminures. Il arrive parfois que des événements suivent une narration séquentielle de plusieurs images.

a / Les précurseurs, graveurs

William Hogarth

La Carrière d'une prostituée (en anglais : A Harlot's Progress) est le nom d'une série de six tableaux(1731) puis de gravures (1732) de l'artiste anglais William Hogarth. Elle raconte l'histoire de Moll Hackabout, une jeune femme venue de la campagne qui, arrivée à Londres, devient prostituée, puis meurt en très peu de temps. Marriage à la mode est une série de six tableaux peints par William Hogarth entre 1743 et 1745, qui représentent une vision aiguisée de la haute société anglaise du XVIIIe siècle. Cet avertissement moraliste montre les résultats désastreux d'un mariage arrangé pour de l'argent ; c'est une satire du favoritisme et de l'esthétique.

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Rodolphe Töpffer - L’Histoire de monsieur Jabot,

Histoire de monsieur Jabot est une « littérature en estampes » de Rodolphe Töpffer, précurseur de labande dessinée. Elle a été dessinée en 1831 et publiée en 1833 (imprimerie Caillet, à Genève). Töpffer, comme pédagogue, dessine d'abord ses histoires pour son propre plaisir. Sur l’incitation de ses connaissances, il redessine alors sur du papier autographique, l’Histoire de monsieur Jabot, que son lithographe, Monsieur Bétrémieux de la lithographie Schmid, reproduit en « belle page » à trois ou cinq cents exemplaires en 1833. C'est l'éditeur suisse Cherbuliez qui en assure la finition et la distribution. L’essai de physiognomonie est le premier ouvrage théorique sur la bande dessinée, écrit par son inventeur, Rodolphe Töpffer, qui l'appelle « littérature en estampes ». Il est publié en 1845, un an avant sa mort. Il s’agit d’un ouvrage théorique qui traite de la physiognomonie, une science considérée aujourd'hui comme obsolète de l'Anthropologie physique et biologique basée surla morphologie du visage.

b / Graveurs et caricaturistes au XIXè

Nadar

Homme de lettres, journaliste, pionnier de la photographie et du voyage en ballon, Gaspard Félix Tournachon, dit Nadar (1820-1910), fut également un prolifique caricaturiste. A partir de 1848, il seconsacre pleinement au dessin et participe à tous les grands journaux de cette « petite presse » en pleine expansion. Sa production graphique rassemble un nombre impressionnant d’illustrations, de dessins humoristiques de mœurs et d’actualités, de salons comiques (comptes-rendus pour rire du Salon annuel des beaux-arts), sans compter les portraits de ses contemporains les plus célèbres qu’ilcroqua avec son crayon avant de les fixer sur plaque photographique.

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Gustave Doré

Avant de se consacrer à l’illustration et la peinture, l’artiste a réalisé dans sa jeunesse, entre 1847 et 1854, quatre albums et une poignée d’histoires en images publiées dans Le Journal pour Rire. Cetteétoile filante de l’histoire de la bande dessinée a repoussé la narration graphique dans ses premiers retranchements, explorant ses possibilités réflexives ou méta narratives, multipliant les inventions graphiques, jouant avec l’espace de la page. Il faudra attendre Winsor Mc Cay, un demi-siècle plus tard, pour qu’un artiste fasse preuve d’autant d’inventivité, de jeu et de liberté.

c / La bande dessinée devient un médium de masse (années 1880 aux années 1930)

Heinrich Christian Wilhelm Busch (1832-1908 )

Heinrich Christian Wilhelm Busch est un humoriste, dessinateur, peintre et poète allemand. Dès 1859, il dessine pour les Feuilles volantes éditées par Braun et Schneider. Son histoire Max und Moritz (1865), extrêmement populaire en Allemagne puis dans toute l'Europe a inspiré nombre d'auteurs de bande dessinée et d'illustrateurs, dont Rudolph Dirks, créateur en 1897 du comic strip The Katzenjammer Kids (en France, Pim Pam Poum).

En France, une deuxième génération d'auteurs semet, sur le modèle allemand, à publier deshistoires de type töpfférien dans des journauxsatiriques (comme Le Chat noir à partir de 1882)destinés à des lecteurs adultes : GabrielLiquier (Voyage d'un âne dans la planète Mars,1867), Léonce Petit (en 1869), Stop, HenriÉmy, Albert Humbert, etc. Des dessinateurs célèbres tels que Caran d'Ache et Benjamin Rabier travaillent pour l’Imagerie d’Épinal. Ces planches, souvent reliées sous forme de livres ou d'albums cartonnés, sont commercialisées par des colporteurs qui assurent leur succès, entre 1870 et1914 plus de 500 millions de planches sont vendues. Jean-Charles Pellerin est sans nul doute le créateur des « histoires en images » et un précurseur des maisons d'édition de bande dessinée.

