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Le Lien Diocèse d’Oran 2, rue Saad Ben Rebbi 31007 Oran el Makkari É Retour du Synode Dernières nouvelles de Santa Cruz Tlemcen 15-16 septembre n° 397 août – septembre – octobre 2015

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Le Lien

Diocèse d’Oran

2, rue Saad Ben Rebbi

31007 Oran el Makkari

É

Retour du Synode

Dernières nouvelles de Santa Cruz

Tlemcen 15-16 septembre

n° 397 août – septembre – octobre 2015

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PRIÈRE

J’aimerais adresser à Dieu les demandes suivantes :

Donne-nous assez de foi pour croire en Toi, en ceux et celles qui nous entourent et en nous-mêmes.

Donne-nous assez d’amour pour aimer ceux et celles que Tu as mis autour de nous, sans les juger.

Donne-nous assez d’espérance pour souhaiter le succès malgré les difficultés.

Donne-nous assez de miséricorde pour pardonner à ceux et celles qui nous ont blessés.

Donne-nous assez d’humilité, afin que nous puissions reconnaître nos faiblesses, nos erreurs, nos manquements

et que nous acceptions Ton aide et celle que Tu nous envoies par les autres.

Donne-nous assez de dévouement, afin que nous puissions donner sans compter.

Donne-nous assez de patience pour savoir attendre.

Donne-nous assez de persévérance pour ne pas abandonner.

Donne-nous assez de discernement, afin de connaître la différence entre le bien et le mal.

Donne-nous assez de force pour que nous puissions vivre suivant les fruits de l’Esprit.

Donne-nous assez de sagesse pour apprendre en voyant vivre les autres.

Donne-nous assez de fermeté afin que nous soyons capables de nous imposer une bonne discipline de vie.

Donne-nous assez de reconnaissance pour que nous puissions Te remercier, Te louer, Te bénir,

Te rendre grâce pour tout ce que Tu fais pour nous,

AMEN.

Léandre Lachance Vol. 42 INGRÉDIENTS, p.105-106

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Éditorial

ÉGLISE UNIVERSELLE ET ÉGLISES LOCALES…

L’un des chocs importants les premiers jours du sy-node a été de voir la mobilisation humaine qu’il suppo-sait : près de 270 cardinaux et évêques dont les 25 chefs de dicastères (ministres du pape), une quinzaine de supé-rieur(e)s généraux de congrégations religieuses, plus d’une vingtaine d’experts de haut niveau (enseignants, recteurs d’universités catholiques…) et une cinquantaine d’audi-teurs. Sans oublier le pape François lui-même et toutes les personnes nécessaires à faire travailler tout ce monde en-semble. Et je me demandais : « Comment font-ils pour laisser toutes leurs activités pendant trois semaines, en une période de rentrée ? » Je n’ai pas eu de réponse à ma question. Cette longue absence m’a coûté et je sais qu’elle

a pesé dans la vie de notre petit diocèse. Mais sans doute que la force de l’Église réside aussi dans cette capacité à mobiliser autant de personnes, venues du monde entier, pour réfléchir et débattre sur une question qui lui semble essentielle.

On pourra se demander si la réflexion menée est à la hauteur des moyens engagés. D’autres méthodes auraient pu être mises en œuvre, c’est certain. Mais la démarche synodale vaut la peine et nécessite d’acquérir une culture qui ne va pas (plus ?) de soi dans la structure hiérarchique de notre Église catholique. Un résultat est bien au rendez-vous : les évêques se sont écoutés, de trop grosses incompréhensions ont peut-être été évitées, et le pape François peut faire avancer l’Église dans le respect de l’unité dont il est le garant.

L’autre grand choc de début de synode fut la découverte des différences de culture et de sensibilité entre les évêques du monde entier. Une différence d’autant plus impressionnante qu’elle est masquée par l’uniformité des apparences (des hommes en soutane noire) et par l’ordre protocolaire qui préside à l’organisation générale. Dans ce concert des différences, j’ai été heureux de pouvoir faire entendre la nôtre. Elle ne se situait pas d’abord dans la défense d’une question particulière, mais dans un rapport au monde où l’Église ne compte apparem-ment pour rien mais expérimente au quotidien la force de l’espérance évangélique dont elle est porteuse, même très imparfaitement.

Lors de la parution de mon livre sur l’accueil des personnes « divorcées-remariées », la question m’a souvent été posée : « Pourquoi vous sur ce sujet ? » J’ai longtemps eu du mal à répondre jusqu’à ce que je comprenne que, dans ce débat, c’était la façon dont se situait l’Église par rapport aux personnes qui posait question. En Algérie, notre Église ne peut pas se placer sur le mode de l’interdit-autorisé car elle ne pèse d’aucun poids sur la société. C’est notre grande chance. La chance de pouvoir rencontrer les personnes, à mains nues, dans la seule force de l’amitié

Bonne rentrée à chacun, nous avons du pain sur la planche !

+ Jean-Paul Vesco, op

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RETOUR DE SYNODE…

De retour à Oran après ces trois se-maines d’un synode vécu de l’intérieur, je partage le sentiment général qu’il s’est vrai-ment passé quelque chose d’inespéré que le document final ne rend pas immédiatement perceptible. Ayant été envoyé au synode par mes frères évêques de la CERNA, et vous ayant fait porter le poids de cette longue ab-sence, je me dois de vous donner ma propre lecture de ce synode. Elle est forcément per-sonnelle et subjective, c’est sa limite et aussi son principal intérêt.

D’abord, tout avait bien mal com-mencé et au moins trois facteurs laissaient supposer que rien de neuf ne sortirait de ce synode qui puisse parler au plus grand nombre des chrétiens et au monde.

D’abord, les premières prises de pa-roles, y compris de la part du pape François lui-même, insistaient sur le fait que ce synode était pastoral et non pas doctrinal et que donc rien de la « doctrine » de l’Église ne serait re-mis en cause. Dès lors, il fallait s’entendre sur ce qui relève de la doctrine et de la pastorale Si tout le monde est d’accord pour considérer que l’indissolubilité du mariage fait partie du

dépôt de la foi, en est-il de même de toutes les dispositions disciplinaires de l’exhortation apostolique Familiaris Consortio ? Sur ce point des positions divergeaient absolument.

Ensuite, la méthode posait question aux uns et aux autres. Il nous était demandé de travailler à 270 évêques (plus les auditeurs et les invités) répartis en treize groupes lin-guistiques sur l’Instrumentum Laboris, un texte de soixante-dix pages composé à partir du texte final du synode d’octobre 2014 et une synthèse des contributions remontées des diocèses du monde entier. Il y avait peu de chance que du neuf sorte de ce travail fas-tidieux d’amendement d’un texte de départ qui n’était ni un texte de travail qui ouvre des pistes de réflexion ni un texte réellement

abouti et satisfaisant. D’autres étaient inquiets de sentir que, dans ce texte ini-tial déjà, avaient été insérés des éléments qui annon-çaient des ouvertures pos-sibles.

Enfin, la très grande majorité des Pères synodaux, pour des raisons diverses et non pas homogènes, étaient manifestement hostiles à toute évolution de la position de l’Église sur toutes les grandes questions autour du

thème de la famille. Pour eux, le synode était l’occasion de bien réaffirmer la « doctrine » immuable de l’Église afin de soutenir la fa-mille dans un monde en crise. Pour d’autres, dont j’étais, ce synode était l’occasion pour l’Église de porter un regard réaliste mais bien-veillant sur la monde d’aujourd’hui tel qu’il est et non pas tel que nous rêverions qu’il soit. Un monde en mutation plutôt qu’en

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crise dans lequel l’Église ne peut plus être entendue sur le mode de l’interdit mais est at-tendue autant qu’elle est sel de la terre. Là se tenait en fait la véritable différence de vision, et la question de l’accès aux sacrements des divorcés-remariés avait valeur d’arbitre.

Le « miracle » s’est produit lorsqu’à l’issue des trois semaines de travaux un projet de texte final nous est présenté. Ce texte, en-tièrement neuf, reprend bien le fruit de notre travail, mais il a davantage de souffle que nos débats. Personne n’y retrouve complètement sa position mais d’une certaine manière cha-cun peut le signer. Il nous emmène plus loin que nos différences, il ouvre des voies nou-velles et n’en ferme aucune. Il nous permet de sortir grandis de nos débats. Ce texte pré-sente finalement au Saint Père le point le plus loin où nous avons pu aller ensemble dans l’attente d’une parole magistérielle de sa part sans pour autant sombrer dans l’aveu d’im-puissance.

