12
LA SANTE EN QUESTIONS André Gouazé HUMANISME ET FüRMATIüN MEDICALE Une culture abusive du scientifique aurait progressivement dépouillé lapersonnalité médicale de son humanisme. Il est, par conséquent, urgent que le jeune médecin recouvre la relation, le dialogue avec le malade et que, par là, l'huma- nisme de la médecine soit mêlé étroitement au développe- ment des connaissances techniques du praticien. : Lia dimension scientifique ct technique de la médecine est . la dimension fondamentale, car elle apporte la compétence, c'est-à-dire la connaissance, la maîtrise de la science de la technique. "Le grand malheur pour un malade, c'est d'être soigné par un médecin ignorant ... La conscience sans la science est inutile. La sensibilité même sincère qui cache l'incompétence est dange- reuse", dit Jean Bernard. Mais, la compétence, c'est aussi les straté- gies du raisonnement et de la décision médicale qui donnent la maîtrise des choix. à tous les niveaux, choix. de la meilleure hypo- thèse clinique, du meilleur examen complémentaire en l'instant, donc du meilleur diagnostic et de la meilleure thérapeutique ... Enfin, la compétence, c'est encore l'attitude de recherche perma- 72 REVUE DES DEUX MONDES AVRIL 1991

LA SANTE EN QUESTIONS

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LA SANTE EN QUESTIONS

LA SANTE EN QUESTIONS

André Gouazé

HUMANISMEET FüRMATIüN

MEDICALEUne culture abusive du scientifique aurait progressivementdépouillé la personnalité médicale de son humanisme. Il est,par conséquent, urgent que le jeune médecin recouvre larelation, le dialogue avec le malade et que, par là, l'huma­nisme de la médecine soit mêlé étroitement au développe­ment des connaissances techniques du praticien.

:Lia dimension scientifique ct technique de la médecine est. la dimension fondamentale, car elle apporte la compétence,

c'est-à-dire la connaissance, la maîtrise de la science de latechnique. "Le grand malheur pour un malade, c'est d'être soignépar un médecin ignorant ... La conscience sans la science est inutile.La sensibilité même sincère qui cache l'incompétence est dange­reuse", dit Jean Bernard. Mais, la compétence, c'est aussi les straté­gies du raisonnement et de la décision médicale qui donnent lamaîtrise des choix. à tous les niveaux, choix. de la meilleure hypo­thèse clinique, du meilleur examen complémentaire en l'instant,donc du meilleur diagnostic et de la meilleure thérapeutique ...Enfin, la compétence, c'est encore l'attitude de recherche perma-

72REVUE DES DEUX MONDES AVRIL 1991

Page 2: LA SANTE EN QUESTIONS

ETUDES etREFLEXIONSHumanismeet formation

médicale

nente, cette capacité d'appréhender sans cesse les faits, de les ana­lyser et de les intégrer aux connaissances acquises même s'ils lesbousculent, à la condition formelle, cependant, de respecter lesexigences de l'analyse scientifique.

Mais la dimension individuelle, personnelle, de la médecineest une dimension non moins fondamentale. Elle n'est autre que lesens de la relation et du dialogue avec le malade, de son informa­tion dans le cadre du respect de son corps et de sa propre person­nalité.

On a pu reprocher à certains médecins leur trop grand déta­chement pour ce qui est du dialogue avec le malade et sa famille,de leur personnalité et de leur information, ce qui revient à confis­quer le corps, la maladie, voire la mort ... ce qui revient à confisquerle père, la mère, l'enfant... On a ainsi pu stigmatiser un pouvoirmédical parce que déshumanisé, fermé et donc détestable, car fondésur la rétention de l'information, sur le refus de la discussion, del'explication et de l'offre de participation aux choix. C'est le pou­voir médical qui refuse la personnalité propre du malade, le pouvoirmédical imposé qui ne peut être que rejeté. Ce n'est pas ce pou­voir que nous défendons.

