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REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS FIPF N° 379 JANVIER-FÉVRIER 2012 // DOSSIER // Corneille, un musicien entre Rwanda et Québec Les secrets d’ Alger de Boualem Sansal // MÉMO // // ÉPOQUE // Le regard persan de Marjane Satrapi Le Cambodge revient au Théâtre du Soleil États-Unis : étudiants et écoliers partagent le français Un labo pour l’autonomie au Japon // MÉTIER //

Le français dans le monde 379

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Numéro de janvier/février 2012 de le revue internationale des professeurs de français

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N°3

79ISSN 0015-9395

ISBN 978-2-090-37068-3

www.fdlm.org

REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAISFI

PF

ISSN 0015-9395

ISBN 978 2 090 37072-0

www.fdlm.org

REVUE DE LA FÉDÉRATION INTERNATIONALE DES PROFESSEURS DE FRANÇAISFI

PF

N° 379 JANVIER-FÉVRIER 2012

// DOSSIER //

Corneille, un musicien entre Rwanda et Québec

Les secrets d’Algerde Boualem Sansal

// MÉMO //

// ÉPOQUE //

Le regard persan de Marjane Satrapi

Le Cambodge revient au Théâtre du Soleil

États-Unis!: étudiantset écoliers partagent le français

Un labo pourl’autonomie au Japon

// MÉTIER //

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2. AnniversaireÉtats généraux de la promotion du français50 ans du Français dans le monde : le FLE en fête !

ÉPOQUE6. PortraitLe regard persan de Marjane Satrapi

8. TendanceChut, s’il vous plaît !

9. SportNovak Djokovic : champion, mais patriote avant tout

10. ÉconomiePetit abécédaire d’une crise

12. Regard« La culture est faite de traditions »

14. FestivalDes fourneaux haut débit

15. ÉvènementLe Cambodge revient au Théâtre du Soleil

16. Une journée dans la vie de…Hélène, graphiste

MÉTIER20. ActuJournées pédagogiques du groupement FLEColloque : français contemporain et politiqueslinguistiques

22. FocusS’approprier la perspective actionnelle en classe

24. Mot à motDites-moi Professeur

26. ClésLa notion d’interaction (2)

28. ZoomFaire la fête en classe

Le français dans le monde sur Internet : http://www.fdlm.org

Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012 1

Sommaire

32

Un projet d’apprentissage au service de lacommunauté éducative

Métier / Expérience

30. Savoir-faireTechnologies et francophonie pour les plus jeunes apprenants

32. ExpérienceUn projet d’apprentissage au service de la communauté éducative

34. ReportageCivisme et engagement : sur la route de Jack

36. Initiative« Un semestre en France », une initiativegagnant-gagnant

38. InnovationLe Labo, un outil pour l’autonomie

40. RessourcesVous pouvez répéter, s’il vous plaît ?

Les fiches pédagogiques à télécharger

Le français dans le monde, revue de la Fédération internationale des Professeurs de français - www.fipf.org, éditée par CLE International – 9 bis, rue Abel Hovelacque – 75 013 Paris Tél. : 33 (0) 1 72 36 30 67 – Fax. 33 (0) 1 45 87 43 18 – Service abonnements : 33 (0) 1 40 94 22 22 – Fax. 33 (0) 1 40 94 22 32 – Directeur de la publication Jean-Pierre Cuq (FIPF) Rédacteur en chef Sébastien Langevin Conseiller de la rédaction Jacques Pécheur (Institut français) Relecture/correction Marie-Lou Morin Relations commerciales Sophie Ferrand Conception graphique miz’enpage - www.mizenpage.com – Commission paritaire : 0412T81661. 51e année. Comité de rédaction Dominique Abry, Isabelle Gruca, Valérie Drake, Pascale de Schuyter Hualpa, Sébastien Langevin, Chantal Parpette, Manuela Pinto, Nathalie Spanghero-Gaillard. Conseil d’orientation sous la présidence d’honneur de M. Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie : Jean-Marc Berthon (MAEE), Jean-Pierre Cuq (FIPF),Pascale de Schuyter Hualpa (Alliance française), Raymond Gevaert (FIPF), Michèle Jacobs-Hermès (TV5), Xavier North (DGLFLF), Soungalo Ouedraogo (OIF), Jacques Pécheur (Institut français),Nadine Prost (MEN), Madeleine Rolle-Boumlic (FIPF), Vicky Sommet (RFI), Jean-Luc Wollensack (CLE International).

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MÉMO58. À écouter

60. À lire

64. À voir

INTERLUDES4. GrapheCaprice

16. PoésiePoésies de circonstance

42. NouvelleÉric-Emmanuel Schmitt : « Odette Toulemonde »

56. BDBrahim Raïs : « Le cri »

66. JeuxCarnavals du monde

Dossier

● Tendance :

Chut, s’il vous plaît !

● Économie :

Abécédaire d’une crise

● Festival :

Des fourneaux haut débit

● Une journée dans la vie de… :

Hélène, graphiste

● Clés : La notion d’interaction (2)

● Nouvelle : « Odette Toulemonde »

● Tests et jeux

fiches pédagogiques à télécharger sur :www.fdlm.org

numéro 379

46

L’amour sur le bout de la langueEntretien« Le couple reste toujours valorisé » .................................48ReportageLes liaisons verbeuses.....................................................50DécryptageFigures d’un discours amoureux...................................52EnquêteUn homme, une femme, une langue ..................................54

1 Sommaire-BAT_SOMMAIRE.379 19/12/11 10:05 Page1

Page 4: Le français dans le monde 379

2 Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

États généraux de la promotion du français //

75États qui se ré-clament du clubfrancophone.Première languematernelle en

Europe par le jeu de la démographie,à l’horizon 2025. Jusque-là tout vabien… Mais à y regarder de plus près,chacun a aussi pointé les lacunes : en dépit de son statut, un recul de sapratique dans les organisations inter-nationales et surtout européennes ;une place concurrencée dans les sys-tèmes éducatifs où elle est enseignée ; un poids relatif comme langue deséchanges scientifiques et écono-miques. Voilà pour le constat ou lebilan. Restaient à dégager les perspectives…Géostratégiques, dans lesquelles laFrancophonie est toujours plus appe-lée à jouer un rôle de premier plan.Géopolitiques, où l’Europe demeure

une priorité, où les pays émergents etprescripteurs en deviennent une.Géoculturelles, où la revendication dela diversité et l’éloge du pluralismefont de la langue française ce qu’elle atoujours été : un vecteur de liberté etde progrès. Le français dans le monde,dont le cinquantenaire, grâce à la gé-nérosité de son éditeur CLE Interna-tional, a aussi été fêté à l’occasion decette manifestation, ne s’appelleraitsans doute pas ainsi si la promotion dufrançais n’était pas, depuis plus d’undemi-siècle, une des composantesmajeures de la diplomatie culturellede la France.

État des lieux et priorités stratégiquesPiqûre de rappel heureuse donc queces deux journées consacrées à la promotion et à la diffusion de lalangue française dans le monde.

