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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill Mardi 17 novembre 2015 | Volume 105 Numéro 9 Ostie d’ croquembouche depuis 1977

Livret Spécial Attentats dans Le Délit du 17 novembre 2015

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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 17 novembre 2015 | Volume 105 Numéro 9 Ostie d’ croquembouche depuis 1977

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Le seul journal francophone de l’Université McGill

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en men-tionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessai-rement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

Volume 105 Numéro 9

2éditorial le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

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Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6784

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actualité[email protected] BeaupréThéophile Vareille

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coordonnatrice réseaux [email protected]

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[email protected] Ménard

contributeursAldéric Leahy, Antoine Duranton, Arno Pedram, Aymeric Amigues, Capucine Lorber, Catherine Aboumrad, Charles Gauthier-Ouellette, Cécile Richetta, Chloé Anastassiadis, Chloé Francisco, David Leroux, Hannah Raffin, Jeanne Simoneau, Joachim Dos Santos, Louis Baudoin-Laarman, Magdalena Morales, Mahaut Engérant, Miruna Craciunescu, Nicolas Belliveau, Nuoédyn Baspin, Paul Pieuchot, Philomène Dévé, Ronny Al-Nosir, Salomé Grouard, Théo Bourgery, Vassili Sztil, Vittorio Pessin, Zaliqa RoslicouvertureEléonore Nouel, Vittorio Pessin et Luce Engérant

bureau publicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6790

Télécopieur : +1 514 [email protected]

publicité et direction générale Boris Shedov

représentante en ventesLetty Matteo

photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux,Geneviève Robert

Passer son vendredi à la bibliothèque. Ouvrir pour la trente-sixième fois de la journée sa page Facebook. Cliquer

sur l’article qu’un ami vient de partager. Tomber sur un livestream de Libération. Lire que «deux hommes ont ouvert le feu rue de Charonne». Ne pas être certaine de comprendre. Ne pas réaliser directe-ment. Faire défiler l’article, le temps de couvertures médiatiques, les attaques, et le nombre de morts. Comprendre. Lâcher un «merde», seule face à son écran. Se souve-nir de Charlie. Se dire que ça recommence. Appeler ses parents. S’assurer que toute sa famille est bien à la maison. Déambuler sans trop d’équilibre dans les couloirs de McLennan. Chercher des Français du regard. Prendre le premier porteur de chaussures Stan Smith dans ses bras. Commenter. Demander comment va l’autre, même si l’autre est un étudiant de gestion à qui vous n’avez jamais adressé la parole et que vous vous situez dans un espace de travail silencieux. S’asseoir à une table avec des compatriotes. Se replonger dans les réseaux sociaux. S’y perdre une heure. Ne plus être certaine du nombre d’attaques, du nombre de morts, ou de si tout cela est bien réel. Croiser le regard d’un ami. Appuyer ce regard. Acquiescer, l’urgence redescend, le deuil s’installe. Skyper sa mère pour qu’elle installe la caméra face à la télé française que vous ne parvenez pas à capter de votre bout du monde. Écouter la première chro-nique émotionnelle de la journée. Pleurer. Culpabiliser d’être aussi loin de la France, d’être exclue. Cloper. Se sentir profondé-ment Française. Se sentir profondément touchée, car si ces hommes et ces femmes ont été tués c’est uniquement pour leur citoyenneté et leurs valeurs, les mêmes que les vôtres. Entendre des étudiants cana-

diens vous présenter leur soutien. Se rendre chez le plus parisien de ses amis. Réaliser que même lui a perdu son insolence. Rester cinq heures devant une chaîne d’informa-tions. Repérer ses vingt meilleurs amis signalés en sécurité. Apprendre qu’au moins 120 d’entre nous sont tombés. Finir les trois quarts d’une bouteille de whisky à deux. Éponger cette triste ivresse avec des pitas au cumin libanaises – joli hasard. Débattre. Se réveiller tôt pour retourner sur le cam-pus. Se souvenir. Avoir froid aux pieds en ce premier samedi gelé et avoir peur d’une nouvelle attaque. Admettre avoir été terrori-sée. Tenter de faire son travail. Ne pas réus-sir à se déconnecter. Changer sa photo de profil. S’émouvoir de tout ce soutien virtuel au-delà des kilomètres. Commencer à tout questionner: subjectivité médiatique, amal-games, cyber-activisme à la mode, récupé-ration politique, surenchère. Commenter, liker, et rester accrochée. Participer au rassemblement devant le consulat français. Chanter la Marseillaise la plus silencieuse de l’Histoire. Croiser les larmes de chacun. Avoir un sentiment de déjà-vu. Se rendre compte qu’un attentat en France n’est plus une exception, que nous sommes la cible, que nous sommes solidaires, beaux et fiers, mais en en guerre.

Puis vient le temps d’écrire pour avancer. Diviser les pleurs en pages, voir l’atrocité comme un sujet, matérialiser la douleur sur papier, ne plus ressentir. Le deuil accéléré du journalisme. L’équipe édi-toriale du Délit, majoritairement d’origine française et consciente de l’importance de la communauté française à McGill, a sou-haité réagir en publiant une édition spécia-le avec un livret (p.7) à propos des attentats de la semaine passée.

Les médias ont une importance toute particulière lors de ce type d’événements. Ils permettent d’informer, analyser, réa-gir, connecter ceux qui sont éloignés et

dresser des mots face à l’horreur. La parole justement, le logos, à la fois raison, sagesse et vérité est notre plus belle arme face à ceux qui ne revendiquent que par la mort. Néanmoins, les médias ont aussi relayé un grand nombre de fausses informations ou présenté des articles pauvres en nuances et riches en amalgames. La réactivité doit s’équilibrer avec la qualité; la subjectivité blessée avec la vérité et le respect.

Ces derniers jours, beaucoup ont souhaité souligner le fait que d’autres atta-ques barbares avaient été perpétrée sans obtenir la même couverture médiatique, ni le même soutien international. Avec «les bombes à Beyrouth, Bagdad et Ankara, et l’explosion d’un avion russe au-dessus du Sinaï, nous voyons l’intensification du re-cours aveugle à la violence contre des civils au nom d’une idéologie politique», rappelle l’observatoire des Droits de l’Homme.

La France a été touchée et choisie pour ses valeurs. Une violence extrême contre cette liberté que les Français ont posée à l’extrémité du progrès.

Nous présentons notre soutien à tou-tes les personnes directement ou indirec-tement touchées par ces événements. Nos pensées vont évidemment aux proches des victimes, mais aussi à tous les Français et tous les étudiants qui ont vu les valeurs auxquels ils aspirent bafouées dans ces attaques que nous condamnons.

Comme l’a parfaitement écrit le journal Libération, nous sommes la «Génération Bataclan»: nous avons grandi avec le 11 septembre et nous sommes devenus adultes avec les attentats de 2015 en France. Le premier ministre français, Manuel Valls, disait «votre génération doit s’habituer à vivre avec ce danger».

Le Délit a publié sa première édition de l’année pour Charlie Hebdo, il la finit avec ce dernier numéro 2015, «spécial attentats à Paris». x

13/11: Balles perduesjulia denisLe Délit

Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction.

