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Ce numéro assez classique, allant d'une réflexion sur la liberté à la présentation d'un philosophe syrien, offre la nouveauté de la photographie qui n'avait encore jamais été traitée dans notre revue. Bonne lecture !
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Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 1
LE REGARD LIBRE Journal dopinion ralis par des tudiants depuis 2014
Fvrier / mars 2015 | N 09
02 | Editorial et image du
mois
03 | Architecture : Le Palais
des Tuileries
06 | Philosophie : Mdita-
tions syriennes
09 | Spiritualit : Ladver-
saire
11 | Photographie : Les bases
de la photographie
13 | Forum : Rflexions sur la
libert
15 | Citations www.photos-galeries.com
Le Palais des Tuileries : une histoire sombre Page 3
Vos articles portant sur la philosophie, la politique, la littrature, la musique, la
spiritualit, le cinma ou un autre domaine digne dintrt sont les bienvenus. Nous
nous rjouissons de vos commentaires et de vos propositions.
Contact : Jonas Follonier | Classe 5A | [email protected]
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Visitez notre site Web www.leregardlibre.wordpress.com
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 2
02 DIVERS
JONAS FOLLONIER Rdacteur en chef
ditorial
Vive la politique
Il y a environ deux millnaires, les Grecs anciens inventaient la dmocratie. Il ne sagissait pas
du systme que lon connat actuellement, certes, mais lide tait l : lindividu devenait citoyen
et participait la vie de la cit comme il lavait en fait toujours fait, mais une organisation tait
ne tout comme une forme de premire politique.
Souvent lenfermement des jeunes dans leur petit milieu leur font croire que la politique est un
jeu de puissants qui mangent beaucoup et boivent normment.
Si la deuxime partie de la phrase nest pas forcment fausse, la premire si. Pour faire moi-
mme lexprience de lengagement politique, je suis heureux dannoncer quil suffit dun peu de
volont et dintrt pour toucher la chose publique, pas besoin ncessairement dargent ou de
tradition familiale. Linvestissement suffit et il est prcieux.
Il est trs important que les jeunes citoyens nourrissent les dbats actuels et soient les acteurs de
leur libert (il ne suffit pas den disposer, il faut en user) : cette qualit de ltre humain nous
permet de faire chaque jour des petits choix qui influenceront considrablement notre quotidien.
Mes amis, chers citoyens chanceux et suisses, je vous invite prendre part ce monde
magnifique et vous souhaite un beau printemps.
Le comit (incomplet) du PJV lors de la Session des Jeunes du mardi 24 mars 2015
Limage du mois (Photo de Florent Aymon)
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 3
03 ARCHITECTURE
Un article de VINCENT GAUYE
Le Palais des Tuileries
Son nom voque sans conteste son origine. En effet, il fut rig lemplacement dune
fabrique de tuiles, en 1564, par Catherine de Mdicis. Il est intressant de constater quil
fut bti face la puissante forteresse du Louvre, alors bien loigne de larchitecture de
celui que nous connaissons. En effet, loin des larges baies, ouvertes sur Paris, ce sont
daustres courtines de moellons et de hautes tours troites et sinistres qui le composent.
Imaginons la raction de Catherine de Mdicis face cet ouvrage au raffinement
dplorable, elle qui descend de Laurent le magnifique, mcne des arts et de la
Renaissance, loigne depuis des sicles de laustrit mdivale. Elle sen vient Paris
pour pouser le futur Henri II, elle quitte la Renaissance pour le Moyen-ge. En effet, si
Franois 1er rgne encore en ces temps-l et dploie dj, le long de la Loire, les grces de
la Renaissance, Paris demeure mdivale, clotre derrire ses longs et froids remparts
de pierre grise. Ma foi, malgr la monte de son poux sur le trne, il faudra attendre la
fin de sa rgence (1563) pour voir les premiers projets du Palais des Tuileries aboutir.
Notons toutefois la rfection dune aile du Louvre par Franois 1er en 1546, qui va
inspirer le style de ce palais, par souci dhomognit. Ce sont Philibert Delorme puis
Jean Bullant qui le btissent. Le plan tait bien plus ambitieux et comportait de nom-
breuses arrire-cours qui laissrent place une structure bien plus simple, mais dune
lgance sans bornes. Un pavillon central abritait alors un somptueux escalier de
marbre, bien des
gards le plus beau de
son temps et le plus
fastueux. Ce pavillon
tait prolong par deux
ailes, dont lune termi-
ne par le pavillon Bul-
lant datant de 1570.
