16
Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill delitfrancais.com Le mardi 30 octobre 2012 | Volume 102 Numéro 07 En kayak depuis 1977 Immigration africaine à Montreal pp 8&9

Le Délit

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Édition du 30 octobre 2012.

Citation preview

Page 1: Le Délit

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

delitfrancais.com

Le mardi 30 octobre 2012 | Volume 102 Numéro 07 En kayak depuis 1977

Immigration africaine à

Montrealpp 8&9

Page 2: Le Délit

rÉdaction3480 rue McTavish, bureau B•24

Montréal (Québec) H3a 1X9téléphone : +1 514 398-6784télécopieur : +1 514 398-8318

rédacteur en chef [email protected] nicolas Quiazuaactualité[email protected]étaires de rédaction camille Gris roy alexandra nadeau Mathilde Michaudarts&[email protected] de section

anselme Le texierSecrétaire de rédaction

anne PouzarguesSociété[email protected]

Fanny devauxcoordonnateur de la production [email protected]

Samuel Sigerecoordonnatrice [email protected]

Lindsay P. [email protected]

Vacantcoordonnatrice de la [email protected]

Myriam Lahmidicoordonnateur [email protected]

Mathieu Ménardcollaboration

Simon albert-Lebrun, alexandra appino-tabone, Veronica aronov, Sophie Blais, théo Bourgery, Jonathan Brosseau, audrey champagne, alexie Labelle, Guillaume de Langres, annick Lavogiez, Baptiste rinner, Pierrick rouat, Louis Soulard, Jean-François trudelle,

couvertureLindsay P. cameron

Bureau PuBLicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3a 1X9téléphone : +1 514 398-6790télécopieur : +1 514 398-8318

[email protected]é et direction générale

Boris ShedovPhotocomposition

Mathieu Ménard et Geneviève robertthe McGill [email protected]

Queen arsem-o’Malleyconseil d’administration de la Société des publications du daily (SPd)nicolas Quiazua, olivia Messer, Sheehan Moore, erin Hudson, Joseph Henry, Matthew Milne, Farid Muttalib, Shannon Pauls, Boris Sheldov, Queen arsem-o’Malley, rebecca Katzman, anselme Le texier

Le seul journal francophone de l’université McGill

L’usage du masculin dans les pages du délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Les opinions exprimées dans ces pages ne reflètent pas nécessairement celles de l’université McGill.

Le délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du daily (SPd). il encourage la repro-duction de ses articles originaux à condition d’en mentionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la cuP). L’équipe du délit n’endosse pas nécessairement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par imprimeries transcontinental transmag, anjou (Québec).Le délit est fondateur et ancien membre de la canadian university Press (cuP) et du carrefour international de la pres-se universitaire francophone (ciPuF).

Volume 102 Numéro 07

2 Éditorial x le délit · le mardi 30 octobre 2012· delitfrancais.com

É[email protected]

des chiffres et des lettres

Les chiffres«Le français est à la baisse», ou

du moins c’est ce qu’on se fait répé-ter depuis plusieurs années. Selon les dernières données de Statistique Canada publiées mercredi le 24 octo-bre et fondées sur le recensement de 2011, le pourcentage de la population de Montréal faisant usage unique du français en tant que langue parlée à la maison a «poursuivi sa baisse amorcée en 2001», pour se situer a 56,5% en 2011. (contre 62,4% en 2001 et 59,8% en 2006).

De plus, toujours selon Statistique Canada, le pourcentage de la popula-tion ayant comme langue maternelle le français, à Montréal, a continué son déclin pour se trouver au-dessous de la barre des 50%, à 48,7%.

Par contre, dans son rapport inti-tulé Caractéristiques linguistiques des Canadiens, Statistique Canada semble sceptique par rapport à l’exactitude de ses résultats. En prélude à son rapport, l’agence fédérale appelle les lecteurs à la «prudence dans l’évaluation des ten-dances se rapportant à la langue mater-nelle et à la langue parlée à la maison lors de la comparaison des données du Recensement de 2011 aux données des recensements antérieurs».

«De 2006 à 2011, les changements observés dans les effectifs et les pro-portions des groupes de langue ma-ternelle anglaise, française et «autres» sont affectés par des changements dans la façon dont on a répondu à la ques-tion sur la langue maternelle lors du Recensement de 2011», ajoute l’agence sur son site Internet.

Les changements apportés par le gouvernement Harper, mettant fin a la version longue du formulaire de recen-sement, laisserait planer le doute sur la qualité des données du Programme du Recensement de 2011, qui n’aurait «pas été pleinement évalué».

En entrevue avec Radio-Canada, l’analyste en chef pour la partie des langues du Recensement de 2011, Jean-Pierre Corbeil expliquait que les questions portant sur la langue on été présentées dans un contexte différent de celui de 2006, ce qui aurait pu avoir un impact sur les résultats.

Sphère privéeLes données publiées par

Statistique Canada et utilisées par l’Of-

fice québécois de la langue française pour justifier une réorientation de sa politique reposent en partie sur la défi-nition qui est faite d’un francophone. En effet, celui qui déclare parler majo-ritairement français à la maison est seul francophone. Une telle définition ne respecte pas la vision que nous avons de notre propre langue et ne reflète pas les réalités que nous vivons.

Il est à craindre que la politique du Parti Québécois en matière de langue pousse le gouvernement à réduire le nombre d’immigrants. Car, malgré la politique stricte d’immigration choisie qui favorise les immigrants déjà fran-cisés, le Québec attire toujours plus d’immigrants allophones. Si l’on en croit les rapports qu’on nous présente en guise d’épouvantail et les positions de formations politiques souverainis-tes, l’immigration d’allophones semble être une des causes du recul du fran-çais dans la province, malgré le nombre grandissant d’entre eux qui choisissent le français par rapport à l’anglais (51% en 2006 contre 52% en 2011).

S’il est vrai qu’à Montréal la part des personnes utilisant le français à la maison est en déclin, un organe gou-vernemental a-t-il un droit de regard sur la langue que nous parlons dans la sphère privée? Il paraîtrait presque na-turel pour la seule province francopho-ne du Canada de chercher à protéger sa langue; beaucoup ont peur de voir disparaître celle-ci. Cependant, pour s’assurer de l’avenir de la langue fran-çaise au Québec, il faut avant tout en faire la promotion, spécialement dans l’espace public.

Sphère publique L’OQLF prend son rôle à cœur

lorsqu’il s’agit de promouvoir le fran-çais dans la sphère publique. En té-moignent les récents rebondissements dans l’affaire qui oppose l’Office à six multinationales implantées au Québec. Celui-ci ne transige pas sur sa déci-sion de juin de réinterpréter la loi 101 pour imposer aux enseignes qui uti-lisent une marque déposée en langue anglaise d’accoler un générique à leur devanture (ex. magasin, quincaillerie). La monopolisation du discours public par ces grand procès invite à croire que c’est la seule solution qu’on ait trou-vée.

Le Conseil du patronat du Québec, quant à lui, choisit de soutenir l’OQLF en insistant auprès des entre-prises implantées au Québec sur les nombreux avantages qu’il y a à investir dans le français. Le conseil du patronat

plaide pour une méthode douce; mais il faut admettre que seules des mesu-res strictes peuvent contraindre des compagnies anglophones, à offrir leurs services en français, assurant ainsi aux francophones de la province un espace de travail où ils peuvent parler leur lan-gue.

Des moyens dérisoires pour des méthodes inopportunes. Ce qui devrait être la promotion d’une langue devient rapidement la défense de celle-ci contre sa rivale. Dans la province, et surtout à Montréal, le français se définit par op-position à «l’autre langue». Ce constat accablant pousse les communautés lin-guistiques l’une contre l’autre; on est alors appelé à choisir son camp.

McGill (en) français À McGill le corps étudiant est

composé de seulement 18% d’étu-diants possédant le français pour lan-gue maternelle et il ne semblerait pas être à l’avantage de McGill d’augmen-ter la proportion de francophones au sein de l’Université. La majorité de ces derniers provenant du Québec ou de France, ils ne paient pas autant que les autres étudiants internationaux. Alors que l’université prétend qu’elle «joue dans un marché mondial» et ne vou-drait pas se priver d’étudiants interna-tionaux de qualité; pourquoi ne pro-meut-elle pas l’apprentissage du fran-çais à ces mêmes étudiants?

Récemment, la Post Graduate Student Society (PGSS) — qui ne pos-sède pas de traduction officielle à son nom — a proposé de rendre optionnel-le la traduction en français de ses pro-cès verbaux. Ce qui semble au premier coup d’oeil être un autre recul du fran-çais à McGill serait en fait une redistri-bution des ressources vers des aspects plus importants, selon Jonhatan (bla-bla), président de l’Association. Toute décision sur cette motion a été reportée à plus tard. Pour le moment, un comité sera formé pour évaluer la politique de l’Association par rapport au français et devrait être en discussion avec l’ADEL-FIES (Association des Étudiant(e)s en Langue et Littérature Françaises Inscrit(e)s aux Études Supérieures) afin de trouver un terrain d’entente.

La condition du français dans un contexte majoritairement anglophone, que ce soit à McGill ou en Amérique du Nord, ne doit pas être prise pour acquise. Par contre, n’oublions pas que l’identité francophone a avant tout sa place dans l’espace public et que la promotion d’une langue ne devrait pas se faire au détriment d’une autre. x

Nicolas Quizua et Anselme Le TexierLe Délit

Page 3: Le Délit

3Actualitésx le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

Actualité[email protected]

La fin de semaine du 27-28 octobre, des tentes rouges étaient installées partout sur le campus de McGill.

En effet, dimanche dernier se tenaient les «Portes ouvertes» de l’Université. Au cœur de l’été indien, cette journée symbolique transforme, pour quelques heures, le cam-pus. Une centaine de bénévoles, beaucoup de familles, de nombreuses visites et des produits dérivés à l’effigie de l’école…

Des activités et expositions sont pro-posées à plusieurs endroits. Le sous-sol du pavillon Bronfman accueillait les stands de la faculté des Arts. Michelle, une étudiante de second cycle en Géographie tient la table d’information de son département. Elle dit avoir voulu participer à cette jour-née parce qu’elle peut ainsi parler aux étu-diants de sa propre expérience: «Je veux aider les jeunes à comprendre ce qu’est vraiment la géo. Et pour être plus attirant, on a collaboré avec Peace Treats [ndlr : un club de cupcake]. Avec autant de sucreries, j’espère que l’on aura des étudiants inté-ressés par notre programme!».

De nombreuses familles sont présen-tes et comptent sur l’occasion pour ouvrir les discussions sur le choix de l’université. C’est pour cela que Valérie et Angela sont là. En dernière année au Cégep du Vieux-Montréal, elles errent entre les tables pour glaner le plus de renseignements possibles sur McGill. Angela confesse: «Quand on fait nos choix en février on va beaucoup se baser sur cette première impression». Et Valérie de s’étonner:  «Je ne savais même pas que certains départements existaient! Le département de Sociologie par exem-ple… alors ça donne des idées!».

Du côté des professeurs, c’est l’occa-sion de faire connaître les programmes, Lucia Chamanadjian, la directrice du pro-gramme de langue espagnole nous dit: «On vient chaque année. On ne sait jamais si ça joue dans le choix des étudiants, mais on espère!».

Carli Cullen, étudiante en Sociologie de 2e année, participe à la journée en tant que guide: «J’avais envie de partager mon amour de McGill». Elle dit aussi que c’est lorsqu’elle est venue avec ses parents, de-puis la Colombie-Britannique, aux «Portes ouvertes» de 2009 qu’elle a décidé que son

choix se porterait sur McGill. Carli a parti-cipé comme tous les autres bénévoles - une centaine nous dit-elle - à une formation. La veille on les a prévenus: McGill attend plus de 8 000 visiteurs. Et la consigne est simple: faire bonne figure.

Ce dimanche, un éventail représenta-tif de la structure administrative de McGill  répondait «présent» sur le campus. Des étudiants de premier et second cycles, des professeurs, des employés: tous étaient là pour promouvoir l’image de l’école. x

Portes ouvertes de McGillUne journée de découverte

CAMPUS

Fanny DevauxLe Délit

Crédit photo: Zoe Carlton

«Il faut absolument que, non seulement la foire continue, mais qu’on continue d’attirer toujours un plus grand nom-

bre de gens». C’est en faisant preuve d’opti-misme et de conviction que Jonathan Haines et Fraser Dickson ont pris en main l’organi-

sation de la traditionnelle foire aux livres de McGill. Malgré l’annonce de la fin de cet évé-nement l’année passée, la foire s’est déroulée comme à l’habitude dans la magnifique salle Redpath, du 23 au 25 octobre dernier.

