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L’effondrement du commerce dans la crise mondiale de 2008‐2009 : à qui la faute ?
Philippe Martin (Sciences‐Po) et Thierry Mayer (Sciences‐Po et CEPII)
La crise financière de 2008‐2009 est exceptionnelle à de nombreux égards mais tout particulièrement
par l’impact qu’elle a eu sur le commerce mondial. Entre le dernier trimestre 2008 (juste après la
faillite de Lehman de septembre), et le 1er trimestre 2009: le décrochage du commerce, de 22%, a
été sensiblement plus fort que celui du PIB mondial (8%). Utilisant les derniers chiffres disponibles de
l’OMC, le CEPII (http://www.cepii.fr/francgraph/themes/commerce.asp) a annoncé en octobre 2009
que le commerce mondial avait augmenté de 8% au second trimestre 2009 par rapport au premier
trimestre. Cette reprise des échanges est supérieure à celle du PIB (5,8%) pour la même période. Il y
a donc dans cette crise une sur‐réaction du commerce par rapport aux variations de l’activité, qui
joue à la hausse comme elle avait joué à la baisse. La figure 1 ci‐dessous reprise de Giovanni et
Levchenko montre à la fois l’ampleur de la chute et le rebond récent de la croissance du PIB mondial
et des exportations mondiales et illustre l’impact plus important de la crise sur le commerce que sur
le PIB.
Figure 1 : le PIB mondial et les exportations mondiales
Source : http://www.voxeu.org/index.php?q=node/4185
Figure 2 : l’évolution historique du commerce américain rapporté au PIB
Source : Levchenko et al. (2009)
Le caractère historiquement sans précédent sur la période de l’après guerre est illustré par la figure 2
montrant les exportations et les importations en pourcentage du PIB dans le cas des Etats‐Unis
(Levchenko et al., 2009). Les récessions précédentes (figurées en gris) n’ont jamais eu un tel impact
même si celles de 2001 et de 1982 avaient eu un effet important.
Il faut en fait remonter à la crise des années 1930 pour trouver un effondrement comparable du
commerce mondial. Almunia et al. (2009) font cette comparaison dans un papier de recherche
récent. La figure 3 ci‐dessous repris de leur article montre le commerce mondial en données
mensuelles où la base 100 est choisie pour les deux crises (celle des années 1930 et celle de 2008‐
2009) au mois caractérisé par le pic de production mondiale : juin 1929 et avril 2008 respectivement.
On voit que la chute du commerce mondial des premiers mois de la crise actuelle a été plus forte que
celle des débuts de la crise des années 1930, s’accélérant à partir de septembre 2008, c’est‐à‐dire
après la faillite de Lehman. Il est encore trop tôt pour juger si la reprise récente du commerce
mondial ressemble aux reprises temporaires qui ont été observées lors de la Grande Dépression ou
s’il s’agit d’une reprise permanente.
Figure 3 : Une comparaison de l’effondrement du commerce lors de la crise actuelle et lors de la
grande dépression des années 30
60
70
80
90
100
110
5 10 15 20 25 30 35 40 45 50
June 1929=100 April 2008=100
Months since peak
Source : Almunia et al. (2009)
L’effet d’amplification du commerce par rapport au PIB semble aussi avoir été plus fort dans la crise
récente que dans la crise des années 1930. Cet effet d’amplification est important à plusieurs égards.
Tout d’abord, même si le commerce a rebondi, il reste beaucoup plus faible en valeur qu’au début de
la crise. On peut légitimement se demander si l’on assiste à une pause momentanée dans le
mouvement de mondialisation ou si cette crise marque un retour sur ce mouvement qui paraissait ne
jamais devoir s’interrompre.
Au‐delà du simple intérêt académique de l’identification des causes d’une plus grande volatilité des
échanges par rapport à celle du PIB, les implications de politique économique sont radicalement
différentes selon la ou les causes que l’on pourra identifier. Quatre grandes explications ont été
immédiatement avancées :
L’effet revenu. Les crises financières sont typiquement associées à des récessions longues et
particulièrement graves (voir Reinhart et Rogoff, 2008 et Claessens, Kose et Terrones, 2009), plus
graves et plus longues par exemple que les récessions causées par un resserrement de la
politique monétaire ou par un choc pétrolier. Ces récessions produisent des chutes de la
consommation et des importations. En outre, il semble que le commerce réagisse plus fortement
au revenu pendant une récession globale que pendant les périodes plus tranquilles.