Christophe

Marie-Louis-Georges Colomb, dit Christophe (1856 -1945) est un des précurseurs de la bande dessinée en France et un biologiste auteur de manuels scolaires. Christophe est surtout connu pour être l'auteur d'histoires illustrées parues en feuilletonà la fin du XIXe siècle. Très fin observateur de la société, inspiré par les images d'Épinal, il est le créateur de

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personnages comme la famille Fenouillard, le sapeur Camember, le savant Cosinus et les lutins Plick et Plock.

Le texte de ses œuvres se caractérise par un vocabulaire extrêmement recherché, et par ailleurs richeen allusions culturelles, littéraires, historiques et géographiques autant que scientifiques. Le calembour subtil y a aussi ses droits au service d'un humour parfois loufoque.

Caran d'Ache (1858-1909)

De son vrai nom Emmanuel Poiré, Caran d'Ache est un dessinateur humoristique et caricaturiste français d'origine russe. Des caricatures de Caran d'Ache, traitant de l'affaire Dreyfus, sont parues dans le Figaro le 14 février 1898. À partir de 1886, il publie ses dessins humoristiques dans Le Chat noir, Le Tout-Paris, La Vie militaire, La Caricature, Le Journal,entre autres. Il s'essaye également à la bande dessinée en 1885, sur le modèle töpferrien, avec l'Histoire de Marlborough.

d / Les « illustrés »

Après divers essais, Les cinq frères Offenstadt (Charles, Edmond, Georges, Maurice et Nathan) quise sont associés pour créer une maison d’édition décident de viser une clientèle populaire et non bourgeoise. Ils lancent d’abord en 1902 L’Illustré, un périodique appelé à un grand succès vingt ans plus tard sous le nom du Petit illustré. Puis en 1908, ils éditent L’Épatant et en 1909 Fillette pour concurrencer La Semaine de Suzette. À Bécassine, petite bonne bretonne aux services de la marquise de Grand’Air pour la jeunesse bourgeoise, les frères Offenstadt vont, dans L’Épatant, opposer Les Pieds Nickelés de Louis Forton pour la clientèle populaire. Le succès de Croquignol, Filochard et Ribouldingue est immédiat, le vocabulaire « populacier », les expressions argotiques, le ton anti-bourgeois et limite anarchisant plaisent à toute la classe populaire, adultes et enfants confondus.

Bécassine est un personnage de bande dessinée jeunesse français créé par la scénariste Jacqueline Rivière et le dessinateur Émile-Joseph-Porphyre Pinchon, qui apparaît pour la première fois dans le premier numéro de l'hebdomadaire pour jeunes filles La Semaine de Suzette le 2 février 1905.

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Les Pieds nickelés est une série de bande dessinée créée par Louis Forton, publiée pour la première fois le 4 juin 1908 dans la revue L'Épatant, éditée par les éditions Offenstadt, fondées par les frères du même nom. L'expression « pieds nickelés » signifie « ceux qui ne sont pas portés sur le travail ».

C'est avec la série des Gédéon que BenjaminRabier pose les bases de ce qui deviendra la BD :Une série d'histoires suivies avec le même héros,ou l'image prend le pas sur le texte. Il s’est renducélèbre grâce aux dessins de la marque « La vachequi rit »

Zig et Puce est une série de bande dessinée créée en 1925 par Alain Saint-Ogan. Cette série paraît initialement dans Le Dimanche illustré, supplément hebdomadaire pour la jeunesse du quotidien L’Excelsior. Les phylactères s'imposent progressivement en Europe durant l'entre-deux-guerres, sous l'influence des séries américaines importées. Le Français Alain Saint-Ogan les utilise systématiquement dans la série Zig et Puce (créée en 1925), dont le grand succès à l'époque contribue à généraliser l'utilisation des phylactères dans les pays francophones. Ainsi c’est dans Ziget Puce que la bulle apparaît dans les cases. Zig et Puce cherchent par tous les moyens à atteindre l'Amérique pour y devenir millionnaires, mais leur voyage est souvent contrarié soit par manque d'argent soit par accident. Il s'ensuit qu'ils voyagent partout dans le monde en cherchant toujours à atteindre l'Amérique. D'abord une suite de gags, la série se transforme graduellement en récits d'aventure plus structurés.

