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Phytothérapie (2013) 11:39-41 © Springer-Verlag France 2013 DOI 10.1007/s10298-013-0753-7 Formation continue Mycothérapie L’Armillaire miel : un agoniste adénosine A1 actif contre les vertiges et un agent potentiel contre les effets délétères de l’ischémie B. Donatini 40, rue du Docteur‑Roux, F‑51350 Cormontreuil, France Correspondance : [email protected] Résumé : L’Armillaria mellea (AM) est un agoniste adénosine A1 qui en théorie protège les tissus de l’ischémie. Des effets antivertigineux sont documentés par un essai randomisé en double insu. Les effets antiépileptogènes, protecteurs sur le rein, sur le cœur (antiarythmogène ou antiangineux) ou encore sur les nerfs périphériques restent théoriques. Comme de nombreux champignons, l’AM stimule l’immunité et pos‑ sède des propriétés antioxydantes ou antibiotiques. Il faut tenir compte de son effet fibrinolytique lors d’une prescrip‑ tion : utilité pour reperfuser un tissu mais risque lorsqu’asso‑ cié à un antiagrégant plaquettaire ou à un anticoagulant. On retiendra surtout son potentiel important contre les vertiges et l’ischémie. Mots clés : Champignon – Vertiges – Ischémie – Adénosine A1 Armillaria mellea: an adenosine A1 agonist useful against dizziness and a possible anti‑ischemic agent Abstract Armillaria mellea (AM) is an adenosine A1 agonist which theoretically protects against ischemia. Its effects against dizziness are supported by a randomized double‑blind study. Kidney, heart (arrhythmia or angina pectoris), peripheral nociceptive nerves belong to the theoretical range of action of adenosine A1 agonists, as well as epilepsy control. As many mushrooms, AM stimulates immunity and possesses antioxy‑ dative or antibiotic properties. One must consider its fibrino‑ lytic action whilst recommending AM to patients presenting with ischemia, especially those already receiving anti‑agregant medications or anticoagulation agents. In a shell nut, AM is effective against dizziness and ischemia. Keywords: Mushroom – Dizziness – Ischemia – Adenosine A1 agonist Introduction L’Armillaria mellea (AM) (Fig. 1) est un champignon comestible lorsqu’il est jeune ou séché. Son mycélium, comme son fruit (carpophore), contient [25] des prin‑ cipes actifs agissants essentiellement sur des récepteurs du système nerveux central, du cœur et des vaisseaux ou sur les globules blancs. Principal principe actif : la 6‑(5‑hydroxy‑2‑pyridyl‑ méthamino)‑9‑β‑ribofuransylpurine ou N6‑(5‑hydroxy‑2‑ ‑pyridyl)‑méthyl‑adénosine (N6 substitued adenosine : N6SA). La N6SA (Fig. 2) est un composant hydrosoluble, présent à la dose de 1 mg/kg de mycélium d’AM. Chez la souris, 0,24 µg de N6SA injecté en sous‑cutané protège Fig. 1. Armillaria mellea Fig. 2. Structure de la N6‑(5‑hydroxy‑2‑pyridyl)‑méthyl‑adénosine

L’Armillaire miel: un agoniste adénosine A1 actif contre les vertiges et un agent potentiel contre les effets délétères de l’ischémie

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Phytothérapie (2013) 11:39-41© Springer-Verlag France 2013DOI 10.1007/s10298-013-0753-7

Formation continue

Mycothérapie

L’Armillaire miel : un agoniste adénosine A1 actif contre les vertiges et un agent potentiel contre les effets délétères de l’ischémie

B. Donatini

40, rue du Docteur‑Roux, F‑51350 Cormontreuil, FranceCorrespondance : [email protected]

