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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill Mardi 5 avril 2016 | Volume 105 Numéro 18 T’as pas niqué ma Claire depuis 1977

Le Délit du 5 avril 2016

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Page 1: Le Délit du 5 avril 2016

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 5 avril 2016 | Volume 105 Numéro 18 T’as pas niqué ma Claire depuis 1977

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É[email protected]

Le seul journal francophone de l’Université McGill

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en men-tionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessai-rement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

Volume 105 Numéro 18

2éditorial le délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

rédaction3480 rue McTavish, bureau B•24

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6784

Télécopieur : +1 514 398-8318rédactrice en chef

[email protected] Julia Denis <3

actualité[email protected]é MourIkram MecheriHannah Raffin

[email protected]éline FabreVassili Tszil

Société[email protected] Perrin Tabarly

néo-libéralisme [email protected] Sami Meffre, dit Le RequinProtecteur du royaume

[email protected] Baptiste Rinnercoordonnateurs visuel

[email protected] EngérantVittorio Pessin

coordonnatrices de la [email protected] Boju

Pierrot le Foucrieur public

[email protected] Inès L. DuboisMultimédias [email protected] Matilda Nottageévénements [email protected] Le MajorWebmestre

[email protected] Ménard

contributeursRonny Al-Nosir, Emma Amar, Lara Benattar, Camille Biscay, Charlie, Hortense Chauvin, Mitch Clarke, Madeleine Courbariaux, Cédric Demers, Philomène Dévé, Prune Engérant, Claire Gignoux, Sandra Klemet N’Guessan, Cameron Knox, Alexandre Le Coz, David Leroux, Magdalena Morales, Didier Normand, Charles Gauthier-Ouelette, Arno Pedram, Alioth Smith, Cristina Tanasescu, Jules Tomi, Théophile VareillecouvertureMahaut Engérant et Vittorio Pessin

bureau Publicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6790

Télécopieur : +1 514 [email protected]

Publicité et direction générale Boris Shedov

représentante en ventesLetty Matteo

Photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux,Geneviève Robert

Gueule de bois mcgilloise

Vous l’avez déjà faite cette soirée chez vous avec trois ami-e-s et quatre bouteilles de vin? Oui. Vous discutiez de vos révi-sions du jour, contiez vos histoires personnelles, et finissiez

par discuter de sexe? Oui. La petite assemblée se plaignait du travail scolaire et du rythme éreintant de McGill? Oui.

Une avouait être accro aux somnifères, l’autre admettait uti-liser de plus en plus d’Adderall (médicament pour les troubles de l’attention TDAH, aussi utilisé comme dopant par les étudiants, ndlr) et le dernier disait combattre le stress universitaire à bouf-fées de weed. Oui?

Le problème de la santé mentale et des comportements dange-reux qui en résultent sont de plus en plus alarmants à l’Université.

Au cours des dernières élections et du référendum de l’AÉUM, la question semblait être devenue un classique. Le 23 février der-nier, la nouvelle doyenne des Arts, professeure Maioni, abordait la santé mentale dans une entrevue avec Le Délit.

En novembre 2015, nous publiions une infographie réalisée après une enquête auprès des étudiants de McGill: 94,5% des étu-diants interrogés s’était déjà senti débordé par la vie étudiante; un quart des participants s’était senti trop déprimé pour travailler au cours de la dernière année; 24% avait été diagnostiqué par un professionnel de la santé mentale... En comparaison, 10 à 20% de la jeunesse canadienne souffre de problèmes de santé mentale.

Un des éditoriaux les plus populaires de l’année, «Despereunt Aucta Labore», publié en octobre, appelait l’Université à réagir: «Respecter nos capacités physiques et psychologiques ne fera pas de nous des fainéants indignes de nos sweats McGill. Cela nous permettra juste de rester en bonne santé, de mieux nous engager dans chacun de nos cours et de savoir apprécier notre éducation jusqu’à la graduation.»

En 2014, la santé mentale faisait la couverture du Délit.En 2013, l’article «Sans Limite» écrit par Côme de

Grandmaison à propos de l’utilisation de médicaments «dopants» comme l’Adderrall, titrait: «Certains étudiants n’hésitent pas à sacrifier leur santé pour obtenir de meilleures notes.» Cet article est encore l’un des plus lus sur la plateforme web du Délit.

En 2012, Fanny Devaux écrivait déjà un article sur «La dé-pression étudiante: Quand les «meilleures années de la vie» ne le sont pas du tout.» En 2016, il aurait été tout aussi pertinent.

«La santé mentale est un problème tel-lement récurrent à McGill qu’il est entré dans la norme, l’habitude, l’acceptation,

la fatigue. Fatigue.»

Cette semaine The Daily publiait un article d’opinion sur les effets destructeurs de la culture du «sur-travail» (You are not disposable, and neither are your colleagues par Niyousha Bastani, ndlr) et Le Tribune s’affligeait du culte maladif de la productivité (On why the cult of productivity is not productive par Albert Park, ndlr).

La santé mentale est un problème tellement récurrent à McGill qu’il est entré dans la norme, l’habitude, l’acceptation, la fatigue. Fatigue.

Je tenais à profiter de mon ultime tribune en tant que rédac-trice en chef du Délit pour soulever encore une fois la question.

À quelques jours du début des examens finaux et après une année ressemblant bien plus à un 42km qu’à un beach day eve-ryday, beaucoup se demandent ce qui est au plus bas: notre moral, notre GPA ou la ligne de nos cernes?

Des solutions sont offertes par l’administration et les asso-ciations étudiantes, mais leur développement n’est pas adapté à l’amplitude de la crise étudiante.

On aimerait glisser à McGill le dicton usé du «Mieux vaut pré-venir que guérir». Plutôt que d’attendre que les étudiants adoptent un style de vie épuisant, délaissent leur santé physique et mentale face à la succession de devoirs, plongent dans des dépressions ou développent des comportements addictifs pour survivre à court terme… Ne faudrait-il pas changer cette culture de compétition, de productivité et de stress qui règne chez nous? L’excellence, l’ambi-tion et le travail font certes l’orgueil de McGill. Le mien aussi. Le vôtre sûrement. Cependant, comme me l’a fait remarquer cette amie qui tente de finir son baccalauréat à coup de doses d’Adder-rall et de journées à la bibliothèque: «Ne sommes-nous pas plutôt réduits à une boulimie intellectuelle de l’urgence qui rabaisse nos aspirations, notre estime personnelle et notre envie d’apprendre ou d’entreprendre?». Contre-productivité? x

julia Denis Le Délit

Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction.

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Actualité[email protected]

3actualitésle délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Chaque vie compteLa MASS co-organisait une cérémonie à la mémoire des victimes des attentats.

campus

Le dimanche 27 mars der-nier, une centaine d’étu-diants se sont rassemblés

près du portail Roddick de McGill pour honorer la mémoire des centaines de victimes ayant récemment péri dans des atten-tats terroristes en Turquie, en Côte d’Ivoire, au Mali et en Belgique.

La McGill African Student Society (MASS), (l’Associa-tion des étudiants africains de McGill, ndlr) co-organisait cet événement, nommé «Même pas peur», en collaboration avec des associations étudiantes de Concordia, de l’UdeM et de l’UQAM. Anne-Sophie Tzeuton, vice-présidente de MASS et l’une des organisatrices de l’évé-nement, a expliqué au Délit que son association avait d’abord

pris l’initiative d’organiser une cérémonie de commémoration pour les victimes des attaques du 13 mars à Grand-Bassam en Côte d’Ivoire. Puis, après la tragédie du 22 mars dernier à Bruxelles, les organisateurs ont pris la décision «d’étendre le cercle

d’amour à toutes les victimes d’attentats».

Le programme chargé de l’événement comptait, entre autres, une allocution au mes-sage rassembleur par un imam et un pasteur de Montréal, des discours d’étudiants, une minute

de silence, et des chants par une chorale. Alors que l’événement Facebook annonçait plus de 200 participants et quelques 350 personnes intéressées, cet appel à la paix s’est fait dans une cer-taine intimité, avec près d’une centaine de participants. Le choix d’un dimanche de Pâques – certes porteur de sens – et de l’espace plus «fermé» du cam-pus de McGill expliquerait cette moindre mobilisation selon les organisateurs.

Ces derniers se disent tout de même très contents et particuliè-rement satisfaits du déroulement de la cérémonie. En outre, ce rassemblement, essentiellement étudiant, a reçu une couverture de la part de plusieurs médias mon-tréalais. Anne-Sophie Tzeuton a conclu lors de son entretien avec Le Délit: «On voulait vrai-ment faire une ode à l’amour et une célébration de l’humanité.

Nous sommes tous humains, chaque vie compte, malgré les différences culturelles et les écarts de couverture médiatique. On devrait avoir un même élan d’amour et se sentir tous enga-gés, qu’importe l’identité des victimes des attentats». x

Julia DenisLe Délit

Une pétition pour sauver la bibliothèque de l’Institut Polonais McGill met abruptement fin à sa collaboration avec l’Institut.

Jeudi dernier, le 31 mars, l’association des étudiants polonais à McGill (McGill

Polish Students’ Association, ndlr) a organisé une journée décou-verte de l’Institut Polonais des Arts et Sciences au Canada (Polish Institute of Arts and Sciences in Canada, PIASC, ndlr) dans le hall d’entrée du bâtiment Leacock. En janvier, l’administration McGill a décidé d’abruptement mettre un terme à sa collaboration avec le PIASC, jugeant insalubre le bâti-ment qu’elle avait prêté à l’institut plus de 70 ans auparavant. Cette journée avait pour but de récolter assez de signatures et de support de la part de la communauté McGilloise afin de pousser l’admi-nistration McGill à révoquer sa décision de janvier.

Dès la création de l’Institut en 1943, McGill avait proposé d’accueillir le siège du PIASC sur son campus. Cet Institut avait originellement été créé par le biais d’une collaboration entre des

universitaires canadiens et des universitaires polonais cherchant refuge en Amérique du Nord lors de la Seconde Guerre mondiale. Parmi eux, on compte notamment le pro-fesseur Wilder Penfield, qui don-nera par la suite son nom à la rue qui traverse le campus mcgillois, ainsi que de nombreux autres pro-fesseurs de l’Université McGill. Cet Institut comporte aujourd’hui la plus grande bibliothèque polo-naise en Amérique de Nord. Cette dernière, située sur le campus, offre aux étudiants un accès gratuit et illimité à sa collection de pas moins de 50 000 médias. La richesse de cette bibliothèque a été louée de nombreuses reprises par la Pologne et pas moins de 10 000 de ses livres font maintenant partie intégrante de la bibliothèque de McGill.

Au total, c’est plus de 550 signatures qui ont été récoltées au fil de la journée, mais le combat ne s’arrête pas là. En effet, l’asso-ciation des étudiants polonais à McGill encourage les membres de la communauté mcgilloise à venir signer la pétition au siège de l’Insti-tut situé au 3479 rue Peel. x

vittorio pessinSami MeffreLe Délit

vittorio pessin

vittorio pessin

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4 actualités le délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Campus

Chloé Mour & Matilda Nottage

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5actualitésle délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Le sport bafouéEntre l’Euro 2016 et les J.O., seul le sportif de canapés en sort gagnant.

Cet été se profilent deux grands raouts internationaux du sport et du spectacle: le

championnat d’Europe de football, l’Euro 2016, en France, et les Jeux Olympiques d’été à Rio de Janeiro. Les amateurs de gavage télévisuel s’en donneront à cœur joie, du 10 juin au 10 juillet pour l’Euro 2016, et du 5 au 21 août pour les Jeux Olympiques. Toutefois, l’avènement du sport-spectacle et de ses dieux du stade ne saurait cacher l’univers sportif gravement inégalitaire et tra-versé des saillantes questions éthi-ques et sociales qu’il entretient, alors que des centaines de millions de spectateurs suivront leurs exploits devant leurs petits écrans.

En 2010, selon une enquête de la firme Ekos pour «Sport Canada», le revenu annuel moyen d’un athlète canadien est de 38 000 dollars par an. Pour ceux d’entre eux qui prati-quent des disciplines considérées comme «mineures» (arts martiaux, lancers et sauts athlétiques, voile, etc.), ces évènements mondiaux et surmédiatisés constituent leur unique quart-d’heure de célébrité

quadriennal . Une récompense après quatre ans de dur labeur, souvent à jongler entre activité professionnel-le et activité sportive. Et encore, la situation de ceux non-sélectionnés pour les Jeux Olympiques est bien plus précaire.

La patrie reconnaissante

Alors que certaines stars mul-timillionnaires du basketball amé-ricain (NBA) ne daignent pas repré-senter leur nation en compétition, plusieurs interrogations se posent. La patrie est-elle redevable envers ces sportifs de haut niveau, dont un comportement exemplaire est attendu, et dont la gloire personnelle déteint fortement sur leur pays? Si oui, ne faudrait-il pas plus se soucier d’eux? Car il y a un abîme entre le quotidien de la grande majorité des sportifs de haut niveau — l’échelon en-dessous de sportif professionnel, non reconnu par la loi française — et celui du sportif qui fait occasion-nellement la une de votre quotidien. Ce sont des soucis qui concernent tous les sports: même si l’on ne verra probablement aucun footballeur précaire sur les terrains de l’Euro 2016, nombreux sont les joueurs

semi-professionnels ou amateurs qui se vouent à leur passion sans en tirer de quoi vivre.