L’effet du crédit commercial: La crise financière de 2008‐2009 a révélé le rôle, sous‐estimé
par les économistes, de toute l’ingénierie financière qui sous tend le commerce
international. Comme toute transaction économique pour laquelle la livraison du bien n’est
pas immédiate et pour laquelle le risque sur le paiement et la livraison existe, le commerce
international requiert l’intervention d’intermédiaires financiers. Du fait de l’effondrement du
crédit et de la liquidité, le coût de ces opérations de crédit commercial a fortement
augmenté et dans certains cas le crédit commercial a totalement disparu pendant plusieurs
mois. Il s’agit d’une forte augmentation du coût du commerce qui peut aussi expliquer la
chute de celui‐ci.
L’effet de la spécialisation verticale: Il s’agit ici d’une implication de l’existence au niveau
mondial d’une chaine de production de plus en plus intégrée. Chaque pays est devenu un
chainon pour la production de biens intermédiaires dans différent chaines de production
aboutissant à la production d’un bien final. De ce fait, la baisse des importations de biens
finaux se répercute sur le commerce mondial des biens intermédiaires. Toute la chaine de
production est ainsi affectée.
L’effet du protectionnisme : Dans les années 1930 le protectionnisme a été une conséquence
de la crise (plutôt qu’une cause) et explique une partie de la chute du commerce mondial. On
peut donc se demander si dans la crise actuelle, le protectionnisme a pu jouer un rôle. Le FMI
et la Banque Mondiale ont mis en avant une augmentation des licences d’importations et de
certains tarifs.
Chacune de ces hypothèses a été soumise récemment à une ou plusieurs investigations empiriques
pour tenter de la quantifier. C’est un autre signal de l’importance du phénomène : les spécialistes du
commerce international, d’habitude plus intéressés par les questions de long terme de spécialisation
des économies se sont passionnés pour l’explication de ce « trou d’air » dans les échanges
internationaux. Nous allons tenter de faire un état des lieux de cette recherche, et les implications
que l’on peut en tirer.
1. L’effet de revenu
Il est utile d’analyser la manière dont le commerce mondial réagit aux variations de revenu pour
comprendre la sévérité de la chute du commerce dans la crise actuelle. Freund (2009 a et b) rappelle
que l’élasticité du commerce au revenu a augmenté fortement au cours des 40 dernières années :
selon Irwin (2002) cette élasticité valait environ 2 dans les années 1960 et 1970 et elle est passée à
3,4 dans les années 1990. Ainsi, si l’on prend cette dernière estimation cela signifie que la chute du
commerce mondial devrait « normalement » être plus de trois fois supérieure à la chute du PIB.
Cette augmentation de l’impact du revenu explique en partie l’impact de la crise du commerce.
Pendant les récessions mondiales précédentes (1975, 1982, 1991, et 2001), l’élasticité estimée par
Freund est même supérieure. Cependant, cet effet d’amplification joue à la baisse comme à la
hausse et le regain de croissance du commerce au sortir de la récession est aussi très fort.
Cette analyse est intéressante mais ne nous éclaire que partiellement sur les mécanismes à l’oeuvre.
Pour aller plus loin, il peut être utile d’analyser un cas spécifique, celui des pays africains et la
manière dont leurs exportations ont réagi à cette crise ainsi qu’aux crises financières passées. Ce cas
est intéressant à plusieurs égards, tout d’abord, car si une caractéristique de cette crise est son
caractère à peut près mondial, elle peut être particulièrement douloureuse pour les pays qui étaient
déjà les plus pauvres avant qu’elle ne se déclenche. De plus, les pays africains, très souvent
hyperspécialisés dans l’exportation d’un nombre très réduit de biens (souvent des biens primaires),
ont pour la plupart un taux d’ouverture important, et donc une sensibilité aux chocs internationaux
particulièrement forte.