L'humanisme de la médecine ne se traduit pas par des bou­quets de fleurs ou des hôtesses. Il se traduit par la relation, ledialogue, l'écoute, l'explication de la maladie et des choix, la parti­cipation du malade à ces choix lorsque c'est possible, dans le cadrede la vérité qu'il peut entendre, la participation de la famille tou­jours, si le malade ne s'y oppose pas et dans le cadre de la vérité,mais avec nuances. Il se traduit par la prise en charge du corps àtravers la personnalité propre du malade et celle de sa famille, à tra­vers leur propre responsabilité toutes les fois où la chose est pos­sible, et toujours dans le strict respect du secret dû au malade quis'est confié. C'est là un véritable contrat qui s'établit entre le méde­cin et son malade, un contrat de confiance dont la donnée de base,essentielle, ne peut être, bien sûr, que la compétence, la deuxièmedonnée étant nécessairement le secret. Mais ce contrat comporteaussi l'humilité devant sa propre compétence et l'acceptation de sespossibles limites, l'acceptation aussi des limites de la science. Ilcomporte l'acceptation et même l'exigence d'une responsabilité per­sonnelle totale, mais aussi d'une responsabilité du malade lui-même

73

Page 3: LA SANTE EN QUESTIONS

LA SANTE EN QUESTIONSHumanismeet formation

médicale

et éventuellement de sa famille dans les choix. Le pouvoir médical,sur la maladie et sur le malade, n'est rien d'autre que tout cela. PourGeorges Duhamel, il s'agit d'un "colloque singulier". Pour LouisPortes, il est la "rencontre d'une conscience et d'une confiance'; etcette approche nous plaît beaucoup.

Ainsi compris, le pouvoir médical devient alors ouvert ettransparent, sain et inattaquable, car fondé sur la diffusion de l'in­formation personnalisée et donc sur la confiance, avec toujourscomme exigence première la compétence scientifique et technique.Il devient alors proposé et partagé, non seulement accepté, maisaussi souhaité. Ainsi compris, il devient nécessaire.

De lasélection

Contrairement à ce qui est généralement avancé par une opi­nion désinformée, la sélection des étudiants en médecine ne portepas sur des aptitudes scientifiques non appliquées et sur les mathé­matiques, les coefficients des épreuves de ces disciplines étant trèsinférieurs à ceux des disciplines médicales fondamentales - anato­mie, biologie, physiologie... et il n'y a plus, depuis longtemps,d'épreuve de mathématiques! Certaines facultés ont même installédepuis de nombreuses années des épreuves à caractère "littéraire",épreuve de langage à type de contraction de texte, voire épreuvede "sciences humaines".

Le fait le plus remarquable que nos études docimologiquesrévèlent est que les notes les plus élevées dans les épreuves scien­tifiques, comme aussi dans les épreuves dites médicales, commeenfin dans l'épreuve de français, sont obtenues par les étudiantstitulaires du baccalauréat de la série C. Ils réussissent partoutmieux que les autres, car ils sont les meilleurs dans toutes les disci­plines. C'est que le secondaire n'oriente plus les élèves en fonctionde leurs aspirations, comme jadis les baccalauréats des sériesmathématiques élémentaires (scientifiques), philosophie-sciencesou sciences expérimentales (série préparant notamment aux étudesmédicales) et philosophie C'littéraires"), mais les classes suivant

. leur niveau en fonction de leur aptitude au raisonnement abstrait.Cela dit, les épreuves scientifiques et les épreuves dites médicales

74

Page 4: LA SANTE EN QUESTIONS

ETUDES et REFLEXIONSHumanismeet formation

médicale

du concours peuvent être aptes, si l'on en possède la maîtrise, àévaluer les connaissances ainsi que les aptitudes au travail intenseet aussi les aptitudes au raisonnement abstrait et scientifique. Nouspensons que l'épreuve de langage à type de contraction de texte,que nous avons installée dans notre faculté, il y a maintenant plusde quinze années, et l'épreuve de "sciences humaines", que nousvenons d'installer, au dernier concours, sont, en revanche, aptes àévaluer les capacités d'écoute, d'expression, de communication, àévaluer l'ouverture sur la relation d'aide, sur un idéal de servir.

