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Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill Mardi 10 novembre 2015 | Volume 105 Numéro 8 Les 4 fantastiques prennent le contrôle depuis 1977 Jouer au fÉminin P. 8

Le Délit du 10 novembre 2015

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Page 1: Le Délit du 10 novembre 2015

Publié par la société des publications du Daily, une association étudiante de l’Université McGill

Mardi 10 novembre 2015 | Volume 105 Numéro 8 Les 4 fantastiques prennent le contrôle depuis 1977

Jouer au fÉminin P. 8

Page 2: Le Délit du 10 novembre 2015

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Le seul journal francophone de l’Université McGill

L’usage du masculin dans les pages du Délit vise à alléger le texte et ne se veut nullement discriminatoire.Le Délit (ISSN 1192-4609) est publié la plupart des mardis par la Société des publications du Daily (SPD). Il encourage la reproduction de ses articles originaux à condition d’en men-tionner la source (sauf dans le cas d’articles et d’illustrations dont les droits avant été auparavent réservés, incluant les articles de la CUP). L’équipe du Délit n’endosse pas nécessai-rement les produits dont la publicité paraît dans ce journal.Imprimé sur du papier recyclé format tabloïde par Imprimeries Transcontinental Transmag, Anjou (Québec).

Volume 105 Numéro 8

2éditorial le délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

rédaction3480 rue McTavish, bureau B•24

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6784

Télécopieur : +1 514 398-8318rédactrice en chef

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actualité[email protected] BeaupréThéophile Vareille

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Société[email protected] Perrin Tabarly

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[email protected] Baptiste Rinnercoordonnatrices visuel

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coordonnateurs de la [email protected] BojuCôme de Grandmaison

coordonnatrice réseaux [email protected]

Inès L. DuboisMultimédias [email protected] Matilda Nottageévénements [email protected] Joseph BojuWebmestre

[email protected] Ménard

contributeurs Nouédyn Baspin, Théo Bourgery, Camille Charpiat, Hortense Chauvin, Anna Dory, Joachim Dos Santos, Mahaut Engérant, David Leroux, Ikram Mecheri, Chloé Mour, Laurence Nault, Paul Pieuchot, Kary-Anne Poirier, Cécile Richetta, Amélia Rols, Kharoll-Ann Souffrant, Louis-Philippe Trozzo, Joanna Wolfarth couverture

Luce Engérant et Eléonore Nouel

bureau publicitaire3480 rue McTavish, bureau B•26

Montréal (Québec) H3A 1X9Téléphone : +1 514 398-6790

Télécopieur : +1 514 [email protected]

publicité et direction générale Boris Shedov

représentante en ventesLetty Matteo

photocomposition Mathieu Ménard, Lauriane Giroux,Geneviève Robert

the McGill daily [email protected]

Niyousha Bastani

Depuis septembre nous nous affolions: tout bougeait à l’AÉUM (SSMU, ndlr), le vieil équilibre institution-

nel foutait le camp. Un directeur général qui quittait le navire, une vice-présidente aux affaires internes qui démissionnait, une Assemblée Générale sans motion, une soirée d’Halloween invendue… une longue liste de «jamais vus».

Et cette semaine: retour aux sources. Après la démission de Lola Baraldi en octo-bre dernier, le poste de vice-président aux affaires internes (v.-p. interne) est remis en jeu: des élections exceptionnelles se tien-dront cette semaine. Deux candidats, Céleste Pagniello et Alexei Simakov (p.3) s’affrontent pour reprendre un poste clé de l’AÉUM pour le deuxième semestre.

Plus ça change, plus c’est la même chose (à prononcer avec un accent anglophone)

Finalement, rien n’a vraiment changé. Le combat électoral reste le même. Ô procrastination délicieuse que de lire les commentaires acérés lancés aux candidats sur leurs pages Facebook. La madeleine a le même goût qu’en mars dernier (période habi-tuelle des élections de l’équipe exécutive de l’AÉUM).

Toujours les même débats de sourds sur les réseaux sociaux, toujours les mêmes cri-tiques éternelles de l’institution de l’AÉUM, toujours la même «volonté d’améliorer la communication avec les étudiants», toujours le même manque de traduction correcte en français chez Simakov. Toujours les mêmes petites rancunes personnelles qui ressor-tent dans des questions passives-agressives, toujours les même réponses longues et poli-tiquement correctes. Il ne manque plus que quelque memes, des publications Yik Yak, et notre guerre préférée sera relancée pendant la semaine des anciens combattants.

Soutenir officiellement un candidat? En tant que publication étudiante, Le

Délit soutient généralement des motions lors des Assemblées Générales de l’AÉUM

et des candidats lors des élections annuelles pour la nouvelle équipe exécutive.

Cependant, pour ces élections excep-tionnelles pour le poste de VP interne, Céleste Pagniello et Alexei Simakov présentent tous deux des défauts trop importants pour que nous les appuyions officiellement. Nous ne souhaitons pas opérer un soutien par stratégie ou par dépit. Aucun des deux ne semble tout à fait comprendre les rôles officiels du v.-p. in-terne, ni le fait qu’ils seront élus uniquement pour une période très limitée ( jusqu’à la fin de la présente année scolaire) ne leur permettant pas de tenir certaines de leurs promesses respectives. De plus la situation actuelle de l’AÉUM, très instable, les empêchera proba-blement de s’intégrer assez rapidement et mettre en place leur programme; l’Association étant plus occupée à gérer sa crise institution-nelle (de façon tout à fait acceptable, il faut l’admettre) qu’à lancer des réformes.

Alexei Simakov est un candidat d’expé-rience – s’étant déjà présenté pour être pré-sident de l’AÉUM au printemps dernier – et d’expertise. Il n’a pas eu peur de pointer les défauts de l’institution: le manque de transpa-rence, la question de la liberté d’expression, les problèmes de gestion. Sa volonté de délé-guer la gestion de l’organisation d’évènements et de réformer la publication du Livre de Fin d’Année (Yearbook) nous a paru très perspi-cace.

Cependant Alexei Simakov en encore une fois présenté une traduction française médiocre de son programme, alors même que la promulgation du bilinguisme à McGill fait justement partie du portfolio du v.-p. interne. De plus, le programme et la position adoptée par ce candidat sont construits en opposition complète avec l’équipe actuelle de l’AÉUM:

son élection pourrait donc être une source supplémentaire de déséquilibre au sein de l’Association déjà très instable. Enfin, certai-nes parties du programme d’Alexei Simakov – la réforme électorale, les questions de trans-parence et de liberté d’expression – sont irréa-lisables en un semestre, et semblent plutôt être des propositions de futur président que de v.-p. interne.

Céleste Pagniello, quant à elle, a su pré-senter un programme et des réponses dans un français parfait. Contrairement à son adver-saire, elle semble plutôt être en accord avec l’idéologie actuelle de l’Association et saurait donc s’intégrer facilement en cours de route. Ses idées quant à la promulgation du bilin-guisme au sein même de l’AÉUM et au déve-loppement des relations avec les associations de faculté ont su nous séduire.

Néanmoins, le programme officiel de Céleste Pagniello est peu concret et sans grand intérêt, à la limite du vide. Une large partie de son programme tient sur Frosh alors que l’organisation de cet évènement sera à la charge de son successeur – compte tenu du fait que le v.-p. présentement élu ne sera en poste que jusqu’à la fin du printemps. Finalement, les solutions apportées par cette candidate quant aux problèmes de la listserv par courriel de l’AÉUM (lue par un nombre trop restreint d’étudiants) nous paraissent utopiques, peu efficaces et quelque peu pué-riles.

En somme, une bonne candidate sur le court terme pour s’intégrer dans l’équipe exécutive d’une AÉUM recherchant désespé-rément la stabilité; et un candidat intéressant sur le long terme pour réformer avec force une association étudiante toujours plus décriée chaque année. x

Les élections pour le poste de Vice-Président aux Affaires Internes se tiendront du 11 au 15 novembre sur le site internet de Elections SSMU.

R.A.S.julia denisLe Délit

Les opinions de nos contributeurs ne reflètent pas nécessairement celles de l’équipe de la rédaction.

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Actualité[email protected]

3actualitésle délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

Qui sera le prochain v.-p. aux affaires internes?

campus

Crédit photoLePeterson.com

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Après la démission surprise de l’ex vice-présidente aux affaires internes, Lola Baraldi, le 2 octobre dernier, l’Association des Étudiants de l’Université McGill (AÉUM) présente officiellement les candidats pour combler le poste désormais vacant. Des élections spéciales auront lieu du 11 novembre à 9h au 15 novem-bre à 15h. Un débat entre les candidats aura lieu le 11 novembre en soirée.

En tant que v.-p. aux affaires internes, le candidat ou la candidate élu(e) sera principalement chargé(e) de la programmation des activités de l’association ainsi que des communications avec les membres de l’université. C’est par cette personne qu’est issue l’hebdomadaire listserv. Une autre part centrale du poste concerne la promotion du sentiment d’appartenance à McGill ainsi qu’à l’AÉUM. Ainsi, le v.-p. aux affaires internes doit être proche des étudiants, por-ter une attention particulière à leurs besoins ainsi qu’à leur désirs. Le Délit tient aussi à souligner le rôle particulier de ce poste pour promouvoir la langue fran-çaise au sein de l’université, via la Commission des Affaires Francophones.

Julien beaupréLe Délit

Étudiante en troisième année en histoire de la musique, Céleste Pagniello est forte

d’une expérience de trois ans com-me membre exécutive de l’Asso-ciation des étudiants du premier cycle en musique (MUSA, ndlr). Pour améliorer la communica-tion entre l’AÉUM et les membres de la communauté mcgilloise, elle compte modifier l’interface du liststerv pour le rendre plus attrayant, afin qu’il soit lu d’avan-tage par les étudiants. Un autre de ses objectifs est la collaboration entre l’AÉUM et les diverses facul-tés de l’Université, par exemple avec la création d’un calendrier

rassemblant tous les événements des facultés pour ainsi renforcer le sentiment d’appartenance au sein de l’Université. Impliquée dans l’organisation du Frosh depuis 2 ans elle entend encore améliorer la réputation de cette semaine d’intégration dans la métropole montréalaise ainsi que promou-voir son développement sécuritai-re. Avec le français comme langue maternelle, elle compte promou-voir le bilinguisme à McGill, par exemple en ajoutant le français aux plateformes multimédia de l’AÉUM. Son angle d’attaque serait de rendre les clubs et les services 100% bilingues.

Céleste Pagniello

Clairement plus sollicité sur sa page Facebook, Alexei Simakov s’était présenté

l’année dernière au poste de Président de l’AÉUM. Il avait perdu ces élections contre Kareem Ibrahim, de peu, à 47,5% contre 52,5%. D’emblée, l’étu-diant en quatrième année en Développement International et membre du Parti Conservateur canadien de McGill, semble s’attaquer aux problèmes de l’AÉUM dans son ensemble. Il insinue ainsi que ses finances sont en ruine, qu’elle a perdu le respect de l’administration ainsi que toute confiance de la part des

étudiants. Parmi ses nombreu-ses promesses, on retient une réforme du système électoral, plus de délégation dans l’organi-sation d’événements de l’AÉUM, une plus grande transparence de la part de l’Association, l’optimi-sation du processus entourant la publication du yearbook (qui coûterait présentement une fortune à l’association) ainsi que l’amélioration de la liberté d’expression. S’il ne semble pas avoir la même maîtrise du fran-çais que son adversaire, Alexei devrait bientôt publier ses idées pour améliorer le bilinguisme à McGill.

Alexei Simakov

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4 actualités le délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

Genre et Trans: vers une politique radicalePour une nouvelle voix du militantisme trans*.

campus

Ce dimanche prenait fin la série d’événements «Trans/Formations»,

organisée par l’Union pour la Valorisation du Genre (The Union for Gender Empowerment – UGE), dans le but d’établir une discus-sion critique sur l’expérience des individus trans* et leur mili-tantisme (l’astérisque a pour but d’inclure une diversité d’identités de genre – fluides ou fixes – qui ne se retrouvent pas nécessairement

dans la catégorie binaire trans-homme ou trans-femme).