Le cas des pays africains
L’effondrement du commerce mondial a été la porte d’entrée de la crise financière pour de
nombreux pays. C’est particulièrement le cas des pays Africains. Au début de la crise financière, le
faible développement financier et la faible intégration des économies africaines aux circuits
financiers internationaux avait pu faire espérer que les économies africaines seraient relativement
peu touchées par la crise financière. De fait, les banques africaines n’avaient pas investi dans les
subprimes et autres produits financiers exotiques et les gouvernements africains n’ont pas eu besoin
de renflouer leurs systèmes financiers. L’effet direct de la crise financière a donc été quasi‐nul pour
les pays africains protégés par leur faible développement financier. Mais celui‐ci a pu jouer un rôle
amplificateur via l’effet du commerce international sur l’Afrique. Un papier récent de Berman et
Martin (2009) suggère que les exportations africaines sont particulièrement vulnérables aux crises
financières frappant leurs partenaires commerciaux. Une indication de cette vulnérabilité est la
chute plus forte des exportations africaines vers les Etats‐Unis. La figure 4 montre le total des
exportations vers les Etats Unis ainsi que celles de l’Afrique sub‐saharienne et de l’Amérique latine.
Septembre 2008 (la faillite de Lehman) a été choisi comme base 100. Les exportations africaines ont
clairement été plus touchées.
Figure 4 : Exportations de différentes zones vers les Etats‐Unis
Exportations vers les Etats-Unis : Septembre 08 à Juillet 09(Source: USITC)
40
60
80
100
120
SEP OCT NOV DEC JAN FEB MAR APR MAY JUN JUL
monde
Afrique sub‐saharienne
Amérique latine
Source : Berman et Martin (2009)
Il ne s’agit pas seulement d’une baisse liée à la chute des prix des matières premières (qui est de
toute façon intervenue avant septembre 2008, les prix se stabilisant en décembre 2008). Si on
distingue les exportations manufacturières et les exportations de biens primaires, ce sont les
premières qui, dans le cas des exportations africaines aux Etats‐Unis, ont été les plus touchées par la
crise.
Deux mécanismes sont à l’œuvre. L’un, qui a déjà été évoqué, est l’effet revenu. L’autre mécanisme
vient du fait que pour une baisse donnée du revenu et de la consommation, les coûts de transaction
du commerce international augmentent lors d’une crise financière.
En renforçant les contraintes de crédit, une crise bancaire, peut affecter les flux commerciaux. Le cas
des lettres de crédit est souvent donné en exemple. L’importateur utilise une lettre de crédit émise
par sa banque comme un moyen d’assurer l’exportateur que celui‐ci sera payé. Si l’exportateur
soumet les documents requis (factures commerciales, le connaissement maritime ou bill of Lading en
anglais, dans le cas de transport maritime..) à sa banque (appelée la confirming bank), le paiement
peut être versé à l’exportateur. Le bon fonctionnement de ce système requiert la confiance et la
liquidité à toutes les étapes de la chaine. Si par exemple la banque émettrice a des fonds insuffisants
pour garantir un crédit à l’importateur, celui‐ci peut apparaitre financièrement peu fiable. De même,
la banque de l’exportateur peut avoir des doutes sur la liquidité de la banque de l’importateur. Le
rôle précis du crédit commercial dans l’effondrement du commerce dans la crise présente est en fait
une question assez controversée sur laquelle peu d’évidence empirique existe1. L’organisation
mondiale du commerce (contrairement à d’autres institutions internationales) a mis en avant cet
aspect de la crise pour expliquer la chute du commerce (voir Auboin, 2009). Elle se base sur le fait
que pendant la crise les taux d’intérêt sur les lettres de crédit ont très fortement augmenté en
particulier pour celles émises par des pays en voie de développement alors même que ceux‐ci
n’étaient pas au cœur de la tourmente. Cette augmentation du coût des lettres de crédit a été
confirmée par le FMI (2009) sur la base d’une enquête auprès des banques. Cette enquète suggère
aussi que le commerce intra‐régional entre pays industrialisés a été peu affecté par cette
augmentation du coût du crédit commercial. La Banque Africaine de Développement (2009) note que
« paradoxalement, alors même que les banques commerciales africaines sont prêtes à offrir un
financement pour les opérations commerciales, elles ne peuvent le faire car la crise financière
mondiale a forcé nombre de banques travaillant avec les exportateurs (confirming banks) à retirer
leur crédit du marché. » L’augmentation du coût du crédit commercial a pu avoir un effet
disproportionné sur les exportateurs de produits à faible marge très sensibles à toute augmentation
de coût du commerce.