L'épreuve de "français" a précisément pour but de donnerune chance supplémentaire aux étudiants issus des sections moinsscientifiques du baccalauréat, de "démathématiser'' le concours. Lavaleur discriminatoire, prospective, est sans doute précieuse. Ellevalorise, effectivement, des qualités tenues pour essentielles dansles études médicales et dans l'exercice - appréhender rapidementune situation complexe, faire émerger les éléments les plus signi­fiants, les regrouper en concepts synthétiques, enfin les exprimeravec précision et concision afin d'exploiter et de transmettre laquantité maximale de l'information. Ce sont là des aptitudes où l'in­telligence s'exprime, et non le bachotage ou le psittacisme.

Plus tard, nous avons beaucoup réfléchi, tous ensemble,avant de créer une épreuve dite de "sciences humaines" et l'avonsinstallée pour la première fois au concours de 1990. Nous sommespartis du postulat qu'exercer la médecine, c'est remplir une fonc­tion de communication entre une grande diversité de personnes...et la science, qu'il faut connaître les unes... et l'autre, et nous avonsjugé indispensable d'essayer d'évaluer l'aptitude de l'étudiant à cettefonction de communication. Epreuve rédactionnelle - elle a lieutard dans l'année universitaire, en mars - afin de transformer l'es­prit de cette année de "bachotage" en y introduisant une nécessaireformation culturelle anthropologique et aussi de permettre auxétudiants de dépoussiérer et de développer leurs aptitudes à lacommunication, à la relation, à la réflexion philosophique surl'homme global. Le sujet de l'épreuve doit être ouvert pour pouvoirdonner lieu à une grande diversité d'opinions et de commentaireset rester suffisamment général et d'actualité pour que quiconques'intéressant un peu aux médias puisse y avoir été sensibilisé. Ilporte sur le thème préférentiel du cycle de conférences de sciences

75

Page 5: LA SANTE EN QUESTIONS

LA SANTE EN QUESTIONSHumanismeetformation

médicale

humaines de la Faculté défini pour l'année, en 1989-1990, "l'enfance"et, cette année, "le handicap". Les étudiants sont invités à utiliser,tout au long de l'année, les lectures (et une bibliographie large leurest fournie sur le thème retenu), les journaux, la télévision, le ciné­ma, la radio et, bien sûr, à suivre les conférences de la Faculté. Levécu personnel, conversations, rencontres, activités de vacances...,car tout n'est pas dans les livres, reste très important. Les critèresde correction sont la richesse, l'éclectisme, la force de l'opinionpersonnelle et l'efficacité dans la communication écrite. Un texteriche contient beaucoup d'idées, de faits, d'affects. Tout ce sensqu'il exprime peut être fait de lieux communs... ou être plus per­sonnel. La richesse de la personnalité se manifeste par la richessedu texte. Un médecin est supposé comprendre ses patients avec laplus grande diversité possible de regards. Un médecin est un déci­deur. Il ne peut se contenter d'être éclectique. Il faut qu'il ait lui­même une opinion. Celle-ci sera évaluée non sur sa nature (peuimporte, par exemple, qu'elle soit religieuse ou athée), mais sur lamanière dont elle est fondée et sa cohérence avec la personnalitéqui se dégage de la copie. On recommande aux candidats de s'en­gager avec beaucoup de liberté dans cette dissertation. Il estimportant que ce qu'exprime un médecin soit parfaitementcompris. L'efficacité c'est, ici, la communication aux lecteurs, defaçon rapide et sans ambiguïté, de tout ce 'que le candidat veutexprimer. Un plan compréhensible, une écriture lisible, un vocabu­laire précis, l'absence d'ambiguïtés, une syntaxe claire, la concisioncontribuent beaucoup à l'efficacité dans la communication écrite.L'orthographe et la syntaxe ne sont pris en compte que dans lamesure où leur défaut nuit à la compréhension de la copie. Unoral, pour l'instant irréalisable, serait sans doute plus adapté auxcritères choisis. Un examen blanc a préparé le jury à l'utilisation deces critères sur le thème suivant: le 10 septembre 1986, JacquesTestard, l'un des meilleurs spécialistes mondiaux de la fécondationin vitro et de la congélation d'embryons humains déclare : "Je neveux pas faire certaines choses. Mon dernier exploit aura été lacongélation d'embryons humains. Je n'irai pas plus loin, je ne tente­rai pas d'autres premières." Commentez librement ce texte (uneheure de réflexion, une heure de rédaction). Le sujet proposé auxétudiants lors du concours de sélection de juin 1990 était: "Les

