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LA LOI D’ORIENTATION RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LES EXCLUSIONS DU 29 JUILLET 1998 Sophie Dion-Loye Le Seuil | « Le Genre humain » 2002/2 N° 38-39 | pages 113 à 130 ISSN 0293-0277 ISBN 9782020558068 DOI 10.3917/lgh.038.0113 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-genre-humain-2002-2-page-113.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil. © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Le Seuil | Téléchargé le 24/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Le Seuil | Téléchargé le 24/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

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LA LOI D’ORIENTATION RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LESEXCLUSIONS DU 29 JUILLET 1998

Sophie Dion-Loye

Le Seuil | « Le Genre humain »

2002/2 N° 38-39 | pages 113 à 130 ISSN 0293-0277ISBN 9782020558068DOI 10.3917/lgh.038.0113

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-le-genre-humain-2002-2-page-113.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Sophie Dion-Loye

La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions du 29 juillet 1998

L’exclusion est une violence1. Elle entraîne la perte d’estime de soiparce qu’elle ne permet pas de tenir les responsabilités de tout êtrecapable d’aimer, de parler, d’agir de concert avec d’autres. L’exclusion détruit et, parfois même, elle tue. Elle tue cette femme

qui meurt asphyxiée dans son appartement. Elle tue le vieillard seuldont on découvre la mort dix jours plus tard. Elle tue le sans-abri,l’hiver.Une loi pour faire face à cette violence qui tue? Oui, mais pas une

loi ordinaire. La genèse et les mots de la loi en sont le témoignage.

La genèse de la loi

Née des rapports du père Joseph Wresinski et de Mme Genevièvede Gaulle Anthonioz, la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative àla loi contre les exclusions est l’aboutissement de la vigilance, destalents d’explication, de la compétitivité de très nombreuses associa-tions engagées de longue date dans la lutte contre l’exclusion.Le législateur s’y est repris à trois fois pour donner vie à ce projet.

Le texte avait été préparé par le gouvernement Juppé et partiellementdiscuté avant la dissolution de l’Assemblée nationale, en 1997. Il aété modifié lors des débats parlementaires puis voté à la quasi- unanimité. Un tel consensus n’est pas forcément gage d’effectivité dela loi. Beaucoup de dispositions quasi unanimes peuplent le cime-tière des lois.

Cette loi monumentale comporte 159 articles, concerne la plupartdes ministères et est contresignée par quatorze d’entre eux. Elle modi-fie le droit civil, le droit de l’urbanisme, le droit de la consommation,celui de la santé publique, du travail; elle modifie encore le Code géné-

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ral des impôts, le Code pénal, le Code rural. On mesure les inconvé-nients et les difficultés d’un tel texte: la longueur de son élaboration,son aspect catalogue en particulier. Cette loi est une loi-panoplie. Dès lors, elle peut paraître compliquée, difficile d’accès pour ceux

qu’elle est censée protéger. Les pauvres n’aiment pas le droit et lesjuristes. Ils estiment que la loi ne les aide pas, mais qu’elle les persé-cute, qu’elle permet les saisies, l’expulsion. Cette loi est faite pour lespauvres. Le premier objectif de ce texte n’aurait-il pas dû être derendre le droit plus lisible? Mais, au-delà de la présentation matérielle, du contenu de la loi,

cette loi est inspirée par une pensée unique. Elle est emmenée parune idée puissante, la lutte contre l’exclusion.

Les mots de la loi

L’article 1er de la loi du 29 juillet 1998 d’orientation relative à lalutte contre les exclusions énonce dans ses premiers mots: «la luttecontre les exclusions est un impératif national fondé sur le respect del’égale dignité de tous les êtres humains et une priorité de l’ensembledes politiques publiques de la nation».S’il faut se méfier de l’exorcisme verbal et ne pas se donner bonne

conscience avec des mots, ceux de l’article 1er évoquent une déclara-tion de principe. Ils résonnent comme un rappel à l’ordre.

Une loi d’orientation

Cette loi est conçue comme une loi-programme pour l’Union euro-péenne et pour la France.Loi-programme pour l’Union européenne, elle développe les prin-

cipes du droit communautaire. La lutte contre les exclusions est aussiun impératif communautaire. L’Union européenne, dans l’article 1er

de l’accord social annexé au traité de Maastricht, érige la lutte contreles exclusions au rang de ses objectifs. Est retenue au sein de l’Union,comme en témoigne le programme «pauvreté», «une approche multi -dimensionnelle, partenariale et participative». La loi du 29 juillet 1998associe très fortement ces trois idées. Elle est le reflet en droit internede cette conception européenne de l’exclusion2.Loi-programme pour la France, elle invite le législateur futur à

prendre un certain nombre de mesures dans divers domaines, qu’elleprécise: sa mise en application passe par l’adoption de trente-deuxdécrets en Conseil d’État, de vingt-sept décrets simples et d’un certainnombre de circulaires. Désormais, la lutte contre les exclusions est

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une obligation nationale et une priorité de l’ensemble des politiquespubliques de la nation pour les années à venir. La lutte contre l’exclu-sion est le passage obligé de toute intervention de l’État pour la poli-tique future: cette loi fixe les principes d’un programme triennal deprévention et de lutte contre l’exclusion pour les années 1998 à 2000.

Il y a des milliers d’années qu’on parle des pauvres, mais il n’y aguère que depuis vingt ans que l’on évoque les exclus3. On définitl’exclu sion comme un retranchement, une interdiction que l’on signi-fie à des individus d’accéder à la société. L’exclusion résulte le plussouvent de ruptures cumulées avec les ancrages sociaux essentiels quesont le travail, la famille ou le logement.La pauvreté comporte toujours un élément objectif, l’insuffisance

de ressources, associé à un élément subjectif, l’exclusion. En ce sens,l’exclusion est cause et conséquence de la pauvreté. L’exclusion estl’image sociale de la pauvreté. À l’aspect objectif de la pauvreté s’ajoutel’effet d’exclusion résultant pour les pauvres du non-exercice desdroits élémentaires. L’exclusion révèle la mise à l’écart, la distance, laprivation, le silence. Cette mise à l’écart transforme les victimessociales en coupables.