La patrie reconnaissante à ses sportifs, mais aussi à la pyramide les soutenant et ayant favorisé leur éclosion, et explosion au plus haut niveau. Certaines nations verront dans le sport un moyen idéal de projeter leur puissance et d’asserter leur supériorité, et le financeront à ces vues tel que la Russie et la Chine. Contrairement à la culture, le sport est un soft power (une forme de pouvoir indirect, ndlr) qui témoigne d’une domination physique et tacti-que à l’image de l’homo sovieticus en temps de guerre froide.

Le sport: catalyseur de tension sociale ?

Les projecteurs qu’attirent ces manifestations sportives gar-gantuesques peuvent parfois être détournés par d’autres, sociales celles-ci. Le Brésil, déjà, en avait fait l’expérience, lors de «sa» Coupe du monde de football, en 2014, lors-que des millions de manifestants étaient descendus dans la rue pour protester contre un gouvernement qui, dans un contexte économique

difficile, arrosait généreusement plusieurs projets de construction de stade. Plus récemment, la mort de plusieurs milliers — aucun chiffre officiel n’a été divulgué de la part des autorités — de travailleurs immi-grés, réduit en «esclavage» — selon les dires de la presse interna-tionale — sur les chantiers de la coupe du monde de football 2022 au Qatar a suscité des manifestations à travers le monde.

Voilà donc des évène-ments de joie et de commu-nion nationale pollués par de nombreux scandales : corrup-tion au sein de la Fédération Internationale de

Football Association , une utilisa-tion politique du sport, une sta-rification et de l’argent, d’origine souvent trouble, coulant à flot. Sans oublier les sujets dont la presse ne parle que peu, car sans doute moins

croustillants, tels que la précarité dans laquelle se trouve la majorité des sportifs de haut niveau. Pour certains, cela gâchera la fête, alors que ces compéti-

tions sportives peuvent distraire d’une triste

actualité et rassembler une nation divisée. x

Charlie

téophile vareilleLe Délit

Charest à McGill et la schizophrénie politique québécoise David Leroux | Espaces Politiques

chronique

C’est avec stupeur que j’ai appris, dans les derniers jours, que l’ancien premier

ministre du Québec Jean Charest était invité à l’Université McGill afin de participer à une table ron-de. L’objectif étant de discuter des moyens à employer pour rebâtir la confiance des citoyens envers leurs institutions politiques, nous croyons presque à une mauvaise blague tant l’ironie de la nouvelle est grande. Par quelle contorsion mentale ahurissante les gens s’intéressant sérieusement à l’uni-vers politique québécois ont-ils cru pertinent d’inviter cet ancien premier ministre pour prendre part à une réflexion sur le lien de confiance entre les citoyens et le

monde politique? Faut-il rappeler que le règne libéral a engendré d’importants soupçons de corrup-tion ainsi que du trafic d’influence et de complot dans les cinquante dernières années?

Le PLQ fait de la résistance

Loin de n’être qu’un accident anecdotique, cette absurdité a le mérite de soulever une réflexion plus profonde sur le gargantues-que clivage politique des diverses communautés habitant le Québec. J’aimerais donc, pour ma dernière chronique, vous laisser sur une réflexion quant à l’état de dérélic-tion (sentiment d’abondon, ndlr) dans lequel se trouve la scène poli-tique québécoise. D’abord, en quoi cette scène est-elle si pitoyable, me demanderez-vous? Très sim-plement: dans quel genre de dé-mocratie un parti politique ayant régné plus de douze ans presque sans interruption, et dont les hau-tes instances se font arrêter par une unité policière anti-corrup-tion peut-il rebâtir la confiance? Quel genre de parti politique, dont le président du Conseil du Trésor est vu fuyant vers le sud à bord d’un vol de nuit après qu’une

émission d’affaires publiques eut révélé une série de courriels incri-minants, le tout l’impliquant dans du trafic d’influence auprès d’un individu précédemment arrêté par la police, se voit-il toujours en position pour prendre majoritai-rement le pouvoir si une élection générale était déclenchée?

La question se pose sérieuse-ment considérant l’abondance des alternatives. Le Québec est-il à ce point attaché au Parti Libéral du Québec? L’observation de données colligées récemment par la mai-son de sondages Léger Marketing montre un troublant clivage politique à l’origine de l’inexpli-cable solidité de la popularité de ce parti sans projet, sans direc-tion, réagissant aux scandales à la manière d’une méduse morte dérivant sur les flots. En effet, les chiffres illustrent que le PLQ bénéficie d’un appui quasi soviéti-que des communautés anglopho-nes et allophones du Québec, et ne s’attire la sympathie que d’environ un québécois francophone sur cinq, les quatre autres se fraction-nant entre les trois autres joueurs, soient le Parti Québécois, Québec Solidaire et la Coalition Avenir Québec.

Le communautarisme en ques-tion

En se mobilisant en bloc derrière le PLQ, par crainte d’une renaissance de la diabolique ques-tion nationale, ces communautés, aidées d’un québécois franco-phone sur cinq, assurent au parti un laissez-passer vers le pouvoir politique de la province, laissant le reste du Québec se fragmenter sur d’autres questions. Ce délicat et inconfortable constat, concer-nant la déconnection terrifiante entre la majorité des québécois et les communautés minoritaires avec qui ils partagent leur ter-ritoire, met le doigt sur une des raisons à la source du sentiment d’impuissance politique et de désengagement grandissant qui les afflige.

L’invitation de Jean Charest comme orateur pour discuter du lien de confiance entre les citoyens et le monde politique met en lumière ce clivage, mais cette fois à l’échelle institu-tionnelle. L’Université McGill vit-elle dans un monde parallèle à celui de la société québécoise? On pourrait sans peine le croire tant l’ironie saute aux yeux de la

presse francophone et ne soulève aucun commentaire ni remise en question sur le campus ou dans la presse anglophone. Certains sont tentés de conclure que cette schi-zophrénie politique québécoise s’explique par un effet pervers du fait d’entretenir une polarisation politique quant au projet sou-verainiste québécois depuis 40 ans. J’invite à une autre lecture de la situation. Il s’agit, à mon sens, d’une illustration de l’échec retentissant du régime multicul-turel canadien à favoriser l’inté-gration des communautés à leur société d’accueil. Cela n’engendre pas seulement un sentiment de dépossession culturelle des socié-tés d’accueil, mais favorise aussi une isolation sociale et politique des communautés minoritaires. En refusant de s’investir de façon constructive dans la vie des idées du groupe auquel ils se greffent, ils risquent de favoriser une mon-tée dramatique de l’intolérance des «purs laine» à leur égard. Cela n’a rien de rassurant et laisse pré-sager nombre de moments trou-bles dont je n’aurais aucune envie de faire la chronique. Jouer à l’autruche au nom de la rectitude politique n’est plus une option. x

Page 6: Le Délit du 5 avril 2016

6 ACTUALITÉS le délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Salut, Salut?La mort tragique de Jean Lapierre laisse un vide immense au Québec.

québec

Jean Lapierre nous a quittés. Quelle histoire tragique. La fin de semaine du 27 et 28

mars, son père est décédé. À ce mo-ment, collègues journalistes, poli-ticiens et personnalités publiques ont été nombreux à lui offrir leurs condoléances, alors qu’il s’envolait vers ses îles de la Madeleine natales pour être auprès de sa mère. Ce que M. Lapierre ignorait, c’est qu’il s’envolait plutôt, en compagnie de ses frères et de l’une de ses sœurs, rejoindre leur père. Leur avion s’est affaissé en plein vol, causant la mort immédiate de tous les passagers à bord. Cette énorme tragédie pour la famille Lapierre et leurs proches est le genre de drame qu’on ne souhai-terait pas à son pire ennemi.

Une brillante carrière

Imaginez. Vous devenez dépu-té en 1979, sous le gouvernement libéral de Pierre Elliott Trudeau. Puis, après avoir combattu un référendum, avoir été ministre, et milité en faveur de l’accord du Lac Meech, vous aidez à fonder le Bloc québécois, l’unique parti souverainiste fédéral. Puis, deux

ans plus tard, vous décidez de vous retirer de la politique et de vous orienter vers le journalisme. Soudainement, vos amis, autant les fédéralistes libéraux que les souverainistes bloquistes, devien-nent vos adversaires. Vous vous devez certes de leur lancer des fleurs lorsqu’ils le méritent, mais vous vous devez aussi de les cri-tiquer sans hésitation lorsqu’ils font de faux pas. Puis, en 2004, le premier ministre du Canada, un de vos anciens collègues libéraux, que vous avez critiqué depuis une dé-cennie, vous invite à rejoindre son gouvernement. Vous acceptez, car «il n’y a que Paul Martin qui aurait pu [vous] faire revenir en politi-que.» Cependant, quand cet ami perd les élections face à un certain Stephen Harper, vous retournez à votre vie de journaliste et devenez rapidement le chroniqueur le plus respecté du Québec.

C’est là un portrait de la car-rière de Jean Lapierre. Cet amateur de «bonne bouffe», passionné de politique et analyste farouche était une vedette partout où il allait: que ce soit le rendez-vous en français de 7:05 AM avec Paul Arcand au 98.5 FM, ou alors ses interventions

à CJAD en anglais, tout le monde était à l’écoute. Les politiciens, que ce soit au fédéral ou au provincial, restaient dans la voiture pour finir d’écouter les interventions radio-phoniques de M. Lapierre avant d’entrer en chambre, tel qu’en témoigne Daniel Lessard. Le livre Confessions postréférendaires, qu’il a cosigné avec Chantal Hébert, n’aurait pas été un tel succès si ce n’était des liens privilégiés que M. Lapierre entretenait avec certains politiciens tel que Lucien Bouchard et Paul Martin, qui se prononcent rarement en public sur le référen-dum. Bref, M. Lapierre était une institution à lui seul.

Un vide immense

Ainsi, le Québec a perdu une institution. Pourquoi? Parce que lorsque M. Lapierre est mort, nous avons perdu une personne qui re-

présentait ce à quoi on

devrait aspirer en journalisme et en politique. Il était rationnel, il était critique, il était cohé-rent. Tout le contraire de l’état actuel des affaires politiques du Québec. Alors que M. Lapierre était bon pour vulgariser, notre politique est tout simplement devenue vulgaire. Vulgaire, comme quand un certain chef de parti a traité le gouvernement de «parti de pourris». Alors que M. Lapierre croyait en l’informa-tion et la réflexion, il semblerait qu’aujourd’hui démagogie et je-m’en-foutisme soient au menu en politique québécoise. Comme quand le président du conseil du trésor est accusé de fraude et que le premier ministre, plutôt que de le réprimander, choisit de l’envoyer en «congé de maladie». Bref, si M. Lapierre était reconnu pour ses «Lapierrismes», il y en a surement un qui peut bien décrire notre situation actuelle, non? M. Lapiere a jadis dit que «le problème, c’est que l’inté-grité, c’est comme la virginité, c’est bien dur d’en ravoir.» Alors que notre intégrité politique col-lective s’érode quotidiennement, sommes-nous tranquillement en train de nous rapprocher de ce point de non-retour? x

Ronny Al-NosirLe Délit

«Je suis juste un mec qui aime bien faire des vannes» Le Délit a rencontré Panayotis Pascot, chroniqueur dans l’émission télévisée française

Le Petit Journal, dans le cadre de TEDxMcGill.

entrevue

Le Délit (LD): Parle-nous de ton parcours… Comment en es-tu venu à faire partie du Petit Journal?

Panayotis Pascot (PP): Alors à la base je faisais des vidéos sur Youtube. J’ai commencé à 11 ans dans ma chambre, à envoyer des messages en «copier-coller» à toutes les personnalités que je pouvais trouver sur Facebook et au bout de 500 messages il y en a quelques-unes qui ont commencé à me répondre. Je les ai rencontrées, j’ai apporté une petite caméra, je les ai interviewées avec le son de l’iPhone (regard vers le téléphone du journaliste du Délit, rires), j’ai publié les vidéos sur le web et de fil en aiguille, j’ai réussi à rencontrer de plus en plus de per-sonnes. J’ai eu la chance de me faire de plus en plus d’amis dans ce milieu, entres autres Alex Lutz (qui joue Catherine dans la mini-série Catherine et Liliane diffusée pendant Le Petit Journal, ndlr) qui m’a présenté aux équipes du Petit Journal. Et voilà!

LD: Dirais-tu que ton travail en tant qu’intervieweur pour le Petit

Journal est une nouvelle forme, plus jeune, de journalisme?

PP: Je suis tout sauf journa-liste en fait. Au Petit Journal en tout cas. J’ai pas de terme précis, je suis juste un mec qui aime bien faire des vannes et on lui donne un micro et une caméra… alors c’est mortel!

LD: Donc en fait si on te pose des questions sur les mutations du journalisme et la mort du jour-nalisme, ça ne va pas marcher… (rires). Par contre on peut te poser des questions sur tes techniques d’entrevue. Quel est ton conseil pour avoir quelqu’un en entrevue? Tes petits tips?