Deux journées en forme d’états généraux ouverts par Alain Juppé,ministre des Affaires étrangères eteuropéennes, et conclus par XavierDarcos, président de l’Institut fran-çais. Deux journées pendant les-quelles l’État, ici le Quai-d’Orsay,mais aussi les ministères concernés,les grands opérateurs publics dontbien sûr l’Institut français, le nouvelopérateur du MAEE, sans oublier lespartenaires institutionnels, les scien-tifiques, les représentants du mondeéconomique, culturel et médiatiqueont à la fois dressé un état des lieux etproposé des priorités stratégiques

pour la politique du français et sesnouveaux enjeux.Un état des lieux : là, les chiffres n’ontpas manqué. 220 millions de franco-phones, 500 millions à l’horizon2050, l’émergence avec l’Afrique d’unacteur francophone majeur, 29 Étatsoù le français a le statut de langue officielle, 120 millions d’apprenants,2,2 millions d’élèves dans les sectionsbilingues, un réseau de 130 Instituts,900 Alliances françaises et 480 éta-blissements scolaires.Les nouveaux enjeux : Internet, les technologies numériques et les réseaux ; la place du français dans lesorganisations internationales et euro-péennes ; la capacité à produire et pro-mouvoir des idées et à se placer dansla bataille du soft power ; l’attractivitédu système universitaire français etbien sûr la dynamique de l’espace fran-cophone. Vaste chantier. ■S. L.

La langue française à la croisée des chemins

La promotion du françaisest, depuis plus d’un demi-siècle, une des composantesmajeures de la diplomatieculturelle de la France.

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19-20 octobre : deux journées pour dresser

un bilan et tracer desperspectives ; le temps de

donner une nouvelle feuillede route à la promotion

du français.

Amin Maalouf, Alain Juppé et Abdou Diouf.

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Page 5: Le français dans le monde 379

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50 ans du Français dans le monde:

Le temps d’une journée, tous les prochesdu Français dans le monde se sont

retrouvés à l’initiative de la FIPF pourfêter le demi-siècle de la revue.

Hommages, conférences et tables rondesse sont succédé le 25 novembre au CIEP

pour évoquer ces cinquante annéespassées et envisager les cinquante ans

à venir. Photos de famille.

le FLE en fête !

Lors de laconférence inaugurale,Daniel Coste a renduhommage à AndréReboullet, fondateur et premier rédacteuren chef de la revue.

Jean-Marie Gautherot,ancien rédacteur en chef de la revue.

Des cadres associatifs venus duBénin, de Roumanie, de Belgique, duQuébec, du Sénégal, de Pologne, deAlbanie ou de Grèce étaient présents.

Sébastien Langevin, rédacteur enchef du Français dans le monde, avecJean-Luc Wollensack et Jean-Pierre Cuq.

Kidi Bebey,rédactrice en chefde Francophoniesdu Sud.

FrançoisePloquin et JacquesPécheur, anciensrédacteurs en chefdu Français dansle monde.

À la tribune, François Perret(CIEP), Jean-Marc Berthon(ministère français des Affairesétrangères et européennes), Jean-Pierre Cuq (FIPF), Chantal Manes(ministère français de l’Éducationnationale) et Jean-Luc Wollensack(CLE International) ont ouvert lajournée de célébration.

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Près de 150 personnalités du français langueétrangère ont fêté l’anniversaire du Français dans lemonde le 25 novembre 2011 au CIEP, à Sèvres.

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Page 6: Le français dans le monde 379

interlude //

4 Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

Caprice

Le “plus” audio surwww.fdlm.orgespace abonnés

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« Jamais ne sera écrite la généalogie véritable de chaque humain, tissée de détours inouïs, fruit des hasards, des caprices ou des passions. »Benoîte Groult, La Touche étoile

«Les grands écrivainsn'ont jamais été faits pour subir la loi desgrammairiens, mais pourimposer la leur et non passeulement leur volonté,mais leur caprice.»Paul Claudel, Positions et propositions

«Et elle murmure sans fin dansl'incompréhensible des feuilles, dans les caprices incompréhensiblesdes brises, dans l'existenceincompréhensible des oiseaux et danscelle, incompréhensible, des fruits.»Pascal Quignard, Le Salon du Wurtemberg

<< Ce qui entraîne l'injustice,c'est le caprice . >>Claire Martin, Dans un gant de fer

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5Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

<< Et souvent , c'est l'effet des caprices du sort ,qu'au milieu des écueils on rencontre le port . >>Corneille, Le Geôlier de soi-même

« Il y a les très beaux et les très laids. Quant à la peau et ses histoires decouleurs, ce sont des caprices de la géographie, rien de plus. »Daniel Pennac, La Petite Marchande de prose

« Aimer, c'est accorder à l'autre, de notre plein gré, les pleins pouvoirs sur nous, se rendre dépendant de ses caprices, se mettre sous la coupe d'un despoteaussi fantasque que charmant. »Pascal Bruckner, La Tentation de l'innocence

«La mort est aussisoudaine dans ses capricesqu'une courtisanel'est dans sesdédains, mais plusfidèle, elle n'a jamaistrompé personne. »Honoré de Balzac, L'Élixir de longue vie

«J'ai toujours eu horreur d'obéir : les voyages me tentaient il est vrai, mais je sentais que je ne les aimerais que seul en suivant mes volontés et mes caprices.»Chateaubriand, Mémoires d'outre-tombe

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Par Christophe Quillien

époque // Portrait

6 Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

C’est l’histoire d’une petite fille qui rêve dedevenir prophète. Ellevit en Iran, elle a 10 anset s’appelle Marji. Le

soir, dans sa chambre, elle a degrandes conversations avec Dieu lui-même. Un jour, elle se dit quel’heure de la révolution est venue.Alors, elle remplace Dieu par Marxet se met à lire Le Matérialisme dialectique. Pendant ce temps, deshommes barbus imposent à sonpays un nouveau modèle de société.Nous sommes en 1980. Les échos dela révolution iranienne parviennentà ses oreilles, déformés par son ima-gination d’enfant et les récits de sesparents, citoyens éclairés hostiles aunouveau pouvoir islamique.Dans la vraie vie, Marji existe pour debon. Elle s’appelle Marjane Satrapi.Elle est l’auteure et l’héroïne de papier

de Persepolis, une bande dessinée quiraconte son enfance et son adoles-cence en Iran. Avec plus d’un milliond’exemplaires vendus dans le monde,Persepolis a conquis un public a priorinon lecteur de BD, qui a découvert un moyen d’expression capable, aumême titre que le cinéma, de raconterla vie comme elle va, de faire rire etd’émouvoir. Puis Marjane l’a adaptéesous forme d’un film d’animation,avec les voix de grandes actrices (Ca-therine Deneuve, Chiara Mastroianni,

Danielle Darrieux…). Il sera récom-pensé au Festival de Cannes en 2007par le Prix spécial du Jury.