7spécial attentatsle délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Hommages aux victimes à MontréalIls étaient des centaines, devant le consulat de France, Place des Arts et à

l’intersection Y pour honorer la mémoire des morts à Paris.

inès léopoldie-dubois

spécial attentats

éléonore nouel Louis baudoin-laarman

Adrien, étudiant parisien en visite à Montréal: «Je trouve ça bien qu’il y ait quelque chose comme ça qui se mette en place. Avec tout ce qui se passe, même depuis l’étranger, donner ne serait-ce qu’un peu de soutien c’est déjà ça. On fait ce qu’on peut de là où on est...»

Emily, étudiante à McGill originaire de l’Île-du-Prince-Édouard: «Leur montrer que ça n’a pas marché, que nous n’avons pas peur et que, quoi qu’il arrive, ça ne nous empêche pas de sortir de chez nous.»

Marc Blondeau, directeur de la Place des Arts: «Consternation d’apprendre qu’un tel carnage ait eu lieu dans une salle de spectacle. Nous avons pensé proposer un rendez vous simple, sobre, un rassemble-ment de solidarité pour la paix, contre la violence et la peur, un événement de recueillement (...) mais aussi, et peut être surtout, un événement de prise de parole par plusieurs personnes du milieu culturel.»

Michel Dumont, comédien et directeur du théâtre Jean-Duceppe: «Deux solutions: ou on se terre, on se cache, on plie, on arrête de vivre et on arrête de croire; ou bien on relève la tête, et on continue à avoir la foi en l’Homme, malgré toutes les folies dont il est capable.»

Marily, étudiante à McGill originaire de l’Île-du-Prince-Édouard: «Je n’attendais pas autant de gens mais je

pense que c’est très impressionnant, ça montre à quel point l’humanité est puissante, et que nous pouvons

tous nous rassembler quand un événement aussi hor-rible arrive, et promouvoir tous ensemble la paix.»

Anne, originaire de Clermont-Ferrand: «Je trouve tou-jours ça très émouvant comme rassemblement. Et puis

de se retrouver avec des gens de tous les horizons qui ne se connaissent pas, pour la même raison, c’est toujours

un bon moment. J’espère juste que l’élan de solidarité ne va pas s’éteindre demain. Et puis on va essayer de

faire en sorte de tous rester debout, ensemble, col-lectivement dans les prochaines semaines et mois

parce que malheureusement ça risque de ne pas être la seule épreuve à laquelle on va être confronté...»

Margaux et Chloé, étudiantes mcgilloises françaises: «Parce qu’on est loin et que dans des moments comme

ça, ça fait du bien de se réunir pour se serrer les coudes.»

Propos recueillis paresther perrin-tabarly

Hannah raffinmatilda nottage

Le Délit

8 Spécial attentats le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

matilda nottageLe Délit

Sources: Libération, Le MondeInfographie réalisée à l’aide de Piktochart.

9spécial attentatsle délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Incorrigibles ParisiensChoc, deuil et défiance se mêlent au lendemain d’attaques d’une ampleur inédite.

Place de la République, ce dimanche 15 novembre, une tiédeur insolite enveloppe les

centaines de personnes qui se pres-sent contre la statue de Marianne. Malgré l’interdiction des rassem-blements en commémoration des victimes du 13 novembre, les bougies et les fleurs s’amoncellent à la base du monument central de la place, dégageant une chaleur cer-taine. Lorsqu’on s’approche, qu’on se baisse pour lire les messages de paix qui se mêlent aux pancartes encore trop récentes des attaques de Charlie Hebdo, l’odeur de la cire se détache, conférant ainsi à cette marée humaine, formée spontané-ment, une ambiance intime. Chacun se sent impuissant, mais tous sont réunis en solidarité aux morts d’une communauté.

Une soirée festive...

Deux jours plus tôt, un ven-dredi soir, soir de liberté et de loisirs, plu-

sieurs attaques simultanées frap-pent Paris de plein fouet, alors que la ville se prépare à sortir jusqu’au petit matin. Dans l’heure qui suit, les Parisiens découvrent dans une horreur incrédule les événements toujours en cours dans leur ville. Dans le métro, les gens scrutent anxieusement leur téléphone intelligent, dans l’espoir de mieux comprendre une situation dont per-sonne ne connaît alors l’ampleur; mais chacun sait déjà, comme guidé par un sixième sens, que le bilan de la nuit sera élevé, que ce qui se passe est inédit.

Au fur et à mesure que l’infor-mation circule, les gens dans la rame se jettent des regards, furtifs d’abords, puis appuyés et compatis-sants. La nouvelle est sur toutes les lèvres, mais les conventions sociales tiennent encore, on ne parle pas aux inconnus. Quelques arrêts de plus et les langues se délient, quelques mots banals qui sur le moment permet-tent de partager ce qui touche tout le monde dans la rame. Passé 22h45, seuls les touristes semblent ne pas être au courant de la situation, ils

n’ont probablement pas la 3G à Paris.

Puis le couvre-feu est déclaré, alors que l’on arrive justement au point de rendez-vous donné pour passer un moment de liberté insou-ciante entre amis. Avant d’entrer, on sait déjà quel sujet monopolisera la soirée. Deux camps se forment alors, ceux du «buvons pour ne pas y penser», faisant preuve d’une insouciance réelle ou feinte; et ceux qui passeront la soirée à regarder en direct les développements des événements. Passé trois heures, certains rentrent chez eux malgré l’interdiction, non sans promettre, plusieurs fois avant d’atteindre la porte, qu’ils seront prudents. Même si chacun sait que les événements sont finis, le nombre et l’emplace-ment de cibles réelles et supposées alimentent l’incertitude de tous.

48 heures pour se souvenir

Les deux jours qui suivront seront relativement calmes à Paris. Un calme artificiel diront certains, puisque la plupart des endroits publics étaient fermés. Outre le fait que les activités à Paris étaient limitées, il était surtout important pour les gens de parler des événe-ments en famille ou entre amis. «Le lendemain, j’ai dîné avec toute ma famille, on en a parlé forcément. Dans ces moments-là on a besoin de se retrouver, d’être ensemble pour partager ce que l’on ressent.», raconte Mahauld, étudiante à Sciences Po Paris, qui se trouvait au Stade de France la veille.

Le dimanche en revanche, c’est la foule plus que la peur qui domine la rue entre la place de la République, le boulevard Voltaire et le boulevard Richard-Lenoir. Comme si les gens ne pouvaient s’en empêcher, tous ont investi le quartier, mus par un besoin de ren-dre hommage aux victimes.

À République, c’est la solida-rité et la défiance face à la barbarie qui dominent. D’un côté, une cho-rale s’improvise, suivie par les bat-tements de mains de la foule, pour

prouver qu’après tout, «Paris est battu par les flots mais ne sombre pas»; la devise de la ville (Fluctuat nec mergitur, ndlr) est d’ailleurs inscrite en grandes lettres sur plu-sieurs murs. «On sent qu’on a tous été affecté par ce qui s’est passé. C’est dans ces moments-là qu’on ressent notre appartenance à une communauté», commente Isabelle, une institutrice à la retraite.

Rue de la Fontaine au Roi,

l’ambiance est au recueillement. Ici, les trous des balles disséminés sur les vitres ne sont des témoins que trop fiables de ce qu’il s’est passé. Ces preuves des atrocités commises forcent le respect aux victimes. L’ambiance n’est pas la même qu’à République, le silence règne. Ère des réseaux sociaux oblige, nombreux sont ceux qui veulent leur photo des impacts de balles, frisant parfois l’indécence.

