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Vol. 2 no 2, Automne 1998 INTERACTIONS LA RELATION D’AIDE PONCTUELLE Yves St-Arnaud Université de Sherbrooke RÉSUMÉ La psychologie des relations humaines comprend l’exercice de plusieurs rôles dont celui d’aidant. La relation d’aide ponctuelle est un mode d’intervention qui applique, dans le contexte de l’aide qu’on apporte à une personne, les principes et les particularités de l’intervention en psychologie des relations humaines. L’accent est mis, en particulier, sur la coopération et l’utilisation des ressources de la personne qui demande de l’aide. Deux fonctions servent à décrire les ressources de la personne aidante : une fonction de suppléance et une fonction d’assistance. Elles sont mises en relation avec les ressources de la personne aidée pour définir et illustrer quatre volets de compétences. Celles-ci permettent à la personne aidante de procéder à des expertises sur le contenu (volet I), d’utiliser les ressources de la personne aidée pour assurer la qualité de la suppléance (volet II), de gérer le processus d’intervention (volet III) et d’activer les ressources de la personne aidée pour qu’elle puisse mieux recevoir l’information en provenance de son organisme et de son milieu, faire des choix personnels et agir de façon efficace (volet IV). INTRODUCTION L’expression relation d’aide évoque un domaine d’intervention psychologique qui se caractérise par la diversité des méthodes d’intervention et par la confusion du vocabulaire utilisé pour le désigner. Trois termes sont utilisés, sans que l’on parvienne à les définir de façon univoque : relation d’aide, counseling et psychothérapie. Les deux derniers termes ont servi historiquement à distinguer deux types de services psychologiques dans le contexte nord-américain, mais au dire de plusieurs auteurs, cette distinction perd de plus en plus sa signification (Biggs, 1994, Rickey, L. G. et Christiani, T. S. (1995), Cottone (1992). L’émergence des thérapies brèves, en particulier, a contribué fortement à remettre en question la pertinence de distinguer ces deux modalités d’intervention (voir Hoyt, 1995). Un récent symposium sur le sujet, tenu au Québec, a permis de constater que la distinction est remise en question par certains (Lecompte, 1997, St-Arnaud, 1997b) et souhaitée par d’autres

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Vol. 2 no 2, Automne 1998 INTERACTIONS

LA RELATION D’AIDE PONCTUELLE

Yves St-Arnaud Université de Sherbrooke

RÉSUMÉ

La psychologie des relations humaines comprend l’exercice de plusieurs rôles dont celui d’aidant. La relation d’aide ponctuelle est un mode d’intervention qui applique, dans le contexte de l’aide qu’on apporte à une personne, les principes et les particularités de l’intervention en psychologie des relations humaines. L’accent est mis, en particulier, sur la coopération et l’utilisation des ressources de la personne qui demande de l’aide. Deux fonctions servent à décrire les ressources de la personne aidante : une fonction de suppléance et une fonction d’assistance. Elles sont mises en relation avec les ressources de la personne aidée pour définir et illustrer quatre volets de compétences. Celles-ci permettent à la personne aidante de procéder à des expertises sur le contenu (volet I), d’utiliser les ressources de la personne aidée pour assurer la qualité de la suppléance (volet II), de gérer le processus d’intervention (volet III) et d’activer les ressources de la personne aidée pour qu’elle puisse mieux recevoir l’information en provenance de son organisme et de son milieu, faire des choix personnels et agir de façon efficace (volet IV).

INTRODUCTION

L’expression relation d’aide évoque un domaine d’intervention psychologique qui se caractérise par la diversité des méthodes d’intervention et par la confusion du vocabulaire utilisé pour le désigner. Trois termes sont utilisés, sans que l’on parvienne à les définir de façon univoque : relation d’aide, counseling et psychothérapie. Les deux derniers termes ont servi historiquement à distinguer deux types de services psychologiques dans le contexte nord-américain, mais au dire de plusieurs auteurs, cette distinction perd de plus en plus sa signification (Biggs, 1994, Rickey, L. G. et Christiani, T. S. (1995), Cottone (1992). L’émergence des thérapies brèves, en particulier, a contribué fortement à remettre en question la pertinence de distinguer ces deux modalités d’intervention (voir Hoyt, 1995). Un récent symposium sur le sujet, tenu au Québec, a permis de constater que la distinction est remise en question par certains (Lecompte, 1997, St-Arnaud, 1997b) et souhaitée par d’autres

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pour désigner une intervention dans un contexte de croissance, d’apprentissage et de prévention (Bujold, 1997), ou même pour « radicaliser la différence » (Lhotellier, 1997). Le vocabulaire utilisé dans le présent article adopte la position de Ivey et Simek-Downing (1980), citée par Biggs (1994) dans son dictionnaire du counseling : relation d’aide est un terme générique qui désignera le cadre général d’une intervention auprès d’une personne, alors que les termes counseling (sous un vocable plus approprié) et psychothérapie désigneront deux modalités d’intervention, deux façons de faire une relation d’aide. L’expression relation d’aide ponctuelle a été créée non pas d’abord pour désigner un nouveau modèle (bien que les innovations n’y soient pas exclues) que pour adapter au contexte de la psychologie des relations humaines l’approche humaniste-existentielle. Dans le vaste champ de la relation d’aide, les modèles d’intervention sont très nombreux et souvent on les qualifie en fonction d’une approche: cognitive, comportementale, éclectique, gestaltiste, humaniste-existentielle, multimodale, psychanalytique, transthéorique, etc. Bien que les modèles d’intervention foisonnent, aucun, à lui seul, ne répond aux exigences de la relation d’aide telle qu’elle s’exerce dans le contexte de la psychologie des relations humaines. Le but du présent article est de combler cette lacune. Sous le titre relation d’aide ponctuelle, on trouvera un mode d’intervention qui peut être utilisé autant par des personnes qui pratiquent la psychologie des relations humaines avec une formation générale dans ce domaine que par des personnes qui ont, en plus, une formation en psychothérapie. Dans le contexte où se pratique la psychologie des relations humaines, le format prend une importance primordiale. Que ce soit dans le cadre d’un programme d’aide aux employés (PAE) ou dans le cadre d’un service public (CLSC, CSST), le peu de ressources professionnelles disponibles et les contraintes institutionnelles obligent les personnes qui interviennent à limiter a priori le nombre de rencontres qu’elles peuvent offrir. La relation d’aide ponctuelle est un mode d’intervention qui peut s’adapter à ces contraintes. En bref, l’expression relation d’aide ponctuelle est utilisée pour désigner un mode d’intervention de type humaniste-existentiel; un mode d’intervention qui soit en harmonie avec le profil de compétences pour intervenir en psychologie des relations humaines (St-Arnaud, Y.,1997a); un mode d’intervention qui prend en considération le format imposé par les contraintes institutionnelles; un mode d’intervention qui intègre plusieurs innovations contemporaines comme on le verra au cours de l’article. Un exemple de demande d’aide servira à illustrer quelques facettes de la relation d’aide ponctuelle. Un ensemble de compétences sera ensuite proposé pour mener à bien une telle relation.

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ILLUSTRATION : LE CAS DE MONSIEUR PER

Doris travaille comme psychologue dans un Service d’aide aux employés pour un établissement de santé. Monsieur PER, un professionnel à l’emploi de cet établissement, demande une relation d'aide pour traiter d’un problème personnel. Il a 27 ans et sa femme Karine en a 24. Le couple avait décidé d'attendre quelques années avant d'avoir un enfant. Karine vient d’apprendre qu'elle est enceinte. « C'est un accident », selon les mots mêmes de Monsieur PER. Celui-ci souhaite que Doris l'aide à trouver des arguments pour convaincre Karine de se faire avorter. Voici un résumé du dialogue initial entre Monsieur PER et Doris. Monsieur PER Doris 1 Bonjour Monsieur PER, que puis-je faire pour vous? M.PER Il s’agit d’un problème familial. Ma femme, Karine, m’a appris hier qu’elle est enceinte et j’aimerais trouver des arguments pour la convaincre de se faire avorter Doris 2 Je comprends que, vous-même, vous ne voulez pas de cet enfant M.PER C’est juste. Nous avions décidé, Karine et moi, de ne pas avoir d’enfant avant trois ou quatre ans. C’est un accident. Doris 3 Vous me demandez des arguments pour convaincre Karine de se faire avorter; je serais plus à l’aise si Karine avait son mot à dire. Ce que je peux vous offrir, c’est devous aider à explorer différentes solutions que vous pourriez discuter avec Karine. M.PER Il n’y a pas trente-six solutions; il faut que Karine accepte de se faire avorter. Doris 4 Vous êtes convaincu que c’est la seule solution...; et vous aimeriez que Karine l’endosse... M. PER Karine était d’accord, mais elle en a parlé à sa mère qui est une « pro-vie » enragée et maintenant, elle hésite. Il faut trouver des arguments pour la convaincre. Doris 5 Je vous sens pressé de trouver de bons arguments, mais cela me semble prématuré. M.PER J’ai lu qu’un bébé qui n’est pas désiré aura des problèmes psychologiques toute sa vie. Doris 6 Avant de passer aux arguments, dans une situation aussi personnelle, il me semble préférable de se reprendre en main. Est-ce que je me trompe en disant que présentement vous êtes un peu en état de panique? M. PER Non; c’est vrai que je me sens affolé. Doris 7 J’ai l’impression que vous êtes sous le choc de découvrir que Karine est enceinte malgré vos précautions pour éviter un enfant. M. PER Si je venais vous voir avec Karine, est-ce que vous pourriez la convaincre de se faire avorter? Doris 8 Ce n’est pas mon rôle de convaincre qui que ce soit, mais dans une rencontre à trois, je pourrais vous aider à résoudre votre divergence et à faire des choix. Pour l’instant ce que je peux faire pour vous aider c’est de vous inviter à parler de ce que vous vivez personnellement dans cette situation. M. PER Je n’ai pas dormi de la nuit; on s’est chicané toute la nuit Karine et moi. Doris 9 J’ai l’impression que vous avez besoin de temps pour digérer le choc que vous vivez...