La bande dessinée par accidentPourtant, l’aventure de Persepolis estun heureux accident. Pas seulementparce qu’un succès ne se programmepas, mais aussi parce que Marjanen’avait pas songé une seconde à se lancer dans la bande dessinée, à laquelle elle ne connaissait pasgrand-chose. En Iran, où l’illustrationet la miniature sont de vieilles tradi-tions, la BD ne fait pas partie dudécor. Tout juste avait-elle lu Astérixet Tintin – qu’elle trouvait « moches »et dont elle n’aimait pas les aven-tures, à cause de l’absence de filles. À son arrivée en France, en 1994, elle souhaitait se consacrer au gra-phisme et ne jurait que par MiltonGlaser, le créateur du fameux logo « I love New York ». Mais le destin est parfois capricieux.

Marjane Satrapi en six dates1969 : Naissance à Rasht (Iran)1994 : S’installe en France 2000 : Premier tome de Persepolis

(éd. L’Association)2004 : Poulet aux prunes (éd. L’Asso-

ciation), élu meilleur album auFestival d’Angoulême 2005

2007 : Persepolis, le dessin animé2011 : Poulet aux prunes, le film

Le regard persan de

Dans Persepolis,la bande dessinée et le film, elle racontait sa jeunesse enIran dans les années 1980.

Marjane Satrapi revientderrière la caméra avec

Poulet aux prunes, toujourspour parler de son pays

d’origine, mais autrement.

Marjane Satrapi, lors de l’avant-première de Poulet aux prunes,deuxième adaptation au cinéma d’une de ses œuvres graphiques.

© Alix William/Sipa

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7Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

À moins qu’il ait du flair. À Paris, Mar-jane partage un atelier avec la finefleur de la nouvelle génération d’au-teurs de BD. Ils s’appellent JoannSfar, Christophe Blain ou David B.Celui-ci, à force de l’entendre racon-ter ses souvenirs – car Marjane estavant tout une grande conteused’histoires à l’enthousiasme conta-gieux –, la poussera à franchir le pas

en les transformant en BD. Le style deDavid B., tout en aplats de noirs et deblancs, se retrouve d’ailleurs dans ledessin de l’illustratrice. Petit à petit,celle-ci apprend à maîtriser les codesgraphiques et narratifs de la BD. Avecsa simplicité de trait et ses décors réduits au strict minimum afin de

concentrer l’attention sur les péripé-ties du récit, Marjane enchante seslecteurs. Le premier tome de Perse-polis paraît en 2000, le quatrième etdernier trois ans plus tard. Deux albums suivront. L’un, Broderies, aété inspiré par les conversations piquées d’acide que la grand-mère deMarjane partageait avec ses amies.L’autre, Poulet aux prunes, est le récitdu destin tragique d’un violoniste ira-nien qui décide de se laisser mouriraprès la perte de son instrument.Aujourd’hui, Marjane Satrapi a mis labande dessinée de côté. Séduite parcette expérience collective qu’est lecinéma, elle a renouvelé l’expériencel’année dernière en adaptant sonPoulet aux prunes. Elle a donné unelecture publique de Broderies en Ita-lie, qu’elle envisage de transposer authéâtre, et prépare une exposition depeintures. Mais elle n’a pas l’inten-tion de dessiner une suite à son Persepolis, ce qui à coup sûr lui per-

mettrait de vendre plusieurs dizainesde milliers d’albums. Elle n’en a pasfini pour autant avec cette histoire.En octobre 2011, en Tunisie, des militants islamistes ont manifestédans les rues contre la diffusion, surNessma TV, du dessin animé inspirépar sa bande dessinée, avant de pren-dre d’assaut le siège de la chaîne etd’attaquer la maison de son direc-teur. Ils entendaient protester contrela représentation de Dieu sous lestraits d’un vieillard barbu, selon euxcontraire aux principes de l’islam.

Un siècle d’histoire de son IranSi elle garde un œil sur la politiquecontemporaine et sur l’évolution deson pays d’origine, Marjane Satrapin’est pas de ceux qui prennent la pa-role à tout bout de champ. Endosserle costume de « l’Iranienne de ser-vice » ne l’intéresse pas. « Parfois il faut savoir se taire, déclarait-elle aumagazine Livres Hebdo en octobredernier. Pendant la révolution verte,les médias iraniens voulaient tout letemps mon avis. Franchement, moi àParis, buvant mon café, j’allais leurdire : “Allez les Iraniens, sortez dans la rue, allez vous prendre une balle !”Et comment voulez-vous que je parle del’Iran d’aujourd’hui ? Cela fait douzeans que je n’y suis pas allée. Il y a deschercheurs au CNRS qui sont bien pluscompétents que moi ! »Après Persepolis, qui traite de l’Irandes années 1980 et 1990, après Pou-let aux prunes qui se déroule dans lesannées 1950, Marjane Satrapi songeà porter à l’écran l’histoire de sonautre grand-mère, qui nous emmè-nera des années 1920 à 1960. Elleaura ainsi, à sa manière, raconté l’his-toire de l’Iran au XXe siècle. Marjaneest une sage : elle préfère parler deson pays à travers le prisme de la fic-tion et de l’imaginaire. Et c’est sansdoute bien mieux ainsi… ■

Marjane n’est pas de ceuxqui prennent la parole àtout bout de champ.Endosser le costume de « l’Iranienne de service » ne l’intéresse pas.

Pour réaliser Persepolis et Poulet auxprunes,Marjane Satrapi s’est associéeà Vincent Paronnaud, alias Winshluss,un autre dessinateur et scénariste,venu comme elle de la bande dessinéedite « indépendante ». Les auteurs ontchoisi d’adapter Persepolis en dessinanimé afin de lui donner une portéeplus large, mais ont conservé le traite-ment en noir et blanc d’origine. En revanche, Poulet aux prunes prend la

forme d’un film traditionnel et en cou-leurs, interprété par de véritables acteurs comme Mathieu Amalric,Édouard Baer, Jamel Debbouze, Mariade Medeiros et Chiara Mastroianni.

Marjane Satrapi au cinéma

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© Marjane Satrapi / LʼAssociation

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Avec Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni au Festival de Cannes en 2007.

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époque // tendance

8 Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

Pourquoi un film pourfaire l’éloge du silence ?Parce que The Artist estun film dont le héros, interprété par Jean

Dujardin, nouvelle star de charmedu box-office français, est une ve-dette de cinéma de l’âge d’or dumuet. Oui, un héros mutique qui ad’abord conquis le Festival deCannes, festival des rumeurs s’il enest, avant, toujours en silence, deconquérir le cinéma mondial.Eh oui, le cinéma, à l’inverse de notresociété tonitruante, réclame que l’onfasse silence. À coup sûr un signe des

temps dans une société où le bruit est omniprésent !Pourtant, une majorité de Français réclame, si j’ose dire, à cor et à cri le silence… si l’on en croit le très sérieux Centre d’information et dedocumentation sur le bruit (CIDB). Tapage, voisinage, bruits de choc, en-viron deux tiers des Français s’en plai-gnent chez eux. Au point que, selonune étude TNS Sofres de 2010, unFrançais sur cinq se dit prêt à démé-nager à cause de nuisances sonores.Mais ces nuisances ne touchent passeulement les Français chez eux,elles les dérangent aussi au travail.Une enquête de l’Insee établit que lebruit dérange 67% des actifs sur leurlieu de travail, constituant la qua-trième cause de maladie profession-nelle. De là à conduire une myriaded’associations – Association de dé-fense des victimes des troubles du

voisinage (ADVTV), Comité nationald’action contre le bruit (CAB), Comité des victimes de la pollution etdu bruit, Ligue française contre lebruit (LFCB) – à chercher à se faireentendre.

