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La Bête sauvage

Problèmes

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Michel Clouscard

La Bête sauvage Métamorphose

de la société capitaliste et stratégie révolutionnaire

Éditions sociales

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D u m ê m e a u t e u r

L'Être et le Code, « Le Procès de production d'un ensemble pré- capitaliste », éditions Mouton, 630 p., Paris-La Haye, 1972.

Néo-fascisme et Idéologie du désir, « Les Tartuffes de la Révolution », éditions Denoël, collection « Médiations », 140 p., Paris, 1973.

Le Frivole et le Sérieux, « Vers un nouveau progressisme », éditions Libres-Hallier, 190 p., Paris, 1978.

Le Capitalisme de la séduction, « Critique de la social- démocratie libertaire », Éditions sociales, 248 p., Paris, 1981.

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

© 1983, Messidor/Éditions sociales, Paris ISBN : 2-209-05531-8

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Abréviations utilisées dans ce livre

CCL : Capitalisme concurrentiel libéral CM : Capitalisme des monopoles CME : Capitalisme monopoliste d 'Éta t ITC : Ingénieurs, techniciens, cadres PME : Petites et moyennes entreprises OP : Ouvrier professionnel OS : Ouvrier spécialisé 0 0 : Ouvrier qualifié

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L'histoire comme stratégie du capitalisme

A. — LE BUT DE LA STRATÉGIE — LA SOCIÉTÉ CIVILE

Nous nous proposons, tout d'abord, de reconstituer l'his- toire de France, de la Libération aux années 80, d 'après ce fil conducteur : la stratégie du capitalisme. Le néo-capita- lisme porte en lui un projet de société, un choix de société (termes devenus familiers); il s'agit de mettre en place la société la plus favorable à la loi du profit, celle qui autorise le plus grand profit.

Le capitalisme a eu le pouvoir d 'engendrer une société globale qui est aussi un marché généralisé. C'est l 'actuelle société française.

Montrer comment ce projet stratégique s'est réalisé, c'est reconstituer l 'histoire de France, puisque celle-ci n'est plus que l'histoire de l'économie politique et humaine imposée par le néo-capitalisme; c'est établir pa r quels chemine- ments, économique, politique, de l 'éthos (les mœurs, les mentalités) ce qui n 'était qu'une virtualité est devenu le corps social.

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Nous désignerons cette nouvelle société par le terme de société civile. Nous vivons en régime de société civile. La société française est une société civile. Nous avons choisi ce terme car il désigne, généralement, pour les spécialistes (de l'économie politique, des sciences humaines, de la philoso- phie politique...) le lieu de liberté possible dans la société.

Nous sommes donc déjà au cœur du problème, car définir la société voulue par le capitalisme comme étant la société civile, c'est vouloir établir que le conditionnement capita- liste de la société moderne a pu investir le lieu même de la liberté. Et même que ce conditionnement peut se proposer comme la liberté !

Notre thèse : le capitalisme a eu le pouvoir de modeler, de construire, d'édifier une société, notre société. Dire qu'il a le monopole de la gestion économique de cette société est insuffisant car il a eu d'abord le pouvoir de produire cette société (pour ensuite la gérer). C'est cette production qui est l'histoire de cette société.

La société civile représente le machiavélique pouvoir d'identifier liberté et libéralisme, de confondre l'idéologie du marché capitaliste et le concept de liberté, d'unifier la liberté du marché et la liberté humaine. La société civile fait de la liberté la liberté dans le système capitaliste.

Ne pas confondre liberté et libéralisme semble être le pont aux ânes de la philosophie. C'est une vérité de bon sens. La trahison quasi unanime des clercs — celle qui a fait le pouvoir de l'intelligentsia régnante — a pourtant consisté à habiliter cette confusion. C'est un péché contre l'esprit et l'esprit même de la contre-révolution. Cette idéologie ne peut s'accomplir que dans la collaboration de classes et l'anti-communisme.

Reconstituer l'histoire de France, sera donc étudier par quelle stratégie le capitalisme a produit la société civile, ce que Hegel appelait « la Bête Sauvage » : une société qui n'est plus qu'un marché (un marché « libre », bien entendu).

Cette métamorphose de la société capitaliste s'objective en une nouvelle distribution des classes sociales. Son étude nous permettra de définir la nouvelle lutte des classes, en régime de société civile, et d'établir les modalités de la nouvelle stratégie révolutionnaire, face à la Bête sauvage et à sa stratégie contre-révolutionnaire.

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B. — LA DÉFINITION DE LA STRATÉGIE

Comment définir la stratégie capital iste? Alors que la tactique est un projet immédiat , partiel, concret, qui certes peut être caché, mais qui est su, réfléchi, codifié, quelque part , dans la tête d 'un chef, dans un état major, dans un service, la stratégie capitaliste, au contraire, est un non-dit et un non-su... et du capitalisme lui-même ! Elle n'est pas pensée, théorisée, globalisée. Elle chemine en miettes, dans le fonct ionnement du capi ta l isme. Nous la définirons comme Bergson définissait l ' instinct : « Une finalité sans représentation de fin », ce qui veut dire, en termes moins savants : un but poursuivi sans connaître explicitement ce but. Et, paradoxalement, d 'au tant mieux poursuivi qu'il n 'est pas représenté.

C'est que le capitalisme n 'a pas à discourir sur sa nature : il est. Il est la fonctionnalité même. Il marche tout seul, vers sa finalité : le plus grand profit. Les lois du capital sont telles qu'elles garantissent un univers en constante expan- sion. Alors que le monde de Descartes a besoin de la pichenette originelle et de la création continuée (Dieu intervenant à tout moment pour que l 'être persévère en lui- même) le monde capitaliste est une mécanique structuro- fonctionnelle en constante accélération.

Aussi la stratégie est immanente à ce système. Parce que l 'effectivité s t ratégique ne doit avoir aucun recul sur l 'action. Le capitalisme est, doit être la prat ique qui répond immédia tement à une nouvelle situation. Le capitalisme se veut le terme historique le plus élaboré, ainsi il est le temps présent. Sans réflexion sur l'être, sans distance sur l'his- toire. Pure présence qui doit devancer et interdire toute intervention extérieure.

La stratégie ne peut être représentée, dite, que p a r un témoin extérieur à ce système. Et pa r le témoin le plus concerné : l 'ennemi de classe. Seul, le marxiste peut dire la stratégie du capitalisme. (Marx a pu dire ainsi les lois du capital. Ce qui n'intéresse pas le capitaliste, puisqu'il les prat ique et les connaît pa r la possession du capital. Marx n 'a fait que théoriser — quelle invention ! — une prat ique banale.)

D'un côté : celui qui a et agit, et qui n 'a pas besoin de savoir comment, qui ne doit pas savoir et qui ne veut pas savoir. De l 'autre : celui qui n 'a pas et qui est agi et qui a

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besoin, pour agir, de savoir comment et pourquoi... le capitalisme fonctionne.

