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Doctorat ParisTech THESE pour obtenir le grade de docteur délivré par L’Institut des Sciences et Industries du Vivant et de l’Environnement (AgroParisTech) Spécialité : Economie présentée et soutenue publiquement par Baptiste Perrissin Fabert le 17 juin 2014 « Valeur sociale du carbone » et financement de la transition bas carbone Directeur de thèse : Jean-Charles Hourcade Jury M. Gilles Rotillon – Professeur des universités – Paris-Ouest la Défense, Rapporteur M. Luc Baumstark – Professeur des universités – Université Lumière Lyon II, Rapporteur Mme. Mariane Fay Chief economist for sustainable development and climate change Banque Mondiale, Examinatrice M. Franck Lecocq – Directeur du CIRED – Représentant ABIES AgroParisTech CIRED (UMR 8568) 45 bis, avenue de la Belle Gabrielle 94736 Nogent-Sur-Marne Cedex

L’Institut des Sciences et Industries du Vivant et de l ... · RÉSUMÉ GÉNÉRAL Ce travail de thèse s’interroge sur l’origine des controverses autour du concept de « valeur

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Doctorat ParisTech

THESEpour obtenir le grade de docteur délivré par

L’Institut des Sciences et Industriesdu Vivant et de l’Environnement

(AgroParisTech)Spécialité : Economie

présentée et soutenue publiquement par

Baptiste Perrissin Fabert

le 17 juin 2014

« Valeur sociale du carbone » et financement de latransition bas carbone

Directeur de thèse : Jean-Charles Hourcade

JuryM. Gilles Rotillon – Professeur des universités – Paris-Ouest la Défense,RapporteurM. Luc Baumstark – Professeur des universités – Université Lumière Lyon II,RapporteurMme. Mariane Fay – Chief economist for sustainable development and climate change –Banque Mondiale, ExaminatriceM. Franck Lecocq – Directeur du CIRED – Représentant ABIES

AgroParisTech CIRED (UMR 8568) 45 bis, avenue de la Belle Gabrielle 94736

Nogent-Sur-Marne Cedex

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A la mémoire de Sandra, ma chère cousine, qui est partie tropbrutalement pour pouvoir porter son regard critique et profond sur

ces causeries d’économistes...

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R E M E R C I E M E N T S

Le travail que j’ai mené au CIRED est celui d’un nain sur desépaules de géant. Le géant « cirédien » est un être collectif qui ac-cumule depuis plus de quarante ans des analyses économiques, dusavoir-faire de modélisation et de la sagesse pluri-disciplinaire. Cettethèse met ainsi en forme l’état d’une réflexion collective. Toute la pre-mière partie de la thèse sur la « valeur sociale du carbone » est lefruit du travail de l’équipe RESPONSE. Ma gratitude est dirigée enpremier chef vers Patrice qui a été le véritable « passeur » du modèleRESPONSE. Mais les travaux que nous avons initiés au cours d’unlointain master seraient restés à l’état de friches sans les nouvellesressources qu’Etienne et Antonin ont investi dans le modèle. Ils luiont donné, avec un certain brio numérique, de la rigeur et une plusgrande portée intellectuelle. Un grand merci à Franck N. égalementpour ses fulgurations économétriques qui ont considérablement re-nouveler le traitement des résultats.

Pour les chapitres concernant la finance climat je tiens à remercierJulie pour m’avoir aidé, pas à pas, à traduire nos intuitions en unedescription réaliste d’un plan monétaire. Un grand merci également àMiriame et à Alexandre pour le travail patient de collecte de donnéessur la finance climat et le panorama synthétique qu’ils ont su en tirer.

Merci à Thomas et à Etienne, pour le coup d’accélérateur macroqu’ils ont permis de donner au travail final. Le fondement macrode l’instrument monétaire proposé est crucial pour le transformer enoption politique crédible. Merci à Céline pour ses précieux conseilsd’orientations scientifiques et professionnels.

Je remercie chaleureusement mon directeur, Jean-Charles, dont j’aieu le privilège de recevoir un encadrement très suivi autant sur lefond que sur la forme. J’ai ainsi pu bénéficier de sa pensée vibrion-nante et de sa confiance pour aller porter les idées développées dansla thèse au sein de cercles d’expertise internationaux.

Merci à Franck L., pour sa rigueur d’analyse et l’efficacité de sesinterventions qui, à chaque fois, m’ont aidé à recentrer ce travail surses enjeux scientifiques fondamentaux.

Je remercie les membres du jury pour le temps et l’intérêt qu’ilsont accordé à ce travail, ainsi que les membres du comité de thèse,Dominique Bureau et Benoît Leguet, qui m’ont permis d’affiner lesorientations finales du travail.

Au rang des collègues et amis, je salue mes co-bureaux, pour leurcompagnie stimulante et chaleureuse. Raphaël pour son humour chicet décalé ; Oskar pour ses facultés contemplatives et nos complici-tés alpines ; Adrien pour son agilité mentale et son snobisme décon-

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tracté, et Jules, le dernier-venu, qui a assuré courageusement l’interimd’Adrien. Et même si techniquement nous n’avons jamais partagé lemême bureau, merci à Meriem pour son énergie rayonnante et sa voixqui traverse les murs.

Un grand merci collectif à toute la joyeuse troupe du CIRED quifait du labo un environnement de travail et un lieu d’épanouisse-ment personnel unique en son genre. Merci ainsi à Marie-Laure, Cé-dric, Ank, Manu, Cristophe, Gaëtan, Julien, Vincent, Paolo, Aurélie,Elsa, Philippe, Manon, William, Gaëlle, Ruben, Laurent, Florian, Noé-mie, Bénédicte, Frédéric, Thierry, Antoine, Stéphane, Hypathie, Sté-phanie, Arancha, François, Jun, Henri, Catherine, Naceur, Eléonore,Yaël, Minh, Tarik.

Et puis, je suis profondément reconnaissant à mes parents, masoeur et ma famille, mon bol d’air montagnard, pour m’avoir toujoursfait confiance et soutenu dans mes choix et mes détours profession-nels.

Je dois enfin à Agathe, et à notre adorable Côme, d’avoir traverséce projet de longue haleine animé d’une joie sereine.

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R É S U M É G É N É R A L

Ce travail de thèse s’interroge sur l’origine des controverses autourdu concept de « valeur sociale du carbone » (VSC). Il vise à renou-veler la réflexion sur les instruments des politiques climatiques dansun contexte de « changement de paradigme » des négociations cli-mat. Pour ce faire, il examine une proposition d’architecture climato-financière, fondée sur la VSC et sur un instrument monétaire inno-vant, peu coûteux pour les budgets publics, qui servirait de levier àla montée en puissance des financements de la transition bas carbone.

Les quatre premiers chapitres offrent une plongée au coeur desmodèles intégrés économie-climat, à partir du modèle RESPONSE(chapitre 1), afin de démêler les déterminants théoriques des désac-cords sur la VSC. Deux pistes sont explorées : (i) celle de l’incertitudescientifique sur les paramètres clés des modèles intégrés – au-delà duseul paramètre d’actualisation – qui explique la co-existence de « vi-sions du monde » irréductibles dans le débat climatique (chapitre 2) ;(ii) celle des « architectures de modélisation » (chapitre 3) qui traduitl’influence sur les résultats des formes fonctionnelles retenues par lemodélisateur pour représenter les dommages climatiques, les coûtsd’abattement et l’incertitude.

RESPONSE est un modèle pour penser les variations de la VSC etnon pour en révéler la valeur la « plus vraie ». Il repose sur une ar-chitecture à la fois fexible, pour reproduire les grands choix de modé-lisation qui structurent la controverse académique, et suffisammentsimple pour traquer les effets relatifs de l’incertitude sur les para-mètres ou des formes fonctionnelles retenues.

Enfin, le chapitre 4de cette première partie se concentre sur un phé-nomène inattendu – qualifié d’effet « fin du monde » – qui émergedu modèle RESPONSE et qui remet en cause la crédibilité des enga-gements internationaux sur une cible de hausse des températures de2 °C.

Les trois chapitres suivants ont une ambition plus appliquée. Ilsvisent à montrer que la VSC peut fournir le signal prix politiquementacceptable qui manque aujourd’hui aux négociations climat et deve-nir la pierre angulaire de différents mécanismes de financement de latransition bas carbone. Un accord sur la VSC semble plus accessibleet plus stable qu’un accord sur un prix du carbone car elle donneà voir l’ampleur d’une opportunité d’investissement bas carbone plu-tôt que les seuls coûts des politiques climatiques. Le « changement deparadigme » des négociations, initié depuis la conférence de Cancun(2010), place la finance climat au cœur des discussions en vue d’unéventuel accord international en 2015 (chapitre 5). Les politiques cli-

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matiques ne sont plus perçues comme un « fardeau » à partager entrepays mais comme une opportunité de développement bas carbone.

Tandis que des instruments de type « taxe carbone » ou « méca-nisme de permis négociables » ont été jusqu’à présent tenus en échecpar la réalité diplomatique des négociations climat, nous proposonsun instrument original de transmission de la VSC dans les choix éco-nomiques qui répondrait au jeu de contraintes de ces négociations(chapitre 5). Pour garantir la neutralité (au moins à court/moyenterme) d’un tel instrument sur les budgets publics, le dispositif re-cherché doit permettre de mobiliser des capitaux privés via des fi-nancements bancaires et l’épargne gérée par les investisseurs institu-tionnels. Nous examinons dans les chapitres 6 et 7 le potentiel d’uninstrument monétaire gagé sur le carbone, directement inspiré despolitiques non conventionnelles menées depuis 2008 par les banquescentrales pour pallier les effets de la crise. Cet instrument n’a pasvocation à être permanent mais à amorcer la pompe de la financeclimat.

La démonstration conceptuelle de l’intérêt diplomatique et écono-mique d’un tel instrument est encore à compléter par une évaluationquantitative de ses effets sur les grands équilibres macroéconomiques(inflation, croissance). Nous présentons dans le chapitre 7 l’ossatureformelle d’un modèle dynamique d’équilibre général qui permettraitde mesurer les atouts macroéconomiques de cet instrument.

L’originalité théorique d’une telle proposition réside à la fois dansle remède préconisé – une politique monétaire non conventionnellepour résoudre un problème environnemental – ainsi que dans le sta-tut de la politique climatique qui deviendrait le vecteur d’une poli-tique macroéconomique de relance et de stabilisation de l’ordre mo-nétaire et financier.

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P U B L I C AT I O N S

Certains éléments de cette thèse ont déjà fait l’objet d’une publica-tion :

Rozenberg, J. ; Hallegatte, S. ; Perrissin-Fabert, B. & Hourcade, J.-C. (2013). Funding low-carbon investments in the absence of acarbon tax. Climate Policy, Taylor & Francis, 13, 134-141

Hourcade, J. ; Perrissin Fabert, B. & Rozenberg, J. (2012). Ventu-ring into uncharted financial waters : an essay on climate-friendlyfinance. International Environmental Agreements : Politics, Lawand Economics, Springer, 1-22

Dumas, P. ; Hourcade, J. & Perrissin-Fabert, B. (2010). Do we needa zero pure time preference or the risk of climate catastrophes tojustify a 2 °C global warming target ? World Bank Policy ResearchWorking Papers series, World Bank

Fay, M. ; Iimi, A. & Perrissin-Fabert, B. (2010). Financing gree-ner and climate-resilient infrastructure in developing countries-challenges and opportunities EIB Papers, 15, 34-58.

D’autres éléments sont issus d’articles soumis et en cours de révisiondans des revues à comité de lecture :

Pottier, A. ; Perrissin-Fabert, B. ;Espagne, E. ; & Dumas, P. (2013).The comparative impacts of Integrated Assessment Models’ struc-tures on optimal mitigation policies. (en révision in Environmen-tal&Modeling Assessment)

Perrissin-Fabert, B. ; Dumas, P. & Hourcade, J.-C. (2012). WhatSocial Cost of Carbon ? A mapping of the climate debate. FEEMWorking Paper

Perrissin Fabert, B. ; Etienne, E. ; Pottier, A. ; Nadaud, F. ; & Du-mas, P. (2012). Why are climate policies of the present decadeso crucial for keeping the 2 °C target credible ? (en révision inClimatic Change)

Espagne, E. ; Perrissin-Fabert, B. ; Pottier, A. ; Nadaud, F. & Du-mas, P. (2012). Disentangling the Stern / Nordhaus Controversy :beyond the Discounting Clash. FEEM Working Paper.

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TA B L E D E S M AT I È R E S

Introduction 1

Dans la fabrique de la valeur d’une externalité mondiale 4

Une architecture climato-financière 5

L’économiste commme « médiateur engagé » du débat cli-matique 8

1 modéliser les controverses du débat climatique 11

1.1 Définitions de la valeur sociale du carbone 14

1.1.1 La définition académique 14

1.1.2 Le prix de marché 15

1.1.3 Le coût de réduction des émissions 15

1.1.4 Les dommages évités du changement climatique 16

1.1.5 La valeur tutélaire du carbone 16

1.2 Fondements des controverses académiques 17

1.2.1 Les « visions du monde » en quelques paramètres 19

1.2.2 Les débats sur les « formes fonctionnelles » desmodèles intégrés 21

1.2.3 Le traitement de l’incertitude 23

1.3 Description de RESPONSE 25

1.3.1 Un modèle pour quelle histoire ? 25

1.3.2 Le modèle déterministe 27

1.3.3 Le modèle avec incertitude 31

1.3.4 Le calcul de la valeur sociale du carbone 34

1.4 La valeur ajoutée de RESPONSE 34

1.4.1 Positionnement de RESPONSE dans le paysagede la modélisation intégrée 34

1.4.2 RESPONSE : un outil de mise en forme du dé-bat climatique 38

2 révéler l’effet des « visions du monde » sur les

politiques climatiques 41

2.1 Une cartographie du débat climatique 41

2.1.1 Rendre compte de la diversité des visions dumonde 41

2.1.2 Analyse ex post du comportement des tribus 47

2.1.3 Déterminer des intervalles de valeurs : un es-pace de compromis ? 50

2.2 Effets relatifs des composantes des visions du monde 53

2.2.1 Au-delà de la controverse sur le taux d’actuali-sation 53

2.2.2 Mesurer l’influence des composantes des visionsdu monde 66

2.2.3 Conclusion 70

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xii table des matières

3 révéler l’effet des choix du modélisateur sur

les politiques climatiques optimales 73

3.1 Une méthode d’analyse de sensibilité sur les différentesarchitectures prises par RESPONSE 74

3.1.1 L’architecture de référence 74

3.1.2 Un jeu de visions du monde 74

3.1.3 Les différentes formes fonctionnelles 74

3.1.4 Un critère d’équivalence pour comparer les mo-dèles 77

3.2 Une analyse statistique des effets des formes fonction-nelles 79

3.2.1 Statistiques descriptives 79

3.2.2 L’impact de la forme fonctionnelle des dommages 80

3.2.3 L’impact de la représentation de l’incertitude 81

3.2.4 L’impact de l’inertie 83

3.3 Trois enseignements sur l’influence des formes fonc-tionnelles sur les politiques climatiques 83

3.4 Vers le meilleur des modèles possibles ? 85

4 l’objectif des 2 °C est-il encore crédible ? 87

4.1 Le cadre de modélisation 89

4.1.1 La représentation des dommages 89

4.1.2 Construction d’un échantillon de 2000 scénarios 90

4.2 Résultats 91

4.2.1 Typologie des scénarios 91

4.2.2 Sur la trace d’un « résigné » 92

4.2.3 Les déterminants du franchissement du seuildes 2 °C 94

4.3 La diffusion du comportement d’« overshoot » : le défide la décennie présente 94

4.4 Conclusion 98

5 le changement de paradigme des négociations

climatiques 101

5.1 L’impasse diplomatique 104

5.1.1 Le prix unique comme utopie 105

5.1.2 La question des transferts Nord/Sud 107

5.1.3 La répartition des efforts entre Etats 109

5.1.4 Vers un « changement de paradigme » 109

5.2 L’émergence de la finance climat 110

5.2.1 Les besoins financiers de la transition : derrièrela querelle de chiffres 111

5.2.2 La galaxie de la finance climat actuelle 113

5.3 Les défis d’une finance climat à inventer 120

6 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale

du carbone » 121

6.1 Vision d’ensemble de l’instrument monétaire 122

6.1.1 Valorisation politique de l’externalité climat 124

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table des matières xiii

6.1.2 Intervention de la banque centrale 124

6.1.3 Mesurer et vérifier les réductions d’émissions 125

6.1.4 Un système incitatif pour les banques et les en-trepreneurs bas carbone 128

6.1.5 Redirection de l’épargne 129

6.2 Ce qu’une politique monétaire gagée sur le carbonepeut changer 129

6.2.1 Réactions du canal bancaire aux politiques mo-nétaires non conventionnelles 131

6.2.2 Le statut d’un actif carbone au cœur d’un ordremonétaire et financier refondé 132

6.2.3 Eclairer les investisseurs et soutenir une relance« verte » 134

6.3 Illustration : le circuit bancaire micro des certificats car-bone 135

6.3.1 Banque et contrainte de bilan 135

6.3.2 Deux projets concurrents à financer 136

6.3.3 La transmission d’une politique monétaire ga-gée sur le carbone 138

7 vers une évaluation macroéconomique du plan

monétaire 145

7.1 Un modèle pour répondre aux objections 145

7.1.1 Ojections monétaires 145

7.1.2 Objections climatiques 148

7.1.3 Objections institutionnelles 149

7.2 Description du modèle GREEN MARS 150

7.2.1 Les ménages 152

7.2.2 La production 153

7.2.3 L’accélérateur financier 155

7.2.4 Le secteur public 159

7.3 Analyse comparative de deux politiques climatiques 160

7.3.1 Une règle d’émission 160

7.3.2 Une régle d’émission complétée par une poli-tique monétaire gagée sur le carbone 161

7.3.3 Développements futurs 162

Conclusion 163

Les principaux résultats 163

Economie politique d’un plan monétaire gagée sur le car-bone 164

Les questions de recherches en suspens 166

a annexe 169

a.1 Résolution des conditions du premier ordre du modèleRESPONSE 169

a.1.1 Après l’arrivée de l’information 169

a.1.2 Avant l’arrivée de l’information 171

a.2 La valeur sociale du carbone 174

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xiv table des matières

a.2.1 Définition théorique 174

a.2.2 Définition dans RESPONSE 174

a.2.3 Calcul numérique 175

a.3 Quelles sont les causes de l’effet « fin du monde » ? 175

a.3.1 Analyse économétrique des résultats d’une ana-lyse de sensibilité de RESPONSE 175

a.3.2 Résultats des analyses box plot réalisées sur lesdistributions de scénarios pour différentes ar-chitectures de modélisation 177

a.3.3 Matrices de transition 181

a.4 Le modèle GREEN MARS 182

a.4.1 Travail et salaires 182

a.4.2 Agrégation 186

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TA B L E D E S F I G U R E S

Figure 1 Les trois principaux composants d’une visiondu monde 19

Figure 2 Les formes possibles de la fonction de dom-mages dans RESPONSE 29

Figure 3 Relation entre le prix du carbone en ordonnéeset des niveaux de stabilisation des concentra-tions en CO2 dans l’atmosphère en 2100. 43

Figure 4 Cartographie du débat climatique en 2020. 48

Figure 5 Distributions des résultats sur la VSC en 2020

par tribu 50

Figure 6 Distributions des résultats sur la VSC en 2020 51

Figure 7 Trajectoires optimales d’abattement sur la pé-riode 2010-2130 63

Figure 8 Trajectoires optimales de VSC sur la période2010-2130 64

Figure 9 Evolution du R2 des estimations de Abat et deSCC sur la période 2010 - 2030 68

Figure 10 Elasticités au point moyen de l’abattement de2010 à 2130 69

Figure 11 Elasticités au point moyen de la VSC de 2010 à2130 70

Figure 12 L’impact de la fonction de dommages sur lestrajectoires d’abattement et de VSC. 80

Figure 13 Les effets de l’inertie et de l’incertitude sur lestrajectoires d’abattement et de VSC quand lafonction de dommages a une forme quadra-tique 82

Figure 14 Les effets de l’inertie et de l’incertitude sur lestrajectoires d’abattement et de VSC quand lafonction de dommages a une forme sigmoïde 82

Figure 15 La forme sigmoïde de la fonction de dommagesutilisée 89

Figure 16 Les résultats optimaux d’un comportement « ré-signé » en termes de trajectoire d’abattement,de valeur sociale du carbone, d’augmentationdes températures et de dommages climatiques(exprimés en perte de PIB) 93

Figure 17 Cartographie des « overshooters » parmi les 2000

scénarios 95

xv

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xvi Table des figures

Figure 18 Evolution du nombre de « résignés » et d’« over-shooters involontaires » selon la taille du sautde dommages et la date de début des effortsd’abattement 96

Figure 19 Distribution des hausses de températures en2100 induites par les émissions passées 98

Figure 20 L’effet des anticipations imparfaites 106

Figure 21 La galaxie de la finance climat 113

Figure 22 Décomposition du coût ajusté du risque d’unprojet BAU et d’un projet bas carbone 117

Figure 23 Les principaux blocs d’une proposition d’ar-chitecture climato-financière fondée sur la VSC 124

Figure 24 Evolution des élasticités, interprétées commela variation de la probabilité d’être résigné 177

Figure 25 Evolution des élasticités des variables de sensi-bilité climatique et de début des efforts d’abat-tement 178

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L I S T E D E S TA B L E A U X

Table 1 Principales différences structurelles entre DICEet RESPONSE 36

Table 2 Intervalles de valeurs des paramètres socio-économiques. 42

Table 3 Les scénarios climatiques possibles 44

Table 4 Regroupement a priori de visions du mondeautour de cinq « tribus » 46

Table 5 Statistiques descriptives sur les résultats de VSCen 2020 et 2040. 53

Table 6 Les trois variables qui distinguent les visionsdu monde de Stern et de Nordhaus 61

Table 7 Code graphique utilisé dans les figures 7 et8 62

Table 8 Analyse de sensibilité sur les composantes d’unevision du monde 67

Table 9 Les quatre variables qui fondent les différencesentre visions du monde 75

Table 10 Ensemble des architectures prises par RESPONSE 76

Table 11 Les intervalles de l’analyse de sensibilité surles 5 paramètres constitutifs d’une vision dumonde 90

Table 12 Caractéristiques d’un scénario « résigné » 92

Table 13 Bilan de la banque centrale 126

Table 14 Bilan de la banque 136

Table 15 Bilan de la banque après l’octroi d’un prêt lt 137

Table 16 Bilans au moment de l’ouverture du prêt auPBC 139

Table 17 Bilans à la moitié de l’échéancier du prêt 140

Table 18 Bilans à la fin de l’échéancier du prêt avantéchange de l’actif carbone 140

Table 19 Bilans à la fin de l’échéancier du prêt PBC aprèséchange de l’actif carbone 141

Table 20 Exemple chiffré de comparaison des caracté-ristiques du financement de deux projets BAUet bas carbone avec politique monétaire gagéesur le carbone 144

Table 21 Résultats pour les niveaux d’abattement 179

Table 22 Résultats pour les VSC 180

Table 23 Matrice de transition de la répartition des scé-narios entre ceux qui respectent la cible des2 °C, les « résignés » et les « overshooters in-volontaires » 182

xvii

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xviii Liste des tableaux

Table 24 Matrice de transition de la répartition des scé-narios entre ceux qui respectent la cible des2 °C, les « résignés » et les « overshooters in-volontaires » 183

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I N T R O D U C T I O N

Autrefois, j’avais trop lerespect de la nature. Je memettais devant les choses etles paysages et je les laissaisfaire. Fini, maintenant« j’interviendrai ».Henri Michaux, Interventiondans Mes propriétés

Le changement climatique peut être vu comme une des grandes« énigmes » scientifiques (Kuhn, 1962) qui ont nourri la dynamique dela recherche au cours des trois dernières décennies. D’abord confinédans des cercles académiques, le thème du climat s’est progressive-ment imposé comme un sujet rémanent du débat public. L’effort derecherche a été soutenu pour répondre à une demande sociale fortequi s’interroge sur les conséquences sociales, économiques et poli-tiques des bouleversements en cours.

Les sciences de la nature ont été les premières à identifier la me-nace et à désigner les émissions d’origine anthropique de gaz à effetde serre (GES) comme les principaux responsables des changementsclimatiques. Les sciences de l’ingénieur ont été mobilisées, dans lafoulée des deux chocs pétroliers, pour produire des technologies ca-pables de réduire la dépendance des systèmes de production auxénergies fossiles en augmentant l’efficacité énergétique des équipe-ments et la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique.

Mais il n’existe aujourd’hui aucun consensus sur les modalités d’uneaction coordonnée, à l’échelle mondiale, de régulation des émissionsde GES qui serait d’une ampleur inédite dans l’histoire humaine entemps de paix. Des controverses persistent entre économistes poursavoir s’il est préférable d’agir fortement dès maintenant (Stern, 2006)ou plus tard (Nordhaus, 2008) pour réduire nos émissions de GES.Le débat initié dans les années 1990 sur le calendrier des politiquesclimatiques est reposé aujourd’hui dans un contexte de crise écono-mique profonde et de disette des finances publiques dans les paysindustrialisés. Cette nouvelle contrainte réouvre les discussions surles instruments économiques et financiers à mobiliser pour payer lafacture des politiques climatiques.

La communauté internationale s’est toutefois dotée depuis la confé-rence de Rio (1992) d’arènes de discussions originales – les Confé-rences des Parties (COP) – sous l’égide des Nations Unies pour né-gocier les termes d’un accord multilatéral sur le climat. Mais les di-

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plomates – si habiles qu’ils soient pour composer avec les frictionsgéo-politiques – n’ont pas réussi jusqu’à présent à convaincre les 193

Etats membres des Nations Unies de collaborer à une politique clima-tique mondiale.

Pourtant la nécessité de l’action est très largement reconnue, aumoins au sein des paroles publiques. En témoigne la cible politiquede limitation de la hausse des températures à +2 °C, réaffirmée chaqueannée depuis la COP de Copenhague en 2009, et qui, prise au mot, im-plique des objectifs de réduction d’émissions très ambitieux. Mais undéfaut de coordination internationale paralyse l’action individuelledes Etats et la crédibilité de la cible des +2 °C est menacée par laréalité des émissions mondiales qui n’ont cessé de croître depuis lasignature du protocole de Kyoto en 1997.

Ce travail de thèse est issu d’un diagnostic plutôt pessimiste surl’impasse des négociations climat. L’échec de la COP15 tenue à Co-penhague en 2009 a ouvert un certain « droit d’inventaire » sur lesprincipes qui ont guidé les négociations du protocole de Kyoto. Cesnégociations reposaient sur deux grands piliers :

(i) la quête d’un prix unique mondial du carbone dont les effets dis-tributifs négatifs seraient compensés par des transferts des paysdu Nord vers les pays du Sud ;

(ii) le principe d’un partage équitable, entre les pays, du « far-deau » des réductions d’émissions.

Mais les échecs répétés des efforts diplomatiques jusqu’à la COP deCopenhague en 2009 qui devait instaurer le successeur du protocolede Kyoto, ont conduit la communauté internationale à lancer un ap-pel à un « changement de paradigme » des négociations lors de laCOP de Cancun (2010). L’enjeu de ce changement est de substituer auprincipe du « partage du fardeau » un principe de « partage des op-portunités » créées par la coopération des Etats. Dans cette approche« positive », les politiques climatiques ouvrent de nouvelles perspec-tives d’investissements et de développement bas carbone. Il s’agit :

(i) d’embarquer les pays du BASIC et les pays en développementdans un accord satisfaisant afin d’éviter que ces pays, qui sontsur le point d’investir massivement dans leurs infrastructures(Fay et al., 2010), ne se trouvent bloqués dans des trajectoiresde développement très intensives en carbone ;

(ii) de développer les instruments de la finance climat qui permet-tront de rediriger les capitaux privés vers les investissements bascarbone.

Un tel appel oblige la communauté climat (scientifiques, experts gou-vernementaux et non gouvernementaux, décideurs politiques, négo-ciateurs) à décentrer les négociations sur des enjeux de développe-ment et à ré-inventer les instruments de la politique climatique. L’ob-jectif est de transformer cet appel à un « changement de paradigme »

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en un accord international sur un programme de transition bas car-bone des sociétés.

Les négociations passées n’ont pas réussi à accorder les pays sur leprix de la tonne de CO2, mais elles ont au moins contribué à leur fairepartager une valeur commune de préservation du climat. Une tellevaleur se révèle en creux dans la volonté des Etats de respecter la cibledes +2 °C et pourrait ainsi être au cœur d’un accord futur. La questionfondamentale de la valeur de l’externalité carbone est traitée sur leplan théorique à travers le concept de valeur sociale du carbone (VSC)qui est apparu dans le deuxième rapport du GIEC (Bruce et al., 1996;Fankhauser and Tol, 1997). Pour les décideurs, l’intérêt de s’accordersur la VSC ou sur un intervalle de VSC est de disposer d’un ordrede grandeur instantané de la richesse collective potentielle qui est enjeu dans l’affaire climatique et ainsi de proportionner les efforts quela société est prête à consentir pour mener une politique climatique.

Le calcul de la VSC cristallise des controverses scientifiques (la sen-sibilité climatique, l’ampleur des dommages climatiques), et socio-économiques (croissance de long terme, progrès technique, choix dutaux d’actualisation). Il circule dans la littérature de très larges inter-valles de VSC allant d’une valeur négative (qui signifierait que lesémissions de GES produisent globalement plus de richesse qu’ellesn’en détruisent) à plusieurs centaines de $ par tonne de CO2 évitée.Démêler l’origine de ces différences de résultats abyssales est la ques-tion de recherche à laquelle nous tentons de répondre dans les troispremiers chapitres de la thèse.

Le passage de cette réflexion nécessaire sur la valeur du bien publicmondial « climat » à un schéma opérationnel d’intégration de cette va-leur dans les choix économiques s’inscrit cependant dans un contextepeu favorable. Les crises financière et économique ont détourné l’in-térêt porté par les décideurs pour la cause climatique vers d’autresurgences politiques (chômage de masse, croissance en berne, crise dela dette des Etats). L’intuition sur laquelle repose cette thèse est quece contexte représente à la fois une contrainte forte et une opportu-nité à saisir pour sortir des recommandations traditionnelles. Commeles instruments classiques des politiques climatiques (taxe, marché depermis) ne suffiront pas à atteindre des objectifs satifaisants – princi-palement pour des raisons d’économie politique de mise en oeuvre– il devient opportun d’examiner l’intérêt de nouveaux instrumentspour accompagner la montée en puissance de la finance climat.

Les réponses non conventionnelles apportées par les banquiers cen-traux à la crise économique ont brisé des tabous sur le rôle de la po-litique monétaire et sur la légitimité des interventions de la banquecentrale pour rétablir la confiance sur les marchés. Nous montreronspourquoi la banque centrale dispose des outils adéquats pour sou-tenir le pari de la transition bas carbone à l’aide d’un instrumentmonétaire gagé sur le carbone.

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Ce travail de thèse poursuit à la fois des objectifs théoriques et uneambition plus pratique. Il apporte un éclairage original sur l’originedes controverses sur la VSC et sur le rythme optimal d’une politiqueclimatique afin de délimiter des intervalles de VSC susceptibles defaire l’objet d’un accord international lors des prochaines COP. Il viseégalement à apporter de nouvelles idées sur la table des négociationset ainsi à renouveler la réflexion sur les instruments de la politique cli-matique. Il examine une proposition d’architecture climato-financièrefondée sur un instrument monétaire innovant, peu coûteux pour lesbudgets publics, qui servirait de levier à la montée en puissance desfinancements de la transition bas carbone.

dans la fabrique de la valeur d’une externalité mon-diale

La valorisation monétaire d’un bien public consiste à mettre unprix sur un objet qui par définition n’a pas de valeur marchande. Lavaleur de l’externalité climat, ou la VSC, représente un objet « limite »pour le calcul économique dont les tentatives de mesure font l’objetde vives controverses et débouchent sur des intervalles de valeurssi larges qu’ils perdent tout intérêt pour la décision publique. Com-ment comprendre que la mesure d’une même réalité – la richesse so-ciale détruite par chaque unité de carbone émise dans l’atmosphère –puisse donner lieu à de tels écarts de résultats ? Pour répondre à cettequestion, le programme de recherche autour du modèle RESPONSE,développé au CIRED, offre une plongée transparente au cœur desmodèles intégrés économie-climat agrégés. Si les modèles sont des lu-nettes pour observer la réalité, il faut s’intéresser aux verres plus oumoins déformants qu’ils utilisent pour en comprendre les différencesde résultats. RESPONSE est un modèle pour penser les variations etnon pour révéler la VSC la plus vraie (chapitre 1).

Le modèle d’optimisation intertemporelle RESPONSE dispose d’unestructure, à la fois suffisamment fexible pour reproduire les grandschoix de modélisation qui structurent la controverse académique, etsuffisamment simple pour pouvoir traquer les effets relatifs de tel outel choix de modélisation.

Les écarts de résultats peuvent être issus de l’incertitude, parfois ir-réductible, qui pèse sur certains paramètres (croissance de long terme,sensibilité climatique, dommages climatiques, taux d’actualisation).La science ne fournit alors aux économistes que des intervalles devaleurs sur ces paramètres. Mais la détermination d’une valeur par-ticulière relève d’un choix subjectif au sein de ces intervalles objectifsproduits par des procédures validées par la communauté scientifique.Nous appelons ces choix des « visions du monde » dont nous analy-sons les effets dans le chapitre 2.

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0.0 une architecture climato-financière 5

Une autre source de différence se situe au sein de la forme fonc-tionnelle des modèles que nous appelons « architectures de modéli-sation ». Cette architecture fait l’objet de choix non neutres sur lesrésultats de la part du modélisateur. L’effet relatif des formes fonc-tionnelles des modèles est rarement étudié. Nous développons dansle chapitre 3 une méthode d’analyse de sensibilité originale des ar-chitectures de modélisation fondée sur un critère d’équivalence entrearchitectures. L’enjeu est de rendre comparable les différentes formesque prennent les modèles intégrés dans la littérature et de mesurerl’effet relatif de cette architecture sur les résulats, en s’assurant queles différences de résultats proviennent bien, de la forme fonction-nelle elle-même, et non de l’incertitude sur les paramètres.

L’analyse théorique du modèle RESPONSE met au jour l’ampleuret la mécanique des écarts de résultats. Mais le choix d’une VSC re-lève toujours in fine d’une décision conventionnelle. Le travail descommissions d’expert réunies par les autorités publiques en France,en Grande Bretagne et aux Etats-Unis pour définir les VSC que lecalcul économique public devrait intégrer pour évaluer l’opportunitéde tel ou tel projets, montre que le choix final d’une VSC relève tou-jours d’un compromis entre modèles. Les modèles fournissent unereprésentation de la diversité des points de vue scientifiques sur lesujet, mais la valeur retenue repose in fine sur un choix politique. Entémoigne la décision de l’administration américaine en mai 2013 deréhausser de 60% la VSC que l’agence de protection de l’environne-ment (Environmental Protection Agency) doit intégrer dans les calculscoûts - bénéfices des politiques environnementales, en faisant passerl’intervalle des estimations de la VSC en 2020 de [7$, 81$] à [12$,129$]. Une telle hausse aura un effet considérable sur les résultats desanalyses coût-bénéfices de certains projets et pourrait même modifierla hiérarchie des options stratégiques d’investissements énergétiquessur le territoire américain.

une architecture climato-financière fondée sur un ins-trument monétaire innovant

Si d’un point de vue théorique, il semble difficile de faire conver-ger les analyses vers une valeur unique de VSC, tant l’incertitude surcertains paramètres clés du calcul demeure irréductible, d’un pointde vue politique, un accord apparaît beaucoup plus accessible. S’ac-corder sur la valeur de la richesse collective produite par chaqueunité d’émission évitée ne crée pas, en effet, les mêmes « crispations »que les discussions sur le prix à payer par les agents économiques àchaque unité émise pour modifier leur comportement. Quand bienmême les pays accepteraient le principe de la fixation d’un prix – ins-pirés des préceptes de l’économie publique – ils risqueraient de sebrouiller sur la fixation du montant. L’analyse économique est elle-

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même bien démunie pour répondre à la question du niveau du prixà faire payer. Dans un monde de premier rang avec anticipationsparfaites, le planificateur connaît par avance la réaction des agentsau signal prix. En revanche, dans un contexte d’anticipations impar-faites, il devient incapable de déterminer, par avance, l’effet qu’unprix donné aura sur les comportements. Sans doute faudra-t-il alorssurestimer le prix du carbone pour « forcer » les agents à agir de façonoptimale. Mais jusqu’à quel niveau ? Pendant combien de temps ?

Après avoir apporté des clarifications théoriques sur la VSC, nousmontrons ensuite dans les chapitres 5, 6 et 7 comment la VSC peutservir de concept « boussole » au « changement de paradigme » desnégociations climat.

Un accord sur la VSC semble plus accessible et plus stable qu’unaccord sur un prix. Il permet de conserver un signal sur la valeursocialement reconnue des réductions d’émissions sans présumer dutype d’instruments économiques qui assureront le transfert de cettevaleur dans le système des prix et sans les difficultés d’acceptabilitésociale que rencontrent systématiquement les instruments de typetaxe ou marché de permis en raison de leurs effets distributifs directs.L’estimation de cette richesse sociale donne à voir l’ampleur d’uneopportunité bas carbone pour les nouveaux investissements plutôtque les seuls coûts des politiques climatiques pour le capital installé.C’est en cela qu’il est par nature plus fédérateur et consensuel que ladéfinition du niveau d’une taxe carbone par exemple.

Nous faisons même l’hypothèse qu’il pourrait devenir la pierre an-gulaire d’un accord sur un nouvel instrument de politiques clima-tiques qui répondrait au jeu de contraintes des négociations et servi-raient de levier à la montée en puissance de la finance climat (cha-pitre 5). Pour garantir la neutralité (au moins à court/moyen terme)d’un tel instrument sur les budgets publics, la gageure adressée àla communauté internationale consiste à concevoir une architectureclimato-financière capable de mobiliser des capitaux privés via desfinancements bancaires et l’épargne gérée par les investisseurs insti-tutionnels. Nous examinons dans les chapitres 6 et 7 le potentiel d’uninstrument monétaire gagé sur le carbone et piloté par la banque cen-trale, qui permettrait d’amorcer la pompe de la finance climat.

Le recours à un tel instrument monétaire bénéficie de deux typesde justification : (i) les politiques non conventionnelles menées par lesbanquiers centraux depuis l’éclatement de la crise des subprimes, ontprouvé la faisabilité de l’injection massive de liquidités dans l’écono-mie, (ii) la reconnaissance internationale de la nécessité des politiquesclimatiques indique que les réductions d’émissions représentent unenouvelle source de valeur potentielle pour les économies qui inves-tissent dans la transition bas carbone. La création monétaire qui ré-sulterait de l’injection de liquidités carbone aurait pour contre-partiela richesse créée par les réductions d’émissions.

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0.0 une architecture climato-financière 7

La réflexion sur la valorisation monétaire de l’externalité climatconduit à une réflexion plus générale sur la nature et l’usage de lamonnaie. La monnaie n’est pas un stock fixe de métaux précieux quipasseraient de main en main, mais se présente d’abord sous la formed’un jeu d’écriture, encadré par la réglementation bancaire, qui ouvreune ligne de crédit à un emprunteur. La création monétaire, et doncla dette, est nécessaire pour accompagner la création de richesse. Au-jourd’hui cette activité cruciale pour la dynamique économique estpresque intégralement confiée au secteur bancaire privé. Le dispositifque nous étudions donne à la puissance publique le pouvoir d’orien-ter une fraction de la création monétaire vers le financement de latransition bas carbone en contre-partie de la richesse sociale produitepar la réduction des émissions de GES.

Cette réflexion monétaire s’inscrit dans le cadre plus général desdiscussions sur la réforme du système monétaire et financier interna-tional. La crise financière de 2007/2008, suivie de la grande récession,a remis radicalement en cause le cadre d’analyse de la « grande mo-dération » qui prévalait depuis la fin des années 1990 et la perceptiondes innovations financières. De garante d’une prospérité sans heurtpar des techniques de diversification des risques, l’ingénierie finan-cière s’est révélée responsable d’un jeu pervers avec les limites dela réglementation, et être ainsi la source même d’instabilités systé-miques aux répercussions dramatiques sur l’économie réelle.

La faillite de la finance a suscité un débat sur son utilité sociale.La finance n’est censée être que l’huile injectée dans les rouages dela mécanique économique. Mais quand l’huile déborde, la machines’encrasse. Ainsi, le défi des nouvelles réglementations du systèmefinancier est de parvenir à ajuster le bon niveau d’huile et de mettreau point les procédures de sécurité qui permettront de s’assurer qu’ilexiste bel et bien une contre-partie réelle (une machine, un projetcréateur de richesse) derrière toute création monétaire afin d’enrayerla spirale de la spéculation.

Dans ce contexte, de suspicion généralisée à l’égard des intentionsde la finance, d’asséchement des crédits bancaires et de refonte des ré-glementations, il existe une fenêtre d’opportunité pour introduire uncontenu environnemental dans la définition des règles macro-pruden-tielles et d’orienter la création monétaire vers ce qui compte pour lasociété et ce qui lui assurera une plus grande résilience vis-à-vis dessources d’instabilités futures, qu’elles soient d’origine financière ouenvironnementale.

La finance est l’art de transférer de la richesse dans le temps viale commerce des promesses (Giraud, 2001). Cela en fait un moyenprivilégié pour lisser le coût de la transition bas carbone entre lesgénérations. Financer, en partie, la transition par de la dette (créa-tion de monnaie) permet de transférer des coûts vers les générationsfutures supposées plus riches que les générations présentes et ainsi

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de répondre aux enjeux d’équité inter-générationnelle des politiquesclimatiques.

A plus court terme, dans un contexte de croissance économiqueatone dans les pays du Nord, l’effet recherché est aussi et surtoutcelui de la relance. L’opportunité de mener un plan monétaire derelance keynésienne fléché vers le financement de la transition bascarbone est dépendante de ce contexte.

Un tel instrument monétaire est nécessairement une solution desecond rang. Il avantage certes les projets bas carbone, mais il ne pé-nalise que relativement les projets intensifs en carbone, et revient à re-noncer à l’efficacité théorique des instruments de premier rang. Maisl’approche scientifique tournée vers l’action publique que nous adop-tons dans cette thèse nous conduit à distinguer l’efficacité théoriqued’une efficacité plus pragmatique ou diplomatique. Cet instrumentn’a pas vocation à être permanent mais à servir de déclencheur desinvestissements, à être celui qui fait sauter les verrous (perceptiondes risques, surcoût d’investissement, barrières psychologiques) quifreinent la montée en puissance de la finance climat. Il peut, en outre,être complété par des instruments économiques plus traditionnels quirenforceront d’ailleurs ses chances de succès.

Ce parti pris en faveur du pragmatisme repose sur une certaineconception du rôle de l’économiste dans le débat public. Le débat cli-matique est un lieu de « controverses » (Latour, 1999) par excellence,au croisement d’enjeux scientifiques, éthiques, politiques, sociaux etéconomiques. Nous pensons que l’économiste est outillé pour y occu-per une place et un rôle privilégiés.

l’économiste commme « médiateur engagé » du débat cli-matique

La question du rôle et de la place de l’économiste dans le débatclimatique n’est pas traitée en tant que telle dans la thèse. Elle mé-riterait un travail approfondi d’anthropologie des sciences (Latour,1987) pour décrypter à la fois le « geste » de l’économiste et son in-fluence sur le processus de décision. Mais il nous semble importantde préciser, dès l’introduction, « l’esprit » de notre approche de lamodélisation. Les résultats que nous présentons sont guidés par unsouci de « sincérité épistémologique » sur ce que peut légitimementdire et ne pas dire l’économiste. Garder en tête ce tableau liminairedu rôle et de la place de l’économiste permet de mieux comprendrela finalité d’un travail de « recherche action » résolument tournée versl’aide à la décision publique.

La complexité de l’« énigme climat » mobilise de nombreux « savoir-faire ». Les économistes occupent dans la division du travail scienti-fique une position transversale de « médiateurs engagés » du débatclimatique.

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0.0 l’économiste commme « médiateur engagé » du débat climatique 9

« Médiateurs », car le cadre de l’analyse coût-bénéfices peut four-nir aux parties prenantes du débat climatique un langage commun,et aux décideurs, un critère de décision objectivé. La force de cetteanalyse – qui est souvent perçue comme une faiblesse par les autresdisciplines des sciences sociales – repose sur sa capacité à réduire lesmultiples dimensions de l’« énigme climat » à sa dimension moné-taire et ainsi de rendre commensurable des stratégies concurrentesde lutte contre les changements climatiques. Le calcul économiquen’a pas pour vocation de révéler la valeur profonde des choses maisd’offrir une métrique commune aux parties prenantes du débat. Ici,la métrique commune est une métrique monétaire.

« Engagés », car le réductionnisme des modèles économiques sup-pose de faire des choix, plus ou moins explicites, ne serait-ce quepour pondérer et agréger les dimensions prises en considération. Si lerôle de l’économiste est d’éclairer le décideur en lui offrant un cadrede comparaison des options possibles, le réglage subtil de l’éclairagereste à la discrétion du modélisateur. Chaque modélisation raconteune certaine histoire et opte pour un certain point de vue. La repré-sentation du monde produite par un modèle qui intégre une fonctionde dommages quadratique n’est pas la même que celle issue d’unmodèle avec une fonction de dommage à effet de seuil et ces deux re-présentations n’impliquent pas les mêmes réponses. C’est pourquoi lamodélisation est un catalyseur de débats. La souplesse de son usagelui permet d’intégrer et de cartographier les diverses positions quis’affrontent. Sa mission consiste à les rendre comparables aux yeuxdes décideurs publics et de l’opinion en général.

En somme, par sa capacité à scénariser le monde, la contribution del’économiste est profondément politique, il donne à voir des formesdu monde. Et Latour (1999) de conclure :

l’économie n’est plus politique : elle ne dicte plus ses so-lutions terrifiantes au nom des lois d’airain extérieures àl’histoire, à l’anthropologie et à la vie publique : elle parti-cipe humblement au formatage progressif des problèmes.

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1M O D É L I S E R L E S C O N T R O V E R S E S D U D É B ATC L I M AT I Q U E

Les sciences du climat sont désormais affirmatives sur l’origine an-thropique des changements climatiques. De fortes incertitudes conti-nuent de peser toutefois sur la modélisation de phénomènes phy-siques comme la sensibilité climatique, la hausse du niveau des mers,les impacts régionaux du changement climatique. Les rapports succe-sifs du GIEC manient avec beaucoup de précautions la « communica-tion » de l’incertitude auprès du grand public. Une échelle graduéede formules (very likely, likely, unlikely etc.) indique, en toute transpa-rence, le degré de vraisemblance et/ou de crédibilité que la sommedes informations scientifiques disponibles permet d’attribuer à tel outel résultat. La communauté scientifique est ainsi engagée dans unexercice, tout à fait inédit, d’éducation à l’incertitude d’un débat pu-blic mondial sous dépendance des cercles militants. La subtilité etles nuances apportées dans le traitement de l’incertitude des résul-tats exposent cependant dangereusement le discours scientifique auxattaques des climato-sceptiques qui instrumentalisent la méthode du« doute » cartésien pour remettre radicalement en cause les connais-sances établies par les sciences du climat.

L’analyse économique s’empare, quant à elle, de l’objet climat enaval de la cascade des incertitudes scientifiques. Après lui avoir ajoutéune nouvelle couche d’incertitudes sur les dynamiques socio-économiquesfutures, elle vise à délivrer un message rationnel sur ce qu’il faut faireface à la menace climatique. Or, la littérature témoigne qu’il y a autantde messages rationnels que de modèles économiques qui tentent detraiter le problème. Le large intervalle ($ − 3 /tCO2, $95 /tCO2) desévaluations de la « valeur sociale du carbone », répertoriées dansIPCC (2007) et par Tol (2005), révèle, à lui seul, le caractère hautementcontroversé du discours économique sur les politiques climatiques àsuivre.

Une situation incertaine se transforme en situation controverséedès lors que l’incertitude ne porte plus seulement sur des phéno-mènes physiques mais sur une décision politique qui doit être priseen méconnaissance de cause. Godard (1999) analyse comment l’outiljuridique du « principe de précaution » est particulièrement adaptépour répondre aux exigences d’un débat démocratique dans un contextede controverse. La décision sous controverse n’est pas propre à l’af-faire climatique mais concerne tous les débats de société tels que lenucléaire, les OGM, les nanotechnologies (Callon et al., 2001), pourlesquels les experts ne parviennent plus à être « formels » (Roque-

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12 modéliser les controverses du débat climatique

plo, 1997), et ainsi à fournir aux décideurs des réponses univoquesaux problèmes techniques soulevés. Face à une telle situation, la dif-ficulté à agir provient du fait que telle ou telle théorie scientifiquepeut toujours être instrumentalisée pour paralyser l’action par un re-gressum ad infinitum des controverses (Hourcade et al., 1992). L’actionsuppose en effet de « clore » une controverse, ou au moins de trouverun compromis transitoire dans l’attente de nouvelles informations.

Dans le cas des politiques climatiques, les discussions portent es-sentiellement sur le calendrier de l’action : faut-il réaliser des effortsde réduction d’émission dès aujourd’hui ? Ou est-il préférable derepousser ces efforts à plus tard ? Le pendant de cette controverseconcerne la mesure de l’externalité climat et donc de la valeur desdommages climatiques pour chaque unité de CO2 émise dans l’atmo-sphère. Une troisième controverse enfin, qui heurte plus frontalementla théorie économique, interroge l’intérêt même de mesurer cette va-leur et la capacité de l’approche coût-bénéfice à dire quelque chosede pertinent sur l’action climatique.

Ambrosi et al. (2003) distinguent trois « attitudes » au sein du débatsur la « métrique » des dommages climatiques.

– La première considère que les incertitudes sur les dommages cli-matiques sont tellement fortes qu’il est vain de chercher à leurattribuer une valeur monétaire précise. La seule façon crédiblede se protéger des menaces potentielles des changements clima-tiques est de fixer des plafonds – nécessairement arbitraires – surles concentrations de gaz à effet de serre ou sur une hausse detempérature à ne pas dépasser. Le résultat dépend alors du jeud’influence qui s’exerce dans la fixation du plafond entre, sché-matiquement, les « environnementalistes » qui mettront en avantles risques de franchissement de seuils critiques et d’irréversi-bilité environnementale pour abaisser au maximum le plafond,et les « sceptiques » qui militerons pour que le plafond exercele moins de contrainte possible. Les deux camps partageant lesmêmes doutes sur la crédibilité des évaluations monétaires desdommages peuvent alors accepter un « compromis raisonnable »– dans l’attente de meilleures informations – sur une cible deconcentration ou de température à ne pas dépasser. Ce faisant,ils transforment, par convention, un problème de décision sousincertitude en un cadre de décision coût-efficacité certain. Cetteapproche a été théorisée sous le nom de « safe corridor », de « safelanding », ou encore de « chemin de viabilité ». Remarquons quel’analyse coût-efficacité révèle en creux une évaluation implicitedes dommages climatiques qui sont considérés comme « socia-lement acceptables », tant que le plafond n’est pas dépassé, etpotentiellement infinis au-delà du plafond.

– La seconde attitude refuse la fixation arbitraire d’une cible phy-sique sans référence à ses conséquences économiques. Elle ac-

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modéliser les controverses du débat climatique 13

cepte l’idée de poser le problème sous forme d’analyse coûts-bénéfices tout en demeurant sceptique sur la possibilité d’éva-luer explicitement les dommages. Elle préfère ainsi prendre enconsidération les dommages à travers un indicateur qui exprimeune sorte de « disposition à payer » pour éviter différents niveauxde changements climatiques. En termes de modélisation, cela re-vient à introduire dans la fonction d’utilité un indicateur clima-tique (température, précipitations, événements extrêmes) pourexprimer une « préférence pure pour le climat actuel ». Selonla spécification de la fonction d’utilité, l’environnement apparaîtcomme un bien supérieur, soit un bien pour lequel les agents al-louent une part croissante de leur revenu quand ils s’enrichissent(Guesnerie, 2004). En privilégiant le régime climatique actuel,cette approche repose sur une éthique de précaution face auxinconnues des évolutions climatiques. Elle introduit égalementune certaine flexibilité en rendant possible le dépassement d’unecible de long terme – de concentration de GES ou de hausse destempératures – et ainsi de réduire les coûts d’une erreur dans lafixation de cette cible.

– La dernière attitude fait confiance à l’analyse coûts-bénéfices fon-dées sur la valorisation monétaire explicite des dommages pouréclairer la décision publique, en dépit des incertitudes sur les im-pacts et des controverses sur la mesure de la VSC, de la valeurstatistique d’une vie humaine et sur l’agrégation des estimationsrégionales de dommages. Une telle valorisation monétaire desdommages peut à la fois servir les intérêts environnementalistespour faire en sorte que le climat « ne compte pas pour rien », etles intérêts des sceptiques pour minimiser les enjeux climatiqueset résister aux demandes de fixation de cibles de précaution ju-gées trop coûteuses et inutiles.

Le choix d’une métrique des bénéfices des réduction d’émissionsn’est pas qu’une simple option technique. Il reflète un jugement surla qualité (et son amélioration) de l’information disponible et sa ca-pacité à servir de base commune dans le processus de négociation.Le modèle RESPONSE que nous utilisons pour répondre à la ques-tion de la mesure de la VSC et du rythme optimal des politiquesclimatiques s’inscrit dans la troisième attitude. Pour autant, il ne visepas à apporter une évaluation « plus vraie » de la VSC mais à autop-sier, dans un cadre cohérent, le mécanisme des controverses sur lespolitiques climatiques. RESPONSE, en tant que modèle de décisionséquentielle, est l’hériter d’une grande tradition de modélisation quipart de Manne and Richels (1992) et a connu d’importants débats,que nous retracerons plus loin, au cours des années 1990 (Wigleyet al., 1996; Ha-Duong et al., 1997) pour être finalement partiellementoccultée après la publication du rapport Stern (2006) (Hourcade et al.,2009).

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14 modéliser les controverses du débat climatique

Ce premier chapitre s’ouvre sur une analyse comparative du conceptde « valeur sociale du carbone » par rapport aux autres notions devaleur du carbone afin de mieux cerner le concept qui est au cœurde cette thèse. Il présente ensuite les termes de la controverse acadé-mique sur la VSC et sur le calendrier des politiques climatiques endistinguant deux pistes d’explication de l’orgine des controverses : (i)celle des « visions du monde », et (ii) celle des « structures de modéli-sation ». Ces deux pistes seront explorées en détail dans les chapitres2 et 3. Le chapitre s’achève sur une description de l’architecture for-melle de RESPONSE et de sa valeur ajoutée par rapport aux autresmodèles intégrés.

