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LE CERF Cerf brâmant Cervus elaphus Linné Allemand : Edelhirsch, Rothirsch, Italien : Cervo comune, Anglais : Red deer. Toute l'Europe jusqu'à la Scandinavie centrale. Ellerman et Morrison Scott distinguent une race de l'Europe centrale, Cervus e. hippelaphus, taille grande, disque caudal clair et bordé de noir. Une race Cervus e. elaphus, actuellement confinée dans quelques domaines de la Scanie (Suède méridionale) et réduite au début du siècle à une centaine d'individus, taille grande, disque caudal indistinct. Une race Cervus e. atlanticus Lönnberg 1906, de la côte norvégienne, du Stavanger fjord à la latitude de 65°, plus petite et plus pâle, ressemblant au cerf d'Ecosse et de Grande-Bretagne, Cervus e. scoticus Lönnberg 1906, petit et plus gris ; le cerf de Corse et de Sardaigne, Cervus e. corsicanus Erxlebens 1777, petit, foncé, le surandouiller manquant généralement, ne dépasse pas 150 livres, ressemble au cerf de l'Afrique du Nord. Il est donné (La Chasse, Larousse) comme éteint en Corse. Cependant, Lutz Heck l'a vu, probablement dans les années 30, au S. de l'île (Gisonaccia) où il y en avait une centaine. Un essai de repeuplement avec des cerfs de même race provenant de Sardaigne est en cours depuis 1975.

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LE CERF

Cerf brâmant

Cervus elaphus LinnéAllemand : Edelhirsch, Rothirsch, Italien : Cervo comune, Anglais : Red deer.

Toute l'Europe jusqu'à la Scandinavie centrale. Ellerman et Morrison Scott distinguent une race de l'Europecentrale, Cervus e. hippelaphus, taille grande, disque caudal clair et bordé de noir. Une race Cervus e.elaphus, actuellement confinée dans quelques domaines de la Scanie (Suède méridionale) et réduite audébut du siècle à une centaine d'individus, taille grande, disque caudal indistinct. Une race Cervus e.atlanticus Lönnberg 1906, de la côte norvégienne, du Stavanger fjord à la latitude de 65°, plus petite et pluspâle, ressemblant au cerf d'Ecosse et de Grande-Bretagne, Cervus e. scoticus Lönnberg 1906, petit et plusgris ; le cerf de Corse et de Sardaigne, Cervus e. corsicanus Erxlebens 1777, petit, foncé, le surandouillermanquant généralement, ne dépasse pas 150 livres, ressemble au cerf de l'Afrique du Nord. Il est donné (LaChasse, Larousse) comme éteint en Corse. Cependant, Lutz Heck l'a vu, probablement dans les années 30,au S. de l'île (Gisonaccia) où il y en avait une centaine. Un essai de repeuplement avec des cerfs de mêmerace provenant de Sardaigne est en cours depuis 1975.

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Un grand-dix-cors. Parc national, vallée du Fuorn, 8 octobre 1944

En Suisse, le cerf est un motif d'espoir et de consolation pour les amis de la nature. En 1869, Fatiopouvait dire : « Ce superbe animal résidait et prospérait encore en Suisse il y a 80 ans ; mais il en a étémaintenant petit à petit entièrement extirpé... » Depuis, le cerf est réapparu dans les Grisons,revenant du Vorarlberg au début de ce siècle et, favorisé par la création du Parc national, y estabondant. De 16 individus en 1919, au Parc national, ils ont passé à 750 en 1958. Ce chiffre est tropélevé, en regard surtout des lieux d'hivernage, à plus basse altitude et hors du Parc, où se rendent lescerfs. Ils y atteignent une densité de 5,8 pour 100 hectares. Les plantes sont broutées jusqu'àcomplète destruction, et l'écorce des arbres attaquée. Sur 1000 à 1200 bêtes, 440 au moins périssentde faim et d'épuisement, dont plus de la moitié de faons.

Cependant, des estimations par d'autres méthodes (comptage au phare, comparaison du chiffredes bêtes tuées et trouvées mortes, etc.) ont donné en 1976, 4500 à 5500 têtes, alors qu'on avaitsupposé 2500 (Dr H. J. Blankenhorn, H. V. Müller und Ch. Buchli. Scheinwerfertaxation von Hirsch undRehbestanden 1978. Fornat Forschungstelle für Naturschutz und angewandte Oekologie). Dans lespays où subsistent les grands carnassiers, de tels rassemblements sont attaqués et dispersés, par lesloups surtout. En 1926, deux cerfs et trois biches des Carpathes ont été introduits au Val Ferret (Valais)par la société de chasse, et formaient, sous la protection dévouée du garde Luisier, une magnifiquecolonie d'une quarantaine d'individus, qui semblait être là depuis toujours. Au temps du rut, onentendait bramer de tous côtés et on voyait chaque jour plusieurs cerfs. J'y suis retourné, après que lachasse du cerf fut ouverte (en dehors du district franc) sans en voir, et, en 1942, sans en entendre unseul.