PP: C’est l’honnêteté. Être honnête, ça fonctionne sur tout. Je pense que si t’es honnête les gens te kiffent. Par exemple, il y a des stars que j’ai déjà choppées dix minutes parce que ma première question c’était «Je suis désolé mais je ne sais pas qui vous êtes»!

LD: Ta meilleure entrevue? PP: Les gens dans la rue! Je

trouve ça fantastique le gens dans la rue, je trouve ça beau. Mais sinon

j’ai adoré interviewer et passer une après-midi avec Frédéric Beigbeder (auteur et chroniqueur français, ndlr), c’est un grand monsieur.

LD: La pire?PP: Ah je ne peux pas dire ça…

ça se garde (rires).

LD: Ton petit regret d’entre-vue?

PP: Pharell Williams. Je suis resté cinq minutes à côté de lui sans rien dire. J’aurais pu poser des questions, j’aurais pu avoir au moins deux minutes d’entrevue avec lui et j’ai rien dit, comme une daube, parce que j’attendais une interview avec Karl Lagerfeld.

LD: Ton entrevue rêvée?PP: Xavier Dolan. Ah ouais,

ouais, Xavier Dolan! Ou fran-chement Wes Anderson que je kiffe beaucoup. Là, dernièrement, Gonzales Iñàrritu aussi. Et les Daft Punk! J’y pense. Un vrai kiffe ça! x

inès léopoldie-dubois

Propos recueillis parjulia denis, Inès léopoldie-

dubois et chloé mourLe Délit

Page 7: Le Délit du 5 avril 2016

7Économiele délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Les FinTech en effervescence Une légion de start-ups se propose de dynamiter le secteur bancaire traditionnel.

Alors que c’est la semaine du Money 2020 en Europe, la plus grande conférence

européenne sur les FinTech, penchons-nous sur ce groupe de compagnies qui veut réinventer une des industries les plus haïes d’Amérique du Nord, selon le DailyFinance.

Le terme «FinTech» (mot-valise contenant finance et tech-nologie) se réfère à ces nouvelles start-ups qui tentent de perturber le système bancaire traditionnel à l’aide des nouvelles technolo-gies, en offrant des services moins chers ou de meilleure qualité.Des paiements à l’intermédiation entre les épargnes et les inves-tissements, en passant par les assurances, ces jeunes pousses essaient aujourd’hui de prendre d’assaut chacune des fonctions essentielles du monde de la finance. Un rapport de McKinsey prédisait ainsi que 20 à 60% des profits des banques dans cinq sec-teurs d’activités seraient en péril d’ici à 2025.

L’angle d’attaque de ces «institutions financières 2.0» est simple: proposer ce que les ins-titutions classiques, de par leur taille, ne peuvent offrir. Alors que la norme est à la standardisation des produits financiers et qu’une nouvelle vague de régulations dé-ferle sur les institutions bancaires traditionnelles, la numérisation des services offerts permet aux FinTech de tailler des produits sur mesure pour chacun de ses clients afin de combler au mieux ses attentes et envies, souvent à un coût amoindri et avec une effica-cité accrue.

La transformation des paiements

L’apparition de nouveaux moyens de paiements et de gestion des finances, tels que les télépho-nes intelligents ou les ordinateurs, rendent possible une meilleure expérience client. PayFirma propose ainsi une solu-tion permettant aux compagnies d’accepter n’importe quelle sorte de paiement, en toute sécurité, de même qu’une consultation de leurs chiffres comptables en temps réel.

Une autre possibilité offerte par les récentes avancées tech-nologiques est la mise en place de paiements instantanés et sûrs à l’aide de la technologie Blockchain (chaîne de blocs). Cette techno-logie consiste en la distribution d’une base de données, décentrali-

sée, qui maintient des enregistre-ments, en constante croissance, où chaque donnée se réfère à des données précédentes dans la liste. La falsification et la révision sont quasiment impossibles et il suffit de vérifier la validité d’une donnée en observant sa cohérence avec les nœuds précédents du réseau. Cette technologie est à la base du système des Bitcoins, et peut être utilisée pour la gestion des risques, les transferts de devises, trading, etc. Récemment, même les grands acteurs de l’industrie financière se sont lancés dans une course aux armements en termes de sécurité. En effet, le consortium R3, composé des plus importantes banques multina-tionales telles que JP Morgan et Citigroup, a signé un contrat hier avec Microsoft et ses partenaires visant à la mise en place de la technologie Blockchain au sein de leurs secteurs d’activités les plus critiques.

Désintermédiation des investis-sements

L’avènement des FinTech a rendu possible aux jeunes pousses l’accès à des financements sans avoir à être filtrés par le système traditionnel. Les plateformes de

crowdfunding (financement par-ticipatif, ndlr) agissent comme les têtes de proue de ce nouvel ordre. SeedUps, par exemple, permet aux entreprises de présenter et de financer leurs projets par une multitude d’individus, en échange d’actions dans la compagnie. À l’instar d’abeilles fondant sur un champ de fleurs, parents, jeu-nes travailleurs, trentenaires et étudiants se jettent aujourd’hui sur ces opportunités d’inves-tissements dans l’espoir de voir émerger des retours mirobolants. Par exemple, le Financial Post reportait le 22 janvier dernier que la québécoise Dubuc Motors s’était finalement tournée vers le finan-cement participatif pour la pro-duction de son véhicule de sport haut de gamme électrique, faute de pouvoir trouver des investisseurs auprès des acteurs classiques de l’industrie.

Dans la même foulée, les ini-tiatives de peer-to-peer lending (prêt entre particuliers, ndlr) ont aussi permis l’émergence d’un nouveau modèle de distribution de fonds. Les prêts sont mainte-nant financés directement par les investisseurs qui assument les risques, à l’inverse du méca-nisme classique où cela est fait par un système de dépôts et de

réserves obligatoires dans les institutions. Lending Loop est la première entreprise canadienne dans le genre, mettant en relation des compagnies avec une variété d’investisseurs désirant aider les petites entreprises canadiennes. Citi suggère ainsi un «marché adressable» de 3 200 milliards de dollars américains pour le peer-to-peer lending uniquement aux États-Unis.

La mise en relation directe des protagonistes est aussi utilisée pour réduire les coûts d’échange de devises. TransferWise, la star européenne du secteur des FinTech, met ainsi indirectement en relation des individus et leur propose des taux plus intéressants pour chacun, réduisant jusqu’à 90% les frais associés générale-ment aux échanges de devises.

Limites

Il est toutefois à noter que les autorités cherchent à aborder le problème des régulations pour les FinTech et que de nombreuses mesures de sécurité verront le jour et feront obstacle au dévelop-pement de certaines FinTech.

D’après Todd Roberts, un vice-président à la Banque Royale du Canada, la banque est en effet

«un secteur très complexe, à forte intensité de capital». Le domaine est «très régulé et les institutions ont besoin de beaucoup de compé-tences pour pouvoir fonctionner.» C’est tout particulièrement le cas au Canada, où l’industrie finan-cière est une véritable «forteresse institutionnelle», comme le sug-gère le professeur Gregory Vit de la faculté Desautels à McGill. Il explique alors que le secteur ban-caire est protégé par des strates de régulations et normes indus-trielles, ainsi que par de nombreux accords implicites entre le gou-vernement et les grandes banques nationales, ce qui rend toute nouvelle compétition difficile. Lending Loop, mentionnée plus tôt, a par exemple décidé d’arrêter d’afficher de nouvelles deman-des de prêts sur son site internet jusqu’à la fin de ses discussions avec les autorités.

Les institutions financiè-res, rigides et oligopolistiques, n’avaient auparavant aucun intérêt à innover, les marges lar-gement profitables déjà dégagées n’étant pas menacées.

Avec l’avènement des FinTech, les banques tradition-nelles réfléchissent et réagissent pour rester dans la partie. Gregory Smith, un associé en conseil aux services financiers à Ernst & Young au Canada, déclarait ainsi que «les compagnies financières devraient être bien plus agressives et créatives pour conserver leurs consommateurs.»

Certaines institutions ont tout simplement décidé de s‘asso-cier avec lesdites startups afin de compléter leur panel de produits offerts. CIBC a de ce fait conclu un partenariat avec Thinking Capital, un petit prêteur aux entreprises.

Autrement, certaines firmes numérisent leurs services pour ne pas être «ubérisées». Tangerine a d’ailleurs lancé une application de gestion bancaire vocale qui permet d’avoir une conversation avec un chargé d’accueil numéri-que, tandis que la Banque Royal du Canada et MasterCard testent actuellement un bracelet qui iden-tifie les utilisateurs par leur ryth-me cardiaque pour une meilleure sécurité de paiement.

Il reste donc un grand chemin à parcourir pour écarter les gran-des institutions. Les ressources et relations industrielles vont rendre féroce la compétition entre les institutions traditionnelles et les FinTech. De plus, on peut s’atten-dre à ce que les usagers, déjà histo-riquement réticents à changer de banques, aient du mal à changer de modèle de fonctionnement. x

Mamoun ALAMI IDRISSI

É[email protected]

Page 8: Le Délit du 5 avril 2016

8 le délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Alexandre Abbouche, Catherine Aboumrad,

Mamoun Alami Idrissi, Ronny Al-Nosir, Emma

Amar, Aymeric Amigues, Chloé Anastassiadis,

Astghik Aprahamian, Léo Arcay, Louis Baudoin-Laarman.

Nouédyn Baspin, Léandre Barôme, Samuel Beauchamp,

Julien Beaupré, Léa Begis, Nicolas Belliveau, Lara Benattar,

Laurence Bich-Carrière, Camille Biscay, Marine Amélia

Blanchard, Lauren Boorman, Théo Bourgery, Jérémie

Casavant-Dubois, Charlie, Camille Charpiat , Hortense

Chauvin, Mitch Clarke, Gabrielle Colchen, Arthur Corbel,

Madeleine Courbariaux, Anne Cotte, Miruna Craciunescu,

Laurie Coutu-Racette, Virginie Daigle, Noor Daldoul,

Cédric Demers, Philomène Dévé, Anna Dory, Joachim

Dos Santos, Lisa Elnagar, Prune Engérant, Luce Engérant,

Miray Eroglu, Julia Faure, Samuel Ferrer, Sara Fossat,

Matthew Fournier, Chloé Francisco, Ach Gaddes, Alice

Gaudreau, Charles Gauthier-Ouellette, Claire Gignoux,

Etienne Gontard, Laurie Guay Coutu-Race, Colombe de

Grandmaison, Côme de Grandmaison, Noémy Grenier,

Salomé Grouard, Sarra Hamdi, Amandine Hamon, Habib

B. Hassoun, Sarah Herlaut, Marion Hunter, Margot

Hutton, Sonia Ionescu, Morgane Jacquet, Alexandre

Jutras, Sandra Klemet-N’Guessan, Cameron Knox, Louise

Kronenberger, Paméla Lajeunesse, Eva Lancelin, Rolline

Laporte, Caroline Laberce, Aldéric Leahy, Alex Le Coz,

Frédérique Lefort, François Legras, David Leroux, Luca

Loggia, Capucine Lorber, Anne-Hélène Mai, Charlotte

Mercille, Catherine Mounier-Desrochers, Magdalena

Morales, Vincent Morréale, Laurence Nault, Eléonore

Nouel, Olivier Pasquier-Parpaillon, Arno Pedram, Paul

Pieuchot, Kary-Anne Poirier, Louisane Raisonnier,

Scarlett Remlinger, Cécile Richetta, Philippe Robichaud,

Amelia Rols, Zaliqa Rosli, Etienne Rougier, Igor Sadikov,

Gerald Sigrist, Jeanne Simoneau, Nathan Skelton, Kharoll-

Ann Souffrant, Dior Sow, Aliot Smith Lucas Snaije ,

Margaux Sporrer, Cristina Tanasescu, Inès Thiolat, Jules

Tomi, Louis-Philippe Trozzo, David Uzochukwu, Laurie

Vandevelde, Théophile Vareille, Gilles Vidal, Margaux de

Wilde, Joanna Wolfarth, Anne-Marie Zaccarin, Matteo

Zamaria, Jenny Zhu. x

À tous nos contributeurs, un grand merci!