L’année dernière, Le Délit annon-çait la retraite officielle de Victoria Lees, ancienne coordonnatrice de la foire. Les bénévoles se faisant plutôt âgés, certains participant même à la foire depuis ses tous débuts en 1971, personne ne s’était proposé pour continuer de d’organiser cette tradition.

Jonathan Haines était impliqué l’an-née dernière en tant que coordonnateur des jeunes bénévoles de la foire et c’est maintenant sa 5e année de participation. Fraser Dickson était un client de la foire, et les deux amoureux des livres consi-déraient que la foire devait continuer d’exister.

Vicky, étudiante de deuxième année en Économie et en Sciences Politiques, parcoure les tables remplies de livres. «J’aime beaucoup les livres, et c’est la première fois que je viens à la foire», té-moigne-t-elle. Elle n’était pas au courant

qu’il y avait une telle foire l’année derniè-re, et M. Haines confirme que beaucoup d’étudiants de McGill ne connaissent pas l’événement. Il dit d’ailleurs qu’un des objectifs de la foire de cette année était d’attirer davantage les étudiants de McGill en faisant plus de publicité dans les médias sociaux et dans les journaux universitaires. Habituellement, c’était plutôt des gens plus vieux de la commu-nauté qui fréquentaient la foire. Cet évé-nement annuel est une occasion de faire de bonnes aubaines sur les livres achetés.

Cette année, Haines et Dickson ont tenté d’amener des nouveautés à la foire, comme l’encan silencieux qui s’est déroulé et qui a permis la vente à 250$ d’une première édition d’un disque vinyle des Beatles qui se vend habituellement à 800$. Une partie des profits de la vente des livres va directement à McGill, afin de financer le programme de bourse pour les étudiants. L’année dernière, 75 000$ avaient été donnés à McGill, et ce montant d’argent a permis de financer les études de 40 étudiants de l’Université.

Les types de livres que l’on retrouve à la foire varient dépendamment de qui fait des

dons. Cette année par exemple, un ancien professeur allemand de McGill a fait don d’une grande partie de sa bibliothèque, ce qui fait que beaucoup de livres en allemand se sont retrouvés sur les tables. Haines sou-ligne toutefois qu’il y avait moins de livres en vente cette année, 600 comparé à 700 en 2012, «parce que tout le monde pensait que la foire était finie». Il espère recevoir davan-tage de dons pour l’année prochaine, dons qui sont reçus à partir du mois de février jusqu’à la mi-septembre.

Myriam, étudiante de deuxième année en Droit à McGill, était bénévole pour une première fois lors de cette 41e édition. Elle témoignait sa joie de voir la foire continuer, et reconnaissait l’immense travail derrière la mise en place de celle-ci.

La foire est orchestrée par des dizaines de bénévoles qui travaillent fort afin de trier et de mettre les prix sur les livres. Selon le coordon-nateur de l’événement, «il faut une certaine expertise pour mettre les prix sur les livres». Malgré le grand nombre d’heures consacrées à la mise en place de l’événement, Jonathan Haines fera encore parti de la coordonnation de l’événement l’année prochaine. x

La foire est de retourContre toute attente, la foire aux livres de McGill revient pour une 41e édition.

CAMPUS

Alexandra NadeauLe Délit

BRÈVE: Ratification en ligne

Les deux motions approuvées à l’Assemblée Générale de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM) du 15 octobre ont été ratifiées en ligne la semaine dernière.

Selon l’article 29.7 de la Constitution de l’AÉUM, adoptée le 1er mai 1999, les résolutions passées à l’Assemblée Générale doivent être ratifiées en ligne, une première depuis 2008.

Le quorum pour la ratification doit être de 10%, selon l’article 29.8. Ce sont 2 931 étudiants sur les 21 975 électeurs inscrits, soit 13%, qui ont participé à ce processus de ratification.

La première concernait la construction d’un mur d’escalade à McGill: 2 024 étu-diants se sont prononcés. Il y a eu 530 votes contre et 377 abstentions.

La seconde motion concernait le Breakout-Room du deuxième étage de l’édi-fice Shatner: la salle portera désormais le nom de Madeleine Parent. 2 002 ont voté pour, 452 contre et 470 se sont abstenus. x

Camille Gris RoyLe Délit

Crédit photo: Lindsay P. Cameron

Page 4: Le Délit

4 Actualités x le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

Aux États-Unis, les élections pré-sidentielles approchent à grands pas. Le 6 novembre 2012, les

Américains auront à choisir entre le pré-sident démocrate sortant Barak Obama et le candidat républicain Mitt Romney.

Environ 6% des étudiants de McGill sont originaires des États-Unis. Au début de la session d’automne 2011, McGill comptait 2 271 étudiants améri-cains, selon les services d’inscription de l’Université. Les États-Unis constituent ainsi le premier pays international re-présenté à McGill. Plusieurs professeurs et employés de l’Université sont égale-ment d’origine américaine.

Les élections étatsuniennes tou-chent donc une partie de la communauté mcgilloise et plusieurs ressources sont à la disposition de ceux qui s’intéressent à ces élections.

Il est possible pour les citoyens amé-ricains de voter par correspondance. Sur son site Internet, l’Ambassade des États-Unis à Ottawa rappelle à ses ressortis-sants le principe du vote depuis l’étran-ger et explique les démarches à suivre.

Chris est un étudiant américain en Sciences Politiques et Développement International à McGill, originaire de Boston. Il a récemment reçu son bulle-tin pour voter par correspondance. «En tant qu’étudiant américain, spécialisé en sciences politiques, j’ai le sentiment que cette élection est cruciale pour le déve-loppement futur des États-Unis», dit-il. Pour lui, il est important de voter, même depuis l’étranger.

À McGill, l’association politique Democrats Abroad a pour mission, en-tre autres, d’aider les étudiants améri-cains à voter et à s’impliquer dans cette

élection. Lishai Goldstein, présidente du club, explique au Délit: «J’ai créé ce club avec mon amie Ally Filler au printemps dernier. On a remarqué que beaucoup de nos amis américains n’avaient pas voté à l’élection de mi-mandat en 2010 parce qu’ils étaient intimidés par le pro-cessus de vote par correspondance […]. Notre but aujourd’hui est de lever le plus d’obstacles possibles en aidant les gens à s’inscrire puis en les accompagnant à chaque étape du processus de vote».

Comme son nom l’indique, Democrats Abroad est une association politique affiliée au Parti Démocrate. Mais Lishai Goldstein insiste: «bien que nous soyons une organisation avec une certaine inclinaison politique, on aide tout le monde à s’inscrire pour voter, peu importe leurs opinions - on ne les leur demande d’ailleurs pas».

Les étudiants américains de McGill peuvent donc participer à cette élec-tion simplement en votant. Ils peuvent également s’investir davantage dans la campagne. Lishai Goldstein dit avoir

eu l’impression que beaucoup d’étu-diants américains voulaient s’impliquer davantage. «Un de nos buts à Democrats Abroad est d’augmenter l’activisme poli-tique au sein du Parti Démocrate». Elle raconte: «Avec l’aide de certains étu-diants de McGill qui étaient stagiaires dans la campagne d’Obama l’été dernier, on a organisé une banque téléphonique hebdomadaire au Wiscosin, qui est un état-pivot crucial». L’association politi-que sert de «forum de discussion et de débat» selon Lishai Goldstein.

Par ailleurs le service des relations-média de McGill a dressé une liste des experts en politique étatsunienne qui peuvent être consultés par tous ceux qui s’intéressent à cette élection. Gil Troy, professeur au département d’Histoire de McGill, est spécialisé en politique et histoire américaine. Dans un courriel au Délit, il déclare: «J’ai collaboré avec de nombreux médias; j’ai le sentiment d’être très impliqué, et tout cela m’intéresse beaucoup». Gil Troy a également donné plusieurs conférences sur la question.

Il offre cette session un cours sur l’his-toire des campagnes présidentielles aux États-Unis. «Dans le contexte actuel, ce cours est pertinent, et le nombre d’étu-diants inscrits dépasse la limite».

Un certain engouement semble donc s’être développé autour de cette élection américaine à McGill. Mais le professeur Troy relativise: «Je suis bien conscient que je ne suis qu’un aimant pour ceux qui sont intéressés par la po-litique américaine, et que la plupart ne le sont pas, de toute façon». Il déclare: «Lors de la dernière campagne présiden-tielle, en 2008, j’avais ressenti une gran-de excitation de la part de mes étudiants. Certains prenaient même de leur temps libre pour être bénévoles pour Barak Obama – comme en 1992, pour Bill Clinton.  Je ne ressens pas cette même excitation aujourd’hui. Et c’est vrai en général aux États-Unis aussi – c’est une campagne plus sobre […]».

Chris avoue ignorer si les étu-diants sont réellement très concernés. «Beaucoup de mes amis américains et moi-même avons suivi de près cette cam-pagne, mais je ne sais pas exactement si c’est le cas de tous les étudiants».

Toujours est-il que l’élection améri-caine a pris une place non négligeable à McGill. Et les enjeux de cette élection ne concernent pas uniquement les citoyens américains, mais tous ceux qui s’inté-ressent à la politique internationale. x

Camille Gris RoyLe Délit

Élections américaines et McGillComment les étudiants étatsuniens de McGill peuvent-ils s’impliquer dans la campagne électorale?

ÉLECTIONS ÉTATS-UNIS

La requête de Christopher Bangs contre Jade Calver et Victor Cheng a été rejetée par le conseil

judiciaire de l’AÉUM le 23 octobre der-nier. Ceci met donc fin à la requête qui avait été déposée en avril 2012. Bangs accusait Calver et Cheng d’avoir contre-venu à 6 articles du règlement des réfé-rendums: les questions du référendum ayant été ratifiées en anglais seulement, pas de compte formel deswvotes mené par le Conseil pour ratifier la question, l’échec de faire paraître l’annonce dans les journaux étudiants, un minimum de 21 jours entre la ratification des ques-tions et le référendum, minimum de 6 jours ouvrables pour la durée de la cam-pagne et pas d’annonce faite de l’heure, la date et l’endroit du vote.

Le conseil judiciaire a donc déclaré qu’il y avait eu un non-respect de plu-sieurs articles mentionnés (questions en anglais seulement, annonce des ques-tions en retard et nombre insuffisant de jours de campagne). Toutefois, le conseil a dû évaluer si ces infractions au règle-ment des référendums étaient suffisan-tes avant de rendre sa décision quant à

la validité des résultats du référendum. Plus précisément, le conseil a examiné deux questions: 1) Est-ce que la viola-tion de ces articles considérés indivi-duellement a suffit pour invalider les résultats, 2) Si non, est-ce que la somme des ces infractions menacent l’intégrité du référendum de l’AÉFA.

Finalement, le conseil judiciaire a décidé que ces infractions, évaluées séparément aussi bien qu’ensemble n’avaient pas suffi à l’invalidation du référendum de la session d’hiver. La requête de Bang est donc officiellement rejetée.x

La semaine dernière, le comité exé-cutif de la PGSS (Post-Graduate Students’ Society) a discuté d’une nouvelle motion visant à modifier sa politique de traduction.

Le Président de la PGSS, Jonathan Mooney, a en effet proposé de rendre op-tionnelle la traduction en français des pro-cès verbaux des instances exécutives de l’association. Un sondage ayant pour but de prendre en compte l’opinion des membres de la PGSS a été annoncé et devrait précéder un éventuel vote sur la motion.

Les associations francophones se sont fortement opposées à cette idée. Mathieu Simard, président de l’ADELFIES (Association des Étudiant(e)s en Langue et Littérature Françaises Inscrit(e)s aux Études Supérieures) a ainsi confié au Délit dans un courriel: «Pour nous, tout cela dépasse lar-gement la seule question des procès ver-baux. La véritable question est: à long ter-me, la PGSS devrait-elle être une associa-tion bilingue? Si oui, alors il est nécessaire de traduire les procès verbaux en français».

Si l’AÉUM (Association Étudiante de l’Université McGill) a une politique offi-cielle de bilinguisme, la PGSS n’en a pas et son nom n’a pas de traduction française.

Le vote de la motion serait donc un recul supplémentaire de l’usage des deux lan-gues au sein des associations de Maîtrise et Doctorat.

Le comité exécutif de la PGSS s’est réuni hier soir (lundi); à l’issu de la réunion, Jonathan Moody a éclairé Le Délit sur les in-tentions de l’association. Il a précisé qu’elle ne comptait pas diminuer le budget accordé aux traductions, mais simplement le dépla-cer: la traduction des procès-verbaux a en effet un coût conséquent, qui pourrait être «mieux utilisé, notamment pour traduire le site Internet».

