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Article original La mortalité des perforations instrumentales de l’oesophage est élevée : expérience de 54 cas traités J. Jougon*, F. Delcambre, T. MacBride,A. Minniti, J.F. Velly Service de chirurgie thoracique, hôpital de Haut-Lévèque, CHU de Bordeaux, 33604 Pessac, France RE ´ SUME ´ Objectifs : Souligner la gravité des perforations iatrogè- nes de l’oesophage et en discuter la prévention et la prise en charge thérapeutique. Patients et méthodes : Nous avons étudié les dossiers des patients traités pour perforation iatrogène de l’oeso- phage de 1980 à 2000. Le recueil des données a été rétrospectif de 1980 à 1995 puis prospectif de 1995 à 2000. Toutes les données concernant l’anamnèse, des manifestations cliniques, du traitement et des suites ont été analysées. Résultats : Cinquante-quatre patients on été traités pour une perforation instrumentale de l’oesophage. Il s’agissait de perforations au décours d’une endoscopie exploratrice (n = 24), d’une dilatation endoscopique (n = 13), d’une tentative d’intubation trachéale (n = 5), d’une extraction de corps étranger (n = 5), d’un traitement endoscopique de varices oesophagiennes (n = 4), d’une échocardiographie transoesophagienne (n = 2) et de la mise en place d’une prothèse duodénale (n = 1). Les manifestations cliniques étaient immédiates dans 18 cas, et retardées dans les autres cas. L’intervalle préthérapeutique était compris entre deux heures et 45 jours avec une moyenne de 70 heures. Tous les patients ont été opérés après antibiothé- rapie à large spectre et réanimation adaptée, à l’exception de trois qui ont été traités médicalement en raison de leur mauvais état général. Quatorze patients (26 %) sont décé- dés dont les trois patients non opérés. Conclusion : Les perforations instrumentales de l’oeso- phage sont associées à une mortalité élevée, probable- ment en raison de leur survenue chez des patients fragi- les. Ces perforations sont souvent diagnostiquées avec retard. Une bonne pratique de l’endoscopie et une sur- veillance adéquate après des manoeuvres endoscopiques devrait permettre un traitement chirurgical plus rapide et des suites plus favorables. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS effets indésirables / intubation trachéale / médiastinite / oesophagoscopie / perforation oesophagienne ABSTRACT The mortality of iatrogenic esophageal perforations is high: report of 54 cases. Objective: To underline the severity of instrumental eso- phageal perforations and to discuss their management. Patients and methods: Data from patients treated for instrumental esophageal perforation were collected retro- spectively from 1980 to 1995 then prospectively since 1995 to 2000. Results: Fifty-four patients were treated for instrumental perforations. Perforation occurred after exploratory endo- scopy (n=24), endoscopic dilation (n=13), attempted tra- cheal intubation (n=5), foreign body extraction (n=5), treat- ment of esophageal varices (n=4), trans-esophageal echocardiography (n=2), and duodenal prosthesis implan- tation (n=1). Clinical manifestations were immediate in 18 cases and delayed in all others, with an interval before treatment ranging from 2 hours to 45 days (mean= 70 hours). All patients were operated after large spectrum antibiotherapy and intensive care, except 3 who were treated medically due to their poor general condition. Fourteen (26%) patients died, including the 3 non-operated ones. Conclusion: Instrumental esophageal perforations are associated with a high mortality, probably due to the poor general condition of the patients. Diagnosis of these Reçu le 2 octobre 2001 ; accepté le 5 novembre 2001. *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail : [email protected] (J. Jougon). Ann Chir 2002 ; 127 : 26-31 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003394401006605/FLA

La mortalité des perforations instrumentales de l’œsophage est élevée : expérience de 54 cas traités

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La mortalité des perforations instrumentales de l’œsophage est élevée :expérience de 54 cas traités

J. Jougon*, F. Delcambre, T. MacBride, A. Minniti, J.F. Velly

Service de chirurgie thoracique, hôpital de Haut-Lévèque, CHU de Bordeaux, 33604 Pessac, France

