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Annales de pathologie (2013) 33, 402—405 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com CAS ANATOMOCLINIQUE Le « growing teratoma syndrome » : une évolution méconnue des tumeurs germinales non séminomateuses traitées du testicule ‘‘Growing teratoma syndrome’’: An unrecognized complication of treated germ cell tumors of the testis Merieme Ghaouti a,, Laurence Roquet a , Laetitia Fazzalari a , Louis Sibert b , Jean-Christophe Sabourin a a Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, CHU de Rouen, hôpital Charles-Nicolle, 1, rue de Germont, 76000 Rouen, France b Service d’urologie, d’andrologie et de transplantation rénale, CHU de Rouen, hôpital Charles-Nicolle, 1, rue de Germont, 76000 Rouen, France Accepté pour publication le 23 octobre 2013 Disponible sur Internet le 20 novembre 2013 MOTS CLÉS « Growing teratoma syndrome » ; Tumeur germinale non séminomateuse ; Tératome ; Masse résiduelle Résumé Le « growing teratoma syndrome » constitue une évolution rare et souvent méconnue des tumeurs germinales non séminomateuses du testicule. Il se caractérise par une croissance de masses tumorales résiduelles, exclusivement tératomateuses, de siège souvent rétropé- ritonéal, survenant lors ou au décours de la chimiothérapie. Les complications associées à ce syndrome sont généralement liées à des phénomènes de compression. La transformation maligne peut également se voir. Le pronostic du « growing teratoma syndrome » est bon, sous réserve d’une résection complète des masses tumorales. Nous rapportons un cas illustrant la survenue d’un « growing teratoma syndrome » sous forme de métastases ganglionnaires chez un patient traité auparavant par orchidectomie et chimiothérapie pour une tumeur germinale non séminomateuse mixte du testicule, sans composante tératomateuse initiale. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Growing teratoma syndrome; Non seminomatous germ cell tumor; Summary ‘‘Growing teratoma syndrome’’ is a rare and often unrecognized complication of nonseminomatous germ cell tumors of the testis. It is defined by enlarging residual masses, frequently retroperitonal, composed exclusively by teratoma, during the course of chemotherapy. Complications of this syndrome are due to masses compression. Malignant trans- formation is also possible. ‘‘Growing teratoma syndrome’’ has a good prognosis when cured by Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Ghaouti). 0242-6498/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2013.10.020

Le « growing teratoma syndrome » : une évolution méconnue des tumeurs germinales non séminomateuses traitées du testicule

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Disponible en ligne sur

ScienceDirectwww.sciencedirect.com

AS ANATOMOCLINIQUE

e « growing teratoma syndrome » : unevolution méconnue des tumeurserminales non séminomateuses traitées duesticule

‘Growing teratoma syndrome’’: An unrecognized complication ofreated germ cell tumors of the testis

Merieme Ghaouti a,∗, Laurence Roqueta,Laetitia Fazzalari a, Louis Sibertb,Jean-Christophe Sabourina

a Service d’anatomie et de cytologie pathologiques, CHU de Rouen, hôpital Charles-Nicolle,

1, rue de Germont, 76000 Rouen, Franceb Service d’urologie, d’andrologie et de transplantation rénale, CHU de Rouen, hôpitalCharles-Nicolle, 1, rue de Germont, 76000 Rouen, France

Accepté pour publication le 23 octobre 2013Disponible sur Internet le 20 novembre 2013

MOTS CLÉS« Growing teratomasyndrome » ;Tumeur germinalenon séminomateuse ;Tératome ;Masse résiduelle

Résumé Le « growing teratoma syndrome » constitue une évolution rare et souvent méconnuedes tumeurs germinales non séminomateuses du testicule. Il se caractérise par une croissancede masses tumorales résiduelles, exclusivement tératomateuses, de siège souvent rétropé-ritonéal, survenant lors ou au décours de la chimiothérapie. Les complications associées àce syndrome sont généralement liées à des phénomènes de compression. La transformationmaligne peut également se voir. Le pronostic du « growing teratoma syndrome » est bon, sousréserve d’une résection complète des masses tumorales. Nous rapportons un cas illustrant lasurvenue d’un « growing teratoma syndrome » sous forme de métastases ganglionnaires chez unpatient traité auparavant par orchidectomie et chimiothérapie pour une tumeur germinale nonséminomateuse mixte du testicule, sans composante tératomateuse initiale.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSGrowing teratomasyndrome;Non seminomatousgerm cell tumor;

