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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article « Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché identitaire à l’appropriation artistique » Lisa Fitzpatrick et Joël Beddows L'Annuaire théâtral : revue québécoise d’études théâtrales, n° 40, 2006, p. 103-118. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/041655ar DOI: 10.7202/041655ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Document téléchargé le 13 février 2017 08:01

Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

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Page 1: Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

Eacuterudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composeacute de lUniversiteacute de Montreacuteal lUniversiteacute Laval et lUniversiteacute du Queacutebec agrave

Montreacuteal Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche Eacuterudit offre des services deacutedition numeacuterique de documents

scientifiques depuis 1998

Pour communiquer avec les responsables dEacuterudit infoeruditorg

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laquo Le theacuteacirctre irlandais agrave Toronto et agrave Montreacuteal du clicheacute identitaire agrave lrsquoappropriation artistique raquo Lisa Fitzpatrick et Joeumll BeddowsLAnnuaire theacuteacirctral revue queacutebeacutecoise drsquoeacutetudes theacuteacirctrales ndeg 40 2006 p 103-118

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URI httpideruditorgiderudit041655ar

DOI 107202041655ar

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Lisa F i tzpatr ick Universiteacute cTUIster

Joeumll Beddows Universiteacute dOttawa

Le theacuteacirctre irlandais agrave Toronto et agrave Montreacuteal du clicheacute identitaire agrave lappropriation artistique

Les metteurs en scegravene abordent en geacuteneacuteral les œuvres theacuteacirctrales eacutetrangegraveres selon deux logiques soit en y cherchant des ressemblances avec la production de leur propre pays et donc en laissant plus ou moins de cocircteacute

leur speacutecificiteacute estheacutetique soit au contraire en soulignant leur originaliteacute Cest ainsi que pendant les anneacutees 80 le theacuteacirctre allemand a eacuteteacute consideacutereacute comme un laquo reacuteservoir dalteacuteriteacute raquo pour le theacuteacirctre queacutebeacutecois La multiplication du nombre de piegraveces germaniques qui furent alors monteacutees reacutesultait moins dune mode que de la volonteacute des artistes queacutebeacutecois de remettre en question certaines normes agrave leacutepoque bien ancreacutees et dexplorer de nouvelles traditions theacuteacirctrales et dramaturgiques tout en affirmant luniversaliteacute dune jeune tradition nationale Ce nest pas un effet du hasard si nombre de piegraveces allemandes monteacutees alors au Queacutebec ressemblaient de faccedilon eacutevidente agrave des textes queacutebeacutecois connus tant sur le plan formel que sur le plan theacutematique (Borello 1994)

Les piegraveces irlandaises contemporaines connaissent agrave leur tour une grande populariteacute agrave Toronto comme agrave Montreacuteal ougrave depuis plus de dix ans le public a pu deacutecouvrir des textes de Brian Friel Mark ORowe et Marina Carr porte-eacutetendards du renouvellement de la dramaturgie irlandaise Pour deacutecrire la populariteacute croissante du theacuteacirctre irlandais agrave leacutetranger dans le contexte de la mondialisation le chercheur Nicholas Grene le compare agrave

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une marchandise dimport-export sappuyant sur le fait quil est consideacutereacute par certains plus comme un objet agrave mettre en marcheacute que comme un mouvement artistique Le theacuteacirctre irlandais souligne Grene laquo constitue en soi une cateacutegorie agrave part parce quil tranche de lui-mecircme avec le courant meacutetropolitain dominant1 raquo (1999 262) Sans parler de laquo nostalgie raquo il est clair que la repreacutesentation de la vie rurale explique en partie linteacuterecirct du public mecircme si les textes preacutesenteacutes sont tregraves critiques envers cette vision steacutereacuteotypeacutee de la culture de lidentiteacute et par extension du theacuteacirctre irlandais Pour Grene cest ce malentendu joint agrave la distance linguistique qui expliquent la perception de lIrlande comme laquo Alteacuteriteacute raquo laquoOthernessraquo) (1999 268) et les modaliteacutes des productions des piegraveces irlandaises agrave Toronto agrave Montreacuteal et ailleurs

Les œuvres de Carr dORowe et de Friel mecircme si elles se distinguent par une inscription explicite dans la socieacuteteacute contemporaine neacutechappent pas agrave cette perception mecircme si la plupart des irlandistes les deacutefinissent comme profondeacutement laquo postcoloniales raquo et symboliques repreacutesentatives de laffranchissement du theacuteacirctre irlandais Par conseacutequent leur reacuteception critique voire leur fonction au sein des deux institutions theacuteacirctrales eacutetrangegraveres dont il sera question ici ne peuvent ecirctre compareacutees agrave celles quy reccediloivent les productions des piegraveces de Bernard Shaw de Samuel Beckett ou dOscar Wilde qui en tant que laquo marchandises raquo sont a priori consideacutereacutees comme des importations britanniques pour des raisons historiques eacutevidentes De plus la proximiteacute culturelle entre les Canadiens anglais les Queacutebeacutecois et les Irlandais limite lusage que lon pourrait faire dans cette eacutetude de laquo linterculturel raquo reacutefeacuterence obligeacutee et deacutefinie par Patrice Pavis et Erika Fischer-Lichte2 En effet lorsquune piegravece voyage de lIrlande vers une scegravene torontoise ou montreacutealaise aucune culture des deux nest exposeacutee agrave une alteacuteriteacute radicale Il nen demeure pas moins que ces transferts supposent une alteacuteration du sens de la piegravece car ils entraicircnent neacutecessairement des interpreacutetations fondeacutees sur les meacutecanismes sociaux et culturels de la socieacuteteacute hocircte Ces piegraveces sont donc choisies monteacutees et moduleacutees selon les besoins et les normes de linstitution theacuteacirctrale reacuteceptrice comme lont montreacute Gay McAuley (2003) et Rie Knowles (2004)

Les milieux de theacuteacirctre canadiens-anglais et irlandais partagent non seulement une langue mais aussi un fondement ideacuteologique semblable Ils accordent depuis le deacutebut des anneacutees 70 une place privileacutegieacutee au theacuteacirctre de creacuteation encouragent la diversiteacute estheacutetique et font la promotion de leur particulariteacute culturelle Il est donc eacutetonnant de constater agrave quel point les creacuteateurs torontois se soucient parfois peu des particulariteacutes linguistiques et autres des textes irlandais quils montent Plus encore leurs choix sceacuteniques inspireacutes par une conception steacutereacuteotypeacutee de lidentiteacute irlandaise creacuteent chez le public une illusoire familiariteacute qui facilite la mise en marcheacute et la reacuteception Par contre les traducteurs les praticiens et les critiques francophones reacutesistent mieux au pheacutenomegravene de