RESUMEObjectifs : Souligner la gravité des perforations iatrogè-nes de l’œsophage et en discuter la prévention et la priseen charge thérapeutique.Patients et méthodes : Nous avons étudié les dossiersdes patients traités pour perforation iatrogène de l’œso-phage de 1980 à 2000. Le recueil des données a étérétrospectif de 1980 à 1995 puis prospectif de 1995 à2000. Toutes les données concernant l’anamnèse, desmanifestations cliniques, du traitement et des suites ontété analysées.Résultats : Cinquante-quatre patients on été traités pourune perforation instrumentale de l’œsophage. Il s’agissaitde perforations au décours d’une endoscopie exploratrice(n = 24), d’une dilatation endoscopique (n = 13), d’unetentative d’intubation trachéale (n = 5), d’une extraction decorps étranger (n = 5), d’un traitement endoscopique devarices œsophagiennes (n = 4), d’une échocardiographietransœsophagienne (n = 2) et de la mise en place d’uneprothèse duodénale (n = 1). Les manifestations cliniquesétaient immédiates dans 18 cas, et retardées dans lesautres cas. L’intervalle préthérapeutique était comprisentre deux heures et 45 jours avec une moyenne de 70heures. Tous les patients ont été opérés après antibiothé-rapie à large spectre et réanimation adaptée, à l’exceptionde trois qui ont été traités médicalement en raison de leurmauvais état général. Quatorze patients (26 %) sont décé-dés dont les trois patients non opérés.Conclusion : Les perforations instrumentales de l’œso-phage sont associées à une mortalité élevée, probable-ment en raison de leur survenue chez des patients fragi-les. Ces perforations sont souvent diagnostiquées avec

retard. Une bonne pratique de l’endoscopie et une sur-veillance adéquate après des manœuvres endoscopiquesdevrait permettre un traitement chirurgical plus rapide etdes suites plus favorables. © 2002 Éditions scientifiqueset médicales Elsevier SAS

effets indésirables / intubation trachéale /médiastinite / œsophagoscopie / perforationœsophagienne

ABSTRACTThe mortality of iatrogenic esophageal perforations ishigh: report of 54 cases.Objective: To underline the severity of instrumental eso-phageal perforations and to discuss their management.Patients and methods: Data from patients treated forinstrumental esophageal perforation were collected retro-spectively from 1980 to 1995 then prospectively since1995 to 2000.Results: Fifty-four patients were treated for instrumentalperforations. Perforation occurred after exploratory endo-scopy (n=24), endoscopic dilation (n=13), attempted tra-cheal intubation (n=5), foreign body extraction (n=5), treat-ment of esophageal varices (n=4), trans-esophagealechocardiography (n=2), and duodenal prosthesis implan-tation (n=1). Clinical manifestations were immediate in 18cases and delayed in all others, with an interval beforetreatment ranging from 2 hours to 45 days (mean= 70hours). All patients were operated after large spectrumantibiotherapy and intensive care, except 3 who weretreated medically due to their poor general condition.Fourteen (26%) patients died, including the 3 non-operatedones.Conclusion: Instrumental esophageal perforations areassociated with a high mortality, probably due to the poorgeneral condition of the patients. Diagnosis of these

Reçu le 2 octobre 2001 ; accepté le 5 novembre 2001.*Correspondance et tirés à part.Adresse e-mail : [email protected] (J. Jougon).

Ann Chir 2002 ; 127 : 26-31© 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés

S0003394401006605/FLA

perforations is often delayed. A good experience of endo-scopic maneuveurs and adequate post-endoscopic moni-toring could allow earlier surgical treatment with lowermortality. © 2002 Éditions scientifiques et médicalesElsevier SAS

adverse effects / esophageal perforation /esophagoscopy / mediastinitis / tracheal intubation

La perforation de l’œsophage est une affection graveresponsable d’une mortalité comprise entre 6 et30 % selon le siège de la perforation, le terrain et lacause de la perforation [1]. La perforation peutapparaître spontanément réalisant le syndrome deBoerhaave ou peut également être provoquée par uncorps étranger, un traumatisme ou encore être iatro-gène [2, 3]. Il a été écrit que le pronostic des plaiesiatrogènes était moins sévère que celui des rupturesspontanées [2, 3]. Cependant l’origine iatrogènereprésente actuellement la moitié des perforationsde l’œsophage et, dans certains travaux, son pronos-tic semble identique à celui des perforations spon-tanées [4]. La gravité des perforations de l’œso-phage peut être majorée par un traitement débutétardivement [4]. Nous présentons notre expériencesur 20 ans de la prise en charge des perforationsinstrumentales de l’œsophage en analysant la mor-talité et en essayant de dégager les facteurs suscep-tibles d’améliorer le pronostic de cette pathologieiatrogène.