«Sont-ce les trous de balles qui sont pris en photo, ou l’inverse?»

Même ambiance sur le bou-levard Voltaire, fermé au niveau du Bataclan, ainsi que rue Alibert, devant le bar le Carillon. Partout les fleurs et les bougies s’empilent, et la densité de la foule rapproche ceux qui se recueillent en silence, épaule contre épaule. C’est un véritable parcours de la mémoire qui se crée dans tout le quartier, alors que les

gens décident d’aller rendre hom-mage aux différents lieux affectés. Impatients, bravant les recomman-dations de la préfecture, incapables d’attendre la minute de silence nationale prévue pour le lende-main, les Parisiens se seront tout de même rassemblés pour leurs morts, preuve qu’ils ne lâcheront rien de leur mode de vie face aux intimida-tions d’une idéologie liberticide et totalitaire. x

louis baudoin-laarman

louis Baudoin-laarmanEnvoyé spécial à Paris pour Le Délit

Un affront contre une culturePortrait du Bataclan, théâtre d’une des attaques du 13 novembre.

En mitraillant le cœur du Bataclan, les terroris-tes du 13 novembre se

sont attaqués à un symbole de la mixité sociale et culturelle parisienne. Classé monument historique, le théâtre est un lieu de métissage qui élève la voix de tous les style musicaux. D’Oasis à Snoop Dogg, Stromae ou enco-re Cesaria Evora.

Joyau architectural et sym-bole de la culture festive pari-sienne, il accueillait, le soir du drame, le groupe Eagles of Death Metal, à guichet fermé.

Patrimoine de culture

Le Bataclan, c’est ce bâtiment de pierre à la façade colorée de jaune et de rouge, qui semble hors du temps. Bâti en 1865 par Charles Duval, «Le grand Café Chinois -Théâtre Bataclan», accueillait à l’origine des ballets et des numéros d’acrobatie. C’était un music-hall et son nom «Bataclan» vient de l’opérette Ba-Ta-Clan de Jacques Offenbach (1855), une oeuvre ins-pirée par les tendances orientalis-tes de l’époque. Après une période

de gloire, un rachat, une transfor-mation en cinéma et un incendie en 1933, le bâtiment est partielle-ment détruit en 1950 puis fermé en 1969. Grâce à Joël Laloux, fils de la nouvelle propriétaire de la salle, le Bataclan développe une nouvelle programmation et finit par attirer des grands noms de la musique comme Lou Reed, qui y enregis-trait son Bataclan ‘72. Espace de convergence des cultures musica-les, de rencontres artistiques, mais surtout de détente, le Bataclan est une adresse parisienne populaire.

Dans les années 1980, le théâtre était loin d’être un club bourgeois, puisqu’il était un lieu de rencon-tres pour les jeunes de banlieues qui s’intéressaient à la musique black française. Jamel Debbouze et Dany Boon y ont aussi donné cer-tains de leurs one-man shows. Des artistes telles que Lianne La Havas et Louane étaient programmées pour le mois de décembre.

En entrevue avec le magazine Télérama le samedi 14 novembre, l’un des propriétaires, Dominique Revert, expliquait qu’il ne savait

pas encore ce qui allait advenir de la salle de spectacle. «Un agent an-glais m’a téléphoné ce matin pour me dire que si nous organisions un concert de soutien, tous ses artistes étaient prêts à venir.» Au lendemain du drame, en hommage à la salle, mais aussi aux victimes des attentats, un artiste inconnu s’est installé non loin du Bataclan avec un piano à queue marqué d’un symbole de paix. Comme un signe de soutien, mais aussi de lutte pacifique pour dire que la terreur ne fait pas taire la musique, le pianiste a joué Imagine de John Lennon, une chanson qui appelle à imaginer un monde où tout cela n’arriverait pas. x

amandine HamonLe Délit

«Espace de convergence des cultures musicales, de rencontres artistiques, mais surtout de détente»

louis baudoin -laarman

«À République, c’est la solidarité et la défiance face à la barbarie qui dominent.»

10 spécial attentats le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Ode au refus de la terreur.

C’est à toi que je parle aujourd’hui. À toi, lec-teur du Délit, étudiant

à McGill. Toi qui navigues dans tes premières années adultes, te ballottant de McLennan à Café Campus, à McLennan de nouveau. Toi qui, du haut de tes vingt ans, planifies des voyages, paniques sur ton avenir, finis des disserta-tions à la dernière minute. Toi, enfin, qui souhaites compren-dre avant de juger. C’est toi qui, vendredi, es mort au Bataclan, au Petit Cambodge ou encore au Carillon.

Les terroristes ont délivré leur haine sur nous tous qui ne voulons pas faire la guerre. Devant la liberté, ils ont levé les armes, tuant sans compter, abattant sans frémir. Au droit à la différence, ils offrent un retourné

sanglant. Ils s’accommodent d’un monde binaire; faux, certes, mais si simple. En conséquence, ils ont mitraillé en leur cœur les prin-cipes de tous les peuples libres. Jean-Pierre Filiu, professeur à l’Institut Sciences Po à Paris et spécialiste du djihadisme, le dit lui-même: ce n’est pas la France qui était visée, mais bien l’Occi-dent, ou plus précisément l’anti-Daesh. Ce sont des Français qui sont morts, mais c’est le monde qui souffre.

Devant la mort, l’horreur ou la barbarie, au choix, quelles conclusions doit-on tirer? J’écris cette opinion sans recul, à chaud, TV5 Monde rejoue devant moi les vidéos amateurs les plus terribles — tenter de trouver une solution serait risible, voire superflu.

Néanmoins, je me souviens de la chronique de Côme de Grandmaison dans Le Délit de la semaine dernière (p.9), qui citait

Chers Djihadistes de Philippe Muray. Sommes-nous effective-ment en train de nous complaire dans la déconstruction de notre société? Nos démocraties sui-vent-elles des chemins parallèles à la continuité historique logique? Nos nations libres souffrent-elles d’un «manque de signification»?

Allons plus loin — je réfléchis avec vous, je ne fais pas l’avocat du diable —, doit-on s’habituer à un rythme de terreur régulier? Nos enfants apprendront-ils à fuir les bombes, à anticiper les tirs de mitraillettes? Ces scènes de guerre répétées deviendront-elles la norme, alors que Manuel Valls, Premier ministre français, nous explique que d’autres atta-ques sont encore à venir?

Pour ma part, je ne tomberai pas dans la peur constante. Avoir la terreur comme principe de vie, c’est donner raison aux autres, ceux qui tirent parce qu’ils ne

comprennent pas. S’ils veulent nous museler, nous ne nous lais-serons pas faire. Nous ferons d’ailleurs la pire chose qu’ils puissent imaginer: vivre nos vies comme auparavant.

Il faut aussi comprendre que nous ne sommes pas seuls dans ce combat. Nous ne sommes pas témoins d’une attaque contre un pays-nation, mais bien d’une insulte à ceux qui ont soif de li-berté. Je pense bien sûr aux peu-ples opprimés à travers le monde; à ceux qui explosent à Beyrouth ou tombent devant Boko Haram. Face au drapeau bleu-blanc-rouge qui apparaît sur mon fil d’actua-lité Facebook, comme le coqueli-cot après la bataille, je ressens un malaise. Est-ce vraiment l’affaire d’un pays? Jurons nous tous par le drapeau national pour les mêmes raisons? Je pense aussi aux institutions européennes et internationales qui transcendent

les nations. Le drapeau européen, je constate, est invisible sur les réseaux sociaux. Est-ce donc vrai que l’Europe n’est plus adéquate face à la «menace»? Faut-il la dé-truire, ou la réformer à tel point que ses missions premières de-viennent de purs symboles sans force? Je frémis à cette idée.