Celui-ci, n 'ayant pas la théorie, la représentation de sa stratégie, dispose alors d'une stratégie parfaite : celle qui n 'a pas besoin de se cacher. Elle s'ignore elle-même, comment pourrait-elle se trahir ? Parfait camouflage. Le capitalisme fait ainsi une extraordinaire économie : on n 'a pas à cacher aux autres ce que l'on ignore soi-même. Le capitalisme est une innocence fonctionnelle : il est, sans savoir pourquoi et comment. (Allez dire à Dassault, qui pour tan t réfléchit, que la fin et le moyen du capitalisme est la société civile.)

Aussi la stratégie capitaliste peut s'étaler au grand jour en toute innocence. Comme la lettre cachée de Poe : elle est là, dans la réali té polit ique, économique, des mœurs, évidente mais ignorée, non sue comme telle. (Quoi de plus innocent qu 'une partie de flipper? Et pourtant, c'est l'ex- pression la plus condensée, concentrée de la civilisation c a p i t a l i s t e .

Aussi dirons-nous que le marxiste qui ignore cette straté- gie, ce qu'elle cache, fait le jeu du capitalisme. Il aide à camoufler ce que la stratégie doit cacher. Il témoigne alors de son impuissance à comprendre la modernité, celle du capitalisme monopoliste d 'état en sa phase d'ascendance et en sa phase de dégénérescence . Il prouve qu'il reste fixé à une problématique révolutionnaire du capitalisme concur- rentiel libéral, du XIX siècle. Il est inapte alors à affronter la société voulue par cette stratégie : la société civile. Sa réponse ne pourra être que dogmatique : de vieux schémas imposés à une mutat ion radicale de la société française.

Et ce ne sera que par la parfaite connaissance de cette stratégie — la société civile — que l'on pourra définir la stratégie révolutionnaire. Celle-ci sera une contre-stratégie, car fondée sur la connaissance de la société française voulue par le CME.

1. Cf. Le capitalisme de la séduction. Critique de la social-démocratie libertaire, Éditions sociales, Paris 1982, 250 p.

2. On distingue trois grandes périodes de l'expansion capitaliste, trois grands modes de sa production : le capitalisme concurrentiel libéral (CCL) qui de par les lois de la concurrence capitaliste devient le capitalisme des monopoles (le CM) lequel s'étatise pour donner le capitalisme monopoliste d 'Éta t (le CME) qui comprend deux phases : celle de l 'ascendance et celle de la dégénérescence. Nous reviendrons sur ces définitions pour les expliciter en fonction de notre problématique.

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C. — LES CHAMPS OPÉRATOIRES

La stratégie sait se cacher au point de se cacher même à elle-même; les capitalistes ignorent ce qu'est le capita- lisme. L'autre essentiel pouvoir de la stratégie est de multiplier ses pouvoirs en se sous-divisant en stratégies locales. Celles-ci pourront se spécialiser, approfondir l'in- vestissement d'espaces sociaux spécifiques. Elles pourront cheminer en une action concentrée justement de par l'igno- rance de l 'action voisine. Elles pourront se différencier même jusqu'à la contradiction. Ce qui permet au capita- lisme d'investir ses contradictions structurales et histori- ques dans les contradictions stratégiques de sa progression, de sa perfection. Extraordinaire renversement : la contra- diction qui devrait bloquer l'expansion, au contraire, la sert. L'antagonisme relatif devient le moyen d 'un dépasse- ment, d 'un contournement de l 'antagonisme absolu, celui qui naît de la contradiction bourgeoisie-prolétariat.

Cette stratégie s'investit en trois champs de réalisation : l ' économique, le poli t ique, l 'é thos (les mœurs) . Trois act ions spécifiques, diversifiées, contradictoires même (autre camouflage). Trois domaines, trois champs opéra- toires, trois catégories de manipulations.

Ce sont les instruments de l 'action stratégique. Le jeu stratégique est le système des variables possibles dans un champ clos selon des catégories opérationnelles. La straté- gie agit sur les champs sociaux par les catégories comme elle agit pa r les catégories sur des populations particu- lières. Ainsi la stratégie dispose d 'un extraordinaire clavier, d 'une manipulat ion totalisante et totalitaire (car ici le mot est adéquat), camouflée par le jeu formel de la démocratie. La stratégie qui produit la société civile dévoile l 'aspect totalitaire du libéralisme.

Cette stratégie n 'a donc rien de commun avec le capita- lisme naïf, celui de la première grande crise mondiale de 1929. Celui-ci avait choisi une solution radicale : le fas- cisme. Nous verrons que le capitalisme de la société civile a su imposer une autre solution. Il a su tirer les leçons de l'histoire. Celle-ci ne se répète pas.

Le principe de la stratégie — qui permet de cheminer masqué — est d 'établir une différence qui cache l ' identité et qui, en dernière instance, l 'établit même. Autrement dit, dans l 'ensemble donné (le champ opérationnel) les catégo- ries vont permettre une diversité qui peut en venir à la

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contradict ion relative. Il faut que ces catégories aient at teint un degré de développement tel qu'il autorise une autonomie fonctionnelle relative. La prospective globale a t te indra sa finalité pa r le jeu des actions locales et très différenciées des catégories et des champs opérationnels.

Le jeu des catégories se distribue selon trois axes fonda- mentaux :

. Oppression économique sur les travailleurs en général, sur la classe ouvrière en particulier. Ce processus s'achève p a r l 'austérité, le chômage généralisé, le productivisme, l 'inflation.

2. Libéralisme politique : la démocratie bourgeoise per- fectionne même les droits formels et se justifie constam- ment p a r les droits de l 'homme. L'alternance permet le par tage politique du monopole économique, la stratégie de gestion des moments du mode de production et des phases du cycle capitaliste.

3. Permissivité des mœurs qui permet les conditions superstructurales et subjectives de la nouvelle consomma- tion, celle du marché du désir.

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Les trois stratégies locales

A. — L'OPPRESSION ÉCONOMIQUE — LA TERREUR BLANCHE

1. Une nécessaire approche théorique : le dépassement de la contradiction qui a fait le dogmatisme marxiste

Nous définirons la notion « d'oppression économique » en procédant à une double critique : celle de l'idéologie tendanciellement dominante (la moderne idéologie de la s o c i é t é c i v i l e ) , e t c e l l e d u d o g m a t i s m e m a r x i s t e . C ' e s t d i r e

3. Cette dénonciation du dogmatisme consiste avant tout à reconstituer le mécanisme de son fonctionnement, à montrer comment une notion marxiste utilisée d'une manière non dialectique et historique se tourne contre le marxisme. L'imputation à des personnes n'est qu'un corollaire et, pour nous, subsidiaire. Mais nous n'éluderons pas cet aspect du problème : nous pensons que le PCF a été, à un certain moment de son histoire, dogmatique mais que le dogmatisme a toujours été dans le trotskysme, le maoïsme, le gauchisme en général et le terrorisme en particulier, et que sa meilleure représentation actuelle est dans le théoricisme de l'althussé- risme.

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à quel point cette notion d'oppression économique est importante : elle doit permettre de remettre à sa place le néo-idéalisme des nouveaux philosophes, par exemple, et le néo-positivisme de l'économisme, mais aussi et surtout de dénoncer et de dépasser l'aporie — la contradiction insur- montable — qui couronne le dogmatisme marxiste.