Le premier atelier, qui s’est déroulé dans la matinée du ven-dredi 6 novembre, est loin d’avoir rassemblé les 30 participants prévus sur Facebook. La discus-sion à six qui s’y est tenue aurait pourtant mérité d’être entendue – notamment par ceux pour qui «transgenre» n’évoque que le vague souvenir de Caytlin Jenner sur la couverture de Vanity Fair. Il reste néanmoins que s’il est cer-tain que la plus grande visibilité des personnalités transgenres aujourd’hui dans les médias est

une source d’inspiration impor-tante pour tous les membres de la communauté trans*. En effet, des modèles de réussite tels que Caitlyn Jenner ou Laverne Cox (Orange Is The New Black) vien-nent redonner espoir aux person-nes trans* pour qui le quotidien est souvent synonyme de discri-mination et de violence dans la sphère publique et privée.

«Trans/Formations» radicales

La visibilité médiatique est

toutefois regardée avec méfiance par les trans-féministes de UGE. Pour eux, la bataille se livre sur un autre front. Leur approche radicale est notamment partagée par Joshua Allen, activiste pour la cause trans* et descendante d’une famille ayant appartenu au mou-vement révolutionnaire afro-amé-ricain des Black Panthers, qui est venue animer une conférence ven-dredi soir dans la salle du Comité d’éducation aux adultes (CEDA) intitulée «Un monde sans cages: ré-imaginer le genre, l’abolition et la résistance».

Contrairement à la lutte actuelle du mouvement LBGT aux États-Unis, qui cherche à faire de

l’armée une institution ouverte aux trans*, une politique radicale serait plutôt d’abolir l’institution militaire. En effet, selon Allen, la vision libérale qui promeut l’«éga-lité» et l’assimilation des trans* au sein des institutions étatiques (ar-mée, police, etc.) n’est pas la solu-tion pour mettre fin aux normes «cis-sexistes», qui marginalisent les individus trans* et privilégient ceux dont le genre correspond au sexe attribué à la naissance. Au même titre que davantage de femmes en politique ne se traduit pas nécessairement par une poli-tique moins patriarcale, l’entrée de personnes trans* dans la police ou l’armée paraît insuffisante pour réformer la structure et les valeurs de ces institutions.

Une «situation d’urgence»

Comme l’explique Joshua

Allen, être trans* et militer c’est faire face à une «situation d’urgen-ce» quotidienne. Les communautés trans*, par leur vulnérabilité, sont confrontées à des actes de violence parfois mortels.

Le combat quotidien pour des activistes tels qu’Allen est donc de sensibiliser sur les structures parti-

culièrement oppressives envers les personnes trans*. C’est notamment le cas du milieu carcéral. Les trans* femmes se retrouvent souvent dans les espaces dédiés aux hommes, et vice-versa.Par la suite, les trans* subissent fréquemment humilia-tions, rejets, violences sexuelles, mais aussi le refus des adminis-trations pénitentiaires de pres-crire des traitements hormonaux. S’attarder sur ces expériences permet de circonscrire des efforts à mener pour répondre à l’urgence de ces situations inhumaines.

Historiquement, les per-sonnes trans* sont pourtant loin d’avoir subi passivement les vio-lences trans-phobiques qui décou-lent du «cis-sexisme» ambiant, nous rappelle Joshua Allen. Les émeutes de Stonewall en 1969 sont généralement représentées comme un mouvement mené par et pour les homosexuels. Toutefois, les trans*, notamment de couleur, ont joué un rôle clef dans l’organisation de ces manifestations légendaires, ce que l’histoire semble oublier. Se ré-approprier cette histoire de la résistance trans* constitue entre autres une étape obligée pour l’émergence de solutions plus jus-tes, voire radicales. x

Chloé Mour

Chloé MourLe Délit

McGill 2.0Table ronde du gratin mcgillois sur l’université intelligente.

Le 3 novembre dernier, la réunion annuelle du Conseil des gouverneurs et

du Sénat de l’Université McGill a eu lieu. Tel que prévu par la sec-tion 6.3.9.1 de la constitution de l’université, la rectrice Fortier, le prévôt Manfredi et les vice-rec-teurs se sont joints aux représen-tants du Conseil des gouverneurs et aux sénateurs mcgillois pour discuter des défis auxquels l’uni-versité devra faire face dans les prochaines années. La thématique de la soirée: «La conception d’un campus adapté au 21e siècle», (Designing a Smart Campus for the 21st Century, ndlr), fut intro-duite par le chancelier de l’Uni-versité, Michael A. Meighen, qui a ensuite cédé la parole à la rectrice Suzanne Fortier.

De l’importance de l’université

Pour justifier la thématique de cette année, celle-ci a cité la célèbre phrase du Dr. Simon Eassom, responsable du dévelop-pement des villes intelligentes au

sein d’IBM : «Derrière chaque ville intelligente, il y a une université intelligente.» Selon la rectrice, il n’existe pas de consensus sur le concept d’une université intel-ligente. Toutefois, il ne s’agirait pas seulement d’obtenir une infrastructure digitale moderne. Toujours selon elle, l’enjeu consis-te principalement à repenser nos tâches quotidiennes en optimi-sant l’utilisation des technologies disponibles afin d’en faire profiter les relations interpersonnelles, interdisciplinaires et interinsti-tutionnelles au sein du campus. La rectrice préconise une vision locale et globale de l’université in-telligente qui permettrait l’émer-gence de nouveaux modèles de gouvernance tels qu’une meilleure participation citoyenne. «La vie étudiante universitaire doit être au centre de ces réflexions afin de pouvoir intégrer les opportunités d’apprentissage au sein de la com-munauté.» La principale Fortier a terminé son allocution en expli-quant que l’université intelligente pourrait également donner lieu à certaines économies, bien qu’il ne s’agisse pas nécessairement de l’objectif visé.

Tours de paroles

Le député prévôt, Professeur Manfredi, a rappelé que l’aspect physique du campus, déclaré comme mort il y a quelques années, occupe toujours une place très importante au cœur de la vie étudiante. McGill devrait ainsi moderniser ses infrastructures en tenant compte des restrictions géographiques pour permettre aux bâtiments du 19e siècle de répon-

dre aux besoins du 21e siècle. Javit Sing, un candidat à la Maitrise en agriculture, a discuté de l’impor-tance de l’engagement du public

et des étudiants dans les enjeux universitaires. Selon Sing, une des façons pour les enseignants d’engager leurs élèves serait de communiquer avec eux à travers les réseaux sociaux. Le profes-seur Gregory Dudek, directeur du département d’informatique, a discuté des formations ouvertes en lignes (MOOCS, ndlr) qui per-mettent un apprentissage en ligne gratuit et représentent une autre forme de libéralisation du système éducatif supérieur.

Par la suite, une table ronde a été organisée parmi les partici-pants pour discuter et faire des propositions sur l’un des trois thèmes suivants: l’engagement communautaire, la technologie et le campus physique. Parmi les so-lutions proposées on retrouve une plus large ouverture du campus au grand public, la création de hubs technologiques pour favoriser l’in-novation, l’augmentation des offres de stages pour les étudiants, l’ins-tauration de meubles dynamiques qui permettent de changer la struc-ture des classes et l’augmentation de la participation active dans les cours afin que le professeur ne soit plus le seul pôle d’information. x

Ikram MecheriLe Délit

«Derrière chaque ville intelligente, il y a une université

intelligente.»

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5actualitésle délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

Conseil de l’AÉUMLes points à retenir.

campus

Laurence NaultLe Délit

Une AG ostentatoire… pour si peuAucune motion, aucun public: un retour à la normale?

Au moins deux cents chaises installées. Deux bureaux d’enregistrement

pour le vote. Une caméra pour une projection en direct sur le web. Deux coordinateurs logisti-ques. Un carré VIP pour la presse étudiante. L’équipe exécutive de l’Association Étudiante de l’Uni-versité McGill (AÉUM) semblait obnubilée par le succès de ses Assemblées Générales (AG) de l’année dernière, souhaitant faire un aussi bon score pour son AG d’automne. Mauvais calcul. Les quelques étudiants présents se perdaient dans la trop grande salle de bal du bâtiment Shatner, réquisitionnée pour l’occasion.

Le président de l’association, Kareem Ibrahim, le reconnaît lui-même: l’aspect managérial de l’AÉUM n’attire pas les fou-les. Les étudiants ont besoin de plus pour sortir le nez de leurs bouquins et se tenter à l’exté-rieur de McLennan: une motion politique, une motion choc, qui fait vibrer. Nous l’avions connu en octobre dernier lors d’un texte en soutien aux «peuples opprimés» de Palestine. Hier, le quorum (cent étudiants, dont un maximum de cinquante prove-nant d’une seule faculté) n’était pas atteint malgré les samosas gratuits.

L’absence d’étudiants se confondait d’ailleurs avec une autre absence : celle des motions à débattre. Une première pour

votre humble rapporteur, qui croyait pourtant avoir tout vu des AG, les ayant couvertes sans discontinuer depuis trois ans. Les étudiants présents (pour la plupart membres du conseil de l’AÉUM ou salariés) n’ont eu le droit qu’à une présentation des rapports de mi-mandat du pré-sident et de ses vice-présidents. Pour la plupart une continuation du travail entrepris par leurs prédécesseurs, sans remous ni idée géniale. Un quotidien plon-gé dans les réunions et les enjeux administratifs, qui leur font sou-vent perdre de vue l’unique rai-son de leur arrivée au pouvoir: le corps étudiant, appelé à voter chaque avril. Un quotidien dans lequel l’AÉUM est d’autant plus enfermée cette année qu’elle a

subi de nombreux départs inat-tendus ces derniers mois.

Seule discussion munie d’un quelconque intérêt, celle sur la restructuration des portefeuilles de l’équipe exécutive. Quelques idées ici et là: donner un plus grand rôle au vice-président aux affaires internes pour éliminer le portefeuilles des clubs et ser-vices; diviser les tâches du v.-p. aux affaires financières et opéra-tionnelles entre un v.-p. finances et un v.-p. opérations. De quoi être décontenancé par tant d’ori-ginalité. Au moins y eut-il une discussion, qui devrait ensuite mener à une procédure légale. Néanmoins, les années peuvent filer et les équipes exécutives se succéder avant d’arriver à quel-que chose de concret.

Cet article est aussi pour moi, votre rédacteur, l’occasion de me retirer du Délit et de la vie étudiante. Trois ans durant j’ai fait bataille pour rendre la poli-tique étudiante lisible et intéres-sante. Quand j’ai compris que le mur grandissait à mesure que je le grimpais, je me mis à vouloir changer les mentalités à coup d’invitations Facebook et à clamer haut et fort mon attachement à la constitution de l’Association. Rien n’y a fait et je me suis même pris à penser que le jeu n’en valait pas la chandelle. Je laisse donc les com-mandes à un prochain, plein d’es-poir niais que l’AÉUM remplisse enfin son devoir de faire changer les choses de manière durable et visible. Et souvenez-vous, il y aura toujours des samosas gratuits. x

Théo BOURGERYLe Délit

Représentation provinciale

• La v.p. externe Emily Boytinck a offert une présentation sur les options de représentation au niveau provincial qui s’offrent à l’AÉUM. L’AÉUM a dans son mandat le lobbying auprès du gouver-nement provincial pour améliorer la situation des étudiants.

• L’association, ayant quitté la FEUQ (Fédération Étudiante Universitaire du Québec) l’an dernier, doit assurer elle-même sa représentation auprès du gouvernement. Selon Emily Boytinck, cette situation limite le pouvoir de l’AÉUM; celle-ci gagnerait à joindre une nouvelle fédération. Deux options s’offrent: l’AVEQ (Association pour la Voix Étudiante au Québec) et l’UÉQ (Union Étudiante du Québec).

• Les membres de l’AVEQ doivent payer des frais de 3,50 dollars par étudiant chaque semestre. Du côté de l’UÉQ, les frais s’élèvent à 4,50 dollars par étudiant chaque semestre.

• Plusieurs membres du conseil ont manifesté leur intérêt pour joindre une fédération. Cependant, la question de la représentation à l’intérieur de la fédération a causé un débat plus large. À l’intérieur de l’AVEQ et de l’UÉQ, chaque université possède une seule voix peu importe la taille de son corps étudiant. Emily Boytinck a affirmé qu’il s’agit d’une mesure équitable qui vise à éliminer la domina-tion des universités comme McGill sur les plus petites. Plusieurs membres du conseil ont tout de même questionné pourquoi l’AÉUM devrait payer beaucoup plus qu’une petite association sans avoir plus de représentation.