Réaction mitigée du côté de l’ADEL-FIES: selon Mathieu Simard, les dépenses de la PGSS sont en effet très élevées, et il conviendrait peut-être plutôt de diminuer d’autres coûts, comme ceux de l’organisa-tion de certaines activités annexes, plutôt que de remettre en cause les traductions des procès verbaux.

Cependant, les deux parties se sont voulus rassurantes. M. Mooney a précisé que la motion n’était qu’une «proposition»: un comité a été constitué pour discuter la proposition au sein de la PGSS.

La PGSS rencontrera aujourd’hui (mardi) l’ADELFIES; celle-ci tiendra une Assemblée Générale jeudi, où la motion sera à nouveau discutée avec les membres. x

Bangs versus CalverBRÈVE

Le français au PGSSBRÈVE

Anne PouzarguesLe Délit

Crédit photo: Lindsay P. Cameron

«Bien que nous soyons une organisation avec une certaine inclinaison politique on aide tout le monde à s’inscrire pour voter, peu importe leurs opinions.»

Alexandra NadeauLe Délit

Page 5: Le Délit

5Actualitésx le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

Romney et la presse étrangèreRomney divise la presse internationale et cumule les erreurs diplomatiques.

ÉLECTIONS AUX ÉTATS-UNIS

Les élections américaines sont tou-jours pleines de surprises. Tous les quatre ans, un candidat précédemment inconnu des médias étrangers, qu’il soit démocra-te ou républicain, se lance dans la course à la présidence. Il y avait eu Robert Dole en 1996 et John McCain en 2008. Le ré-publicain Mitt Romney est le «petit nou-veau» de 2012. Il est ainsi l’objet de toute l’attention médiatique, non seulement dans son pays, mais aussi dans le reste du monde.

Erreurs diplomatiquesLors de ses déplacements à

l’étranger, le candidat républicain à la Maison-Blanche multiplie les erreurs diplomatiques.

Cet été, en visite à Londres, il se dé-clare mitigé face à la capacité de la ville à recevoir les Olympiques, déclarant  à NBC: «Il y avait quelque chose d’un peu déconcertant. L’histoire selon laquelle la forme de sécurité privée n’avait pas assez d’effectifs, la supposée grève des agents d’immigration. Ce n’est évidemment pas quelque chose d’encourageant». Et le premier ministre britannique de rétorquer  au quotidien britannique The Telegraph: «Évidemment, c’est plus facile si les Jeux Olympiques se tiennent au beau milieu de nulle part». (Romney a participé à l’organisation des Olympiques d’hiver à Salt Lake City en 2002, ndlr).

Ce qui est devenu une anecdote amu-sante reflète néanmoins les tensions créées par le gouverneur du Massachusetts, dans un pays qui demeure l’allié politique par excellence des États-Unis.

Opinions diviséesLes trois débats précédant les élec-

tions américaines du 6 novembre sont désormais passés.

Les deux candidats à la présidence divisent l’opinion populaire américaine et mobilisent les foules à l’étranger. Sans doute parce que l’élection américaine de novembre déterminera l’avenir des rela-tions diplomatiques entre les États-Unis et les pays étrangers.

L’entrain international suscité par la candidature d’Obama en 2008 n’est pas aussi prononcé quatre ans après  - le bi-lan d’Obama est certes mitigé – mais une question se pose en ces temps de crise: quel est le candidat le «moins pire» pour diriger les États-Unis? De l’intérieur, les esprits restent indécis ainsi que le démon-trent les sondages actuels: 47.2 % pour Obama, 47.2% pour Romney (Huffington Post, 26.10.12).

Vision binaireUn article récent du New York Times

présente une critique virulente de la conception de la politique internationale de Romney. Selon l’article, la vision du monde du candidat manque de contras-tes et semble raviver des conflits passés. Romney considère encore la Russie com-

me l’ennemi numéro 1 dont l’Amérique doit se méfier. Il ravive un élan patriotique, voire nationaliste, en rapportant qu’il di-minuerait le nombre de délocalisations en Chine et ne laisserait pas le pays «s’écrou-ler comme la Grèce» (une expression uti-lisée à plusieurs reprises durant les trois débats).

Romney entend redonner à l’Améri-que le pouvoir stratégique, militaire et po-litique qu’elle possédait durant la Guerre froide; Romney effectue une association d’idées pour le moins déconcertante: sa nostalgie de l’Amérique de l’après-guerre le mène à penser qu’un monde divisé en deux blocs est préférable.

En définissant la lutte au Moyen-Orient comme une guerre «contre les ténèbres», il réhabilite les techniques de propagandes employées par les États-Unis durant la Guerre froide – la division du monde en deux blocs, partagé entre le côté des «méchants» et celui des «gentils». Hélas pour lui, même les «gentils» dont il se sent si proche semblent douter de lui.

L’impopularité dont il souffre au Royaume-Uni après son apparition cet été n’est pas qu’un cas isolé. Le candidat a réussi à se mettre à dos la majeure partie des médias étrangers. En Russie, on craint un retour de tensions diplomatiques. Une déclaration du candidat lors d’une entrevue donnée à CNN en 2011 a donné le ton général de l’idée qu’il se faisait de la politique extérieure: «La Russie est notre ennemi géopolitique numéro un. Les Russes se rangent toujours derrière les pires acteurs politiques de ce monde».

De quoi faire resurgir les fantômes enter-rés de la Guerre froide. En Russie, on applau-

dissait au contraire les efforts de collaboration entamés par Obama.

La Chine à dosRomney s’est mis la Chine à dos d’une

manière similaire. En déclarant la guerre au «made in China», au taux de change du yuan et en critiquant la politique sociale de Beijing, le candidat a établi la vision d’un 21ème siècle purement américain d’où la Chine est exclue. Des déclarations si ouvertes démontrent un clair manque de tact en matière de diplomatie. «Essayez de tenir tête à la Chine, gouverneur Romney», avertissait Barak Obama, moqueur, durant l’un des débats.

Obama toujours populaire dans le monde «occidental»

Dans le monde dit «occidental», en Europe, au Canada, en Australie, la can-didature d’Obama en 2008 est encore dans tous les esprits et était le symbole d’un renouveau américain. Obama repré-sentait la fin de l’ère Bush et d’un pays qui entendait dominer l’Occident.

Quatre ans plus tard, Obama semble être encore la meilleure option possible. Les médias grecs et espagnols ont déjà pris le candidat républicain en grippe. En parlant de la Grèce, Romney affirme lors d’un meeting de campagne dans l’Ohio: «Nous ne prendrons pas le chemin de la Grèce. Nous allons faire en sorte que l’Amérique redevienne l’Amérique».

Le candidat a tendance à voir dans l’Europe un modèle socialiste en contra-diction avec sa politique néo-libérale et conservatrice. Le journal espagnol El Pais

(Madrid) rappelle que Romney, en criti-quant les politiques économiques d’alliés historiques des États-Unis, ne fait ainsi que se les mettre à dos.

Seul allié: Israël?Le seul pays semblant trouver grâce

aux yeux du candidat est Israël. «Je réaf-firmerai nos liens historiques avec Israël et notre engagement total pour sa sécurité», a-t-il affirmé lors d’un discours à l’Institut militaire de Virginie.

Mais c’est là le seul pays du Moyen-Orient avec lequel il entend s’allier. Romney multiplie des déclarations dans lesquelles il mentionne la capacité des États-Unis d’intervenir au Moyen-Orient pour «réorganiser la région» à tout mo-ment. Des déclarations qui sonnent creu-ses selon le Daily Star de Beyrouth – d’une part parce qu’il est candidat et parce qu’il n’affiche aucune proposition claire par rapport à la situation.

Des discours, que des discours? Des promesses ou déclarations que le candidat républicain à la Maison Blanche adouci-ra certainement s’il est investi. Reste que selon les médias internationaux, sa vision d’un monde dominé par les États-Unis ne fait pas l’unanimité. x

Louis Soulard

Crédit photo: Matthieu Santerre

«Une question se pose en ces temps de crise: quel est le candidat le «moins pire» pour diriger les États-Unis?»

«Romney entend redonner à l’Amérique le pouvoir straté-gique, militaire, et politique qu’elle possédait durant la Guerre froide.»

Page 6: Le Délit

6 Actualités x le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

C’est au premier étage du Café Campus, sous des projecteurs mul-ticolores et une boule disco, que

se sont retrouvées lundi dernier 150 per-sonnes, toutes animées d’une même envie: non celle de danser, mais plutôt de parta-ger avec d’autres leurs expériences dans le milieu communautaire.

Depuis maintenant dix ans, le Réseau Québécois de l’Action Communautaire Autonome (RQ-ACA) organise une «se-maine nationale de visibilité», qui a pour but de «rendre visible le travail exception-nel des 4 000 regroupements et organis-mes d’actions communautaires autono-mes», selon leur site web. Avec les mani-festations estudiantines toujours vives dans les mémoires, RQ-ACA a décidé cette année de voir grand: Josée Boileau, rédac-trice en chef du journal Le Devoir, Francis Dupuis-Déri, professeur à l’UQAM et

François Parenteau, membre du groupe humoristique des Zapartistes ont été invi-tés pour donner à des militants passionnés leur point de vue quant au rôle de la com-munauté dans le climat politique actuel.

«Notre société ne parle plus des pau-vres», a dit Mme Boileau, «on les a oubliés». Devant une avancée de la droite conser-vatrice, aussi bien au Québec que dans le Canada, les plus démunis, aux yeux de la journaliste, sont «exclus» de la vie politi-que. Il ne tient donc qu’aux groupes com-munautaires locaux et régionaux de faire un premier pas et d’offrir aux «analphabè-tes démocratiques» le droit à la parole.

Comment? Jean, militant depuis de nombreuses années, déborde d’idées: il faudrait «créer une tribune du peu-ple» ainsi que rendre plus visibles les Assemblés Populaires Autonomes de Quartier (APAQ), créées pendant la crise et «basées sur la volonté d’agir ensemble dans un espace non-partisan». François Parenteau, aussi militant et comédien,

renchérit, en affirmant que l’humour est nécessaire pour faire passer le message et convaincre les «exclus» d’enfin se faire entendre.

Cependant, la tâche est loin d’être évidente. Le RQ-ACA s’est heurté au gou-vernement, qui ne veut rien entendre, à de nombreuses reprises. Comme l’explique Mme Boileau avec une ironie désolée, il faut «se plier aux demandes de l’État pour contester l’État». Selon un autre invité, Francis Dupuis-Déri, «le parti Coalition Avenir Québec (CAQ) considère de son côté les groupuscules communautaires comme “des jaloux [qui ne] sont [que] pour l’immobilisme”».

Néanmoins, l’avancée sociale au sein de la communauté québécoise pen-dant et après la crise est indéniable. Erin Hudson, représentante communautaire à la production du journal The McGill Daily, raconte  que «même si McGill n’était pas directement impliquée [dans la grève], les élèves ont voulu en savoir plus sur ce qui

se tramait». Pour Milène, étudiante en Psychologie à l’Université de Montréal, les manifestations lui ont permis de devenir politiquement impliquée et d’enfin se bat-tre pour une cause qui lui semblait juste. Une mère en colère a également pris la parole à ce sujet lundi soir: «Cette révolte a permis à différents groupes sociaux de se retrouver et de partager!», a-t-elle affir-mé. Il ne tient maintenant qu’aux groupes communautaires qu’un tel partage sub-siste.

Plongé dans l’ambiance électro du bar, qui ce soir-là faisait office de salle de conférence, c’est l’espoir qui se lit sur les visages. Celui que le RQ-ACA soit mieux reconnu par le gouvernement, autant au niveau local que national. Celui que le ter-me «communautaire» ne soit plus synony-me de «marxisme». Et que la voix soit don-née aux «exclus» et aux jeunes, pour un renouveau de démocratie. Le but est que le Québec puisse parler de changement, et ce sur une longue durée. x

Le communautaire s’en mêleDiscussion au Café Campus sur l’importance de l’action communautaire.

MONTRÉAL

Théo Bourgery

La démocratie en Israël existe-t-elle?Le journaliste Peter Beinart discute des relations entre juif Nord-Américain et Israël.

POLITIQUE INTERNATIONALE

Peter Beinart, journaliste américain, est venu à McGill le mercredi 24 oc-tobre nous présenter les idées issues

de son livre The Crisis of Zionism. Il s’est fait connaître du grand public en 2010 après la publication d’un long article dans *The New York Review of Books, intitulé «The Failure of the American Jewish Establishment», dans lequel il aborde la relation entre les jeunes juifs Nord-Américains et l’État d’Israël.

En guise d’introduction, Peter Beinart a indiqué être conscient de la nature controversée de ce thème, relayant des anecdotes personnelles sur l’accueil contesté que son ouvrage a eu au sein même de sa famille.