PATIENTS ET MÉTHODES

Les dossiers de tous les patients traités pour perfo-ration de l’œsophage dans notre service ont étécodés et enregistrés sur une base de données depuis1995. Ce traitement des dossiers a été fait rétrospec-tivement pour les années 1980 à 1995 puis prospec-tivement de 1995 à 2000. Toutes les données démo-graphiques, les antécédents, les manifestationscliniques, la cause de la perforation, l’ intervalle libreentre la perforation et son diagnostic et son traite-ment, le type de traitement, et les suites ont étérelevés.

Entre avril 1980 et janvier 2000, 98 patients ontété traités pour perforation de l’œsophage. Sontexclus de l’étude les perforations œsophagiennesdont l’étiologie était un corps étranger (n = 21),

spontanée (n = 18), postopératoire (n = 4) ou trau-matique (n = 1). La présente étude est donc consa-crée aux 54 cas de perforations instrumentales del’œsophage. Ce groupe est constitué de 33 hommeset 21 femmes, âgés de 24 à 86 ans (moyenne :62 ans ± 15 ans).

Au plan thérapeutique, chez les patients dont lemauvais état général paraissait incompatible avecune intervention, un traitement médical pouvait êtrechoisi. Sinon, le traitement chirurgical était retenude principe et a toujours été mené selon les mêmesprincipes : antibiothérapie à large spectre et réani-mation adaptée à chaque patient, œsophagoscopieau tube rigide effectuée en préopératoire immédiatpar le chirurgien, puis traitement chirurgical.Celui-ci comprenait :– un lavage, un parage et un drainage médiastinal ;– un traitement conservant l’œsophage était effec-tué en présence d’un œsophage sain (suture en deuxplans avec si possible enfouissement de la perfora-tion par un lambeau pleural ou intercostal) ; sil’œsophage était pathologique, une levée des sténo-ses œsophagiennes si elles coexistaient ou unerésection œsophagienne en cas de tumeur œsopha-gienne résécable était réalisée et ;– une gastrostomie de décharge et une jéjunostomied’alimentation.

L’analyse statistique des résultats a été faite par untest de �2 avec correction de Yates en cas de petitéchantillon, ou par un test de corrélation de Fischeret Yates.

RÉSULTATS

Étiologies des perforations

Les manœuvres instrumentales responsables de laperforation œsophagienne étaient : une endoscopiedigestive (n = 30) (exploration dans 24 cas, ablationde corps étranger œsophagien dans cinq cas, posed’une prothèse duodénale dans un cas), une dilata-tion endoscopique (n = 13), une tentative d’ intuba-tion trachéale (n = 5), un traitement endoscopiquede varices œsophagiennes (n = 4) (sclérose de vari-ces dans trois cas et pose d’une sonde de Blackmoredans un cas), et une échocardiographie transœsopha-gienne (ETO) (n = 2). L’œsophagoscopie avait étéeffectuée au tube rigide pour 27 patients parmi les29 cas de perforations après endoscopie diagnosti-que ou pour extraction de corps étranger. Les

Perforations iatrogènes de l’œsophage 27

caractéristiques des perforations après endoscopie etaprès dilatation ont exposées dans les tableaux Iet II.

Manifestations cliniques

Les manifestations cliniques ont été immédiatespermettant un diagnostic rapide dans 18 cas (33 %) :emphysème sous-cutané (n = 11), douleurs dorsalesavec fièvre (n = 4), syndrome péritonéal (n = 2), etdétresse respiratoire aiguë (n = 1). Dans les autrescas les manifestations ont été retardées : un syn-drome infectieux associant pleurésie et médiastinitedans 33 cas, un abcès rétropharyngé dans deux caset un abcès pulmonaire dans un cas. Le délaipréthérapeutique (intervalle libre écoulé entrel’heure de la manœuvre endoluminale responsablede la perforation et le traitement) a été de deux

heures à45 jours (moyenne de 70 ± 178 heures). Cetintervalle variait en fonction de l’étiologie de laperforation et est détaillé dans le tableau III.