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[Le dialogue se poursuit pendant 30 minutes.] M. PER Je ne sais plus quoi penser. Doris 10 C’est tout le temps dont nous disposons aujourd’hui, mais, si vous le souhaitez, nous pourrions nous revoir... M. PER J’aimerais vous revoir. Je sens que j’ai besoin de parler. C’est vrai que j’ai réagi avec panique, mais déjà, je me sens moins tendu.

LA RELATION D’AIDE PONCTUELLE

La relation d’aide ponctuelle s’établit lorsqu’une personne consulte au sujet d’une situation qui constitue une menace ou un défi pour son développement psychosocial. Le mot ponctuel, dans son sens figuré, signifie : « Ce qui ne concerne qu’un point, qu’un élément d’un ensemble » (Le Petit Robert). Bien qu’une personne puisse souhaiter à un moment de sa vie entreprendre une démarche de psychothérapie portant sur l’ensemble de sa personnalité, lorsqu’on lui offre une aide ponctuelle, on part d’un événement précis ou de circonstances particulières qui ont fait émerger en elle une difficulté de fonctionnement au plan psychologique. Le modèle d’intervention présenté ici suppose que l’on puisse identifier « un point » ou « un élément » que l’on désigne comme la situation à changer. Cette particularité n’exclut pas cependant que le changement puisse impliquer l’ensemble de la personnalité. Dans le dialogue entre Doris et Monsieur PER, il est évident que la réaction de celui-ci face à l’annonce que sa femme est enceinte pourrait faire l’objet d’une demande d’aide. Monsieur PER pourrait découvrir, par exemple, que des aspects plus ou moins pathologiques sont à l’origine de son besoin de tout contrôler dans sa vie personnelle et considérer que ce besoin excessif de contrôle est un handicap dans ses relations interpersonnelles. Il pourrait alors envisager une psychothérapie visant à modifier cet aspect de sa personnalité. Dans la demande présentée à Doris, telle n’est pas son besoin, ni l’objet de sa demande : il demande de l’aide pour changer une situation sans manifester aucune intention de se changer. Quelle que soit la demande, la relation d’aide ponctuelle exige que l’on détermine d’abord un point précis qui fera l’objet d’un contrat d’intervention réalisable dans un nombre très limité de rencontres. À ce titre, elle bénéficie de tous les travaux de recherche qui se sont faits autour de ce qu’on a appelé la « psychothérapie brève » (Hoyt, 1995). L’exemple de Monsieur PER illustre une des caractéristiques de toute intervention en psychologie des relations humaines, qui consiste à procéder à ce qu’on appelle une entrée; c’est une étape au cours de laquelle on cherche à définir la situation à changer, le résultat attendu et les règles du jeu. On observe dans le cas cité un phénomène

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fréquent dans une relation d’aide ponctuelle : la nécessité de recadrer la demande initiale. Il est évident, en effet, que Doris refuse d’être complice d’une recherche d’arguments visant à imposer une décision à Karine; celle-ci fait partie du système-client, tel que défini par Doris. Trois possibilités ont été offertes, compatibles avec une intervention en psychologie des relations humaines : 1) explorer différentes solutions (intervention 3), 2) aider le couple à faire un choix par mode de consensus, ce qui aurait amené Doris à exercer davantage un rôle de médiateur, ou 3) aider Monsieur PER à se ressaisir. À partir de l’intervention 8, Monsieur PER s’engage dans la relation d’aide qui correspond à cette troisième option; à la fin du dialogue, il demande de poursuivre cette démarche. Comme tous les autres rôles12 exercés en psychologie des relations humaines, le rôle d’aidant exige que l’on structure, dès le point de départ, une relation de coopération. Par définition, la coopération comporte trois éléments : un but commun, une définition précise des champs de compétence de chacun des partenaires et un équilibre du pouvoir en fonction de ces champs de compétence (St-Arnaud, 1995, p. 138-139). Dans la gestion d’une relation d’aide, les premières minutes d’une rencontre unique, ou la première rencontre d’une intervention qui en comprend de six à dix, permettent ordinairement de s’entendre rapidement sur un but commun. La définition des champs de compétence et du type d’influence qu’on exercera de part et d’autre est une opération plus complexe qui amène les partenaires à clarifier leurs conceptions respectives du changement personnel. Dans le dialogue avec Monsieur PER, Doris a limité son champ de compétence, à l’intervention 8, en précisant que son rôle n’était pas « de convaincre qui que ce soit ». Il reste à définir positivement les champs de compétence de toutes les personnes impliquées dans l’intervention.

LES CHAMPS DE COMPÉTENCE

Pour comprendre les compétences que l’on met à la disposition d’une personne qui demande de l’aide, il faut d’abord traiter des ressources de la personne aidée. La perception que l’on aura de celles-ci influencera le choix que l’on fera des stratégies d’intervention. Les ressources de la personne aidante seront décrites, quant à elles, à partir de deux grandes fonctions dites de suppléance et d’assistance. La première comprend toutes les interventions qui servent à transmettre une expertise sur la situation ou à gérer le processus même de l’intervention. La seconde comprend toutes les interventions par lesquelles la personne aidante utilise ou active les ressources de la personne qui consulte.

12 La liste des rôles varie selon les auteurs, mais on y retrouve, par exemple, les rôles d’agent de feed-back, d’analyste, d’aidant, d’animateur, de coach, de conseiller, de formateur et de médiateur.

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Les ressources de la personne aidée

Lorsqu’une personne demande de l’aide psychologique, elle est implicitement en difficulté dans un processus de changement13. Il y a plusieurs façons de nommer le changement qui fait l’objet d’une intervention professionnelle. Le modèle de relation d’aide ponctuelle proposé ici utilise un continuum dont les deux positions extrêmes sont 1) le changement d’une situation jugée insatisfaisante en réduisant ou en éliminant les facteurs pathologiques chez la personne aidée, 2) le changement d’une situation jugée insatisfaisante en utilisant les structures saines de la personne concernée. Bien que souvent l’intervention privilégie un de ces deux aspects, on ne peut les dissocier complètement. On peut considérer chez toute personne adulte deux facettes de sa personnalité, identifiées ailleurs (St-Arnaud, 1996) comme le « soi conflictuel » et le « soi intégré »; le premier comprend tout ce qu’il y a de plus ou moins pathologique chez une personne; le second comprend tout ce qu’il y a de sain. La psychopathologie est le secteur du savoir disciplinaire qui s’occupe de la première partie; la psychologie de la personnalité, ou la psychologie de la santé (selon l’expression introduite par Maslow, 1972), est le secteur du savoir disciplinaire qui s’occupe de la seconde. L’importance relative accordée au soi conflictuel et au soi intégré, pendant la relation d’aide, permet de situer le type de changement visé et, en conséquence, de déterminer le type de ressources qu’on devra mobiliser pour atteindre les objectifs qu’on se sera donnés. On peut considérer que les ressources de la personne aidée, par rapport à l’objet de la consultation, se distribuent sur un continuum qui va du plus faible au plus fort : les ressources sont faibles lorsque la personne aidée veut modifier les aspects pathologiques de sa personnalité (soi conflictuel); elles sont fortes lorsque la personne utilise les parties saines de sa personnalité (soi intégré). Dans les situations où l’on choisit de réduire le soi conflictuel, la personne aidée demande de l’aide pour « se modifier ». On se trouve alors dans une situation difficile car la personne aidée se sent très démunie; on constate que ses ressources actives sont au plus faible, puisque des éléments pathologiques qui échappent à son contrôle perturbent son processus naturel de croissance. On verra plus loin qu’il y a deux façons de réagir à cette situation. On peut faire appel à la suppléance sur le contenu ou intensifier l’assistance pour activer des ressources latentes chez cette personne. 13 Le modèle proposé ici endosse la position épistémologique de Cottone (1992) qui, dans sa recherche d’un nouveau paradigme pour le counseling et la psychothérapie, considère que le changement est la donnée de base, l’individu et la personnalité n’étant qu’un état provisoire d’un processus de changement continu: « Individuals are not static entities, but rather they are processes in constant change » (p. 267).

