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1 LA PRODUCTION AUDIOVISUELLE DOCUMENTAIRE Intervenant : Vincent Gazaigne. Lundi 21 Octobre

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LA PRODUCTION AUDIOVISUELLE DOCUMENTAIRE

Intervenant : Vincent Gazaigne.

Lundi 21 Octobre

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Table des matières

Le rôle et la place du documentaire aujourd’hui ............................................ 3

Le documentaire : en quête de définition .................................................... 3

a) Petite histoire du cinéma documentaire .................................................................................... 3

b) le documentaire, outil de réflexion et de création ..................................................................... 4

La situation actuelle de la production et de la diffusion documentaire ........ 4

a) un genre en pleine expansion .................................................................................................... 4

b) Quelle place pour le documentaire dit de " création " ............................................................... 5

L’écriture du documentaire de création ......................................................... 7

POURQUOI ÉCRIRE UN DOCUMENTAIRE ? ................................................... 7

PRÉAMBULE A L’ÉCRITURE : LE REPÉRAGE ................................................... 7

DE QUOI EST CONSTITUÉ UN DOSSIER ? ...................................................... 7

Documentaire : le royaume de l'uniforme ...................................................... 9

Au festival de Cannes, le documentaire est aussi à la fête ............................ 11

Quark productions, fier poucet du docu ....................................................... 13

Boris Razon – La production web chez France TV #3 - INTERVIEW ................. 15

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Le rôle et la place du documentaire

aujourd’hui

Source : www.derives.tv

Le documentaire : en quête de définition

a) Petite histoire du cinéma documentaire

Avant toute réflexion préalable, il me semble indispensable de donner un aperçu historique de ce genre cinématographique. Commençons par rappeler que le cinéma est né sous la forme du documentaire : les premières " Vues " des frères Lumières se présentent comme de courts plans séquences montrant des scènes de la vie quotidienne (l’arrivée d’un train en gare de la Ciotat, la sortie d’une usine…) Outil d’enregistrement qui permet de saisir le " réel " sur le vif, la caméra a d’abord été conçue comme un instrument à visée " scientifique ". L’invention du cinéma s’inscrit dans la droite ligne d’un idéal positiviste de saisie objective du monde. Aujourd’hui, l’image peut s’apparenter encore à une marque de preuve indubitable. Au fétichisme de la preuve par l’image s’oppose l’idée d’une prééminence de l’écrit, seul garant d’une distance nécessaire à toute entreprise de connaissance. L’histoire du documentaire reflète ces préoccupations, et le regain d’intérêt pour le " réel " à laquelle nous assistons aujourd’hui, au cinéma ou à la télévision, témoigne de l’acuité de ces questions. Le cinéma est donc né sous la forme du documentaire. En quelques deux décennies, le cinématographe des origines devient le cinéma, à la fois art, industrie et mass media. Le genre documentaire reste le " parent pauvre " de cette industrie, relégué à une fonction didactique d’information. Bien sûr, le documentaire comme genre esthétique s’affirme déjà pleinement à travers l’œuvre de cinéastes tels Vertov, Flaerthy, Jean Vigo, Joris Ivens.. Mais c’est à partir des années cinquante que le documentaire prendra un nouvel essor. L’allègement du matériel facilite la prise de vue hors studio, et le développement de la télévision va progressivement transformer les modes de production et de diffusion. Rebaptisé " cinéma vérité " ou " cinéma direct ", le documentaire inspire directement le cinéma de fiction et les jeunes auteurs de la Nouvelle Vague. Pendant une brève période, des mouvements tels le " free cinema " en Grande Bretagne ou encore le " cinéma vérité " en France seront portés par cette idée que le cinéma allait devenir le lieu d’expression d’ une parole libre. Il serait trop long de prétendre donner ici une vision exhaustive de toutes les formes empruntées par le cinéma documentaire, depuis l’époque du muet jusqu’à nos jours, en passant par la " révolution " du " direct ". Le cinéma direct représente un tournant majeur dans l’histoire du cinéma et dans celle des médias : les innovations techniques, notamment le son synchrone ayant permis au film documentaire de se dégager de sa forme " classique ", longtemps dominée par la présence d’un commentaire en voix off. Le documentaire est aujourd’hui encore un genre cinématographique bien vivant : différents festivals lui sont consacrés et de nombreuses formations se proposent d’offrir une professionnalisation dans ce secteur de l’audiovisuel. Cependant, l’écart se creuse entre le nombre de productions télévisuelles, qui prennent le " réel " comme objet (reportages, " reality show ", téléréalité, docu fiction…), et la place réservée au documentaire dit de création dans l’ensemble du paysage audiovisuel. Celui-ci se défini comme un cinéma qui certes, se présente comme un " cinéma du réel " mais qui inclus justement dans sa définition la nécessité d’interroger ce " réel " par les moyens qui sont propres au cinéma.