Certains pourraient trouver que c’est bien peu, d’autres que c’est beaucoup trop. Pour moi, c’est énorme et je vois la trace de l’Esprit Saint dans le fait qu’il ait été adopté en tous ses articles avec la majorité des deux tiers. Il a fallu pour cela que beaucoup de Pères synodaux dont je ne partage pas forcé-ment toutes les positions fassent un grand bout du chemin, et cela n’allait pas de soi. Ce vote a permis de sentir à quel point un synode n’est pas seulement une affaire humaine à l’instar d’un congrès politique qui aurait établi un texte de compromis. C’est tout autre chose que nous avons vécu.

Finalement, je reviens de ce synode avec la conviction que le pape François veut

quelque chose pour notre Église. Il veut

qu’elle rejoigne davantage les hommes et les femmes de notre temps, qu’elle soit fidèle à l’esprit du dépôt de notre foi davantage qu’à sa lettre. Son discours de clôture ne laisse subsister aucun doute sur sa volonté. Ce sy-node était destiné à permettre aux pasteurs d’entendre la voix des baptisés et d’avancer aussi loin que possible ensemble sur ce che-min en direction du monde tel qu’il est. De-puis deux mille ans, l’Église est faite d’une tension entre institution et prophètes. Le pape François porte une dimension prophé-tique tout en étant à la tête d’une institution qu’il n’entend pas brader. Il nous faut ré-pondre à son appel et monter résolument dans la barque du successeur de Pierre. C’est cette chance que nous offre ce synode. Et cette chance est aussi une responsabilité.

+ fr. Jean-Paul Vesco op

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SANTA CRUZ AUX DERNIÈRES NOUVELLES

Combien d’entre

nous se demandent où on en est avec le projet de Notre Dame de Santa Cruz ? Tous ne savent peut-être pas qu’il existe un site qui est régulière-ment mis à jour en images et en nouvelles pour nous per-mettre de suivre chaque étape du chantier au fur et à mesure qu’il avance.

Rejoignez-nous sur www.santacruz-oran.com

Un avant-goût toute-fois des dernières nouvelles :

Alors que sous les échafaudages de la tour on est yeux dans les yeux avec la Vierge, et sous le dôme de la chapelle, les travaux de restauration avan-cent à grande allure, on passe déjà au choix des couleurs de la façade et des marches qui mènent à l’esplanade et aux galeries.

Le comité de pilotage est attentif au magnifique caractère paysager du site, ca-ractérisé par une riche palette chromatique de teintes ocre. Les teintes choisies s’harmo-nisent avec les teintes de la colline.

Notre Dame de Santa-Cruz, sera

probablement encore cachée sous les échafaudages pour quelques mois encore, mais déjà elle grandit dans le cœur des Oranais qui participent de mille manières à l’appropriation de leur patrimoine.

Mais ne vous contentez pas de

nous lire dans le Lien, accompagnez la marche de Notre Dame de Santa-Cruz vers sa nouvelle vie, dans vos prières et… en vi-sitant de temps en temps le web !

Nadine CHEHAB

Photo Jean-Marie PHILIPPE

Photo Jean-Marie PHILIPPE

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En Oranie

MARIAPOLIS 2015, UN BON CRU Les Mariapolis sont victimes de

leurs succès et cette année c’était environ 150 participants qui ont afflué vers le centre Mariapolis Ulisse de Tlemcen, après le Ramadan, on a même dû refuser des participants, le centre ne pouvant accueillir plus de monde.

Avec les grandes chaleurs et un Ramadan particulièrement éprouvant, la Mariapolis avait saveur de détente, permettant à chacune et chacun de reprendre des forces physiques et spirituelles.

« L’art d’aimer » en était le thème, un art qui se pratique au quotidien dans un amour qui ne se lasse pas de recommencer et qui demande de se retrousser les manches car il ne s’agit pas d’un amour sentimental. « Aimer en premier », sans attendre que l’autre commence, « aimer tout le monde », même ceux que j’aurais préféré ne pas rencontrer, « se faire un » synonyme de vivre l’autre, avoir de l’empathie, tous ces thèmes ont été illustrés par des témoignages dans la vie de chaque jour donnant ainsi des exemples de comment mettre en pratique cet art d’aimer.

La Mariapolis c’est aussi une vie de famille, elles étaient particulièrement

nombreuses cette année, donnant cette saveur inestimable de la fraternité. Les jeunes, toujours très présents, ont été la clef de voûte de cet édifice qui se construit tout au long de l’année et leur présence donne de l’espoir aux plus âgés, parfois découragés par la complexité de la vie.

Un goût maghrébin avec aussi la présence de Marocains et Tunisiens venus apporter leur pierre à cet édifice, sans oublier ceux du Sud qui apportent chaque année leur parfum de simplicité et de courage.

Tout le monde un peu à l’étroit quand même, avec ce grand nombre de participants ne simplifiant pas la tâche pour les organisateurs, mais tous heureux de ce succès.

C’était la première Mariapolis pour certains, tellement heureux qu’ils ne veulent plus lâcher cet esprit et emmener d’autres personnes l’année prochaine, alors comment faire avec ce nouvel afflux, voilà bien une des questions que se posent les organisateurs.

Peu à peu, l’esprit de la Mariapolis se diffuse dans toute l’Algérie et bien au-delà donnant de l’espoir en cette période qui en a bien besoin.

Didier LUCAS

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RENCONTRE DIOCÉSAINE À TLEMCEN

Cette rentrée a été marquée pour notre diocèse par notre rencontre annuelle de Tlemcen. Nous étions une cinquantaine de « permanents » du diocèse, c'est à vrai dire tous... excepté celles et ceux que la santé ou la mission retenaient quelque part.

Il était bon de se retrouver sur les hauteurs de Tlemcen et certains n'ont pas manqué de le signifier en dressant trois tentes au prétexte que leurs ronflements nocturnes risquaient de rendre les nuits pénibles aux autres.

L'ambiance était à la fois sérieusement studieuse grâce à l'apport substantiel de Camille

TAROT notre intervenant (voir son texte ci-après) et fraternellement joyeuse avec en particulier la célébration festive des 80 ans de Jean-Louis Déclais. Camille était d’ailleurs là à ce double titre de l'étude et de la fête, puisqu'il associe en lui-même d'être un sociologue de remarquable érudition et un vieil ami (comme on dit même pour les personnes les plus jeunes) de Jean-Louis. Augustin, neveu du dit Camille, en un délicieux latin de cuisine, nous fit lors de la dernière veillée le récit de quelques aventures « jeanlouisques ».

L'essentiel était bien la joie de se retrouver ensemble pour établir sur le roc de la fraternité

jour après jour et tout au long de l'année l'édifice de notre petite communauté chrétienne. Jean-Paul, notre évêque, nous en donna d'ailleurs le plan en trois dimensions qui s'articulent admirablement ensemble : notre vie en Église d'Oranie marquée par des départs et des arrivées dont nous faisons état par ailleurs dans ce numéro du Lien, le chantier du sanctuaire de Notre Dame de Santa Cruz et le synode sur la famille auquel participe notre évêque où il représente nos Églises du Maghreb. Il ne s'agit pas là en effet de trois éléments juxtaposés sans relations les uns avec les autres mais trois manières particulières de témoigner de notre volonté d'être présents aux hommes et aux femmes de notre temps ici en Algérie et d'être signes pour le monde entier (pas moins !) de la miséricorde du Père que nous voulons célébrer cette année avec toute l'Église. Nous aurons donc des portes saintes à franchir et à faire franchir à d'autres : celle de la rencontre sur le seuil de la maison des uns et des autres, celle rénovée du sanctuaire de Santa Cruz (peut-être pas encore cette année mais bientôt) et celles de la tendresse familiale dont ne manqueront pas de témoigner nos pères synodaux...

Merci à Amina qui au long de ces deux jours nous régala de ses secrets culinaires. Merci à

la communauté des focolarini qui nous ont reçus si bien et nous ont prodigué toutes les meilleures attentions, merci à chacun qui, au service de table ou à la vaisselle, mit déjà notre séjour tlemcénien sous le signe de la fraternité.

Ne donnons plus à ce rendez-vous institué de la rentrée le nom de récollection. Il s'agit plutôt de rencontre, de journées de fraternité, d'échanges... Quel que soit le nom qu'on lui donne, la formule semble trouvée sachant bien qu'on aura toujours à la corriger un peu et surtout à la parfaire.

Hubert

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Camille TAROT, notre intervenant des journées de Tlemcen et ami de Jean-Louis DÉCLAIS fait le récit de son séjour parmi nous.