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laquo marchandisation raquo deacutecrit par Grene sans pour autant y eacutechapper complegravetement Agrave Montreacuteal la faveur du theacuteacirctre irlandais relegraveve plutocirct du fait quon considegravere sa production dramaturgique laquo moderne raquo laquo urbaine raquo et laquo riche de deacutebats raquo mais aussi comme un lieu de recherche formelle ce qui est aussi lune des caracteacuteristiques principales de la production queacutebeacutecoise depuis la Reacutevolution tranquille

Dans un rapport publieacute en 1997 la directrice geacuteneacuterale du Hummingbird Centre de Toronto Elizabeth Bradley affirme que la programmation de cette salle se veut le reflet de la diversiteacute culturelle de son public Cette administratrice du plus grand centre de diffusion des arts de la scegravene au Canada - la Canadian Opera Company et le Ballet national du Canada y preacutesentaient leurs spectacles jusquagrave leacuteteacute 2006 - affirme que laquo si la culture particuliegravere de certains publics est agrave lorigine de productions denvergure [] cest parce que ces derniers peuvent les soutenir financiegraverement3 raquo (Bell 1997 5) alors mecircme quelle a deacutecideacute daccueillir une production irlandaise agrave grand deacuteploiement soit Riverdance Cette coiumlncidence illustre agrave quel point les consideacuterations eacuteconomiques ont influeacute sur certaines deacutecisions de programmation au cours de la peacuteriode durant laquelle Toronto a connu une augmentation significative du nombre de productions de textes irlandais Une augmentation qui peut aussi sexpliquer par limpact du deacuteveloppement eacuteconomique du laquo Celtic Tiger Boom raquo comme par le succegraves remporteacute par la nouvelle dramaturgie irlandaise sur les grandes scegravenes de Londres et de New York Outre les productions venues en tourneacutee les productions torontoises de piegraveces irlandaises les plus importantes ont eacuteteacute creacuteeacutees par le Canadian Stage Company - Molly Sweeney de Brian Friel (1998) et Lonesome West de Martin McDonagh (2002) au Bluma Appel Theatre ainsi que The Weir de Conor McPherson (2000) et Tillsonburg de Malachy McKenna (2001) au Berkeley Street Theatre sous la direction entre autres de Miles Potter de Christopher Hoile et de Jackie Maxwell lactuelle directrice artistique du Shaw Festival originaire de Belfast qui sest consacreacutee plus que quiconque pendant les anneacutees 90 agrave la promotion de la dramaturgie irlandaise dans le milieu torontois On peut encore signaler la production des laquo monodrames raquo de Conor McPherson au Summerwork Festival et sur la scegravene de petits theacuteacirctres indeacutependants un peu partout dans la ville ainsi que la premiegravere canadienne de Portia Coughlan de Marina Carr au Glen Morris Studio de lUniversiteacute de Toronto dans une mise en scegravene de Natalie Harrower

Cette programmation sexplique agrave la fois par la repreacutesentation de la piegravece par ses liens avec le Canada et par le mandat artistique des compagnies En effet les spectateurs torontois avaient deacutejagrave entendu parler de la plupart de ces piegraveces avant quelles ne soient produites au Canada ou ils en connaissaient lauteur Par exemple la piegravece The Weir avait connu un grand succegraves au World Stage Festival de Toronto en 1998 dans le cadre de la tourneacutee du Gate Theatre de Dublin Brian Friel eacutetait connu gracircce agrave la version

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cineacutematographique de sa piegravece Dancing at Lughnasa qui avait fait lobjet de nombreuses productions professionnelles et amateur un peu partout au Canada En outre la production irlandaise de la Leenane Trilogy de Martin McDonagh dont Lonesome West constitue la troisiegraveme et derniegravere partie jouait deacutejagrave agrave Broadway au moment de louverture de la piegravece agrave Toronto Seule la trageacutedie de Marina Carr Portia Coughlan eacutetait agrave peine connue au Canada

Laction de cette piegravece se deacuteroule le jour du 30e anniversaire du personnage eacuteponyme Portia est hanteacutee par le fantocircme de son fregravere jumeau Gabriel noyeacute le jour de leur 15e anniversaire dans la riviegravere Belmont Elle est megravere malgreacute elle de trois garccedilons Son indiffeacuterence agrave leacutegard de ses enfants est le reflet de la mauvaise relation quelle a veacutecue avec sa propre megravere elle a beau tenter de se perdre dans des aventures sexuelles avec les hommes du village ou dans une folle danse au pub lappel enchanteur de son fregravere deacutefunt qui apparaicirct en scegravene de temps agrave autre lemporte petit agrave petit

Les actes de la piegravece sont inverseacutes le premier commence le matin de lanniversaire de Portia le deuxiegraveme se deacuteroule au moment de ses funeacuterailles et le troisiegraveme la veille de sa mort Les premiers critiques nord-ameacutericains ont trouveacute cette structure compliqueacutee4 et la metteur en scegravene Natalie Harrower craignait quil en soit de mecircme pour les spectateurs torontois Elle sest donc eacuteloigneacutee du texte lui ajoutant un prologue et un eacutepilogue muets au cours desquels les personnages entrent en scegravene lun agrave la suite de lautre eacuteclaireacutes par des bougies en regardant dans la riviegravere ce qui rappelle preacuteciseacutement le deacutebut du deuxiegraveme acte au moment ougrave le corps de Portia est sorti de leau Des reacutefeacuterences agrave la trageacutedie antique facilitent aussi la compreacutehension de la piegravece car contrairement agrave ce quen a dit le critique Joshua Tanzer la piegravece nest pas centreacutee sur la magie (2002) mais bien sur la fataliteacute dun destin celui de Portia qui la conduit ineacutevitablement au suicide (Doyle 2006) Sil est tregraves commun dans la dramaturgie irlandaise de repreacutesenter des eacuteveacutenements surnaturels et de briser la lineacuteariteacute de lintrigue5 il fallait pour un public peu habitueacute par sa propre dramaturgie agrave de tels proceacutedeacutes que la mise en scegravene les explicite

La piegravece se deacuteroule dans trois lieux principaux au bord de la riviegravere dans la maison de Portia et au pub Les deux derniers sont des lieux souvent exploiteacutes par la dramaturgie irlandaise Or la structure eacutepisodique de ce texte qui force agrave effectuer des transitions rapides entre chaque lieu limite les possibiliteacutes de concevoir un deacutecor reacutealiste La sceacutenographie de la production canadienne prenait donc de grandes liberteacutes avec le reacutealisme comme avec des images steacutereacuteotypeacutees de lIrlande Des accessoires amovibles eacutetaient disperseacutes sur une scegravene vide et servaient agrave repreacutesenter les diffeacuterents espaces de la maison de Portia et du pub La riviegravere pregraves de laquelle Portia rencontre ses amants pour seacutevader de sa vie quotidienne coulait agrave lavant de la scegravene et cocircteacute cour Le deacutecor composeacute