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La Bande dessinée belge

La bande dessinée constitue un art à part entière en Belgique. Elle apparaît réellement dans ce pays dans les années 1920 sous l'impulsion d'Hergé avec son héros Tintin et plus tard l'hebdomadaire du même nom suivi par le journal de Spirou. Cette concurrence crée une émulation et un développement accru de la bande dessinée après-guerre. La ligne claire est un langage graphique issu de l'école belge de bandes dessinées réunie autour d'Hergé, c'est-à-dire le « style Tintin » associé aux dessinateurs du journal du même nom. Le terme « ligne claire » a été forgé en 1977 par le dessinateur néerlandais Joost Swarte, à l'occasion de l'exposition Tintin de Rotterdam. Les caractéristiques de base de la ligne claire (trait simple, aplats de couleur) sont liées aux contraintes posées autrefois par les techniques d'impression des périodiques enfantins.

Les principales caractéristiques du style élaboré par le dessinateur de Tintin ont été depuis longtemps définies, notamment par Hergé lui-même :

• contour systématique : trait noir d'épaisseur régulière, identique pour tous les éléments du dessin.

• couleurs en aplats, sans effets d'ombre et lumière, même de nuit, et jamais de hachures.

On peut y ajouter d'autres éléments systématisés par Hergé dans le même but d'améliorer la lisibilitédu dessin tout en l'allégeant ?

• les ombres des personnages ne sont jamais représentées (mais celles des véhicules le sont !). • réalisme des décors. • régularité des strips. • unité et continuité des plans.

Les premières publications d’Hergé étaient à destination des scouts. Il entre dans le mouvement scout en 1920. À partir de 1923, il dessine pour Le Boy-Scout belge, mensuel de ce qui deviendra laFédération catholique des scouts Baden-Powell de Belgique.

Routier, il commence aussi à rédiger en 1926 sa première bande-dessinée, se passant dans un cadre scout : les aventures de Totor, CP des Hannetons publié dans Le Boy-Scout. Les Aventures de Tintin sont publiées pour la première fois le 10 janvier 1929 dans Le Petit Vingtième, supplément hebdomadaire pour enfants du journal belge Le Vingtième Siècle. Les neuf premiers albums ont d'abord été publiés en noir et blanc. Le 5 février 1942, la maison d'édition Casterman persuade Hergé de passer à la couleur grâce aux machines offset que possède l'imprimeur. Mais cela suppose de dessiner des planches plus petites et d'adopter une longueur de 62 pages par album. Après guerre Hergé se libère de son manichéisme.

Les comics

Comics est le terme utilisé aux États-Unis pour désigner la bande dessinée. Il provient du mot signifiant « comique » en anglais car les premières bandes dessinées publiées aux États-Unis étaienthumoristiques. Cependant dans le monde francophone, le sens s'est restreint pour désigner spécifiquement la bande dessinée américaine. En 1894, Joseph Pulitzer publie dans le New York

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World le premier strip en couleurs, dessiné par Walt McDougall. La même année, dans le New York World, Richard F. Outcault propose Hogan’s Alley et Le 25 octobre 1896, le personnage principal decette série, le Yellow Kid, prononce ses premières paroles dans un phylactère. Les histoires de quelques cases disposées horizontalement sur deux bandes ou une page s'imposent rapidement : c’est le début des Comic strips. En 1897, Rudolph Dirks crée dans American Humorist, supplément hebdomadaire du New York Journal, The Katzenjammer Kids (Pim Pam Poum).

Très vite, Dirks utilise des bulles et sa série de bande dessinéedevient la première à utiliser systématiquement la narrationlinéaire. À partir du 24 septembre 1905, Winsor McCay publie Little Nemo in Slumberland dans le New York Herald de Pulitzer.En 1903 apparaît le premier daily strip (« bande quotidienne »),Cinq ans plus tard, Hearst est à l'origine d'une autre innovation quistructure en profondeur le comic strip : la syndication systématique.Les auteurs doivent céder à l'éditeur ses droits de diffusions. Celui-ci peut alors proposer aux journaux américains et du monde entierdes abonnements aux différentes œuvres de son catalogue. Parmiles séries de cette époque certaines sont destinées à devenir desclassiques comme Krazy Kat, de George Herriman, Polly and HerPals de Cliff Sterrett, Gasoline Alley de Frank King Little OrphanAnnie créé par Harold Gray, Popeye de E. Segar, etc. On trouve aussi des adaptations de personnages existants comme Mickey Mouse ou Tarzan dessiné par Hal Foster d'après le personnaged'Edgar Rice Burroughs.