Je refuse, en tout état de cause, d’être défaitiste. Je suis simplement persuadé que la réponse ne se trouve pas dans une France retranchée derrière ses frontières. La réponse à un mal mondial n’est pas nationale, quand bien même l’Hexagone doit aujourd’hui pleurer ses morts avec les honneurs que mé-ritent les innocents. Elle dépasse les cultures et les délimitations géographiques. Si bataille il y a, elle se fera avec tous les peuples qui n’ont pas le droit de vivre dignement. Et alors, la victoire sera grande. x

éléonore nouel

théo bourgeryLe Délit

Solidarité numériqueLà où les réseaux sociaux ont du bon.

Que ce soit Facebook, Twitter, ou encore Instagram, les réseaux

sociaux font partie inhérente de nos vies depuis de nombreuses années déjà. Ils s’immiscent dans nos routines, nos interac-tions, et ils divisent les opinions – du dépendant à celui qui les trouve trop courants ou vulgai-res. Une chose demeure cepen-dant indéniable: ces réseaux transforment les médias, le transfert de l’information, les relations humaines. Et quelle situation illustre cela plus net-tement qu’une crise nationale et globale?

Vendredi dernier à Paris, les utilisateurs des réseaux sociaux ont été les premiers à tirer la son-nette d’alarme. Quelques instants après la première explosion, un spectateur au Stade de France parle sur Twitter du bruit retentissant des “pétards”, ignorant encore la réelle cause des détonations. Vingt minutes plus tard, dans la salle du Bataclan, un spectateur décrit la situation et appelle à l’aide par le biais d’un statut Facebook. Néanmoins, pendant et après l’atta-que, les fausses rumeurs et spécu-lations non fondées ont été aussi présentes que les informations tangibles. Mais, plus intéressant peut-être que les fonctions paral-lèles à celles des autres médias, est l’aspect social des ces réseaux.

Fraternité virtuelle…

La communication d’être humain à être humain, ami ou inconnu, c’est là la force des réseaux sociaux en situation de crise. Cet outil conduisant parfois à l’indivi-dualisme et à l’égocentrisme s’est révélé être une source de solidarité et d’entraide. L’un des exemples les plus frappants de cet usage est le hashtag #PorteOuverte sur Twitter. En l’espace de deux heures, près de vingt-mille personnes ont offert d’héberger les passants en détresse à travers ce mot-clic. Après l’atta-que, le hashtag #rechercheParis a permis aux proches de personnes disparues de faire circuler des avis de recherche. Nombre d’utilisateurs de Facebook auront aussi remar-

qué – et pour certains, employé – la fonction spéciale mise en place pour se signaler en sécurité. Introduite par Mark Zuckerberg aux suites du séisme au Népal en avril dernier, cette application a permis à tous les utilisateurs qui se trouvaient à Paris de confirmer leur sûreté et celle de leurs proches.

Il serait injuste de faire l’éloge de la réponse des réseaux sociaux et de leurs utilisateurs en faisant abstraction de leurs aspects plus sombres. En plus des cas de désin-formation, certains commentateurs n’ont pas tardé à tirer des conclu-sions hâtives, à plonger dans l’amal-game, ou à suggérer de répondre à la violence par la violence. Les propos de cette nature ont cependant, pour le moment, été noyés par le flot de

messages de soutien et de solida-rité. Il va sans dire que les réseaux sociaux ont été une ressource inestimable pour ceux d’entre nous qui étaient loin des évènements, mais dont les proches étaient aux premières loges. Il s’agit également d’un lieu où rendre hommage, où exprimer ses pensées, ses émotions. Certes, changer les couleurs de sa photo de profil ne changera per-sonne. C’est cependant pour cer-tains un geste de respect, dans des moments où l’on veut aider, mais où il n’y a rien à faire. Les mots-clic et signaux de sécurité donnent aussi l’espoir de pouvoir mieux s’entrai-der dans le futur lorsque survient une situation d’urgence, peu impor-te la cause du danger, peu importe le pays concerné. x

matilda nottageLe Délit

Toi, étudiant à McGill

11spécial attentatsle délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

De Paris à OttawaQuelles répercussions sur la politique canadienne?

Mondialisation oblige, les grands dirigeants du monde se sont manifestés

presque immédiatement après les événements à Paris, ou pendant pour certains. À l’unisson, les représen-tants de la démocratie occidentale, dont plusieurs font partie de la coali-tion internationale contre l’État isla-mique, se sont dits à la fois solidaires de la France et choqués par les atroci-tés terroristes, estimant que l’attaque visait les valeurs de l’ensemble de l’Occident. Selon Obama, c’est toute l’humanité qui est touchée; affir-mation quelque peu contradictoire quand on se rappelle, entre autre, les frappes des drones américains. Ces derniers sont effectivement connus pour avoir causé un grand nombre de victimes civiles, provoquant un ressentiment important qui facilite le recrutement de l’EI.

Armée - Défense

Du même élan d’indignation, la majorité des dirigeants ont aussi in-sisté sur la nécessité d’une réplique. Hollande ne sera d’ailleurs pas passé par quatre chemins, «La France est en guerre» a-t-il affirmé à plusieurs reprises. Les avions chasseurs-bom-bardiers français confirment cette direction avec d’importantes frappes aériennes: les plus destructrices à ce jour contre le groupe armé.

Au Canada, si la sympathie est partagée par la population et le gouvernement, la décision du nou-veau premier ministre d’arrêter les bombardements canadiens de-meure inchangée. À la place, Justin Trudeau discute présentement avec les alliés du Canada pour déci-der de la façon dont le pays pourra être le plus efficace dans son inter-vention contre l’EI, suggérant ainsi de renforcer l’entraînement donné aux combattants kurdes. Toutefois, les frappes aériennes canadiennes n’ont pas encore cessé pour autant. La date de leur arrêt n’a pas encore été donnée et le ministère de la Défense n’a pas mentionné si les frappes qui ont eu lieu après les attentats étaient prévues ou non.

La question de l’immigration

L’autre grande question pour Justin Trudeau, c’est celle des im-migrés. Suite aux événements, plu-sieurs citoyens et politiques s’in-quiètent de la venue massive de 25 000 immigrés syriens et irakiens d’ici le 31 décembre. À Montréal, le maire Coderre demande au premier ministre de ralentir ses ardeurs, à Québec le maire Régis Labeaume demande carrément de faire une pause et le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, demande à Justin Trudeau de suspendre le processus en raison des dommages immenses que peu-vent commettre de petits groupes

d’individus. On suppose que tous ces décideurs comprennent bien que ce que cherchent à fuir les réfugiés c’est précisément la ter-reur, celle-là même qui a frappé la France. Cependant la découverte

du passeport officiel d’un réfugié syrien près du corps d’un des res-ponsables de l’attentat ravive la crainte d’une infiltration. Malgré cette pression grandissante, Justin Trudeau demeure ferme: son plan

reste le même. Pourtant, il paraît de plus en plus compliqué d’accueillir autant de réfugiés en l’espace d’un mois, surtout parce que le plan du gouvernement n’est toujours pas connu. Toutefois, il est évident que pour les partisans du projet, un ou deux mois de retard ne se-raient peut-être pas dramatiques; l’important étant de ne pas créer de faux espoirs. La priorité des res-ponsables à ce jour est de rassurer la population quant à l’efficacité des processus de sélection. Sachant que cet élément de sécurité ralen-tissait fortement le processus sous les Conservateurs, l’objectif paraît encore plus difficile.