L'idéologie tendanciellement dominante est aussi une stratégie : elle veut atteindre le marxisme par en haut et pa r en bas, pa r l ' infrastructure et par la superstructure, par les faits et par les idées. Le marxisme sera soumis à un double jeu convergent, délimité pa r un double enveloppe- ment idéologique.

D'une part , les paramètres, multiples et savants, de l 'économisme. C'est la quantification du macro et même du m i c r o - é c o n o m i q u e . De la c ro i ssance au revenu des ménages, tout est mesurable, maintenant. Des paramètres essentiels ont pu être établis, non seulement ceux de la mesure ar i thmétique (le niveau de vie) mais aussi ceux de l 'appréciation qualitative (le genre de vie).

L'économisme est ce mélange de scientisme et d'idéolo- gie qui permet la manipulation. Très vite ces techniques se sont faites technocratiques. L'INSEE, par exemple, dont le sérieux scientifique est évident, propose un tableau des catégories socio-professionnelles qui tend à représenter d 'une manière combien empirique et artificielle la hiérar- chie des classes (nous y reviendrons). La manipulation empirique des paramètres de l 'économisme est la caracté- rist ique fondamentale de la gestion de la crise (ainsi on peut faire baisser l'inflation, mais alors le nombre des chômeurs augmente, mais cela permet une relance de l'économie, puis ensuite une autre manœuvre économiste, ou « monétariste »).

Mais l'essentiel de la manipulation scientiste de l'écono- misme porte sur les paramètres, devenus déterminants, du niveau de vie et du genre de vie. Isolés des rapports de production, ils sont devenus les arbitres de la situation politique. L'économisme triomphe.

Notre définition de l 'oppression économique consiste donc à dénoncer l 'empirisme de l'économisme, mais aussi à situer les acquis relativement scientifiques que peuvent être des notions comme le niveau de vie (et même en une certaine mesure le genre de vie) dans la lutte des classes. C'est celle-ci qui sera leur mesure. Et non l'inverse.

D'un côté, les nouveaux économistes; de l'autre, les nouveaux philosophes : l'idéologie de la société civile ne

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perd pas son temps. Tout est en place, le grand capital est bien gardé.

Tout un nouveau discours sur le pouvoir, la répression, le maître.. . l ' amour du censeur est apparu. Il est même devenu une essentielle composante de l'idéologie domi- nante. Nous avons déjà proposé une critique radicale de cette idéologie de la social-démocratie l i b e r t a i r e . Il nous suffira de rappeler le principe de son fonctionnement. Le pouvoir ne serait pas dans l 'économique, dans les effets de première ou de dernière instance de l 'économique. Mais exclusivement dans le politique : les nouveaux philosophes, faut-il le dire, ne sont pas... marxistes. Ce politique est une catégorie éternelle, qui transcende les rapports de produc- tion, les modes de production, l'histoire. Il engendre une causalité spécifique, d 'ordre inter-subjectif, qui est une aliénation constitutive de l 'homme. (Tout cela est implici- tement ou explicitement fondé sur une anthropologie freu- dienne...) Tout pouvoir ne peut être qu 'un abus de pou- voir..., etc.

Notre définition de l 'oppression économique consistera donc à montrer que cette « aliénation », que toute aliéna- tion n'est qu 'un effet caché de l 'économique. Les causes proposées par les nouveaux philosophes comme matriciel- les ne sont que des effets non sus de l 'économique, du mode de production, du CME. L'extorsion de la plus-value est plus que jamais à l'origine de l 'aliénation de l 'homme. Mais selon des figures, des modalités très nouvelles, très origi- nales qui ont échappé au dogmatisme de ce néo-idéalisme, lequel en dernière instance a mission idéologique de les cacher, d' interdire d'établir la vraie causalité.

L'oppression économique est à la fois aliénation cultu- relle et... oppression économique. Mais ce n'est ni l'aliéna- tion définie pa r le néo-idéalisme ni les paramètres de l 'économisme néo-positiviste et scientiste.

Le dogmatisme marxiste pourrai t être défini comme un ensemble de déviations engendrées p a r la pression de l'idéologie dominante. La double composante de l'idéologie moderne nous semble être explicative du double aspect du dogmatisme. D'une part, une surestimation de l'économi- que, de ses mesures, de ses effets. D'autre par t , une surestimation de la superstructure, de ses instances, de ses effets. La mesure du dogmatisme est double :

4. Cf. Le Frivole et le Sérieux. Vers un nouveau progressisme, Éditions Hallier-Albin Michel, Paris 1978, p. 190.

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1° S o n i m p u i s s a n c e à m e t t r e e n r e l a t i o n d i a l e c t i q u e et h i s t o r i q u e i n f r a s t r u c t u r e et s u p e r s t r u c t u r e ;

2° S o n i m p u i s s a n c e à e x p l i q u e r les r a p p o r t s de p r o d u c - t i on spéc i f i ques d u CME.

Les d e u x d o g m a t i q u e s se r é c o n c i l i e n t c o m m e d é n é g a t i o n r a d i c a l e d e la soc ié t é civile. C 'es t -à -d i re c o m m e to ta l refus d e r e c o n n a î t r e l a spéc i f ic i té d e la nouve l l e socié té f rança i se . Ces d o g m a t i s m e s , p a r dé f in i t ion , d o i v e n t i n t e r d i r e d ' exp l i - q u e r le g r a n d p a r a d o x e de ce t t e soc ié té : d ' u n e p a r t , le m o n o p o l i s m e d ' É t a t , d ' a u t r e p a r t , le l i b é r a l i s m e p o l i t i q u e e t la p e r m i s s i v i t é des m œ u r s .

Ce d o g m a t i s m e es t u n d a n g e r m o r t e l . Il d é b o u c h e s u r u n e i m p a s s e , u n e a p o r i e — u n e c o n t r a d i c t i o n p r o g r e s s i v e m e n t a p p a r u e , inso lub le , i n d é p a s s a b l e — qu i s e r a i t la f in d u m a r x i s m e , d u c h a m p é p i s t é m o l o g i q u e e t p o l i t i q u e (« i n c o n t o u r n a b l e ») qu ' i l a i n s t a u r é .

T o u t e u n e i n t e r p r é t a t i o n m é c a n i s t e d u m a r x i s m e a glissé — n é c e s s a i r e m e n t — vers u n e n o t i o n d o g m a t i q u e d e l ' é t a t (Al thusser , P o u l a n t z a s ) . D a n s la m e s u r e où, j u s t e m e n t , elle é c a r t a i t a p r io r i le rô le de la socié té civi le d a n s les socié tés i n d u s t r i e l l e s a v a n c é e s . L ' É t a t es t a lo r s e x c l u s i v e m e n t l ' ap- p a r e i l de d o m i n a t i o n d ' u n e c lasse soc ia l e ; il se r é d u i t à n ' ê t r e p l u s q u e l 'É ta t . . . w é b é r i e n , le l ieu d e l a v io lence qu i se d i t l ég i t ime . Alors le p r o d i g i e u x e x p a n s i o n n i s m e d u c a p i t a l i s m e d a n s l a soc ié té civi le ( e x p a n s i o n n i s m e qu i es t la soc ié té c ivi le m ê m e ) es t p a s s é sous s i lence.