L'apparition du comic book ne signifie pas la fin du comic strip et de nombreuses séries majeures apparaissent Le Fantôme (The Phantom) de Lee Falk, Prince Vaillant de Hal Foster, Spirit, de Will Eisner, Pogo de Walt Kelly. Le 2 octobre 1950 paraît le premier strip des Peanuts de Charles Schulz. Les strips les plus appréciés sont alors diffusés dans des centaines de journaux et sont lus par des dizaines de millions de personnes. En 1940, alors que la guerre menace, apparaît Captain America, créé par Joe Simon et Jack Kirby. Le titre va lancer la vague des super-héros patriotiques qui seront la norme lorsque la guerre éclatera. Les comics migrent de la littérature de divertissementvers l’engagement politique.

Will Eisner , le créateur de Spirit, en 1940 initie la notion de roman graphique. En 1978, Un pacte avec Dieu marque la naissance américaine du « graphic novel » (roman graphique) selon l'expression qu'Eisner forge lui-même. Il écrira plus tard Dropsie Avenue : Biographie d’une rue du Bronx . L'histoire d'une rue repose parfois sur de multiples anecdotes. C'est ainsi qu'en 1870, sur ce qui deviendrait plus tard une des rues du Bronx, des familles hollandaises scrutent les nouveaux immigrés qui, progressivement, empiètent sur les terrains près de chez eux. La différence culturelle et la bêtise de certains pousseront certaines familles à s'autodétruire suite à de terribles faits divers. Alors que les vieilles bâtisses laissent place à de nouvelles maisons, l'une d'elle fait de la résistance, celle dans laquelle vit un vieil homme devenu fou, un certain Dropsie. Les années passent, le voisinage change sans cesse et le brassage des populations provoque la création d'une rue : Dropsie Avenue.

La BD a longtemps été confisquée par la littérature de jeunesse. En conséquence on lui a conféré unpouvoir édulcorant qui a compliqué son affirmation notamment dans le registre politique, voire militant.

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La BD d’après guerre

La loi no 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse est une loi française visant à réguler la diffusion des livres et de la presse jeunesse. Soutenue par une campagne du Cartel d'action sociale et morale, le successeur de la Ligue pour le relèvement de la moralité publique, la loi fut votée au sortir de la Seconde Guerre mondiale, pour d'une part, favoriser la production nationale d'illustrés face aux importations perçues comme massives de bandes dessinées américaines, qui étaient, entre autres, soupçonnées de favoriser la délinquance juvénile par les représentations jugées violentes qu'elles contenaient ; d'autre part, cette loi vient renforcer un arsenal législatif quant à l'atteinte aux bonnes mœurs, qui interdit aux libraires et kiosquiers d'exposer des publications pouvant heurter la sensibilité des jeunes publics.

De l’autre coté de l’Atlantique, durant cette période, les comic books aux États-Unis sont publiés sous l’autorité d’un Comic Code instauré en 1954 suite à la publication par un psychiatre, Fredric Werthman, d’un livre anti bande dessinée intitulé Seduction of the Innocent. Cette forme de censure,sévissant également en France au même moment, bannit toute référence à la violence et à la sexualité, interdit de moquer l’autorité et oblige les scénaristes à faire triompher le bien sur le mal : elle va marquer durablement la production.

