LE CROCODILIEN LONGIROSTRE GA VIALOSUCHUS DANS LE MIOCI~NE MOYEN

DE POLASTRON (GERS, FRANCE)

par

I~RIC BUFFETAUT *, FERNAND C R O U Z E L **, FRANCIS J U I L L A R D *** & FABIEN S T I G L I A N I ***

RI~SUM]~ ABSTRACT

Un fragment de maxillaire gauche provenant du nouveau gisement de Vert6br6s mioc6nes de Polastron (Gers) est d6crit et attribu6 au Crocodilien eusuchien longirostre Gavialosuchus, qui n 'avai t jamais 6t6 signal6 dans le Mioc6ne de cette r6gion, o~ les restes de Crocodiliens sont rares. D'apr~s sa faune de Mam- mif6res, le gisement est un peu plus ancien que le niveau de Sansan. Bien que Gavialosuchus soit g6n6- ralement trouv6 dans des couches marines, sa pr6- sence dans les couches fluviatiles de Polastron montre qu' i l fr6quentait aussi les rivi6res.

A left maxilla fragment f rom the newly discovered Miocene vertebrate locality of Polastron (Gers, south- western France) is described and referred to the long- snouted eusuchian crocodilian Gavialosuchus, which had never been reported f rom the Miocene of this area, in which crocodilian remains are scarce. On the basis of its mammal fauna, the locality is slightly older than Sansan. Although Gavialosuchus is usually found in marine beds, its occurrence in the fluviatile deposits of Polastron shows that it also inhabited rivers.

MOTS-CLI~S : CROCODILIEN, GA VIALOSUCHUS, MAXILLAIRE, MIOCI~NE MOYEN, GERS, FRANCE.

KEY-WORDS : CROCODILIAN, GA VIALOSUCHUS, MAXILLA, MIDDLE MIOCENE, GERS, FRANCE.

I N T R O D U C T I O N

En Aoflt 1978, un rep&age des affleurements sableux situ6s dans les collines entre la Gimone et la Marcaoue a permis ~ deux d 'entre nous (F.J. et F.S.) de localiser plusieurs sabli~res. L 'une d 'entre elles a attir6 particuli~rement l 'at tention, ~t cause de la pr6-

sence dans l 'horizon arable de nombreux d6bris osseux, qui incit~rent ~t pousser davantage les recher- ches. Parmi les nombreux restes de Vert6br6s r6colt6s, un des plus inattendus est le f ragment de rostre de Crocodilien qui fait l 'objet de cette note.

* E.R.A. 963 du CNRS, Laboratoire de Pal6ontologie des Vert6br6s, Universit6 Paris VI, 4 place Jussieu, 75230 Paris Cedex 05. ** Laboratoire de Pal6ontologie, Institut Catholique, 31 rue de la Fonderie, 31068 Toulouse Cedex. *** Mus6e de Gimont, 32200 Gimont.

Geobios, n ° 17, fasc. 1 p. 113-117, 1 fig. Lyon, f6vrier 1984

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CADRE Gt~OGRAPHIQUE ET G~OLOGIQUE DU GISEMENT

Le gisement est situ6 sur le territoire de l'ancienne commune de Laurac, aujourd'hui rattach6e h Polas- tron (feuille de Lombez au 1/50 000, X = 477, 08 ; Y = 138,36). Sur une coupe orient6e SE-NW, perpendi- culaire aux vall6es de la Gimone et de la Marcaoue, les ~ sables de Bourret ~ affleurent h l'altitude de 255m. Six niveaux d'apports d6tritiques sont ~ d6nombrer sur l'aire de fouille. Les trois niveaux sup6rieurs (IV- V-VI) sont des cailloutis gros ~t moyens, alors que les trois inf6rieurs (I-II-III) sont des graviers fins et des

sables. L'ensemble de ces niveaux, reposant sur une 6paisse couche de marne verte marmoris6e, repr6sente une puissance de coupe de 0,74 m, et est recouvert par 0,30 m de sol arable. Le site, en culture la majeure partie de l'ann6e, offre une protection naturelle et efficace du gisement en dehors des p6riodes de fouille. Le rostre de Crocodilien a 6t6 trouv6 en 1980 dans le niveau IV, ~t proximit6 d 'un fragment de bassin et d 'un f6mur de Mastodonte.