L’égale dignité

Paul Roubier, dans sa Théorie générale du droit 4, estimait qu’unehumanité déshéritée est une humanité déchue dont la dignité n’estpas préservée. Pourtant la loi n’évoque pas seulement la dignité, maisl’égale dignité.

Il y a toujours eu des modes dans le droit. On pourrait avoir la ten-tation de penser que la référence aujourd’hui fréquente au conceptde dignité relève d’une mode5. En réalité, ce concept n’est pas nou-veau. Il est réactualisé aujourd’hui pour donner un fondement autissu social.Au-delà des utilisations parfois faciles et abusives du mot, la dignité

est la reconnaissance de l’appartenance au genre humain. Cettenotion est le fondement des droits de l’homme. Elle en est la matrice.Au cours des siècles, dans toutes les grandes traditions religieuses ouhumanistes, on trouve à des degrés différents le référent de la dignitécomme justification des droits de l’homme. C’est en effet lorsque desatteintes ou des menaces d’atteinte à la personne humaine sont réali-sées ou susceptibles de l’être que ce principe est expressément inscritdans les normes juridiques. Le Préambule de la Constitution de 1946en est le témoignage: «[…] au lendemain de la victoire remportée par

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les peuples […] sur les régimes qui ont tenté d’asservir et dégradé lapersonne humaine, le peuple français proclame à nouveau que toutêtre humain sans distinction ni de race ni de croyance possède desdroits inaliénables et sacrés6.»

L’égale dignité est donc le référent des droits de l’homme. L’article1er de la Déclaration universelle des droits de l’homme énonce: «Tousles hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et endroits.» Ainsi la liberté et l’égalité, reconnues en 1789, seraient subsu-mées par la dignité: c’est l’égale dignité qui permet la liberté, le pleinexercice des droits de l’homme. L’égale dignité de la loi contre lesexclusions n’est pas une dignité au rabais7. Il n’y a pas de «sous-per-sonnes8». Les exclus doivent exercer effectivement leurs droits. C’est pourquoi l’égale dignité, confrontée à l’exclusion, n’est pas seu-

lement une égalité matérielle à laquelle il faudrait tendre, mais uneégalité formelle en droits. La décision du Conseil d’État sur les lancersde nains en est le témoignage: «le respect de la dignité de la personnehumaine ne saurait s’accommoder de quelques concessions en fonc-tion des appréciations subjectives que chacun peut faire à son sujet9».

Vaincre l’exclusion matérielle n’est pas le seul but de la loi contreles exclusions. Est principalement prise pour cible l’exclusion sociale,la violence sociale, qui empêche le plein exercice des droits fon -damentaux.Par conséquent, le but du législateur n’est pas de prendre des

mesures spécifiques pour créer un droit de la pauvreté, un droit desvictimes de la concurrence économique. Le risque d’un tel parti prisserait d’établir des statuts différenciés, une sorte de communauta-risme, une fracture juridique qui, sous prétexte d’effacer la fracturesociale, la gèlerait et l’aggraverait. L’égale dignité empêche la créationd’une population de seconde zone10. D’ailleurs, on voit mal comment on pourrait élaborer un statut de

l’exclu tant cette notion exprime un processus évolutif: c’est peu à peu,par étapes successives et souvent irréversibles, qu’on devient chô-meur, puis surendetté, pauvre, et enfin exclu. Des mesures catégo-rielles ne permettraient pas aux droits de l’homme de devenir uneréalité effective face à l’extrême misère: on fait l’aumône au pauvre,on l’assiste. Peut-être cela donne-t-il bonne conscience?Il n’y a de fait dans le texte aucune référence à la notion d’assis-

tance11. Aucune trace de paternalisme ou de tutelle, sous quelqueforme que ce soit. Les exclus dans la loi ne sont pas redevables oucoupables. Ils sont considérés comme des sujets de droit et noncomme des objets de mesures. Tels sont profondément la pensée car-

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dinale et le vecteur fondamental de cette loi contre l’exclusion.Par conséquent, l’esprit, au-delà du texte, est d’agir sur tous les

leviers, sur tous les pans du droit, afin d’éviter la rupture avec les droitsfondamentaux. S’il est matériellement impossible de faire l’inven tairede toutes les dispositions du texte, en revanche il est peut-être possibled’examiner ce droit nouveau et à venir, dans la perspective que le légis-lateur a voulu adopter: faire de celui qui est exclu un sujet de droitcomme les autres par l’affirmation des droits fondamentaux et par lareconnaissance d’un droit commun applicable à tous12.

Je me propose donc, au-delà du texte mais par le texte, d’examinersi le pari du législateur a été tenu, mais également si des dérives pos-sibles ne sont pas contenues dans le texte même. Je procéderai à cetexamen critique en suivant l’ordre de la loi. Sous forme d’un triptyque,le législateur prévoit l’accès aux droits (dispositions intitulées «De l’ac-cès aux droits»), puis vise à prévenir la privation des droits (disposi-tions concernant «La prévention des exclusions»), avant d’impliquertous et chacun (dispositions intitulées «Des institutions sociales»)pour donner vie au pacte social.

De l’accès aux droits

L’alinéa 2 de l’article 1er énonce: «La présente loi tend à garantir surl’ensemble du territoire l’accès effectif de tous aux droitsfondamentaux dans les domaines de l’emploi, du logement, de la pro-tection de la santé, de la justice, de l’éducation, de la formation et dela culture, de la protection de la famille et de l’enfance.» Cette listepourrait être comprise comme exhaustive et limitative. En réalité, ellen’est qu’indi cative: on ne peut pas lire la notion de droit fondamentalautrement.