1.1 définitions de la valeur sociale du carbone

La large fourchette d’estimation de la VSC présentée en introduc-tion s’explique en partie par l’indistinction entre différentes défini-tions de la « valeur du carbone ». Ha Duong (2009) dénombre aumoins cinq définitions mobilisées dans le débat public : (i) la valeursociale du CO2, (ii) le prix sur le marché du carbone, (iii) les coûtsde réduction des émissions, (iv) la valeur des dommages évités, (v) lavaleur tutélaire du carbone. Ces cinq définitions ont toutes l’objectifde donner une valeur à l’externalité climat. Elles ne mesurent cepen-dant pas le même objet et engendrent des résultats incomparables.Notons d’emblée que seule la première et parfois la quatrième défi-nitions sont celles retenues par la théorie économique. Les deuxièmeet troisième définitions relèvent davantage du langage naturel et sontdonc plus approximatives. La valeur tutélaire du carbone enfin peutêtre considérée comme une traduction pragmatique de la VSC dansl’analyse des projets publics.

1.1.1 La définition académique

La valeur sociale du carbone telle qu’elle est calculée par des mo-dèles intégrés d’optimisation intertemporelle tel RESPONSE, est défi-nie par Nordhaus (2008) comme :

the additional damage caused by an additional ton of carbonemissions. In a dynamic framework, it is the discounted value ofthe change in the utility of consumption denominated in termsof current consumption.

La VSC représente donc la somme actualisée des dommages in-duits par l’émission d’une unité de CO2. Le long d’une trajectoireoptimisée de l’économie, la VSC est également la somme actualiséedes coûts marginaux d’abattement d’une unité de CO2. A l’optimum,coût marginal et dommage marginal s’égalisent nécessairement cardes efforts de réduction d’émissions sont consentis tant que leur coûtdemeure inférieur à leur bénéfice, à savoir les dommages évités. La

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1.1 définitions de la valeur sociale du carbone 15

VSC trace ainsi la frontière des efforts de réduction d’émissions ef-ficaces. Tant que les réductions d’émission sont inférieures à 100%la VSC est strictement équivalente au coût marginal d’abattement(CMA). Lorsque l’abattement total est atteint, la VSC ne se définitplus que par les dommages actualisés de l’émission d’une unité sup-plémentaire de CO2 et son profil se distingue de celui du CMA. Eneffet, la VSC suit une trajectoire croissante, les dommages potentielsde carbone étant de plus en plus grands avec l’augmentation de laconcentration en CO2 de l’atmosphère dans le temps. Tandis que leCMA suit d’abord une trajectoire croissante parallèlement à l’aug-mentation des efforts d’abattement, puis dans un second temps, unefois que le niveau de 100% d’abattement est atteint, une trajectoiredécroissante en raison du progrès technique qui réduit le coût de latechnologie d’abattement marginale (ou backstop).

1.1.2 Le prix de marché

Le prix de marché, ou plutôt les prix de marché – car il n’existepas encore de marché mondial unifié du carbone – sont censés re-flétés le prix de la contrainte climatique en imposant une rareté surles émissions de CO2 via des permis d’émissions. Mais ces marchésne couvrent pour l’instant qu’une fraction des émissions, produitesessentiellement par le secteur énergétique et quelques activités in-dustrielles (soit moins de 50% des émissions totales en Europe parexemple) et les prix qui émergent (tendant vers 0 actuellement sur lemarché EU-ETS) dépendent très largement d’un choix politique surle niveau des permis d’émission distribués et sur la conjoncture éco-nomique. C’est pourquoi ces prix n’ont aucune raison d’incorporertoute l’information pertinente sur l’ensemble de l’externalité carbone.

1.1.3 Le coût de réduction des émissions

Le coût de réduction des émissions mesure le « surcoût » induit partoute politique volontariste de remplacement du capital productif parun capital moins émissif, par rapport à un scénario de référence « aufil de l’eau ». Cette notion de coût peut sembler plus tangible que lesautres définitions du prix du carbone car il découle des technologiesd’abattement disponibles. Pourtant, la définition de ce coût demeurefloue et sujette à controverses. Alors que le coût moyen est une no-tion très intuitive (coût total / nombre de tonnes réduites), ce sontdavantage le coût total et le coût marginal qui importent, du pointde vue de l’analyse économique, puisque ces derniers tracent la fron-tière des efforts d’abattement que la société est prête à réaliser. Lesdiverses tentatives d’évaluation de ces coûts sont très controverséesen raison des incertitudes sur le fonctionnement et le rythme desdynamiques de l’innovation technique. Schématiquement, ces études

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16 modéliser les controverses du débat climatique

montrent que le coût marginal est d’abord très faible (voire néga-tif, en raison des potentiels d’effacité énergétique inexploités) puiscroît très rapidement avec le niveau d’abattement. Ces courbes decoûts marginaux des technologies d’abattement (MAC curves) sontsouvent interprétées comme des classements par ordre de mérite desmesures d’abattement à déployer pour atteindre un objectif de réduc-tion d’émissions (Sweeney and Weyant, 2008). Mais Vogt-Schilb et al.(2012) montrent qu’une telle interprétation peut conduire à des poli-tiques sous-optimales dès lors que des phénomènes d’inertie dans lavitesse de pénétration des technologies d’abattement et le potentielde réduction d’émissions de chacune de ces technologies sont prisen considération. Cette notion de coût peut aussi s’appliquer au prixdes efforts à consentir pour respecter une contrainte de concentrationde CO2 fixée par un processus de négociations politiques (de typeKyoto).

1.1.4 Les dommages évités du changement climatique

Une autre façon d’appréhender le prix du carbone consiste à éva-luer les dommages évités du changement climatique à chaque foisqu’une unité de CO2 est évitée. Cela revient en fait à calculer la valeurmarginale des dommages le long d’un scénario « au fil de l’eau ». Enl’absence de mesure pour prévenir les effets les plus catastrophiquesdu dérèglement climatique, cette valeur a de fortes chances de croîtretrès rapidement et d’atteindre des niveaux élevés. Bien que la com-munauté internationale soit désormais convaincue de la gravité dela menace, l’évaluation monétaire des impacts du changement clima-tique sur l’économie et sur les éco-systèmes soulève des problèmesscientifiques et même philosophiques non résolus. En témoigne la vi-rulente controverse académique que le rapport Stern (Stern, 2006) asuscité en raison de la subjectivité intrinsèque de toute tentative decalcul de cette valeur du carbone. L’évaluation des dommages clima-tiques passeraient ainsi de 5% à 20% du PIB lorsque les dommagesnon marchands sont pris en considération.

1.1.5 La valeur tutélaire du carbone

La valeur tutélaire du carbone est une valeur politiquement négo-ciée qui est censée donner un poids monétaire à l’externalité carbonedans l’analyse économique des projets publics. Le choix de cette va-leur est le fruit d’une confrontation de dires d’experts et d’une com-paraison de résultats de modèles. La Grande Bretagne, la France et lesEtats-Unis ont ainsi chargé des commissions d’experts de définir destrajectoires de valeurs tutélaires. Le DEFRA en Grande-Bretagne (De-partment for Environment, Food and Rural Affairs) préconise ainsi unevaleur de 29$ par tC02 dans un intervalle 14 à 58$ par tCO2 (Watkiss

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1.2 fondements des controverses académiques 17

and Downing, 2008; Dietz, 2009). Le Centre d’Analyse Stratégique enFrance recommande une valeur allant de 60$ par tCO2 en 2010 jus-qu’à 135$ par tCO2 en 2030 (Quinet et al., 2009). Le gouvernementaméricain a selectionné quatre estimations de cette valeur tutélairesur la base des résultats de trois modèles (DICE, PAGE, FUND) allantde 5$ à 65$ par tCO2 en 2010 et de 16$ à 136$ par tCO2 en 2050 selonles hypothèses retenues sur le taux d’actualisation (Interagency Wor-king Group on Social Cost of Carbon, 2010). L’administration Obamaa récemment relevé ces valeurs de 60%.

1.2 fondements des controverses académiques

Depuis le début des années 1990, la littérature s’interroge sur ladynamique des politiques climatiques 1 : faut-il agir fortement dèsmaintenant ou reporter les efforts à plus tard ?

Dans le langage de l’analyse coût bénéfice, les coûts d’une actionforte et précoce pour prévenir des dommages climatiques futurs po-tentiellement élevés (Stern, 2006) peut être largement justifiés par lesbénéfices espérés, soit les dommages climatiques évités. D’autres ana-lyses montrent, au contraire, qu’il est plus économique de retarder lesefforts et de tolérer ainsi des risques climatiques plus élevés que lesgénérations futures, supposées plus riches et dotées de meilleurestechnologies, sauront mieux affronter que les générations présentesrelativement plus pauvres (Nordhaus, 2008) 2. Cette controverse estdirectement liée à celle sur la bonne valeur de la VSC puisque, sché-matiquement, le niveau et la trajectoire de la VSC déterminent la fron-tière des efforts d’abattement qu’une société est prête à réaliser.

Pour expliquer les différences radicales de politiques climatiques etde VSC recommandées, nous identifions au sein de la littérature surla modélisation intégrée deux sources principales de divergences :

– l’incertitude paramétrique des modèles, soit l’incertitude sur cer-tains paramètres clés comme le taux d’actualisation, la sensi-bilité climatique, l’ampleur des dommages, le rythme du pro-grès technique, l’évolution des émissions, la croissance poten-tielle. Comme il n’existe pas de consensus scientifique sur la va-leur de ces paramètres, le choix d’une valeur relève nécessaire-ment d’une « croyance » ou d’un choix subjectif au sein d’un in-tervalle objectif établi par la communauté scientifique. Une com-binaison de croyances sur ces paramètres technico-économiques,éthique et climatiques incertains forme ce que la figure 1 désignecomme une « vision du monde » ;

1. Dans la littérature, cette controverse est souvent désignée comme la when/howmuch controversy ou encore comme la when flexibility controversy.

2. Les références dans la littérature qui défendent l’une ou l’autre des positionssont très nombreuses. Ici nous ne retenons que les deux plus emblématiques quifondent ce que Espagne et al. (2012) désigne comme la Stern/Nordhaus controversy.

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18 modéliser les controverses du débat climatique

– les formes fonctionnelles des modèles intégrés qui diffèrent se-lon les choix du modélisateur et détermine l’architecture des mo-dèles. Cette architecture peut être plus ou moins complexe selonle nombre de phénomènes qu’elle représente. Ainsi elle peut in-tégrer ou non une fonction de dommage selon qu’elle proposeun cadre d’analyse coût/bénéfice ou coût/efficacité. Dans ce der-nier cas, les dommages ne sont en effet par directement représen-tés car il sont supposés nuls, ou du moins acceptables, tant quela hausse des températures ou la concentration en CO2 n’ontpas dépassé un certain plafond, mais implicitement infini au-delà. L’objectif est alors de minimiser le coût du respect de cettecontrainte. Elle peut représenter ou non des phénomènes d’iner-tie économique, modéliser ou non l’incertitude scientifique surcertains phénomènes climatiques. En ce qui concerne la formedes fonctions retenues, l’exemple de la fonction de dommage,présenté plus bas dans la description du modèle RESPONSE, esttrès parlant. Selon que la forme de cette fonction est quadratiqueou sigmoïdale, nous pouvons nous attendre à des effets différentssur les résultats. Le choix de cette forme fonctionnelle repose àla fois sur des motivations techniques et sur des « croyances »issues des différentes « attitudes », décrites plus haut, face auxmétriques des dommages.

– le cadre séquentiel ou non du modèle. Dans un cadre non séquen-tiel, la séquence optimale de l’action est définie une fois pourtoute que le modèle intègre ou non de l’incertitude. Tandis quele cadre séquentiel introduit la possibilité de réviser la décisionprise en t0 en fonction des nouvelles informations disponibles.Ce cadre permet ainsi de traiter les questions d’irréversibilité etde mettre en évidence des stratégies de précaution.

La distinction que nous faisons entre ces deux sources potentiellesde divergence des résultats – les visions du monde issues de l’in-certitude paramétrique et les formes fonctionnelles retenues par lemodélisateur – est nécessairement conventionnelle et incorpore unepart d’arbitraire. Le fait de mettre en forme le débat climatique ausein d’une analyse coût-bénéfice relève déjà d’une certaine « vision dumonde » comme le montre la discussion présentée plus haut sur les at-titudes divergentes face à la métrique des dommages climatiques. Ici,le sens donné à ce terme a un périmètre plus étroit. Il ne vise pas la fa-çon dont le modélisateur formule le problème mais les opinions quis’affrontent sur des objets socio-économiques, technologiques et cli-matiques. Nous nous plaçons dans le cadre de l’analyse coût-bénéfice,en supposant que cette approche permet de conduire des expériencesde pensée utiles sur les politiques climatiques, et nous appelons « vi-sion du monde » une combinaison de croyances sur des paramètresclés incertains de notre modèle intégré.

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1.2 fondements des controverses académiques 19

Vision du monde

Paramètres technico-économiques •Croissance potentielle •Coût d’abattement •Evolution des émissions

Paramètres climatiques •Sensibilité climatique •Dommages

Paramètre éthique •Taux de préférence pour le présent

Figure 1: Les trois principaux composants d’une vision du monde

L’architecture du modèle relève quant à elle davantage du choixdu modélisateur. C’est le modélisateur en effet qui ajuste au mieux la« coque » du modèle à son interprétation de ce qui compte dans le dé-bat climatique. Pour refléter, par exemple, l’objectif politique des 2 °Cdécidé à la COP de Copenhague (2009), il peut ainsi décider de repré-senter un effet de seuil dans la fonction de dommage en lui donnantune forme sigmoïdale. S’il considére que l’action climatique reposesur la mise en oeuvre du principe de précaution, il peut donner aumodèle une forme séquentielle. Ainsi, c’est la part de subjectivité dumodélisateur qui est visée à travers l’examen de l’influence du choixdes formes fonctionnelles sur les résultats.

Dans les deux chapitres suivants nous analyserons successivement,à l’aide de RESPONSE, l’effet des « visions du monde » et des « formesfonctionnelles » sur les divergences de résultats entre modèles.

1.2.1 Les « visions du monde » en quelques paramètres

Depuis la publication du rapport Stern (Stern, 2006) le débat aessentiellement porté sur la paramétrisation des modèles intégrés,et notamment sur le choix du taux d’actualisation (Dasgupta, 2007;Nordhaus, 2007; Weitzman, 2007; Yohe and Tol, 2007) dont les consé-quences sur les politiques environnementales sont discutées 3 depuistrès longtemps (Lind and Ruskin, 1982; Cline, 1992; Arrow et al., 1996;Portney and Weyant, 1999). Ainsi, les résultats « alarmistes » trouvéspar N. Stern – comparant les effets du changement climatique à ceux

3. Ce débat est présenté plus en détail dans le chapitre suivant.

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20 modéliser les controverses du débat climatique

de la première guerre mondiale – seraient principalement déterminéspar le choix d’un taux de préférence pure pour le présent « inhabi-tuellement » bas (0.1%) alors qu’un taux plus « conventionnel » fixéà 2% aurait engendré des résultats moins inquiétants et plus prochesde ceux de W. Nordhaus. Comme ce taux permet de comparer lavaleur des dommages futurs (qui apparaîtront principalement après2050) avec les coûts présents des réductions d’émission, sa calibra-tion a des conséquences majeures sur les résultats des modèles. Sché-matiquement, plus le taux est élevé, moins la valeur actalisée desdommages futurs est importante et plus les efforts présents d’abat-tement sont faibles. Nous revenons en détail dans le chapitre 2 surcette controverse théorique autour du taux d’actualisation qui, appli-quée au changement climatique, a fait l’objet de nombreux développe-ments. Le débat mêle des arguments positifs et normatifs pour déter-miner le coefficient de préférence pure pour le présent et introduit denombreuses confusions en assimilant l’élasticité de l’utilité marginalede la consommation pour un individu à un coefficient d’aversion aurisque de la société, ainsi qu’à un coefficient d’aversion à l’inégalitéentre générations.

Certains commentateurs tendent cependant à relativiser l’impor-tance du facteur d’escompte. Sterner and Martin (2007) montrent, parexemple, que l’effet de l’actualisation peut être compensé par l’effetdes prix relatifs entre une quantité finie de biens environnementaux(ou la qualité du climat) et des biens manufacturés de consomma-tion reproductibles à l’infini. En effet, quand les premiers deviennentrares, alors leur prix relatif augmente mécaniquement jusqu’à un ni-veau qui peut potentiellement compenser l’effet de l’actualisation.

D’autres études élargissent l’analyse des divergences à d’autres pa-ramètres. Hof et al. (2008) montrent que les incertitudes scientifiquessur les dommages et sur les coûts d’abattement comptent autant quele choix « éthique » d’une préférence pure pour le présent pour déter-miner les cibles optimales de la politique climatique. Lecocq (2000) etDumas et al. (2010) montrent également que l’effet du taux d’actuali-sation est ambigu car il est fortement dépendant de l’interaction avecla forme des fonctions de coûts d’abattement et de dommages.

Ainsi, la dispute académique autour du taux d’actualisation a sou-levé des questions éthiques fondamentales. Elle a cependant écarté lesdiscussions sur le choix d’autres paramètres dont les effets peuventêtre tout aussi critiques que ceux du taux d’actualisation. Dans lechapitre suivant nous étendons ainsi l’analyse à l’ensemble des para-mètres qui constituent une « vision du monde » afin d’en démêler leseffets relatifs sur la VSC et sur les trajectoires d’abattement optimaleset de mieux comprendre l’origine des différences de résultats.

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1.2 fondements des controverses académiques 21

1.2.2 Les débats sur les « formes fonctionnelles » des modèles intégrés

Historiquement, la controverse académique sur le tempo des poli-tiques climatiques a d’abord porté, depuis le début des années 1990,sur les formes fonctionnelles. Le modèle séminal DICE (Nordhaus,1994) a fourni le socle à partir duquel de nombreux IAMs se sont po-sitionnés pour proposer des raffinements de certaines de ses formesfonctionnelles ou en modifier l’architecture de base. Les principalesformes fonctionnelles qui ont fait débat sont : l’inertie socio-technique,la représentation de l’incertitude (plus ou moins radicale), la décisionséquentielle, les irréversibilités économiques contre les irréversibilitésenvironnementales, la rupture d’effet de seuil dans les dommages, leprogrès technique et l’apprentissage.

La formulation de la controverse dans un cadre de décision sé-quentielle, sous l’influence des travaux de Manne et al. (1995), a ap-porté des arguments en faveur soit d’un report de l’action climatique,soit d’une accélération des efforts d’abattement. Ce cadre d’analyses’est révélé très fécond pour mettre en évidence l’effet de l’interac-tion entre l’incertitude, les irréversibilités, l’apprentissage et l’inertiesocio-technique.

Les bases théoriques de ces discussions remontent aux papiers sé-minaux de Henry (1974) et Arrow and Fisher (1974) qui ont montréque l’incertitude a des effets ambigus sur les décisions d’investisse-ment en raison d’un effet d’irréversibilité. Ils définissent ainsi la no-tion de « valeur d’option » comme le gain à reporter dans le tempsle développement d’un projet lorsqu’un tel projet a des conséquencesirréversibles. Ce gain mesure la valeur de conserver de la flexibilitédans les choix futurs. Ainsi, le critère traditionnel de la décision d’in-vestissement fondée sur une analyse non séquentielle des coûts etbénéfices espérés d’un projet, peut induire en erreur les décideurss’il n’est pas complété d’une analyse des coûts cachés induits par lesirréversibilités du projet.

Dans la controverse qui oppose Wigley et al. (1996) à Ha-Duonget al. (1997) dans Nature, l’inertie socio-technique de l’économie a deseffets ambivalents. Pour Wigley et al. (1996), dans un cadre d’ana-lyse coût-efficacité où les cibles de concentrations sont connues, laprise en considération d’inerties socio-techniques conduit à abaisserles niveaux optimaux de réduction d’émission dans le court terme enraison des surcoûts qu’ils engendrent. En outre, le progrès technique(exogène) qui réduit avec le temps les coûts d’abattement corroborecette décision de décaler les efforts. Ha-Duong et al. (1997) montrent,au contraire, que l’inertie socio-technique peut justifier des actionsclimatiques précoces, à de fins de précaution, dès lors que les ciblesde concentrations sont incertaines. Dans un cadre de décision séquen-tielle qui admet que l’information sur la « bonne » cible de concentra-tion sera connue dans le futur, il devient optimal de réaliser des abat-

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tements de précaution dans le court terme pour se prémunir contrele coût d’une accélération trop brutale des réductions d’émission encas de « mauvaise nouvelle » climatique.

Appliqué au débat sur le tempo optimal des efforts de réductionsd’émissions, l’incertitude affecte à la fois les coûts d’abattement etles dommages climatiques. C’est pourquoi deux types d’irréversibili-tés sont à considérer (Ha-Duong, 1998a) : (i) l’irréversibilité technico-économique due au fait qu’un investissement installe un certain typede capital qui ne peut être remplacé, en cas d’inadaptation, sans coût,(ii) l’irréversibilité environnementale liée au fait qu’une unité sup-plémentaire de CO2dans l’atmsophère y restera plus de mille ans. Enpratique, l’irréversibilité économique peut être modélisée en intégrantune composante inertie dans la fonction de coût d’abattement et l’irré-versibilité environnementale en introduisant des effets de seuil dansla fonction de dommages (Ambrosi et al., 2003; Keller et al., 2004).

Si le premier type d’irréversibilité l’emporte sur le second alors ilest rationnel de reporter dans le temps un investissement bas car-bone, car conserver la flexibilité d’un choix entre un investissementbas carbone et un investissement conventionnel a une valeur supé-rieure au risque associé de dommages environnementaux accrus. In-versement, si le second l’emporte sur le premier alors il vaut mieuxprendre le risque d’investir aujourd’hui dans un equipement bas car-bone plutôt que de s’exposer aux risques associés à l’irréversibilitéenvironnementale. Si l’irréversibilité technico-économique n’est pasprise en considération comme dans (Chichilnisky and Heal, 1993),alors l’irréversibilité environnementale pousse à réaliser des effortsd’abattement précoces. Ha-Duong (1998b) puis Ambrosi et al. (2003)interprètent, la valeur d’option associée à l’irréversibilité environne-mentale comme une valeur de l’information, soit la différence entre lavaleur maximale de la fonction objectif avec arrivée de l’informationà différentes dates et la valeur de la fonction objectif sans arrivée del’information. Sans surprise, cette valeur de l’information reste rela-tivement faible quand les dommages sont faibles et augmentent defaçon graduelle. Elle devient très élevée en revanche lorsque la fonc-tion de dommages intègre des effets de seuil. Dans ce cas, il devientcrucial d’obtenir au plus tôt l’information sur le vrai état de la nature.

Pindyck (2000) caractérise les conditions théoriques sur les deuxtypes d’irréversibilités pour que l’une l’emporte sur l’autre. Dans soncadre d’analyse, l’augmentation de l’incertitude conduit toujours àretarder l’action. Kolstad (1996); Ulph and Ulph (1997) soutiennentdans un modèle analytique à deux périodes que l’irréversibilité écono-mique est plus puissante que l’irréversibilité environnementale. Tan-dis que Ha-Duong (1998b), qui introduit la notion de valeur de « quasioption », montre à l’aide d’un IAM (et donc une méthode de résolu-tion numérique du problème d’optimisation inter-temporel) que dans

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1.2 fondements des controverses académiques 23

la plupart des cas l’irréversibilité environnementale l’emporte sur l’ir-réveribilité économique.

Quand la possibilité d’obtenir une meilleure information est intro-duite, la combinaison de l’apprentissage et de l’irréversibilité produitin fine un effet ambigu sur le niveau optimal de réduction d’émis-sion qui dépend de la vitesse de l’apprentissage. Si l’apprentissageest rapide alors il est préférable de retarder les efforts. Goulder andMathai (2000) examine l’effet du changement technique induit (CTI)sur la trajectoire d’abattement optimale. Le CTI implique toujoursdavantage d’abattement cumulé, mais les efforts les plus importantsdoivent être décalés dans le futur si le CTI est dû à des dépenses deR&D. Tandis que lorsque le CTI provient d’un processus d’accumu-lation de connaissance par learning by doing il peut alors être optimald’agir de façon plus précoce.

1.2.3 Le traitement de l’incertitude

Face à l’incertitude climatique, les politiques climatiques sont par-fois interprétées comme une assurance contre les risques climatiquesManne and Richels (1992); Weitzman (2012). Le surcoût des techno-logies bas carbone représenteraient ainsi une prime d’assurance qu’ilserait préférable de payer plutôt que de s’exposer aux risques clima-tiques ; la calibration de cette prime étant fonction de l’aversion aurisque de la société. Cette approche est critiquée par Nordhaus (2008)pour qui, la prime de risque devrait être négative car les scénariosoù les sociétés connaissent des températures plus élevées sont aussiceux où les sociétés deviennent les plus riches. Il serait alors inutiled’imposer aux générations présentes, averses au risque, de s’assurercontre des états du monde où ils seront plus riches. Mais l’argumentest spécieux car il ne décrit pas une véritable décision d’assuranceface à un risque mais réduit le problème à un simple calcul de coûtd’opportunité entre des investissements au fil de l’eau et des investis-sements de réduction des émissions.

De plus, une telle analyse n’est valable que tant que l’incertitudesur les dommages climatiques est de second ordre par rapport à l’in-certitude sur la productivité globale des facteurs. Ainsi, comme lesuggère Weitzman (2009), la façon de modéliser l’incertitude devientcritique. Les analyses coût/bénéfices en situation d’incertitude qui re-posent sur la théorie de l’espérance d’utilité ignorent bien souventles queues de distribution de probabilité épaisses, de sorte que lesévénements très peu probables, mais à très fort impact, ne sont ja-mais pris en considération. Weitzman (2009) montre, au contraire, àtravers son « dismal theorem » que le très improbable est peut-être cequi compte finalement le plus pour la décision. L’intégration d’unefaible probabilité de sensibilité climatique extrêmement élevée (telleque P(SC>20 °C) = 1% ; ce qui signifierait « la fin du monde tel que

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24 modéliser les controverses du débat climatique

nous le connaissons ») dans une analyse de type espérance d’utilitéimpliquerait le sacrifice de toute consommation présente pour éviterune catastrophe hautement incertaine en 2200.

Ce type de résultat soulève des questions fondamentales sur la na-ture de l’incertitude en jeu et le sens des recommandations politiquesdélivrées par les IAMs. La question est de savoir si l’incertitude cli-matique est de nature « épistémique », ne relevant que d’un déficit deconnaissance, ou si son origine est plus radicale, venant des limitesintrinsèques des capacités humaines à comprendre le monde (Dupuy,2002).

Reconnaître à quel type d’incertitude la société est confrontée aune importance cruciale pour interpréter les messages politiques dé-livrés par les IAMs. Dans le premier cas nous savons que des distri-butions de probabilité plus précises seront disponibles avec le temps.La théorie de l’espérance d’utilité peut alors fournir des conseils avi-sés aux décideurs. Dans le second cas, les distributions de probabilitéresteront nécessairement subjectives et produiront des résultats dontl’apparente précision ne garantira en rien la pertinence. Les décideursdoivent alors se préparer à ne jamais connaître les « vrais » risques duclimat et les économistes à renouveler leur boîte à outil traditionnellepour guider la décision sous incertitude.

Cela est précisément le programme du robust decision making quipropose un changement conceptuel majeur pour appréhender l’incer-titude radicale. Il s’agit d’abandonner la notion d’optimalité, valabledans un univers certain (ou risqué) pour la notion de robustesse àl’incertitude (Lempert and Schlesinger, 2000; Lempert et al., 2006a;Lempert and Groves, 2010), soit la recherche de stratégies dominantesdans un maximum de mondes possibles. La décision relève alors d’unarbitrage entre le coût de la sécurité totale et le coût de l’acceptationd’un risque irréductible, étant donnée l’ensemble de l’information dis-ponible.

En l’état actuel RESPONSE n’est pas en mesure de rendre comptede cette controverse sur l’incertitude radicale. Les distributions deprobabilité sur la sensiblité climatique et les dommages y sont consi-dérées comme subjectives, mais elles sont fixées et ne permettentpas d’explorer un vaste ensemble de distributions possibles. Dansle chapitre 3 nous reproduirons une partie des controverses sur lesformes fonctionnelles présentées dans cette section en étudiant l’effetde l’inertie, de la modélisation d’effet de seuil dans les dommages,de la modélisation de l’incertitude et du cadre de la décision (one-shotversus séquentielle).

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1.3 description de response 25

1.3 description de response

1.3.1 Un modèle pour quelle histoire ?

RESPONSE est un modèle intégré économie-climat (désigné parl’acronyme IAM en anglais pour « Integrated Assessment Models »)qui associe un modèle macroéconomique de croissance optimale detype « Ramsey-Cass-Koopmans » (Ramsey, 1928; Koopmans, 1963; Cass,1965) à un modèle climatique simplifié qui relie émissions de gaz àeffet de serre (GES), concentrations de GES de l’atmosphère et haussedes températures. Il s’inscrit ainsi pleinement dans la lignée des IAMissus du modèle DICE conçu par (Nordhaus, 1994). La simplicité dumodèle en fait ainsi un outil heuristique bien adapté à la mise enscène des controverses sur le calendrier des politiques climatiques etsur la mesure de la VSC.

La recherche d’une trajectoire de VSC repose sur la métaphore d’unplanificateur bienveillant mandaté par l’humanité pour adopter la ré-ponse optimale face à un risque climatique mondial. Mais cette mé-taphore suppose que les économies réelles sont déjà, dans un scéna-rio au fil de l’eau, sur une trajectoire optimale. Une telle hypothèsepeut sembler « hardie ». Elle devient cependant « acceptable » si nousconsidèrons que cette trajectoire n’est pas « optimale » en soi maisqu’elle est la meilleure possible compte tenu des contraintes institu-tionnelles et sociales qui s’opposent à toute réforme profonde. Danscette optique « conservatrice » le planificateur prend le monde « telqu’il est », car il n’est pas mandaté pour le réformer (Lecocq andHourcade, 2010). La réponse optimale du planificateur bienveillantpeut s’interpréter comme « le meilleur des mondes possibles » deLeibniz, qui est évalué comme tel étant donné le faisceau de « com-possibles » dans lequel il s’inscrit.

Le planificateur est ainsi chargé de maximiser une fonction de bien-être social qui dépend uniquement de la consommation d’un biencomposite 4. Les GES sont responsables de la hausse des tempéra-tures et donc des dommages climatiques. Ils sont directement issusde la production mais peuvent être évités au prix d’un effort d’abat-tement. Comme les dommages climatiques amputent une partie dela production, l’optimisation consiste à répartir les emplois optimauxde la production entre la consommation, les efforts d’abattement etl’investissement.

Dans sa forme fonctionnelle la plus simple RESPONSE est trèsproche des IAM DICE (Nordhaus, 2008) et PAGE (Stern, 2006; Hope,2006) en ceci que les dommages et les coûts d’abattement sont repré-sentés par des fonctions quadratiques et que le programme d’optimi-sation est résolu de façon déterministe (nulle incertitude sur les dy-

4. L’externalité climat n’apparaît pas dans la fonction d’utilité car elle est explici-tement prise en considération à travers une fonction de dommages

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26 modéliser les controverses du débat climatique

namiques technico-économiques ou climatiques n’est prise en consi-dération).

Mais la flexibilité de la structure de modélisation de RESPONSEpermet d’activer ou de désactiver des options de modélisation. Il estainsi possible d’ajouter un effet d’inertie dans la fonction de coûtd’abattement pour apprécier l’effet de l’accélération du rythme desabattements qui peut avoir un effet critique si de mauvaises nou-velles climatiques exigent un changement rapide de trajectoire d’abat-tement. Il est également possible de représenter des phénomènes de« non-convexité » dans les dommages, en remplaçant la fonction qua-dratique par une fonction sigmoïde qui déclenche un saut de dom-mages à partir d’un certain seuil de hausse des températures. L’objec-tif des 2 °C qui est réaffirmé à chacune des conférences internationalessur le climat révèle en creux une vision des dommages avec un tel ef-fet de seuil. En deça de 2 °C, les dommages seraient acceptables, audessus ils deviendraient intolérables.

Enfin, RESPONSE peut passer d’une version déterministe à uneversion avec modélisation explicite de l’incertitude sur la sensibilitéclimatique et sur le niveau des dommages (en supposant que ces deuxsources d’incertitude sont indépendantes). Le programme d’optimi-sation peut alors être résolu en situation d’incertitude totale ou dansle cadre d’une décision séquentielle avec arrivée de l’information àdifférentes dates ti. A la date ti, les incertitudes sur la sensibilitéclimatique et sur les dommages disparaissent. RESPONSE ne traitepas cependant des phénomènes d’apprentissage (Kelly and Kolstad,1999; Goulder and Mathai, 2000) et suppose que l’information arrivede façon exogène. Une telle représentation de l’incertitude couplée àl’effet d’inertie dans la fonction d’abatement et les non-linéarités dansla fonction de dommage permet d’explorer les débats sur le poids re-latif des irréversibilités économiques et environnementales, sur lesconcepts de « valeur de l’information » (Ambrosi et al., 2003) et « va-leur d’option » de différentes politiques climatiques (Pindyck, 2000;Ha-Duong, 1998b).

RESPONSE est un modèle compact qui est transparent et très ma-niable en raison de la simplicité de ses formes fonctionnelles. Il re-présente de façon stylisée le comportement d’un planificateur bien-veillant mondial et n’a pas la prétention de refléter le comportementréel d’un gouvernement donné. La pertinence de cet outil est avanttout heuristique.

Un modèle de contrôle optimal explicite les termes d’une vision dumonde qui incorpore :

– des hypothèses socio-économiques sur la croisance économique,sur l’évolution des émissions de GES, sur les coûts de réductiondes émissions et leur évolution dans le temps ;

– des hypothèses sur des paramètres plus normatifs qui permettentde traduire un flux de consommation en flux de bien-être ou en-

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1.3 description de response 27

core de donner un poids aux générations futures dans le calculéconomique présent comme le taux de préférence pure pour leprésent ;

– un ensemble de croyances sur les dommages du changement cli-matique (forme des dommages et sensibilité climatique)

1.3.2 Le modèle déterministe

1.3.2.1 Le ménage représentatif

Le modèle représente une économie à horizon temporel infini danslaquelle il existe un continuum Nt de ménages identiques. L’utilitéde ces ménages provient de la consommation d’un bien composite.Un planificateur bienveillant maximise leur utilité intertemporelle :

Vt0 = maxat,Ct

∞∑t=t0

Nt1

(1+ ρ)tu(Ct

Nt) , (1.3.1)

avec ρ le taux de préférence pure pour le présent. La dynamique dé-mographique du modèle évolue de façon exogène à travers le nombrede ménages Nt .

La fonction d’utilité utilisée est une fonction logarithmique :

∀c,u(c) = log(c). (1.3.2)

Elle possède les propriétés standard : croissante, deux fois différen-tiable, concave et respecte la condition d’Inada lim

0+u ′ = +∞. L’élasti-

cité de substitution intertemporelle de l’utilité marginale de la consom-mation est constante et égale à 1.

1.3.2.2 Le secteur productif

Un unique bien final Yt est produit dans l’économie à partir du ca-pital Kt et du travail Lt. La fonction de production est la traditionnellefonction Cobb-Douglas :

Yt = AtKαt L1−αt (1.3.3)

La part du capital dans les revenues est α. Lt est une variable exogènequi représente le facteur travail. Comme il n’y a ni chômage, ni arbi-trage travail-loisir, une fois normalisé, ce facteur est égal au nombrede ménages Nt. La productivité globale des facteurs At évolue defaçon exogène.

En fonction des choix de consommation et de réduction des émis-sions, le capital évolue selon la loi d’accumulation suivante :

Kt+1 = (1− δ)Kt + Yt [1−Ca(at, at−1)−D(θA,t)]−Ct (1.3.4)

Le taux de dépréciation du capital est δ. La fonction de coût d’abat-tement Ca(at, at−1) dépend du niveau de l’abattement à la période

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28 modéliser les controverses du débat climatique

courante at et potentiellement de celui de la période passé at−1, dansle cas où l’inertie est prise en considération. La fonction de dommagesD(θA,t) varie avec l’augmentation de la température atmosphériqueθA,t. Les coûts d’abattement et les dommages sont exprimés en pour-centage du PIB.

Les émissions de CO2 sont un produit dérivé de la production etpeuvent être empêchées par un effort d’abattement at. Ainsi, le ni-veau total des émissions est :

Et = σt(1−at)Yt (1.3.5)

L’intensité carbone de la production σt est supposée décroître pro-gressivement grâce à un facteur de progrès technique exogène :

σt = σ0 e−ψtt (1.3.6)

avec ψt > 0 un paramètre qui capture l’effet composé du progrèstechnique et de l’épuisement des ressources fossiles. Si l’économiecroît à un taux g, le niveau des émissions est proportionnel à e(g−ψt)t.Tant que g > ψt, les émissions continuent de croître dans le temps.Pour s’assurer que les émissions décroissent avant la fin du siècle,conformément à la grande majorité des scénarios disponibles,ψt croîtprogressivement de telle sorte qu’il devient plus grand que g (avecβ > 0) :

ψt = ψ0 e−βt +1.1g(1− e−βt), (1.3.7)

Le niveau d’abattement at est exprimé comme une fraction de ré-duction d’émissions :

0 ≤ at ≤ 1 (1.3.8)

Si at = 1, alors les émissions deviennent nulles. Si at = 0, aucuneffort de réduction d’émission n’est réalisé.

1.3.2.3 Fonction de dommages

Les deux fonctions de dommages qui sont utilisées dans RESPONSEsont présentées dans la figure 2. La première est une fonction quadra-tique :

D(θA,t) = κθ2A,t, (1.3.9)

avec θA,t la hausse de la température atmosphérique en t. La deuxièmeest une fonction sigmoïde (ou logistique) (Ambrosi et al., 2003) :

D(θA,t) = κθA,t +d

1+ e(θD−θA,t)/η (1.3.10)

Cette fonction de dommages est composée d’un trend linéaire κet d’un saut d qui est déclenché quand la hausse de température

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1.3 description de response 29

dépasse le seuil θD. Cette non-linéarité dans les dommages se déploitprogressivement autour du seuil θD et pendant un intervalle η dehausse de la température.

Une seule et même fonction de dommages incorpore ces deux pos-sibilités de forme fonctionnelle :

D(θA,t) = κθ1+φA,t +

d

1+ e(θD−θA,t)/η (1.3.11)

avec φ = 1, d = 0 pour le cas quadratique et φ = 0, d > 0 pour le cassigmoïde.

Figure 2: Les formes possibles de la fonction de dommages dans RES-PONSE

θA

D(θA)

κ

θD

d

η

La courbe en trait plein représente la fonction sigmoïde : θD est le seuil detempérature à partir duquel se déclenche la non linéarité, η est l’intervallede hausse des température pendant lequel se déroule le saut de dommages,d est la taille du saut, et κ est le coefficient de la pente de la partie linéairedes dommages. La courbe en pointillés représente le cas quadratique.

1.3.2.4 Les coûts d’abattement

La fonction de coût d’abattement s’écrit de la façon suivante :

Ca(at, at−1) =1

(1+γ)t(atζ+ (BK− ζ)

(at)ν

ν+ ξ2(at −at−1)2)

(1.3.12)

La fonction a deux composantes principales : le niveau absolu del’abattement (at)ν

ν, avec ν un coefficient puissance, et une fonction

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30 modéliser les controverses du débat climatique

qui dépend du sentier d’abattement passé qui pénalise la vitesse dela transition bas carbone (at − at−1). Une telle fonction permet derendre compte d’un « effet d’inertie » (quand ξ ≠ 0) qui rend coû-teux une forte augmentation de la vitesse des réductions d’émissionsVogt-Schilb et al. (2012). γ est un paramètre de progrès technique exo-gène sur les technologies d’abattement, BK représente le prix actuelde la technologie backstop, ou encore le coût marginal de l’abatte-ment quand le niveau de l’abattement atteint 100%. ζ est le coût de lapremière unité d’abattement.

1.3.2.5 Le module climatique

1.3.2.6 Un cycle du carbone à trois réservoirs

Le modèle climatique de RESPONSE est directement inspiré dumodèle de cycle de carbone à trois réservoirs (atmosphère, surface dela mer, mer profonde) utilisé par Nordhaus and Boyer (2003). Chaqueréservoir est supposé homogène sur le court terme. Il est caractérisépar un temps de résidence du carbone dans le réservoir et un taux demélange avec les autre réservoirs sur le long terme. Les flux de car-bone d’un réservoir à l’autre dépendent de coefficients de transfert.Les émissions de gaz à effet de serre (seulement le CO2 ici) s’accu-mulent dans l’atmosphère et en sont graduellement retirés par despuits océaniques.

La dynamique des flux de carbone est donnée par :

⎛⎜⎜⎜⎝

At+1Bt+1Ot+1

⎞⎟⎟⎟⎠

= Ctrans

⎛⎜⎜⎜⎝

At

Bt

Ot

⎞⎟⎟⎟⎠

+

⎛⎜⎜⎜⎝

Et

0

0

⎞⎟⎟⎟⎠

(1.3.13)

At représente le stock de carbone dans l’atmosphère à la date t, Btle stock de carbone à la surface des mers et Ot le stock contenu dansles profonderus des océans ; Ctrans est la matrice des coefficients detransfert. Comme il n’y a pas d’échange direct entre atmosphère etocéan profond, cAO = cOA = 0.

En dépit de ses limites (Archer and Brovkin, 2008; Archer et al.,2009; Friedlingstein et al., 2006; Tol, 2009; Gitz et al., 2003), ce modèlesimplifié du cycle du carbone fournit des informations sur la concen-tration atmosphérique en CO2 qui approximent de façon acceptablele comportement des grands modèles climatiques. Hourcade et al.(2012b) soulignent en revanche que des représentations encore plussimples sous forme de règle de budget carbone, comme dans (Ace-moglu et al., 2012), peuvent introduire, selon leur paramétrisation,des biais systématiques qui sous-estiment la croissance des tempéra-tures futures et sont incapables d’intégrer les effets de seuil mis enévidence par les sciences du climat à partir d’une hausse des tempé-ratures comprise entre 2 °C et 5 °C (Lenton et al., 2008).

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1.3 description de response 31

1.3.2.7 Le modèle de température à deux boîtes

Le modèle de température ressemble au modèle à deux boîtes déve-loppé par Thompson’s (Schneider and Thompson, 1981) et s’appuiesur Ambrosi et al. (2003). Deux equations traduisent la variation dela température moyenne mondiale depuis l’ère pré-industrielle en ré-ponse au forçage additionnel des gaz à effet de serre. Plus précisé-ment, le modèle décrit la modification de l’équilibre thermique entrel’atmopshère et la surface des océans en réponse aux émissions degaz à effet de serre d’origine anthropique.

L’équation de forçage radiative en t s’écrit :

F(At) = F2x log2(At/API), (1.3.14)

avec F2x le forçage radiatif instantané pour un doublement de laconcentration pré-industrielle et API la concentration en CO2 de l’at-mosphère à l’ère pré-industrielle.

L’équation de la dynamique des températures est :

θA,t+1θO,t+1

⎠=⎛

1−σ1(F2x/ϑ2x +σ2) σ1σ2

σ3 1−σ3

⎠.⎛

θA,t

θO,t

⎠+⎛

σ1F(At)

0

(1.3.15)

avec θA,t et θO,t qui sont respectivement l’augmentation des tempé-ratures de l’atmosphère et de la surface de l’océan par rapport auxtempératures de l’ère pré-industrielle ; σ1, σ2, et σ3 sont les coeffi-cients de transfert et ϑ2x est la sensibilité climatique, soit la hausse dela température due à un doublement de la concentration en GES del’atmosphère par rapport au niveau de l’ère pré-industrielle.

1.3.3 Le modèle avec incertitude

1.3.3.1 La représentation de l’incertitude

Passer du cas déterministe au cas avec incertitude permet de trai-ter explicitement les questions de décision en connaissance seulementpartielle des conséquences ultimes du changement climatique et avecarrivée progressive de l’information. Bien que les derniers rapportsdu GIEC et le rapport Stern aient apporté des preuves convaincantessur l’origine anthropique et les dangers potentiels du changement cli-matique, de nombreuses controverses demeurent au sein de la com-munauté scientifique, notamment sur la valeur de la sensibilité cli-matique et sur l’ampleur des dommages. Ainsi, au lieu de fournirdes valeurs uniques, les scientifiques présentent des résultats sousforme d’intervalles de valeurs « raisonnables » associés à des niveauxde confiance. Comme nul argument scientifique permet de choisirun état du monde plutôt qu’un autre, plusieurs « croyances » sur le« vrai » état du monde sont en compétition dans le débat climatique.

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32 modéliser les controverses du débat climatique

Pour rendre compte de tout l’intervalle d’incertitudes scientifiques,RESPONSE explore différents états du monde possiblesω, qui portentsur la sensibilité climatique ϑω2x et la forme de la fonction de dom-mages. Dans l’équation de la fonction de dommage :

Dω(θA,t) = κω(θωA,t)

1+φ+

d

1+ e(θωD−θωA,t

)/η , (1.3.16)

l’incertitude porte, à travers l’exposant ω, sur les paramètres κ depente de la partie linéaire de la fonction (qui peut être plus ou moinsraide) et de seuil de température θD à partir duquel les dommagesnon linéaires sont déclenchés (plus ce seuil est bas plus les dommagespeuvent être élevés à court terme), ainsi que sur la variable de haussedes températures de l’atmosphère θA,t qui dépend directement de lasensibilité climatique.

Le changement climatique étant un événement non reproductible,des distributions de probabilité subjectives sont attribuées aux diffé-rents états du monde en supposant que la sensibilité climatique etles dommages sont indépendants. Ces distributions de probabilité re-présentent les croyances concurrentes du débat climatique que RES-PONSE prend en considération.

Dans le cadre de la décision séquentielle, l’incertitude est progres-sivement levée car il existe une date ti où l’information sur le « vrai »état du monde devient disponible. Ainsi, en ti+1 tous les agents ac-ceptent de renoncer à leur ancienne « croyance » et adaptent leurcomportement à la nouvelle information. Ils accélèrent leur réductiond’émission en cas de « mauvaise nouvelle », ou relâchent leurs effortsen cas de « bonne nouvelle ». La question pour eux devient alors celledu bon arbitrage entre le risque économique d’un effort d’abattementtrop fort aujourd’hui contre le risque climatique correspondant à undécalage dans le temps de cet effort (Lecocq et al., 1998).

Le programme d’optimisation intertemporelle est divisé en deuxsous-programmes – avant et après l’arrivée de l’information en ti. Larésolution du programme s’effectue en deux temps de façon récursive.Il est également possible de se placer dans une situation d’incertituderadicale, quand l’information sur le vrai état du monde n’est jamaisrévélée, soit ti =∞.

La modélisation explicite de l’incertitude sur la forme des dom-mages et sur la sensibilité climatique permet d’apprécier l’effet propredu cadre de décision sous incertitude, avec arrivée plus ou moins tar-dive de l’information, sur les comportements optimaux d’abattement,et ainsi, de bien le distinguer de l’effet de l’incertitude paramétrique.Nous verrons, dans le chapitre 3, qu’intégrer l’incertitude et la déci-sion séquentielle dans un modèle intégré est particulièrement intéres-sant quand la fonction de dommage déclenche un effet de seuil carcela permet de rendre compte de stratégies de précaution.

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1.3 description de response 33

1.3.3.2 Après l’arrivée de l’information

A la date ti + 1 les vrais états de la nature ω sur la sensibilité cli-matique ϑω2x et sur la fonction de dommages Dω sont connus. Le pro-gramme d’optimisation intertemporelle est alors le même que dansle cas déterministe présenté plus haut. Les variables correspondant àla solution de ce programme sont notées avec un exposant ω.

En calculant l’utilité actualisée le long de la solution optimale, nousobtenons le niveau de bien-être Vti+1(ω) pour chaque état de la na-ture ω révélé en ti.

1.3.3.3 Avant l’arrivée de l’information

Juste avant l’arrivée de l’information, à la fin de la période ti, lafonction objectif à maximiser s’écrit 5 :

Wt0 = maxat,Kt

E⎡⎢⎢⎢⎣

t=ti∑t=t0

1

(1+ ρ)tu(Cωt )+Vti+1(ω)

⎤⎥⎥⎥⎦

. (1.3.17)

Avant ti un choix de modélisation doit déterminer quelles variablesdépendent de l’état de nature ω et quelles variables suivent la mêmetrajectoire quels que soient les états de la nature et peuvent être desvariables de contrôle.

Les variables qui dépendent de l’état de la nature ω sont écritesavec un exposant. Il s’agit des températures θωA,t, θ

ωO,t car leur évolu-

tion dépend de la sensibilité climatique inconnue ϑω2x, de la fonctionde dommages Dω et de la consommation Cω à travers l’équation(1.3.4). Cela signifie implicitement que les dommages, à travers lesdifférents états du monde, affectent seulement la consommation, etnon l’investissement, car nous faisons l’hypothèse que la consomma-tion est inobservable dans le cas incertain. Si la consommation étaitfixée également, alors l’observation de l’investissement ou du capitalconduirait directement à l’observation de l’état du monde et il n’yaurait alors plus d’incertitude. Ce choix de modélisation est certescontestable mais il repose sur l’idée qu’il est plus facile d’observerl’investissement que la consommation et qu’il est donc raisonnablede considérer le capital comme la variable de contrôle.

Les variables qui suivent la même trajectoire avant ti quels quesoient les états de la nature sont ainsi le capital, l’abattement, la pro-duction, les émissions et les stocks de carbone. Elles sont écrites avecune « barre » Kt, at, Yt, Et, At, Bt et Ot.

La résolution des conditions du premier ordre est présentée en an-nexe.

5. E représente l’opérateur d’espérance : E[f] = ∑ω p(ω)f(ω).

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34 modéliser les controverses du débat climatique

1.3.4 Le calcul de la valeur sociale du carbone

L’émission d’une tonne additionnelle de CO2 dans l’atmosphère àla date t, augmente la concentration At+1 d’une unité et par consé-quent réduit le bien-être social W à la date t + 1. Cette variation debien-être est mesurée par ∂Wt+1/∂At+1. En appelant λA,t le coeffi-cient de Lagrange associé à la dynamique de la concentration atmo-sphérique en CO2 et µt le coefficient de Lagrange associé à la dy-namique économique 6, la VSC s’écrit comme le ratio de ces deuxcoefficients.

Ainsi, quand l’incertitude est résolue (pour ∀t ≥ ti + 1) et quel quesoit l’état du monde ω, la VSC vaut :

VSCωt =∂Wt+1/∂Aωt+1∂Wt+1/∂Cωt+1

=λωA,tµωt

. (1.3.18)

Avant l’arrivée de l’information (∀t ≤ ti) la VSC vaut :

VSCt =λA,t

E[µωt ]. (1.3.19)

Les coefficients de Lagrange permettent de mesurer l’effet d’un re-lachement ou d’un resserrement des contraintes du programme demaximisation sur la fonction objectif. λA,t exprime, en unité d’utilitépar tCO2, le gain (ou la perte) d’utilité induit par le retrait (ou l’émis-sion) d’une unité de carbone et µt mesure, en unité d’utilité par $,le gain d’utilité lié à l’augmentation d’une unité de consommation.Ainsi le ratio des deux coefficients représente la VSC et s’exprimebien en $ par tCO2.

En pratique, pour obtenir la valeur numérique de la VSC nous uti-lisons les prix implicites associés à λωA,t et µωt tels qu’ils sont calculéspar le logiciel GAMS 7.

1.4 la valeur ajoutée de response

1.4.1 Positionnement de RESPONSE dans le paysage de la modélisationintégrée

Il existe une grande diversité de modèles intégrés économie-climat.Nous limitons ainsi la comparaison avec RESPONSE à cinq modèlescompacts qui reposent sur l’optimisation intertemporelle d’un bien-être social et qui sont emblématiques des débats sur le calendrier del’action climatique et sur la mesure de la VSC.

6. Les Lagrangiens complets ainsi que les conditions du premier ordre du pro-gramme sont présentées en annexe.

7. Le code GAMS du modèle RESPONSE est disponible sur la page web du mo-dèle http ://www.centre-cired.fr/spip.php ?article1395.

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1.4 la valeur ajoutée de response 35

1.4.1.1 RESPONSE et DICE

RESPONSE et DICE-2007 partagent la même représentation néo-classique de la croissance. Dans les deux modèles, les agents prennentdes décisions d’investissement en capital, renonçant ainsi à de laconsommation immédiate pour augmenter la consommation future,en intégrant le système climatique comme un type de stock de capi-tal (Nordhaus, 2007). Les choix d’abattement impliquent un arbitrageentre réduction de la consommation présente et le coût potentiel-lement élevé du changement climatique futur. RESPONSE, commeDICE, agrège différents pays pour former un même niveau de pro-duction, de stock de capital, de technologie et d’émissions.

La différence principale entre les deux modèles réside dans la flexi-bilité des formes fonctionnelles de RESPONSE pour représenter lescoûts d’abattement (avec ou sans inertie), les dommages (avec ou sanseffet de seuil) et l’incertitude (passage d’une décision « one-shot » àune décision séquentielle). RESPONSE est ainsi une sorte de « méta-modèle » qui permet de rendre compte des effets d’une plus large di-versité d’hypothèses sur les formes structurelles des modèles intégrés.La comparaison DICE-RESPONSE est synthétisée dans le tableau 1.

1.4.1.2 PAGE et RESPONSE

Bien que PAGE et DICE soient souvent utilisés pour défendre despositions antagoniques dans le débat climatique , la structure de mo-délisation de PAGE-2002 (Hope, 2006) est en fait assez proche deDICE-2007 et donc de RESPONSE. Les différences principales entreDICE et PAGE portent essentiellement sur des hypothèses de para-métrisation qui peuvent être parfois fortement opposées, notammentsur le choix d’un taux de préférence pure pour le présent.

La différence structurelle entre PAGE et RESPONSE réside dans letraitement de l’incertitude. Dans PAGE-2002, chaque paramètre incer-tain du modèle (par exemple la sensibilité climatique) est représentépar une distribution de probabilité. PAGE-2002 compte 80 paramètresincertains (le nombre exact dépendant des régions et des secteursd’impact considérés dans une simulation donnée). Une simulationcomplète de PAGE-2002 implique la répétition du calcul des variablesde sortie – hausse des températures, dommages, coût d’adaptation,coûts de prévention – pour l’ensemble des valeurs de la distributiondes variables d’entrée. La méthode utilisée est celle du Latin Hyper-cube Sampling qui est particulièrement adaptée aux problèmes d’in-certitude paramétrique multidimensionnelle. Cette méthode procèdecomme une analyse de sensibilité qui permet, en outre, d’obtenir lapopulation de scénarios qui couvre le mieux la distribution de valeurspossibles de chaque paramètre incertain considéré. Mais contraire-ment à RESPONSE, la représentation de l’incertitude est construite à

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36 modéliser les controverses du débat climatique

Table 1: Principales différences structurelles entre DICE et RESPONSE

DICE RESPONSE

Fonction d’utilité avec aversion aurisque constante(CRRA)

Fonction d’utilité logarithmique

u(Ct) =Nt11−α (Ct

Nt)1−α

u(Ct) =Nt log (CtNt

)

Les dommages sont proportion-nels à la production mondiale etsont une fonction polynôme de lahausse de température moyenne

Fonction de dommage flexible pou-vant prendre la même forme po-lynomiale que dans DICE ainsiqu’une forme sigmoïdale afin de re-présenter des effets de seuil

D(θA,t) =1

1+π1θA,t+π2θ2A,tD(θA,t) = κ(θA,t)

1+φ +d

1+e(θD−θA,t)/η

Les coûts d’abattement sont pro-portionnels à la production mon-diale et une fonction polynomialedu taux d’abattement

Fonction de coût pouvant activerou désactiver une forme d’inertiedans les possibilités d’abattement

Ca(at) = πtPTtaθt Ca(at, at−1) = PTt(atζ + (BK −

ζ)(at)νν

+ ξ2(at −at−1)2)

Un programme de décision « one-shot »

Programme de décision séquentiel

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1.4 la valeur ajoutée de response 37

l’extérieur du modèle et non explicitement dans les formes fonction-nelles de la modélisation.