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principalement dune toile de fond peinte en un motif abstrait de verts et de bruns nancrait pas plus la production dans un lieu preacutecis mecircme si lutilisation de certaines couleurs permettait de deacutemarquer les espaces inteacuterieur et exteacuterieur de la maison Lespace surnaturel quant agrave lui existait dans lunivers sonore - les chants de Gabriel - et eacutetait lieacute agrave la rive puisque ce personnage entrait cocircteacute jardin et restait pregraves de la riviegravere pour chanter Somme toute la sceacutenographe Tanit Mendes a reacuteussi agrave conjuguer un deacutecor flexible et un espace intime

Les reacutefeacuterences agrave lIrlande reposaient essentiellement sur laccent et sur deux chansons celle dun juke-box dans le pub et celle que chante agrave Portia son fregravere deacutefunt La metteur en scegravene Natalie Harrower avait dabord penseacute utiliser une musique irlandaise traditionnelle comme ceacutetait le cas dans la production de la piegravece preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Mais son choix sest finalement arrecircteacute sur une chanson de rock celtique du groupe irlandais les Saw Doctors laquo Used To Love Her6 raquo dont le rythme deacutesordonneacute convenait agrave la laquo danse folle raquo du personnage de Portia et dont les paroles semblaient renvoyer agrave lhistoire Pour la chanson de Gabriel Harrower aurait voulu employer une chanson en eacutecossais afin dobscurcir le sens des mots tout en eacutevoquant la culture dorigine du texte Selon elle la langue eacutetait moins importante que son laquo effet auditifraquo sur les spectateurs qui pour la plupart ne sauraient distinguer les diffeacuterentes langues gaeacuteliques Elle tenait aussi agrave ce que la musique reacuteponde aux attentes dun spectateur canadien anglais pour lequel une musique traditionnelle signifie laquo pub irlandais raquo quelle soit irlandaise ou non Mais elle a opteacute en fin de compte pour une ballade traditionnelle irlandaise laquo She Moved Through the Fair raquo

De mecircme les horizons dattente du public imposent aux acteurs le recours aux accents Les critiques ne se font pas faute de commenter la capaciteacute des comeacutediens agrave conserver des accents creacutedibles7 Alors que les acteurs canadiens-anglais emploient souvent leur propre accent pour jouer des textes dorigine eacutetrangegravere mdash quils soient originellement eacutecrits en anglais ou traduits - les rythmes et la syntaxe des dialogues de Portia Coughlan les ont inciteacutes agrave reproduire les accents irlandais sans que leur metteur en scegravene les y ait contraints Car Marina Carr a eacutecrit cette piegravece en sinspirant dun patois de la reacutegion centrale de lIrlande certains mots sont mecircme transcrits phoneacutetiquement afin que la prononciation des acteurs soit prescrite par le texte Lorthographe a peut-ecirctre eacuteteacute normaliseacutee pour la publication du theacuteacirctre de Marina Carr en 1999 mais Portia Coughlan contient toujours des eacutechanges typiques des structures syntaxiques irlandaises

En fait les creacuteateurs de la plupart des productions torontoises que ce soit dans un theacuteacirctre de petite taille comme le Glen Morris Studio ou dans un theacuteacirctre dit laquo institutionnel raquo comme le Canadian Stage optent pour des accents qui sont laquo assez

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irlandais raquo pour permettre aux spectateurs canadiens de situer la piegravece dans le contexte culturel et geacuteographique mecircme si ces accents paraissent faux agrave un spectateur irlandais

Le choix de preacutesenter Molly Sweeney de Friel avec des accents irlandais a ainsi obscurci certains des eacuteleacutements de caracteacuterisation normalement rendus par lunivers sonore de la production irlandaise Avant decirctre reprise agrave Toronto dans une nouvelle creacuteation la piegravece avait dabord eacuteteacute monteacutee au Gate Theatre agrave Dublin en 1994 Elle a depuis eacuteteacute produite un peu partout dans le monde y compris dans une traduction franccedilaise intituleacutee Molly S Trois personnages qui occupent tous un espace dramatique diffeacuterent mais qui partagent la scegravene monologuent Molly est aveugle depuis sa tendre enfance mais Frank son mari est deacutetermineacute agrave tout faire pour quelle recouvre la vue Cest lun de ses nombreux projets agrave court terme tels celui deacutelever des chegravevres iraniennes ou de sauver les baleines Il fait donc appel agrave un chirurgien ophtalmologiste dont la carriegravere a eacuteteacute ruineacutee par lalcoolisme et qui voit en Molly loccasion de retrouver une gloire perdue Lintervention chirurgicale reacuteussit mais Molly qui ignore comment interpreacuteter les images que ses yeux lui preacutesentent se replie sur elle-mecircme et finira la piegravece seule abandonneacutee par Frank dans un hocircpital psychiatrique

Au moment de la creacuteation irlandaise de cette piegravece lauteur a agi agrave titre de metteur en scegravene et Joe Vanek en tant que sceacutenographe Chacun des trois acteurs eacutetait assis sur une chaise de style diffeacuterent devant une toile de fond deacutecoreacutee dune fenecirctre et des feuilles mortes eacutetaient reacutepandues sur la scegravene La nature statique de ce concept accentuait la litteacuterariteacute du texte La conception sceacutenographique dAstrid Jansen pour la production torontoise creacuteait au contraire une sensation de mouvement disolement et de juxtaposition Chaque personnage eacutetait assis agrave diffeacuterents endroits dune plateforme eacutetroite qui zigzaguait dun bout agrave lautre de la scegravene et dont linclinaison servait agrave creacuteer une distance tant verticale quhorizontale entre les acteurs et une illusion de deacuteplacement physique et de changement temporel Leacuteclairage accentuait lisolement de chaque personnage illumineacute par un seul projecteur comme si chacun vivait ses propres souvenirs dans son propre espace psychologique Le caractegravere laquo irlandais raquo de la piegravece ne pouvait donc reposer que sur des eacuteleacutements sonores

Le choix mecircme dutiliser les accents semble curieux agrave certains eacutegards puisque cette piegravece en fait beaucoup moins usage que les autres textes de Friel Il faut rappeler que les accents en Irlande sont moduleacutes par la geacuteographie leacuteducation et la classe sociale laccent et la syntaxe de Rice lophtalmologiste et de Molly eacutetablissent donc leacutecart qui les distingue des origines sociales de Frank Agrave propos de laquo laccent huppeacute raquo de Rice Frank dira pendant le premier acte laquo Et il est neacute dans le village de Kilmeedy dans le comteacute de Limerick nom de Dieu Je ne me suis jamais vraiment fait agrave cet homme8 raquo (Friel 1999 462) montrant