Parce que la personne humaine est indivisible, l’essence de sesdroits l’est aussi. Les droits fondamentaux sont indivisibles parcequ’ils se rapportent à l’homme, qui est le fondement de tout droit13. Iln’y a pas de division possible: leur reconnaissance traverse tout l’ordrejuridique. Comment parler de retour à l’emploi si, par ailleurs, lemaintien dans un logement est aléatoire? Comment construire un ave-nir professionnel lorsque la santé est déficiente et que l’accès aux soinsn’est pas assuré14?L’immense défi de cette loi est de tenter pour la première fois de

peser en même temps sur tous ces leviers afin de permettre à chaquecitoyen de prendre sa place. Il est dès lors impossible d’évoquer toutes

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les dispositions permettant l’exercice effectif des droits fondamentauxdans tous les domaines que vise la loi.Les domaines de l’emploi et du logement sont visés en premier lieu15.

Ce n’est sans doute pas un hasard. L’accès au travail et celui au logementsont les premiers droits qui permettent l’insertion. Parmi toutes lesmesures concernant l’exercice de ces droits, le pari du législateur – fairedes exclus des sujets de droit comme les autres – est-il tenu?

Le domaine de l’emploi

La loi favorise ou permet l’accès à l’emploi par des dispositionsvisées aux articles 3 et 29.Montesquieu avait dit: «Un homme n’est pas pauvre parce qu’il n’a

rien mais parce qu’il ne travaille pas.» Geneviève de Gaulle Anthoniozconsidérait dans son rapport que la perte de l’emploi constitue la pre-mière étape de la désocialisation16. Ces propos illustrent le caractèreessentiel du travail. Il n’assure pas seulement un revenu pour vivre,ce dont le caractère alimentaire du salaire est certes la preuve, maisencore il joue un rôle social. Certes, le travail exclut la pauvreté matérielle. La loi sur le RMI

reprend la formule constitutionnelle de 1946, qui énonce que «toutepersonne qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, dela situation de l’économie et de l’emploi, se trouve dans l’incapacité detravailler, a le droit d’obtenir des moyens convenables d’existence». Àdéfaut de travail, le RMI tente d’assurer un revenu de remplacementpour survivre, mais pas pour vivre. Déjà, pour éviter les effets perversde l’assistance, cette allocation impose un devoir d’insertion.La loi contre les exclusions reprend les termes d’impératif national

pour affirmer que l’insertion par le travail est la première voie contrel’exclusion. Elle n’entend pas élargir le domaine d’application desbénéficiaires d’un revenu de subsistance. L’idée d’étendre le RMI auxjeunes de 18 à 25 ans, donc de les enfermer dans l’assistance dès lespremiers moments de leur vie active, a été écartée.

L’insertion dans le monde du travailL’optique du législateur est en effet que toutes les mesures relatives

à l’emploi soient orientées vers l’insertion dans le monde du travail.C’est pourquoi le législateur crée de nouveaux cas de recours aucontrat à durée déterminée, élargissant ainsi le domaine des contratsaidés. Tel est l’objectif, non seulement pour les jeunes17 mais aussipour les adultes en difficulté18. Avoir choisi la voie du contrat traduit ici encore la prise en compte

de l’égale dignité: le contrat permet une relation juridique entre

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sujets libres. L’idée de départ est séduisante. Mieux vaut utiliser l’argent des allocations pour financer des stages, des formations etsubventionner les embauches, plutôt que de les distribuer passive-ment aux chômeurs.

Des salariés sous contrats aidésLe risque est cependant d’aboutir à une augmentation du nombre

de salariés pauvres. Leur nombre ne cesse de s’accroître aux États-Unis et la France n’est plus épargnée par ce phénomène.Il n’y aura plus deux marchés du travail19: les salariés sous contrat

de travail à durée indéterminée, les salariés sous contrat à durée déter-minée, mais un troisième marché: les salariés sous contrats aidés.En outre, il est à craindre que ce système des contrats aidés n’insti-

tutionnalise les offres d’insertion selon un critère administratif d’em-ployabilité:– aux jeunes en difficulté: contrats en alternance;– aux personnes présentant des difficultés objectives et durables

d’accès à l’emploi, en particulier titulaires des minima sociaux, lescontrats emploi-solidarité.Bref, à chaque catégorie de public sa mesure. Les critiques sont

sans doute faciles. Elles mettent en exergue les défauts communs auxpolitiques d’emplois, à défaut d’un travail pour tous.

Pour pouvoir accéder à l’emploi, encore faut-il disposer d’uneadresse où l’on pourra vous joindre; les mesures relatives à l’accès aulogement, plus encore que l’accès à l’emploi, marquent l’originalitéde cette loi.

L’accès au logement

On retrouve dans le droit au logement la double figure du droit dutravail. Le logement est un besoin matériel et vital, mais il constitueaussi un point d’ancrage social. L’absence de logement, c’est à courtterme l’éclatement de la cellule familiale, le placement éventuel desenfants, l’impossibilité de trouver un travail, les solutions temporairesd’hébergement, le provisoire permanent, la dépendance vis-à-vis desservices sociaux, la perte de domiciliation, et donc la fin des droits.Le droit au logement, contrairement au droit au travail, n’est pas

visé par les textes constitutionnels français. Un certain nombre detextes internationaux, en particulier la Déclaration des droits del’homme de 1948, y font cependant expressément référence. Sa recon-naissance incontestable résulte de la jurisprudence du Conseil consti-tutionnel. En 1990 il avait été énoncé que le logement des personnes

