Document gnr le 29 avr. 2018 19:11

Thologiques

Le concept de martyre en islam

Ali G. Dizboni

Violence et souffrance rdemptricesVolume 13, numro 2, automne 2005

URI : id.erudit.org/iderudit/013605arDOI : 10.7202/013605ar

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Facult de thologie et de sciences des religions, Universit deMontral

ISSN 1188-7109 (imprim)

1492-1413 (numrique)

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Dizboni, A. (2005). Le concept de martyre en islam. Thologiques, 13(2), 6981. doi:10.7202/013605ar

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Thologiques 13/2 (2005) p. 69-82

Le concept de martyre en islam

Ali G. Dizboni (Ph. D.)Collge militaire du Canada

Kingston

La Rvolution islamique de Khomeiny en 1979, la prolifration des mou-vements islamistes dans un contexte de conflits rgionaux, la kamikisationdes oprations terroristes, lantiamricanisme croissant dans le mondemusulman et les attentats terroristes du 11 septembre 2001 constituentquelques faits marquants des turbulences dans lordre international depuisles annes 1980. Ports par une idalisation de leur sacrifice, les fousdAllah sont devenus lincarnation de laxe du Mal. Leur action paratinsense aux yeux de bien des Occidentaux qui y voient, entre autres choses,une instrumentalisation de la notion musulmane du martyre.

Quen est-il au juste du martyre dans lislam? Notre rponse veut allerau-del des clichs et des lieux communs. cet effet, notre travail sarticu-lera autour de plusieurs lments. Le djihad et le martyre sont indisso-ciables et constituent les deux cts de la mme mdaille. Nous avons djabord la question du djihad dans une tude rcente (Dizboni 2003) quenous rsumerons dabord pour nous concentrer ensuite sur le statut dumartyr et sur la signification du sacrifice physique et de la souffrance enislam, en particulier dans le chiisme. Cette analyse des spcificits de lanotion de martyre chiite nous permettra de mieux comprendre le contextecontemporain de cette tradition.

1. La priode prislamique et la guerre

Le Coran qualifie la priode prislamique de jahiliyya (ignorance) vu laprdominance de lidoltrie et du polythisme. La guerre intertribale est lemodus operandi de cette socit permettant ainsi au guerrier datteindre lesommet de la noblesse personnelle et de la vertu morale. Cette culture deguerre est due surtout la rigueur climatique et lanarchie politique, don-nant lieu dinterminables guerres fratricides (Lammens 1914, 138). La

Revue Thologiques 2005. Tout droit rserv.

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tribu devient de ce fait le cadre primaire de lidentit et la dfense de lhon-neur tribal, la premire cause de conflits. ce sujet, Ibn Khaldoun, lhisto-rien musulman du XIIe sicle, a formul la fameuse notion de asabyya,(esprit de corps), pour dcrire ce chauvinisme tribal.

Les pomes de la priode de jahiliyya, les seules sources qui nous sontparvenues de lpoque prislamique, prchent lhonneur tribal et la glori-fication de la guerre. Cette glorification atteint lexaltation extrme pourdpasser la seule dfense absolue de ses proches et devenir une fin en soi(Hitti 1968, 25).

2. La priode islamique et le discours de la guerre

Avec larrive de lislam, certes, les rgles, les objectifs et les formes deguerres ont chang ; mais il ny a pas de rupture totale avec la traditionguerrire prislamique au niveau de la valorisation de la guerre.Ltablissement de la cit-tat de Mdine par Mahomet en 613 a runi lestribus dArabie, mettant ainsi fin lanarchie politique. Le djihad pour lacause de lexpansion islamique prend le dessus sur le chauvinisme militaristetribal. Dans les textes de cette priode1 lhonneur tribal se dfinit en termesreligieux et le lien de sang cde la place la conviction religieuse. Cet espritde guerre sainte a aliment au moins 115 expditions militaires et confron-tations de toutes sortes des manuvres militaires jusqu de vritablesguerres, en passant par des escarmouches (Ibn Hicham 1967, vol. 1).Mahomet lui-mme en dirigea 27.