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Depuis, les cerfs ont débordé sur le Val d'Entremont et sur nombrede vallées valaisannes. La Combe de l'A est devenue toutparticulièrement un centre d'observation du brame. C'est si couru qu'ilarrive, paraît-il, qu'en approchant un cerf on tombe sur unmagnétophone. J'ai l'impression, pour ma part et bien que je n'y soisplus retourné, que les cerfs s'habitueront à cette proximité humaine.C'est intéressant et je regrette qu'on ait pris des mesures de régulationenvers les plus grands mâles.

Cerf brâmant, biche et faon dans les buées

En France, l'effectif des cerfs était, en 1981 de 35 000 individus (ONC, office national de la Chasse,N°87, janvier 1985). En Suisse en 1984, de 22 200 (Office fédéral des Forêts).

De taille très variable selon les lieux etindividus. Tête et corps 1,65 à 2,50 m, queue 12à 15 cm, hauteur au garrot 1,20 à 1,50 m. Uncerf français peut dépasser 200 kg, le poidsmoyen est de 150 kg, le poids de la biche est desdeux tiers. Poids moyen en Prusse orientale 150kg, 85 kg pour la biche ; en Westphalie 100 et 60kg, Ecosse 160 et 95 kg. Un cerf du Val Ferret tuépar mon cousin, le Dr Ed. Sierro, pesait 250 kg.Un cerf de 425 kg (entier) a été tué à Maramaros(N.-E. des Carpathes). Les cerfs de 300 à 400 kgn'y sont pas exceptionnels (Szunyoghy). Les boispeuvent atteindre 15 kg.

Cerf et biches dans la pénombre

Le mâle a le dos droit,le thorax puissant, le ventre plutôt rentré, les membres longs, fins etnerveux,les cuisses et les avant-bras bien musclés, ces derniers surtout, à cause du poids des bois et dupuissant avant-train. Le cou assez long, est renflé et fort, en partie par l'effet du pelage, en automne et enhiver surtout. Les oreilles sont assez grandes, pointues, les yeux plutôt grands, brun foncé à pupilleallongée horizontalement, avec un larmier très développé et bien visible.

Cerf, Tejura, Val Ferret 17.10.1936

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Cerf dormant sous la pluie. Parc national, vallée du Fuorn, 9 octobre 1944

La physionomie est bien différente selon les individus, surtout chez les biches dont quelques-unes ontune tête fine et charmante et d'autres, maigres et sans doute vieilles, une laideur correspondant à cequ'on appelle chez l'homme une figure chevaline. Le mâle de notre planche ayant une grosse bosse sur lechanfrein. Les faons ont la tête courte et pointue, les pattes très longues, le poil est hérissé, au cousurtout. Poil d'été d'un fauve rouge ou jaunâtre (Gaston Phoebus dit : « on distingue plusieurs espèces depoil, trois surtout qu'on appelle le brun, le fauve et le blond »). Le ventre est foncé ou noirâtre chez lemâle, en hiver (avec les poils du bas-ventre roux clair) gris chez la biche. Cou et tête plus gris, membresnoirâtres ou gris clair, callosité latérale du talon blanchâtre, fesses blanchâtres bordées de noir, fauveclair de la queue remontant en pointe sur la croupe. Une ligne noire le long du dos ou seulement sur lecou. Le mâle de notre planche est en pelage d'été, la femelle en pelage d'hiver (sauf quelques mèches),beaucoup plus gris brun et plus long. Les faons portent jusqu'en août une robe fauve tachetée de blanc.

Biche et faon, Grass da Cluoza 4.7.1936

Le jeune mâle d'un an s'appelle hère. A une année, ses bois poussent en une dague plus ou moinslongue et il est appelé daguet. Ensuite, les bois tombent chaque année en mars et repoussent bientôtaprès de plus en plus ramifiés, entourés d'une peau velue, ou velours. En juin, ils sont complètementformés, en juillet la peau se dessèche et l'animal s'en débarrasse en « frayant » contre les arbres dont ilarrache l'écorce. Il se promène alors avec des lanières de peau pendantes, parfois tout sanglant et lesconsomme.

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Cerf paissant (grand-dix-cors mal semé). Purif, Parc national, 29 septembre 1944.

Partant de l'idée qu'il y a un cor de plus chaque année, le cerf est dit à sa première, à sa deuxième tête.On compte les cors en doublant le nombre du côté le plus fort, l'adulte a dix cors, le plus souvent douze(grand-dix-cors), parfois bien plus. De vieux cerfs finissent par pousser des bois plus simples, souventmassifs et longs. Mais les bois peuvent augmenter de plus d'un cor par année, ou rester à un nombreinférieur à ce qui correspond à l'âge. Dans ces nobles matières, consultons Gaston Phoebus. Sans entrerdans les détails sur la tête « bien rangée et bien chevillée et bien haute et ouverte » et les autres jusqu'à latête contrefaite et difforme, voici la tête du grand et vieux cerf, belle et bien chevillée : « D'abord qu'il ales meules grosses et pierreuses comme de menues pierres et les meules près de la tête ; et les andouillers,qui sont les premiers cors, gros, longs, rapprochés des meules et bien pierreux et les surandouillers quisont les seconds cors doivent être près des andouillers et de même forme, sauf toutefois qu'ils ne doiventpas être si grands ; et les autres cors gros et et longs et bien chevillés et la trochure ou paumure ou