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défavorisées répondait à une exigence d’intérêt national20. En 1995,le juge constitutionnel, après avoir considéré «qu’il ressort duPréambule de la Constitution de 1946 que la sauvegarde de la dignitéde la personne humaine contre toute forme de dégradation est unprincipe à valeur constitutionnelle», énonce «qu’il résulte de ces prin-cipes que la possibilité pour toute personne de disposer d’un logementdécent est un objectif à valeur constitutionnelle»21.Ainsi, depuis 1995, en France, le droit au logement est un objectif

constitutionnel fondé sur l’égale dignité de la personne humaine.Mais, comme le dit Jean Carbonnier, à propos de la reconnaissancede ce droit: «[…] c’est peut-être les reflets d’un devoir qui nous a donnél’illusion d’un droit22.»C’est précisément pour tenter de donner vie à ce principe que, dans

son Titre II, aux articles 30 à 66, la loi contre les exclusions pose uncertain nombre de mesures, non seulement pour un individu maisaussi pour sa famille23. L’on sait cependant que la famille, prise entant que telle, n’est pas titulaire de droits. Cependant, avant même levote de cette loi, le juge judiciaire n’hésitait pas à tenir compte de lanécessaire protection de la famille et de l’enfance pour différer l’expulsion24.Les dispositions qui figurent dans la loi sont nombreuses: il s’agit

d’accroître l’offre de logement (articles 30 et suivants), de favoriserl’accès au logement (articles 44 et 45), d’améliorer l’attribution deslogements sociaux (article 56), de protéger les droits des occupants(article 125) ou de lutter contre le saturnisme infantile (article 123).Parmi ces mesures, les premières permettent l’accès au droit au

logement, tandis que les secondes donnent corps au droit à un loge-ment décent.

Accès au droit au logementPour favoriser l’accès au droit au logement, une taxe sur les loge-

ments vacants a été instituée, ainsi qu’une procédure de réquisitionavec attributaire25. L’expression «locaux vacants» utilisée dans cettedernière disposition est bien plus extensive que l’appellation «loge-ment vacant» qui est le critère d’application de la taxe annuelle: ainsipeuvent être réquisitionnés non seulement d’anciens locaux d’habita-tion mais aussi divers locaux professionnels ou commerciaux.La dissimulation de vacance de locaux, ou encore la destruction, la

dégradation ou la détérioration dans le but de faire obstacle à uneréquisition avec attribution, sont punies, en vertu de l’article L 642-28-1 du Code de la construction et de l’habitation, d’une peine d’un and’empri sonnement et de 100 000 F (15 244,90 ) d’amende, sanscompter l’exécution des travaux de remise en état aux frais du

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condamné qui peut également être ordonnée par le tribunal.La loi contre les exclusions, par cette procédure de réquisition en

particulier, institue des moyens réels pour permettre l’accès au loge-ment. Par cette disposition, une conciliation entre le droit à la pro-priété et celui au logement est établie au profit du second, allant versla reconnaissance d’une fonction sociale du droit de propriété. Ildépendra du juge que soit opérée cette conciliation. Cette procédurede réquisition peut rester symbolique. Permettra-t-elle véritablementl’accès au logement? Ce n’est pas certain, surtout si l’on sait que lesplus pauvres n’ont déjà qu’un accès des plus limité au logementsocial26.

Mais l’accès au logement est une chose, encore faut-il que ce loge-ment permette une existence décente compatible avec l’égale dignité.

Accès à un logement décentPour illustrer la volonté du législateur de permettre l’accès à un

logement décent, on peut citer l’article 124 de la loi qui vise à luttercontre les marchands de sommeil. Certains hôtels meublés peuventservir à l’hébergement provisoire de personnes en grande difficulté.Les propriétaires de ces établissements sont passibles de sanctionslorsque, dit la loi, ils soumettent une personne à des conditions detravail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, enabusant de sa vulnérabilité ou de sa situation de dépendance.À la marge du droit à l’habitat et du droit à la santé, les dispositions

contre le saturnisme concernent également la décence du logement.La cause principale du saturnisme infantile réside dans les peinturesau plomb. La maladie est transmise par les poussières ou les écaillesde peinture au plomb dégradées de certains appartements anciens.Elle frappe particulièrement les enfants de 2 à 3 ans parce que c’est àcet âge que les enfants procèdent à l’exploration de l’espace. Lesenquêtes épidémiologiques montrent que la maladie apparaît plusparticulièrement chez les enfants de milieux socio- économiques défa-vorisés, vivant en habitat ancien dégradé, généralement surpeuplé. Laloi prévoit une procédure d’urgence en cas de découverte d’un cas desaturnisme chez une personne mineure et donne au préfet le pouvoird’ordonner au propriétaire de l’immeuble les travaux à exécuter.

Garantir l’exercice effectif des droits est une chose. Mais ne faut-ilpas, pour ceux qui sont en marge de l’exclusion, éviter les trappes quifont tomber dans l’exclusion? Si les mesures concernant l’accès aux droits fondamentaux sont

parfois symboliques, voire inefficaces à moyen terme en raison des

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effets pervers qu’elles induisent, en revanche les mesures visant à pré-venir l’exclusion des droits sont le plus souvent simples, utiles etfaciles à mettre en œuvre.

La prévention des exclusions

La prévention, c’est la lutte en amont contre la spirale de l’exclusion.La prévention s’exerce dans les mêmes domaines que les dispositionsinstituées pour permettre l’accès aux droits: les poches d’exclu sionsont l’absence de travail, l’expulsion du logement, l’éclatement d’unefamille, l’isolement face au groupe. La loi a donc pris, dans chacun deces domaines, des mesures spécifiques en tenant compte du momentoù elles peuvent être mises en œuvre.