Henri IV, ds 1607, d-
buta la construction
dune longue aile qui
reliait le pavillon Bul-
lant au complexe du
Louvre, alors en cours
de mtamorphose Re- http://photos.wikimapia.org/p/00/01/00/02/32_big.jpg
Suite p. 4
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 4
04 ARCHITECTURE
naissance. Cet impressionnant prolongement, abritant une longue Galerie, fut nomm
Le Grand Dessein . Louis XIII et Louis XIV enrichirent le Louvre de cours et de nobles
faades jusquau dpart de la cour Versailles. Les immenses travaux cessrent et les
Tuileries, aussi bien que le Louvre, furent dlaisses progressivement. Mais ce nest pas
seulement ce dpart qui freine les ambitieux projets alors en cours, mais bel et bien cet
amas dhabitations qui semble sparer indfiniment le Louvre des Tuileries.
Si le Louvre depuis Philippe-Auguste jusqu Louis XIV, et Versailles, depuis ce dernier jusqu Louis XVI, furent les rsidences Royales officielles, Les Tuileries y succdrent, ds 1789, avec le retour de la famille royale Paris.
En 1792, le Palais fut investi par la foule, massacrant les gardes suisses et pillant le
royal logis.
Lon y installa la Convention en 1793 puis le premier Consul Napolon 1er. Ce dernier, avide de prestige et de grandeur, perut cet ensemble royal non comme abouti, mais
comme un dfi qui devait asseoir et lgitimer son pouvoir. En symtrie au Grand Des-
sein dHenri IV, il fit dbuter une longue galerie et rasa le quartier qui faisait obstacle lunit Louvre-Tuileries.
Cest seulement sous le Second Empire (Napolon III) que ces deux palais royaux ne fi-rent plus quun. Ainsi termin, le chteau imprial se compose comme suit : louest, une grande cour rectangulaire, ferme par les tuileries et encadre par les longues ailes
du Grand Dessein ; lest, lemplacement de la forteresse primitive, une cour carre.
Aujourdhui, lon ne parle plus que du jardin des Tuileries, et la cour ouest souvre sur ces derniers. Mais quen est-il des Tuileries ? O est donc pass le palais renaissance de Catherine de Mdicis, dHenri IV, de Louis XIII, de Louis XIV, de Louis XVI et de Napo-lon ?
Reprenons. la chute du premier Empire, le frre de Louis XVI, le Roy lgitime de
France, Louis XVIII, Comte de Provence, restaure la monarchie en France. Ce dernier
sinstalle aux Tuileries. Cest de l aussi que rgnera Charles X, troisime frre du mal-heureux Roy. Cest en ce mme palais que natra en 1820, de la tmraire Duchesse de Berry, Henri dArtois, Comte de Chambord. De Palais Imprial, il devint ainsi Palais de la Restauration. Mais avec la rvolution de 1830, il fut nouveau pill.
En 1831, pour lgitimer son pouvoir, lexemple de Napolon 1er, Louis-Philippe sinstalle aux Tuileries, alors vandalises. Il y fait de nombreuses rfections, mais sa chute conduit un troisime et invitable pillage. Encore heureux quil ne ft point in-cendi. En effet, il y eut une dispute entre deux partis. Les uns prnaient son pillage
pour enrichir le peuple, et les autres sa destruction pour effacer les maux qui y
avaient rgn.
La venue de Napolon III en 1852 redora le blason de cette maison et vit le projet voulu
par Henri IV achev. Balanant entre Restauration et Empire, ce Palais aura toujours
t aurol dune aura de prestige et danti-rvolution.
Suite p. 5
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 5
05 ARCHITECTURE
Que pensait un rvolutionnaire
convaincu, de lEmpire et de la Restauration ? Ctait pour lui une vidence : lchec de la R-volution, un pass absolutiste
radiquer ! Quel objet reprsen-
tait le mieux cet chec ? Les
Tuileries, assurment ! De l, il
ne restait plus qu porter la coupe aux lvres. Mais pour ce
faire, il fallait le pouvoir. Ce
pouvoir, ils leurent la chute du Second Empire, au lende-
main de la dfaite de Sedan et
de linvasion prussienne. La France eut tt fait constituer la
Commune, assemble aux re-
lents rvolutionnaires absolus.