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couronne que j'ai dite devant, haute et grosse ; et tout le long les perches seront grosses et pierreuses et ily aura le long des perches quelques petites vallées qu'on appelle gouttière ». Le premier cor s'appelle aussimaître andouiller, andouiller de massacre ou andouiller d'oeil. Après le surandouiller « les autress'appellent chevillures ou cors. Et ceux du bout de la tête s'appellent épois. Et quand le bois est double, ils'appelle fourchée et quand il est de trois ou de quatre andouillers, il s'appelle trochure et quand il est decinq ou plus il s'appelle paumure. Et quand il est tout autour par-dessus chevillé comme une couronne, ils'appelle couronnée ». « Et tout cor se peut compter pourvu qu'on y puisse pendre un éperon. » Mais lesbois sont très variables, grands ou assez ramassés, gros ou grêles, étalés, hauts ou rapprochés desextrémités, en lyre. Le surandouiller manque souvent et on dit que ces cerfs-là ont de plus bellescouronnes. Il me semble que les cerfs qui vivent à l'état sauvage à la montagne n'ont pas des bois aussisomptueux que les cerfs de parcs.

« Ce sont des bêtes légères et fortes et merveilleusement avisées, dit G. Phoebus, je tiens que c'est la plusnoble chasse à laquelle on puisse se livrer. » Le cerf doit à la protection des grands de ce monde d'avoirpersisté plus longtemps que d'autres animaux dans les contrées civilisées. Principal objet de la grandevénerie, les plaisirs mondains et quelque peu cruels de la chasse à courre l'ont conservé et il fautsouhaiter que le seul intérêt pour la nature les relaie avant qu'ils aient disparu et le cerf avec eux.

Selon les naturalistes actuels, le cerf est un animal des paysages ouverts avec arbres espacés et l'onpeut dire en un sens qu'au Parc national par exemple, il ne dégrade pas tant les forêts qu'il les aménage àson usage. Sa structure (avant-train aussi élevé que l'arrière-train, dos droit) l'ampleur de ses bois,l'indiquent. Il mange de l'herbe plus que des feuillages. C'est la culture qui l'aurait chassé dans les bois oùil trouve à se cacher, mais il continue à manger dans les prés et les champs. On peut se demandercomment ce point de vue se concilie avec l'abondance du cerf dans nos pays au début du néolithiquealors que nous nous les représentons couverts d'épaisses forêts. Si la forêt vierge montagneuse (hêtre etsapin) peut, du point de vue du parcours, être considérée comme paysage ouvert, avec les grands troncstrès espacés, elle contient très peu d'herbe et de sous-bois. La forêt de chêne, largement espacée, étaitpeut-être favorable au cerf ? En Ecosse les cerfs vivent sur des collines de bruyère dépourvues d'arbres.

Il vit en montagne comme en plaine, même dans les lieuxtrès accidentés. Il est agile et sans s'aventurer vraiment enplein rocher, il ne craint pas les vires étroites et les sentiersescarpés. Il monte volontiers bien au-dessus de la limite desarbres ; on voit souvent, au moins en été et en automne, lescerfs au-dessus des troupeaux de chamois. L'allure la plusordinaire du cerf et de la biche est le pas ou un trot léger etbalancé. De très près, on entend claquer les pinces. Ils negalopent guère que lorsqu'ils sont effrayés ou qu'ils sepoursuivent. Le cerf couche alors ses bois sur l'encolure.

Cerfs s'accompagnant

On est assez surpris qu'il n'en soit pas plusembarrassé dans la forêt et en vérité, lorsqu'il fuit, ilheurte les branches. Il nage volontiers. Oberthür ditqu'il peut se faire chasser pendant 60 km etdavantage et cite un saut en longueur de plus de 10m aboutissant deux mètres plus haut que le point dedépart. On a vu des sauts en longueur de 14 m, de 3m en hauteur. Les mâles, lorsqu'ils n'ont pas leursbois, se battent avec les pattes de devant, en sedressant sur celles de derrière. J'ai vu des biches, parjalousie au salin, se mordre et se donner des coupsde pieds. Selon certains, les bois ne servent quepour les combats entre mâles et il est vrai (AndréGautier) que leur usage est en bonne partieostentatoire.

Combat de cerfs et troupe de biches, Chambord 23.9.1983

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Cependant, j'ai vu un film roumain tourné sous lesauspices de Ionel Pop qui infirme cette assertion. Lors dedeux rencontres visiblement préparées, sans doute dansun enclos, les vues plongeantes prises d'un mirador, on yvoit, dans la neige, un grand cerf faire bouler, de ses bois,un loup puis un jeune ours. J'ai parlé par ailleurs du lynxgrièvement blessé au Parc national de Bavière. On saitaussi en vénerie que le cerf se défend avec ses bois etqu'il est autrement dangereux pour les chiens lorsqu'il est« frayé et bruni » qu'en velours.