La loi du silenceOn comprend dès lors que les autori-tés ne pouvaient rester sourdes à cetohu-bohu protestataire. Et comme àl’accoutumée, elles ont choisi de ma-nier et la carotte et le bâton.Côté carotte : l’écoute, le conseil, la dédramatisation des conflits, les so-lutions à l’amiable, c’est le rôle duCIDB, que sa directrice, Alice Debon-net-Lambert, définit comme tout à lafois « une structure de renseignementspour tous les publics, un lieu de conseilet un lieu d’écoute ».Côté bâton : la loi qui réprime, oh ! mo-destement, puisque l’amende ne dé-

passe pas 450  euros, à laquelle ilconvient d’ajouter les mesures visant àfaire cesser les nuisances, en particuliercelles liées aux problèmes d’isolation.Une loi du silence en somme… Pourcertains, une loi qu’invitent à cultiver,de plus en plus nombreux, écrivains,philosophes, essayistes, psychana-lystes, à l’image de ce Petit Éloge desamoureux du silence de Jean-MichelDelacomptée (Folio). Pour d’autres,citant Lao-tseu ou saint Françoisd’Assise, un chemin à emprunterparce qu’il conduit « à la plus granderévélation ».Un silence que les plus prosaïques associent à la campagne, au chantdes petits oiseaux, au contact avec la nature ou encore à la nuit. Ceux-làsont plus proches de José Artur, célè-bre animateur de radio dans les années 1970, pour qui « le silence estla sieste du bruit ». ■

Par Jean-Jacques Paubel

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© Valentin Weinhäupl/Westend61/Corbis

s’il vous plaît !Il a suffi d’un film, The Artist, pour que l’on

redécouvre les vertus du silence…

La fiche pédagogiqueà télécharger sur :www.fdlm.org

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9Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

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Par Pierre Godfrin

Champion, mais patriote avant tout

Comment être à la fois le meilleur joueur de tennis

au monde et le messager le plus influent de son pays

en reconstruction : le cas Djokovic.

Février 2008. En pleine ma-nifestation contre l’indé-pendance du Kosovo,Novak Djokovic, le visagegrave, parle au peuple

serbe à travers une vidéo : « Nous vivons l’une des périodes les plus som-bres de l’histoire de la Serbie et je vous remercie d’être venus aujourd’hui afinde montrer au monde que nous nesommes ni petits ni faibles et que noussommes unis et déterminés à défendrece qui nous appartient. Le Kosovo estserbe et il le sera toujours. » Ces parolessont celles d’un joueur professionnelde tennis âgé seulement de 21 ans.Grand connaisseur du tennis, BenoîtMaylin, commentateur à Orange Sport,nous explique pourquoi « Djoko »possède un sentiment nationalisteexacerbé : « Il a toujours mis en avantle fait que l’image des Serbes dans lemonde était erronée. Ainsi, dès qu’il a eula possibilité de montrer un autre visage

de la Serbie, il l’a fait. C’est pour ça qu’iln’aime pas perdre. Et c’est peut-êtrepour ça qu’il est devenu aussi fort. »Né dans une famille de skieurs, Djokovic a grandi dans les mon-tagnes. Un cocon qui ne l’a pas empê-ché d’être témoin des « 78 jours de lahonte » en 1999 pendant lesquelsBelgrade et sa région ont été bombar-dées par les forces de l’Otan, sou-cieuse de ramener à la raison le ré-gime de Slobodan Milosevic. Sentantun petit rejet lors de son entrée dansle monde professionnel, il s’estd’abord fait connaître en imitant lesautres joueurs. Une façon de se faireaccepter. Sa montée dans la hiérar-chie mondiale – et quelques critiquesde ses adversaires – ont cependantconduit Djokovic à ranger sa panopliede clown.

Ambassadeur avec passeport diplomatiqueSon heure de gloire est arrivée en décembre 2010, à l’issue de la vic-

toire de la Serbie sur la France lorsd’une finale de Coupe Davis disputéeà Belgrade dans une ambiance sur-voltée. Véritable déclic, selon lui, quile conduira en 2011 à remporter 41 matchs d’affilée. Ce sacre, obtenuen compagnie de ses compatriotesTipsarevic, Zimonjic et Troicki, a faitd’eux des héros nationaux. Au point

de recevoir un passeport diploma-tique ! « Cela veut dire que ce sont euxles ambassadeurs de la Serbie, pour-suit Benoît Maylin. Nous vivons dansune société mondialiste dans laquelleon fait en sorte d’effacer les frontièrescar on a fabriqué l’Europe. Mais lesSerbes ont besoin de ces frontières pourcréer leur identité. Il est évident que lediscours de Djoko est nationaliste,voire ultranationaliste. Mais il fautcomprendre qu’il est légitime pour ungamin qui a connu la guerre. » Depuis ses déclarations sur le Kosovo, le meilleur tennisman de la planète a décidé de ne plus parlerde politique, de peur que sa familleen pâtisse. Protégé par des forces antiterroristes à chacun de ses pas-sages dans sa Serbie natale, Djokovicest le meilleur ambassadeur de son pays dans le monde. Le fait que100 000 personnes l’aient accueillilors de sa victoire à Wimbledon en2011 à Belgrade est un signe qui netrompe pas. ■

Novak Djokovic en cinq dates■ 22 mai 1987 : Naissance

à Belgrade (Yougoslavie).■ 2003 : Devient professionnel

à l’âge de 16 ans.■ 2006 : Remporte ses deux

premiers tournois ATP.■ 2008 : S’adjuge son premier

tournoi du Grand Chelem lors del’Open d’Australie.

■ 2011 : S’impose à Wimbledon etdevient n°1 mondial avant de remporter l’US Open.

Novak Djokovic arborant le drapeau serbeaprès la victoire de la Serbie en finale de laCoupe Davis en 2010.

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époque // économie

10 Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

Petit abécédaire

Soumis à surveillance et aux bons ou mauvais

points, les pays gèrent tantbien que mal une situationqui leur échappe. Plus que

de principes, il y estquestion de « gros sous ».

Décryptage des maux de la crise par ses mots.

AAA : Notation utilisée pour qualifierl’excellence d’une entreprise ou d’unÉtat. Meilleure est la note, moins lesintérêts des emprunts sont élevés. LaGrèce est notée D, comme Déroute.

Agence de notation : Comme FitchRatings, Moody’s et Standard &Poor’s. Les agences (privées) de nota-tion financière apprécient le risque desolvabilité des États – la notation sou-veraine –, d’une collectivité publique,d’une entreprise ou d’une opération financière.

CAC 40 : Indice composé des 40 valeurs les plus actives du mar-ché français des actions.