Durant deux mois, Paris vcut
une reconstitution historique
des dboires de la Rvolution.
C'est lissu dune runion ab-jecte de ces mcrants, le 23
mai, que lon vit le royal monument tre la proie aux flammes de lenfer rvolution-naire ; que lon vit ce dernier membre de pierre demeurer en vie steindre jamais !
Ceux qui avaient triomph en 1848 seffaaient devant les misrables pyromanes. On lavait pill et brl ! Que dire de lmotion des Parisiens lorsque lon vit ses structures noircies par les flammes seffondrer leur tour dans un vacarme puissant et dans une poussire absolue ? Quelle fut la pense dHenri V voir son peuple dtruire sa demeure qui lui semblait pourtant si proche ?
Les pierres du chteau taient peine refroi-dies quand, le dimanche
2 juillet, un fiacre tran par un cheval tique, sarrtait langle de la rue de Rivoli et du pa-villon de Marsan et, sans mettre pied terre, un homme, du fond de la voiture, considrait, les yeux gros de larmes, les murs calcins. Ctait le comte de Chambord, le petit duc de Bordeaux dautrefois, dont, un demi-sicle auparavant, les salves, les cloches, les vivats avaient salu la naissance. Oh ! disait-il son compagnon, voil les deux fentres de ma chambre ; voil celle au bas de laquelle taient mes jouets : une tente de campement, des tambours, de grands soldats de plomb ! Voici la fentre du cabinet o mes professeurs me donnaient des leons ; ici, tait lappartement de ma mre et plus loin, celui o logeait le roi, mon grand-pre Tenez, mon ami, allons-nous-en ; je souffre trop ; allons-nous-en !
Extrait de Les Tuileries fastes et malfices dun palais disparu
G. LENOTRE
http://www.lesechos.fr/medias/diaporamas/2209/DIAP220911426_A07B5E/PD_p225.jpg
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 6
06 PHILOSOPHIE
Une pense de SOIAMICA
Mditations syriennes
Perte de la vue puis perte de la foi et de la destination : Aussi ma nuit extrme est-elle trois nuits.
Abul Ala Al-Maari
N en 973 aprs J.-C. prs dAlep en Syrie, Abul Ala Al-Maari est un des plus grands
potes et penseurs de lge dor islamique. Il devint aveugle ds quatre ans, ce qui ne
lempchera pas de faire ses tudes Alep, Antioche et Tripoli, et de publier un premier
recueil de posies philosophiques intitul Saqt az-zand, soit l'tincelle d'Amadou. Deve-
nu populaire, il est invit par les prestigieuses instances intellectuelles de Bagdad, aux-
quelles il refuse de vendre une partie de ses uvres et dont il perdra par consquent le
soutien. Il rentre alors en 1010 en Syrie o il mne une vie dascte jusqu la fin de sa
vie en 1057, retir dans une modeste maison. la fois respect pour ses talents litt-
raires et blm pour laudace de sa pense libre, Al-Maari crit son deuxime ouvrage, la
Ncessit de ce qui nest pas Ncessaire (Luzum ma lam yalzam), suivi de lEptre du
Pardon (Risalat al-ghufran), auquel on comparera souvent la Divine comdie de Dante.
Son uvre se terminera avec le recueil dhomlies Al-Fusul wa al-ghayat, littralement
Paragraphes et Priodes. Une grande partie de ses crits est aujourdhui malheureuse-
ment perdue.
Contemporain dAvicenne et prdcesseur dAverros, sa philosophie reflte un tre lu-
cide, tourment par le monde auquel il appartient mais dont il ne comprend pas le sens.
Al-Maari est empreint dun certain pessimisme sur lexistence et la condition humaine,
du mal de vivre, de doutes sur la survie de lme aprs la mort, et surtout dun profond
scepticisme quant aux convictions religieuses, quelles soient musulmanes comme la
culture dans laquelle il fut lev ou autres. Ce libre penseur, qui navait peur des mots
et qui tait provocateur dj son poque, sera par ailleurs encore censur 1000 ans plus
tard, lors du Salon International du Livre dAlger. Refusant les croyances et faisant
lloge de la raison, Al-Maari, outre ses provocations sur les hommes et les religions,
peut encore actuellement apporter des clefs de lecture et ouvrir le dbat sur les sujets
difficiles et polmiques que sont les croyances personnelles.