FAUNE ET AGE DU GISEMENT

L'6tude complete du gisement est en cours et fera l 'objet d 'une communication ult6rieure. I1 est cepen- dant possible de fournir la liste faunique provisoire suivante (d6terminations des Rongeurs dues ~t P. Mein, Universit6 Claude Bernard, Lyon) •

Proboscidiens : Gomphotherium angustidens, Dei- notherium bavaricum.

P6rissodactyles : Aceratherium tetradactylum, Rhi- nocerotid6 ind&.

Artiodactyles : Dicrocerus elegans, Dorcatherium crassum, D. guntianum, Micromeryx sansaniensis, Palaeomeryx sp. (deux individus plus petits que ceux de Sansan, et un de taille comparable), Cainotherium cf. miocoenicum.

Insectivores : Talpid6 ind6t. Lagomorphes : Prolagus oeningensis, Lagopsis sp. Rongeurs ; Steneofiber cf. depereti, Spermophili-

nus bredai, Cricetodon sansaniensis, Heteroxerus cf. grivensis, Fahlbuschia sp.

Carnivores : Amphicyon major, petit Carnivore ind6t.

Crocodiliens : Gavialosuchus sp. Ch61oniens : Testudo canetotiana, Ch61onien ind6t. Ophidiens, Amphibiens et Poissons non encore

d&ermin6s.

Cette faune n'est pas sans rappeler celle du Calcaire de Sansan [niveau 9 de Crouzel (1956), Serravallien, ou, dans 1'~ 6chelle mammalienne ~, Astaracien], mais plusieurs indices tir6s de l'6tude des Mammif~res incitent ~ consid6rer le gisement de Polastron comme un peu plus ancien ainsi que l 'a sugg6r6 P. Mein. Ainsi, le Cricetid6 Fahlbuschia est inconnu ~t Sansan, de m~me que Cainotherium, connu depuis l'Oligo- c~ne mais que l 'on ne rencontre plus ~ partir du niveau de Sansan. I1 semble donc que la faune de Polastron soit un peu ant6rieure ~ celle de Sansan, et que le gisement doive ~tre plac6 dans le Langhien sup6rieur, ou, suivant la terminologie des ~t 6tages mammaliens ~, dans l'Orl6anien (~t ce sujet, voir Ginsburg, 1975). Dans le cadre des niveaux stratigra- phiques d6finis dans le Tertiaire du bassin d'Aqui- taine par l 'un de nous (Crouzel, 1956), le gisement de Polastron se place au niveau 8 (correspondant au gise- ment de Castelnau d'Arbieu).

On rencontre dans le gisement de Polastron des con- cr6tions form6es par des algues encrofitantes (Rivula- ria, Cladophora, Chaetophora). On y trouve aussi des galets concr6tionn6s et des coquilles encrofit6es du Gast6ropode d'eau douce Melania aquitanica, ainsi que de nombreux os roul6s. Tout cela indique un milieu fluviatile agit6.

DESCRIPTION ET IDENTIFICATION DU CROCODILIEN

Le sp6cimen (conserv6 au Mus6e de Gimont sous le n ° PNB 76) consiste en un fragment de la partie ant6- rieure d 'un maxillaire gauche, portant 4 alv6oles com- plets et, post6rieurement, une partie de la paroi ant6-

rieure d 'un cinqui~me (fig. 1). La surface de l'os est assez bien conserv6e, et le fossile est peu d6form6, mais la partie dorsom6diale du fragment est endom- mag6e, et la paroi s6parant les alv6oles du conduit

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nasal est en grande partie d6truite. Le sp6cimen est beaucoup plus long (167 mm) que large (largeur maxi- male 44 mm), et indique clairement un Crocodilien longirostre. En vue ventrale, on constate que le palais est relativement 6troit ; il porte des crates et des sil- lons longitudinaux assez marqu6s. Plus lat6ralement, les alv6oles s'ouvrent vers le bas, le c6t6 et l 'avant. Leurs bords sont nettement saillants, surtout lat6rale- ment. Les trois alv6oles les plus ant6rieurs ont des dia- m6tres ~t peu pr6s 6gaux (16 mm), mais le quatri~me est nettement plus grand (21 mm). Les alv6oles sont s6par6s les uns des autres par de longues ensellures bien marqu6es. La face dorsolat6rale de l'os, r6guli6-

rement convexe transversalement, porte une dense ornementation compos~e de nombreux sillons longi- tudinaux irr6guliers. En vue m~diale, on distingue clairement, A la partie ant6rieure, la surface de suture avec le pr~maxillaire ; cet os devait se prolonger vers l'arri6re au moins j u s q u ' a u niveau du troisi~me alv6ole conserv~ sur le fragment. En outre, le speci- men &ant plus large ventralement que dorsalement, si l 'on reconstitue le maxillaire droit en position, on constate qu 'un espace demeure libre entre les deux maxiUaires ; il devait ~tre occup6 par les pr6maxillai- res ant6rieurement, par les nasaux post6rieurement.