LES MULTIPLES ANNIVERSAIRES D’UN JEUNE OCTOGÉNAIRE

Je fus donc une semaine à Oran, du 12 au 21 septembre sur l’invitation du Père Vesco, au double motif de participer au lancement ou à la reprise de l’année pour le diocèse et à l’anniversaire de Jean-Louis Déclais qu’il convenait de célébrer à l’occasion de ses quatre-vingts ans. Cette promesse de mêler l’utile à l’agréable a été selon moi parfaitement tenue, ce dont je veux d’abord remercier chacune et chacun, trop nombreux pour être cités, et d’abord Jean-Paul Vesco et Jean Louis lui-même qui ont tout fait pour rendre le séjour aussi agréable qu’enrichissant.

Retrouvant l’Algérie et la ville d’Oran vingt ans après les avoir vues pour la dernière fois, je pourrais évoquer maints souvenirs, forcément teintés par le passage du temps et d’abord par l’absence de ceux qui nous ont quittés et qui restent pour moi si fortement associés à ce pays, comme Pierre Claverie, Bernard Tramier ou Gérard Bordat. Ou parler de souvenirs qui se mélangent aux questions sur notre commun avenir, quand le simple passager ne peut pas ne pas ressentir des changements dans le dynamisme de l’économie du pays, de la construction ou de la consommation, l’incroyable extension des villes et des villages, le poids de la démographie, la jeunesse de la population, la pression sur le milieu naturel, les incertitudes de l’avenir politique même proche. Ou, en ce qui concerne la petite Église diocésaine, depuis longtemps déjà si engagée à la fois dans le local et le global, les changements rapides des populations, des services et des missions, ou la compensation du vieillissement de sa composante européenne par l’apport magnifique de vitalité de sa composante africaine. Les questions sérieuses à traiter sérieusement ne manquaient pas. Il me revint d’ailleurs d’en évoquer quelques-unes lors des deux journées de rentrée au Focolare de

Tlemcen. En quatre interventions suivies de discussions, j’ai traité successivement des thèmes suivants : les convulsions présentes au Proche-Orient, le sens de la formule souvent entendue « Ce n’est pas le vrai islam » (ou tout autre item du même genre comme « le vrai christianisme » ou « la vraie démocratie »),

l’opportunité de s’interroger sur les rapports de la violence et du religieux en se servant ou non des catégories proposées par René Girard, et enfin les conséquences de ces faits pour mener le dialogue interreligieux (on a essayé de montrer qu’il dépend largement de la façon dont chaque religion mène d’abord en son sein le dialogue intrareligieux, comme le montre dans l’histoire des Églises chrétiennes, l’émergence de la question œcuménique qui a servi de matrice à la problématique du dialogue étendue par Vatican II, du moins pour le catholicisme.)

Dans une conférence organisée pour le grand public au Centre diocésain, j’ai pu esquisser comment je vois l’évolution des sciences sociales des religions en France depuis un siècle qu’elles existent, fondées par Durkheim et Mauss et essentiellement marquées, au milieu du XXe siècle, par la tentative de Lévi-Strauss de les délester du problème du sacré, ce qui suscita une querelle qui n’est pas finie et que, bien ou mal, j’ai tenté d’arbitrer dans un gros ouvrage qui n’aurait pas

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vu le jour sans Jean-Louis qui en fut l’indispensable et scrupuleux correcteur. Et c’est pourquoi je lui ai dédié cette intervention. Enfin dans une rencontre avec le GRAS (Groupe de Recherches en Anthropologie de la Santé) à l’Université, j’ai pu prolonger ce débat en montrant sa pertinence pour comprendre les liens si « archaïquement» fondamentaux, dans toutes les cultures, du religieux et de la thérapeutique. Mais il faut en venir aux autres questions sérieuses dont il avait été convenu qu’on ne les traiterait pas sérieusement, je veux dire l’anniversaire de Jean-Louis. Il faut se hâter de le mettre au pluriel car on l’a fêté à répétition et pour de bonnes raisons, même si les humoristes ont suggéré que Jean-Louis nous avait caché sa date exacte de naissance à cette fin, ou en prétextant qu’elle tombait avec l’aïd, ou qu’il jouait l’inculturation au point de répéter le suspens du Ramadan dont on ne sait jusqu’au dernier moment s’il sera pour ce soir ou pour demain ! Mais en réalité le pluriel est venu du fait qu’il convenait d’honorer plusieurs personnages dans le même, l’homme, le prêtre, l’enseignant, le savant, le chercheur et l’ami en sachant que l’unité secrète de tout cela devait probablement beaucoup à la forme très spécifique de son humour. On n’en a pas encore fait l’analyse ou la généalogie, mais il est très probable que cet humour doit beaucoup au goût normand de la litote et de l’antiphrase, dont les Anglais ont probablement tiré l’understatement. Et à un rationalisme pragmatique rehaussé par le goût d’apprivoiser l’étrangeté du monde en l’énumérant avec distance, qui doit possiblement beaucoup à la fréquentation de la littérature rabbinique et de l’infinité de ses petites histoires. En tout cas, c’est de ces facettes du personnage qu’il fut question de diverses manières déjà lors de la dernière soirée à Tlemcen, où j’ai ouvert le feu en racontant qu’en cinquante ans ou presque d’amitié je n’ai pu apprendre qu’une chose à Jean-Louis, les rudiments de la cuisine ou comment cuire un œuf, ce qui lui fut de la plus grande utilité quand il se retrouva curé d’Aïn-Témouchent. Puis il rappela le sens qu’il donne à son travail d’exégète, selon la méthode historico-critique et l’exigence d’une

confrontation rigoureuse et pas seulement bien intentionnée ou sentimentale avec l’altérité des textes de la Bible ou de la tradition musulmane. Je voudrais souligner plus que ne le fit sa modestie qui lui a interdit de le dire que sa double compétence d’hébraïsant et d’arabisant est très et trop rarement réunie dans le même homme, alors qu’elle se révèle, de fait, pourtant indispensable pour apprécier non seulement le rôle des Israiliyyât, des légendes juives et des « récits de prophètes », mais pour percevoir nombre des connotations et des allusions les plus subtiles des textes fondateurs et de leurs débats intimes. Une cantate composée par Thierry Becker sur une mélodie de Bach donna aux multiples activités de Jean-Louis la dimension du sublime, avant qu’Augustin Le Coutour ne redise tout cela dans un latin de cuisine directement inspiré des médecins de Molière et qu’un excellent gâteau au chocolat n’achève la soirée. De retour à Oran, des amis algériens aussi ont voulu et su dire à Jean-Louis leur estime et leur reconnaissance et nous lui avons renouvelé nos vœux au Centre diocésain, la veille du départ. Jean-Louis se souvient que, petit séminariste, à l’âge de 13 ans il avait entendu un de ses professeurs de français que j’ai bien connu par la suite, le Père Duhéron, dire à l’évêque d’alors octogénaire qu’on ne lui fêtait pas ses quatre-vingts ans, mais ses quatre fois vingt ans. Tout le monde conviendra que compte tenu de l’excellente forme et des précieuses activités de notre jubilaire, il faut souhaiter qu’il s’engage calmement mais fermement pour une nouvelle et cinquième vingtaine complète. D’ailleurs, le Père Duhéron lui-même, homme aussi discret que superbement présent, esprit libre et infatigable chercheur de Dieu, parlait encore de littérature moderne et d’actualité, quelques semaines avant sa mort… à cent quatre ans. Alors, puisqu’on dit bien « tel père, tel fils », pourquoi ne pas risquer « tel maître, tel disciple « ? Et donc, Jean-Louis, ad multos annos saeculumque ! Tout le monde a besoin de toi et tes œuvres complètes sont encore à recueillir et à compléter.

Camille TAROT

Augustin Le COUTOUR, neveu de Camille et qui l’a accompagné durant son séjour, raconte à sa manière sa découverte de l’Algérie réelle…

LE COUSCOUS VERNACULAIRE

Quand nous étions plus petits, la visite de Jean-Louis Déclais était à la maison un événement saisonnier. Il passait alors quelques jours en France puis il retournait en Algérie. L’Algérie devenait par des récits et des anecdotes, des noms de lieux et de personnes, tout un tissu de projections, tout un imaginaire ; c’était comme pour le jeune enfant de La recherche du temps perdu, un monde de lanterne magique, un bouquet garni de grands lieux, grandes dates, grands destins et grands noms, Saint Augustin ou Camus : le tout dans un vague propice à l’exagération poétique…

Cette Algérie rebrodée, lointaine dans le temps et dans l’espace, peut suffire à s’y projeter ; elle a son charme. Mais la réalité surprend plus.