• Justin Fletcher du service d’enseignement et d’apprentissage (Teaching and learning services, ndlr) a donné une présentation sur les évaluations Mercury. Le centre est responsable de la ges-tion de ces évaluations complétées par les étudiants à chaque fin de session.

Évaluations Mercury

• Il est possible pour les étudiants de consulter certains des résultats de ces évaluations à partir de Minerva. Cependant, seules les évaluations ayant un ratio minimum de réponses sont en ligne. Ce ratio varie selon la taille de la classe.

• En plus d’être disponibles pour les étudiants, les évaluations sont utilisées lors du processus d’embauche des professeurs.

Semaine de lecture à l’automne

• Le conseil a approuvé une motion donnant l’appui du conseil à la proposition d’une semaine de lecture à la session d’automne.

• Un sondage par la Gestion de l’effectif étudiant (Enrolment ser-vices, ndlr) auprès de 5112 étudiants a révélé que 71,5% d’entre eux souhaitent avoir une semaine de lecture à la session d’automne.

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6 ACTUALITÉS le délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

Nous sommes no. 12Saison en montagnes russes pour l’Impact, de «Drogbamania» à cruelle défaite.

sport

Alors qu’il est coutumier de voir déferler la vague bleu-blanc-rouge sur Montréal en

début d’automne avec la reprise des hostilités dans la Ligue Nationale de Hockey, une autre vague, cel-le-ci bleu-blanc-noir, a également englouti la ville cette année, empor-tant sur son passage tous les fanati-ques du ballon rond. Nous sommes effectivement bien loin des valeurs normales de saison avec une équipe de soccer montréalaise qui, malgré la défaite de dimanche, continue de faire battre le cœur de ses partisans à un rythme effréné.

Rater la chance d’écrire une page d’histoire

En s’inclinant face au Crew

de Colombus dimanche soir par la marque cumulative de 4-3, l’Impact de Montréal est passé bien proche de devenir le premier club canadien à atteindre le carré d’as de la Major League Soccer (MLS, ndlr). C’est avec le cœur serré et les larmes aux yeux que les joueurs de l’Impact ont vu l’arbitre donner les trois derniers coups de sifflet à la 121e minute, une défaite crè-ve-cœur pour le onze montréalais qui s’était présenté à Colombus

fort d’une avance de 2-1. Le match, dont la participation à la finale de la conférence Est était l’enjeu, a été des plus mouvementés. Tous s’étaient entendus pour dire que le premier but revêtait une impor-tance capitale, particulièrement en vertu du règlement du nombre de buts marqués à l’extérieur. C’est malheureusement Colombus qui a ouvert le score, et ce à la 4e minute de jeu, assénant d’emblée un dur coup à un onze montréalais désor-ganisé et éteint en début de match. Ébranlés par ce but, les joueurs ont par la suite repris du galon, égalisant la marque à la 40e minute sur un but du latéral droit, Dilly Duka. Suite à ce but et aux arrêts miraculeux effectués par le portier montréalais Evan Bush, dont un sur

penalty face au meilleur buteur de la ligue, Kei Kamara, l’Impact sem-blait se diriger vers la finale d’asso-ciation jusqu’à ce qu’Ethan Finlay, du Crew, renvoie tout le monde à la case départ en marquant à la 77e. En définitive, il aura fallu une prolongation pour départager les deux clubs. C’est encore une fois Kei Kamara qui a répondu à l’appel en marquant un second but de la tête à la 111e, semant l’hystérie à Colombus et la consternation dans le clan montréalais.

Retour sur une saison des plus irrégulières

La déception était palpable

dans le vestiaire des visiteurs après le match, mais les Bleu-Blanc-Noir

peuvent toutefois être fiers de la campagne qu’ils ont menée cette saison.

En tout début d’année 2015, le club montréalais avait surpris la planète foot entière en atteignant la finale de la Ligue des Champions de la CONCACAF. Le début de cam-pagne en MLS n’était toutefois pas à la hauteur des succès de l’équipe en Ligue des Champions; l’Impact alternait victoire et défaite avec une régularité déconcertante. Le mois d’août s’est d’ailleurs avéré la phase la plus creuse de la saison alors que le Bleu-Blanc-Noir s’enli-sait dans la médiocrité. Le manque de créativité en tiers offensif et la faiblesse du pressing collectif avaient précipité l’Impact dans les bas-fonds du classement. Puis, le 27 juillet 2015, l’espoir ressurgit… La direction de l’Impact venait de faire un grand coup en obtenant les droits d’un certain… Didier Drogba! Cette acquisition, conjuguée au congédiement de l’entraîneur-chef, Frank Klopas, marquait le début d’une ère nouvelle.

Drogba fit rapidement taire les critiques portant sur son âge en marquant un triplé dès son premier match comme titulaire. Étant dans une classe complètement à part, la légende ivoirienne termina la saison avec une récolte impres-sionnante de 11 buts en 9 titularisa-

tions, aidant l’Impact à remonter la pente du classement et à se hisser au 3e rang de l’association de l’est. Au-delà des performances indivi-duelles, tous les joueurs de l’Impact reconnaissent que Drogba est un réel mentor. Sa soif de victoire et son éthique de travail indéfectible poussent les autres à se dépasser tous les jours, aux dires du capitai-ne de l’équipe Patrice Bernier.

Le rôle qu’a joué Mauro Biello, entraîneur-chef par intérim, a aussi largement contribué aux succès de l’Impact en fin de saison. Biello a su créer une atmosphère positive au sein du groupe et instaurer un sen-timent d’appartenance qui a été des plus bénéfiques sur le terrain.

Finalement, il est bien dom-mage que le parcours de l’Impact se termine ainsi. Quoi que l’on dise, ni les joueurs ni les partisans n’oublieront les derniers mois où l’équipe paraissait invincible, enchaînant victoire après victoire. Il ne faut pas non plus oublier la performance inspirée qu’a livré le onze montréalais face à son rival ontarien, le Toronto FC, dans un match de barrage très excitant disputé à Montréal le 29 octobre dernier dans un stade comble.

Cher Impact de Montréal, on se dit donc à l’an prochain pour une saison qui s’annonce promet-teuse! x

USA TODAY

louis-philippe trozzoLe Délit

Un Français à Montréalchronique

Page 7: Le Délit du 10 novembre 2015

7actualitésle délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

Alors que 50 000 étudiants étaient en grève dans tout le Québec ce jeudi 5

novembre pour protester contre les coupes et la rigueur budgé-taire du gouvernement Couillard, l’Association pour une Solidarité Syndicale Étudiante (ASSÉ) orga-nisait une manifestation anti-aus-térité dans les rues de Montréal. S’y joignait le contingent officiel de l’Université de McGill, sous la tutelle de McGill Against Austerity (McGill contre l’austérité, ndlr), jeune association étudiante, créée fin septembre, à la suite de la semaine anti-austérité de l’Asso-ciation des Étudiants de l’Univer-sité de McGill (AÉUM), comme nous l’explique le membre Adam McKenzie.

Différence culturelle?

Une relative nouveauté qui explique en partie la faible mobilisa-tion mcgilloise pour cette marche de grande ampleur, au vu des très rares étudiants présents pour se joindre à cette marche. La manifestation, se joignant aux enseignants en grève, n’a vu qu’une petite vingtaine d’étu-diants mcgillois s’y associer. Une table d’information où l’on distri-

buait café et dépliants — en anglais exclusivement — avait été placée dans la très courue porte Roddick pour sensibiliser et éduquer les passants.

Un participant nous a expliqué avoir tenté d’encourager des étu-diants en première année, habitant en résidence, à venir, sans succès. Adam McKenzie quant à lui y voit

aussi une «différence de culture universitaire» entre anglophones et francophones, ces derniers étant plus portés à descendre dans la rue. Une partie importante du corps étudiant internationale et souvent peu concernée par les enjeux locaux contribue aussi à ce problème de démobilisation. Ben Mendell, parti-cipant, affirme tout de même que les

étudiants internationaux «devraient prendre part à cette marche en sou-tien pour leurs collègues étudiants.» Emily Boytinck, v.-p. aux affaires internes à l’AÉUM, reconnaît que la plupart des étudiants québécois se rendent par eux-mêmes à la mani-festation, mais a insisté, malgré la maigre participation, que «chaque nouveau visage est un succès, la

mobilisation anti-austérité est un processus lent et sur le long-terme.»

Adam McKenzie dénonçait aussi l’incompatibilité entre AÉUM et l’ASSÉ. La première étant trop modérée par rapport à le seconde, mais précisait que l’on «n’a pas besoin de l’ASSÉ pour se rallier contre l’austérité à McGill» et que l’AÉUM soutenait activement McGill Against Austerity*dans sa lutte. Emily Boytinck a noté que la structure horizontale de l’ASSÉ et sa pratique interne de démocratie directe ne convient pas à l’AÉUM. Elle ajoute que l’ASSÉ est majori-tairement composée d’associations facultaires et départementales comme par exemple l’Association des Étudiants en Histoire de l’Art et Communication de McGill, seule entité mcgilloise membre, très peu par rapport à d’autres université tel-les UQAM et UdeM, dont plusieurs facultés entières sont membres.

Ceci intervient alors que l’AÉUM doit toujours décider de quelle association étudiante joindre entre l’Union Étudiante du Québec (UÉQ) et l’Association pour la Voix Étudiante au Québec (AVEQ) suite à la dissolution de la Fédération Étudiante Universitaire au Québec (FEUQ). L’AÉUM compte soumet-tre ce choix aux étudiants mcgillois dans un référendum au prochain semestre d’hiver. x

Théophile vareilleLe Délit

Marche de l’ASSÉ contre l’austéritéTrès faible participation des étudiants mcgillois malgré des efforts associatifs.

montréal

Loin à l’est, bien au-delà de l’archipel des îles de Sorel et du lac Saint-Pierre,

enclavé entre les contreforts des Laurentides au nord et les basses terres du Saint-Laurent au sud, se trouve un territoire étonnant, quasi mystique nommé «Ville de Québec». Capitale nationale de la province éponyme, Québec guette Montréal, sa rivale métropoli-taine, de l’œil attentif et méfiant de ses médias locaux. À travers cette méfiance s’exprime la plus

vieille bataille du monde, celle du bien contre le mal. Québec: la régionale, la méfiante, l’intoléran-te, la conservatrice. Montréal: la cosmopolite, l’ouverte, le havre de toutes les cultures, la progressiste. Par Montréal arrive la modernité, à Québec se terre l’ignorante résistance. C’est du moins ce que prétendent nombre de chroni-queurs métropolitains, nombre d’intellectuels injectés de la légi-timité du progrès. Décrire Québec comme un malheureux repère de conservateurs qui s’expriment à travers des tribunes radiopho-niques particulières et en votant massivement pour des partis de droite et anti-indépendantistes est de plus en plus fréquent. La méfiance envers Montréal dont on accuse Québec serait-elle donc — surprise! — bilatérale?

Le «mystère Québec»

Moult entrefilets, nouvelles et chroniques montréalaises le laissent présager. On parle régu-

lièrement du «mystère Québec», on élève en phénomène les fameu-ses radios parlées de Québec. On déchire notre chemise devant ces tristes polémistes réactionnaires. Dès que possible, on les amène, à tort ou à raison, devant nos tribu-naux et tentons de les sanctionner pour leurs propos méprisants. Tirerait-on une certaine jouissan-ce à tenter de les faire taire? Eux, animateurs populistes, se défen-dent à grand coup de liberté d’ex-pression. Où s’arrête leur droit? Où commencent leurs devoirs? Le débat n’a jamais vraiment lieu, les commentateurs de Québec et les intellectuels médiatiques mon-tréalais exaltés se campant cha-cun dans la stérilité de leur vision manichéenne de la réalité. Le bien contre le mal, la liberté contre la censure, le progrès contre le conservatisme, la gauche contre la droite.