Et bienvenue à la nouvelle équipe: Rédactrice en chef

Ikram MecheriCoordonnateur de la production

Yves Boju

Chef de section ActualitésChloé Mour

Secrétaires de rédaction ActualitésThéophile Vareille & Louis-Philippe Trozzo

Chefs de section Culture: Dior Sow et Hortense Chauvin

Chef de section SociétéHannah Raffin

Chef de section ÉconomieVacantCoordonnateurs de la correction

Madeleine Courbariaux & Nouédyn Baspin

Coordonnateur photographieVittorio Pessin

Coordonnatrice IllustrationsMahaut Engérant

Coordonnatrice Réseaux sociauxLouise Kronenberger

Coordonnatrice Multimédias: Magdalena Morales

Coordonnateur ÉvénementsVacant

Page 9: Le Délit du 5 avril 2016
Page 10: Le Délit du 5 avril 2016

II cahier création le délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

je voudrais que tu sois

ma chine sauvage

parmi les rizières nos ébats

narrés par Charles Tisseyre

*

on se barry-white sur

la banquette arrière

(de ta honda civic)

*

nos amours

lavées

avec les bas

Inès Léopoldie-Dubois

Charles G-Ouellette

Trois poèmes très courts

Fonte enneigée

Mitch Clarke

Page 11: Le Délit du 5 avril 2016

IIIcahier créationle délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Une alternative au lait maternelmagdalena morales

Mais que font les jeunes... mahaut engérant

À mon raton

Mon amour de raton, mon tout petit chaton

nous sommes pareils tous les deux

quand se croisent nos yeux

Tu exposes et étales

les ordures sociétales

Raton, raton, ô doux raton

Si le gris de tes poils ne reflète plus l’écaille

de ces cabanons hostiles

où l’hiver tu fourmilles

alors déploie

ton pelage, envole

toi

Mamie Raton

Page 12: Le Délit du 5 avril 2016

IVcahier création le délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

J’écris depuis une adresse courriel temporaire. Le temps m’est compté. Les secondes filent, le temps se dilate. Ma prose d’idée se hâte.Je sens venir les images, les pensées, les mots.Je fume la marijuana jusqu’au mégot.Je crois être Genet, c’est le frylosophe qui parle. Un jour je partirai avant d’avoir tout bu.

J’ai ouï dire, par la magie d’un site bleu comme les songesQue vous cherchiez des créateursMe voici devant vous.Je voudrais chanter le sous-solLes canapés éventrésLes ressorts rouillésLa brûlure de l’alcool.

On n’oublie pas les nuits sans sommeilLes lignes fiévreuses tracées sur un écranLes ratures, les retours, les erreurs à rebours.L’absence de lumière allumait des soleils.

... He he he he, non mais arrêteLe blizzard nous guette, alors toi aussi, oui toi frère de sang et de larmes, tu sais que c’est possible, que là, là, plus loin, il y en a une qui t’attend, une qui te dira des mots insensés, des mots qui domptent la grêle, qui niquent la douleur parce que c’est pas important, c’est juste une putain d’illusion, et tu sais qu’on est des géants, des soldats sans armées plus grand que des généraux et...Mais... je m’égare ...Comme dans les sentiers de neiges inviolés, tracés sous les étoiles.Côte des Neiges, je me souviens

Quand les espaces nous manquaientQuand le sécuritaire tuait le spirituelQuand 1977 fois nous nous regardions, sûrs de rienQuand la vie nous électrisaitNous tentions tout.

Délit d’initié

Didier Normand

esther perrin tabarly

Je voulais bavarder, mais j’étais nul en françaisDonc j’ai décidé de quitter ce pays de l’anglais

Un exchange oui, une bonne idée mais où?J’ai besoin d’une ville francophone mais dois finir mes études

Pourquoi pas Montréal? C’est une très belle villeJe pourrais parler français pendant que je fais du ski

Donc j’ai dit au revoir à ma copine et à ma familleJ’ai fait mes bagages et puis je suis parti

Je suis arrivé enthousiaste et passionnéDonc j’ai essayé de parler mon meilleur français

Mais les gens m’ont répondu en anglais parfaitJ’ai dû leur dire ‘Non, je veux pratiquer’

Cette petite phrase j’ai dit à peu près deux milles foisPuis on parle français pendent deux minute ou trois

Jusqu’à ce que ce soit impossible de comprendre l’accent bizarreLes phrases comme «Tabarnac ça c’est plus cher que hier!»

Ce n’est pas la faute de mes potes si je ne les comprends pasJe parlerais couramment si j’avais fait mes devoirs

Parfois avec mes amis quand on se saouleJe crois que je parle français comme si j’étais Charles de Gaulles

Mais le matin je me réveille et je me rendre compteQue mon français en fait n’était pas si brillant

Tant pis je commence à faire de moins en moins fautesEt j’espère ça veut dire une super bonne note

Le Trajet de mon Français

cameron knox (FRSL 407)

Cameron Knox est étudiant du Centre d’enseignement du français de l’Université.

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Vcahier créationle délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Si je pouvais te dire tout ce qui me traverse… Mais je n’en ai pas le courage. Par peur de te perdre, je tais mes doutes, par peur de bles-ser. Mais pourquoi, si tu m’importes tellement, m’es-tu étranger?

Je ne sais si j’aime ou je suis aimé. Oui, parce qu’à force de me déta-cher, je me suis perdu: je t’ai perdu. Je ne connais ni peine, ni remède; je me retrouve seul sur la grève. L’océan dans lequel je me suis abandonné s’étend sur l’horizon. Je ne sais comment l’approcher, t’approcher, m’ap-procher; tout est flou et perdu à penser. Mon cœur ne saute que rarement de joie: à quoi devrais-je l’imputer? Le sursaut d’amour je ne le ressens…

J’ai désappris à aimer. En face de ce doute grandissant, je prends ma plume pour m’exprimer. Je t’ai laissé champs libre sur le papier de mon cœur: dessine-y les grandes lignes de notre avenir tout tracé. Si, par malheur, tu désires renouer, songe! mon cœur, à tout ce que tu laisseras de côté.

J’abandonne cette encre ternie, ce papier froissé, ce cœur froid. La nuit en moi respire et je m’effondre et m’efface, sans faire de bruit.

Je ne sais si j’aime ou je suis aimé

alioth smith

Love Letters II

Love Letters IClaire gignoux

Page 14: Le Délit du 5 avril 2016

VI cahier création le délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

dorénavan écrire kom sa né pas un problème

jécri toujour colonialité et lon me comprend toujour

alor peu importe

Dorénavant écrire comme cela n’est pas un problème

J’écris toujours développement et l’on me comprend toujours

alors peu importe ?

Silvia Nicolas

Désillusions désespérées, dandys déprimés, destruc-tion macabre et affolée.

Maux de tête et migraines, les mots tournent et trem-blent au sein d’une symphonie dont les cris déchirés parviennent encore à l’oreille noircie, sous le chant des grillons, sous les hurlements d’une Humanité torturée, sous les cymbales maltraitées, sous les tambours déliés, sous l’organisation oppressive qui enchaine et qui assas-sine.

Liberté, liberté, liberté, libération, solitude et déses-poir; que m’importe l’égalité, que m’importent les prin-cipes moraux dont s’affuble une bourgeoisie dépravée? Vous ne m’intéressez pas, les larmes coulent sous les coups dont m’assène le chagrin, lent, lourd et pesant. Mais maintenant, aujourd’hui, dans ce moment funeste, le silence du monde m’apparait dans sa terrible réalité, délesté de toute leurre et de tout mirage, linceul pur et délavé dont la cape cramoisie se cramponne aux cris du carême sacré et en oublie ses promesses.

Car je suis libre et je vois clair; le voile de Maya s’est déchiré, percé, détruit, brûlé, immolé, saccagé, sage et éreinté; moi, moi seule, ma propre personne (qui suis-je?) en suis responsable, Ponce Pilate s’est effacé derrière les chants olympiens qui résonnent dans les collines, dans les montagnes bleues, dans les vallées, dans les villages déserts.

marxbord

camille biscay

Le Monde à l’envers

Page 15: Le Délit du 5 avril 2016

VIIcahier créationle délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Le café, bien trop chaud, m’a brûlé les lèvres, je l’ai donc déposé sur le coin de la petite table en verre, soufflant à distance, la fumée qui se dissipait. Je n’avais pas l’habitude d’un café en début de journée, encore moins dans une ville comme Paris, mais j’ai fait exception et pour me donner un air de connaisseur, j’avais même demandé à la serveuse de m’apporter le lait et le sucre à part, insis-tant sur le fait que je préférais moi-même doser l’intensité de mon réveil. Tout ça n’était que des prétextes, je détestais le café, je n’en prenais que pour combattre le décalage horaire.

Je m’étais installé sur la terrasse d’un bistro, près de la Seine, à l’abri des congestions de la ville, sachant pertinemment que le manque de sommeil bercé par la musicalité des klaxons m’aurait fait perdre la tête. J’ai jugé quelques travailleurs qui passaient sous le soleil qui peinait à sortir des draps, et j’ai ensuite cherché à écou-ter le chant des oiseaux. Sans succès.

C’était la première fois que je rendais visite à mon cousin, lui qui était habituellement toujours débordé par les heures sup-plémentaires, stressé à temps plein, incapable de dormir plus de cinq heures dans son magnifique appartement du 15e, quartier qu’il qualifiait, lui-même d’ailleurs hautain et prétentieux. Il se défendait malgré tout en disant que l’appartement avait été l’abou-tissement d’un concours de circonstances plus que d’une propre décision personnelle. Son arrière grand-mère l’avait acheté durant l’entre-deux-guerres, et il en avait hérité à son décès au même titre qu’une panoplie de souvenirs qu’il n’avait pas vraiment souhaité, mais qu’il n’avait su se départir.

Mon cousin m’avait fortement suggéré de devancer mon voyage que j’avais initialement planifié pour la mi-juin. Il m’avait dit que ça allait m’éviter les foules estivales et comme j’adorais l’histoire et ne me voyais pas attendre des heures pour entrer au Louvre, j’avais suivi son conseil et j’avais acheté mon billet le soir même.

Un Parisien a bousculé la table ce qui a eut pour effet de ren-versé la majeure partie de mon café sur la table. J’ai blasphémé une séquence de mots qu’il ne comprenait pas et je l’ai regardé dispa-raître à l’intersection. La serveuse qui avait vu la scène au moment de répondre à un nouveau client s’est immédiatement empressée de venir m’aider à nettoyer et m’a simplement commenté:

-Ne vous en faites pas, ça arrive tous les jours. Les gens ne savent plus comment vivre ici, vous savez, avec tout ce qui s’est passé...

J’ai penché les yeux, un peu triste.Elle est retournée voir le client pour confirmer la commande

et est rentrée dans le bistro, sortant quelques minutes plus tard avec le thé qu’il avait commandé.

J’ai boudé le journal, ramassant plutôt la revue qui traînait sur une autre table et j’ai cherché les gros titres en tournant rapi-dement les pages. Comme je n’avais pas vraiment la tête à réfléchir avec toute la fatigue accumulée, j’ai simplement regardé les cari-catures qu’il y avait, patientant jusqu’à l’ouverture du Louvre qui était prévue à 9h00.

Le seul autre client qu’il y avait sur la terrasse était l’homme qui avait commandé un thé. Il buvait à petite gorgée, tenant d’une main le Coran qu’il récitait à voix basse. Je n’étais pas bien sûr s’il lisait ou priait, mais au bout d’un moment, il a levé les yeux en ma direction et m’a souri. J’ai hoché la tête pour répondre à son sou-rire et il s’est finalement levé, laissant quelques euros sur la table et s’est approché.

-Vous aimez? m’a-t-il demandé.J’avais dû croire qu’il savait que j’étais un touriste, car j’ai

commencé à balbutier que l’idée que je m’étais faite cette ville était mieux, mais que je me laissais tout de même jusqu’à la fin de mon séjour avant de juger, qu’il me restait tout de même l’amour à trou-ver.

-Je parle de la revue, vous aimez? a-t-il insisté.J’ai levé les yeux en sa direction et j’ai aperçu des traits sévè-

res sur un teint de sable. J’ai déposé la revue sur la table, jetant rapidement un coup d’œil à la couverture. J’ai fini par lui répondre que j’étais indifférent et qu’il allait falloir que je demande des expli-cations à mon cousin pour qu’il puisse m’aider à comprendre ce que tout ça voulait dire.

Il a commencé à jouer dans sa barbe et a fini par le dire qu’il aimait bien la revue, qu’il était un peu attristé que tout le monde le juge, mais qu’il comprenait après tout ce que la ville avait dû tra-verser au courant de la dernière année.

-C’est terrible, a-t-il ajouté. Paris ne mérite pas ça. Ni aucune autre ville.

Et il est parti. en me souhaitant bonne journée. J’ai regardé ma montre, 8h30, j’allais avoir assez de temps pour marcher jusqu’au musée et appeler mon cousin. Il était censé revenir de Bruxelles ce matin.

Mon cousin

Cédric Demers

jules tomi

photographies de couverture: s’y perdre (I); se reprendre (II),Vittorio pessinmodèle:wassily

Mamie

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9sociétéle délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Cherche 51/2 sans surprisesLes jeunes font face à la discrimination au logement.

opinions

Alors que beaucoup d’étu-diants recherchent actuel-lement un logement pour

l’année à venir, nombreux sont ceux qui doivent faire face à des requêtes loufoques – pour ne pas dire illégales – de la part d’un certain nombre de propriétaires montréalais.

Les trois premiers mois d’une nouvelle année sont pour les uni-versitaires une période chargée, tendue et même stressante. De la reprise des cours à la recherche d’un pied-à-terre, il est important de veiller à ne pas devenir une cible facile de propriétaires mal-honnêtes.

En effet, il est une pratique fréquente chez certains d’entre eux de profiter de leur position de force afin de faire régner leurs propres lois sur le marché de l’im-mobilier. Ils utilisent à outrance des pratiques dont les jeunes loca-taires ignorent la posture illégale. Refus de location sous prétexte d’une quelconque nationalité étrangère, demande de dépôts de sécurité et d’un paiement de plu-sieurs mois de loyer à l’avance, ou encore photocopies de documents

officiels n’en constituent qu’une infime partie. Il faut donc faire attention aux arnaques.