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b) le documentaire, outil de réflexion et de création

Lorsqu’on évoque le documentaire, on se heurte souvent à un malentendu. Le documentaire reste la plupart du temps assimilé au reportage journalistique ou encore à un cinéma cantonné à sa fonction pédagogique ou scientifique. Or, la vocation du documentaire n’est ni de l’ordre de la communication ni du didactisme. Il ne dispose pas de " recettes " et peut emprunter toutes les formes d’expression et s’approprier tous les sujets. Du " cinéma direct " au documentaire de mémoire, du portrait intimiste au cinéma militant, ou encore du cinéma expérimental au film ethnographique : il n’existe " a priori " aucunes limites au champ du documentaire. Cette diversité d’approches va à l’encontre de l’idée selon laquelle " documentaire " signifie retranscription " objective " des faits, rendant l’expression " film documentaire " synonyme d’une forme pauvre et stéréotypée. Interroger le réel avec les ressources propres au langage cinématographiques serait pour nous la définition rendant compte avec le plus de justesse de la démarche du documentariste. Thierry Garrel, directeur des programmes documentaire d’Arte, livre un point de vue qui nous semble très pertinent sur la fonction du documentaire aujourd’hui : " En réponse à la crise des valeurs humanistes et la fin des utopies dont il a fallu faire le deuil, le documentaire est désormais le lieu de nouvelles interrogations de l’homme par l’homme. Pas pour asseoir des certitudes mais pour reformuler à l’échelle de microcosmes humains les questions essentielles de la vie " Thierry Garrel, Juste une Image, Jeu de Paume, Paris, 2000

La situation actuelle de la production et de la diffusion documentaire

a) un genre en pleine expansion

Le succès récent de certains films documentaires au cinéma ( " Etre et Avoir ", " Le Glaneur et la Glaneuse "…) ainsi que la multiplication de manifestations culturelles liées au documentaire (festivals ou initiatives tels " Documentaire sur Grand Ecran " à Paris) témoignent de la vitalité de ce cinéma . Différentes hypothèses peuvent être avancées afin d’expliquer cet intérêt du public et des acteurs du monde professionnel. Le développement d’outils numériques a banalisé l’accès à la fabrication d’images et a permis en même temps de réduire considérablement les coûts de fabrication d’un film. Par conséquent, la possibilité de réaliser un film se trouve désormais à la portée du plus grand nombre. Le documentaire représente également l’alternative d’un " autre " cinéma, pouvant relever d’une pratique artisanale, face aux grandes productions de l’industrie cinématographique. Cependant, l’existence de divers festivals ainsi que le succès public de certains films ne doit pas faire oublier que sur les 2800 heures de documentaire produites annuellement en France " plus de la moitié de ces films ne sont (…) jamais diffusés sur les chaînes nationales hertziennes ". Jean Marc La Rocca, Le documentaire en crise, in Le Monde du 16/04/04. Du point de vue de l’économie audiovisuelle, le documentaire ne s’est pourtant jamais si bien porté : " Depuis dix ans, avec l’arrivée des chaînes thématiques et de France 5, le nombre d’heures de documentaires produites a explosé (+ 240% depuis 1997 selon le rapport Shwartz)". Cette croissance de la production documentaire apparaît comme une conséquence directe de l’apparition de chaînes thématiques nationales (Arte et La Cinquième) qui contribuent à presque un quart du volume de la production annuelle. L’élargissement du réseau câblé a également suscité une demande plus importante, bien que le soutien financier apporté par ces chaînes privées thématiques soit moindre. La situation de concurrence accrue entre les chaînes incite désormais celles- ci à imposer des critères de plus en plus contraignants aux films devant être diffusés. Le documentaire dit de création a donc peu de place dans ce système et dépend largement de la télévision publique et des aides du CNC (20% des documentaires diffusés par la télévision publique rentrent dans cette catégorie). Au cours d’un entretien pour le journal Le Monde, Jean Marc La Rocca, membre de l’association des cinéastes documentaristes (ADDOC), énonce les obstacles rencontrés auprès des diffuseurs :

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" Les raisons du refus [des projets] sont nombreuses (…) parfois le sujet, ou l’angle selon lequel le réalisateur souhaite traiter le sujet ne convient pas ; la forme, le style, la manière de mener la narration, la longueur des plans, le silence…Tout cela peut gêner les diffuseurs car ils estiment qu’un plan silencieux de 30 secondes par exemple peut inciter le spectateur à aller voir sur une autre chaîne. " Ainsi, le contenu et la forme des films diffusés se trouvent soumis à des normes laissant peu de place à la diversité des approches, qui devrait pourtant être inhérente au genre documentaire.

b) Quelle place pour le documentaire dit de " création "