Depuis quelque temps, la méfiance de ceux qui se réclament de l’ouverture, du savoir et du pro-grès pour tenter de discréditer les

vils populistes de la vieille capi-tale atteint un tout autre niveau: des études sont produites. Tout d’abord, la thèse de doctorat du so-ciologue uqamien Frédéric Parent dont l’objectif était d’étudier le «mystère Québec» : pourquoi ces populations «plus pauvres et moins scolarisées» votent-elles contre leurs intérêts, c’est-à-dire pour des gouvernements moins interventionnistes de droite? Bien que les conclusions du chercheur ne mettent pas en cause les polé-mistes radiophoniques pour expli-quer ce phénomène, ces médias sont posés comme l’expression d’une population vieillotte qui a encore en mémoire «l’arrivée de leur grand-père qui est parti à pied avec son frère, qui a bûché et construit sa maison sans plans.»

«Régime de peur»

Plus récemment, c’est la mairesse de la municipalité de Lac-Delage Dominique Payette, mandatée par l’ex-première

ministre Pauline Marois, qui a déposé un rapport assassin sur «le régime de peur» engendré par ces médias et par le climat social néfaste qu’ils créent. La réponse des commentateurs de Québec est unanime: condamnation d’un document pernicieux de propa-gande «péquiste» et «gauchiste». L’auteure du rapport se fait ras-surante pour les pauvres hères qui seraient tentés de discuter le côté singulier de la produc-tion de son pamphlet. En effet, «le problème, ce n’est pas qu’ils [les médias de Québec] soient conservateurs, le problème, c’est qu’ils ne soient pas tolérables sur le plan social.» Eh bien, voilà qui est rassurant… Nous avons maintenant une bonne raison de chercher à les faire taire. Une chose pourtant me frappe. Se pourrait-il que le manque de nuance, la méfiance et la crainte de ce qui n’est pas comme nous ne soit pas que l’apanage de la droite? Poser la question, c’est y répondre. x

L’axe du malDavid Leroux | Espaces Politiques

chronique

chloé mour

Page 8: Le Délit du 10 novembre 2015

8 société le délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

Société[email protected]

Réconcilier virtuel et réelUn point sur les femmes dans les jeux vidéo.

enquête

Fin 2015, il semblerait que le monde du jeu vidéo soit encore un bastion pour la

misogynie. Derrière l’écran, dans l’écran, ou dans les coulisses de la création, peu importe où elle se situe, la femme est sexualisée, har-celée, renvoyée, et sa position a tout bonnement l’air intenable. Mais avant de s’emporter dans une nou-velle controverse, il est temps de prendre (au moins) un peu de recul, et d’observer le monde du jeu vidéo tel qu’il est, avec ses trolls, mais aussi ses héros—virtuels, ou pas—et ses avancées.

Gamers et féministes en guerre

Pour beaucoup, une fissure

s’est définitivement créée entre la communauté des gamers (majori-tairement masculine) et celle des femmes. La question de la place des femmes dans ce monde virtuel n’a en fait jamais été aussi réelle. Notamment, les harcèlements de la créatrice Zoe Quinn (dont la vie personnelle a été utilisée par de nombreux internautes et a été re-tournée contre elle) et de la critique de jeux vidéos Anita Sarkeesian ont eu des répercussions extraordinai-res sur leurs vies ordinaires.

Fin août 2015, le fameux hash-tag «#gamergate» faisait son appa-rition avec une nouvelle déferlante sur le monde du jeu vidéo. Cette mouvance en ligne se voulait lutter contre les clichés communs que l’on accole aux gamers: «hétérosexuel, blanc, homme, misogyne, frustré, vieux garçon, puceau…» Si ses adhérents défendent #gamergate comme un cri de guerre contre la stigmatisation de la communauté, certains ne voient ce mouvement que comme un autre moyen dérivé pour avancer des propos sexistes, et justifier les menaces envers ces femmes qui ont osé avoir une opi-nion. Alors, les femmes, éternelles boucs émissaires des jeux vidéos? Peut-être pas tant que ça.

Des femmes bien dissimulées

Quelques chiffres aident à

mieux comprendre où en est ce monde (dont le chiffre d’affaire est tout de même estimé à quelques milliards de dollars). Contrairement à ce que certains peuvent imaginer, les femmes représentent déjà plus de la moitié du marché des jeux vidéo. Des statistiques révélées par le Washington Post permettent de mieux situer la population féminine

dans ce monde: tous jeux confondus (ordinateur, Xbox, portable, etc.), il y a effectivement égalité entre hommes et femmes. Le gamer sté-réotype, souvent imaginé comment un jeune homme âgé de 10 à 20 ans, ne représente en vérité que 12% du marché. Les femmes âgées de 21 à 35 ans représentent, elles, 15% du marché.

Alors certes, certains jeux, notamment ceux en ligne, sont majoritairement masculins. C’est aussi l’un des endroits virtuels où les femmes ressentent le plus les effets du sexisme: cacher son genre n’est pas anodin dans ces jeux compétitifs et interactifs. On le dis-simule pour ne pas se faire repérer, harceler, ou être victime de certains commentaires clairement déplacés. L’anonymat dans les jeux vidéo est aussi pervers que sur le reste de la toile: tout peut être dit sans (trop de) conséquences. Un peu comme une femme décide de mettre un pull par-dessus un t-shirt «trop»

révélateur, une fille décide de jouer un personnage masculin avec un pseudonyme neutre.

Le problème se situe aussi plus profondément, dans la fabrication et la conception du monde lui-même. Si les femmes s’imposent de plus en plus comme un marché sérieux, les jeux en eux-mêmes sont principalement créés par des hom-mes. Non seulement la place des femme dans la conception est res-treinte, mais elle est aussi extrême-ment précaire: selon une étude de la Harvard Business School, 56% des femmes qui ont entrepris une car-rière dans le monde de la technolo-gie décident de quitter leur travail à mi-chemin. De plus, nombreuses sont celles qui avouent dissuader leurs propres filles d’entreprendre une telle carrière. La raison princi-pale est, tristement, le sexisme bien réellement institutionnalisé dans ces structures.

En outre, l’idée même de jeux vidéo imaginés par des hommes

mais pour des femmes est déran-geante. Ne serait-ce qu’en simple termes de marketing, l’exclusion des femmes est une aberration. Les créateurs en sont de plus en plus conscients: imaginer Tomb Raider en survivante pleine de boue, avec une brassière et un pantalon est en somme une petite révolution. L’héroïne ultra-sexualisée, à la poi-trine plantureuse, a bien évolué au cours des dernières décennies, et c’est non sans une pointe de fierté qu’il faut le reconnaître.

La perception quotidienne

Au cours d’une interview avec

une étudiante adepte des jeux vidéo, il a été possible de mettre au point la perception que certaines femmes ont de ce monde qu’elles même apprécient. La jeune fille, âgée d’une vingtaine d’années et étudiante à McGill, joue aux jeux vidéo depuis son enfance, et les a découverts grâ-ce à son père et son frère. Ses jeux

favoris? Dragon Age, The Last of Us, The Witcher … Mais aucun jeu vidéo en ligne. Pourquoi? «Principalement parce que ma connexion internet était trop mauvaise», blague-t-elle. Elle avoue aussi que la compétition des jeux en ligne ne l’intéresse pas autant que le but personnel d’un jeu solo.

Au cours de notre discussion, nous parlons de sa propre percep-tion des femmes dans le monde des jeux vidéo, et ses ressentis. Bien que certaines personnes fassent quelques commentaires lorsqu’elle s’achète un jeu vidéo («C’est vrai-ment pour toi?»), la gameuse ne se considère pas comme la victime représentée par les féministes. Elle reconnaît néanmoins une tendance générale à la surprise lorsque les gens découvrent à quel type de jeux elle joue (Dragon Age plutôt que Candy Crush). Elle avoue aussi ne pas trouver qu’il y ait assez de femmes, ou du moins pas assez de diversité. La plupart se ressem-blent, aussi bien dans leurs rôles (généralement moins importants que celui des hommes, ou celui de victime) que dans leurs descriptions physiques. La joueuse est parta-gée: de toute évidence, il est dur de généraliser sur un monde en pleine introspection.

Effectivement, quelques fois le jeu vidéo a une représentation assez douteuse de la femme (elle critique notamment l’amure «bikini» dans certains jeux vidéo). Pour elle, la sexualisation des fem-mes reste le principal problème, et notamment, le fait que des femmes soldats ou combattantes soient extrêmement minces et sexy, alors qu’elles portent des armes qui font deux fois leur taille… Au détriment du réalisme, la sexualisation fait mal aux yeux. «Peut-être qu’on a pas besoin d’en voir autant». Elle décrit notamment le personnage de Quiet, dans le jeu Metal Gear: une sniper qui respire par la peau, à qui on a préféré mettre un haut de bikini, «même pas une brassière de sport!» s’indigne notre interlo-cutrice. Lorsque l’on interroge sur pourquoi, à son avis, les femmes sont ainsi représentées, elle admet que c’est probablement parce que le public visé est masculin.

Mais le constat n’est pas aussi noir qu’il y paraît: le fait que de plus en plus de développeurs de jeux vidéo fassent des efforts et essaient de créer une nouvelle image de la femme, ou même une image tout court, est encourageant. Le combat n’est pas gagné, mais l’évolution est définitivement en marche. x

matilda nottage

cécile richetta

«Un peu comme une femme décide de mettre un pull par-dessus un t-shirt «trop» révélateur, une fille décide de jouer un

personnage masculin avec un pseudonyme neutre.»

Page 9: Le Délit du 10 novembre 2015

9sociétéle délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

Le politiquement correct a bon dosQuand un appel à la tolérance se prête à la discrimination sur le campus.

opinion

Cette semaine, certains d’entre nous ont pu parti-ciper à deux séries d’évé-

nements intitulés Culture Shocks et Trans/Formations, consacrés respectivement à la justice sociale et à l’activisme transsexuel.

À noter que certains seule-ment ont pu en profiter, de nom-breux événements étant sélectifs en fonction du genre, de l’ethnie ou de la couleur de peau. Bien qu’il soit assez contestable, adminis-trativement, pour des associations mcgilloises financées par le corps étudiant de discriminer au sein de celui-ci, il paraît surtout difficile de concilier appel à la tolérance et exclusion délibérée en fonction de critères identitaires et physiques.

Aveugle protection

Il est triste que ces associa-tions méritantes ne laissent pas tous et toutes, de façon indifféren-ciée, se sensibiliser à des ques-tions dont l’intérêt est indéniable. On justifie cette exclusion par un attachement presque religieux à un politiquement correct qui craint l’«offense» comme la peste.

L’exclusion de certains, tous ceux n’étant pas transsexuels noirs par exemple (pour un événement de Trans/Formations), est censée mettre à l’aise les participants, ceux qui pourraient se sentir menacés par une présence «étran-gère». Un organisateur a répondu au Délit à ce sujet, et invoque les maux contemporains de la «suprématie blanche» et autres. Il explique que l’on exclue «ceux qui ont un intérêt caché à maintenir ces systèmes d’autorité et d’oppres-sion».

Il est impossible de répon-dre à de tels propos en quelques lignes, mais l’on imagine bien que l’on se verrait bien vite pourfendu par un politiquement correct-roi. Mais exclure en fonction de critères arbitraires ne risque-t-il pas d’offenser plus que la simple présence de curieux ne répondant pas à ces mêmes critères?

Comme d’habitude On se souvient de la brave

tentative d’Entraide Universitaire Mondiale du Canada (EUMC) – composée en partie d’anciens réfugiés devant leur bourse mc-gilloise à la générosité étudiante (via une redevance de 0.50$ cha-

cun) – d’offrir un regard «authen-tique» sur les camps de réfugiés la semaine passée. Ce dernier épisode, et la volonté brisée d’EUMC d’informer sur les camps de réfugiés à McGill, montre qu’il est même difficile de traiter de ces

sujets. On préfère disserter sur la décolonisation et l’impérialisme plutôt qu’apprendre via une expé-rience pratique. Cette dernière a d’ailleurs été accueillie à bras ouverts dans de nombreux autres campus et pays. On espère bien

que la réaction d’urticaire que l’initiative d’EUMC a provoqué ne reflète pas un phénomène de rejet propre à McGill.