Les étrangers comme cible pre-mière

Les individus les plus ciblés par les propriétaires sont bien évidemment les jeunes étudiants, mais également les immigrés, qui doivent parfois faire face à une barrière linguistique importante. Cette barrière de la langue peut, chez certains, devenir une source de malhonnêteté et d’escroque-rie de la part de certains pro-priétaires. Le journal étudiant de Concordia, le Link, publiait récemment l’histoire de Xiao Ming (pseudonyme), un étudiant inter-national ayant quitté sa Chine na-tale pour poursuivre ses études à Montréal. L’étudiant a notamment été victime de fortes pressions verbales à propos de son utilisa-tion quotidienne d’électricité, ainsi que de modifications impor-tantes du coût de son logement. Il vivait dans de piètres conditions pour un logement au prix excessif. Des conditions si peu soutenables qu’elles l’ont mené à lancer une procédure judiciaire contre son propriétaire. Cependant, une gran-

de majorité des victimes n’entre-prennent pas de telles démarches.

Pas le temps ni les moyens pour la justice

«Les gens n’ont ni l’envie ni le temps de se lancer dans de telles procédures. Les délais sont longs et les propriétaires le savent bien»: telles sont les paroles de Ted Wright, consultant juridique en matière de logement. Il expli-que dans une entrevue au Journal de Montréal les raisons pour les-quelles les étudiants ne prennent pas le temps de s’engager dans une bataille face à la loi.

Récemment, mes colocatai-res Ethel Berdugo, Julie Martin, Alexandre Chahtahtinsky et moi-même, tous étudiants français à McGill, avons aussi payé les frais de la malhonnêteté d’un pro-priétaire montréalais. L’homme concerné avait estimé en février 2016 qu’il était trop compliqué d’avoir des locataires français pour des «raisons juridiques». De farouches propos tout sim-plement discriminatoires et sans bases légales, qui pourtant n’ont pas abouti sur une procédure ju-diciaire, faute de temps, d’argent, et de moyens.

Dans le but de lutter contre de telles propositions illégales, un grand nombre d’universités s’engagent à établir de bons contacts entre leurs étudiants et les agences immobilières locales. Ainsi, l’Université McGill pro-pose un service de guide immo-bilier, Logement McGill (McGill Housing), grâce auquel les étu-diants peuvent facilement et effi-cacement trouver des logements qui conviennent à leurs besoins… et ce de manière sécurisée et léga-le. De telles manœuvres se déve-loppent rapidement au Québec et à Montréal en particulier. L’Université Concordia s’en-gage elle aussi à conseiller ses nouveaux étudiants internationaux en terme de logement, en développant de manière assi-due des associa-tions telle que «Concordia Student Union Housing». De la même manière, l’Université de Montréal a développé son propre système informatique

afin d’aider les étudiants à trou-ver leur logement idéal. C’est par l’intermédiaire de tels systèmes que le marché de l’immobilier montréalais se sécurisera et par-viendra à lutter contre les agisse-ments illégaux de propriétaires frauduleux. En attendant une généralisation de l’information de qualité, il faut rester sur ses gar-des, et prendre le temps de poser les bonnes questions afin de trou-ver des solutions. x

prune engérant

Alexandre Le Coz

Société[email protected]

L’altruisme efficace à quatre yeuxDécouverte d’une philosophie

Nous sommes à un moment de notre vie où l’on se pose plein de ques-tions. Au-delà du cliché du constat,

combien de fois avez-vous sombré en ques-tionnement intérieur suite à la question: «Où veux-tu travailler plus tard?». J’en ai fait l’expérience plusieurs fois, et mes réponses se perdaient à chaque fois dans le vague de mes lignes directrices. Il me manquait une fondation stable, une philosophie de vie, pour combiner mes désirs de faire «le bien dans le monde», mais «de manière intelligente»!

Et puis récemment, j’ai entendu parler de Peter Singer en cours de philosophie politique. Le professeur, un utilitariste aus-tralien, nous présente une série de questions, auxquelles je vous invite à réfléchir mainte-nant.

Si vous voyez un enfant qui se noie dans un lac, avez-vous l’obligation de lui venir en aide, même si cela voudrait dire que vous vous saliriez et manqueriez votre premier cours de la journée? Si vous avez dit oui, changeriez-vous votre réponse s’il y avait d’autres person-nes autour du lac, mais que personne ne réa-gissait? Et si l’enfant n’était pas dans le lac d’à côté, mais dans un autre pays à l’autre bout du monde, mais que vous pouviez néanmoins lui

sauver la vie, sans grand coût et absolument sans danger pour vous: devriez-vous le faire?

Si vous avez répondu oui, c’est que vous êtes d’accord en principe avec l’idée que nous avons une responsabilité morale à ve-nir en aide aux autres. Que nous les connais-sions ou non, qu’ils soient devant nos yeux ou dans un pays lointain.

Singer extrapole cette logique à l’échel-le mondiale. D’après l’UNICEF, tous les jours 16 000 enfants meurent de maladie évitable, liée à la pauvreté. Pouvons-nous prévenir ces morts? La réponse est oui, en donnant quelques dollars à une association caritative comme la fondation Contre la Malaria. Alors, conclut-il, avec une telle solution à portée de main, ne pas donner, ou mal donner, serait comme marcher au bord du lac en laissant l’enfant se noyer.

En approfondissant mes recher-ches, j’ai réalisé que la philosophie de Singer avait donné naissance à tout un mouvement: l’altruisme efficace (effective altruism en anglais), qui avait justement une branche à McGill. x

luce engérantLe Délit

Le groupe Altruisme Efficace pose une question: utilisons-nous nos ressources de manière optimale? Les

conséquences de nos actions reflètent-elles l’altruisme de nos intentions?

Depuis quelques années, les associations caritatives sont évaluées par des groupes spé-cialisés (comme GiveWell), qui se fondent sur des critères précis et quantifiables tels que la transparence et le rapport coût-efficacité afin de déterminer avec précision l’utilité des associations. Par exemple, la fondation Make-A-Wish estime le coût moyen pour réaliser le rêve d’un enfant mourant à environ 7 500 dollars. Parallèlement, la fondation Contre la Malaria sauve une vie pour 2 840 dollars.

Ces résultats nous permettent d’orienter les différents groupes des universités, désireux de verser de l’argent, vers des associations dont l’efficacité a été quantitativement prou-vée, en les encourageant à examiner d’un œil nouveau les causes qui leur tiennent person-nellement à cœur.

Aussi, Effective Altruism invite ses membres à considérer, avec une lucidité nouvelle, leur choix de carrière et d’aller à l’encontre de la doxa. Elle explique qu’en travaillant pour une œuvre de bienfaisance ou une ONG, on n’aide pas forcément plus qu’en réformant de l’intérieur les actions d’un groupe extracteur de pétrole.

À McGill, l’éventail d’initiatives étu-diantes est monté sur des brins solides: la conscience sociale. Les étudiants agissent pour leurs convictions et utilisent leur temps et leurs ressources pour lutter contre les injustices, donner une voix à ceux qui en sont privés, faire de notre monde un monde meilleur. L’altruisme efficace encourage chacun à associer son coeur et ses passions philanthropes à sa raison.

L’approche quantitative sera vue par beaucoup comme une approche froide et inhumaine, car les hommes ne sont pas des statistiques. Cependant, en philanth-ropie, la fin n’est-elle pas plus importante que le moyen? x

Éthique appliquée à l’Universitélara benattarLe Délit

charlie

Page 18: Le Délit du 5 avril 2016

10 société le délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

On se moque de ta démocratieL’année universitaire en trois polémiques mcgilloises.

opinions

arno pedramLe Délit

Faire les comptesÀ quelques semaines de la graduation, l’heure du bilan a sonné.

Je vois déjà l’immense tente se dresser sur le campus, le défilé d’étudiants fraîche-

ment diplômés, les chapeaux, les photos, les parents fiers, la larme à l’œil. La collation des grades, rite de passage de tout étudiant nord-américain, sera bientôt mon moment pour briller, mes dix secondes de célébrité. Je ne pré-tends pas parler pour tous les étu-diants qui en juin recevront leurs diplômes. À chacun son bilan, ses expériences, ses regrets et ses succès; cet article se veut tirer des leçons de mes trois ans à McGill dans la Faculté des arts.

Ce que McGill m’a apporté…

En sortant du secondaire, l’université m’a apporté la liberté. D’abord, celle de choisir mes cours parmi des dizaines d’autres, ainsi que mes professeurs et ma spécialisation. Pouvoir décider de mon champ d’études voulait aussi dire rencontrer des gens passion-nés et passionnants, et qui m’ont permis d’être plus critique, plus ouverte d’esprit, et plus à l’écoute. Quant aux professeurs, quand bien même ils ne sont pas tous pareils, certains d’entre eux ont

rendu ces trois dernières années incroyables. Particulièrement ceux qui critiquent ouvertement le système, ceux qui ont une pédago-gie digne d’une université comme McGill, ou ceux qui m’ont aidée, m’ont donné une chance et ont cru en moi.

Dans cette université, je me suis épanouie, je me suis décou-verte. Entre les cours intellectuel-lement stimulants, les bibliothè-ques aux rayons interminables, regorgeant de livres sur des sujets dont je n’avais même pas idée, et le campus à la Harry Potter — avec l’équipe de Quidditch que l’on peut observer jouer depuis McLennan.

À moins d’un mois de la fin, je me dis qu’il y a plusieurs raisons pour lesquelles j’aimerais rester. Pour ces associations, que je n’ai découvert que trop tard. Pour tous ces gens motivés, à qui je n’ai ja-mais pu parler. Pour ces cours, que je n’ai pas eu le temps de prendre, et ces professeurs que je n’ai pas encore rencontrés. Pour le plaisir de prendre seulement trois cours dans un semestre, et pas cinq à chaque fois.

Mais mon épanouissement ne peut pas se résumer à McGill. C’est cette université, mais aussi les stages et les expériences en dehors du campus, l’été à Montréal, la fête sur Saint-Laurent, et les person-

nes que j’ai rencontrées en dehors — voisins, voisines venant de tous les horizons — et qui m’ont rendue heureuse. Mon expérience dépasse donc les limites de Roddick Gates.

…et ce que je ne regretterai pas

À McGill, j’ai découvert que la réussite ne dépend pas toujours de soi, et que l’université devient cruelle lorsque les choses s’embal-lent et se dégradent. Le jour où j’ai eu des problèmes de santé, l’université est devenu un enfer: épuisement, pas de vacances au premier semestre, une quantité de travail impossible à abattre et des professeurs qui en rajoutent toujours plus et ont l’air surpris quand on ne peut pas tout faire ou tout lire — le burn out complet. Je ne pourrai jamais assez remercier mes amis, ma famille — quand bien même elle était à des milliers de kilomètres — et mon copain, qui m’ont soutenue quand McGill m’a enfoncée la tête sous l’eau. Je ne remercierai pas McGill pour ces longues semaines d’angoisse et de panique.

Je ne remercierai pas non plus McGill au niveau financier: ses livres que je ne réutiliserai jamais et que la librairie m’a gen-timent proposé de racheter un dixième du prix d’origine, ou enco-

re ses cantines et ses chambres en résidence à un prix exorbitant.

La fin d’un baccalauréat, c’est aussi une certaine monotonie. L’université n’est plus aussi exci-tante qu’au premier semestre, et beaucoup d’entre nous n’ont qu’une envie: s’échapper, partir, et découvrir un ailleurs. Au bout de quelques semestres, les cours finissent par se répéter, et les exa-mens se ressemblent: il est alors urgent de sortir de ce cycle, sous peine d’une crise d’ennui.

C’est un au revoir

Aux futurs étudiants: venez à McGill, et éclatez-vous. L’université sera généreuse et cruelle, et je vous souhaite de tou-jours être en bonne santé. Prenez soin de vous, de votre corps, de votre mental, et de vos amis. Par-dessus tout, sortez de la bulle mc-gilloise. Montréal, les Québécois et les Canadiens ont tellement à offrir, bien plus qu’une institution univer-sitaire ne pourra jamais le faire. x

philomène dévé

cécile richettaLe Délit

Désinvestissons, chapitre I

C’est la fin de l’année et le Comité consultatif chargé des questions de responsabilité sociale (CCQRS ou CAMSR en anglais, ndlr), dont Suzanne Fortier fait partie, considère les dommages sociaux causés par l’exploitation des énergies fossiles comme n’étant pas «graves».

Pourtant, les rapports s’accumulent, prouvant l’accélération catastrophique de la montée des eaux, et donc la pression croissante que le climat impose sur le monde, présageant l’aggravation de la crise des réfugiés et des guerres de ressources. Des centaines d’institutions à des niveaux très variés, comme la ville d’Oslo, l’université d’Oxford ou la Fondation des frères Rockefeller, rejoignent le mouvement visant à désinvestir de l’exploitation des énergies fossiles. Au regard de l’absence de plans politiques ambitieux et des inéluctables conséquences du je-m’en-foutisme général, les pro-jets de désinvestissement sont de puissants vecteurs de changement, dirigés vers des entreprises qui s’enrichissent en siphonnant tout espoir d’un futur viable. Cela étant, après quatre ans de campagne, une deuxième tentative et un remarquable travail de recherche pour présenter un plan raisonnable, le groupe militant Désinvestissons McGill (Divest McGill, ndlr) a dû se contenter d’un rejet de leur proposition, effectué à huis clos, par de grands inconnus et dans le plus grand silence.