Récupération politique

Au Québec, Pierre-Karl Péladeau est à l’origine d’un débat d’urgence sur la question «afin de permettre une discussion transpa-rente et non partisane» sur ce dos-sier d’«importance». La Coalition avenir Québec et le Parti Québécois ayant suggéré de revoir les proces-sus d’immigration et d’intégration, ils ont été critiqués par Philippe Couillard, affirmant que leurs com-mentaires pourraient provoquer de «l’intolérance involontaire». La reprise politique semble se trouver des deux côtés de la chambre puis-que Pierre-Karl Péladeau a ensuite accusé Couillard de reprise politi-que; un acte considéré abject des deux côtés... C’est à la mode. x

salomé grouard

julien beaupréLe Délit

Marianne, P.Q.David Leroux | Espaces Politiques

Il est une femme, au-delà de l’océan, qui depuis des siècles fixe l’horizon. Le regard perçant, le buste fier, elle chante fort, elle chante bien. Elle entonne le refrain de la République. Elle brandit, frondeuse et belle, l’étendard de l’indépendance. Comment ne pas aimer cette Marianne candide qui crie la liberté, l’égalité et la fra-ternité? Samedi matin. Les infor-mations tombent en même temps

que la poussière et l’odeur de la poudre à canon. France Info nous parle de jeunes kamikazes, 20 ou 25 ans, connus comme radicaux, dont au moins un serait Français. Passeports syriens et égyptiens sont retrouvés... L’État islamique (ÉI) revendique fièrement un car-nage à Paris.

Tout va très bien, Madame la Marquise

La France a peur, l’Occident aussi. À l’heure où 25 000 réfugiés syriens sont attendus au Canada d’ici la nouvelle année, une méfian-ce, d’une part, et d’autre part une naïveté politiquement correcte s’installent. Doit-on avoir peur, ici, de l’ÉI? Est-il légitime d’être méfiant? La réponse semble aller de soi, surtout à la lumière de la revendication des attentats par l’ÉI. L’intention de ce groupe de frapper l’Occident est explicite. Déjà les multiculturalistes, drapés de vertu et d’amour, se font forte-ment entendre dans les milieux intellectuels et dans les médias

pour mettre en garde la populace réactionnaire contre l’islamo-phobie et l’intolérance latente qui, soupçonnent-ils, l’habitent. L’impossibilité de se questionner sur le problème croissant que pose l’Islam politique sans être traduit en procès et accusé de faire le jeu de la droite raciste est un pro-blème au moins aussi grand que d’assimiler tous les musulmans au terrorisme. Les kamikazes du 13 novembre, comme de nombreux autres ayant sévi dans les der-nières années, étaient associés à l’Islam radical. Il commence à être temps de l’admettre.

Le pathos libéral

D’un autre côté, un libé-ralisme qui incite les nations à s’effacer au profit de petits grou-pes communautaires trouve de plus en plus d’adeptes. Ce commu-nautarisme touche viscéralement ceux qui s’identifient comme citoyens d’un monde sans fron-tières où la nation est un artéfact poussiéreux menant à l’exclusion

et à l’intolérance, et favorisant la violence des récents événements. Parfois portés par la jouissance très judéo-chrétienne que leur procurent leurs élans a priori humanistes, le plaisir des commu-nautaristes atteint son paroxysme lorsque l’occasion se présente de s’adonner à l’autoflagellation anti-occidentale. Quelle engeance que cette liberté d’expression dont on se réclame pour manquer de res-pect aux croyances des autres se dira-t-on.

Dans le même esprit, on affirmera que si on cessait de faire la guerre au Moyen-Orient et d’oppresser les musulmans sur notre territoire avec notre laïcité républicaine, on aurait moins de problèmes. Ce n’est pas l’ÉI que l’on devrait dénoncer suivant cette logique, mais les politiques belliqueuses du vil Occident.

Doit-on craindre Daesh et trembler avec la France? Tant qu’on confondra «respect pour l’autre» avec reniement de soi, tant qu’on laissera à eux-mêmes, sans emploi, sans support des

flots de réfugiés sans leur offrir de s’intégrer dans ce que nous sommes, je crains que la réponse soit «oui». Daesh infiltre peut-être les demandeurs d’asile, ou peut-être pas. Mais notre laxisme à intégrer ces réfugiés et l’iso-lation sociale dans laquelle cela les plonge ouvre grand la porte à une infiltration des esprits par les Charkaoui de ce monde, aussi sournoise que fulgurante. Tant qu’on étiquettera tous ceux qui remettent en question l’approche libérale au profit d’une appro-che plus républicaine comme de dangereux racistes, tout tremble-ment me semblera, hélas, justifié. D’ici là, chaque attentat contre la République française résonne au Québec comme un funeste glas. Mais au-delà de cette inquié-tante réflexion, prenons le temps nécessaire pour tenir doucement la main de la belle Marianne et la rassurer. Nous sommes avec vous, amis français, et souhaitons qu’une discussion sérieuse sur les enjeux qui nous guettent tous soit au plus vite enclenchée. x

12 spécial attentats le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Réfléchir avant de parlerLe rôle du langage dans la réaction des politiques.

À la suite du drame survenu à Paris, nombreux sont ceux qui ont pris la parole

pour exprimer leur soutien aux Français et, parfois, tirer les conclusions qui les arrangeaient. Souvent, des mots trop évocateurs et lourds de conséquences ont été utilisés pour porter des idées qui mériteraient plus de nuance en ces temps d’instabilité et de tensions.

Guerre n.f.

En période de détresse et d’in-certitude, il est en e!et facile pour une fgure forte d’abuser de l’espoir populaire qu’on mette fin à l’horreur. Ce n’est donc pas surprenant que le président de la République française ait déclaré l’état d’urgence dès ven-dredi soir, dénonçant un «acte de guerre». Mais une guerre contre qui?

Comme nous le rappelle notre compagnon de toujours qu’est Le Larousse, une guerre se fait entre plusieurs États, et par extension entre plusieurs entités reconnues au niveau international, des entités «légitimes» en un sens. Or l’autopro-clamé «État islamique» n’a pas une telle légitimité et c’est précisément sa plus grande faiblesse. En choi-

sissant un tel nom, l’organisation exprimait son besoin d’être recon-nue, tandis qu’en pratique elle n’est pas traitée comme un État; l’utilisa-tion de ce nom restait controversée mais tolérée. Cependant François Hollande, en parlant de guerre, met la France au même niveau que les terroristes, une victoire symbolique pour ces derniers.

La civilisation vs les «barbares»?

François Hollande n’est pas le seul à voir les attentats de Paris comme une provocation à laquelle il faut répliquer par la force brute; au Québec, Philippe Couillard, clame haut et fort qu’«on va donner une leçon à ces barbares». Malgré son ton revanchard, il ne répond pour-tant pas à la question suivante: qui sont nos «ennemis mortels»?