Le d o g m a t i s m e e s t a l o r s l ' é c o n o m i q u e « e n d e r n i è r e i n s t a n c e »... l aque l l e es t t e l l e m e n t d e r n i è r e qu ' e l l e n ' a p p a - r a î t p lus , q u ' e l l e n ' a p p a r a î t j a m a i s . Cet é c o n o m i q u e es t i n sa i s i s sab l e , t o u j o u r s r e c o u v e r t d u po l i t i que , de l 'effet de s u p e r s t r u c t u r e , de l ' É t a t . Les r a p p o r t s de p r o d u c t i o n a lo r s dé f in i s s e r o n t u n m o n o l i t i s m e fonc t ionne l , a n t i - d i a l e c t i q u e e t h i s t o r i q u e , qu i i n t e r d i t t o u t e m i s e e n r e l a t i o n de la s o c i é t é c iv i l e e t de l ' É t a t , d e la p r o d u c t i o n e t de la c o n s o m m a t i o n , d e l ' i n f r a s t r u c t u r e e t de la s u p e r s t r u c t u r e . Ils s o n t réif iés e n u n e s t r u c t u r e é t e rne l l e e n l aque l l e on n e vo i t p a s c o m m e n t « le c h a n g e m e n t » p o u r r a i t se gl isser . La r é v o l u t i o n n e p o u r r a i t ê t r e a lo r s q u ' u n r e n v e r s e m e n t t o t a l de la s i t u a t i o n e t on ne vo i t v r a i m e n t p a s c o m m e n t ce la p o u r r a i t se faire.

Il f a u t n o t e r q u e c e t t e c o n c e p t i o n m a r x i s t e , m a i s d o g m a - t i que , r é d u c t r i c e , a c a d é m i q u e (au m a u v a i s sens d u t e rme) , a a l i m e n t é l ' e s sen t ie l d u g a u c h i s m e . C 'es t t o u t e la sures t i - m a t i o n d e s i n s t a n c e s s u p e r s t r u c t u r a l e s ( l 'É ta t , le père , l 'école, l ' a r m é e , la police). Le g a u c h i s m e es t u n d o g m a - t i sme . E t il f a u t auss i n o t e r q u e ce d o g m a t i s m e a c i rcu lé d u

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g a u c h i s m e a u x n o u v e a u x ph i l o sophes . Le d o g m a t i s m e e s t la clé qu i p e r m e t d e c o m p r e n d r e le g l i s s e m e n t d u m a t é r i a - l i s m e a u néo - idéa l i sme . C 'es t l a m ê m e c o n c e p t i o n de l ' É t a t q u i c i r c u l e d u d o g m a t i s m e a l t h u s s é r i e n a u x n o u v e a u x ph i l o sophes , p a r le t r u c h e m e n t d u g a u c h i s m e . (Le faux sé r i eux fonde l a f r i v o l i t é .

« L a po l ice avec n o u s », tel le s e r a n o t r e ( p r o v o c a n t e ) r é p o n s e à c e s u p e r b e d o g m a t i s m e . 6 N o u s n e d e v o n s p a s

c o n s i d é r e r l e s i n s t a n c e s s u p e r s t r u c t u r a l e s c o m m e t r a n s c e n -

d a n t e s a u x r a p p o r t s d e p r o d u c t i o n , c o m m e d e s c h o s e s e n

s o i q u i p r o d u i r a i e n t d e s d é t e r m i n i s m e s a u t o n o m e s . L a

r é p r e s s i o n n e t o m b e p a s d u c i e l . E l l e n ' e s t p a s c e t

a r c h a ï s m e t h é o l o g i q u e e t i d é a l i s t e v e n u d e l ' A n c i e n T e s t a -

m e n t , o u d u c o u r r o u x d e s D i e u x , d o n t t é m o i g n e n t g a u -

c h i s t e s , c o n t e s t a t a i r e s , e t c . L e s i n s t a n c e s s u p e r s t r u c t u r a l e s

n e s o n t q u e d e s m o y e n s , l e s l i e u x d ' o b j e c t i v a t i o n e t d e

r é a l i s a t i o n d e s r a p p o r t s d e p r o d u c t i o n . E l l e s s o n t c e q u e c e s

r a p p o r t s e n f o n t . E l l e s s o n t d e s e f f e t s e t n o n d e s c a u s e s

m a t r i c i e l l e s ( n o u s r e v i e n d r o n s s u r c e p r o b l è m e ) .

N o u s p r o p o s e r o n s u n e t r è s b r è v e a p p r o c h e h i s t o r i q u e d u r ô l e d e l ' É t a t . C e r ô l e a é t é e f f e c t i v e m e n t é n o r m e à d e u x

m o m e n t s e s s e n t i e l s . C e l u i d e l ' i m p l a n t a t i o n d u m o d e d e

p r o d u c t i o n c a p i t a l i s t e , p é r i o d e s a u v a g e , d e v i o l e n c e s a n -

g l a n t e , d ' a u t o r i t a r i s m e i m p l a c a b l e . E t c e l u i d e l a c r i s e d ' u n

c a p i t a l i s m e q u i n ' a v a i t p u a t t e i n d r e l a r é g u l a t i o n q u ' e s t l a s o c i é t é c i v i l e . A l o r s l ' É t a t s ' i d e n t i f i e a u n a t i o n a l - s o c i a l i s m e .

A v e c l e C M E , l ' É t a t e s t t o t a l e m e n t i n v e s t i p a r l ' é c o n o m i -

q u e , p a r l e s m o n o p o l e s q u i s e s o n t é t a t i s é s e t s o n t g é r é s p a r

l ' a p p a r e i l d ' É t a t . A l o r s c e t a p p a r e i l d ' É t a t s e m o q u e d e

l ' É t a t c r o q u e m i t a i n e d u d o g m a t i s m e , d u g a u c h i s m e , d e s

n o u v e a u x p h i l o s o p h e s , d e s c o n t e s t a t a i r e s o u d e s t e r r o r i s t e s .

I l s e m o q u e d e l ' É t a t h y p o s t a s e , c h o s e e n s o i q u i a s s u r e d ' i m m u a b l e s i n t e r d i t s . B i e n a u c o n t r a i r e : s a m i s s i o n é c o -

n o m i q u e e s t d e c r é e r l e s c o n d i t i o n s s u p e r s t r u c t u r a l e s

n é c e s s a i r e s à l ' e x p a n s i o n é c o n o m i q u e d u C M E . I l f a u t

m e t t r e e n p l a c e l e s m o d è l e s c u l t u r e l s d e l a n o u v e l l e

c o n s o m m a t i o n , d u n o u v e a u m a r c h é d u d é s i r . I l f a u t l i b é r a -

l i s e r , r é v o l u t i o n n e r l e s m œ u r s . P o u r s e r v i r a u m i e u x l e s

i n t é r ê t s d e s m u l t i n a t i o n a l e s q u e l ' a p p a r e i l d ' É t a t a f o n c -

t i o n d e g é r e r .