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Dans les situations où le changement visé exige le développement des parties saines de la personnalité, la personne aidée n’a pas à se modifier; elle demande de l’aide pour mieux s’utiliser. On se retrouve alors dans une situation où les ressources associées au processus de croissance de la personne sont au plus fort. En effet, plus on considère les aspects sains de la personnalité, moins le comportement est déterminé; il est l’objet d’un processus d’autodétermination qui, par définition, tend à particulariser le cheminement d’une personne. On verra, en conséquence, comment ce type de changement peut se produire par l’utilisation et l’activation des ressources de la personne aidée. Dans le cas de Monsieur PER, il est évident que celui-ci n’envisage pas de se modifier; il serait d’ailleurs irréaliste de subordonner la solution du problème qu’il vit présentement à une modification des aspects pathologiques qui peuvent contribuer à son problème. Même si on parvenait, par exemple, à établir un diagnostic qui expliquerait sa réaction de panique ou son attitude contrôlante à l’égard de sa conjointe, le problème resterait entier. Les trois objectifs proposés par Doris sont tous centrés sur le changement à court terme de la situation qui menace la santé du couple. On présume que Monsieur PER peut « s’utiliser » pour résoudre le problème qu’il vit sans être obligé de « se modifier ». Plusieurs modèles d’intervention utilisés en psychothérapie fonctionnent dans une structure de service qu’on associe souvent au « modèle médical » : la personne qui intervient établit un diagnostic, élabore avec la personne qui fait appel à ses services un plan de traitement que l’on réalise ensuite. Dans une relation d’aide ponctuelle, même lorsqu’on cherche à agir sur les facteurs pathologiques, on mise sur les ressources de la personne aidée. On vise, comme dans toute intervention en psychologie des relations humaines, à établir et à maintenir une structure de coopération. On suppose que le changement visé, quel qu’il soit, est possible uniquement si une personne se voit comme active et responsable de ce changement. Des verbes d’action servent donc à nommer les deux positions extrêmes du continuum qui représentent les ressources de la personne aidée : dans chaque intervention, on doit vérifier si la personne qui demande de l’aide a les ressources et la motivation pour SE modifier et pour S’utiliser. Que la personne aidée souhaite se modifier en réduisant les aspects pathologiques de sa personnalité ou qu’elle entreprenne de s’utiliser pour faire face à une situation difficile, une attitude proactive est toujours considérée comme une condition de succès14. 14 Les recherches sur les facteurs communs ont démontré qu’un des facteur de succès est précisément l’implication de chacun des partenaires. Castonguay (1987) analyse ces recherches et conclut que « l’état actuel de la recherche semble suggérer que l’implication du client demeure la variable thérapeutique qui prédit le mieux les résultats du traitement » (p. 195); il précise que « les clients qui bénéficient le plus de leur traitement sont capables de chercher le

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Contrairement au modèle médical où la personne consultée se voit a priori comme une ressource pour diagnostiquer et traiter les aspects pathologiques chez la personne qui consulte, lorsqu’on utilise le modèle de relation d’aide ponctuelle, on présume que la personne qui consulte peut changer la situation qu’elle juge indésirable sans être obligée de « se modifier » de sorte que la personne qui intervient se voit d’abord comme une ressource pour accompagner la personne qui consulte dans son entreprise de changement. L’initiative de traiter les aspects pathologiques, s’il y a lieu, ne vient pas de la personne consultée, mais de la personne qui demande de l’aide. Et même si l’objectif est de se modifier, on misera sur les ressources latentes qu’on cherchera à activer; c’est toujours la personne aidée qui assumera la responsabilité du changement. Dans le cas utilisé ici, Doris part avec le préjugé favorable que Monsieur PER et Karine, compte tenu de ce qu’ils sont présentement, ont les ressources dont ils ont besoin pour changer la situation qui vient perturber leur vie de couple. Ce préjugé favorable repose sur un des postulats de base de l’approche humaniste-existentielle : la présence dans tout organisme humain d’une tendance à l’actualisation. La théorie du changement utilisée par la personne qui gère une relation d’aide ponctuelle a été présentée ailleurs (St-Arnaud, 1999). Si dans une intervention particulière la personne qui intervient ne parvient pas à croire que la personne aidée a les ressources pour gérer elle-même son processus de changement, elle sera plus efficace en proposant une structure traditionnelle de service plutôt que de maintenir l’illusion qu’une structure de coopération pourra s’établir. Dans un tel cas, le modèle médical serait plus approprié. Cette option de maximiser l’utilisation des ressources de la personne aidée n’est pas nouvelle. Carl Rogers (1951) s’en est fait le champion dès les années 1950, dans son approche « centrée-sur-la-personne ». C’est une approche encore très présente sur la scène professionnelle (Lietaer, Rombauts et Van Balen, 1990; Bohart, 1995; Raskin et Rogers, 1995) . D’autres développements, dans le cadre de la psychothérapie brève (Cabié et Isebaert, 1997; De Shazer, 1995; Watzlawick, Weekland et Fisch, 1974) privilégient explicitement l’utilisation des ressources de la personne aidée pour « s’utiliser ». De Shazer (1988, 1996) est un thérapeute contemporain qui contribue activement à cette orientation; dans une présentation et une adaptation de son approche, O’Hanlon et Weiner-Davis (1995) font état d’un changement de perspective:

Au cours de son histoire, la psychothérapie s’est surtout intéressée à l’étude des problèmes et de la pathologie des hommes et a tenté de les éliminer. Pourtant, une

soutien de leur thérapeute tout en étant capables de s’affirmer face à celui-ci » (p. 196).

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nouvelle tendance se fait jour en thérapie, l’intérêt cessant de se centrer sur la pathologie et les limites des sujets, pour se reporter sur leurs points forts, leurs compétences et leurs ressources (p. 8). Dans ce qu’ils appellent la thérapie du possible, O’Hanlon et Beadle (1997) précisent que :

La thérapie du possible s’attache à accepter et à valider l’expérience vécue par les clients et les idées qu’ils se font de leur vie, tout en s’assurant de découvrir et d’amplifier les possibilités de changement (p. 8).

Dans la figure intitulée « Les ressources » (Figure 1), les contributions des partenaires sont représentées dans un système de coordonnées qui met en relation les ressources de la personne aidée et les ressources professionnelles offertes par la personne qui intervient. L’axe horizontal représente les ressources de la personne aidée, ressources requises pour se modifier et mieux s’utiliser. Plus l’effort de changement porte sur les aspects pathologiques de la personnalité, le soi conflictuel, plus la séquence se rapproche de l’extrémité gauche de l’axe horizontal; plus l’effort de changement implique une meilleure utilisation des parties saines de la personnalité, le soi intégré, plus la séquence se rapproche de l’extrémité droite de l’axe horizontal. Le petit cercle, au centre du schéma de la figure, indique qu’une relation de coopération exige la mise en œuvre des ressources de chacun des partenaires dans la poursuite d’un but commun. L’axe vertical permettra de situer les compétences de la personne aidante sur un continuum qui relie les fonctions de suppléance et d’assistance; puis de définir quatre volets de compétences en mettant en relation ces compétences avec les ressources de la personne aidée.

Les ressources de la personne aidante : suppléance et assistance

Chez la personne qui intervient, la relation d’aide ponctuelle fait appel à deux grandes fonctions : une fonction de suppléance et une fonction d’assistance15. La suppléance regroupe les procédés par lesquels on met à la disposition de la personne aidée le savoir et une partie du savoir-faire accumulés en psychologie. Dans le dictionnaire

15 Bien que les définitions théoriques ne suffisent pas toujours à bien marquer la différence entre ces deux fonctions, des recherches empiriques (St-Arnaud, 1978, 1989 et St-Arnaud, 1995) ont permis de vérifier que dans l’analyse d’un dialogue professionnel, 95% des interventions de la personne qui intervient peuvent être classées sans équivoque dans l’une ou l’autre de ces catégories.

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(Le petit Robert), on lit ceci au mot suppléer : « Apporter ce qu’il faut pour remplacer ou pour fournir (ce qui manque) ».

Ressources de la personne aidée

SUPPLÉANCE

ASSISTANCE

Soi conflictuel

SE MODIFIER

Soi intégré

S’UTILISER

Volet IExpertise :1. évaluer2. orienter3. habiliter

Volet IIIGestion :

7. structurer8. encadrer

9. instrumenter

Volet IIUtilisation

des ressources :

4. recueillir5. valider6. adapter

Volet IVActivation

des ressources :soutenir

10. la réception11. le choix12. l’action

Figure 1. Les ressources

En introduisant dans la relation d’aide les généralisations dont dispose la psychologie des relations humaines, on apporte de l’extérieur un éclairage nouveau sur la situation qui fait problème et des pistes de solutions nouvelles; en proposant et en gérant une méthode d’intervention rigoureuse, on donne à la personne aidée de nouvelles façons de travailler pour produire le changement souhaité. L’assistance désigne un ensemble de compétences relationnelles, spécialement conçues pour permettre à la personne aidée d’être le maître d’œuvre du changement visé. C’est une fonction qui regroupe les procédés par lesquels on aide une personne à utiliser et à développer ses propres ressources pour procéder au changement souhaité. Assister signifie « seconder (qqn) dans ses fonctions, dans sa tâche » (Le petit Robert). Au cours d’une intervention, c’est la personne aidée qui a la responsabilité du changement à produire : c’est elle qui décide de rendre disponible l’information pour définir et produire le changement visé et pour valider les éléments de suppléance