L’effet de la crise financière actuelle sur les importations américaines:
En utilisant les données mensuelles des importations bilatérales sur la période Janvier 2005 à Juillet
2009 et en contrôlant par un indice mensuel de la production industrielle, par les variations
mensuelles de taux de change bilatéral ainsi qu’un effet saisonnier, Berman et Martin (2009)
obtiennent les conclusions suivantes :
‐ La baisse des importations américaines pendant la crise financière peut s’expliquer par ces
déterminants (production industrielle, taux de change bilatéral et effet saisonnier). Il n’existe
pas d’effet additionnel de la crise financière. Ce résultat est cohérent avec ceux de Eaton et
al. (2009).
‐ Cependant, ce n’est pas le cas des exportations africaines vers les Etats‐Unis. Leur chute à
partir de la faillite de Lehman ne peut pas être entièrement expliquée par ces déterminants.
Il existe, dans le cas africain, un effet additionnel.
Les crises financières passées permettent aussi d’analyser la vulnérabilité des exportations africaines
à la crise actuelle. Une première possibilité est que l’effet revenu est plus important pour les
exportateurs africains parce que les exportations africaines sont plus sensibles au cycle du pays
partenaire commercial. Ce n’est pas ce qui ressort au premier abord du travail de Berman et Martin
(2009) : l’élasticité des exportations africaines au revenu du pays de destination, n’est pas différent
des autres régions. Cette élasticité est un peu au dessus de l’unité, c’est‐à‐dire e pourcentage
d’augmentation des exportations africaines vers une destination lorsque le PIB de cette destination
augmente de 1% est un peu au dessus de 1%. Cependant, la crise financière a eu un effet très
fortement négatif sur le revenu et il se peu que l’effet sur les importations ne soit pas linéaire. De
fait, une récession (définie comme une croissance négative du PIB sur l’année) dans le pays
partenaire a un effet beaucoup plus négatif sur les exportations d’un pays africain vers le pays en
récession que sur les exportations des autres pays vers ce même pays. Les exportations africaines
sont donc plus vulnérables aux forts chocs négatifs des pays vers lesquels ils exportent. Le
1 Certaines contributions récentes ont permis d’identifier une chute plus forte pour les secteurs qui dépendent fortement du financement externe à l’entreprise. Nous décrivons ces résultats plus loin dans ce chapitre.
mécanisme de contagion d’une récession via le commerce international est donc plus puissant dans
leur cas.
Berman et Martin (2009) quantifient ensuite l’effet de destruction de commerce due à une crise
financière qui ne passe pas par l’effet revenu. Pour cela, ils utilisent une méthodologie aujourd’hui
bien connue dans la littérature empirique du commerce international, celle des équations de gravité.
Le point de départ de cette méthodologie est que le niveau de commerce entre deux pays est très
bien prédit par quelques déterminants : le niveau de PIB des deux partenaires (qui mesurent l’offre
de l’exportateur et la demande de l’importateur) affecte positivement le commerce bilatéral alors
que la distance entre les deux pays a un impact négatif parce qu’elle augmente les coûts de
commerce via les coûts de transport. D’autres déterminants commerciaux (l’appartenance à un
accord commercial) ou culturels (langue commune, histoire…) jouent aussi un rôle. A partir de ces
équations de gravité, on peut déterminer le niveau de commerce « naturel » entre deux pays c’est‐à‐
dire celui prédit par ces différents déterminants. On peut alors se poser la question suivante : de
combien le commerce observé entre deux pays dévie du commerce « naturel » lorsque l’un des deux
pays est touché par une crise financière. L’analyse empirique de Berman et Martin (2009) montre
que cette « déviation » est non négligeable et durable. Rappelons que la baisse du commerce ainsi
estimée est celle due à d’autres mécanismes que l’effet de baisse du revenu de l’importateur puisque
celui‐ci est pris en compte dans le commerce « naturel ». La figure 5 montre cette déviation pour
l’ensemble des pays2 : l’année de la crise financière (l’année 0 sur le graphe), les exportations
chutent d’environ 5% vers le pays en crise par rapport aux exportations « normales ». Il s’agit de
l’effet de « destruction » de commerce qui s’ajoute donc à l’effet de revenu déjà discuté. L’effet est
durable puisqu’il existe encore sept ans après la crise. Il n’est pas négligeable mais reste relativement
limité.