Faire face à l’urgence sociale

À court terme, le législateur a institué un certain nombre demesures. On peut citer entre autres: – Le versement d’aides financières d’urgence. La loi institue des

commissions départementales de l’action sociale d’urgence. L’objectifest en quelque sorte d’instituer un guichet unique pour éviter la pertedes droits ou, au contraire, pour savoir que des droits existent.– L’extension du dispositif de veille sociale et de premier secours27.– La prévention de la séparation des familles et la tentative de

sauvegarder les liens familiaux. La séparation des enfants de leursparents est un mal absolu. Le placement pour «carence éducative» ou«carence affective» sont des mesures qui frappent de plein fouet lespersonnes en difficulté. En effet, il semble que ces qualifications decarence éducative ou affective ne soient guère utilisées pour lesfamilles non pauvres. Les articles 134 et 135 de la loi tentent d’éviterqu’à la précarité ne s’ajoute l’éclatement familial. – Le maintien des services fondamentaux. L’article 136 de la loi pré-

serve la fourniture des besoins essentiels dans le logement: «Toutepersonne ou famille rencontrant des difficultés particulières du faitd’une situation de précarité a droit à une aide de la collectivité pouraccéder ou pour préserver son accès à une fourniture d’eau, d’énergieet de services téléphoniques.»

Faire face aux poches d’exclusion

L’octroi d’un revenu de subsistance est un droit fondamental et unmal nécessaire. Prise entre ces deux maux, la loi tente un compromis:

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elle n’élargit pas le champ d’application du RMI28, mais elle en assou-plit le régime. Le RMI est traité dans la loi non pas comme une actionde secours mais comme un acte producteur de civisme.Ne pas pouvoir faire face aux dépenses de la vie quotidienne, c’est

s’exposer à des dettes suivies de saisies. Il convenait de protéger cer-taines ressources de ce risque afin de garantir à leurs bénéficiaires unminimum de revenu. Dans ce but, plusieurs mesures ont été prises:La loi proclame l’insaisissabilité et l’incessibilité des allocationsd’inser tion et de solidarité. De même, elle permet le cumul entre lesminima sociaux et les revenus d’activité.

Le surendettement

Il faut s’arrêter quelques instants sur les dispositions sur le suren-dettement, qui ont pour but de maintenir un revenu de subsistance.

Le surendettement est une mesure de redressement judiciaire civilpour les débiteurs qui ne peuvent plus faire face à leurs dettes. Cettedisposition a été introduite dans notre droit en 1989 et modifiée dansson aspect procédural en 1995. Dans l’intention du législateur, cesmesures avaient été prises pour ceux qui se trouvaient dans l’impos-sibilité de satisfaire à leurs besoins vitaux29. Cependant, l’applicationde cette loi a eu des effets pervers. Si le surendetté est un pauvre, unexclu, il ne sera finalement pas admis au bénéfice de cette procédure.Une distinction a été établie entre surendetté actif et surendetté

passif. Le surendetté était compris comme un débiteur solvable30. L’absence de solvabilité, l’insuffisance de ressources étaient telles que,le plus souvent, les exclus ne bénéficiaient pas de ces dispositions,alors que la loi sur le surendettement avait été instituée, selon sonauteur, «pour faire face à des situations dramatiques et d’urgencesociale».

La loi contre les exclusions prend désormais en compte non seule-ment le surendetté actif mais aussi le surendetté passif, celui qui nepeut plus faire face aux dettes de survie. Trois séries de mesures sontprévues, en amont de la procédure, en cours de procédure31, et en avalde la procédure. Nous n’évoquerons que les dispositions nous parais-sant les plus notables.En amont, remarquons l’institution d’un «reste à vivre». Ce «reste à

vivre» est exclu de la procédure de surendettement. Quel que soitl’aboutissement de la procédure ou sa durée, une part des ressourcesnécessaires aux dépenses courantes échappe au gage des créanciers.Le montant du «reste à vivre» n’a pas été strictement défini.

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L’expression parle d’elle-même et il a été admis que ce seuil ne peutêtre inférieur au revenu minimum d’insertion dont disposerait leménage. Il est équivalent aux dispositions du Code du travail quifixent la portion insaisissable du salarié. Cette disposition nouvellecorrespond à une idée de bon sens: si une personne ou un ménagesurendetté n’a plus aucun minimum vital, sa possibilité d’honorer sesdettes est impossible. Il faut noter que ce «reste à vivre», non seule-ment est exclu des créances dans la procédure de surendettement,mais encore fait partie des créances qui échappent au gage des créan-ciers dans un contrat de cautionnement32. En aval, on trouve la possibilité de réduire ou d’effacer tout ou par-

tie des dettes. Cette disposition a été très largement commentée, sansdoute parce qu’elle permet, comme le disait le doyen Ripert «de nepas payer ses dettes33». Cette nouvelle mesure heurte la force obliga-toire du contrat au profit d’une justice plus distributive.Pour l’essentiel, ces dispositions sont visées à l’article 93 de la loi:

«Lorsque la commission constate l’insolvabilité du débiteur caracté-risée par l’absence de réserves ou de biens saisissables de nature àpermettre d’apurer tout ou partie de ses dettes, elle peut recommanderla suspension de l’exigibilité des créances, autres qu’alimentaires oufiscales, pour une durée qui ne peut excéder trois ans.» Il est ajouté:«Sauf proposition contraire de la commission, la suspension de lacréance entraîne la suspension des intérêts dus à ce titre.»Dans un second temps, c’est-à-dire à l’issue du délai de trois ans, la

commission va réexaminer la situation du débiteur. Si celui-cidemeure insolvable, l’effacement total des créances autres qu’alimen-taires ou fiscales peut être recommandé par la commission. Enfin, ilest indiqué qu’«aucun nouvel effacement ne peut intervenir, dans unepériode de huit ans, pour des dettes similaires à celles qui ont donnélieu à un effacement».Plusieurs remarques peuvent être faites sur ces nouvelles mesures:

la loi vise largement les dettes qui peuvent être effacées. Il ne s’agitplus seulement des dettes professionnelles mais des dettes de toutenature. L’exclusion des dettes alimentaires, c’est-à-dire en particulierde la contribution à l’entretien des enfants en cas de séparation,démontre s’il en était besoin que la solidarité familiale prime sur lasolidarité sociale34. La condition de similarité, exigence pour un nou-vel effacement des dettes à l’issue des huit ans, est très vague. Ellelaissera tout pouvoir d’interprétation au juge de l’exécution.

