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1/13 Gerald Schlemminger La pédagogie Freinet et le travail en projet publié in: Les langues modernes, 2003, n°3, pp 47 – 57. « Plus de manuels scolaires ! » Plus de manuels scolaires ! écrit Célestin Freinet en 1928 : « Les manuels plient tout le travail scolaire à une méthode, à des pratiques que ni maîtres ni élèves n’ont approuvées ni discutées – que les maîtres réprouvent parfois. » (C. Freinet 1928 : 8). Il dénonce leurs objectifs pédagogiques où les aspects formels dominent les contenus, les centres d’intérêt. « Cette idolâtrie de l’écriture imprimée » fait passer au second plan « le besoin d’activité et de création » (C. Freinet 1928 : 11) afin de conclure : Le manuel asservit la pensée de l’enfant. Comme tout autre document, il trouve sa place dans la bibliothèque de la classe mais ne constitue en aucun cas la référence unique des apprentissages. 1 Ces critiques dessinent les contours du travail pédagogique en classe. Elles esquissent également le cadre dans lequel la pédagogie Freinet situe l’enseignement. Comme nous avons pu le montrer (cf. G. Schlemminger 1996), elles sont également le point de départ pour aborder la classe de langue, son organisation et les apprentissages. Ainsi, dans un premier temps, nous préciserons le concept du projet dans l’approche Freinet. Ensuite, nous illustrerons notre propos par quelques exemples concrets, les projets de débutants et la réalisation d’un journal. Enfin, nous montrerons les questions didactiques que soulèvent l’utilisation des techniques Freinet en classe de langue ; il s’agit en l’occurrence de la transposition didactique et de la médiation. Qu’est-ce qu’un projet en classe de langue ? 1 C. Freinet n’est pas le seul à critiquer d’une manière fondamentale les manuels. Pour l’enseignement de langue, rappelons la critique ancienne de G. Alvarez face au « double autoritarisme » des manuels de type audiovisuel : « […] celui de la méthode sur le maître, à qui elle dictait un certain nombre de démarches canoniques et rituelles ; celui du professeur sur l’élève, qui devait retrouver un à un les comportements édictés dans la méthode. » (G. ALVAREZ 1979 : 50) ; voire également H. Besse (1992). M. Barré (1998) renouvelle la critique de la pédagogie Freinet par rapport aux manuels. Pour plus d’information sur la pédagogie Freinet, voir entre autres, L. Bruliard / G. Schlemminger (1996).

La pédagogie Freinet et le travail en projet

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Gerald Schlemminger

La pédagogie Freinet et le travail en projet publié in: Les langues modernes, 2003, n°3, pp 47 – 57.

« Plus de manuels scolaires ! »

Plus de manuels scolaires ! écrit Célestin Freinet en 1928 : « Les manuels plient tout le travail

scolaire à une méthode, à des pratiques que ni maîtres ni élèves n’ont approuvées ni discutées – que

les maîtres réprouvent parfois. » (C. Freinet 1928 : 8). Il dénonce leurs objectifs pédagogiques où

les aspects formels dominent les contenus, les centres d’intérêt. « Cette idolâtrie de l’écriture

imprimée » fait passer au second plan « le besoin d’activité et de création » (C. Freinet 1928 : 11)

afin de conclure : Le manuel asservit la pensée de l’enfant. Comme tout autre document, il trouve sa

place dans la bibliothèque de la classe mais ne constitue en aucun cas la référence unique des

apprentissages.1

Ces critiques dessinent les contours du travail pédagogique en classe. Elles esquissent

également le cadre dans lequel la pédagogie Freinet situe l’enseignement. Comme nous avons pu le

montrer (cf. G. Schlemminger 1996), elles sont également le point de départ pour aborder la classe

de langue, son organisation et les apprentissages. Ainsi, dans un premier temps, nous préciserons le

concept du projet dans l’approche Freinet. Ensuite, nous illustrerons notre propos par quelques

exemples concrets, les projets de débutants et la réalisation d’un journal. Enfin, nous montrerons les

questions didactiques que soulèvent l’utilisation des techniques Freinet en classe de langue ; il s’agit

en l’occurrence de la transposition didactique et de la médiation.