Selon lui, la création d’Israël a été une bénédiction pour le peuple juif, servant comme havre de paix à la suite des atro-cités de la Seconde Guerre mondiale. Le mouvement sioniste a lui aussi permis le renouveau de la culture juive et de la lan-gue hébraïque, lui donnant un espace pour se développer aux quatre coins du monde. Le problème selon Beinart, c’est que tous ces accomplissements sont menacés par les politiques même de l’État d’Israël. Il met en cause la nature démocratique des politiques de colonisation entreprises par Israël et appelle à ce que l’établissement juif nord-américain voit d’un œil critique ce qui se passe en Israël.

Il voit la colonisation de la Cisjordanie comme allant à l’encontre des principes constitutionnels d’Israël. Les Palestiniens vivant dans ce territoire n’ont pas les même droits que les Israéliens; n’ayant pas par exemple le droit de voter ni de voyager librement. Il a dénoncé les subventions accordées par l’État d’Israël aux Israéliens s’installant en Cisjordanie. En effet, selon lui, en promouvant l’installation d’Israé-liens en Cisjordanie, «Israël est en train de pousser les Palestiniens là où nous ne voulons pas qu’ils aillent», dans une direc-tion menaçant la solution à deux États. Son argument de fond est donc qu’un Israël dé-mocratique doit mettre fin à l’occupation de la Cisjordanie et assurer la justice pour tous citoyens Israéliens, incluant les Arabes.

Beinart a appelé à ce que le silence de la communauté juive nord-américaine cesse, qu’elle exprime son désaccord avec le gouvernement Israélien au pouvoir. L’écroulement de la nature démocratique d’Israël aura un impact grave sur le futur de l’État juif. En remettant en question leur vision des politiques de l’État d’Israël, l’avenir du pays et son image au niveau international pourront être sauvegardés. Pour conclure, Beinart a invité les juifs Nord-Américains à chercher des oppor-tunités d’interaction avec les Palestiniens pour accroitre leur compréhension des enjeux du conflit pour les deux groupes directement concernés.

Son exposé a sûrement résonné dans l’esprit de plusieurs étudiants mcgillois pré-sents, de même qu’il en a sans aucun doute importuné d’autres, à la vue du nombre im-portant de mains qui se sont levées durant la séance de questions. Jeremy, étudiant en Gestion, présent à la conférence, nous a ra-conté s’être senti très concerné par les pro-pos de Beinart, en tant que jeune juif Nord-Américain: «Il nous a donné un aperçu, maintenant c’est à nous d’agir».

La venue de Peter Beinart a été le fruit d’une collaboration entre le McGill Students’ Progressive Zionist Club et le Middle East Student Association, soutenue par Canadian friends for peace now et the New Israel Fund, entre autres.

Cet ancien rédacteur du New Republic tient aussi un blog «Open Zion» qui pré-sente une variété de points de vue différents, contenant par exemple plusieurs articles de Gil Troy, professeur d’histoire à McGill. x

Sophie BlaisLe Délit

L’actualité vous allume? [email protected]

Crédit photo: Lindsay P.Cameron

Page 7: Le Délit

7Actualitésx le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

La jeunesse en forceLéo Bureau-Blouin, invité d’honneur d’une soirée organisée par Forces Jeunesse.

POLITIQUE QUÉBÉCOISE

Lundi le 22 octobre, une semaine avant la rentrée parlementaire, l’organisme Force Jeunesse a organisé un 6 à 8 à

Montréal au restaurant Le Saint-Cyr, sur le thème de «la place et le rôle des jeunes dans les institutions démocratiques québécoises».

Créé en 1998, Force Jeunesse (FJ) est un regroupement de jeunes travailleurs qui œuvrent à la défense et à l’amélioration des conditions de travail d’autres jeunes tra-vailleurs. L’organisme comprend des asso-ciations étudiantes, des associations de jeu-nes syndiqués, des comités jeunesse de diffé-rents ordres professionnels et des membres individuels, unis par un intérêt commun pour l’avenir collectif de notre société.

Des objectifs ambitieuxL’invité spécial de cette soirée était Léo

Bureau-Blouin, nouveau député péquiste à l’Assemblée Nationale, dont le mandat d’adjoint parlementaire à la jeunesse suscite l’intérêt de Force Jeunesse.

De telles soirées sont fréquemment organisées par FJ, explique Philippe-Olivier Giroux, président de l’organisme, «car elles offrent aux jeunes la possibilité de se créer un réseau professionnel pour avoir une plus grand influence et prendre leur place dans la société». Dans le cas de la soirée du 22 octobre, l’objectif avoué était aussi de se rap-procher du nouvel adjoint parlementaire à la jeunesse.

Les enjeux sont de taille, à l’heure où la pyramide des âges s’inverse, où le poids démographique des 18-35 diminue (l’actuel conseil des ministres du gouvernement qué-bécois, est composé à plus de 60% de mem-bres âgés de plus 50 ans. Cette proportion se situait à 16% il y a trente ans) et où les retraites pèsent sur les finances publiques. Merlin T. Picard, vice-président aux communications de FJ, explique au Délit: «L’équité intergéné-rationnelle, [autrement dit le principe selon lequel l’utilisation des ressources publiques ne doit pas nuire à la capacité des générations futures d’en bénéficier également, ndlr], les perspectives d’emploi de la relève et l’orga-nisation des jeunes en milieu de travail sont parmi nos plus grandes préoccupations».

Mais par-dessus tout, ce que souhaite FJ, c’est qu’à chaque décision publique les instances décisionnelles se posent la ques-tion: quels impacts peuvent avoir les déci-sions prises aujourd’hui sur la jeunesse de demain?

C’est pourquoi l’organisme, depuis sa création, tente d’intervenir sur l’espace pu-blic et de faire valoir au Québec le poids de sa jeunesse. Parmi ses succès, on compte la modification de la loi sur les normes du tra-vail pour l’interdiction des clauses  «orphe-lin» (c’est-à-dire les clauses d’une convention collective qui prévoient des différences de traitement entre salariés, basées sur la date d’embauche) (1999). La mise sur pied d’une coalition d’organismes jeunesse incluant les ailes jeunesse des trois principaux partis politiques québécois demandant au gouver-nement de débuter le remboursement de la dette publique (2005) est un autre succès.

Enfin, l’organisme a réussi à mener à la créa-tion du fond des générations (2006).

Les enjeux actualisésPour le président de FJ Philippe-Olivier

Giroux, l’événement du 22 octobre avait pour objectif de «favoriser l’échange et la ré-flexion», toujours sous le thème de «la place et du rôle des jeunes dans les institutions démocratiques québécoises».

Dans cette optique, Le Délit a rencontré M. Bureau-Blouin avant le début de la soirée. Le député est d’accord sur le fait que les jeu-nes doivent prendre une place plus impor-tante dans la société québécoise et selon lui, ce sont des organismes comme FJ qui per-mettent la sensibilisation du gouvernement à l’importance de l’équité entre les généra-tions et à l’importance d’agir pour les faire travailler ensemble.

Comment inscrire ces efforts dans le contexte politique actuel? Le conflit entou-rant la hausse des frais de scolarité a suscité, de part et d’autre, un intérêt considérable pour les enjeux collectifs, mais comment entretenir cette énergie? Pour Léo Bureau-Blouin, il faut d’abord «organiser et publici-ser le sommet sur l’enseignement supérieur, où toute la mobilisation et la réflexion pour-ront être canalisées pour initier des change-ments concrets».

Ensuite, la place d’une jeunesse, autant pour FJ que pour le nouveau député, dépend de son engagement dans les institutions dé-mocratiques. Selon ce dernier, l’engagement ce n’est pas uniquement faire de la politique à l’Assemblée nationale, c’est aussi «démar-rer une entreprise, partir un organisme, participer à une simulation parlementaire»

comme le Parlement Jeunesse du Québec. Il suffit de jeter un coup d’œil aux bénévo-les de FJ pour être convaincu que l’engage-ment peut rapidement devenir une habitude. Des pistes de solutions

Parmi les idées de M. Bureau-Blouin et de FJ, plusieurs se rejoignent. Le regroupe-ment demande depuis longtemps de réserver une place aux jeunes sur les conseils d’admi-nistration d’organismes gouvernementaux, dont la Régie des rentes du Québec. En en-trevue avec Le Délit, M. Bureau-Blouin a ma-nifesté la volonté de «trouver des manières pour faire plus de place aux jeunes dans la fonction publique, notamment en leur trou-vant des places sur les conseils d’administra-tion des différentes sociétés». Son objectif: que de plus en plus, avec chaque nouvelle politique publique adoptée, la réflexion se fasse quant à l’impact qu’elle peut avoir sur les jeunes.

Nul doute qu’une étroite collaboration entre l’adjoint jeunesse de la première minis-tre et les organismes incarnant cette jeunes-se est nécessaire pour relever les nombreux défis que présentent les années à venir. Avec l’exode des jeunes des campagnes vers les vil-les, des revendications étudiantes clairement formulées, une balance démographique de plus en plus inégale, le clivage linguistique et le besoin de faire participer les jeunes anglo-phones dans les décisions à venir malgré une majorité qui n’appuie pas le mandat souve-rainiste du PQ, nous aurons tous fort à faire.

Si la question de la jeunesse est comple-xe, elle se pose d’autant plus que le Québec, comme le Japon, l’Europe de l’Ouest ou l’Amérique du Nord, est arrivé à un stade

de son développement démographique qui désavantage numériquement les jeunes de 18-35 ans. Des pistes de réflexion existent, et elles commencent toutes par l’engage-ment des jeunes. Cet engagement apporte une expérience qui peut être partagée, et ce partage apporte la visibilité dont ces jeunes ont besoin pour faire leur place, comme en témoignent M. Bureau-Blouin et M. Giroux.

Comment les étudiants peuvent-ils s’engager? En participant aux prochaines rencontres de FJ, à ses cocktails dans les se-maines à venir, ou à son événement Maîtres chez vous, en début mars prochain, dont l’in-formation est sur le site de l’organisme. Pour la communauté universitaire de McGill, par ailleurs, les occasions sont multiples. Les comités, clubs, journaux, simulations par-lementaires auxquels les étudiants peuvent participer, dont la Fondation David Suzuki, Amnistie McGill, Emerging Markets Club et le Parlement Jeunesse du Québec sont autant d’exemples qui participent tous à promou-voir cet engagement.

Pour terminer, M. Bureau-Blouin, questionné sur les deux rôles parfois conflictuels du député - porte-parole d’un côté et leader de l’autre - et la fa-çon de les concilier, a déclaré  au Délit: «Quand on élit quelqu’un, ce n’est pas juste un fax, c’est aussi une personne qui doit jouer un rôle de leadership et donner une vision à l’organisme, en tout respect des valeurs démocratiques». Peut-être que c’est aussi ça, faire partie de la jeu-nesse: jouer un double rôle. Vivre la ten-sion d’appartenir à un ensemble auquel tout nous pousse à se conformer, tout en essayant de le dépasser. x

Pierrick Rouat

Crédit photo: Romain Hainaut

«Pour Léo Bureau-Blouin, les jeunes doivent prendre une place plus importante dans la société québécoise.»

Page 8: Le Délit

Crédit illustration: Mathieu Santerre

x le délit · le mardi 30 octobre · delitfrancais.com8

Société[email protected]

S’il fallait retenir une phrase trop courante en Europe en ce moment, ce serait celle-là: «Je ne suis pas raciste, mais…»

Les sociétés se divisent en deux: d’une part, les partisans d’un «politi-

quement correct» qui, comme l’autruche, s’enterre la tête dans le sable jusqu’à s’as-phyxier; d’autre part, les réac-tionnaires qui se targuent de parler de «tabous», mais qui ne font que banaliser des idées et des non-sens autrefois source de honte. « Je ne suis pas raciste, mais… »

La paix socialeÀ l’écart de la tourmente

européenne, le Canada sem-ble être un modèle de paix sociale tant la question de l’immigration est peu présente sur la place publique. Ayant interrogé plusieurs canadiens sur le sujet, une phrase reve-nait systématiquement: «mais nous sommes un pays d’immi-gration  par nature». Comme une réplique humaniste au non-sens total de son homo-logue européenne. Faisant mine d’être scandalisé, l’air de dire que le pays ne serait pas concerné par cette question, le Canada serait dans une caté-gorie à part. Il y a une part de vérité, le Canada ne peut être traité comme ces vieux pays

européens qui ont élaboré au fil des siècles un sentiment identitaire très fort. Les na-tions européennes ne savent pas toujours mettre des mots dessus, car c’est de l’ordre du ressenti. Elles ne savent pas forcément qui elles sont, mais n’ont aucune hésitation à dire ce qui fait qu’un «barbare» en est un.