P a r c e q u e r é p r e s s i f a u n i v e a u d e l a p r o d u c t i o n — p r o d u c -

t i v i s m e , t a y l o r i s a t i o n , f o r d i s m e , c a d e n c e s i n f e r n a l e s —

l ' É t a t d o i t o r g a n i s e r l a l i b é r a l i s a t i o n d e s m œ u r s q u i p e r -

5. Cf. L e Frivole et le Sérieux. 6. Encore mieux : « Le gouvernement avec nous ».

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m e t t r a l a m e i l l e u r e c i r c u l a t i o n d e l a n o u v e l l e m a r c h a n d i s e .

L ' É t a t a b e s o i n d ' u n e s o c i é t é c i v i l e q u i d é n o n c e . . . l ' É t a t .

A u s s i , l e d o g m a t i s m e , l e g a u c h i s m e , l e s n o u v e a u x p h i l o - s o p h e s s o n t l e s f o u r r i e r s d e l a s o c i é t é c i v i l e v o u l u e p a r l ' a p p a r e i l d ' É t a t s o u m i s a u x m u l t i n a t i o n a l e s .

N o u s d e v o n s d o n c é c a r t e r , p o u r d é f i n i r l ' o p p r e s s i o n é c o n o m i q u e , l a d é f i n i t i o n d e l ' É t a t q u i . . . é c a r t e l a s o c i é t é c i v i l e , c a r a l o r s c e t t e o p p r e s s i o n é c o n o m i q u e n e s e m a n i f e s -

t a n t q u e s u p e r s t r u c t u r a l e m e n t , e n d e r n i è r e i n s t a n c e q u i r e n v o i e l ' é c o n o m i q u e a u x c a l e n d e s , s e f a i t i n s a i s i s s a b l e . E l l e e s t e n f o u i e , c a c h é e d a n s u n a i l l e u r s m y s t é r i e u x , i n a c - c e s s i b l e , d a n s u n e o p a c i t é q u i p e r m e t le p l e i n a c c o m p l i s s e - m e n t d e l ' é c o n o m i e c a p i t a l i s t e , e t d e l ' i g n o r e r . L ' o p p r e s s i o n e s t a v a n t t o u t é c o n o m i q u e . E l l e p a s s e c e r t e s p a r l ' a l i é n a - t i o n d e s i n s t a n c e s s u p e r s t r u c t u r a l e s . M a i s c e l l e - c i n ' e s t p a s s u r d é t e r m i n a n t e .

L ' o p p r e s s i o n n e p e u t ê t r e r é d u i t e à l ' é c o n o m i q u e , c o m m e l ' a u t r e d o g m a t i s m e l e p r o p o s e . P o u r u n c e r t a i n m a r x i s m e , q u i h e u r e u s e m e n t d a t e d e p l u s e n p l u s , l a p a u p é r i s a t i o n d e l a c l a s s e o u v r i è r e s e u l e c o m p t a i t p o u r a p p r é c i e r l ' o p p r e s - s i o n c a p i t a l i s t e . « L ' a l i é n a t i o n » é t a i t é c a r t é e c o m m e u n e n o t i o n i d é a l i s t e e t r é f o r m i s t e . L ' e x p l o i t a t i o n d e l ' h o m m e p a r l ' h o m m e é t a i t a v a n t t o u t l a r a d i c a l i s a t i o n d e l a s i t u a - t i o n o u v r i è r e . P l u s l a b o u r g e o i s i e p r o s p è r e e t p l u s l a c l a s s e o u v r i è r e s e p a u p é r i s e . E t p a u p é r i s a t i o n a b s o l u e : m i s è r e o u v r i è r e t o t a l e .

C e r t e s , c e t t e n o t i o n d e p a u p é r i s a t i o n a b s o l u e a é t é c o r r i - g é e p a r l a p a u p é r i s a t i o n r e l a t i v e . M a i s l a n o t i o n d e p a u p é r i - s a t i o n r e s t e p o u r b e a u c o u p u n c r i t è r e « i n d é p a s s a b l e » c a r s a c r i t i q u e s e m b l e r e m e t t r e e n q u e s t i o n l e f o n d e m e n t m ê m e d e l a l u t t e d e s c l a s s e s .

O u i , m a i s a l o r s , c o m m e n t r e n d r e c o m p t e d e l a s p é c i f i c i t é é c o n o m i q u e d u C M E ? « E n v i n g t - c i n q a n s l a c o n s o m m a - t i o n a q u a d r u p l é » . L a n o t i o n d ' o p p r e s s i o n é c o n o m i q u e d o i t n o u s p e r m e t t r e d e c o n c i l i e r l a n o t i o n d e p a u p é r i s a t i o n e t c e f a n t a s t i q u e e s s o r d e l a c o n s o m m a t i o n . E l l e m o n t r e r a q u ' e f f e c t i v e m e n t l ' o p p r e s s i o n c a p i t a l i s t e e s t a v a n t t o u t é c o n o m i q u e . C e t t e o p p r e s s i o n d u C M E e s t p i r e q u e l a p a u p é r i s a t i o n a b s o l u e s a n s ê t r e l a p a u p é r i s a t i o n a b s o l u e . E t e l l e e s t b i e n p l u s q u e l a p a u p é r i s a t i o n r e l a t i v e .

C e t t e o p p r e s s i o n r e n d r a c o m p t e d e l ' h i s t o i r e : l e C M E d e l ' a s c e n d a n c e e t c e l u i d e l a d é g é n é r e s c e n c e . E l l e p r é c i s e r a

l e s r a p p o r t s d u m i r a c l e é c o n o m i q u e e t d e l a c r i s e . L e s

7. Constat fait pa r Georges Marchais lui-même : Rapport du projet de résolution du X X I V Congrès, l 'Humanité du 4-02-82.

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n o u v e l l e s m o d a l i t é s d e l ' e x p l o i t a t i o n d e l ' h o m m e p a r l ' h o m m e d o i v e n t ê t r e d é f i n i e s .

R é s u m o n s - n o u s : l ' o p p r e s s i o n é c o n o m i q u e e s t u n e n o t i o n à l a f o i s c r i t i q u e e t s y n t h é t i q u e . E l l e v e u t d é p a s s e r l ' a p o r i e m a r x i s t e n é e d u d o g m a t i s m e . E l l e e s t u n e c r i t i q u e d e s a d o u b l e f a c e , d e « l ' a l i é n a t i o n », c o m m e e f f e t d e s u p e r s t r u c - t u r e , e t d e l ' é c o n o m i s m e . C e s d o g m a t i s m e s d é b o u c h e n t s u r d e u x d é v i a t i o n s m a r x i s t e s : l ' é c o n o m i s m e m é c a n i s t e — q u i

f a i t l ' i n t é g r i s m e s t a l i n i e n — e t l a p h i l o s o p h i e d e l ' a l i é n a - t i o n — q u i f a i t l e r é v i s i o n n i s m e , d é r i v e d e l a p h i l o s o p h i e i d é a l i s t e d e l a l i b e r t é .