1.4.1.3 DEMETER et RESPONSE

Le modèle DEMETER-1 développé par van der Zwaan et al. (2002)se concentre sur l’utilisation de sources d’énergie d’origine fossilesou non. La fonction de production prend alors la forme suivante :

Yt = [At (Kαt L1−αt )

γ+Bt ((F

χt +N

χt )

1χ)γ

]

avec Ft et Nt qui représentent respectivement les intrants fossiles etnon fossiles considérés comme substituables. La fonction à élasticitéde substitution constante retenue pour la partie énergie de la fonctionde production garantit qu’il est toujours nécessaire d’investir dansl’énergie d’origine non fossile. Dans la version la plus simple du mo-dèle, les stocks de technologies évoluent de façon exogène sous l’effetde At et de Bt. Contrairement à RESPONSE, DEMETER-1 représenteexplicitement la dichotomie entre système d’énergie fossile et systèmed’énergie non fossile. Dans des développements plus récents le mo-dèle endogénéise le changement technique via du learning-by-doing.

1.4.1.4 MERGE et RESPONSE

Le modèle MERGE-2005 développé par Manne and Richels (2005)étend la fonction de dommage de DICE pour inclure des « dommagesnon marchands » qui représentent une quantité fixe de la productionmondiale et n’apparaissent que lorsque la hausse des températuresa atteint un seuil de 2.5 °C. Cette fonction de dommages présentedonc des similitudes avec la fonction à effet de seuil utilisée dansRESPONSE. Mais Manne and Richels (2005) souhaitent ancrer les pa-ramètres de leur fonction de dommages sur « la littérature » et re-connaissent que pour l’instant les paramètres d’une telle fonction de-meurent très spéculatifs. RESPONSE au contraire laisse ouverte laquestion de la « vraie » valeur des paramètres pour décrire une carto-graphie des résultats possibles sans faire de choix arbitraire entre lesdifférentes valeurs « raisonnables ». Contrairement à RESPONSE éga-lement, MERGE-2005 n’a pas de traitement explicite de l’incertitude.La calibration de certains paramètres repose sur des estimations detype « best-guess ».

1.4.1.5 FUND et RESPONSE

Le modèle FUND développé par Anthoff et al. (2009); Anthoff andTol (2010) découpe le monde en différentes régions qui sont chacunescaractérisées par des fonctions de dommages multiples correspon-dant à différents secteurs. Par exemple, l’interaction entre le chan-gement climatique et le secteur agricole produit trois différents types

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38 modéliser les controverses du débat climatique

d’impacts, selon un taux et un niveau absolu de changement clima-tique ainsi qu’un impact de fertilisation du CO2. Le modèle repré-sente implicitement les capacités adaptatives des secteurs de la santéet de l’énergie en faisant l’hypothèse que les nations les plus richessont moins vulnérables aux effets du changement climatique que lesnations les plus pauvres, et en représentant un facteur d’accumula-tion de la connaissance qui réduit le coût des abattements. Le modèlene représente pas les coûts d’abatement à l’aide d’une technologiebackstop mais de différentes courbes de coûts d’abattement selon letype de gaz à effet de serre considéré. Les autres secteurs sont la fo-rêt, l’eau, la protection des côtes, l’usage des sols, les éco-systèmeset les événements climatiques extrêmes. Le revenu par habitant estexogène et dépend du scénario retenu. Le modèle produit des simu-lations de 1950 à 3000 en supposant que l’état stationnaire est atteinten 2300. Les impacts du changement climatique sur le bien-être socialsont appréciés à travers les multiples équations de coûts des dom-mages sur les différents secteurs et les différentes régions. Tous ceséléments rendent une comparaison avec RESPONSE difficile. La rela-tive précision de la description des impacts dans FUND est toutefoisune source d’inspiration pour de futurs développements.

1.4.2 RESPONSE : un outil de mise en forme du débat climatique

Relier les émissions de carbone, la hausse des températures, lesdommages climatiques, le bien-être social fournit un cadre au débatclimatique qui ne se réduit pas à ses dimensions physique et tech-nique. Les politiques climatiques et l’indicateur central de la VSC setrouvent au croisement d’un débat plus général mêlant des enjeux :

(i) scientifiques, puisqu’il s’agit de stabiliser des connaissances surles phénomènes climatiques et leurs conséquences ;

(ii) politiques, car le tempo des politiques climatiques peut se heur-ter à des intérêts économiques puissants, à la question de leuracceptabilité sociale ou encore à des enjeux de négociations inter-nationales ;

(iii) éthiques enfin, car elles mettent au jour des répartitions géo-graphique et sociale inégales des dommages du changement cli-matique, et ouvrent, en raison de leur horizon temporel long(et techniquement à travers le débat sur le taux d’actualisation),la question non résolue de la prise en considération des géné-rations futures dans les choix environnementaux qui sont faitsaujourd’hui.

Si la modélisation a l’ambition d’éclairer le débat dans un universcontroversé, un réglage « subtil » de l’éclairage s’impose pour ne pasbrouiller la décision. Plutôt que d’exhiber la « vraie » VSC, la tra-jectoire d’abattement la « plus optimale », l’approche que nous dé-fendons avec RESPONSE essaie d’éviter l’écueil de l’imposition arbi-

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1.4 la valeur ajoutée de response 39

traire d’une vision du monde particulière afin de rendre compte del’étendue des controverses. RESPONSE permet de renvoyer aux ac-teurs du débat climatique les hypothèses sous-jacentes à telle ou tellepolitique cohérentes avec telle ou telle vision du monde. A charge desdécideurs de choisir ensuite à quelle vision ils adhèrent afin d’obtenirdes trajectoires de VSC et d’abattement qu’ils pourront défendre defaçon crédible. Le modèle est ainsi conçu pour permettre la recherched’un compromis au sein du débat climatique via un langage « ration-nel » sur les politiques climatiques possibles.

Cette démarche place l’économiste-modélisateur dans une véritableposition de médiateur, entre les résultats scientifiques, les visions dumonde et la décision. Pour l’expert, éclairer la décision ne signifiepas prendre la décision à la place des décideurs, mais donner lesmoyens aux décideurs de réaliser un choix raisonné entre des optionsclairement identifiées.

L’utilité de RESPONSE pour le débat public est d’être à la fois :– un outil scientifique qui produit des estimations de la VSC et des

trajectoires d’abattement ;– un décrypteur de controverses pour comprendre l’origine des

différences de résultats sur la VSC ;– un outil d’aide à la délibération en fournissant aux décideurs un

langage de négociation (Henry, 1984) cohérent pour (i) comparerles différentes recommandations politiques qui s’affrontent dansle débat climatique en termes de VSC et d’efforts de mitigation,(ii) choisir des politiques climatiques compatibles avec les visionsdu monde qu’ils défendent.

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2R É V É L E R L’ E F F E T D E S « V I S I O N S D U M O N D E »S U R L E S P O L I T I Q U E S C L I M AT I Q U E S

L’objectif de ce chapitre est d’utiliser RESPONSE pour mesurer l’in-fluence de l’incertitude sur les paramètres, et ainsi de ce que nous ap-pelons les « visions du monde », sur les clivages qui s’expriment dansle débat climatique. Nous adoptons une démarche en « entonnoir » enpartant de la description de la diversité des visions du monde, puisen organisant ces visions en cinq tribus, et enfin en plongeant dans lescomposantes mêmes des visions du monde pour en démêler l’impactrelatif sur la VSC.

2.1 une cartographie du débat climatique

Le modèle RESPONSE appréhende le débat climatique en le rédui-sant à deux dimensions controversées : la disposition à payer de lasociété pour le climat et l’ampleur des politiques climatiques à mener.Les deux variables de sortie du modèle, que sont la VSC et le niveaud’abattement, synthétisent à elles seules ces deux dimensions.

2.1.1 Rendre compte de la diversité des visions du monde

Des visions du monde concurrentes naissent de l’incertitude, soitscientifique, soit radicale (en raison des limites de l’entendement hu-main ou du caractère éthique d’un paramètre) qui pèse sur certainsparamètres. Les rapports du GIEC ne peuvent alors fournir de valeurunique pour ces paramètres. C’est pourquoi ils indiquent plutôt desintervalles de valeurs qui regroupent l’ensemble des valeurs jugées« raisonnables » par la communauté scientifique. Le choix d’une va-leur de sensibilité climatique par exemple, relève d’un choix subjectif,ou d’une « croyance », à l’intérieur d’un intervalle scientifiquementétabli. Rendre compte de la diversité des visions du monde signifiedonc ici couvrir l’ensemble des positions scientifiquement légitimes.

2.1.1.1 Les paramètres socio-économiques

Le tableau 2 recense les intervalles de valeurs considérés pour lesparamètres socio-économiques clés du modèle. Dans un scénario aufil de l’eau – soit lorsque le changement climatique n’est pas pris enconsidération – les projections de croissance économique mondialeutilisées dans les scénarios du GIEC (SRES) sont comprises entre1,45% et 3%. L’impact de la croissance sur le volume des émissions dé-

41

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42 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

Table 2: Intervalles de valeurs des paramètres socio-économiques.

Paramètresincertains

Symboles dansRESPONSE

valeur basse valeur haute

Croissance ln(Yt/Y0)t

1.45%.an−1 3%.an−1

Emissions ψ0 0.5% 1.5%

Coûtsd’abatte-ment

BK2008, ν, ζ, α 110$/tCO2, 3,0, 1%

1023$/tCO2,4, 15, 1.35%

Préférencepure pourle présent

ρ 0.1% 2%

pend de l’intensité carbone de la production, elle-même déterminéepar le paramètre ψt, qui incorpore l’effet combiné du changementtechnique et de l’épuisement des ressources fossiles. La valeur ini-tiale ψ0 de ce paramètre est fixée dans l’intervalle [0.5%, 1.5%] et ψtcroît dans le temps pour s’assurer qu’il devienne strictement supé-rieur au taux de croissance de l’économie, et ainsi, que les émissionsdu scénario au fil de l’eau décroissent à partir d’un certain moment.

Les croyances sur les coûts d’abattement sont reflétées dans le prixde la technologie backstop BKt qui est supposée disponible à chaqueinstant t à un prix décroissant dans le temps. Les derniers rapports duGIEC ne délivrent pas directement d’information sur le prix de cettetechnologie mais il est possible de l’extrapoler à partir des donnéessur les coûts d’abattement répertoriés dans la figure 3.25 du rapportIPCC (2007) dont la section utilisée est reproduite à la figure 3. La fi-gure établit une relation entre le prix du carbone en ordonnées et desniveaux de stabilisation des concentrations en CO2 dans l’atmosphèreen 2100. Nous considérons qu’une concentration de 500ppm en 2100

correspond à des niveaux d’abattement de 100% à cette date, et donc,le prix du carbone correspondant est celui de la technologie backs-top. Nous retenons pour ce prix l’intervalle [45$/tCO2 ; 350$/tCO2].En 2010, la littérature donne un prix de la technologie backstop com-pris entre 110$/tCO2 pour les études, de type « bottom up », très op-timistes sur la disponibilité à bas coût des technologies de capture etséquestration du carbone (courbe de coût d’abattement de McKinseypar exemple), et 1200$/tCO2 pour les études plus « économiques »qui doutent de l’existence d’un fort potentiel inexploité de réduc-tion d’émissions à bas coût (Nordhaus, 2008). Nous choisissons ainsiun taux de progrès technique sur les coûts d’abattement qui permetde relier les prix des technologies backstop entre 2010 et 2100, ce qui

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2.1 une cartographie du débat climatique 43

Figure 3: Figure tirée de la figure 3.25 du rapport 2007 du groupe 3 del’IPCC. Elle représente la relation entre le prix du carbone en or-données et des niveaux de stabilisation des concentrations en CO2dans l’atmosphère en 2100. Nous considérons qu’une concentra-tion de 500ppm en 2100 correspond à des niveaux d’abattementde 100% à cette date et donc le prix du carbone correspondantest celui de la technologie backstop. Nous retenons pour ce prixl’intervalle [45$/tCO2 ; 350$/tCO2].

donne un taux de 1% par an pour la valeur basse et un taux de 1.35%par an pour la valeur haute.

En ce qui concerne le taux de préférence pure pour le présent, nousne retenons ici que les deux valeurs polaires [0.1%, 2%] défenduespar les tenants d’une approche normative pour la première et lestenants d’une approche positive pour la seconde. Nous présenteronsen détail plus bas les enjeux de la controverse sur la calibration de ceparamètre.

L’ensemble des combinaisons possibles des valeurs de ces quatreparamètres donne 24 (16) scenarios.

2.1.1.2 Les paramètres climatiques

Le tableau 3 présente les valeurs considérées pour la sensibilitéclimatique et le seuil de hausse de température qui déclenche unsaut dans les dommages. Nous considérons une distribution de cinqniveaux possibles de sensibilité climatique θ2x (1.5 °C, 2.3 °C, 3 °C,3.8 °C, 4.5 °C), 1 et cinq niveaux possibles de points d’inflexion de lafonction de dommages Z (2.0 °C, 2.5 °C, 3.0 °C, 3.5 °C, 4.0 °C) qui sontla marque d’un effet de seuil de hausse des températures. Le dépasse-ment de ces seuils déclenche progressivement, au cours d’une phase

1. Des études récentes préconisent d’intégrer à la distribution des valeurs plusélevées – jusqu’à 7 °C – en leur attribuant des probabilités d’occurrence plus faibles(Roe and Baker, 2007; Weitzman, 2009). La distribution retenue ici se borne à l’inter-valle fourni par le GIEC.

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44 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

Table 3: Les scénarios climatiques possibles. Un état du monde ω est définipar la paire (Z,θ2x). Les distributions q sur Z et q ′ sur θ2x sontsupposées indépendantes de telle sorte que ω = (Zj, θs2x), p(ω) =

qsq′

j and E[f(ω)] = ∑ω p(ω)fω.

Types de croyances Optimiste Modéré Pessimiste

Seuil de hausse de tem-pérature (en °C)

Z1 = 2, Z2 = 2.5, Z3 = 3, Z4 = 3.5, Z5 = 4

Distributions deprobabilités

q1 = 0.02 q1 = 0.1 q1 = 0.55

q2 = 0.03 q2 = 0.25 q2 = 0.3

q3 = 0.1 q3 = 0.3 q3 = 0.1

q4 = 0.3 q4 = 0.25 q4 = 0.03

q5 = 0.55 q5 = 0.1 q5 = 0.02

Dommages espéréspour une hausse destempérature de 2 °C

0.8% duPIB

2% du PIB 3.2% duPIB

Sensibilité climatique(en °C)

θ12x = 1.5, θ22x = 2.3, θ

32x = 3, θ

42x = 3.8, θ

52x = 4.5

Distributions deprobabilités

q ′1 = 0.7 q ′1 = 0.05 q ′1 = 0.02q ′2 = 0.2 q ′2 = 0.15 q ′2 = 0.03q ′3 = 0.05 q ′3 = 0.6 q ′3 = 0.05q ′4 = 0.03 q ′4 = 0.15 q ′4 = 0.2q ′5 = 0.02 q ′5 = 0.05 q ′5 = 0.7

Valeurs espérées de lasensibilité climatique

1.9 °C 3 °C 4.2 °C

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2.1 une cartographie du débat climatique 45

de hausse supplémentaire des températures de 0.6 °C, un dommagetotal de 6% du PIB.

Pour chaque paramètre incertain, trois opinions – définies par unedistribution de probabilité – sont représentées. Une opinion optimiste(pessimiste) sur le seuil de température correspond à une distributionde probabilité qui donne le plus de poids à la valeur la plus haute(la plus basse) du seuil. De la même façon, une opinion optimiste(pessimiste) sur la sensibilité climatique est représentée par une dis-tribution qui donne le plus de poids à sa valeur la plus basse (la plushaute). Ainsi une opinion optimiste sur les dommages et sur la sensi-bilité climatique anticipera une perte de PIB de 0.8% pour une haussedes températures de 2 °C et une sensibilité climatique de 1.9 °C.

L’ensemble des combinaisons possibles des valeurs de ces para-mètres donne 32 (9) scénarios de dommages climatiques. En les com-binant au 16 scénarios socio-économique, nous obtenons 144 scéna-rios intégrés qui couvrent un large espace de visions du monde logi-quement possibles dans le débat climatique 2.

2.1.1.3 Regroupement a priori des visions du monde autour de cinq tribus

En amont du calcul des trajectoires optimales de VSC et d’abat-tement correspondant aux 144 scénarios considérés, des visions dumonde, qui présentent a priori des ressemblances, sont regroupées ausein de « tribus » 3. En analysant le jeu de croyances qui sous-tendchacune des visions du monde, nous distinguons cinq « tribus » dontles membres devraient partager des vues assez proches sur les effortsà réaliser pour relever le défi climatique. L’analyse ex post des résul-tats des simulations (en termes de VSC et d’abattement) confirmeraune convergence de positions entre la plupart des membres d’unemême tribu. Mais nous allons voir qu’elle pointe également quelquesindividus en décalage avec les résultats espérés.

Les caractéristiques de la typologie en cinq « tribus » sont recenséesdans le tableau 4.

La tribu des activistes regroupe des individus qui croient queles dommages du changement climatique seront de modérés àtrès forts, et que les coûts d’abattement sont faibles. Ils valo-risent plus ou moins le présent (0.1% ou 2%) selon que leur

2. Toutes ces combinaisons logiquement possibles ne sont pas cependant égale-ment pertinentes car certains paramètres clés tels que la croissance, les coûts d’abat-tement et le taux de préférence pure pour le présent ne sont pas indépendants. Maisle retrait des combinaisons les moins probables ne modifient pas la forme généraledes résultats. C’est pourquoi nous conservons l’ensemble des scénarios logiquementpossibles.

3. Cette interprétation en termes de tribus s’inspire des travaux de Lave andDowlatabadi (1993) qui distinguent une typologie de quatre positions dans le débatclimatique : celle de Maître Pangloss, celle du Docteur Doom, celle des industriels etcelle des écologistes.

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46 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

Table 4: Regroupement a priori de visions du monde autour de cinq « tri-bus ». La tribu des activistes est composée des individus pour quitoutes les trajectoires d’émissions sont possibles, les coûts d’abat-tement sont faibles, le taux de préférence pure pour le présentpeut être élévé ou faible, les dommages et la sensibilité climatiquespeuvent être de modérés à forts. Chaque tribu est composée de 24

membres sauf celle des modérés qui en compte le double.

Scénariosémis-sions

Coûtsd’abatte-ment

Préférencepurepour leprésent

Dommageset haussedes tempé-ratures

Effectif

ActivistesTous Faible 0.1% Pess / Mod 24

Pess

2% Pess

Pess/Mod

PanglossiensTous Faible 0.1% Opt 24

Opt/Mod

2% Opt/Mod

Opt

Jusqu’auboutistes

Tous Forts 0.1% Pess/Mod 24

Pess

2% Pess

Pess/Mod

SceptiquesTous Forts 0.1% Opt 24

Opt/Mod

2% Opt/Mod

Opt

ModérésTous Tous 0.1% Mod 48

Opt/Pess

2% Mod

Opt/Pess

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2.1 une cartographie du débat climatique 47

opinion sur les dommages et la sensibilité climatique est mo-dérée ou pessimiste. Il est probable qu’étant donné ce type decroyances a priori, ils soient en faveur d’une action forte et pré-coce.

La tribu des Panglossiens, du nom des disciples de l’éterneloptimiste des contes de Voltaire – Maître Pangloss –, est com-posée d’individus optimistes qui sont convaincus que les coûtsd’abattement et les dommages climatiques sont faibles. Poureux, la sensibilité climatique est faible, autour de 2 °C et ils an-ticipent un seuil de température, à partir duquel les dommagesaugmentent fortement, très élevé (4 °C).

La tribu des sceptiques rassemblent ceux qui ne croient pasdans la menace du changement climatique. Un tel changements’il devenait avéré n’aurait dans le pire des cas que des consé-quences modérées Lomborg (2001). Cependant, contrairementaux panglossiens ils sont pessimistes sur les coûts d’abattementet sont donc a priori peu enclins à réaliser des efforts de réduc-tion d’émissions.

La tribu des jusqu’au boutistes réunit des pessimistes radicauxqui anticipent des dommages climatiques potentiellement catas-trophiques et des coûts très élevés pour les éviter. En réactionà un diagnostic aussi sombre, nous pouvons imaginer que ceuxqui valorisent fortement le futur (avec un taux de préférencepure pour le présent faible) seront prêts à défendre une posi-tion « jusqu’au boutiste » car ils sont prêts à se sacrifier pour lesgénérations futures et éviter le dépassement de seuils de tem-pératures dangereux. Tandis que ceux pour qui le futur comptemoins devraient être moins favorables à des sacrifices aussi fortsdès aujourd’hui.

La tribu des modérés enfin fédère des individus qui ont descroyances moins « univoques » sur l’ensemble des paramètres.Ils peuvent être alternativement pessimistes ou optimistes surles dommages et les coûts d’abattement, ou modérés sur lesdeux dimensions, et n’ont pas de vision tranchée sur le poids àaccorder au futur. Ils sont en quelque sorte des « agnostiques »du changement climatique car ils ne prennent pas de positionaussi claire que les membres des autres tribus.

2.1.2 Analyse ex post du comportement des tribus

RESPONSE est calibré avec les 144 « visions du monde » présen-tées plus haut et calcule les 144 programmes d’optimisation corres-pondants. Les couples de résultats (niveaux d’abattement, VSC) sontprojetés dans l’espace du débat climatique en 2020 représenté en abs-cisses par le niveau d’abattement et en ordonnées par la VSC. Chaque

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48 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

0

50

100

150

200

250

−1.2 −1 −0.8 −0.6 −0.4 −0.2 0 0.2 0.4

Val

eur

Soc

iale

du

Car

bone

(U

S$/

tCO

2)

Fraction des abattements par rapport aux emissions de 1990

activistespanglossiens

jusqu’au−boutistessceptiques

modérés

Figure 4: Cartographie du débat climatique en 2020.

point de cet espace est identifié par un symbole propre à la tribu dela vision du monde dont il est issu. La position des membres d’unemême tribu dans le débat climatique apparaît ainsi directement sousla forme d’un nuage d’un même type de points. La figure 4 qui re-présentent l’ensemble des résultats produit une « cartographie » dudébat climatique car elle fournit trois couches d’informations :

1. la limite de l’espace du débat climatique : comme les scénariossont calibrés à partir des valeurs extrêmes des intervalles pré-sentés dans le tableau 2, et grâce à la monotonicité globale dumodèle 4, toutes les positions « raisonnables » du débat clima-tique devraient être contenues dans cet espace de points ;

2. cinq sous-espaces correspondant aux cinq tribus construites àpartir de l’analyse a priori des visions du monde ;

3. une clé de lecture des écarts de positions : les intervalles deVSC et d’abattement qui découlent de cette cartographie sontplus larges que ceux fournis par les rapports du GIEC (qui ex-cluent les valeurs « extrêmes »). Ils sont cependant plus informa-tifs car la structuration des visions du monde en tribus fournitune clé de lecture des écarts de valeurs en associant à chacunedes positions le type de vision de monde qui est susceptible dela générer. Cela permet de dépasser l’impression de « vague »ou d’imprécision que peut suggérer un large intervalle brut, etainsi de remonter aux « causes » de ces écarts.

4. Cette monotonicité est vérifiée pour toutes les visions du monde sauf pourquelques jusqu’au boutistes

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2.1 une cartographie du débat climatique 49

La majorité des activistes se comportent comme prévu et appa-raissent en bas à droite de la cartographie. Ceux qui sont caractériséspar un taux de préférence pure pour le présent faible et une visionpessimiste des dommages peuvent même être considérés comme des« Churchilliens » prêts à n’économiser « ni peine ni larmes » pour at-teindre dès 2020 des niveaux d’abattement de 25%. Leurs efforts per-mettent d’éviter le dépassement du seuil de 2 °C. L’optimisme tech-nologique de l’ensemble de la tribu est cohérent avec des niveaux deVSC modérés à faibles (< $80 /tCO2)

Les panglossiens ne redoutent pas le franchissement des deux pre-miers seuils de températures puisqu’ils associent à ces seuils de faiblesdommages potentiels. Ils font toutefois suffisamment d’efforts pourespérer ne pas dépasser les deux suivants. En dépit des doutes quenous pouvons avoir sur l’interprétation à donner aux visions du mondequi fondent le comportement des panglossiens, nous conservons cessimulations car elles représentent certains réflexes culturels ou mé-diatiques qui consistent à dénigrer le discours des « cassandres écolo-gistes » et à promouvoir l’attentisme dans l’espoir que la technologieapportera dans le futur des solutions à coût nul.

La solution optimale pour les sceptiques consiste à accepter seule-ment un minimum d’efforts d’abattement pour éviter le dépassementdu seuil le plus élevé (4 °C). Ce léger effet de précaution est dû aufait qu’ils n’attribuent pas une probabilité nulle au pire des cas. Ilsconsentent ainsi à payer des VSC allant de 5 à 20$ par tCO2, soit desvaleurs légèrement supérieures à celles des Panglossiens car ils sontplus pessimistes que ces derniers sur les coûts d’abattement.

Il s’avère que les jusqu’au boutistes sont prêts à payer dès 2020 desVSC très élevées jusqu’à $240 /tCO2 pour des niveaux d’abattementqui demeurent relativement bas – en raison de leur pessimisme surles coûts – allant d’une augmentation des émissions par rapport au ni-veau de 1990 de 60% à une réduction de 20%. Ceux qui valorisent peule présent (préférence pure pour le présent faible) et atteignent dès2020 20% de réduction d’émissions ressemblent aux activistes chur-chilliens avec la différence que leurs chances de succès sont faibles, àsavoir qu’il est peu probable qu’ils parviennent à éviter le franchisse-ment du premier seuil de température. Deux individus de cette tribu(situés aux points (-0.85 ; 45) et (-0.23 ; 47)) présentent des niveaux deVSC et d’abattement surprenamment bas. Il se trouve que tous lesdeux valorisent peu le futur et sont doublement pessimistes sur lescoûts et les dommages. Ils se comportent ainsi comme s’ils étaientparalysés par un effet « fin du monde », comme s’ils croyaient qu’unecatastrophe était inéluctable et que la fénêtre d’opportunité pour évi-ter une hausse des températures à des niveaux dangereux était déjàrefermée. Ce phénomène, loin d’être anecdotique, sera analysé en dé-tail dans le chapitre 4 qui montre que le décalage dans le temps du

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50 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

Figure 5: Distributions des résultats sur la VSC en 2020 par tribu

début des efforts d’abattement contribue à diffuser ce type de com-portements et remet en cause la crédibilité de l’objectif des 2 °C.

Sans surprise les visions du monde des modérés conduisent à descomportements d’abattement très disparates allant d’une augmenta-tion de 95% des émissions à une réduction de 17% et à des niveauxde VSC faibles ou modérés (de $3 /tCO2 à $50 /tCO2). Cet espace depositions moyennes délimite un nuage de points qui distingue bienles quatre autres tribus.

2.1.3 Déterminer des intervalles de valeurs : un espace de compromis ?

La figure 4 offre une vue d’ensemble structurée du débat clima-tique et la forme très inégalement distribuée des résultats suggèrequ’un espace de compromis entre tribus sur la VSC peut émerger. Eneffet, des visions du monde fondées sur des croyances sensiblementdifférentes peuvent engendrer des VSC optimales assez proches pourdes raisons différentes.

Les distributions de VSC tribu par tribu présentées à la figure 5

montrent que deux types de coalitions opposées peuvent émerger :– une coalition « moins-disante » des panglossiens au modérés avec

des VSC inférieures à 20$/tCO2 ;– une coalition « mieux-disante » qui irait des modérés au jusqu’au

boutistes avec des VSC comprises entre 20 et 80$/tCO2.Pour aller plus loin que cette appréciation qualitative de la distri-

bution des résultats nous réalisons une analyse de sensibilité plusdense sur les paramètres socio-économiques (cinq valeurs au lieu desdeux valeurs polaires des intervalles présentés dans le tableau 2). Lafigure 6 reproduit la distribution de résultats des 2 304 scénarios quidécoulent de cette densification de l’analyse. La « boîte à moustache »

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2.1 une cartographie du débat climatique 51

050

100

150

200

250

Figure 6: Distributions des résultats sur la VSC en 2020. La boîte à mous-tache indique la valeur médiane, l’intervalle des 25-75 percentiles(la boîte centrale) et celui des 10-90 percentiles (l’extrémité desmoustaches)

offre une image synthétique des principales caractéristiques de cettedistribution. Les résultats sont très concentrés sur la partie basse del’intervalle car la médiane vaut 16.3$ tandis que la valeur la plushaute est 250$. L’intervalle des outliers, soit celui des 90-100 percen-tiles est de loin le plus large de 65 à 250$.

Mais alors comment déterminer un intervalle « opérationnel » deVSC à partir de cette distribution de résultats ? Une possibilité seraitd’attribuer à chaque valeur de paramètre et à chaque combinaison deparamètres un coefficient de probabilité et ainsi de pondérer les poli-tiques climatiques qui en découlent. En principe, trois méthodes sontpossibles : (i) conduire une vaste enquête d’opinion sur un échantillonqui devrait être représentatif à l’échelle du monde, ce qui est difficile-ment réalisable, (ii) mener des études d’économie expérimentale pourmettre au jour des corrélations éventuelles entre croyances et rejeterles combinaisons de croyances qui sont « psychologiquement » inco-hérentes ; mais les résultats de telles expériences sont sujets à des biaisculturels ; (iii) réaliser une analyse de dires d’experts sur la vraisem-blance de telle ou telle combinaisons de croyances ; mais cette optionsoulève un problème de sélection des experts.

Il est difficile de penser qu’aucune de ces méthodes ne soit vrai-ment apte à fournir des informations fiables. C’est pourquoi, de façonpragmatique, nous donnons à chaque vision du monde un poids égalet soutenons qu’une simple analyse statistique descriptive de la distri-

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52 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

bution permet de comprendre la structure de cet espace des possibles.Les résultats de l’analyse sont recensés dans le tableau 5.

Les valeurs moyennes de la VSC sont de 29$/tCO2 en 2020 et de43$ en 2040 alors que les valeurs médianes sont de 16.3$ en 2020 et de25.6$/tCO2 en 2040. La médiane est inférieure à la moyenne à causede l’effet des outliers (au-dessus de 65$ en 2020) qui tirent vers le hautla moyenne. 5

Pour définir des intervalles de VSC opérationnels nous organisonsles résultats autour de différents intervalles qui contiennnent au moins50% des visions du monde. Les intervalles au-dessous ou au-dessusde la médiane définissent respectivement le plus bas et le plus hautintervalle qui contient 50% des visions de monde. Mais l’étirementdu plus élevé et la présence massive de sceptiques et de panglossiensau sein du plus bas rendent ces deux intervalles peut opérants.

Les intervalles les plus étroits qui contiennent 50% des visions dumonde sont [2.3$, 17$] en 2020 et [3$, 26.5$] en 2040. Mais, là encore,la concentration des résultats vers les valeurs basses risque d’accorderun poids disproportionné aux visions du monde qui ne voient pasdans le changement climatique une menace crédible.

C’est pourquoi les intervalles qui regroupent 50% des visions dumonde autour de la moyenne ou de la médiane pour annuler les ef-fets des positions extrêmes sont ceux qui apportent les informationsles plus pertinentes pour fonder un intervalle de compromis. Les in-tervalles des 25 - 75 percentiles sont [8.5$, 36.6$] en 2020 et [11.5$,55.8$] en 2040. Autour de la moyenne ces intervalles deviennent [13$,81$] en 2020 et [19$, 108$] en 2040.

Ces intervalles demeurent cependant très larges. Cela est dû, enpartie, au choix d’attribuer un poids égal à chacune des visions dumonde. Le retrait d’une partie des Panglossiens et des sceptiques, parexemple, pousserait les résultats vers le haut et rétrécirait l’intervalledes 25-75 percentiles. Néanmoins, comme nous l’avons expliqué dansle chapitre précédent, il est illusoire de prétendre révéler la « vraie »VSC à l’aide d’un IAM. L’incertitude irréductible sur les paramètresqui composent une vision du monde se répercute nécessairement surla VSC. Le choix d’une VSC relève in fine de l’état d’un rapport deforce politique et d’un choix au sein d’intervalles raisonnables. Lerôle de l’économiste-modélisateur est alors de faire émerger de telsespaces de choix.

5. Toutes les valeurs sont exprimées en $ 1990, date qui correspond à la premièrepériode d’optimisation de RESPONSE. La traduction de ces valeurs en $ 2013 néces-siterait de multiplier ces valeurs par 1.8 selon les données sur l’inflation mondialefournies par les indicateurs de développement de Banque Mondiale.

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2.2 effets relatifs des composantes des visions du monde 53

Table 5: Statistiques descriptives sur les résultats de VSC en 2020 et 2040.

Valeur sociale du carbone $1990

2020 2040

Moyenne 29 43

Médiane 16.3 25.6

50-100 percentiles [16.3, 250] [25.6, 300]

0-50 percentiles [0, 16.3] [0, 25.6]

50% autour de la moyenne [13, 81] [19, 108]

Intervalle le plus étroit [2.3, 17] [3, 26.5]

25-75 percentiles [8.5, 36.6] [11.5, 56]

2.2 effets relatifs des composantes des visions du monde

La cartographie du débat climatique confirme que l’étendue desdivergences de résultats sur la VSC et les niveaux d’abattement estcohérente avec la diversité des visions du monde « légitimes » quipeuplent le débat. Dans cette deuxième section l’analyse explore l’in-fluence respective de chacune des composantes d’une vision du monde.La controverse qui a suivi la publication du rapport Stern (2006) s’estessentiellement concentrée sur l’effet du taux d’actualisation sur lesrésultats en faisant ainsi resurgir un vieux débat en économie del’environnement. Cette controverse a toutefois largement ignoré l’ef-fet des autres paramètres. L’objectif de cette section est de cernerl’influence respective de chacune des composantes d’une vision dumonde, à savoir le taux d’actualisation, la croissance, le progrès tech-nique, la sensibilité climatique et les dommages. Le point de départde l’analyse est une reformulation de la controverse « Stern/Nord-haus » qui demeure emblématique des débats récents sur les poli-tiques climatiques. Les visions du monde des deux auteurs serventde point de référence à l’analyse.

2.2.1 Au-delà de la controverse sur le taux d’actualisation

2.2.1.1 Actualisation et environnement : histoire d’une longue dispute

Le choix du taux d’actualisation appartient à un vieux débat enéconomie de l’environnement qui porte fondamentalement sur la va-lorisation du futur dans le calcul économique présent. En raison deshorizons temporels inhabituellement longs à prendre en considéra-tion pour évaluer les politiques climatiques, le choix du taux d’ac-tualisation a toujours fait l’objet de vives controverses. En effet, si

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54 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

les dommages climatiques ne deviennent dangereux qu’à partir de lafin du siècle, il apparaît clairement qu’un taux d’actualisation élevé– qui revient à « écraser » le futur –, a de fortes chances de donnerune valeur présente nulle aux dommages futurs, et donc, de minorerla menace climatique. Tandis qu’un taux d’actualisation faible, toutechose égale par ailleurs, donne aux dommages futurs une valeur pré-sente plus importante et favorise des politiques climatiques plus vi-goureuses sur le court terme.

L’objectif ici n’est pas de réaliser une revue exhaustive de la littéra-ture sur le taux d’actualisation mais de présenter les points saillantsde la discussion qui a été réactivée par la publication du rapport Stern(2006). De façon surprenante, la controverse Stern s’est largement fo-calisée sur le paramètre de préférence pure pour le présent en occul-tant des pans entiers des enseignements antérieurs du même débatsur l’actualisation et le changement climatique (Cline, 1992; Schelling,1995; Arrow et al., 1996; Chichilnisky, 1996; Weitzman, 1998; Newelland Pizer, 2003).

l’équation de ramsey La controverse s’articule essentiellementautour de l’équation de Ramsey (r = ρ +αg), qui définit le taux d’ac-tualisation r comme étant la somme d’un effet d’impatience à traversle paramètre de préférence pure pour le présent ρ et d’un effet ri-chesse représenté par le produit de l’élasticité de l’utilité marginalede la consommation α et le taux de croissance de la consommation gle long d’une trajectoire de croissance optimale. Cette formule de réfé-rence séduit par sa simplicité et divise les économistes lorsqu’il s’agitde déterminer la valeur des paramètres ρ et α qui incorporent à la foisdes aspects positifs et normatifs bien mis en évidence par Arrow et al.(1996). Les tenants de l’approche positive considèrent que le choix deces paramètres doit reposer sur l’examen du comportement réel desagents économiques. Tandis que les tenants de l’approche normativeestiment, au contraire, que ce choix relève d’un parti pris éthique surles comportements que devraient adopter les agents économiques.

La calibration des paramètres de cette formule est censée répondreen même temps à trois dilemmes : la répartition des efforts de réduc-tion des émissions entre générations (équité inter-générationnelle), larépartition des efforts au sein d’une même génération (équité intra-générationnelle) et la gestion « économique » du risque climatique.Cette gageure intenable est la source de confusions et de malenten-dus sur le sens de ces deux paramètres clés du taux d’actualisation.

La détermination du paramètre ρ incarne la question intergéné-rationnelle. En s’appuyant sur les travaux développés par Ramsey(1928), Sen (1961), et Solow (1974), Stern soutient que le taux de pré-férence pure pour le présent doit être le plus petit possible. Le seul

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2.2 effets relatifs des composantes des visions du monde 55

argument légitime 6 pour accorder moins de valeur à l’utilité des gé-nérations futures est la possibilité de disparition de l’espèce humainedans le futur. Ainsi le ratio 1

(1+ρ)t devrait s’interpréter comme uneapproximationn de la probabilité d’extinction de l’humanité ce quifait de ρ = 0.1% la valeur la plus pertinente. En effet avec ρ = 0.1%,la probabilité pour que l’espèce humaine survive au cours des 100

prochaines années est de 0.905, alors qu’elle n’est plus que de 0.223

quand ρ = 1.5%, ce qui semble être une hypothèse beaucoup troppessimiste.

Pour W. Nordhaus qui défend l’approche positive, chaque inves-tissement doit être évalué à l’aune de son coût d’opportunité, soit legain attendu d’un investissement sans risque sur les marchés. Celavaut donc pour les investissements publics et les politiques clima-tiques dont l’analyse coûts/bénéfices doit satisfaire le même critèrede retour sur investissement que les projets privés. Il suggère ainsi decalibrer ρ de telle sorte qu’avec une croissance de long terme g = 1.3et α = 2 (dont nous expliquerons la justification plus loin) le tauxd’actualisation soit égal à 4.1% et corresponde aux taux d’intérêts ob-servés sur les marchés. Il choisit ainsi ρ = 1.5% (1.5+ 2× 1.3 = 4.1).

Le débat intergénérationnel ne se limite pas au taux de préférencepure pour le présent. Tout le monde s’accorde pour aligner le tauxsocial d’actualisation sur la croissance de long terme de l’économiecar il paraît légitime que les générations futures plus riches portent lemême fardeau que les générations présentes relativement plus pauvres.Cet argument éthique plaide pour réhausser le taux d’actualisation –dans sa partie « richesse » – jusqu’à égaliser l’impact des politiquesclimatiques sur les biens-être des deux générations, en ajustant doncle paramètre d’élasticité de l’utilité marginale de la consommation.

Mais ce paramètre α fait l’objet de deux autres interprétations. Ilserait (i) un coefficient d’aversion aux inégalités, (ii) un coefficientd’aversion au risque de la société face au changement climatique.

les enjeux distributifs L’interprétation du paramètre α entermes distributifs est empêtrée dans des enjeux inter et intra-générationnelles.Si la courbure de la fonction d’utilité indique quels transferts desriches vers les pauvres seraient acceptables (plus α est élevé plus lestransferts seraient importants), il suffirait alors d’observer les poli-tiques actuelles de redistribution (l’aide au développement par exemple)pour calibrer le paramètre dans son acception intra-générationnelle.Mais dans sa version inter-générationnelle Schelling (1995) et Nord-haus (2008) soulignent que les transferts se font des générations pré-sentes relativement pauvres vers les générations futures relativementplus riches et donc que les transferts existants intra-générationnelsn’ont aucune raison d’être d’une quelconque utilité pour calibrer ce

6. Il existe également un argument purement technique élaboré par Koopmans(1963) pour garantir une stricte positivité au paramètre ρ.

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56 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

transfert inter-générationnel inédit des « pauvres » vers les « riches ».Pour Stern, α = 1 serait cohérent avec des transferts qu’il estime « ac-ceptables » entre générations. Si g = 1.3% alors la société sera 3.6 foisplus riche qu’aujourd’hui dans 100 ans. α = 1 signifie donc que l’uti-lité d’une unité de consommation supplémentaire pour des individusvivant dans 100 ans ne représentera que 1/3.6 l’utilité de la mêmeunité de consommation pour les individus de la génération présente.Dit autrement, le sacrifice d’une unité de consommation par la géné-ration présente doit donc être compensé par une augmentation d’aumoins 3.6 unités de consommation pour la génération future pourêtre satisfaisante. Mais cette notion « d’acceptabilité » des transfertsentre générations ne peut reposer que sur un jugement de valeurde l’analyste et non sur l’observation des transferts pratiqués aujour-d’hui entre riches et pauvres.

Pour résoudre le dilemne de l’équité intergénérationnelle, Chichil-nisky (1996) élabore un critère d’actualisation censé protèger les gé-nérations futures sans sacrifier les générations présentes. Si séduisantqu’il soit, ce critère formel demeure peu utilisable en pratique et dé-place le choix éthique sur le paramètre de pondération entre la partie« utilitariste » du critère qui concerne le présent et sa partie « règled’or » qui porte sur le futur.

Les politiques climatiques n’ayant pas vocation à résoudre à ellesseules les problèmes d’inégalités, Hourcade et al. (2009) préconisentde séparer le traitement des aspects redistributifs de la fixation dutaux d’actualisation et de recentrer le débat distributif sur le recoursou non à des coefficients de Negishi pour agréger les utilités indivi-duelles dans la fonction de bien-être social.

l’interprétation assurantielle Quand à l’interprétation entermes d’aversion au risque, elle est utilisée par Gollier (2006) etWeitzman (2007) pour contester l’hypothèse retenue par Stern α = 1

qui serait incompatible avec les primes de risques observées sur lesmarchés de l’assurance. Souscrivant à l’approche positive pour la dé-termination de ce paramètre, ils préconisent ainsi α ∈ [1;4]. Nordhaus(2008) se fonde sur un argument de même nature pour fixer α = 2.Dans la théorie de l’espérance d’utilité (Von Neumann et al., 2007)la courbure de la fonction d’utilité est aussi interprétée comme uncoefficient d’aversion au risque.

Mais, dans le cas des politiques climatiques, cela revient à confondrel’utilité marginale d’un revenu le long d’une trajectoire de croissanceoptimale soumise à une menace climatique, avec l’utilité/désutilitéd’un gain ou d’une perte dans une lotterie pour un individu dotéd’un fonction d’utilité de type Von Neumann - Morgenstern. Ainsil’aversion au risque qu’éprouve un individu à participer à une lotte-rie ne dit rien sur l’arbitrage auquel est confrontée une société entre :

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2.2 effets relatifs des composantes des visions du monde 57

(i) une trajectoire de croissance intensive en carbone avec revenusespérés relativement plus élevés mais à forte variance ;

(ii) une trajectoire sobre en carbone aux revenus relativement plusfaibles mais certains.

Le rapprochement de ces deux situations qui se présentent commedeux problèmes analogues (un individu face à une lotterie et le plani-ficateur bienveillant face à la menace climatique) ont conduit Manneand Richels (1992) et Weitzman (2012) à interpréter le choix d’unepolitique climatique comme un problème d’assurance. Mais une telleanalogie ne doit pas être comprise trop littéralement. Si la connais-sance de l’aversion au risque d’un individu permet de calculer laprime d’assurance adaptée pour faire face à un aléa clairement identi-fié, la projection de cette même donnée d’aversion au risque à l’échelled’une société confrontée à la menace climatique – par définition in-certaine et non assurable – ne dit pas comment proportionner la po-litique climatique de façon à s’assurer convenablement contre cettemenace. Une politique de transition bas carbone ambitieuse repré-sente une stratégie de précaution contre le changement climatique,en en limitant le développement, mais en aucun cas une assurance.A la différence du paiement d’une prime d’assurance par un indi-vidu, les choix d’investissement induits par les politiques climatiquesd’une société peuvent engendrer des effets macro-économiques nonnégligeables et ainsi affecter la trajectoire même de croissance g.

Ainsi les interprétations du paramètre α en termes d’aversion à l’in-égalité ou d’aversion au risque doivent être maniées avec précaution.S’en tenir à la définition plus formelle et mécanique d’élasticité del’utilité marginale de la consommation a le mérite de souligner l’as-pect irréductiblement arbitraire du choix de ce paramètre qui dépendde la forme fonctionnelle retenue pour la fonction d’utilité. Pour sor-tir de la distinction entre approche normative et positive, Hourcadeet al. (2009) soulignent que si le modèle de croissance utilisé prétenddécrire des états du monde raisonnablement crédibles, la détermina-tion de ρ ne peut, pour des raisons de cohérences des projections decroissance et d’évolution de l’épargne, être complétement indépen-dante du choix de α et vice versa. Ainsi, si le choix d’un des deuxparamètres repose sur un parti pris normatif alors le choix de l’autreparamètre ne pourra pas seulement être guidé par des considérationséthiques mais aussi par des considérations de cohérence et de réa-lisme du modèle sous-jacent.

quel taux d’actualisation pour quelle analyse coûts bé-néfices ? La distinction entre approche positive et approche nor-mative en masque une autre, tout aussi fondamentale, portant surl’impact macroéconomique du projet ou de la politique passés aucrible de l’analyse coût-bénéfice. Si cet impact est marginal, c’est-à-dire que le projet n’affecte pas la croissance potentielle de l’économie,

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58 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

alors il est légitime de mesurer son coût d’opportunité à l’aune d’untaux de marché qui reflèterait la performance moyenne d’investisse-ments comparables. En revanche, si le projet a un effet macroécono-mique non négligeable, tel qu’il peut affecter le taux « g » de la for-mule de Ramsey (et cela peut être le cas de grands projets d’investisse-ments publics dans des infrastructures de transport ou de productiond’énergie), alors la mesure du coût d’opportunité du projet à l’aunedes taux de rentabilité observés sur des projets à impact marginal n’aplus de sens. Le choix du taux d’actualisation doit alors refléter uneétude prospective de la croissance économique et non coller à un tauxde marché – dont l’unicité est par ailleurs largement fictive.

Cette distinction se trouve au cœur de rapports d’expertise sur lebon taux d’actualisation à appliquer au calcul économique public.Après avoir été fixé depuis le début des années 1980 en France à 8%,le rapport Lebègue (Lebègue, 2005) révise à la baisse ce taux : 4% surles trente premières années et décroissance progressive ensuite pouratteindre une valeur légèrement supérieure à 2 au bout de 500 ans 7.Ces taux sont voués à être révisés tous les cinq ans sur la base d’undiagnostic prospectif sur les évolutions de la croissance potentielle.Le rapport Gollier (Gollier, 2012) poursuit ces travaux en discutantl’intégration du risque des projets dans le calcul économique public.Le taux d’actualisation public peut intégrer une analyse des risquesmacroéconomiques (effet sur g) mais ne doit pas se substituer à uneanalyse spécifique du risque du projet, surtout pour les projets quis’inscrivent à la marge d’une trajectoire de croissance.

trajectoire de long terme du taux d’actualisation En-fin, de vifs débats portent également sur la constance ou la décrois-sance – ou encore la forme hyperbolique – dans le temps du tauxd’actualisation. Un taux d’actualisation constant et relativement élevéa toutes les chances d’écraser considérablement le poids des dom-mages climatiques futurs, et ainsi, de manquer ce qui pourrait êtreune source majeure d’incertitudes et de perturbations sur l’évolutionde la croissance économique de long terme. Dans le même temps,toute modification du taux d’actualisation dans le temps a été stigma-tisée pendant longtemps par la théorie économique comme étant lereflet d’une incohérence temporelle qui enfreint le principe de stabi-lité des préférences intertemporelles.

La possibilité d’un taux décroissant dans le temps se fonde aujour-d’hui sur deux types de justifications. Une justification théorique estapportée par Weitzman (1998, 2001); Newell and Pizer (2003); Arrowet al. (2013) qui montrent que l’incertitude sur la croissance écono-mique future et donc sur la chronique du taux d’actualisation conduità choisir, pour des dates très lointaines, le taux d’actualisation qui

7. A titre de comparaison la taux d’actualisation public est fixé à 3% en Alle-magne et 3.5% en Grande Bretagne.

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2.2 effets relatifs des composantes des visions du monde 59

correspond au pire scénario de croissance et donc le taux le plus baspossible. Ils en déduisent une chronique globalement décroissantedans le temps pour le taux d’actualisation. Dans la même lignée Das-gupta et al. (1999) établit que si l’externalité climatique affecte néga-tivement la croissance économique de long terme alors le taux sociald’actualisation doit s’en trouver réduit également. D’autre part, desrésultats issus de l’économie expérimentale (Kahneman and Tversky,1979; Frederick et al., 2002; Harris and Laibson, 2001) révèlent queles individus internalisent dans leur décision économique des tauxd’actualisation hyperboliques, donc décroissants dans le temps. Il estainsi légitime que le choix d’un taux d’actualisation pour le calculéconomique public prenne en considération ces avancées de la théo-rie économique.

Dans la suite du chapitre, la façon dont nous représentons la contro-verse Stern/Nordhaus sur le taux d’actualisation est loin de recoupertoutes les facettes de ce débat majeur et se concentre sur le choix dutaux de préférence pure pour le présent.

2.2.1.2 La controverse Stern/Nordhaus revisitée

La controverse Stern/Nordhaus ne peut se réduire à une opposi-tion sur des taux de préférence pure pour le présent comme pourraitle suggérer les nombreux commentaires qui ont suivi la publicationdu rapport Stern (Dasgupta, 2007; Nordhaus, 2007; Weitzman, 2007;Yohe and Tol, 2007). Il faut considérer un ensemble de paramètresplus grand (taux d’actualisation, croyances sur la croissance future,sur l’ampleur des dommages climatiques, sur le progrès technique,sur les coûts d’abattement) pour saisir l’origine des différences derésultats sur la VSC et le niveau d’abattement entre les deux auteurs.

L’analyse de la calibration des modèles DICE et PAGE pointe troisdifférences majeures entre les visions du monde de Stern et de Nord-haus : le taux de préférence pure pour le présent, les coûts d’abatte-ment et la sensibilité climatique. Nous intégrons ces différences dansRESPONSE de la façon suivante :

préférence pure pour le présent Le taux d’actualisation vaut4.1% chez Nordhaus et 1.4% chez Stern’s (avec un même taux decroissance de long terme égal à 1.3%). Comme RESPONSE uti-lise une fonction d’utilité logarithmique, l’élasticité de l’utilitémarginale de la consommation α vaut 1 (comme dans PAGE)au lieu de 2 comme dans DICE. Pour retrouver alors le mêmetaux d’actualisation total que dans DICE nous augmentons letaux de préférence pure le présent jusqu’à 2.8. Cette opérationest justifié par Nordhaus (2008) qui affirme que différentes cali-brations de ρ et α sont possibles tant qu’elles conduisent in fineau même taux d’actualisation 8.

8. Bien que cette opération soit arithmétiquement correcte, il ne faut pas oublierque ces deux paramètres renvoient à des réalités différentes.

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60 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

coût d’abattement Les coûts d’abattement tels qu’ils sont dé-finis par Nordhaus peuvent être directement intégrés à RES-PONSE. Comme Nordhaus (2008) le suggère nous prenons BK =

$1, 200 /tCO2 en 2005 et un taux annuel de progrès techniqueγ = 0.25% sur les 100 prochaines années de telle sorte que le coûtde la technologie backstop en 2100 soit de $950 /tCO2. Comme lafonction d’abattement est une fonction puissance dans DICE quin’intègre pas de partie linéaire, nous choisissons un ζ nul. Pourla calibration des coûts à la Stern, nous prenons le même niveaude prix initial de la technologie backstop BK = $1, 200 /tCO2 en2005 et calibrons les deux autres paramètres de progrès tech-nique exogène sur les technologies d’abattement(γ) et coût dela première unité d’abattement (ζ) de telle sorte que le coûtmoyen des efforts d’abattement corresponde aux informationsde coûts moyens en 2015 et 2050 fournies dans Stern (2006). Lecoût moyen MC s’écrit comme la ratio entre le coût total desabattements et le volume global des émissions évitées :

MC(At) =Ca(At)

At=

1

(1+γ)t−t0(ζ+ (BK− ζ)

Aν−1t

νE1−νt ) .

(2.2.1)

Comme l’abattement At est une fraction des émissions poten-tielles Et, nous pouvons remplacer At par atEt, avec at le ni-veau relatif d’abattement exprimé comme une fraction des émis-sions potentielles, ce qui siginifie que a ∈ [0, 1]. Donc le coûtmoyen s’écrit :

MC(At) =1

(1+γ)t−t0(ζ+ (BK− ζ)

aν−1t

ν) .

Nous résolvons ensuite un système de deux équations à deuxinconnues, sachant que pour Stern le coût moyen d’abattement(MC(At)) décroît de $61 /tCO2 en 2015 pour un niveau d’abat-tement (at) de 7.5% à $22 /tCO2 en 2050 pour un niveau d’abat-tement de 75%. Nous obtenons ainsi un taux annuel de progrèstechnique γ = 0.0522 et le coût de la première unité abattueζ = $101 /tCO2 en 2005. Ces résultats correspondent à une vi-sion très optimiste du progrès technique par rapport à W. Nord-haus qui permettrait une baisse des coûts d’abattement de plusde 5% par an.

sensibilité climatique Pour la vision du monde à la Nordhaus,la calibration est facile car l’auteur choisit explicitement unesensibilité climatique de 3 °C. Pour déterminer la sensibilité cli-matique à la Stern, nous retenons l’intervalle du scénario, ap-pelé « high+ », qui va de 2.4 °C à 5.4 °C. La seule informationdont nous disposons sur la distribution des valeurs sur cette

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2.2 effets relatifs des composantes des visions du monde 61

Table 6: Les trois variables qui distinguent les visions du monde de Sternet de Nordhaus

Nordhaus Stern

Préférencepurepour le pré-sent

ρ = 2.8% ρ = 0.1%

Coût d’abatte-ment en 2005

BK = $1, 200 /tCO2 avecun faible taux annuelde décroissance (γ =

0.25%) et un coût mar-ginal intial nul ζ =

$0 /tCO2

BK = $1, 200 /tCO2 avecun fort taux annuel dedécroissance (γ = 5.22%par an) et un coûtmarginal initial ζ =

$101 /tCO2

Sensibilitéclimatique

ϑ =3 °C ϑ =4 °C

intervalle est que le mode est 3.5 °C et qu’il y a 20% de chancepour que la sensibilité climatique soit supérieure à 5 °C. Nousinférons de ces informations une sensibilité climatique espéréede 4 °C. Une sensibilité climatique plus élevée conduit à deshausses de température plus élevées et donc des dommagesplus importants pour un même niveau d’émissions. Dans unscénario d’émissions au fil de l’eau, les dommages atteignent4% du PIB en 2100 avec la calibration à la Stern et seulement2.5% du PIB avec la calibration à la Nordhaus. Cette différenceest intégralement due à la divergence d’opinion sur la sensibi-lité climatique.