Au Japon, le manga bénéficie d’une tradition bien établie. C’estpendant la période de modernisation et d’ouverture à l’Occident del’ère Meiji que l’on peut dater la création du manga avec lapublication en 1902 d’une véritable bande dessinée japonaise. Elleest créée par Kitazawa Rakuten (qui a été aussi le fondateur du TokyoPuck en 1905, premier magazine satirique alimenté par desdessinateurs japonais) dans le supplément du dimanche Jiji manga du journal Jijishinpô. La bande dessinée japonaise est née des publications périodiques d’inspiration anglo-saxonne avant de prendre son propre envol dans les années 1920 avec la sortie de plusieurs magazines mensuels contenant en partie de la bande dessinée. En 1947 sort un manga qui va révolutionner le genre : avec Shin Takarajima (La nouvelle île au trésor), Osamu Tezuka pose les bases de ce qu’on appellera « story-manga ». Vaguement inspiré de L'Île au trésor, le manga retrace la recherche d'un trésor par un petit garçon nommé Pete, qui le trouve après avoir affronté pirates et cannibales à l'aide de son chien et de Tarzan. Un livre tout à fait inédit pour les enfants japonais qui, au sortir de la guerre, ont longtemps été privés de réelles distractions et peuvent ici plonger dans un flot de rêve et d’aventure. Le manga va connaître une modernisation sans précédent. Après la fin de la Seconde guerre mondiale, le Japon, sous occupation américaine, est en pleine reconstruction. Cela n’empêche pas la réapparition d’un certain nombre de magazines et journaux (notamment satiriques) selon la formule qu’ils avaient avant-guerre. Le yonkoma est toujours une des formes principales du manga, Nombre d’auteurs exercent dans les années 1950 pour ce type d’édition ainsi que dans le circuit des librairies de prêt (les kashibonya), certains d’entres eux seront même à l’origine de la seconde révolution dans le manga avec la naissance du gekiga. C’est en 1955 qu’apparaissent les premières collections de bandes dessinées rééditant dans un format poche les séries pré publiées dans les magazines. En 1952 paraît Astro Boy, une série de science-fiction se déroulant dans un monde futuriste dans lequel les robots coexistent avec les humains. L’auteur questionne son époque comme cela se fait aux USA et également en Europe à l’instar du livre de Calvo, La bête est morte ! Il raconte, en deux volumes, la Seconde Guerre mondiale, sous forme de

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satire animalière du conflit et de l'occupation. La bande dessinée ayant été publiée après la libération de la France, mais quelques mois avant la fin du conflit en Europe, la fin de l'histoire annonce la chute d'Hitler sans la décrire.

Après guerre, il s’agit surtout de protéger la jeunesse et de l’édifier à l’instar de magazine tels Àmes vaillantes ou Cœurs vaillants publiés par Fleurus. Dans le premier Calvo dessine Babou détective privé. Dans Lisette, des Éditions de Montsouris destiné aux jeunes lectrices, le même auteur dessine Aglaë et Sidonie.

Parallèlement à toutes ces publications édifiante, il existe une résistance. Franquin publie Gaston Lagaffe. Gaston est l'anti-héros par excellence, et le roi incontesté de la gaffe. En Belgique. parmi les résonances inattendues de la fameuse Exposition Universelle de Bruxelles, émerge le style 'Atome'.

Malgré l’image qui en est donnée habituellement, le style « Atome » n’a pas seulement pour intention de fixer l’utopie optimiste de l’après-guerre, mais d’en interroger les zones d’ombre et l’inquiétude qui sourd déjà de toutes parts, illustrée dans les BD de Franquin, de Spirou à Gaston Lagaffe, en passant par Modeste et Pompon.

Le mobilier, les voitures qui figurent dans la BD deFranquin semblent sortir des usines des industrielsdesigners d’après guerre. Franquin dénonce« l’ensauvagement » des objets qui vont se rebellercontre leur maître, les affres de la civilisationcontemporaine, la pollution au travers d’unemouette rieuse mazoutée.

Les aventures de Spirou et Fantasio donneront àvoir les inquiétudes liées à la guerre froide et son utilisation de l'atome. Avec cette question : quelle est la place de l'être humain dans un monde qui repousse sans cesse ses limites ? Franquin, par ses gags, cherche à déjouer les craintes liées à la menace atomique, aux progrès scientifiques, à désamorcer cette modernité. Ses personnages comiques dérèglent la belle machine mise en place par l'Expo 58.

https://www.rtbf.be/lapremiere/article/detail_le-style-de-franquin-atome-ou-anti-atome?id=9858980

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Plus tard, Frankin s’engagera résolument dans Greenpeace et dans Amnesy International. Franquin, c’est le récit d’une vocation. Il commence à 5 ans. Il se forme dans le dessin d’animation. Chez lui, tout est dans la restitution du mouvement, du relief, du dessin d’après nature.

Un important renouveau de la BD arrive avec la revue Pilote. C'est un magazine hebdomadaire de bande dessinée français créé par, entre autres, René Goscinny, Albert Uderzo, François Clauteaux (l'initiateur du projet), Jean-Michel Charlier, Jean Hébrard, René Ribière et Charles Courtaud. Il est racheté par Dargaud dès 1960, ce qui permet de faciliter son développement. Pilote modernise profondément la presse jeunesse dans les années 1960, avant de s'orienter progressivement vers un public plus âgé. La revue a eu une influence déterminante sur la bande dessinée française et sur le marché éditorial français, les fondateurs de L'Écho des savanes, Métal hurlant et Fluide glacial en étant issus. C'est dans cette revue qu'ont été créées de nombreuses séries à grand succès, au premier rang desquelles Astérix d'Albert Uderzo et René Goscinny, Tanguy et Laverdure de Jean-Michel Charlier et Uderzo puis Jijé, Achille Talon de Greg, Blueberry de Jean Giraud et Charlier et Valérian de Jean-Claude Mézières et Pierre Christin.