Traitement

Trois patients n’ont pas été opérés du fait de leurmauvais état général : une femme de 67 ans quiavait développé une perforation après sclérose devarices œsophagiennes compliquant sur une cir-rhose décompensée avec ascite, un homme de 71ans ayant eu une perforation lors d’une panendos-copie pour un cancer de l’amygdale et traité un anauparavant par radiothérapie pour un cancer del’œsophage, et un homme de 68 ans laryngectomisépour cancer et ayant une sténose radique de l’œso-phage perforée par une dilatation. Un de ces trois

Tableau III. Mortalité en fonction de la cause et de l’ intervalle libre entre la perforation et le traitement.

Mécanisme lésionnel Endoscopie Dilatation Traitement de varicesœsophagiennes

ETO Intubationtrachéale

Nombre de cas 30 13 4 2 5Intervalle avant traitement(heures)

29 ± 29 128 ± 302 171 ± 199 19 & 21 179 ± 155

Décès 8 (27%) 1 (8%) 2 (50%) 1 (50%) 2 (40%)

ETO : échographie transœsophagienne.

Tableau I. Perforation après œsophagoscopie.

Perforations après œsophagoscopie (n = 30)

Indications de l’endoscopie Lésion sous-jacente de l’œsophage Siège de la perforation Traitement Décès

Exploration n = 24 Cancer n = 5 1/3 supérieur 9 chirurgical n =29Extraction de corps étranger n = 5 Sténose postradique n = 4 1/3 moyen 7 8 (27%)Prothèse duodénale n = 1 Brûlure caustique n = 3 1/3 inférieur 14 médical n = 1

Aucune n =18

Tableau II. Perforations oesophagiennes après dilatation (n = 13).

Étiologie de la sténose Nombre Siège de la perforation Traitementchirurgical

Résultats

Achalasie 4 cardia 4/4 GuérisonRadique 6 1/3 supérieur (n = 3) 5/6 traitement médical : 1 décès

1/3 moyen (n = 1) traitement chirurgical : 5 guérisons1/3 inférieur (n = 1)Cardia (n = 1)

Caustique 1 1/3 supérieur oui GuérisonCancer 1 1/3 inférieur oui GuérisonPeptique 1 1/3 inférieur oui Guérison

28 J. Jougon et al.

patients a eu un drainage thoracique associé àl’antibiothérapie à large spectre.

Au total, 14 patients (26 %) sont décédés dessuites de la perforation œsophagienne dont les troispatients non opérés. Parmi les 14 patients décédés,dix (71 %) avaient un mauvais état général : septavaient des lésions séquellaires ou actives d’uncancer des voies aérodigestives supérieures, deuxpatients avaient une hypertension portale avec vari-ces œsophagiennes et ascite, et un patient avait uneinsuffisance cardiaque qui se décompensait secon-dairement alors qu’ il avait survécu à la perforationcausée par une échocardiographie transœsopha-gienne. Le délai préthérapeutique était de 78 ± 122heures chez les 14 patients décédés contre 68 ± 128heures chez les 40 patients ayant survécu. Il n’yavait pas de corrélation statistiquement significativeentre le délai préthérapeutique et la mortalité (coef-ficient de corrélation r = 0,05, p > 0,5 ; test de Fis-cher et Yates). Les taux de mortalité après œsopha-goscopie (8/30 = 27 %) et dilatation (1/13 = 8 %)n’étaient pas statistiquement différents (�2 = 0,30,p > 0,5).

DISCUSSION

À notre connaissance, cette série constitue la plusgrande série monocentrique de perforation instru-mentale de l’œsophage. Pour l’ensemble de la série,les patients ont été traités selon les mêmes modali-tés. La mortalité est élevée (26 %) ce qui souligne lagravité de cette pathologie iatrogène. Les patientsavaient été préalablement pris en charge dans plu-sieurs centres d’endoscopie, ce qui rendait impossi-ble toute analyse concernant l’expérience des opé-rateurs.