Crise financière : Elle survientlorsque la confiance des consomma-teurs est au plus bas. Le ralentisse-ment, parfois drastique, des investis-sements dans un pays s’étend àl’échelle mondiale. La crise pro-voque un resserrement du crédit, lesconsommateurs achètent moins…Bref, le cercle vicieux.

Dérivés : Ce sont des actions, desobligations, des devises, des valeursmobilières, des matières premières…Initialement conçus pour servir à la couverture de risque, ils sont devenus des instruments spéculatifs, générateurs de risques.

Dette souveraine : Dette émise ougarantie par un État ou une banque

centrale. Les possibilités de rem-boursement sont liées à la capacitéfiscale des pays émetteurs, et donc àleurs performances économiques etbudgétaires. C’est sur ces critèresque se fait la notation de la dette sou-veraine. Le ratio endettement/PIBest l’une des bases d’appréciation.

Dow Jones : Indice boursier de réfé-rence et mondialement connu. Il secompose de 30 valeurs dites « bluechips ».

Eurobond ou euro-obligation : Em-prunts faits en commun au sein de lazone euro qui assurent une protec-tion mutuelle, une mutualisationdes risques et permettent de luttercontre la spéculation sur les dettes

Par Marie-Christine Simonet

La crise financière, née en 2008 avec la criseaméricaine des subprimes, n’en finit pas de fairel’actualité, frappant l’Europe et le monde entier.

© Frank Rumpenhorst/dpa/Corbis

d’une crise© Shutterstock

La fiche pédagogiqueà télécharger sur :www.fdlm.org

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11Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

souveraines. Les Eurobonds ont vocation à se substituer progressive-ment aux émissions nationales, couvrant, à terme, les dépenses cou-rantes des États. L’idée de créer deseuro-obligations est à l’initiative desministres des Finances Jean-ClaudeJuncker (zone euro) et Giulio Tremonti (Italie), tous deux favora-bles à une plus grande intégrationéconomique au sein de la zone euro.

Fonds de pension : Gérés par des investisseurs institutionnels, cesfonds représentent des sommes importantes versées par des entre-prises et des salariés afin d’assurer àces derniers un revenu au terme deleur vie professionnelle. Ces fondssont généralement investis sur lesmarchés boursiers. En 2008, lorsqueles marchés se sont effondrés, des salariés américains ont perdu ce quireprésentait la totalité de leur retraite.

Hedge funds : Fonds d’investisse-ment non cotés en bourse à vocationspéculative. Ces fonds recherchentdes rentabilités élevées et rapides.

Marchés à terme : Contrats sur desproduits précis, exécutables à court,

moyen ou long terme. Les prix,quantités, taux d’intérêt, etc. sontfixés d’avance et non modifiables. Cetype de marché présente l’avantagecertain de pouvoir se soustraire à desintérêts fluctuant à la hausse.

Nasdaq (National Association of Securities Dealers Automated Quotations) : Marché d’actions aux États-Unis qui regroupe plus de 3 200 techno-entreprises dont Microsoft, Intel, Apple…

Nikkei 225 : Principal indice bour-sier de la bourse de Tokyo, le Nikkei225 se compose de 225 sociétés.

Obligation : Titre de créance négo-ciable contracté par une institutionreconnue (banque, État, société…),coté en bourse, qui rapporte des inté-rêts à son porteur et dont le cours évo-lue selon la solidité de l’emprunteuret les variations des taux d’intérêts.

Paradis fiscaux : Pays ou territoiresoù les activités financières bénéfi-cient d’une réglementation d’excep-tion « offshore ». Connues pour per-mettre aux sociétés de se soustraire àl’impôt, elles sont aussi accusées de

favoriser le blanchiment d’argent sale.

Stock-options : Rémunération dutravail ou prime remise sous formed’actions de la société. Elles peuventêtre données ou bien offertes à unprix préférentiel. Elles présentent unepossibilité de revente sur le marché àl’issue d’une période prédéterminée.

Système bancaire : Ensemble formédans un pays par une banque cen-trale et des banques commerciales.La première agit dans le cadre d’unemission : veiller sur la monnaie, lecrédit et le bon fonctionnement dusystème bancaire… Toutes lesbanques commerciales y possèdentun compte qu’elles sont obligées deprovisionner (réserves obligatoires)et à partir duquel elles vont compen-ser les chèques et paiements électro-niques de leurs clients.

Trader : Les traders (négociants enfrançais) sont des opérateurs de mar-ché qui achètent à bas prix des pro-duits financiers – des dérivés – dontils anticipent la hausse, puis les revendent lorsqu’ils prévoient unebaisse. En clair, ce sont des spécula-teurs professionnels.■

Fitch Ratings fait partie des principalesagences de notation qui estiment les risquesde solvabilité des États dans le monde.

Selon l’Institut de la statistiquedu Québec, l’investissementminier au Québec devait s’éle-ver à 2,5 milliards de dollarscanadiens en 2011 et à 2,9milliards de dollars en 2012.En 2008 et 2009, ces investis-sements avaient plafonné à 2 milliards de dollars.

La croissance des pays émer-gents d'Asie orientale (Chine,Thaïlande, Viêtnam, Indonésie)bute sur la crise européenne,mais – prévoit la Banque mon-diale – le PIB de la région devraitcroître de 8,2% cette année et7,8% en 2012.

L’Institut brésilien de l’environ-nement a infligé une amende de28 millions de dollars au pétro-lier américain Chevron pour lamarée noire provoquée débutnovembre au large de Rio. L’Étatde Rio va, de son côté, réclamerune somme pouvant allerjusqu’à 17 millions de dollars.

en bref

Selon une évaluation de laBanque centrale des États del’Afrique de l’Ouest (BCEAO), de2000 à 2009, environ 855 mil-liards de francs CFA ont ététransférés au Togo par des tra-vailleurs togolais ayant migré.

440 réacteurs nucléaires sontactuellement en état de marchedans 30 pays. Ils fournissent13,8% de l’électricité de la planète, selon la World Nuclear Association (WNA). Six pays génèrent à eux seuls les troisquarts de cette énergie nu-cléaire : États-Unis, France,Japon, Russie, Allemagne etCorée du Sud.

© Justin Lane/EPA/Corbis

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époque // regard

12 Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

Imitation, mémoire, maissurtout attractivité des

traditions, communication et reconstruction :

tels sont, pourOlivier Morin, qui publie Comment les traditions

naissent et meurent,les moteurs essentiels de

la transmission culturelle.

Même là où il y aenseignement, comme en Occident, le rôle de la reconstruction dansl’apprentissage est essentiel.

Votre livre porte sur lestraditions. Des traditions qui n’ont pas tout à fait le sens traditionnel du terme, si je puis dire…Olivier Morin : J’ai choisi le mot tradition, mais j’aurais pu aussi bien dire « items ». L’idée est que laculture est composée d’éléments dis-tincts, qui durent longtemps et setransmettent, sans qu’on ait toujoursconscience de les respecter. Leslangues sont des traditions – aumême titre que les traditions orales,les techniques ou encore le folkloreenfantin, avec ses jeux et ses comp-tines. La culture est faite de tradi-tions. C’est la spécificité humained’en avoir un grand nombre. L’exis-tence de deux ou trois traditions –comme chez les chimpanzés – n’est,

bien évidemment, pas suffisantepour parler de culture.