Pour rendre compte des différences entre les résultats de Stern etde Nordhaus, nous calibrons RESPONSE avec les jeux de paramètresprésentés dans le tableau 6. L’obejctif de notre démarche n’est pasde reproduire exactement les résultats de Stern et de Nordhaus maisplutôt d’apprécier, dans un même cadre d’analyse, l’influence relativede ces deux visions du monde emblématiques sur les résultats 9.

9. En fait, la calibration à la Stern donne des résultats assez proches des recom-mandations de Stern en termes de VSC et de trajectoire d’abattement, mais la calibra-tion à la Nordhaus tend à sous-estimer les recommandations de Nordhaus par unfacteur 2. Cela est principalement dû à une différence dans la forme de la fonctionde dommage entre DICE et RESPONSE

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62 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

2.2.1.3 Une décomposition graphique de l’effet des composantes des visionsdu monde

Les figures 8 et 7 présentent les résultats de huit trajectoires op-timales de VSC et d’abattement sur la période 2010-2130, issues dela calibration de RESPONSE avec des jeux de paramètres correspon-dant aux visions du monde de Stern et de Nordhaus, ainsi qu’aux sixautres combinaisons possibles des trois paramètres qui sont au cœurde la controverse, le taux de préférence pure pour le présent, les coûtsd’abattement et la sensibilité climatique.

Afin de reconnaître facilement le jeu de paramètres qui sous-tendune vision du monde donnée, nous utilisons le code graphique pré-senté dans le tableau 7. Les ronds correspondent à une hypothèsede sensibilité climatique basse, tandis que les triangles indiquent unesensibilité climatique élevée. Les formes pleines (rond ou triangle)représente un taux de préférence pure pour le présent faible et lesformes vides un taux de préférence pure pour le présent élevé. En-fin, des ronds ou triangles reliés par des traits suggèrent un progrèstechnique rapide. En l’absence de trait le progrès technique est lent.

Table 7: Code graphique utilisé dans les figures 7 et 8

rond (○ or ●) Sensibilité climatiquebasse

triangle (▴ or ▵) Sensibilité climatique éle-vée

plein (● or ▴) ρ faible

vide (○ or ▵) ρ élevé

trait (-○- or -▵-) Progrès technique rapide

sanstrait

(○ or ▵) Progrès technique lent

Les profils des trajectoires d’abattement de Stern et Nordhaus dif-fèrent radicalement. Le sentier optimal dans le scénario Stern conduità décarboniser l’économie entre 2020 et 2070. Dans le scénario Nord-haus, en revanche, il est optimal d’adopter une approche beaucoupplus graduelle en enclenchant des efforts modérés dès 2010 (16%d’abattement) qui n’augmentent que très lentement au cours du siècle(25.5% en 2130).

L’analyse des six autres scénarios issus de la combinaison des jeuxde paramètres de Stern et de Nordhaus permet de décomposer l’im-pact de chacune des composantes d’une vision du monde. En effet,en partant de la trajectoire de Stern (triangles pleins avec traits) ilapparaît clairement que la hausse du taux de préférence pure pour

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2.2 effets relatifs des composantes des visions du monde 63

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

2000 2020 2040 2060 2080 2100 2120 2140

Abattement

Nordhaus

Stern

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

2000 2020 2040 2060 2080 2100 2120 2140

Abattement

Figure 7: Trajectoires optimales d’abattement sur la période 2010-2130. Lecadran du haut compare seulement les deux trajectoires de Stern(triangles pleins avec traits) et de Nordhaus (ronds vides sanstrait), tandis que le cadran du bas compare les huit scénarios pos-sibles.

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64 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

0

20

40

60

80

100

120

140

160

2000 2020 2040 2060 2080 2100 2120 2140

VSC

Nordhaus

Stern

0

20

40

60

80

100

120

140

160

2000 2020 2040 2060 2080 2100 2120 2140

VSC

Figure 8: Trajectoires optimales de VSC sur la période 2010-2130. Le cadrandu haut compare seulement les deux trajectoires de Stern (tri-angles pleins avec traits) et de Nordhaus (ronds vides sans trait),tandis que le cadran du bas compare les huit scénarios possibles.

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2.2 effets relatifs des composantes des visions du monde 65

le présent et/ou la baisse de la sensibilité climatique ne change pasqualitativement la forme de la trajectoire optimale d’abattement. Unedécarbonisation totale de l’économie est toujours atteinte au coursd’une période de 50 ans, mais la date du début des efforts d’abat-tement est décaler à 2050 quand le taux de préférence pure pour leprésent (ρ) est élevé et la sensibilité climatique (ϑ) est faible.

La trajectoire est considérablement modifiée, en revanche, lorsqueles croyances sur les coûts d’abattement changent. Dans tous les scé-narios avec progrès technique lent, des efforts d’abattement modéréssont réalisés dès 2010 et augmente graduellement dans le temps. ρ etϑ n’affectent que le niveau initial des efforts. Plus ρ est élevé plus ceniveau est bas, plus ϑ est élevé plus ce niveau est haut. Sans surprise,un taux de préférence pure pour le présent élevé a tendance à réduirele niveau des efforts de réduction d’émission tandis qu’une sensibilitéclimatique forte incite à augmenter ces efforts.

En ce qui concerne la VSC, toutes les trajectoires sont strictementcroissantes. L’interprétation du scénario à la Nordhaus est évidente.La VSC suit une trajectoire croissante dans un intervalle de valeursrelativement basses allant de $5 /tCO2 en 2010 jusqu’à $14.5 /tCO2en 2130. Ces résultats sont cohérents et « symétriques » avec sa tra-jectoire d’abattement très graduelle. Dans le cas Stern, la VSC partd’un niveau plus élevé $45 /tCO2 en 2010 et croît à une vitesse plusrapide jusqu’à $103 /tCO2 en 2130. Remarquons que la VSC est po-sitive entre 2010 et 2030 alors que l’abattement est nul au cours decette même période. Cela est dû au fait qu’au cours de cette périodela VSC est inférieure au coût marginal d’abattement ζ > VSC. Quandla décarbonisation est totale la VSC continue à être déterminée par ledommage marginal d’une émission de CO2Quant aux autres scéna-rios, il s’avère que les coûts d’abattement n’ont pas d’influence sur laforme de la trajectoire de VSC, tandis que plus ρ est élevé plus la VSCest basse et plus ϑ est élevé plus la VSC est élevée pour les mêmesraisons que le niveau d’abattement.

Les principaux résultats qui émergent des figures 7 et 8 sont :

1. le progrès technique sur les coûts d’abattement a une influencecruciale sur les trajectoires d’abattement ; avec un progrès tech-nique lent, le niveau d’abattement n’excéde pas 55% d’ici 2130,tandis qu’avec un progrès rapide, la décarbonisation totale del’économie est toujours atteinte avant 2130 ;

2. le taux de préférence pure pour le présent affecte fortement laVSC ;

3. les croyances sur la sensibilité climatiques ont un effet à la foissur la VSC et sur le niveau d’abattement ;

4. pris isolément, aucun de ces trois paramètres ne peut rendrecompte de l’intégralité des différences de résultats entre visionsdu monde.

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66 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

A première vue, il peut sembler qu’un scénario à la Nordhaus avecun taux de préférence pure pour le présent à la Stern conduise à desrésultats très proches de ceux de Stern en termes de VSC, puisquela VSC croît alors de $36 /tCO2 en 2010 à $95 /tCO2 en 2130, ce quicorroborerait l’idée d’une influence critique du choix de taux de pré-férence pure pour le présent sur les résultats. Cependant, de telles va-leurs de VSC, si proches soient elles de celles de Stern, ne permettentpas de confondre les positions des deux auteurs car elles sont asso-ciées à des niveaux d’abattement radicalement différents et donc lesrésultats deviennent très proches pour des raisons fort différentes.En effet, dans le scénario Nordhaus avec ρ faible, les abattements at-teignent à peine 50% en 2130, tandis que la décarbonisation totale del’économie est atteinte, dans le scénario Stern, dès 2070. De façon sy-métrique, le changement du taux de préférence pure pour le présentdans le cas Stern a un effet radical sur la VSC qui tombe dans l’inter-valle [$7 − 20 /tCO2], tandis que la trajectoire d’abattement demeurepresque inchangée, avec cependant un décalage de 30 ans du débutdes efforts d’abattement.

En résumé, cette analyse suggère qu’une politique climatique nepeut être simplement déduite d’un indicateur tel que la VSC, ou d’unparamètre seul, tel que le taux de préférence pure pour le présent. Endépit de l’effet important de ce dernier sur la VSC, il ne résume pas, àlui seul, l’ambition de la politique climatique à mettre en œuvre. Il n’ya pas ainsi de relation mécanique entre un faible taux d’actualisationpar exemple et une politique climatique vigoureuse et précoce. Cen’est qu’à partir de l’analyse de l’ensemble des paramètres d’une vi-sion du monde qu’il est possible de comparer des recommandationspolitiques différentes.

2.2.2 Mesurer l’influence des composantes des visions du monde

Il s’agit désormais d’aller au-delà de cette approche graphique ap-pliquée à la controverse Stern/Nordhaus pour mesurer l’effet quan-titatif de chacune des composantes d’une vision du monde sur laVSC et le niveau d’abattement. Aux trois paramètres sur lesquels re-posaient les divergences entre Stern et Nordhaus, s’ajoutent la crois-sance de long terme et l’ampleur des dommages pour compléter unevision du monde.

Pour mesurer ces effets, nous appliquons un modèle économétriquelinéaire sur une grille de résultats issue d’une analyse de sensibilitésur les valeurs des paramètres clés d’une vision du monde recensésdans le tableau 8

10

Les valeurs extrêmes des intervalles de valeurs ont été fixées en sefondant sur : (i) la controverse Stern/Nordhaus pour la préférence

10. Les six paramètres prenant cinq valeurs chacun, l’analyse de sensibilité permetde couvrir 15 625 scénarios.

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2.2 effets relatifs des composantes des visions du monde 67

pure pour le présent, la vitesse du progrès technique sur les coûtsd’abattement et le coût marginal initial d’abattement ; (ii) les infor-mations fournies par le rapport du GIEC pour la croissance de longterme et la sensibilité climatique, la valeur supérieure reposant ellesur des études plus récentes qui suggèrent de considérer des distri-butions plus étendue avec des valeurs de sensibilité climatique allantjusqu’à 6 °C(Roe and Baker, 2007) ; (iii) l’idée que les dommages sontincertains et qu’il est « raisonnable » de considérer un spectre de dom-mages allant de 1% à 10% du PIB (en jouant sur le paramètre d’échelleχ de la fonction de dommages.

Table 8: Analyse de sensibilité sur les composantes d’une vision du monde

Croissance (g) 1% - 2.1%

Préférence pure pour le présent (ρ) 0.1% - 2.8%

Sensibilité climatique (ϑ) 2 °C - 6 °C

Dommages (χ) 0.00116 - 0.00452

Coût marginal initial (ζ) $0 /tCO2 -$229 /tCO2

Vitesse du progrès technique (γ) 0.25% - 5.22%

A partir de la grille de résultats, nous estimons deux équationsde régression pour la VSC et le niveau d’abattement à l’aide de laméthode des moindres carrés ordinaire. Ces équations se composentde six variables explicatives qui sont les six composantes d’une visiondu monde. A chaque instant t ces équations s’écrivent :

SCCt = β0t +β1tg+β2tρ+β3tϑ+β4tχ+β5tζ+β6tγ,

et

Abatt = α0t +α1tg+α2tρ+α3tϑ+α4tχ+α5tζ+α6tγ,

avec αi et βi les coefficients de régression.La forme linéaire de ces deux modèles est satisfaisantes. En té-

moignent les très hauts niveaux de vraisemblance du modèle avecdes R2, calculés à chaque instant t, compris entre 0.54 et 0.90. La fi-gure 9 montre toutefois que la valeur des R2 n’est pas constante dansle temps. Pour l’abattement, le R2 est à son plus bas niveau en 2010

(0.54), puis atteint son plus haut niveau en 2070 (0.90) et finalementdécroît légèrement jusqu’à 0.78 en 2130. Pour la VSC le R2 est plu-tôt constant jusqu’en 2050 autour de 0.7, puis décroît jusqu’à 0.56 en2130.

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68 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

0,00

0,10

0,20

0,30

0,40

0,50

0,60

0,70

0,80

0,90

1,00

2010 2030 2050 2070 2090 2110 2130

R²_abat R²_scc

Figure 9: Evolution du R2 des estimations de Abat et de SCC sur la période2010 - 2030

Les deux équations passent avec succès les tests de robustesse sta-tistique. Les coefficients de régressions αi et βi sont tous significati-vement non nuls. Les t-stats sont hautement siginificatifs. Ces deuxtypes de tests statistiques sont suffisants pour les besoin de notre ana-lyse. Tous les calculs ont été réalisés avec le logiciel économétriqueGRETL (Cottrell and Lucchetti, 2011).

Nous dérivons ensuite des coefficients αi et βi à chaque date, lesélasticités au point moyen correspondante de la VSC et des abatte-ments ηi et µi selon la formule établie par Greene (2011) :

ηi = αixi

SCC,

et

µi = βixi

Abat,

avec xi la moyenne de la variable explicative considérée xi, et SCCet Abat la moyenne des variables à expliquer à chaque date 11.

Nous interprétons ces élasticités comme un bon indicateur de l’in-fluence respective des six variables explicatives sur la VSC et surl’abattement. Les résultats d’élasticités se lisent de la façon suivante :

11. Remarquons qu’un modèle log-linéaire aurait permis d’interpréter directementles coefficients de régression comme des élasticités. Mais comme certains scénariosdonnent des valeurs nulles pour l’abattement en début de période, la form log-linéaire n’était pas appropriée.

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2.2 effets relatifs des composantes des visions du monde 69

-1,5

-1,0

-0,5

0,0

0,5

1,0

1,5

2010 2020 2030 2040 2050 2060 2070 2080 2090 2100 2110 2120 2130

γ ρ g ζ χ ϑ

Figure 10: Elasticités au point moyen de l’abattement de 2010 à 2130

une élasticité de -0.68 en 2040 pour le paramètre ρ, par exemple, signi-fie qu’une hausse de 1% de la préférence pure pour le présent induitune baisse de 0,68% de la VSC en 2040

Les profils temporels des élasticités sur la période 2010 - 2130 sontprésentés dans les figures 10 et 11.

Nous remarquons que la vitesse du progrès technique a un effetopposé sur la VSC et sur l’abattement, légèrement baissier sur la pre-mière et fortement haussier sur le second. La préférence pure pourle présent et la sensibilité climatique ont respectivement un impactnégatif et positif sur les deux variables d’intérêt.

Sur la période 2010 - 2130, ces trois paramètres ont une influencecroissante sur le niveau d’abattement qui atteint son maximum en2040 pour la préférence pure pour le présent et la sensibilité clima-tique, et en 2070 pour le progrès technique. A partir de 2060, l’effetdu progrès technique devient prépondérant. La figure 10 montre éga-lement qu’à partir de 2050 l’influence du progrès technique et de lasensibilité climatique l’emporte sur celle du taux de préférence purepour le présent. Il apparaît également que χ et g ont une influencenon négligeable qui croît respectivement jusqu’en 2040 et 2050.

En ce qui concerne l’effet sur la VSC, la figure 11 met au jour desrésultats de forme différente car les courbes d’élasticités sont toutesplates, exceptée celle associée à la croissance économique de longterme qui est strictement croissante dans le temps et finit par être laplus importante à partir de 2090 (avec une élasticté de 1.4). Le progrèstechnique a une influence beaucoup plus faible sur la VSC que surl’abattement (avec une élasticité de −0.07). Comme pour l’abattement,la sensibilité climatique et la préférence pure pour le présent ont des

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70 révéler l’effet des « visions du monde » sur les politiques climatiques

-1,5

-1,0

-0,5

0,0

0,5

1,0

1,5

2010 2020 2030 2040 2050 2060 2070 2080 2090 2100 2110 2120 2130

γ ρ g ζ χ ϑ

Figure 11: Elasticités au point moyen de la VSC de 2010 à 2130

effets opposés sur la VSC, l’effet de la première étant plus fort (avecune élasticité autour de 1) que celui de la seconde (avec une élasticitéautour de −0.7).

Dans les deux cas, le résultat le plus frappant est que l’influencedu taux de préférence pure pour le présent n’est pas prépondéranteet se trouve même dominée par celle de la croissance économique,de la sensibilité climatique, du progrès technique et de l’ampleur desdommages 12.

Cela représente un argument quantitatif supplémentaire pour nuan-cer le rôle du taux d’actualisation dans la définition des politiquesclimatiques.

2.2.3 Conclusion

Ce chapitre nous a permis de clarifier les origines possibles de lagrande disparité des résultats sur la VSC et des recommandations depolitiques climatiques qui se situe au cœur des « visions du monde »du débat climatique. Il apparaît ainsi clairement que les larges inter-valles de valeurs qui sont discutés dans la littérature sont cohérentsavec des opinions divergentes sur des paramètres clés du calcul.

Pour certains de ces paramètres tels que le taux de préférence purepour le présent, la croissance de long terme, les dommages, l’incer-titude peut demeurer irréductible car aucun argument scientifiquedécisif ne pourra jamais trancher le débat. Pour ceux qui portent sur

12. L’élasticité du coût marginal d’abattement initial ζ est soit proche de zéro dansle cas de la VSC soit décroissant dans le cas de l’abattement en raison du progrèstechnique

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2.2 effets relatifs des composantes des visions du monde 71

les coûts d’abattement et le progrès technique, les découvertes tech-nologiques et les retours d’expérience peuvent apporter dans le futurdes informations plus précises sur la « vraie » valeur de ces para-mètres. Le cas de la sensibilité climatique demeure un peu à partcar les progrès de la connaissance sur cet objet semblent approfondirl’incertitude qui l’entoure. L’intervalle des valeurs « raisonnables » desensibilité s’élargit en effet avec le temps.

De façon plus fondamentale ce paramètre interroge la capacité del’entendement humain à comprendre un phénomène inobservable,qui se réalisera dans le futur mais dont la connaissance ex ante estcruciale pour anticiper au mieux les effets du changement climatique.Ce phénomène relève par définition d’une expérience unique – lechangement climatique – qui n’envoie aujourd’hui que des signauxde faibles intensité qu’il est difficile d’interpréter autrement qu’à tra-vers des distributions de probabilité subjectives.

La relecture de la controverse Stern/Nordhaus, au-delà du seul dé-bat sur le taux d’actualisation, a fourni l’occasion de démêler, d’abordgraphiquement, l’effet relatif des paramètres constitutifs d’une visiondu monde sur la VSC et sur les trajectoires d’abattement. Puis l’ana-lyse statistique des résultats d’une large analyse de sensibilité a per-mis de mesurer, et donc de hiérarchiser, ces effets relatifs en prenantcomme indicateur l’élasticité de la VSC (ou des abattement) aux dif-férents paramètres. En ce qui concerne la VSC, le taux de préférencepure pour le présent a un effet moins important que le paramètre desensibilité climatique et que le taux de croissance de long terme. Pourles abattements, l’influence du taux de préférence pure pour le pré-sent est supplantée par celle des paramètres de sensibilité climatique,d’ampleur des dommages, de progrès technique et de croissance delong terme.

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3R É V É L E R L’ E F F E T D E S C H O I X D U M O D É L I S AT E U RS U R L E S P O L I T I Q U E S C L I M AT I Q U E S O P T I M A L E S

Après avoir exploré la piste des visions du monde comme sourced’explication des différences de résultats rencontrées dans la litté-rature sur la VSC, nous pénétrons dans ce chapitre au cœur des« formes fonctionnelles » des IAMs qui constituent l’architecture desmodèles intégrés et définissent quels effets plutôt que tels autres sontreprésentés. Ces choix de modélisation paraissent plus techniquesque les opinions scientifiques et politiques qui s’expriment sur lescomposantes d’une « vision du monde », car ils sont souvent laissés àla discrétion des modélisateurs. Or, de tels choix ne sont pas neutreset façonnent l’éventail des préconisations politiques possibles qui dé-coulent du modèle.

L’objectif de ce chapitre est de mettre au jour et d’évaluer une autresource de divergences de résultats qui se logerait dans les « formesfonctionnelles » des IAMs. Nous montrons ainsi que certaines formesfonctionnelles favoriseraient une position gradualiste, tandis que d’autresencourageraient à la précaution par des politiques climatiques plusvigoureuses et plus précoces.

La controverse sur la « when flexibility » s’est principalement construitepar ajout successif d’effets modélisés tels que l’inertie dans les inves-tissements bas carbone, l’incertitude sur les paramètres climatiques,la représentation du progrès technique, un cadre de décision séquen-tielle. La sophistication pas à pas d’IAMs concurrents a engendrédes résultats divergents sans qu’il soit toujours possible cependantd’en comparer les valeurs absolues. Pour ce faire, il manque un cadred’analyse qui permette d’établir une équivalence – et donc une com-paraison possible – entre les différentes architectures prises par lesmodèles. L’enjeu de ce chapitre est précisément de proposer un telcadre en utilisant la flexibilité fonctionnelle du modèle RESPONSEet la définition d’un critère d’équivalence entre les architectures pos-sibles.

Il s’agit à la fois d’une réflexion sur la méthode de comparaison desmodèles et d’un exercice relativement inédit d’analyse de sensibilité,non pas sur les paramètres, mais sur les formes fonctionnelles dumodèle.

73

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74 effet des choix de modélisation

3.1 une méthode d’analyse de sensibilité sur les diffé-rentes architectures prises par response

3.1.1 L’architecture de référence

L’architecture de référence à partir de laquelle toutes les comparai-sons sont faites, en termes de déviations de résultats sur la VSC et surles niveaux d’abattement, est assez proche du modèle séminal DICEélaboré par W. Nordhaus. Cette architecture intègre :

– une fonction de dommages quadratique (i.e. φ = 1, d = 0)– une fonction de coût d’abattement sans inertie (i.e. ξ = 0)– un environnement certain, à la fois sur les dommages et sur la

sensibilité climatique

3.1.2 Un jeu de visions du monde

Les effets des formes fonctionnelles sont mesurés à partir des dévia-tions de résultats observées sur un jeu de 256 visions du monde, ouscénarios, engendrées par une analyse de sensibilité sur 4 paramètres– la croissance de long terme, les coûts d’abattement, la préférencepure pour le présent et la sensibilité climatique – prenant 4 valeurschacun au sein d’intervalles « raisonnables » discutés dans la littéra-ture. Les valeurs de ces intervalles sont répertoriées dans le tableau9.

Pour chacune des architectures qu’il peut prendre, RESPONSE cal-cule 256 programmes d’optimisation et ainsi autant de trajectoiresoptimales de VSC et d’abattement. Ce qui importe alors n’est pas laposition relative de chaque point au sein du nuage de points formépar les 256 scénarios, mais la déformation de ce nuage de points ou ladéformation de la distribution de référence des résultats induite parun changement de forme fonctionnelle. Des indicateurs statistiquessimples tels que la médiane, les écarts inter-quartiles, la dispersionde la distribution permettent d’apprécier l’effet d’une forme fonction-nelle par rapport à l’architecture de référence. Cette méthode vise àneutraliser l’effet des visions du monde afin de mettre au jour l’effet« pur » des choix de formes fonctionnelles.

3.1.3 Les différentes formes fonctionnelles

A partir de l’architecture de référence, l’analyse de sensibilité surles formes fonctionnelles couvre 15 différentes architectures listéesdans le tableau 10. Une architecture est composée de :

– une combinaison de deux formes de fonction de dommages pos-sibles, appelées « q » pour la fonction quadratique et « s » pourla fonction sigmoïde, avec deux formes de fonction d’abattement,

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3.1 analyse de sensibilité 75

Table 9: Les quatre variables qui fondent les différences entre visions dumonde

Croissance annuelle g ∈ {0.01, 0.017, 0.023, 0.03}

Préférence pure pour leprésent

ρ ∈ {0.001, 0.01, 0.02, 0.03}

Coût d’abattement ini-tial

BK = $1, 200 /tCO2 avec 4 taux dedécroissance γ liés à 4 niveauxde coût marginal initial ζ. (γ, ζ) ∈

{(0.0025, 0), (0.019, 76), (0.036, 153), (0.052, 229)}

Sensibilité climatique ϑ2x ∈ {2;2.67;3.33;4}

appelées « in » quand l’inertie est intégrée dans la fonction et« no » quand elle ne l’est pas ;

– l’intégration ou non d’un traitement explicite de l’incertitude ;– deux dates possibles d’arrivée de l’information (2050 et 2150)

dans les cas incertains.Quand l’incertitude sur la sensibilité climatique est modélisée, la formefonctionnelle correspondante est appelée « tu » (respectivement « tc »dans le cas certain). Quand l’incertitude porte sur la forme de lafonction de dommage sigmoïde (respectivement sur la forme qua-dratique), la forme fonctionnelle correspondante est appellée « su »(respectivement « qu »). Dans le cas certain ces deux formes fonction-nelles deviennent « sc » et « qc ».

Passer de l’architecture de référence à une autre architecture demodélisation et apprécier l’effet « pur » du changement d’architec-ture sur les résultats nécessite de développer un cadre de comparai-son cohérent. Il faut, en effet, vérifier que les effets de paramétrisa-tion – dus essentiellement aux visions du monde divergentes – sontbien neutralisés et que seul l’effet du changement structurel est me-suré. Il serait incorrect ainsi de comparer directement les résultatsissus d’une forme fonctionnelle « qc » avec ceux issus d’une formefonctionnelle « qu » sans s’assurer au préalable que les différences neproviennent pas de la calibration de la fonction de dommages maisseulement de l’intégration, en soi, de l’incertitude dans la fonction dedommage. Introduire de l’incertitude sur l’ampleur des dommages,par exemple, peut engendrer une hausse de la valeur moyenne espé-rée des dommages et donc un accroissement des efforts d’abattement.Mais ce résultat est en partie imputable à un effet de paramétrisation– la hausse de la valeur des dommages – et non uniquement à un ef-fet de forme fonctionnelle – la modélisation explicite de l’incertitude.Rendre la comparaison possible entre architectures de modélisation

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76 effet des choix de modélisation

Table 10: Ensemble des architectures prises par RESPONSE

Fonctions Dommages Température Abattement

Formes q s no in

Incertitude qc qu sc su tc tu

tinfo 2050 2150 2050 2150 2050 2150

qc-tc-no (ref)√ √ √

qc-tu-no-2050

√ √ √

qc-tu-no-2150

√ √ √

qu-tc-no-2050

√ √ √

qu-tc-no-2150

√ √ √

sc-tc-no√ √ √

su-tc-no-2050

√ √ √

su-tc-no-2150

√ √ √

qc-tc-in√ √ √

qc-tu-in-2050

√ √ √

qc-tu-in-2150

√ √ √

qu-tc-in-2050

√ √ √

qu-tc-in-2150

√ √ √

sc-tc-in√ √ √

su-tc-in-2050

√ √ √

su-tc-in-2150

√ √ √

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3.1 analyse de sensibilité 77

nous conduit ainsi à définir un critère d’équivalence entre architec-tures.

3.1.4 Un critère d’équivalence pour comparer les modèles

Le problème de la « comparabilité » des résultats de modèles inté-grés est récurrent dans la littérature. L’approche naturelle qui a sou-vent prévalu consistait à ajouter une forme fonctionnelle à un modèleexistant et de comparer les résultats des modèles avec et sans la nou-velle forme fonctionnelle. Mais une telle approche ne permet pas se-lon nous de distinguer l’origine des différences observées car le pointde comparaison est incorrect. Nous proposons ainsi une méthode fon-dée sur un critère d’équivalence entre architectures de modélisationpour neutraliser les effets de calibration et rendre plus lisible la com-paraison entre modèles.

Afin de mieux comprendre le problème sous-jacent à la comparai-son des modèles, prenons l’exemple suivant.

Si nous comparons un modèle avec une fonction de dommages qua-dratique à un modèle avec une fonction de dommages sigmoïde quiintègre des niveaux de dommages plus élevés (le saut de dommaged est grand par exemple), alors il devient impossible de savoir si lesdifférences de résultats entre les deux modèles proviennent seulementde la forme de la fonction de dommages. Ces différences peuvent pro-venir du fait que les dommages sont ceteris paribus plus élevés dans lecas sigmoïde que dans le cas quadratique, et ainsi ne pas être seule-ment imputables à la forme de la fonction de dommage.

Cet exemple peut être formalisé de la façon suivante. Soit A unearchitecture définie par une combinaison de formes fonctionnelles etun espace de variables. Nous considérons une structure de modélisa-tion comme une carte A ∶ V → O qui met en relation un espace devariables V avec un espace de résultats O composé des trajectoires deVSC et d’abattement.

Prenons maintenant une deuxième architecture A ′ dont la descrip-tion complète est donnée par la carte A ′ ∶ V ′ → O ′. A ′ met en rela-tion l’espace de variables V ′ à l’espace de résultats O ′. Pour s’assurerque les deux espaces de résultats sont comparables nous supposonsque O = O ′, c’est-à-dire que O est composé des mêmes élémentsque O ′ (trajectoires de VSC et d’abattement). En général, les espacesde variables sont cependant différents. Dès lors, comment comparerA(x), x ∈ V avec A ′(y), y ∈ V ′ sachant que V ≠ V ′ ? En effet, les dif-férences de résultats peuvent autant provenir de différence dans lesarchitectures que dans les différences de variables x et y. Il nous fautdonc relier un point x à un point particulier y(x), si nous voulons iso-ler l’effet « pur » des formes fonctionnelles des architectures. La com-paraison des deux résultats n’a pas de sens si nous ne parvenons pasà relier un point d’un espace de variables V à un point « équivalent »

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78 effet des choix de modélisation

dans l’espace V ′. Nous avons donc besoin d’une carte d’équivalenceE qui va de V à V ′ comme le suggère le schéma suivant :

VA //

E

��

O

V ′ A ′// O

Nous pouvons ainsi comparer les architectures en comparant l’effetde A et de A ′ ○E sur O.

Pour construire la carte d’équivalence entre les deux espaces devariables, reprenons l’exemple de l’équivalence entre l’espace de va-riables du cas de référence (quadratique certain sans inertie) et celuid’un cas sigmoïde certain sans inertie (de « qc-tc-no » à « sc-tc-no »avec les notations du tableau 10). Un point de l’espace de variablesest un ensemble donné de variables. Dans le cas quadratique certain,cet ensemble de variables est (g, ρ,γ, ϑ2x, κQ). Dans le cas sigmoïdecertain, l’ensemble de variables est (g, ρ,γ, ϑ2x, κS, η, d, θD), soit res-pectivement la croissance, la préférence pure pour le présent, le pro-grès technique sur les coûts d’abattement, la sensibilité climatique,la pente de la partie linéaire de la fonction de dommages, la tailledu saut dans la fonction de dommages, le seuil de température. Cer-taines de ces variables telles que la croissance, la préférence pure pourle présent, le progrès technique sur les coûts d’abattement, la sen-sibilité climatique ont la même signification dans les deux espacesde variables. La carte d’équivalence se réduit alors à une relationentre le paramètre κQ de la fonction quadratique et les paramètres(κS, η, d, θD) de la fonction sigmoïde.

Le critère d’équivalence retenu découle de la définition suivante :

Une architecture A est équivalente à une architecture A ′

lorsque les dommages climatiques cumulés non actua-lisés (jusqu’en 2130) induits par A et A ′ le long d’unscénario au fil de l’eau (soit lorsqu’aucun effort d’abat-tement est réalisé) sont égaux.

Dans l’exemple discuté plus haut, la mise en œuvre du critèred’équivalence implique que pour κS, η et d fixés, le seuil de tempéra-ture θD soit ajusté de telle sorte que la somme des dommages dansun scénario au fil de l’eau d’une structure de modélisation « sc » soitégale à la somme des dommages observés dans un scénario au fil del’eau de la structure de référence 1

1. Pour comparer le cas quadratique certain avec le cas quadratique avec sensi-bilité climatique incertaine, nous fixons le support de la distribution de probabilitéssur la sensibilité climatique et ajustons les probabilités de telle sorte que la sommedes dommages espérés dans le scénario au fil de l’eau pour les deux architecturessoit égale. La carte d’équivalence pour d’autres comparaisons repose toujours sur lemême critère d’équivalence.

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3.2 une analyse statistique des effets des formes fonctionnelles 79

Nous reconnaissons que la définition d’un critère d’équivalence re-pose nécessairement sur un choix discutable. Voici les principaux élé-ments de justification du choix de ce critère :

– Premièrement, le critère d’équivalence est calculé le long d’unscénario au fil de l’eau car nous ne voulons pas intégrer dansl’équivalence l’effet de l’optimisation en considérant les dom-mages résiduels cumulés (après abattement optimal) afin de concen-trer l’analyse sur les seuls effets des structures de modélisation.

– Ensuite, le critère ne repose que sur les dommages car les émis-sions de CO2 et la hausse des températures n’ont d’effet surl’économie qu’au travers des dommages. Comme les politiquesclimatiques sont proportionnées aux dommages espérés du chan-gement climatique, si les dommages n’étaient pas égaux entreles deux modèles comparés, il serait impossible de démêler l’ef-fet « pur » de la forme fonctionnelle de celui de l’amplitude desdommages.

– Enfin, nous avons choisi de ne pas actualiser les dommages pourpointer les différences de tempo des politiques climatiques révé-lées par les modèles. En particulier, une fonction de dommagequadratique induit des dommages relativement bas à court termeet très élevés à long terme quand la hausse des températures de-vient très importante. Au contraire, la fonction sigmoïde induitdes dommages plus élevés pour des hausses de températuresrelativement plus basses (à moyen terme). Actualiser le critèred’équivalence produirait des distorsions sur ces différences tem-porelles et risquerait d’incorporer l’effet de l’actualisation dansla comparaison entre formes fonctionnelles.

Cette méthodologie ne prétend pas apporter une solution à toutesles difficultés soulevées par la comparaison des modèles intégrés.Cette tentative d’élaborer un cadre de comparaison des architecturesprises par les IAMs ouvre des chantiers de recherche méthodolo-giques : (i) raffiner le critère d’équivalence que nous proposons et(ii) développer des outils permettant de systématiser la comparaisondes impacts de telle ou telle forme fonctionnelle. L’enjeu de tels chan-tiers méthodologiques est de parvenir à dénouer très en amont desmalentendus sur l’origine des différences de résultats, qui reposenten fait sur des approches de modélisation différentes.

3.2 une analyse statistique des effets des formes fonc-tionnelles

3.2.1 Statistiques descriptives

Pour distinguer les effets des formes fonctionnelles de l’impact desvisions du monde sur les trajectoires optimales de VSC et d’abatte-ment, nous étudions la forme des distributions de résultats (compo-

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80 effet des choix de modélisation

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

qc−tc−no

sc−tc−noAbattement

2020

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

qc−tc−no

sc−tc−no

2050

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

qc−tc−no

sc−tc−no

2100

0

50

100

150

200

250

qc−tc−no

sc−tc−no

VSC

0

50

100

150

200

250

qc−tc−no

sc−tc−no

0

50

100

150

200

250

qc−tc−no

sc−tc−no

Figure 12: L’impact de la fonction de dommages sur les trajectoires d’abat-tement et de VSC.

sées de 256 scénarios) engendrées par différentes architectures. L’ana-lyse des boîtes à moustaches associées à chacune des distributionsde résultats permet d’identifier rapidement les grands traits carac-téristiques de ces distributions pour chaque architecture à une datedonnée. Les figures 12, 13 et 14 fournissent une image synthétique dela forme de la distribution de résultats dans le court (2020), moyen(2050) et long (2100) termes. Elles permettent de comparer visuelle-ment l’évolution dans le temps des effets des différentes architectures.Les tableaux de résultats exhaustifs de ces analyses sont fournis enannexe.

L’analyse de la boîte à moustaches se lit de la façon suivante :– La boîte intègre tous les points de la distribution compris entre

le premier et le troisième quartiles ;– une barre horizontale coupe la boîte au niveau de la valeur mé-

diane de la distribution ;– les moustaches rassemblent 90% des points de la distribution et

délimite la frontière avec les outliers.

3.2.2 L’impact de la forme fonctionnelle des dommages

La figure 12 montre que la forme fonctionnelle de la fonction dedommages a un effet important tout au long des trajectoires d’abatte-ment et de VSC. L’effet principal du passage d’une fonction quadra-tique à une fonction sigmoïde est de réduire les niveaux de l’abatte-ment et de la VSC. Les valeurs médianes de VSC sont par exemple

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3.2 analyse statistique 81

deux fois plus élevées dans le cas quadratique que dans le cas sig-moïde.

Un autre résultat frappant est que les efforts d’abattement demeurentfaibles pendant une longue période dans le cas sigmoïde puisque leurniveau médian est nul jusqu’en 2050, tandis qu’il atteint 30% dans lecas quadratique. Cette différence se résorbe toutefois dans le longterme car les niveaux d’abattement sont similaires en 2100 dans lesdeux cas.

Cela provient du fait que les dommages dans le cas sigmoïde nesont pas distribués dans le temps de la même façon que dans le casquadratique. En effet, dans le premier cas ils apparaissent soudai-nement quand la hausse des températures θA,t dépasse le seuil detempérature θD (voir l’équation 4.1.1). Cet effet de seuil se déclenchedans le court à moyen terme quand la sensibilité climatique est éle-vée, et plus loin dans le futur, quand la sensibilité climatique est faible.Tandis que dans le cas quadratique, les dommages suivent une rampeplus graduelle et apparaissent dès le début de la période. Toutefois,grâce au critère d’équivalence, les dommages cummulés sont égauxdans les deux cas. Mais comme les dommages les plus importantsapparaissent principalement dans le futur dans le cas sigmoïde, il estsûrement moins coûteux de décaler le début des efforts de réductiond’émission, en raison de l’effet de l’actualisation – et ce, quel que soitle niveau du taux d’actualisation – et d’augmenter ensuite fortementl’abattement pour rattraper les niveaux d’abattement atteints sur lelong terme dans le cas quadratique.

3.2.3 L’impact de la représentation de l’incertitude

La figure 13 montre que l’incertitude sur la forme quadratique (soitsur le paramètre κ) et l’incertitude sur la sensibilité climatique n’ontd’effet ni sur la trajectoire d’abattement ni sur celle de la VSC. Untel résultat témoigne de la remarquable stabilité de l’architecture deréférence « qc-tc ».

Au contraire, la figure 14 révèle que l’incertitude sur le seuil de tem-pérature θωD étend considérablement la distribution des abattementssur le court terme, augmente fortement le niveau médian de l’abatte-ment sur le moyen terme et fait converger ce niveau médian vers leniveau atteint dans le cas sans incertitude dans le long terme.

La date d’arrivée de l’information ti sur le vrai état du mondeω a également un fort impact. Plus l’information arrive tard plus ladistribution de résultats est étendue.

Une telle augmentation des efforts d’abattement dans le cas incer-tain peut être interprétée comme un effet de précaution. Ce comporte-ment précautionneux se manifeste particulièrement en 2050 puisquele niveau d’abattement médian atteint 20% alors qu’il est nul dans lecas certain. Quant aux effets sur la VSC, l’incertitude a également un

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82 effet des choix de modélisation

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

qc−tc−no

qc−tu−no−2050

qc−tu−no−2150

qu−tc−no−2050

qu−tc−no−2150

qc−tc−in

qc−tu−in−2050

qc−tu−in−2150

qu−tc−in−2050

qu−tc−in−2150

Abattement

2020

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

qc−tc−no

qc−tu−no−2050

qc−tu−no−2150

qu−tc−no−2050

qu−tc−no−2150

qc−tc−in

qc−tu−in−2050

qc−tu−in−2150

qu−tc−in−2050

qu−tc−in−2150

2050

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

qc−tc−no

qc−tu−no−2150

qu−tc−no−2150

qc−tc−in

qc−tu−in−2150

qu−tc−in−2150

2100

0

50

100

150

200

qc−tc−no

qc−tu−no−2050

qc−tu−no−2150

qu−tc−no−2050

qu−tc−no−2150

qc−tc−in

qc−tu−in−2050

qc−tu−in−2150

qu−tc−in−2050

qu−tc−in−2150

VSC

0

50

100

150

200

qc−tc−no

qc−tu−no−2050

qc−tu−no−2150

qu−tc−no−2050

qu−tc−no−2150

qc−tc−in

qc−tu−in−2050

qc−tu−in−2150

qu−tc−in−2050

qu−tc−in−2150

0

50

100

150

200

qc−tc−no

qc−tu−no−2150

qu−tc−no−2150

qc−tc−in

qc−tu−in−2150

qu−tc−in−2150

Figure 13: Les effets de l’inertie et de l’incertitude sur les trajectoires d’abat-tement et de VSC quand la fonction de dommages a une formequadratique

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

sc−tc−no

su−tc−no−2050

su−tc−no−2150

sc−tc−in

su−tc−in−2050

su−tc−in−2150

Abattement

2020

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

sc−tc−no

su−tc−no−2050

su−tc−no−2150

sc−tc−in

su−tc−in−2050

su−tc−in−2150

2050

0

0.2

0.4

0.6

0.8

1

sc−tc−no

su−tc−no−2150

sc−tc−in

su−tc−in−2150

2100

0

50

100

150

200

sc−tc−no

su−tc−no−2050

su−tc−no−2150

sc−tc−in

su−tc−in−2050

su−tc−in−2150

VSC

0

50

100

150

200

sc−tc−no

su−tc−no−2050

su−tc−no−2150

sc−tc−in

su−tc−in−2050

su−tc−in−2150

0

50

100

150

200

sc−tc−no

su−tc−no−2150

sc−tc−in

su−tc−in−2150

Figure 14: Les effets de l’inertie et de l’incertitude sur les trajectoires d’abat-tement et de VSC quand la fonction de dommages a une formesigmoïde

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3.3 trois enseignements sur l’influence des formes fonctionnelles sur les politiques climatiques 83

effet à la hausse sur la valeur médiane et étend l’intervalle des 25 - 75

percentiles.

3.2.4 L’impact de l’inertie

Alors que la présence d’inertie dans les coûts d’abattement n’a pres-qu’aucun effet sur la VSC, pour toutes les architectures et à tous leshorizons temporels, elle exerce une influence significative sur les tra-jectoires d’abattement. Dans tous les cas (sauf un sur lequel nous re-viendrons), l’effet global de l’inertie est de réduire les niveaux d’abat-tement par rapport aux cas sans inertie. En 2020 par exemple, le ni-veau d’abattement du troisième quartile du scénario de référence at-teint presque 20% alors qu’il atteint seulement 10% dans le cas avecinertie. Notons que le niveau médian de l’abattement en 2020 pourtoutes les architectures est nul. Cet effet à la baisse de l’inertie, ob-servé sur le court terme, tend à disparaître dans le temps, comme siun processus de rattrapage avait lieu entre les cas avec et sans inertie.Cela est dû au fait que l’inertie augmente le coût d’un abattementrapide dans le court terme et incite à décaler dans le futur les effortsquand ils seront moins coûteux grâce aux effets joints du progrèstechnique et de l’actualisation.

Le résultat le plus frappant qui émerge de la figure 14 est l’effetinversé de l’inertie sur les architectures avec fonction de dommagessigmoïde qui conduit, au contraire, à une augmentation significativedu niveau médian des abattements en 2050. Avec cette forme fonc-tionnelle, il devient optimal en présence d’inertie de lisser la trajec-toire d’abattement car une forte augmentation des efforts après 2050

serait trop coûteuse. En 2100, l’effet n’est plus perceptible car les ni-veaux d’abattement convergent pour toutes les architectures. Quandl’inertie est combinée à l’incertitude, dans le cas sigmoïde, cet effetn’est plus distinguable car l’incertitude a déjà, par elle-même, déclen-ché un effet de précaution relevant les efforts d’abattement dans lemoyen terme.

3.3 trois enseignements sur l’influence des formes fonc-tionnelles sur les politiques climatiques

La méthodologie développée d’analyse de sensibilité sur les ar-chitectures des IAMs, fondée sur un critère d’équivalence entre lesarchitectures prises par RESPONSE, nous a permis de démêler leseffets du cœur de l’architecture de modélisation de ceux de la cali-bration des visions du monde qui sont plus communément traitéspar les analyses de sensibilité traditionnelles. Cette analyse fournitégalement des informations plus qualitatives sur la forme des dis-tributions de résultats et ainsi sur le type de recommandations poli-tiques qui peuvent découler de telle ou telle architecture quelles que

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84 effet des choix de modélisation

soient par ailleurs les visions du monde retenues pour faire tournerles simulations. Ces informations sont résumées autour de trois « en-seignements clés » sur le comportement des IAMs de la famille deRESPONSE.

Enseignement clé 1 : RESPONSE avec une fonction de dommages qua-dratique est presque insensible aux changements des autres compo-santes de la structure de modélisationTous les changements de modélisation, que ce soit l’intégrationd’inertie dans les coûts d’abattement ou la représentation d’in-certitude sur la forme de la fonction quadratique ou sur la sensi-bilité climatique, pratiqués sur l’architecture de référence n’onteu presque aucun effet sur la distribution des résultats. Il appa-raît donc clairement que les architectures qui incorporent unefonction de dommages quadratique font preuve d’une remar-quable robustesse aux changements d’autres éléments de leurstructure. Ce résultat suggère que le raffinement de l’architec-ture de référence n’apporte que peu de valeur ajoutée et ex-plique pourquoi les IAMs les plus couramment utilisés dansla littérature conservent cette structure de base élaborée ori-ginellement par W. Nordhaus avec DICE. Quand RESPONSEutilise cette architecture, les trajectoires optimales d’abattementsuivent une rampe graduelle et la VSC est presque insensible àl’incertitude et à l’inertie. L’origine des différences de résultatsprovient alors essentiellement de la calibration des scénarios.

Enseignement clé 2 : quand RESPONSE incorpore une fonction de dom-mages sigmoïde, alors le modèle met au jour des stratégies climatiquescontrastées.L’intégration de non-convexités dans la fonction de dommagesde RESPONSE engendre en effet des résultats opposés selon laprésence ou non d’incertitude et d’inertie dans l’architecture dumodèle. Sans inertie ni incertitude, la fonction sigmoïde tendà retarder les efforts d’abattement et à réduire la VSC par rap-port à l’architecture de référence. Avec inertie ou incertitude,un accroissement significatif des efforts d’abattement apparaîtà moyen terme ainsi que des niveaux de VSC plus élevés. C’estpourquoi les architectures avec fonction de dommages sigmoïdesont sensibles aux autres composantes de l’architecture du mo-dèle et les résultats peuvent être autant déterminés par ces choixde modélisation que par la calibration des visions du monde.

Enseignement clé 3 : un comportement de précaution n’émerge de RES-PONSE que lorsque des non-convexités dans les dommages sont mo-déliséesUne différence majeure apparaît entre le cas sigmoïde certainsans inertie et le cas sigmoïde incertain en raison de la manifes-tation d’un effet de précaution. Bien que la forme fonctionnellequadratique de référence conduise à des niveaux absolus d’abat-

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3.4 vers le meilleur des modèles possibles ? 85

tement moyen plus élevés que dans tous les cas sigmoïdes, ellene permet pas pour autant de révéler un effet de précautioncar aucune différence n’apparaît quand l’incertitude est priseen considération. Ainsi les seuls IAMs qui peuvent traiter decomportements de précaution sont ceux qui font apparaître desnon-convexités au cœurs de leurs formes fonctionnelles.

3.4 vers le meilleur des modèles possibles ?

Nous avons montré dans ce chapitre qu’il était possible de démêler,dans un cadre cohérent, les effets des formes fonctionnelles prises parles différentes architectures de IAMs sur les trajectoires optimales deVSC et d’abattement, et ainsi, d’apporter un nouvel éclairage sur l’ori-gine des différences de résultats rencontrées dans la littérature. Notreméthode originale d’analyse de sensibilité sur les formes fonction-nelles permet d’éviter de restreindre artificiellement les intervalles deVSC ou d’ignorer certaines options de politique climatique pour laseule raison que l’architecture du modèle ne permet pas de les faireémerger. La démarche consiste, en quelque sorte, à considérer l’en-semble des architectures de IAMs « légitimes » afin de mettre au jourle spectre des stratégies optimales climatiques le plus large possible.

A l’issue de cet exercice, nous ne sommes pas capables, en revanche,d’exhiber une VSC ou une trajectoire d’abattement qui seraient plus« vraies » que celles qui ont été calculées jusqu’à présent. Quels quesoient les résultats, notre méthode vise à pointer les phénonèmes quiauraient pu être masqués par une approche plus standard. Cela estle cas de l’effet non-intuitif de l’inertie sur les coûts d’abattementcombinée à la fonction de dommages sigmoïde. Cette méthode per-met fondamentalement de faire dialoguer des cadres de modélisationdifférents et de pointer les déterminants possibles des différences derecommandations politiques.

Mais cette analyse panoramique des combinaisons de formes fonc-tionnelles nous permet-elle finalement de distinguer la meilleure desarchitectures possibles ? Cette question découle naturellement de l’ef-fort de comparaison des architectures entre elles. Cependant la hié-rarchisation des architectures de modèles requiert un critère d’évalua-tion de la performance ou de la pertinence des modèles. Est-ce qu’unbon modèle, par exemple, est un modèle qui favorise le rapproche-ment des visions du monde ? ou au contraire qui exacerbe les opposi-tions ? Un indicateur de dispersion des distributions de résultats per-mettrait ainsi de distinguer les structures qui favoriseraient plutôt leconsensus de celles qui renforceraient les différences. Mais de tels in-dicateurs sont nécessairement contestables. Est-ce qu’un bon modèleest celui qui est le plus exhaustif possible dans les effets qu’il intègre ?Ou est-ce au contraire le modèle à l’architecture la plus simple ? Lepremier peut se prévaloir d’un certain réalisme au prix d’une diffi-

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86 effet des choix de modélisation

culté de tracer l’effet propre de chacun des éléments représentés. Lesecond peut mettre en avant sa robustesse et sa transparence sur leseffets modélisés.

Dans tous les cas, l’ambition de notre approche n’est pas d’appor-ter un argument décisif pour clore les débats sur la bonne architec-ture des IAMs, mais d’élaborer un outil de dialogue entre différentesarchitectures de modèles intégrés et de mise au jour des effets de mo-délisation qui sont rarement discutés dans les analyses de sensibilitétraditionnelles.

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4P O U R Q U O I L A D É C E N N I E P R É S E N T E E S T- E L L EC R U C I A L E P O U R G A R A N T I R L A C R É D I B I L I T É D EL’ O B J E C T I F D E S 2 °C ?

Ce chapitre se concentre sur un comportement d’optimisation sur-prenant identifié au sein de la tribu des « jusqu’au boutistes » décritedans le chapitre 2, qui consiste à renoncer à lutter contre le dépasse-ment d’un certain seuil de température (ici 2 °C) alors que le fran-chissement de ce seuil est considéré comme une menace majeure ca-ractérisée par une forte augmentation des dommages climatiques.

Nous mettons au jour dans ce chapitre les causes d’un comporte-ment de franchissement du seuil des 2 °C qui se diffuse de plus enplus largement avec le décalage dans le temps du début des effortsde réduction d’émission. Cet effet devient massif si les efforts d’abat-tement ne débutent pas avant 2020. L’analyse révèle que la fenêtred’opportunité d’une politique climatique capable de respecter l’objec-tif des 2 °C est en train de se refermer et questionne la crédibilité desengagements politiques sur cette cible de hausse des températures.

Lors des dernières conférences des Parties, les décideurs politiquesont confirmé l’objectif de long terme d’empêcher une hausse des tem-pératures – par rapport aux températures de l’époque pré-industrielle– supérieure à 2 °C. Mais les négociations climatiques internationalesn’ont pas réussi à transformer cet objectif désirable en accord diplo-matique contraignant.

Cet échec s’explique en partie par la nature de « bien public glo-bal » du changement climatique qui plonge les décideurs dans unvaste « dilemme du prisonnier ». Les gouvernements cherchent à em-pêcher un comportement de passager clandestin sur les efforts de ré-duction d’émission à réaliser de la part de leurs partenaires, et ainsisont incités à ne pas lancer eux-mêmes des politiques climatiques am-bitieuses. Des solutions pour s’extraire de ce dilemme sont toutefoisbien connues (Ostrom et al., 1999; Dietz et al., 2003), et il existe desraisons théoriques d’espérer qu’une solution coopérative soit trouvéedans le futur.

Le point de départ de notre analyse est la date théorique où un ac-cord climatique international est atteint. Avant cette date, l’économiemondiale suit un scénario d’émissions au fil de l’eau calibré sur leprofil des scénarios établis par le GIEC. Une fois que les décideursont accepté le principe d’agir de façon coopérative, nous considé-rons que l’économie mondiale est pilotée par un planificateur bien-veillant qui optimise une fonction de bien-être social intertemporelsous une contrainte climatique. Quels efforts de réduction d’émis-

87

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88 l’objectif des 2 °C est-il encore crédible ?

sions pouvons-nous alors espérer d’une communauté internationaleunanime ? La cible des 2 °C sera-t-elle atteinte ou non ? En d’autrestermes, l’engagement des décideurs est-il crédible ?

La cible des 2 °C est dite « crédible » si le pilotage de l’économiemondiale par le planificateur bienveillant ne conduit pas la tempé-rature atmosphérique à dépasser le seuil des 2 °C. Etant donnée ladiversité des « visions du monde », telles qu’elles sont définies dansle chapitre 2, nous ne connaissons pas les paramètres sous-jacents del’économie qui est dirigée par le planificateur bienveillant. Nous fai-sons l’hypothèse que le cadre coût-bénéfice de RESPONSE, couplé àune analyse de sensibilité sur les paramètres clés du modèle, permetde couvrir un large éventail de visions du monde. Ainsi nous cal-culons la trajectoire optimale pour un échantillon de 2000 scénarios.Parmi cet échantillon, nous distinguons ceux qui franchissent le seuildes 2 °C de ceux qui ne le franchissent pas et interprétons le nombrede scénarios en « overshoot » comme un indicateur de la crédibilité dela cible des 2 °C. Plus le nombre d’overshooters est élevé plus la cré-dibilité est faible car pour une part grandissante des scénarios il n’estpas optimal de l’atteindre.