Arrtons-nous sur quelques extraits de son second recueil "la Ncessit de ce qui nest
pas Ncessaire", exemples de ses doutes face aux vrits prtablies et de sa misanthro-
pie :
Suite p. 7
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 7
07 PHILOSOPHIE
La vrit est soleil recouvert de tnbres
Elle n'a pas d'aube dans les yeux des humains.
La raison, pour le genre humain
Est un spectre qui passe son chemin.
Foi, incroyance, rumeurs colportes,
Coran, Torah, vangile
Prescrivant leurs lois ...
toute gnration ses mensonges
Que lon sempresse de croire et consigner.
Une gnration se distinguera-t-elle, un jour,
En suivant la vrit ?
Deux sortes de gens sur la terre:
Ceux qui ont la raison sans religion,
Et ceux qui ont la religion et manquent de raison.
Tous les hommes se htent vers la dcomposition,
Toutes les religions se valent dans l'garement.
Si on me demande quelle est ma doctrine,
Elle est claire :
Ne suis-je pas, comme les autres,
Un imbcile ?
Un tel discours, crit il y a environ un millnaire, choque encore nos points de vues et
croyances dhomme moderne : les paroles sont tranchantes, les attaques sans scrupules,
et la solution au dni des religions se trouve tristement dans le dni de lhomme. On peut
reprocher au pote ses prises de positions trop catgoriques, diffamatoires ou irrespec-
tueuses.
Cependant, au-del des jugements de valeurs, que lon adhre ou non ses ides, Al-
Maari donne rflchir : il pose la question dune vrit qui relierait les hommes dans
leur existence, et non pas dans une vie aprs la mort, comme le proposent une grande
partie des religions. limage dAlbert Camus, le penseur refuse de "sillusionner", cest-
-dire de spculer sur la mort et ce qui viendrait aprs ; il refuse les thories tentant
dexpliquer le cosmos ou encore les affirmations sans justification pralable des
croyances sur certains aspects de la vie. Son deuxime recueil va mme jusqu ne placer
quune seule certitude : celle du Nant, qui entoure de prs ou de loin lhomme tout au
long de sa vie. Apparat alors un paradoxe amusant entre le personnage et sa philoso-
phie : misanthrope, Al-Maari place pourtant la raison humaine au centre dun
Suite p. 8
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 8
08 PHILOSOPHIE
processus de rflexion qui permettrait de trouver une vrit universelle, commune tous
les hommes, cela indpendamment du fait quils soient musulmans, juifs, chrtiens, zo-
roastriens, athes etc
Cette ide dhumanisme me plat particulirement. Elle nest ni purement nihiliste ni
entirement relativiste, comme elle peut le paratre au premier abord : elle laisse cha-
cun une marge de manuvre suffisante en dautres termes une libert de choisir
sans crainte de rpressions ce quoi lon veut adhrer, de refuser de se soumettre des
systmes de penses dans lesquels on ne se reconnat pas. Au mme titre, elle empche
dimposer aux autres ses propres croyances du simple fait que lon pense avoir raison.
Paradoxalement encore une fois, outre le pessimisme et la misanthropie dAl-Maari, sa
philosophie remet en question nos propres convictions, mais aussi les diffrentes doc-
trines, quelles soient religieuses ou agnostiques. Elle nous permet de prendre du recul
sur notre poque, o malgr tous les discours et les luttes que lon fait au nom et en vue
de la libert, le fondamentalisme religieux ne sest jamais fait autant ressentir. Elle ap-
porte enfin un idal de tolrance envers tous, permettant chacun de spanouir dans un
cadre qui, loin dopprimer, de stigmatiser et dinterdire, noffre que lopportunit de vivre
heureux dans le respect des diffrences.
mditer.
J'ai vu se repentir des athes
A l'approche de la tombe.
Je nai pas choisi que ma lampe steigne
Mais lhuile a trahi lallumeur.
Les hommes sont pomes rcits par leur destin
Parmi eux le vers libre et le vers enchan.