Le renouveau de la BD

Désormais, la BD acquiert une certaine légitimité. Elle se vend. Elle est même adoubée par l’art contemporain. Aux USA ce renouveau est lié à la contre-culture des années 60. La bande dessinée américaine s’impose entre mass-media et contre-culture.

En Europe, Pilote ou L’écho des savanes prennent en charge des aspirations alternatives dont Brétecher et Golib sont les chantres. En 1975, le sous-titre de Pilote devient Le journal qui s’amuseà réfléchir.

En 1975 Moebius publie Arzach, une bande dessinée de science-fiction.Elle est constituée d'une série de cinq histoires autonomes, sortes de« nouvelles graphiques » de quelques planches chacune. Saparticularité réside tout d'abord en son absence totale de dialogues : ony croise un, voire deux personnages récurrents (Arzach et son Ptéroïde(sorte de ptérodactyle à la fois mécanique et organique) maisapparemment muets, en tout cas l'auteur ne leur donne pas la parolepour s'exprimer.

Hugo Pratt crée lepersonnage de CortoMaltèse qu’il définissait lui-même comme « le fruit de toutes les expériences et de tous les personnages rencontrés pendant (s)a vie ». Né sur l'île de Malte en 1887, Corto Maltese est un capitaine de la marine marchande et un grand aventurier. Ses périples le mènent à Antigua, à Hong Kong, ou à Venise. C'est une sorte d'antihéros, solitaire, individualiste, égocentrique et ironique. Il se définit lui-même comme

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un gentilhomme de fortune. Corto Maltese fait souvent preuve d'une noble désinvolture qui le caractérise. Ses aventures le mènent en différents lieux exotiques du monde, où il est souvent spectateur d’événements historiques du début du XXe siècle.

Bill Watterson, publie une œuvre majeure qui met en scène les aventures humoristiques de Calvin, un enfant imaginatif de six ans, et de Hobbes, son tigre en peluche sarcastique. Par ironie, les noms des deux personnages sont tirés du nom de deux penseurs aux philosophies radicalement différentes : le théologien Jean Calvin et le matérialiste Thomas Hobbes. Calvin et Hobbes se caractérise surtout par l'humour, une critique sociale et politique, appuyés par divers personnages

Jacques Martin, surtout connu pour ses séries Alix (créé en 1948) et Lefranc (créé en 1952) laisse des centaines d'albums vendus à quinze millions d'exemplaires. Pendant la guerre, est affecté au titre du service du travail obligatoire (STO) aux usines Messerschmitt, à Augsbourg, il en ramène des carnets de croquis récemment publiés (Carnets de guerre, éd. Casterman).

En 1986 (Tome 1) et 1991 (Tome 2) l'Américain Art Spiegelman publie aux États-Unis Maus. L'œuvre se fonde sur les entretiens entre l'auteur et son père, rescapé des camps de la mort : c'est le récit de la transmission de la Shoah, en particulier les persécutions et l'extermination des Juifs en Pologne dans les années 1930 et 1940.

Plus tard, Tardi racontera la guerre. La Première Guerre mondiale est un événement omniprésent dans l'œuvre de Tardi. Toute l'œuvre de Tardi est ponctuée d'ouvrages qui lui sont directement consacrés (Adieu Brindavoine, La véritable histoire du soldatinconnu, Le Trou d'obus, Où vas-tu petit soldat ?, etc.), oudont l'action se situe autour de cette période (par exemple, lesaventures d’Adèle Blanc-Sec débutent avant la guerre, etreprennent après la guerre. Les ouvrages plus récents sur cethème sont plus historiographiques, exposant crûment lachronologie et les faits de la « der des ders ». C'était la guerredes tranchées est une bande dessinée qui montre la vie d'unsoldat, son quotidien. Ses albums : C'était la guerre destranchées et Putain de guerre sont reconnus notamment poursa grande rigueur historique (grâce à la collaboration avecl'historien Jean-Pierre Verney) et à la force qui s’en dégage,.