Ceci rend compte des obs-tacles à franchir pour discuter sérieusement d’enjeux réels. On comprend alors pourquoi de nombreux sujets, plus au cœur de notre quotidien (austérité, changement climatique, insécu-rité alimentaire, évasion fiscale, accords de libre-échange…), soient presque invisibles sur le campus. Mais cette explication n’est pas satisfaisante, car quand l’AÉUM organise une semaine anti-aus-térité (fin septembre) ou que le Projet pour les systèmes alimen-taires de McGill (McGill Food System Project) tente de récolter des dons pour palier à l’insécurité alimentaire chez les étudiants (fin octobre), cela se passe dans l’ano-nymat le plus total. Il est délicat d’incriminer qui que ce soit en particulier, associations étudian-tes, AÉUM, étudiants eux-mêmes. Mais il semble s’ajouter à un déca-lage entre agenda politique sur le campus et réalité extérieure un grave désintérêt général envers des enjeux qui pourraient chan-ger l’existence de chacun plus tôt qu’on ne pourrait l’imaginer. x

Amelia rols

théophile vareilleLe Délit

Chers djihadistesCôme de Grandmaison | Ils ont pensé pour le présent

Subversif. Vieux con. Génie. Misogyne. Les qualificatifs que l’on pourrait attribuer

à Philippe Muray ne manquent pas, et tous semblent justifiés à la lecture de Chers Djihadistes. Dans cette lettre ouverte adressée à ceux ayant perpétré les atten-tats du 11 septembre, l’essayiste français dresse en fait un tableau sévère de l’Occident. Le message qu’il fait passer tout au long de ce pamphlet peut être résumé par les trois dernières phrases: «Et

nous vaincrons. Bien évidemment. Parce que nous sommes les plus morts.»

«Craignez la fureur des mou-tons!»

Avec une ironie mordante,

Muray approche l’après 11 septem-bre de manière inédite. Il refuse le consensus général autour du supposé génie de la civilisation occidentale, et montre en fait que les assassins se sont attaqués à du vide. Camus exhortait sa généra-tion à empêcher le monde de se défaire en 1957, Muray pense pour sa part que la sienne a échoué. Pire. Elle se complaît dans la dé-construction de tout ce qui a été: là où des milliers d’années de discor-de et de combats ont permis aux Hommes d’accéder à l’esprit criti-que, il a suffi d’une génération pour retourner «à ce bruit indifférencié comme à notre nouvel idiome commun.» Aujourd’hui, question-ner c’est trahir. Il est impensable d’essayer «d’intégrer le Mal ou le

démoniaque et de les comprendre pour les combattre.»

Notre monde moderne que n’oppose au sacré et à la transcen-dance que le mépris et une culture au rabais: la défense des Journées du Patrimoine ou d’un Halloween annulés comme justification de la guerre. Malgré les cris de ceux cla-mant le retour de l’Histoire en ce noir 11 septembre, Muray affirme qu’il y a bien longtemps que nous en sommes sortis. «Il est très ur-gent, une fois encore, que nous ne sachions pas quel est notre monde afin que nous nous occupions à le défendre comme s’il était dans la continuité de quelque chose». Mais défendre ce monde ne suffit pas, il faut l’étendre aux pays «ré-trogrades». Car seule notre civili-sation est «innocente». La citation de George W. Bush, en exergue du livre, le dit si bien: «Je suis comme la plupart des Américains, j’ai du mal à croire [qu’il y ait une telle haine envers l’Amérique] parce que je sais à quel point nous som-mes des gens de bien.»

Sans limite J’entends les invectives tomber

sur Muray: nihiliste, sans cœur, réactionnaire! L’auteur, pourtant, lutte simplement pour que cet avant existe encore, pour que l’Occident ne balaie pas toutes ses valeurs dans la grande fête d’effacement des êtres. Aujourd’hui se définir pose pro-blème, ne serait-ce que grammati-calement. L’Occident a pour objectif ultime le dépassement de soi-même – n’est-il pas symbolique que la tour qui s’élève aujourd’hui à la place des Tours jumelles soit près de cent mètres plus haute que celles-ci? Les esprits rebelles s’insurgeront: nom-breux sont ceux qui refusent encore le consensus, luttant contre toutes les formes d’oppression. Mais tout cela se fait dans un cadre acceptable, ou bien est tu. Qui, immédiatement après le 11 septembre, a osé essayer de comprendre les motivations profondes des djihadistes? Qui, en janvier 2015, n’a pas été Charlie? Comme le dit Muray, s’adressant aux terroristes: «votre horizon assi-

gné est l’absence de signification.» Se voiler la face, en somme, est notre réponse face à l’afflux croissant d’Occidentaux dans les rangs des organisations terroristes islamistes. Selon lui, si ces assassins attirent, c’est parce qu’à un Occident vide et mort elles opposent – en surface – un projet vivant et fondé sur la transcendance. Mais en cela juste-ment elles sont inférieures à notre belle civilisation, puisqu’«il est plus facile de mourir pour un Dieu que de lui survivre.»

Muray, évidement, dépasse les bornes. Sa critique est sans limite et il semble que son opposition soit parfois une posture plus que le fruit d’une analyse attentive et partiale. Lire ces lignes choque, interroge, agace. Ce qui est salutaire. Et on ne peut s’empêcher d’imaginer l’essayiste se faire lapider dans un espace sécuritaire pour outrage au vivre-ensemble, dans notre époque où «nous sommes persuadés de nous trouver en face d’un événe-ment historique chaque fois qu’arri-ve une tragédie.» x

chronique

Page 10: Le Délit du 10 novembre 2015

10 infographie le délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

matilda nottageLe Délit

Page 11: Le Délit du 10 novembre 2015

11économiele délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

é[email protected]

L’Hexagone dans les pas des Anglo-saxonsUne libéralisation de l’économie française.

opinion

À l’heure de la loi Macron et de ses premiers effets sur l’économie française,

il semble plus qu’adapté de se livrer à une brève analyse de la vie économique française. Avec un taux de chômage avoisinant les 10% au deuxième semestre 2015 et une croissance infé-rieure à 1%, la morosité de la vie économique française pousse à quelques peu «innover» en explorant des terrains jusqu’à présent inconnus.

Les piliers de la loi Macron

Tout d’abord, commençons par un rappel du but de la loi Macron. Cette loi comporte trois objectifs: la croissance, l’acti-

vité et l’égalité des chances éco-nomiques. Parmi des exemples plus concrets, on peut retenir la libéralisation des lignes de cars qui permettront de faire concurrence à la SNCF (Société Nationale des Chemins de Fers français, ndlr) et donc de baisser les prix, plus de souplesse dans l’ouverture des commerces le dimanche et la nuit pour facili-ter la consommation et une ré-forme du permis de conduire en confiant à des sociétés privées les épreuves du code de la route (dans l’espérance de diviser les délais actuels par deux).

Par conséquent, ses trois grands principes sont libérer, investir et travailler. Une loi alléchante et ambitieuse, mais derrière ses termes élogieux se cache un débat de société beau-coup plus profond. Dans les trois grands principes énoncés précé-demment, le premier fait réagir: «libérer». C’est un mot qui fait peur dans un pays où l’étatisme fort perdure depuis des siècles. «Libéraliser», les institutions supranationales telles que l’Organisation Mondiale du Commerce, le Fonds Monétaire International, ou encore le Parlement européen, n’ont que

ce mot à la bouche, avec pour but la promotion du libre-échan-ge et un marché concurrentiel où le gouvernement intervient au minimum.

Même si ce modèle séduit les pays anglo-saxons, la France n’est nullement obligée de mar-cher dans leurs pas. Dans un pays où le gouvernement régule la majorité des aspects de la vie économique, le libéralisme peut sembler tentant mais il n’est point dans nos mœurs et notre culture. Comme dirait Eric Zemmour, polémiste à succès, «nous ne sommes pas des Anglo-saxons». Cette phrase, qui paraît naïve à première lecture, montre en réalité une identité nationale construite au fil de l’Histoire. Cet étatisme à la française illus-tre le besoin du peuple de sentir le gouvernement proche de lui

en comptant sur lui pour la san-té, l’éducation, les transports, les aides sociales… Les exemples sont nombreux et ils datent du début du 19e siècle. Lorsque l’empereur Napoléon arrive au pouvoir, on assiste à la création des mairies, des préfectures, des voies de chemins de fer, d’une Banque de France pour réguler la vie économique du pays. Des créations qui montrent la volon-té du gouvernement de servir le citoyen, et que ce dernier peut se fier à lui. Autre exemple, la France et sa capacité à lever l’impôt. Le fait qu’ils soient éle-vés ne date pas d’hier, le gouver-nement de l’Hexagone a toujours su redistribuer la richesse col-lectée en taxes.

Un libéralisme audacieux

Depuis la crise financière de 2008, l’heure des réformes a sonné, mais la voie du libéra-lisme est-elle la seule? Peut-on envisager un libéralisme à la française loin de celui pratiqué par les pays anglo-saxons? Le Canada a su faire preuve de pragmatisme en confiant plus de libertés aux entreprises tout en conservant une structure sociale

digne d’un État-providence. Un mélange audacieux qui semble fonctionner: un impôt sur les sociétés raisonnable (aux alen-tours de 12%), une flexibilité à l’embauche et un contexte macro-économique favorable. La bonne santé économique du Canada fait pâlir d’envie les autres pays du G8 et cet État semble avoir trouvé la solution sur la question de la combinai-son État-providence / taux d’im-position. Le voisin américain affiche un taux d’imposition su-périeur mais un État-providence clairement moins prononcé. Un paradoxe qui met en avant les mœurs différentes d’une société à l’autre. Une preuve donc que la France pourrait baisser son taux d’imposition sans pour autant pleinement sacrifier son systè-me social généreux et onéreux.

L’étatisme d’hier...

Cependant, l’étatisme n’a pas toujours eu comme consé-quence première de ralentir la croissance économique. Cet amalgame dénigre passivement les bons côtés d’un système régulé. Sous le Second Empire, le gouvernement de Napoléon III entreprit de vastes investis-sements qui eurent comme effet une croissance économique quasi continue de 1852 à 1870. L’intervention du gouverne-ment permit la généralisation des technologies mises au point pendant la seconde révolution industrielle sur le territoire (développement des lignes élec-triques et de moyens de trans-ports plus efficaces). Entre 1852 et 1870 la France connut une période d’industrialisa-tion sans interruption, grâce à un système harmonieusement mélangé: un contrôle étatique sur les secteurs à développer et une certaine souplesse donnée aux entreprises. Entre 1852 et 1870 la France connut une période d’industrialisation sans interruption, grâce à un système harmonieusement mélangé: un contrôle étatique

sur les secteurs à développer et une certaine souplesse donnée aux entreprises. Un libéralisme «à la française» qui conjugue la liberté d’entreprendre avec un gouvernement relativement puissant qui intervient pour s’assurer du bon déroulement des opérations.

Et celui d’aujourd’hui

À notre époque, fortement marquée par une utilisation et un besoin accru de nouvelles technologies (Internet, biotech-nologies, énergies renouvela-bles…), un système similaire à celui du Second Empire pourrait porter ses fruits. Une certaine liberté accordée aux entreprises tout en régulant la concurrence pour qu’elle soit harmonieuse avec des investissements massifs dans la Recherche et Développement (R&D) pour encourager l’émergence de nou-velles technologies. Avec des capitaux gouvernementaux de cette ampleur, la recherche fran-çaise confirmerait son prestige à

l’international et les entreprises n’auraient d’autres choix que de domestiquer cette R&D pour rester compétitives. Le secteur énergétique est un bel exemple: la Commission de Régulation des Énergies (CRE) décide du prix du gaz et de l’électricité, ce qui permet aux Français d’avoir la facture la plus faible d’Europe, mais autorise la mise en concur-rence des différents acteurs du monde énergétique. Une mesure qui prendra bientôt fin. Au 1er janvier 2016 les tarifs règlemen-tés sur l’électricité vont dispa-raître: le pouvoir de la CRE se verra donc limité. Si cette fin de réglementation s’accompagnera d’une mise en concurrence plus accrue et plus harmonieuse, le gouvernement perdra de son autorité sur un secteur de l’éco-nomie et le contribuable risque d’en pâtir. Les investissements se feront plus rares et la R&D s’en verra affectée. Devant ces choix difficiles, il n’appartient qu’à la France de décider de la manière dont elle doit s’intégrer dans l’économie mondialisée.x

Crédit photo

Olivier pasquier-parpaillonLe Délit

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«Libérer: c’est un mot qui fait peur dans un pays où l’étatisme fort perdure depuis des siècles.»