André Gautier a vu une biche « boxer » un grossanglier qui s'approchait de son faon.

Cerf et biches, Stabel-Chod 2.10.1944

Le cerf a les sens très fins, surtout l'ouïe et l'odorat. Je l'ai vusuivre du nez la trace des biches.Un jour d'octobre, jedescendais un couloir rapide garni de grandes herbes couchées.Au bas se trouvait un grand cerf et plus haut un bouc dechamois. Le vent était favorable et j'étais assez caché, mais lecerf entendit avant le chamois le petit bruit des souliersdéchirant l'herbe. Sa vue doit être assez bonne, bien qu'il ait, luiaussi, beaucoup de peine à reconnaître les objets immobiles.

Deux biches au clair de lune

C'est ainsi qu'un cerf nous surprit, Jacques Burnier et moi, sur la neige et resta longtemps à aller etvenir au-dessus de nous, à 20 m, en cherchant à prendre le vent. Enfin, il s'enfuit en « aboyant ». Deuxbiches s'approchèrent à 6 m alors que j'étais debout sur un tronc, à découvert, l'une buvant à une petitemare, l'autre grattant la boue d'une souille, puis filèrent brusquement, sans doute à une saute de vent. Lecerf doit, comme tous les ruminants, voir fort bien la nuit. Par clair de lune, je voulais traverser la grandeclairière de Stabel-Chod pour changer de poste, à 200 m d'une troupe de cerfs. Le vent était excellent, jene faisais guère de bruit. A cette distance, on ne voit pas bien distinctement sans jumelles et il mesemblait impossible que les animaux pussent distinguer ma silhouette de celle d'une biche se présentantde face. Ils disparurent pourtant dès que je me montrai.

Ma connaissance personnelle du cerf se limite surtout à l'époque du rut et à l'été, le plus souvent à lamontagne. Le rut débute au milieu de septembre pour battre son plein dans la première quinzained'octobre. Les mâles « brament » ou « raient » toute la nuit, beaucoup le matin et le soir et plus ou moinstoute la journée, moins, cependant, vers le milieu du jour. Le temps beau et chaud ralentit le rut. Lebramement tient du beuglement de la vache et du rugissement du lion, un peu plus de l'un ou de l'autreselon les individus et l'humeur. J'ai noté les onomatopées suivantes : aiee, aaooeee, aououou(commençant en grinçant), aaoueee eieou ieeee. Un cri rauque et saccadé avec une sonorité debraiement d'âne : hou-hou-hou, employé surtout lors des poursuites ; o ho-ho-ho, aoo, aoo,aoo, nasal etennuyé.

Cerf poursuivant une biche, Forêt de Châtillon 2.10.1963

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Les plus gros et vieux cerfs sont censés avoirla voix la plus profonde. Cela me semblegénéralement juste, particulièrement la voix plusgrêle des jeunes. Pourtant, il m'est arrivéd'approcher la voix la plus basse, la plusrugissante et de tomber sur un cerf à six cors et àbois grêles. Et inversement de penser qu'un cerfcriant d'une voix haute et ennuyée, avecmollesse, ne valait pas d'être approchée et devoir surgir une superbe bête, bramant au galop.

Dans les contrées bien fournies de cerfs,comme la vallée de l'Ofen dans le Parc national(j'y menais mes études en 1944 et 45, depuis lescerfs sont encore plus nombreux), on entendbramer de tous côtés, les cerfs sont à quelquescentaines de mètres les uns des autres.

Cerf poursuivant des biches, God Val Bruna, Il Fuorn 7.10.1945

Le jour, ils se tiennent surtout dans la forêt, se couchent volontiers, répondant aux bramées sans selever, dorment par moment, le poids de leurs bois entraînant leur tête qu'ils allongent parfois sur lesol. Il m'est arrivé alors d'en approcher de très près. Le soir, ils aiment sortir sur les clairières etpâturages, y mènent leur sabbat toute la nuit.

Mais on en trouve aussi bramant en pleine forêt.On éprouve un sentiment profond lorsqu'ons'approche silencieusement de cette voixformidable, dans l'ombre et la lumière glacée de lalune luisant sur les troncs morts et enchevêtrés. Uncerf qu'on dérange court avec agitation, tout prèsentre les arbres et brame avec une certaine colère.Peut-être n'identifie-t-il pas du coup l'homme mais ilfinit toujours par s'enfuir. J'en ai rencontré beau-coup de très près, ils m'ont aperçu brusquement enarrivant à 5 ou 6 m de moi. J'étais debout et im-mobile au milieu d'un pré enneigé ; à la nuit presqueclose, un grand cerf est resté à tourner longtempsautour de moi, à 20 m, bramant et flairant avec unmélange de colère et d'inquiétude.