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 9
09 SPIRITUALIT
Une chronique de LORIS MUSUMECI
Ladversaire
Quil ne joue pas la comdie pour les autres, jen suis sr, mais est-ce que le menteur
qui est en lui ne la lui joue pas ? Quand le Christ vient dans son cur, quand la certitude
dtre aim malgr tout fait couler sur ces joues des larmes de joie, est-ce que ce nest pas
encore lAdversaire qui le trompe ?
Jai pens qucrire cette histoire ne pouvait tre quun crime ou une prire.
Paris, janvier 1999
Jean-Claude Romand : Pre de famille idal, fils consciencieux, grand mdecin
succs et menteur, assassin, fou.
Son histoire est celle dun homme banal, qui pendant dix-huit ans a menti sur tout tout
le monde. Et tout clate le 9 janvier 1993, lorsquil tue sa femme, ses enfants, ses parents
et tente, sans succs, de se suicider. On dcouvre alors quil ntait pas mdecin lOMS
comme il le prtendait. Il ntait rien. Durant toutes ces annes, sans lombre dun doute,
sa famille, ses amis le crurent dans ce mensonge dune vie, mais au moment o la vrit
sapprta dchirer le voile de limposture pour ressurgir la lumire, Jean-Claude
Romand ne trouva dautre issue que dassassiner ceux quil aimait , ceux qui eussent
t meurtris par cette vrit touffe, si vieille et nouvelle la fois.
Cependant, le plus malheureux dans cette histoire, cest quelle est relle. Emmanuel
Carrre crivit en effet le tmoignage de ce fait divers entre 1993 et 1999, pour le
publier enfin en 2000 sous le nom silencieux et parlant de LAdversaire.
La lecture de ce rapport est lune de celles qui donnent vraiment un malaise profond.
Plus que dun simple malaise que lon ressent, il sagit en fait dune angoisse viscrale.
Carrre russit crire de manire ce que le lecteur vive vritablement le mensonge de
Jean-Claude Romand, en effet on touffe dans le mme couloir troit et sombre de la
tromperie, on souffre avec lui, mais aussi avec ses proches et leur ignorance de la vrit.
Il viendrait mme parfois lenvie de hurler cette ralit des faits dissimule et esprer
que quelquun puisse lentendre lintrieur des pages de ce livre. Toutefois, le plus
trange demeure lopposition des sentiments que lon prouve lgard de la personne
elle-mme du protagoniste principal ; il y a tantt une haine rpugne qui pleure et crie
envers ce monstre qui a, depuis quasiment une vie, vomi de tout son estomac sur la
confiance que lui donnaient au quotidien ceux qui laimaient, et tantt une tendre com-
Suite p. 10
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 10
10 SPIRITUALIT
passion pour cet tre compltement perdu dans son mensonge, qui nest en fait que le
fruit sale et puant de moisissure dune simple crise de jeunesse.
De plus, le titre en lui-mme, LAdversaire, regorge de sens et de questionnements. Il
apparat dailleurs pour la premire fois au dbut de lcrit, lorsque Carrre prsente au
lecteur la situation et quil parle des parents de Jean-Claude Romand : Ils auraient d
voir Dieu et sa place il avaient vu, prenant les traits de leur fils bien-aim, celui que la
Bible appelle le satan, cest--dire lAdversaire. Par cette vocation du satan en nom
commun, qui amne ensuite l Adversaire en nom propre, on comprend bien que ce
tmoignage porte une vritable rflexion, dun point de vue plus religieux, sur le
personnage du diable et des diffrents aspects quil peut incarner, mais surtout une
problmatique sur le mal en gnral, cet Adversaire universel. Et cest l que lon
peut mieux comprendre alors la souffrance prouve la lecture de ce rapport, on
retrouve en fait, par le personnage de Jean-Claude Romand et son mensonge, ce
satan qui est en chacun de nous, par le combat du protagoniste, on y voit notre
propre combat contre le mal qui nous tourne autour tel un amas de mouches, filles de
Belzbuth (en hbreu : roi des mouches). Nous sommes de nature aimer la vrit, et
cest elle en effet qui nous met sur voie du bonheur, mais lorsque surgit, dans une
bnignit apparente au dbut, lAdversaire, le Mensonge, il ny a que la force de rester
fermement en amiti avec la ralit qui peut nous sauver, parce quau fond cest dans
lillusion que nous plonge le mal. On pourrait mme dire que lemprise de ce mal sur
nous, cest lillusion perptuelle, en dautres termes : lenfer.