L’appellation " documentaire de création " relève sur le plan juridique du statut d’ " œuvre audiovisuelle " défini par le CNC. Cette appellation renvoie à un type de démarche qui privilégie l’expression d’un point de vue singulier à travers la construction d’un récit audiovisuel fondé sur une expérience du " réel ". Le documentaire de création s’inscrit ainsi dans la catégorie des " films d’auteurs ". L’expression " documentaire de création " peut paraître pompeuse. Cependant, la reconnaissance du statut d’ " œuvre audiovisuelle " apparaît comme l’unique garantie pour le documentaire d’exister comme genre cinématographique. Il est en effet devenu très difficile de parvenir à faire diffuser un film dans lequel le format, le rythme, et le mode de narration s’écartent des standards habituels. A cela, il faut ajouter que certains sujets sont perçus comme plus " médiatiques" que d’autres, ce qui limite d’autant la diversité des propositions. Le modèle du reportage est donc devenu la norme de référence du documentaire télévisé. Frédérick Pelletier analysant l’impact de la télévision sur les formes du documentaire dénonce cette assimilation du documentaire au reportage : " La télévision, parce qu’elle finance et distribue le documentaire de façon très importante, a modifié la pratique des cinéastes et les attentes du public envers ce genre. De même, parce que c’est l’une des fonctions avouées de la télévision que d’informer, on a exigé du documentaire qu’il soit informatif, entraînant une confusion entre le cinéma documentaire issu de diverses traditions - Vertov, Perrault, Flaherty, Grierson, etc. - et ce que l’on nomme " grand reportage " " Frédérick Pelletier, A propos d’un malentendu, in Hors Champ, Septembre 2003 Frédérick Pelletier oppose l’exigence d’immédiateté et l’idéal de neutralité du reportage à la pratique du documentaire : celle ci s’inscrit dans la durée parce qu’elle est avant tout une recherche. Le documentaire ne se situe donc jamais dans le présent de l’" actualité " qui est l’unique mode temporel de la télévision. Le documentaire relève avant tout d’une éthique de l’image. Alors que la réalité " innerve " (selon l’expression d’un responsable de chaîne) tous les genres télévisés ( téléréalité, docu fictions…), le documentaire reste encore cette " fenêtre " ouverte sur le monde : " Le documentaire, celui que nous défendons, n’a pas pour vocation d’informer, il permet aux spectateurs de faire l’expérience du réel. Il est sans doute le dernier genre télévisuel à proposer cette expérience du réel. " ajoute Jean Marc La Rocca. En créant le " Salon des Refusés ", l’association des cinéastes documentaristes a voulu attirer l’attention du public et d’autres professionnels de l’audiovisuel sur la place et l’avenir du documentaire. Selon Jean Marc La Rocca, seule la télévision publique, qui se trouve en " position dominante ", pourrait pallier à cette situation de " crise " que traverse actuellement le documentaire de création. La désaffection des chaînes nationales, la réforme des intermittents et celle du COSIP (compte de soutien du CNC, pour lequel il est prévu de réduire l’aide au documentaire) : autant de facteurs qui mettent en cause l’activité des professionnels de ce secteur, qu’ils soient réalisateurs, producteurs ou distributeurs. Certes, le compte de soutien du CNC étant ouvert depuis dix ans aux chaînes locales a permis d’élargir les possibilités de financement. Mais les conditions de réalisation et de production restent d’une grande indigence matérielle pour la plupart des films. Globalement, le documentaire de création se trouve donc dans une situation économique précaire qui rend difficile l’exercice d’une activité professionnelle rémunérée dans ce domaine. c) vers un développement des voies alternatives

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Les nombreux festivals et manifestations liés au documentaire (festivals de Lussas, Marseille, Paris, Nyons…) prouvent qu’il existe un public pour ce genre de cinéma ainsi qu’un véritable tissu culturel et associatif. La télévision a contribué à l’essor du documentaire en lui offrant un espace de diffusion : ce sont les chaînes, il faut encore le rappeler, qui financent la majeure partie de la production documentaire. Mais ce nouvel essor s’est accompagné, sous l’effet d’une concurrence économique accrue, d’une restriction de la liberté de création. C’est donc le documentaire dit de création, le seul qui maintient encore aujourd’hui une exigence d’une " éthique " de l’image, qui souffre le plus de cette situation. Ainsi que le souligne Jean Marie Barbe, fondateur de l’association Ardèche Images et directeur du DESS réalisation documentaire de Lussas : " la télévision qui a permis au documentaire d’exister, qui lui a sauvé la vie en termes industriels,(…), la télévision aujourd’hui fait mal son métier, pour des raisons complexes. ". C’est en effet parce que " la question de la communication l’emporte sur celle de la création " que la télévision, y compris et surtout la télévision publique, n’est plus capable d’assumer son rôle social de médiateur. Certes Jean Marie Barbe rappelle qu’il existe encore quelques " niches " dans le paysage audiovisuel favorables à la diversité des regards et des formes d’expressions dans le domaine du documentaire (comme par exemple l’unité de programme dirigée par Thierry Garrel sur Arte). Mais c’est encore trop peu et même ces niches sont menacées par la course à l’audimat. La question qui se pose est donc de savoir si l’avenir du documentaire, comme de l’ensemble du cinéma indépendant, ne passe pas par le développement de voies alternatives. A l’heure actuelle, il semble en effet primordial de redéfinir le statut et la place du documentaire, afin de " trouver d’autres espaces économiques (…) pour permettre à l’art d’exister en se fondant dans la société ". Le documentaire existe à la télévision, mais aussi dans les festivals, dans les médiathèques ou vidéothèques (par exemple le forum des images à Paris) et sur internet. Un petit nombre de sites destinés à promouvoir le cinéma indépendant offrent aujourd’hui un espace de diffusion mais aussi d’échanges. Bien que s’inscrivant en dehors de l’industrie et de l’économie audiovisuelle, ces réseaux parallèles représentent un avenir possible pour le documentaire. Jean Marie Barbe évoque à ce sujet les bases d’un futur projet qui aura pour but de " rassembler les producteurs indépendants " par le biais de la création de différents sites internet consacrés au documentaire : " Les gens pourront acquérir des films via le Net, à partir d’une base de données (…) il faut créer une sorte de fonds d’œuvres documentaires, avec une vraie politique éditoriale, à la fois cinémathèque et Web TV. " Août 2004, Lyon

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L’écriture du documentaire de création

Source : www.jeunecineaste.net

Si l’art du documentaire consiste à la captation de la réalité, il est alors paradoxal pour un auteur-réalisateur d’appréhender par l’écrit cette réalité avant même d’y avoir été confronté. Une étape pourtant de plus en plus incontournable dans le système actuel des aides financières.