Désinvestissons, chapitre II

C’est la fin de l’année, et Suzanne Fortier qualifiait il y a peu le mouvement non-violent et anti-colonial Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) comme allant «à l’encontre des principes de tolérance et de respect».

Ces mêmes principes de tolérance et de respect sont les raisons pour lesquelles notre univer-sité investit sans remords à la fois dans une entreprise d’armement américaine qui fournit en équi-pement militaire l’armée israélienne (L-3 Communications), mais aussi dans une banque qui permet le développement des projets immobiliers dans les territoires illégalement occupés de Cisjordanie (Mizrahi Tefahot Bank) et enfin dans une entreprise immobilière participant aussi au développe-ment du secteur immobilier dans ces territoires (Re/Max). De plus, que l’administration se permette d’exprimer son désaccord profond envers des initiatives étudiantes démocratiques, et ce en vertu de motivations suspicieuses, ne fait que compromettre d’autant plus le respect qu’elle devrait montrer pour la démocratie étudiante.

Souvenons-nous!

C’est la fin de l’année et le rocher Hochelaga, commémorant l’histoire autochtone, est tou-jours aussi bien caché.

La rencontre de Désinvestissons McGill avec Suzanne Fortier le 31 Mars a été l’occasion pour cette dernière de réaffirmer, comme elle l’avait fait lors de son intervention à Faculty in Rez, son dédain pour les «symboles» (voir l’article «Sous les pavés, Tio’tia:ké» publié dans Le Délit du 22 février 2016, ndlr). Dédain qui s’est cristallisé ce jour-là lors de sa choquante inca-pacité à affirmer que «la non-obtention du consentement des autochtones [par ces entreprises] est une violation des lois nationales et internationales assurant la santé, la sécurité et les libertés fondamentales [des individus]». Enfin, l’absence de toute mention de la question des droits des populations autochtones (clairement mis en avant par Désinvestissons McGill) par le CCQRS dans leur compte rendu atteste d’une hypocrisie criante et d’une conscience coupable.

Engageons-nous!

C’est la fin de l’année et c’est le début d’une mobilisation nécessaire et vouée au succès.Les mouvements étudiants de cette année ont prouvé que les procédures démocrati-

ques sont le dernier des soucis de l’administration. Mais ils ont aussi prouvé que (seuls?) les étudiants étaient capables d’amener des solutions concrètes: Désinvestissons McGill a un plan viable et légitime pour le désinvestissement, BDS met en lumière notre partici-pation au projet colonial israélien, et l’AÉUM passe et a passé nombre de motions contri-buant à la reconnaissance de l’histoire des autochtones. On peut aussi saluer l’initiative du Groupe de Travail sur la Politique sur les Agressions Sexuelles (Sexual Assault Policy Working Group), qui a mis au point une politique courageuse pour s’attaquer au problème urgent des agressions sexuelles sur le campus. Ce n’est maintenant plus qu’une question d’engagement puis de temps: le travail est fait, il ne nous reste plus qu’à montrer à Mme Fortier ce courage qui lui fait défaut. x

Page 19: Le Délit du 5 avril 2016

L’après Ghomeshi Quelles sont les leçons à retenir de ce procès?

C’est sans surprise et avec une très grande déception que le ver-

dict du procès Ghomeshi a été reçu par la population. Déception pour le jugement, pour les victi-mes qui auraient négligé des dé-tails importants lors de l’enquête et surtout pour les policiers, les enquêteurs et les procureurs qui sous la pression médiatique et publique ont omis certaines véri-fications clés.

Décerner le vrai du faux

Face à ce gâchis, il est impor-tant de reconnaitre les différents facteurs qui l’ont causé afin de mettre le doigt sur les failles. Parmi celles-ci, on évoque le très lourd fardeau de prouver «hors de tout doute raisonnable» la véracité des dires de la vic-time. Comme piste de solution, certains ont avancé l’idée qu’il faudrait redéfinir le concept de présomption d’innocence afin de diminuer le fardeau de la preuve dans l’espoir que ceci permettrait un verdict plus «juste». Cette

idée est dangereuse et doit à tout prix être rejetée. Le droit d’être innocent garantit à l’accusé un procès juste et équitable qui permet d’éviter l’utilisation arbi-traire et excessive de la détention provisoire. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (UNODC), malgré que la présomption d’innocence soit universelle, de nombreux Etats remettent en question ce prin-cipe, ce qui constitue une forme massive de violation des droits de l’Homme. Selon les estimations de la UNODC, plus de 3,3 millions de personnes sont en détention provisoire dans le monde avant même d’avoir subi leur procès, tous crimes confondus. La lutte contre les agressions sexuelles ne doit pas se faire au détriment de notre système de justice.

Une justice imparfaite, mais équitable

En entrevue avec CBC, Marie Henein, l’avocate de Ghomeshi, a déclaré que le principe même d’avoir un juge qui puisse s’asseoir et entendre les deux parties sans aucune influence externe démontre justement la réussite de notre système de jus-

tice. Certes ce système n’est pas parfait et il ne cesse de progres-ser, toutefois, il est important de reconnaitre, que même en justice, il n’existe pas de rétribution parfaite. Les années de prison ne feront jamais disparaitre les sou-venirs de l’agression et n’efface-ront jamais la souillure. Accepter une diminution de nos standards de justice et ouvrir la porte à un précédent dangereux n’aidera aucunement la cause des femmes. Car bien qu’important, le cas Ghomeshi n’est pas représentatif

des cas d’agressions sexuelles qui arrivent au Canada. Le pre-mier enjeu demeure avant tout la dénonciation. Présentement, selon les données du gouver-nement du Québec, plus de 90% des agressions sexuelles ne sont pas dénoncées. Suites aux accusations d’agressions sexuelles contre Ghomeshi, Sue Montgomery avait lancé le mou-vement #AgressionNonDénoncée qui avait permis de mettre en lumière ce problème et de créer un espace sécuritaire et publique

où les victimes pouvaient discu-ter de cet enjeu.

Ce qu’il faut retenir

Selon le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS), les motifs qui font en sorte que les femmes ne dénoncent pas leurs victimes sont d’abord psychologi-ques: la honte, la gêne, la peur, les réactions de l’entourage et sur-tout la difficulté à reconnaitre et à nommer les situations comme étant une agression sexuelle. À la lumière de ces faits, ce n’est donc pas le système de justice qu’il faut blâmer, mais plutôt le manque de ressources disponi-bles aux victimes qui sont dispro-portionnellement des femmes. Par conséquent, il faut concerter nos efforts pour enrayer ce fléau plutôt que de décrédibiliser notre justice et l’accuser de tous les maux. Ces efforts passent par une plus grande sensibilisation ainsi qu’une meilleure éducation sexuelle dans les écoles. La pré-vention des agressions sexuelles doit demeurer la lutte principale et constituent la meilleure défen-se qu’il puisse exister pour met-tre fin à cette problématique. x

ikram mecheriLe Délit

11Sociétéle délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Pour le choix, pour la vieQuand l’intimidation sert d’outil dans les campagnes anti-IVG.

Le 24 février 2016, la dépu-tée péquiste Carole Poirier a déposé à l’Assemblée na-

tionale du Québec le projet de loi 595, visant à créer un périmètre de sécurité autour des établisse-ments pratiquant l’interruption volontaire de grossesse (IVG). L’objectif est de protéger et facili-ter l’accès aux cliniques pour les femmes qui souhaitent conserver leur anonymat et leur calme, tout simplement, pour une procédure qui leur revient de droit.

Il n’est pas rare que les grou-pes militant contre l’avortement manifestent devant de tels éta-blissements. Selon la Fédération Nationale de l’Avortement, entre 1995 et 2013, le personnel des cliniques d’avortement améri-caines et canadiennes a subi 103 agressions physiques, 350 traques et 203 menaces de mort. La Fédération relève aussi 14636 cas de harcèlement électronique. La mise en place de mesures pour garantir la sécurité des femmes et des professionnels de la santé, qui agissent en toute légalité et légitimité, paraît être une démarche nécessaire. Le projet de loi ne fait cependant pas l’unanimité.

La réponse des groupes anti-avor-tement

La proposition de Mme Poirier n’est pas passée inaperçue auprès des groupes militants anti-avor-tement du Québec. La Campagne Québec Vie (CQV) a répondu dans un article qui dénonce l’inutilité du projet, déclarant que seuls les mili-tants pacifiques seront touchés par sa mise en place. La CQV ajoute que la loi 595 ne servira «que de bâillon pour empêcher l’expression de vérités impopulaires». Bien que la CQV ne prône pas la violence, mais seulement les démonstrations pa-cifiques, l’intimidation des femmes avant une telle opération est aussi une forme d’agression symbolique. L’avortement est une décision difficile à prendre même si elle est nécessaire, et il est scandaleux que les mouvements pro-vie se servent des cliniques comme d’outils de propagande. Notons aussi que la CQV propose sur son site une liste de cliniques d’avortement pour les femmes inquiètes, une initiative qui semble faire preuve d’ouver-ture d’esprit. Cependant, avant d’accéder à la liste, les femmes se retrouvent confrontées à l’image sanglante d’un fœtus avorté à onze semaines, une image dérangeante qui a sans doute pour but de les décourager alors qu’elles doivent déjà faire face à un choix déchirant.

Protéger un acquis et un droit

Au Canada, l’IVG est légale depuis 1988, lorsque la Cour Suprême a jugé que l’article du Code criminel qui condamnait l’avortement était anticonstitu-tionnel. C’est ainsi que les tribu-naux ont permis aux Canadiennes de disposer librement de leur corps. Cette intervention médi-cale devrait être entendue comme un droit fondamental, qui permet à chacune de choisir quand et avec qui elle procréera.

Les campagnes pro-vie se servent trop souvent d’arguments sexistes et blâment les femmes pour des décisions qui n’appar-tiennent qu’à elles. Dans sa rubri-que Nouvelles, le site de la CQV titre: «Violée [...], elle a refusé de se faire avorter et élève main-tenant sa fille seule», ou encore «Atteinte d’un cancer, une mère refuse l’avortement et la chimio et donne naissance à des jumeaux en santé». Oui, peut-être qu’il est possible d’être heureuse en donnant naissance au fruit d’une agression sexuelle. Peut-être même qu’il est possible qu’une femme et sa progéniture survivent aux deux épreuves physiquement destructives que sont le cancer et l’accouchement. Ces success stories anecdotiques peuvent représenter une lueur d’espoir.

Mais elles ne sont, en aucun cas, des sources d’information fiables et suffisantes pour prendre une décision telle que celle de devenir maman pour une femme qui ne se sent pas prête.

De plus, ces histoires glori-fient le courage, la force d’esprit des femmes pour qui garder un enfant a été une réussite. Dans la suite logique, avorter, c’est refuser d’affronter l’épreuve, c’est être faible. N’est-ce pas de l’intimidation et de la violence psychologique que de faire croire

à une femme qu’elle est criminelle de ne pas se sentir mère?

Outre les statistiques qui prouvent que certaines femmes qui se font avorter subissent des violences physiques, il faut élar-gir cette définition sémantique de l’agression. Lorsque les grou-pes anti-avortement défendent leur droits aux démonstrations «pacifiques» devant les clini-ques, ils revendiquent la violence psychologique et la culpabilisa-tion des femmes qui elles, exer-cent leur droit. x

matilda nottage & esther perrin tabarlyLe Délit

opinions

Page 20: Le Délit du 5 avril 2016

Si vous pensiez arriver enfin à la fin de ce jeu, détrompez-vous. La

vérité c’est que le voyage vient tout juste de commencer. Parfaitement conscients du costume

cliché que cette conclusion enfile, permettez-nous de friser l’incompétence une dernière fois tant il est

facile de se reposer sur la bienséance des expres-sions toutes faites. Qui sait, on se retrouvera

peut-être dans un an? x

«Percer»les «mystères» des grands fleuves d’Afrique et d’Améri-

que, c’était la volonté jusqu’alors des productions culturelles occidentales. D’abord les écrits de Stanley sur son exploration semi-hallucinée du fleuve Congo qui ont inspiré Joseph Conrad et son Heart of Darkness — totale-ment halluciné celui-ci. Ensuite, les films — tout de même plus subtils — de Werner Herzog, notamment Aguirre, la colère de Dieu et Fitzcarraldo. La tradition a toujours alimenté cet exotisme orientaliste, d’une nature sauva-ge, puissante, indomptable, et de peuples violents, crédules, qu’il faudrait d’une manière ou d’une autre…«développer» pour éviter «l’horreur» (Conrad).

Dés-orientalisme

À contrepied de cette tra-dition, L’Étreinte du Serpent est un film à l’image volontairement lissée. Le noir et blanc vient contrebalancer l’image d’une

nature «luxuriante» et invasive, et empêche le spectateur de s’évader dans les «couleurs de l’orient». En effet, pas d’évasion, mais plutôt des invasions: celles des Blancs, c’est-à-dire des occi-dentaux, qui n’amènent avec eux toujours que la violence.