2 Les pointillés autour de la courbe estimée représentent les intervalles de confiance à 5%.
Figure 5: exportation vers un pays en crise financière
Source: Berman et Martin (2009)
Ce n’est pas le cas lorsqu’on considère les exportations africaines vers un pays en crise financière
comme le montre la figure 6 aussi tiré de Berman et Martin (2009).
Figure 6: exportation vers un pays en crise financière
Source: Berman et Martin (2009)
La destruction de commerce due à la crise est beaucoup plus forte l’année de la crise (environ moins
35%) et ce n’est que sept ans après la crise que cet effet disparait. Cette vulnérabilité particulière
des exportateurs africains ne vient pas seulement de la spécialisation des pays africains dans les
produits primaires. Berman et Martin (2009) montrent que l’effet est un peu plus fortement négatif
pour les exportations de produits primaires que pour les produits manufacturés mais cette différence
n’est pas très marquée.
D’où vient cette vulnérabilité particulière? Une explication possible et déjà mentionnée est que les
exportations africaines sont des exportations à faible marge (biens primaires et biens manufacturés
avec une faible valeur ajoutée sur des marchés fortement concurrentiels). Dans ce cas, une
augmentation des coûts du commerce peut rendre certaines exportations non profitables et obliger
certains exportateurs à sortir du marché. Cette hypothèse très plausible n’a pas pour le moment été
testée.
Une autre explication est que les pays africains sont particulièrement vulnérables à un resserrement
des conditions de crédit du fait d’une plus grande dépendance au crédit commercial. Ce dernier point
est important : les exportateurs africains ont plus souvent recours aux opérations de crédit
commercial que la moyenne. En moyenne dans le monde, le ratio crédit commercial sur exportations
d’un pays est environ de 60%. Pour les pays africains, ce ratio est de 95% indiquant une forte
dépendance au crédit commercial et donc à son possible dérèglement pendant une crise financière.
Le rôle de cette dépendance au crédit commercial est suggéré par le travail de Berman et Martin
puisqu’ils montrent que plus un pays est dépendent du crédit commercial, plus l’effet de destruction
des exportations vers un pays en crise financière est fort. L’impact du faible développement financier
africain est aussi marqué puisque les pays avec un faible développement financier voient leurs
exportations vers les pays en crise financière plus fortement chuter. Une interprétation est que les
exportateurs africains peuvent plus difficilement se retourner vers leur propre système financier en
cas de crise financière (et donc de dérèglement des mécanismes de crédit) dans le pays vers lequel ils
exportent. De ce point le faible développement financier africain n’a probablement pas, tout au
contraire, atténué l’effet négatif de la crise financière.
La peur du retour protectionniste semble (pour l’instant) exagérée.
La crainte que l’effondrement du commerce ne résulte d’une résurgence du protectionnisme au
niveau mondial est sans aucun doute ce qui constitue la motivation la plus importante des
économistes, mais aussi des gouvernements pour tenter d’expliquer ce qui se passe. L’ensemble des
acteurs a conscience que le risque d’une spirale de contraction des échanges qui aggraverait et
prolongerait la crise n’est pas nul. Même si un scénario du type années 30 avec une escalade des
barrières tarifaires semble impossible aujourd’hui (c’est sans doute là l’un des rares consensus
mondiaux en ce qui concerne les questions d’ouverture internationale), des répliques plus
sophistiquées sont possibles. Au fur et à mesure du mouvement de libéralisation multilatérale des
échanges sur les 60 dernières années, les états ont appris à élaborer des mesures plus subtiles de
protection de leurs économies, au travers de droits anti‐dumping, de mesures de sauvegarde
(d’ailleurs autorisés sous certaines conditions par l’OMC) ou encore de mesures nationales comme
les primes à la casse automobile qui peuvent se révéler protectionnistes de manière plus ou moins
directe. Les instruments sont donc là, peut être même plus dangereux qu’avant puisque faisant appel
à une expertise administrative importante, et donc plus difficiles à détecter et plus inégalitaires, les
pays pauvres étant désavantagés sur ce terrain.