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12 Culture le délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

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Les avocats de la paix

Diplômé de l’Université McGill en 1976, où il est aujourd’hui enseignant,

le documentariste Garry Beitel présentera son nouveau film à l’occasion des Rencontres Internationales du Documentaire à Montréal (RIDM), la semaine prochaine. À la poursuite de la paix est un documentaire inspirant, dans lequel le réalisateur donne la parole à des professionnels en résolution de conflits et lutte contre la vio-lence. Il nous emmène au Soudan du Sud, au Congo, et dans le nord de l’Irak, entre autres, pour nous mon-trer que conflit n’est pas seulement synonyme de violence, mais aussi de discussion, et que nous, citoyens occidentaux, avons aussi un rôle à jouer dans la promotion de la paix. Ce lundi après-midi, installé au café de la Cinémathèque Québécoise, Garry Beitel présente son œuvre au Délit.

Le Délit (LD): Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de faire un film sur ce sujet?

Garry Beitel (GB): Une collè-gue de l’ONF (Office National du Film du Canada) m’avait suggéré de faire un documentaire sur la paix, ce qui était un peu trop large. J’ai cherché, dans l’Histoire, le rôle du Canada dans la défense de la paix, et j’ai trouvé qu’il avait été l’un des premiers à inventer ce métier, ce rôle de médiateur, et que de nom-breux Canadiens avaient décidé de s’engager.

LD: On imagine que cela pour-rait être mal vu: des Occidentaux qui viennent s’immiscer dans les conflits locaux… Avez-vous reçu un bon accueil dans votre démarche documentaire?

GB: Nous avons été très bien reçus. Les gens ne voient pas les médiateurs comme des intrus, et ce n’est pas typique de la pensée occi-dentale de défendre la résolution pacifique des conflits. C’est plutôt des idées diffusées par Gandhi, Mandela, Martin Luther King. Et puis ces personnes qui viennent aider à la discussion n’arrivent pas là tout d’un coup, ils restent longtemps et travaillent progres-sivement avec les communautés.

C’est un travail de longue haleine. Et ils sont joints par des média-teurs locaux, qui aident aussi à la discussion, comme Un Habitat au Congo. D’ailleurs, dans le film l’un d’eux dit «j’ai une bonne nouvelle: nous avons un conflit!», ce qui montre que le vrai problème n’est pas le conflit en lui même, mais l’utilisation de la violence, qui peut escalader très vite. Et d’ailleurs ça a explosé entre des villages qui se disputaient la terre.

LD: Combien de temps avez-vous passé avec ceux qui témoignent dans votre documentaire? Pour vous aussi cela a dû être un travail de longue haleine.

GB: Je les connais depuis cinq ans, parce que je les ai contactés quand j’ai commencé ma recherche. On se parlait par courriel, Skype, ou par téléphone. Ensuite je suis allé les voir et je les ai suivis dans leur travail. Kye, l’éducateur, était au Népal quand il animait des grou-

pes et des activités pour enseigner comment résoudre des conflits sans violence. Oumar, j’ai suivi son travail aussi, comme Tiffany au Soudan du Sud. Par contre, j’ai eu plus de mal avec Andrew parce que je ne pouvais pas suivre son travail, qui est secret. J’ai pu profiter de ses ressources d’images qu’il a accu-mulées pendant toutes ses années d’intervention.

LD: Vous indiquez au début du film le déclin du rôle du Canada dans la défense de la paix, surtout depuis les efforts du premier minis-tre Pearson. Parti du 1er rang, le Canada est aujourd’hui classé com-me 68e membre des Nations Unies en tant que défenseur de la paix. Il a tendance à se ranger au côté des États-Unis dans l’intervention militaire. Est-ce que vous faites une piqure de rappel aux Canadiens, et même au nouveau gouvernment?

GB : Oui, au gouvernement. Je pense que les Canadiens ne sont pas représentés dans ce qu’ils veulent. Ils ont, en quelque sorte, été faits prisonniers. On ne peut pas revenir

dans le passé, le monde a changé, mais on pourrait utiliser un pour-cent des milliards de dollars que l’on consacre aux complexes mili-taires, à la formation des gens, à leur apprendre la discussion pour éviter l’affrontement. Il y a un nouveau métier, qui existe, dans les universi-tés canadiennes notamment, et qui consiste à enseigner cette abilité à résoudre un conflit par d’autres moyens que la violence.

LD: C’est un message politique ça, non?

GB: Ah oui, c’est un message politique! Alors que les conflits ne veulent pas dire violence, qu’un conflit n’est pas un problème en soi, les gouvernments apportent encore plus de violence en intervenant de façon armée. Et ce n’est pas évident à comprendre. Quand on a tourné, on a assisté à des séances de discus-sions avec des gens qui ont vécu des choses horribles, et ce n’était pas facile pour eux de comprendre que

la solution n’est pas de se venger, mais d’essayer de comprendre. Ça prend du temps, parce qu’ensuite, une fois qu’on a enfin rétabli une situation de paix, il faut la mainte-nir et surtout, apprendre aux gens à vivre de façon pacifique.

LD: Êtes vous pacfiste?GB: Oui et non. J’utiliserais la

violence si on m’attaque personel-lement. Je pense qu’il faut pouvoir renvoyer l’attaque. Mais je pense qu’il ne faut pas utiliser la violence pour se venger si on ne comprend pas vraiment les conséquences et le contexte.

LD: Votre film transmet un message important pour les jeunes. Quand sera-t-il accessible au public?

GB: La première projection sera celle de samedi (le 14 novem-bre, ndlr) et du 21 novembre pour les RIDM. Sinon, il sortira dans les salles au printemps.

Le film de Garry Beitel est innovant et encourageant dans la

mesure où il se penche sur la solu-tion plutôt que le problème. Au lieu de montrer la violence dans les pays en conflits, ou encore l’injustice de la victimisation des civils, le long-métrage fait parler ceux qui travaillent pour la paix. À la pour-suite de la paix résonne comme la petite voix humaniste qui nous chuchote qu’on peut en faire plus. Celle-ci parviendra-t-elle à l’oreille

de Justin Trudeau, lui ordonnant de s’inscrire dans la lignée de Lester Pearson? x

Quand le Canada était le chef de file de la résolution de conflits, par Garry Beitel.

FESTIVAL RIDMCulture

«J’ai une bonne nouvelle: nous avons un conflit!»

À la poursuite de la paixau cinéma Excentris le 14 et

21 novembre 2015, avec les RIDM

amandine hamonLe Délit

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13Culturele délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

Dans le cadre du festival Cinémania, le cinéma Impérial projette des

films francophones pour leur pre-mière nord-américaine, du 5 au 15 novembre. L’une des projections les plus attendues est celle de Mon Roi de la réalisatrice française Maïwenn, déjà récompensée en 2011 par le prix du jury au festival de Cannes pour Polisse.

Cocktail réussi d’avance?

Vincent Cassel et Emmanuelle Bercot incarnent Georgio et Tony, un couple incom-patible qui s’autodétruit. Tony se casse le genou lors d’une chute à ski, ce qui, d’après son médecin, en dit long sur son état d’esprit et sur son histoire d’amour tumultueuse. Emmanuelle Bercot incarne un rôle qui lui a valu le prix d’inter-prétation féminine du Festival de Cannes 2015. Elle est à l’aise avec son corps, qui est très souvent mis au premier plan dans des scènes si-lencieuses et douloureuses. Son jeu est fabuleux et donne la chair de poule à plusieurs reprises. Le film se compose d’une succession de retours en arrière sur une dizaine

d’années qui mettent en parallèle l’histoire d’amour et la rééducation difficile de Tony dans un centre médical. Celle-ci est irrationnelle et jalouse. Tout commence à coups de «c’est qui cette fille?», «t’as couché avec elle?», «pourquoi est-ce que tu m’as choisie moi plutôt qu’une autre?». De la jalousie irré-fléchie, mais uniquement du côté de la femme pour la plus grande partie du film.

De son côté, Vincent Cassel incarne un homme volage, bad boy toujours dans l’excès et terrible-

ment drôle, à l’image de l’acteur. Il se présente comme le «roi des connards», qui fait rire Tony à tous

les coups et qui, plus tard, la trom-pe, se drogue, et croule sous les dettes. On retrouve ainsi le cliché de l’homme détaché, le Don Juan insupportable mais de qui on ne peut pas se passer. C’est seulement vers la fin du film que le spectateur

commence à éprouver un peu de compassion envers Georgio et que l’on se rend compte qu’il souffre

aussi. Vincent Cassel a d’ailleurs tenu à le souligner lors de la confé-rence de presse du Festival de Cannes. Finalement, tout le monde se reconnait un peu dans les per-sonnages du film. Cependant, la scène de fin place à nouveau Tony

en position de faiblesse lorsque Georgio se montre incapable de se réjouir à l’annonce de sa réussite professionnelle. Là, on ne com-prend pas.

Place à l’improvisation

Mon Roi a été tourné en impro-visation dirigée. Les acteurs nour-rissent les scènes de leur vécu, de leur personnalité et de leur sponta-néité. On a l’impression de regarder les bêtisiers du tournage: les bla-gues ne semblent pas être écrites à l’avance et sont très spontanées, de même pour les rires, ce qui est extrêmement agréable. Pas de doute, on retrouve bien le style de Maïwenn. Une vitre? Cassée par un coup de poing. Des voitures garées? Leurs rétroviseurs arrachés dans une marche arrière brutale. Des médicaments? Une tentative de suicide. Ce style excessif est parfois mis au service de l’humour comme dans la scène du repas entre amis où Tony est saoule, ou encore à Deauville où l’on se demande si les acteurs étaient réellement sobres au moment du tournage. x

Joanna WolfarthLe Délit

Présenté au Festival du Nouveau Cinéma et sorti à Montréal le 23 octobre 2015,

Anna est un film québécois réalisé par Charles-Olivier Michaud. Il met en scène l’actrice française Anna Mouglalis dans le rôle d’une photo-journaliste française: Anna. Le film débute alors qu’Anna est en voyage à Bangkok pour un reportage. Elle infiltre un réseau de trafic humain et de prostitution dans le but de dévoi-ler la vérité ou du moins, comme elle le dit, une vérité. C’est alors qu’elle se fait enlever par des membres de ce même réseau et subit les atroci-tés qu’elle cherchait à documenter jusqu’alors: viol, maltraitance, tor-ture. Après deux semaines, elle est relâchée et rapatriée à Montréal. S’ensuit un long chemin vers la re-construction physique et psychique, sur laquelle se concentre le film.

Anna n’est pas un film de dia-logues. Pour rendre compte de la reconstruction de son personnage éponyme, tout est transmis par le biais d’images et de symboles. En effet, puisqu’Anna ne peut exté-rioriser son enlèvement ni mettre des mots sur ce qu’elle a vécu, elle

se réfugie dans la photographie. Comme le dit Charles-Olivier Michaud, le réalisateur du film: «elle doit tout réapprendre». En tant que spectateur nous n’avons, nous non

plus, pas accès à une extériorisation ou aux détails de son expérience et de ses sentiments. Nous devons nous laisser porter par les images et au fur et à mesure découvrir

toute l’atrocité de son enlèvement et accepter, avec elle, que cela fasse partie de son histoire. Ainsi, si le film nous paraît parfois un peu lent, il s’agit d’un parti pris du réalisateur qui cherche à faire un film qui mon-tre et fait ressentir plutôt qu’un film qui explique.

Et si c’était nous?

Bien qu’Anna soit un film qui nous sensibilise aux problèmes du trafic humain en Asie, la majorité du film se focalise sur le processus de reconstruction de la journaliste française. L’atrocité de son expé-rience n’est pas remise en question. Cependant, il ne faut pas oublier que son expérience n’est rien d’autre que le quotidien de milliers de femmes en Thaïlande, qui n’ont, elles, aucu-ne issue de secours. Pourquoi alors, le seul fait que cela arrive à une occi-dentale, à quelqu’un comme «nous», mérite qu’un film lui soit dédié ? Ce problème est directement posé à la fin du film. En effet, si Anna décide enfin de raconter son enlèvement par écrit, elle explique qu’elle le fait pour toutes les femmes victimes

du trafic humain. C’est en leur nom qu’elle décide enfin d’extérioriser et de partager son expérience. Et si elle choisit de raconter sa propre his-toire et non la leur c’est parce qu’elle sait que: «moi, Anna Michaud, je suis vous».