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fournis par la personne qui intervient. L’expérience a montré que l’efficacité d’une intervention est directement reliée à l’exercice d’une fonction d’assistance. Cette fonction suppose d’abord une attitude de réception et d’accueil face à toute l’information qui surgit spontanément chez la personne aidée; mais elle va bien au-delà. La personne qui exerce la fonction d’assistance est proactive : elle utilise toutes sortes de procédés empathiques (accentuation, reflet de sentiment, résumé-synthèse) qui ont pour effet d’amplifier l’information en provenance de l’organisme de la personne aidée, de la faire circuler et de rendre la personne aidée créatrice au cours d’une intervention. Autant la suppléance est requise pour combler les limites de la personne aidée dans son projet de changement, autant l’assistance est requise pour combler les limites de la science par rapport à un projet particulier de changement. Chacune de ces fonctions comprend deux volets. La fonction de suppléance regroupe tous les comportements qui servent soit à transmettre à la personne aidée le résultat des expertises que l’on fait sur sa situation (suppléance sur le contenu) soit à gérer l’intervention elle-même (suppléance sur le processus). Le volet I désigne l’expertise sur le contenu qu’on utilise surtout pour aider une personne à se modifier. L’expertise peut servir à évaluer la situation ou la personne elle-même, à orienter l’action de cette personne ou à l’habiliter pour qu’elle puisse répondre à ses besoins. Le volet III regroupe les compétences de gestion qui servent à structurer la relation d’aide, à encadrer la démarche et à instrumenter la personne pour qu’elle puisse mieux s’utiliser. La fonction d’assistance regroupe tous les comportements à travers lesquels la personne qui intervient utilise (assistance de niveau I) ou active (assistance de niveau II) les ressources de la personne aidée. Dans le volet II, on regroupe les compétences pour recueillir l’information, valider les orientations proposées et adapter les actions entreprises. L’assistance de niveau II se particularise par le fait que la personne aidante se centre exclusivement sur le cadre de référence de la personne aidée, ce qui exige un degré élevé d’empathie. Les compétences du volet IV servent à soutenir la personne aidée dans la réception de l’information en provenance de son organisme et de son environnement, dans les choix qu’elle a à faire et dans l’action dont elle prend l’initiative. Lorsqu’une intervention professionnelle vise à réduire le soi conflictuel d’une personne, on parle d’une modalité de psychothérapie. On peut utiliser le terme psychodéveloppement pour désigner la modalité de l’intervention qui vise une meilleure utilisation des ressources de la personne aidée.16 La relation d’aide 16 Les termes psychothérapie et counseling sont parfois associés à ces deux types de changements, mais le terme counseling est inapproprié parce qu’il désigne uniquement une activité de la personne qui intervient, contrairement à psychothérapie qui peut désigner

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ponctuelle peut inclure l’une ou l’autre de ces modalités; c’est dans l’intervention elle-même que l’on choisit l’orientation la plus appropriée pour modifier la situation qui est à l’origine de la demande. Le cas de Monsieur PER, par exemple, a été abordé par Doris dans le registre du psychodéveloppement. Comme on l’a vu plus haut, on pourrait cependant imaginer qu’après avoir solutionné le problème immédiat, Monsieur PER s’interroge de façon plus globale sur ses relations interpersonnelles et commence à remettre en question son attitude contrôlante face aux personnes avec lesquelles il vit et travaille; il pourrait en résulter un désir d’entreprendre une démarche pour modifier son mode d’interaction; une telle démarche se situerait davantage dans le registre de la psychothérapie. Les deux modalités, psychothérapie ou psychodéveloppement, peuvent se faire selon différentes approches, chacune déterminant un rapport particulier entre les ressources de la personne aidée et celles de la personne aidante. Il est facile de concevoir que si une personne aidée investit pour « se modifier » elle puisse souhaiter une expertise; comme elle se heurte à des aspects pathologiques et déterminés sur lesquels elle n’a pas de contrôle, elle se sent facilement démunie. Pour répondre à cette attente, plusieurs approches (Beck et Weishaar,1995; De Shazer, 1996; Lazarus, 1989; O’Hanlon et Weiner-Davis, 1995; Persons, 1989; Watzlawick, Weekland et Fisch, 1975). mettent au premier plan les compétences du volet I : la personne qui intervient offre ses compétences disciplinaires pour évaluer la situation ou le mode de fonctionnement de la personne aidée (compétence 1), pour orienter l’action de celle-ci en fonction des critères de santé mentale (compétence 2) et pour habiliter cette personne en vue d’une action psychologiquement saine. On dira de ces approches qu’elles sont centrées-sur-le-contenu (situation, problème, solution, fonctionnement psychologique). D’autres approches (Friedman, 1982; Gendlin, 1992; Greenberg, Rice et Elliott, 1993; LeBlanc, 1997; Raskin et Rogers, 1989; Rogers, 1951), aussi bien dans la modalité de psychothérapie que dans la modalité de psychodéveloppement, mettent au premier plan les compétences du volet IV : la personne qui intervient aide la personne aidée à recevoir l’information qui provient de son organisme ou de son environnement, à faire des choix personnels et à agir en vue de répondre à ses besoins fondamentaux. On dira de ces approches qu’elles sont centrées-sur-l’autodéveloppement. Lorsqu’on met en relation les ressources de la personne aidée et celles de la personne qui intervient dans les approches centrées-sur-le-contenu, on observe traditionnellement une très forte utilisation de la suppléance sur le contenu; celle-ci se simultanément l’activité de la personne qui aide (elle fait de la psychothérapie) que la personne aidée (elle entreprend une psychothérapie). Le terme psychodéveloppement peut lui aussi désigner l’activité des deux partenaires. De plus, l’introduction de cet article a déjà signalé que la distinction entre psychothérapie et counseling tend à disparaître aujourd’hui.

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traduit dans une évaluation psychologique (diagnostic, profil psychologique, statut mental), un plan de traitement approprié à la modification visée et un traitement qui consiste à réorienter le comportement jugé insatisfaisant par la personne aidée. On utilise aussi les ressources de cette personne pour documenter la situation à changer, valider le plan de traitement et adapter le traitement lui-même pour tenir compte des particularités de la situation. L’ensemble du processus étant basé sur le savoir et le savoir-faire disciplinaires, le cadre de référence de la personne qui intervient est au premier plan. Les volets de compétences I et II sont les plus utilisés. Dans une approche centrée-sur-l’autodéveloppement, la suppléance s’exerce surtout au plan de la gestion; on considère que la situation traitée sera changée à partir des ressources de la personne aidée; de sorte que, cette fois, c’est le cadre de référence de cette personne qui est au premier plan. La structuration de l’intervention, l’encadrement proposé et l’instrumentation fournie visent essentiellement à soutenir le processus naturel de croissance de la personne aidée. En conséquence, la personne qui intervient fait de l’assistance de niveau II; elle contribue ainsi au développement de ressources latentes chez la personne aidée, lui redonnant les moyens de s’autoévaluer, de s’autodéterminer et de s’autogérer dans l’action. Les volets de compétences III et IV sont les plus utilisés. La relation d’aide ponctuelle privilégie les approches centrées-sur-l’autodéveloppement. L’importance relative accordée à la suppléance et à l’assistance au cours d’une relation d’aide n’est pas déterminée par les modalités de psychothérapie ou de psychodéveloppement. On peut faire appel à l’expertise sur le contenu dans l’une ou l’autre des modalités et dans tous les cas la suppléance sur le processus est nécessaire. De plus l’assistance est une fonction indispensable dans l’une et l’autre des modalités. La pondération des deux fonctions dépend ordinairement de l’approche utilisée et de la situation traitée, mais, en toute éventualité, c’est une question qui relève du champ de compétence de la personne qui intervient. Cette pondération affecte en particulier l’usage que l’on fera de l’évaluation psychologique. Les personnes ayant une formation poussée dans le domaine clinique auront spontanément recours aux catégories diagnostiques pour établir un profil psychologique de la personne aidée et opter pour des techniques thérapeutiques appropriées. D’autres adopteront davantage l’approche humaniste-existentielle traditionnelles, considérant qu’un diagnostic spécifique n’est pas requis pour une relation d’aide efficace. On considère, dans cette tradition, que la façon d’aider une personne est la même, quel que soit son profil psychologique, de sorte que l’évaluation est réduite à sa plus simple expression : la capacité d’être en contact avec soi-même et avec la réalité extérieure. En présence d’indices évidents de pathologie qui imposeraient une limite à leur capacité d’aider telle personne, ces personnes choisiront de référer à des spécialistes.

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Le cas de Monsieur PER illustre une approche centrée-sur-l’autodéveloppement. La demande initiale fait appel à l’expertise : « J’aimerais trouver des arguments pour convaincre Karine de se faire avorter » (intervention 1); le client revient à la charge à l’intervention 5 : « J’ai lu qu’un bébé qui n’est pas désiré aura des problèmes psychologiques toute sa vie ». Ce n’est qu’à la fin du dialogue qu’il accepte d’explorer ce qu’il vit et de traiter sa panique. Il a fallu d’abord que Doris refuse l’expertise demandée, qui en l’occurrence ne pouvait résoudre le problème. C’est une des particularités de la relation d’aide personnelle : souvent la personne qui consulte espère trouver dans l’expertise les réponses toutes faites à son problème alors que, dans la majorité des cas, c’est en misant sur ses propres ressources qu’elle peut modifier la situation pour laquelle elle consulte. C’est ce qui explique l’importance primordiale de l’assistance pour aider cette personne à chercher en elle-même les réponses aux questions qu’elle se pose. Paradoxalement, Doris qui a d’abord refusé l’expertise demandée par Monsieur PER (trouver des arguments pour l’avortement) utilise plus loin l’expertise à deux reprises : en orientant la démarche de Monsieur PER (intervention 6a) et en évaluant que celui-ci a besoin de temps pour digérer le choc qu’il vit (intervention 9). Par rapport aux champs de compétence, la personne qui intervient porte la responsabilité du recours à l’expertise : quelles que soient les circonstances, c’est elle qui peut le mieux évaluer la pertinence d’introduire ou non dans l’intervention le savoir accumulé dans sa discipline et, le cas échéant, selon quelles modalités.