Comment mesurer si le protectionnisme est l’un des facteurs dans l’effondrement du commerce ?
Deux méthodes sont possibles : l’une consiste à tenter de recenser les mesures au fur et à mesure de
leur mise en place. Au vu de la sophistication mentionnée des nouveaux modes du protectionnisme
qui peuvent porter sur des milliers de produits pour chacun des états‐membres, même l’OMC
reconnaît la difficulté de la tache. En fait, ce travail de collecte de l’information est tellement
complexe, qu’une initiative récente soutenue entre autres par la banque mondiale fait appel aux
déclarations volontaires sur internet (http://www.globaltradealert.org/) en temps réel. Ce type
d’analyse permet de remettre en perspective les engagements des états du G20 de ne pas prendre
de mesures de protection pour répondre à la crise. Très souvent, ces promesses sont assez
franchement contredites par les faits, comme on peut le voir dans le tableau 1
Tableau 1 : Mesures protectionnistes récemment détectées
Source : http://www.globaltradealert.org/sites/default/files/Broken_promises_GTA_second_report.pdf
Mais aussi intéressantes que peuvent être ces informations, elles sont nécessairement incomplètes
et surtout elles ne traduisent pas ce qui nous importe in fine, à savoir l’impact des mesures sur les
flux. Idéalement, l’impact du protectionnisme ne peut être mesuré qu’en combinant deux types
d’information : une mesure complète des barrières érigées et une mesure de la sensibilité du
commerce à ces barrières3. La construction devient alors encore plus complexe, puisque cette
sensibilité est elle aussi très difficile à mesurer.
3 L’impact sur la valeur du flux commercial dans la plupart des modèles de commerce combine donc un équivalent ad valorem de l’ensemble des changements de barrières au commerce avec l’élasticité prix de la demande (qu’elle soit finale ou intermédiaire).
Une deuxième approche devient alors préférable et cherche à détecter le protectionnisme au travers
de son impact sur les flux commerciaux. Eaton et al. (2009) ont récemment utilisé l’indice de Head et
Ries (2001) pour mesurer la part des frictions au commerce dans l’effondrement récent des
échanges. Cet indice part de l’idée suivante : pour détecter l’impact d’une barrière aux échanges, il
faut comparer les flux internationaux aux flux intra‐nationaux. En effet, toute augmentation de la
difficulté à importer doit se traduire par une redirection de la demande en faveur des producteurs
domestiques. En revanche, si l’effet de la crise est simplement de réduire la demande agrégée du
pays, cela doit affecter toutes les importations bilatérales dans les mêmes proportions, y compris les
ventes locales, et dès lors le ratio imports sur flux internes devrait rester inchangé. Pour prendre un
exemple, si les Etats‐Unis subissent une baisse de la demande agrégée de 10 %, la demande de biens
fabriqués en France devraient baisser d’environ 10%,4 mais il en est de même en ce qui concerne la
demande adressée aux producteurs américains. Ce premier rapport neutralise donc l’effet de la
chute de la demande du pays importateur. Il existe néanmoins une autre source de variation des
importations relatives : plus un pays exportateur a une part mondiale de la production importante,
plus les Etats‐Unis auront tendance à importer de ce pays. Il faut donc neutraliser cet effet, ce qui est
fait en utilisant un deuxième ratio, cette fois ci des exportations américaines en provenance de la
France divisé au commerce interne de la France. On obtient alors une mesure « pure » des frictions
au commerce entre la France et les Etats‐Unis, exercice que l’on peut répliquer pour obtenir une
matrice de coûts aux commerces bilatéraux, dont on peut évaluer l’évolution au cours du temps, et
en particulier lors de la crise récente.