POURQUOI ÉCRIRE UN DOCUMENTAIRE ? À moins de s’auto-produire (dans ce cas, on ne rend de comptes qu’à soi-même !), le réalisateur doit avant tout coucher son intention de film sur le papier pour convaincre un producteur de se laisser embarquer dans l’aventure. Les premières idées mises noir sur blanc seront une base d’échange et permettront au producteur de découvrir le sujet du documentaire mais aussi l’auteur qui désire le réaliser (notamment son point de vue personnel). Écrire permet également de ne pas rester à la périphérie de son sujet et de trouver au fond de soi le moteur de l’envie de film. Une fois le producteur trouvé, ce dernier fera parvenir le dossier aux différentes instances d’aides à la production et notamment aux chaînes de TV pour tenter d’obtenir un pré-achat. Un dossier bien écrit permettra au producteur d’argumenter au mieux sur l’intérêt à financer le projet.

PRÉAMBULE A L’ÉCRITURE : LE REPÉRAGE Quel que soit le sujet du documentaire (sujet historique, portrait, enquête…), le premier travail consiste en une démarche de recherche (d’archives visuelles ou sonores, d’écrits, d’articles…) et/ou de repérage. Cela permet de plonger au cœur de son sujet, de l’entrevoir sous tous ses aspects, sans aucune idée préconçue de la forme que prendra le film. Il est également primordial d’entrer en contact direct avec les lieux et surtout les éventuels protagonistes du film. Nul besoin de caméra, seule la relation humaine établie est primordiale. L’auteur vérifiera ainsi l’intérêt que les personnes portent à son projet et leur potentiel à s’exprimer. En quelque sorte, seront-ils en mesure de jouer leur propre rôle devant une caméra.

DE QUOI EST CONSTITUÉ UN DOSSIER ? Une fois enrichi de toute sa documentation et des rencontres humaines lors des repérages, l’auteur peut appréhender la mise par écrit de son projet. Pour chaque document, il peut faire preuve d’un style d’écriture personnel à partir du moment où son style permet de mieux appréhender l’esprit du film à venir. Le synopsis doit clairement exposer le sujet du film et son contexte particulier (en fonction de critères historiques, sociologiques, politiques…). Il doit également décrire les personnages (si le film comporte des scènes d’interviews) que vous avez choisis pour illustrer votre sujet. Ce document a pour autre fonction de faire ressentir aux lecteurs la forme scénaristique du film à venir. La note d’intention permet à l’auteur d’exprimer clairement le « pourquoi » de son désir de film (comprendre en quoi il a toute légitimité à le traiter) et surtout son point de vue (humain et cinématographique) sur la réalité qu’il désire faire découvrir. La problématique développée par le film doit être clairement définie.

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Il y a enfin le scénario ou le traitement. Ce document est plus une base très précise de travail qu’un texte figé. Néanmoins, comme pour une fiction, le scénario de documentaire doit faire comprendre de quelle manière le spectateur va découvrir les différents éléments constituants du sujet et quelles seront les principales étapes de la narration du film. Il est évidemment impossible de décrire précisément les situations qui seront filmées mais il faut au moins décrire des situations approchantes. Tout comme les dialogues qui doivent uniquement témoigner du type de propos susceptibles d’être tenus par les personnages. À l’auteur de bien faire le distinguo entres les situations prévisibles et celles qui sont imprévisibles. Si nécessaire, le dossier peut s’enrichir de tout document visuel ou sonore. Enfin, particulièrement dans le cadre du documentaire de création, l’étape du montage est en général la dernière phase d’écriture, d’inventions narratives.

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Documentaire : le royaume de l'uniforme

Source : Le Monde

Les documentaristes ont du vague à l'âme. L'origine de leur malaise ? Un sérieux malentendu avec les diffuseurs, qui ne date pas d'hier mais semble s'être amplifié. Quelques jours avant l'ouverture du 24e festival Sunny Side of the Doc, organisé à La Rochelle du 25 au 28 juin, plusieurs producteurs nous ont livré leurs interrogations et leurs doutes. Intermédiaires par fonction, mesurant autant les caprices de certains auteurs et réalisateurs que les contraintes des diffuseurs, ils estiment, en substance, que la liberté de création est dangereusement menacée par l'uniformisation - tant sur le fond que sur la forme - des documentaires diffusés à la télévision. La portée de leurs propos dépasse largement les frontières de leur corps de métier, puisqu'ils concernent ce que nos petits écrans reflètent du monde dans lequel nous vivons. A tout le moins, ils méritent d'être entendus. Exigeants sans être nombrilistes, ils ont tiré un trait sur la TNT - "une tragédie", dit l'un d'eux - et n'attendent pas grand-chose du secteur privé. Comme souvent, dans cette matière qui touche à la citoyenneté, c'est le service public qui concentre toutes leurs attentes... et génère déceptions et frustrations. A tel point que certains ont quasiment renoncé à produire pour le petit écran. "LA PEUR ABSOLUE DE L'INNOVATION" "Le plaisir de produire du documentaire pour la télévision a chuté", constate Bruno Nahon. S'il a encore en projet une série sur le capitalisme pour Arte, ce membre du collectif Zadig productions préserve désormais son enthousiasme grâce aucinéma et/ou à la fiction (Les Invisibles, Ainsi soient-ils...). "Soit la télé accompagne le besoin de créer, soit il va se nicher ailleurs", dit-il. "Les maux du service public sont un concentré des maux de la France", poursuit-il, en évoquant"l'empêchement des jeunes générations à émerger" et "la peur absolue de l'innovation". A chacun ses mots pour décrire un même phénomène. Dominique Barneaud (Bellota Films) le dit en des termes qui se veulent positifs : "Parfois, quand on présente dans une chaîne un projet bien ficelé, au bon moment, au bon endroit et à la bonne personne, on peut arriver à convaincre..." Sur le fond, le champ des possibles se rétrécit comme peau de chagrin avant un éventuel passage à l'antenne. Au nom de la loi de la proximité, l'international a rarement droit de cité. "Même pour Arte, on reste sur l'Europe proche", note Alexandre Cornu (Les Films du tambour de soie). Une fois le sujet calé à l'intérieur de nos frontières, l'étau se resserre avec une écrasante prédominance des sujets dits "de société". Puis le formatage - écriture standardisée, personnages récurrents, commentaire (très) didactique - fait son travail de sape. Chacun en connaît les règles, et peut anticiper les consignes en se livrant à un exercice d'autocensure qui ne satisfait personne. Ce formatage passe notamment par une épreuve écrite : la rédaction d'un dossier fourni, qui doit être présenté avant le tournage. Décrire le réel avant qu'il soit filmé est un non-sens pour nombre de documentaristes. "Mon métier, c'est de faire des films, pas des dossiers. Je ne veux pas perdre de l'énergie là-dedans", note Bruno Nahon. "On nous demande "thèse, antithèse, synthèse". Un bon film, ça ne peut pas être ça", souligne Basile Carré-Agostini, fils du réalisateur Jean-Michel Carré (Les Films du grain de sable). "J'aime les films où on se pose des questions. Les chaînes, elles, réclament beaucoup de réponses au départ", noteMarie Gutmann (Méroé Films). "DES PROJETS FACILES AUX AUTEURS RECONNUS ET SÛRS" Entre les lignes de cette figure imposée apparaît le souci des diffuseurs de plaire à tout le monde. Un objectif "impossible" à atteindre, note la productrice, qui dit avoir"l'impression d'être une agricultrice bio face à Carrefour". "La tendance est de s'intéresser à des projets faciles, aux auteurs reconnus et sûrs qui vont traiter des sujets tranquilles reflétant la pensée dominante", constate Tancrède Ramonet (Temps noir). "A force de chercher de la profondeur dans des choses superficielles, on finit par trouver du charme à son bidet !", s'exclame-t-il. "Si le documentaire à la