Les compétences de la personne aidante

Les compétences qui permettent à la personne aidante de contribuer au changement souhaité par la personne qui fait appel à ses services professionnels seront décrites brièvement à partir des quatre volets définis par le schéma de la figure utilisée plus haut. Le schéma rappelle que, dans une structure de coopération, toutes ces compétences se complètent mutuellement. En conséquence, quelle que soit la modalité choisie (psychothérapie ou psychodéveloppement), lorsque les éléments d’expertise (évaluer, orienter et habiliter) du volet I sont utilisés, ils sont toujours étroitement associées aux compétences relationnelles qui permettent d’utiliser les ressources de la personne aidée (volet II) de gérer le processus d’intervention (volet III) et surtout de soutenir la réception, le choix et l’action (volet IV).

LA SUPPLÉANCE SUR LE PROCESSUS : LA GESTION

La gestion de l’intervention entre dans le champ de compétence de la personne aidante; elle fait partie de la fonction de suppléance qui s’exerce sur le processus

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même de l’intervention. Dans le contexte d’une relation d’aide ponctuelle, la gestion du processus est d’une importance capitale en raison de la vulnérabilité de la personne qui, au moment où elle consulte, se sent souvent démunie et incapable de percevoir ses propres ressources; il y a un danger accru de dépendance et celle-ci peut empêcher la relation de coopération de s’établir si elle n’est pas traitée adéquatement. Pour établir et maintenir une relation de coopération et assurer le succès de l’intervention, la personne aidante doit donc développer des compétences au plan de la gestion. Si la fonction de suppléance au plan du contenu peut varier au point d’être quasi absente lorsqu’on aide une personne à s’utiliser, au plan du processus, la suppléance est incontournable dans une relation d’aide ponctuelle. Les compétences de gestion sont nécessaires pour 1) structurer la relation sur une base coopérative dès l’entrée, 2) encadrer la démarche en maintenant l’équilibre entre la suppléance et l’assistance et 3) instrumenter au besoin la personne aidée pour qu’elle bénéficie davantage de cette démarche.

Structurer une relation de coopération dès l’entrée

La structuration de l’intervention est une activité qui se fait d’abord au cours de l’entrée, mais elle peut être reprise à chaque fois que la relation d’aide devient sans objet apparent au cours du processus. Toute relation d’aide demande de la part de la personne aidante une formulation de la situation qui soit compatible avec son cadre d’analyse disciplinaire. L’entrée a pour but de définir la situation à changer, le résultat visé et les règles du jeu; elle peut parfois durer quelques minutes, dans le cas, par exemple, où l’intervention ne comprend qu’une rencontre; elle peut aussi occuper une rencontre complète. Au terme de l’entrée, la personne aidante formule un projet de contrat de travail. Idéalement, ce projet est présenté à la personne aidée; on en discute et, si nécessaire, on le modifie jusqu’à ce qu’on arrive à un consensus. Il arrive cependant qu’en raison de l’intensité de l’expérience vécue par la personne qui consulte, on s’en tienne au début de l’intervention à un contrat implicite, quitte à le reprendre plus tard pour le préciser et le discuter. Dans le dialogue entre Doris et Monsieur PER, l’entrée porte surtout sur la définition de la situation à changer. Cela est attribuable au fait que le dialogue reproduit ici est un résumé d’une interaction dont le compte-rendu complet aurait nécessité plusieurs pages de texte. On peut noter que l’entrée débute par une question ouverte dès la première intervention : « Que puis-je faire pour vous? » Plusieurs interventions sont en rapport avec la première cible, en raison surtout du recadrage qui s’impose. En 2, Doris vérifie un élément important de la réaction de Monsieur PER : « Je comprends que, vous-même, vous ne voulez pas de cet enfant ». La confirmation vient nette et

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claire : « C’est juste ». Aucune ambivalence ne semble présente. S’il y avait eu une hésitation, on aurait pu s’engager dans une démarche tout à fait différente de celle qui s’est amorcée; on aurait pu se centrer sur le choix à faire alors que, dans le cas présenté, on s’est centré sur la réaction de panique de Monsieur PER et sur la divergence dans le couple. On verra plus loin comment l’expertise exercée par Doris sur le processus psychologique de Monsieur PER (intervention 9) a contribué au succès du recadrage. La dernière réplique de Monsieur PER confirme que le recadrage est accepté : « J’aimerais vous revoir. Je sens que j’ai besoin de parler ». La situation à changer est d’abord l’état émotionnel de Monsieur PER par rapport au fait de se retrouver père d’un enfant non voulu. Conformément au principe selon lequel on peut réintroduire au besoin les cibles de l’entrée, il n’est pas nécessaire de déterminer à cette étape ce qu’on fera par la suite, mais il est évident que la situation comprend aussi la divergence des conjoints sur la décision à prendre. Pour ce qui est de la deuxième cible, en raison de l’état d’effervescence dans lequel se trouve Monsieur PER, il est sans doute prématuré de déterminer précisément le résultat attendu de l’ensemble de l’intervention. Implicitement on peut déduire que le résultat immédiatement visé par l’intervention est que Monsieur PER « se reprenne en main » selon l’expression utilisée par Doris à l’intervention 6. Par la suite, on suppose que le résultat visé sera que le couple en arrive à prendre une décision satisfaisante. La deuxième cible de l’entrée pourra être réintroduite plus tard, lorsque Monsieur PER aura retrouvé un mode de fonctionnement moins perturbé. C’est à partir des attentes de Monsieur PER, ou du couple si ce dernier devient le client, que l’on pourra préciser un autre résultat. Il est possible aussi qu’après s’être « repris en main », Monsieur PER considère qu’il n’a plus besoin d’une aide professionnelle pour résoudre le problème avec sa conjointe. La troisième cible de l’entrée a été poursuivie explicitement à travers deux interventions où Doris clarifie son rôle. Dès l’intervention 3, après avoir exprimé son malaise face au rôle que Monsieur PER veut lui faire jouer, Doris fait une première clarification : « Ce que je peux vous offrir, c’est de vous aider à explorer différentes solutions... ». À l’intervention 8, deux autres possibilités sont énoncées, après un nouveau refus du mandat que Monsieur PER persiste à vouloir confier à Doris : « Ce n’est pas mon rôle de convaincre qui que ce soit, mais dans une rencontre à trois, je pourrais vous aider à résoudre votre divergence et à faire des choix. Pour l’instant ce que je peux faire pour vous aider c’est de vous inviter à parler de ce que vous vivez personnellement dans cette situation ».

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Encadrer la démarche

L’encadrement de la démarche est la deuxième compétence au volet III (gestion du processus). La démarche a commencé avec la structuration faite au cours de l’entrée; elle se poursuit à travers les différents étapes qui auront fait l’objet du contrat de travail établi au terme de l’entrée. Elle se termine par un bilan et un examen des suites à donner. Le dialogue entre Doris et Monsieur PER contient peu de données pour déterminer les étapes de la démarche entreprise; on peut présumer cependant que les termes du contrat seront précisés au début de la prochaine rencontre. Le contrat d’intervention permet d’établir ce qu’on appelle une trajectoire. La notion de trajectoire est prise au sens figuré : de la même façon qu’on peut prédire la courbe que suivra un mobile qu’on lance dans l’espace en fonction de la force utilisée et des conditions de l’environnement, on peut prédire le trajet que suivront les partenaires d’une relation en fonction du contrat de travail qu’ils se donnent au point de départ. On peut se donner une trajectoire à forte suppléance ou une trajectoire à forte assistance selon qu’on privilégie l’une ou l’autre des deux fonctions de base. Dans certains cas, les difficultés sont attribuées à des déficiences de l’organisme, ce qui favorise une trajectoire à forte suppléance. La modalité de psychothérapie, définie plus haut, favorise aussi ce type de trajectoire. On peut utiliser la suppléance sur le contenu en offrant à la personne aidée de procéder à une évaluation, d’orienter son action par des conseils ou de l’habiliter pour mieux répondre à ses besoins. La formulation du changement visé, dans la figure proposée plus haut, souligne que la suppléance ne vise aucunement à remplacer le processus naturel de croissance; il ne s’agit pas uniquement d’évaluer, d’orienter et d’habiliter la personne aidée, comme on le ferait dans un modèle médical, mais de l’aider, par la suppléance, à s’évaluer, à s’orienter et à s’habiliter. Cette nuance explique la nécessité d’une complémentarité entre la suppléance et l’assistance. La notion de trajectoire ne préjuge pas de l’approche utilisée par la personne aidante. Certaines approches privilégient la suppléance sur le contenu; d’autres se limitent à la suppléance sur le processus; d’autres se limitent presque exclusivement à de l’assistance. On observe des trajectoires à forte suppléance dans la modalité de psychodéveloppement; mais on observe aussi des trajectoires à forte assistance dans la modalité de psychothérapie. Dans ce dernier cas, la personne aidante n’introduit aucune évaluation externe, ne donne aucun conseil et ne procède à aucune habilitation; elle présume que la personne aidée a les ressources suffisantes pour s’évaluer, s’orienter et s’habiliter; et cela, malgré les déficiences observées dans le processus naturel de croissance. Dans ces approches, la personne aidante limite la suppléance à la gestion du processus d’intervention : elle contribue au changement