Cette année, la France a été visée à plusieurs reprises; certains des terroristes étaient des citoyens français, ayant grandi en France. Sont-ce eux les «barbares» qui «cherchent à détruire notre société», dont parle M. Couillard?

Le mot «barbare» contient en lui la notion de division; on est civilisé ou on ne l’est pas, et si on ne l’est pas on est un «barbare». C’est ainsi que les Grecs l’utilisaient. C’est ainsi que les politiques l’utili-sent aujourd’hui. Or cette division

simpliste ne reflète pas la réalité et ces terroristes ont bien grandi dans notre «civilisation».

Simplifier pour mieux diviser

Marine Le Pen (dirigeante du parti français d’extrême droite, le Front National, ndlr) espère le «désarmement des ban-lieues», et il est clair qu’elle vise particulièrement les citoyens

français issus de l’immigration. Il est suffisamment évident que stigmatiser une partie de la population vivant en France ne fera que favoriser le dessein des terroristes…

Cette dernière question rappelle certains propos tenus depuis les attentats, et même avant, stigmatisant les réfugiés en provenance de régions sous l’emprise de l’EI. Des réfugiés

régulièrement assimilés aux «barbares» qu’eux-mêmes fuient. S’il est naïf de croire que tous les migrants fuient les hor-reurs de la Syrie, il l’est encore plus de penser que leur fermer nos portes nous protégera du chaos remuant le monde entier à l’heure actuelle.

Car c’est en effet cela que promet François Hollande: «un pacte de sécurité». Et c’est pour nous faire croire en cette pro-messe que les politiques de gau-che comme de droite ont recours à un langage si manichéen. S’il y a des «bons» et des «mauvais» migrants, des «bons» et des «mauvais musulmans», quoi de plus simple que de déclarer la guerre aux mauvais? Ce mani-chéisme est devenu tellement présent dans notre langage que certains musulmans en viennent eux-mêmes à se mettre dans des boîtes. Des imams parlent de «vrai Islam», comme si c’était le «mauvais Islam» que nous devrions condamner dans les attentats. Mais c’est oublier qu’avant d’être des musulmans, les terroristes sont des êtres humains; leur faute est la leur et non celle d’une religion ou d’une nationalité. Ne les jugeons pas pour ce qu’ils sont, mais bien pour ce qu’ils ont fait.

chloé anastassiadisLe Délit

#SouriezPourParisAppel à la laïcité en ces temps de terreur.

Les terribles attentats per-pétrés à Paris dans la nuit du 13 au 14 novembre ont

éveillé de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux. Certains changent leurs photos de pro-fil Facebook aux couleurs de la France, d’autres partagent des dessins de Marianne pleurant ses enfants morts ou de la tour Ei!el en deuil, et beaucoup publient les hashtags #PrayforParis (#Priez pour Paris, ndlr) ou #Prayfortheworld (#Priez pour le monde, ndlr).

Ces incitations à la prière et au deuil révèlent le traumatisme suscité par les attaques qui ont fait 132 morts (bilan provisoire). Elles dénotent la profondeur d’une bles-sure dont le monde, tout entier, sou!re avec les Français et dont le seul pansement semble être de nature spirituelle. Le sentiment d’impuissance face à la terreur paraît insurmontable et incite ainsi à pleurer et à prier: se taire en signe de désespoir!

Ne pas spiritualiser le terrorisme

La nature de ces actes devrait pourtant nous alerter sur la néces-sité de ne pas répondre par la priè-re. Ces terroristes se disent être d’une certaine religion pour créer l’amalgame, la division et la haine.

Preuve du caractère politique des attaques, mais surtout piège que nous devons reconnaître et éviter. Répondre par la prière c’est d’abord ajouter une dimension religieuse à un acte qui ne devrait pas en avoir.

Même si l’on fait abstraction du caractère sectaire des atten-

tats et que l’on se limite à leur vi-sée et portée politique, alors, une fois encore, surtout, ne prions pas! Ne mélangeons pas politi-que et religion. Réaffirmons nos principes et n’abattons pas la valeur-même pour laquelle ils osent nous assassiner: la sépa-ration de l’Église et de l’État, de la religion et de la politique. Préservons ce qu’ils ne suppor-tent pas. À un acte politique, répondons politiquement.

Se relever avec l’autre plutôt que prier pour l’autre

Si les terroristes répandent l’horreur parmi nous c’est qu’ils ne peuvent souffrir nos joies, nos libertés et nos amours. Leur barbarie les empêche de suppor-ter nos valeurs et nos passions. Alors ne succombons pas à leur dictature, relevons-nous de la tétanie et résistons! Ce n’est pas en priant que nous résisterons, mais c’est en souriant, en riant, en aimant et en clamant haut et fort que nous sommes fiers et heureux!

Il est temps de taire nos prières et de comprendre que la réponse à la barbarie c’est la civilisation, que la réponse à la démence soi-disant religieuse est la tolérance laïque. Ces hor-reurs devraient nous permettre de mieux nous définir et de nous accepter comme nous sommes. Qui sommes-nous? Des femmes et des hommes pour qui la vie a du sens et dont l’altruisme dé-passe tous les autres «–ismes». Des hommes et des femmes qui, jusqu’à leurs derniers soupirs, mettront l’espérance avant la déchéance et l’amour avant les haines.

Séchons nos larmes, arrê-tons nos prières et rions, dan-sons, chantons jusqu’à ce que les djihadistes comprennent qu’ils ne vaincront jamais! Jusqu’à ce que nos chants leur redonnent goût à la vie. Soyons l’apologie de la vie face à l’incarnation de la mort. Pour cela, il nous faut pas-ser outre le deuil et les prières, il nous faut lever un verre, ensem-ble, à la vie! #TrinquezàParis, #Santé, #SouriezPourParis.

Aymeric Amigues

13spécial attentatsle délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

Agitation mondiale et islam politiqueRécapitulatif d’une année 2015 marquée par de nombreux attentats.

Suivant di!érents modus operandi, plusieurs attentats meurtriers ont été perpétrés

cette année à l’échelle mondiale au nom d’un islam politique. À l’heure où l’Élysée réplique au groupe État islamique, aussi désigné sous le nom de Daesh, en envoyant dix de ses chasseurs Rafales mener des frappes stratégiques contre un fief syrien contrôlé par le Califat, il convient de faire le point sur les dernières attaques terroristes survenues ailleurs. Tantôt reven-diquées par l’État islamique (ÉI), tantôt par Boko Haram, tantôt par des loups solitaires radicalisés, plu-sieurs attaques ont troublé l’année 2015. Voici une revue des derniers événements.

Le 12 novembre dernier, deux kamikazes ceinturés d’explosifs ont provoqué la mort de plus de 40 per-sonnes et en ont blessé 200 autres à Beyrouth, au Liban. Revendiqué par le groupe djihadiste sunnite État islamique par voie de communiqué, le double-attentat visait un quartier chiite fief du Hezbollah qui, rappe-lons-le, guerroie en Syrie aux côtés du gouvernement de Bachar Al-Assad contre le Califat qui occupe

la moitié du territoire. Rappelons que l’ÉI avait aussi revendiqué sur Twitter quelques jours auparavant le fait d’avoir provoqué l’écrase-ment d’un avion russe en transit au-dessus de la région du Sinaï en Égypte.