76

Page 6: LA SANTE EN QUESTIONS

ETUDES etREFLEXIONSHumanismeet formation

médicale

enfants ne sont pas mis au monde une fois pour toutes, c'est chaquejour que nous essayons de les engendrer. A cet égard, il nJi a pas dedifférence entre les enfants biologiques et les enfants adoptés"(Catherine Bonnet, "Abandon et Adoption", dans Autrement, février1988). Un document d'information très complet est diffusé auprèsdes étudiants en début d'année. Il présente notamment les modalitéspratiques de l'épreuve, les moyens de s'y préparer, les critères decorrection et présente, aussi, le sujet de l'année précédente avec, inextenso, deux exemples de mauvaises copies et les deux meilleurescopies avec commentaires. Ce document a été diffusé dans tous leslycées de la région. Nous savons que cette épreuve n'est pas, dansl'état actuel des choses, parfaite et que beaucoup reste à faire malgrétout le soin que nous y avons apporté, mais elle a le mérite d'existeret nous sommes résolus à l'améliorer sur tous les plans. Nous atten­dons avec beaucoup d'impatience l'analyse docimologique del'épreuve du concours de juin 1990.

Mais nous savons que la solution tout à fait cohérente seraitune sélection contemporaine du baccalauréat. Il serait possiblede sélectionner les candidats sur dossier et entretien (entretien àl'image des concours d'entrée dans les grandes écoles) en exigeant,en préalable, les deux baccalauréats scientifique et littéraire. Cetteidée, très séduisante, est de Jean Bernard et nous y souscrivonspleinement.

Del'entrée à lafaculté demédecine

L'entrée en PCEM II doit être ressentie par l'étudiant comme levrai début d'une vie professionnelle tout entière et non pas seule­ment de la formation initiale. Dès le premier jour, tout doit tendre àaider l'étudiant à prendre conscience que, après une, voire deuxannées de travail intensif, sanctionnées par un concours de sélec­tion difficile, il ne peut être question qu'il se repose sur ses lau­riers. Il faut qu'il sache qu'il entre dans la communauté hospitalo­universitaire où enseignants et étudiants vivent ensemble, à pleintemps, toute l'année, et nuit et jour, pourrait-on dire, dans le cadred'une vie communautaire qui va être la sienne auprès du malade. Ilparaît essentiel que, dès le premier jour, tout soit mis en œuvre pour

77

Page 7: LA SANTE EN QUESTIONS

LA SANTE EN QUESTIONSHumanismeetformation

médicale

que l'étudiant comprenne que la formation initiale n'est que le pre­mier volet de la formation médicale, la formation permanente post­doctorale constituant le second volet, sans doute aussi important,que toute formation médicale ne peut être de qualité que dans lecadre d'une référence permanente à la recherche, et que tout méde­cin, où qu'il exerce et quel que soit son mode d'exercice, se sentiraconcerné par cette attitude de recherche permanente. L'étudiant doit,d'emblée, comprendre que son esprit doit radicalement changer. Iltravaillera dans le but, non de passer des examens, mais essentielle­ment de se mettre en mesure d'assumer plus tard les responsabilitésqui lui incomberont, et les contrôles des connaissances ne poserontaucun problème. La Faculté doit réussir l'entrée des étudiants enPCEM II et le PCEM II lui-même. Elle considère que la manière aveclaquelle ils seront conduits, l'esprit qu'ils permettront d'inculquer auxétudiants vont conditionner la qualité de l'esprit non seulement deleur formation initiale, mais celle de leur vie professionnelle toutentière et sans doute celle aussi de leur vie personnelle. Dès le pre­mier jour, nos jeunes étudiants doivent prendre conscience ducontrat de confiance mutuelle avec les enseignants. Aussi, il fautsavoir les persuader que nous voulons les aider à acquérir, à côté del'essentielle compétence, une autre chose aussi essentielle, l'huma­nisme, cette philosophie qui met les valeurs de l'homme au-dessusde toutes les autres valeurs. Ne craignons pas d'exalter devant lesétudiants, dès le premier jour, puis en toute occasion, ce que nousconsidérons comme les vraies valeurs - travail, conscience, responsa­bilité, participation, disponibilité, communauté médicale..., et aussi in­formation, écoute, dialogue - avec toujours, en conclusion, l'homme, lemalade, la collectivité. Il ne nous sera possible, au cours du cursus,de faire référence à ces valeurs que si elles ont été exaltées dès lepremier jour et elles présideront alors à l'ensemble du cursus univer­sitaire et, au-delà, à toute la vie d'exercice.