Dans la littérature, très peu d’IAMs fondés sur une analyse coûts-bénéfices (ACB) du climat ont été conçus pour apprécier sérieuse-ment la possibilité de bifurcations ou de catastrophes climatiques ma-jeures (Weitzman, 2009). Notre analyse s’appuie sur les travaux deGjerde et al. (1999), Keller et al. (2004), et Lempert et al. (2006b) quiont étudié les conséquences sur les efforts d’abattement de l’intro-duction des dynamiques climatiques à effet de seuil dans des IAMsconventionnels. Gjerde et al. (1999) montrent ainsi qu’une augmenta-tion des niveaux d’abattement de court terme est justifié pour faireface à un risque de catastrophe climatique. Keller et al. (2004) trouventégalement que l’introduction de dommages à effet de seuil augmentele niveau optimal d’abattement, l’incertitude paramètrique sur cet ef-fet de seuil pouvant toutefois plaider pour une réduction des efforts àcourt terme. Enfin, McInerney and Keller (2008) mettent en évidenceque les solutions optimales des IAMs qui incorporent incertitudes cli-matiques et effet de seuil dans les dommages, peuvent être, pour denombreux scénarios, de franchir le seuil. Ils en concluent que l’objec-tif des 2 °C ne peut être atteint que dans un sens probabiliste. Lespolitiques ne pourraient ainsi que réduire le risque de franchir lesseuils climatiques.

Remarquons que l’approche coût-efficacité (ACE) utilisée par Kel-ler et al. (2007) pour estimer le coût de la procrastination en matièrede politique climatique empêche par construction le dépassement duseuil de température quels qu’en soient les coûts. L’ACB quant àelle, autorise la possibilité d’un dépassement de la cible de tempéra-ture (Ambrosi et al., 2003) et introduit un certain degré de flexibilitédans la trajectoire de température. En termes de politique climatique,

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4.1 le cadre de modélisation 89

θA

D(θA)

κ

θD

d

η

Figure 15: La forme sigmoïde de la fonction de dommages utilisée : θDest le seuil de température à partir duquel se déclenche la nonlinéarité, η est l’intervalle de hausse des température pendantlequel se déroule le saut de dommages, d est la taille du saut, etκ est le coefficient de la pente de la partie linéaire des dommages.

l’ACB représenterait en quelque sorte un engagement « faible » derespecter la cible de température, tandis que l’ACE impliquerait unengagement « fort ».

4.1 le cadre de modélisation

4.1.1 La représentation des dommages

Le modèle RESPONSE est utilisé ici dans une version déterministe,sans inertie sur les coûts d’abattement et avec une fonction de dom-mages sigmoïde qui incorpore un effet de seuil lorsque la hausse destempératures θA,t dépasse 2 °C. Cette fonction présentée dans le cha-pitre 1 et reproduite à la figure 15 s’écrit :

D(θA,t) = κθA,t +d

1+ e(θD−θA,t)/η

Cette forme fonctionnelle des dommages qui déclenche une fortehausse des dommages (à travers le paramètre d) lorsque le seuil detempérature θD est franchi, nous semble bien correspondre à la re-présentation que se font les décideurs des dommages lorsqu’ils s’en-gagent sur une cible de 2 °C. Cet engagement repose en partie surles résultats scientifiques produits par le GIEC, (IPCC, 2007) et enpartie sur un processus politique (Cointe et al., 2011). Randalls (2010)situe l’origine de la cible de 2 °C comme une cible politique en 1996

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90 l’objectif des 2 °C est-il encore crédible ?

quand elle intègre la position officielle défendue par la commissioneuropéenne. Négociée depuis lors au sein de l’UNFCCC, elle devientpartie intégrante de la position des Nations Unies en 2009 à la confé-rence des parties de Copenhague.

4.1.2 Construction d’un échantillon de 2000 scénarios

Une large analyse de sensibilité sur les cinq paramètres clés quiconstituent ce que nous appelons une « vision du monde » est conduiteà l’aide de la méthode d’échantillonnage du latin-hypercube. Cetteméthode permet de construire 2000 scénarios issus d’une combinai-son de distributions uniformes de 2000 points sur les 5 paramètresincertains. Les intervalles de ces distributions sont présentés dans letableau 11.

Nous calculons la solution optimale pour chaque scénario qui re-présente autant d’économies mondiales pilotées par un planificateurbienveillant. Notre objectif n’est pas d’élaborer un nouvel outil d’aideà la décision en contexte d’incertitude car dans notre approche, il n’ya pas de « méta planificateur bienveillant » qui aurait accès à l’inté-gralité de l’information issue de l’analyse de sensibilité pour prendreune décision optimale mieux informée.

La calibration des paramètres repose, comme dans le chapitre 2, surdes « croyances » scientifiques qui portent sur des intervalles consi-dérés comme « raisonnables » par la communauté scientifique étantdonnée l’information disponible.

Table 11: Les intervalles de l’analyse de sensibilité sur les 5 paramètresconstitutifs d’une vision du monde

Croissance (g) 1% - 2.1%

Préférence pure pour leprésent (ρ)

0.1% - 2.8%

Sensibilité climatique (ϑ) 2 °C - 6 °C

Coût marginal initial (ζ) $0 /tCO2 -$101 /tCO2

Progrès technique (γ) 0.25% - 5.22% par an

L’intervalle de sensibilité climatique est plus large que celui retenudans le rapport du GIEC (jusqu’à 6 °C car il se fonde sur les étudesrécentes qui plaident pour une extension des distributions de sensibi-lités considérées (Stern, 2006; Roe and Baker, 2007; Weitzman, 2009).L’intervalle du paramètre de préférence pure pour le présent découledirectement de la controverse Stern/Nordhaus exposée dans le cha-

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4.2 résultats 91

pitre 2, de même que les paramètres de progrès technique et de coûtmarginal initial d’abattement.

Tous les scénarios d’un même échantillon intègrent la même fonc-tion de dommages sigmoïde avec un saut de dommages d allant de 0à 20% du PIB. Il y a ainsi autant d’échantillons de 2000 scénarios quede sauts de dommages considérés.

Parmi ces échantillons de scénarios, nous nous concentrons par lasuite sur ceux qui engendrent un franchissement du seuil des 2 °C.

4.2 résultats

4.2.1 Typologie des scénarios

Les résultats font apparaître deux types de population au sein desscénarios :

(i) ceux qui ne franchissent jamais le seuil des 2 °C grâce à leursefforts de réduction d’émissions. ;

(ii) les « overshooters » qui franchissent le seuil avant 2130.Nous montrons en effet que pour une part significative des visions dumonde il devient optimal de dépasser le seuil des 2 °C à moins que lesaut de dommages soit très élevé (>20% du PIB). Puisque cette stra-tégie optimale découle d’un modèle déterministe, nulles incertitude,surprise ou encore erreur d’anticipation ne provoquent ce comporte-ment. Le dépassement du seuil procède d’une stratégie « rationnelle »(du point de vue de l’ACB) mais révèle une forme de « piège de la ra-tionalité ». Un tel comportement s’explique par : (i) des coûts d’abatte-ment pour empêcher le dépassement du seuil trop élevés par rapportaux dommages évités ; (ii) l’inertie de la dynamique climatique et del’accumulation des émissions passées qui rend, peu à peu, le fran-chissement du seuil physiquement inéluctable. C’est pourquoi nousdistinguons deux variétés d’« overshooters » pour mieux comprendreleur comportement :

(i) les « overshooters involontaires » pour qui le dépassement duseuil est dû à des contraintes physiques. Pour eux, même unabattement total des émissions (soit des émissions nulles) n’em-pêcheraient pas le franchissement du seuil. Le facteur détermi-nant de leur comportement est l’inertie et la dynamique du sys-tème climatique. Les flux d’émissions passées sont responsablesde l’augmentation du stock de concentration en CO2 de l’atmo-sphère qui rend inéluctable, à partir d’un certain niveau, le fran-chissement du seuil des 2 °C. Au sein de cette dynamique, lasensibilité climatique joue un rôle central. Plus elle est élevée,plus le franchissement du seuil intervient rapidement. Ce phéno-mène de franchissement « contraint » du seuil des 2 °C à déjà étéidentifié par Davis et al. (2010) et Guivarch and Hallegatte (2012).

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92 l’objectif des 2 °C est-il encore crédible ?

(ii) les « résignés » pour qui le dépassement du seuil résulte d’uneanalyse coût-bénéfice délibérée et donc, pour qui il est optimald’entrer dans une zone de hausse de température où des dom-mages catastrophiques peuvent apparaître. Ces derniers sont lesplus intéressants car leur comportement n’est pas déterminé pardes contraintes physiques mais par leurs croyances sur les coûtsd’abattement, la préférence pure pour le présent, la croissanceéconomique de long terme qui peuvent rendre les réductionsd’émissions trop coûteuses au regard des bénéfices à en attendreen termes de dommages climatiques évités. D’autres croyancesauraient pu conduire à éviter le franchissement du seuil.

4.2.2 Sur la trace d’un « résigné »

Pour rendre le comportement d’un « résigné » plus tangible, nousprésentons, à travers la figure 16, les caractéristiques d’une trajectoireemblématique de ce comportement. Cette trajectoire est issue d’unevision du monde particulière détaillée dans le tableau 12.

Table 12: Caractéristiques d’un scénario « résigné »

d tbegin g ρ γ ζ ϑ

10% of GDP 2010 1.8% 2% 0.4% 15$ 3.6 °C

Dans ce scénario, le cadran sur la hausse des températures montreque le seuil des 2 °C est franchi en 2060. Cela provient d’un calendrieroptimal d’abattement, suivi par le planificateur bienveillant, qui estclairement divisé en trois périodes. De 1990 à 2040, les efforts de ré-duction d’émissions sont strictement croissants de 0 à 55%. Puis de2040 à 2070, le planificateur réduit drastiquement les abattements jus-qu’à 29% en 2070. Enfin, à partir de 2070 les efforts de réductionsrepartent légèrement à la hausse et atteignent 38% en 2100.

Pour comprendre cette trajectoire d’abattement, un détour par latrajectoire de la VSC (dans le cadran en bas à gauche) est utile. Telleque nous l’avons définie au chapitre 1 la VSC est la valeur d’unetonne additionnelle de CO2 relâchée dans l’atmosphère. Cette tonneadditionnelle engendre une hausse des températures à la période sui-vante, qui elle-même cause une hausse des dommages deux périodesplus tard. Donc la VSC atteind son niveau le plus élevé deux périodesavant que les dommages marginaux soient les plus forts. Quand l’éco-nomie engendre une hausse des températures qui s’approche du seuildes 2 °C, les dommages marginaux augmentent tout comme la VSC.En 2040, la VSC atteint son maximum car en 2060 les températuresfranchissent le seuil de 2 °C et les dommages marginaux atteignent

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4.2 résultats 93

0

0.1

0.2

0.3

0.4

0.5

0.6

2000 2020 2040 2060 2080 2100

Fra

ctio

n ab

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0

0.5

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2

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2000 2020 2040 2060 2080 2100

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0

20

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60

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100

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2000 2020 2040 2060 2080 2100

VS

C

0

0.05

0.1

0.15

0.2

2000 2020 2040 2060 2080 2100

Dom

mag

es e

n fr

actio

n de

PIB

Figure 16: Les résultats optimaux d’un comportement « résigné » en termesde trajectoire d’abattement, de valeur sociale du carbone, d’aug-mentation des températures et de dommages climatiques (expri-més en perte de PIB)

alors leur maximum. En 2050, la VSC s’effondre car en 2070 l’écono-mie n’est plus dans une phase de forts dommages marginaux (commele point d’inflexion de la fonction sigmoïde a été franchi en 2060). Lesabattements suivent le même profil car, à chaque période, le coûtd’abattement marginal est égal à la VSC. C’est pourquoi le niveaud’abattement diminue brusquement quand la VSC s’effondre. Bienque les abattements réalisés avant 2050 n’aient pas empêché le fran-chissement du seuil des 2 °C, ils ont tout de même contribué à retar-der le saut de dommages, et ainsi ont augmenté le bien-être socialtotal.

Ce scénario représente le comportement d’un « résigné » et noncelui d’un « overshooter involontaire ». En effet, en 2010, le franchisse-ment du seuil des 2 °C qui va intervenir en 2060 n’est pas physique-ment inévitable en raison des émissions passées. Des efforts d’abatte-ment plus importants et non interrompus auraient permi d’empêcherle franchissement du seuil. Le changement radical de stratégie d’abat-tement en 2040 repose seulement sur un arbitrage coût-bénéfice. L’is-sue de cet arbitrage aurait pu être différent avec une vision du mondedifférente.

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94 l’objectif des 2 °C est-il encore crédible ?

4.2.3 Les déterminants du franchissement du seuil des 2 °C

Les raisons du franchissement du seuil sont à chercher parmi les 5

paramètres clés qui composent une vision du monde. Pour ce faire,nous proposons une méthode graphique qui permet de cartographierla densité des « overshooters » parmi les 2000 scénarios projetés dansl’espace de tous les couples possibles des paramètres clés. La figure 17

représente, pour six dates possibles de début des abattements, sur lapremière ligne, l’espace composé par le taux de préférence pure pourle présent en abscisses et le taux de progrès technique en ordonnées ;et sur la seconde ligne, l’espace composé par le coût marginal initialen abscisses et la sensibilité climatique en ordonnées. La densité estreprésentée par un dégradé de couleur allant du blanc – quand lazone des paramètres ne conduit pas au franchissement du seuil –au noir quand la zone des paramètres est associée à de nombreux« overshooters ».

Il s’avère que l’impact du taux de croissance économique de longterme a un impact beaucoup plus faible que les autres paramètres.C’est pourquoi la figure 17 ne reproduit que deux espaces possiblescomposés des quatre autres paramètres.

Un premier commentaire qui peut être tiré de la figure 17 est qu’avecle temps, (en allant sur la droite du graphique) les espaces sont deplus en plus foncés. Cela suggère que, toute chose restant égale parailleurs, le décalage dans le temps du début des efforts de réductiond’émissions est un puissant facteur du franchissement du seuil des2 °C.

Sur la première ligne de la figure nous observons que les « over-shooters » sont plus nombreux quand le taux de progrès technique estfaible et que la préférence pure pour le présent est élevée. Au coursdes trois premières décennies une frontière nette de valeurs sépare les« overshooters » de ceux qui ne franchissent pas le seuil. Avec le temps,l’effet de taux de progrès technique l’emporte sur celui du taux depréférence pure pour le présent.

Sur la deuxième ligne, il apparaît que les « overshooters » sont plusnombreux quand la sensibilité climatique et le coût marginal intiald’abattement sont élevés. Avec le temps, l’effet de la sensibilité clima-tique domine celui du coût d’abattement car elle conduit de plus enplus d’« overshooters » à devenir des « overshooters » involontaires.

4.3 la diffusion du comportement d’« overshoot » : le défi

de la décennie présente

Après avoir examiner les causes du comportement d’overshoot, nousnous intéressons dans cette section à la diffusion dans le temps de ceteffet et à la crédibilité de l’engagement des décideurs à respecter lacible des 2 °C.

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4.3 la diffusion du comportement d’« overshoot » 95

Figure 17: Cette figure cartographie les « overshooters » parmi les 2000 scé-narios, pour un saut de dommage de 5% du PIB, à six dates dedébut des abattements. A la première ligne, l’espace est composépar le taux de préférence pure pour le présent en abscisses et letaux de progrès technique en ordonnées. A la seconde ligne, l’es-pace est composé par le coût marginal initial en abscisses et lasensibilité climatique en ordonnées. Plus les cellules sont foncésplus le nombre d’overshooters est important.

La figure 18 montre clairement que le comportement de franchis-sement du seuil des 2 °C apparaît pour tous les niveaux de saut desdommages et à toutes les dates de début des efforts de réductiond’émissions.

Une analyse statique de la figure 18 montre que le nombre de « ré-signés » décroît avec la taille du saut de dommages quelles que soientla date de début de la politique climatique. Cette relation est assez in-tuitive : plus le choc de dommages est important, plus la dispositionà payer pour prévenir ce choc, et donc réaliser par précaution desefforts d’abattement, est élevée.

Remarquons toutefois que lorsque le saut de dommage est nul outrès faible, 96% des scénarios franchissent le seuil de 2 °C. Comptabi-liser ces scénarios parmi ceux des « résignés » seraient incorrect car,pour ces niveaux de dommages, la menace climatique ne fait passuffisamment « peur » pour compenser les coûts des efforts d’abatte-ment requis pour atteindre la cible des 2 °C. Le graphique en haut àgauche de la figure 18 indique simplement que le seuil sera certaine-ment franchi si les dommages anticipés sont seulement linéaires.

Une analyse dynamique de la figure 18, qui présente des résul-tats pour cinq niveaux de saut de dommages à six dates différentesde début des abattements, révèle que le nombre de « overshooters »reste pratiquement constant si le début de la politique climatique estretardé de 1990 à 2010. Nous observons en revanche une très forteaugmentation des « overshooters » dans la décennie 2010-2020. Cetteaugmentation est d’autant plus frappante qu’elle apparaît à la suited’un plateau de deux décennies alors qu’on aurait pu s’attendre à une

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96 l’objectif des 2 °C est-il encore crédible ?

augmentation continue tout au long de la période. Le rythme de cetteaugmentation perdure au cours des deux décennies suivantes. Si ladate du début des efforts de réduction d’émissions est décalée à 2030

les « overshooters » deviennent même plus nombreux que ceux qui nefranchissent pas le seuil pour des niveaux de sauts des dommagesallant jusqu’à 10% du PIB. Pour des niveaux de saut de dommagessupérieurs (jusqu’à 20% du PIB), les « overshooters » deviennent majo-ritaires une décennie plus tard 1.

0

20

40

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80

100

1990 2000

2010 2020

2030 2040

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es s

cena

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d=0% du PIB

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20

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1990 2000

2010 2020

2030 2040

d=5% du PIB

resignesinvolontairesovershooters

0

20

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1990 2000

2010 2020

2030 2040

d=10% du PIB

0

20

40

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100

1990 2000

2010 2020

2030 2040

% d

es s

cena

rios

d=15% du PIB

0

20

40

60

80

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1990 2000

2010 2020

2030 2040

d=20% du PIB

Figure 18: Evolution du nombre de « résignés » selon la taille du sautde dommages et la date de début des efforts d’abattement. Lacourbe en pointillés indique le nombre d’« overshooters involon-taires » parmi l’ensemble des « résignés »

Si nous nous intéressons à la décomposition des « overshooters »entre « overshooters involontaires » et « résignés », nous remarquonsque les « overshooters involontaires » apparaissent seulement si la datede début des abattements est retardée jusqu’en 2010 et deviennentprépondérant si cette date est repoussée à 2030. A part pour des ni-veaux de saut de dommages très bas, le nombre de « résignés » aug-mentent légèrement avec le report des abattements jusqu’en 2020. Sile décalage est prolongé au-delà, leur nombre diminue au profit des« overshooters involontaires ».

Nous observons un certain « effet de cliquet ». Lorsque, suite au re-port de la date de début des abattement, un scénario qui ne franchis-sait pas le seuil devient « résigné », il ne peut revenir dans son groupe

1. La même analyse a été menée avec des seuils de températures de 2.5 °C et 3 °Cqui produisent le même type de résultats avec une ou deux décennies de décalage :plus le seuil est élevé plus la vague des « overshooters » apparaît tardivement.

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4.3 la diffusion du comportement d’« overshoot » 97

d’origine. La même irréversibilité s’applique aux « résignés » qui de-viennent « overshooters involontaires ». Pour eux, des contraintes phy-siques du système climatique empêchent la température de repassersous le seuil des 2 °C même si 100% d’abattement était alors réa-lisé. Il est toutefois possible de passer directement du groupe desscénarios qui ne franchissent pas le seuil à celui des « overshootersinvolontaires » sans passer par le groupe des « résignés » pendantune phase transitoire. La décennie présente 2010-2020 apparaît clai-rement comme la décennie critique pendant laquelle le nombre de« résignés » est le plus important (832 en 2020, dans l’échantillon avec5% du PIB de saut de dommages), en raison d’un afflux importantde scénarios issus du groupe de ceux qui ne franchissent pas le seuilpendant la décennie 2000 - 2010 (+129). En outre, au cours de cette dé-cennie, il est encore possible – bien que cela soit onéreux – d’éviter lefranchissement du seuil. Tandis qu’au cours des deux décennies sui-vantes, la vague des « overshooters involontaires » devient tellementforte, de 151 en 2020 à 1244 en 2040 qu’elle referme inéluctablementla fenêtre d’opportunité politique pour atteindre la cible des 2 °C.

La répartition des scénarios entre les trois groupes évolue avec lereport progressif de l’abattement 2. Il faut noter que la forte augmen-tation des « overshooters » si le début des réductions d’émissions estreporté après 2020 n’est pas seulement due à l’afflux des « overshoo-ters involontaires ». Bien qu’une part grandissante des « résignés » de-viennent des « overshooters involontaires », il émerge, à chaque date,de nouveaux « résignés » issus des rangs de ceux qui ne franchissaientpas le seuil une période plus tôt.

La figure 19 fournit une explication de la progression rapide des« overshooters involontaires » après 2020.

Tout délai dans le début des efforts d’abattement augmente le coûtfutur des abattements drastiques qu’il faudra réaliser pour respecterla cible de température, et renforce également l’influence de l’iner-tie de la dynamique emissions-températures, présentée au chapitre 1.Cela peut rendre inéluctable, à partir de certains niveaux de concen-tration de CO2, le franchissement du seuil des 2 °C. La figure 19

indique que ce phénomène apparaît dès 2020 si aucun effort de ré-duction des émissions n’intervient auparavant et s’accentue avec toutdécalage du début des abattements. Dans le cas extrême où aucun ef-fort ne serait initié avant 2040, une grande majorité de scénarios (70%)deviendraient nécessairement « overshooters involontaires ».

Ces résultats suggèrent qu’une fenêtre d’opportunité pour atteindrela cible des 2 °C est en train de se refermer au cours de la décennieprésente, et révèlent en creux qu’il devient urgent de trouver une so-lution diplomatique au problème de coordination entre pays, sansquoi le maintien d’un objectif de 2 °C aura perdu toute crédibilité. Siles politiques climatiques avaient débuté au cours des années 1990,

2. Les matrices de transition de cette répartition sont fournies en annexe

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98 l’objectif des 2 °C est-il encore crédible ?

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0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5S

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Augmentation des températures

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0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5Augmentation des températures

2000

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150

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300

0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5Augmentation des températures

2010

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0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5

Sce

nario

s

Augmentation des températures

2020

0

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0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5Augmentation des températures

2030

0

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250

300

0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5Augmentation des températures

2040

Figure 19: Distribution des hausses de températures en 2100, pour 2000

scénarios au fil de l’eau, induites par les émissions passées enfonction de différentes dates de début des efforts de réductiond’émissions

ou au début des années 2000, l’engagement des pays vis-à-vis de lacible des 2 °C aurait pu être défendu de façon plus crédible. Cela in-dique que deux décennies ont sans doute été perdues pour mettre enœuvre des politiques climatiques crédibles et consensuelles et que ladécennie présente est cruciale pour conserver une chance d’atteindrela cible des 2 °C.

4.4 conclusion

La modélisation, avec RESPONSE, des dommages via une fonctionà effet de seuil met au jour des comportements optimaux inattendusde « résignation » qui consistent à accepter le franchissement du seuilde température et ainsi à préférer les dommages qui en découlentaux coûts d’abattement qui auraient pu les empêcher. Les facteursprincipaux qui favorisent ce comportement sont la date du début despolitiques climatiques, la sensibilité climatique et les coûts d’abatte-ment. Plus les efforts d’abattement commencent tardivement plus ildevient difficile d’empêcher le franchissement du seuil des 2 °C et lenombre des « overshooters » bondit significativement au cours de ladécennie 2010-2020.

Ce phénomène resterait une anecdote de l’analyse du comporte-ment du modèle RESPONSE s’il ne questionnait pas la crédibilité

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4.4 conclusion 99

de l’engagement politique réaffirmé au cours des négociations cli-matiques d’atteindre la cible des 2 °C. Ces négociations, depuis laconférence de Rio en 1992, ont débouché sur deux décennies perduespour l’action climatique qui mettent en péril la possibilité même d’at-teindre l’objectif et la crédibilité des futurs engagements. Les déci-deurs devraient en effet devenir de plus en plus réticents à mettreen œuvre des politiques climatiques ambitieuses s’ils pensent qu’ilest déjà trop tard pour agir et qu’ils sont paralysés par un effet de« résignation ».

Cette expérience de pensée réalisée à l’aide de RESPONSE révèleles failles et les contradictions d’un engagement sur la cible des 2 °Cmais renseigne également sur les politiques climatiques à mettre enœuvre pour rendre plus crédibles de futures cibles de 2.5 °C ou 3 °C.

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5L E C H A N G E M E N T D E PA R A D I G M E D E SN É G O C I AT I O N S C L I M AT I Q U E S

Les précédents chapitres ont montré qu’il n’existait pas d’argumentscientifique décisif pour déterminer une VSC précise. En revanche, uncadre méthodologique approprié permet de comprendre les raisonsdes divergences de résultats et de recommandations de politiquesclimatiques entre « tribus ». Ce cadre a aussi fait émerger des inter-valles de valeurs communes à différentes tribus, pour qui, de mêmesVSC peuvent être optimales pour des raisons différentes. Le chapitre4 a enfin souligné l’urgence de l’action pour conserver la possibilitéde maintenir la hausse des températures en dessous du seuil des 2 °C.Tout décalage dans le temps du début des efforts de réduction d’émis-sions rend de plus en plus inéluctable le franchissement du seuil, enraison de l’inertie des phénomènes climatiques et de l’augmentationdes coûts en cas d’accélération brutale des abattements.

Mais en quoi ces intervalles de valeurs, cette mise en relation entrevisions du monde et VSC, entre architectures de modélisation et typesde politiques climatiques, peuvent-ils être d’un quelconque intérêtpour le décideur public ? En d’autres termes, est-ce que le conceptde VSC peut passer du statut de « détour analytique » à celui celuid’« enjeu diplomatique » des négociations climat ?

La VSC traduit à la fois une appréciation de la capacité à payerdes Etats pour préserver le climat et aussi la richesse sociale créée parles efforts de réduction d’émissions. Peut-elle alors apparaître commela valeur d’un « surplus » dégagé par une coopération internationalesur les politiques climatiques ? Le chapitre 2 a montré que des visionsdu monde a priori éloignées pouvaient en théorie converger vers desvaleurs assez proches pour des raisons différentes. En pratique, unediscussion sur la VSC peut-elle favoriser l’émergence d’une zone decompromis au sein des négociations ?

Dans le cadre des outils qui étaient propres au protocole de Kyoto,Hourcade and Ghersi (2002) indiquent qu’une convergence semblaitalors possible entre l’Union Européenne et les Etats-Unis sur la dé-finition d’un prix plafond du carbone sur le marché, entre Etats, depermis d’émissions négociables. Depuis, les négociations se sont dé-portées sur d’autres enjeux. Le paradigme du cap-and-trade, au cœurdes discussions de Kyoto, a été écarté et le « lost deal » est vraimentinretrouvable. Transposé dans le cadre du nouveau paradigme quiémerge depuis la conférence de Cancun (2010), la négociation sur lavaleur que le monde attache au climat pourrait porter sur la détermi-nation d’une VSC.

101

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102 le changement de paradigme des négociations climatiques

L’absence de certitude scientifique sur le bon niveau de VSC et latension entre le langage des économistes et le langage naturel ren-forcent le caractère politique de ce concept. La mise en correspon-dance des visions du monde et des VSC permet de réintroduire unediscussion politique plus transparente sur les raisons des désaccordset d’envisager la quête d’un compromis sur la base d’intérêts biencompris.

Depuis la conférence des parties de Copenhague (2009), les déci-deurs politiques ont réaffirmé à chaque COP l’objectif de long termede maintenir la hausse des températures moyennes en dessous de2 °C. Une telle volonté politique de s’attaquer aux risques d’une dé-rive climatique révèle en creux la reconnaissance d’une valeur à l’ex-ternalité climat. Il devient alors diplomatiquement réaliste d’imaginerqu’un groupe de pays, désireux d’investir dans la transition bas car-bone, s’accorde sur la valeur sociale des émissions de CO2 évitées.En tant que valeur du dommage induit par l’émission d’une unitésupplémentaire de carbone, cette valeur a de fortes chances de croîtreavec la concentration en CO2 de l’atmosphère, et ce, d’autant plusfortement que cette dernière approche des niveaux potentiellementplus dangereux.

Atteindre un accord international sur la VSC exige de suspendrela controverse scientifique, au moins de façon temporaire, et relève,in fine, d’un compromis politique qui traduit la volonté des gouver-nements à lutter contre le changement climatique. Un tel compromisest le fruit d’un arbitrage entre précision et pertinence, ou en d’autrestermes, entre la valeur de l’attente d’une information plus précise etle gain d’une action plus précoce (Ambrosi et al., 2003).

Un accord politique sur la VSC ne doit pas être confondu avec lafixation d’un prix du carbone. Les instruments de type « taxe car-bone » ou « mécanisme de permis négociables » visent à faire payerle coût social de chaque unité de CO2 émise par l’ensemble du capitalinstallé. C’est pourquoi ils font face à de fortes oppositions de la partdes ménages et des entreprises fortement dépendants des énergiesfossiles et soulèvent des questions redistributives qui n’ont, à ce jour,pas trouvé de réponse satisfaisante au sein des négociations interna-tionales. En effet, bien qu’ils soient les plus commentés et les plusrecommandés dans la littérature, ces instruments ont été jusqu’à pré-sent systématiquement tenus en échec par la réalité géo-politique desnégociations climat, le même prix du carbone n’ayant pas le mêmecoût réel pour les pays du sud, dont le développement est fortementdépendant des énergies fossiles, que pour les pays du nord, en l’ab-sence de transferts significatifs des pays riches vers les pays pauvres.En touchant indistinctement le capital installé et le capital futur, unprix unique du carbone redéfinit un certain « contrat social » sans of-frir de compensations crédibles aux perdrants de ce nouveau contrat.De telles compensations semblent même, par nature, hors d’atteinte

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le changement de paradigme des négociations climatiques 103

car les pertes liées au changement des règles du jeu soulèvent desenjeux d’équité qui sont fondamentalement incommensurables.

Un accord sur la VSC devrait être beaucoup plus aisé à obtenirqu’un accord sur une taxe mondiale ou sur des engagements de ré-ductions d’émissions, car il n’ébranle pas les bases du « contrat so-cial ». La VSC représente seulement la valeur « notionnelle » des émis-sions de CO2 évitées par les investissements bas carbone futurs etn’affecte pas directement la valeur du capital installé. Contrairementà une taxe carbone qui définit combien il faut payer pour chaque unitéde carbone émise par le capital installé, la VSC n’impose un coût di-rect de court terme ni sur les budgets publics, ni sur ceux des firmesou des consommateurs. Elle fournit simplement un signal pour gui-der les investissements futurs en révélant la richesse sociale créée parchaque unité de réduction d’émissions. Elle pénalise alors seulementle renouvellement du capital installé intensif en carbone.

En prenant acte du jeu de contraintes économiques et géo-politiquesqui pèse sur les négociations, l’objectif est de concevoir un canalde transmission de la VSC inédit et potentiellement plus acceptableque le paradigme du prix unique mondial du carbone. Mais les bar-rières d’acceptabilité auxquelles se heurtent l’application d’une taxeou d’un marché carbone mondial ne plaident pas pour autant en fa-veur d’instruments de type normes ou subventions qui font courird’autres risques : celui de l’arbitraire des interventions publiques etcelui du jeu des lobbys. Ces instruments révèlent, en outre, des va-leurs implicites du carbone très disparates qui réduisent l’efficacitédes investissements bas carbone.

Partant d’un diagnostic plutôt pessimiste sur l’impasse des négocia-tions climatiques actuelles, les chapitres suivants examinent commentla valeur de l’externalité climat peut s’incarner dans des instrumentsde politiques climatiques originaux capables de dénouer les blocagesdiplomatiques identifiés et d’accompagner le « changement de para-digme » des négociations, initié depuis la conférence de Cancun en2010.

Ce changemement de paradigme conçoit les politiques climatiques,non pas comme un « fardeau à partager », mais comme de nouvellesopportunités d’investissements et de développement bas carbone. Lesimpacts macroéconomiques de la redirection des investissements versla transition bas carbone et le contexte de sortie de crise actuel in-vitent à concevoir de nouveaux instruments qui lieraient le défi dufinancement des politiques climatiques à celui d’un développementplus résilient aux chocs financiers et environnementaux futurs. Aucœur des discussions en vue d’un éventuel accord international en2015 (chapitre 5), la finance climat est considérée comme le principallevier de redirection de l’épargne longue vers les investissements bascarbone. Reste à inventer les dispositifs qui déclencheront et accom-pagneront la montée en puissance de cette finance climat.

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104 le changement de paradigme des négociations climatiques

Il s’agit de montrer comment la VSC peut être le signal prix politi-quement acceptable qui manque aujourd’hui aux négociations climatet devenir la pierre angulaire de différents mécanismes efficace definancement de la transition bas carbone.

Nous explorons dans le chapitre 6 le canal d’une politique moné-taire gagée sur le carbone pour ré-orientater les capitaux vers les in-vestissements bas carbone, directement inspirée des politiques nonconventionnelles menées depuis 2008 par les principaux banquierscentraux. L’originalité théorique de la démarche réside à la fois dansle remède préconisé – une politique monétaire non conventionnellepour résoudre un problème environnemental – ainsi que dans le sta-tut de la politique environnementale qui deviendrait le vecteur d’unepolitique macroéconomique de relance verte et de stabilisation del’ordre monétaire et financier (chapitre 6).

La démonstration conceptuelle de l’intérêt diplomatique et écono-mique d’un tel instrument demeure cependant incomplète. Elle méri-terait d’être renforcée par une évaluation de ses effets sur les grandséquilibres macroéconomiques (inflation, croissance) à l’aide d’un mo-dèle dynamique d’équilibre général par exemple dont nous présen-tons l’ossature formelle au chapitre 7.

L’objectif de ce chapitre est de décrire les raisons du « changementde paradigme » des négociations climatiques ainsi que le rôle que lafinance climat est amenée à jouer au sein des futures négociations.Une évaluation quantitative du volume des besoins de financements,ainsi qu’un état des lieux, plus qualitatif, sur les acteurs et les instru-ments de la montée en puissance des financements permettront dedessiner les contours de la finance climat.

5.1 l’impasse diplomatique

La justification d’une architecture climatique de type cap-and-traderepose sur les vertus théoriques d’un prix unique du carbone appli-qué au monde entier. L’efficacité d’une telle architecture reposeraiten effet sur (i) l’unicité du prix du carbone, (ii) la séparation entreefficacité et équité des instruments, et (iii) la création de mécanismesd’engagement des Etats (Bruce et al., 1996; Metz, 2001; Tirole, 2010).Les négociations qui ont mené au protocole de Kyoto étaient direc-tement inspirées par ce principe simple et séduisant de l’efficacitééconomique dans un monde de premier rang.

Mais après plusieurs années d’échecs répétés des tentatives de miseen œuvre d’un tel principe, il est sans doute sage de s’interroger surla pertinence d’une interprétation politique trop hâtive de la vulgateéconomique (Aldy et al., 2003; Aldy and Stavins, 2007). Nous verronsplus loin pourquoi les remèdes valables dans un monde de premierrang – avec marchés concurrentiels et transferts forfaitaires pour com-penser les effet redistributifs – peuvent ne pas produire les résultats

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5.1 l’impasse diplomatique 105

pareto-améliorant escomptés dans un monde de second rang, soit unmonde plus proche de la réalité (Lipsey and Lancaster, 1956). L’im-passe diplomatique peut ainsi être interprétée comme une impassedu paradigme du prix unique.

5.1.1 Le prix unique comme utopie

Le dernier rapport du GIEC émet des réserves sur les résultats decertains exercices de modélisation qui suggèrent qu’un prix uniquedu carbone, couplé à des transferts forfaitaires des pays riches versles pays pauvres, permettent d’atteindre des cibles climatiques am-bitieuses sans entraîner des pertes de PIB significatives au cours dusiècle.

Ce problème est souvent sous-estimé en raison d’une mauvaise in-terprétation de ce que font les modèles. Beaucoup de modèles sup-posent des anticipations parfaites, ce qui signifie, comme la figure20 l’illustre, que les agents économiques « voient » l’intégralité de latrajectoire optimale du prix du carbone pour atteindre une cible cli-matique donnée. Ils prennent ainsi des décisions aujourd’hui d’in-vestissements de long terme fondées sur des prix du carbone de200$/tCO2, par exemple, en 2080 et appliquent aux générations pré-sentes un prix plus bas de 10$/tCO2. Dans le monde réel, en re-vanche, les agents économiques ont de bonnes raisons d’agir d’unefaçon beaucoup plus « myope » car les marchés ne sont pas complets(les marchés de long terme sont absents) et les signaux sur le prixdu carbone dans des secteurs aussi fondamentaux que les infrastruc-tures de transports et le bâtiment sont brouillés par de nombreuxautres signaux politiques et économiques qui empêchent les agentsde répondre de façon « optimale » au signal prix du carbone. Dans unmonde avec anticipations imparfaites, la trajectoire optimale des prixdu carbone devrait ainsi être sensiblement supérieure à celle d’unmonde avec anticipation parfaite pour « forcer » l’incitation à agir etcompenser les effets distorsifs d’autres signaux envoyés par le mar-ché du travail, le marché immobilier et les subventions aux énergiesfossiles.

Il s’agit donc essentiellement de corriger un défaut d’anticipations.Le corriger seulement à l’aide d’un signal prix du carbone implique-rait des prix du carbone très élevés dans le court terme pour couvrir le« bruit » des signaux envoyés par d’autres marchés imparfaits. De telsprix risquent toutefois d’exacerber le coût (et notammant les coûtsdistributifs) de la transition bas carbone.

Ces bruits peuvent émaner par exemple des marchés informelsdans les pays en développement, ou du marché immobilier. Lampinet al. (2013) montrent ainsi que des politiques conjointes de taxe car-bone et de réduction du prix de l’immobilier ont un effet plus impor-tant sur la demande d’énergie qu’une taxe carbone seule.

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106 le changement de paradigme des négociations climatiques

Prix du carbone

Temps t1

Trajectoire optimale en supposant des « anticipations parfaites »

(P)

Trajectoire optimale en supposant des « anticipations imparfaites»

(I)

a

c

b

Figure 20: L’effet des anticipations imparfaites. Dans le contexte actuel, lesagents considèrent un prix du carbone a et n’anticipent pas sonévolution au-delà de la date t1. Dans un monde avec anticipa-tions parfaites, les agents perçoivent dès aujourd’hui l’intégralitéde la trajectoire P. Si le signal prix du carbone est brouillé pard’autres signaux imparfaits (incluant une méfiance vis-à-vis despolitiques publiques) alors un prix du carbone c > b doit êtreétabli en t1 et la trajectoire optimale du prix du carbone devientla courbe I.

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5.1 l’impasse diplomatique 107

Ainsi, les agents économiques ne prennent pas seulement leur dé-cision d’investissement sur la base du seul signal prix de l’énergie. Ilexiste d’autres incertitudes sur d’autres marchés qui doivent être in-tégrées à une décision d’investissement dans une centrale à charbonpar exemple qui aura une durée de vie de 50 ans.

En outre, pour apprécier les coûts de la transition énergétique, lesmodèles considèrent implicitement des coûts annualisés, et non descoûts d’investissement, ce qui tend à lisser les coûts dans le tempssans prendre en considération les coûts financiers de court terme dela mobilisation des fonds nécessaires à l’investissement.

Pour déclencher les investissements de la transition, il est doncnécessaire de mobiliser un ensemble de signaux économiques (prixde l’énergie, de la terre, de l’immobilier, des salaires, du risque), ac-compagnés de réformes institutionnelles appliquées aux secteurs del’énergie, des transports et du crédit. Les gouvernements mettronten œuvre de telles politiques en raison d’objectifs de politiques inté-rieures (développement régionale, emplois, nuisances locales) beau-coup plus larges que les seules préoccupations climatiques (Shuklaand Dhar, 2011).

5.1.2 La question des transferts Nord/Sud

La deuxième condition de l’efficacité du prix unique mondial quisépare efficacité et équité, dépend largement des transferts ex postque les pays du « Nord » consentiront à réaliser en faveur des paysdu « Sud » pour en limiter les effets distributifs négatifs. Il s’agit decompenser le « surcoût » que la transition fait porter aux pays dusud par rapport aux pays du nord. Ce surcoût est principalement dûau fait que les coûts de productions dans les pays du sud sont plussensibles à une hausse des coûts de l’énergie que dans les pays richescar le ratio prix de l’énergie sur salaire y est plus élevé (Guivarch,2010).

Toutefois, dans un contexte de crise budgétaire majeure des paysdu Nord, les pays du Sud anticipent que de tels transferts ont peu dechance d’avoir lieu et ont de bonnes raisons de douter de la réalitéd’un « partage du fardeau » des coûts de réduction d’émissions. Celacontribue à éloigner les anticipations réelles de celles du monde dupremier rang et entretient un climat de méfiance au sein des négocia-tions. L’attentisme qui en résulte est d’autant plus dommageable pourles pays en développement qu’ils sont amenés au cours des deux pro-chaines décennies à investir massivement dans les infrastructures detransport et de production énergétique qui vont largement détermi-ner la nature décarbonée ou non de leur sentier de croissance futur.

Il existe donc une fenêtre d’opportunité assez restreinte dans cespays pour éviter des lock-in technologiques intensifs en carbone, etdonc, pour réorienter les investissements dans les secteurs de l’éner-

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108 le changement de paradigme des négociations climatiques

gie, du transport, du bâtiment vers des infrastructures bas carbone(Shalizi and Lecocq, 2009; Fay et al., 2010).

Le projet RECIPE (Luderer et al., 2012) confirme que dans un mondeavec anticipations imparfaites, inerties techniques et imperfections demarché, le cadre du « prix unique » peut difficilement conduire à unaccord acceptable pour les pays émergents et les pays en dévelop-pement. En effet, pendant la phase de transition vers une économiedécarbonée, toute politique conduisant à sanctionner les émissionspar un prix du carbone ferait porter un coût inacceptable aux classesmoyennes et populaires ainsi qu’à l’industrie de ces pays, au momentmême de leur décollage économique. Hourcade and Shukla (2013)comparent ainsi l’impact d’une politique de prix unique sur le PIBindien avec le modèle GCAM-IIM et sur le PIB des pays en dévelop-pement à l’aide du modèle IMACLIM. Dans les deux cas, une poli-tique climatique qui se limiterait à la mise en place d’un prix uniquedu carbone, se traduit par un ralentissement de la croissance du PIBplus fort (de l’ordre de 6 à 10% 1) que lorsque la politique climatiqueest accompagnée de politiques, dites de « soutenabilité », dans le do-maine des transports, de la R&D, de l’efficacité énergétique et desénergies renouvelables. Ces mesures très agrégées des effets des po-litiques climatiques masquent des tensions internes plus difficiles àvaloriser.

Ces résultats montrent qu’il n’y a pas de « coût objectif » des poli-tiques climatiques car les coûts dépendent in fine des politiques do-mestiques qui seront mis en œuvre. Les NAMAs (Nationally Appro-priate Mitigation Actions) représentent la traduction diplomatiques decet argument. Les politiques publiques inscrites dans ces NAMAs nesont pas spécifiquement dédiées à la réduction des émissions maisvisent des objectifs plus larges que le seul objectif climatique. LesNAMAs contribuent à réduire l’intensité carbone des sentiers de dé-veloppement en mettant en œuvre conjointement : des politiques detransports et de logement afin d’éviter d’enfermer les populations mo-destes qui vivent à la périphérie des villes – en raison de la gentrifica-tion des centre-villes – dans des trappes à précarité énergétique ; despolitiques fiscales de type taxe carbone, des programmes d’amélio-ration de l’efficacité énergétique des équipements et de coopérationentre régions pour la production d’énergie, notamment hydrolique.L’enjeu est de parvenir à (ré)aligner les objectifs globaux de dévelop-pement avec un objectif climatique plus spécifique.

1. Ces chiffres n’indiquent pas une perte sèche de richesse pour le pays mais unecroissance de la richesse moins rapide que dans un scénario au fil de l’eau. L’Indeatteindrait ainsi en 2030 le niveau de richesse qu’elle aurait dû atteindre en 2030

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5.1 l’impasse diplomatique 109

5.1.3 La répartition des efforts entre Etats

Les transferts Nord-Sud pour compenser les effets distributifs d’unepolitique climatique globale étaient censés inciter les pays du Sudqui demeuraient, sous Kyoto, exemptés d’engagements quantitatifs,à s’engager dans un accord post-2012 contraignant sur des objectifsde réduction d’émissions. L’objet de la négociation aurait alors dûporter sur la mise en place d’une architecture mondiale de type cap-and-trade et sur le partage équitable du « fardeau » de la contrainted’émissions.

Mais le principe dit « du grand père » retenu de façon pragma-tique à Kyoto permet d’allouer les quotas d’émissions aux pays selonl’intensité carbone de leur capital installé. Un tel principe conféraitaux pays développés la grande majorité des quotas d’émissions et nepermettait pas de garantir des transferts Nord-Sud à la hauteur deseffets distributifs négatifs engendrés par le mécanisme pour les paysen développement.

De façon symétrique, une interprétation égalitaire du partage dufardeau, selon un principe d’égalité des émissions par tête dans lemonde, était jugée inacceptable par les pays du Nord. Et la notioncentrale de la convention cadre sur le changement climatique desNations Unies de « common but differentiated responsibility » apporteun nouveau principe sans préciser ce que serait la juste contributionrespective des pays. Cette impossibilité de s’entendre sur l’équité dela répartition des efforts entre pays est renforcée par le fait que larépartition originelle des pays en 1992 entre pays de l’Annexe 1 (paysriches du nord) et pays non-Annexe 1 (pays en développement dusud) est remise en cause au cours des années 2000 en raison de lacroissance rapide des revenus et des émissions de gaz à effet de serredes pays émergents (la Chine construisant par exemple une centraleà charbon par semaine).

Ainsi l’accord inachevé de Kyoto ne pouvait déboucher à Copen-hague en 2009 sur l’engagement du Nord et du Sud dans un mêmeaccord contraignant. En dépit de la présence de décideurs politiquesde très haut niveau et de la très forte visibilité du sujet climatiquedans l’agenda politique des pays du Nord à cette époque, la confé-rence fut un échec retentissant. Cet échec structurel est celui d’unparadigme de négociation fondé sur le « partage du fardeau » desréductions d’émissions, incapable de trancher le « noeud gordien »climat/développement (Hourcade et al., 2008).

5.1.4 Vers un « changement de paradigme »

Dans un contexte de blocage des négociations, de crises financièreet économique majeures, l’accord de Cancun appelle à un « change-ment de paradigme » pour construire une société bas carbone qui

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110 le changement de paradigme des négociations climatiques

« offrirait des opportunités substantielles, une croissance continue etun développement soutenable ». Le principe d’un « accès équitable audéveloppement soutenable » remplace celui d’un « droit équitable àl’atmosphère » qui a bloqué le dialogue Nord-Sud au cours des deuxdernières décennies. Ces propos un peu vagues de la rhétorique di-plomatique révèlent cependant le retour à l’esprit originel de l’accordde Rio (1992) qui liait politique environnementale et développement.La priorité accordée aux objectifs de développement est une condi-tion nécessaire pour embarquer les pays émergents dans un accordinternational futur. Ces pays pointent toutefois le risque de confusionentre les financements de l’aide au développement et ceux du climat.C’est pourquoi ils réclament l’« additionnalité » des seconds par rap-port aux premiers. Or, le contexte de récession économique dans lespays du nord et les surplus de réserves accumulées par certains paysémergents (les BASIC : Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine), ne peutqu’exacerber la « fatigue » et les réticences des pays donateurs.

Ainsi, le « changement de paradigme » présuppose la recherche desolutions pareto-améliorantes pour chacune des parties, sans sacrifierles générations présentes et sans trancher les questions d’équité et deresponsabilité historique qui doivent être reposées dans le contexteplus global des rééquilibrages en cours de la mondialisation (Foley,2009). Les enjeux soulevés dépassent alors largement le seul défi d’unbien public mondial comme le climat. Un prix du carbone aideraitsans doute à accompagner ces rééquilibrages dans le sens d’un accèséquitable au développement soutenable mais n’en sera certainementpas le seul instrument.

A Cancun, le « changement de paradigme » des négociations a éga-lement permis d’ouvrir le nouveau chantier du financement de latransition bas carbone. En l’absence d’un accord sur un grand mé-canisme de type cap-and-trade, la transition repose sur le lancementde projets de réduction d’émissions concrets dont les instruments definancement restent à inventer. Les pays du Nord se sont engagésà abonder un « fonds climat vert » (Green Climate Fund) qui sera ca-pable, lorsqu’il aura atteint son régime de croisière en 2020, de mo-biliser 100 G$ par an pour des projets d’atténuation et d’adaptation.Enfin, une vaste réflexion sur les financements innovants (taxes sur letransport aérien, mécanismes de financement public, prêt bonifié) aété confiée à une commission de haut niveau par le secrétariat généralde l’UNFCCC (AGF, 2010).

5.2 l’émergence de la finance climat

Depuis la conférence de Cancun, la finance climat occupe une placecentrale dans les négociations et dans les programmes de travail descercles d’expertise de l’affaire climatique (UNEP, 2010b,a; WorldBank,2009; Buchner et al., 2011).

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5.2 l’émergence de la finance climat 111

L’émergence de ce thème fait apparaitre l’idée que, fondamentale-ment, la transition bas carbone doit être conçue non pas seulementcomme un coût à se répartir entre pays mais comme un investisse-ment de long terme. Dans un contexte où les financements ne peuventprovenir des revenus d’une fiscalité carbone fléchés vers les projetsbas carbone – en raison des difficultés d’acceptabilité sociale d’unetelle fiscalité – le financement de cet investissement repose nécessai-rement sur l’endettement. Des instruments financiers appropriés sontà concevoir pour ajuster la bonne répartition dans le temps du poidsde cette dette. La finance climat permet ainsi de reposer la question del’équité intergénérationnelle des politiques climatiques dans de nou-veaux termes. Plutôt que de faire payer aux générations présentes lescoûts de politiques qui profiteront essentiellement à des générationsfutures globalement plus riches (surtout dans les pays en développe-ment), le financement de la transition par la dette offre des perspec-tives plus acceptables en étalant la distribution des coûts.

Deux grands leviers peuvent ainsi être actionnés : le crédit – doncla création monétaire ; et la redirection de l’épargne longue dispo-nible via des produits financiers gagés sur la valeur des réductionsd’émissions.

Etant données les contraintes qui pèsent aujourd’hui sur les bud-gets publics, l’essentiel des financements ne pourra provenir de l’in-vestissement public. Il faut alors concevoir les modalités de l’inter-vention publique qui maximise l’effet de levier de chaque euro publicinvesti sur les capitaux privés. Le rôle de la puissance publique consis-tera à apporter des garanties pour réduire la perception des risquesdes projets bas carbone par les investisseurs privés, à stabiliser uncadre institutionnel incitatif et à favoriser l’émergence d’instrumentsde financement innovants en l’absence (probable) d’un prix du car-bone mondial à court/moyen terme.

5.2.1 Les besoins financiers de la transition : derrière la querelle de chiffres

Plusieurs évaluations chiffrées des besoins d’investissement circulentdans le débat. Ces évaluations proviennent principalement de la lit-térature grise produite par des grandes organisations internationalesdont les sources et les méthodes de calculs sont difficilement appré-ciables. Cela rend la comparaison et la réplication des chiffres déli-cates. Les évaluations sont de l’ordre de plusieurs centaines de G$par an. Elles portent soit sur les besoins d’investissement supplémen-taires (100 G$ par an jusqu’en 2020 selon Smith et al. (2011) et Ol-brisch et al. (2011), et de 140 à 175 G$ par an pour les seuls paysen développement selon WorldBank (2009)), soit sur les besoins d’in-vestissements totaux (de 264 à 563 G$ pour les pays en développe-ment selon la banque mondiale). Le World Energy Outlook 2010 del’AIE (IEA, 2009) étabit que 18 000 G$ de « dépenses additionnelles »

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112 le changement de paradigme des négociations climatiques

– pour les entreprises et les consommateurs – seront nécessaires pouratteindre l’objectif de concentration de l’atmosphère de 450 ppm.

Ces deux mesures sont très souvent interprétées hâtivement commedes approximations du coût de la transition bas carbone. Or, le coûtréel de ces besoins de financement ne peut être apprécié qu’à l’auned’une analyse économique complète de l’investissement. Le besoind’investissement supplémentaire d’un parc éolien peut être compensé(en partie au moins) par des gains dans les coûts d’exploitation duprojet. A l’échelle macro, l’effet d’un surcoût d’investissement initial(dû principalement à la structure très capitalistique des investisse-ments bas carbone) ne peut être apprécié qu’après avoir intégré l’ef-fet induit de la baisse de la demande d’énergie, de l’amélioration del’efficacité énergétique des équipements et du changement des com-portements. Quant aux besoins d’investissements totaux, les chiffresbruts sont massifs mais ne doivent pas masquer le fait que l’essentielde ces besoins de financements relèvent de la redirection des inves-tissements (se substituant ainsi à d’autres investissements dans desprojets plus intensifs en carbone) et non de besoins nouveaux pourfinancer des projets supplémentaires.

A partir des chiffres fournis par l’AIE (IEA, 2009), un rapide cal-cul montre que les besoins de financement nets représentent en fait3% de la formation brute de capital mondiale, soit 0,6% du PIB (ensupposant une croissance mondiale de 3% jusqu’en 2020), ce qui neconstitue pas une barrière macroéconomique insurmontable. En effet,de vastes réserves d’épargne (environ 78 000 G$) détenues par lesinvestisseurs institutionnels (fonds souverains, fonds de pension, as-sureurs) sont disponibles de par le monde. Le fonds souverain norvé-gien détient à lui seul 700 G$. La banque centrale chinoise a accumulé3200 G$ de réserve. Or, l’observation au niveau macroéconomique dephénomènes de saving gluts (Bernanke, 2005) témoigne du fait quecette épargne disponible est en manque d’investissements productifsdiversifiés.

Elle risque ainsi de s’« agglomérer » aujourd’hui sur des actifs spé-culatifs tels que l’or, l’immobilier de luxe, les commodités agricolesqui alimentent des cycles de bulles et de crises financières aux ef-fets sociaux dévastateurs. D’énormes quantités de capitaux issus desrentes foncières et pétrolières, des subventions aux énergies fossiles(312 G$ en 2009 et pourrait atteindre 600 G$ en 2015 selon IEA (2010)),de la richesse investie dans les paradis fiscaux (5 878 G$ (Zucman,2011)) pourraient également être mises à contribution.