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Le faible, le pauvre et le contrat

Ces dispositions sur le surendettement marquent une avancéenotable de la prise en compte de la partie faible, en particulier dans ledroit des contrats. L’endetté est pris en compte à court terme pour uneffacement provisoire de ses dettes, mais aussi à moyen terme pourleur effacement définitif. Ces restrictions aux droits des créancierssont inspirées par l’idée que le surendettement peut être une consé-quence de la légèreté du créancier.On peut regretter, sur ce point, que la loi n’ait pas pris de mesures

véritables pour prévenir l’endettement à long terme. Le surendette-ment passe aussi par la responsabilité des organismes de crédit quine peuvent plus ignorer les situations de surendettement35.

Garantir, prévenir, mais impliquer tout le monde et chacun. Làencore, les mots de l’article 1er ne sont pas seulement une déclarationde principe: «impératif national, priorité». La loi du 29 juillet 1998 endonne la traduction concrète en prévoyant certaines mesures précises.

Des institutions sociales: l’implication de tous et de chacun

L’article 1er de la loi, après avoir érigé la lutte contre les exclusionsen impératif national et comme priorité de l’ensemble des politiquespubliques de la nation, énonce en quelque sorte un devoir d’implica-tion de tous et de chacun.La participation de l’État, des établissements publics, des institu-

tions civiles et des acteurs de l’économie sociale est requise par lelégislateur.

L’État et les établissements publics

L’alinéa 3 de l’article 1er indique que «l’État, les collectivités territo-riales, les établissements publics, les organismes de sécurité socialeainsi que les institutions sociales et médico-sociales participent à lamise en œuvre de ces principes».En particulier, la loi, dans son Titre III intitulé «Des institutions

sociales», a créé deux institutions sociales nouvelles: – auprès de chaque département, un comité départemental de coor-

dination des politiques et de lutte contre les exclusions (article 155); – au niveau national, un observatoire national de la pauvreté et de

l’exclusion (article 153).

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Ces institutions administratives font partie du paysage juridiquedepuis plus de cinquante ans et le législateur les institue dans lesdomaines sensibles.Ces autorités peuvent s’attribuer un rôle plus ou moins important:

elles se constituent comme des autorités morales ou consultatives, oumême normatives36. Dans ce dernier cas, elles peuvent exercer un pou-voir réel sur l’avancée du droit. Il est trop tôt pour dire, par exemple,quelle sera l’influence de l’observatoire national sur la pauvreté sur ledroit à venir.

Les institutions civiles

L’alinéa 6 de l’article 1er indique que «les entreprises, les organisa-tions professionnelles ou interprofessionnelles, les organismes deprévoyance, les groupements régis par le Code de la mutualité, lesassociations qui œuvrent notamment dans le domaine de l’insertionet de la lutte contre l’exclusion» concourent à la réalisation de cesobjectifs.Est-il utile, par exemple, de rappeler le rôle que mènent les associa-

tions caritatives et les mouvements dans la lutte contre les exclusions?Bien que situées à la marge du droit, ces institutions ont fait avancerle droit. Elles luttent pour la reconnaissance, au travers de l’égaledignité, des droits fondamentaux aux plus pauvres d’entre nous.La loi avait, en revanche, besoin de prévoir une disposition contrai-

gnante pour que les chômeurs puissent faire partie d’un syndicat. Lesmouvements de chômeurs, il y a trois ans, ont montré l’impérieusenécessité de leur représentation. Au Titre III de la loi, intitulé«Exercice de la citoyenneté», la loi, en son article 78, supprime la dis-position de l’article L 411-7 du Code du travail, qui permet l’adhésionsyndicale à partir du moment où l’on a exercé une activité profession-nelle pendant un an au moins. À l’heure où l’on parle tant de la réduc-tion du temps de travail, les syndicats professionnels peuvent aussi semobiliser en faveur d’un partage, non pas du temps de travail, maisdu travail lui-même. Le droit du travail n’est-il pas le meilleur exempled’un droit acquis sur les barricades?

Mais surtout l’article 1er annonce dans son alinéa 3 que «l’ensembledes acteurs de l’économie sociale concourt à la réalisation de cesobjectifs». On sait qu’aujourd’hui, par exemple, le secteur de l’écono-mie sociale se développe grâce au bénévolat: les comités d’entre prise,au titre des activités sociales et culturelles, participent à l’insertiondes chômeurs et aident leurs familles. C’est la notion d’entre prise deproximité qui se développe.

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Chaque citoyen

Enfin, la loi cite le citoyen qui, lui-même, doit concourir à la réali-sation des objectifs législatifs.On ne manquera pas de citer, ici, les propos du père Wresinski: «Les

plus pauvres nous le disent souvent: ce n’est pas d’avoir faim, de nepas savoir lire, ce n’est même pas d’être sans travail qui est le piremalheur de l’homme. Le pire des malheurs est de vous savoir comptépour nul, au point même que vos souffrances sont aggravées37.»Chacun d’entre nous, dans ses limites, avec ses moyens, doit participerà l’insertion de celui qui est exclu. C’est un rappel au contrat social telque l’avait formulé Rousseau, et tel que l’exprimaient encore LéonBourgeois et le solidarisme dans la Troisième République, proclaméeRépublique sociale: «Il y a pour chaque être vivant dette envers leshommes vivants, à raison et dans la mesure des services à lui rendrepar l’effet de tous38.»La loi contre les exclusions marque, à cet égard, une avancée de