LAdversaire jette alors en pleine lumire, par lexcellente
criture de Carrre, la tragdie du mensonge et ses
consquences dsastreuses, incarnes par Jean-Claude
Romand, cette victime du Mal, quau fond personne ne
peut juger. La seule chose que nous puissions et devions
mme, de par notre responsabilit humaine, faire aprs
la lecture de ce tmoignage, cest, dans un schma
camusien de labsurde en effet le mensonge est absurde
, prendre conscience, reprer clairement ce Mensonge, se
rvolter contre lui en le refusant moralement mais en
acceptant la faiblesse de lerreur humaine du menteur
( accepter ne signifie pas pour autant justifier ), et
lutter par lamour vrai, celui de lamiti authentique,
dans la Confiance inconditionnelle envers lautre.
Oui, le pire ennemi de cet Adversaire dont il est question
est sans aucun doute lAmiti.
Suite p. 11
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 11
11 PHOTOGRAPHIE
Une prsentation de JOSPHINE VUIGNIER
Les bases de la photographie
Tout photographe dsireux de sortir du mode automatique a d intgrer des notions
techniques de photographie avant de pouvoir jouer avec ces dernires afin de progresser
et de crer les effets dsirs. Ces bases techniques relvent du domaine de la physique et
de la chimie, ensuite viennent les bases acadmiques (rgles des tiers, perspectives, ).
Il y a trois principes importants prendre en compte pour commencer la photographie et
avoir la bonne quantit de lumire : la sensibilit, louverture du diaphragme et la
vitesse dobturation.
La sensibilit (ISO ou ASA) : Jadis, dans la photo argentique se trouvaient sur la
pellicule des grains d'argent qui ragissaient la lumire (importance de la chimie).
Lorsque la lumire frappait les grains, ils noircissaient ; sans lumire, ils ne
ragissaient pas (do les ngatifs). Le concept reste le mme lors du passage au
numrique, les grains dargent sont juste remplacs par des capteurs. Ces capteurs ou
grains ont un certain taux de raction la lumire, indiqu par les ISO (appel ASA sous
lre de largentique). Plus les ISO sont hauts, plus les capteurs sont sensibles la
lumire, donc moins il en faudra ; au contraire, plus les ISO sont bas, moins les capteurs
seront sensibles, par consquent plus de lumire sera ncessaire. Pour un paysage au
soleil fort de Barcelone, on choisira une faible sensibilit, par exemple 100 ISO pour ne
pas obtenir une photo surexpose (trop claire). Pour un concert faible clairage, on
favorisera une grande sensibilit 6400 ISO, afin que la photo ne soit pas sous-expose
(trop sombre). Le choix de la sensibilit modifie aussi le bruit (effet pixellis ,
granuleux). Si la sensibilit est faible (petit nombre), il y aura peu de bruit. A l'inverse, si
la sensibilit est haute (grand nombre), il y aura plus de bruit. On privilgie donc une
basse sensibilit pour les photos darchitecture o les dtails sont importants. L'impact
du bruit reste tout de mme ngligeable.
ISO 100 ISO 6400
Beaucoup de lumire Peu de lumire
Peu de bruit Beaucoup de bruit
Louverture du diaphragme : Le diaphragme est lquivalent de la pupille de lil, il doit
s'adapter la lumire. En cas de fort ensoleillement, il faut une petite ouverture pour
laisser passer moins de lumire et dans la pnombre une grande ouverture, toujours
dans le but dobtenir un rsultat ni surexpos ni sous-expos. La notation f/2 correspond
une grande ouverture, f/16 une petite.
Suite p. 12
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 12
12 PHOTOGRAPHIE
Louverture du diaphragme influence la profondeur de champ (importance de la
physique), cest dire la zone dans laquelle le sujet de la photo sera net. Une grande
ouverture (chiffre bas) cre une courte profondeur de champ. On opte donc pour ce type
de rglage dans les portraits afin davoir un flou artistique , ou bokeh , larrire-
plan. A linverse, une petite ouverture (chiffre haut) cre une grande profondeur : nous
lutilisons gnralement pour les paysages en vue dune nettet sur tous les plans.