Qu’est-ce qu’un projet en classe de langue ?

1 C. Freinet n’est pas le seul à critiquer d’une manière fondamentale les manuels. Pour

l’enseignement de langue, rappelons la critique ancienne de G. Alvarez face au « double autoritarisme » des manuels de type audiovisuel : « […] celui de la méthode sur le maître, à qui elle dictait un certain nombre de démarches canoniques et rituelles ; celui du professeur sur l’élève, qui devait retrouver un à un les comportements édictés dans la méthode. » (G. ALVAREZ 1979 : 50) ; voire également H. Besse (1992). M. Barré (1998) renouvelle la critique de la pédagogie Freinet par rapport aux manuels. Pour plus d’information sur la pédagogie Freinet, voir entre autres, L. Bruliard / G. Schlemminger (1996).

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En pédagogie Freinet, le projet peut se définir de la manière suivante2 :

• le sujet du projet part des centres d’intérêt de l’élève, il a la plupart du temps un caractère

pluridisciplinaire ;

• il s’agit d’une réalisation qui est, en général, collective ;

• elle s’effectue à partir de recherches documentaires et de recherches sur le terrain (appelées « enquête ») ;

• elle conduit nécessairement à une production - présentation sous les formes les plus variées : écrites (journal, album, affiche…), orales (exposé, jeu théâtral, radio…), visuelles (exposition, diaporama…), multimédia (correspondance scolaire, publication Web, CD-Rom…). En

pédagogie Freinet, on parle alors de « chef d’œuvre », dans la tradition du compagnonnage

(cf. C. Freinet 1949).

L´esquisse de cette approche ressemble aux démarches préconisées dans les « Travaux

croisés » du collègue et les « TPE » (« travaux personnels encadrés ») du lycée, introduits

respectivement en 1999 et en 2000 dans les instructions officielles. Cette similitude devient encore

plus évidente lorsque, pour le suivi du projet, des concepts et pratiques analogues se manifestent : le

« carnet de bord » ou le « plan de travail » en pédagogie Freinet3, la fiche d’évaluation, etc. Les

concepteurs des TPE et des « Travaux croisés » se sont certainement inspirés des pratiques Freinet,

entre autres. Ces similitudes sont appréciable ; notre propos n’est pas de vouloir introduire des

différences où elles n’ont pas lieu d’être . Notre objectif est de décrire des expériences qui apportent

une nouvelle façon de voir la classe de langue, de nouveaux concepts d’apprentissage.

Les deux principaux spécificités qui caractérisent l’approche Freinet sont :4

• la place du projet dans le cadre des apprentissages scolaires ;

• l’approche groupale et coopérative de la réalisation du travail.

2 Le projet comme outil pédagogique n’est pas l’apanage de la pédagogie Freinet. Il doit être

situé dans le cadre de l’Éducation Nouvelle, voir par exemple les apports américain comme W. H. Kilpatrick. (1918), J. Dewey (1902) qui ont influencés C. Freinet.

3 Les deux outils ont été certainement inspirés par H. Parkhurst et son contrat de travail (« Work Schedule ») ainsi que le plan Dalton que cette enseignante a développés dans les années vingt.