Cerf bramant, biche et faon, Val Mormand,Forêt d'Arc-enBarrois 3.10.1967

Quelle redoutable réputation me permettait de rester avec confiance, désarmé, devant cette bêtevigoureuse et rapide, deux ou trois fois plus lourde que moi, dont je voyais luire les longs épois aiguisés ?Enfin, paraissant m'identifier, il partit. On dit que le cerf attaque parfois l'homme au temps du rut. Je mesuis demandé si ce n'était pas le fait de cerfs de parcs, chez qui la crainte de l'homme ne balançait plusl'agressivité. A Richemond Park, à Londres, des écriteaux recommandent, au temps du rut, de ne pass'approcher des cerfs. C'est avec surprise que j'ai lu ce que Gaston Phoebus, grand homme de guerre,donc peu enclin semble-t-il, quoique Gascon, à exagérer le danger, chasseur d'ours et de loups, dit descerfs en rut : « Ils sont alors farouches et courent sus à l'homme, comme ferait un sanglier qui serait bienéchauffé. Et ce sont dangereuses bêtes, car c'est à grand-peine qu'un homme guérira s'il est bien blessépar un cerf. Et pour cela on dit : après le sanglier, le mierre (médecin) et après le cerf la bière. Car il frappetrès fort, comme un coup de bâton, tant il a grande force en la tête et au corps. Ils se tuent, blessent etcombattent l'un l'autre, quand ils sont en rut, c'est-à-dire en leur amour et ils chantent en leur langage,ainsi que fait un homme bien amoureux. Ils tuent chiens, chevaux et hommes à ce moment-là et se fontaboyer comme un sanglier, surtout s'ils sont las ; encore au partir de son lit en ai-je vu qui blessait le valetqui faisait la poursuite, tuait le limier et, en outre, un coursier. »

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Combat de cerfs, Val Mormand, Forêt d'Arc-en-Barrois 4.10.1967

Je crois que les combats de cerfs, en raison de leur caractère impressionnant, occupent plus deplace dans les récits que dans la réalité. J'ai passé quelques semaines parmi les cerfs en rut et c'est enautomne 1945 seulement que j'ai failli voir un combat. J'approchais une harde dans la forêt lorsquej'entendis les chocs des andouillers, je me mis à courir et arrivai juste pour voir le vaincu s'enfuir ets'arrêter près de moi dans un fourré. J'apercevais ses bois, forts et de dix cors, sauf erreur, sa gueuleouverte et son flanc soulevé rapidement, et pendant longtemps. En même temps, le vainqueur, sansdoute, passait devant moi poursuivant une biche. Un soir et un matin, en 1944, un cerf s'est approché decelui qui tenait la prairie de Stabel-Chod avec sa harde. En une sorte de ballet, les deux animauxs'approchaient d'un trot rapide, la tête basse, les bois couchés sur l'encolure, avec un bruit de gorgeprécipité : ho-ho-ho-ho… puis, arrivés près l'un de l'autre, s'évitaient, parfois avec une sorte d'entrechatde la patte antérieure jetée en avant, pour revenir après un long circuit. L'intrus, plus petit et moins armé,était beaucoup plus mobile que le maître du lieu. Il y a beaucoup de poursuites, qui laissent de longueséraflures dans le gazon et le terreau ; un cerf s'éloigne de sa harde au grand trot, pourchassant un rivalqui souvent ne va pas très loin, l'offensé semble oublier pourquoi il est venu et les deux cerfs restentassez près l'un de l'autre. Si deux hardes se trouvent à peu de distance, on peut voir des biches passer del'une à l'autre. Il est vrai que le cerf tourne autour de ses biches, les rassemble à la façon du chien deberger mais je crois qu'on a fait de tout cela un schéma trop rigide. Le rut, c'est surtout beaucoup debramées, le cerf s'approche, la tête levée, d'une biche qui se dérobe ou parfois, si elle semble manifesterune certaine bonne volonté, le cerf paraît distrait. Je n'ai jamais vu d'accouplement, ni de jour ni de nuit,mais d'interminables coquetteries.Le cerf semble montrer beaucoup plus de bravoure quand il est seulque devant un rival et peut-être même que devant ses biches. Alors il s'enflamme, enfonce ses bois detoutes leurs pointes dans le sol, qu'il déchire d'un mouvement en arc de cercle, le cou arc-bouté, donnantdes signes non équivoques de son émotion. Si, à grands coups de corne il passe son humeur belliqueusesur un malheureux buisson, il ne lui laisse guère de branches. J'ai vu une rainure profonde d'uncentimètres dans le bois d'un mélèze. Cependant, dans les enclos de chasse de Tchécoslovaquie,surpeuplés sans doute, à cause du nourrissage artificiel, les combats sont fréquents et on me disait qu'ilsavaient fait, à Lany, sept morts en un automne.

Depuis que j'ai écrit ces lignes, j'ai vu un vrai combat, à Arc-en-Barrois,le 4 oct. 1967. Deux grands-dix-cors se défiaient, se rapprochant, s'éloignant. Soudain, ils se tournèrent face à face, les bois ont claqué etle groupe a tourné sur lui-même comme une toupie. Soudain, l'un des deux s'est dégagé brusquement ets'est enfui. Une biche, présente au début, s'est esquivée pendant l'affaire. C'est lorsque le vaincu sedégage qu'il peut lui arriver malheur. J'ai vu en forêt de Châtillon-sur-Seine, un cerf tué ainsi. Alors qu'ilprésentait le flanc, l'adversaire lui a enfoncé l'andouiller de massacre jusqu'au coeur.