Renouveau éditorial

Futuropolis est une maison d'édition de bandes dessinées fondée en 1974 par Étienne Robial et Florence Cestac, qui privilégie depuis l'origine la création d'auteur. Multipliant les projets et les partenariats culturels, la maison n’est jamais en berne et fourmille d’idées. Rencontre avec ces ovnisde la bande dessinée, tout récemment récompensés par le Prix du Public pour Cher pays de notre enfance de Benoît Collombat et Étienne Davodeau.

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L'Association, lors de sa fondation en 1990, s'est réclamée de l'esprit de Futuropolis. Créée par Jean-Christophe Menu, Lewis Trondheim, David B., Mattt Konture, Patrice Killoffer, Stanislas et Mokeït, issue directement de l`AANAL et de Labo, et indirectement de Futuropolis, elle domine la scène de la bande dessinée alternative depuis les années 1990 et garde le statut associatif de ses débuts. L'Ouvroir de bande dessinée potentielle (OuBaPo) a été fondé en novembre 1992 au sein de l'Ou-X-Po et à travers la maison d'édition L'Association. Ce comité crée des bandes dessinées sous contrainte artistique volontaire à la manière de l'Ouvroir de littérature potentielle (OuLiPo) créé par Raymond Queneau. Six OuPus ont été publiés parcourant les diverses recherches, auxquels s'ajoutent les œuvres individuelles de ses membres et sympathisants.

Dans « Livret de phamille », Jean-Christophe Menu a réuni l'essentiel de ses travaux autobiographiques tournant autour du thème de sa "phamille", entre 1991 et 1994. D'Helsinki à la Normandie en passant par Paris et les États-Unis, la paternité et la création y sont abordées de façon tragi-comique.

De nombreuses publications mêlent l’intime et le tourment :

L'Ascension du Haut Mal est une série de bande dessinée autobiographique de David B. Il y relate son enfance auprès de sonfrère épileptique (le Haut Mal en vieux français), et y mêle sa vision entre fiction et réalité ainsi que ses considérations sur l'époque (les années 1970) et sur le monde d'aujourd'hui. Marjane Satrapi accède à la célébrité avec la publication de Persepolis, une bande dessinée autobiographique en quatre volumes où elle raconte son enfance et sa jeunesse entre l'Iran de

la Révolution islamique et l'Europe des années 1980-1990. Le Photographe est une série de bande dessinée documentaire créée par Emmanuel Guibert (scénario, dessin et couleurs), Frédéric Lemercier (couleurs et mise en page) et Didier Lefèvre (scénario et photographies), publiée chez Dupuis entre 2003 et 2006. Le Photographe retrace le parcours d'une équipe de Médecins sans frontières entre le Pakistan et l'Afghanistan alors occupé par l'URSS, en 1986. Basée sur le témoignage et les clichés de Didier Lefèvre, photographe à qui Médecins sans frontières avait demandé de réaliser un reportage, la série mêle dessin et photoreportage en noir et blanc. C’est un ouvrage hybride qui présente l’expérience de la guerre.

Joe Sacco est un auteur de bandes dessinées et journaliste travaillant aux États-Unis. C'est un journaliste qui dessine. En 1995, Sacco part pour l'ex-Yougoslavie, notamment en Bosnie-Herzégovine à Sarajevo. De cette expérience, il tirera Soba, The Fixer : une histoire de Sarajevo et Gorazde (deux tomes). Il livre dans Payer la Terre un récit sur les indiens du Canada. Un retour aux sources, où l'expression "payer la terre" prend tout son sens.

Face à ces propositions alternatives où le divertissement n’est plus le but premier, il reste toujours une production de divertissement qui se soumet aux exigences du marketing. L’ampleur et la variétéde ces marchandises témoignent de la popularité d’une bande dessinée qui se voit ainsi déclinée sous de multiples formes. Des chaussettes Mickey aux posters de super-héros américains, des cartes à collectionner Pokémon aux biscuits Titeuf, la matérialisation des personnages dans le quotidien des enfants consommateurs semble presque infinie. Mais elle se retrouve aussi dans un nombre

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considérable d’objets à collectionner pour les adultes. Au lieu d’opposer de manière manichéenne l’œuvre source et ses dérivés, rappelons que la bande dessinée est elle-même définie comme l’enfant bâtard de l’art et du commerce.