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quil nest pas dupe des maniegraveres de Rice Au cours du deuxiegraveme acte il remarque que laccent de Rice manque parfois de consistance laquo Il seacutenervait tellement il ny avait plus aucune trace de laccent chic9 raquo (Friel 1999 485) De tels deacutetails font aussi eacutecho au reacutecit de Rice sur ses deacutebuts prometteurs et sur ses ambitions qui expliquent sa deacutecision dopeacuterer Molly mecircme si ce nest peut-ecirctre pas dans le meilleur inteacuterecirct de sa patiente Bref les accents indiqueacutes dans le texte original veulent ainsi appuyer les donneacutees de la fable

Le metteur en scegravene de la production canadienne plutocirct que demployer des accents canadiens de faccedilon agrave ce que les spectateurs saisissent les diffeacuterences de classe des personnages ou dutiliser un accent irlandais uniforme en renforccedilant les indices visuels a choisi deacutelibeacutereacutement de jouer la carte de lexotisme aux deacutepens de la lisibiliteacute Ce choix daccents approximatifs illustre les propos de Grene selon lesquels lidentiteacute irlandaise ne peut saffirmer pour les publics reacutecepteurs que dans lexotisme lalteacuteriteacute et le clicheacute plutocirct que dans un reacuteel souci dauthenticiteacute Dans sa synthegravese de la theacuteorie de Hans-Robert Jauss synthegravese qui tient compte du concept de laquo communauteacute interpreacutetative10 raquo de Stanley Fish et de Frank Lentricchia Susan Bennett affirme que les attentes des publics reacutecepteurs laquo modifient raquo les œuvres lues (1997 48) La laquo communauteacute interpreacutetative raquo (constitueacutee par le public les creacuteateurs et la presse eacutecrite de Toronto) associe consciemment ou non leacutepithegravete laquo irlandais raquo aux immigrants peu eacuteduqueacutes et issus de milieux populaires chasseacutes dIrlande par la grande famine des anneacutees 184011 (Ignatiev 1995 148-176)

Il sagit lagrave dun type dassociation hasardeuse qui a manifestement influenceacute R H Thomson dans son interpreacutetation du rocircle de Frank le personnage de Molly Sweeney Lacteur employait un accent (trop) prononceacute qui selon au moins une critique manquait de consistance (Kershaw et Lingerfelt 2001) et lanccedilait souvent ses reacutepliques dans le but de faire rire sans rendre compte du cocircteacute poignant du personnage de ses obsessions eacutepheacutemegraveres comme de son incapaciteacute agrave accepter les conseacutequences de ses actions Il jouait un laquo Irlandais raquo au lieu de jouer son personnage Ainsi il semble que mecircme les plus chevronneacutes des acteurs canadiens-anglais tombent parfois dans le piegravege dune repreacutesentation caricaturale de lIrlandais -1laquo Irish Stage Figure raquo - et sacrifient leur jeu aux clicheacutes du bouffon du rebelle du gros buveur ou du noble paysan pour ne rien dire de la toile de fond obligeacutee de la misegravere et de la famine

Mecircme si son reacutepertoire nest pas exactement le mecircme force est de constater que le milieu montreacutealais sinteacuteresse autant au theacuteacirctre contemporain irlandais quagrave celui de la Ville reine Ont aussi eacuteteacute produites Des roches dans ses poches Stones in his Pockets) de Marie Jones en 2002 Danser agrave Lughnasa Dancing at Lughnasa) de Brian Friel en 2003 Billy Veacuteclopeacute The Cripple of Inishmaan) de Martin McDonagh en 2005 Nuit dlrlande Night in November) de Marie Jones en 2006 Cest incontestablement le directeur

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artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture Jean-Denis Leduc qui a joueacute un veacuteritable rocircle de promoteur aupregraves du milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois en 2001 La Manufacture preacutesente La reine de beauteacute de Leenane The Beauty Queen ofLeenane) de Martin McDonagh en 2002 Howie le Rookie de Mark ORowe en 2004 Doldrum Bay de Hilary Fannin et Tecircte premiegravere (Crestfall) une piegravece eacutegalement signeacutee Mark ORowe en 2005

Que ce theacuteacirctre de taille intermeacutediaire ait monteacute une production de Howie le Rookie neacutetonne guegravere Il sagit dun texte composeacute de deux longs monologues veacuteritables morceaux de bravoure pour de jeunes interpregravetes masculins dont la porteacutee sociale est indeacuteniable puisquil eacutetablit un lien direct entre la pauvreteacute des personnages et les eacuteveacutenements qui marquent leur trajet Contrairement agrave celle de Brian Friel agrave Toronto lœuvre de Mark ORowe eacutetait lors de la creacuteation agraveHowie le Rookie meacuteconnue du public francophone de Montreacuteal

Serait-il abusif de voir dans laccueil reacuteserveacute par Montreacuteal au theacuteacirctre irlandais et agrave Howie le Rookie et agrave Danser agrave Lughnaser en particulier un contre-exemple du pheacutenomegravene deacutecrit par Grene Certes lagrave aussi le theacuteacirctre irlandais est consideacutereacute pour une part comme une marchandise importeacutee mais dans une moindre mesure quailleurs En effet tout en eacutevoquant agrave maintes reprises les origines irlandaises du texte et de son auteur le directeur artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture et la presse ont mis surtout laccent sur la moderniteacute du texte et la particulariteacute de sa langue langue dont on souligne plus loriginaliteacute stylistique que le caractegravere reacutegional Manifestement lapport des immigreacutes agrave la socieacuteteacute queacutebeacutecoise mythifieacute par la culture populaire na joueacute aucun rocircle dans le fait quelle ait eacuteteacute retenue par Leduc et seul le critique Jean St-Hilaire du Soleil de Queacutebec y fait allusion indirectement tout en soulignant lui aussi la moderniteacute du texte et son aspect urbain12

Leduc eacutecrit dailleurs

Avant toute chose son theacuteacirctre nous parle de qui nous sommes Sincegravere et transparent il sait fouiller lacircme humaine ses vulneacuterabiliteacutes ses deacutesirs ses forces et ses secrets La langue de ORowe comme celle de Choiniegravere est vive urbaine dangereuse incisive et vraie Elle a du souffle et respire la moderniteacute (2002 3)

Howie the Rookie de Mark ORowe se deacuteroule en entier dans un contexte urbain ce qui explique quelle ait moins souffert de sa transposition agrave Montreacuteal Ses reacutefeacuterences culturelles sont celles des icocircnes occidentales du fast food des films hollywoodiens et de la teacuteleacutevision ameacutericaine compreacutehensibles agrave la fois par les publics dublinois et montreacutealais Comme le constate la critique Amy Barratt du Montreal Mirror laquo Howie le Rookie ressemble au titre dune eacutemission de teacuteleacutevision canadienne au sujet dune eacutequipe de hockey fictive13 raquo (2002)