Delaculturegénérale médicale

Aujourd'hui, compte tenu de l'accélération du progrès de lascience et de la technique, compte tenu aussi du bouleversementdes mentalités et des mœurs, donc des conditions d'exercice dans

78

Page 8: LA SANTE EN QUESTIONS

ETUDES et REFLEXIONSHumanismeetformation

médicale

une nouvelle société, l'université médicale définit un nouveau cor­pus des connaissances à enseigner à tous les futurs médecins, quidoit "viser à former des esprits capables d'assimiler des connais­sances diverses et de faire face à des situations nouvelles, selon desrègles de jugement et de comportement communes à l'ensemble de lacollectivité" O.-M. Domenach). Nous sommes persuadés qu' "aucuneréforme sérieuse du corpus général n'est possible si on la confie àdes comités de spécialistes dont la légitime préoccupation est dedéfendre et illustrer leur propre discipline".

Le combat pour la culture générale médicale reste, quoiquel'on en pense, un combat d'avant-garde pour le retour à la cohé­sion de la profession et la formation de médecins capables d'af­fronter les nouvelles situations inédites et complexes. C'est uncombat pour la réflexion, la recherche personnelle, la préparationà la formation permanente, valeurs que le poids des programmes atendance à occulter.

Si l'on réfléchit bien à tout cela, l'on ne peut que voir resur­gir des disciplines fondamentales marginalisées (anatomie et physio­logie) au profit des disciplines fondamentales "plus scientifiques"(biophysique et biochimie). Ces disciplines fondamentales doiventaider surtout à l'acquisition d'un mode de pensée scientifique, cha­cune enseignant les bases et la démarche de son raisonnement,entraînant les étudiants à respecter ses propres principes scienti­fiques fondamentaux. Nous pensons aussi singulièrement à laséméiologie, marginalisée aussi, alors qu'elle apporte le sens essen­tiel de l'observation et de l'analyse. De plus, un enseignementsupérieur fait sans cesse référence à la recherche, n'est en aucunemanière tenu de traiter toutes les parties du programme, qui sus­cite la réflexion, explicite, illustre les données de base, éclaire leschapitres ardus, donne des références, recommande des lectures...fournit les éléments de la réflexion.

L'image, le pouvoir d'un enseignant ne se mesurent plusdepuis longtemps au nombre d'heures de cours qu'il dispense,mais à la qualité du message qu'il délivre et à son adéquation avecl'objectif recherché par la Faculté, une formation universitaire etprofessionnelle bien construite et de haut niveau pour nos futursmédecins, autrement dit une formation de têtes bien faites plusque de têtes bien pleines.

79

Page 9: LA SANTE EN QUESTIONS

LA SANTE EN QUESTIONSHumanismeetformation

médicale

Des sciences humaines

La médecine se veut pour objectif le service de l'hommedans sa globalité avec son corps et ses problèmes existentiels.Jadis, lorsque le corpus des sciences et des techniques médicalesétait limité et peu efficace, le médecin ne pouvait servir sespatients que grâce à sa culture. Il avait fait ses humanités, appris lelatin et le grec, et cette culture se prolongeait dès le début de laformation initiale dans les sciences naturelles, l'anatomie, la phy­siologie, la médecine expérimentale, l'histoire de la médecine ...Culture et disponibilité étaient les deux atouts majeurs du médecindu temps d'alors, aujourd'hui révolu. La masse des connaissancesscientifiques sans cesse croissante a sans doute occulté peu à peutout cela. Le culte du scientifique, du technique, a peu à peu envahil'enseignement secondaire et, bien sûr, la formation médicale, et lemédecin a hypothéqué peu à peu sa culture et sa disponibilité.