Bien sûr le rapprochement de ces chiffres est à prendre avec pré-caution car le bilan macroéconomique de ces capitaux « en suspens »,hors des circuits productifs, n’est pas évident à établir. Ils mettenten évidence cependant que l’enjeu n’est pas celui du sacrifice de laconsommation des générations présentes mais bien celui de la redi-

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5.2 l’émergence de la finance climat 113

Adaptation Fund (2009)

UNFCCC

Banques de

développement

Special Climate Change

Fund (2002)

Global Environment

Facility Trust Fund (1991)

Prototype Carbon Fund (2000)

Climate Investment Funds (2008)

•Strategic Climate Fund

•Clean Technology Fund

Green Climate Fund

(2010)

Carbon Partnership Facility (2010)

Forest Carbon Partnership Facility

(2008)

Forest Investment Program (2008)

UN-REDD (2008) Reducing Emissions from

Deforestation & Degradation

Least Developed

Countries Fund (2002)

Certified Emission Reduction (CER*)

(MOC et MDP)

Légende

Carbone REDD Adaptation

Prêts, capitaux

propres, garanties

Subventions

Dons (~ODA)

CER*

Taxe

Fonds climat

bilatéraux

Fonds

Figure 21: La galaxie de la finance climat (adaptée de (Benoist, 2011).

rection des capitaux disponibles, gérés par les fonds souverains et lesinvestisseurs institutionnels par exemple, vers des actifs bas carbone.

5.2.2 La galaxie de la finance climat actuelle

Il existe aujourd’hui une « galaxie » de la finance climat (figure 21)autour des agences de développement (Agence Française de Dévelop-pement, KfW, Japan International Cooperation Agency, Banque Mon-diale), de l’UNFCCC et de quelques fonds spécialisés sur le climat quise financent via des dons, des taxes, des prêts, des investissementsen capitaux propres et les revenus de la finance carbone. Ces der-niers, principalement issus du marché EU-ETS et des mécanismes decompensation/flexibilité (MOC, MDP, marchés volontaires) ne four-nissent qu’une faible part du total des financements. L’ensemble desvolumes financiers mobilisés demeurent cependant très en-deça desbesoins financiers évoqués plus haut. En 2010, alors que la sommedes engagements pris par l’ensemble des initiatives décrites dans lafigure 21 atteignait 29 G$, seuls 7 G$ ont été réellement débourséspour financer des projets. Quant aux investissements issus du secteurprivé, ils restent pour l’instant difficiles à évaluer et donc à situer ausein de cette galaxie. Actuellement à l’état embryonnaire, ils serontdans le futur décisifs pour déclencher la montée en puissance de lafinance climat.

Pour pallier les insuffisances de la finance carbone, les principauxintermédiaires de la finance climat ont cherché à développer des ins-

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114 le changement de paradigme des négociations climatiques

truments de financement innovants. Ces innovations consistent essen-tiellement en la combinaison d’instruments qui sont déjà à la dispo-sition des banques de développement mais appliqués cette fois auxprojets climatiques. La combinaison des instruments doit permettred’en améliorer l’effet de levier global. Ces outils sont souvent regrou-pés sous le nom de mécanismes de finance publique (MFP). Contrai-rement à la finance carbone, les MFP apportent un soutien direct auprojet dès la phase de démarrage du projet et non une fois qu’il a réa-lisé ses premières réductions d’émissions vérifiées. Les aides qu’ilsapportent sous forme de subvention par exemple ne couvrent pasl’intégralité des besoins de financement mais seulement une partiedu risque ou le coût « additionnel » du projet bas carbone.

Nous présentons six MFP emblématiques en précisant pour cha-cun leur objectif général, leurs cibles, leur mode d’intervention ainsiqu’un exemple d’application réussie.

5.2.2.1 Combinaisons d’instruments existants

combinaison de facilités de crédit. L’objectif de ce MFP estde baisser le coût global de financement pour que le projet soitfinancièrement viable. Il peut agir directement sur le coût definancement en combinant des prêts à taux zéro fournis par lesInstitutions Financières Bilatérales et Multilatérales (IFB et IFM)dans un package de prêts commerciaux, ou indirectement via l’ef-fet de réputation induit de la participation d’une IFM ou d’uneIFB sur les autres investisseurs potentiels. Un tel effet permetd’attirer à moindre coût des investisseurs privés. Il est amplifiépar la mise en relation par les IFM et les IFB des porteurs deprojet, des banques locales commerciales et des investisseurs.Ce genre d’initiatives encourage la coordination et le dialogueentre tous les types d’acteurs impliqués dans la réalisation duprojet, des financeurs aux acteurs locaux, mais aussi et surtoutentre IFM et IFB. Le climat de confiance peut enfin être renforcépar la fourniture d’assistance technique, de guide de procédureset de gestion de projet.La mise en place par la Commission Européenne du Latin Ame-rica Investment Facility (LAIF) en 2010 a bénéficié de ce levierreputationnel. Le capital initial fourni par la Commission étaitde 215 millions d’euros sur les trois premières années de fonc-tionnement. L’initiative cible prioritairement des projets d’infra-structure liés à l’énergie et aux réductions d’émissions. Ainsi,l’un des premiers projets soutenus a été un programme d’élec-trification et d’énergie renouvelable au Nicaragua. La contribu-tion du LAIF s’est élevée à 7 millions d’euros sous forme dedons (fournis aux représentants du gouvernement du Nicara-gua en charge du programme). D’autres IFB (BEI), IFM (CABEI)

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5.2 l’émergence de la finance climat 115

et banques commerciales locales ont fourni le reste de l’investis-sement dont le coût total est estimé à 309 millions d’euros.

lignes de crédit vert. Cet instrument permet aux banques com-merciales locales d’accorder des prêts aux porteurs de projetsverts à des taux avantageux, et de créer un réseau de finance-ment et de compétence solide au niveau local. Il repose sur despartenariats entre IFM/IFB et les institutions financières locales.La banque de développement japonaise JICA a ainsi mis enplace un tel partenariat au Sri Lanka, en collaboration avec laSri Lanka National Development Bank et sept banques commer-ciales. En parallèle, la JICA a fourni à des entreprises localesdes facilités pour une coopération technique afin d’accéder plusfacilement à des prêts. L’objectif est bien d’agir en priorité surles banques locales privées, en leur permettant de développerleur propre expertise sur les projets bas carbone. L’aide consistenon seulement à fournir des fonds bon marché, mais aussi à ai-der ces banques à identifier les investissements potentiels et lespartenaires locaux clés, ainsi qu’à sélectionner les projets.

soutien financier conditionnel . L’objectif de ce mécanismeest de diminuer les risques politique et réglementaire. Des IFM/IFBfournissent à des pays en développement des prêts et des donspour développer et mettre en œuvre les politiques qui permet-tront de créer un environnement réglementaire plus attractif etplus stable pour les investissements privés. Ces dons et ces prêtssont conditionnés à la réalisation d’objectifs politiques et régle-mentaires.Le Low Carbon and Resilient Development Program est un exemplede soutien à la mise en œuvre de politiques nationales dédiées àla transition bas carbone dans les pays en développement. L’ac-tion est menée par pays et la contribution des IFB et des autresdonateurs est liée à un programme de politiques à mettre enœuvre qui prouvent l’engagement de l’Etat local dans sa poli-tique de transition bas carbone. Ce programme envoie un signalpositif aux investisseurs privés sur la constance et l’efficacitédes réglementations en faveur des projets bas carbone. Le pre-mier LCRDP a été lancé en Indonésie par l’AFD et la JICA quiont fourni directement au budget de l’Etat Indonésien 1,6 G$entre 2008 et 2010. Les fonds étaient destinés à financer des pro-grammes de formation pour l’expertise de terrain et pour l’as-sistance technique. Il en découle la mise en place en 2009 d’untarif de rachat de l’électricité produite à partir de source géother-mique, le développement d’une régulation favorisant l’investis-sement privé dans les énergies renouvelables, et une meilleurecoordination interministérielle avec la création d’un conseil duchangement climatique.

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116 le changement de paradigme des négociations climatiques

instruments de partage des risques . Ces instruments visentà regrouper un vaste panel de financeurs publics et privés pourfinancer un projet en proposant des outils de mutualisation etde gestion des risques. Les IFB/IFM proposent ainsi à des in-vestisseurs aux profils de risque variés (fonds d’investissementspécialisés, fonds souverains et autres investisseurs institution-nels) de participer au financement de projets bas carbone endistinguant au sein du projet des classes de risque et en appor-tant des garanties aux tranches senior du financement (first lossguarantees en particulier). Ces opérations de « tranchage » oude structuration du risque requiert une gouvernance claire etsolide des véhicules de gestion des risques mis en place. Uneinstitution est souvent créée pour gérer les fonds sur le terrainet représenter l’ensemble des intérêts des financeurs.L’initiative Global Climate Partnership Fund et le Green For Growthsont deux exemples de partenariat de ce type, entre donateurs,contributeurs publics et investisseurs institutionnels privés.

assistances technique et financière . Des IFB/IFM fournissentune assistance technique et financière à des porteurs de projetspour lever les diverses barrières administratives qu’ils peuventrencontrer pour porter un dossier MOC ou MDP. Pour faciliterl’enregistrement des projets MDP, la Banque Européenne d’In-vestissement (BEI) propose ainsi un programme de prêts conces-sionnels destinés aux promoteurs de ces projets. Le rembourse-ment du prêt n’est requis que dans le cas où le projet est ef-fectivement enregistré auprès de l’UNFCCC. Carbon Funds gérépar la KfW offre également des services de conseils et d’aidepour l’enregistrement des projets MDP en particulier ceux depetite taille. Ces deux initiatives sont justifiées par la complexitéadministrative du système MDP qui limite l’accès à la financecarbone d’un grand nombre de projets qui en auraient pourtantbesoin pour améliorer leur rentabilité et attirer de nouveaux fi-nanceurs.

garanties apportées aux projets de petite et moyenne tailles .Là encore il s’agit d’une panoplie d’instruments sous forme deprêts concessionnels, de dons et d’autres instruments de ga-ranties et d’assistance technique fournis par une IFM/IFB etciblés sur des petits projets difficilement finançables dans lespays les moins avancés (PMA). Le Nordic Climate Facility lanceainsi chaque année un appel à propositions innovantes de pro-jets d’atténuation ou d’adaptation dans les PMA. Les projetssélectionnés peuvent recevoir entre 250 000 et 500 000 euros.

La finance climat actuelle est ainsi dotée d’une panoplie très riched’instruments conçus pour boucler les plans de financement de pro-jets bas carbone hétérogènes. Ce foisonnement d’instruments sou-lèvent cependant des interrogations sur l’additionalité des projets fi-

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5.2 l’émergence de la finance climat 117

100

10 20

Coûts investissement (phases de préparation et de construction)

BAU

Coût total ajusté du risque

Risques non liés au carbone (technologiques, régulation, pays, change etc.)

Bas carbone Projets

Coûts additionnels

100

10

139 126.5

Risques liés au carbone

2.5

Coûts d’opération 14

9

Outils de la finance climat

-5

-8

<126

Subvention

Garantie publique

-x

Marché de permis *

* Les risques liés au carbone pour le projet bas carbone dépendent de l’instrument utilisé pour faire émerger un prix du carbone: (i) dans le cas d’une taxe carbone, le projet bas carbone évite toute pénalité, (ii) dans le cas d’un mécanisme de marché de permis le risque devient même négatif car le projet recevra des revenus carbone

Figure 22: Décomposition du coût ajusté du risque d’un projet BAU et d’unprojet bas carbone

nancés, sur les effets d’aubaine dont ils peuvent profiter et sur lescoûts directs – quand il s’agit de subventions – ou indirects– quandil s’agit de garantie– qu’ils font porter aux budgets publics. Une tellefragmentation de la finance climat actuelle témoigne de l’absenced’un schéma simple et cohérent structuré autour de la même valeurimplicite du carbone.

5.2.2.2 Quels instruments pour réduire le coût total ajusté du risque desprojets bas carbone ?

Le coût total ajusté du risque des projets est composé de leur coûtd’investissement, de la valeur présente des coûts d’opération et descoûts de la perception des risques associés sur la durée de vie duprojet. Dans la figure 22 nous faisons l’hypothèse que les coûts d’in-vestissement du PBC sont 10% plus élevés que ceux du projet BAU enraison de l’intensité en capital plus forte des équipements bas carbone.La valeur présente des coûts d’opération du PBC est plus faible quecelle du projet BAU en raison des économies d’énergie réalisées parles équipements bas carbone. Mais ce gain n’est pas suffisant pourcompenser le « surcoût » d’investissement. Les risques intrinsèques,non liés au carbone (techniques, régulation, pays, change), du PBCsont supposés être le double de ceux du projet BAU (respectivement20 et 10) car ils incorporent des risques technologiques spécifiquesdus à l’absence de recul sur des technologies peu matures (Bowenet al., 2009). Le risque carbone repose quant à lui sur l’incertitude de

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118 le changement de paradigme des négociations climatiques

la mise en place d’une régulation du carbone et de l’émergence d’unprix du carbone. Il représente un coût potentiel pour le projet BAU etune espérance de gain pour le PBC, si la mise en place d’un marchéde permis d’émission lui procure des revenus carbone. Nous considé-rons que la pénalité carbone que paierait le projet BAU dans le casoù une régulation du prix du carbone (à l’échelle nationale ou inter-nationale) se metterait en place, vaut 10. En supposant qu’un accordsur une telle régulation ait 25% de chances de voir le jour, le coût durisque carbone vaut 2.5 pour le projet BAU. Ainsi la différence entreles coûts ajustés du risque des deux projets atteint 12.5 points. Le PBCdoit réduire de 9% son coût ajusté du risque pour devenir compétitif.

Pour ce faire, il est possible d’agir à la fois sur le coût additionnel del’investissement et/ou sur les autres composantes du coût du projet :

– en augmentant les chances qu’un accord sur un prix du carboneintervienne. Si un tel prix émergeait de façon certaine, le coût to-tal du projet BAU atteindrait 134. Et si l’accord prenait la formed’un marché de permis, cela transformerait même le risque car-bone pour le PBC en source de revenus qui le rendraient compé-titif si ces revenus excédaient 5. Mais en l’état actuel des négocia-tions climatiques, internationales ou domestiques, la possibilitéd’actionner ce levier « prix du carbone » demeure très incertainesur le court terme ;

– en réduisant les risques non liés au carbone du PBC. Les diviserpar deux à l’aide de garanties publiques apportées à travers descombinaisons de MFP traditionnels donnerait le même résultatque le paiement à l’aide de subventions de l’intégralité du coûtadditionnel de l’investissement bas carbone. Dans cet exemple,un support supplémentaire de +2.5 serait encore nécessaire pourrendre compétitif le PBC ;

– en combinant les outils existants de la finance climat et en élargis-sant le spectre de l’intervention publique aux composantes nonclimatiques des risques du projets.

En dépit de l’ingéniosité des combinaisons d’instruments, les ordresde grandeurs des financements mobilisés grâce à ces MFP sont loind’être à la hauteur des besoins de financement (UNEP, 2010b,a). SelonAGF (2010), l’effet de levier des MFP dédiés au climat serait mêmeinférieur à celui des MFP traditionnellement utilisés par les banquesde développement. Tandis que tout $ public dépensé via un MFP tra-ditionnel permet de mobiliser entre 3 et 15$ d’argent privé, le leviern’atteindrait que 2 à 4$ dans le cas des MFP dédiés aux projets clima-tiques (Maclean et al., 2008).

Cette relative faiblesse du levier des MFP climat peut provenir dufait que la finance climat a été conçue historiquement pour couvrirseulement le coût « additionnel » des projets bas carbone (PBC), soitle coût d’investissement supplémentaire qui est directement impu-table à la composante climat du projet. Or, comme le montre la figure

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5.2 l’émergence de la finance climat 119

22, le coût total du PBC ne se différencie pas seulement du projetBAU sur sa composante climat. Ainsi pour lui faire franchir le seuilde compétitivité, le but est de réduire son coût total ajusté du risque,quelle que soit la nature de la composante du coût qui est affectée.C’est pourquoi le troisième point mentionné plus haut sur l’élargis-sement du spectre d’intervention des outils de la finance climat estcrucial pour en améliorer l’effet de levier potentiel.

5.2.2.3 Des instruments financiers plus exploratoires

La forte croissance de la demande des investisseurs pour des pro-duits financiers « Investissements Socialement Responsables » ouvreune fenêtre d’opportunité pour émettre des titres financiers de type« obligations vertes » ou « obligations climat » à destination des inves-tisseurs institutionnels. Le succès de l’émission obligataire « verte »de la région Ile-de-France en 2012 a créé un précédent encourageant.La collectivité a réussi a emprunté 350 millions d’euros au taux de3,625% sur 12 ans. Ces ressources sont dédiées à (i) des projets de ré-novation thermique de logements sociaux, de lycées et de bâtimentspublics, (ii) des actions pour la protection des milieux naturels, (iii)des projets de l’économie sociale et solidaire.

D’autres expériences d’émission d’obligations climat ont été réa-lisées par la banque mondiale et la BEI pour un montant de plusde 4G$ depuis 2007. La réplication à grande échelle de ces expéri-mentations nécessiterait le développement d’un système de notationsstandardisées des produits et d’une régulation prudentielle incitatricepour que les investisseurs institutionnels ne soient pas exclus du mar-ché.

Le véhicule de l’émission de ces obligations pourraient être desfonds climat spécialisés, la BEI, ou encore le fonds climat vert. De Gou-vello and Zelenko (2010) ont proposé par exemple de concevoir leGreen Climate Fund sur le mode d’un Low Carbon Development Facility(LCDF) qui servirait d’intermédiaire entre le marché des capitaux etles projets bas carbone en émettant des obligations climat bien notéescar bénéficiant de la garantie des Etats actionnaires du fonds. En ré-gime de croisière, le LCDF permettrait d’émettre chaque année desobligations vertes AAA d’un montant de 100 G$ pour financer desprojets bas carbone qui, pris individuellement, seraient notés BBB. Uncalcul reposant sur des hypothèses conservatrices de corrélation desrisques entre les projets montrent que la capitalisation (paid-in-capital)du fonds à hauteur de 68 G$ serait suffisante pour garantir la soutena-bilité des obligations AAA. L’inconvénient d’une telle proposition estévidemment son coût budgétaire initial pour les pays actionnaires duLCDF. Il décrit toutefois un mécanisme financier concret à fort effetde levier potentiel de l’argent public sur les capitaux privés.

Des options encore moins coûteuses en argent public pourrait êtreexplorées à travers des véhicules de titrisation de prêts fournis à des

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120 le changement de paradigme des négociations climatiques

portefeuilles de projets bas carbone. Une fois tranchés ou structurés,ces portefeuilles de prêts seraient revendus sous forme de produitsfinanciers présentant différents profils de risque et donc différentsrendements. Chaque classe de risque de l’equity à la tranche seniorAAA pourraient attirer des investisseurs variés, des investisseurs encapital risque aux fonds de pension. Mais la responsabilité de cesproduits dans la crise financière de 2007/2008 risque de susciter desinquiétudes légitimes sur la possibilité de mettre en place une régle-mentation suffisamment contraingnante et crédibles pour empêcherla titrisation en cascade des produits et leur progressive déconnexionavec les risques sous-jacents qui ont conduit à la crise des subprimes.

5.3 les défis d’une finance climat à inventer

La montée en puissance de la finance climat est entravée par unesorte d’« injonction contradictoire ». D’un côté, la croissance des fi-nancements est un pré-requis pour briser le cercle de défiance quibloque les relations entre les pays du sud et les pays du nord, lespremiers doutant de la capacité des seconds à assumer leur respon-sabilité historique dans le changement climatique. D’un autre côté,en l’absence d’un accord global sur une régulation du prix du car-bone, les initiatives bilatérales et mêmes les propositions de taxesinnovantes (transports aériens, transactions financières) sont mena-cées d’apparaître comme des « expédients » symboliques sans portéeréelle.

En l’absence de signal prix sur la valeur sociale des réductionsd’émissions, la multiplication des initiatives pour déclencher des in-vestissements bas carbone risque de déboucher sur une aide fragmen-tée (parfois en se substituant à l’aide conventionnelle) et de créer fina-lement de nouvelles sources de défiance et d’inefficacité. Sans signalsur le prix du carbone, même les instruments de financement les plusinnovants ne peuvent garantir qu’ils permettent de financer de façon« efficiente » des réductions d’émission car ils ne sont pas capablesde hiérarchiser les projets bas carbone selon leurs performances envi-ronnementales. Une telle garantie ne peut reposer que sur des méca-nismes rigoureux de sélection et de vérification des projets ainsi quel’envoi d’un « substitut » du signal prix. Nous analyserons dans lesdeux chapitres suivants comment un accord sur la « valeur sociale ducarbone » peut remplir cette fonction de substitut et servir de pivôt àla montée en puissance d’une finance climat efficace.

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6U N P L A N M O N É TA I R E G A G É S U R L A « VA L E U RS O C I A L E D U C A R B O N E » P O U R D É C L E N C H E R L EF I N A N C E M E N T D E L A T R A N S I T I O N B A SC A R B O N E

Le contexte de sortie laborieuse de la « grande récession » est mar-qué par la co-existence de dettes à la fois privées et publiques, devastes réserves d’épargne et de facilités de crédit entretenues de fa-çon assez inédite par les principales banques centrales (Aglietta andHourcade, 2012). Le processus de désendettement engagé par lesbanques couplé à la préférence des investisseurs pour la liquidité surles marchés financiers face à l’incertitude conduisent à la situationparadoxale de surabondance de liquidités et de déficit de finance-ments pour les projets productifs de long terme. Les gestionnairesd’épargne et les distributeurs de crédit se trouvent placer devant uncertain dilemme de « l’âne de Buridan » ne sachant pas où orienterleurs investissements. Or, le dénouement du dilemme est tragique.Après avoir trop longtemps hésité entre le picotin et le sceau d’eaul’âne meurt de faim et de soif.

Le défi consiste ainsi à donner une direction à l’épargne de longterme et aux liquidités qui irriguent les marchés financiers. C’estpourquoi le contexte actuel offre également une opportunité histo-rique si le financement de la transition bas carbone devient une cible« naturelle » pour l’épargne longue et les liquidités en excès. En liantle défi climatique à celui de la réforme du système monétaire et finan-cier, l’objectif est de poser les fondements d’une trajectoire de déve-loppement plus résiliente aux chocs financiers et environnementauxfuturs.

L’essentiel des financements ne pouvant provenir des budgets pu-blics, la contribution du secteur privé et de la finance sera décisive. Ils’agit de mettre au point des mécanismes financiers capables d’orien-ter les réserves d’épargne mondiale gérées par le système bancaireet les investisseurs institutionnels vers le financement de la transitionbas carbone.

En ce qui concerne l’affaire climat, les principaux éléments d’unefeuille de route vers des négociations post-Kyoto réussies peuventêtre résumés ainsi :

1. l’urgence de l’action pour enclencher la transition énergétiqueet lutter contre les risques climatiques est largement admise ;

2. les contraintes qui pèsent sur les budgets publics interdisenttout plan de financement public ambitieux ;

121

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122 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

3. les économies émergentes intensives en énergies fossiles refusenttoute politique contraignante qui limiterait leur rythme de dé-veloppement ;

4. des négociations tournées exculsivement vers un mécanisme deprix unique du carbone se heurtent à des problèmes distributifsinextricables.

En reconnaissant que la poursuite d’un prix unique du carbone etl’approche dite du « partage du fardeau » conduisait à une impassediplomatique (Hourcade et al., 2008; Shukla and Dhar, 2011), les ré-centes négociations climatiques ont appelé à un « changement de pa-radigme » pour concevoir un accord international post-Kyoto (Skeaet al., 2013) sur le partage de « nouvelles opportunités » de dévelop-pement bas carbone. Comme nous l’avons souligné dans le chapitreprécédent, la finance climat est amenée à occuper une place décisivedans les discussions sur le futur accord.

Pour accompagner un tel changement de paradigme, de nouveauxinstruments économiques et financiers sont à concevoir. Ces instru-ments devront respecter un cahier des charges contraint : (i) mainte-nir un signal prix sans effet distributif inacceptable, (ii) garantir unimpact neutre (à court terme au moins) sur les budgets publics, (iii)renforcer l’attractivité relative des projets bas carbone pour les inves-tisseurs privés.

Dans ce chapitre, nous examinons une proposition d’architecture« climato-financière » qui utiliserait un instrument monétaire commedéclencheur de la montée en puissance de la finance climat. Cet ins-trument serait piloté par les banques centrales et fournirait au sys-tème bancaire des liquidités gagées sur un actif carbone. Un tel instru-ment s’apparente aux politiques dites « non conventionnelles » misesen œuvre par les principales banques centrales (FED, BoJ, BCE) de-puis la crise des subprimes pour relancer l’activité de crédit du sys-tème bancaire, en élargissant la gamme des actifs qu’elles acceptentd’accueillir dans leur bilan en contrepartie de l’injection de liquidités.

Cet instrument monétaire est conçu pour, à la fois, renforcer la sol-vabilité des PBCs et inciter les banques commerciales à soutenir lesinvestissements bas carbone en allégeant le coût de leurs contraintesprudentielles de bilan. Les principaux éléments de ce chapitre ont étépubliés dans (Hourcade et al., 2012a).

6.1 vision d’ensemble de l’instrument monétaire

Nous ne prétendons pas ici couvrir de façon exhaustive toutes lesmodalités pratiques de la mise en œuvre d’une politique monétairegagée sur le carbone. Nous proposons plutôt d’en analyser la cohé-rence conceptuelle à travers la description des principes clés de ce quepourrait être une architecture « climato-financière » capable d’orien-ter le secteur bancaire et l’épargne privée vers le financement de la

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6.1 vision d’ensemble de l’instrument monétaire 123

transition bas carbone. Le schéma de la figure 23 esquisse les princi-paux blocs d’une telle architecture.

Le mécanisme monétaire consiste essentiellement en l’injection deliquidités par la banque centrale d’une zone monétaire homogène, dé-diées au financement de PBCs. Ces liquidités ne font pas porter uncoût budgétaire direct aux Etats car elles sont émises par pure créa-tion de monnaie banque centrale, en contre-partie de la reconnais-sance d’un nouvel actif carbone. La valeur de cet actif est donnée parla VSC, fruit d’un accord politique entre pays sur la richesse socialecréée par la réduction des émissions de CO2.

Cette émission de liquidité gagée sur le carbone peut être interpré-tée, au même titre que les billets et les pièces qui sont émis par labanque centrale, comme l’achat de « parts sociales dans la richessecommune » 1. La banque centrale n’attend pas, en effet, le rembour-sement monétaire de ces liquidités mais fait le pari que ces « partssociales » vont produire des « dividendes » sous la forme de richesseréelle créée à court et moyen terme par les infrastructures bas carboneinstallées et leurs émissions de CO2 évitées, et à long terme par uneplus grande résilience de l’économie aux chocs environnementaux.

Un tel mécanisme améliore nécessairement la solvabilité des en-trepreneurs bas carbone car une partie de leur dette devient rembour-sable à l’aide de réduction d’émissions et non des revenus monétairesde leur projet. Selon les modalités de la mise en œuvre du mécanismeil peut également aider les banques à respecter leurs contraintes pru-dentielles de bilan.

Ce plan monétaire repose sur quatre piliers fondamentaux :

1. un accord politique sur la « valeur » (et non le prix) des réduc-tions d’émission et donc sur la VSC, entre les pays souhaitantparticiper au dispositif ;

2. le pouvoir de la banque centrale de créer de la monnaie banquecentrale en contre-partie de la valeur produite par les réductionsd’émissions ;

3. l’élaboration d’un mécanisme institutionnel de type MRV (Mea-surement, Reporting, Verification) pour contrôler la qualité des ré-ductions d’émissions et éviter des problèmes d’aléa moral entreles entrepreneurs bas carbone, les banques de second rang et labanque centrale ;

4. un système incitatif pour encourager entrepreneurs et financiersà participer au mécanisme.

Nous insistons sur le fait que ce mécanisme n’a pas vocation àse substituer intégralement à d’autres instruments de type taxe car-bone ou marché de permis d’émissions, qu’ils soient appliqués à uneéchelle nationale, régionale ou mondiale. Ce plan monétaire a pour

1. Cette expression est empruntée à Benes and Kumhof (2012) qui interprètent lamonnaie banque centrale comme de l’equity in the commonwealth.

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124 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

Actif Passif

Prêts - prêts bas carbone - prêts BAU

Climate bonds Dépôts -$ ____________ Capitaux propres

Epargne Ménages

Inv. Institutionnels

Banques commerciales

Projets bas carbone

Prêts

Remboursement

intérêts

Gouvernements

Organe de contrôle

MRV

$ et CC

$

Annonce politique monétaire

Accord sur la « VSC»

Vérification ↘ CO2

I

IV

III

Actif Passif

Or

DTS

Monnaie

Depôts des banques

Banque Centrale

•↗ solvabilité des investisseurs bas carbone •↘ coût capital réglementaire pour les banques

CC $

↘ C02 liquidités

II

Figure 23: Les principaux blocs d’une proposition d’architecture climato-financière fondée sur la VSC

ambition de catalyser la montée en puissance de la finance climatdans un contexte économique et diplomatique très contraint. Le re-cours à cet instrument peut être ainsi conçu comme une stratégie tem-poraire (de la même façon que les politiques monétaires non conven-tionnelles) de relance « verte » qui prendra fin quand les financementsde la transition bas carbone seront auto-entretenus.

Nous analyserons dans le chapitre suivant, à l’aide d’un modèlemacroéconomique d’équilibre général dynamique, les conditions d’équi-libre de ce plan. Un raisonnement qualitatif peut d’ores et déjà mon-trer que, bien que ce plan repose sur la création de monnaie banquecentrale, il n’engendre pas automatiquement des effets inflationnistescar il est strictement contrôlé, à la fois sur les prix (donnés par laVSC) et sur les quantités (le volume d’actif carbone que la banquecentrale est prête à accueillir dans son bilan) et correspond à l’exactecompensation de l’externalité climatique.

En ce qui concerne le réalisme diplomatique du plan, nous pen-sons qu’il peut être un bon candidat pour satisfaire les multiplescontraintes des négociations actuelles.

6.1.1 Valorisation politique de l’externalité climat

6.1.2 Intervention de la banque centrale

La banque centrale, en accord avec les gouvernements des pays dela zone monétaire qu’elle contrôle, annonce qu’elle met à disposition

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6.1 vision d’ensemble de l’instrument monétaire 125

des banques commerciales des liquidités pour financer des projets bascarbone. Elle annonce également qu’elle acceptera d’être rembourséeavec des certificats carbone (CC) qui attesteront de la réalisation ef-fective de réductions d’émissions. Elle crée ainsi une nouvelle classed’actif éligible, l’« actif carbone ». La valeur des CC est donnée par laVSC qui a été, au préalable, politiquement négociée par les Etats dela zone monétaire concernée et leur quantité est fixée par un volumedonné de réduction d’émissions que la banque centrale est prête àfinancer.

L’attribution d’une valeur conventionnelle à cet « actif carbone », dela même façon que la valeur donnée à l’or sous le régime de BrettonWoods, est justifiée en amont par un accord politique sur la VSC etrepose sur la réalisation effective de réductions d’émissions. Elle nemodifie pas fondamentalement le mandat de la banque centrale maisajoute un type d’actif à la liste des actifs éligibles.

Ce dispositif ouvre aux banques un droit à prêt « gratuit » d’unmontant proportionnel à la valeur des réductions d’émissions espé-rées des projets qu’elles financent. Il renforce la solvabilité des PBCet donc l’attractivité relative de leur financement, en leur permettantde rembourser une partie de leur dette sous forme non monétaire viades réductions d’émissions.

Le volume global de ce dispositif, et donc le droit de tirage desbanques sur ces liquidités, est borné par la quantité de réductiond’émissions que la banque centrale décide de financer. Au momentde l’annonce du dispositif par la banque centrale, ces nouveaux actifspotentiels pour la banque centrale, et les liquidités correspondantesau passif, apparaissent encore hors bilan, comme le suggère le tableau13. Ce n’est qu’à la suite de l’exercice par une banque commercialede son droit de tirage sur cette liquidité pour financer un PBC que labanque centrale reconnaitra dans son bilan (tableau 16 de la sectionsuivante) un nouvel actif, sous la forme d’une créance sur la banquecommerciale de la valeur des réductions d’émission espérées du pro-jet.

En acceptant d’être remboursée avec des réductions d’émissionseffectives, la banque centrale agit comme si elle payait un servicede réduction d’émissions et justifie l’émission de liquidité par la va-leur que la société accorde aux réductions d’émissions, soit un climatmeilleur.

6.1.3 Mesurer et vérifier les réductions d’émissions

Cette politique monétaire offre aux banques un droit de tirage « gra-tuit », proportionnel à la valeur des réductions d’émissions espéréesdes projets qu’elles financent. Pour s’assurer que ce mécanisme definancement profite aux véritables PBCs et récompensent des réduc-tions d’émissions effectives, un organisme international de contrôle

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126 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

Table 13: Bilan de la banque centrale

Actif Passif

Or Billets, pièces

Dette publique Réserves desbanques

Réductionde CO2

Liquidité àdisposition

indépendant (similaire au bureau exécutif du MDP actuel) serait encharge d’identifier les projets éligibles (taille, technologie, secteurs,durée), d’approuver les méthodologies pour contrôler leur perfor-mance et de certifier les réductions d’émissions réalisées par les pro-jets sur la base d’audits indépendants.

La fiabilité de l’architecture proposée repose principalement sursa capacité à certifier que les PBCs apportent une réelle contribu-tion au développement, à la croissance économique et aux réductionsd’émissions. A cet égard, les mécanismes de développement propres(MDP) ont pu apparaître comme décevants. La comptabilité précisedes réductions d’émissions, projet par projet, soulève des difficultésmajeures à la fois techniques, pour mesurer les émissions de CO2(surtout celles issues de sources dites « diffuses »), et politiques pourdéfinir les scénarios contrefactuels (ou baselines) à partir desquels lesémissions évitées sont calculées. Or, une telle comptabilité occupeune place centrale dans le dispositif MDP où chaque projet doit fairela preuve de son additionnalité environnementale (l’existence du pro-jet permet d’éviter des émissions par rapport à un scénario au fil del’eau) et économique (le projet ne devient rentable que grâce à l’ob-tention de revenu carbone). Ce critère d’additionnalité économiqueest censé empêcher des effets d’aubaine mais conduit également àdes décisions d’investissements absurdes, où les flux de capitaux sedétournent de PBCs rentables au profit de PBCs aux performanceséconomiques et financières moindres.

Pour garantir la crédibilité de notre architecture nous proposonsde substituer au critère d’additionnalité projet par projet, un critèred’« additionnalité statistique ». En effet, la robustesse du mécanismemonétaire ne dépend pas de l’additionnalité de tel ou tel projet maisde la garantie que l’ensemble des projets supportés par le mécanismea réalisé des réductions d’émissions supérieures à celles qui auraientété effectuées en son absence.

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6.1 vision d’ensemble de l’instrument monétaire 127

Trois situations peuvent apparaitre :

1. Les projets sont rentables par eux-mêmes. L’instrument moné-taire aura alors au moins servi à lever la barrière information-nelle (en termes de perception des risques et de crédibilité duprojet) qui empêchait jusqu’alors le lancement de tels projets ;

2. Les projets ne sont capables de rembourser leur crédit que grâceau mécanisme mis en place et/ou l’émergence d’un prix ducarbone (sous la forme de taxe ou de marché de permis) aumoins égal à la VSC ;

3. Les projets font défaut en raison d’erreurs de gestion, de diffi-cultés techniques ou de mauvaises appréciations ex ante de leurschances de succès.

Le défi consiste donc à déclencher une vague d’investissements, ensituation d’information incomplète sur les performances individuelsdes projets, pour constituer un portefeuille de PBCs qui serait glo-balement efficace d’un point de vue environnemental et économique.D’un côté, la quête d’une trop grande précision dans l’évaluation destonnes de CO2 évitées par tel ou tel projet pour établir le montantde CC auquel ils peuvent prétendre conduirait à geler les investis-sements. D’un autre, un trop grand laxisme sur l’attribution des CCviendrait subventionner de façon indue des projets qui n’en ont pasbesoin.

Sans entrer dans les détails et complications pratiques de l’appli-cation d’un principe d’additionnalité statistique des portefeuilles dePBCs, la régulation du mécanisme pourrait reposer sur :

– une taxonomie de PBCs (taille, technologie, durée, secteur) ;– un profil temporel de la contribution aux reductions d’émissions

de chaque type de projet (transports ferroviaire, bâtiment, éner-gies renouvelables etc.)

– le calcul de la valeur de cette contribution et donc de la quantitéde CC allouée à chaque type de projet.

A défaut d’une mesure précise et incontestable des émissions évi-tées par les projets, cette approche reconnaît la part irréductiblementconventionnelle de l’attribution d’une certaine quantité de CC à telou tel projet. Nous pouvons raisonnablement penser que les modèlesintégrés désagrégés ont accumulé au cours des deux dernières décen-nies suffisamment d’informations sectorielles pour fournir des ordresde grandeurs acceptables des réductions d’émissions associées auxprincipaux types de PBCs (énergies renouvelables, infrastructure detransports, isolation des bâtiments, usage des sols). Les valeurs pro-duites par ces modèles peuvent servir de référence au compromisfinal si elles sont encadrées par des procédures systématiques de com-paraisons de modèles et d’analyses de sensibilité pilotées par un co-mité d’experts.

Un moyen efficace pour protéger le mécanisme contre tout excès derigueur ou de laxisme consisterait à (i) n’allouer des CC à un projet

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128 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

que sur la base d’une fraction du volume de ses réductions d’émis-sions espérées, (ii) mettre en place un mécanisme d’apprentissagepar lequel la procédure d’allocation des CC peut être révisée dans letemps (sans effet rétro-actif sur les allocations passées).

Dans le même esprit, l’audit des projets (et la possible invalidationdes CC) doit reposer sur des critères observables simples pour éva-luer le degré d’accomplissement du projet par rapport à ses objectifsinitiaux. Ces objectifs peuvent être exprimés en termes de reductionsd’émissions quand la mesure est possible, ou en termes d’indicateursde bonne exécution physique du projet. La crédibilité de ces procé-dures d’audit des projets peut ainsi tirer profit de l’expérience desMDP et du développement des procédures MRV (Monitoring, Repor-ting, and Verification).

6.1.4 Un système incitatif pour les banques et les entrepreneurs bas car-bone

En acceptant d’être remboursée via des CC correspondants à desréductions d’émissions, la banque centrale procède en réalité à unéchange d’actif : elle substitue, à l’actif de son bilan, une créancemonétaire vis-à-vis d’une banque de second rang, par des CC ob-tenus par un entrepreneur bas carbone, soit un actif carbone. Cetéchange d’actif annule une partie de la dette de l’entrepreneur bascarbone, d’un montant équivalent à la valeur produite par les réduc-tions d’émissions que son projet a réalisées. La solvabilité et la ren-tabilité du projet bas carbone, de même que l’attractivité relative deleur financement pour des banques commerciales par rapport à desprojets conventionnels, s’en trouvent considérablement renforcées.

L’intérêt du dispositif pour les banques est non seulement de pou-voir financer des projets dont la solvabilité est accrue par une poli-tique monétaire ciblée sur le carbone, mais aussi d’alléger le coût descontraintes de bilan induit par le financement d’un nouveau projet.En effet, les banques qui acceptent d’être partie prenante du méca-nisme modifient la composition de leurs actifs en prêtant davantageà des PBCs dont la solvabilité est renforcée. La régulation prudentiellepourrait alors intégrer cette réduction du risque de crédit des PBCset considérer les banques prêteuses comme moins risquées. Cela leurpermettrait de bénéficier d’une réduction du coût de leur contrainteprudentielle. Nous proposons ainsi de compléter le dispositif par unerègle prudentielle favorable aux PBCs qui appliquerait un coefficientde risque nul – de la même façon que pour des obligations d’Etats – àla fraction du prêt qui provient des nouvelles liquidités gagées sur lecarbone émises par la banque centrale. Cela permet à la banque, pourune taille de bilan donnée, de réduire la somme des risques pondé-rés de ses actifs (RWA pour Risk-weighted Assets) et donc de réduire

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6.2 ce qu’une politique monétaire gagée sur le carbone peut changer 129

le coût associé à la contrainte prudentielle qui pèse sur ses capitauxpropres.

Pour la banque centrale, cette opération consiste in fine à payer unservice de réductions d’émissions à un prix justifié par un accordpolitique sur la VSC et par la disposition à payer de la société pourlutter contre le changement climatique

6.1.5 Redirection de l’épargne

Symétriquement au canal bancaire, le canal des investisseurs ins-titutionnels, principaux gestionnaires d’épargne, est également visépar le dispositif car l’objectif est de réorienter les capitaux privés versles investissements bas carbone. Avec cet instrument monétaire misen place par la banque centrale, les banques de second rang ont àleur disposition un outil pour développer une gamme de produitsfinanciers gagés sur le carbone, de type obligations climat ou pro-duits structurés à partir d’un portefeuille de PBCs capables d’attirerles capitaux de la finance responsable.

Le fait que la banque centrale accepte de payer les réductions d’émis-sions à leur valeur sociale apporte une garantie suffisante pour conce-voir des produits financiers sûrs et donc bien notés. L’inventivité del’ingénierie financière pourrait alors être mise au service de la créa-tion de produits financiers fondés sur la production d’une richesseenvironnementale.

De tels produits attireraient les ménages aisés qui souhaitent al-louer une partie de leur épargne à des investissements sûrs contri-buant à de « grandes causes » éthiques et environnementales. Ils inté-resseraient également les investisseurs institutionnels – fonds souve-rains, fonds de pension, compagnies d’assurance etc. – en quête d’in-vestissements de long terme bien notés pour satisfaire aux nouvellesréglementations prudentielles qui les empêchent de détenir des actifsdésormais considérés comme spéculatifs tels que les subprimes. Ils per-mettraient également de briser ce que nous appelons dans (Hourcadeet al., 2012a) le « dilemme de l’âne de Buridan ».

6.2 ce qu’une politique monétaire gagée sur le carbone

peut changer

Ce plan monétaire est pleinement en phase avec les multiples inter-ventions d’urgence menées par les grandes banques centrales depuisl’éclatement de la bulle des subprimes en 2007 pour prévenir un effon-drement du système financier. Alors que les taux d’intérêt directeursavaient déjà atteint la borne zéro, les principaux banquiers centraux(FED, BoJ, BoE et plus récemment la BCE) ont décidé de mettre enœuvre des politiques dites « non conventionnelles », prouvant ainsiqu’ils étaient déterminés à utiliser des outils diversifiés pour faire face

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130 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

à la crise. Ces instruments ont d’abord été considérés comme des ré-ponses pragmatiques à l’urgence de la situation (Bernanke, 2009) etont pu prendre différentes formes :

(i) offre directe de crédits à l’économie par la banque centrale pourcompenser la contraction de l’offre de crédits par les banques desecond rang plutôt engagées dans une stratégie de désendette-ment ;

(ii) mesures d’assouplissement quantitatif qui permettent de four-nir de façon inconditionnelle aux banques de second rang desliquidités bon marché pour soutenir leur activité de crédits ;

(iii) mesures d’assouplissement qualitatif qui conduisent à un chan-gement de la composition du bilan de la banque centrale enaccueillant à son actif de nouveaux actifs éligibles, souvent plusrisqués, voire des junk bonds dans le cas du sauvetage de Fred-die Mac par la FED par exemple ;

(iv) mesures de forward guidance à travers lesquelles la banque cen-trale s’engage publiquement à poursuivre son intervention jus-qu’à une certaine date ou jusqu’à avoir atteint un certain objectifd’inflation, de croissance ou d’emploi.

Parallèlement à ces interventions innovantes de la banque centrale,des travaux théoriques en macroéconomie ont permis de mieux repré-senter ces politiques non conventionnelles au sein de modèles d’équi-libre général et ainsi d’apprécier les conditions sous lesquelles ellespeuvent apporter des gains en bien-être social (Curdia and Woodford,2009; Gertler and Karadi, 2011). Il existe désormais de nombreux élé-ments qui supportent l’idée que les interventions des banques cen-trales ont eu globalement un effet positif (Borio and Disyatat, 2010).

Alors que ces politiques ont d’abord été conçues pour être tempo-raires, leur prolongement jusqu’à aujourd’hui a suscité un renouveaudes discussions sur la politique monétaire et sur le thème – devenu ta-bou – de la régulation de la création monétaire (Chamley et al., 2012).L’enjeu de ces débats est de déterminer qui du secteur privé ou dela puissance publique est le plus efficace et légitime pour contrôler lacréation monétaire.

Benes and Kumhof (2012) revisitent, par exemple, le vieux débatdes années 1930 et 1940 soulevé par le Plan de Chicago – connu égale-ment sous le nom de « 100% monnaie ». Ce plan défendu par des éco-nomistes comme Fisher (1936) et Simons (1946) visait à imposer unerégulation plus stricte au secteur bancaire en obligeant les banquesà disposer d’autant de réserves que de dépôts. L’objectif était alorsde rétablir la confiance des déposants dans les banques afin d’empê-cher les phénomènes de bank runs qui ont déclenché et entretenu lacrise des années 1930, et d’encadrer (voire supprimer) le pouvoir decréation monétaire des banques privés via le crédit. Il s’agissait de lescantonner au seul rôle d’intermédiaire financier.

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6.2 ce qu’une politique monétaire peut changer 131

Dans le contexte actuel, les banquiers centraux et les régulateursde l’ordre monétaire et financier (Turner, 2013) s’interrogent sur l’op-portunité d’autoriser les banques centrales à émettre des liquiditéspar pure création de monnaie banque centrale (overt money finance),appelée également par Friedman (1960) « monnaie hélicoptère ».

En redonnant aux banques centrale le pouvoir de créer de la mon-naie en contre-partie d’une richesse environnementale produite, notreproposition de politique monétaire gagée sur la VSC pour enclencherle financement de la transition bas carbone s’inscrit pleinement dansces discussions monétaires renouvelées sur la nature et la fonction dela monnaie.

6.2.1 Réactions du canal bancaire aux politiques monétaires non conven-tionnelles

Les politiques « non conventionnelles » ont débouché sur une in-jection massive de liquidités dans le système bancaire, dans l’espoirque ces liquidités seraient utilisés par les banques pour accroitre leuractivité de crédits et ainsi favoriser la reprise de la croissance. Cespolitiques ont eu des conséquences sans précédent sur les bilans desbanques centrales, à la fois sur leur taille et sur leur composition. Avecla politique d’assouplissement quantitatif QE2 par exemple, la FED aacheté entre 2011 et 2012 pour 600 G$ de bons du Trésor. Avec la po-litique QE3, la FED s’est engagée à acheter 40 G$ d’obligations hypo-thécaires par mois depuis septembre 2012. Cette intervention muscléese traduit in fine par une augmentation de plus de 1000 G$ des actifsdétenus par la FED et devrait contribuer à maintenir le taux d’intérêtdirecteur à un niveau proche de zéro au moins jusqu’en 2015.

Inondées de liquidités fraichement émises, les banques peuvent op-ter pour trois options possibles :

– elles utilisent ces liquidités pour augmenter leurs crédits aux pro-jets conventionnels qui sont censés produire une rentabilité su-périeure à celle des PBCs, présenter des risques financiers plusfaibles mais potentiellement créer des risques environnementauxde long terme plus importants en raison des émissions de CO2qu’ils dégagent. Un tel usage des nouvelles liquidités produit uneffet de relance temporaire car la croissance potentielle de longterme est limitée par des contraintes environnementales. Cettestratégie peut être considérée comme la « moins pire ».

– Elles n’utilisent pas les liquidités pour accroître leurs prêts auxentreprises mais conservent les liquidités dans leur bilan pouren restaurer l’équilibre, pratiquant ainsi une stratégie de delevera-ging accéléré. Cette option attentiste peut avoir des effets dépres-sifs considérables à court terme.

– Elles utilisent les liquidités pour investir dans des actifs spécu-latifs à haut rendement tels que l’immoblier, l’or, les matières

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132 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

premières, les produits financiers sophistiqués. Les gains espéréspour les banques sont élevés tandis que les gains macroécono-miques sont faibles. Au mieux, cette stratégie est neutre sur lesentier de croissance de long terme (les cycles de bulles et decrises se compensant exactement). Au pire, elle conduit l’écono-mie vers une crise systémique car l’éclatement de la bulle spécu-lative a des effets durablement dépressifs sur l’économie réelle.

Si la politique monétaire gagée sur le carbone que nous examinonsétait mise en œuvre, une quatrième réaction deviendrait alors pos-sible : la banque utilise les liquidités carbone pour prêter à des PBCs.Ces liquidités gratuites fléchées vers les réductions d’émissions amé-liorent la rentabilité perçues par les banques des PBCs par rapportaux projets conventionnels et rend ainsi leur financement attractif.Ces investissements bas carbone enclenchent un cercle vertueux decroissance soutenable. En effet, une fois que le déficit de production(output gap) – dû à la crise – est comblé, la croissance peut théorique-ment retrouver durablement sa trajectoire potentielle car l’externalitéclimatique n’est plus contraignante.

Le mécanisme que nous proposons revient à mettre en œuvre unepolitique d’assouplissement quantitatif gagée sur le carbone, ou en-core à injecter des liquidités carbone dans le système bancaire. Sicette émission de liquidités n’est pas accompagnée d’un montantéquivalent d’émission d’obligation d’Etat (et donc d’une augmenta-tion équivalente de la dette publique), elle relève de la pure créationde monnaie banque centrale ciblée. Or, étant donnés les ordres degrandeur en jeu, la montée en échelle de cet instrument monétairepeut avoir des conséquences non triviales sur le système monétaire etfinancier et finalement sur les grands équilibres macroéconomiques.La question de savoir si ces conséquences sont plutôt positives ouplutôt négatives sera traitée dans le prochain chapitre.

6.2.2 Le statut d’un actif carbone au cœur d’un ordre monétaire et financierrefondé

La crise financière de 2008 a révélé les failles de la régulation pru-dentielle de Bâle pour s’adapter aux innovations les plus sophisti-quées de l’industrie financière et contrôler la « finance de l’ombre ».Par mesures d’urgence, les gouvernements américain et européen ontété contraints en 2008 de socialiser les « mauvaises » dettes et la com-munauté internationale est toujours à la recherche d’outils de régula-tion et de stabilisation du système financier international.

Pour comprendre comment un instrument monétaire gagé sur lecarbone peut devenir un élément de la boîte à outil réglementaire, ilfaut rappeler que l’histoire moderne du système monétaire et interna-tional repose sur un « commerce des promesses » (Giraud, 2001) quia très largement déconnecté la valeur des « promesses » d’un projet

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6.2 ce qu’une politique monétaire peut changer 133

à financer de celle des contre-parties pré-existantes au projet. Noussommes loin du temps des Lombards où les lettres de crédit étaientgagées sur des coffre-forts remplis d’or et d’argent. Tout l’art desgestionnaires du système financier actuel consiste précisément à ajus-ter l’équilibre entre un laxisme monétaire risqué – vecteur de bullesspéculatives au coût social élevé lorsqu’elles éclatent – et l’extrêmerigueur qui entrave l’activité économique. Cet art subtile jongle avecdes indicateurs conventionnels qui fixent des règles prudentielles àtravers des ratio entre quantités de prêts (ou sommes des actifs ris-qués), réserves liquides et capitaux propres.

Mais le seul coffre-fort qui soutient aujourd’hui ce commerce despromesses est fondamentalement la capacité de travail des nations.Dit autrement, la capacité de travail des nations apporte la seule ga-rantie que l’argent dépensé produit effectivement une richesse. Lafaillite de l’Islande, de la Grèce et de l’Irlande, tout comme les diffi-cultés que traversent encore les pays d’europe du sud prouvent bienque le contenu de ce coffre-fort n’est pas illimité car la richesse crééepeut s’avérer bien en-deça des promesses qui circulent sur les mar-chés financiers, y compris sous forme de bulles spéculatives.

Nous ne reviendrons pas au temps des banquiers lombards ni àcelui de l’étalon or. Cependant la dernière crise financière a réouvertle débat sur ce qui pouvait être considéré comme un actif de réserveet comme la monnaie internationale de réserve. Le gouverneur ZhouXiaochuan de la banque centrale chinoise a évoqué à ce titre en 2009 lapossibilité d’étendre le rôle des droits de tirage spéciaux (DTS) émispar le FMI (Xiaochuan, 2009).

Dans notre proposition monétaire, l’avantage de l’actif carbone estqu’il ne repose, ni sur une richesse pré-éxistante, ni sur une richesseindéterminée ; mais plutôt sur la garantie qu’une certaine richessesociale – reconnue comme telle par un accord politique – sera créée infine sous la forme de bâtiments mieux isolés, d’énergies renouvelables,d’infrastructures de transport bas carbone etc.

L’idée de créer un nouvel actif de réserve international gagé sur desréductions d’émissions peut sembler étrange. Elle n’est cependant pasplus extravagante que l’ancienne convention qui faisait (et fait encoredans de nombreuses régions) d’un métal - si précieux soit-il – l’actifde réserve le plus communément accepté de par le monde. Mais àla différence de l’or qui est reconnu comme un stock de richesse pré-éxistante tangible, les actifs carbone représentent une promesse derichesse future contrôlable par la mesure d’unités de CO2 évitées.

Etant donnée la dimension globale des enjeux de l’externalité cli-mat et de la crise financière, il peut apparaitre opportun de relierces deux défis pour appréhender la refonte d’un système monétaireet financier plus résilient. De telles propositions ont déjà été défen-dues par des experts du FMI (Bredenkamp and Pattillo, 2010), quisuggèrent de lier la réforme du système monétaire international à

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134 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

l’affaire climatique. L’idée était alors d’utiliser les réserves en excèsde droits de tirage spéciaux (DTS) détenues par les pays du Nordpour abonder le capital d’un « fonds vert » qui servirait de levierpour financer des PBCs. Ces DTS convertis en parts sociales de cefonds seraient alors toujours considérés comme des actifs de réservesdes pays.

La montée en échelle de notre proposition monétaire, d’une zonemonétaire déterminée à l’échelle du monde, verrrait nécessairementle FMI et les DTS occuper une place centrale dans le dispositif. Il noussemble toutefois fondamental, à la différence du schéma proposé par(Bredenkamp and Pattillo, 2010) de conserver des leviers de contrôle« physiques » sur l’évolution du stock d’actif carbone en gageant l’ins-trument monétaire sur des réductions d’émissions effectives et sur lesignal prix de la VSC, fruit d’un accord politique.

6.2.3 Eclairer les investisseurs et soutenir une relance « verte »

Des mécanismes de redirection de l’épargne sont toujours suspec-tés de dissimuler leur coût d’opportunité réel. En effet, favoriser l’in-vestissement bas carbone au détriment des investissements qui au-raient été réalisés en l’absence de contraintes climatiques peut se tra-duire finalement par une perte globale d’activité économique, les in-vestissements bas carbone étant moins rentables que les autres. Maisun tel effet de crowding out des autres investissements productifs apeu de chances d’émerger dans le contexte économique actuel en rai-son du phénomène de saving glut observé par les macroéconomistes(Bernanke, 2005). Cette « agglomération d’épargne » qui « flotte » surdes actifs financiers très liquides de court terme (bons du Trésor amé-ricains) voire des actifs spéculatifs (or, immobilier, commodités) re-présente une source de déséquilibre macroéconomique majeure et té-moigne de la co-existence paradoxale de réserves d’épargne massiveset d’un manque d’opportunité d’investissements productifs (Zenghe-lis, 2011). Dans cette situation, les investisseurs sont confrontés à unesorte de « dilemme de l’âne de Buridan » (Hourcade et al., 2012a). Cetâne qui a hésité trop longtemps entre le seau d’avoine et le seau d’eaua fini par mourir de faim et de soif.