Résumé : L’Armillaria mellea (AM) est un agoniste adénosine A1 qui en théorie protège les tissus de l’ischémie. Des effets antivertigineux sont documentés par un essai randomisé en double insu. Les effets antiépileptogènes, protecteurs sur le rein, sur le cœur (antiarythmogène ou antiangineux) ou encore sur les nerfs périphériques restent théoriques. Comme de nombreux champignons, l’AM stimule l’immunité et pos‑sède des propriétés antioxydantes ou antibiotiques. Il faut tenir compte de son effet fibrinolytique lors d’une prescrip‑tion : utilité pour reperfuser un tissu mais risque lorsqu’asso‑cié à un antiagrégant plaquettaire ou à un anticoagulant. On retiendra surtout son potentiel important contre les vertiges et l’ischémie.

Mots clés : Champignon – Vertiges – Ischémie – Adénosine A1

Armillaria mellea: an adenosine A1 agonist useful against dizziness and a possible anti‑ischemic agent

Abstract Armillaria mellea (AM) is an adenosine A1 agonist which theoretically protects against ischemia. Its effects against dizziness are supported by a randomized double‑blind study. Kidney, heart (arrhythmia or angina pectoris), peripheral nociceptive nerves belong to the theoretical range of action of adenosine A1 agonists, as well as epilepsy control. As many mushrooms, AM stimulates immunity and possesses antioxy‑dative or antibiotic properties. One must consider its fibrino‑lytic action whilst recommending AM to patients presenting with ischemia, especially those already receiving anti‑agregant medications or anticoagulation agents. In a shell nut, AM is effective against dizziness and ischemia.

Keywords: Mushroom – Dizziness – Ischemia – Adenosine A1 agonist

IntroductionL’Armillaria mellea (AM) (Fig. 1) est un champignon comestible lorsqu’il est jeune ou séché. Son mycélium,

comme son fruit (carpophore), contient [25] des prin‑cipes actifs agissants essentiellement sur des récepteurs du système nerveux central, du cœur et des vaisseaux ou sur les globules blancs.

Principal principe actif : la 6‑(5‑hydroxy‑2‑pyridyl‑ méthamino)‑9‑β‑ribofuransylpurine ou N6‑(5‑hydroxy‑2‑‑pyridyl)‑méthyl‑adénosine (N6 substitued adenosine : N6SA). La N6SA (Fig. 2) est un composant hydrosoluble, présent à la dose de 1 mg/kg de mycélium d’AM. Chez la souris, 0,24 µg de N6SA injecté en sous‑cutané protège

Fig. 1. Armillaria mellea

Fig. 2. Structure de la N6‑(5‑hydroxy‑2‑pyridyl)‑méthyl‑adénosine

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contre l’ischémie cérébrale, selon des modalités dose‑ dépendantes. Il n’a pas été trouvé de dose toxique [26]. À noter que ce champignon est classé comestible et que la dose de 0,24 µg est contenue dans 0,25 g de champignon.

Système nerveuxDans une étude prospective comparative randomisée en double insu portant sur 131 patients (89 versus 42 témoins), l’AM, per os et à la dose de 0,3 mg, fait jeu égal avec le diphénol contre les vertiges [30]. L’AM contient de grandes quantités de L‑tryptophane (4,467/100 g) et de sérotonine (2,207/100 g) [15], composés connus pour leur propriété antidépressive.

La N6SA possède des propriétés adénosine‑1 agonistes [29] dont l’effet antiépileptigène est établi chez le rat ou chez la souris [4,13,16,21]. L’AM exercerait, selon une revue récente de la littérature, des effets antiépileptiques [19].

L’armillaire protège le cerveau contre l’ischémie [26]. En général, les agonistes adénosine A1 rééquilibrent le méta‑bolisme glucidique pendant l’ischémie cérébrale induite lors du status epilepticus [23,31].