Vous dites dans votre ouvrageque les traditions humaines sesont accumulées peu à peu.Comment cette accumulation a-t-elle été possible ?O. M. : Pendant longtemps a prévalul’idée que deux facteurs étaient es-sentiels pour la transmission : l’imi-tation et la mémoire. L’imitationétait vue comme automatique, in-contrôlable, liée soit à la fascinationpour un modèle prestigieux, soit àun comportement un peu confor-miste, suivant le plus grand nombre.Concernant la mémoire, on est alléjusqu’à dire que la culture était aufond une «  mémoire collective  ».Moins que la mémoire fidèle, c’est larépétition qui permet la transmis-sion : la redondance augmente l’ex-

position, l’accessibilité – pensez parexemple au cas des langues. Et l’at-tractivité des traditions reste le mo-teur principal : si l’on transmet telleou telle tradition, c’est que l’on aenvie de la transmettre. Une tradi-tion perdure d’autant mieux qu’elleplaît au plus grand nombre.

Quelle est la part de latransmission volontaire à travers l’enseignement ?O. M. : La part de l’enseignement està relativiser. Il faut savoir qu’iln’existe pas partout. Chez les Akas,par exemple, cette population qui vit

Propos recueillis par Alice Tillier

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. R.

Olivier Morin est philosophe, docteur del’EHESS (École des hautes études en sciencessociales) en sciences cognitives. Il est àl’heure actuelle en poste à Budapest, à la Central European University.

« La culture est faite

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13Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

« Chaque utilisation publique d’un motconstitue une occasion de le transmettre,ou de le répéter à ceux qui l’entendent.Tous ceux qui ont appris une langue étran-gère savent que la transmission d’un motnouveau n’a pas lieu en une fois. Chaquenouvelle utilisation d’un mot stabilise unpeu ce mot dans l’usage commun. Laphrase que vous êtes en train de lire stabi-lise un petit peu plus, dans votre esprit, leverbe stabiliser. […]La fréquence d’emploi d’un mot dans lelexique est une bonne approximation de laquantité de sa transmission. […] [Elle] estde loin le meilleur prédicteur de la survied’un mot.Le linguiste Nicholas Ostler est arrivé […]

à des conclusions similaires, concernantcette fois la survie des langues. […] Il meten évidence deux facteurs, qui en sont,selon lui, les meilleurs prédicteurs : le faitd’être incluse dans la liturgie d’une religionutilisant l’écriture (comme le grec ou lesanscrit), et le fait d’être parlée par une population dense (comme l’égyptien ou lechinois). [Ces deux prédicteurs] prédisentmieux la survie culturelle que d’autres fac-teurs qui pourtant viennent tout de suite àl’esprit : l’existence d’un État fort, d’une culture littéraire, de colonies de peuple-ment, etc. »

Olivier Morin, Comment les traditions naissent etmeurent. La transmission culturelle, Éditions OdileJacob, 2011, pp. 137-138.

extrait

La culture ne se transmet pas en bloc,verticalement, des parents aux enfants,qui l’absorberaient de façon inconscienteet automatique. Non, nous dit OlivierMorin : la culture est faite d’éléments dis-tincts, des « traditions ». Et c’est la vie deces traditions qu’il étudie dans son ouvrage : des traditions qui se créent,connaissent parfois – mais pas toujours– le succès, se diffusent, s’usent peu àpeu. Plutôt que de s’intéresser au « pour-quoi » des traditions, très nombreusesdans les sociétés humaines, le philo-sophe aborde le « comment » de la trans-

mission culturelle. Il s’intéresse notam-ment à la question du passage des générations, de l’enchâssement des dif-férents groupes d’âges qui permet unetransmission verticale. Inversement, Olivier Morin s’attache à analyser le casd’une transmission horizontale : les tra-ditions enfantines, qui font preuve d’unetrès grande stabilité malgré un renouvel-lement incessant du groupe. Les langues– leur évolution à la fois lexicale et gram-maticale, leur apprentissage – est unautre exemple phare de l’ouvrage.A. T.

entre la République centrafricaine etle Congo, l’enseignement est totale-ment absent. Leur société est fonciè-rement égalitaire et le fait d’ensei-

gner, de reprendre les autres, seraitvu comme un manque de modestie.Contrairement à ce qui se passe dansd’autres sociétés, les parents ne se

voient pas comme les éducateurs deleurs enfants. L’enseignement existedans un sens faible, de façon détournée : il s’agit de montrer, deparler mais surtout de laisser faire –de laisser par exemple jouer avecune machette. L’apprentissage se fait, pour les enfants, avec unegrande part de reconstruction.Même là où il y a enseignement,comme en Occident, le rôle de la reconstruction est essentiel.

Si les traditions setransmettent, certaines meurent pourtant…O. M. : Oui, comme celles des abori-gènes tasmaniens, qui avaient eudans le passé des hameçons, desarcs, des flèches – l’archéologie enatteste – et pourtant ne savaient plus pêcher ou se fabriquer des vête-ments chauds quand des explora-

teurs anglais et français les ont « dé-couverts ». On peut attribuer cetteperte, sans doute très lente, à un déclin de la démographie, qui a pro-voqué un cercle vicieux : plus la population se réduisait, moins lesaborigènes étaient nombreux pourtransmettre leurs traditions et moinsles techniques perduraient, plus lesconditions de vie étaient difficiles,entraînant à leur tour la diminutionde la population. La démographie aune incidence forte sur la transmis-sion des traditions. Il faut bien com-prendre que les êtres humains foi-sonnent d’idées, ont une capacité decommunication et une volonté decoopération fortes – incomparablesavec celles des autres primates – quifacilitent la transmission culturelle.Les traditions sont très nombreuses– trop nombreuses pour toutes survivre. ■

compte rendu

de traditions »

Transmission et générations©

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époque // Festival

14 Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

Des fourneaux

Deux frères ont imaginéce grand rassemble-ment du partage et dela gourmandise. Jean-Baptiste Duquesne,

spécialiste dans la vente de vins sur Internet, et (Chef) Damien, profes-seur de cuisine en lycée hôtelier, onten effet en commun la passion de lagastronomie. En 2004, le duoconcocte un site culinaire rassemblantquelque 39 000 recettes : 750g.comest aujourd’hui le deuxième site leplus fréquenté. Les deux frères déci-dent alors de travailler à de nouveauxprojets : une collection de livres de recettes, des déclinaisons du site dansneuf pays différents… et le Salon dublog culinaire.« L’idée était d’organiser une vraie ren-contre entre toutes les personnes qui seconnaissent déjà à travers leurs blogs,de passer du virtuel au réel », expliqueChef Damien. Et la manifestation aaujourd’hui gagné de l’ampleur et es-saimé dans toute la ville. De la piscineau parc, en passant par le marché, desdémonstrations et des rencontres

pour le grand public sont proposées.Au vu de cet engouement pour la cui-sine sur le Net, une sociologue a inter-rogé un cinquième des blogueurs cu-linaires actifs. Lors de cette étude,17% des sondés souhaitaient se pro-fessionnaliser. Dorian et Edda ontréussi ce pari. Dorian compte parmiles précurseurs de la « miamo-sphère ». En 2005, frustré par la duréede visibilité d’une recette sur unforum, il crée son blog. Et les tranchesde vie servies en accompagnement deses recettes lui ouvrent les portes descuisines des chefs. Il passe désormaistout son temps en cuisine : animationd’ateliers, conception de recettes pourdes marques, livres…Edda, elle, s’est consacrée plusieursmois à son livre « Un déjeuner au soleil », baptisé d’après son blog, paruen novembre 2011. Elle a pensé cetouvrage comme une invitation à ladécouverte de la cuisine italienne.