La formation médicale pose d'emblée aux étudiants la ques­tion du sens de la vie, dès le stage initial de soins infirmiers, dèsl'entrée au laboratoire d'anatomie et l' "immense distraction" dePascal ne peut plus alors généralement aider. La formation leurmontre aussi, d'emblée, que l'éthique apparaît liée à toute décisionet que la connaissance n'apporte pas de solution à ces problèmes.Ces situations d'agression, face à une fragilité naturelle, engagent,si l'on n'y prend garde, à élever des défenses. L'objectif unique dela formation médicale est d'aider les étudiants à construire, par uneadaptation progressive positive, une personnalité médicale adulte,adaptée au but ultime de la médecine, la relation d'aide.

La dimension scientifique et technique de la formation n'estautre que l'acquisition de la compétence, mais la nécessaire rigueurpeut conduire à l'intégrisme scientifique, et l'action à un activisme"coûteux", et il faut y prendre garde.

La dimension psychologique de la formation n'est autre quel'apprentissage de la psychologie, de cette éthique de l'authenticitédont l'idéal est d'être ou de devenir complètement soi-même et decomprendre les autres en les acceptant comme légitimement diffé­rents. La formation initiale doit savoir intégrer la psychologie dansl'approche de l'homme, du malade dans sa globalité et non en faireune spécialité de plus à côté des autres spécialités. Bien sûr, la

80

Page 10: LA SANTE EN QUESTIONS

ETUDES et REFLEXIONSHumanismeetformation

médicale

psychologie doit prendre place dans le troisième cycle, mais à lalumière de l'expérience nous ne pensons pas que l'on puisse yrenoncer en début d'études sous prétexte que ces étudiants n'ontencore aucune expérience médicale. Nous ne pensons pas nonplus que l'on y doive enseigner des connaissances, car la psycho­logie couvre un champ immense incompatible avec les emplois dutemps et nous avons choisi de privilégier, dans le cadre d'une sen­sibilisation, la relation praticien-patient à partir de problèmesconcrets qui sont ceux de tous les jours comme l'annonce d'unemaladie grave, le divorce, la perte d'un enfant... Le but essentiel dela formation théorique et des entretiens dirigés, dispensés, non pardes médecins seuls, en raison de leur insuffisance de formationthéorique, ou par des psychologues seuls, car les étudiants veulentun modèle d'identification proche de leur exercice futur, mais parles deux à la fois, reste d'intéresser l'étudiant, de le motiver, voirede le passionner, en l'aidant à approcher les patients par l'appren­tissage de la séméiologie de la relation.

Une culture qui aideà vivre

La dimension culturelle de la formation est celle qui apporte àl'étudiant et au médecin les valeurs qui vont lui permettre de faireface aux situations auxquelles il sera confronté dans sa vie médicale.La culture au sens anthropologique est un ensemble de symbolespar lesquels nous donnons une signification à tout ce qui émerge auchamp de notre conscience. La culture se construit au contact desautres et les symboliques sont multiples, propres à chacun, tout aumoins à chaque groupe. L'enfant construit sa culture au contact deses parents en prenant peu à peu conscience des valeurs de la cellule,puis aussi au contact de ses maîtres et de ses camarades d'école. Iln'est pas imaginable de vivre dans un monde où tout n'aurait aucunsens. Notre culture donne un sens à toute chose, à toute situation...à la maladie, à la mort et il en va de même pour nos patients. Mais ilfaut savoir que si notre culture nous aide à vivre notre exercice, carelle est faite de valeurs données par la science médicale, celle dupatient, faite de valeurs non ainsi données, ne lui est pas d'un grandsecours dans sa nouvelle situation de patient.