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télé était une fenêtre sur le monde, il est désormais un oeilleton sur l'ordre établi", déplore en écho Nora Philippe (Les Films de l'air). La productrice, également enseignante à Sciences Po, rappelle que le documentaire est là "pour déranger et non pour "lisser"", qu'il doit "faire exister le téléspectateur en tant que sujet et non en tant que consommateur". A des lieues de ces principes, les diffuseurs chassent "l'anxiogène", auquel les téléspectateurs sont présumés allergiques. Des sujets graves peuvent être acceptés, mais à dose modérée, et si possible avec un happy end... Un film sur l'alcoolisme et la dépendance n'a trouvé preneur qu'auprès d'une chaîne régionale de France 3, raconte son producteur, Alexandre Cornu. Les chaînes locales sont souvent mises à contribution, apportant des sommes modestes mais indispensables pour que des projets puissent voir le jour. "Elles restent curieuses de ce qu'on peut leur proposer", témoigne Marie Gutmann. Comme tant d'autres, la productrice conteste des choix établis en fonction de mesures d'audience. "La programmation ne se réfère qu'au passé. Faudrait-il que l'industrie automobile ne fabrique que des 2 CV parce que la 2 CV a bien marché ? C'est suicidaire !", s'exclame-t-elle. Tout ce qui est diffusé sur les chaînes nationales, en particulier celles du service public, n'est pas indigne, loin s'en faut. La télévision reste un média où se glissent "des pépites, même si elles sont noyées dans une espèce de mayonnaise incroyable", comme nous le disait récemment Jean-Michel Carré. Mais ces "pépites" se font rares. Pire : selon Tancrède Ramonet, elles serviraient d'"alibi pour pouvoir faire tranquillement et massivement des documentaires standardisés dans leur forme, normalisés sur le fond, industrialisés dans leur mode de production". Ainsi, selon lui, la série (ambitieuse) sur l'histoire de l'Afrique qu'il a produite pour France 5 et qui a été diffusée en 2010 aurait "permis à la chaîne derefuser tous les autres projets sur le sujet". Des changements structurels ont accompagné ces tendances. "Foisonnante, la production documentaire en France a attiré les agences de presse qui se sont imposées avec un "low doc" et un "junk doc", comme on peut parler de "low cost" ou de "junk food"", note Tancrède Ramonet. Ces agences garantissent aux diffuseurs réactivité et efficacité, mais éloignent le documentaire de l'une de ses caractéristiques essentielles : le temps. Après avoir consacré deux ans et demi à un projet sur Pôle emploi, Nora Philippe s'est vu opposer un refus d'Arte, puis de France 2, qui lui a préféré un reportage de Capa filmé en caméra cachée, diffusé en janvier dans le magazine "Les Infiltrés". Les documentaristes placent leurs espoirs dans les bouleversements induits par les nouvelles technologies. "Le Web fait exploser pas mal de choses et permet d'être beaucoup plus créatif à l'antenne", assure Alexandre Cornu. "L'innovation sur le Web ne doit pas être un alibi", prévient toutefois Marie Gutmann. Chat échaudé craint l'eau froide.