Ainsi le film aborde directe-ment un problème propre à nos sociétés occidentales: un intérêt superficiel voire un désintérêt pour les problèmes qui touchent des gens différents. Si l’on s’intéresse à l’his-toire d’Anna c’est parce qu’elle fait partie du «nous», son histoire pour-rait être mon histoire, votre histoire. Le film nous oblige alors à sortir de notre petit confort, et à réellement nous exposer et nous positionner face aux vrais problèmes qui tou-chent la communauté humaine, bien que ces êtres humains en question soit à des milliers de kilo-mètres. x

La vérité, à quel prix?Le drame du trafic humain dans le nouveau film de Charles-Olivier Michaud.

«Son histoire pourrait être mon histoire, votre histoire.»

Anna au cinéma Excentris jusqu’au 12 novembre 2015.

Camille Charpiat

Le «je-nous» casséMon Roi de Maïwenn: les montagnes russes de l’addiction amoureuse.

cinéma

Mon Roi au cinéma Impérial jusqu’au 15 novembre 2015

«Les blagues ne semblent pas être écrites à l’avance et sont très spontanées»

Anna DoryLe Délit

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14 Culture le délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

L’hymne à la Môme Mise en scène de la vie de la chanteuse légendaire avec le ballet Piaf.

danse

À l’occasion du centenaire de la naissance d’Édith Piaf, une représentation

du spectacle créé en son honneur a eu lieu vendredi 6 novembre au Théâtre Outremont. Ce ballet-théâ-tre est mis en scène par le choré-graphe et directeur artistique Igor Dobrovolskiy et interprété par une compagnie de ballet néoclassique. Les danseurs du Ballet-théâtre atlantique du Canada retracent, en musique, la vie tumultueuse de la chanteuse.

Le premier acte commence avec Piaf seule, à la fin de sa vie, saoule ou peut-être droguée, sur «Après un Rêve» de Fauré. Elle retrace les grandes étapes de sa vie, entre son enfance, ses histoires d’amour tragiques, puis la gloire, jusqu’à sa mort.

Savoir manier les classiques

Les morceaux de Piaf sont alternés avec des grands classiques de Chopin, Britton, et la célébris-sime «Sonate au clair de lune» de Beethoven. Cette alternance donne un certain rythme au spectacle et évite surtout le côté «comédie musi-cale». Cependant, il est dommage que les morceaux ne passent pas dans l’ordre chronologique et ne correspondent pas toujours aux mo-ments de la vie de l’artiste qui sont évoqués, alors qu’elle s’est toujours

inspirée de sa vie pour l’écriture de ses chansons. En effet, «L’hymne à l’amour» est associé à la Seconde Guerre mondiale alors qu’il s’agit d’une chanson composée au mo-ment de son histoire d’amour avec le boxeur Marcel Cerdan qui aura lieu plus tard, à New York. «Mon Dieu» est plus justement associée à la mort de Marcel. Les chorégraphies qui accompagnent les chansons de Piaf sont très rafraîchissantes et entrai-nantes pour tous les inconditionnels de la Môme. Du ballet sur «Milord»? Probablement du jamais vu, mais c’est très réussi.

Olga Petiteau incarne le rôle-titre avec brio. Elle parvient à être gracieuse et légère tout en jouant le rôle de la petite femme nerveuse sur qui le sort semble s’acharner. Elle est souvent dans un état misé-rable afin de rendre au plus juste les tragédies personnelles d’Édith Piaf, marquée par la maladie et la drogue. La prestation de Stéphanie Audet dans le rôle de Mômone est également remarquable. Quant aux danseurs principaux, ils livrent une performance impecca-ble, bien que certains choix artisti-ques surprennent.

Incohérence visuelle

Un point en particulier nous laisse perplexe, voire contrariés: les images diffusées sur le lointain et sur la hauteur de l’estrade. Leur qualité est risible, avec des effets dignes d’un logiciel de montage vidéo des années 2000 qui n’appor-tent absolument rien à la narration ou à l’aspect artistique de l’œuvre. Car ces images sont tout sauf esthé-tiques. Elles induisent même en erreur: en effet, des images d’Hitler défilant avec ses armées sur les Champs-Élysées suggèrent que

l’action se passe à Paris, alors qu’il s’agit du moment où Édith Piaf se produit dans les camps de prison-niers de guerre en Allemagne. Ces images attirent inutilement l’œil du spectateur sur autre chose que le talent des danseurs. Des sons pourraient facilement informer le spectateur sur le contexte sans compromettre sa compréhension de l’histoire. Néanmoins, le jeu de lumières et d’ombres est parfaite-ment maîtrisé et les costumes et accessoires suffisamment informa-tifs pour rendre compte du contex-te de ce ballet. xjoachim dos santos

joanna wolfarthLe Délit

Les misérables de Ville-MarieDans le nouveau film de Guy Edoin, il n’y a pas un personnage pour rattraper l’autre.

cinéma

Second film de Guy Edoin, Ville-Marie, est sorti le 9 octobre au Québec et raconte

l’histoire de quatre personnes emprises de solitude. Il suit le par-cours de Sophie, actrice, et de son fils Thomas, qui est à la recherche de l’identité de son père; puis de Pierre, ambulancier qui travaille à l’hôpital Ville-Marie avec Marie, infirmière.

Dès les premières secondes de visionnage, quelque chose marque: les effets lumineux sont réussis, quelque soit l’emplacement du personnage par rapport à l’éclai-rage. Ce sont surtout les lumières rasantes qui produisent un bel effet sur les peaux des acteurs. Montréal sert aussi beaucoup à l’univers pic-tural de l’ensemble: de très beaux panoramiques participent à la réus-site esthétique du film. Toutefois ces plans semblent sortir de nulle

part et ne servent pas vraiment le propos du long-métrage.

Impression de déjà-vu

Ville-Marie est-il un Only God Forgives montréalais? La symboli-que de la mise en scène manque de cohérence: dans la seconde moitié,

Thomas est blessé dans un accident et se retrouve à l’hôpital, après avoir fait éclater sa rage d’enfant gâté contre sa mère. Celle-ci, à son che-vet, décide de lui révéler l’identité de son père. Puis, elle va se changer et la caméra nous «offre» un plan fixe du reflet de la gorge maternelle dans un miroir. Est-ce pour signifier une

prise de conscience de son rôle de mère? C’est difficile à croire puisque son comportement reste inchangé, mise à part la révélation qu’elle a faite à son fils.

Ainsi – et malheureusement – le film se perd dans ses multiples incohérences et petits défauts qui font disparaître les intentions de réalisation: le jeu d’acteur faible d’un urgentiste qui ne sait pas faire de massage cardiaque, une jeune infirmière qui a le temps de jouer au téléphone rose avec son petit ami au vu et au su de tous, et enfin un joueur de guitare qui prend son rôle trop sérieusement lors d’une scène d’anniversaire. Cela peut ressembler à une broutille, mais le sérieux du guitariste ajouté à la gravité de la scène a provoqué en moi une envie irrépressible de rire, et c’est le seul

moment où j’ai été heureux de voir ce film.

L’écriture pose aussi problème dans ce film: il y a trop de vraies faus-ses grandes leçons de vie («j’ai arrêté

d’arrêter»), trop de clichés éculés et de blagues pas drôles, un tout qui manque de provoquer de l’empa-thie pour les personnages. La seule constante parmi ces derniers, c’est la façon qu’ils ont de vivre comme s’ils étaient les plus malheureux au monde. Cela laisse une impression continuelle de misérabilisme vain. À la fin de la projection, on réalise que le film est plat (mettez-y des roulettes, vous aurez un skateboard). La situation finale est la même que l’initiale, à l’exception de l’adoles-cent qui a obtenu ce qu’il voulait. On regrette de ne pas être allé à une autre projection à la place. x

Nouédyn BaspinLe Délit

«Les chorégraphies qui accompagnent les chansons de Piaf sont très rafraî-chissantes et entrainantes pour tous

les inconditionnels de la Môme.»

«À la fin de la projection, on réalise que le film est plat.»

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15Culturele délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

Décès sous surveillance After Facebook: à la douce mémoire <3: l’exposition qui problématise l’immortalité.

expositions

Vous êtes-vous déjà inter-rogés sur ce qui pourrait advenir de vos restes

virtuels à votre mort? Pour sa quatorzième édition, le Mois de la photo à Montréal se penchait sur cette épineuse question avec After Faceb00k: à la douce mémoire <3, qui sera exposée au Musée McCord jusqu’au 10 janvier. L’exposition retrace les principaux enjeux sociaux et politiques du partage extensif d’images per-sonnelles sur les réseaux sociaux, questionnant le rôle de la photo-graphie dans le rapport inédit que notre société entretient à l’image.

Pour Roland Barthes, l’image photographique correspond à la transmission de ce qui a été, la preuve intangible de la réalité d’un moment passé. Mais qu’advient-il lorsque l’image devient éternelle et survit à son référent dans la sphère publique? Cette hypothèse est mise en perspective par l’exposition, à travers la présentation de plusieurs clichés tirés du fameux réseau so-cial. L’exposition se présente sous la forme d’une installation numé-rique, immergeant le visiteur dans les dédales de milliers de pages Facebook commémoratives. Dans une salle plongée dans la pénombre

se dressent neuf projecteurs aux allures de stèles, diffusant au pla-fond un nombre infini de captures d’écrans. L’exposition se découvre allongé sur le sol, proposant au visi-teur un face à face troublant avec le deuil de milliers d’inconnus.

Le tour de force d’After Facebook: à la douce mémoire <3 tient à la réussite de sa mise en scène. Au-delà d’un catalogue d’images funéraires, l’installation adopte un parti pris artistique permettant un véritable question-nement sur la valeur de l’image et sa portée. Le paysage sonore et le

jeu sur la vitesse de diffusion des images offrent un regard inédit sur une thématique importante: celle de la pérennité des informations mises en ligne et partagées par les utilisateurs des réseaux sociaux. Leur fonctionnement nous pousse en effet à façonner une image de nous-même avec l’acharnement de metteurs en scène, et la possibilité de survie de cette création est ver-tigineuse. La mise en valeur de ces milliers de photographies intimes, parfois extrêmement violentes, provoque autant qu’elle émeut, poussant le visiteur à la réflexion.

Du côté des réactions, beaucoup témoignent dans le livre d’or de leur intérêt et de leur émotion face à une installation «troublante» et «perturbante».

En effet, si l’exposition peut se révéler dérangeante, c’est qu’elle touche à un phénomène de société majeur: l’avènement de l’ère “post-photographique“, caractérisée par la surabondance d’images et l’explosion de leur circulation. Elle explore à travers le prisme du deuil les implications de cette nouvelle culture visuelle, changeant notre rapport à l’image et à la notion de

privé. Comme une réflexion an-thropologique, qui s’interroge sur les conséquences du rôle croissant que les réseaux sociaux occupent dans nos existences individuelles. Avec trente millions de comptes appartenant à des personnes décé-dées, Facebook a redéfini notre rapport à la mort: selfies, montages et autres statuts funèbres sont devenus des moyens de commé-moration et de communication post-mortem. L’installation du musée McCord analyse de manière édifiante cette nouvelle gestion du deuil où des méga-serveurs, à dé-faut de nous promettre l’immorta-lité, facilitent celle de nos données.

«L’être humain a toujours cherché à s’incarner dans des lieux où son corps ne peut plus être, c’est-à-dire en effigie. De nos jours, cela ne se fait plus avec des masques mortuaires ou des sculp-tures funéraires, mais en publiant des photos sur un mur Facebook», sous-titre l’exposition. After Facebook: à la douce mémoire <3 questionne et bouleverse, révélant avec subtilité l’étrange poésie de ces élégies virtuelles. x

Salomé Grouard

hortense chauvinLe Délit

«Tout n’est qu’illusion»Rad Hourani: la neutralité comme vision universelle de l’individualité.