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Cest sans aucun doute lune des raisons de la visibiliteacute meacutediatique dont a beacuteneacuteficieacute la piegravece et qui deacutepasse celle des autres piegraveces dorigine irlandaise monteacutees dans la meacutetropole queacutebeacutecoise depuis 2000 Car si le laquo nous raquo dont parle Leduc est celui du public montreacutealais il est aussi le nom des reacutesidents pauvres des quartiers deacutefavoriseacutes des grandes villes occidentales laquo De bien des faccedilons ce Dublin-lagrave qui tombe agrave peine sous la coupe des lois ordinaires ressemble agrave la zone de tant de grandes villes Sa singulariteacute samplifie toutefois gracircce au regard imaginatif et sans fard que pose ORowe sur une telle faune raquo (2002 B8) remarque Herveacute Guay du Devoir

Dans la version franccedilaise la mention de certains lieux connus agrave Dublin rappelle ponctuellement au spectateur que laction se deacuteroule dans la capitale irlandaise (la boutique Harry Moore la laquo Mercy Loop raquo Dame Street etc) Neacuteanmoins le texte est deacutepourvu de toute mention dune quecircte identitaire quelconque thegraveme reacutecurrent dans la dramaturgie postcoloniale Howie Lee le protagoniste est plutocirct en quecircte de reacutedemption pour avoir eacuteteacute agrave lorigine de la mort de son petit fregravere Moussey Si le trajet de sa chute est raconteacute par cet antiheacuteros lui-mecircme celui de sa reacutedemption est raconteacute apregraves sa mort par un teacutemoin Rookie Lee Cest ainsi que le public apprend que le premier conteur au moment de paraicirctre devant les spectateurs eacutetait en fait un fantocircme

Il semblait acquis pour le metteur en scegravene Fernand Rainville que la preacutesence sur scegravene dun ecirctre fantasmagorique ne poserait aucun problegraveme au public montreacutealais alors quelle en avait poseacute un au public torontois de Portia Coughlan Il na donc pas senti le besoin de lexpliciter sceacuteniquement pas plus quil na eu recours agrave des strateacutegies sceacuteniques pour expliquer laspect atemporel de la piegravece Au contraire il a situeacute laction dans un no mans land spatial Lespace sceacutenique proposeacute par la sceacutenographe Patricia Ruel eacutevoquait un sous-sol ou une maison abandonneacutee un espace neutre clos deacutepourvu de reacutefeacuterences culturelles particuliegraveres et ayant comme seule entreacutee une cage descalier au fond quelques poutres en meacutetal tombeacutees du plafond soulignaient agrave la fois leacutetat de leacutedifice et leacutetat desprit des personnages deacutestabiliseacutes quils sont par les eacuteveacutenements quils racontent

Cest aussi labsence dun horizon dattente preacutecis qui a donc permis au public montreacutealais deacutevaluer le texte et lhistoire en tant que tels Cette disponibiliteacute du public sexplique par le fait que le theacuteacirctre queacutebeacutecois est moins reacutealiste que son homologue canadien-anglais et que bon nombre de fantocircmes traversent les piegraveces dauteurs comme Michel Marc Bouchard et Jean Marc Dalpeacute ce dernier eacutetant par ailleurs eacutetroitement associeacute au Theacuteacirctre de La Manufacture depuis son deacutepart du Theacuteacirctre du Nouvel-Ontario de Sudbury De plus la langue dORowe se lit tout comme celle de Carr dans Portia Coughlan comme une version poeacutetiseacutee du vernaculaire irlandais une approche dramaturgique qui retrouve eacutegalement de fortes reacutesonances au Queacutebec faut-il souligner

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la parenteacute avec la langue des dramaturges Daniel Danis Michel Tremblay et Claude Gauvreau (Blonde 2003) Si la presse a fait souvent mention de la particulariteacute de la langue dramatique dHowie le Rookie - notamment Marie-Christine Biais de La Presse Joseacutee Chaboillez du Montreacuteal Express de la Socieacuteteacute Radio-Canada et mecircme Matt Radz du Montreal Gazette - elle na jamais eacutevoqueacute de difficulteacute de compreacutehension14

Cest sur ce rapport particulier agrave la langue theacuteacirctrale quont en commun les theacuteacirctres irlandais et queacutebeacutecois que repose latraduction dOlivier Choiniegravere il propose une poeacutesie laquo eacutequivalente raquo agrave celle dORowe Par exemple dans louverture du monologue de Rookie Lee le personnage affirme laquo Handsome bastard I am Bit attractive to the dollys theyre into me I Find them easy to pick up easy to get I Break hearts an hymens I do raquo traduite en franccedilais par laquo Jtun beau salaud cest sucircr Pas dma faute si jpogne avec les babes quest-ce que tu veux jai ccedila dans le sang Facile pour moi des attirer encore plus facile des coucher Bourreau dcœurs briseur dhymens amen raquo Mecircme la comparaison la plus superficielle de ces brefs extraits indique que la parlure dORowe - dont une partie importante des mots sont transcrits phoneacutetiquement afin dimposer une prononciation preacutecise aux interpregravetes anglophones - a eacuteteacute rendue par un franccedilais laquo joualiseacute raquo tout aussi laquo construit raquo que loriginal

Cest justement en eacutevitant les contraintes dun franccedilais normatif que lefficaciteacute seacutemantique et poeacutetique de loriginal a eacuteteacute conserveacutee Et puisquil est impossible de preacuteserver un laquo accent raquo ou de reproduire les particulariteacutes syntaxiques du parler irlandais qui ont inspireacute ORowe Choiniegravere a utiliseacute le vernaculaire queacutebeacutecois comme mateacuteriau pour creacuteer un rythme un souffle et une eacutenergie aussi chaotiques que ceux de loriginal mecircme si par moments laspect polysyllabique du franccedilais rend son texte plus verbeux que loriginal Le fait que la creacuteation langagiegravere soit au cœur mecircme du projet de monter Howie le Rookie dans une version franccedilaise situe tout le projet loin des preacuteoccupations mercantiles du theacuteacirctre occidental dont parle Grene