Une passerelle entre France et BelgiqueEn 2011, le Salon du blog culinaireinspirent deux blogueurs belges qui créent une version à Bruxelles.

Apolina a démarré son blog en 2008pour montrer la richesse de la cuisineindienne aux Français et Belges, au-delà des quelques plats servis dansles restaurants. Son complice Philou,blogueur depuis environ quatre ans,se réjouit d’avoir fait découvrir auxFrançais le sirop de Liège et se rendrégulièrement à Bourges pour le plai-sir de cuisiner avec une blogueuse. Mais c’est à Soisson que nous retrou-vons nos deux amis belges, où plus de450 autres blogueurs sont venus. Lorsde l’une de ses démonstrations, Phi-lou cuisine des produits étonnants et délicieux : la poire de terre, l’ail noirou encore la menthe corse. Aux riches effluves laissés par les démonstrations culinaires dans lescouloirs du lycée hôtelier, site originelde la manifestation, s’ajoute en cettefin de dimanche après-midi un par-fum de regret de devoir déjà se quit-ter. Mais les blogueurs se consolent :ils garderont contact par écrans interposés et se retrouveront en juin2012 pour la deuxième édition duSalon en Belgique. Voire en 2013 auQuébec, projet inscrit dans le pro-gramme des organisateurs ! ■

Par Nathalie Ruas

haut débit

À la mi-novembre, plus de 400 blogueurs, venus de

France, de Belgique et mêmedu Danemark, ont convergé

vers Soissons pour assisterau Salon du blog culinaire.

Les filles dublog de Papabosse et Mamancuit en pleinedémonstrationd’une réalisationde bûche de Noël.

La fiche pédagogiqueà télécharger sur :www.fdlm.org

■Dorian : doriannn.blogspot.com ■Edda : www.undejeunerdesoleil.com ■Apolina : bombay-bruxelles.blogspot.com ■Philou : www.uncuisinierchezvous.com 

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15Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

époque //évènement

Créée par Hélène Cixous,L’Histoire terrible maisinachevée de NorodomSihanouk, roi du Cam-bodgeest une œuvre my-

thique (en deux époques de troisheures et demi) du Théâtre du Soleild'Ariane Mnouchkine, d’abord jouéeà Paris en 1985.Pour cette recréation, 30 jeunesKhmers circassiens, auxquels il a fallutout apprendre (la plupart étant anal-

phabètes), ont travaillé cinq ans sur lapremière partie. À l’heure du procèspour génocide des quatre plus hautsdignitaires du régime de Pol Pot parun tribunal international, audacieuxprojet que cette épopée shakespea-rienne, en tournée en France depuisnovembre dernier. Sous la direction de Georges Bigot – il incarnait Sihanouk en 1985 – et Delphine Cottu, également élève etactrice de Mnouchkine, le spectacleinterpelle. Il incarne l’idéal de théâtretotal, la recherche de vérité historiqueet scénique dont Ariane Mnouchkineet ses proches ont le secret depuistrente-cinq ans. À la Cartoucherie deVincennes, tout près de Paris, GeorgesBigot encourage Marady, 24 ans, dontla voix fatigue. Cette jeune femmemenue joue le rôle-titre du roi Siha-nouk. Entrée comme cuisinière ausein de la compagnie, elle est devenuecomédienne. D’une voix cadencée,haut perchée, elle campe Norodom

Sihanouk, ancien roi du Cambodge,s’emportant de plaisir ou de rage, sur-fant sur un fil burlesque chaplinesque.Oui, c’est une femme qui a eu ce rôled’homme fort, ce qui n’a pas été sansgrincements de dents ! La jeune comédienne commente : « À traversnos rôles, nous avons compris que lesKhmers rouges nourrissaient un idéalpour le pays, mais ils ont basculé dansun autisme qui les a coupés de la réalitéet menés à la folie meurtrière. »

Ravy, Marady, Sophol et les autres26 comédiens et quatre musiciensissus de familles défavorisées de Bat-tambang, à 350 kilomètres de la capi-tale (où une représentation a eu lieudevant les familles, déclenchant l’en-thousiasme des spectateurs), ont puparticiper. Pol Pot est incarné par uneautre femme au jeu subtilement puis-sant, Ravy : « Avant de commencer àjouer, nous savions des Khmers rouges

ce que nos parents et nos voisins nousracontaient : la faim, les travaux forcés,les disparitions, les tortures. » Pour sapart, Sophol, qui joue Khieu Sam-phan, ex-président sous Pol Pot, aujourd’hui sur le banc des accusés,voit en ce personnage « une authenti-cité dans sa recherche de vérité. Cultivéet intelligent, il a voulu éradiquer la cor-ruption dans le pays. Ce n’est qu’ensuiteque tout a dérapé… » La jeune troupea bravé des interdits politiques en rétablissant, via une interprétationnuancée des personnages (une cen-taine dans la pièce), la complexité dela situation. Cette vision non mani-chéenne du passé – et des Khmersrouges – retentit au Cambodge. Lapièce, d’abord programmée dans 19 provinces avant sa tournée fran-çaise, a été annulée, en dépit du sou-tien de l’ancien roi et du monarque actuel, son fils. Tous, comme GeorgesBigot, espèrent qu’elle circulera en sonpays. Juste une question de temps ? ■

revient au Théâtre du SoleilDes jeunes Cambodgiens de

l’école d’arts du spectaclePhare Ponleu Selpak

se réapproprient sur scène le passé occulté de leur pays.

En faisant fi des tabous encore bien présents.

L’incroyable Marady, jeune actricede 24 ans, illumine la pièce enincarnant le roi du Cambodge.

Par Christophe Riedel

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Le Cambodge

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époque // une journée dans la vie de... (6/6)

16 Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

Hélène, graphisteAffiches, sites Internet, catalogues, emballages pour la grandedistribution… C’est là le quotidien d’Hélène, 31 ans, graphiste au sein d’une agence de communication dans l’est de la France. Ses outils de travail : un ordinateur et beaucoup d’idées.