La vitesse dobturation : Autrement appel temps de pose ou dure dexposition, il sagit
du laps de temps durant lequel la lumire frappe les capteurs. Si nous manquons
dclairage, la vitesse dobturation devra tre plus longue (1) que sil y a beaucoup de
lumire (1/2000 sec). Ce paramtre permet de crer une impression dimmobilit ou de
mouvement. Si vous voulez photographier un cycliste vive allure et dsirez l'avoir net,
une vitesse rapide sera ncessaire. Si vous souhaitez un effet fil vous opterez pour un
temps de pose plus long.
Lorsque vous prendrez votre prochaine photo, focalisez-vous sur l'effet que vous dsirez
rendre. Faites le rglage adquat et adaptez les autres paramtres afin datteindre une
exposition correcte. Dornavant, vous pouvez abandonner le mode automatique et grer
avec prcision le rendu de vos photos.
La rdaction vous suggre les
nouveaux ouvrages suivants :
Un jour je men irai sans en avoir
tout dit (Jean dOrmesson, Robert
Laffont, 2013)
Meursault, contre-enqute (Kamel
Daoud, Actes Sud, 2014)
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 13
13 FORUM
Une pense de SBASTIEN OREILLER
Rflexion sur la libert
Tout le monde se casse les dents sur la libert, tant le sujet est vaste et pineux. Sartre
disait : La libert, cest vouloir ce que lon peut. En lieu dune dfinition, voil un
plonasme, un sophisme mme, qui napprend rien sur la libert en tant que telle. Sartre
se contente de prciser les conditions dans lesquelles sexerce cette fameuse libert, sans
prciser ce que lon peut vraiment noter dailleurs que lon ne peut pas quelque chose
mais que lon peut faire quelque chose. La libert se pose en actes. Nuance. La
rciproque mme aurait t plus constructive, savoir que nest pas libre celui qui
recherche ce quil ne peut atteindre. Mais a, tout le monde le sait ; le philosophe de
lexistentialisme tourne autour du pot. Lminent pre du Zarathoustra lui aussi prfre
rester dans le vague : La libert, cest davoir la volont dtre responsable de soi-
mme. Or, on est libre parce que lon a la volont dtre responsable de soi-mme. Cest
une cause, non la libert en soi. Ajoutons que le mot mme de libert est un concept
dsagrable qui ne renvoie rien. Il ny a pas de libert : il ny a que des tres libres ou
non. Il faut donc en revenir au fait physique, si simple et effrayant parce que si
dangereux : tre libre, cest faire ce que lon veut. A cela, il faut ajouter lindispensable
corollaire social : tre libre, cest faire ce que lon veut, quitte en payer les
consquences.
On entend souvent dire que la libert sarrte l o celle des autres commence. Or, la
libert ne connait pas de limites physiques. Quand on pose un acte, on est entirement
libre de le faire ou on ne lest pas. Il ny a pas de demi-mesures. Le reste est un pacte
social qui na rien voir avec la libert : chacun dispose de sa propre intgrit mais pas
de celle des autres. Je peux trs bien prendre le risque de dclencher une avalanche et
dtre emport, cela ne concerne que moi ; par contre, je nai pas le droit de mettre en
danger les skieurs en-dessous de moi en dclenchant une coule. Quoi quil en soit, je
suis tout fait libre de le faire si je suis prt avoir la mort des autres sur ma
conscience et/ou tre condamn. Ergo : je nai pas le droit de faire cela, pourtant,
partir du moment o rien ne men empche, je suis libre de poser consciemment cet acte
ou non. Cest le libre arbitre. On voit donc que le droit et la libert sopposent. Le droit
est l pour viter lanarchie dans la communaut, il est fix par des rgles et garantit
une cohsion au groupe. Corollaire n1 : fixer la libert comme une valeur intrinsque
dun tat, cest la porte ouverte tous les abus, tant donn que la libert, partir du
Suite p. 14
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 14
14 FORUM
moment o elle existe, dpend de lindividu et ne se matrise pas. Corollaire no2 :
lhomme libre est toujours un criminel le premier tre libre de la tradition occidentale,
et le premier en payer le prix, nest autre que Satan, il faut le rappeler.