première importance surtout parce que, par le vecteur de l’égaledignité, elle tourne le dos à l’assistance pour ouvrir la voie aux droitsmais aussi aux responsabilités. Pour sortir de cette violence sociale,cette loi est un instrument pour tous et pour chacun: elle est une nou-velle chance d’être citoyens ensemble. Mais, les plus pauvres le savent,aucun texte n’a jamais mis fin à la misère. De grandes lois peuvent lafaire reculer. Pourtant, aucune loi ne peut obliger à voir dans un autreêtre humain son frère, surtout quand il présente le visage de la pau-vreté, qui effraie. Les exclus sont le miroir de nos lâchetés. Alors, ondétourne les yeux, on baisse la tête.La solidarité peut fonder la loi. Seule une immense fraternité peut

lui donner sens. Le droit et les institutions ne sont pas des potionsmagiques39. On touche ici aux limites du droit.

NOTES

1. S. Dion-Loye, rapporteur sur «Les violences de la société», «Le temps des vio-lences», Entretiens de Nanterre, 15 et 16 octobre 1999.2. En ce sens, cf. Martine Aubry, discours devant l’Assemblée nationale lors de la

première lecture du projet de loi, le 5 mai 1998: «Le programme s’appuie égalementsur le travail mené à l’échelon européen, dans le cadre des engagements pris àLuxembourg.»3. Les exclus apparaissent dans l’espace public français en 1974 sous la plume de

René Lenoir, dont l’ouvrage s’intitule Les Exclus. Un Français sur dix, Paris, Éd. du

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Seuil (éd. augmentée et mise à jour, 1989). Selon l’auteur, ils ne constituent pas unecatégorie homogène puisqu’ils regroupent l’ensemble des laissés-pour-compte de lasociété française, tous ceux qui sont en marge de la normale. Sur l’exclusion lesouvrages sont nombreux; voir, par exemple, G. Lamarque, L’Exclusion, Paris, PUF,coll. «Que sais-je?», 1995.4. P. Roubier, Théorie générale du droit. Histoire des doctrines juridiques et philo-

sophie des valeurs sociales, Paris, Sirey, 1946.5. En ce sens, cf. B. Edelman, «La dignité de la personne humaine, un concept nou-

veau», Recueil Dalloz, 1997, Chronique, p. 185 sq.6. La référence à la dignité humaine est évidente. C’est d’ailleurs en invoquant ces

dispositions que, dans sa décision du 27 juillet 1994 relative à la loi sur la bioéthique,le Conseil constitutionnel a énoncé qu’«il en ressort que la sauvegarde de la dignité dela personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est unprincipe à valeur constitutionnelle».7. Sur le recours à la dignité comme moyen de vaincre l’exclusion au niveau com-

munautaire, cf. J. Fierens, «L’idéologie du contrat et les droits de l’homme», in Droit,pauvreté et exclusion, sous la dir. d’Ivan Dechamps, Bruxelles, Fondation Roi Baudoin,coll. «Citoyen, droit et société», 1998, p. 188.8. Cf. l’article «Mourir de froid pour garder sa dignité» (Libération, 28 novembre

1998). Pour ceux qui refusaient un abri, il a été dit: «Pourtant elles parlent, ces personnes.»9. CE, 27 octobre 1995, Ville d’Aix-en-Provence, RFDA, 1995, p. 1204.10. Le Monde du 24 janvier 1999 titrait: «Chômeurs, l’émergence d’un groupe

social». Il faut lutter contre cette déviance. Le droit ne doit pas ériger un corps derègles autonomes et établir un statut du chômeur ou du pauvre.11. En ce sens, cf. Martine Aubry, discours devant l’Assemblée nationale, précité:

«Il est, enfin, simplificateur et même dangereux de limiter la lutte contre l’exclusion àl’assistance. Si elle est nécessaire pour assurer un minimum de ressources à nos conci-toyens les plus en difficulté, elle ne permet pas de retrouver l’autonomie et la dignité.»Rappelons que les fondateurs de cette loi ont toujours voulu supprimer la référence àl’assistance. En ce sens, J. Wresinski, Vivre dans la dignité, Paris, Éd. Quart-Monde,1984; G. de Gaulle Anthonioz, La Grande Pauvreté. Évaluation des politiques de luttecontre la grande pauvreté, Conseil économique et social, 1995.12. M. Delmas-Marty, Pour un droit commun, Paris, Éd. du Seuil, 1996.13. Rapport présenté par R. Badinter et B. Genevois, président et secrétaire du

Conseil constitutionnel français à la 8e conférence des Cours constitutionnelles euro-péennes à Athènes, 7-10 mai 1990.14. Sur le droit à la santé, voir par exemple l’ouvrage collectif et récent de

l’INSERM, Précarisation, risque et santé, 2001, et la présentation de l’ouvrage, le 6mars 2001, par le ministre de la Recherche Roger-Gérard Schwartzenberg.15. Sur cette question, voir les contributions de G. Couturier et B. Mathieu. 16. G. de Gaulle Anthonioz, La Grande Pauvreté, op. cit.17. Les jeunes ont droit à un nouveau départ. Ainsi l’article 4 de la loi indique que

«tout chômeur âgé de 16 à 25 ans ou tout chômeur de longue durée ou rencontrantdes difficultés d’insertion a le droit à un accueil, un bilan de compétence et une actiond’orientation professionnelle afin de bénéficier d’un nouveau départ sous forme d’unappui individualisé ou d’un parcours vers l’emploi ou la création ou la reprise d’entre -prise». L’article 5 de la loi met en place le programme TRACE d’accompagnement personnalisé qui devrait toucher selon les objectifs du gouvernement environ 60 000jeunes pour les années à venir.18. Pour les demandeurs d’emploi adultes, on peut citer deux mesures essen-

tielles. D’une part, le recentrage des contrats aidés sur les publics les plus en diffi-culté: ainsi l’article 7 de la loi élargit-il le domaine des emplois-solidarité aux