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Au festival de Cannes, le documentaire est

aussi à la fête

Publié le 20-05-2013 à 12h00 - Mis à jour à 17h15

Source : Le Nouvel Obs

CANNES (AFP) - En plein essor, le documentaire est aussi à la fête au festival de Cannes, que le sujet soit grave comme dans "Le dernier des Injustes" ou plus léger avec "Seduced and abandoned", qu'il soit projeté sur grand écran ou présenté au "doc corner" du marché du film. Preuve de ce succès, les documentaires représentent aujourd'hui 16% des titres présents au marché contre 8% il y a cinq ans, relève pour l'AFP Jérôme Paillard, le patron du marché du film. Un "doc corner" a même été créé l'an dernier à Cannes pour permettre aux acheteurs et programmateurs de festivals de visionner les documentaires et faciliter les rencontres entre professionnels. En France, le volume de documentaires l'an dernier a progressé de près de 10%, à un niveau inégalé, selon le Centre national du cinéma (CNC), dopé selon lui par la progression des demandes des nouvelles chaînes de la TNT et de France télévisions. Mais ce n'est pas la seule explication. M. Paillard pointe des budgets bien "plus faibles que ceux" des fictions, donc des "productions plus faciles à financer". Pour Luciano Barisone, directeur du festival suisse "Visions du réel", "la fabrication du documentaire est aussi devenue de plus en plus démocratique avec le numérique: des outils légers rendent moins nécessaire de passer par une production hyper structurée". "Depuis 2001, on vit dans une époque confuse. Je pense qu'il y a un appétit pour des documentaires enrichissants", à l'image de ceux de l'Américain Michael Moore, souligne de son côté Martijn te Pas, qui gère la programmation du festival international du documentaire d'Amsterdam. Michael Moore avait raflé la Palme d'or du Festival de cannes en 2004 pour "Farenheit 9/11", réquisitoire anti-Bush. Réseaux sociaux et crowdfunding Cette année, pas de documentaire en compétition mais une belle présence en sélection officielle avec "Week-end of a champion" tourné en 1971 par Roman Polanski sur le coureur automobile Jackie Stewart, ou encore l'amusant et corrosif "Seduced and abandoned", de l'acteur Alec Baldwin et le producteur James Toback, tourné en 2012 dans les coulisses du festival. Le réalisateur Claude Lanzmann fait plonger les festivaliers dans l'horreur nazie avec "Le dernier des Injustes" tandis qu'à la Quinzaine des réalisateurs, "L'Escale" de Kaveh Bakhtiari traite de l'immigration... Pour les professionnels, le documentaire répond à "un attrait du public pour des sujets ancrés dans la réalité", tandis que le format utilise de plus en plus les mêmes ressorts narratifs que les fictions pour gagner de l'audience, en mettant en scène, par exemple, les vrais héros des histoires. Reste encore également à améliorer la promotion des documentaires, inexistante face au rouleau-compresseur des superproductions. Mais les réseaux sociaux et le crowdfunding (levée de fonds auprès du public) peuvent aujourd'hui y remédier en partie. "Aujourd'hui contrairement à il y a 15 ans, dès que vous avez un sujet et que vous créez un site dédié, le public peut y adhérer, permettant de construire avec une relation à long terme" sur le documentaire, selon Martijn te Pas. "Mais ce n'est pas avec le documentaire qu'on devient riche !", prévient-il. En revanche, souligne Luciano Barisone, "un documentaire peut vraiment gagner sa vie en passant d'un festival à l'autre", dit-il. "Car le vrai réseau de distribution du documentaire est le réseau international des festivals" et non les salles de cinéma. Sauf en Suisse, qui fait figure d'exception, selon lui.

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Le documentaire y est même "considéré comme un art majeur" ajoute Elisabeth Garbar, productrice de "L'Escale" et auparavant de "Hiver Nomade", dévoilé à la Berlinale l'an dernier et qui a totalisé 80.000 entrées l'an dernier en Suisse.

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Quark productions, fier poucet du docu