Summary ‘‘Growing teratoma syndrome’’ is a rare and often unrecognized complicationof nonseminomatous germ cell tumors of the testis. It is defined by enlarging residualmasses, frequently retroperitonal, composed exclusively by teratoma, during the course ofchemotherapy. Complications of this syndrome are due to masses compression. Malignant trans-formation is also possible. ‘‘Growing teratoma syndrome’’ has a good prognosis when cured by

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (M. Ghaouti).

242-6498/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.ttp://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2013.10.020

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Le « growing teratoma syndrome »

Teratoma;Residual mass

complete surgical excisionsyndrome’’ presenting as aorchiectomy and chemothewithout teratomatous comp© 2013 Elsevier Masson SAS

Introduction

Le « growing teratoma syndrome » (GTS) est une entité rareet souvent méconnue, caractérisée par une croissance demasses tumorales résiduelles, de siège souvent rétropéri-tonéal, survenant lors ou au décours d’une chimiothérapiepour une tumeur germinale non séminomateuse (TGNS).Trois critères définissent ce syndrome : la croissance de lamasse tumorale, la normalisation des marqueurs tumorauxsériques et l’absence de composante germinale autre que letératome.

Nous rapportons le cas d’un patient traité par orchidec-tomie et chimiothérapie pour une tumeur germinale nonséminomateuse du testicule qui présente deux ans plustard une masse rétropéritonéale. L’examen anatomopatho-logique est en faveur de métastases ganglionnaires d’unetumeur germinale à type de « growing teratoma ».

Observation

En avril 2011, un patient caucasien de 23 ans, ayantcomme antécédent une ectopie testiculaire bilatérale trai-tée, consulte pour une lésion testiculaire droite, découvertefortuitement deux mois auparavant. L’échographie testi-culaire retrouve une formation hypoéchogène hétérogène,aux contours irréguliers, mesurant 20 × 17 × 13 mm. Le scan-ner thoraco-abdomino-pelvien ne retrouve pas d’image delocalisation secondaire viscérale ou osseuse, mais des adé-nomégalies inter-aortico-caves et du pédicule rénal gauche

infra-centimétriques. Le dosage des marqueurs tumorauxsériques retrouve une élévation de l’alpha-fœto-protéine(AFP) à 154 ng/mL, de la lacto-déshydrogénase (LDH) à258 ng/mL et de l’hormone chorio-gonadotrophique (HCG)à 104 mUI/mL.

Le patient a bénéficié d’une orchidectomie droite, sanscomplications post-opératoires.

L’examen macroscopique de la pièce opératoire montreune tumeur intra-parenchymateuse mal limitée, de 20 mmde grand axe, de consistance ferme, blanchâtre, avec desremaniements hémorragiques, sans lésion kystique (Fig. 1).Un échantillonnage large de la tumeur est réalisé.

Histologiquement, la tumeur correspond à une TGNSmixte, composée majoritairement de carcinome embryon-naire, exprimant le CD30 en immunohistochimie. Il s’yassocie quelques foyers de choriocarcinome exprimant labéta-HCG et de tumeur vitelline exprimant l’AFP (Fig. 1). Iln’a pas été retrouvé de territoire de tératome. Des embolesvasculaires sont retrouvés. La tumeur est classée pT1(UICC, 2009).

Le patient a recu par la suite une chimiothérapie, avecune bonne évolution clinique et une normalisation des mar-queurs tumoraux sériques.

En juillet 2013, une tomodensitométrie de contrôle arévélé une « récidive tumorale » sous forme d’adénopathies

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e tumoral masses. We report the case of a ‘‘growing teratomaoperitoneal mass occurring in a patient previously treated byfor a nonseminomatous mixed germ cell tumors of the testist.

rights reserved.

centimétriques situées dans la loge inter-aortico-cave. Ledosage des marqueurs tumoraux (AFP et �HCG) est normal.