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visé en structurant et en encadrant une démarche au cours de laquelle la personne aidée restera en charge du processus de changement. Elle se limitera à instrumenter la personne aidée pour qu’elle puisse elle-même s’évaluer, s’orienter ou s’habiliter. C’est par une assistance de niveau II que la personne aidante contribue au changement visé. Dans tous les cas, quelle que soit la trajectoire choisie et quelle que soit l’approche utilisée, on présume qu’une bonne alternance entre la fonction de suppléance et la fonction d’assistance est un facteur d’efficacité; autant dans une modalité de psychothérapie que dans une modalité de psychodéveloppement. Dans le contexte de la relation d’aide ponctuelle, la compétence de gestion de la personne aidante se manifeste donc dans sa capacité de maintenir un équilibre entre, d’une part, les ressources qu’elle apporte et, d’autre part, les ressources de la personne aidée. Une condition d’efficacité est la détermination chez celle-ci à se modifier ou à s’utiliser en fonction de la situation qui fait l’objet d’une demande d’aide. De la part de la personne aidante, l’équilibre des compétences suppose que toute expertise soit présentée comme un point à vérifier et à valider dans la situation particulière qui fait l’objet de l’intervention. La science psychologique, comme toute science, ne dispose d’aucune vérité. De plus, en raison du caractère unique de chaque situation, elle ne permet presque jamais de prescrire; on ne peut que proposer des pistes de réflexion et de recherche lorsqu’on répond à une demande particulière. C’est donc par la gestion d’un processus qui favorise la synergie des ressources en présence que les résultats visés peuvent être obtenus. Dans le cas de Monsieur PER, si Doris rejette le recours à l’expertise pour « trouver des arguments en faveur de l’avortement », c’est d’abord pour éviter d’être complice de la décision que Monsieur PER veut imposer à sa conjointe; mais c’est aussi parce que le savoir homologué dans sa discipline ne peut régler le problème particulier de ce couple. On trouvera dans les résultats de recherche sur cette question des arguments en faveur et en défaveur des deux positions; la science psychologique renseigne, mais elle ne permet pas de prescrire des solutions aux questions existentielles que les personnes aidées se posent. Pour que le client puisse utiliser à bon escient le savoir homologué, il est important qu’il n’y cherche pas la vérité, mais des pistes de réflexion; de là l’insistance de Doris pour que Monsieur PER se « reprenne en main » avant de se tourner vers les connaissances dont dispose la psychologie.

INSTRUMENTER LA PERSONNE AIDÉE POUR UNE MEILLEURE RELATION D’AIDE

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Au cours de la relation d’aide ponctuelle, le jeu de la suppléance et de l’assistance permet l’utilisation et l’activation des ressources de la personne aidée en vue de produire le changement souhaité. Une dernière forme de suppléance, au plan de la gestion, consiste à instrumenter la personne aidée pour qu’elle profite davantage de la relation d’aide. L’instrumentation consiste à proposer certaines techniques et à les enseigner, si la personne aidée le souhaite, pour que celle-ci profite davantage de l’intervention. À titre d’exemple, on peut citer le procédé de focusing. Le focusing est une méthode que Gendlin (1992), collaborateur de Carl Rogers, a développée après avoir constaté que certaines personnes ne profitaient pas des procédés habituels d’assistance (accentuation, reflet de sentiment, reformulation) en raison d’une déficience du processus naturel de réception. Pour apprendre à ces personnes à se mettre en état de réception face à leur propre organisme, Gendlin a créé un manuel de focusing; c’est une démarche structurée au cours de laquelle la personne aidante guide la personne aidée par des directives précises qui dirigent son attention de façon à franchir progressivement les différentes étapes de la réception. Pour aider Monsieur PER à mieux saisir la nature de sa réaction de panique, Doris pourrait, par exemple, l’inviter à fermer les yeux, puis à diriger son attention vers l’endroit, à l’intérieur de lui, où il ressent les choses, puis à laisser émerger, sans aucune analyse, tout ce qui surgit de son organisme en rapport avec sa situation actuelle.

La suppléance sur le contenu : l’expertise

Toute intervention suppose une référence implicite ou explicite à une théorie du changement. La théorie utilisée ici est présentée dans un livre intitulé : S’actualiser par des choix éclairés et une action efficace (St-Arnaud, 1996). Selon les postulats de la psychologie humaniste-existentielle, on considère que chaque être humain est guidé dans son développement personnel par une tendance à l’actualisation qui se manifeste dans un besoin d’autodétermination. Ce besoin d’autodétermination a été analysé dans les études expérimentales de Deci et Ryan (1985). La théorie du changement se résume dans trois mots clés : recevoir, choisir et agir. En supposant que la personne est la manifestation d’un changement continuel, celui-ci se fait de façon harmonieuse lorsque la personne s’applique à recevoir, sans la déformer, l’information qui vient de son propre organisme et de son environnement (disponibilité), à choisir sa propre ligne de conduite (autonomie) et à agir de façon à répondre aux besoins de son organisme (efficacité). Lorsqu’une personne demande de l’aide psychologique, on peut présumer qu’une ou plusieurs de ces trois opérations lui font problème en raison soit d’une déficience

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permanente, soit d’un blocage temporaire. Idéalement, si tout fonctionnait normalement, la personne serait en mesure de faire face à n’importe quelle situation et de s’autodéterminer. Si elle demande de l’aide, c’est que, au cours de son histoire personnelle ou à la suite d’un événement précis, le processus naturel de croissance est perturbé. Si les perturbations sont majeures, au point d’entraîner une déficience permanente, il peut être pertinent que la personne aidante supplée temporairement aux lacunes de la personne aidée en utilisant le savoir et le savoir-faire psychologiques pour évaluer la personnalité de celle-ci, orienter son action ou l’habiliter pour répondre à ses besoins. Mais que l’on choisisse de suppléer ou non, l’objectif ultime d’une relation d’aide ponctuelle est de redonner à la personne aidée l’usage de son processus naturel de croissance. La relation d’aide ponctuelle consiste donc à créer un environnement provisoire – la durée de la relation d’aide – dans lequel une assistance est apportée à la personne aidée pour qu’elle utilise ses propres ressources. On retrouve ici la complémentarité entre les deux fonctions de base de toute intervention : la suppléance et l’assistance. Dans le cas de Monsieur PER, par exemple, l’annonce qu’il est le père d’un enfant malgré lui entraîne un état de panique; il est envahi par ses émotions et devient incapable de faire un choix éclairé. Doris présume que son client a les ressources pour faire face à la situation et lui offre une aide pour recevoir l’information de son organisme (« Je peux vous aider à parler de ce que vous vivez personnellement dans cette situation ») et faire un choix qui prenne en considération toutes les informations disponibles (« Je peux vous aider à explorer différentes solutions »). Le dialogue professionnel typique d’une relation d’aide contient un certain nombre d’expertises (interprétations) soit sur la situation, soit sur les processus psychologiques de la personne aidée. Par ailleurs, on met souvent en garde les personnes qui interviennent contre le danger de la dépendance chez la personne aidée. Ce n’est pas la présence d’expertise qui crée la dépendance mais la façon de l’introduire et de l’utiliser. On revient toujours à la question de l’équilibre; le succès d’une relation d’aide ponctuelle dépend de l’équilibre que la personne aidante réussit à établir entre les deux grandes fonctions que sont la suppléance et l’assistance. Pour faciliter l’intégration de l’assistance et de la suppléance dans la gestion d’une relation d’aide ponctuelle, les expertises seront présentées en utilisant trois catégories qui correspondent aux trois phases du processus naturel de croissance : évaluer est une expertise associée à l’élément « recevoir », orienter est une expertise associée à l’élément « choisir » et habiliter est une expertise associée à l’élément « agir ».

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L’expertise d’évaluation

Au plan de la réception, une déficience peut être à l’origine de la difficulté qui amène la personne à consulter. Elle peut se manifester par une anxiété sans cause apparente, des réactions émotives inexplicables, un sentiment de vide ou une incapacité de donner un sens à sa vie. La personne aidante pourra donc décider que l’utilisation d’un cadre de référence professionnel est utile pour suppléer aux déficiences du processus naturel d’autoévaluation. L’expertise d’évaluation peut se faire à travers des procédés variés qui parfois impliquent l’utilisation de grilles diagnostiques complexes (American Psychiatric Association - DSM-IV, 1995; Delisle, 1993; Hersen et Turner, Édit., 1991; Lazarus, 1989). Elle prend aussi des formes plus simples lorsque la personne aidante propose une simple interprétation. L’interprétation est une évaluation qui porte non pas sur l’ensemble de la personnalité ou d’une situation mais sur un point particulier du comportement ou d’un processus psychologique de la personne aidée; elle consiste à soumettre ce point particulier à une analyse basée sur le savoir disciplinaire. Dans son dictionnaire du counseling, Biggs (1994) définit l’interprétation comme « un processus par lequel on suggère des possibilités de significations des comportements du client » (p. 133, traduction libre). Dans une relation d’aide comme celle qui s’amorce entre Doris et Monsieur PER, il serait disproportionné d’entreprendre une évaluation systématique de la personnalité de celui-ci; on trouve cependant dans le dialogue un exemple d’évaluation sommaire qui porte sur un processus psychologique spécifique : « J’ai l’impression que vous avez besoin de temps pour digérer le choc que vous vivez » (intervention 9). Par rapport à l’alternance entre les fonctions de suppléance et d’assistance, il est intéressant de noter le mot « possibilité » utilisé par Biggs; ce dernier cite d’ailleurs deux auteurs (Brammer et Shostrom, 1977) pour qui l’interprétation consiste à présenter au client des hypothèses concernant la signification de son comportement; c’est donc en interaction avec l’expérience du client que l’interprétation sera retenue ou rejetée.