Plus tard, j'ai été admis à Chambord. Il n'est pas dans mes principes d'observer dans un enclos. Maislorsque cet enclos a 5 000 ha et 33 km de tour… Les territoires des cerfs ne s'y heurtent pas. D'autre part,l'enclos met les cerfs à l'abri d'autres pressions. L'an précédent, j'avais été en forêt de Chaux. Le brame

Soleil levant, biche et faon

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ne s'est pas bien donné. Je crois que la rivalité n'est passuffisante, les forestiers ne tolérant qu'un peuplementassez lâche, pour éviter les dégâts. A Chambord, toutest subordonné aux cerfs. On observe et photographiedes miradors, sans rien déranger. A 11 heures, gardeset observateurs se réunissent, confrontant leursconstatations, cherchant à personnaliser chaque cerfpar les bois, la robe.

Trois cerfs au soleil levant, Coto Donaña 11.3.1967

On comprend que la société féodale ait porté tant d'intérêt au cerf. Ce sont de vrais gentilshommes,avec ce que cela comporte de courtoisie, de point d'honneur, de cérémonial et aussi de rodomontades.Ils parcourent ensemble la limite de leurs territoires, un petit fossé par exemple, se font face, choquentbrièvement leurs bois. Parfois, il se produit un « accompagné ». Les deux bêtes brament côte à côte, encourant. Ce sont visiblement de bons copains, peut-être deux frères. Ils se défient parce que cela se fait.On voit beaucoup de combats, un seul pendant la période du 23 septembre au 1er octobre 1983 étaitacharné.

En tant que dessinateur, je me suis souvent demandéquelle proportion d'encre de Chine parvenait au papier, parrapport à tout ce qui est secoué sur le chiffon, essuyé. Quedire alors de la semence de cerf ! Après un accrochage avecun rival, une dérobade de biche, le cerf plante ses bois dansl'herbe, s'arcqueboute, déchire le sol en arc de cercle tandisque le sperme s'échappe en jets zig-zagants. J'ai tout demême vu de près une saillie.

Vaches et deux cerfs

On voit de beaux cerfs, avec de superbes bois, se promener seuls ou avec une ou deux biches. Ceserait souvent le cas dans les grandes forêts, tandis que Fraser Darling cite sur les bruyères d'Ecosse uneharde de 77 biches et jeunes pour un cerf. Les cerfs épuisés, après d'être retirés des places de rut, necombattant plus les mâles qu'ils rencontrent, peuvent y revenir. Fraser Darling cite un cerf sans bois quiavait, sans doute, sailli plus de biches que tous ses concurrents ensemble, preuve qu'un mâle sans boispeut être accepté des femelles et écarter ses rivaux à coups de pieds, comme il le fait lorsqu'il a perdu sesbois et avec les ennemis d'autres espèces, même parfois lorsqu'il porte ses bois. Mais s'il ne faut pasexagérer le rôle des bois comme armes, moyen de prestige et de séduction, il ne faut pas verser dansl'excès contraire et y voir une inutile fantaisie de la nature dont le cerf s'accommode comme il peut. Ilsrestent une arme redoutable, dont le cerf se sert volontiers contre ses adversaires d'autres espèces. Maisil est vrai que les andouillers les plus rameux ne sont pas les plus efficaces. De vieux cerfs n'ayant plus quela perche et l'andouiller d'oeil sont parfois très dangereux, s'ils sont combatifs, et dits : cerfs meurtriers.D'autre part,les bois très longs offrent un bras de levier avantageux à l'adversaire lorsqu'il cherche à fairedévier son antagoniste de la ligne de poussée, pour se dégager brusquement et lui infliger, en luienfonçant les andouillers dans le flanc, une blessure parfois mortelle. Il n'est pas très rare non plus queles bois s'enchevêtrent de telle façon que les cerfs restent pris et meurent de faim. En 1944, un cerfoccupait presque constamment la prairie de Stabel-Chod, grand lieu de rendez-vous. Il avait une demi-douzaine à une douzaine de biches. Il était très fort, très rouge, avec une voix de vache, ses bois neportaient que cinq cors d'un côté et quatre de l'autre mais ils étaient grands, forts et rugueux et peut-êtreses grandes pointes étaient-elles une arme plus redoutable que des bois plus ramifiés. J'aurais bien voulumettre sur mon image un grand-dix-cors, mais la nature l'a élu, et non moi selon les préjugés humains. Unseul matin, les biches étaient groupées autour de lui ; un autre cerf ayant crié, elles se serrèrent contrelui, mais il faisait encore bien sombre et j'étais assez loin. C'est pour cela que je me suis contenté d'uneimage avec le cerf bramant et la biche se dérobant. Un autre cerf fréquentait parfois la clairière avec unebande d'une demi-douzaine de biches. C'était celui qui tournait autour de moi un soir. Plus brun, il avaitde grands bois de quatre et cinq cors, dont trois épois longs et blancs et pas de surandouiller. Cetautomne 1945, il y avait peu de cerfs sur la prairie. Un seul matin, très tôt, un mâle (celui de l'an passé?)était là avec 17 biches. Beaucoup de cerfs avaient péri au printemps dans la neige, j'ai vu bien plus degrands-dix-cors. Ces jeunes restent dans les hardes au temps du rut et au plus fort de la poursuiteamoureuse restent aux côtés de la mère. Quant aux daguets et autres jeunes cerfs, ils se tiennent àl'écart.