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personnes les plus en difficulté. D’autre part, l’ouverture du contrat de qualificationnon plus seulement aux jeunes de moins de 26 ans mais aussi aux demandeurs d’emploi adultes. Ces mesures salutaires prennent en compte encore une fois ledouble aspect du droit fondamental du travail: être assuré d’un revenu minimum ets’insérer dans le travail. 19. A. Supiot, Critique du droit du travail, Paris, PUF, coll. «Les voies du droit»,

1994, p. 114.20. Le juge de la loi avait alors considéré que le logement des personnes défavori-

sées répondait à une exigence d’intérêt national (décision 90-274DC du 29 mai 1990,RFDC, 1990, p. 497, note H).21. Décision 94-359DC du 19 janvier 1995, Les Petites Affiches, 1995, n°68.22. J. Carbonnier, Les Biens, 19e éd. refondue, Paris, PUF, 2000, n°188.23. Certaines dispositions de la proposition de loi ont été invalidées par le Conseil

constitutionnel dans sa décision du 29 juillet 1998. En particulier, la disposition quiprévoyait, en matière d’expulsion, que, lorsque le représentant de l’État dans le dépar-tement accorde le concours de la force publique à l’exécution d’une décision émanantdu juge judiciaire, il s’assure qu’une offre d’hébergement, tenant compte autant quepossible de la cellule familiale, soit proposée aux personnes défavorisées. Cette dispo-sition prenait en compte le fait que l’accès au logement protège la famille et l’enfance,autres droits fondamentaux dont l’exercice doit être assuré par la loi. C’est essentiel-lement pour des raisons tenant à la force exécutoire d’une décision de justice et à l’atteinte portée à la séparation des pouvoirs que cette disposition a été déclarée nonconforme à la Constitution.24. En ce sens, cf. TGI Colmar, référé, 26 septembre 1997; voir aussi CA Paris, 17

octobre 1997, GP, 25 et 26 septembre 1998.25. L’article L 642-1 énonce en effet qu’«afin de garantir le droit au logement, le

représentant de l’État dans le département peut réquisitionner, pour une durée d’unan au moins et de six ans au plus, des locaux sur lesquels une personne morale esttitulaire d’un droit réel conférant l’usage de ces locaux qui sont vacants depuis plus dedix-huit mois, dans les communes où existent d’importants déséquilibres entre l’offreet la demande de logement, au détriment des personnes à revenus modérés et des per-sonnes défavorisées»; l’alinéa 2 ajoute que «la réquisition donne la jouissance deslocaux à un attributaire, à charge pour lui de les donner à bail à des personnes béné-ficiaires visées à l’article L 642-5».26. Une enquête du CREDOC publiée dans le journal Le Monde du 26 novembre

1999 relève qu’un allocataire du RMI sur cinq seulement en bénéficierait.27. L’article 157 de la loi institue dans chaque département un dispositif de veille

sociale afin de faire connaître les lieux d’accueil disponible; ces lieux d’accueil avaientdéjà été mis en place par certains mouvements et associations. L’objectif du législateurest d’assurer une meilleure coordination des demandes et de garantir une orientationadaptée des personnes.28. Sur ce point, cf. supra, p. 118.29. Déclaration Niertz, JO, AN, 6 décembre 1989, p. 5985; Bouteiller, JO, Débats

Sénat, 14 novembre 1989, p. 3213.30. La solvabilité suppose à la fois la volonté et la capacité de paiement du débiteur.

Si les exclus peuvent vouloir payer, ils n’en ont pas la capacité puisqu’ils ne peuventfaire face à leurs besoins premiers. Les revenus de subsistance dont ils bénéficientpermettent de pourvoir à ces besoins essentiels, mais les sommes versées sont insuf-fisantes pour désintéresser les créanciers: elles n’ont d’ailleurs pas ce but.31. Il s’agit par exemple de l’article 890 de la loi qui permet au débiteur d’être

entendu par la commission de surendettement. Sur ce point, cf. par exemple B. Sellier,«Le contexte de la réforme», Les Petites Affiches, 21 mai 1999, n°101; Pierre-LaurentChatain et Frédéric Ferrière, «Le nouveau régime de traitement du surendettement

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après la loi d’orientation n°98-657 du 29 juillet 1998, relative à la lutte contre les exclu-sions», Recueil Dalloz, 1999, Chronique, p. 287.32. Article 103 de la loi qui modifie ainsi l’article 2024 du Code civil.33. G. Ripert, «Le droit de ne pas payer ses dettes», DH, 1936, p. 57.34. Sur ce point, S. Dion-Loye, Les Pauvres et le Droit, Paris, PUF, coll. «Que sais-

je?», 1997, p. 101 sq.35. Sur ce point, cf. A. Ghozi et S. Dion, «L’obligation d’information et de conseil

du banquier à l’égard des personnes aux revenus modestes», Revue d’économie finan-cière, n°58, 2000, sur l’exclusion bancaire.36. Voir par exemple F. Terré, Introduction générale au droit, Paris, Dalloz, 5e éd.,

2000, p. 200, n°244 sq.37. J. Wresinski, Vivre dans la dignité, op. cit.38. L. Bourgeois, Solidarité, Paris, Armand Colin, 1896, p. 63 (rééed., Paris, Septen -

trion, 1998, 112 p.).39. Le Monde du vendredi 23 mars 2001 titrait en première page «Quatre millions

de pauvres en France». Il était précisé que «la pauvreté n’a pas régressé depuis 1996malgré les bons résultats de l’économie». On pourrait ajouter: malgré la loi contre lesexclusions.

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