A quinze kilomètres de Tlemcen, sur un chemin de terre qui montait depuis la route et qui, bordé d’oliviers, pouvait offrir un peu d’ombre et un peu d’air, nous avions étendu une couverture du siècle dernier, pour pique-niquer avec Jean-Louis et Camille, de quelques olives, pain et raisin. C’était vendredi midi et Jean-Louis a fait le prophète : « Si le paysan passe, il nous offrira le couscous ». Environ trente secondes après, vient une voiture dont le chauffeur baisse la vitre, nous salue, dit trois mots, redémarre jusqu’à sa ferme. Après cinq minutes il en redescend avec un couscous et quatre cuillères, trois pour nous et une pour lui.

Et voici le tableau. Sous l’olivier, nous mangeons l’excellent couscous et buvons le lait. Nous faisons une pénible sieste, pendant que notre hôte va entendre le sermon du vendredi dont, par la grâce d’un haut-parleur, les sons traversent la campagne, puis les choses étant trop bien parties, sur son invitation nous montons ensemble vers la ferme prendre le thé et rencontrer la famille élargie. Nous ne sommes pas repartis sans quelques aubergines et poivrons du jardin.

Quand je racontai cet épisode à Amina, dans la cuisine du Centre, elle montra le ciel de sa main qui tenait encore un épluche-légumes, et me dit : « C’est ça, l’Algérie ! ».

Comment dire… Je mesure mal tout ce que cela implique et ce que cela signifie. Du reste cet épisode n’a pas besoin de commentaire de texte. Simplement, c’étaient des gens normaux. Cet endroit, un lieu de vie normale. Tout un petit monde et une petite économie qui, autour de la ferme, agglomérait le chef et les ouvriers agricoles, les hommes et les bêtes, les parents et les enfants, les femmes et les hommes, et les légumes, et les moutons, et les chatons, et les machines… Et les étrangers de passage.

Le mot du jour est « vernaculaire ». Dans les réflexions que Camille Tarot a partagées avec la communauté diocésaine, dans le cadre festif de Tlemcen, il nous proposait une notion intéressante, celle de religion vernaculaire. Ce serait, comme sont les marabouts de la campagne de Mascara, la cuisine du quotidien, qui s’écrit au fil des pratiques. Une approche anthropologique et simple, un peu vague peut-être, mais humble et en tout cas opposée à toute posture trop intellectualisée, trop consciente d’elle-même. Ce qui est vernaculaire crée du lien. Pratique, humain, en fait vernaculaire veut dire normal. Nous voilà bien éclairés : dans la parabole du couscous sous l’olivier, c’était un couscous vernaculaire !

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Il m’a semblé aussi que cette belle Église d’Algérie était comme cela : immédiatement dans la pratique, toujours dans le lien, spontanée, simple. Pour cette belle découverte et pour le bon accueil, je remercie très fortement la communauté dans tous ses membres. Le Père Jean-Paul Vesco, bien sûr, qui nous a montré Oran du haut de son rêve de Santa-Cruz, Jean-Louis qui a porté notre coup

d’œil à gauche et à droite sur toutes les petites choses qui ont un sens pour lui, les sœurs et le Père Raymond de Mascara (anobli pour l’occasion), qui sillonne le fief comme un éclaireur de l’émir Abd el-Kader, les sœurs du Centre, les Focolarini, les coopérants…

A tous merci, et vive la vie vernaculaire ! Augustin

LES SOIRÉES DE RAMADAN AU CENTRE PIERRE-CLAVERIE

Au cours de l’été 2015 le Centre

Pierre Claverie a organisé deux soirées de Ra-madan et a été sollicité par d’autres groupes ou associations pour mettre sa salle de con-férence à leur disposition pour trois autres soirées.

Le lundi 22 juin : rencontre inédite de deux amis musiciens pour un concert im-provisé sur le thème blues, blues-rock des sixties-seventies. Quelques ballades anglo-saxonnes : Dylan, Clapton, ponctuées de dé-dicaces de chansons françaises de la même époque devant un public féru et demandeur de ces genres musicaux. – Expérience à re-nouveler ! « Merci au centre Pierre-Claverie pour cette soirée réussie ! » (Tounsia)

Le jeudi 25 juin : l’association les No-mades Algériens et la troupe photographique ISO Club – I Shot in Oran se sont joints pour projeter le film «L’ Algérie vue du ciel » de Yann Arthus-Bertrand à l’occasion de la jour-née nationale du tourisme. Le film événe-ment du célèbre photographe et cinéaste français a été un prétexte pour parler des problématiques liées au tourisme en Algérie. Le documentaire montre de manière sublime tout le trésor du patrimoine national. Après la projection eut lieu un débat sur les solu-tions à apporter pour mieux promouvoir ce

capital et insuffler une culture du tourisme dans le pays.

Le lundi 29 juin : Conférence de Mgr Henri TEISSIER, archevêque émérite d'Alger. Fervent artisan de la rencontre en vérité entre chrétiens et musulmans depuis sa jeu-nesse il s’intéresse à la personne et à l’œuvre de l’Émir Abdelkader. Il nous a parlé cette fois-ci la spiritualité de l'Émir.

Le lundi 06 juillet soirée spectacle de théâtre d’improvisation avec la troupe des Drôles Madaires, une soirée familiale de dé-tente.

Le samedi 11 juillet : le Google deve-lopers group (GDG) d'Oran a organisé un évé-nement en partenariat avec l'Association Nationale des Échanges entre jeunes - bu-reau d'Oran, dans le cadre des activités du projet Bab El Amel. Il était question de la création de micros entreprises, de l’accom-pagnement technico-économique des por-teurs d’idées et de plein d’autres sujets. Le chef de projet a répondu avec beaucoup de compétence aux nombreuses questions po-sées par un public fortement intéressé au su-jet.

Maisy REDING

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MA GRANDE JOIE DE VENIR À ORAN COMME SERVITEUR

Quelques-uns à Oran commencent à

écrire mon nom de famille sans fautes ! En effet, je porte le nom de

« Niyibizi », nom théophore (nom qui inclut le nom de Dieu) dans ma langue maternelle qui est le kinyarwanda « langue du Rwanda ». Ce nom signifie « C’est LUI – (sous-entendu Imana = Dieu) qui sait » ! Je suis né le 15 juin 1971 dans la région de Gisenyi située au nord-ouest du Rwanda. Je suis le 4ème d’une famille catholique de 11 enfants (dont 4 filles et 7 garçons). Comme beaucoup dans mon pays natal, j’ai reçu le sacrement de baptême quand j’étais bébé. Et mon prénom de baptême est Modeste (vaste programme pour moi !). J’ai fait ma scolarité au Rwanda. Et c’est au cours d’une retraite dans un lieu de prière appelé « Foyer de Charité » que j’ai pris la décision d’entrer au Grand Séminaire pour devenir prêtre. A l’époque je voulais intégrer la congrégation des Missionnaires d’Afrique, appelés souvent « Pères Blancs ». En 1994, le génocide au Rwanda m’a poussé à quitter la région des Grands Lacs pour continuer ma formation au Grand Séminaire de Bangui (Bimbo) en Centrafrique. Seulement, en 1998, les mutineries interminables en Centrafrique ont fini par contraindre la direction du Séminaire à me demander de continuer ma formation au Grand-Séminaire d’Issy-les-Moulineaux (juste à côté de Paris) en France.

Accueilli par le Diocèse de Versailles, j’ai été ordonné diacre le 24 juin 2001 (en la fête de St Jean Baptiste) et prêtre le 6 janvier 2002 (fête de l’Épiphanie). Prêtre diocésain incardiné dans le diocèse de Versailles, j’y ai exercé, avec un véritable bonheur (j’aurai peut-être l’occasion d’en témoigner amplement) un certain nombre de ministères : vicaire, puis curé ; aumônier diocésain de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) ; aumônier du scoutisme, accompagnateur des jeunes collégiens, lycéens, universitaires et jeunes professionnels… En même temps depuis treize ans, je demandais à

mon évêque de m’envoyer un jour, quand il voudra, dans un diocèse (de son choix) qui est vraiment dans le besoin. Et c’est avec grande joie qu’il m’a envoyé en avril 2015 venir faire connaissance avec les frères et sœurs du diocèse d’Oran ! Même si mon séjour a été de courte durée, j’ai été profondément touché par le visage de l’église-famille du diocèse d’Oran ! Sa jeunesse insoupçonnée, sa simplicité, sa capacité à exister sans s’imposer socialement,

sa force de dialoguer en vérité avec la société ; sa capacité à puiser dans l’Évangile des propositions pour la promotion sociale et humaine ; sa manière humble, fragile mais pratique d’être disciple de l’Amour sans frontières et sans conditions du Christ… tout cela a renforcé ma joie de venir ici comme « serviteur inutile ».