81

Page 11: LA SANTE EN QUESTIONS

LA SANTE EN QUESTIONSHumanismeetformation

médicale

La formation médicale initiale suit, en fait, une démarche ini­tiatique vers une culture propre au médecin. Dès le début de saformation, par exemple, l'étudiant reçoit, en entrant au laboratoired'anatomie, le choc de la découverte du cadavre. Le corps humainse dépersonnalise, se vide de sa symbolique première et est investipar la description des structures, change sa symbolique et la mortsera désormais ressentie autrement. Le laboratoire d'autopsie, endécouvrant la raison de la mort sous forme de lésion anatomiquevisible, poursuit l'initiation. Le premier stage hospitalier, en mettanten présence de la souffrance et en lui opposant, grâce aux connais­sances acquises, une abstraction contrôlable sous la forme d'unemaladie, la poursuit lui aussi. Ainsi, à travers ces étapes, faites desituations intenses, s'élabore une culture propre au médecin. Nousavons choisi d'aider les étudiants tout au long de leur parcoursvers une culture propre, qui les aide à vivre et qui aide en mêmetemps le patient, vers leur maturation culturelle, par des cycles deconférences-débats faites par des anthropologues, des historiens,des sociologues, des ethnologues, des psychothérapeutes, voiredes psychanalystes... et, bien sûr, des biologistes et des médecins.

Mais le médecin, armé d'une solide formation psychologiqueet d'une solide formation culturelle, n'en est pas plus apte à aiderson patient s'il ne sait pas communiquer avec lui, s'il n'a pas étépréparé à la relation praticien-patient. La formation à la communi­cation, si complète soit-elle, ne peut se suffire à elle-même. Ellereste vide et vaine, si elle n'est pas sous-tendue par la culture et lapsychologie. Elle nécessite aussi, tout d'abord, une faculté d'ex­pression orale avec un vocabulaire suffisant, une syntaxe juste, unearticulation audible et compréhensible. Il sera intéressant d'inté­grer la formation à l'expression orale sous forme de séminaires, aucursus initial en fin de deuxième ou encore de troisième cycle.D'autres méthodes peuvent aider à cette formation, bien sûr. Noussouhaitons profondément le rétablissement des épreuves orales àtype d'entretien dans les contrôles des connaissances. Ces épreuvesrendraient indispensable la formation à l'expression orale, permet­traient de distinguer les étudiants inaptes à la communication et deles conseiller, voire de les diriger vers des spécialités particulières.

La faculté d'expression écrite est, à notre avis, tout aussiindispensable, et il faut reconnaître que les modalités docimolo-

82

Page 12: LA SANTE EN QUESTIONS

ETUDES et REFLEXIONSHumanismeetformation

médicale

giques du concours d'internat (questions à choix multiples..., sansvéritables questions rédactionnelles) et, donc, celles des contrôlesdes connaissances de fin d'année au cours des deux premierscycles n'y préparent pas. Nous souhaitons aussi profondément lerétablissement des questions rédactionnelles, voire courtes auxexamens et concours. Les rédactions courtes de lettres, comptesrendus ... ou plus longues, dlobservations cliniques, par exemple,restent d'excellents moyens de formation. Les séminaires de rédac­tion médicale, dont nous avons aussi la maîtrise, doivent, à notresens, s'intégrer également au cursus initial, sur un mode spécifique.

Enfin, psychologie, culture et expression ne suffisent pasencore à la qualité de la relation praticien-patient. Ainsi formé, lemédecin aura quelque chose à dire et saura le dire, mais encorefaut-il qu'il y croie, encore faut-il qu'il vive sa culture, qu'il vive sarelation avec le patient, qu'il s'investisse pleinement.

La formation humaniste de nos jeunes étudiants doit, enfin,les éclairer sur la participation du malade et sa propre responsabi­lité, sur le consentement éclairé et le respect de la dignité du malade,de son inquiétude et de son angoisse, sur l'éventuelle nécessaireabstention de prescription, sur la personnalité propre du malade etcelle de la famille, sur la personne et le personnage, l'équilibre dela famille, sur la vérité au malade et à la famille, sur l'accompagne­ment du mourant, le refus de soins et I'acharnement thérapeutique,l'euthanasie, sur l'accompagnement des personnes âgées, celui deshandicaps avec leur rééducation et leur réhabilitation, sur le secretdû au malade, sur les pratiques dites "médecines douces", sur Phu­milité, sur la disponibilité... Cette formation doit recommander lalecture des philosophes : Claude Bruaire, Ivan Illitch, GeorgesCanguilhem et François Dagognet, Paul Tournier. .. , et de nosmaîtres: Jean Bernard, Jean Hamburger, Paul Milliez, JacquesRuffié, Raymond Villey, Guy Lazorthes et de bien d'autres: JeanBroussier...

André Gouazé

83