Ce constat, c’est celui du chaman joué par un indigène, Nilbio Torres, et dont le person-nage, Karamakate, tient le rôle principal: celui du conteur et du guide. Un ethnologue allemand pris par la fièvre — celle du caout-chouc? — et quelques décennies plus tard, un botaniste américain,

se font tous deux guider par Karamakate à la recherche de la fleur Yakruna, une fleur mythi-que qui guérit et apaise. Durant cette aventure, Karamakate est le «bouge-mondes». Il nous présen-te son récit de l’Amazonie sur le thème du monde renversé, figuré par des plans flous et inversés par le reflet du fleuve, où le Blanc n’apprend rien à personne et doit être éduqué par les Indigènes.

Temps circulaire

Le récit est alors un récit initiatique sans progrès, à l’image des méandres du fleuve-serpent — aussi celui des cosmogonies indigènes — qui désorientent le spectateur. La caméra tourne autour de la pirogue sans jamais nous montrer la direction, chan-geant toujours de rive et de point de vue: la pirogue ne suit pas le fleuve, elle s’y perd, et l’Occi-dental aussi. Mais c’est en fait un voyage halluciné au cœur de l’histoire du rapport de l’Occi-dent à l’Amazonie. Le fleuve mène à des fragments d‘histoire qui surgissent sans origine évi-dente et disparaissent aussi bru-talement. Le récit est morcelé, sans ligne directrice, et c’est pré-cisément en cela que Ciro Guerra a vu juste. Le temps devient en effet une spirale, à l’inverse de notre temps linéaire. Et le fleuve se convertit en cet espa-ce-temps circulaire du serpent

qui s’enroule sur lui-même. C’est donc le temps positiviste —celui du progrès de la science occi-dentale, mais aussi celui du récit avec un début et une fin — qui se perd lui même. L’Occidental se baigne toujours dans ce même Amazone: perdu dans «le temps sans temps» il ne croise que des fantômes de fragments — un poste de frontière surréaliste, des exploitations de caoutchouc — et des morceaux de fantasmes — une étrange mission catholique, une fleur mythique — sans jamais en sortir.

Devant ce tableau très sombre et réaliste d’une histoire fragmentée et d’un colon occi-dental violent, quelques éléments laissent l’œuvre ouverte. La fin très mystérieuse, la poésie sym-boliste de certains plans ainsi que les questions du savoir et du rôle de l’ethnographie font du film un tout complexe et riche de signifi-cations. Ciro Guerra signe un film qui serpente dans nos percep-tions d’Occidentaux pour mieux les troubler. x

12 Culture le délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

[email protected]

Le temps est une créatureL’Étreinte du Serpent dés-oriente au Cinéma du Parc.

cinéma

Vassili Tszil Le Délit

Vous venez tous juste de poser le pied sur la planète ONF, silence, moteur, action.

Un parcours imaginé parcéline fabre

Le Délit

«C’est en fait un voyage halluciné au cœur de l’histoire du rapport de l’Occident

à l’Amazonie»

Jusqu’au 7 avril au Cinéma du Parc.

Mis à part, peut-être, les jardins botaniques

et la voix de Stan Getz, il semblerait qu’il existe peu de choses aussi relaxantes que les courts métrages de l’Office national du film du Canada. La structure familière de la phrase qui précède fera sourire les

plus fidèles d’entre vous,

non sans une fâcheuse impression de déjà-vu. Il y a près d’un an, Le Délit publiait une petite en-quête sur les sentiers des dessins animés et courts métrages expérimentaux canadiens de la planète www.onf.ca. Il est grand temps de donner suite à ce premier volet que l’on surnomme «reviens».

Cette fois ci le voyage démarre avec L’Homme sans ombre, un véritable tableau vivant et mouvant animé par le cinéaste Georges Schwizgebel. L’histoire s’inspire d’un conte surréel qu’Adelbert von Chamisso achevait en 1814, dans lequel un homme accepte d’échan-ger son ombre contre la bourse de Fortunatus: objet magique qui le rendra riche jusqu’à la fin de sa vie. C’est sans prétention que la trame visuelle de Schwizgebel suit les étapes d’un récit qui, dans les règles de son genre, cher-che à édifier son public. C’est pourtant avec une grande liberté que le focus du film tourne autour du héros, que des formes abstraites se fon-dent en décor mondain, que l’on passe du gris à une palette haute en couleur et que la musique, les bruitages, ac-compagnent les images sans

jamais les brusquer.

Il nous faudra alors quelques minutes pour méditer sur ces coups de pinceau frétillants avant de jeter l’ancre du côté de La carte impossible, pour un bref cours de cartographie à l’aide d’un pamplemousse. Déjà en 1947, les animateurs de ce grand-père du tutoriel tentaient de déjouer les lois de la géo-métrie en représentant à plat notre planète qui, jusqu’à preuve

du contraire, est de forme sphérique.

Si le sérieux de ce format éducatif manque de vous assommer, il n’est peut-être pas trop tard pour embarquer sur le navire parodique de Pimp my botte (Rénover mon bateau ndlr). Une esthétique qui rappelle le dessin animé Futurama, un slang acadien quasi-incompréhensible, de la musique techno dans un tout qui se moque genti-ment de l’émission amé-ricaine de restauration de voiture Pimp my ride. Remercions Marc Daigle pour cette idée loufoque et l’emploi audacieux du mot «botte» pour dire «boat»: il est vrai que le Canadien français aime jouer avec le bilinguisme.

Ceux pour qui ce manque de goût arrache-ra un soupir exaspéré choisiront alors de toquer à la porte de Chaque enfant, qui remporta l’Oscar du meilleur court métrage d’animation en 1979. Pour commémorer la déclaration de l’UNICEF sur les droits de l’Enfant, Eugene Fedorenko réalisait une satire douce au trait inimitable et dans laquelle

gribouillis et caricatures font très bon ménage.

Page 21: Le Délit du 5 avril 2016

13Culturele délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Mosaïque théâtraleAlter-Ego dépeint avec humour les égarements de notre société contemporaine.

théâtre

Franc-Jeu, la seule troupe de théâtre francophone de McGill, nous présentait son

spectacle d’hiver du 24 au 27 mars au théâtre l’Espace Libre. Création originale, Alter-Ego caricature des situations et des personnages auxquels on pourrait (presque) tous être confrontés dans notre vie d’adulte. La troupe met en scène des petites histoires d’individus dans la norme, qui pourtant nous parais-sent absurdes quand leurs réactions sont à peine exagérées. Retour sur quelques exemples de ces fictions, pourtant si réalistes.

Histoires (a)normales?

Quoi de plus banal qu’un cou-ple pour qui la passion s’affaiblit et qui va donc faire une thérapie ensemble à la recherche d’une solu-tion miracle? Le «thérapeute» leur donne des conseils qui ne corres-pondent pas du tout à ce dont ils ont besoin, et nous montre ainsi com-ment nous essayons aujourd’hui de rationaliser nos relations amoureu-ses, dans un monde où l’idéologie de la raison et de l’efficacité formate

chaque élément de notre vie. On suit aussi la détresse d’une jeune cadre, constamment sous pression, tant professionnelle que sociale: elle redoute que son petit ami ne la trompe et pousse la paranoïa si loin qu’elle se met à acheter quantité d’outils pour l’espionner. Son ordi-nateur, incarné par un comédien, ne cesse de l’étouffer de questions pour connaître son taux de bonheur, de satisfaction dans son couple et re-présente ainsi très bien la pression que l’on subi tous en quête d’une vie parfaite.

Dans un autre registre, Franc-Jeu aborde un thème récurrent dans

nos sociétés contemporaines: le chômage. Au sein d’un centre social pour chômeurs, des adultes désa-busés doivent suivre des séances de formation obligatoire pour tou-cher leurs allocations. Leur profil contraste avec leur tuteur, un chef d’entreprise qui semble avoir tout pour lui. Il prône la détermination, «ne rien lâcher!» dit-il... mais on perçoit ses veines gonfler sur son cou tant il est tendu et hargneux. Ses tocs — il se balance compulsive-ment sur sa chaise — ou encore ses pics de nerfs, qui trahissent un état de stress extrême. Tout lui réussit professionnellement mais est-t-il

heureux? On sait que ce n’est pas le cas quand on découvre dans une autre scène qu’il est désespéré (la vie de son fils étant en danger) au point d’essayer d’acheter des men-diants pour un test médical.

Toujours sur le même thème, les comédiens de Franc-Jeu ren-dent compte des relations contra-dictoires entre éthique et réussite professionnelle. Ainsi, pour gravir les échelons dans son entreprise, un personnage sera tenté de forniquer avec des mendiantes qui lui pro-mettent qu’en échange il deviendra «le plus grand de tous les siens». En effet, ses supérieurs disparaissent

les uns après les autres de morts accidentelles et il arrive à obtenir la position la plus importante dans son entreprise. Cependant on ne voit sur son visage que du dégoût, d’autant plus que c’est sa propre femme qui l’a poussé à commettre cet adultère. Encore plus déran-geant: la pièce nous place face à un homme qui nous explique comment il a tué sa femme pour pouvoir annuler ses dettes et s’acheter une voiture de luxe...

Entre rires et pleurs?

Quant aux effets scéniques, ils sont sobres mais très modernes. Des vidéos projetées sur le grand mur de la salle, comme la vidéo «mode d’emploi pour un couple réussi», ou l’échange Skype d’un couple. Des effets sonores sont utilisés pour retransmettre avec justesse les petites voix dans nos têtes qui nous dévorent de l’intérieur.

En somme, c’est un pari réussi pour la compagnie étudiante. On rigole tout le long, on pleure pres-que aussi à certains moments. La pièce transmet un vrai message sur la société dans laquelle on vit tous aujourd’hui et qui nous pousse par-fois au fond du gouffre. x

hannah raffinLe Délit

El Clan reconstitue la trajectoire emblématique d’un gang familial argentin.

Dans le cadre du septième festival du film latino-amé-ricain, le cinéma du Parc

présente El Clan du réalisateur argentin Pablo Trapero. Inspiré d’une histoire vraie, le film retrace la carrière criminelle tragique de la famille Puccio, responsable de plu-sieurs enlèvements et assassinats à l’aube de la transition démocratique argentine.

En 1982, la dictature militaire tire à sa fin. Alors que l’Argentine amorce lentement son retour à la démocratie, Arquímedes Puccio, militaire et père d’une famille de cinq enfants, planifie froidement les enlèvements de citoyens fortunés. Aidé par ses fils et couvert par la complicité passive du reste du foyer, il perpétue le règne de la violence gouvernementale dans l’intimité de la sphère familiale. Les institutions

militaires s’effondrent, les séquelles de leurs excès demeurent.

Trapero explore une société argentine dans les limbes, déchirée entre la promesse d’un avenir démo-cratique et les vestiges d’une violen-ce banalisée. Les hommes de main de la dictature désormais au chô-mage prolongent en silence les mé-thodes du régime chancelant. Alors que le pays entrevoit avec espoir un retour au respect des droits de l’Homme et de la dignité humaine, la persistance des enlèvements et des disparitions obstrue le paysage. El Clan interpelle en dépeignant la ba-nalité du mal: sous la surface de leur existence rangée, les Puccio perpé-tuent des actes atroces de manière mécanique, presque inconsciente. Passifs et détachés face au crime, ils font preuve d’une cruauté indiffé-rente. Trapero s’adonne ainsi à une réflexion troublante sur les relations complices de l’individu vis-à-vis de la violence et sur ses responsabilités.

Cocktail visuel

À la fois thriller, policier et drame familial, El Clan mélange les genres avec talent. L’écriture de Trapero est unique, sensible, sur-prenante. Si son sujet est captivant, il ne sacrifie cependant pas la forme au fond et joue sur les décalages. Les repas familiaux ont pour fond les hurlements de douleur de prison-niers détenus au sous-sol, les scènes de sexe se superposent à celles de mise à mort… Entre absurde et hu-mour noir, les portraits de violence sont systématiquement accompa-gnés de musique joyeuse, signalant le détachement des personnages et leur éloignement du réel. Trapero offre donc une perspective inouïe sur une période de l’histoire latino-américaine jusqu’alors peu évoquée au cinéma. Le résultat est remar-quable. On quitte la séance boule-versé, marqué par le regard singulier du réalisateur dont le souhait est de

«faire des films qui commencent à vivre quand on sort de la salle.»

El Clan tire également sa force de la performance admirable de ses acteurs. Guillermo Francella, plus connu en Argentine pour ses rôles comiques, interprète ici le rôle

principal et maîtrise parfaitement le registre dramatique. Avec son regard froid et son allure impassi-ble, son incarnation du patriarche autoritaire et tyrannique est stu-péfiante. De la mère apathique au fils assujetti, les seconds rôles sont particulièrement bien construits et dressent un portrait fascinant de cette famille énigmatique. Sous le joug de ce père implacable, chacun des membres de la famille devient complice sans jamais vraiment le vouloir. L’aspect le plus fascinant du film réside peut-être dans la

dualité de ces personnages aux ap-parences anodines, sympathiques collègues le jour et séquestreurs sadiques la nuit. Dans le monde dépeint par Trapero, le mal semble pouvoir se loger partout et surtout là où on l’attend le moins.