Les perforations étaient situées aux trois niveauxclassiques où sont habituellement observées lesperforations instrumentales de l’œsophage [1, 5] : le1er niveau se situe au tiers supérieur autour de labouche œsophagienne ; il existe à ce niveau sur laface postérieure de l’œsophage une zone de fai-blesse pariétale triangulaire appelée triangle de Lan-nier [1]. Il s’agit d’une zone de faiblesse anatomiquedélimitée en haut par l’entrecroisement des fibres dumuscle constricteur inférieur du pharynx et en baspar le muscle cricopharyngien. Le risque de perfo-ration à ce niveau est majoré par l’hyperextensiondu cou ou la présence d’un ostéophyte vertébral

faisant fonction de billot pour l’extrémité de l’ ins-trument qui peut embrocher la paroi postérieure del’œsophage. Le 2e niveau habituel des perforationsinstrumentales se situe au tiers moyen de l’œso-phage, en regard du rétrécissement lié àla présencede la crosse aortique et la bronche souche gauche.Le 3e niveau est au tiers inférieur, zone de rétrécis-sement et d’ incurvation de l’œsophage avantl’anneau hiatal. En plus de ces trois zones plusexposées au risque de perforation instrumentale, uneendoscopie peut perforer toute portion sténoséequelque soit la nature de la sténose [1].

Le mécanisme principal de la perforation danscette série a été la déchirure par impaction del’extrémité de l’ instrument introduit dans l’œso-phage. C’est le mécanisme habituel des perforationsau décours d’endoscopies [5] ou tout autre manœu-vre instrumentale sans contrôle visuel commel’échocardiographie transœsophagienne [6] oucomme une fausse route œsophagienne lors d’uned’ intubation endotrachéale [7] (respectivement deuxet cinq cas dans notre série). L’éclatement et lanécrose de la paroi œsophagienne sont respective-ment les deux autres mécanismes des perforationssurvenant après dilatation (13 cas) ou scléroseendoscopique de varices œsophagiennes (trois cas).

L’ intervalle entre la perforation et son diagnostic aété plus important dans le groupe des dilatations(moyenne : 128 heures) par rapport aux groupesdes perforations au décours d’œsophagoscopie(moyenne : 29 heures). Ce résultat peut paraîtreparadoxal car le risque de perforation est générale-ment considéré comme plus élevé après dilatation.Dans la série de l’Association française de chirugie[4], le délai moyen préthérapeutique était d’ailleursplus élevé après endoscopie diagnostique (44 heu-res) qu’après dilatation (28 heures). Le résultat quenous avons observé peut être dû au fait que dansnotre série six perforations sont survenues aprèsdilatation d’une sténose radique cervicale compli-quant un cancer ORL, cette complication n’ayantpas été systématiquement dépistée après dilatationet s’exprimant cliniquement tardivement, contraire-ment aux perforations en médiastin libre dont lesmanifestations sont plus explosives. En effet il estprobable que l’existence d’une fibrose médiastinalepéri-œsophagienne peut limiter partiellement la dif-fusion des phénomènes septiques et donc le risquede médiastinite. Pour l’ensemble de la série, il n’a

Perforations iatrogènes de l’œsophage 29

pas été retrouvé de relation entre la durée del’ intervalle préthérapeutique et la mortalité. En par-ticulier, malgré le retard diagnostique importantobservé après dilatation, le taux de mortalité étaitinférieur à celui observé après perforation compli-quant une œsophagoscopie. Ce résultat, différent decelui observé dans certaines séries, est vraisembla-blement dû à l’hétérogénéité des patients qui pré-sentaient pour certains des antécédents ayant plusd’ influence sur le pronostic que le délai préthéra-peutique [4]. Cependant dans le groupe des perfo-rations au décours de tentative d’ intubation – groupele plus homogène – les deux patients décédés sontceux ayant eu un retard diagnostic le plus important(sept et 18 jours).

En raison de la gravitédes perforations instrumen-tales de l’œsophage et de la difficulté d’en diminuerla mortalité du fait du mauvais état général despatients concernés, les mesures préventives appa-raissent les plus importantes. C’est ainsi que desrègles ont été établies par les cardiologues en vue dela réalisation d’une échocardiographie transœsopha-gienne (ETO) : l’existence d’une dysphagie, derégurgitations ou de bruits à la déglutition, ou toutautre signe œsophagien doit faire réaliser au préala-ble un bilan morphologique œsophagien à la recher-che notamment d’une sténose ou d’un diverticule[6]. Certains antécédents sont retenus comme descontre-indications absolues à l’ETO : tumeurs etsténoses œsophagiennes, varices œsophagiennes,diverticules œsophagiens, sclérodermie, antécédentsd’ irradiation œsophagienne ou médiastinale [6].