Fig. 1 - - Fragment de maxillaire gauche de Gavialosuchus sp., du Miocene de Polastron, Gers (Mus6e de Gimont , n ° PNB 76), en vues lat6- rale (A), ventrale (B), et m6dialc (C). x 1. Photos : C. Abrial. Left maxilla fragment of Gavialosuchus sp., from the Miocene of Polastron, Gers, in lateral (A), ventral (B), and medial (C) views.

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Du fait du contact entre ces deux paires d'os, les maxillaires devaient donc etre s6par6s dorsalement sur toute leur longueur. La vue m6diale montre aussi les restes mal conserv6s de la cloison qui s6parait les alv6oles du conduit nasal, ainsi que la surface de suture sagittale entre les deux maxillaires au niveau du palais. L'6tat de conservation du fossile ne permet pas de d6terminer jusqu'~t quel niveau les pr6maxillaires se prolongeaient vers l'arri~re sur la face ventrale du rostre.

Bien que tr~s fragmentaire, ce sp6cimen peut ~tre identifi6 avec une certaine pr6cision. I1 rappelle consi- d6rablement, en effet, d'autres Crocodiliens longiros- tres d6j~t d6crits dans le Miocene d'Europe, ~t savoir Gavialosuchus eggenburgensis, d6crit du Burdigalien d'Autriche par Toula et Kail (1885), et surtout les for- mes du Mioc6ne du Portugal (Burdigalien ~ Torto- nien) appel6es Tomistoma lusitanica par Antunes (1961). Le probl~me de l 'attribution g6n6rique de ces Crocodiliens ne peut ~tre trait6 en d6tail ici : Antunes (1961) les rapporte tous au genre Tomistoma, mais l'identit6 g6n6rique avec cette forme actuelle des Iles de la Sonde ne parait pas indiscutablement d6mon- tr6e, et il semble pr6f6rable de conserver au moins provisoirement le genre Gavialosuchus Toula et Kail, 1885 (Buffetaut, 1978). La position syst6matique de

Gavialosuchus est d'ailleurs discutable , i l pourrait s'agir d 'un Gavialid6 encore primitif et n 'appartenant pas ~ la lign6e conduisant au gavial actuet (Buffetaut, 1978). En tout 6tat de cause, le sp6cimen de Polastron se rapproche beaucoup de la forme du Portugal, notamment par les dimensions relatives des alv6oles : dans les deux cas, ~t plusieurs alv6oles sub6gaux fait suite un alv6ole plus grand, qui est le cinqui6me sur les pi~ces d6crites par Antunes (1961). Ceci porte h croire que le grand alv6ole du fragment de Polastron, men- tionn6 plus haut, est le cinqui~me. Les autres caract6- res du sp6cimen aquitain s'accordent aussi avec une attribution au genre Gavialosuchus, qu'il s'agisse du contact probable entre pr6maxillaires et nasaux ou des ensellures entre les alv6oles. Le fossile nous semble cependant trop fragmentaire pour autoriser une attri- bution sp6cifique pr6cise ; aussi le d6signerons-nous comme Gaviolosuchus sp.

Si l 'on tente de calculer la longueur totale du crane du Crocodilien de Polastron, en se fondant sur les proportions des cranes complets connus de Gavialo- suchus, on parvient ~t une longueur de presque un m6tre, fort approximative il est vrai du fait de l'6tat tr~s fragmentaire du sp6cimen. Cela correspondrait ~t un individu long d'environ 6 ~t 7 m~tres.

LE GA VIALOSUCHUS DE POLASTRON PARMI LES CROCODILIENS FOSSILES DU GERS

Les trouvailles de Crocodiliens dans le Miocene du Gers ont 6t6 peu nombreuses, tr~s rares m~me par comparaison avec la masse consid6rable de Vert6br6s fossiles provenant de la r6gion. I1 s'agit g6n6ralement de restes fragmentaires appartenant ~ des animaux de faible taille. On peut citer les gisements suivants :

Leetoure, Nav6re I, niveau 3 [de la nomenclature de Crouzel (1956), utilis6e aussi pour les gisements sui- vants], Burdigalien : Diplocynodon sp., un os jugal droit, quelques plaques dermiques dorsales, un cen- trum de vert~bre dorsale ou caudale et sept dents iso- 16es (Bulot & alii, 1978).