Lors d’une très belle messe du 25 septembre, j’étais installé

comme curé d’Oran. Cela a été l’occasion de rendre grâce pour la vie encore et toujours donnée du Père Thierry Becker qui, depuis huit ans assumait (sans rechigner ni compter son temps) la charge de cette paroisse ! Cet homme est le témoignage vivant selon lequel l’amour de l’Évangile est le secret de l’éternelle jeunesse ! Oui, il y a plus de joie à donner qu’à recevoir ; et nous en avons des témoins vivants !

Être curé d’une paroisse c’est assumer ce que ce mot veut dire « Être celui qui prend soin ». Seulement je ne suis ni spécialiste-professeur, ni héros des soins. C’est une responsabilité qui trouve tout son sens et sa force quand elle est réellement partagée. Alors n’ayons pas peur de prendre soin les uns des autres.

Et le premier soin est de prier les uns pour les autres.

Modeste NIYIBIZI

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TAIZÉ FRANCE – TAIZÉ TLEMCEN

TAIZÉ-France ! C’est une expérience parmi tant d’autres

mais quand on m’en parle je ne sais pas par où commencer. Tant de découvertes et d’expériences.

Quand je suis arrivée à Taizé-France, je cohabitais avec une Bolivienne qui ne parlait ni français ni anglais. Elle parlait uniquement espagnol. Puis, après quelques jours, sont arrivées une Chinoise et une Hongkongaise qui ne comprenaient que l’anglais. Je me demandais au fond de moi comment j’allais faire pour survivre et surtout comment me faire comprendre, moi qui n’avais jamais imaginé qu’un jour je cohabiterais avec de telles personnes ? Mais progressivement, j’ai appris à les connaître, à les accepter, à dialoguer malgré mon anglais tordu. Parfois il était difficile de se comprendre mais le geste ou le sourire de l’autre rassure. Des liens se sont tissés à tel point que le départ fut pénible après. Par ailleurs, j’ai fait de belles rencontres avec des familles, des jeunes que j’ai accueillis. Chaque année, la communauté de Taizé choisit un thème qu’elle essaie de vivre à fond. Et cette an-née, c’est la miséricorde qui est mis en exergue. Lorsqu’on parle de miséricorde, on pense directe-ment au récit du Bon Samaritain. Pour ma part, j’ai découvert ce qu’est la miséricorde à travers une petite fille de quatre ans nommée Tamara et que j’ai gardée toute une semaine. C’est une fillette d’une grande compassion à tel point qu’elle conso-lait les autres qui pleuraient. Je me souviens qu’un jour elle est allée chercher de l’eau pour une fil-lette qui était tombée et qui pleurait. Elle lui avait ensuite apporté ses propres chips et ne faisait que répéter « Pardon ! Ne pleure pas, pardon ! » Je ne raconte pas cette histoire juste pour la raconter. C’est parce qu’elle nous interpelle tous sur le thème de la miséricorde. Cela nous interroge sur la façon dont chacun peut vivre la miséricorde à sa fa-çon.

Taizé-Tlemcen ! A Taizé-France plusieurs personnes m’ont demandé lequel des deux Taizé je préférais. Sur le champ je ne savais pas quoi répondre parce que Taizé-France était une expérience en cours et aussi parce que je ne voulais pas les comparer. La vérité est qu’à Taizé-Tlemcen je me sens plus « chez moi », non pas parce que les visages me sont plus familiers, mais plutôt parce que j’y ai aussi vécu de belles expériences et que les circonstances me sont plus adaptées.

Ce qui m’a le plus marquée à Taizé-Tlemcen, c’est la bonne ambiance, la capacité de pouvoir joindre l’utile à l’agréable, c’est-à-dire prières, parcours bibliques, workshops à jeux, danses, comédies. Les conférences étaient très enrichissantes. Par la même occasion, j’ai appris à voir l’Algérien d’un autre regard à travers les jeunes qui sont venus nous parler du « vivre ensemble ». Franchement au début je me demandais si c’était des Algériens qui nous parlaient et ensuite je me suis rendue compte que je construisais moi-même des bulles en ayant des idées préconçues sur eux : chose à éviter.

Taizé-Tlemcen, si c’était à refaire je le referais encore et encore !

TENKODOGO Sompasdé Pélagie (Burkina Faso), étudiante à Mostaganem

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TAIZÉ : UN RENOUVELLEMENT HUMAIN

Décrire en quelques lignes une expérience vécue à Taizé, en France est, pour moi, comme la mer à boire. Il y a tant à faire ressortir, à partager... A mon arrivée le soir du 18 juin en ce lieu inconnu, j’ai vite détecté plusieurs fils utiles pour mener à bien le séjour. J’ai compris que je devrais en choisir un seul en fonction de mon goût. J’ai choisi alors d’observer les relations qui lient les personnes, ce que j’appellerai ici la chaleur humaine.

Mes deux premières semaines furent à la fois dures et riches. Au cours de la première, consacrée à l’introduction biblique, je me retrouvai dans un groupe de neuf jeunes de mon âge, de pays et cultures variés, et aux accents linguistiques difficilement déchiffrables. Malgré tout, j’ai pu expérimenter qu’on pouvait se comprendre à Taizé même si on ne parle pas bien ou pas du tout la langue commune qu’est l’anglais. Affecté dans une équipe de travail chaque semaine, j’ai pu goûter la saveur du volontariat. Au fond de moi, j’ai eu la joie profonde de constater que tout le monde se mettait au travail volontairement et surtout aimablement. En témoignent les sourires incalculables qu’on s’échangeait alors. Travailler sans rémunération est une chose à promouvoir. C’est cela qui ravivait et me rappelait ce pourquoi je suis au monde : être au service des autres.

Les heures se succédaient et j’ai fini par perdre la notion du temps ainsi que de l’actualité du monde extérieur. Mon quotidien était rythmé par les cloches qui me servaient d’horloge. Je m’étais focalisé sur tout ce qui m’entourait, j’accordais une tendre attention à toutes et à tous. J’ai pu expérimenter qu’on formait une seule famille dans laquelle chaque membre adopte un même et unique style de vie. Frères de la communauté, volontaires, participants hebdomadaires étaient au même niveau. Je n’ai perçu ni la notion de hiérarchie ni celle de classes sociales. J’ai eu l’impression d’avoir goûté au paradis terrestre.

Finalement ma route m’avait réservé plein de surprises. Un vent, qui ne ressemble pas du tout aux autres, me poussait durant mon trajet. Ce vent s’appelle tout simplement « chaleur humaine ».

SAWADOGO W. Roland

Partir à Taizé en France a été une très grande expérience pour moi. J'ai appris la vie en communauté avec des personnes différentes de moi en tout, malgré la difficulté. Par les prières et dans le silence je me suis mise en profond contact avec mon Dieu, les prières m'ont permis d'affermir ma foi en Christ. A Taizé, on a plaisir à se connaître soi-même, à connaître l'autre et son Dieu plus encore. J’ai fait des rencontres que je n'oublierai jamais, j’ai vécu des moments inouïs de mon existence. Taizé est une expérience de vie, de joie, de paix et surtout d'amour. J'insiste sur Amour parce que ici on apprend à aimer l'autre tel qu'il est avec toutes nos différences (culturelles, sociales, religieuses...), non pas le supporter ou le tolérer, mais l'aimer Et cette expérience, j'essaie de la vivre et de la partager pendant nos deux sessions de Taizé-à-Tlemcen. Pour tout cela je remercie le Très-Haut, et mon évêque Jean-Paul Vesco pour cette occasion qu'il m'a donnée de vivre.

Gloria MUGARUKA

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PAROLE ET GESTES (septembre 2015, à Skikda)

La session Parole & Geste qui se passe à la paroisse Sainte Thérèse de Skikda chaque année est l’une des rencontres organisées par l’Église d’Algérie pour que les chrétiens apprennent à chanter et à « gestuer » quelques textes bibliques ; c'est aussi un moment de prière et de partage et l'occasion de faire connaissance . Cela a été proposé parce que l’être humain est un « être mimeur ». Il apprend avec l’ensemble de sa personne, par son corps, son psychisme, son âme et en plus, la Parole de Dieu est une réalité intérieure que Dieu nous adresse à travers une réalité visible. En 2015, cette session a été encore plus riche pour moi parce qu’elle était un peu différente des autres que j’ai vécues les années précédentes. En effet, il n'y avait pas seulement des étudiants, comme d’habitude, mais aussi des migrants, des religieuses et des Algériens. Ce qui était très agréable et important pour nous, les transmetteurs de la Parole. Chaque matin on allait à la plage. Les

volontaires pouvaient nager, les autres pouvaient apprendre à le faire. On profitait aussi de ce moment calme ou même parfois des vagues de la mer qui font partie de la musique de la nature, et tout cela est bon pour le corps de chacun.