L’expertise d’orientation

Au plan du processus décisionnel, une déficience peut être à l’origine de la difficulté qui amène une personne à consulter. Elle peut se manifester par une forte dépendance affective, une indécision chronique, un manque de contrôle de soi, etc. L’expertise d’orientation consiste à fournir à la personne aidée des informations qui ont pour effet d’orienter son processus décisionnel. Une telle expertise ne signifie en aucune façon qu’on décide à la place de la personne aidée; mais on peut considérer, en raison de lacunes manifestes dans le processus naturel de croissance, qu’une orientation est

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pertinente. Parmi les nombreux procédés qui servent à transmettre une expertise d’orientation, le conseil est sans doute le plus connu. Le conseil est un procédé pour orienter le processus décisionnel; il peut porter sur des actions à entreprendre ou sur la façon de gérer une situation. Cette dernière modalité est illustrée dans le dialogue entre Doris et Monsieur PER, dans l’intervention 6 : « Avant de passer aux arguments, dans une situation aussi personnelle, il me semble préférable de se reprendre en main ». Cette généralisation est basée sur le principe généralement admis qu’une personne risque de faire de mauvais choix si elle agit de façon impulsive, sous le coup d’une émotion forte. En l’introduisant dans le dialogue à ce moment, Doris rend plus explicite la structuration amorcée précédemment : « Je vous sens pressé de trouver de bons arguments, mais cela me semble prématuré ».

L’expertise d’habilitation

Au plan de l’action, une déficience peut être à l’origine de la difficulté qui amène la personne à consulter. Elle peut se manifester par une incapacité d’effectuer les tâches habituelles ou par différentes lacunes au plan du savoir-faire. La suppléance peut alors prendre la forme d’une habilitation. La personne aidante favorise des apprentissages nouveaux reliés aux actions que la personne aidée veut entreprendre de façon à augmenter l’efficacité de celles-ci. L’action efficace, dans ce contexte, est une action qui permet à la personne de répondre adéquatement à ses besoins de base (St-Arnaud 1996, chap. 4). Il faut noter cependant que ce type de suppléance est ordinairement sans effet, si la personne aidée n’a pas d’abord fait le choix de passer à l’action, de s’utiliser ou de se modifier pour répondre à ses besoins. Le modeling est un exemple de procédé utilisé pour transmettre une expertise d’habilitation : dans le cadre d’un jeu de rôle, la personne aidante prend le rôle de la personne aidée qui, elle, prend le rôle de l’interlocuteur. En jouant le rôle de la personne aidée, on peut illustrer de nouvelles façons d’agir reconnues comme efficaces dans le cadre du savoir disciplinaire. Dans la documentation professionnelle, on trouve plusieurs procédés de suppléance visant des entraînements spécifiques : entraînement à l’amitié, entraînement à l’autocontrôle, entraînement à la communication, entraînement aux habiletés sociales et à l’affirmation; O’Donohue, et Krasner (1995), ont mis à contribution une vingtaine d’auteurs qui présentent, dans un livre de plus de 400 pages, les procédés les plus utilisés.

L’ASSISTANCE

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L’assistance, comme on l’a vu plus haut, comporte deux niveaux : le premier sert à augmenter la qualité de la suppléance (sur le contenu et sur le processus) en utilisant les ressources de la personne aidée; le second sert à activer les ressources de cette personne. Dans une relation d’aide ponctuelle, on retrouve ces deux niveaux, mais le deuxième est au premier plan puisque le modèle d’intervention vise précisément à redonner à la personne aidée les moyens de réactiver son processus naturel de croissance et de s’autodéterminer.

L’utilisation des ressources de la personne aidée pour fin de suppléance

Le niveau I d’assistance ne nécessite pas une compréhension empathique globale du cadre de référence de la personne aidée, car la cueillette d’informations à laquelle on procède est au service de la suppléance et celle-ci se fait en fonction d’un cadre de référence professionnel dont la personne aidante est l’interprète. Ce premier niveau d’assistance demande des compétences pour 1) recueillir de l’information auprès de la personne aidée, 2) valider les orientations proposées et 3) adapter, le cas échéant, les habilitations entreprises. Cette assistance de niveau I peut s’exercer à travers différents procédés dont le plus utilisé est sans doute la question. L’utilisation des ressources de la personne aidée suppose les compétences habituelles d’un bon interviewer qui réussit à créer un climat de confiance et à s’assurer de la précision et de la justesse des informations recueillies. La question peut alors servir à recueillir l’information qui servira à l’évaluation, à valider une orientation ou à adapter une action. On peut choisir des questions fermées pour obtenir une réponse brève et précise; par exemple, Doris demande à Monsieur PER de confirmer sa perception : « Est-ce que je me trompe en disant que présentement vous êtes un peu en état de panique? » On peut utiliser des questions ouvertes pour permettre à la personne aidée de s’exprimer plus librement; par exemple, Doris commence son dialogue par une question ouverte : « Bonjour Monsieur PER, que puis-je faire pour vous? » La question guide se situe entre les deux; sans être fermée, elle dirige l’attention de la personne aidée sur un aspect de son expérience lié à un processus psychologique particulier : on peut lui demander de donner des faits pour illustrer un malaise ou une difficulté présentée en termes généraux; on peut lui demander ce qu’elle ressent; on peut lui demander de décrire ses raisonnements; on peut lui demander quelles sont ses intentions. La question guide est ouverte par rapport au contenu, mais elle est fermée par rapport à la dimension de l’expérience sur laquelle on sollicite de l’information. Dans l’intervention 10, Doris offre la possibilité d’une autre rencontre; on aurait pu utiliser une question fermée en disant : « voulez-vous que l’on se revoit? »; on aurait pu utiliser une question ouverte en disant : « ou en êtes-vous présentement? »; on aurait pu utiliser une question guide en dirigeant

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l’attention de Monsieur PER sur sa motivation : « Quelles sont vos intentions présentement? »

L’activation du processus d’actualisation

L’assistance de niveau II exige que l’on mette de côté le cadre de référence professionnel pour se familiariser avec le cadre de référence de la personne aidée et se l’approprier. Elle permet, bien sûr, d’aider une personne à recevoir l’information qu’on lui apporte dans le cadre d’une évaluation ou à réagir aux orientations proposées, mais elle vise surtout à activer le processus naturel de croissance. Différents procédés permettent 1) de soutenir la réception en faisant émerger de nouvelles informations en provenance de l’organisme de la personne, 2) de soutenir la personne dans sa recherche d’autonomie pour qu’elle procède à des choix personnels, et 3) de soutenir l’action par laquelle la personne peut répondre à ses besoins. Dans le contexte d’une relation d’aide, on peut comparer l’assistance de niveau II à l’aide que l’on apporte à une personne qui a de la difficulté à respirer après avoir été exposée trop longtemps à la fumée lors d’un incendie. L’aide qu’on lui apporte consiste à créer un environnement paisible et particulièrement riche en oxygène (la tente à oxygène) pour permettre à son organisme de récupérer : c’est l’organisme qui fait le travail, le personnel professionnel ayant pour tâche d’assister les processus naturels. L’image a ses limites car, contrairement à l’environnement de la tente à oxygène qui est matériel et statique, l’environnement que l’on crée dans une relation d’aide est psychologique et interactif. Lorsque la personne aidante gère une trajectoire à forte assistance, elle crée un environnement psychologique particulièrement riche : ses attitudes d’écoute empathique, de considération positive inconditionnelle et de congruence, pour reprendre les termes classiques de Carl Rogers (1957), ont pour effet d’activer le processus naturel de croissance17. Le traitement de la demande initiale permet parfois de préciser un type particulier d’assistance dont la personne aidée a surtout besoin, mais l’exercice ordinaire de la relation d’aide ponctuelle suppose des habiletés pour assister la personne aidée dans chacune de ces opérations. Il est évident, par exemple, 17 Dans sa revue de la recherche sur les facteurs communs, Castonguay (1987) établit que la qualité de la relation est soulignée dans toutes les approches: “Tous les auteurs qui ont étudié les facteurs communs l’ont identifiée comme une condition sine qua non à toute intervention ” (p. 194). Il précise que les trois conditions rogériennes d’une bonne intervention sont reconnues par l’ensemble des intervenants: “ La nécessité clinique de ces habiletés interpersonnelles est aussi reconnue par les thérapeutes béhavioristes qui accordent de plus en plus d’importance à la relation dans l’application de leurs techniques thérapeutiques ” (p 194).