Leetoure, ~ le Chene de Nav~re )~, niveau 6, Lang- hien. C. Bulot (1981) y a trouv6 quelques dents isol6es qu'il attribue ~ Diplocynodon styriacus.

Foissin, pr6s de Lectoure, niveau 6, Langhien. Roman et Viret (1930) y citent, sans d6tail, la pr6sence d 'un crocodile.

Lavardens, gisement de Cardeneau, niveau 7, Lang- hien. Quelques restes de Crocodiliens de la collection Noulet se trouveraient, d'apr6s E. Lartet (1851), au Mus6um de Toulouse. Nous n'avons pu retrouver ces sp6cimens.

Castelnau d'Arbieu, niveau 8, Langhien sup6rieur. La pr6sence d 'un crocodile, sans autre pr6cision, y est signal6e par Roman et Viret (1930).

Sansan, niveau 9, Serravallien. D'apr6s E. Lartet (1851), un <~ os de l'avant-bras ~ attribuable ~t un cro- codile proviendrait du c616bre gisement. Ce fossile n 'a pu ~tre retrouv6.

Crastes, niveau 9, Serravallien. Monsieur D. Vida- lenc, v6t6rinaire ~t Saint Gaudens, y a trouv6 un cen- trum de vert~bre thoracique et un centrum de vert~bre caudale, ainsi qu 'un os dermique provenant peut-Stre de la t6te. L 'un d'entre nous (F.J.) a recueilli dans ce gisement plusieurs dents de faible taille.

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Les restes de Crocodiliens trouv6s jusqu'ici dans le Miocene du Gers 6taient donc soit difficilement iden- tifiables, soit attribuables ~t l'Alligatorid6 Diplocyno- don. Pour expliquer leur raret6 dans la r6gion, Astre (1931) a suppos6 que la violence excessive des cou- rants ou une turbidit6 trop 61ev6e des eaux, ~ proxi- mit6 de la cha~ne pyr6n6enne, 6taient peu favorables aux Crocodiliens.

La d6couverte ~ Polastron d 'un grand repr6sentant du genre longirostre Gavialosuchus est donc inatten- due, d 'autant plus que cette forme se rencontre pres- que toujours dans des d6pfts marins, ou d'estuaires. Antunes (1961) a suppos6 que ce Crocodilien vivait dans les estuaires et faisait de fr6quentes excursions en mer. Le sp6cimen de Polastron provient par contre de couches d 'eau douce, d6pos6es, on l 'a vu, dans un milieu fluviatile agit6, et dans lesquelles il est associ6 ~t

une faune tout ~ fait continentale. L a m e r la plus pro- che pouvait se trouver ~ environ 65 km au Nord- Ouest, au-del~t de l 'emplacement de Vic-Fezensac. La d6couverte de Polastron r6v~le donc que le genre Gavialosuchus n'6tait pas exclusivement estuarien et c6tier, mais qu'il vivait 6galement en milieu fluviatile assez loin ~t l'int6rieur des terres. Certains crocodiles actuels fr6quentent de m~me aussi bien les eaux dou- ces que les estuaires, les zones c6ti6res, et m~me la mer ouverte. C'est le cas notamment du Crocodylus acutus de la r6gion cara'fbe, et du C. porosus d'Asie du Sud-Est et du Nord de l'Australie (Neill, 1971).

La pr6sence de Gavialosuchus ~ Polastron t6moigne aussi d 'un climat chaud. Les Gavialidae actuels sont des habitants des zones tropicales, semble-t-il moins r6sistants ~ des froids mod6r6s que les Alligatoridae.

R e m e r c i e m e n t s

Nous ne saurions conclure cette note sans remercier MM. Degans p~re et ills et M. Lanasp~ze, respectivement propri6- taires des terrains ~t Bourret ~> et ~ En Bertranon >~, pour la

gentillesse qu'ils nous ont t6moign6e depuis 1978, nous per- mettant ainsi d'effectuer nos recherches. Qu'ils trouvent ici l'expression de notre gratitude.

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Manuscrit d6finitif regu le 21.11.1983