9 heures. Strasbourg, en Alsace,une région de l’est de la France. Dansune ruelle piétonne, les pas d’Hélènerésonnent. La jeune femme pousse la porte vitrée sur laquelle on peutlire « (im)pertinence », le credo del’agence de communication Grafiti,et lance un grand « Bonjour ! » auxchefs de pub. Son univers se situe aupremier étage. Elle monte, bifurqueà droite et entre dans le bureauqu’elle partage avec quatre collègues.Premier geste : allumer son ordina-teur. C’est devant l’écran 24 poucesde ce Mac qu’Hélène passe la quasi-totalité de ses journées. Le temps quel’engin démarre, elle monte un étage

de plus et va se chercher un café. La journée peut commencer.

10 heures. Un silence religieuxrègne dans le bureau. Ne résonnentque les bruits de souris et de claviersqu’on maltraite. Hélène a le regardrivé sur son écran géant. Elle peaufinela campagne de communication d’unvoyage de presse subventionné parl’Europe, lorsque déboule Christian,le chef de l’agence. « Je suis là pour lebrief. » Il prend une chaise et s’assiedprès d’Hélène, qui ouvre le projet – unprogramme régional de subventionspour les rénovations écologiques. « Leprincipe est accepté, mais il faut que turendes l’adresse du site Internet plus visible… Il faut aussi intégrer les logosdes financeurs. » En deux clics, lajeune graphiste fait les changements.Son verdict est sans appel : « C’estmoche. »Christian sourit, acquiesçantdu regard. « Bon, poursuit Hélène,

je fais une version avec tous leurs logos,ils verront que c’est trop chargé et aprèson fera une version plus aérée et plusimpactante. » Consentement las deson patron : « Ma belle, je suis d’accordet je veux bien leur expliquer, après encore faut-il qu’ils acceptent… » C’estl’une des grosses difficultés du travailde la jeune graphiste : ménager l’egoet le désir du client, tout en réussis-sant à créer un objet visuel harmo-nieux et efficace.

10h45. Hélène se lève et passe debureau en bureau : « Réunion sacs ! »L’un des plus importants clients del’agence Grafiti est une enseigne de la grande distribution qui souhaite repenser entièrement ses sacs réuti-lisables. Chefs de pub, concepteurs-rédacteurs et graphistes sont doncréunis pour une première réunion.« L’idée, c’est de changer d’image, passer du hard-discount au soft-

Texte et photos par Sarah Nuytenlexique

Après un café, la graphiste fait le point sur les projets du jour.

La fiche pédagogiqueà télécharger sur :www.fdlm.org

Hard/soft-discount : Unmagasin hard-discountest limité aux produits de base, peu chers etsans marque, présentésde manière sommaire.Un magasin soft-discountest une version « haut de gamme » du hard-discount, à mi-cheminentre le supermarchéclassique et le hard-discount.PAO : La publication assistée par ordinateur dé-signe l’ensemble des logi-ciels de saisie, de mise enpage de textes et de ges-tion d'impression utilisépar les graphistes et les in-fographistes.

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17Le français dans le monde // n° 379 // janvier-février 2012

C’est l’une des grossesdifficultés du travail de lajeune graphiste : ménagerl’ego et le désir du client,tout en réussissant à créerun objet visuel harmonieux.

discount*, explique Léonore, une deschefs de pub. Fini le logo fluo en pleinmilieu du sac, il faut rajeunir et dyna-miser tout cela ! Nous avons carteblanche. » Chacun a ramené sonstock de sacs réutilisables afin des’inspirer de ce qui se fait ailleurs etcréer un produit dans l’air du temps.Pendant une trentaine de minutes,les idées sont jetées en vrac : « Il fautdu vert, de la nature pour évoquer le développement durable ! » ; « Onpourrait intégrer un crayon dans lesac, pour barrer sa liste de courses ! »Prochaine réunion fixée quinze joursplus tard. Il faudra alors proposerune idée concrète au client.

11 h30. De retour devant son or-dinateur, Hélène effectue des modi-fications sur le projet de catalogued’une célèbre marque de lingerie. Leslogiciels de PAO* comme InDesign

ou Photoshop n’ont plus de secretspour elle. Avant d’arriver à Grafiti, ily a cinq ans et demi, la jeune femmea travaillé dans deux autres agencesqui ne lui correspondaient pas. La vietrépidante des grosses entreprisesparisiennes, très peu pour elle. « Je necherche ni la gloire ni les lauriers,explique-t-elle, les yeux fixés à sonécran. Je n’aurai jamais des budgetsdingues et des affiches 4 mètres par 3 àfaire, peu importe. Je préfère être en accord avec l’esprit de ma boîte, favo-riser ma qualité de vie. » Comme pourlui donner raison, la douce voix deSouad Massi s’élève du poste installéau milieu du bureau, baigné d’une lumière cotonneuse.

14 heures. Fin de la pause déjeu-ner, l’après-midi commence sur leschapeaux de roues. Les collèguesd’Hélène viennent la questionner

chacun leur tour sur tel ou tel détail,dans tel ou tel dossier. D’un clic, elleouvre l’un ou l’autre des projets, jon-glant entre les fenêtres ouvertes.

15 h15. Réunion avec Léonore, lachef de pub. Objet : le packaging desbarquettes de viandes sous-vide du distributeur discount. Les deuxemmes observent attentivement lesdifférentes propositions et tombentrapidement d’accord : « Ça, c’estbien ! » Léonore passe à un autre pro-jet en cours : « On n’a pas encore eu deretour sur la maquette précédente et

elle me demande de lancer le torchon etle blanc de dinde ! Alors bon, on vadéjà leur envoyer le jambon, et onverra. » Ce charabia aux accents comiques semble parfaitement lim-pide pour Hélène, qui acquiesce etpasse au dossier suivant.

16 h45. « On peut faire une paren-thèse Noël ? » Edith, une autre gra-phiste de l’agence, doit réaliser unprospectus pour l’opération vin chauddu marché de Noël de Strasbourg. Ellevient à la pêche aux idées. « Moi je voisbien un fond en bois, style chalet, lanceHélène presque immédiatement, esquissant un croquis sur une feuilleégarée. Et une ambiance un peu fée-rique, presque breuvage d’elfe ! »

18 heures. Devant l’écran de sonMac, Hélène est concentrée. Elle apris du retard et doit absolument ter-miner la page du catalogue de linge-rie pour la faire valider avant ce soir.

19 heures.Les bureaux de Grafitisont déserts. Un dernier clic, Hélèneenlève ses lunettes et se frotte lesyeux. Elle est la dernière à partir cesoir-là. Elle fait le tour de la pièce etéteint les appareils électriques, fai-sant taire le ronron de l'imprimante.Au rez-de-chaussée, elle appuie surl’interrupteur qui plonge le bâtimentdans la pénombre et quitte l’agence.Demain, une autre journée de clics etde discussions l’attend.■

Remue-méninges pour un nouveauconcept de sacs réutilisables d’uneenseigne de grande distribution.

Réunion avec lachef de pub Léonorepour le packaging debarquettes de viandesous-vide.

Durant la journée, lescollègues d’Hélène viennent la questionner sur les différentsprojets qu’elle mène.

Avec le directeur del’agence, Hélène fait unbrief sur la campagnequ’elle doit finaliser.

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