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que Monsieur PER a besoin d’assistance pour une trajectoire de réception; à travers ce qu’il a reconnu comme de la panique, son organisme proteste contre un événement qui bouscule son plan de développement personnel et familial. Il formule une demande d’aide au plan de l’action (trouver des arguments pour convaincre Karine de se faire avorter) mais la fébrilité qu’il manifeste indique que cette action n’est pas entreprise à la suite d’un choix éclairé. Il n’est même pas en mesure de peser le pour et le contre d’un avortement. Lorsque Doris lui propose cette trajectoire (intervention 3), il rejette l’idée même d’une alternative à l’avortement. Doris lui suggère alors de ralentir le processus et lui offre une trajectoire de réception en nommant l’état de panique (intervention 6). Cette trajectoire semble avoir été poursuivie pendant les 30 minutes mentionnées après l’intervention 9. À la fin du dialogue, Monsieur PER demande de poursuivre dans cette direction en donnant déjà des signes qu’il commence à recevoir l’information perturbante sans panique : « J’aimerais vous revoir. Je sens que j’ai besoin de parler. C’est vrai que j’ai réagi avec panique, mais déjà, je me sens moins tendu ».

L’assistance à la réception

Au plan de la réception, plusieurs facteurs peuvent être à l’origine d’un blocage temporaire du processus naturel de croissance. Quelle qu’en soit la cause, ce blocage se manifeste chez la personne qui demande de l’aide par une difficulté à voir clair en elle-même, à nommer ce qu’elle vit, à accepter un événement, à intégrer un feed-back, etc. Plusieurs procédés peuvent aider une personne à contourner le blocage du processus naturel sans qu’il soit nécessaire d’entreprendre une expertise d’évaluation formelle. Dans une trajectoire qui vise à augmenter la qualité de la réception, on utilise des procédés qui n’introduisent aucun cadre de référence externe. Même les questions sont évitées parce qu’elles sont le plus souvent associées à un cadre de référence professionnel et maintiennent l’organisme dans un état de passivité alors que l’assistance à la réception vise à ce que la personne aidée soit active et en recherche de ce qui se passe dans les zones obscures de son organisme. Les questions et les interprétations font place à des procédés davantage conçus pour favoriser cette recherche active. Le reflet de sentiment est un procédé privilégié dans une trajectoire à forte assistance. Le reflet de sentiment est une forme d’assistance qui porte spécifiquement sur le mode affectif de la personne aidée : ce qu’elle vit, ce qu’elle ressent, ses besoins etc.; au lieu de poser une question sur ce vécu, la personne aidante cherche à répondre elle-même à sa question de façon empathique; elle soumet ensuite son décodage empathique sur un ton qui invite la personne aidée à confirmer ou à infirmer ce

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décodage. Le reflet résulte d’une interprétation empathique qui peut être basée aussi bien sur le comportement non verbal (par exemple, le ton de la voix) de la personne aidée que sur ce qu’elle a dit. Le comportement verbal et non verbal de la personne aidante contribue également à transmettre une attitude de considération et d’acceptation inconditionnelle : l’intervention ne contient ni jugement de valeur ni jugement professionnel basé sur un cadre de référence autre que celui de la personne aidée. Dans son dialogue avec Monsieur PER, Doris utilise ce procédé à l’intervention 7 : « J’ai l’impression que vous êtes sous le choc de découvrir que Karine est enceinte malgré vos précautions pour éviter un enfant ».

L’assistance au choix personnel

Au plan du choix personnel, le blocage se manifeste ordinairement par une difficulté à faire des choix, à résister aux pressions de son milieu, à s’affirmer, etc. Un des obstacles courants de la relation d’aide professionnelle est la dépendance de la personne aidée qui demande soit une solution à son problème, soit des directives précises sur la façon de procéder pour arriver à une solution. Il peut être pertinent de répondre à une telle demande par des activités de suppléance, mais souvent l’assistance de niveau II permet de contourner le blocage du processus naturel et de redonner à la personne aidée la capacité de faire des choix personnels. L’assistance de niveau II est la fonction qui favorise le plus l’autonomie de la personne aidée. Pour éviter la dépendance, la personne aidante peut utiliser toute la gamme des procédés d’assistance, dont le reflet de sentiment déjà décrit pour favoriser le processus de réception; mais certaines formes sont plus spécifiquement conçues pour assister la personne aidée à faire des choix personnels; telle est, par exemple, l’alternance figure-fond. L’alternance figure-fond est un procédé qui consiste à déceler et à favoriser le mouvement spontané de l’organisme lorsqu’une personne vit une ambivalence. Lorsque la personne aidée hésite entre deux options bien identifiées, on amplifie les éléments affectifs (goût) ou rationnels (motif) que la personne évoque en faveur de chacune des options. Après avoir « accroché » pour ainsi dire les deux options à deux mots clés fournis par la personne aidée (partir ou rester; dire oui ou dire non; parler ou ne pas parler), on laisse l’organisme de celle-ci déterminer lequel des deux côtés mobilise d’abord son attention : on dit de cet élément qu’il est en figure et qu’il se dégage de l’ensemble de l’expérience qui constitue le fond de scène. On aide la personne à nommer tous les éléments qui orientent le choix de ce côté jusqu’à ce qu’apparaisse un renversement figure-fond : les éléments associés à l’autre pôle de l’ambivalence deviennent alors la figure, alors que les premiers disparaissent dans le fond de scène. C’est souvent une phrase débutant par « oui, mais... » qui indique un déplacement de l’attention vers l’autre côté, un changement dans le rapport figure-

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fond. Lorsque le mouvement se produit en sens inverse, on revient à l’exploration du premier élément de l’ambivalence. On oscille ainsi jusqu’à ce qu’un côté devienne plus stable ou jusqu’à ce qu’il devienne évident que l’on ne progresse plus. Lorsque la personne aidante utilise ce procédé, il est important qu’elle reste neutre par rapport au contenu des deux pôles de l’alternance; c’est un peu comme s’il fallait assister à un combat entre deux parties de l’organisme de la personne aidée sans savoir laquelle va gagner. Il faut avoir la patience d’attendre la fin de ce combat très personnel et surtout résister à la tentation de parier sur la victoire de l’un ou l’autre des combattants.

L’assistance à l’action

Lorsqu’un blocage se produit au plan de l’action, la personne aidée peut avoir de la difficulté à passer à l’action, à trouver des moyens pour être efficace, à répondre à ses besoins, etc. Le sentiment d’impuissance vécu par la personne aidée peut révéler des déficiences qui justifieraient le recours à l’expertise d’habilitation, comme on l’a vu plus haut; mais une assistance à l’action peut souvent réussir à contourner le blocage qui amène la personne aidée à consulter. Lorsque la personne aidée se demande comment agir pour répondre à ses besoins de façon efficace, toute la gamme des procédés d’assistance peut être utilisée, mais des procédés spécifiques, comme la chaise vise, mobilisent davantage les ressources de la personne aidée lorsque le blocage de l’action se manifeste en présence d’un interlocuteur. La chaise vide est un procédé qu’on utilise comme suit : la personne aidée s’assoit en face d’une chaise vide sur laquelle elle place, en imagination, l’interlocuteur (parent, membre de la famille, connaissance, ami, employeur ou même un groupe) en face duquel le blocage de l’action se produit. L’utilisation du mode imaginaire permet à la personne aidée de minimiser les sentiments négatifs qui, dans l’action réelle, bloquent l’accès à son répertoire habituel de stratégies; dans l’environnement protégé de la relation d’aide, elle peut découvrir que des moyens qu’elle prend habituellement pour répondre à ses besoins peuvent s’appliquer même lorsque le défi est élevé.

CONCLUSION

La relation d’aide ponctuelle décrite dans ce texte tente de dépasser la distinction de plus en plus fragile que l’on faisait traditionnellement entre la psychothérapie et le counseling. Elle applique, dans le champ de la relation d’aide, les caractéristiques de l’intervention en psychologie des relations humaines. En mettant en synergie les ressources d’une personne qui demande de l’aide avec celles d’une personne qui a accès au savoir et au savoir-faire dont dispose la psychologie, on s’efforce de

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déterminer le type de changement qui est souhaité et souhaitable en fonction d’une situation que la personne aidée veut changer. Pour atteindre les résultats visés, doit-on se modifier, au moins en partie, ou au contraire s’accepter tel qu’on est et s’utiliser pour faire face à la situation qu’on veut changer? C’est là une question qui est reprise dans chaque nouvelle relation d’aide; il appartient aux partenaires impliqués d’y répondre. C’est au terme de l’entrée, au moment d’établir une sorte de contrat d’intervention que l’on pourra préciser le type de trajectoire qu’on suivra au cours de l’intervention. Selon l’évaluation sommaire faite au cours de l’entrée et l’approche privilégiée par la personne aidante, on peut anticiper une trajectoire à forte suppléance (expertises d’évaluation, expertises d’orientation ou expertise d’habilitation) ou une trajectoire à forte assistance qui visera surtout à soutenir la réception, le choix ou l’action de la personne aidée. Toute intervention étant une recherche où deux personnes doivent s’ajuster continuellement, des déséquilibres momentanés entre les ressources sont à prévoir; mais, dans la mesure où une relation de coopération est maintenue entre les partenaires, on peut espérer retrouver l’équilibre, le cas échéant, et produire un changement significatif qui tiendra compte de toutes les contraintes de chaque situation.

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