Globalement, les agonistes adénosine A1 synthétiques sont efficaces contre l’arythmie auriculaire en particulier en cas d’insuffisance cardiaque congestive, le diabète de type 2, l’angor, la protection du rein lors d’hypoperfusion ou encore les douleurs neuropathiques [2,3,7,20]. L’AM n’a pas été étudié dans ces indications mais pourrait se révéler utile dans ces cas. Il n’a pas été retrouvé d’effet choliner‑gique ou alpha‑adrénergique associé à l’usage du N6SA. Chez le rat, les effets périphériques de la norépinéphrine et de l’acétylcholine sont atténués de façon dose‑dépendante par le N6SA, probablement par un blocage présynaptique du relargage des neuromédiateurs, indépendant de ses propriétés adénosine‑1 agonistes [29].

Système immunitaire et effet anti‑cancer

In vitro

L’AM contient de l’arnamial (delta(2,4)‑protoilludane everninate) [24] qui possède des propriétés cytotoxiques et apoptotiques sur des lignées tumorales : du sein, de LLC, du côlon [14].

L’AM induit la maturation des cellules dendritiques sans augmenter la synthèse de cytokines [8], l’apparition d’ICAM‑1 par la voie JNK avec activation du NF‑kappaB, de l’AP‑1 et du STA‑1 [9]. Il augmente ainsi les signaux d’adhésion et d’activation des globules blancs, ce qui accroît les capacités de défenses de l’organisme via les voies inflammatoires non spécifiques et réduit l’anabolisme des cellules tumorales (Fig. 3).

L’AM active les voies apoptotiques caspases 3 et 9 (Fig. 4) ce qui pourrait expliquer certaines propriétés anti‑tumorales [28].

Chez la souris

L’AM entre dans la composition du M8, un remède ancestral chinois qui contient également : Grifola frondosa (maïtaké), Ganoderme, Cordyceps militaris, Hericium erinaceus, Coriolus versicolor, Agaricus blazei et Lycium chinense, l’ar‑buste porteur des baies de goji. Le M8 stimule les lympho‑cytes T cytotoxiques et l’interféron‑gamma. Il diminue les métastases pulmonaires de cellules tumorales coliques [5]. L’AM diminue la toxicité médullaire (toutes les lignées) induite par le cyclophosphamide [11].

Fig. 3. Armillaria mellea active les voies C‑Jun et NF‑kappaB des monocytes, ce qui accroît leur efficacité phagocytaire

Fig. 4. Apoptose (mort cellulaire) avec les caspases 3, 8 et 9 ainsi que ses deux voies : intrinsèque et extrinsèque. Armillaria mellea favorise l’apoptose des cellules tumorales

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Anti‑infectieuxLe mycélium d’AM contient de l’acide armarillique et de l’armillarisine B, des antibiotiques actifs contre les germes Gram positifs et un antifungique [1,18,22].

Anti‑inflammatoire, antioxydantL’AM inhibe les cytokines TH1 et COX2, ce qui le place parmi les anti‑inflammatoires [27].

C’est également un antioxydant puissant [6,12,17].

DiversLe mycélium d’AM contient un agent fibrinolytique chymo‑trypsine‑like [10].

Résumé des propriétésOn retiendra une étude randomisée en double insu contre le vertige et des données expérimentales concordantes sur plus d’une décennie provenant d’équipes diverses en faveur d’une protection antiépileptique ou ischémique cérébrale. Cette propriété adénosine‑1 agoniste, rare et utile, suffit à chercher à accroître la notoriété de ce champignon. Les propriétés antibactériennes semblent également confortées par des données scientifiques solides, mais les alternatives naturelles abondent, ce qui réduit l’intérêt de l’AM.

Les données en cancérologie restent à confirmer ; il existe des immunostimulants nettement supérieurs comme le Coriolus versicolor. Les autres propriétés sont anecdoti‑ques et à prendre avec précaution.

PosologieEn s’appuyant sur la seule étude randomisée en double insu chez des patients souffrant de vertiges, on retiendra la dose de 300 mg/j per os à poursuivre pendant toute la durée des symptômes.

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