Un curage ganglionnaire inter-aortico-cave par lapa-rotomie a été effectué, sans complications per- oupost-opératoires.

L’examen anatomopathologique a porté sur une masse de80 mm de grand axe, formée de nombreux kystes, parfoismultiloculaires, avec des territoires solides cartilagineux(Fig. 2). Histologiquement, cette tumeur est composée demultiples formations kystiques cloisonnées par des septafibreux. Les structures kystiques sont tapissées par un épi-thélium cubique ou cylindrique, parfois mucosécrétant. Dutissu cartilagineux, parfois en voie d’ossification, est éga-lement observé. Quelques amas lymphocytaires, résidusde structures ganglionnaires, sont visibles en périphérie(Fig. 2). À l’exception du tératome pluri-tissulaire, aucunautre contingent tumoral n’est retrouvé. Le diagnostic demétastases ganglionnaires rétropéritonéales d’une TGNS dutesticule à type de « growing teratoma » a été porté.

Discussion

Les TGNS du testicule sont composées d’au moins untype histologique non séminomateux de tumeur germinale.Elles représentent environ un tiers des tumeurs testicu-laires. L’orchidectomie reste le traitement de référence.La chimiothérapie, et notamment l’introduction des selsde platine à la fin des années 1970, a transformé le pro-nostic des TGNS métastatiques du testicule. Elle s’avère,en revanche, inefficace sur le tératome [1,2]. Les masses

résiduelles constituent une évolution assez fréquente desTGNS métastatiques du testicule traitées par chimiothé-rapie. Elles correspondent à des masses tumorales quipersistent ou qui évoluent après radiothérapie ou chimio-thérapie. Elles sont le plus souvent de siège rétropéritonéal,mais peuvent se voir au niveau d’autres sites métastatiques(poumon, médiastin, foie, encéphale. . .) [3]. Sur le plan his-tologique, ces masses résiduelles peuvent être composéesentièrement d’un matériel fibreux ou nécrotique sans résidutumoral viable, comporter un résidu de tumeur malignevivace, ou enfin contenir des lésions tératomateuses sansautre contingent tumoral germinal. Ce dernier cas de figurereprésente 20 à 35 % des cas. Il reste favorable à la condi-tion que l’exérèse chirurgicale de la masse soit complète.Sinon, elle pourra récidiver ou évoluer réalisant ce que l’onqualifie de « growing teratoma syndrome ». Cette entité,souvent méconnue, a été décrite pour la première fois parLogothetis et al. en 1982 [4]. La prévalence du GTS dans lesTGNS métastatiques est de 1,7 à 7,6 % [3]. Ce syndrome doitrépondre à trois critères : une normalisation des marqueurstumoraux sériques initialement élevés, une augmentation« paradoxale » de volume de la masse tumorale en coursou après la chimiothérapie et la présence de tératome àl’exclusion de tout autre type histologique de tumeur ger-minale à l’examen histologique de la masse réséquée [4].
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Figure 1. A. Tumeur testiculaire hétérogène, sans lésion kystique. B. Tumeur germinale mixte du testicule. C. Contingent de carcinomeembryonnaire, CD30+. D. Foyers de choriocarcinome, HCG+.A. Heterogenous testicular tumor without cystic component. B. Mixed germinal tumor of the testis. C. Embryonal carcinoma, CD30+. D.Foci of choriocarcinoma, HCG+.

FkmAf

igure 2. A, B. Masse rétropéritonéale constituée de territoires solidesystes et par du tissu cartilagineux en voie d’ossification. D. Les kysteucosécrétant., B. Retroperitoneal mass with cystic and solid areas. C. Lymph nodeoci of ossification. D. The cysts are lined by cuboidal, columnar, or mu

et kystiques. C. Parenchyme ganglionnaire occupé par de nombreuxs sont revêtus par un épithélium cubique ou cylindrique, parfois

parenchyma showing multiple cysts and cartilaginous tissue withcosecreting epithelium.