Le Canada abhorre ce genre de raisonnement, car ce serait en contradiction totale avec son interprétation de son histoire. Alors, le Canada est-il fondamentalement différent de la vieille Europe, ou en est-il simplement à une étape plus précoce d’un même proces-sus ?

Une terre d’accueilPeut-être pas. Il est pro-

bable que l’immigration de-vienne un sujet de plus en plus saillant dans le débat public, car il existe un vrai déséqui-libre et une certaine injustice structurelle, et parce que la viabilité du multiculturalisme est fortement remise en cause. Une terre qui dit d’elle-même qu’elle est une terre d’accueil par nature, devrait offrir les

mêmes opportunités à tous. Or ce n’est pas toujours le cas.

Le Délit s’est entretenu avec quatre personnes ayant quitté l’Afrique Sub-Saharienne pour venir s’installer à Montréal. Certaines ont obtenu le statut d’exilés, d’autres ont fuit des guerres, des génocides, et des pays chroniquement instables. D’autres, enfin, sont parties faute d’opportunités. Toutes viennent de pays francopho-nes.

F.M* a quitté la Côte d’Ivoire à 17 ans. Il commen-ce par s’installer en France, y fait des études, et entre sur le marché du travail. Sept ans après être arrivé, il part pour le Canada. «La France a été une vraie désillusion. J’ai vite compris que mon diplôme d’ingénieur ne m’aiderait pas beaucoup. Je me suis retrouvé à faire des jobs qui ne m’inté-ressaient pas et pour lesquels j’étais largement surquali-fié. Et puis, avoir l’impression de toujours devoir justifier son droit d’être là, d’étudier, de tra-vailler, ce n’est pas agréable». Pourquoi le Canada ? «Ce pays avait une certaine réputation

dans la communauté ivoirien-ne. Une réputation d’endroit où on me laisserait tranquille, et où j’aurais plus d’opportu-nités». Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de sa vie ici, il sourit et se tait. Le Canada ne lui offrant pas plus d’opportu-nités à la hauteur de ses quali-fications.

S.T* est venue du Togo. «Toute mon enfance, j’ai été préparée à tout quitter pour aller étudier et vivre ailleurs». Son baccalauréat en poche, elle part directement pour le Canada. «Je voulais éviter à tout prix la France. C’était en 1998; il y avait beaucoup d’agi-tation autour de l’immigra-tion, j’avais entendu qu’une église pleine de sans-papiers avait brûlé, alors non.» Elle choisi le Canada, sans pour-tant l’idéaliser, le pays ne re-présentant rien de spécial à ses yeux. «Mais j’avais la possibili-té d’étudier à faibles frais et en français. Et le passeport cana-dien me servirait sans doute à l’avenir».

Elle s’installe à Gatineau, obtient son Bac en Administration des Affaires, et commence à travailler dans

L ’ i m m i g r a t i o n africaine à Montréal

« Je ne suis pas raciste mais...»

Guillaume de Langres

Page 9: Le Délit

9Société

un centre d’appel. À l’époque, elle pensait repartir pour le Togo. Cela fait 14 ans qu’elle est installée, le Togo étant toujours aussi instable elle ne s’y sentirait pas en sécu-rité. Elle travaille désormais dans un autre centre d’appel, à Montréal cette fois. Elle a obtenu la citoyenneté, et se considère désormais comme Québécoise.

Elle est contente de sa nou-velle vie, mais peint une fres-que sombre de son expérience ici. «Pendant mes études, il y avait une ségrégation claire entre les Africains d’un côté, et les Canadiens de l’autre. Ça m’a beaucoup surprise.  Puis, mon premier job était dans un immense centre d’appel, et c’était f lagrant que tous les opérateurs étaient immigrants, et tous les superviseurs étaient blancs. Lorsqu’une canadien-ne était embauchée pour faire le même job que moi, elle pou-vait être promue au bout de 6 mois. Tandis que nous, nous ne bougions pas. Mon super-viseur était souvent surpris de voir que j’étais capable de faire des choses plus complexes, alors que ca lui semblait nor-mal pour un Canadien blanc.

Mais au fur et à mesure des années, ça semblait s’amélio-rer, lentement.» Installée au Canada depuis 14 ans, elle dit n’avoir eu qu’un seul emploi à la mesure de sa formation, qui dura un an. «Je crois que la différence de culture affecte notre capacité à nous faire des réseaux, et c’est cela qui nous pénalise.»

E.K* est arrivé du Mali. Il se considère comme exilé. «Je n’avais pas vraiment d’atten-tes. Je voulais juste trouver la paix.» Cela fait 10 ans qu’il passe d’un petit job à un autre, principalement dans la restau-ration. Impossible de savoir si son large sourire cache une frustration profonde ou une sérénité réelle. «Avant mon départ, j’avais entendu beau-coup de mauvaises choses sur la France. Mon père me disait d’y aller, mais mon frère qui y habitait me disait d’éviter. Je ne sais pas ce qui était vrai, mais le Canada me semblait être une option plus neutre. Je suis content de mon choix». Comme S.S*, il ne tient pas le Canada pour responsable de sa précarité chronique, du moins pas ouvertement. «Oui, il y a

parfois des réactions bizarres, surtout chez les personnes âgées. Mais je sais que je viens d’ailleurs, et que ça peut dé-ranger. Et je ne sais pas si mon pays traite mieux les étran-gers…».

Ce qui a de communCes quatre témoins ont des

points communs: ils sont ve-nus pour des raisons pratiques et par opposition à la France. Ils répètent qu’ils n’ont jamais été victimes de discrimina-tion de la part d’individus, que personne n’a jamais voulu les humilier. Mais certains mur-murent que ce processus est en réalité une lame de fond dans la société. «Ils ne sont pas racistes, mais pourquoi sont-ils sincèrement surpris de voir qu’un blanc et un noir avec le même diplôme ont les mêmes capacités?»

Quant à leur réaction à la phrase surannée «mais nous sommes un pays d’immigra-tion par nature», elle est sans pitié. Tous parlent du sen-timent permanent de devoir sans cesse justifier qui ils sont, et pourquoi ils sont là, bien que cela s’estompe lentement avec le temps. Le passeport ne

change pas grande chose à leur statut social, et certains parlent parfois du Canada comme une prison de verre.  C’est-à-dire que géographiquement parlant c’est un enfermement. Une fois entrés, la précarité profes-sionnelle interdit à certains de s’acheter un billet d’avion pour retourner au pays. F.M* a quit-té la Côte d’Ivoire à 17 ans et n’a pas pu y retourner pendant 10 ans, faute de moyens.

Le Canada a su anticiper relativement tôt que la capa-cité d’accueil de sa population serait aussi importante que ses besoins économiques quand il s’agissait de définir sa politi-que en matière d’immigration.Le Canada et l’Europe diffè-rent en bien des points, menant à penser que lorsque ce débat émergera ici, il ne donnera pas lieu à la même violence qu’en France ou en Angleterre, par exemple. L’Europe n’avait pas anticipé l’impact social des vagues d’immigration succes-sives pendant l’après-guerre. Elle avait besoin de main-d’œuvre à court terme, mais n’avait pas compris que l’im-migration a des conséquen-ces à long terme. Très tôt, le Canada a adopté une politique

migratoire stricte, s’assurant qu’il avait l’infrastructure et les moyens d’accueillir. De plus, il n’y a pas ce rapport d’ex-colonisateur à ex-coloni-sé qui existe en Europe et qui complique le débat.

Enfin, les nations européennes vivent une crise identitaire depuis qu’elles ne dominent plus le monde. Dans une quête sans fin, elles cherchent à définir ce qui fait qu’on est Anglais, Italien, Espagnol, Français ou Allemand. Savoir qu’on est une nation y est un concept très important, que personne n’a encore su rendre inclusif. Le Canada n’a pas ce même besoin. Il est allergique à des mots comme «nationalisme» ou «patrie», à moins qu’on ne parle du Québec. Être Canadien est une idée plus abstraite, qui n’est pas lié à une culture ou une religion par exemple. Mais au-dessus de tout, le Canada a su anticiper relativement tôt que la capacité d’accueil de sa population était aussi importante que ses besoins économiques quand il s’agissait de définir sa politique migratoire. Cela le sauvera de bien des maux. x

« Le Canada est-il toujours un modèle de paix sociale de l’immigration par rapport

au vieux continent? »

Crédit photo: Noémie SmithCrédit photo Noémie Smith

Crédit photo : Photodisc

Crédit photo : Photodisc

Page 10: Le Délit

10 Société x le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

Le 18 octobre dernier,le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications du Canada (CRTC) s’opposait à l’achat d’Astral par Bell (BCE). Jean-Pierre Blais, président du CRTC, dit avoir agi dans l’intérêt des consommateurs canadiens. Dans l’intérêt des consommateurs canadiens, vraiment? Disons plus dans les intérêts de Québecor Média et des autres grands groupes de l’oligarchie de la télé-communication canadienne.

En ce moment, Québecor possède 35% des parts du mar-ché des téléspectateurs franco-phones. Bell et Astral combinées auraient atteint 32%. Pourtant, Québecor s’opposait farouche-ment à la transaction. Ceux qui écoutent la télévision auront vu les publicités où un pauvre consommateur devient vic-time des mauvaises pratiques de convergence du nouvel empire Bell. J’avais une impression de déjà vu. Je ne sais pas d’où elle venait…

George Cope, PDG de BCE, avait promis la création d’une nouvelle salle nationale de nou-velles francophones basée à Montréal, en plus d’une pano-plie d’investissements cultu-rels, notamment en musique, en cinéma et en télévision. Plus de 240 millions de dollars sur sept ans étaient sur la table. Au Québec, l’information télévi-sée est vraiment monolithique. Deux joueurs se partagent le

marché: Radio-Canada et TVA. Avec un seul d’entre eux étant privé, il me semble qu’un peu plus de compétition n’aurait pas fait de tort.

Le libre marché dicte que cette transaction devait avoir lieu. 99% des actionnaires d’As-tral l’approuvaient. Elle aurait été bénéfique pour le milieu québé-cois de l’information. Oui, elle aurait créé un géant au Canada anglais, avec un peu moins de 43% des parts de marché télévi-suelles, mais cela se règle aisé-ment. Comment? En ouvrant la frontière canadienne aux inves-tisseurs étrangers en télécommu-nications. Le CRTC, avec cette décision, a prouvé qu’il ne servait qu’à cartelliser l’industrie média-tique canadienne. Les grandes corporations comme Rogers, Telus, Québécor et autres ne peuvent demander mieux: inu-tile de conspirer pour extorquer les consommateurs, le gouverne-ment s’en occupe. Les Canadiens

n’ont pas besoin de voir leur culture protégée par d’anciens employés des grands groupes médiatiques. Ils sont aptes à choi-sir leur câblodistributeur seul. Ils sont capables de zapper quand le programme qu’ils écoutent les emmerde, même si celui-ci est 100% Canadian. Ils sont aussi aptes à préférer AT&T à Rogers pour leur cellulaire.

Le Canada est présentement le pays où les factures de cellulaire sont les plus chères, et ce n’est pas parce que nous sommes très éten-dus. Nous avons juste le malheur d’avoir des bureaucrates et des politiques qui considèrent le 47e parallèle comme une frontière per-tinente dans un milieu qui devrait jouir d’un marché globalisé. Les avantages du libre-échange ne sont plus à démontrer. Pourquoi ne pas en profiter dans le milieu des télé-communications?

La réponse se trouve dans la décision Bell-Astral. Le CRTC n’a pas comme man-

dat réel de se soucier du petit consommateur qui n’a pas des millions à dépenser sur des lobbyistes. Il doit protéger les joueurs en place, les asseoir dans leur confort et leurs pro-fits et s’assurer qu’ils ne soient jamais dérangés par des inno-vateurs dans leur garage qui trouveraient le moyen de vous faire utiliser un téléphone cel-lulaire sans avoir à payer pour un forfait Voix.

George Stigler, économiste américain de l’école de Chicago, appelait cela la «capture régle-mentaire» où des intérêts spéciaux prenaient le contrôle d’organismes supposément conçus pour défendre l’intérêt public. Aucune réglementation n’est donc préfé-rable à une telle réglementation.

Je traduis cela en termes que Jean-Pierre Blais devrait comprendre  : vous ne devriez pas être à la tête du CRTC, parce que le CRTC ne devrait tout simplement pas exister. x

Le méchant de l’histoire: le CRTCJean-François Trudelle | Attention, chronique de droite!

QU’Une ministre conservatrice de la condition fé-minine soit pro-vie. Et alors?

Une ministre de la condi-tion féminine pro-vie se voit octroyer un prix décerné par ONU «femmes-Canada» pour son travail remarquable pour les droits des femmes, malgré son appui à la réouverture du débat sur l’avortement. Ironie vous dites? Certainement.