Ensuite venait le moment de prière pour rendre grâce à Dieu et Lui confier la journée. La prière était suivie par la gestuation, accompagnée par la réflexion et le partage biblique. Ce partage était très riche dans le sens où on essayait de parcourir, ensemble, la Bible pour voir les points communs entre le récitatif et certains autres textes annoncés par les autres prophètes ou évangélistes et voir aussi la différence dans le langage. C’était donc le moyen efficace de permettre à chacun de nous de s’exprimer sur la Parole et le geste selon la façon dont l’Esprit lui parle. J’apprécie vivement la motivation des participants dans le partage. Pour ma part, j’ai été touché par certains mots ou phrases qui étaient fréquents dans les récitatifs : La miséricorde : En y réfléchissant,

j’ai eu l’impression qu’être miséricordieux c’est risquer de faire l’injustice, risquer d’être offensé encore par la même personne, risquer de perdre les relations avec les autres qui jugent négativement la personne. Mais après avoir travaillé sur Osée 6, 6, Matthieu 18,21-22 et lu Misericordiae Vultus (lettre du pape François ), je me suis rendu compte que le mot miséricorde parcourt toute la Bible : Dieu est Miséricordieux. « Celui qui ne risque rien, ne fait rien, n’a rien, n’est rien » (Rudyard Kipling)

L’amour : Jésus nous dit « Aimer vos ennemis… » (Luc 6, 27-28). C’est difficile à comprendre mais c'est une bonne nouvelle forte qui me dit bien que l’amour n’a pas de limites (Dieu est Amour). Nous

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l’avons aussi rencontré dans 1 Co13, 13 : « Maintenant demeurent la foi, l’espérance et l’amour tous les trois ; le plus grand des trois, c’est l’amour. »

« Occupe-toi de lui » : Dans Luc 10,25-37, le bon Samaritain confie le malade à l’hôtelier en disant : « Occupe-toi de lui, et ce que tu dépenseras en plus, moi-même, à mon retour, je te le rendrai.» J’ai longtemps écouté cette parabole, mais c’est pendant cette session que je me suis rendu compte que Jésus nous parle du bon Samaritain et en même temps de Lui-même car Lui aussi l’a fait, nous a montré l’exemple et reviendra dans la gloire.

Encore une autre chose qui m’a touché, c’est un Algérien qui venait aider à la cuisine, on a beaucoup discuté et à un certain moment je lui ai dit : « Tu es musulman ?» et j’aimerais partager sa réponse : « Oui, oui. Qu’est-ce-que tu

penses de moi ? » Merci au Père Michel qui établissait le programme du jour selon la volonté des participants, merci à ceux qui ont pensé aux ballades chaque après-midi, merci au Père Bernard pour la cuisine. Enfin, je pourrais continuer de parler de tant de bienfaits que j’ai reçus pendant cette session. Laissez-moi terminer en soulignant l’esprit de fraternité, d’humilité et de famille qui régnait dans les activités et l’importance de l’intervention de l’évêque de Constantine par sa personne

immense et sa proximité à son troupeau, avec qui on a pu discuter à propos des questions qui nous habitent tous les jours ; et à côté de cela il nous a conseillé de prêter l’oreille aux musulmans qui nous posent des questions et d'essayer d’exprimer notre foi à travers nos actes : être lumière du monde. Je vous souhaite la chance de participer aux prochaines sessions de Parole & Gestes. Merci à toutes et à tous. Que Dieu vous garde, ainsi que les lecteurs et lectrices en.

NIYONKURU Dieudonné, étudiant burundais à Oran

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DU GRAND FLEUVE AU « RÊVE BRÉSILIEN »

Je m’appelle Michel Crestin. Je suis né le 2 octobre 1953 dans une famille paysanne, à Cholet, dans le Maine-et-Loire.

Vers l’âge de 11 ans, je vis un montage diapositif, qui présentait un pays

d’Afrique, le Congo je crois. La dernière image, « un grand fleuve » bordé d’arbre, s’est imprimée dans ma mémoire. Je voulais voir ce grand fleuve !

J’ai été mis en contact à l’époque avec les Spiritains, chez lesquels j’ai étudié quelques années. Avec eux, j’ai découvert le Brésil de 1975 à 1977, pendant mon temps de service militaire, comme professeur de français et éducateur. C’est le début de « mon rêve brésilien », qui me mènera à faire des études de théologie à Paris et une formation d’éducateur à Lyon.

De 1986 à 1991, je suis envoyé à l’ile Maurice : catéchèse, sport et présence dans un centre de drogués et d’alcooliques. De 1991 à 2006, je rejoins à Madagascar un confrère qui a ouvert un centre pour s’occuper des enfants des rues, à Antananarivo, la capitale.

Je rentre en France. De 2006 à 2014, on me confie la responsabilité de notre foyer de jeunes de Valence et chaque semaine je vais visiter les détenus en prison.

Et voilà qu’au début 2015, on me propose « en guise de Brésil » de partir en Algérie. Depuis le 29 juillet, j’ai retrouvé Jean-Marc Bertrand à Sidi Bel Abbès… et c’est bien.

Que dire en brève conclusion ? Dieu s’est servi de mes rêves d’enfants et d’adolescent pour me les faire rencontrer et vivre dans des situations, des pays, avec des gens, dans des Églises … où je ne pensais pas aller. Le voyage n’est pas fini … grâce à Dieu !

Michel CRESTIN

Les anciens nous écrivent Des nouvelles de Sœur Claire-Marie (ancienne de Tounane)

Voici quelques nouvelles : Cette semaine est arrivée dans nos murs, sœur Simone Vergès des sœurs Blanches. Vous savez que nous sommes ici six congrégations différentes plus des laïcs. La maison est au complet et la liste d’attente est plutôt longue. Depuis quelques temps, les nouveaux entrants sont tous nonagénaires. Rien à voir avec la population d’il y a sept ans où nous faisions des concours de botanique et des courses au trésor dans le village.

Pour ma part, j’ai entrepris la destruction de mes archives personnelles, vu que je suis dans ma quatre-vingt-dixième année et que l’avenir se rétrécit. Cette année, l’Harmattan a édité deux livres qui étaient écrits depuis Tounane et qui dormaient dans des chemises. Avant ces deux, six autres sont sortis de leur presse. J’en vends un exemplaire par ci par là et j’en ai un autre sur l’ordinateur, mais comme je suis très occupée à revoir mes archives, il patiente. D’autres occupations me sauvent de l’en-nui : Je vais chanter et faire chanter les résidents du Cantou et au PASA, j’anime une activité à base de « blocs logiques ». En ce moment, je me passionne pour du jardinage en hauteur. (moins fatigant pour les reins) Je m’explique : Un mur de soutènement a été érigé au profit un bâtiment réservé à des bu-reaux. Ce mur est fait de parpaings disposés en quinconces. D’où les nombreux trous, lesquels ont été remplis de gravats. Un par un, je dégage ces trous, que je remplis de terre meuble où je plante des boutures de plantes grasses.

A part cela, comme tout le monde ici, j’ai des médicaments à prendre, mais je ne suis pas à plaindre. La télé est face à mon lit, je suis au courant de ce qui se passe dans le monde. (Guère réjouis-sant !) Et je suis dans la lecture d’un gros bouquin : « Les grandes étapes de la civilisation française » de Jean Thoraval (chez Bordas) Ma voix est toujours ferme et juste : ça rend service pour Laudes et pour Vêpres. Voilà en gros et presque en détails….

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Informations

Nominations :

Le frère Xema Rius Garreta a achevé son mandat de cinq ans d'économe diocésain. Après avis des différents conseils, notre évêque a nommé le 1er septembre Fayçal Benammar économe diocésain. La sœur Bernadette-Michèle Diarra est nommée économe diocésaine adjointe.

Arrivés et départs :

Nous avons la joie de voir arriver des nouveaux dans le diocèse et le regret de certains départs :

Modeste Niyibizi, prêtre fidei donum, venant du diocèse de Versailles et originaire de Rwanda. Il est nommé curé de la paroisse cathédrale d'Oran (voir son texte plus haut).

Chez les Sœurs Blanches, nous avons appris le départ d'Oran de la sœur

Appoline Traoré. La sœur Gloria a également quitté le diocèse pour retourner en Espagne, son pays d’origine. Fides ayant terminé son année de stage est partie faire son noviciat. Nous accueillerons la sœur Danuta Kmieciak de retour à Oran au terme de son mandat de Provinciale et après une année sabbatique.