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Le « growing teratoma syndrome »

Sur le plan anatomopathologique, la lésion est semblableà un tératome testiculaire habituel. Elle peut être pure-ment kystique, ou mixte, associant des territoires solides etdes formations kystiques de tailles variées. Des plages car-tilagineuses et osseuses peuvent se voir au sein des zonessolides. Les tératomes dérivent des cellules germinalesprimordiales totipotentes et résultent d’une différencia-tion « embryonnaire » de ces cellules primordiales. Cettedifférenciation se traduit sur le plan histologique par laformation et la juxtaposition de différents tissus dérivantdes trois feuillets embryonnaires : l’endoderme (tissus intes-tinal, pancréatique et respiratoire), l’ectoderme (tissusmalpighien et nerveux) ou le mésoderme (tissus musculaire,cartilagineux et osseux).

La pathogénie du GTS n’est toujours pas claire. Lesdeux mécanismes les plus cités sont : une destructionsélective chimio-induite des composantes histologiques detumeur germinale autres que le tératome, ce dernier étantchimio-résistant, et une différenciation des cellules germi-nales totipotentes malignes en tératome mature égalementinduite par la chimiothérapie [5]. Cela est le plus souventinterprété à tord comme une résistance à la chimiothéra-pie ou comme une récidive tumorale, telle qu’évoquée cheznotre patient.

Plusieurs facteurs prédictifs de survenue d’un GTS ontété proposés. On cite en l’occurrence la présence de téra-tome dans la TGNS primitive, la stabilisation de la tailledes métastases en cours de chimiothérapie et la présenced’une composante tératomateuse dans les masses rési-duelles après la chimiothérapie [1]. Dans notre observation,il n’a pas été retrouvé de contingent tératomateux dansla tumeur testiculaire primitive malgré un échantillonnageexhaustif. Plusieurs auteurs ont suggéré que l’absence detératome au sein de la tumeur primitive ne prédisait pas uncurage indemne de tératome [6].

Les complications cliniques associées au GTS sont esti-mées à environ 12 % et sont généralement liées à desphénomènes de compression. La mortalité est le plussouvent due aux complications post-opératoires. La trans-formation maligne peut également se voir, dans environ3 % des cas, et se voit plus fréquemment chez l’adulte. Ilpeut s’agir d’une transformation vers une TGNS maligne, unsarcome, un carcinome épidermoïde, un adénocarcinome,une tumeur carcinoïde ou une tumeur primitive neuro-ectodermique [7].

Le traitement chirurgical représente la prise en charge deréférence. L’exérèse des masses est impérative ; elle s’avèreclassiquement plus difficile de part le volume ou les rap-ports de ces masses tumorales avec les organes de voisinage.

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D’autres traitements, faisant toujours l’objet d’études, ontété proposés, tels que la thérapie par �-interféron et lesinhibiteurs des kinases cycline-dépendantes [8].

Conclusion

Notre cas illustre bien la survenue chez un jeune hommed’un GTS sous forme de métastases ganglionnaires térato-mateuses deux ans après avoir été traité par orchidectomieet chimiothérapie pour une TGNS mixte du testicule, sanscomposante tératomateuse initiale.

Le GTS constitue une complication évolutive rare et sou-vent méconnue des TGNS métastatiques, pouvant survenirau cours ou après la chimiothérapie, justifiant la surveillanceprolongée des patients traités et une résection chirurgicalecomplète des masses résiduelles.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

Références

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[5] Carr BI, Gilchrist KW, Carbone PP. The variable transformationin metastases from testicular germ cell tumors: the need forselective biopsy. J Urol 1981;126:52—4.

[6] Durand X, Culine S, Camparo P, Avancès C, Sèbe P, Soulié M, et al.Lymphadénectomies rétropéritonéales post-chimiothérapie destumeurs germinales testiculaires. Revue de la littérature parle comité de cancérologie de l’association francaise d’urologie,groupe organes génitaux externes (CCAFU-OGE). Prog Urol2012;22:245—54.

[7] Kikawa S, Todo Y, Minobe S, Yamashiro K, Kato H, Sakuraji N.Growing teratoma syndrome of the ovary: a case report withFDG-PET findings. J Obstet Gynaecol 2011;37:926—32.

[8] Vaughn DJ, Flaherty K, Lal P, Gallagher M, O’Dwyer P, Wilner K,et al. Treatment of growing teratoma syndrome. N Engl J Med2009;360:423—4.