On ne peut reprocher à Rona Ambrose d’avoir voté selon ses conviction personnelles (aussi douteuses soient-elles), puisque la liberté d’opinion demeure une véritable valeur qu’on tente de préserver dans cette démocra-tie (parfois douteuse elle aussi). Cependant, lorsqu’on prétend représenter les femmes, permettre un éventuel débat qui en bout de ligne limiterait le choix de celles-ci demeure une ignominie. Oser prêcher pour le contrôle du corps féminin lorsqu’on se doit de faire honneur à toutes les femmes de ce pays ne peut être qu’une honte, voire une attaque à la femme du 21e siècle.

Qu’elle ait été une simple députée conservatrice quasi-ano-nyme, la nouvelle serait vraisem-blablement restée sous silence. Cela dit, la problématique réside dans le fait que ladite ministre des femmes se positionne à l’encontre de celles-ci, favorisant la régres-

sion de leur dite condition, et c’est peu dire.

Alors que notre ministre ado-rée se pâmait devant le dithyrambe onusien-canadien, la très inspi-rante Julia Gillard livrait un dis-cours enflammé contre le sexisme et la misogynie au sein du parle-ment australien.

Devant la motion de Tony Abbott, chef de l’opposition, exi-geant la démission du président de la chambre suite à des messages textes tenant des propos sexistes et misogynes, la première mi-nistre australienne a répliqué avec fougue et émotions pesées. Elle a à la fois défendu l’indéfendable – qui s’opposerait à la démission de Peter Slipper, président de la chambre? – et abordé l’éléphant dans la pièce, soit les propos sexistes récurrents provenant du chef de l’opposition.

Dans un discours d’une quin-zaine de minutes, Mme Gillard a renvoyé la balle dans le camp de M. Abbott: s’il souhaite réellement

aborder le sexisme et la misogynie présents au parlement australien, «ce n’est pas d’une motion qu’il a besoin, mais plutôt d’un miroir». Puis, s’il désire sincèrement en-rayer ces problématiques, elle sug-gère qu’il écrive immédiatement sa lettre de résignation.

On ne cesse de répéter que les femmes en politique sont jugées plus durement que les hommes. Or, des femmes comme Julia Gillard, qui se tiennent debout malgré toute leur vulnérabilité, rappellent la nécessité de leur pré-sence en politique. Tout au plus, elles doivent s’assurer que la notion archaïque stipulant que la femme est subordonnée à l’homme ne refasse surface. Que les acquis ne s’envolent pas devant les gains et l’opportunisme politiques.

En favorisant un débat sur la criminalisation de l’avorte-ment, Mme Ambrose envoie ainsi le message que les femmes ne peuvent être maîtresses de leur

corps. Une femme violée qui tom-berait enceinte ne pourrait se faire avorter; on la dépouillerait de sa dignité certains diront. Tout à fait.

Ceci dit, comprenez-moi bien, il ne s’agit pas ici d’un débat sur l’avortement, mais bien du devoir politique que détiennent les femmes au pouvoir. Au-delà des allégeances politiques, il réside un devoir moral d’agir au sein du bien-être féminin, universel soit-il. Au-delà des cultures, la femme demeure égale à l’homme.

Chose certaine, on ne peut que s’inspirer du discours de Julia Gillard. Dorénavant, fai-sons preuve de courage, de sincé-rité et de sang-froid. Dénonçons le sexisme et la misogynie. Réclamons la totalité de nos droits. Exigeons de nos politiciens qu’ils fassent avancer le droit des femmes.

Surtout, rappelons-nous que nous méritons mieux qu’une ministre Ambrose. x

Ambivalences au fémininAlexie Labelle | Court-Circuit politique

«Je pense à toi JoUr et nuit, toutes mes autres pensées me fuient…»

Une phrase sur l’amour ou les devoirs, deux sujets qui ne s’associent pourtant pas souvent. On n’entendra pas dire «je me dois d’être amoureux» ou alors «je suis épris de mes devoirs». J’ai un esprit qui n’aime pas les problèmes, et quand il est forcé d’en résoudre, ma journée ne m’appartient plus, mes pensées non plus. Alors ma vie prend la tournure d’un jeu d’échecs. Étudier pour un examen devient une course frénétiquement lente contre un adversaire imaginaire. Un vrai jeu de stratégie, où je dois constamment être sur mes

gardes: étudie, lis, regarde un documentaire, prend des notes, participe en conférence, relis, lis tout fort, lis à l’envers, lis en chantant — on se dit, ouais, peut-être pourrais-je le vaincre cet examen au bout du compte.

Mais souvent on glisse: étudie, lis, regarde un film, relis, épisode de Seinfeld, oh pourquoi pas un petit jeu d’échecs, et un p’tit verre de vin, vas-y sors les olives et les chips, un autre jeu d’échecs, et oh! Le soir est arrivé.

Je dois avouer que récem-ment, ma performance scolaire brille bien moins que mes jeux

d’échecs, et que par conséquent je m’intéresse bien plus aux échecs qu’à mes études. Au lieu de Sciences Politiques, je re-garde ces deux armées de bois, patientes et féroces, une blanche et une noire, prêtes à se jeter au cou de l’autre. J’aime l’histoire du pion faible, qui grâce à son travail et son entourage, réussit à traverser le champ de bataille pour finir promu en reine.

La reine, la pièce la plus forte, était autrefois un simple ministre qui pouvait bouger peu, et fusse la popularité des reines durant le milieu du der-

nier millénaire, ou l’idée roman-tique qu’«un Roi n’est rien sans Reine», on créa la reine forte (ou «schacchi alla rabiosa» surnommée «la femme folle»).

C’est cette histoire qui m’a donné l’idée de faire mes devoirs avec ma douce. Le roi devient vite faible si sa reine n’est plus là. Heureusement que nous sommes tous deux étudiants en sciences politiques! Si j’étais étu-diant en mathématiques, j’aurais simplement joué une partie d’échecs, et vous pouvez être sûrs que j’aurais eu un échec en maths. x

Echec et mathsSimon Albert-Lebrun | Jeux de maux

CHRONIQUE

Page 11: Le Délit

11Arts & Culturex le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

Arts&[email protected]

Quelle chose étrange que la musique contemporaine. Je ne vous parle pas du der-

nier album de Muse ou de la mons-truosité Gangnam Style, mais de la musique savante de notre époque. Fini les Bach, Mozart, Beethoven, Chopin, Debussy; place à Thierry Pécou, Arnaud Petit, Philippe Leroux, et Philippe Hurel. Pour son premier concert de l’année, l’En-semble de musique contemporaine de McGill a présenté des œuvres de ces quatre compositeurs français, connus dans le champ musical, méconnus du grand public.

Le travail des compositeurs d’aujourd’hui se rapproche, en un sens, du travail de Stéphane Mallarmé en poésie; une sorte de retour aux sources mêmes des instruments, du son. La musique s’écrit ici pour elle-même, les notes sont décomposées, ce qui donne des morceaux amélodiques, princi-pale critique adressée à la musique contemporaine. Mais, au contraire de Mallarmé qui est soi-disant illi-sible, on peut découvrir ces œuvres, puisque l’écoute est une expérience réceptive.

On s’assied, donc, dans un siège confortable de la salle Pollack, imitant la petite centaine de personnes présentent ce soir-là. Ça (au sens que lui donne Tristan Corbière) commence, et dès les premières notes du Temps jusqu’au bout de la fibre de Thierry Pécou, on redécouvre le caractère sensi-blement évanescent de la note de musique, du son, qui n’est, in fine, qu’une onde. Les vibrations nous atteignent, mais les notes, elles, se perdent. Éphémères, les morceaux sont oubliés aussitôt la dernière note effacée. Que peut-on rete-nir alors d’une telle expérience? Question intérieure posée alors

que le chef d’orchestre Marandola salue ses musiciens.

Tour de passe-passe: musi-ciens et ingénieurs, et ce après cha-que pièce, s’affairent pour modifier la disposition des instruments; on pousse le piano, on rapproche cer-taines chaises, en éloigne d’autres, bref, on déplace l’origine du son. La base de chaque genre musi-cal, de la musique même, le son, pour nos compositeurs, est l’élé-ment primordial de leur univers sans mélodie. Il circule autour de la salle, nous enveloppe, avant de disparaître en coulisse ou vers la rue Sherbrooke. Ces œuvres sont faites pour être écoutées en direct, pas à travers les écouteurs de notre iPod; assister à une performance comme celle-ci, c’est retrouver le sens de l’expérience musicale, la communion des sens.

Sans s’assimiler au Gesamtkunstwerk (l’œuvre d’art totale) wagnérien, la performance de certaines pièces surprend par sa pluralité. Dans Le Ciel d’Arnaud Petit, outre la soprano, les musi-ciens parlent, poussent quelques cris indéterminés pour accompa-gner la magnifique Vanessa Oude-Reimerink. Il y a donc démulti-plication des possibilités sonores, puisque les musiciens ne se limi-tent pas à la simple construction matérielle qu’est l’instrument; chanteurs, les membres de l’en-semble exploitent aussi au maxi-mum leur instrument respectif, nous offrant des sons inédits. Le violoncelliste fait crisser ses cor-des sur un glissando enivrant, la contrebassiste pince les siennes jusqu’à les arracher, alors que le pianiste, tranquillement, tapote sur le bord du Steinway. Tout cela est inscrit sur la partition, voulu par le compositeur. Le sens de com-munion évoqué plus haut prend forme: tout s’éclaire, dans ce qui pourrait s’apparenter à du non-sens musical. Cacophonique, ce dialogue entre instruments est en fait savamment étudié. La pièce de musique est comme un pantin, attachée à chaque instrument par une corde. Ce pantin se fait tirer de tous les côtés, gesticule au hasard des notes, des bruits, des sons.

Menaçant de se faire écarteler par l’atrocité première des œuvres pro-grammées, il révèle à travers cette danse collective une émotion inef-fable.

C’est tout le paradoxe de la musique contemporaine, profon-dément savante et érudite malgré l’impression chaotique qu’elle dé-gage pour le non-initié. Comment l’écouter alors?

J’ai ma réponse: passivement. Au contraire des chefs-d’œuvre consacrés de la musique savante occidentale (le Lac des Cygnes de Tchaïkovski, la Cinquième Symphonie de Beethoven, Clair de Lune de Debussy, j’en passe, et des meilleurs) dont on connaît les thèmes a priori, la musique contemporaine s’écoute librement, aucune note n’est anticipée, chaque mesure conserve son élément de surprise.

La musique contemporaine n’est pas aride, abjecte, bien que boudée par le plus grand nombre. Elle n’est pas n’importe quoi, mais plutôt je ne sais quoi, quelque chose qui échappe aux grilles d’analyses actuelles. Mais ce n’est pas un phénomène nouveau que de bouder les formes contemporaines d’art, c’est même récurrent. On n’a pas assez de recul aujourd’hui pour révéler les chefs-d’œuvre de demain. Passéiste, on se tourne vers les œuvres déjà consacrées, établies, sans questionner leur légitimité.

Proust, à la publication du premier tome de La Recherche, a été majoritairement critiqué par les défaitistes de son époque. Peu se doutaient qu’il allait se révéler être, au fil du temps, le plus grand auteur du XXe siècle. Il en est de même pour nos quatre compositeurs, critiqués, délaissés par les masses. Et c’est peut-être là le propre des œuvres de génie. x

Chefs-d’œuvre de demainRéflexions d’un littéraire sur la musique contemporaine

MUSIQUE

crédit photo: Lindsay P. Cameron

Baptiste Rinner

Illustration: Lindsay P. Cameron

«La musique s’écrit ici pour elle-même, les notees sont décompo-sées.»

«La pièce de musique est comme un pantin, attachée à chaque ins-trument par une cor-de.»

Page 12: Le Délit

12 Arts & Culture x le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

Lack of sleepLe Délit a suivi le lancement de wøøds, le premier album du groupe Lackofsleep.

MUSIQUE

«Paperwolf» dévoile d’emblée la tangente rock indé de Lackofsleep. La chanson débute

le premier album du groupe: Wøøds. Ses arrangements et son énergie contagieuse attirent autant l’oreille du mélomane que celle de l’amateur et ne sont pas sans rap-peler la vigueur d’Arcade Fire. La ressem-blance n’est pas si surprenante d’ailleurs, puisque Ryan Morey a travaillé à la post-production de ces deux projets québécois.

Vient ensuite «mother/son/ghost», la plus vieille création du quintet. Bien que

travail et sueur soient perceptibles dans la construction de la pièce, l’auditeur ne s’y attache pas trop pour une raison inconnue. Le tempo est intéressant, les arrangements musicaux aussi, mais il y a quelque chose qui cloche.