4 Cf. également l’analyse de R. Favry (2002).

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En effet, le projet dans une classe Freinet n’est pas un élément supplémentaire dans la panoplie des

procédés et techniques didactiques possibles ; son scénario pédagogique n’est pas implicite en ce

qui concerne l’articulation des activités d’apprentissage avec la quête du savoir ; il n’est pas réservé

à des plages horaires spécifiques (comme les deux heures prévues pour les TPE et les Travaux

croisés) ou à des activités particulières. En pédagogie Freinet, le projet constitue la base même du

travail, il est le point de départ des apprentissages et de l’acquisition des compétences disciplinaires

et transversales ; il les motive. Le travail de projet est considéré comme une activité de coopération

et de collaboration entre élèves et avec des personnes de référence ; ce rôle socialisant du groupe est

déterminant pour la réussite tant des apprentissages que du projet. De ces prémisses pédagogiques

en découlent un scénario pédagogique précis, une organisation sociale complexe du groupe-classe

et une rigueur dans le travail.5 Ces éléments sont d’autant plus nécessaire lorsque la discipline, ici

l’enseignement des langues, dispose d’un cadre restreint (en général trois heures hebdomadaires).

Cette conception de la classe met en jeu des outils particuliers.

1. Des outils de la gestion des apprentissages afin que chacun puisse organiser et suivre son

travail :

• le plan de travail individuel et collectif (voir un exemple pour la classe d’anglais, illustration n° 1) ;

• des grilles d’évaluation individuels et / ou collectifs (en pédagogie Freinet, on connaît les types suivants : les « brevets », les « couleurs de compétence », les « chefs-d’œuvre », les

« arbres de connaissances »…) ;

• les fichiers autocorrectifs.

2. Des outils de la gestion du groupe-classe qui permettent une reconnaissance de possibilités

différentes de chacun et la définition (évolutive) des rôles et des statuts 6 :

• les groupements pour une organisation de la classe en sous-groupes fonctionnels : l’équipe de production, l’atelier de …, le groupe de travail… ;

5 Les pédagogues Freinet parlent ici de « discipline de travail » qu’il distingue de la « discipline

de caserne » qui caractérise, selon eux, le plus souvent l’école, car l’élève suit un travail imposé et non choisi. – Pour le rapport entre TPE et la pédagogie Freinet, voir également les articles de C. Mazurie (2002), H. Bourdel (2002) et J. Vigouroux (2002).

6 Les outils qui nous permettent de mettre en place un tel lieu coopératif sont d’ordre pédagogique et proviennent essentiellement du mouvement de l’Éducation Nouvelle des années vingt. Voir par exemple les pratiques de classes dans : F. Karsen (1923). Ces techniques de la dynamique de groupe ont été perfectionnées plus tard, particulièrement par la pédagogie Freinet et la pédagogie institutionnelle.

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• une mise en place de fonctions et de rôles : le président de séance, le secrétaire ; le chef d’équipe / d’atelier, le responsable (… du courrier, d’un groupe, de la bibliothèque de classe, des fichiers…), etc. ;

• une définition des lieux et des limites pour les moments collectifs et individuels de production et d’apprentissage : les moments de recherche et de découverte des documents, les moments

de l’exposé - débat, les temps du travail individuel / de groupe, etc. ;

• la création d’un lieu de décision abordant les question de l’organisation du travail : le conseil ; c’est le lieu de régulation et de médiation, le lieu de définition des règles du groupe-classe.

Illustration n° 1 : Plan de travail au premier cycle (reproduction réduite) utilisé par M. Bertrand7

CEG NOUATRE Classe :

BILAN DE TRAVAIL

du au

TRAVAIL COLLECTIF

Correspondance date thème développé

USA

GB

TRAVAIL INDIVIDUALISE

Exposé(s) préparé(s) :

Magnéto. A I :

A II :

A III :

Lectures :

Trav. autocorrectifs Grammaire :

Traduction :

Correspondance date thème développé

USA

GB

Recherches personnelles :

- Ce que je pense de mon travail :

- Je voudrais faire (ou étudier) :

7 Cf. M. Bertrand 1967 : 32). Pour consulter des plans de travail plus récents pour le collègue,

voir J. et E. Lèmery (1997), cf. également D. Vaupel (1995).

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Le professeur : Les parents :

Rappelons que dans le cadre du projet, les outils de communication et d’échanges suivants (appelés

« techniques Freinet ») sont souvent utilisés8 :

• la texte libre / l’expression libre

• la correspondance interscolaire individuelle ou collective ;

• le journal de classe ;

• la bibliothèque de classe.