Une architecture financière gagée sur un actif carbone pourraitainsi briser un tel dilemme en aidant l’âne à prendre une décision, ouen d’autres termes, à guider les investisseurs dans leurs choix afin deles détourner d’options spéculatives et de les orienter vers des inves-tissements productifs bas carbone. L’émergence de telles opportunitésd’investissement pour les investisseurs de long terme interviendraitdans un contexte favorable où les nouvelles réglementations pruden-tielles obligent les investisseurs institutionnels à être plus prudentssur la nature de leurs engagements financiers, des produits étiquetés

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6.3 illustration : le circuit bancaire micro des certificats carbone 135

sûrs par les agences de notations avant la crise ayant pu se révélertrès risqués.

Cette réorientation des capitaux privés vers les investissements bascarbone permettrait, en outre, de compenser l’essoufflement probablede la demande de l’économie au moment où les Etats comme lesbanques optent pour des stratégies de désendettement. Dans ce cadre,lorsque le FMI ou la banque centrale européenne, par exemple, inter-viennent pour renflouer un pays, une partie du soutien pourrait êtredélivré sous forme d’actifs carbone, de tel sorte qu’il serait condi-tionné au lancement d’une vague d’investissements bas carbone. Ladifférence principale avec les plans de relance keynésiens tradition-nels est que les facilités de crédit sont alors fléchées vers des actifsbas carbone qui garantissent qu’un certain type de richesse socialesera produite.

6.3 illustration : le circuit bancaire micro des certi-ficats carbone

Pour compléter les principes théoriques d’une architecture finan-cière fondée sur un actif carbone qui permettrait de mobiliser, autourdes politiques climatiques, le système bancaire et les gestionnairesde l’épargne privée, cette section revient à une échelle plus micro etclarifie le circuit financier établi par l’injection dans l’économie de« liquidités gagées sur le carbone » par la banque centrale. L’objectifde cette politique monétaire est de (i) renforcer la solvabilité des pro-jets bas carbone ; (ii) inciter les banques commerciales à soutenir lesinvestissements bas carbone en allégeant le coût de leur contrainteprudentielle de bilan.

6.3.1 Banque et contrainte de bilan

Soit une banque dont le bilan simplifié, présenté dans le tableau 14,est composé à l’actif de prêts Lt et au passif de dépôts Dt et de sescapitaux propres Nt.

Cette banque est soumise à une réglementation prudentielle quilui impose d’avoir à chaque instant t un niveau de capitaux propreségal à une fraction γ de la somme de ses actifs pondérés par descoefficients prudentiels qui dépendent de la nature des actifs. Ce co-efficient est nul pour les obligations d’Etat (considérées comme sansrisque) et vaut 100% pour les prêts aux entreprises.

En faisant l’hypothèse, pour des raisons de simplicité, que tous lesactifs de cette banque sont des crédits aux entreprises, cela signifieque le bilan de la banque doit respecter à chaque instant t :

⎧⎪⎪⎨⎪⎪⎩

Lt =Dt +Nt

Nt ≥ γLt(6.3.1)

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136 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

Table 14: Bilan de la banque

Actif Passif

Lt Dt

Nt

En pratique, lorsque la banque finance un nouveau prêt d’un mon-tant lt au taux rl 2, elle doit, pour équilibrer son bilan et respecterla réglementation prudentielle, emprunter un montant équivalent deliquidités au taux rd (qui est le taux auquel la banque emprunte desdépôts) et s’assurer que la variation de sa richesse nette δNt vérifiebien in fine :

δNt = rllt − r

dlt ≥ γrllt. (6.3.2)

La norme prudentielle impose ainsi à la banque de fixer le tauxd’emprunt rl à :

rl ≥1

1−γrd. (6.3.3)

Dans le monde réel, à cette prime de risque au-dessus de rd, impo-sée par la régulation prudentielle, s’ajoute une prime liée à l’analysedu profil de risque propre à chaque crédit. Mais pour simplifier l’ex-posé, nous supposons que les revenus de ce prêt sont certains et doncque la banque n’a pas besoin d’ajouter une prime de risque au tauxrl qui est donc considéré comme le taux ajusté du risque.

Dans la suite de l’exemple γ est fixé à 8% en référence au ratioprudentiel préconisé par la réglementation de Bâle 3.

6.3.2 Deux projets concurrents à financer

Soit deux entrepreneurs en quête de financement pour développerun projet conventionnel (BAU) pour l’un et un projet bas carbone(PBC) pour l’autre. Les deux projets auraient le même coût d’investis-sement 110 et seraient financés en partie par de la dette d’un montantde 100 au taux rl et les 10 restants par des capitaux propres 4.

2. Le taux rl représente le coefficient multiplicateur appliqué au capital empruntélt qui permet de calculer le coût total cummulé de l’emprunt (intérêt + capital).

3. La réglementation de Bâle III est beaucoup plus complexe et ne peut se résu-mer à un ratio unique.

4. Avec un tel taux d’intérêt la banque est sûre de respecter le ratio prudentiel carles rentabilités des projets sont « ajutées du risque ». Si tel n’était pas le cas la banquepourrait relever le taux rl auquel elle prête à l’entrepreneur pour « s’assurer » contrele risque de perte du projet.

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6.3 illustration 137

Table 15: Bilan de la banque après l’octroi d’un prêt lt

Actif Passif

Lt Dt

+lt (rl) +lt (rd)

Nt

+δNt = γrllt

6.3.2.1 Caractéristiques du projet BAU

Le projet BAU a une rentabilité ajustée du risque de RBAU et sesrevenus totaux sont donc 110RBAU.

La part de ces revenus qui est prélevée par la banque pour le rem-boursement de l’emprunt est :

Γ(rl) =100rl

110RBAU. (6.3.4)

Cette part est croissante avec le taux d’intérêt de l’emprunt rl quidépend lui-même de la réglementation prudentielle définie par l’in-équation 6.3.3. 1 − Γ(rl) est la part des revenus qui revient à l’entre-preneur.

Soit rk une norme de rentabilité sur les capitaux propres communé-ment partagée par les acteurs du marché. Le projet BAU sera financéet lancé s’il vérifie les conditions suivantes :

⎧⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎨⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎩

rl = 10.92r

d condition prudentielle

100rl ≤ 110RBAU condition de solvabilité

RBAU ≥10rk+100rl

110´¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¸¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¶

coût moyen du capital

condition de rentabilité

(6.3.5)

La condition prudentielle définit les conditions d’emprunt tellesque la banque prêteuse respecte le ratio prudentiel de capitaux propres(en termes de risk weighted assets). La condition de solvabilité stipuleque les revenus du projet doivent être au moins supérieurs au coûtde l’emprunt. Enfin la troisième condition établit que la rentabilitéglobale du projet doit être au moins égale à un coût moyen du capi-tal de référence (CMBAU) qui dépend d’un taux de rendement descapitaux propres de référence rk.

Le taux de rentabilité des capitaux propres de l’entrepreneur s’écritcomme le ratio de ses gains sur ses capitaux propres engagés dans le

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138 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

projet. La contrainte de rentabilité qui s’applique au projet peut ainsise réécrire :

rBAUk =(1− Γ(rl))110RBAU

10≥ rk (6.3.6)

6.3.2.2 Caractéristiques du projet bas carbone

Soit RPBC, la rentabilité ajustée du risque du PBC qui est inférieureà RBAU en raison uniquement des coût additionnels d’abattementportés par le PBC. RPBC s’écrit ainsi :

RPBC = RBAU −Ca(at)

110, (6.3.7)

Ca(at) étant les coûts d’abattement (incluant les coûts de vérifica-tion des réductions d’émissions) portés par le PBC.

Le PBC produit certes une réduction d’émission de 5 unités car-bone ; mais en l’absence d’un prix du carbone, cette performance n’estpas valorisée dans la rentabilité du projet.

Dès lors, en s’endettant au taux rl, le PBC ne peut vérifier la condi-tion de rentabilité et le projet ne sera pas lancé par un acteur privésoumis à une contrainte de rentabilité rk.

Remarquons toutefois que, bien qu’il ne soit pas « rentable », lePBC peut demeurer « solvable » si la baisse de rentabilité n’est pastelle que les charges de l’endettement l’emportent sur les revenustotaux du projet.

Le schéma que nous proposons vise à réhausser la rentabilité descapitaux engagés par l’entrepreneur bas carbone en réduisant le coûttotal du prêt qu’il a contracté.

6.3.3 La transmission d’une politique monétaire gagée sur le carbone

Le mécanisme monétaire présenté dans les sections précédentespermet d’améliorer la rentabilité et la solvabilité relative du PBCpar rapport au projet BAU en réduisant le coût des liquidités à em-prunter par l’entrepreneur et le coût des contraintes de bilan pour labanque qui finance le prêt. L’opération doit au moins être financière-ment neutre pour la banque par rapport au financement d’un projetconventionnel.

6.3.3.1 Conséquences sur le financement du projet bas carbone

Les tableaux 16, 17, 18, 19 permettent de visualiser la transmis-sion de l’instrument monétaire à travers les bilans de la banque cen-trale, d’une banque commerciale et d’un entrepreneur de l’octroi àl’échéance d’un prêt d’une valeur de 100 à un PBC.

Le tableau 16 indique que sur les 100 prêtés à l’entrepreneur par labanque commerciale, 90 sont mobilisés au taux rd, et 10 proviennent

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6.3 illustration 139

Table 16: Bilans au moment de l’ouverture du prêt au PBC

Banque Centrale

Actif Passif

Prêt CO2+10 +10

5 C02 10

Réductionde CO2

Droits detirage

Banque Commerciale

Actif Passif

+90rl +90rd

+10 +10

+0.08(90rl)

Entrepreneur

Actif Passif

110RPBC

+90rl

+10

des « liquidités carbone » injectées par la banque centrale et corres-pondantes à la valeur (avec une VSC qui vaut 2) des 5 unités de CO2que le projet espère réduire. Les contraintes prudentielles de bilan nes’appliquent que sur la partie 90rl du prêt puisque la fraction 10 issuedes liquidités carbone bénéficie d’un coefficient prudentiel nul. Ainsi,pour respecter la contrainte prudentielle, la banque commerciale doits’assurer qu’elle peut immobiliser 0.08(90rl) de capitaux propres encontre partie de sa nouvelle créance, soit une réduction de 0.08(10rl)par rapport au financement du projet BAU.

A l’ouverture du prêt, la banque centrale inscrit à son bilan unnouvel actif correspondant à une créance de 10 qu’elle détient sur labanque commerciale qui fait le prêt au PBC.

Pour l’entrepreneur, l’obtention du prêt lui permet de mettre enœuvre un PBC qui apparaît dans son bilan comme un actif dont lerendement est 110RPBC. Dans son passif apparaît deux lignes quicorrespondent à sa dette, 90rl qu’il remboursera avec les revenus mo-nétaires du projet et 10 qu’il pourra rembourser avec des réductionsd’émissions effectives. Le coût total de l’emprunt pour l’entrepreneurest 90rl + 10 − αCC, avec α le nombre de CC qu’il parviendra effecti-vement à obtenir (α étant le nombre de CC espéré par le projet) parla certification des réductions d’émissions réalisées et dont la valeurest déduite du coût total du prêt.

Dans l’exemple décrit ici nous supposons que le projet réalise belet bien les réductions d’émissions espérées et donc que α = α = 5.

A la moitié de l’échéancier (tableau 17, le projet a remboursé 45rl

à l’aide de ses revenus monétaires et a réalisé 2.5 unités effectives deréduction d’émissions et a donc obtenu 2.5 CC. La banque centraledétient toujours une créance de 10 sur la banque commerciale.

A la dernière période de l’échéancier (tableau 18, le projet a rem-boursé 90rl à l’aide de ses revenus monétaires et réalisé, comme es-

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140 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

Table 17: Bilans à la moitié de l’échéancier du prêt

Banque Centrale

Actif Passif

Prêt CO2+10 +10

5 CO2 10

Réductionde CO2

Droits detirage

Banque Commerciale

Actif Passif

+45rl +45rd

+10 +10

+0.08(45rl)

Entrepreneur

Actif Passif

110RPBC

−45rl +45rl

+ 2.5 CC +10

Table 18: Bilans à la fin de l’échéancier du prêt avant échange de l’actifcarbone

Banque Centrale

Actif Passif

Prêt CO2+10 +10

5 C02 10

Réductionde CO2

Droits detirage

Banque Commerciale

Actif Passif

+0 +0

+10 +10

+0

Entrepreneur

Actif Passif

110RPBC

−90rl +0

+ 5 CC +10

péré, 5 unités de réduction d’émissions 5, d’où l’inscription à l’actif del’entrepreneur de 5 CC. La contrainte de bilan pour la banque com-merciale s’annule et seule demeure inchangée dans les bilans de labanque centrale et de la banque commerciale la ligne correspondantà la liquidité carbone.

C’est alors que la banque centrale procède à un échange d’actifen acceptant de substituer sa créance de 10 avec les 5 CC acquis parl’entrepreneur. Comme le montre le tableau 19, cela permet d’annulerla dette de l’entrepreneur vis-à-vis de la banque commerciale ainsique celle de la banque commerciale vis-à-vis de la banque centrale.La banque centrale accueille ainsi dans son bilan un nouvel actif (les

5. Remarquons que l’échéancier du prêt ne coïncide pas nécessairement avecl’échéancier des réductions d’émissions réalisées par le projet.

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6.3 illustration 141

Table 19: Bilans à la fin de l’échéancier du prêt PBC après échange de l’actifcarbone

Banque Centrale

Actif Passif

5 CC +10

Prêt CO2+10

5 C02 10

Réductionde CO2

Droits detirage

Banque Commerciale

Actif Passif

+0 +0

+10 +10

Entrepreneur

Actif Passif

110RPBC

−90rl +0

+ 5 CC +10

5 CC) qu’elle a financé en injectant 10 de liquidité dans l’économie,sur la base de la valeur attribuée par la société à la réduction desémissions. Le volume des liquidités carbone que la banque centralepeut émettre réduit d’autant, tout comme son objectif de réductiond’émissions.

6.3.3.2 En cas de différence entre réductions d’émissions espérées et réduc-tions effectives

Si le PBC ne parvient pas à rembourser l’intégralité de sa « dettecarbone » par des réductions d’émissions effectives, il doit alors rem-bourser la valeur monétaire des CC reçus pour des réductions d’émis-sions non réalisées, soit VSC(α− α), à l’aide de ses revenus au taux rl.Dès lors, l’entrepreneur devra utiliser une part plus grande des reve-nus du projet 110RPBC jusqu’à rembourser 90rl+VSC(α− α). Ainsi lenon respect de l’objectif environnemental se traduit par une pénalitéqui est une des garanties de l’intégrité environnmentale du système.Dans le cas où le projet deviendrait insolvable en raison de son inca-pacité à rembourser sa dette carbone 6 alors tous ses revenus sont prispar la banque. Les pertes de la banque sont mésurées par la différenceentre ses revenus effectifs et ses revenus espérés :

110RPBC − (90rl +VSC(α− α)) ≤ 0. (6.3.8)

6. Comme nous avons supposé que RPBC est la rentabilité ajusté du risque duPBC, le risque d’insolvabilité provient intégralement de la partie carbone du prêt etplus précisément de la différence VSC(α− α).

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142 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

Pour se prémunir contre toute perte la banque doit s’assurer aupréalable de la solvabilité globale du PBC dans le cas où aucune ré-duction d’émission ne serait réalisée 7, soit :

100rl ≤ 110RBAU. (6.3.9)

6.3.3.3 Conséquences sur le lancement du projet bas carbone

Le programme qui définit les contraintes de financement et de ren-tabilité du PBC en présence de politique monétaire gagée sur le car-bone s’écrit :

⎧⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎨⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎪⎩

rl = 10.92r

d condition prudentielle

90rl +VSC(α− α) ≤ 110RPBC condition de solvabilité

RPBC ≥10rk+90rl+VSC(α−α)

110´¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¸¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¶

coût moyen du capital

condition de rentabilité

(6.3.10)

En utilisant l’équation 6.3.7, la condition de rentabilité est vérifiéetant que :

RBAU −Ca(at)

110≥ CMBAU −

10rl −VSC(α− α)

110, (6.3.11)

ou encore tant que :

10rl −VSC(α− α)´¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¸¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¶

réduction coût total emprunt

≥ Ca(at)− 110(RBAU

−CMBAU)´¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¸¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¶

coût opportunité inv. addit. abat.(6.3.12)

Quand la baisse du coût total de l’emprunt l’emporte sur le coûtd’opportunité de l’investissement additionnel en abattement alors laperformance du projet bas carbone est supérieure à la norme de ren-tabilité exigée. En cas de « sur-performance » du projet par rapportau coût moyen du capital, une règle de partage des gains – que nousne discutons pas – entre l’entrepreneur et la banque peut être définie.

6.3.3.4 Application numérique

Pour résumer les effets du mécanisme proposé sur le financementd’un projet bas carbone, nous détaillons dans le tableau 22 les carac-téristiques d’un projet bas carbone fictif. Il s’agit d’un projet de dix

7. Notons qu’un tel système repose sur l’intuition développée par De Gouvelloand Zelenko (2010) selon laquelle de nombreux projets dans les pays émergentsnotamment seraient rentables, indépendamment de la valorisation des émissions decarbone évitées, mais se heurteraient à des barrières au financement pour des raisonsde (mauvaise) perception des risques.

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6.3 illustration 143

ans qui requiert un investissement de 110 financé par une dette de 90

au taux sur dix ans de rl = 1.89 8, 10 issus des liquidités prêtées par labanque centrale et remboursables en certificats carbone, et un apporten capitaux propres de 10 dont la rentabilité doit être supérieure àrk = 400%, soit 15% par an pour respecter la norme fixée par le mar-ché. Le projet permet d’éviter l’émission de 5 unités de carbone ensupportant des coûts d’abattement de 15. Il ouvre droit à 5 CC – siles réductions d’émissions sont certifiées – qui valent 10 car la VSCest fixée par accord politique à 2. Le taux de rentabilité d’un projetBAU est de 8% par an, soit RBAU = 2.16 sur 10 ans. La rentabilité duPBC est donc RPBC = RBAU −Ca(at)/110 = 2.02 et ses revenus totauxsont 223.

Grâce à la politique monétaire gagée sur le carbone, l’entrepreneurrembourse 90rl = 170 à l’aide de ses revenus monétaires et 10 parle biais de la certification des réductions d’émission du projet. Celasignifie que le coût total de l’emprunt est réduit de la valeur des ré-ductions d’émissions effectives. Tout se passe comme si la banquecentrale, en acceptant les CC en remboursement de sa créance, avaitacheté un service de réduction d’émissions. Les gains de l’entrepre-neur sont donc 110RPBC − 90rl = 53 et la rentabilité de ses capitauxpropres est de 530% ce qui lui permet de dépasser la norme de ren-tabilité. En l’absence de l’instrument monétaire proposé la rentabilitédes capitaux propres de l’entrepreneur n’aurait été que de 340%, soit13% par an.

Pour la banque l’opération est neutre tant que le PBC est solvable.Dans cet exemple, elle peut même être bénéficiaire si la banque ob-tient de l’entrepreneur une part de la “sur-performance” du projet.

La banque centrale a financé le service de réduction des émissionsrendu par le PBC via de la création monétaire d’un montant 5CC = 10.A l’échelle macro cette création monétaire est bornée par le volumede réduction d’émission que cette politique de la banque centrale apour objectif d’atteindre. Cette politique non conventionnelle revientà une injection de liquidités conditionnée au financement de projetsbas carbone.

Cette section illustrative s’est contentée de décrire un circuit microé-conomique possible de transmission de l’instrument monétaire gagésur le carbone entre la banque centrale, les banques commerciales etles projets bas carbone. Elle n’épuise pas les canaux par lesquels untel dispositif permettrait d’accroître l’attractivité des investissementsbas carbone dans un univers risqué en utilisant par exemple les cer-tificats carbone comme collatéraux à des portefeuilles de projets bascarbone ou encore pour attirer l’épargne détenue par les investisseursinstitutionnels par des obligations dédiées au financement de la tran-sition bas carbone.

8. Cela correspond à un taux annuel de 14% en supposant une capacité annuellede remboursement du projet de 17.5.

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144 un plan monétaire gagé sur la « valeur sociale du carbone »

Table 20: Exemple chiffré de comparaison des caractéristiques du finance-ment de deux projets BAU et bas carbone avec politique monétairegagée sur le carbone

BAU PBC

Durée projet 10 ans 10 ans

Investissement 110 110

RBAU 2.16 2.02

Dette $ 100 90+VSC(α− α

Dette carbone 0 CC = 5

VSC 2

taux d’emprunt 1.89 1.89

Coût total emprunt 189 170

Coût abattement 0 15

Revenu total 110RBAU = 238 238− 15 = 223

Revenu entrepreneur 49 53

Coût moyen du capital 10∗1.1510+100∗1.89110

≈ 2.09 10∗1.1510+90∗1.89110

≈ 1.91

Rentabilité k propres avec CC 490%, soit 17%/an 530%, soit 18%/an

Rentabilité k propres sans CC 17%/an 340%, soit 13%/an

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7V E R S U N E É VA L U AT I O N M A C R O É C O N O M I Q U ED U P L A N M O N É TA I R E

Dans ce dernier chapitre nous présentons un travail encore explora-toire d’intégration du mécanisme monétaire présenté dans le chapitreprécédent dans un modèle DSGE neo-keynésien avec accélérateur fi-nancier.

Ce type de modèle d’équilibre général est suffisamment simplepour que le modélisateur soit capable de tracer le canal de trans-mission d’une politique économique et suffisamment complexe pourmettre au jour les effets d’équilibre général non triviaux que dif-férents instruments économiques peuvent déclencher. L’objectif estdonc de mettre au point un cadre macroéconomique cohérent quipermette d’évaluer les effets relatifs de différents instruments de lapolitique climatique dont les traditionnelles taxe carbone, marché depermis et norme d’émission, ainsi que l’instrument monétaire plusoriginal que nous examinons.

Ce chapitre ne propose qu’une esquisse formelle du cadre d’évalua-tion des mérites et des inconvénients de chacun de ces instrumentsà l’aune de leurs effets sur de grands indicateurs macroéconomiquesque sont l’inflation, la croissance, la consommation, l’investissement.Un tel exercice de modélisation est nécessaire pour ancrer l’intuitionselon laquelle une politique monétaire gagée sur le carbone a globa-lement des conséquences positives, sur un modèle macroéconomiquelargement reconnu au sein de la communauté des économistes. Larésolution numérique du modèle et ainsi la production d’évaluationquantifiée n’a pu être menée à son terme au cours de ce travail dethèse.

7.1 un modèle pour répondre aux objections

Les objections les plus courantes qu’une proposition de politiquemonétaire gagée sur le carbone peut susciter sont regroupées autourde trois thèmes : monétaire, climatique et institutionnel. L’effort demodélisation produit dans ce chapitre a vocation à répondre aux prin-cipales critiques.

7.1.1 Ojections monétaires

La légitimité d’un instrument monétaire pour mener une politiqueclimatique n’est pas évidente car cet instrument n’a, jusqu’à présent,jamais fait partie de la « boîte à outil » des politiques environnemen-

145

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146 evaluation macroéconomique

tales. Pourquoi, dès lors, une politique monétaire serait-elle appro-priée pour atteindre des objectifs climatiques ?

Des réponses à cette question ont été apportées dans les deux cha-pitres précédents en termes d’économie politique des négociationsclimat. Aucun accord n’ayant été trouvé sur un marché de permis ousur une taxe carbone mondiale, d’autres instruments plus acceptablessocialement sont à inventer. Le plan monétaire gagé sur la VSC quenous proposons apparaît comme un bon candidat pour satisfaire auxmultiples contraintes des négociations climat pour les trois raisonssuivantes :

(i) elle apporte une solution rapide pour mobiliser des finance-ments sur les nouveaux investissements bas carbone ;

(ii) elle fait porter aucun coût direct aux gouvernements et ne pé-nalise pas le capital installé ;

(iii) elle pourrait bénéficier du relatif consensus des banquiers cen-traux sur les succès des politiques monétaires non convention-nelles menées depuis le déclenchement de la crise financière.

D’autres sources de doutes sur l’efficacité du mécanisme proviennentd’un certain « réflexe monétariste » qui voit dans toute politique decréation monétaire une menace inflationniste. Si l’argument énoncéau chapitre précédent selon lequel la création monétaire induit parle mécanisme proposé ne fait qu’accompagner la création d’une ri-chesse nouvelle (les émissions évitées) ne suffit pas pour convaincrede l’inocuité monétaire du dispositif, alors l’évaluation quantitativede l’effet sur les prix, à l’aide d’un modèle macroéconomique d’équi-libre général, est décisive.

Enfin, des critiques peuvent viser la nature de l’instrument utilisé.Ne s’apparente-t-il pas finalement à une subvention déguisée ? Aveccomme incidente qu’une telle subvention sera nécessairement payéein fine par les contribuables. Pour répondre à cette objection il faut pré-ciser que la liquidité carbone ne provient pas du budget public. Elleest créée ex nihilo par la banque centrale grâce à son pouvoir de créa-tion monétaire quand elle ouvre un crédit à une banque de secondrang, sur le fondement d’une promesse, ou d’un pari, que les projetsbas carbone qu’elle permet de financer produiront bien des réduc-tions d’émissions. Quand la banque centrale accepte ensuite d’échan-ger sa créance contre des certificats carbone, elle « monétise » cettecréance et ainsi la richesse sociale que les réductions d’émissions ontcréée. S’il s’avère que la banque centrale a « surpayé » ce service deréduction d’émissions, alors les contribuables, ou plutôt les consom-mateurs (ou encore les rentiers), devront fatalement payer ce surcoûtvia de l’inflation. Cet instrument ne fournit pas seulement un prêt bo-nifié à un certain type de projets pour les services environnementauxqu’il rend, il consiste fondamendalement en la prise de participationde la banque centrale (donc de la société) dans la production d’unerichesse commune, soit des réductions d’émissions de CO2.

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7.1 un modèle pour répondre aux objections 147

Des préoccupations sur la stabilité financière du mécanisme peuventnaître également. Comment prévenir l’émergence de bulles carbonesuivies de crise de type subprime carbone ? Si cette liquidité carbonestimule la créativité des ingénieurs de la finance pour concevoir desnouveaux supports d’épargne ou de nouveaux produits financiersstructurés, des intermédiaires financiers apparaîtront nécessairemententre les banques et les projets pour diversifier les risques et finan-cer des portefeuilles de PBCs. Cela peut engendrer ce que TimothyGeithner appelle le « non-bank financial system », responsable des dé-rives de la finance de l’ombre. Ce système aux incitations perverses aalimenté la bulle immobilière et l’augmentation spectaculaire de l’en-dettement privé qui a, en retour, menacé le système financier dansson ensemble.

Le risque d’une bulle carbone suivie d’une crise de type « subprimecarbone » si la rentabilité des PBCs se trouve en réalité très en-deçades attentes, paraît extrêmement faible. En effet, alors que la crois-sance des prix de l’immobilier ne reposait que sur le maintien detaux d’intérêt très bas et était potentiellement illimitée (bien que lesarbres ne montent pas jusqu’au ciel...), la VSC qui donne la valeurdes certificats carbone est connue avec certitude puisqu’elle est défi-nie par un accord politique. En d’autres termes, l’émergence d’unebulle carbone est bloquée par la pré-détermination politique de lavaleur du carbone. Quand bien même un marché dérivé des CC sedévelopperait, la valeur de marché des CC ne pourrait diverger du-rablement de leur valeur faciale car in fine, seule la banque centraleest habilitée à les « monétiser » et elle ne leur reconnaît qu’une valeurconventionnelle fixée au niveau de la VSC.

Le risque d’un emballement spéculatif autour des produits finan-ciers gagés sur le carbone semble d’autant plus limité que les sous-jacents de ces produits sont des actifs de long terme qui produisentdes services énergétiques, de transport et environnementaux, et de-vraient essentiellement attirer une épargne longue, soucieuse de lastabilité d’une rentabilité à long terme.

En outre, la banque centrale et les gouvernements disposent d’unlevier de contrôle du mécanisme très souple et efficace à travers le co-efficient qui lie le nombre de CC alloué par unité de CO2 évitée. Auxpremiers signes précurseurs d’un emballement spéculatif, la banquecentrale pourrait en effet réduire ce coefficient et tuer à la racine unetelle dérive.

Le système que nous avons décrit possède ainsi deux leviers prin-cipaux pour éviter que la politique monétaire gagée sur le carbonene déclenche une spirale inflationniste incontrôlée et fasse courir unrisque systémique sur le secteur bancaire : (i) les crédits et produitsfinanciers bas carbone sont gagés sur des CC authentifiés par des pro-cédures de contrôle rigoureuses ; (ii) l’ajustement fin de la relation quilie le nombre de CC par unité de réduction de CO2 et la VSC.

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148 evaluation macroéconomique

7.1.2 Objections climatiques

Des craintes peuvent émerger au sujet du traçage des liquiditéscarbone et donc sur l’intégrité climatique du mécanisme. Comments’assurer que ces liquidités seront bien utilisées pour financer desréductions d’émissions ? Cette question rejoint en premier lieu unequestion plus sémantique sur la définition du périmètre des PBCs.

D’un point de vue institutionnel, il s’agit d’un ensemble hétérogènede projets. Il y a les PBC qui s’inscrivent dans le cadre onusien duMDP ou de la MOC, mais aussi ceux de la compensation volontaireet ceux placés sous la tutelle d’organisations non gouvernementales.La caractéristique commune de cet ensemble de projets est d’inté-grer un objectif d’atténuation et de valoriser le service de réductiond’émissions (même d’une façon non monétaire en l’absence de prixde marché du carbone) dans l’analyse du projet. L’objectif d’atténua-tion peut ne pas être l’objectif prioritaire mais venir en complémentd’un objectif de développement socio-économique ou sanitaire.

La notion d’atténuation, au cœur de cette définition, ne peut êtreentendue que par rapport à un scénario de référence – dit baseline– qui est par nature conventionnel et représente le scénario à partirduquel les performances des PBCs sont mesurées. Un tel scénario sesitue au cœur d’enjeux de négociations cruciaux, car plus il prévoitdes niveaux d’émissions élévés moins il sera difficile, et donc coûteux,d’atteindre un objectif de réduction d’émissions donné. A ce titre, desarguments de théorie des jeux très puissants ont été formulés à l’en-contre des méthodologies MDP qui inciteraient les pays en dévelop-pement à accroître leurs émissions actuelles pour maximiser le niveauespéré des émissions de la baseline qui leur sera conventionnellementattribuée (Tirole, 2010).

Sans prétendre apporter de solution à ce débat majeur, nous propo-sons de dresser une typologie de PBCs qui différencie quatre grandstypes d’activités bas carbone :

– l’efficacité énergétique (bâtiment, éclairage, processus de produc-tion industrielle),

– la production d’électricité (biomasse, hydroélectricité, éolien, gaz),– la gestion des déchets (solide et gazeux),– l’usage des sols,– le transport.L’intégrité environnementale du dispositif reposerait alors sur la

capacité des autorités de contrôle à vérifier que les liquidités carbonesont bien dirigées vers ces quatre types d’activités et sur la contri-bution effective des projets concernés aux réductions d’émissions. Laproposition faite dans le chapitre précédent de mesurer cette contri-bution sur la base d’une « additionnalité statistique » et non sur unecomptabilité carbone projet par projet, permettrait de pallier les dé-

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7.1 un modèle pour répondre aux objections 149

fauts – peut-être provisoires 1 – des méthodes MRV (Monitoring, Re-porting, Verification) développées aujourd’hui, en renonçant à la quêtede la mesure exacte et en acceptant le caractère fondamentalementconventionnel de toute mesure de réduction d’émissions.

Une autre difficulté technique de mise en œuvre du dispostif concernele décalage possible entre le calendrier financier du projet avec sespropres échéances de remboursement et le calendrier des réductionsd’émissions. Il est en effet peu probable que les deux calendriers coïn-cident ce qui pose la question du rythme d’attribution des CC. Si lamaturité de la dette d’un projet est de 10 ans, faut-il ne comptabiliserque les réductions d’émissions réalisées au cours de ces dix ans ? Oule projet peut-il prétendre valoriser ses réductions d’émissions surl’ensemble de sa durée de vie ? De la réponse apportée à ces ques-tions dépendra le volume de liquidité carbone auquel peut prétendrele projet et donc l’effet du mécanisme sur la solvabilité et la rentabilitédu projet. Comme il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, la so-lution adoptée ne peut être, là encore, que le fruit d’une conventionqui témoignera d’un compromis entre précision de la comptabilitécarbone et volontarisme politique en faveur des PBCs.

Les problèmes d’agence, par ailleurs, qui inciteraient la banque àsurestimer la quantité de réduction d’émissions espérée par le projetqu’elle finance sont pris en considération par la nécessité pour le pro-jet de rembourser la valeur monétaire des réductions d’émissions nonréalisées, réduisant d’autant sa solvabilité. La banque a donc intérêtà sélectionner des PBCs sérieux. Cette « protection » contre cet aléamoral identifié ne repose toutefois que sur la crédibilité du systèmede contrôle des PBCs.

7.1.3 Objections institutionnelles

Une autre version de la critique de l’additionnalité concerne la su-perposition des instruments. Pourquoi ajouter un instrument relati-vement complexe à un environnement institutionnel déjà foisonnantavec des taxes carbone dans certains pays, le marché EU-ETS, d’autresintiatives de marchés carbone régionaux, des normes d’émission do-mestiques etc. Ne faudrait-il pas mieux connecter ces divers instru-ments qu’ajouter une couche de complexité supplémentaire ?

Nous pensons que cet instrument monétaire doit d’abord jouer, àcourt/moyen terme un rôle de déclencheur de financements et d’ac-tions climatiques concrètes portées à une échelle significative. Ce fai-sant, il jouera – presque malgré lui – un rôle de facilitateur de laconvergence des initiatives dispersées. Ainsi, il n’a pas vocation à se

1. Dans l’attente de meilleures technologies de mesure des émissions qui, si pré-cises soient-elles, ne permettront jamais cependant de règler les querelles sur la défi-nition du scénario de référence qui demeure par nature conventionnelle.

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150 evaluation macroéconomique

substituer intégralement aux autres instruments ou à lever l’ensembledes besoins de financement de la transition bas carbone.

Au même titre que les politiques monétaires non conventionnellesmenées par les banquiers centraux, son usage doit être pensé commetemporaire, pour rétablir la confiance – là, dans la capacité des banquesà honorer leurs dettes, ici, dans la rationalité économique des inves-tissements bas carbone – parmi les acteurs concernés et amorcer lapompe à financement. A terme, une fois la démonstration faite quele risque de crédit des PBCs n’est pas plus élevé que celui des pro-jets BAU, une fois la convergence des environnements réglementairesdes pays en matière climatique enclenchée, ce dispositif pourra pro-gressivement s’effacer au profit d’instruments plus classiques de lapolitique climatique.

Enfin, le risque d’instabilité politique d’un tel mécanisme noussemble également relativement bas, à la différence d’une taxe car-bone ou d’un marché de permis mondial. Ce dispositif a l’avantaged’être suffisamment peu coûteux, à la fois en termes diplomatiques etde finances publiques, pour emporter facilement l’adhésion des Etats,et suffisamment engageant sur le long terme à travers le signal lancépar la VSC, pour inciter les Etats à crédibiliser leur engagement sur le2 °C par des politiques climatiques stables et cohérentes. Sa mise enœuvre peut enclencher un cercle vertueux d’engagements progressifsdes Etats. En effet, la garantie publique que les Etats exercent in finesur le mécanisme en s’accordant sur une VSC les engage dans unesorte de « contrat à terme » sur la valeur des réductions d’émissions.Pour éviter le risque que l’issue du contrat leur soit défavorable, ilssont incités à minimiser le risque de défaut des projets bas carboneou dit autrement à mettre en œuvre un environnement institutionnelet fiscal favorable à ce type d’investissements.

7.2 description du modèle green mars

Le modèle GREEN MARS est une version « environnementale »du modèle MARS conçu par Brand (2013) pour étudier l’effet de lavitesse des ajustements budgétaires réalisés par les Etats de la zoneEuro. L’originalité de GREEN MARS est d’ajouter à l’architecture néo-keynésienne de MARS un module climatique avec des émissions deCO2 et une fonction de dommages climatiques, ainsi qu’un accélé-rateur financier pour représenter le canal d’une politique monétairegagée sur le carbone.

L’architecture de base du modèle est similaire à celui de Christianoet al. (2005) et de Smets and Wouters (2003, 2007). Six types d’agentssont représentés : les ménages, les entreprises, les banques, des fondsd’investissements, l’autorité monétaire et l’autorité budgétaire.

Les ménages consomment, travaillent et épargnent. Les offres detravail sont différenciées entre tous les ménages, qui sont donc en

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7.2 description du modèle green mars 151

concurrence monopolistique. Les ménages fixent leurs salaires. A chaquepériode, une fraction de ces ménages peut les réoptimiser tandis quepour les autres, ils sont indexés partiellement sur l’inflation passée.

Les entreprises productrices de biens intermédiaires sont aussi enconcurrence monopolistique avec un pouvoir de fixation des prix, oùseule une fraction peut les réoptimiser à chaque période tandis queles autres les indexent sur l’inflation passée.

Pour les deux marchés en concurrence monopolistique, il existe unagrégateur représentatif des différentes offres, qui est en concurrenceparfaite et offre un bien final domestique et une offre de travail glo-bale.

Des producteurs de biens d’équipement investissent et accumulentdu capital.

Des fonds d’investissements achètent du capital avec leurs fondspropres et en empruntant auprès de banques. Ils ont accès à unetechnologie d’abattement des émissions de CO2. Ils louent du capi-tal conventionnel (intensif en carbone) ou du capital décarboné – enpayant des coûts supplémentaires d’abattement –, aux producteursde biens intermédiaires et revendent, en fin de période, le capital dé-précié aux producteurs de biens d’équipement.

Des banques prêtent aux fonds d’investissement un montant égalaux dépôts des ménages. Ce montant dépend de la richesse nette dechaque fonds.

Les entreprises productrices de biens intermédiaires louent les ser-vices en capital (au producteur de biens d’équipement) et le travail (àl’agrégateur des différentes offres de travail). Les services en capitalreprésentent une fraction variable du stock de capital. La croissanceévolue selon un taux de progrès technique exogène qui introduit uneracine unitaire dans le modèle.

Un module climatique consiste en des émissions de CO2 et desdommages climatiques. Les émissions dépendent de la production etd’un effort d’abattement. Les dommages dépendent des émissions etamputent une partie de la production.

L’autorité monétaire, ou banque centrale, fixe les taux d’intérêt no-minaux selon une règle de Taylor, avec un lissage des taux d’intérêt.

L’autorité budgétaire dispose de divers instruments : du côté desdépenses, la consommation publique et des transferts globaux ; ducôté des recettes, une taxe sur les revenus du capital, une sur laconsommation, une sur les revenus du travail, un taux de cotisationssociales employés, un taux de cotisations sociales employeurs et desemprunts.

Conformément aux acquis néokeynésiens de la littérature sur lesmodèles DSGE (Smets and Wouters, 2007), des rigidités nominales etréelles sous forme d’habitudes de consommation, d’inertie des inves-tissements et de rigidités des prix sont introduites dans le modèle.

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152 evaluation macroéconomique

L’accélérateur financier qui est utilisé est dérivé de la littératuresur les « frictions financières » qui s’est développée depuis l’articleséminal de (Bernanke et al., 1999), puis autour des contributions quiportent, soit sur le système bancaire (Benes and Kumhof, 2012), soitsur les politiques monétaires non conventionnelles (Meh and Moran,2010; Gertler and Karadi, 2011). La façon dont nous introduisons l’ex-ternalité climat et les émissions de CO2 est inspirée de Heutel (2012)qui est le premier, à notre connaissance, à poser le problème des po-litiques climatiques dans le cadre d’un modèle de cycle réel DSGEstandard.

La contribution du modèle GREEN MARS est de fournir un cadrecohérent pour analyser le canal de financement bancaire des investis-sements bas carbone et pour évaluer les conséquences macroécono-miques de deux instruments de politique climatique :

(i) la fixation par le gouvernement d’une règle d’émissions à ne pasdépasser qui imposerait aux fonds d’investissement un niveaud’utilisation de la technologie d’abattement dont ils disposent ;

(ii) la fixation par le gouvernement d’une règle d’émissions com-plétée par une politique monétaire gagée sur le carbone.

Ainsi les relations entre les fonds d’investissements et le systèmebancaire et monétaire se situent au cœur du modèle. Cela permetde tester l’hypothèse selon laquelle le canal bancaire peut être unvecteur clé de la montée en puissance de la finance climat. Jusqu’àprésent, ce canal est principalement examiné dans la littérature griseproduite par des fondations/think tanks (CPI) et des organisationsinternationales (UNEP, Banque Mondiale, OCDE), tandis qu’il est to-talement ignoré par la littérature académique sur la modélisation despolitiques climatiques. Nous pensons que ce modèle d’équilibre géné-ral, parcimonieux dans sa forme, peut aider à clarifier les mécanismesde transmission d’une politique monétaire gagée sur le carbone, etplus généralement à apprécier l’effet macroéconomique d’un modede financement innovant de la transition bas carbone.

7.2.1 Les ménages

Il existe un continuum de ménages qui consomment, travaillent,épargnent et investissent en plaçant leur épargne sur des dépôts ban-caires dt, et en achetant des obligations d’Etat bht . Ils reçoivent chaqueannée un transfert forfaitaire divt correspondant à une fraction δkt desprofits des fonds d’investissement, ainsi qu’une fraction (1 − rr) descoûts de monitoring Mt des prêts. Chaque ménage est composé deLt travailleurs identiques. Les préférences des ménages sont représen-

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7.2 description du modèle green mars 153

tées par une fonction d’utilité séparable en consommation par tête ctet en heures travaillées par tête lst . D’où

E0

∞∑t=0βtLt (log(ct −hct−1)−ψ

(lst)1+ϑ

1+ ϑ) , (7.2.1)

où E0 est l’opérateur d’espérance conditionnelle évaluée au tempst = 0, β le facteur d’escompte, ψ le paramètre qui gouverne le poidsrelatif des heures travaillées, h celui qui détermine les habitudes deconsommation 2, et selon cette spécification de la fonction d’utilité, ϑest l’inverse de l’élasticité de l’offre de travail de Frisch 3. La taille duménage Lt est fixée.

Les ménages détiennent une quantité bt d’emprunts publics do-mestiques. Rt désigne le taux d’intérêt nominal brut

Pour le ménage, la contrainte budgétaire intertemporelle par têtes’écrit :

(1+ τct)ct +dt −Rt−1bt−1= (1− τnt − τ

wht )wtl

st +divt + Tt, (7.2.2)

avec,

divt = δkt n

kt + δ

bt n

bt + (1− rr) Mt (7.2.3)

oùwt est le salaire brut réel, τct , τnt et τwht sont respectivement le tauxde taxation sur la consommation, le taux d’imposition sur le revenudu travail et le taux de cotisations sociales payées par les salariés, Ttreprésente des transferts sociaux forfaitaires.

La description de l’agrégateur des offres de travail et de la fixationdu salaire est présentée en annexe A

7.2.2 La production

7.2.2.1 Les producteurs de capital

Il existe un continuum de producteurs de capital i qui produisentki,t dans un environnement concurrentiel selon une loi d’accumula-tion du capital standard. Ils achètent aux fonds d’investissement endébut de période t + 1 le capital déprécié de la période précédente(1 − δ)kit, et investissent iit pour construire du nouveau capital. Ladynamique (simplifiée) du capital agrégé par tête s’écrit :

kt = kt−1(1− δt)+ it. (7.2.4)

2. Cette spécification permet une réponse de la consommation plus graduelleaprès un choc, en rendant les changements coûteux en terme d’utilité (Fuhrer, 2000;Boldrin et al., 2001).

3. Autrement dit, 1/ϑ est l’élasticité de l’offre de travail par rapport au salaire quilaisse constante l’utilité marginale de la consommation.

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154 evaluation macroéconomique

7.2.2.2 Producteurs des biens intermédiaires

La production de biens intermédiaires par les entreprises procèdedu même mécanisme que l’offre de travail par les ménages. Elle de-mande toutefois au préalable de spécifier une fonction de productionde ces biens. Le problème de la fixation de leurs prix est ensuite sem-blable à celui de la fixation des salaires.

Il existe un continuum de producteurs i ∈ [0, 1] de biens intermé-diaires qui prennent comme donnés le salaire brut wt, augmenté descotisations sociales employeurs τwf, et cherchent à minimiser le coûtréel du travail et du capital loué :

minldit,kit−1

(1+ τwft )wtldit + rtkit−1. (7.2.5)

Chaque producteur de bien intermédiaire i a accès à une technolo-gie définie par une fonction de production (par tête)

yit = At(kαit−1(l

dit)1−α

−φ), (7.2.6)

où kit−1 est le capital loué par l’entreprise, ldit est la quantité de travailutilisé par l’entreprise, φ représente les coûts fixes de production,et At le progrès technique qui introduit une racine unitaire dans lemodèle. Le paramètre φ correspond aux coûts fixes de production, etgarantit que les profits économiques sont nuls à l’équilibre 4.

Les producteurs de biens intermédiaires résolvent alors (7.2.5), sousla contrainte de production (7.2.6). En intégrant les deux conditionsdu premier ordre ldit = mct(1 −α)

yit(1+τwf)wt et kit−1 = mctαyitrt dans

la fonction de production, on déduit le coût marginal réel mct, quiest le multiplicateur de Lagrange de ce programme d’optimisation

mct = (1

1−α)

1−α(1

α)

α ((1+ τwft )wt)1−α

rαt

At. (7.2.7)

Il faut noter que le coût marginal ne dépend pas de i car toutes lesentreprises sont soumises aux mêmes chocs technologiques et louentle capital et le travail aux mêmes prix.

7.2.2.3 La production du bien final

De la même manière que pour l’agrégation des différentes offresde travail des ménages, il existe un producteur du bien final yt quiagrège des biens domestiques intermédiaires yit et subit les dom-mages climatiques selon la fonction

yt = (1−d(xt)) (∫1

0(yit)

ε−1ε di)

εε−1, (7.2.8)

4. Par hypothèse, yit = Atkαit−1(lit)

1−α− φzt si Atkαit−1(lit)

1−α≥ φzt et 0

sinon.

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7.2 description du modèle green mars 155

où ε est l’élasticité de substitution entre les différents biens intermé-diaires domestiques. Les dommages climatiques sont traités commeune externalité globale qui s’impose à chacun des agents via la des-truction d’une fraction d(xt) de la production agrégée, xt représen-tant la concentration en CO2 de l’atmosphère dont nous décrironsplus loin la loi d’évolution.

Le producteur de bien final est en concurrence parfaite et maxi-mise son profit, en prenant comme donnés les prix de chaque bienintermédiaire domestique pit et le prix du bien final pt, d’où

maxyit

ptyt −∫1

0pityitdi. (7.2.9)

En suivant les mêmes étapes que pour obtenir les équations d’offrede travail (A.4.4) et de salaire agrégé (A.4.5), nous déduisons unefonction de demande de bien final yt et de prix agrégé pt

yit = (pit

pt)−εydt (7.2.10)

pt = (∫

1

0p1−εit di)

11−ε

. (7.2.11)

7.2.2.4 Les émissions de CO2

Les émissions de CO2 sont traitées comme un produit dérivé de laproduction agrégée y. Les émissions s’écrivent :

et = (1−at)h(yt), (7.2.12)

avec at la fraction des émissions réduites à la période t, et h la fonc-tion qui détermine l’intensité carbone de la production.

Ces émissions de CO2 sont des flux qui s’ajoutent à un stock xtde concentration en CO2 de l’atmosphère selon la loi d’accumulationsuivante :

xt = ηxt−1 + et + erow, (7.2.13)

avec η un taux de dépréciation naturelle de la concentration enCO2 de l’atmosphère due principalement à la capture du CO2 parla biosphère et la surface de l’océan, et les émissions domestiques eterow les émissions issues du reste du monde.

7.2.3 L’accélérateur financier

L’introduction de frictions dans l’accumulation et la gestion du ca-pital suit une variante de Bernanke et al. (1999), développée dansChristiano et al. (2004), Christiano et al. (2008) et enfin Christianoet al. (2013). L’importance des frictions financières pour comprendrel’impact de la politique budgétaire est mise en évidence récemmentpar Fernández-Villaverde (2010).

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156 evaluation macroéconomique

Les frictions financières reflètent l’idée que les prêteurs et les em-prunteurs ne sont pas les mêmes individus, et qu’ils ont accès dès lorsà une information différente. On introduit une classe d’agents spécia-lisés dans la gestion du capital, les fonds d’investissement. Bien qu’ilsaient leurs propres ressources financières, leur spécialité est telle qu’ilest optimal pour eux de mobiliser davantage de capital que leurs res-sources propres, en empruntant. Cette gestion est risquée, dans lamesure où chaque fonds est soumis à des chocs idiosyncratiques quisont observés par eux seuls. Les agents auxquels ils empruntent, lesbanques, ont accès à cette information uniquement en payant un coûtde monitoring.

Le montant que les banques prêtent, égal au montant des dépôtsdes ménages, est une fonction de la richesse nette de chaque fondsd’investissement. C’est par le canal du levier d’endettement que lescontraintes sur les bilans entrent dans le modèle. Quand un chocse produit et réduit la valeur des actifs du fonds, cela diminue sacapacité à emprunter. Il acquiert moins de capital et cela se traduit parune diminution de l’investissement et finalement un ralentissementde l’économie.

Nous supposons, en outre, que si les fonds individuels sont risqués,les banques ne le sont pas car elles prêtent à des groupes de fondsd’investissement suffisamment diversifiés pour que le risque sur lesprêts de chaque fonds s’annule.

7.2.3.1 Les fonds d’investissement

Il existe un continuum de fonds d’investissement qui possèdent cha-cun une richesse nette nkt . Ils empruntent lkt au secteur bancaire pouracheter du capital kt au prix qt. Leur dette vis-à-vis de la banques’écrit :

lkt = qtkt −nkt . (7.2.14)

Chaque fonds est soumis à un choc idiosyncratique de productivitéqui transforme le capital kt en ωkt+1kt. Ici, ωkt+1 a une moyenne uni-taire. Le choc suit une loi lognormale et est distribuée de façon indé-pendante parmi les fonds d’investissement. logωkt+1 a pour moyenneµωk,t et pour variance σ2

ωk,t. Les fonction de densité et de den-

sité cumulée de ωkt+1 sont données par respectivement fkt (ωkt+1) et

Fkt (ωkt+1).

Cela permet de tracer les effets d’une augmentation du risque parmiles fonds d’investissement. Les fonds sont « responsables » des émis-sions de CO2 car ils sont les seuls à avoir accès à une technologiequi leur permet d’abattre une fraction at des émissions en payant uncoût supplémentaire cat . Ce « sur-coût » ampute une partie de leurrevenu et réduit leur rentabilité.

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7.2 description du modèle green mars 157

Après avoir observé le choc idiosyncratique, l’entrepreneur décided’un taux d’utilisation du capital ut+1, et prête ses services en capitald’un montant ut+1ωt+1kt à un taux rt+1 aux producteurs de biensintermédiaires, qu’il considère comme donné. Un taux d’utilisationdu capital plus élevé entraîne des coûts d’utilisation plus élevés, notésφ(ut), fonction croissante et convexe. Ainsi, le fonds choisit ut+1 enrésolvant

max (rt+1ut+1 −φ(ut+1))ωt+1kt − cat , (7.2.15)

avec, cat = θ1aθ2

t yt.Les revenus des fonds d’investissement proviennent d’une part de

la location du capital nette des coûts d’utilisation et des taxes sur lecapital τk, et d’autre part de la vente du capital déprécié aux pro-ducteurs de capital au prix qt+1. Ils peuvent retirer la capital dépré-cié de leur assiette de taxation. Ces revenus sont diminués des coûtsd’abattement qui sont croissants avec le niveau d’abattement. Commela moyenne d’un choc idiosyncratique est égal à un, le taux de ren-dement moyen du capital pour les entrepreneurs par unité investies’écrit

retkt+1(at) =pt+1pt

(1− τk) (rt+1ut+1 −φ(ut+1))+ (1− δ)qt+1 + δτkqt

−catqtkt

(7.2.16)

et le taux de rendement perçu par un entrepreneur individuel estωkt+1ret

kt+1(at).

Les revenus ajustés du risque perçus par les fonds d’investissementsont ωkt+1ret

kt+1(at)qtkt.

Puisque les banques ne peuvent observer le rendement perçu parles fonds qu’en payant un coût de monitoring, le contrat optimal entreles deux parties spécifie le montant du prêt lkt et le taux d’intérêtbrut payé par les fonds qui ne font pas défaut, rlt+1. La conditionde sovabilité des fonds d’investissement est respectée tant que leursrevenus sont suffisants pour payer le remboursement de leur prêt autaux rlt+1.

Les fonds choisissent ex ante le niveau ωkt+1(at) de la « conditionlimite » qu’ils sont prêts à affronter en arbitrant entre la maximisationde leur levier (endettement) et la minimisation de leur risque d’insol-vabilité. ωkt représente le choc idiosyncratique limite à partir duquella condition de solvabilité est enfreinte. Quel que soit le niveau at, cechoc est donné par :

ωkt (at) =rlt+1(lt)

retkt+1(at)qtkt. (7.2.17)

Deux cas peuvent alors apparaître :– si ωkt+1 ≥ ωkt+1, alors le fonds d’investissement est capable de

rembourser l’emprunt. Il obtient ωkt+1retkt+1(at)qtkt − r

lt+1lt, et

le prêteur reçoit rlt+1lt ;

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158 evaluation macroéconomique

– siωkt+1 < ωkt+1, alors le fonds d’investissement fait défaut 5. Toutes

ses ressources sont saisies par la banque qui paie un coût de mo-nitoring ε et obtient (1− ε)ωkt+1ret

kt+1(at)qtkt.

Remarquons que sans l’intervention d’une politique climatique pu-blique qui pénalise les émissions, tout effort d’abattement fait porteraux fonds un « surcoût » qui réduit leur rentabilité retkt+1(at). Ainsi,tout augmentation de at implique une augmentation de ωkt+1 carmoins de projets demeurent rentables suite à la baisse de la rentabi-lité.

7.2.3.2 Les banques

Les banques obtiennent des fonds auprès des ménages au taux d’in-térêt sans risque rdt . Elles sont dans une situation de concurrence par-faite. Le financement des fonds d’investissement par les banques estconditionnel à une contrainte dite de « participation » de la banque,aussi appelée « la condition de profit nul », qui est donnée par :

(1− F(ωkt+1(at)))ltrlt+1

+(1− ε)∫ωkt+1(at)

0retkt+1(at)qtktω

kfet(ωk)dωk

= ltrdt+1. (7.2.18)

La première ligne de l’équation 7.2.18 est le flux d’argent (cashflow)reçu par la banque de la fraction des fonds d’investissement qui nefont pas défaut. La deuxième ligne correspond aux ressources prisespar la banque aux fonds en situation de défaut, nettes des coûts demonitoring ε. La troisième ligne établit que les gains du prêt doiventau moins être égaux aux coût du prêt pour la banque.