Puis, avec «youth anthem» et «bullet», l’envie de bouger revient. Décidément ac-crocheurs, les morceaux retrouvent l’esprit et la justesse de leur alliage rock et alter-natif. «We never felt home and safe» et la voix rauque du chanteur résonne dans la tête après quelques écoutes seulement. x

L’axe rock indé L’axe vaporeux

Malheureusement, la suite se com-plique. «polar switch», «morning dress», «goodnight gunfight», «at

mt nibiru» réalisent un changement de ton peu bénéfique. D’un autre côté, ces pièces permettent au groupe d’exploiter son large registre. En réalité, c’est l’intention qu’on décèle. Le passage à l’alternatif, bien en vue ces temps-ci avec les Karkwa, Watson et com-pagnie, aurait pour but d’exposer les talents divers des musiciens. Cependant, les balades nostalgiques pourraient faire basculer le groupe dans des eaux que celui-ci pourrait

très bien laisser à d’autres. Les douces mé-lodies de clavier n’apportent rien au projet Lackofsleep.

Bref, Lackofsleep offre un album cohé-rent, certes, dont le tempo descend de chan-son en chanson, mais il aurait été nettement plus avantageux pour le groupe de s’en tenir à des rythmes britpop enflammés. x

Jonathan BrosseauLe Délit

Lackofsleepwøøds(indépendant)En magasin depuis le 23 octobre

Crédit photo: Casa Studio Photographie

Page 13: Le Délit

13Arts & Culturex le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

Les membres du groupe placent leur équipement sur les planches alors

que je fais mon entrée au Divan Orange. Je discute avec la jolie at-tachée de presse. Elle me dit que les gars sont un peu en retard et que je devrai faire l’entrevue pen-dant qu’ils peaufinent leur instal-lation. Pas de problème. J’attrape une bière au passage et vais dis-cuter avec le chanteur, Charles L., et le batteur, Didier B.

Tout commence pour eux en 2010. Par le hasard des choses, cinq musiciens bourrés de talent se retrouvent à partager des mo-ments de dérapage musical. Par hasard, certes, mais Sherbrooke a quelque chose à voir avec cette rencontre prolifique. Car, bien que tous les membres du groupe ne soient pas originaires de la ville, ils partagent collectivement un amour pour cette dernière,

ainsi que pour sa scène musi-cale. À leurs débuts, leur brio et leurs efforts font du groupe un incontournable de La Reine des Cantons de l’Est, où ils se pro-duisent régulièrement. Ils per-forment au bar Le Tapageur, au Théâtre Granada et au Téléphone Rouge. Le résultat: un noyau dur de fans, dont l’amour pour le band est sans bornes.

Bref, ça clique entre les mem-bres du groupe, mais, encore plus important, avec le public. Les idées que Charles avait en tête germent et un projet de plus en plus sérieux prend forme. En 2011, ils savent qu’ils tiennent dans leurs mains quelque chose de prometteur. Sans prendre de décision ou délibérer sur le sujet, ils décident de persévérer dans cette aventure et de jouer, et de jouer encore, puisque c’est ce pour quoi ils vivent désormais.

La consécration favorisera une implication plus importante dans le collectif. En fait, Lackofsleep gagne le concours Sherbrooklyn 2011 et sa bourse de 10 000 dol-lars.. À partir de là, le groupe passe à une autre étape. Il n’est plus seulement un band de gara-ge, mais un espoir prometteur de la scène émergente montréalaise. Une attention médiatique notable se pose sur eux. Radio-Canada, Bande à part, Pop Montréal et patati et patata. Ils investissent la totalité de la somme gagnée dans leur camionnette de tournée et leur premier album: wøøds. La décision s’est prise facilement. Tous étaient d’accord pour «pa-rier sur l’avenir», le leur, celui de Lackofsleep.

Depuis, on les associe beau-coup à We Are Wolfe. Du moins, c’est ce que me disent certains membres du groupe, alors que

d’autres s’affairent plus loin. Puis, une réponse sort de nul part. Entre synthétiseur, clavier et piano, Charles-Emmanuel dit une niaiserie. Ils blaguent et c’est évident que leur dernier opus les fait sourire à belles dents. Tout leur travail se cristallise sous une ravissante couverture. Ils sont heureux d’avoir à partir de main-tenant une carte de visite à pré-senter aux label, aux producteurs et autres grands décideurs du showbiz québécois. Maintenant que cet objectif est accompli, ils espèrent faire la tournée du Québec pour montrer au monde ce dont ils sont capables et se faire connaître. En espérant que leur fourgonnette tiendra le coup et ne leur sucera pas tout leur argent en essence. Car cela pri-verait plusieurs de la chance de voir un band qui a de l’avenir. Et il s’appelle Lackofsleep. x

Le comparé et le compa-rant ne partagent peut-être pas un nombre si élevé de

caractéristiques dans cette ana-logie, n’empêche que le specta-cle de Lackofsleep aurait pu être de Patrick et Les Brutes dans son usage de l’espace scénique. Certes, dans ce groupe français aux allures provocantes, le chanteur est mis en lumière par le contraste créé avec les musiciens de son groupe; et c’était précisément le cas le 26 octobre pour le lancement de l’al-bum wøøds.

Charles L., fébrile, donnait toute sa verve sur scène. Replaçant la plupart du temps son chapeau, adressant des paroles peu assurées au public, il se démenait pour offrir un spectacle digne de ce nom aux parents, amis et fans récents du groupe. Le chanteur se nourrissait des encouragements de la foule, tapait des mains et surtout, chan-tait dans ce qui fait la particularité

du groupe: un mégaphone. En effet, par moments, il prenait l’objet, dé-coré d’une fleur, pour y énoncer les paroles de ses chansons. Le résultat, il faut l’avouer, est fort impression-nant et donne un fini particulier. Bref, une vraie bête de scène s’est présentée cette journée-là.

Cependant, Félix B., Andy B. et Charles-Emmanuel, ainsi que Didier B., ont tous donné une prestation peu sentie. En vérité, guitariste, claviériste et batteur se sont montrés en spectacle sans y participer de toute leur âme. Ils échangeaient de temps à autre des regards complices, mais aucun lien n’a été fait avec la foule. Cela dé-çoit, particulièrement car la force du groupe réside dans le dynamis-me de sa musique, la ténacité de son caractère. Ils semblaient être absorbés par leur instrument, vou-loir exécuter leur prestation avec une technique irréprochable, au détriment de l’attraction viscérale,

voire pulsionnelle, que pourrait créer leur musique.Un peu dans la même direction, il est décevant de constater que le groupe a tout sim-plement joué son album du début à la fin, sans arrangements musi-caux supplémentaires ni effets de style. C’est pourquoi, d’ailleurs, la foule s’est retrouvée un peu pan-toise après 30 minutes lorsque le spectacle s’est terminé. Alors que tous, musiciens et specta-teurs, commençaient à prendre du rythme et à se laisser emporter par les notes, la soirée semblait pren-dre fin à une heure précoce. Bien entendu, un rappel a été demandé. Et la foule, encore, s’est fait servir un amuse-gueule, pas mauvais du tout, mais beaucoup trop maigre pour la rassasier.

Aussi, la mise en scène et le jeu des lumières étaient limités. Il y avait tentative de faire un rappel au titre de l’album par une pein-ture de cerf au fond. Pour le reste,

seul une lampe et un tronc d’arbre décoraient le tout. Il aurait aussi été possible de dire «jonchaient», parce que la disposition aussi avait des airs douteux.

Cependant, et il faut le men-tionner, la troupe possède du talent. Tout au long du spectacle, il était évident que les membres avaient du plaisir à jouer leurs compositions et à voir leur bébé enfin sur les tablettes. Du groove, il y en a eu, mais trop peu, malheu-reusement. Toutefois, comme les aptitudes augmentent les atten-tes, l’auditeur en veut davantage. Un peu plus rock, un peu moins nerveux, un peu plus long aurait augmenté considérablement la qualité du produit. Ce genre de considération, au reste, sait distin-guer les hommes des garçons, les groupes en vogue et ceux qui ne lèveront jamais. Et il est important de les garder en tête. Surtout lors d’un lancement. x

Crédit photo: Casa Studio Photographie

Quand ça cliqueLe groupe présentait son album vendredi au Divan orange.

Page 14: Le Délit

14 Arts & Culture x le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

Woody Allen est l’un de ces réalisateurs mythi-ques dont la filmogra-

phie échappe à tous les superla-tifs. Récompensé par quelques-uns des plus prestigieux prix de l’industrie, auteur de bientôt cinquante films, acteur, réalisa-teur, humoriste et scénariste, il est l’une de ces légendes cinéma-tographiques qu’on a la chan-ce d’avoir encore parmi nous. Son dernier film, To Rome With Love, est sorti cet été et son succès en salle démontre combien, à 77 ans, le réalisa-teur séduit encore le public. Sa force est d’avoir réussi, tout au long de sa carrière, à démontrer sa capacité à pouvoir racon-ter n’importe quelle histoire: des comédies aux influences burlesques (Take the Money and Run), des histoires d’amour (The Purple Rose of Cairo), des drames intimistes (Interiors) et même de la science-fiction (Sleeper).

Le cinéma du Parc nous donne ainsi l’opportunité de nous immerger à nouveau dans l’univers du réalisateur. «C’est la première fois en Amérique du Nord, rappelle Raphaël Dostie, organisateur de la rétrospective, que l’intégrale des films de Woody Allen est montrée dans une salle de cinéma.» L’événement a commencé il y a déjà plus de deux semaines; «nous voulions montrer les films en ordre chronologique

pour que le spectateur observe l’évolution du style du réalisateur et comment il a su se réinventer au cours des décennies» rapporte l’organisateur dans une entrevue avec Le Délit. «Une telle rétrospective favorise une large audience; ses films sont si différents les uns des autres qu’ils peuvent toucher tout le monde». Ce type de rétrospective est en effet l’occasion de voir des films qui ne sont plus montrés dans les salles obscures.

Bien que la plupart des films soient projetés en format numérique, certaines copies en 35 mm ont été acquises spécialement pour l’occasion. L’accessibilité aux films est favorisée, dans le cadre de la rétrospective, par une programmation quotidienne: ils sont souvent montrés deux, voire même trois fois. Cela signifie qu’à presque n’importe quelle heure de l’après-midi ou de la soirée on peut décider d’aller se détendre devant l’un de ces films. Vous n’avez plus d’excuses pour ne pas y aller! «Comme nous l’avions escompté, la rétrospective est pour l’instant un succès», se félicite Raphaël Dostie. «Nous sommes contents de proposer aux spectateurs une alternative au Festival du Nouveau Cinéma qui a lieu au même moment à Montréal. Et de voir que Woody Allen plaît encore au public.»

Je peux vous l’assurer, voir un film dans les conditions ori-

ginales de projection n’a rien à voir. Des films que je connais-sais par cœur sont alors éclairés d’une nouvelle lumière; ils ap-paraissent plus profonds, plus denses. Les dilemmes intéri-eurs des trois sœurs de Hannah and her sisters, l’absurdité et les fous rires provoqués par Play it again Sam, le traitement déli-cat et ironique des intellec-tuels complexés de Manhattan. L’univers du réalisateur est certes varié, mais des simili-tudes demeurent. Derrière les blagues et les situations amu-santes se trouve une véritable réf lexion sur les intellectuels, New York et les grandes ques-tions de la vie. x

Regardez-vous encore sous votre lit? Chassez-vous les fantômes de votre garde-

robe ces temps-ci?Rien de mieux que de s’en-

foncer dans son fauteuil préféré, emmitouflé dans nos vieilles cou-vertures avec un bol de friandi-ses à sa portée. Avec les soirées automnales qui deviennent de plus en plus sombres, mornes et froides, c’est le climat idéal pour avoir peur; donc pourquoi ne pas visionner quelques films, histoire d’entretenir l’ambiance? Alors, pour cette période de l’année, je vous propose trois films juste assez monstrueux, pour se mettre dans l’esprit d’Halloween:

Haute Tension est un film français de 2003 mettant en vedette Cécile de France et réalisé par Alexandre Aja. On y retrouve Marie et Alexa en vacances dans la maison de campagne de l’une d’elles, lorsqu’un mystérieux individu (un psychopathe assez dérangé, merci) s’y présente, assassine la famille au grand complet et kidnappe Alexa. Marie se lance donc à la rescousse de son amie sans savoir que l’aventure s’annonce plus compliquée et sanguinaire que prévu. Présentant des moments de suspense hors du commun, Haute Tension est violent et sanglant à souhait avec des cris garantis et un dénouement surprenant.