Les étapes de réalisation d’un projet en classe de Freinet sont généralement les suivantes :

• le débat collectif sur le choix et la définition du (des) projet(s) à réaliser;

• la répartition des tâches et responsabilités ;

• la planification de la réalisation des tâches dans le temps et dans l’espace ;

• l’évaluation des besoins en outils, ressources et moyens ;

• l’échange régulier sur l’avancement des travaux ;

• la présentation, des résultats intermédiaires et définitifs ;

• leur discussion et critique dans le but de les amender et améliorer.

• la publication des travaux finis sous différentes formes : exposé, présentation en ligne,

exposition…

Cet aperçu général et théorique nécessite des exemples pour illustrer cette approche9. Nous

présenterons un projet de débutants (niveau collège) et un autre niveau lycée.

Le projet « albums » des apprenants débutants

Une élève d’une classe de 4e, Allemand Langue II (six mois d’allemand) a réalisé comme

projet le dialogue « Dracula hat Zahnweh » (voir illustration n° 2). Elle a effectué des recherches

dans la bibliothèque de classe, a trouvé un dialogue qu’elle a adapté à sa manière. Avec le soutien

de l’enseignant et plusieurs corrections, elle l’a recopié proprement pour le coller dans une chemise

8 Pour une présentation détaillée, voir G. Schlemminger (1995 a), (2001). 9 Des exemples de projets anciens, mais très instructifs sont M. Bertrand (1967), (1969) ; pour

des publications plus récentes, voir C. Saindon (2001), S. Chancelier (2001), X. Gaillon (2000) ; pour une bibliographie complète, voir : G. Schlemminger (1996).

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cartonnée, « l’album ». Puis, à l’aide de quelques illustrations, elle l’a présenté à la classe. D’autres

recherches ont également été présentées. La sienne a été retenue et a servi de base de

l’apprentissage. De part la présentation, l’essentiel des nouvelles structures étaient déjà connues. Vu

le support, le procédé audiovisuel a été adopté pour travailler avec toute la classe ce dialogue,

l’élève jouant l’un des deux rôles, l’enseignant l’autre. Les dialogues ont été ensuite repris par des

groupes d’élèves. Par la suite, d’autres saynètes aussi saugrenues ont été créées, au plaisir de tous…

Entre-temps, le dialogue original a été polycopié pour tous les élèves et affiché en grand format au

mur. Par ailleurs, chaque groupe a envoyé son dialogue aux correspondants allemands en leur

demandant d’en créer également.

Illustration n° 2 : L’album « Dracula hat Zahnweh » (classe de 4e, collège de Peujard, Gironde)

Manifestement, le dialogue original s’inspire d’une saynète d’un manuel allemand connu. Le

contenu, tout farfelu qu’il soit, est d’une grande banalité.10 Cela dit, l’objectif premier des textes

10 À propos de la banalité des productions d’élèves, voir également P. Clanché (1988).

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personnels n’est pas la promotion d’un quelconque idéal de spontanéité ou de créativité. Pour

l’élève, cette recherche et cette création modestes donnent du sens ; elle joue avec les moyens

linguistiques dont elle dispose pour tourner en dérision une prise de rendez-vous chez le dentiste.

De par l’organisation pédagogique de la classe11 cette petite production s’insère dans un circuit

d’échanges12 et de coopération ; elle fait donc partie d’un processus plus large de socialisation par le

travail.