Les résultats montrent que les craintes liées à une résurgence du protectionnisme semblent pour
l’instant largement exagérées. Même si le commerce a chuté fortement, il semble que pour la
plupart des pays, la baisse des échanges soit très bien expliquée par l’évolution de la demande
domestique et par celle de la production des pays partenaires. Au contraire de l’évolution des
échanges en valeur absolue, ou en pourcentage du PIB, l’indice des barrières aux échanges ne
montre quasiment aucune rupture de trend au cours de la crise de 2008‐2009, pour presque tous les
pays. Pour reprendre l’exemple des USA, la figure 7 reprend les données de commerce et les
confrontent à l’indice de Head et Ries estimé sur données mensuelles par Eaton et al. (2009). Si les
barrières aux échanges fournissaient une explication à l’évolution de l’effondrement du commerce,
l’indice de Head et Ries devrait connaître un décrochement brutal en fin de période, ce qui n’est pas
le cas.
4 La quasi‐intégralité des modèles théoriques de commerce international prédit une élasticité revenu unitaire, résultat confirmé par ces centaines d’estimations empiriques.
Figure 7 : Commerce et indice de Head et Ries pour les Etats‐Unis, 1995‐2009
25
45
65
85
105
125
145
165
18519
95
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
2009
md
s U
SD
Exports
Imports
Source : US Census Bureau et Eaton et al. (2009)
Le trade collapse vu du coté des entreprises.
Une équipe française de chercheurs a très récemment tenté de décortiquer l’effondrement du
commerce en utilisant les données de commerce très détaillées fournies par les douanes. L’intérêt
est de pouvoir dire des choses plus précises sur les causes de l’effondrement. Par exemple, une crise
mondiale comme celle que nous vivons affecte‐t‐elle plus particulièrement les petites entreprises ou
les grands groupes mondialisés ? Est‐ce que les difficultés d’accès au crédit sont importantes dans le
canal d’ajustement des exportations à une crise de cette ampleur ? Les auteurs utilisent les données
mensuelles concernant l’activité des exportateurs français pour formuler des réponses à ces
questions.
Le premier constat est que le nombre d’exportateur a subi une baisse importante. Si l’on observe une
baisse tendancielle du nombre de firmes exportatrices en France depuis le début la décennie, cette
baisse d’accélère avec la crise. Entre octobre 2008 et avril 2009, environ 3800 firmes ont cessé
d’exporter ce qui correspond à 7% du nombre mensuel moyen de firmes exportatrices sur les dix
dernières années. En ce qui concerne les montants exportés, les facteurs les plus importants
semblent être l’orientation géographique et sectorielle des exportations, plus que la taille des
entreprises. Une fois neutralisés l’effet de la spécialisation sectorielle et géographique, toutes les
firmes semblent atteintes dans des proportions similaires, quelque soit leur taille : en avril 2009, les
firmes les plus petites comme les groupes les plus globalisés accusent une chute de leurs ventes à
l’étranger de l’ordre de 30% par rapport à avril 2008. Il semble donc que l’accès plus facile au crédit
au sein des grands groupes très ouverts au commerce international ne les protègent que
marginalement des effets de cette crise. Par conséquent, lorsque l’on cherche à séparer l’effet total
entre « marge extensive » (le nombre d’exportateurs) et « marge intensive » (valeur exportée
moyenne), c’est cette dernière qui explique 80% de la baisse totale des flux pendant les premiers
mois de la crise. La figure suivante montre bien que le décrochage le plus important se situe sur le
plan des valeurs exportées par les entreprises en moyenne plutôt que sur leur nombre.
Figure 8 : nombre d’exportateurs et exportations totales en France depuis Janvier 2000
Source : Bricongne et al. (2009)
Lorsque l’on se concentre sur la marge extensive, c’est‐à‐dire les entrées et sorties de l’activité
internationale, on constate que les entreprises ont suivi une stratégie de repli. Elles préfèrent se
concentrer sur leur cœur de métier, en réduisant à la fois le nombre de produits exportés et le
nombre de destinations. Les firmes les plus diversifiées « réduisent donc la voilure », et sont
logiquement plus susceptibles de survivre que les firmes qui n’exportaient qu’un produit sur un
nombre réduit de marchés. Le taux d’entrée reste remarquablement stable sur la période, ce qui
traduit certainement que la décision de devenir exportateur est une stratégie de long terme, peu
affectée par les fluctuations conjoncturelles, même lorsque celles‐ci ont une ampleur importante. En
revanche, les grandes lignes de démarcation semblent suivre le type de produit exporté. Ce sont les
exportateurs d’automobiles, de biens d’équipement et de biens intermédiaires qui subissent les
baisses les plus massives.