L ' o p p r e s s i o n é c o n o m i q u e e s t a u s s i l a s y n t h è s e d e l ' a l i é - n a t i o n e t d e l a p a u p é r i s a t i o n , c o m m e r e l a t i o n h i s t o r i q u e e t d i a l e c t i q u e d e l ' i n f r a s t r u c t u r e e t d e l a s u p e r s t r u c t u r e . M a i s c e t t e o p p r e s s i o n d o i t ê t r e d é f i n i e s e l o n d e s d é t e r m i n a t i o n s é c o n o m i q u e s e t c u l t u r e l l e s q u i n ' e x i s t a i e n t p a s d u t e m p s d e s d o c t r i n a i r e s d e l a p a u p é r i s a t i o n a b s o l u e e t d e l ' a l i é n a - t i o n . S i l ' o p p r e s s i o n é c o n o m i q u e a c o m m e c a u s e , p l u s q u e j a m a i s , l ' e x t o r s i o n d e l a p l u s - v a l u e , s o n e f f e t a l i e u , m a i n t e - n a n t , d a n s l a s o c i é t é c i v i l e .

2 . L ' h i s t o i r e d e l ' o p p r e s s i o n é c o n o m i q u e

a ) L ' i m p l a n t a t i o n d u C M E

D u p l a n M a r s h a l l à n o s j o u r s , s ' e s t d o n c c o n s t i t u é u n f a b u l e u x p a r a d o x e q u i e s t c o n s t i t u t i f d e l ' o p p r e s s i o n é c o n o - m i q u e : d ' u n e p a r t l a c o n s o m m a t i o n a q u a d r u p l é , d ' a u t r e p a r t l e p r o d u c t i v i s m e , l ' i n f l a t i o n , l e c h ô m a g e . C o m m e n t p e u t - o n p a s s e r d e « l a s o c i é t é d ' a b o n d a n c e » à l a s o c i é t é d ' a u s t é r i t é ? N o t r e m é t h o d e p e u t ê t r e m a i n t e n a n t r é s u m é e

e n d e u x p h r a s e s . N o u s d e v o n s r e n d r e c o m p t e d e c e p a r a - d o x e e n é c a r t a n t l ' e m p i r i s m e d e s é c o n o m i s t e s b o u r g e o i s e t l e d o g m a t i s m e m a r x i s t e . E n m ê m e t e m p s , n o u s d e v o n s

e x p l i q u e r l ' o p p r e s s i o n é c o n o m i q u e e n r é f é r e n c e a u x p a r a - m è t r e s l e s p l u s é l a b o r é s d e l ' é c o n o m i s m e ( n i v e a u d e v i e e t g e n r e d e v i e ) .

N o u s a l l o n s r e c o n s t i t u e r l ' e n s e m b l e q u i p e r m e t l a m i s e e n r e l a t i o n l a p l u s s y n t h é t i q u e . C ' e s t l a s o c i é t é f r a n ç a i s e d é t e r m i n é e p a r l e C M E , u n e f o r m a t i o n s o c i a l e p a r t i c u l i è r e f a i t e d e t r o i s p h a s e s : l a m i s e e n p l a c e , l ' i m p l a n t a t i o n , « l e d é c o l l a g e » ; l a p h a s e d ' a s c e n d a n c e ; e n f i n c e l l e d e l a d é g é - n é r e s c e n c e . C h a c u n d e c e s m o m e n t s e s t f a i t d ' u n p r o c è s d e p r o d u c t i o n — l e p r o c è s d u t r a v a i l , a u s e n s l a r g e — e t d ' u n p r o c è s d e « c o n s o m m a t i o n ». T e l s s o n t l e s c a d r e s h i s t o r i -

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q u e s e t é c o n o m i q u e s d e n o t r e é t u d e d e l a T e r r e u r b l a n c h e , d e l ' o p p r e s s i o n é c o n o m i q u e s p é c i f i q u e d u C M E .

L a b r u t a l i t é d e c e t t e o p p r e s s i o n , a u m o m e n t d u « d é c o l - l a g e », a é t é p a r t i c u l i è r e m e n t o c c u l t é e p a r l e s i d é o l o g u e s d u s y s t è m e ( t o u s c e u x q u i « i g n o r e n t » s a f i n a l i t é : l a s o c i é t é

c i v i l e ) . I l s n ' o n t r e t e n u d e c e t t e r é p r e s s i o n t o t a l i t a i r e q u e d e s a s p e c t s p a r t i e l s : a i n s i l a p o l l u t i o n . D u c o u p , l a r e l a t i o n c o n s t i t u t i v e d u m o d e d e p r o d u c t i o n ( l a s p é c i f i c i t é d e s r a p p o r t s n a t u r e - t r a v a i l ) e s t m é c o n n u e , c e q u i a c o m m e e f f e t d e p r o p o s e r u n e c o n c e p t i o n d e l a n a t u r e d ' u n e a f f l i g e a n t e p a u v r e t é ( c e l l e - c i n ' e s t p l u s q u ' u n d é c o r q u i s e d o i t d ' ê t r e b u c o l i q u e e t a g r é a b l e ; d e s f l e u r s e t d e s o i s e a u x ) .

M a i s u n p h é n o m è n e e n c o r e p l u s « s t r u c t u r a l » a é c h a p p é m ê m e a u x a n a l y s e s m a r x i s t e s : c ' e s t l a r é c u p é r a t i o n , l ' i n t é - g r a t i o n d e s a c q u i s s o c i a l i s t e s d u F r o n t p o p u l a i r e e t d e l a l i b é r a t i o n p a r l e C M E . I l s ' a g i t d e c e q u i p o u r r a i t ê t r e p r o p o s é c o m m e u n e l o i d e l a l o g i q u e d e l a p r o d u c t i o n , d e l a s u c c e s s i o n d e s m o d e s d e p r o d u c t i o n : l e s a c q u i s p r o g r e s - s i s t e s d ' u n m o d e d e p r o d u c t i o n s o n t r e l a t i v e m e n t r é c u p é r é s p a r l e m o d e d e p r o d u c t i o n q u i s u i t . A u t r e m e n t d i t : l e m o d e d e p r o d u c t i o n c a p i t a l i s t e a r é c u p é r é l a R é v o l u t i o n f r a n - ç a i s e . E n s u i t e l e C M E r é c u p è r e l e s a c q u i s p r o g r e s s i s t e s d u C C L e t d u C M E . I l l e s i n t è g r e , l e s a d a p t e à s o n f o n c t i o n n e - m e n t c a r « s t r u c t u r a l e m e n t » l e m o d e d e p r o d u c t i o n c a p i - t a l i s t e e t l e C M E q u i l ' a c c o m p l i t m a r q u e n t u n p r o g r è s o b j e c t i f , t e c h n o l o g i q u e d a n s l a l o g i q u e d e l a p r o d u c t i o n . L ' o p p r e s s i o n é c o n o m i q u e e s t d o n c u n p h é n o m è n e d e s t r u c - t u r e t r è s c o m p l e x e , q u i d o i t ê t r e s a i s i e n s a t o t a l i t é ( n o u s r e v i e n d r o n s s u r c e t t e lo i ) .

M a i s c o m m e n t c e l a a p u s e f a i r e ? E t s i v i t e ? C o m m e n t m ê m e l a d y n a m i q u e p o l i t i q u e d e l a L i b é r a t i o n a - t - e l l e p u ê t r e d é b o r d é e p a r l a d y n a m i q u e é c o n o m i q u e d u C M E , p u i s i n t é g r é e , r é c u p é r é e a u s e r v i c e d e l a s o c i é t é c i v i l e ?