PEIGNE-GIULY ANNICK 21 JUIN 2006 À 21:31

Source : Libération

Il y a douze ans, Juliette Guigon et Patrick Winocour créaient cette microstructure à l'écoute de l'auteur. «Universal, c'était déjà pris, alors on s'appelle Quark, Quark productions.» Le duo fonctionne si parfaitement qu'on ne sait si c'est Juliette (Guigon) ou Patrick (Winocour) qui a lancé la boutade, sans doute déjà rodée sur d'autres curieux. Quark est bien trouvé en tout cas. Tant il colle à la structure qu'ils ont créée il y a douze ans, mais aussi au style de films qu'ils produisent depuis. Demeurer la plus petite particule élémentaire du petit marché de la production de documentaires, c'est à peu près leur devise. Produire des films qui partent du plus local ou particulier pour toucher l'universel, c'est sûrement leur ambition. Et pour l'heure, ils réussissent sur les deux tableaux en ayant, en outre, choisi de travailler avec une nouvelle génération de cinéastes. Réseau. Dans l'atelier sur cour de la rue du Petit-Musc, ils ont leurs bureaux en face à face. Pas de secrétaire, pas d'assistant, pas de salle de montage... Juste un grand pan de mur chargé de DVD qui signale les activités de ce quark à deux têtes. «Si nous étions plus que deux, ça gripperait, expliquent-ils. Mais nous avons un réseau de collaborateurs extérieurs réguliers et, pour le matériel, on loue. Du coup, on a les derniers outils sortis. Ne pas s'occuper d'intendance, c'est du temps de cerveau disponible.» Leur modèle, c'est plutôt les Editions de Minuit que la Gaumont. «Nous venons tous les deux de grosses boîtes où la déperdition quotidienne d'énergie et d'argent était manifeste. Alors, oui, en toute modestie, nous voulons préserver une structure pour les auteurs, et surtout pouvoir les suivre.» La trentaine de films au catalogue témoigne de ce suivi. Les mêmes noms de réalisateurs reviennent. Ariane Doublet. Anne Villacèque. Marie Dumora. Julie Bertuccelli... Des femmes surtout, des jeunes cinéastes pour la plupart. «Dans les années 90, commente le duo, nous avons travaillé pour une émission d'Arte, Premières Vues. Un magazine de documentaires courts réalisés par des réalisateurs sortis des écoles européennes de cinéma. On y a rencontré Solveg Anspach, Anne Villacèque, et les autres...» Ce groupe de réalisateurs(rices) de trente ans encore inconnus a constitué leur vivier. «Nous n'avions aucun doute sur leur talent.» Du coup, ils enclenchent leurs premières productions sans chaîne télé. «C'était chaud, mais elles ont fini par mettre la main à la poche en cours de route.» Le travail de Quark commence avec Infirmières de Jenny Kéguiner, puis la Fabrique des juges, de Julie Bertuccelli, Trois Histoires d'Amour, de Vanessa d'Anne Villacèque, les Terriens et les Sucriers de Colleville d'Ariane Doublet. Ces deux derniers sont sortis en salles parce qu'aucune chaîne de télévision n'en a voulu. «Mais surtout, au montage, on s'est dit que c'était pour le cinéma.» Résultat : 7 000 entrées en salles pour les Terriens et encore 300 000 téléspectateurs sur Arte, puis 700 000 sur France 3... «On mesure quand même les risques.» En clair : cinq ou six films par an en production. Pas plus. Dont deux sans chaîne télé. Pas plus. Mais le catalogue et surtout les films réalisés expriment une vraie touche Quark. «Vision». Les titres, d'abord, qui ressemblent plutôt à des titres de livres. Les Infortunes de la vertu (Anne Villacèque), Tu n'es pas un ange (Marie Dumora), Un amour à Pékin (Olivier Horn)... Mais surtout, il y a cette même façon de faire. En privilégiant le temps, du tournage comme celui du montage. La plupart sont des tournages au long cours de plusieurs mois, voire des années pour certains. Les montages travaillent ensuite cettematière brute à la façon d'une fiction. Faisant surgir des personnages (le paysan retraité de La Maison neuve d'Ariane Doublet ou l'un des magistrats de la Fabrique des juges de Julie Bertuccelli). «On s'intéresse surtout à la vision du monde du réalisateur. A première vue, les Bêtes d'Ariane Doublet est un film sur un cabinet de vétérinaires, mais c'est aussi

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une vision personnelle du rapport entre l'homme et l'animal, et, par-dessus tout, de la disparition du monde paysan.» Leur structure ressent peut-être plus fortement qu'une autre le retour d'une veine militante du documentaire : «On est à une période où c'est plus dur d'avoir des certitudes arrêtées et donc la forme resurgit. Les usines qui ferment, c'est presque devenu un genre à lui tout seul.» Les Sucriers de Colleville, le film d'Ariane Doublet, situé clairement du côté des ouvriers, a fait 10 000 entrées en salles. A la télé, Arte. Reste que les critères de choix de coproduction des chaînes reposent avant tout sur le sujet, la notoriété du réalisateur, sur la crédibilité du producteur... «et, en dernier lieu, sur la façon dont l'histoire se racontera !» Difficile, dans ces conditions, de caser un premier film sur une chaîne. «Nous recherchons plutôt les premières parties de soirée. Nous arrivons à nous glisser dans des cases d'Arte, avec qui nous pouvons discuter tranquillement de la forme de nos films. Mais on remarque qu'aujourd'hui on n'écrit plus les documentaires de la même manière qu'avant. On va vers des formes plus sèches.» Seul, sans aucune chaîne, Quark a produit cette année un premier film de Jorgi Lazarevski, Voyage en sol majeur. Le voyage de fin de vie d'un homme de 93 ans. «Débarquer dans une chaîne avec un sujet pareil !... Mais on a essayé quand même. Pour le sport !» En attendant, le film a reçu le prix des jeunes et le prix Marcorelles à la dernière édition du Cinéma du réel de Beaubourg. PEIGNE-GIULY Annick

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Boris Razon – La production web chez