Danser agrave Lughnasa occupe une place tout aussi importante dans les productions du theacuteacirctre irlandais contemporain sur les scegravenes montreacutealaises La piegravece a eacuteteacute creacuteeacutee dans le cadre dune collaboration entre le theacuteacirctre dit national - le Theacuteacirctre du Nouveau Monde -et un theacuteacirctre reacutegional - Le Bic - situeacute agrave quelques kilomegravetres de Rimouski Il importe de souligner que le directeur artistique du Abbey Ben Barnes a mis en scegravene cette version traduite de loriginal sans comprendre le franccedilais et que le comeacutedien qui jouait le rocircle de Michael Maxime Deacutenommeacutee avait connu un grand succegraves un an plus tocirct dans le rocircle de Howie Lee Sacrifiant de nouveau agrave certains clicheacutes lieacutes agrave lidentiteacute irlandaise la campagne promotionnelle montreacutealaise eacutetait largement axeacutee sur le fait que les comeacutediennes de la piegravece laquo dansaient raquo comme le souligne le communiqueacute de presse du Theacuteacirctre du Nouveau

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Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

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Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

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moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

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un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

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Page 2: Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

Lisa F i tzpatr ick Universiteacute cTUIster

Joeumll Beddows Universiteacute dOttawa

Le theacuteacirctre irlandais agrave Toronto et agrave Montreacuteal du clicheacute identitaire agrave lappropriation artistique

Les metteurs en scegravene abordent en geacuteneacuteral les œuvres theacuteacirctrales eacutetrangegraveres selon deux logiques soit en y cherchant des ressemblances avec la production de leur propre pays et donc en laissant plus ou moins de cocircteacute

leur speacutecificiteacute estheacutetique soit au contraire en soulignant leur originaliteacute Cest ainsi que pendant les anneacutees 80 le theacuteacirctre allemand a eacuteteacute consideacutereacute comme un laquo reacuteservoir dalteacuteriteacute raquo pour le theacuteacirctre queacutebeacutecois La multiplication du nombre de piegraveces germaniques qui furent alors monteacutees reacutesultait moins dune mode que de la volonteacute des artistes queacutebeacutecois de remettre en question certaines normes agrave leacutepoque bien ancreacutees et dexplorer de nouvelles traditions theacuteacirctrales et dramaturgiques tout en affirmant luniversaliteacute dune jeune tradition nationale Ce nest pas un effet du hasard si nombre de piegraveces allemandes monteacutees alors au Queacutebec ressemblaient de faccedilon eacutevidente agrave des textes queacutebeacutecois connus tant sur le plan formel que sur le plan theacutematique (Borello 1994)

Les piegraveces irlandaises contemporaines connaissent agrave leur tour une grande populariteacute agrave Toronto comme agrave Montreacuteal ougrave depuis plus de dix ans le public a pu deacutecouvrir des textes de Brian Friel Mark ORowe et Marina Carr porte-eacutetendards du renouvellement de la dramaturgie irlandaise Pour deacutecrire la populariteacute croissante du theacuteacirctre irlandais agrave leacutetranger dans le contexte de la mondialisation le chercheur Nicholas Grene le compare agrave

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une marchandise dimport-export sappuyant sur le fait quil est consideacutereacute par certains plus comme un objet agrave mettre en marcheacute que comme un mouvement artistique Le theacuteacirctre irlandais souligne Grene laquo constitue en soi une cateacutegorie agrave part parce quil tranche de lui-mecircme avec le courant meacutetropolitain dominant1 raquo (1999 262) Sans parler de laquo nostalgie raquo il est clair que la repreacutesentation de la vie rurale explique en partie linteacuterecirct du public mecircme si les textes preacutesenteacutes sont tregraves critiques envers cette vision steacutereacuteotypeacutee de la culture de lidentiteacute et par extension du theacuteacirctre irlandais Pour Grene cest ce malentendu joint agrave la distance linguistique qui expliquent la perception de lIrlande comme laquo Alteacuteriteacute raquo laquoOthernessraquo) (1999 268) et les modaliteacutes des productions des piegraveces irlandaises agrave Toronto agrave Montreacuteal et ailleurs

Les œuvres de Carr dORowe et de Friel mecircme si elles se distinguent par une inscription explicite dans la socieacuteteacute contemporaine neacutechappent pas agrave cette perception mecircme si la plupart des irlandistes les deacutefinissent comme profondeacutement laquo postcoloniales raquo et symboliques repreacutesentatives de laffranchissement du theacuteacirctre irlandais Par conseacutequent leur reacuteception critique voire leur fonction au sein des deux institutions theacuteacirctrales eacutetrangegraveres dont il sera question ici ne peuvent ecirctre compareacutees agrave celles quy reccediloivent les productions des piegraveces de Bernard Shaw de Samuel Beckett ou dOscar Wilde qui en tant que laquo marchandises raquo sont a priori consideacutereacutees comme des importations britanniques pour des raisons historiques eacutevidentes De plus la proximiteacute culturelle entre les Canadiens anglais les Queacutebeacutecois et les Irlandais limite lusage que lon pourrait faire dans cette eacutetude de laquo linterculturel raquo reacutefeacuterence obligeacutee et deacutefinie par Patrice Pavis et Erika Fischer-Lichte2 En effet lorsquune piegravece voyage de lIrlande vers une scegravene torontoise ou montreacutealaise aucune culture des deux nest exposeacutee agrave une alteacuteriteacute radicale Il nen demeure pas moins que ces transferts supposent une alteacuteration du sens de la piegravece car ils entraicircnent neacutecessairement des interpreacutetations fondeacutees sur les meacutecanismes sociaux et culturels de la socieacuteteacute hocircte Ces piegraveces sont donc choisies monteacutees et moduleacutees selon les besoins et les normes de linstitution theacuteacirctrale reacuteceptrice comme lont montreacute Gay McAuley (2003) et Rie Knowles (2004)

Les milieux de theacuteacirctre canadiens-anglais et irlandais partagent non seulement une langue mais aussi un fondement ideacuteologique semblable Ils accordent depuis le deacutebut des anneacutees 70 une place privileacutegieacutee au theacuteacirctre de creacuteation encouragent la diversiteacute estheacutetique et font la promotion de leur particulariteacute culturelle Il est donc eacutetonnant de constater agrave quel point les creacuteateurs torontois se soucient parfois peu des particulariteacutes linguistiques et autres des textes irlandais quils montent Plus encore leurs choix sceacuteniques inspireacutes par une conception steacutereacuteotypeacutee de lidentiteacute irlandaise creacuteent chez le public une illusoire familiariteacute qui facilite la mise en marcheacute et la reacuteception Par contre les traducteurs les praticiens et les critiques francophones reacutesistent mieux au pheacutenomegravene de

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laquo marchandisation raquo deacutecrit par Grene sans pour autant y eacutechapper complegravetement Agrave Montreacuteal la faveur du theacuteacirctre irlandais relegraveve plutocirct du fait quon considegravere sa production dramaturgique laquo moderne raquo laquo urbaine raquo et laquo riche de deacutebats raquo mais aussi comme un lieu de recherche formelle ce qui est aussi lune des caracteacuteristiques principales de la production queacutebeacutecoise depuis la Reacutevolution tranquille