L e C M E a é t é ( e n F r a n c e ) u n e r a d i c a l e m u t a t i o n d e

s o c i é t é . I l a a c c o m p l i u n e p r o d i g i e u s e a c c é l é r a t i o n d e l ' h i s t o i r e . I l a t r a n s f o r m é l a F r a n c e e n q u e l q u e s a n n é e s

c o m m e c e l a n e s ' é t a i t p a s f a i t e n h u i t s i è c l e s . E n u n p e u p l u s d ' u n e d é c e n n i e , u n p e u m o i n s d ' u n e g é n é r a t i o n , l e C M E e s t p a s s é d u d é c o l l a g e é c o n o m i q u e à u n e q u a s i - h é g é m o n i e p o l i t i q u e .

C ' e s t q u e l ' i m p l a n t a t i o n d u C M E a p u s e f a i r e d a n s d e s c o n d i t i o n s i d é a l e s . C e t t e p r i s e d e p o u v o i r d ' u n m o d e d e p r o d u c t i o n p a r . . . l e m o d e d e p r o d u c t i o n a é t é p a r f a i t e . C e l a t i e n t e s s e n t i e l l e m e n t à q u a t r e f a c t e u r s , c o n v e r g e n t s :

1° L e r e t a r d é c o n o m i q u e d e l a F r a n c e ( r e l a t i v e m e n t a u x p a y s i n d u s t r i a l i s é s o u « p o s t - i n d u s t r i a l i s é s ») a é t é , p a r a -

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d o x a l e m e n t , u n e c h a n c e p o u r l e c a p i t a l i s m e m o d e r n e . M a i s , s u r t o u t , i l f a l l a i t « r e c o n s t r u i r e » l a F r a n c e . U n

c h a m p d e d é v e l o p p e m e n t v i e r g e p e r m e t t a i t u n e c r é a t i o n e x - n i h i l o . D ' u n c o u p , s e l o n u n e p r o g r a m m a t i o n i m p l a c a b l e ( l e P l a n ) .

2 ° U n m o d è l e d e r é f é r e n c e e x i s t a i t , q u i p e r m e t t a i t d ' é v i - t e r l e s t â t o n n e m e n t s , l e s e x p é r i e n c e s i n u t i l e s , l e s e r r e u r s : l e m o d è l e a m é r i c a i n . C e m o d è l e p e r m e t t a i t d e p r o f i t e r d e c e r t a i n e s e r r e u r s a m é r i c a i n e s d e l a c r o i s s a n c e m a l c o n t r ô l é e .

3 ° C e m o d è l e s ' e s t m ê m e g r e f f é s u r l ' é c o n o m i e f r a n ç a i s e ,

g r â c e à c e t u t e u r : l e P l a n M a r s h a l l . 4 ° I l a p u b é n é f i c i e r d ' u n e p a r f a i t e s t r u c t u r e d ' a c c u e i l : l e

c e n t r a l i s m e d i r i g i s t e d e l ' É t a t - N a t i o n m i s e n p l a c e p a r l a R o y a u t é e t l a R é p u b l i q u e . A u s s i s ' e s t - i l t r è s v i t e i m p l a n t é . « L e P l a n » a é t é d y n a m i s é p a r l e P l a n M a r s h a l l . L e m o d è l e a m é r i c a i n a é t é g é r é à l a f r a n ç a i s e , s e l o n u n d i r i g i s m e « c a r t é s i e n » q u i a s u i n t é g r e r l e m o d è l e a m é r i c a i n .

C e s q u a t r e f a c t e u r s s e s o n t s y n t h é t i s é s p o u r d o n n e r , t r è s v i t e , l a p e r f e c t i o n d u C M E . S a c a r a c t é r i s t i q u e n o u s s e m b l e ê t r e l a t r è s r a p i d e c o n t r a c t i o n d e d e u x m o d e s d e p r o d u c - t i o n : l e c a p i t a l i s m e d e s m o n o p o l e s e t c e l u i d u m o n o p o - l i s m e d ' É t a t .

L a s o c i é t é f r a n ç a i s e a d û t r è s v i t e s ' a d a p t e r a u x n o u v e l l e s n o r m e s d e l a p r o d u c t i o n e t d e l a c o n s o m m a t i o n . E l l e a é t é s o u m i s e à u n e v é r i t a b l e T e r r e u r b l a n c h e , à u n e o p p r e s s i o n é c o n o m i q u e q u i a p o r t é s u r t o u t e l a s o c i é t é , l a s o c i é t é g l o b a l e , l a s o c i é t é t r a d i t i o n n e l l e . L ' â m e d ' u n p e u p l e a é t é b a f o u é e .

I l f a u t , p o u r r e n d r e c o m p t e d e c e p h é n o m è n e , b i e n p l u s q u e l e s m e s u r e s d e l ' é c o n o m i s m e ( n i v e a u d e v i e e t g e n r e d e v i e ) , b i e n p l u s q u e l e s c a t é g o r i e s d e l a s o c i o l o g i e c u l t u r e l l e ( a c c u l t u r a t i o n ) , b i e n p l u s m ê m e q u e l ' é c o n o m i s m e m a r x i s t e ( p a u p é r i s a t i o n ) . N o u s p r o p o s e r o n s le t e r m e d e « c o l o n i s a t i o n i n t é r i e u r e » d e l a V i e i l l e F r a n c e . C e t e r m e e s t

p l u s q u e m é t a p h o r i q u e , s a n s t o u t e f o i s ê t r e i d e n t i f i a b l e a u p r o c e s s u s c o l o n i a l . L ' e x p r e s s i o n p e r m e t d e r e n d r e c o m p t e d e l ' a c c u l t u r a t i o n r a d i c a l e d e l a s o c i é t é g l o b a l e . P o u r m e t t r e e n p l a c e l a s o c i é t é c i v i l e i l f a u t d é t r u i r e l a c u l t u r e d e

l a F r a n c e t r a d i t i o n n e l l e , F r a n c e « p r o f o n d e », F r a n c e « r é e l l e ».

I l f a u t c o n s t a t e r q u ' à c e m o m e n t l e c o l o n i a l i s m e — c e l u i

d e l ' E m p i r e — s ' é c r o u l e ( T u n i s i e , M a r o c , I n d o c h i n e , A l g é - r i e ) . B i e n s û r , l e n é o c o l o n i a l i s m e v a p r e n d r e l a r e l è v e . M a i s

8. Au sens hégélien.

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a u s s i e n F r a n c e , à l ' i m a g e d u p i e d - n o i r q u i r e p r o d u i r a s e s p r o c é d é s d ' e x p l o i t a t i o n d a n s l ' h e x a g o n e . T o u t u n r e p l i e - m e n t s t r a t é g i q u e , e t t o u t u n r e d é p l o i e m e n t s e f a i t s u r l a m é t r o p o l e . D e u x d y n a m i q u e s v o n t a l o r s s ' i d e n t i f i e r : c e l l e d u r e p o r t d e s p r o c é d é s c o l o n i a l i s t e s s u r l a m é t r o p o l e ( d a n s l a m e s u r e o ù l e s o u s - d é v e l o p p e m e n t i n t é r i e u r a u t o r i s e l a m ê m e e x p l o i t a t i o n q u e l e s o u s - d é v e l o p p e m e n t d e s « c o l o - n i e s ») e t c e l l e d e s n é c e s s i t é s d e l a c r o i s s a n c e d u C M E . C e s

d e u x d y n a m i q u e s f e r o n t e n p a r t i c u l i e r u n n o u v e a u m a r c h é d u t r a v a i l s i m i l a i r e à c e l u i d e l ' e x p l o i t a t i o n c o l o n i a l i s t e .