Le 5 novembre dernier avait lieu le vernissage de l’artiste Rad Hourani

pour son exposition pluridiscipli-naire d’art contemporain intitulée NEUTRALITÉ. Sans aucun doute, cette venue élégante a attiré les foules à l’Arsenal de Montréal. Un lancement laissant place au bon goût pour les adeptes du milieu.

Né en Jordanie d’un père jordano-canadien et d’une mère syrienne, le jeune Rad a 16 ans lorsqu’il emménage à Montréal pour y terminer ses études secon-daires. Il deviendra directeur artistique à la suite de ses études et s’installera à Paris à l’âge de 23 ans. Dès lors, il commence à faire de la photographie et de la vidéo avant de dessiner sa toute première collection unisexe et de lancer sa marque éponyme en octobre 2007.

La neutralité comme théma-tique de cette exposition renvoie directement à l’artiste pluridis-ciplinaire qu’est Rad Hourani. Prônant l’anticonformisme, il est à la fois couturier, photographe, réalisateur et artiste. Son tra-vail expose les contrastes et les

contraires, la neutralité appelle à un refus des constructions socia-les. Qu’il s’agisse du genre, de l’orientation sexuelle, de l’âge ou de l’ethnie, pour lui, «tout cela ne sont que des illusions». Toutes ces catégories, tous ces dualismes que

la société arrive à créer, l’artiste jordanien refuse d’y être confiné et de s’y conformer.

Un fil conducteur nous fait cheminer dans l’univers de Rad Hourani, tout le long de son expo-sition. D’abord, en parcourant la

chambre de l’enfant, présentée comme l’étape de la vie où l’indi-vidu commence à être conditionné par les normes de la société. Ensuite, nous pénétrons dans la chambre de l’adulte, les comman-dements sociétaux prennent forme

et finissent par diriger ce dernier. Par le biais d’une de ses œuvres, intitulée Commandements, l’artiste nous propose 16 comman-dements mais accentue l’impor-tance du dernier en liste. Intitulé Endless, ou «sans fin», il permet de donner libre cours à sa ligne de pensée et le pousse surtout à refuser de demeurer dans des limi-tations prédéfinies. Rad Hourani veut nous offrir un univers libre de confinement, libre de condi-tionnement. Un univers beaucoup plus libre en soi, dans lequel la non-conformité devient l’essence même de l’existence de l’individu.

Son audace et son refus du conformisme lui permettent de présenter ses œuvres multidisci-plinaires partout dans le monde et d’accumuler les mérites. En jan-vier 2013, La Chambre Syndicale de la Haute Couture de Paris l’invi-tait à présenter la première collec-tion de Haute Couture unisexe de l’histoire de la mode. Rad Hourani devient ainsi un des premiers Canadiens parmi les grands. x

Crédit photo

Kary-Anne PoirierLe Délit

After Facebook: à la doucemémoire <3

Musée McCordJusqu’au 10 janvier

«Rad Hourani veut nous offrir un univers libre de confinement, libre de conditionnement»

NeutralitéÀ l’Arsenal

Jusqu’au 17 janvier 2016

Salomé Grouard

Page 16: Le Délit du 10 novembre 2015

16 entrevue le délit · mardi 10 novembre 2015 · delitfrancais.com

EntrevueL’austérité, les femmes et le féminisme

Entretien avec Aurélie Lanctôt, étudiante, auteure, journaliste et féministe.

Le Délit (LD): Le titre de ton premier livre fait réagir. Il y a plusieurs gains importants pour les femmes

qui ont été réalisés sous les Libéraux. Pourquoi Les Libéraux n’aiment pas les femmes?

Aurélie Lanctôt (AL): J’ai choisi ce titre-là pour plusieurs raisons. Ce titre ne traduit pas la croyance que le gouverne-ment de Philippe Couillard se réveille tous les matins en se disant «bon, on va gouver-ner en nuisant aux femmes». Je ne crois pas que l’on ait affaire à des ministres ou à des députés ou même à un gouvernement qui veulent limiter les droits des femmes ou même la place qu’elles occupent dans la société. […] Par contre, lorsqu’on en vient à l’élaboration et à l’application de politiques économiques, je pense que les Libéraux, par entêtement ou omission, ne prennent pas acte des effets sexistes de leurs politiques qui s’exercent au détri-ment des femmes. En ce sens-là […] et en refusant de faire cette prise de conscience, je pense qu’ils gouvernent en n’aimant pas les femmes. Mais on s’entend que le titre se veut être une boutade, une façon d’interpeller.

LD: Les politiques d’austérité du gou-

vernement ont un effet disproportionné sur les femmes. Quels sont ces effets?

AL: Les politiques d’austérité et de compression budgétaire créent un désé-quilibre entre les hommes et les femmes pour deux raisons. Premièrement, les com-pressions budgétaires dans le secteur pu-blic affectent majoritairement les femmes parce que les trois-quarts des employés du secteur public sont des femmes. Et une femme sur trois qui travaille, travaille d’une façon ou d’une autre dans le secteur public. Quand on supprime des emplois dans le secteur public, ce sont les femmes les premières à en écoper.

La disparition et la précarisation de certains services publics affectent davan-tage les femmes parce qu’elles les utilisent plus (ex. le système de la santé et des services sociaux) pour plusieurs raisons, notamment leur style de vie. Tout d’abord, parce qu’elles sollicitent beaucoup plus les services médicaux, mais aussi parce qu’el-les sont généralement plus pauvres que les hommes. Elles dépendent davantage de l’aide sociale, de certaines allocations ou de certains programmes par exemple. En contrepartie, les mesures de relance éco-nomique, qui favorisent surtout le secteur privé, favorisent surtout une main-d’œu-vre qui est en très grande majorité mascu-line. Donc, par les choix de compression et les choix de relance économique, on constate que l’austérité a un impact diffé-rencié selon le sexe favorisant les hommes et défavorisant les femmes. En prenant ce modèle économique, on accentue les écarts de richesse entre les hommes et les femmes.

LD: Tu es allée sur le terrain autant

dans le milieu scolaire que dans le milieu de la santé et des services sociaux. Tu as

parlé à une jeune enseignante, une ortho-pédagogue entre autres. Quelles sont les conséquences directes de l’austérité sur les élèves ainsi que sur les gens qui utilisent les services sociaux?

AL: Elles sont nombreuses et dépen-dent des secteurs. Chez les travailleuses, on assiste à une précarisation de leurs condi-tions d’emploi. Il y a des impacts immédiats sur ces femmes-là qui sont observables. Les infirmières et les enseignantes, par exemple, sont épuisées. Elles font face à des problématiques qui sont toujours plus complexes tout en ayant de moins en moins de ressources pour y faire face. Elles sont dépassées et n’arrivent pas à fournir autant de services qu’elles le voudraient. En effet la demande dépasse largement ce qu’elles peuvent offrir compte tenu des conditions dans lesquelles on les fait travailler. Ça les épuise et les décourage. Et ça c’est quand leur poste ne disparaît pas complètement. Sur les utilisateurs des services qui sont démantelés, les conséquences sont nom-breuses aussi. On peut parler d’un appau-vrissement général des femmes: elles ont plus de difficulté à trouver des emplois stables et donc leur revenu en écope. Il devient plus difficile pour elles d’échapper à la pauvreté et par ricochet, cela devient

plus difficile d’échapper à la violence, etc. Je pense qu’on commence à peine à res-sentir les effets de cette précarisation et de cet appauvrissement général des femmes induit par l’austérité. Peut-être que dans les années à venir, on va se rendre compte que c’est encore plus grave que ce qu’on avait appréhendé. Chose certaine, il y a une augmentation généralisée de la détresse des gens et principalement des femmes parce qu’elles sont d’emblée plus pauvres que les hommes.

LD: Tu t’es montrée réservée concernant le passage de Sophie Brochu et de trois autres femmes qui étaient venues à «Tout le monde en parle» (émission sur Radio-Canada, ndlr) parler de l’ambition chez les femmes entre autres. Quels problèmes vois-tu dans leur discours?

AL: Je suis très critique par rapport à un certain féminisme qui est assez à la mode et qui dit que si les femmes veulent attein-dre l’égalité, ce n’est qu’une question de volonté, d’efforts et de travail. Entendons-nous: le discours sur la promotion de l’ambi-tion chez les femmes n’est pas mauvais en soi. Il n’y a personne qui va condamner le fait que l’on dise aux filles qu’elles peuvent avoir des rêves sans modération et qu’elles

sont au moins aussi bonnes que leurs collè-gues et camarades de classe masculins. Tout ça, ce sont des choses qui sont vraies et bon-nes à dire et je n’ai rien contre ce discours-là, sur ce principe-là. Par contre, j’ai l’impres-sion que les mêmes personnes qui tiennent ce discours sur l’ambition se montrent in-sensibles à la réalité de la majorité des fem-mes. Souvent ce sont des femmes qui elles-mêmes ont réussi, qui elles-mêmes sont dans des positions de pouvoir, et elles oublient que pour la majorité des femmes, la volonté indi-viduelle n’est pas suffisante pour atteindre l’égalité. Il y a des obstacles matériels objec-tifs qui sont prononcés pour les femmes et qui sont des obstacles à leur atteinte de l’éga-lité. Ils ne peuvent pas être surmontés si on ne donne pas aux femmes les outils pour le faire, comme les services publics accessibles et universels pour échapper à la pauvreté, ou des services de garde, afin de s’affranchir de ce qui les empêche d’accomplir leurs ambitions. J’ai l’impression qu’il y a dans ce féminisme à la Monique Jérôme-Forget ou à la Sophie Brochu des femmes qui sont dans des positions d’influence, qui font partie de l’élite et qui ont oublié la réalité de la majori-té des femmes. La majorité des Québécoises dépendent empiriquement des services publics dont ces femmes cautionnent le démantèlement. Je trouve ça très inquiétant. Je pense qu’il faut répondre à ces féministes-là que si l’égalité des sexes et l’émancipation des femmes sont si importantes pour elles, il faut qu’elles prennent acte du fait que les défis auxquels font face la majorité des fem-mes n’ont rien à voir avec une question de volonté. Je pense que ce n’est pas assez dit dans l’espace public.

LD: Dans Second Début de Francine

Pelletier, qui est l’une des cofondatrices du magazine féministe La vie en rose et dans «Des paillettes aux revendications: quelques bribes d’un possible renouveau féministe» que tu as écrit pour Nouveau Projet, vous abordez toutes les deux le féminisme «pop», le renou-veau féministe. Est-ce que la grogne actuelle en lien avec l’austérité va donner un nouveau souffle au mouvement féministe selon toi?

AL: Je le souhaite. Une chose est certai-ne, c’est que le féminisme […] est à la mode. Même si on peut critiquer la façon dont certaines vedettes vont endosser le discours féministe et les idées qu’elles vont mettre de l’avant, le fait que ces préoccupations-là soient à l’agenda du jour est une bonne chose. Que des jeunes filles s’y intéressent, c’est une bonne chose. Cela ne veut pas dire qu’il faut gober un certain discours, un féminisme pop et libéral qui est mis de l’avant. Cependant, si on peut semer la graine chez de plus en plus de filles, je pense que c’est une très bonne nouvelle. Après, je souhaite que ça se concrétise dans des luttes et des effets réels sur l’égalité ainsi qu’en une plus grande soli-darité. […] x

Propos recueillis parKHAROLL-ANN SOUFFRANT

Le Délit

Aurélie Lanctôt est une jeune féministe assumée. Âgée de 23 ans, elle a pris conscience au début de l’âge adulte des inégalités de fait qui subsistent toujours entre les hommes et les femmes au Québec, malgré une égalité de droit. C’est donc en ce sens qu’elle a décidé de prendre la parole pour dénoncer les inégalités salariales, la violence sexuelle, la pauvreté ou encore le manque d’opportunités dans certaines sphères de pouvoir pour les femmes. Diplômée en journalisme de l’UQAM, elle collabore avec différents médias notamment dans La Gazette des femmes, Ricochet ou Radio-Canada. Elle est aujourd’hui étudiante en droit à l’Université McGill. Son livre Les libéraux n’aiment pas les femmes – essai sur l’austérité a été publié chez Lux Éditeur le mois dernier.

jérémie dubé-lavigne