On voit donc le danger que reprsente le libre arbitre pour la socit. Si chacun
commence appliquer lui-mme sa libert selon ce qui lui semble bon, la cohabitation
devient vite un cauchemar. Ltat et la religion fonctionnent donc comme des entraves
ncessaires la libert pour garantir la cohsion du groupe : ils fixent des rgles et des
chtiments si les rgles sont entraves. Dans le troupeau, la peur de la punition limite
donc lexercice de la libert. Le thologien Hans Kng navait pas tout tort en qualifiant
le pape Jean-Paul II de dictateur qui voulait supprimer le libre arbitre en faisant primer
le dogme et la tradition sur lexercice de la conscience. Ce quil faut comprendre, cest que
de pareilles restrictions ont lieu dexister et sont mme ncessaires pour la masse du
troupeau, peu duque et primitive. Rien nempche les tres plus intelligents
dappliquer leur libert suivant leur libre arbitre, sil leffet obtenu est plus important
pour eux que le chtiment. Lexercice rel de la libert pas le semblant dindpendance
prsent au peuple pour quil se tienne tranquille est donc par dfinition un plaisir
rserv une lite. Plus encore, la libert est la caractristique de lhomme noble, celui
qui impose ses valeurs au troupeau, par opposition lesclave qui les subit. Nest pas
libre qui veut.
Si la libert, cest faire ce que lon veut, quitte en payer les consquences, on peut donc
dire que plus les consquences sont pesantes, plus la libert est grande. La libert
suprme, cest poser son acte dlibrment tout en sachant que lon va en souffrir. Et ce
pour le meilleur comme pour le pire La douleur a donc un effet thrapeutique, comme
le prtend Nietzsche. Pour faire un tel choix, il faut avoir du courage, il faut oser se
sacrifier soi-mme. Le tragique est lexpression de cette crise, cest le conflit entre un
vouloir vivre et une entrave irrparable la libert. Or, les hros sont les tres nobles
par excellence, ceux qui ne supportent pas dtre enchans, ceux pour qui la mort est
prfrable la suppression de la libert. Ou vivre noblement, ou noblement prir nous
dit Ajax. Pour le hros (du grec : matre, chef, noble), vivre noblement cest vivre en
homme libre. Voil pourquoi Antigone prfre mourir plutt que dtre prive de la
libert denterrer son frre. Petit corollaire : si le personnage tragique est celui qui
ressent au plus profond de lui-mme la privation de la libert, et que le hros est par
dfinition un homme libre, on peut dire que tout hros est tragique. Ceux que lon
nomme les hros du quotidien eux-mmes, ce sont les hommes prts tout pour dfendre
leur libert (et parfois celle des autres) et nen supportent pas la privation. Un hros qui
ne se bat pas pour sa libert, dune manire ou dune autre, nest pas un hros
Le Regard Libre | Fvrier / Mars 2015 | N 09 15
Ce qui importe, ce nest pas la
vie ternelle, cest lternelle
vivacit.
Friedrich Nietzsche
De qui et de quoi en effet puis-
je dire : Je connais cela ! Ce
cur en moi, je puis lprouver
et je juge quil existe. Ce monde,
je puis le toucher et je juge
encore quil existe. L sarrte
toute ma science, le reste est
construction.
Albert Camus
To everything there is a
season. Yes. A time to build up.
Yes. A time to keep silence and a
time to speak. Yes, all that. But
what else. What else ?
Something, something
Ray Bradbury
Je nai pas rejoint le chur des
moralistes qui recherchent ce
quils dnoncent et qui con-
damnent ce quils poursuivent.
Largent est un mal, bien sr
mais un mal ncessaire, et
souvent agrable.
Jean dOrmesson
15 CITATIONS
On nest pas dun pays, on est
dune solitude.
Roger Hanin
Un seul tre vous manque, et
tout est dpeupl.
Alphonse de Lamartine
Cest lenseignement de la
langue qui compte. La syntaxe,
cest la verticalit ; le
vocabulaire, cest les nuances ;
lorthographe, cest savoir ce que
lon dit. Limportance, ce ne sont
pas les valeurs, cest la rigueur.
Lcole daujourdhui est pleine
damour, pleine de sollicitude.
force damour, elle a chass la
Rpublique. Il faut que la
Rpublique revienne dans lcole
avec la rigueur, si cest encore
possible. Je doute que ce le soit
dans tous les endroits, mais les
sociologues mexpliqueront le
contraire.
Alain Finkielkraut