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Cerf, clair de lune et brouillard, Chambord 31.10.1982

A part les bramées, le cerf est plutôt silencieux. Il a un aboiement d'alarme semblable à celui duchevreuil, plus rugueux, éructé ; la biche le pousse aussi, et je l'ai entendue beugler. La biche peut brameraussi, surtout vers le temps de la mise bas. On peut entendre bramer le cerf de fin juillet à Noël (LutzHeck).

Après le rut, selon Luisier, les mâles quittent les hardes etvont rôder très loin, franchissant montagnes et vallées. L.Heck a observé des déplacements de 60 à 70 km en une nuit.Ils reviennent passer l'hiver avec les hardes. Pendant la bellesaison, ils vivent seuls, parfois en petits groupes ou entroupes jusqu'à une cinquantaine, qui, au Parc national, setiennent en général plus haut que les biches, entre la limitede la forêt et 2 700 m (Burckhardt). Au Parc national s'estétablie une migration régulière, de 10 à 15, jusqu'à 40 kmentre les lieux d'été et d'hiver. Le manque de nourriture enhiver dans les lieux élevés, la neige, semblent la causepremière, mais non immédiatement déterminante. L'étudepar marquage débute seulement.

Le cerf a une organisation sociale matriarcale. Le seulgroupement vraiment solide est formé par la femelle, son

faon et le jeune de l'année précédente, qu'elle écarte lors de la mise bas mais retrouve ensuite, ainsi queparfois celui de l'année encore antérieure. D'autres biches, avec ou sans faons, peuvent se réunir,formant de petites troupes de 6 à 12 individus le plus souvent, dont l'animal de tête est toujours unebiche suitée.

A l'Etournel le 19 septembre 1978, je vis sur le grand champ une biche, un faon et la biche de l'anpassé. Le 9 décembre 1978, l'eau était très haute et j'y entrai jusqu'à mi-cuisses. Bruits de pas dansl'eau : les sangliers ? Non, le même groupe de biches (mais certainement pas les mêmes individus).

Il faisait déjà assez sombre, elles défilaientespacées, de l'eau jusque presque au haut du dos,leur haleine bien visible. Un instant, elles durentcouper mon vent et se rassemblèrent, juste devantle reflet orangé du couchant. Passant en train, partemps de neige, je vis encore le même groupes'écarter de la voie et ma voisine de banquette, quiallait journellement de Bellegarde à Genève, me ditles voir souvent. Un cerf mâle aurait été braconnédans les environs. Il y en a davantage depuis 1986. Ilfaudrait parler encore des cerfs de Péguey, au bordde la Versoix, lâchés au-dessus de Gex et installés làsur le canton de Vaud depuis des années. Desobservateurs de Genève les connaissent bien mais jen'ai vu que leurs traces et entendu leur brame. Ilssont l'objet d'un braconnage plus ou moins mondainet ostentatoire.

Deux biches et faon pataugeant, l'Etournel 9.12.1978

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Aurore et combat de cerfs, Chambord 27.9.1983

Les troupes de mâles sont des groupements beaucoup plus lâches, où chacun s'occupe de sa propresécurité. Les plus forts peuvent tyranniser les autres, mais laissent volontiers un jeune aller devant et lesuivent à distance. Ils sont beaucoup moins fixés à un territoire que les biches et lorsque le cerf se jointen temps de rut aux biches, il ne dirige pas la troupe en cas de danger et ne l'entraînera ni ne la suivratoujours dans la fuite. La harde est très fidèle à son canton où elle a ses habitudes et chemins réguliers.Pour 75 % de bêtes marquées, on a trouvé un rayon d'action de 5 km ou moins. Au Parc national, il a ététrouvé de 1-3 km en été, moins encore en hiver (Burckhardt).

Les jeunes meurent en grand nombre dans leur première année (50 % selon Darling). Le froidhumide leur est très nuisible. Il naît plus de mâles que de femelles, mais les premiers sont plus délicats etle rapport s'égalise.

Les biches mettent bas de fin mai au début de juillet un faon, rarement deux, dans des fourrés serréset le cachent soigneusement. Ces places de mise bas sont toujours les mêmes (Luisier). La biche, ayantfait coucher le petit, va se reposer plus loin et le rappelle le soir (Gaston Phoebus).

Au val Cluozza (Parc national) en juillet, j'ai vu le plus souvent la biche seule avec son faon, sortant dela forêt, le soir, dans les prés, les clairières, les couloir herbeux. A ce moment, les petits tètent et nebroutent pas encore ou guère.

La nourriture du cerf se compose d'herbe, de bourgeons, de feuilles, glands, faînes, baies etchampignons ainsi que de pommes de terre, céréales, fruits tels que pommes. En hiver, il se contented'herbes sèches, de bruyères, d'écorces d'arbres à feuilles et de conifères.