Toute manifestation inexpliquée, a fortiori toutedouleur dorsale associée à des frissons et del’emphysème sous cutanée ou douleur abdominalesurvenant après manœuvre endoscopique œsopha-gienne, doit être considérée comme une perforationde l’œsophage et justifie la réalisation d’une œso-phagographie ou d’un scanner avec ingestion deproduit hydrosoluble [4]. Dans notre pratique, toutpatient bénéficiant d’une dilatation œsophagiennedoit avoir après la dilatation, dans la même journée,une radiographie thoracique et une œsophagogra-phie aux produits hydrosolubles avant d’autoriser lareprise alimentaire.

Un diagnostic précoce permet d’orienter rapide-ment le patient vers un traitement chirurgical. Untraitement non chirurgical peut être seulement indi-qué en cas de découverte d’une fissuration sans

effraction pleurale ou médiastinale telle qu’on peutl’observer après dilatation sur une sténose entouréed’une sclérose médiastinale provoquée antérieure-ment par une radiothérapie ou une brûlure caustique.Ces critères autorisant un traitement médical (per-foration de petite taille, se drainant dans la lumièreœsophagienne avec minimes manifestations généra-les) avaient étédéfinis par Cameron et al. [8] àpartirde huit observations dont cinq étaient des perfora-tions postopératoires. En dehors de ces cas relative-ment rares, notre attitude est délibérément chirurgi-cale. Nous considérons qu’ il n’existe que très peu deplace pour un traitement exclusivement médical.Nos trois patients non opérés sont décédés, commedeux patients non opérés dans la série de Griffin etal. [9]. Quel que soit le délai préthérapeutique, enl’absence de sténose néoplasique le traitement chi-rurgical doit être conservateur sur l’œsophage évi-tant autant que faire se peut les exclusions œsopha-giennes [2, 3]. La suture de la perforation même encas de diagnostic tardif a été proposée il y a 26 ans[10]. Cette attitude est encore actuellement défenduepar la plupart des auteurs [2-4, 11]. Dans notre série,nous n’avons pas retrouvé de relation significativeentre la durée de l’ intervalle préthérapeutique et lamortalité, ce qui constitue encore un argument enfaveur d’un traitement chirurgical conservateur.Nous associons autant que possible dans le mêmetemps une gastrostomie d’aspiration pour limiter lerisque de reflux gastro-œsophagien pouvant entraverla cicatrisation œsophagienne dans la période post-opératoire immédiate, et une jéjunostomie pourdébuter une alimentation entérale dès le 2e jourpostopératoire. En présence d’un cancer de l’œso-phage, la résection doit être effectuée si elle esttechniquement réalisable mais les risques sontimportant dans cette indication : la mortalité étaitainsi de 36 % dans la série de Griffin et al. [9].

La mortalité dans notre série (26 %) est globale-ment comparable à celles habituellement rappor-tées : 36 % de mortalité dans la série de 44 patientsd’Attar et al. [12], 14 % de mortalitédans la série de28 patients de Wright et al. [13]. Cette mortalitéimportante nous paraît liée à la gravité de la médias-tinite si elle existe, et au terrain souvent débilité(moyenne d’âge : 62 ans, 17 patients [32 %] ayantdes antécédents récents ou anciens de cancer desvoies aérodigestives hautes et quatre patients ayantdes varices œsophagiennes sur cirrhose). Cette

30 J. Jougon et al.

mortalité est comparable voire supérieure à cellerécemment rapportée après rupture spontanée del’œsophage, qui est inférieure à 20 % dans lesdernières séries publiées [2, 3].

CONCLUSION

Les perforations instrumentales de l’œsophage sontassociées à une mortalité élevée, probablement carelles surviennent chez des patients fragiles. Cesperforations sont souvent diagnostiquées avec retard.Une bonne pratique de l’endoscopie et une sur-veillance adéquate après des manœuvres endoscopi-ques devrait permettre un traitement chirurgical plusrapide et des suites plus favorables.

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Perforations iatrogènes de l’œsophage 31