En utilisant 7.2.17 et l’équation 7.2.18, nous obtenons

(1− F(ωkt+1(at)))ωkt+1(at)ret

kt+1(at)qtkt

+(1− ε)∫ωkt+1(at)

0retkt+1(at)qtktω

kfkt (ωk)dωk

= (qtkt −nt)rdt+1. (7.2.19)

La réécriture de l’équation 7.2.19 donne une expression de la condi-tion limite ωkt+1(at) :

ωkt+1(at) =(qtkt −nt)r

dt+1 − (1− ε) ∫

ωkt+1(at)0 retkt+1(at)qtktω

kfkt (ωk)dωk

(1− F(ωkt+1(at)))retkt+1(at)qtkt

.

(7.2.20)

5. at = 0 tant que l’externalité climat n’est pas prise en considération à traversune politique publique de type taxe carbone, marché de permis d’émission ou règled’émission.

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7.2 description du modèle green mars 159

7.2.3.3 Demande de capital de la part des fonds d’investissement

Les fonds d’investissement maximisent leur revenu pour choisir laquantité de capital kt qu’ils désirent acquérir :

maxkt

Et∫∞

ωt+1(at)ωt+1(at)retkt+1(at)qtktdF(ωt+1(at))´¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¸¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¶

revenus totaux espérés

− (1− F(ωkt+1(at)))ωkt+1(at)ret

kt+1(at)qtkt

´¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¸¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¹¶fraction des revenus due à la banque

. (7.2.21)

La condition du premier ordre donne une relation entre l’acquisi-tion optimale de capital kt et la condition financière sur la richessenette nt :

qtkt+1 = ψ(st)nt+1, (7.2.22)

où s = E[retkt+1(at)/rlt+1] ≥ 1, avec ψ(1) = 1, et ψ ′(.) > 0.

Une façon équivalente d’écrire cette équation est donnée par :

E[retkt+1(at)] = s(nt+1qtkt+1

)rlt+1, (7.2.23)

avec s ′(.) < 0.Cela indique clairement que la prime de finance externe s dépend

inversement de la part de l’investissement financée par la richessenette du fonds d’investissement. Dit autrement, plus le levier dufonds d’investissment est important ( nt+1

qtkt+1) plus la prime de risque

qu’il doit payer pour financer son endettement est élevée.Etant données les distributions des risques idiosyncratiques agré-

gés sur la rentabilité du capital, le prix du capital et la quantité de ri-chesse nette, nous mettons en évidence une relation entre la richessenette des fonds et leur demande de capital. Plus la richesse nette desfonds est importante, plus ils peuvent accroître leur demande de ca-pital.

Le facteur de proportionalité est indépendant des facteurs spéci-fiques à un fonds, de sorte que nous pouvons déduire une relationproportionnelle entre la demande totale de capial et le stock total derichesse nette des fonds d’investissement.

7.2.4 Le secteur public

7.2.4.1 L’autorité monétaire

L’autorité monétaire de la zone considérée fixe le taux d’intérêtnominal de court terme selon une règle de Taylor

Rt

R= (Rt−1R

)

γR ⎛

⎝(Πt

Π)

γπ ⎛

γLtytyt−1γLz

γy⎞

1−γR. (7.2.24)

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160 evaluation macroéconomique

Le taux d’intérêt nominal, comme dans une règle de Taylor (1993)standard, est défini en fonction des écarts de l’inflation à l’inflationstationnaire 6 et du taux de croissance de l’économie domestique autaux de croissance stationnaire. La présence de Rt−1 est justifiée parla volonté de lisser le taux d’intérêt, conformément aux résultats em-piriques (Clarida et al., 1999, 2000) et reprise dans la plupart des mo-dèles DSGE par la suite.

7.2.4.2 Autorité budgétaire

La contrainte budgétaire publique peut se déduire en définissant ladette publique pour la période t comme la différence entre la sommedes dépenses publiques et la somme des recettes durant cette période.Les dépenses primaires correspondent à la somme des transferts versles ménages T , de la consommation publique gct

7, et de la charge desintérêts de la dette à la période précédente et le remboursement duprincipal 8. On retranche les prélèvements sur les revenus du capitalet du travail et sur la consommation pour obtenir

bt = gct + T +Rt−1bt−1− τkt (rtut −φ(ut)− δ)kt−1− (τnt + τ

wft + τwht ) ldtwt − τcct. (7.2.25)

Pour clore le modèle les conditions d’agrégation sur les marchésdu travail et des biens domestiques sont décrites en annexe.

7.3 analyse comparative de deux politiques climatiques

Dans cette section nous identifions les canaux de transmission dedeux instruments de politique climatique qui permettraient ensuitede comparer leurs impacts macro-économiques respectifs. Les deuxexpériences de politiques climatiques sont comparées à une situationde référence dite « business as usual » ou laissez-faire où la contrainted’émission est nulle pour les fonds d’investissement. Ils ont dès lorsaucune incitation à payer le « sur-coût » des abattements.

Quand at = 0, l’intégralité de la perte de bien-être induite par lesdommages climatiques est portée par les ménages.

7.3.1 Une règle d’émission

Le gouvernement définit une règle d’émission en imposant auxfonds d’investissement un niveau donné d’abattement à chaque pé-

6. L’inflation ciblée par la banque centrale porte, selon cette équation, sur les prixà la production, ce qui est l’hypothèse la plus répandue dans la littérature.

7. La consommation publique est, par hypothèse, composée uniquement de biensfinaux.

8. Le taux d’intérêt nominal est brut. Par hypothèse, la dette publique a unematurité d’une période.

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7.3 analyse comparative de deux politiques climatiques 161

riode afin d’atteindre un certain objectif global de réduction d’émis-sions. Les fonds d’investissement intègrent cette trajectoire d’abat-tement comme une donnée de leur programme de maximisation etpaient le coût d’abattement qui en résulte. Leur rentabilité en est né-cessairement diminuée par rapport à la situation de référence (retkt (at) <retkt (at = 0)), la production totale est réduite mais les dommages cli-matiques sont plus faibles. La production restante à répartir entreconsommation et investissement peut ainsi se trouver inchangée siat est fixé de telle sorte que la perte de production est strictementcompensée par la baisse des dommages.

7.3.2 Une régle d’émission complétée par une politique monétaire gagéesur le carbone

Après avoir fixé une règle d’émission, le gouvernement permet àla banque centrale d’introduire la politique monétaire gagée sur lecarbone décrite précédemment 9 qui va « compenser » le surcoût in-troduit par la règle d’émission en renforçant la solvabilité des fondsd’investissement.

Les fonds d’investissement sont en effet affectés par une baissede rentabilité en raison des coûts d’abattement induits par la règled’émission, mais sont récompensés par une baisse du coût du servicede la dette d’un montant CC(at), qui est la valeur des certificats car-bone (CC) qu’ils peuvent recevoir pour les abattements effectifs atqu’ils réalisent. La condition limite de rentabilité est ainsi modifiéeen :

ωkt (at) =rlt+1lt −CC(at)retkt+1(at)qtkt

(7.3.1)

Les fonds intègrent la contrainte d’abattement at dans leur pro-gramme de maximisation. D’un côté, la baisse de rentabilité relèveωkt (at), et donc augmente la part des fonds en situation de défaut.De l’autre, l’annulation d’une partie du service de la dette au numé-rateur grâce aux CC fait baisser ωkt (at) et ainsi renforce la solvabilitédes fonds.

La rentabilité de leurs capitaux propre rkt+1 s’écrit alors :

rkt+1(at) =qtktω

kt+1ret

kt+1(at)− ltr

et+1 −CC(at)

net. (7.3.2)

Si rkt+1(at) > rk, avec rk la rentabilité de référence observée sur lesmarchés, cela signifie que les fonds ont mieux performé que le mar-ché.

9. Le décideur a le contrôle total de l’instrument à la fois sur le prix (la valeurdes certificats carbones (CC) est fixée par un accord politique sur la VSC) et sur laquantité qui dépend du volume de réductiond d’émissions qu’il souhaite soutenir àl’aide de cet intrument.

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162 evaluation macroéconomique

7.3.3 Développements futurs

Cette description de l’ossature formelle de GREEN MARS devraitdéboucher sur des évaluations chiffrées des effets macroéconomiquesdes différentes politiques climatiques en faisant varier des trajectoiresd’abattement (at) possibles et en simulant différents chocs affectantles fonds d’investissements. Mais en l’état, les résultats obtenus sontencore trop préliminaires et mériteraient des approfondissements pouren saisir tous les mécanismes de transmission. Cet exercice de modéli-sation représente toutefois la première tentative, à notre connaissance,de représentation d’un canal bancaire et monétaire du financementdes investissements bas carbone dans le cadre d’un modèle DSGE.

Dans cette version, le modèle Green Mars permet d’introduire desdiscussions sur le risque financier, sur les contraintes de bilans et surles règlementations prudentielles qui ne sont pas neutres sur la capa-cité du système bancaire à financer des projets innovants. Il permetégalement de localiser les canaux de transmission d’un instrumentéconomique visant à favoriser le déclenchement d’investissement bascarbone. Si les coûts d’abattement réduisent la rentabilité de ces pro-jets par rapport aux projets BAU, alors il faut réduire le coût relatifde l’endettement pour ces projets. Le modèle met en évidence cet ar-bitrage entre le coût additionnel de l’abattement et la diminution descoûts de l’endettement.

De nombreux développement restent à explorer pour introduirenotamment une discussion sur les mérites et défauts relatifs de dif-férents instruments des politiques climatiques en distinguant deuxtypes d’instruments : (i) ceux qui font payer le prix de l’externalitécarbone (taxe, marché de permis), (ii) ceux qui valorisent les émis-sions évitées par les nouveaux investissements (instrument monétaire,subvention, tarifs de rachat).

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C O N C L U S I O N G É N É R A L E

les principaux résultats

Ce travail de thèse a permis de montrer qu’il était vain de chercherà exhiber l’estimation d’une VSC plus vraie que les autres. L’analysedes écarts de résultats révèle que la mesure de la VSC dépend d’in-certitudes irréductibles sur certains paramètres des modèles intégréset de choix de modélisation qui façonnent l’espace des VSC possibles.Le resserrement de l’intervalle de la VSC ne peut pas être un objectifscientifique ultime.

Les IAMs reflètent la diversité des points de vues et peuvent pro-duire toute la palette des VSC possibles selon les choix de modéli-sation retenus. Sans souscrire à la critique acerbe de Pindyck (2013)sur l’inutilité des IAMs, nous partageons sa mise en garde contre lafausse impression de précision – et donc de réalité – des résultatsde modèles intégrés. La démarche de modélisation suivie avec RES-PONSE révèle en toute transparence les éléments de la « boîte noire »du modèle. Elle permet d’entrer dans la fabrique des désaccords surla VSC et de mettre en cohérence des niveaux de VSC avec les visionsdu monde ou les formes fonctionnelles qui les sous-tendent.

Paradoxalement, l’absence de certitude scientifique sur la VSC ousur la « bonne » politique climatique peut être interprétée comme unebonne nouvelle politique. Retenir une valeur, ou un intervalle, de VSCrelève nécessairement d’un choix conventionnel et politique. La miseen cohérence des visions du monde qui entourent le débat climatiqueavec les VSC qu’elles sont susceptibles de défendre, permet de réin-troduire une discussion politique plus transparente sur les raisonsdes désaccords et d’envisager la quête d’un compromis sur la based’intérêts bien compris.

Il existe de bonnes raisons de penser qu’un accord entre pays surla VSC – soit la richesse collective créée à chaque émission de CO2évitée – est plus facile à obtenir qu’un accord sur un prix du carbone –à payer pour chaque unité de CO2 émise. Tandis que le second heurtefrontalement le « contrat social » établi, le premier envoie un signalplus « positif » sur de nouvelles opportunités d’investissements bascarbone.

Nous avons décrit les grandes lignes d’une architecture climato-financière qui assurerait la transmission de cette valeur dans les po-litiques climatiques et in fine dans le système des prix. Le levier decette transmission serait un instrument monétaire non conventionnelqui reviendrait à faire reconnaître aux banques centrales l’existenced’un nouvel actif carbone, issu de réductions d’émissions certifiées.

163

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164 conclusion

Elles pourraient (i) soit « acheter » directement cet actif, au prix in-diqué par la VSC, en faisant des prêts remboursables en certificatscarbone ; (ii) soit le garantir indirectement, en autorisant des fondsclimat dédiés au financement de projets bas carbone à abonder leurcapital avec les certificats générés par les projets et ainsi soutenir laqualité des titres émis par ces fonds. Dans le premier cas, l’achat d’ac-tifs carbone repose sur de la création monétaire pure par la banquecentrale. Dans le second cas, la création monétaire n’est effective quesi la garantie de la banque centrale a besoin d’être exercée.

Un tel dispositif (re)donne à la puissance publique le pouvoir d’orien-ter une petite fraction de la création monétaire vers le financement dela transition bas carbone en contre-partie de la richesse sociale pro-duite par la réduction des émissions de GES. Il convoque égalementles techniques de l’ingénierie financière pour en minimiser le coût.De façon surprenante, l’inventivité de l’ingénierie financière pourraitalors être mise au service du financement de la transition écologique !

Enfin, le modèle Green-MARS dévelopé dans le dernier chapitrepourrait fournir un cadre d’équilibre général cohérent pour évaluerles effets sur les grands équilibres macroéconomiques d’un tel planmonétaire.

economie politique d’un plan monétaire gagée sur le

carbone

Si l’instrument apparaît en théorie comme un bon candidat pour ré-pondre aux contraintes des négociations climat, reste à inscrire l’idéedans l’agenda des négociations politiques.

Nous distinguons trois types d’obstacles auxquels la propositionrisque d’être confrontée :

(i) l’inertie du cadre institutionnel issu des négociations du pro-tocole de Kyoto. Organiser de nouvelles discussions sur la VSCne peut faire table rase des négociations passées et en cours.L’apparition d’un nouveau sujet ne supprime pas les coucheshéritées du passé. Par ailleurs, la CNUCCC n’est peut-être pasle bon forum de discussion pour traiter de la VSC. Pour insé-rer la VSC dans le processus de négociation, il faut s’assurerque l’évolution des négociations onusiennes ne ferment pas laporte à de telles discussions. Il faut également inventer, en pa-rallèle, une instance de dialogue international, en s’appuyantsur les exemples des commissions nationales réunies en France,Grande Bretagne et aux Etats Unis pour définir les valeurs tuté-laires du carbone retenues dans l’analyse des projets publics. Sil’idéal d’une VSC unique de par le monde est jugé inaccessibleà court terme, il est possible de laisser aux pays le soin de dé-terminer leur propre VSC, tandis qu’à l’échelle internationale,ne seraient décidées que des seules procédures de révision au

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7.3 economie politique d’un plan monétaire gagée sur le carbone 165

cours du temps de la valeur pour intégrer les nouvelles infor-mations disponibles sur les technologie d’abattement et sur lesrisques climatiques ;

(ii) l’idéal des instruments économiques dit de « premier rang »qui est encore très prégnant parmi les experts de l’économiedu climat. Ainsi, tout nouvel instrument doit être évalué à l’aunedes instruments de référence que sont la taxe carbone et lesmarchés de permis d’émission. En pratique, il doit être conçuen complément de ceux qui existent déjà et comme une étapevers le but ultime de voir émerger un prix mondial unique ducarbone ;

(iii) l’instrumentalisation politique des controverses sur les procé-dures MRV pour évaluer et contrôler les projets bas carbone.Les oppositions les plus virulentes peuvent alors provenir nonpas seulement des groupes de pression sceptiques, mais aussid’organisations environnementales intransigeantes sur la ques-tion de l’intégrité environnementale des dispositifs. Ces contro-verses ne peuvent s’éteindre que si les progrès scientifiquessur les procédures MRV sont tels qu’ils confèrent aux mesuresune précision indiscutatble, ou si le caractère irréductiblementconventionnel de la mesure des réductions des émissions est ac-cepté. Il s’agit ainsi de faire migrer le principe d’additionalité,projet par projet, vers un principe d’additionalité statistique àl’échelle de portefeuilles de projets.

La proposition dispose cependant de plusieurs atouts.

(i) En contexte de crise économique, une politique monétaire d’as-souplissement quantitatif gagée sur le carbone peut se préva-loir d’une double justification : un effet de relance macroécono-mique en donnant une direction productive, bas carbone, auxprogrammes monétaires non conventionnels lancés depuis ledébut la crise. Elle représente, en outre, une solution peu coû-teuse pour les Etats à l’amorçage de la pompe à financementdes projets bas carbone.

(ii) Sa mise en œuvre n’a pas besoin d’attendre un grand accordmondial qui ferait du carbone un nouvel actif de réserve inter-national. Il peut s’appliquer à une seule zone monétaire cohé-rente telle que la zone euro (ou la zone yen pour donner unecoloration climat aux expériences d’« Abenomics » par exemple),ou entre pays désireux de tenter cette expérience. Le mécanismeest à la fois suffisamment centralisé, au niveau de la régulationdes prix (accord sur la VSC) et des quantités (le volume de cer-tificat carbone que la banque centrale est prête à accueillir dansson bilan) pour empêcher toute dérive spéculative du disposi-tif, et suffisamment décentralisé au niveau du choix des projetsbas carbone sélectionnés par des banques ou des fonds spécia-

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166 conclusion

lisés pour couvrir un large éventail d’opportunités d’investisse-ments.

(iii) Enfin, cette réflexion s’insère dans le cadre plus général des dis-cussions sur la réforme des règles macro-prudentielle du sys-tème monétaire et financier international. Pour mobiliser le sec-teur financier dans l’affaire climatique, il existe aujourd’hui unefenêtre d’opportunité inédite pour « verdir » la réglementationet englober dans les débats sur la « résilience » du système mo-nétaire et financier, les sources d’instabilité futures à la fois fi-nancières et environnementales.

les questions de recherches en suspens

Dans sa version présente, agrégée à l’échelle du monde, RESPONSEn’est pas capable de mettre en scène des discussions sur la VSC entrepays ou régions du monde. Pour relier les tribus présentées dans lapremière partie aux régions du monde qui s’affrontent dans les né-gociations climat il faudrait faire évoluer le modèle vers une versiondésagrégée où chaque région serait pilotée par son propre planifica-teur bienveillant, et caractérisée par sa propre fonction d’utilité. Unetelle désagrégation est nécessaire pour passer d’un outil pour réflé-chir sur la VSC à un outil pour négocier une VSC.

Les principes théoriques de l’instrument monétaire proposés sontdésormais balisés par le modèle GREEN MARS mais il reste de nom-breuses questions en suspens, notamment sur les ordres de grandeurde la redirection des capitaux en jeu dans la transition bas carbone.Des travaux d’évaluation de l’effet de levier de l’instrument moné-taire sur les capitaux privés sont également à mener. Si nous dispo-sons désormais d’indications sur les effets qualitatifs de l’instrumentmonétaire, les évaluations chiffrées des effets macroéconomiques dela transition restent manquantes.

Le modèle macroéconomique GREEN MARS a été conçu pour ana-lyser les canaux de transmission des effets macroéconomiques d’uninstrument monétaire et ainsi pour pouvoir comparer les effets de dif-férents instruments (taxe, marché de permis, normes, politique mo-nétaire) dans un cadre harmonisé. Ce travail de thèse a seulementpermis de stabiliser la forme d’un tel cadre.

La justification théorique du recours à un instrument monétaire parrapport à une taxe ou un marché de permis dans un monde de secondrang demeure également incomplète. Ce sont avant tout des élémentsd’économie politique sur l’acceptabilité sociale des instruments depolitique environnementale, le contexte de crise économique, les nou-velles formes d’intervention des banques centrales et l’évolution desnégociations climat qui fournissent une opportunité géo-politiquepour tenter de mettre en oeuvre un tel instrument. Mais ces raisonspragmatiques du choix d’un instrument plutôt qu’un autre mérite-

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7.3 les questions de recherches en suspens 167

rait d’être complétée par un examen plus théoriques des forces etfaiblesses comparées des instruments qui visent à faire payer le coûtsocial de chaque unité de CO2 émise et des instruments qui visent àréorienter les investissements vers des options bas carbone en récom-pensant les émissions évitées sans pénalisé le capital installé.

Enfin, cette thèse qui soulève des questions au croisement de la ré-forme du système monétaire et financier et du défi climatique, ouvreune réflexion plus globale sur la place des actifs environnementauxdans la définition de la richesse et du lien entre ces actifs et la mon-naie. Ces actifs peuvent-ils servir d’ancrage à l’émission d’une nou-velle monnaie de réserve internationale ? La monnaie est-elle le vec-teur clé de la transformation de nos sociétés vers des sociétés bascarbone, plus résilientes aux chocs financiers et environnementauxdu futur ?

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AA N N E X E

a.1 résolution des conditions du premier ordre du mo-dèle response

Les calculs suivent une méthode de résolution en deux étapes, aprèset avant l’arrivée de l’information.

a.1.1 Après l’arrivée de l’information

Quand l’incertitude est résolue, l’état du monde ω est connu. Lelagrangien s’écrit :

Lω =∞∑

t=ti+1Nt

1

(1+ ρ)tu(CωtNt

) (A.1.1)

+∞∑

t=ti+1(λωA,t, λ

ωB,t, λ

ωO,t)

⎛⎜⎜⎜⎝

Aωt+1 − (cAAAωt + cABB

ωt + (1−aωt )σtY

ωt )

Bωt+1 − (cBAAωt + cBBB

ωt + cBOO

ωt )

Oωt+1 − (cOBBωt + cOOO

ωt )

⎞⎟⎟⎟⎠

+∞∑

t=ti+1(νωA,t, ν

ωO,t)

⎛⎜⎝

θωA,t+1 − ((1−σ1(F2xϑω2x+σ2))θ

ωA,t +σ1σ2θ

ωO,t +σ1F(A

ωt ))

θωO,t+1 − (σ3θωA,t + (1−σ3)θ

ωO,t)

⎞⎟⎠

+∞∑

t=ti+1µωt (−Kωt+1 + (1− δ)Kωt + Yωt [1−Ca(a

ωt , a

ωt−1)−D

ω(θωA,t)]−C

ωt )

+∞∑

t=ti+1τωt .(1−at)+ τωt .at

Le multiplicateur de Lagrange associé à la contrainte de capital(1.3.4) est µωt . Les multiplicateurs de Lagrange associés aux contraintesde la dynamique du cycle de carbone (1.3.13) sont λωA,t, λ

ωB,t et λωO,t.

Les multiplicateurs de Lagrange associés aux contraintes de la dyna-mique des températures (1.3.15) sont νωA,t et νωO,t. Les multiplicateursde Lagrange associés aux contraintes d’inégalité (1.3.8) sont τωt et τωt .

Au début du programme, les variables de stock sont héritées dupassé, c’est-à-dire du programme de maximisation sous incertitude.D’autres variables ne dépendent pas de l’état de la nature :

Aωti+1 = Ati+1, Bωti+1 = Bti+1, O

ωti+1 = Oti+1, K

ωti+1 = Kti+1 (A.1.2)

Par convention, on note aωti = ati .Nous calculons les conditions du premier ordre pour les deux va-

riables de flux : Cωt et aωt , et pour les six variables de stock : Kωt ,

169

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170 annexe

Aωt , Bωt , Oωt , θωA,t et θωO,t. Remarquons que nous ne pouvons pasencore dériver à ce stade les variables de stock en t = ti + 1 car ellesreprésentent à cet instant des conditions initiales. Nous obtenons :

– pour la consommation, ∀t ≥ ti + 1 :

∂Lω

∂Cωt= 0 ⇔

µωt = u ′ (CωtNt

)1

(1+ ρ)t(A.1.3)

Ainsi µωt représente l’utilité marginale actualisée.– pour la capacité d’abattement, ∀t ≥ ti + 1 :

∂Lω

∂aωt= 0 ⇔

λωA,tσt = µωt ∂1Ca(a

ωt , a

ωt−1)+µ

ωt+1∂2Ca(a

ωt+1, a

ωt )Yωt+1Yωt

+τωt − τωtYωt

(A.1.4)

Pour t = ti + 1, nous rappelons que par convention aωti = ati ,τωt > 0 seulement quand aωt = 1 et τωt > 0 seulement quandaωt = 0.

– pour le capital, ∀t ≥ ti + 2 :

∂Lω

∂Kωt= 0 ⇔

∂KYωt (1−

λωA,t(1−aωt )σt

µωt−Ca(a

ωt , a

ωt−1)−D

ω(θωA,t))

= (1+ ρ)u ′ (C

ωt−1

Nt−1)

u ′ (Cωt

Nt)− (1− δ)

(A.1.5)

– pour les stocks de carbone, ∀t ≥ ti + 2 :

∂Lω

∂Aωt= 0 ⇔

λωA,t−1 = λωA,tcAA + λ

ωB,tcBA +ν

ωA,tσ1F

′(Aωt ) (A.1.6)

∂Lω

∂Bωt= 0 ⇔

λωB,t−1 = λωA,tcAB + λ

ωB,tcBB + λ

ωO,tcOB (A.1.7)

∂Lω

∂Oωt= 0 ⇔

λωO,t−1 = λωB,tcBO + λωO,tcOO (A.1.8)

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A.1 résolution des conditions du premier ordre du modèle response 171

– pour les températures, ∀t ≥ ti + 2 :

∂Lω

∂θωA,t= 0 ⇔

νωA,t−1 = νωA,t (1−σ1 (F2x

ϑω2x+σ2))

+νωO,tσ3 +µωt ∂θD

ω(θωA,t)Y

ωt

(A.1.9)

∂Lω

∂θωO,t= 0 ⇔

νωO,t−1 = νωA,tσ1σ2 +ν

ωO,t(1−σ3) (A.1.10)

a.1.2 Avant l’arrivée de l’information

Le lagrangien du programme de maximisation s’écrit alors commela somme de l’espérance de la fonction objectif et d’un ensembled’équations dynamiques :

Lu =

t=ti∑t=t0

E [1

(1+ ρ)tu(Cωt , S

ωt )+V(ω)] (A.1.11)

+

ti

∑t=t0

(λA,t, λB,t, λO,t)

⎛⎜⎜⎜⎝

At+1 − (cAAAt + cABBt + (1−at)σtYt)

Bt+1 − (cBAAt + cBBBt + cBOOt)

Ot+1 − (cOBBt + cOOOt)

⎞⎟⎟⎟⎠

+

t=ti∑t=t0

E

⎡⎢⎢⎢⎢⎢⎣

(νωA,t, νωO,t)

⎛⎜⎝

θωA,t+1 − ((1−σ1(F2xϑω2x+σ2))θ

ωA,t +σ1σ2θ

ωO,t +σ1F(At))

θωO,t+1 − (σ3θωA,t + (1−σ3)θ

ωO,t)

⎞⎟⎠

⎤⎥⎥⎥⎥⎥⎦

+

t=ti∑t=t0

E [µωt (−Kt+1 + (1− δ)Kt + Yωt [1−Ca(a

ωt , a

ωt−1)−D

ω(θωA,t)]−C

ωt )]

+

ti

∑t=t0

τt.(1−at)+ τt.at (A.1.12)

(A.1.13)

Nous calculons les conditions du premier ordre par rapport à toutesles variables endogènes : les variables de flux Cωt et at, et les variablesde stock Kt, At, Bt, Ot, θωA,t et θωO,t. La dérivation est traitée de fa-çon spécifique pour les variables de stock en ti + 1 ainsi que pour lavariable de flux ati en raison de l’inertie sur les coûts d’abattement,de façon à prendre en considération leur impact sur V(ω). Nous ob-tenons :

– pour la consommation, ∀t ≤ ti :

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172 annexe

∂Lω

∂Cωt= 0 ⇔

µωt = u ′ (CωtNt

)1

(1+ ρ)t(A.1.14)

– pour la capacité d’abattement, ∀t < ti :

∂Lu∂at

= 0 ⇔

λA,tσt = E [µωt ]∂1Ca(at, at−1)

+E [µωt+1]∂2Ca(at+1, at)Yt+1Yt

+τt − τt

Yt

(A.1.15)

En t = ti, les décisions qui sont prises en début de période nepeuvent tenir compte de l’information qui arrive au cours decette période :

∂Lu∂ati

= 0 ⇔

λA,tiσti = E [µωti ]∂1Ca(ati , ati−1)

+E [µωti+1∂2Ca(aωti+1, ati)]

Yti+1Yti

+τti − τti

Yti(A.1.16)

car ∂V(ω)∂ati

= ∂Lω

∂ati= µωti+1∂2Ca(a

ωti+1, ati)Yti+1.

– pour le capital, ∀t ≤ ti :

∂Lu∂Kt

= 0 ⇔

∂KYt (1−λA,t(1−at)σt

E[µωt ]−Ca(at, at−1)−

E[µωt Dω(θA,t)]

E [µωt ])

=E [µωt−1]E [µωt ]

− (1− δ)

(A.1.17)

En t = ti + 1,

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A.1 résolution des conditions du premier ordre du modèle response 173

∂Lu∂Kti+1

= 0 ⇔

∂KYti+1⎛

⎝1−

E[λωA,ti+1(1−aωti+1)σti+1]

E [µωti+1]

−E[µωti+1Ca(a

ωti+1, ati)]

E [µωti+1]−

E[µωti+1Dω(θA,ti+1)]

E [µωti+1]

=E [µωti ]

E [µωti+1]− (1− δ)

(A.1.18)

car ∂V(ω)∂Kti+1

= ∂Lω

∂Kti+1= µωti+1(1−δ+∂KYti+1(1−Ca(a

ωti+1, ati) −D

ω(θA,ti+1)))−

λωA,ti+1(1−aωti+1)σti+1∂KYti+1.

– pour le multiplicateur associé au carbone atmosphérique, ∀t ≤ ti,le multiplicateur s’écrit :

∂Lu∂At

= 0 ⇔

λA,t−1 = λA,tcAA + λB,tcBA +E [νωA,tσ1F′(At)] (A.1.19)

∂Lu∂Bt

= 0 ⇔

λB,t−1 = λA,tcAB + λB,tcBB + λO,tcOB (A.1.20)

∂Lu∂Ot

= 0 ⇔

λO,t−1 = λB,tcBO + λO,tcOO (A.1.21)

En t = ti + 1,

∂Lu∂Ati+1

= 0 ⇔

λA,ti = E [λωA,ti+1cAA + λωB,ti+1cBA +ν

ωA,ti+1σ1F

′(Ati+1)]

(A.1.22)

∂Lu∂Bti+1

= 0 ⇔

λB,ti = E [λωA,ti+1cAB + λωB,ti+1cBB + λ

ωO,ti+1cOB] (A.1.23)

∂Lu∂Oti+1

= 0 ⇔

λO,ti = E [λωB,ti+1cBO + λωO,ti+1cOO] (A.1.24)

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174 annexe

– pour les températures, ∀t ≤ ti + 1 :

∂Lu∂θωA,t

= 0 ⇔

νωA,t−1 = νωA,t (1−σ1 (F2x

ϑω2x+σ2))

+νωO,tσ3 +µωt ∂θD

ω(θωA,t)Y

ωt

(A.1.25)

∂Lu∂θωO,t

= 0 ⇔

νωO,t−1 = νωA,tσ1σ2 +ν

ωO,t(1−σ3) (A.1.26)

a.2 la valeur sociale du carbone

a.2.1 Définition théorique

La valeur sociale du carbone est selon Nordhaus (2008) « the additio-nal damage caused by an additional ton of carbon emissions. In a dynamicframework, it is the discounted value of the change in the utility of consump-tion denominated in terms of current consumption ».

a.2.2 Définition dans RESPONSE

A la date t, toute unité additionnelle de carbone émise dans l’atm-sophère augmente At+1 d’une unité et réduit ainsi le bien-être ent + 1. Cette variation de bien-être est mesurée par ∂Wt+1/∂At+1 =

−λA,t+1cAA − λB,t+1cBA − νA,t+1σ1F ′(At+1). Sur le sentier optimalétant donné (A.1.6) ou (A.1.19), cette variation de bien-être est égaleà −λA,t. Donc le long du sentier optimal la valeur sociale du carboneest aussi liée au coût d’abattement à travers (A.1.4) et (A.1.15). LaVSC est mesurée en unité d’utilité courante.

Plus précisément, les équaAprès l’arrivée de l’information (t ≥ ti + 1), pour chaque état du

monde ω, la VSC est : tions de la VSC à différentes étapes du modèlesont les suivantes.

VSCωt =λωA,tµωt

=1

σt(∂1Ca(a

ωt , a

ωt−1)+

µωt+1µωt

Yωt+1Yωt

∂2Ca(aωt+1, a

ωt )+

τωt − τωtµωt Y

ωt

)

(A.2.1)

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A.3 quelles sont les causes de l’effet « fin du monde » ? 175

En t = ti + 1, cette formule se réécrit en :

VSCωti+1 =1

σti+1(∂1Ca(a

ωti+1, ati)+

µωti+2µωti+1

Yωti+2Yti+1

∂2Ca(aωti+2, a

ωti+1)

+τωti+1 − τ

ωti+1

µωti+1Yti+1) (A.2.2)

Avant l’arrivée de l’incertitude, ∀t ≤ ti la VSC est :

VSt =λA,t

E[µωt ]

=1

σt(∂1Ca(at, at−1)+

E[µωt+1∂2Ca(aωt+1, at)]

E[µωt ]

Yt+1Yt

+τt − τt

E[µωt ]Yt)

(A.2.3)

Quand t ≤ ti − 1, la formule se simplifie en :

VSCt =1

σt(∂1Ca(at, at−1)+

E[µωt+1]E[µωt ]

Yt+1Yt

∂2Ca(at+1, at)+τt − τt

E[µωt ]Yt)

(A.2.4)

En comparant la formule dans le cas certain et dans le cas incer-tain, nous pouvons donner une interprétation de la VSC en situationd’incertitude en termes de VSC dans le cas certain. Le coût social in-certain correspond à la moyenne des coûts sociaux dans les différentsscénarios pondérés par l’utilité dans ces différents scénarios (les prixdans les différents scénarios ne sont pas comparables, seules des uni-tés d’utilité peuvent être additionnées, ce qui est fait en utilisant µωt ).Ainsi, si nous définissant VSCωt comme précédemment (cf. les for-mules après arrivée de l’information), cette interprétation de la VSCest équivalente à la formule : VSCt =

E[µωt VSCωt ]E[µωt ] avant arrivée de

l’information.

a.2.3 Calcul numérique

Pour obtenir la valeur de VSCωt =λωA,tµωt

nous utilisons les prix im-plicites associés à la dynanmique des concentrations pour λωA,t et ladynamique du capital pour µωt calculés par GAMS.

a.3 quelles sont les causes de l’effet « fin du monde » ?

a.3.1 Analyse économétrique des résultats d’une analyse de sensibilité deRESPONSE

Pour mieux comprendre l’origine de cet effet « fin du monde » surles politiques climatiques, nous utilisons des méthodes statistiques

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176 annexe

pour détecter les facteurs, parmi l’ensemble des visions du mondea priori, qui renforcent le risque d’être « résigné ». Il s’agit donc dedistinguer parmi les paramètres clés d’une vision du monde ceux quifavorisent un comportement de résignation de ceux qui, au contraire,protègent contre un tel syndrôme. Il s’avère que la sensibilité clima-tique et la date de début des efforts de réduction d’émission sont lesparamètres qui ont le plus d’influence sur le comportement de rési-gnation.

Nous estimons une équation de régression logistique composée de6 variables explicatives (les 5 variables constitutives d’une vision dumonde ainsi que la date de début des efforts d’abattement) et d’unevariable qualitative à expliquer, être ou ne pas être résigné (doom)qui prend la valeur 1 quand la cible des 2 °C est dépassée et 0 sinon :

doom = β0 +β1ρ+β2γ+β3ζ+β4ϑ+β5g+β6tbegin + ε,

avec βi les coefficients de régression et tbegin la date de début desefforts d’abattement, ρ le taux de préférence pure pour le présent,γ le taux annuel de progrès technique, ζ le coût marginal intial desabattements, ϑ la sensibilité climatique et ε le terme d’erreur.

Une estimation séparée est calculée pour les 26 valeurs de sautde dommages. Pour chaque modèle estimé, les élasticités des va-riables explicatives sont calculées pour chacune des six dates tbegin,ce qui donne 156 élasticités. Dans le cadre d’une régression logistique,ces élasticités sont aisément interprétables comme l’impact marginald’une variable donnée sur la probabilité d’être « résigné ». Ainsi, sil’élasticité est positive, alors la variable augmente la probabilité d’être« résigné ». Inversement, si l’élasticité est négative alors la variable ré-duit cette probabilité.

Les élasticités ont été calculées à l’aide de STATA et sont projetéesdans les figures 24 et 25

La figure en bas à gauche de la figure 24 se lit de la façon suivante :si le saut de dommage est de 10% et que les efforts d’abattementont débuté en 2000 alors une augmentation de 1% du taux de préfé-rence pure pour le présent augmente le risque d’être « résigné » de0.6%. Les figures 24 et 25 mettent au jour que le progrès techniquesur les coûts d’abattement réduit le risque de devenir « résigné » tan-dis que toutes les autres variables renforcent ce risque. La figure 25

montre que la sensibilité climatique et la date de début des effortsd’abattement sont les deux variables qui ont le plus d’influence quan-titativement, surtout pour des valeurs élevées de saut de dommages.Une augmentation de 1% de la sensibilité climatique quand le sautde dommages et tbegin sont fixés respectivement à 20% du PIB et en2020, entraîne une hausse de la probabilité d’être « résigné » de 5%.Plus la date de début des efforts de mitigation est retardée plus l’in-fluence de la sensibilité climatique est faible. Cela est certainement dû

Page 195: L’Institut des Sciences et Industries du Vivant et de l ... · RÉSUMÉ GÉNÉRAL Ce travail de thèse s’interroge sur l’origine des controverses autour du concept de « valeur

A.3 quelles sont les causes de l’effet « fin du monde » ? 177

0,00

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1990 2000 2010 2020 2030 2040

0,00

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0,70

0,80

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5

d d

ρ γ

g ζ

Figure 24: Evolution des élasticités (axe des ordonnées), interprétéescomme la variation de la probabilité d’être résigné, des variablesde préférence pure pour le présent, de progrès technique, decroissance et de coût marginal initial de l’abattement pour dif-férents niveaux d du saut de dommages (axe des abscisses) etdifférentes dates de début des efforts de mitigation

au fait que plus les efforts sont repoussés, plus la fenêtre d’opportu-nité pour éviter le dépassement du seuil de 2 °C se referme ; et doncl’effet sur la probabilité d’être « résigné » doit être relativement plusgrand lorsqu’il reste une chance de respecter la cible de température.

a.3.2 Résultats des analyses box plot réalisées sur les distributions de scé-narios pour différentes architectures de modélisation

Page 196: L’Institut des Sciences et Industries du Vivant et de l ... · RÉSUMÉ GÉNÉRAL Ce travail de thèse s’interroge sur l’origine des controverses autour du concept de « valeur

178 annexe

0

5

10

15

20

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30

35

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1990 2000 2010 2020 2030 2040

0

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0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5

d

ϑ

t_begin

Figure 25: Evolution des élasticités des variables de sensibilité climatique etde début des efforts d’abattement

Page 197: L’Institut des Sciences et Industries du Vivant et de l ... · RÉSUMÉ GÉNÉRAL Ce travail de thèse s’interroge sur l’origine des controverses autour du concept de « valeur

A.3 quelles sont les causes de l’effet « fin du monde » ? 179

Tab

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21:R

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60.6

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80

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60.6

30.2

80.4

60.7

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50.1

90.3

40.6

70.9

31.0

0

Page 198: L’Institut des Sciences et Industries du Vivant et de l ... · RÉSUMÉ GÉNÉRAL Ce travail de thèse s’interroge sur l’origine des controverses autour du concept de « valeur

180 annexe

Tab

le

22

:Rés

ulta

tspo

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SC

Stru

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es2020

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13

26

52

612

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47

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58

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28

52

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24

48

86

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sc-t

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37

26

72

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38

37

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-2150

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41

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73

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56

126

Page 199: L’Institut des Sciences et Industries du Vivant et de l ... · RÉSUMÉ GÉNÉRAL Ce travail de thèse s’interroge sur l’origine des controverses autour du concept de « valeur

A.3 quelles sont les causes de l’effet « fin du monde » ? 181

a.3.3 Matrices de transition

La matrice de transition présentée dans le tableau 23 indique com-ment, à partir d’une répartition donnée de scénarios en 1990 entreceux qui respectent la cible des 2 °C, les overshooters involontaireset les résignés, la population de chaque groupe évolue avec le déca-lage du début des efforts de mitigation. Le tableau se lit de la façonsuivante. Si la date tbegin du début des efforts de réduction d’émis-sions est décalée de 2010 à 2020, parmi les 1653 scénarios qui res-pectent les 2 °C en 2010, 1443 continuent à respecter les 2 °C alors que119 deviennent « résignés » et 91 deviennent « overshooters involon-taires ».Parmi les 347 « résignés », 60 sont contraints à devenir des« overshooters involontaires ». En raison de l’afflux de « résignés » ve-nant du groupe de ceux qui respectaient la cible des 2 °C, le nombretotal de « rédignés » augmente de 59 individus. En 2020, les premiers151 « overshooters involontaires » apparaissent.

Le nombre de scénarios qui respectent les 2 °C diminue continû-ment. Nous observons un certain « effet de cliquet » : dès lors qu’unscénario qui respectait les 2 °C devient « résigné » alors il ne peutplus revenir dans le groupe de ceux qui respecte la cible. Le mêmeeffet s’applique à ceux qui passent de « résignés » à « overshootersinvolontaires ». Pour eux, il est trop tard, en raison de contraintesphysiques, pour éviter le franchissement du seuil. Il est possible tou-tefois de passer directement du groupe de ceux qui respectent les 2 °Cà celui des « overshooters involontaires » sans passer par une phasede transition parmi les « résignés ». La décennie 2010 - 2020 appa-raît clairement comme la décennie critique, là où les « résignés » sontles plus nombreux, en raison d’un fort afflux d’individus venus dugroupe de ceux qui respectent les 2 °C. Durant cette période il est en-core possible (bien que coûteux) d’éviter le franchissement du seuil,alors que pendant les deux décennies suivantes, la vague d’overshoo-ters involontaires dont le nombre passe de 151 en 2020 à 1244 en 2040

ferme presque définitivement la fenêtre d’opportunité politique pourmaintenir la hausse des températures inférieure à 2 °C.

Il faut noter que la forte augmentation des « overshooters » si le dé-but des réductions d’émissions est reporté après 2020 n’est pas seule-ment due à l’afflux des « overshooters involontaires ». Bien qu’une partgrandissante des « résignés » deviennent des « overshooters involon-taires », il émerge, à chaque date, de nouveaux « résignés » issus desrangs de ceux qui ne franchissaient pas le seuil une période plus tôt.

Page 200: L’Institut des Sciences et Industries du Vivant et de l ... · RÉSUMÉ GÉNÉRAL Ce travail de thèse s’interroge sur l’origine des controverses autour du concept de « valeur

182 annexe

Table 23: Matrice de transition de la répartition des scénarios entre ceux quirespectent la cible des 2 °C, les « résignés » et les « overshootersinvolontaires » quand le saut de dommages est fixé à 5% du PIB

tbegin = 2000 tbegin = 2010

<2 °C Rési Invol ∆ <2 °C Rési Invol ∆

<2 °C 1676 0 0 −6 1653 0 0 −23

Rési 6 318 0 +6 23 324 0 +23

Invol 0 0 0 0 0 0

tbegin − 10 1682 318 0 1676 324 0

tbegin = 2020 tbegin = 2030

<2 °C Rési Invol ∆ <2 °C Rési Invol ∆

<2 °C 1443 0 0 −210 998 0 0 −445

Rési 119 287 0 +59 80 112 0 −204

Invol 91 60 0 +151 365 294 151 +659

tbegin − 10 1653 347 0 1443 406 151

tbegin = 2040

<2 °C Rési Invol ∆

<2 °C 664 0 0 −334

Rési 49 41 0 −112

Invol 285 151 810 +434

tbegin − 10 998 202 810

a.4 le modèle green mars

a.4.1 Travail et salaires

Chaque ménage j ∈ [0, 1] offre son travail de manière différenciéesur des marchés imparfaitement concurrentiels. Ces offres de tra-vail différenciées sont agrégées par une entreprise représentative quiprend les salaires individuels comme donnés, dans un modèle simi-laire à celui de Dixit and Stiglitz (1977), appliqué au marché du travailpar Blanchard and Kiyotaki (1987). Le niveau d’emploi est donc déter-miné par la demande de travail. Les salaires sont fixés par les salariés

Page 201: L’Institut des Sciences et Industries du Vivant et de l ... · RÉSUMÉ GÉNÉRAL Ce travail de thèse s’interroge sur l’origine des controverses autour du concept de « valeur

A.4 le modèle green mars 183

Table 24: Matrice de transition de la répartition des scénarios entre ceux quirespectent la cible des 2 °C, les « résignés » et les « overshootersinvolontaires » quand le saut de dommages est fixé à 10% du PIB

tbegin = 2000 tbegin = 2010

<2 °C Rési Invol ∆ <2 °C Rési Invol ∆

<2 °C 1213 1 0 −7 1192 0 0 −22

Rési 8 778 0 +7 22 786 0 +22

Invol 0 0 0 0 0 0

tbegin − 10 1221 779 0 1222 786 0

tbegin = 2020 tbegin = 2030

<2 °C Rési Invol ∆ <2 °C Rési Invol ∆

<2 °C 1017 0 0 −175 786 0 0 −231

Rési 129 703 0 +24 81 323 0 −509

Invol 46 105 0 +151 150 509 151 +659

tbegin − 10 1192 808 0 1017 832 151

tbegin = 2040

<2 °C Rési Invol ∆

<2 °C 525 0 0 −261

Rési 79 150 0 −175

Invol 182 254 810 +434

tbegin − 10 786 404 810

eux-mêmes, qui les réoptimisent selon une probabilité du même typeque Calvo (1983), comme le proposent Erceg et al. (2000).

a.4.1.1 Agrégateur des différentes offres de travail

Chaque ménage j offre une quantité de travail Ltlsjt, et la totalitédes différents types de travail est agrégée par une entreprise en sui-vant la fonction

Ltldt = Lt (∫

1

0(lsjt)

η−1η dj)

ηη−1, (A.4.1)

où η est l’élasticité de substitution entre les différents types de travailet ldt est la demande de travail par tête (Ltldt celle par ménage).

Page 202: L’Institut des Sciences et Industries du Vivant et de l ... · RÉSUMÉ GÉNÉRAL Ce travail de thèse s’interroge sur l’origine des controverses autour du concept de « valeur

184 annexe

L’agrégateur de travail, qui prête Ltldt au salaire wt aux produc-teurs de biens intermédiaires, maximise ses profits sous la contraintede production (A.4.1), en prenant comme donnés les salaires différen-ciés wjt et le salaire agrégé wt

maxljt

wtLtldt −∫

1

0wjtLtl

sjtdj. (A.4.2)

La condition du premier ordre qui en découle s’écrit

wtη

η− 1(∫

1

0(lsjt)

η−1η dj)

η−1η−1 η− 1

η(lsjt)

η−1η−1−wjt = 0. (A.4.3)

En simplifiant, on obtient l’équation de demande de travail par tête

lsjt = (wjt

wt)−ηldt . (A.4.4)

Remplacer la demande de travail (A.4.4) dans la fonction de pro-duction (A.4.1) permet d’exprimer l’indice de salaire global en fonc-tion des salaires des ménages

wt = (∫

1

0w1−ηjt dj)

11−η

. (A.4.5)

fixation des salaires Chaque ménage j qui offre un travaildifférencié lsjt est en concurrence monopolistique avec les autres etfixe donc son salaire wjt. Par hypothèse, les contrats sont du mêmetype que Calvo (1983) : à l’instant t, chaque ménage peut réoptimiserson salaire wjt avec une probabilité 1− θw. Chaque ménage qui peutréoptimiser son salaire à la période t maximise sa fonction d’utilitédéfinie en (7.2.1), sous la contrainte (7.2.2). En ne retenant que lestermes pertinents, on obtient

maxwjt

Et

∞∑τ=0

(θwβ)τγLτ

⎝−ψ

(lsjt+τ)1+ϑ

1+ ϑ+ λjt+τ(1− τnt − τ

wht )wjt+τlsjt+τ

⎠,

(A.4.6)

avec γLt = Πti=1γLi et λjt le multiplicateur devant la contrainte bud-

gétaire du ménage. Les ménages qui ne peuvent réoptimiser leur sa-laire en t l’indexent selon une moyenne géométrique entre l’inflationdomestique passée (Πt = pt

pt−1) et l’inflation à l’état stationnaire (Π),

pondérée par χw ∈ [0, 1]. Ainsi, le ménage j qui ne peut réoptimiserson salaire pendant τ périodes, aura un salaire

wjt+τ =τ

∏s=1

Πχwt+s−1Π1−χw

Πt+swjt. (A.4.7)

Page 203: L’Institut des Sciences et Industries du Vivant et de l ... · RÉSUMÉ GÉNÉRAL Ce travail de thèse s’interroge sur l’origine des controverses autour du concept de « valeur

A.4 le modèle green mars 185

A partir de l’équation (A.4.7), on réexprime la demande de travaildifférencié (A.4.4)

lsjt+τ = (τ

∏s=1

Πχwt+s−1Π1−χw

Πt+swjt

wt+τ)

−ηldt+τ. (A.4.8)

Les deux contraintes supplémentaires (A.4.7) et (A.4.8) sont à in-tégrer dans le programme de maximisation du ménage (A.4.6). Lacondition de premier ordre devient

Et

∞∑τ=0

(θwβ)τγLτ

⎝λt+τ(1− τnt − τ

wht )

τ

∏s=1

Πχwt+s−1Π1−χw

Πt+s

1−η(w∗t

wt+τ)

−η

−η

η− 1(ψ(

τ

∏s=1

Πχwt+s−1Π1−χw

Πt+s)w∗t

wt+τ)

−η(1+ϑ)(ldt+τ)

ϑ⎞

⎠ldt+τ

⎠= 0,

(A.4.9)

où w∗t correspond au salaire réoptimisé, qui ne dépend pas de j 1.

Selon l’équation (A.4.9), lorsque les salaires sont réoptimisés, ces der-niers sont établis afin d’égaliser la somme actualisée des salaires an-ticipés (nets d’impôts), exprimés en termes d’utilité marginale deconsommation (λt+τ), à la somme actualisée des coûts marginaux an-ticipés, exprimés en termes de désutilité marginale du travail ((ldt+τ)ϑ) 2.

A chaque période, une fraction 1 − θw des ménages fixent leur sa-laire à w∗

t , alors que la fraction restante θw l’indexe partiellement. Enréutilisant la définition de l’indice du salaire agrégé (A.4.5), l’indicedes salaires réels évolue

w1−ηt = θw (Πχwt−1Π

1−χw

Πt)

1−ηw1−ηt−1 + (1− θw)w∗1−η

t . (A.4.10)

fixation des prix des biens intermédiaires Chaque pro-ducteur de biens intermédiaires qui peut réoptimiser ses prix à lapériode t les choisit de façon à maximiser le flux de profits futursréels actualisés. La fixation des prix par les entreprises de biens inter-médiaires suit le même schéma que celle des salaires par les ménages.A chaque période, une fraction 1− θp des producteurs de biens inter-médiaires peut changer ses prix. Les autres producteurs ont des prixqui évoluent en fonction d’une moyenne entre l’indice de l’inflationpassée du prix des biens finaux domestiques et l’inflation en régimestationnaire, pondérée par χp ∈ [0, 1].

Le problème de ces entreprises prend donc la forme

maxpit

Et

∞∑τ=0γLτθ

τpβτλt+τλt

((pit+τ −pt+τmct+τ)yit+τ) . (A.4.11)

1. Tous les ménages qui peuvent réoptimiser leurs salaires à une date t choi-sissent le même, ainsi w∗t = wjt pour cette fraction de ménages. Le résultat estclassique dans un modèle de type Dixit-Stiglitz avec une dynamique de prix à laCalvo (Yun, 1996; Woodford, 1996). Il est dû à l’hypothèse de marchés complets quipermet aux ménages de s’assurer contre l’hétérogénéité ex post des salaires.

2. La démarche est identique pour la fixation du prix des biens intermédiaires.

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186 annexe

Les entreprises i qui ne peuvent réoptimiser leur prix pendant τpériodes auront un prix

pit+τ = (τ

∏s=1Πχpt+s−1Π

1−χp)pit. (A.4.12)

A partir de l’équation (A.4.12), on réexprime la demande de biensdifférenciés (7.2.10)

yit+τ = ((τ

∏s=1Πχpt+s−1Π

1−χp)pit

pt+τ)

−εydt+τ. (A.4.13)

On substitue les équations (A.4.12) et (A.4.13) dans le programmede maximisation de l’entreprise i.

L’indice de prix à la Calvo évolue, quant à lui, à partir de l’équationde l’indice des prix agrégés (7.2.11), selon l’équation

p1−εt = θp (Πχpt−1Π

1−χp)1−ε

p1−εt−1 + (1− θp)p∗1−εt , (A.4.14)

où p∗t est le prix fixé par les entreprises qui peuvent réoptimiser. Endivisant (A.4.14) par p1−εt on obtient

1 = θp (Πχpt−1Π

1−χp

Πt)

1−ε+ (1− θp)Π

∗1−εt , (A.4.15)

avec Π∗t = p∗t/pt.

a.4.2 Agrégation

Pour clore le modèle, il faut spécifier les conditions d’agrégationpour les quatre marchés considérés : travail, biens domestiques, im-portations et exportations.

a.4.2.1 Marché du travail

On définit la somme des offres de travail des ménages

lt = ∫1

0lsjtdj (A.4.16)

et on déduit, à partir de l’équation (A.4.4), que

lt = vwt ldt , (A.4.17)

avec

vwt = ∫

1

0(wjt

wt)−ηdj, (A.4.18)

qui mesure l’impact de la distribution des salaires sur l’emploi.

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A.4 le modèle green mars 187

À partir de (A.4.18) et de la dynamique des salaires (A.4.10), onobtient l’évolution de la dispersion des salaires

vw =1

w−ηt

⎝∫

1

0θw (

Πχwt−1Π1−χw

Πt)

−ηw−ηjt−1 + (1− θw) (w∗

t)−η⎞

= θw (wt−1wt

Πχwt−1Π1−χw

Πt)

−ηvwt−1 + (1− θw) (

w∗t

wt)

−η. (A.4.19)

Cette dernière égalité est obtenue en utilisant l’équation (A.4.5).

a.4.2.2 Marché des biens

La demande agrégée par tête du bien final domestique s’écrit

ydt = cdt + i

dt + g

ct + g

it + xt +µ

−1t

pitptφ(ut)kt−1, (A.4.20)

en utilisant la fonction de production de biens intermédiaires (7.2.6)et la fonction d’agrégation des biens intermédiaires.

De la même manière que pour le marché du travail, on définit pourle marché des biens la somme des biens intermédiaires produits

yt = ∫1

0yitdi (A.4.21)

et on déduit que

yt = vpt ydt , (A.4.22)

avec

vpt = ∫1

0(pjt

pt)−εdi, (A.4.23)

A partir de (A.4.23) et de la dynamique des prix du bien final do-mestique (A.4.14), on obtient l’évolution de la dispersion des prix

vp = θp (Πχt−1Π

1−χ

Πt)

−εvpt−1 + (1− θp)(Π

∗t)−ε. (A.4.24)

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