Zoom sur Marc-Antoine Matthieu

Marc-Antoine Mathieu est un dessinateur etscénariste de bande dessinée, né en 1959 à Antony. Ilest notamment l'auteur de la série Julius CorentinAcquefacques, prisonnier des rêves. Il est égalementscénographe, à travers l'atelier Lucie Lom qu'il a co-fondé avec Philippe Leduc. Dans plusieurs de ses albums (notamment dans lasérie Julius-Corentin Acquefacques), Marc-AntoineMathieu joue avec le livre-objet avec desexpérimentations telles que l'anti-case (espace videau milieu d'une planche), un album à double-sens delecture, la 3D. L'œuvre de Marc-Antoine Mathieuregorge de « prouesses conceptuelles » etd'expérimentation sur la matérialité même du livre.C'est un « dynamiteur du langage de la bandedessinée ». On retrouve ainsi pêle-mêle dans sonœuvre une multitude de format d'ouvrage, des casesdécoupées, l'irruption de la troisième dimension, descollages, des récits qui s'entrecroisent, un abandon del'illustration de couverture, etc.

Dans Ici, Richard Mc Guire propose ainsi une expérience sensorielle inédite, puissante et presque magique du temps qui passe. Il raconte l'histoire d'un lieu, vu d'un même angle, et celle des êtres quil'ont habité à travers les siècles. Dans cet espace délimité, les existences se croisent, s'entrechoquentet se font étrangement écho, avant d'être précipitées dans l'oubli.

Fabrice Caro, dit Fabcaro, est un auteur français de bandes dessinées et de romans. Dans ZaÏ, zaï, zaï, zaï il raconte que pour n'avoir pu présenté sa carte de fidélité au supermarché, un auteur de bandes dessinées est confronté à un vigile avec lequel il a une altercation. Il parvient à s'enfuir et sa traque par la police provoque une réaction en chaîne: les médias s'emballent, la société se divise.

Dans Moi, ce que j’aime, c’est les monstres, journal intime d’une artiste prodige, Emil Ferris réalise un kaléidoscope brillant d’énergie et d’émotions, l’histoire magnifiquement contée d’une fascinante enfant. Cette œuvre magistrale est tout à la fois une enquête, un drame familial et un témoignage historique.

L'ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande Dessinée) regroupe depuis 1984 les principaux journalistes et critiques du 9ème Art qui propose une sélection des publications qui lui semblent les meilleurs, pointent du doigt la condition précaire des professionnels qui œuvrent dans le neuvième art. On estime que 8 auteurs sur 10 exercent d’autres activités connexes, le plus

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souvent dans les domaines de l’enseignement, de la presse ou dans un domaine artistique et culturel,par exemple en dessin animé ou jeu vidéo. Elle se penche sur les aspects socio-économiques du 9è art. Elle constate que le lectorat se renouvelle très peu, majoritairement masculin, plutôt jeune, par ailleurs lecteur de livres et amateur de sorties culturelles, et elle repère des caractéristiques de lecture propres à cette pratique, comme la relecture.

Quelques liens entre BD et peinture

La BD propose beaucoup de biographies de peintres et/ou d’artistes. Il existe même un collection grands peintres chez Glénat constituée à ce jour de 19 titres.D’autres collections évoquent l’histoire de l’art comme L'Histoire de l'Art en BD chez CastermanCaherine Meurisse propose une histoire de la littérature française en bande dessinée, à la redécouverte de nos grands auteurs du Moyen Âge au XXe siècle. Le lecteur y croise plusieurs artistes peintres. Si le succès des grandes expositions parisiennes n'est pas étranger à cette tendance,celle-ci s'explique aussi par le caractère de plus en plus décomplexé d'un médium - la BD - longtemps classé au rang de sous-discipline artistique. Depuis 10 ans, le Louvre a lancé sa propre collection BD en offrant une carte blanche à des auteurs triés sur le volet. Nicolas de Crécy, David Prudhomme, Etienne Davodeau ou encore Jiro Taniguchi ont, entre autres, déambulé dans les couloirs du musée afin d'en rapporter des histoires dont la seule contrainte est de se dérouler sur place. En contrepartie, l'établissement public laisse toute latitude à ses invités en matière de reproduction des œuvres accrochées. Pour aborder l'art avec humour, il existe des livre très originaux : Les (vraies !) histoires de l'art, de Sylvain Coissard et Alexis Lemoine, aux éditions Palette. Dans ces albums, les auteurs ont sélectionné quelques toiles célèbres et se sont posé une même question pour chaque : que s'est-il passé avant cette scène ?

Mars 2020 - Compte rendu fait par Elisabeth Payen