Les données disponibles permettent également de dépasser l’analyse descriptive et d’étudier
l’impact des contraintes financières. Utilisant une méthode maintenant classique inspirée de Rajan et
Zingales (1998), Bricongne et al. (2009) cherchent à identifier si les firmes ayant le plus recours à des
financements externes sont les plus vulnérables.5 Ils calculent un taux de dépendance au
5 L’hypothèse identificatrice de cette stratégie empirique est que la dépendance aux financements externes dépend principalement des caractéristiques technologiques des différents secteurs. Les différences de technologies sectorielles étant extrêmement stables dans le temps, il est peu probable que les entreprises puissent réajuster leur dépendance financière en période de crise.
financement externe pour chaque secteur en France sur la période récente. Un premier constat est
que, en période « normale » les firmes appartenant à ces secteurs ont plutôt tendance à connaître
une croissance de leurs exportations supérieure aux autres entreprises. Mais lorsque la crise
financière survient, cet avantage s’inverse, et ces entreprises subissent une contraction plus
importante que les autres, et cela indépendamment de la taille. Iacovone et Zavacka (2009) utilisent
une méthode très similaire mais sur des données au niveau sectoriel pour un ensemble large de pays
qui ont subi ou non une crise bancaire entre 1980 et 2006. Ils trouvent eux aussi, que la dépendance
aux financements externes a un effet négatif important sur le commerce en temps de crise.
Levchenko et al. (2009) trouvent également une baisse de commerce américain plus importante pour
les secteurs qui utilisent intensément le crédit commercial lors de la crise de 2008‐2009, mais l’effet
est moins fort, peut être en raison du caractère plus agrégé des données utilisées.
Enfin, les auteurs poursuivent pour tester l’idée de la spécialisation verticale comme source de
réaction forte du commerce à la crise. Toujours au niveau sectoriel, on peut définir un degré de
spécialisation verticale, définit comme la part des consommations intermédiaires importées dans la
valeur totale de la production du secteur. Encore une fois, en interagissant cette variable avec une
variable indicatrice du déclenchement de la crise, on peut capter un effet décuplé pour les
entreprises de ce secteur. En temps normal, la spécialisation verticale est un facteur accélérateur de
la croissance des exportations, mais l’impact négatif de la crise est beaucoup plus fort pour ces
secteurs. Il semble donc bien que la spécialisation verticale ait joué un rôle important dans
l’ajustement des entreprises en termes de commerce international. Ce résultat est confirmé par un
certain nombre de chercheurs ayant travaillé sur le commerce des Etats‐Unis au cours de la crise.
Levchenko et al. (2009) cherchent à expliquer la chute des importations et exportations américaines
dans les différents secteurs en construisant une variable d’intensité d’utilisation du bien en question
en tant que bien intermédiaire.
Conclusion
La crise actuelle est la première crise de la mondialisation et l’effondrement du commerce en est une
des symptômes les plus frappants. Le commerce est ainsi un formidable moyen de contagion de la
crise. On l’a vu dans le cas des pays africains qui, contrairement aux pays européens, n’ont pas été
frappés par l’effet direct de la crise ni par un effet de contagion financière mais l’ont été
essentiellement via la chute de leurs exportations. Si l’intégration commerciale a été un formidable
vecteur de contagion de la crise, peut‐elle être aussi un vecteur d’amplification de la reprise ? L’effet
de contagion est il symétrique ? La réponse dépend des causes de cet effondrement. Si
l’effondrement est en partie causé par une montée du protectionnisme, alors le commerce perdra en
sortie de crise une partie de son rôle d’amplificateur de la reprise. La raison, et la crise des années
1930 qui a déclenché une montée du protectionnisme, l’a bien montré, est qu’il est lent et difficile de
démonter les mesures protectionnistes sont très une fois mises en place. Notre interprétation des
travaux récents est que la crise n’a pas généré une forte montée du protectionnisme. L’effet
amplificateur devrait donc jouer un rôle positif en sortie de crise. Il reste que cette crise a révélé à
quel point le commerce international était un facteur d’amplification du cycle au niveau mondial.
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