Dans un rapport publieacute en 1997 la directrice geacuteneacuterale du Hummingbird Centre de Toronto Elizabeth Bradley affirme que la programmation de cette salle se veut le reflet de la diversiteacute culturelle de son public Cette administratrice du plus grand centre de diffusion des arts de la scegravene au Canada - la Canadian Opera Company et le Ballet national du Canada y preacutesentaient leurs spectacles jusquagrave leacuteteacute 2006 - affirme que laquo si la culture particuliegravere de certains publics est agrave lorigine de productions denvergure [] cest parce que ces derniers peuvent les soutenir financiegraverement3 raquo (Bell 1997 5) alors mecircme quelle a deacutecideacute daccueillir une production irlandaise agrave grand deacuteploiement soit Riverdance Cette coiumlncidence illustre agrave quel point les consideacuterations eacuteconomiques ont influeacute sur certaines deacutecisions de programmation au cours de la peacuteriode durant laquelle Toronto a connu une augmentation significative du nombre de productions de textes irlandais Une augmentation qui peut aussi sexpliquer par limpact du deacuteveloppement eacuteconomique du laquo Celtic Tiger Boom raquo comme par le succegraves remporteacute par la nouvelle dramaturgie irlandaise sur les grandes scegravenes de Londres et de New York Outre les productions venues en tourneacutee les productions torontoises de piegraveces irlandaises les plus importantes ont eacuteteacute creacuteeacutees par le Canadian Stage Company - Molly Sweeney de Brian Friel (1998) et Lonesome West de Martin McDonagh (2002) au Bluma Appel Theatre ainsi que The Weir de Conor McPherson (2000) et Tillsonburg de Malachy McKenna (2001) au Berkeley Street Theatre sous la direction entre autres de Miles Potter de Christopher Hoile et de Jackie Maxwell lactuelle directrice artistique du Shaw Festival originaire de Belfast qui sest consacreacutee plus que quiconque pendant les anneacutees 90 agrave la promotion de la dramaturgie irlandaise dans le milieu torontois On peut encore signaler la production des laquo monodrames raquo de Conor McPherson au Summerwork Festival et sur la scegravene de petits theacuteacirctres indeacutependants un peu partout dans la ville ainsi que la premiegravere canadienne de Portia Coughlan de Marina Carr au Glen Morris Studio de lUniversiteacute de Toronto dans une mise en scegravene de Natalie Harrower

Cette programmation sexplique agrave la fois par la repreacutesentation de la piegravece par ses liens avec le Canada et par le mandat artistique des compagnies En effet les spectateurs torontois avaient deacutejagrave entendu parler de la plupart de ces piegraveces avant quelles ne soient produites au Canada ou ils en connaissaient lauteur Par exemple la piegravece The Weir avait connu un grand succegraves au World Stage Festival de Toronto en 1998 dans le cadre de la tourneacutee du Gate Theatre de Dublin Brian Friel eacutetait connu gracircce agrave la version

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cineacutematographique de sa piegravece Dancing at Lughnasa qui avait fait lobjet de nombreuses productions professionnelles et amateur un peu partout au Canada En outre la production irlandaise de la Leenane Trilogy de Martin McDonagh dont Lonesome West constitue la troisiegraveme et derniegravere partie jouait deacutejagrave agrave Broadway au moment de louverture de la piegravece agrave Toronto Seule la trageacutedie de Marina Carr Portia Coughlan eacutetait agrave peine connue au Canada

Laction de cette piegravece se deacuteroule le jour du 30e anniversaire du personnage eacuteponyme Portia est hanteacutee par le fantocircme de son fregravere jumeau Gabriel noyeacute le jour de leur 15e anniversaire dans la riviegravere Belmont Elle est megravere malgreacute elle de trois garccedilons Son indiffeacuterence agrave leacutegard de ses enfants est le reflet de la mauvaise relation quelle a veacutecue avec sa propre megravere elle a beau tenter de se perdre dans des aventures sexuelles avec les hommes du village ou dans une folle danse au pub lappel enchanteur de son fregravere deacutefunt qui apparaicirct en scegravene de temps agrave autre lemporte petit agrave petit

Les actes de la piegravece sont inverseacutes le premier commence le matin de lanniversaire de Portia le deuxiegraveme se deacuteroule au moment de ses funeacuterailles et le troisiegraveme la veille de sa mort Les premiers critiques nord-ameacutericains ont trouveacute cette structure compliqueacutee4 et la metteur en scegravene Natalie Harrower craignait quil en soit de mecircme pour les spectateurs torontois Elle sest donc eacuteloigneacutee du texte lui ajoutant un prologue et un eacutepilogue muets au cours desquels les personnages entrent en scegravene lun agrave la suite de lautre eacuteclaireacutes par des bougies en regardant dans la riviegravere ce qui rappelle preacuteciseacutement le deacutebut du deuxiegraveme acte au moment ougrave le corps de Portia est sorti de leau Des reacutefeacuterences agrave la trageacutedie antique facilitent aussi la compreacutehension de la piegravece car contrairement agrave ce quen a dit le critique Joshua Tanzer la piegravece nest pas centreacutee sur la magie (2002) mais bien sur la fataliteacute dun destin celui de Portia qui la conduit ineacutevitablement au suicide (Doyle 2006) Sil est tregraves commun dans la dramaturgie irlandaise de repreacutesenter des eacuteveacutenements surnaturels et de briser la lineacuteariteacute de lintrigue5 il fallait pour un public peu habitueacute par sa propre dramaturgie agrave de tels proceacutedeacutes que la mise en scegravene les explicite

La piegravece se deacuteroule dans trois lieux principaux au bord de la riviegravere dans la maison de Portia et au pub Les deux derniers sont des lieux souvent exploiteacutes par la dramaturgie irlandaise Or la structure eacutepisodique de ce texte qui force agrave effectuer des transitions rapides entre chaque lieu limite les possibiliteacutes de concevoir un deacutecor reacutealiste La sceacutenographie de la production canadienne prenait donc de grandes liberteacutes avec le reacutealisme comme avec des images steacutereacuteotypeacutees de lIrlande Des accessoires amovibles eacutetaient disperseacutes sur une scegravene vide et servaient agrave repreacutesenter les diffeacuterents espaces de la maison de Portia et du pub La riviegravere pregraves de laquelle Portia rencontre ses amants pour seacutevader de sa vie quotidienne coulait agrave lavant de la scegravene et cocircteacute cour Le deacutecor composeacute