C e t t e m a l v e r s a t i o n s p i r i t u e l l e d u n é o c a p i t a l i s m e s ' a j o u t e à c e l l e q u i c o n s i s t e ( c o m m e n o u s l ' a v o n s d i t ) à r é c u p é r e r , i n t é g r e r l e s l o i s s o c i a l e s d u F r o n t p o p u l a i r e e t d e l a L i b é r a t i o n , c o m m e a l i b i s , r é f é r e n c e s d ' u n n o u v e a u s y s t è m e é c o n o m i c o - p o l i t i q u e q u i p o u r r a s e d i r e , p l u s t a r d , n o u v e l l e s o c i é t é p u i s l i b é r a l i s m e a v a n c é . L ' a c c u l t u r a t i o n d e l ' u n i -

v e r s p a y s a n c o m p l è t e l a n o u v e l l e p o l i t i q u e s o c i a l e q u i s e m e t e n p l a c e . A l a v i l l e c o m m e à l a c a m p a g n e , l e C M E r é c u p è r e , i n t è g r e , r e d é c o u p e , m o d è l e .

L e s d e u x V i e i l l e s F r a n c e s o n t s o u m i s e s à c e t t e m a r c h e

f o r c é e d e l a m o d e r n i s a t i o n a u p r o f i t d u g r a n d c a p i t a l . C e s d e u x V i e i l l e s F r a n c e o n t e n c o m m u n l a t r a d i t i o n r é p u b l i - c a i n e e t l a ï q u e . L a V i e i l l e F r a n c e o u v r i è r e v e n u e d u c o m p a - g n o n n a g e , q u i a a c q u i s s a c o n s c i e n c e d e c l a s s e à l a C o m m u n e , q u i a f a i t l e F r o n t p o p u l a i r e , l a R é s i s t a n c e , l a L i b é r a t i o n , a f o r g é s a p r o p r e t r a d i t i o n , u n e s y n t h è s e u n i - q u e , s i n g u l i è r e , d e l a R é v o l u t i o n f r a n ç a i s e e t d u s o c i a l i s m e . T o u t e l a s t r a t é g i e d e l a s o c i é t é c i v i l e c o n s i s t e r a à r é c u p é r e r c e t t e d y n a m i q u e s o c i a l e à s o n p r o f i t e n e f f a ç a n t c e t t e c u l t u r e h i s t o r i q u e .

D e m ê m e , p o u r l ' a u t r e V i e i l l e F r a n c e , v e n u e d u f o n d d e s â g e s , d e l a s o c i é t é c o m m u n a u t a i r e p r i m i t i v e p u i s d e l a s o c i é t é d ' a v a n t l e s c l a s s e s s o c i a l e s : l a F r a n c e c o u t u m i è r e ,

c e l l e d ' u n e p a y s a n n e r i e q u i , c e r t e s s o u m i s e à l a h i é r a r c h i e d e c l a s s e s d e s t e m p s m o d e r n e s , a s u p r é s e r v e r c e t t e c u l t u r e e t l ' a d a p t e r a u x a c q u i s i t i o n s e s s e n t i e l l e s d e l a R é v o l u t i o n f r a n ç a i s e . E n c e s e n s , o n p e u t p a r l e r d e c u l t u r e p a y s a n n e .

C u l t u r e r u r a l e , p l u s p r é c i s é m e n t . C a r l a c u l t u r e p a y s a n n e a é t é a u s s i f a ç o n n é e p a r l e m o d e d e p r o d u c t i o n f é o d a l : u n e é c o n o m i e d e m a r c h é d e s b i e n s d e s u b s i s t a n c e q u i a p r o d u i t

u n p r e m i e r é c h a n g e d e l a v i l l e à l a c a m p a g n e . M a i s é c h a n g e à v i s a g e h u m a i n , c i r c o n s c r i t d e l a f e r m e i s o l é e a u b o u r g , p u i s à l a p e t i t e v i l l e . L a c u l t u r e r u r a l e e s t c e r e l a t i o n n e l , o b j e c t i v é p a r u n e n v i r o n n e m e n t u r b a n i s t i q u e q u i e s t d e v e n u l a d o u c e F r a n c e : u n p e t i t v i l l a g e , u n e é g l i s e , u n e m a i r i e , u n b i s t r o t , l e t o u t s u r u n e p l a c e t t e e t l a c a m p a g n e

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L a bê t e s a u v a g e Métamorphose de la société capitaliste et stratégie révolutionnaire

Michel Clouscard

La Bête sauvage, débridée et insatiable, c'est l'image choisie par Hegel pour désigner la société civile lorsqu'elle n'est plus qu'un marché, lorsque se réalise l'hégémonie du libéralisme (ou néo-libéralisme). Alors, le conditionnement capitaliste devient tout-puissant... Comment se fait-il que cette métamorphose économique et spirituelle, effectuée par la société française au cours des dernières décennies, soit totalement incomprise, prétexte à toutes les méprises, non-dit et non- su d'une époque qui croit tout dire et tout savoir ? La prétendue dénonciation de la prétendue « société de consommation » par les prétendus freudo-marxistes n'a été que le meilleur camouflage de la Bête sauvage. L'idéologie du néo-capitalisme veut que son libéralisme libertaire soit confondu avec la liberté humaine. Mais l'une des raisons essentielles de la méconnaissance de la nouvelle société ne réside-t-elle pas dans la dogmatisation du marxisme, responsable d un important retard théorique (retard au demeurant souligné par le 24e Congrès du PCF) ? Le dogmatisme a engendré un très curieux phénomène d'archaïsme polémique : toute la vie culturelle et politique s'est agglutinée sur la défense ou la condamnation d'une autre société, d'une autre époque, d'une autre économie politique, d'une autre stratégie révolutionnaire. Débusquer la Bête sauvage sera définir l'ultime lutte des classes, celle de l'affrontement de la stratégie capitaliste du pourrissement de l'histoire et de la stratégie révolutionnaire en pays « post-industrialisé ».

Michel Clouscard est professeur de sociologie à l'université de Poitiers. Il a déjà publié l'Etre et le Code (Mouton, 1972) ; Néo-fascisme et Idéologie du désir (Denoël, 1973) ; le Frivole et le Sérieux (Libres- Hallier, 1978). L'originalité et la perspicacité de ses démarches ont été particulièrement remarquées lors de la sortie du Capitalisme de la séduction (Editions sociales, 1982) qui a été un important succès de librairie.

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