L’attentat, perpétré au nom d’une «juste réponse» aux atta-ques russes contre l’ÉI en Syrie, a provoqué la mort de la totalité des passagers de l’aéronef, soit plus de 200 personnes. Rappelons que l’ÉI,

a établi un Califat autoproclamé qui étend son emprise sur plusieurs ré-gions moyen-orientales. Disposant de moyens financiers et matériels guerriers croissants, le groupe terrorise les populations locales au nom d’un islam politique radical et recrute des sympathisants à travers le monde en misant sur la haine de l’Occident et sur un désir d’en a!ai-blir l’emprise sur le monde.

D’autres actes terroristes et violents ont été commis cette

année, pouvant être liés directe-ment ou indirectement à l’islam politique et à la haine des valeurs occidentales que ce dernier sup-pose. Récemment, le groupe extré-miste Boko Haram a perpétré de meurtriers attentats au Nigéria, causant la mort de dizaines de civils. Ces morts ont été causées par pas moins de six événements terroristes depuis le début du mois d’octobre, et ne sont pas les seuls actes violents à avoir été commis

par le groupe djihadiste salafiste désormais associé à l’ÉI. Cette année seulement, plus de 1000 éco-les ont été détruites dans la région du lac Tchad rapportait récemment Le Figaro.

D’autres attaques terroristes non revendiquées par un groupe terroriste particulier mais non moins meurtrières et toujours à la saveur d’un radicalisme religieux ont frappé la planète cette année. Ainsi à Copenhague, en février, un individu inspiré par l’attaque contre Charlie Hebdo a ouvert le feu à proximité d’une salle où une conférence sur l’art et la liberté d’expression se déroulait. L’un des orateurs invités était le caricatu-riste Lars Vilks, menacé de mort après avoir caricaturé un Mahomet coi!é de bombes en 2007. L’année 2015 ayant débutée, nous ne l’oublions pas, avec les atten-tats contre Charlie Hebdo et la prise d’otage dans un supermarché kasher à Paris. La liste s’allonge et il est di"cile d’en o!rir une revue exhaustive. Force est de constater que l’islam politique radical, ali-menté par un mépris pathologique de l’Occident et de ses moeurs, pose un problème important à l’échelle internationale.

Éléonore Nouel

David LerouxLe Délit

Solidarité au delà de nos distancesQue vaut votre vie dans la balance médiatique?

Le matin du 2 avril dernier, en faisant défiler mon fil d’actualité, mes yeux

endormis tombent sur une image e!royable. Parmi les vidéos de chatons, des douzaines de corps sans vie gisent dans une mare de sang. Je consulte immédiatement un journal fiable pour comprendre quelle catastrophe s’est produite dans la nuit, mais les victimes ne font pas la une. Aucun article ne leur est consacré. Nulle part.

Il faudra attendre de lon-gues heures pour que les médias occidentaux éclairent le drame de Garissa. Dans les jours qui sui-vent, l’image de ces 147 morts, des étudiants comme moi, me hante. Mais pourquoi donc aucun bul-letin d’information ne semble se mettre au diapason de mon émoi? Pourquoi le monde ne s’arrête-t-il pas un instant, comme il l’a fait pour Charlie? Où sont les manifestations internationales de solidarité?

On m’explique la loi jour-nalistique du «mort-kilomè-tre»: pour les médias, il est plus fructueux de couvrir les morts géographiquement proches de leur lectorat. On a e!ectivement

plus d’empathie pour son voisin que pour un inconnu au bout du monde. Pourtant, quelques mois plus tôt j’étais tenue informée en temps réel, minute par minute, de la prise d’otages à Sydney, bien plus éloigné que le Kenya. Car, au fond, la distance ne se mesure pas réellement en kilomètres.

C’est une distance culturelle, psychologique, politique. Elle est renforcée par nos visions stéréotypées: en Afrique ou au

Moyen-Orient, la violence nous paraît endémique et ne nous choque pas, ou moins. La gravité des attaques est gommée par leur récurrence. De plus, nous nous identifions plus facilement à des victimes dont le mode de vie et la culture sont similaires à la nôtre (d’ailleurs, les veillées pour Garissa étaient majoritairement organisées par des étudiants). Tous ces facteurs sont humains, mais dans quelle mesure justi-

fient-ils notre ethnocentrisme médiatique?

Cet article ne se veut en aucun cas moralisateur, encore moins accusateur. La France vient de connaître les attentats les plus tragiques de son histoire et je suis, comme tout le monde, bouleversée au-delà des mots. La veille, en apprenant que Beyrouth venait d’être frappée par un atten-tat d’ampleur comparable, je n’ai pas posté de statut Facebook, ni changé ma photo de profil, ni par-ticipé à un rassemblement de sou-tien. C’est justifiable: ma sœur ou mes amis auraient pu être rue de Charonne, mais certainement pas dans un fief du Hezbollah. Je m’in-terroge pourtant sur la di!érence de traitement médiatique (hors de France) entre les deux événement. Et je ne suis pas la seule.

Une nouvelle tendance apparaît sur les réseaux sociaux. On constate qu’en plus de #PrayforParis (#PriezPourParis), nos amis nous enjoignent à #PrierPourBeiruth, à #PrierPourLeMonde. Ils rappel-lent que l’attaque sur Paris était une attaque contre l’humanité toute entière. Ils appellent à la solidarité avec les réfugiés, qui fuient les mêmes meurtriers que les rescapés du Bataclan. C’est le

prolongement d’un mouvement qui avait déjà débuté lorsque les bougies de soutien pour Baga apparaissaient au côté des «Je suis Charlie». Beaucoup s’étaient alors demandé pourquoi 2 000 Nigérians passaient inaperçus alors qu’ils étaient assassinés au même moment qu’une poignée de journalistes français. Il ne s’agit aucunement de hiérarchi-ser la gravité de ces drames. Les marches de solidarité interna-tionales et la couverture média-tique des attentats à Paris sont évidemment tout à fait justifiées! Il s’agit plutôt de comprendre pourquoi d’autres tragédies ne reçoivent pas une attention com-parable. Sur les sources d’infor-mation informelles que sont les réseaux sociaux, notre généra-tion globalisée prend conscience que nous appartenons tous à la même humanité. Notre empathie et notre solidarité s’étendent peu à peu au-delà des frontières géo-culturelles. La loi du «mort-kilo-mètre» faiblit quand un français et un libanais sont victimes de la même guerre. Il est donc proba-ble qu’à l’avenir les journalistes traitent l’actualité de manière plus équitable, pour répondre aux attentes d’un lectorat plus global et interconnecté.

joachim dos santos

Chloé FranciscoLe Délit

14 spécial attentats le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

À l’assaut de l’islamophobie Ne confondez pas l’Islam et l’État islamique.

C’était le vendredi 13 novembre, une journée qui s’est déroulée normale-

ment jusqu’au soir. Et pourtant, on connait les chiffres: plus de cent morts, trois fois plus de blessés, et une nation meurtrie. Tout cela à peine 24 heures après un atten-tat ayant fait une quarantaine de morts au Liban. Cependant, ce ne sont pas seulement la France et le Liban qui pleurent, mais toute l’humanité. Ces tragédies nous testent, car c’est par nos réactions que nous pouvons démontrer à ceux qui détestent la liberté et l’humanité que nous ne plierons pas. Après tout, qu’essaient-ils de faire si ce n’est de nous diviser, de nous monter les uns contre les autres ?