Chez les Filles du Cœur Immaculé de Marie, c'est la sœur Marie-Noëlle

Coulibaly qui nous quittera d'ici le mois de décembre après ces belles années de fondation de la communauté. Elle rejoindra une communauté à Bamako. Nous accueillons sœur Rose Tyénou. Elle vient du diocèse de San mais elle a déjà été en mission à Rabat.

Chez les Spiritains, nous avons accueilli dans l'été, le frère Michel Crestin de France. Il s'est

installé à Sidi Bel-Abbès. (voir son texte plus haut) La sœur Amaya Macazaga de la communauté des Franciscaines de Marie restera finalement

en Espagne pour des raisons de santé. Dans la communauté de Notre-Dame des Apôtres, la sœur Chantal Dartois est arrivée.

Infirmière, elle résidera à Hennaya. Elle vient en Algérie après de longues années de grandes responsabilités dans sa congrégation.

Une focolarine italienne, Nadia Leoni, est arrivée à Tlemcen pour quelques mois. Originaire

de Milan elle vient d'une longue expérience au Centre International des Focolari à Castelgandolfo. Décès

Le 30 août, Ettorina Repossini, la maman de Gesim, est décédée à l’âge de 90 ans.

Le 6 septembre, Sœur Claire a perdu sa sœur, Mme Coyard née Demange Maryse, à l’âge de 69 ans.

Le 25 septembre, la maman de Gino, Cataldi Salvatrice, est décédée.

SŒUR JACQUES

Josette-Marie SOLIGNAC (Sr Jacques), dominicaine de la Présentation, est décédée à Marseille dimanche 13 septembre dans l’après-midi. Toute la famille diocésaine d’Oran accompagne notre Sœur dans l’action de grâce pour cette vie bien remplie et nous la présentons à la miséricorde du Père.

Sœur Jacques est arrivée à Oran en septembre 1954 rue de Tombouctou en M’dina Djedida. Elle a reçu une bonne formation en couture et on lui demande de remplacer au pied levé la directrice

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de l’école ménagère. Mgr Durand avait demandé des sœurs pour s’occuper des habitants du quartier. Leur première insertion se fait dans un gourbi. Plus tard, pour soigner les malades et faire travailler les filles au tissage des tapis, elles installent des tentes sur la place. Pour financer la construction du dispen-saire et des locaux communautaires, les sœurs vont quêter chez les colons et organiser des kermesses.

« Tout doucement, je prends pied dans cet univers, dit Sœur Jacques, je me familiarise avec la mentalité et les coutumes des gens qui nous entourent. Le 1er no-vembre 54 éclatent au grand jour les premiers signes de la Révolu-tion et le combat pour l’Indépendance. L’insécurité et la peur font progressivement fuir la population étrangère du quartier qui vivait jusqu'alors l’entente et la convivialité. Et bientôt, nous nous retrou-vons seules européennes dans un quartier entouré de barbelés. »

Le 9 décembre 60, une marée humaine envahit la rue de Tombouctou, incendie magasins et cafés, puis vient s’attaquer à la maison des Sœurs. Elles sont secourues par les parachutistes. Des soldats protègent désormais leur maison. Malgré la peur, les sœurs restent : « Notre présence chré-tienne au service de tous continue auprès des enfants et de la population algérienne. Lorsqu’on sort de chez nous pour aller en ville, on se demande si on reviendra sur nos pieds ou sur un brancard ; dur pour le physique comme pour le moral ! »

En novembre 61 se tient au Palais des Sports une foire exposition. Les Sœurs y présentent les travaux des filles (tapis, broderies), vendent et prennent de nombreuses commandes !

Janvier 62, explosions, hurlements et sirènes. Les militaires demandent aux Sœurs de soigner les blessés dans la cour du dispensaire. Quelques jours plus tard, un jeune militaire est tué dans le cou-loir du dispensaire. « Nous sommes au comble de l’effondrement et de la peine, mais le Seigneur est là, sa force nous permet de tenir chacune à son poste dans l’exercice de la charité mais aussi dans la souf-france. »

« Le 2 février 62, le commandant nous demande de trouver un point de chute dans le quartier européen, et nous laisse 48 h pour déménager. Imaginez ! Nous quittons ce quartier que j’ai tant aimé, où je me suis donnée à fond pour l’éducation de ses filles. Ce départ me paraît comme une fuite, comme une lâcheté alors qu’avec la violence croissante ces gens auraient tant besoin de soins, de soutien moral, d’écoute amicale, ils sont abandonnés de tous ! »

« Nous voilà à trois, dans un petit appartement du quartier européen. Mais là nous recevons chaque jour des menaces de mort dans notre boite à lettres signées OAS, nous intimant l’ordre de ne recevoir aucun Algérien. » Les Sœurs vivent alors de la solidarité des voisins et de l’Église.

5 juillet 1962 : « Le peuple algérien laisse éclater sa joie après une tension et un stress trop longtemps contenus. Mais la fête finit dans l’horreur et le sang : rapts, assassinats, règlements de comptes font de nombreuses victimes tant chez les Algériens que chez les Européens. Cela décide les hésitants parmi ces derniers à boucler leurs valises et à s’entasser la peur au ventre au port et à l’aéro-port. Mobilisées par le commandant, nous allons tous les jours vers les antennes sanitaires du port créées pour aider et soutenir le moral. Nous assistons à des scènes atroces de désespoir. Comme on se sent pauvre quand on a plus qu’une écoute et une prière à offrir ! »

Quelques jours plus tard, ce sont les Algériens qui ayant appris qu’il y a des infirmières, vien-nent frapper à la porte des Sœurs, apportant leurs malades et blessés qu’ils n’osent conduire à l’hôpital. Le dispensaire du "Bon accueil" est né, approvisionné par un colonel de l’armée algérienne qui occupe la maison de la rue de Tombouctou !

En juillet 63, des locaux sont donnés pour un dispensaire et pour accueillir et former des jeunes filles en couture et broderie jusqu’à ce que le Centre soit nationalisé en 1976. « Nouveau pas-sage, nouvelle une épreuve et …déménagement ! Dépouillement de notre Église ! »

Comme d’autres, Sr Jacques est alors au chômage et en recherche d’emploi ! Elle est embau-chée au Centre des sourds-muets de Gambetta (avec Sr Marie-Louise et Natalia) où elle enseigne la couture aux garçons avec joie et succès jusqu’en 1987, année de la retraite. C’est alors qu’elle ouvre avec Sr Pierre (broderie) et Sr Mireille (patchwork) des ateliers de couture dans leur villa de Carteaux (maison actuelle des sœurs Maliennes) pour les dames et jeunes filles du quartier avec lesquelles elles font des merveilles ! Leurs expositions sont attendues de toutes !

Mais à nouveau dans les années 90, la tension et la peur font leur apparition. Sr. Jacques est surtout affectée par l’assassinat de Pierre Claverie. Elle est réconfortée par la solidarité et le soutien

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manifestés par les dames du quartier : « Il faut rester, mes Sœurs, pour nous aider à vivre son message, nous avons besoin de vous. »

Cependant l’âge, la maladie hâteront le départ des sœurs dominicaines en 2008 pour la France où Sœur Jacques a vécu ses dernières années.

Raymond GONNET D'après un opuscule de 20 pages écrit par Sr Jacques en 2004, pour ses 50 ans de présence en Algérie.

Le matin mercredi 7 octobre René You nous a quittés dans sa quatre-vingtième année. Il était retiré en raison de son état de santé dans la maison des Spiritains en Bretagne (France)

RENÉ YOU

René est arrivé à Misserghin en 1964. Affecté à Saint-Pierre-et-Miquelon, îles françaises au large du Canada, il ne pouvait s’y rendre étant encore en convalescence en sanatorium pour cause de tuberculose. Notre ‘’Centre Artisanal et Agricole‘’ de Misserghin avait besoin d’un confrère ayant le baccalauréat pour assurer la fonction de directeur. Le climat d’Algérie lui étant plus propice que celui des îles, il y fut définitivement affecté. En fait René ne prit ses fonctions qu’en 1966. Il y restera jusqu’en 1973, date à laquelle il fut élu comme Vicaire Provincial de France. Il occupa cette fonction six années durant. Puis, de 1979 à 1981, il fit deux années d’arabe classique au PISAI de Rome. Il rejoint Claude Brehm à Sidi Bel-Abbès en 1981. Il put obtenir un contrat de professeur de français au Lycée Dar Abid jusqu’en 1987 date à laquelle on remercia tous les étrangers non arabophones. Professeur dans l’âme, il commença, à partir de 1991 à donner des cours dans les locaux de la paroisse. A part une interruption d’une année en 1998 pour raison de santé, il enseignera jusqu’en 2012.