Le projet « journal de classe »

Le projet de la publication d’un journal a été réalisé dans une classe de seconde, Allemand

première langue. Chaque élève dispose d'un plan de travail où est inscrit, entre autres, la possibilité

d’écrire des textes personnels. Il peut écrire – seul ou à plusieurs – soit en classe pendant le travail

individualisé, soit à la maison. A intervalle régulier, les élèves peuvent présenter leurs écrits , en

général par mois. La classe choisit, par vote, les meilleurs textes à publier dans le journal13. Les

textes non élus ne sont pas pour autant oubliés ; l'élève peut en faire un album ; il l'envoie aux

correspondants ; le texte peut être affiché, etc. Comme on ne dispose pas de beaucoup de temps en

classe de langue, le texte à exposer oralement devant la classe doit être déjà « présentable », c'est-à-

dire le « toilettage » de l'orthographe, du style, des erreurs de contenu, etc. doit avoir lieu avant la

présentation. Il reste l'organisation matérielle de la production à assurer :

- la collection des textes élus,

- la saisie des textes,

- la mise en page,

- la dernière correction du professeur,

- le feu vert pour l'impression (« bon à imprimer »),

- l'impression (la photocopie la plupart du temps),

- l´agrafage,

11 En pédagogie Freinet, on parle « d’nstitutionnalisation » de la classe. 12 La linguistique nous a fait prendre conscience que les échanges verbaux liés à des situations

précises (les „actes de paroles“) sont très ritualisés. Il s’avère que les élèves parlent, à propos des différentes activités de la classes, rapidement dans la langue cible.

13 L'auteur reste maître de son écrit ; il peut refuser sa présentation devant la classe, des corrections proposées et sa publication. Tout texte publié porte la signature de l'auteur. Le contenu peut parfois mettre en cause d'autres personnes. Le conseil du groupe-classe discutera alors de l'opportunité de la publication d'un tel texte. En dernier ressort, c'est l'enseignant qui en porte la responsabilité.

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- la distribution (vente)

- la critique du produit final.

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Illustration n° 4 : Extrait du journal « Der Journalist », 4 pages (classe de 2e, lycée de Talence, Gironde, mai 1992)14

Ce processus de réalisation du projet commun implique l’élève quant aux décisions à prendre,

des responsabilités à assumer. Ce travail doit se faire en amont des présentations et du choix des

textes. Il s'effectue lors du conseil, réunion mensuelle coordonnant le travail du groupe-classe. Le 14 La classe a opté pour une édition bilingue comprenant le résumé ou la traduction de certains articles afin que le

journal puisse être lu par des non-germanistes.

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groupe doit savoir pour quelles raisons il édite un journal et à qui celui-ci s'adresse. Il désigne les

responsables, répartit les tâches ; il détermine le titre de la publication, le nombre de pages, le

tirage, le coût de la production et éventuellement le prix du journal, il fixer les délais des différentes

phases de production. La création du journal réussira sous condition que la phase de production ait

été organisée rigoureusement auparavant et qu’il y ait un réel groupe-cible de lecteur.

En s'insérant dans un processus de production pour lequel il est motivé, l'élève prend en

charge non seulement la réalisation d'un journal mais en même temps ses apprentissages : il a écrit,

corrigé et retravaillé son texte. Il l'a présenté oralement; il a éventuellement participé à sa mise en

page. Il est certain qu’il maîtrisera un sujet qu'il a traité de si multiples façons. S’y ajoute la

valorisation du travail personnel : il est publié et lu par d'autres. Sa recherche, son savoir ne sont

plus une affaire personnelle ; ils sont devenus un travail socialisé. La production d'un journal de

classe est ainsi – au niveau pédagogique - un projet très complet, suscitant à la fois l'emploi des

capacités intellectuelles, manuelles et artistiques des élèves, insérant ceux – ci dans un processus de

socialisation. C'est un travail exigeant, à tout point de vue, une bonne qualité du produit final.15

La didactique des langues face à un projet pédagogique de type holiste

Le projet en pédagogie Freinet qui est inséré dans les apprentissages, leur sert de base,

constitue ainsi une démarche holiste. Néanmoins, elle n’est pas sans susciter quelques questions, en

l’occurrence celle de la transposition didactique, celle de la place des phases d’entraînement

linguistique et celles des capacités linguistiques des élèves à s´exprimer en toute occasion dans la

langue cible.