Mon deuxième choix s’arrête sur Sleepy Hollow. Sûrement déjà un classique d’Halloween pour plusieurs, Sleepy Hollow: La Légende du Cavalier sans tête (1999) est un drame fantastique de Tim Burton et récipiendaire de l’Oscar de la meilleure direction artistique! En 1799, le rationnel et scientifique inspecteur new-yorkais Ichabod Crane (Johnny Depp) mène une enquête dans le village de Sleepy Hollow où un cavalier sans tête décime la population. Il réalise rapidement que l’apparition est bien réelle et que les meurtres qu’elle commet ne sont pas sans raison. L’histoire nous captive rapidement: c’est tout juste assez lugubre et rempli de frissons et de rebondissements.

Sur une note un peu plus satanique, le troisième film que je vous suggère est Amytiville: La Maison du diable (1979). Cette réalisation n’est peut-être pas la plus effrayante, ni la plus originale mais c’est certainement une des plus dérangeantes. L’histoire de cette maison possédée par des forces diaboliques est supposément inspirée de faits réels. On retrouve la famille Lutz qui emménage dans une maison dont le prix abordable les surprend: ce qu’ils ignorent c’est que la famille précédente fut entièrement assassinée par leur fils, possédé par le diable. Soyez sans crainte, on ne voit jamais le diable apparaître avec ses cornes et sa fourche, mais

sa présence affecte tous les membres de la famille d’une certaine façon, jusqu’à ce que l’existence dans cette maison devienne insupportable. Pour une soirée inquiétante et remplie d’émotions, c’est ce classique qu’il vous faut.

On ne compte plus les films d’horreurs insipides qui hantent nos cinémas et j’ai sélectionné ces trois idées pour votre cinéma maison, parce que je crois qu’ils font honneur au genre: du divertissement assuré, avec quelques cris en bonus. J’espère que ces films sauront vous divertir en plus de vous donner une bonne dose de chair de poule et quelques cauchemars. Joyeuse Halloween! x

Pop corn et terreurPetit tour des films à voir ou à revoir pour l’Halloween

CINÉMA

Louis Soulard

Woody Allen au cinéma du ParcL’occasion de (re)découvrir les œuvres du cinéaste sur grand écran au cinéma du Parc!

CINÉMA

Rétrospective Woody Allen

Où: Cinéma du ParcQuand: jusqu’au 22 novembreCombien: 8,50 $ par séance

Gracieuseté de MGM et The Weinstein Company

Audrey Champagne

Illustration: Lindsay P. Cameron

Page 15: Le Délit

15Arts & Culturex le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

Il est des jours où l’on se sent le cœur disponible et léger, l’esprit ouvert, l’œil aux aguets. La tombée des feuilles sur les escaliers, le soleil couchant sur l’arrivée de l’hiver, la buée sur les fenêtres, un rien rend heureux et encourage à changer de pers-pective, à aller voir ailleurs si on n’y est pas. Flânant dans cette humeur pendant une semaine un peu morne côté lectures, je me suis plongée dans des distractions plus légères que d’habitude, pour le plaisir de lire quelque chose de différent, et — qui sait? — de pas-ser un bon moment. Voici un petit carnet de lecture de trois albums parus chez Dupuis.

Les Psy – Une compil qui a du chienOn est nombreux à avoir

côtoyé le docteur Médart sur les

bancs d’école, mais tout aussi nombreux à ne pas avoir sui-vi ses déboires alors que l’âge nous menait vers d’autres lec-tures plus «sérieuses». Malgré tout, ce psy somme toute drôle et sympathique est resté quel-que part dans notre imaginaire qui a grandi, mais pas vieilli. Ainsi, la tentation de se plon-ger, ne serait-ce qu’en souvenir du bon vieux temps, dans Les Psy – Une compil qui a du chien, est grande. Dessiné par Bédu et scénarisé par Cauvin, cet album de trente-deux pages en couleur met en scène le célèbre docteur face à des patients… canins. Rapidement, on se rend compte que ce ne sont pas tant les chiens qui sont complètement fous! Les gags fonctionnent plutôt bien, le docteur n’a rien perdu de son humour et ses patients sont tou-jours aussi déjantés. C’est agréa-ble, drôle, réussi.

Chers voisinsDéssiné par Bercovici et scé-

narisé par Dal, Chers voisins ex-plore les relations entre les voi-sins, depuis les débuts de l’huma-nité jusqu’à aujourd’hui, sous la forme d’une série de gags… qui ne prennent pas. Quelques bul-les font sourire, quelques idées sont bonnes, mais le résultat est très mitigé. Les gags donnent

quasiment toujours dans la faci-lité et les chutes ne surprennent pas, ne séduisent en rien. On rit peu, voire pas du tout. Pour un peu, on se dirait même qu’on a davantage de bonnes histoires de voisinage à raconter qu’il n’y en a dans cet album d’un intérêt très moyen.

Mélusine – EnvoûtementLa jolie Mélusine en a ras

le pompon d’attendre le prince charmant; elle veut être aimée, et elle veut être aimée maintenant. La demoiselle blâme le monde sinistre dans lequel elle vit où les preux chevaliers n’osent pas traî-ner leurs épées. Elle décide donc de prendre les choses en main et se jette un envoûtement pour se rendre irrésistible… Le problème? Ça marche. Tout le monde tombe amoureux de la pauvre sorcière qui se rend vite compte qu’être adulée par tout le monde, c’est l’enfer. Le scénario n’est pas bien compliqué, mais le gag de départ fonctionne et tient en haleine pendant plusieurs pages, toujours charmantes et drô-les. C’est sympathique, même si les derniers gags, qui n’ont plus rien à voir avec l’idée de départ, sont un peu moins réussis. Clarke (dessin) et Gilson (scénario) offrent malgré tout avec ce Mélusine – Envoûtement un vingtième album d’une série qui ne semble pas s’essouffler. x

En quête de rires

Annick Lavogiez | Déambullations

CHRONIQUE

Gracieuseté des éditions Dupuis

Du psy, des voisins ou de la jolie sorcière, qui saura divertir le public en quête de rires légers que nous sommes?

APOCALYPSE: NOW!L’inévitable apocalypse. Que faire? Dessiner!

EXPO

Les caricatures transcendent la limite entre l’art, l’hu-mour et la critique; surtout

vis-à-vis de notre humanité auto-accablante et damnée. Jusqu’au 26 janvier, le musée McCord tient une exposition sur le sujet, «La fin du monde… En caricatures!». L’expo rassemble seize caricaturistes qué-bécois, qui ont couvert près de 150 ans d’actualité d’accablement et de damnation, que ce soit affligeant ou auto-infligé.

Plusieurs illustrations datent de la fin du 19e et début 20e siè-cles. Ces illustrations élaborent allégoriquement les maux tels que le choléra, la variole et la peste. La Commission de Santé était peu compétente à cette époque; il fal-lait que des illustrateurs tels Henri Julien, J.H. Walker et A.G. Racey exposent cette réalité dans les quo-tidiens.

Les fléaux étant des éléments du passé, les caricatures du 20e siè-cle se concentrent sur les conflits et les guerres. Une des images dé-

crit Hitler faisant un de ses grands discours face à des rangées de pier-res tombales, ou dansant le ballet avec la Mort. Sur d’autres repré-sentations, la Terre se transforme en crâne pendant qu’une file de tanks se forme en serpent avec, à l’avant, la tête du Führer. Une série tout à fait partiale sur la guerre froide s’ensuit: les États-Unis sont menacés et c’est l’URSS qui en est la menace.

Enfin, les fins du monde auto-prescrites se terminent sur plusieurs images très marquantes des années 1990 et 2000, comme les génocides dans l’ex-Yougoslavie des kosovars et bosniens, ou ceux du Rwanda. Les images sont bien évidemment très réconfortantes et optimistes. Un exemple: l’ONU se baigne dans le sang bosnien. D’un point de vue artistique, le travail du conservateur rend l’exposition un peu étouffante. On a l’impression d’être enfermé parmi ces images qui annoncent chacune une apocalypse plus ou moins drôle ou tragique. Il existe quand même un ordre parmi le désordre.

On commence par notre fin la plus proche: la fin du calendrier maya, le 21 décembre 2012. Un astrophysicien dans une vidéo stratégiquement centrée nous assure que la fin ne viendra pas ce jour-là. Merci M. l’Astrophysicien! Puis s’ensuivent des fins qui n’en sont pas; il semble qu’on prêche l’insouciance. Comment est-ce possible, avec la tragédie des déboires de l’équipe de hockey, ou bien l’hiver, le gel et la dépression qui en résulte?

Une légende nous annonce  : «Les fins du monde posent des dé-fis aux caricaturistes […] Elles sont des occasions de montrer la qua-lité esthétique et la force dramati-que du dessin éditorial, et de révé-ler que si la caricature est d’abord un art du quotidien, elle n’est pas moins un art de l’universel». Il y a une tendance dans la caricature à se détacher du sujet représenté.

C’est ce détachement qui permet au caricaturiste de se posi-tionner vis-à-vis de son sujet et de le critiquer d’un extrême ou d’un autre. Il faut se détacher de

sa propre humanité en s’éliminant en tant que responsable potentiel pour pouvoir faire une critique du trait le plus humain: la peur de la finitude.

C’est en cela que cet art devient universel, à travers la subjectivité d’un regard, celui de l’artiste qui critique, qui commente. x

Veronica Aronov

Gracieuseté de FPJG

Page 16: Le Délit

16 Arts & Culture x le délit · le mardi 30 octobre 2012 · delitfrancais.com

Si vous visitez le site Internet du cinéaste belge Patrick Jean, vous verrez

l’image d’une jeune femme au Viêt Nam, qui vend des ballons dans la rue. Elle a l’air ennuyée, même un peu triste et vulnérable. Il semble que le documen-tariste ait tendance à trouver et filmer la tristesse dans le mon-de, où qu’elle soit. On pour-rait dire que c’est sa mission. Il représente les grands thèmes de notre société, comme la pau-vreté dans les films Les enfants du Borinage et La raison du plus fort et le grand backlash du mouve-ment féministe au Québec dans le film La Domination masculine. Qu’il le fasse avec un œil cri-tique sans perdre son mérite artis-tique fait de Patric Jean un artiste autant qu’un intellectuel. En fait, c’est son regard créatif qui donne la clairvoyance à un problème aussi difficile à définir que l’oppression des femmes.

Il voulait faire La Domination masculine au Québec, com-me il le dit dans le film, par-ce que le Québec est plus

avancé dans la cause fémi-niste que les pays européens. Cependant, la montée du mou-vement contre le féminisme a com-mencé paradoxalement à partir du massacre de Polytechnique de 1989, parmi certains hommes qui se sentaient menacés par le pouvoir que les femmes gagnaient alors. Aujourd’hui, le féminisme sem-ble avoir régressé, pas seulement au Québec, mais partout dans le monde. Jean nous montre que le recul du féminisme dans un pays plus progressif suggère des implica-tions pour les pays qui sont moins avancés. La hiérarchie des sexes imprègne la société, dans toutes ses expressions. Dès l’enfance, les rôles des sexes sont naturalisés dans le subconscient: dans les livres pour enfants qui représentent la mère dans la cuisine et le père dans sa chaise avec le journal, même les jouets emprisonnent les jeunes filles dans la maison.

Le film commence avec Jean faisant un collage d’images de bâtiments dessinant un phallus. Ce n’est pas une blague; c’est un symbole du pouvoir mascu-lin qui prévaut dans l’incons-cient collectif depuis longtemps.

Perspective intéressante quant au féminisme que de commen-cer le film avec l’image du pou-voir masculin. De même, le titre suggère que le féminisme n’est pas tant un problème de femme qu’un problème d’homme.

La séquence de la jeune femme vietnamienne se termi-ne quand elle voit un homme qui l’approche, et tout de suite elle baisse les yeux. La portée de l’image n’est pas évidente, car elle représente non seule-ment toutes les femmes, mais l’effet d’une société patriarcale sur le subconscient de tous. C’est l’espoir du cinéaste, en vue de La Domination mascu-line, qu’un jour cette femme ne baisse pas les yeux; peut-être un jour ne vendra-t-elle pas de bal-lons dans la rue.

Patrick Jean gagne mon coup de cœur pour reconnaître et faire savoir que ce n’est pas sa faute: que le pouvoir mas-culin n’est pas un problème de femme, mais un problème so-cial d’une grande étendue que les hommes doivent également essayer de résoudre. Mais on y est à peine. x

Alexandra Appino-Tabone

Artiste, féministe, humanisteUn documentaire sur les hommes vis-à-vis de la condition féminine

COUP DE CŒUR

Gracieuseté de Patrick Jean

Gracieuseté de Patrick Jean

T’aimes les frites? Deviens chroniqueur Art & [email protected]