Le Coran, ainsi que les recueils classiques de hadith, les actes et lesparoles de Mahomet recueillis en textes, sont catgoriques sur la vertu dudjihad et sur la valeur du sacrifice physique (le martyre). La guerre estncessaire au plan divin dtablissement de lordre sur terre et les musul-mans ont lobligation de sy prparer. Cette sanctification de la guerre, dela mort sur le champ de bataille et de lpreuve des souffrances, est souli-gne maintes reprises. Lexemple le plus frappant est le fait que le djihaddevient un devoir de la foi et sinscrit dans la loi islamique2 (charia), commeil est crit dans le Coran: Le combat vous a t prescrit mais vous avez de

1. Pour des citations, se rfrer Dizboni 2003.2. Limportance de lobligation de la guerre ainsi que des rcompenses promises au muja-

hid (combattant du djihad) est reprise par les juristes ds le IIe sicle de lhgire (voirSarakhsi 1989, 6-28).

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laversion pour lui, il se peut que vous hassiez une chose qui est bonnepour vous... (Coran 2,216).

La participation la guerre devient ainsi une preuve divine pour dis-tinguer les vrais croyants des non-croyants (Coran 3,186 ; 47,31 ; 49,15).La preuve en est que lchelle des valeurs coraniques privilgie lobissanceau commandement du djihad (Coran 4,95). En lisant les hadiths, on serend bien compte que le djihad suit immdiatement lacte de tmoignage defoi en Dieu (Nabhani 1984, 20). Le croyant qui combat dans la voiedAllah, risquant sa vie et ses avoirs, est lindividu le plus sublime (Bukhari1974, 24; Nabhani 1984, 22). Pour Mahomet, le djihad est une partie fon-damentale de sa mission. Il dit dans un hadith trs clbre : Jai donnlordre de combattre ces gens [les infidles] jusqu ce quils tmoignentquil ny pas de dieux quAllah. Sils le font leur sang et leur proprit sontsauvs (Bukhari 1974, 265 ; Nabhani 1984, 20).

3. Le martyre

Sur le plan tymologique, lexpression souvent utilise dans les hadiths etdans la charia pour dsigner la mort dans le chemin dAllah est cha-hada (martyre) et chahid (martyr). Dans le Coran, par contre, ces deuxmots, utiliss sous diffrentes formes et cinquante-six reprises, dsignentplutt le tmoignage, et non la mort sacre. Comme le dit Khosrokhavar(2003, 21), dans le Coran, chaque fois quil est question de mourir pourAllah, on emploie des expressions comme prir sur le chemin de Dieu(2,154), tomber sur le chemin de Dieu (3,157), tre tu sur le cheminde Dieu (3,169), combattre sur le chemin de Dieu (4,74), faire exodesur le chemin de Dieu et y tre tu ou mort (22,58).

La notion de martyre prend en islam une double acception. Le pre-mier sens, plus gnral, vient de lintention du croyant et de la nature de sesactes sans que la mort survienne obligatoirement sur un champ de bataille.Ainsi, par exemple, le dcs naturel dun plerin est qualifi de chahada. Ledeuxime sens, plus spcifique, celui qui nous intresse ici, rfre la mortdu croyant dans une guerre pour la cause dAllah (djihad). Dans les hadithset dans la charia, le mot chahid renvoie souvent cette signification spci-fique. Il y a certainement un consensus parmi les diffrentes coles isla-miques sur limportance privilgie accorde au martyr par le Coran, lehadith et les autres sources auxiliaires classiques (les interprtations duCoran, les histoires des guerres dislam, les biographies des compagnonsdes prophtes, etc.). Le verset suivant renvoie ce lien spcifique entre le

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djihad et le martyre : Car combattre sur le chemin de Dieu, cest obtenirou mort ou victoire : dans les deux cas, nous lui vaudrons salaire magni-fique. (Coran 4,74) Cet autre verset approfondit ce lien en mettant lac-cent sur le sacrifice physique et sur lpreuve de souffrance :

Certes, Allah a achet des croyants, leurs personnes et leurs biens en changedu paradis. Ils combattent dans le sentier dAllah : ils tuent, et ils se fonttuer. Cest une promesse authentique quil a prise sur Lui mme dans laThora, lvangile et le Coran. Et qui est plus fidle quAllah son engage-ment? Rjouissez-vous donc de lchange que vous avez fait : et cest l le trsgrand succs. (9,111, cit dans Khosrokhavar 2003, 22)

Comme nous pouvons aussi le constater, ce verset nous permet de dga-ger plus clairement le lien entre le martyre et le djihad, savoir tuer ou sefaire tuer dans la voie dAllah.

Parce que le Coran lui accorde une place singulire, le martyr atteint lesummum de la perfection morale que peut incarner un homme. Il nest pr-cd que par la place quoccupe le prophte lui-mme. Le Coran rcom-pense cette perfection morale par la vie ternelle : Ne dites pas de ceux quisont tus dans la voie dAllah : ce sont des morts. Mais (dit