France TV #3 - INTERVIEW

Publié le 16 juillet 2012 par C.Mal Source : www.cinemadocumentaire.wordpress.com Suite et fin de cet entretien-fleuve avec Boris Razon sur Le Blog documentaire ! Après David Carzon et ARTE France il y a quelques semaines, c’est l’autre grand diffuseur hexagonal – France Télévisions – que nous sommes allés rencontrer. Boris Razon y dirige le département "nouvelles écritures et transmédia" depuis la rentrée 2011. Il revient ici sur la question du financement des œuvres numériques, et développe également une réflexion théorique plus large sur le web comme une façon nouvelle de voir le monde… Le Blog Documentaire : Question un peu polémique pour commencer ! Peut-on gagner de l’argent avec le webdoc aujourd’hui ? Boris Razon : Ce n’est pas mon rôle aujourd’hui mais je pense qu’il pourra y avoir rentabilisation une fois que nous aurons identifié des logiques d’usages des internautes. Dès lors, on pourra y travailler, mais on en est encore loin. Du coup, est-ce possible de se passer du CNC pour faire du webdoc ? C’est compliqué mais c’est possible. Il est possible de s’appuyer sur d’autres acteurs, comme les diffuseurs (ARTE et nous), d’autres diffuseurs web même si les volumes sont moindres. Nous avions parlé des outils de crowdfunding. Il y a aussi une possibilité pour que certaines marques s’associent au financement de manière intelligente. Nous n’allons pas vers ça à France Télévisions, mais je n’ai pas d’opposition de principe. Vous pensez que la position de principe du documentariste indépendant de toute forme de pression commerciale a vécu ? On suit avant tout une démarche éditoriale : qui dit arrivée d’un annonceur ne dit pas nécessairement pression commerciale. Toute la particularité des médias, c’est qu’ils produisent des contenus qui agrègent de l’audience et qu’ils peuvent intéresser des sociétés qui vendent des produits ou des services. En revanche, il n’est pas négociable que la démarche éditoriale préexiste obligatoirement à la logique commerciale. C’est un point non discutable. Mais les marques peuvent en revanche s’y associer. Que faudrait-il pour faire vivre l’écosystème du webdoc actuellement ? Je crois que nous faisons vivre un écosystème. L’enjeu pour moi est simple : on est en train de créer des programmes et des usages. A partir du moment où l’on crée des usages, on crée une rentabilité. C’est aussi simple que cela. Nous sommes encore, à France Télévisions, dans la phase de structuration de l’offre numérique. Notre rôle est celui d’être pilote, pour trouver les cadres et les paradigmes d’une expérience nouvelle de télévision. Mieux trouver son public, mieux rencontrer les usages, c’est le meilleur moyen de rencontrer la rentabilité. Quel est le budget 2012 de votre département nouvelles écritures et transmédia ? Le budget du département création nouvelles écritures s’élève à 1,2 million d’euros en 2012. Pour le transmédia, l’enveloppe est de 3 millions d’euros, tous programmes confondus (fiction, documentaire, jeunesse…). Et pour 2013 ? Je n’en ai encore aucune idée. Comme vous vous en doutez, la conjoncture est difficile… Diriez-vous que vous jouissez d’une grande liberté pour innover au sein de France Télévisions ? Oui, mais vous savez, la grande liberté est une condition essentielle de l’innovation. Cela a toujours été le cas dans l’univers du web. La meilleure manière de progresser, c’est de tenter et parfois de se planter. Ce n’est pas vraiment la logique de la télé, ça !

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Non, c’est vrai. Mais il vaut mieux faire et rater que de ne pas faire. Cela veut-il dire que les « nouveaux médias » vont finir par supplanter les « anciens » ? L’histoire des médias est claire : jamais un média ne s’est substitué à un autre. Il s’y ajoute. Cela dit, la rapidité de pénétration d’un média comme le téléphone mobile ne s’est jamais vue. Cette arrivée stupéfiante du web sur les mobiles génère des usages. Justement, comment trouvez-vous les axes de développement et d’innovation ? Nous faisons un travail de veille important : on participe aux festivals, on voit beaucoup de projets. Mon sentiment, c’est que les usages sont là. Notre boulot, c’est d’identifier et de rencontrer ces usages. Je sais par exemple que nous allons développer une websérie car il y a un usage sur lequel travailler. Nous cherchons aussi sur la fiction le moyen d’expérimenter. Quels usages avez-vous identifié sur lesquels il faudrait travailler ? Le nombre de données échangées sur Facebook et Twitter, par exemple, est sidérant. Mais ce fait n’a été que très peu intégré jusqu’à présent dans une logique narrative : on devrait le faire… on va sûrement le faire ! De la même manière, il faut trouver le programme qui va utiliser le téléphone portable, le live (sur Pluzz) ou le replay, tous ces usages qui se sont développés. Le web inclut-il un nouveau rapport au monde ? Oui. Je n’ai aucun doute sur le fait que la bascule numérique constitue une vraie rupture intellectuelle. Je suis convaincu que c’est de la nature de la révolution de l’imprimé, même si je n’aime pas le mot de révolution. C’est une rupture civilisationnelle. Des usages vont se rencontrer : il n’y aura ni fusion, ni disparition, mais hybridation et spécificités des usages selon les médias. Un mot enfin sur les programmes à venir, et d’abord l’accord que France Télévisions a passé avec l’ONF… Oui, nous avons signé un accord avec l’ONF pour réaliser 2 coproductions avec eux d’ici à 2014. On commence déjà à travailler sur la première. Il s’agit de coproductions sur le même modèle qu’ARTE, avec un leader sur chaque projet ? (voir l’entretien avec David Carzon) Oui. C’est un grand plaisir de travailler avec eux ; on apprend beaucoup à leurs côtés. Quelle est l’actualité de France Télévisions dans les semaines qui viennent ? Le projet réalisé par Jean-Christophe Ribot, B4, fenêtres sur tour, vient de sortir. Nous préparons une production transmédia intitulé Nos guerres d’Algérie, qui propose photos, vidéo et sons et qui accompagne le documentaire diffusé sur France 3. Nous travaillons aussi sur un gros projet avec Laetitia Masson pour la rentrée de septembre : le projet se situe à mi-chemin entre le webdocumentaire et la fiction, qui tient une grande part avec plus de 30 minutes produites. Elodie Bouchez et André Wims (aperçu dans Le Havre, de Aki Kaurismaki) y participent notamment. Le projet est très expérimental en termes de navigation. Nous travaillons sur plusieurs projets "magazine", et sur la fiction participative Anarchy, qui sera doublée soit d’une fiction soit d’un magazine proposé à l’antenne. Un projet sur tablette a paru en juin : Les 4 saisons d’Antoine, un programme jeunesse avec Pierre Richard. Nous avons développé une application transmédia autour de la diffusion d’une captation de concert le 17 juin dernier sur France 3. Enfin, nous sommes toujours en train de réfléchir les usages récurrents de l’internet mobile, dePluzz ou de Francetv.info pour expérimenter de nouveaux projets. Propos recueillis par Nicolas Bole