Comme il lui faut beaucoup de nourriture, il fait dans les cultures de gros dégâts, toutparticulièrement au printemps dans les régions montagneuses alors que tout est encore flétri et que lesjardins exercent sur lui un attrait irrésistible. Au val Ferret, pour une quarantaine de bêtes, on payaitannuellement quelque 1 500 fr d'indemnités.

Une forêt peuplée de cerfs en est sensiblement marquée. Partout se voient leurs sentiers, leurstraces, leurs « fumées », leurs couches (simples creux sur le sol). Parfois de grands cerfs ont de vraiesmaisons, sous un arbre renversé (au Parc national). On voit aussi leurs frayoirs, ou arbres écorcés par lefrottement des bois. Où sourd quelque eau, ils viennent piétiner, se vautrer, transformant le sol en bouequi, refoulée vers l'aval, forme barrage. Leur odeur traîne ; elle est forte, tenant du mouton et du bouc,chaude, savoureuse et donne faim. On pense aux loups qui ont dû adopter facilement le mouton, à causede cette odeur familière. Il est vrai que, selon Lavauden, les loups ne paraissent avoir attaqué les cerfsque très exceptionnellement (en les poursuivant en meute sur la neige, selon Brehm).

La chasse à courre d'un animal aussi vigoureux et agile n'est possible que grâce aux relais et surtout àla science du piqueur qui empêche le « change » (substitution d'un animal frais à l'animal de chasse). Si lelynx a été appelé loup-cervier, c'est parce qu'il chassait le cerf à l'affût, embusqué sur une branche : c'estdu moins le cliché admis.

Cerf et deux biches, Mortière 1.10.1947

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Cerf et loup, Ulič Krivé 1.3.1948

...Je guettai trois nuits sans voir autre chose que des renards ou des chiens, quelques lièvres. Le

troisième soir pourtant, avant le lever de la lune, une bête passa que je ne pus distinguer, puis j’entendis

des craquements répétés dans le bois... Le temps était superbe, les nuits assez froides (les arbres

craquaient sous le gel, ce qui indique une température inférieure à -12°), mais le jour, la neige fondait

rapidement. La quatrième nuit, je me rendis à l’autre poste, dans un ravin où la neige était restée. Je

désespérais bien un peu lorsque, vers quatre heures, le pas d’un gros animal se fit entendre au flan de la

colline boisée de hêtres, c’était un cerf dix-cors. Très tranquille, il passa sous mon poste, s’arrêtant

longuement, puis s’en alla un peu plus loin. Tout à coup, devant lui, dans le rond des jumelles, j’aperçus

une autre bête, un chien à queue tombante, à fort avant-train, à oreilles courtes : le loup. Il fit quelques

pas vers le cerf, qui hocha la tête, vaguement menaçant. Le loup fila. Je ne l’avais pas entendu venir, bien

qu’un lièvre ait fait, un peu avant, beaucoup de bruit sur la neige gelée. D’après sa trace, très emmêlée

avec des traces anciennes, il semblait avoir suivi le cerf. Telle fut ma première vision du loup, aperçu

presque paisible des rapports de deux espèces dans la nature, sous la lumière indécise d’un dernier

quartier de lune.

...Le loup est une étrange bête, qui semble toujours sortir de terre, et c’est peut-être ce qu’il a de plus

inquiétant...

...En quittant ce pays si primitif et si attachant...en regagnant mon pays si luxueux, je pensais, ébloui

par la beauté de la bête, par la poésie sauvage qu’elle donne au pays : quel luxe plus fastueux que la

vision des loups en pleine nature ?

In Mammifères sauvages d'Europe, Le loup, pp 164-166

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M. Ed. Löw, de Vienne, qui passa 13 ans de sa longue carrière de forestier en Bukovine, me disait, au

vu de mon image du cerf et du loup que seul un grand cerf peut en imposer à un loup. Il ajoutait que

j'avais eu beaucoup de chance d'assister à cette rencontre, qu'aucun chasseur de Bukovine ne l'avait eue

à sa connaissance et que je pourrais passer mille ans à l'affût sans la retrouver.

Voici encore une anecdote montrant la parenté de l'odeur du mouton et de celle du cerf. Je la tiens

du roi Boris. Un jour que son père, vêtu d'un « touloupe » de peau de mouton poil en dedans, tout neuf

et odorant, rêvait assis sous bois dans une de ses propriétés de Bohême, un cerf s'approcha de lui par

derrière et posant ses pattes de devant sur les épaules royales, le renversa. Le monarque (comme

aimaient à le nommer ses fils) fut très froissé de ce manquement à l'étiquette, qui prouve que l'odeur,

chez le cerf, emporte la conviction plus que la vue ou qu' « hélas, la passion aveugle ».

« Le Cerf » tiré de Mammifères sauvages d'Europe, Robert Hainard, en un volume (1987) pp 373-386

Cerf bramant et biche

,Stabel-Chos, Parc national 3.10.1944

Marie Madeleine Defago Paroz |151126