En se fiant à la théorie du «choc des civilisations» de Samuel Huntington, il serait facile de dire que nous assistons aujourd’hui à une bataille entre les civilisa-tions islamique et occidentale. Cependant, la situation est plus compliquée: il semblerait qu’il y ait plutôt un clivage dans cette dite «civilisation musulmane» entre les modérés et les extrémistes.

Le premier groupe est composé de personnes tout à fait ordinaires, alors que le second s’est mis en tête de détruire l’Occident.

Lutter contre l’islamophobie

Depuis que les tours jumelles sont tombées, l’islamophobie se propage. Presque du jour au lende-main, les citoyens musulmans sont devenus les boucs émissaires. Le groupe État islamique (ÉI) a fait grandir les germes de la frustration sunnite en Iraq, suite à la chute de Saddam Hussein. Dès lors, ces sunnites, frustrés d’avoir perdu leur influence, se sont unis pour former le groupe que l’on connait aujourd’hui. Leur but est de créer un califat reposant sur la barbarie, la dictature et l’oppression.

Ils opèrent en provoquant des réactions du monde occidental qui contribueront à leur stratégie de recrutement. En effet, en projetant l’Occident comme l’ennemi de tous les musulmans, il est facile d’ex-ploiter les frustrations, et de faire passer des modérés dans le camp des extrémistes. Certains extré-mistes veulent enrayer les droits et libertés pour lesquels nous nous sommes battus et nous battons toujours. Ces extrémistes veulent

nous empêcher de nous aimer, de nous entraider, de nous unir. Ils ne représentent pas les musulmans et Arabes de ce monde, loin de là. Ils veulent détruire notre humanité, à nous de les en empêcher.

Combattre le vrai ennemi

Alors, comment nous bat-tre contre le vrai ennemi? Tout d’abord, il faut briser ce mythe qui veut que l’Islam soit une reli-gion prônant la violence. Dans le Coran, plus spécifiquement au verset 30 de la sourate «La Table», on peut lire: «Quiconque tuerait une personne non coupable de meurtre ou de dépravation, c’est comme s’il avait tué tout le genre humain.» Ce verset n’est qu’un exemple parmi tant d’autres qui démontre que la religion musul-mane ne prêche pas la violence barbare et non-justifiée, pratiquée par l’ÉI.

Ensuite, en accueillant les réfugiés de Syrie et d’Irak, nous incombe le devoir de prêcher l’in-tégration. On offre opportunités et outils, mais il faut aussi prouver que nous sommes une culture du respect, de l’acceptation et de la diversité. L’intégration efficace des nouveaux arrivés leur offre

une arme pour résister à l’inté-grisme. Il y a déjà 75 ans, dans le film Le Dictateur, Charlie Chaplin, dans la peau de son personnage, nous disait : «Tant que les hommes

mourront pour elle, la liberté ne pourra pas périr». En se fiant aux paroles de M. Chaplin, ne rien fai-re serait de laisser s’éroder notre liberté. À nous de décider. x

éléonore nouel

Ronny Al-Nosir Le Délit

Coup pour coupLes attentats ont aussi des causes géostratégiques.

Paris, Beyrouth, Bagdad… La litanie des villes martyres s’allonge, et on sait malheu-

reusement qu’elle n’est pas termi-née. Les tueurs qui brandissent l’étendard d’un Islam obscuran-tiste n’auront de cesse de détruire ce qui s’oppose à eux: l’humanité, la culture, un absolu qui élève les êtres et ne leur demande pas de se faire exploser.

Pétris de certitudes macabres, ils nous abhorrent. Nous, et notre liberté de croire en l’Homme, en un Dieu, et même en rien. Ils mépri-sent nos doutes et nos questions, soyons en fiers. Comme disait le

Cyrano d’Edmond Rostand, «on n’abdique pas l’honneur d’être une cible».

Le choc des systèmes de valeurs, donc, est évident — si toutefois le néant que l’État isla-mique (ÉI) propage peut se targuer d’avoir un lien quelconque avec un système de valeurs. Cependant il n’explique pas à lui seul les moti-vations des djihadistes, et ne peut nous faire comprendre pleinement les nouveaux ressorts de leur action.

Des motivations stratégiques évidentes

Les actes terroristes com-mis par l’ÉI sont les possibles

manifestations d’un changement de stratégie. Après s’être concen-tré sur l’expansion territoriale depuis l’auto-proclamation de son Califat en juin 2014, l’ÉI se projette maintenant à l’extérieur du territoire qu’il contrôle. Le but premier de ces actions semble être de signaler à leurs adversaires leur détermination à ne pas se laisser attaquer sans riposter. En effet, les attentats des deux dernières semaines revendiqués par les dji-hadistes ont frappé des puissances leur ayant concrètement signifié leur hostilité: la France soutient les frappes aériennes américai-nes (bien que pour l’instant elle ne soit directement responsable que de 4% des frappes en Irak); le

Hezbollah libanais, défini par l’ÉI comme «le parti chiite de Satan», soutient le président syrien Bachar el-Assad, tout comme la Russie. Ce n’est donc pas un hasard si les djihadistes ont frappé, en l’espace de deux semaines, un avion russe, un quartier chiite de Beyrouth et Paris. Dans le cas de la France, il se peut que les attentats de l’ÉI aient également été motivés par l’opé-ration Barkhane au Sahel, comme l’avance la journaliste Anne Bauer dans Les Échos.

Les attentats, un dernier recours?

Le professeur à l’Insti-tut Universitaire Européen de Florence, Olivier Roy, considère que ces attentats sont aussi le résultat de l’affaiblissement de l’ÉI. Il explique dans le New York Times que le système sur lequel l’ÉI repose a atteint ses limites. «Il était fondé sur deux éléments: une expansion territoriale ful-gurante et un effet de terreur qui visait à sidérer l’ennemi.» Or cette expansion a connu un point d’arrêt. Aujourd’hui l’ÉI est encerclé, par les Russes et le président syrien à l’ouest, les Kurdes au nord, les Chiites irakiens à l’est, et, au sud, des pays dont les populations lui sont défavorables (Libanais,

Jordaniens et Palestiniens). Plus problématique encore

que ces limites, c’est à un déclin territorial que l’ÉI fait face, notam-ment dans les zones où l’organisa-tion est opposée aux combattants kurdes. Cependant la victoire est encore loin pour ses adversaires, tant l‘organisation djihadiste dispose de moyens humains et matériels importants. Sur Vox, un spécialiste des questions liées à l’ÉI, Will McCant, explique que les récents attentats, extrêmement spectaculaires, pourraient avoir pour but d’occulter les pertes de territoires et de continuer à posi-tionner l’ÉI comme leader du dji-had à l’échelle mondiale.

Ainsi ce n’est pas qu’une lutte de l’esprit qui s’est engagée. Le conflit est également de nature géostratégique. Laissons à Albert Camus les derniers mots, afin de mettre un peu d’espoir dans le combat qui s’annonce: «nous lut-tons pour des nuances, mais des nuances qui ont l’importance de l’Homme même. Nous luttons pour cette nuance qui sépare le sacrifice de la mystique, l’énergie de la vio-lence, la force de la cruauté, pour cette plus faible nuance encore qui sépare le faux du vrai et l’homme que nous espérons des dieux lâches que vous espérez.» x

côme de grandmaisonLe Délit

Mahaut Engérant

20 spécial attentats le délit · mardi 17 novembre 2015 · delitfrancais.com

les dessinateurs face aux attentats

charlie

paul pieuchot

amandine hamonprune engérant