En classe de langue, surtout au niveau des débutants, se pose, en effet, le problème de la

présentation : l'auteur ne dispose pas d'une maîtrise (linguistique) suffisante pour présenter et lire

son document devant la classe ; celui-ci s'avère souvent trop difficile ou trop long ; l'élève n' a pas

eu suffisamment de temps pour s'entraîner à une prestation orale, etc. Ce problème d’ordre

pédagogique n’est pas propre à la classe de type Freinet ; il se pose à chaque fois que l’élève prend

la parole de sa propre initiative (et non pas sous forme d’une réplique attendue à la question de

15 Rappelons que ce n’est pas uniquement en classe de type Freinet qu’on édite des journaux

scolaires. Les premières expériences remontent aux années 1920 (cf. J. Korczak 1921) dont C. Freinet s’est d’ailleurs inspirées. Aujourd’hui, le Centre de Liaison de l'Enseignement et des Moyens d'Information (C.L.E.M.I.) du Ministère de l’Éducation nationale est très actif dans ce domaine ; voir C.L.E.M.I. (1991), J. Gonnet (1990), O. Chenevez / C.L.E.M.I. (1991). Ses expériences se situent néanmoins en dehors des disciplines traditionnelles et s’apparentent davantage aux TPE.

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l’enseignant). C’est le rôle du professeur d’y intervenir comme modèle linguistique et de l’aider,

voire de le suppléer au début, si cela s’avère nécessaire.

La question des matériels pédagogiques est plus délicate. Il est en effet possible de faire

réaliser aux élèves des projets en langue étrangère. Cependant, il faut constater que la tâche

d’approfondir, de fixer les faits de langues, assurée habituellement par les exercices que proposent

les méthodes de langues, devient ici plus difficile. Il y a actuellement encore peu de matériels

linguistiques que l’élève peut utiliser indépendamment d’une progression lexicale (qu’impose le

séquencement des manuels scolaires). Pour le moment, l’enseignant est souvent amené à produire

lui-même ces outils.16

En somme, la pédagogie Freinet dispose donc d’un scénario pédagogique très élaboré mais

celui - ce ne résout pas la transposition didactique des contenus17. En pédagogie Freinet, on peut

dire qu'elle se situe en amont du travail didactique habituel, nommément dans l'importation des

contextes et dans l'instauration du cadre coopératif du travail. La question principale de

l'apprentissage d'une langue est celle de la communication et du sens, du pourquoi parler en langue

étrangère dans la situation de classe. C'est donc le déploiement des procédés et réseaux de

communication (la correspondance, le journal de classe, le texte libre, l'enquête, l'exposé, le

débat…) qui induit le processus de l'apprentissage et dans un moindre degré la préparation de

matériels didactiques. Ainsi, dans l'élaboration de l'objet d'enseignement, la question des

motivations se pose différemment : Ce n'est pas la maîtrise de la langue qui motive l'expression

personnelle, mais les pratiques socialisées de communication. C’est certainement à ce niveau que

les TPE et les Travaux croisés se distinguent des pratiques Freinet ; les premiers se dérobent, en

fait, face à la question du scénario pédagogique et de la transposition didactique ; la pédagogie

Freinet dispose à ce niveau d’une pratique de classe avérée sans toutefois satisfaire à toutes les

interrogations que pose la didactique.

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de linguistique appliquée, n° 35, 1979, pp. 49 - 57. Barré, Michel (1998) : L’aventure documentaire : une alternative aux manuels scolaires, Nantes,

Éditions I.C.E.M. [2e édition revue et corrigée, 1ère édition : 1983].

16 Il faut néanmoins constater que progressivement il y a de plus en pour de ces outils pour les

langues scolaires courantes ; voir G. Schlemminger (1997a) (1997 b), J. Varenne (2001), cf. également G. Schlemminger et al. (2001).

17 Cf. également G. Schlemminger (1995 b).

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