Ce sont donc plusieurs milliers de jeunes qui ont bénéficié des qualités pédagogiques et humaines de René et qui aujourd’hui lui expriment leur reconnaissance.

Raymond GONNET Voilà quelques témoignages :

‘’ Il fait partie des "résistants" qui ont survécu aux épreuves et aidé à passer le relais à d'autres depuis 64 !

un religieux d’Algérie

Souvent je pensais à lui depuis qu'il a quitté Algérie. Je lui dois beaucoup surtout dans la période de mes premiers pas en Algérie, à Sidi Bel-Abbès où nous avons construit cette chapelle, cette communauté chrétienne avec votre communauté des Spiritains... Au fur et à mesure qu'on avance en âge on prend conscience de ce que l'histoire d'une personne a pu colorer l'histoire de l'autre, du moins pour moi-même c'est vrai. Souvent, en cette terre d'exil, ici à Rome, j'ai ces moments de forte nostalgie, où je relis cette histoire algérienne de ma vie et y vois toutes ces personnes avec qui on tisse ce tapis multicolore et qui s'en vont l'une après l'autre ces derniers temps... j'aime ces moments car ils sont si vrais, tangibles, indélébiles... ils me construisent encore.

une religieuse

Touché par votre message père Raymond, je viens avec un grand cœur partager cette grande douleur et tristesse d’un très cher père comme lui, qui était irremplaçable généreux sensible, affectif sentimental et fin. Il m’a toujours adoré moi Kouider qui était orphelin.

Je viens avec mon cœur partager cette douleur, je présente mes sincères condoléances à toute la famille de notre cher père qui restera toujours dans nos cœurs. Que Dieu ait son âme !

un ancien de Misserghin

J'ai toujours été heureux des moments passés avec René, sa profondeur, sa délicatesse, sa finesse d'analyse, son humour. Après ses années de souffrance, c'est pour lui comme une libération. Qu'il baigne désormais dans la Lumière.

un prêtre d’Algérie

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«L’ÉMIR ABDELKADER ET SON SÉJOUR AU CHÂTEAU HENRI IV DE PAU »

Le 3 octobre 2015 nous avons inau-guré la saison des conférences au centre El-Amel de Mascara avec Mme Lucie Abadia (une parente du Père Bérenguer) qui a parlé de la détention provisoire de l’Émir Abdelka-der à Pau.

L’Émir Abdelkader était non seule-ment guerrier, grand cavalier, mais aussi un humaniste, homme de lettres, penseur doté d’une grande sagesse et de spiritualité.

Mme Lucie Abadia s’est penchée surtout sur le comportement de l’Émir, l’in-fluence positive qu’il avait au sein de sa propre famille, sur sa façon de vivre. La pro-jection d’illustrations, de photos, de gravures authentiques, de tableaux de maître concré-tisait les divers événements évoqués avec une précision tellement réaliste que l’audi-toire se laissa presque embarquer à bord de «l’Asmodée» avec l’Émir et la Smala (96 per-

sonnes) le 23 Décembre

1847. Sa reddi-tion avait été faite en échange d’une promesse de l’acheminer en Terre Sainte, lui et tous ceux de son entourage qui voulaient le suivre. Mais les voilà six jours

plus tard accostant au «Lazaret» à Toulon. Les officiers français prétextent une halte passagère qui, en réalité est le début de sa captivité aux forts de Lamalgue et Malbous-quet durant deux mois puis au château de Pau, résidence proposée par Alphonse de La-martine, ministre des affaires étrangères de l’époque et correspondant de l’Émir.

Cette rupture des accords, ces pro-messes non tenues se justifiaient par le cli-mat politique instable, la France vacillant entre monarchie et république.

L’Émir et ses compagnons arrivent à Pau le 28 avril 1848, un important dispositif de surveillance les attend pour contrecarrer toute tentative d’évasion mais l’Émir refuse même la visite guidée du château en affir-mant : «Je suis dans le plus grand deuil de ma vie, celui de ma liberté». Les Palois se ruent devant la porte du château pour apercevoir le «barbare sanguinaire». L’Émir entendant le vacarme demande qu’on les fasse rentrer. La cour est vite envahie et l’Émir apparaît de la fenêtre à l’étage tout vêtu de blanc comme à son habitude, ils découvrent à leur grand étonnement, un bel homme, au teint blanc, aux yeux bleus et à la barbe très noire. Levant ses mains pour les saluer, il dégage une telle sérénité, une telle pureté qu’ils ont l’impres-sion de l’apparition d’un saint les bénissant.

Malgré son rang de chef et sa grande popularité, l’Émir éprouvait un amour sans limite et une reconnaissance éternelle à sa mère Zohra. Il aimait aussi échanger des idées avec sa femme Kheira, très instruite, qu’il chérissait, avec laquelle il partageait ses inquiétudes, ses visions et même les affaires d’État.

L’Émir était humble et se liait facile-ment d’affection, même avec les petites gens, notamment avec le plombier Rullier ap-pelé à travailler dans ses appartements, la femme et les filles de Rullier venaient même passer des moments agréables avec les femmes captives avec qui elles échangent re-cettes culinaires, sujets culturels, vestimen-taires, de coiffures «occidentalo-orientales». Le jour du départ, l’Émir n’a rien d’autre à of-frir au plombier que son propre gilet lui di-sant qu’il «était porté tellement près du cœur qu’il ne manquerait pas d’en restituer une partie».

Mme Lucie Abadia a également cité des amis qui l’ont soutenu dans sa quête hu-maniste comme Joseph Escoffier qui a de-mandé son affectation à Pau pour pouvoir le revoir. Lors de la bataille de Sidi-Youssef en

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1843 : le cheval du capitaine du second régi-ment de chasseurs d’Afrique meurt au com-bat. Le jeune trompette du régiment qui n'est autre que Joseph Escoffier donne le sien à son capitaine qui peut fuir alors que Jo-seph est fait prisonnier de l’Émir .En France, on loue son dévouement et sa bravoure. On décide donc de lui donner la légion d’hon-neur, distinction qui lui sera remise person-nellement par l’Émir avec ces mots : «J’ho-nore le courage même chez mes ennemis.»

Il reçoit également la visite de Mgr Antoine Adolphe Dupuch, premier évêque d’Alger. Leur amitié remonte à 1840, alors qu’ils avaient réussi un échange historique de prisonniers chrétiens et musulmans.

L’Émir a quarante ans, tous ceux qui l’approchent sont marqués par la finesse de ses traits, son humanité, sa curiosité scienti-fique, ses œuvres de lettres et de poésie, sa méditation et son grand cœur débordant de sagesse et précurseur des droits de l’homme.

Les derniers mots qu’il prononce à Pau en partant le 2 novembre 1848 sont pour

remercier la foule qui l’escorte pour son dé-part à Ambroise : « Je voudrais pouvoir le dire à tous les Béarnais : Jamais je n’oublierai la cordialité de leur accueil et partout où je se-rai transporté, mes vœux et mes prières se-ront toujours pour eux.»

Son parcours exemplaire est por-teur d’un message profond qui reste d’actua-lité : «Si les musulmans et les chrétiens avaient voulu me prêter leur attention, j’au-rai fait cesser leurs querelles : ils seraient de-venus extérieurement et intérieurement des frères.»

Les positions prises par l’Émir, son comportement digne, son amour d’autrui, sa tolérance envers toutes les religions ont ins-piré l’humanité, c’est pour cela que nous ne remercierons jamais assez ceux et celles qui lui rendent hommage et qui le font revivre à travers leurs recherches, leurs exposés et leurs travaux, telle l’historienne Mme Lucie Abadia.

MATOUB Amine

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• Église universelle et églises locales… J.-P. Vesco 3 • Retour de synode J.-P. Vesco 4

• Santa Cruz aux dernières nouvelles N. Chehab 6 • Mariapolis 2015, un bon cru D. Lucas 7 • Rencontre diocésaine à Tlemcen H. Le Bouquin 8 • Les multiples anniversaires… C. Tarot 9 • Le couscous vernaculaire A. Le Coutour 11 • Les soirées de Ramadan M. Reding 12 • Ma grande joie de venir à Oran M. Niyibizi 13 • Taizé France – Taizé Tlemcen Collectif 14 • Parole et Geste D. Niyonkuru 16 • Du grand fleuve au "rêve brésilien" M. Crestin 18 • Les nouvelles de Sr Claire-Marie 18 • Informations 19 • Sr Jacques 19 • René You 21 • "L'Émir Abdelkader au château de Pau" A. Matoub 22

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