Conformément aux désirs du cinéaste, El Clan survit à son géné-rique de fin. Les questions diffici-les que le film soulève poursuivent le spectateur bien au-delà de la salle du cinéma. Avec ce film mar-quant, Trapero nous invite à nous interroger sur la manière dont l’indifférence brouille les frontiè-res morales et fait de la violence une convention. x

hortense chauvinLe Délit

Petits meurtres en famille

«Ils font preuve d’une cruautéindifférente»

El ClanCinéma du parc jusqu’au 7 avril

Page 22: Le Délit du 5 avril 2016

14 Culture le délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

«C’est dur l’éthique»Le corps au cœur de la Rencontre interuniversitaire de performance actuelle (RIPA).

performance

La Rencontre interuniver-sitaire de performance actuelle (RIPA) a eu lieu le

2 avril 2016, dans la salle polyva-lente de l’UQAM. Le nom de l’évé-nement annonce déjà la couleur, il faut donc s’attendre à un méli-mélo de performances diverses et hautement contemporaines, représentatif de la sphère bohème et engagée de la jeunesse montréa-laise. La RIPA confirme bien cette hypothèse: d’emblée, la salle en-tière apparait comme l’espace scé-nique, dans lequel les artistes se confondent avec les spectateurs. Certaines performances sont déjà en place et se poursuivent jusqu’à la fin de la soirée; c’est ainsi qu’un artiste attire l’attention générale par le son rythmé d’un tampon frappant une table. Il s’appelle Felipé Goulet-Letarte et s’adonne à une tâche intrigante: tamponner le mot «Éthique» au milieu d’une feuille blanche. Durant quatre heures, il poursuit ce mouvement mécanique et ininterrompu qui donne naissance à des centaines

de feuilles blanches tampon-nées de cet unique mot, éthique. Éthique, est-ce «éthique» alors de sacrifier tout ce papier pour la cause artistique? C’est l’occasion ou jamais de poser la question à l’artiste. Le bras et le dos engour-dis, il répond avec un sourire: «c’est dur l’éthique».

Au milieu de la salle, une femme est couchée sur le sol, près d’une échelle, les pieds fermement attachés à des échasses en bois. Elle se meut par intermittence, les yeux hagards; elle ne regarde per-sonne en particulier. Après une heure de performance, Caroline Boileau est libérée de ses échas-ses, et monte sur l’étrange échelle jusque là posée sur le sol. La marraine de cette édition regarde l’assemblée, et finit par prononcer un mot de bienvenue; l’événement est lancé. Parmi les nombreuses performances qui surgissent de manière soudaine et inattendue, à divers endroits de la salle, deux m’ont particulièrement attiré l’attention. Deux artistes, deux femmes qui, au travers de deux performances totalement diffé-rentes, semblent graviter autour

d’un thème commun: la fragilité. La première artiste, vêtue

d’une robe et de bottes rouges, entame sa prestation en mar-chant et en faisant le poirier. Par la suite, elle change de chaus-sures, se déshabille, et reprend son parcours en continuant son activité. Elle s’essouffle, tombe même une fois. Elle finit par se vêtir d’un tissu assorti à ses bot-tes beiges, pour enfin le déchirer de toutes parts, et recréer un nou-veau vêtement en nouant diffé-rents morceaux. Finalement, l’ar-tiste s’écrit «Y’a pas de punch» et sort de la salle. Une performance qui semble alors être la manifes-tation d’une quête perpétuelle de l’équilibre, et ce à travers les ten-tatives répétées de faire le poirier et la recherche d’une combinai-son vestimentaire impossible. Le changement, le mouvement, la rupture puis la création, et la mise en avant du corps, peuvent traduire une certaine fragilité de cette femme qui ne parvient pas à trouver l’objet de ses recherches.

La deuxième artiste, elle, nous emmène à travers une expérience sonore très désagréable. Sur fond de sons qui simulent le raffut d’une rue agitée, cette artiste produit, en jouant avec les câbles électriques reliés à un haut-parleur, des sons stridents, parfois très aigus, et dif-

ficilement supportables. Ces bruits sont entrecoupés de phrases que l’artiste prononce de temps à autre à l’aide d’un micro. Rose raconte une histoire, celle d’une fille déprimée, seule, qui dans ce milieu urbain, tente de trouver la quiétude, mais également une oreille attentive qui saurait l’écouter. L’artiste termine sa performance en écrivant ces mots: «Crier, faire du bruit, c’est impor-

tant.» Cet appel, presque désespéré, projette un besoin de mise en avant de l’ego, traduisant également la fra-gilité du personnage représenté par l’artiste.

En somme, les performances de la RIPA sont des manifestations du corps sous différentes formes, et nous poussent à la réflexion et à l’analyse, par leur caractère quel-ques fois déconcertant. x

Sandra Klemet-N’GuessanLe Délit

Place à l’ Ryan Gander nous offre Make every show like it’s your last dans les salles du MAC.

M ake every show like it’s your last, pré-senté au Musée d’Art

Contemporain, est la première exposition solo de l’artiste britan-nique Ryan Gander à Montréal. Les œuvres, exhibées dans un grand espace ouvert auquel sont annexées deux petites salles, se répartissent entre tableaux, images, inventions et sculptures. Composées de matériaux variés, elles reflètent la multidisci-plinarité de l’artiste, qui cherche à attirer notre attention, nos pensées et notre créativité vers des enjeux de la vie quotidienne, à prendre avec humour et grain de sel. L’exposition est brève, mais c’est en partie ce qui la rend plus accessible pour les étudiants qui mettent les bouchées doubles à l’approche des examens finaux!

Échantillons incongrus

C++ regroupe cent palettes de verre ayant servi à peindre autant

de portraits n’ayant toutefois jamais été exposés. Cette œuvre à elle seule occupe un mur haut et large, ce qui permet au visiteur de se concentrer pour parcourir cet ouvrage comme il se doit. Chaque palette contient des couleurs variées et différentes, ce qui porte à s’interroger sur les personnes dont le portrait a été peint. De

quoi avaient-elles l’air? Comment l’artiste les avait-il représentées? I is…(iv) est le titre de plusieurs sculptures en résine de marbre disposées à travers la salle princi-

pale. Leur apparence suggère des meubles abandonnés dans une maison, entièrement couverts par des draps blancs tournant au gris à cause de la poussière. En lisant le guide d’information, on com-prend que l’artiste représente ici les tentes que sa petite fille crée à partir de quelques meubles et objets recouverts de draps, fruits de l’imagination sans borne de l’enfant. Il est à noter que pour cette œuvre, le réalisme de la tex-ture est admirable!

Finalement, avec une paire d’yeux animatroniques rappe-lant la bande dessinée, la vue de Magnus Opus surprend et fait rire. Imbriqués dans un mur blanc, deux gros yeux bleus et les sourcils qui les accompagnent bougent toutes les quelques se-condes pour représenter diverses émotions et expressions. On est captivé, qu’on le veuille ou non,

par ces objets intrigants et on suit avec curiosité leur chorégraphie aléatoire.

En bref, les œuvres exposées varient par leur nature et chaque visiteur y trouve son compte. Ce qui est unique aussi, c’est que le visiteur ne se sent ni trop perdu ni trop guidé: les feuillets d’informa-tion sont disponibles à l’entrée de la salle, mais aucune description n’apparait à côté des pièces, ce qui donne libre cours à la pensée du visiteur. En effet, seulement s’il le désire, un coup d’œil aux notes de l’artiste permet de mieux com-prendre le point de vue de celui-ci.

Si, d’après le titre de son expo-sition, Gander veut que les gens gardent en mémoire ses œuvres, c’est réussi. La place laissée aux pensées du public, qui forge son appréciation et interprétation des œuvres, en est l’élément clé. Make every show like it’s your last au MAC, version retravaillée de l’ex-position itinérante, fait un arrêt jusqu’au 22 mai 2016 à Montréal, puis reprend son voyage. Ne tardez pas! x

ryan ganderCristina Tanasescu

«Une performance qui semble être la manifestation d’une quête de l’équilibre»

exposition imagination

«On est captivé, qu’on le veuille ou non, par ces objets intrigants»

Page 23: Le Délit du 5 avril 2016

15Culturele délit · mardi 5 avril 2016 · delitfrancais.com

Au cœur de ManawanDiscussion avec Chloé Leriche sur le long-métrage Avant les rues.

entrevue

C’est dans la réserve amé-rindienne Manawan (Québec) que s’est

déroulé le tournage d’Avant les rues. Retour sur une fiction en langue Atikamekw qui inclut ses acteurs autochtones dans son processus de création.

Le Délit (LD): Avant les rues est, après une longue série de courts-métrages, votre premier long-métrage. Avez-vous dû adop-ter une approche très différente?

Chloé Leriche (CL): J’ai fait mes courts-métrages avec beaucoup d’expérimentation et j’ai gardé cet aspect lorsque j’ai décidé de travailler sur un projet de long-métrage. Par contre, les efforts pour mettre en place le projet sont beaucoup plus grands.

LD: Comment les habitants du village où s’est déroulé le tour-nage vous ont-ils accueilli ?

CL: Ils nous ont très bien accueillis. Il faut savoir que l’accueil, l’entraide, c’est une des affaires principales chez les peuples autochtones; c’est en eux. Donc en ce sens on a eu un accueil hyper chaleureux, ouvert. C’était assez magnifique en fait.

LD: Les acteurs, autochtones pour la plupart, ont-ils beaucoup contribué à l’élaboration des scènes et des dialogues?

CL: Oui, ils ont contribué à l’élaboration des dialogues en ce sens qu’ils traduisaient eux-mê-mes leurs répliques. Ils étaient alors très participatifs, ce qui leur a permis non seulement d’être très authentiques, mais en plus de faire intervenir des notions typique-ment autochtones qui n’étaient pas nécessairement dans mon scénario.

LD: Pendant toute la durée du projet et en particulier votre séjour sur les lieux du tournage, quels aspects de la culture autochtone vous ont le plus marquée?

CL: Plein d’aspects. Premièrement leur rapport

à la nature: ils ont un respect énorme de l’environnement dans lequel ils vivent. Leur lien avec le territoire est assez fascinant aussi, parce qu’ils le connaissent extrêmement bien. Quand ils se promènent dans les bois, même vraiment loin de la communauté, ils savent quels animaux s’y trou-vent, quels poissons sont dans quels lacs… Le fait que quand ils tuent un animal, ils récupèrent toutes les parties de l’animal, que ce soit pour faire des vêtements d’artisanat ou autre. Ils mangent absolument tout aussi.

Sinon, au niveau des valeurs qui m’ont fascinée chez ces peu-ples c’est leur lien à la tradition, ils font énormément d’efforts pour la préserver. Cela se mani-feste par le respect qu’ils ont pour les aînés. Les Québécois peuvent avoir des liens fami-liaux avec leurs parents et leurs grands-parents, mais chez les autochtones, on respecte la parole des aînés et on essaie d’en apprendre le plus possible. Je

trouve magnifique ce respect-là des personnes âgées.

Leur rapport à la sexualité est également fascinant. Par exemple un homme ou une fem-me homosexuelle c’est quelqu’un qui a un équilibre entre sa partie féminine et sa partie masculine. Il y a beaucoup d’ouverture en ce sens-là. La liste est longue des choses que je trouve belles dans cette culture…

LD: Quelle a été la réaction du peuple de Manawan à la vue d’un film à leur image?

CL: J’ai montré le film en avant-première aux chefs des communautés autochto-nes Atikamekw et tous leurs conseillers, et ils ont adoré. Ils se sont sentis bien représentés, ils ont trouvé que le film était plein de lumière, et qu’il était équili-

bré. Ce qui m’importait le plus était que les Premières Nations puissent ressentir un attache-ment et porter le film avec moi. Davantage que la critique ou la reconnaissance de mes pairs. Je crois que le film reste une fiction, c’est le contexte autour qui sem-ble les intéresser. Le fait qu’il y ait un retour à la tradition (dans le film le héros cherche à apaiser sa culpabilité par la pratique de rituels traditionnels, ndlr) les touche aussi beaucoup.

Il y a un gros buzz autour du film en ce moment. Pour eux, c’est agréable car on parle des problématiques des Premières Nations partout dans les médias; mais on parle rarement de réus-sites telles que des non-acteurs autochtones qui ont réussi à jouer un film dans lequel ils vivent des performances très fortes.x

sophie deraspe

Propos recueillis parmadeleine courbariaux

Le Délit

Merci ! à tous nos lecteurs etannonceurs pour leur supporttout au long de l’année.- L’équipe publicitaire du Délit

Le Délit sera de retourle mardi 13 septembre.

Le Daily sera de retourle jeudi 1 septembre.

Passez un bel été !

By MTLskyline (Own work) [CC BY 3.0 (http://creativecommons.org/licenses/by/3.0)], via Wikimedia Commons

«Ils se sont sentis bien représentés, ils ont trouvé que le film était plein de lumière»

glauco bermudez

Avant les ruesRéalisé par Chloé LericheÀ Montréal dès le 15 avril

Page 24: Le Délit du 5 avril 2016

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