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principalement dune toile de fond peinte en un motif abstrait de verts et de bruns nancrait pas plus la production dans un lieu preacutecis mecircme si lutilisation de certaines couleurs permettait de deacutemarquer les espaces inteacuterieur et exteacuterieur de la maison Lespace surnaturel quant agrave lui existait dans lunivers sonore - les chants de Gabriel - et eacutetait lieacute agrave la rive puisque ce personnage entrait cocircteacute jardin et restait pregraves de la riviegravere pour chanter Somme toute la sceacutenographe Tanit Mendes a reacuteussi agrave conjuguer un deacutecor flexible et un espace intime

Les reacutefeacuterences agrave lIrlande reposaient essentiellement sur laccent et sur deux chansons celle dun juke-box dans le pub et celle que chante agrave Portia son fregravere deacutefunt La metteur en scegravene Natalie Harrower avait dabord penseacute utiliser une musique irlandaise traditionnelle comme ceacutetait le cas dans la production de la piegravece preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Mais son choix sest finalement arrecircteacute sur une chanson de rock celtique du groupe irlandais les Saw Doctors laquo Used To Love Her6 raquo dont le rythme deacutesordonneacute convenait agrave la laquo danse folle raquo du personnage de Portia et dont les paroles semblaient renvoyer agrave lhistoire Pour la chanson de Gabriel Harrower aurait voulu employer une chanson en eacutecossais afin dobscurcir le sens des mots tout en eacutevoquant la culture dorigine du texte Selon elle la langue eacutetait moins importante que son laquo effet auditifraquo sur les spectateurs qui pour la plupart ne sauraient distinguer les diffeacuterentes langues gaeacuteliques Elle tenait aussi agrave ce que la musique reacuteponde aux attentes dun spectateur canadien anglais pour lequel une musique traditionnelle signifie laquo pub irlandais raquo quelle soit irlandaise ou non Mais elle a opteacute en fin de compte pour une ballade traditionnelle irlandaise laquo She Moved Through the Fair raquo

De mecircme les horizons dattente du public imposent aux acteurs le recours aux accents Les critiques ne se font pas faute de commenter la capaciteacute des comeacutediens agrave conserver des accents creacutedibles7 Alors que les acteurs canadiens-anglais emploient souvent leur propre accent pour jouer des textes dorigine eacutetrangegravere mdash quils soient originellement eacutecrits en anglais ou traduits - les rythmes et la syntaxe des dialogues de Portia Coughlan les ont inciteacutes agrave reproduire les accents irlandais sans que leur metteur en scegravene les y ait contraints Car Marina Carr a eacutecrit cette piegravece en sinspirant dun patois de la reacutegion centrale de lIrlande certains mots sont mecircme transcrits phoneacutetiquement afin que la prononciation des acteurs soit prescrite par le texte Lorthographe a peut-ecirctre eacuteteacute normaliseacutee pour la publication du theacuteacirctre de Marina Carr en 1999 mais Portia Coughlan contient toujours des eacutechanges typiques des structures syntaxiques irlandaises

En fait les creacuteateurs de la plupart des productions torontoises que ce soit dans un theacuteacirctre de petite taille comme le Glen Morris Studio ou dans un theacuteacirctre dit laquo institutionnel raquo comme le Canadian Stage optent pour des accents qui sont laquo assez

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irlandais raquo pour permettre aux spectateurs canadiens de situer la piegravece dans le contexte culturel et geacuteographique mecircme si ces accents paraissent faux agrave un spectateur irlandais

Le choix de preacutesenter Molly Sweeney de Friel avec des accents irlandais a ainsi obscurci certains des eacuteleacutements de caracteacuterisation normalement rendus par lunivers sonore de la production irlandaise Avant decirctre reprise agrave Toronto dans une nouvelle creacuteation la piegravece avait dabord eacuteteacute monteacutee au Gate Theatre agrave Dublin en 1994 Elle a depuis eacuteteacute produite un peu partout dans le monde y compris dans une traduction franccedilaise intituleacutee Molly S Trois personnages qui occupent tous un espace dramatique diffeacuterent mais qui partagent la scegravene monologuent Molly est aveugle depuis sa tendre enfance mais Frank son mari est deacutetermineacute agrave tout faire pour quelle recouvre la vue Cest lun de ses nombreux projets agrave court terme tels celui deacutelever des chegravevres iraniennes ou de sauver les baleines Il fait donc appel agrave un chirurgien ophtalmologiste dont la carriegravere a eacuteteacute ruineacutee par lalcoolisme et qui voit en Molly loccasion de retrouver une gloire perdue Lintervention chirurgicale reacuteussit mais Molly qui ignore comment interpreacuteter les images que ses yeux lui preacutesentent se replie sur elle-mecircme et finira la piegravece seule abandonneacutee par Frank dans un hocircpital psychiatrique

Au moment de la creacuteation irlandaise de cette piegravece lauteur a agi agrave titre de metteur en scegravene et Joe Vanek en tant que sceacutenographe Chacun des trois acteurs eacutetait assis sur une chaise de style diffeacuterent devant une toile de fond deacutecoreacutee dune fenecirctre et des feuilles mortes eacutetaient reacutepandues sur la scegravene La nature statique de ce concept accentuait la litteacuterariteacute du texte La conception sceacutenographique dAstrid Jansen pour la production torontoise creacuteait au contraire une sensation de mouvement disolement et de juxtaposition Chaque personnage eacutetait assis agrave diffeacuterents endroits dune plateforme eacutetroite qui zigzaguait dun bout agrave lautre de la scegravene et dont linclinaison servait agrave creacuteer une distance tant verticale quhorizontale entre les acteurs et une illusion de deacuteplacement physique et de changement temporel Leacuteclairage accentuait lisolement de chaque personnage illumineacute par un seul projecteur comme si chacun vivait ses propres souvenirs dans son propre espace psychologique Le caractegravere laquo irlandais raquo de la piegravece ne pouvait donc reposer que sur des eacuteleacutements sonores

Le choix mecircme dutiliser les accents semble curieux agrave certains eacutegards puisque cette piegravece en fait beaucoup moins usage que les autres textes de Friel Il faut rappeler que les accents en Irlande sont moduleacutes par la geacuteographie leacuteducation et la classe sociale laccent et la syntaxe de Rice lophtalmologiste et de Molly eacutetablissent donc leacutecart qui les distingue des origines sociales de Frank Agrave propos de laquo laccent huppeacute raquo de Rice Frank dira pendant le premier acte laquo Et il est neacute dans le village de Kilmeedy dans le comteacute de Limerick nom de Dieu Je ne me suis jamais vraiment fait agrave cet homme8 raquo (Friel 1999 462) montrant

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quil nest pas dupe des maniegraveres de Rice Au cours du deuxiegraveme acte il remarque que laccent de Rice manque parfois de consistance laquo Il seacutenervait tellement il ny avait plus aucune trace de laccent chic9 raquo (Friel 1999 485) De tels deacutetails font aussi eacutecho au reacutecit de Rice sur ses deacutebuts prometteurs et sur ses ambitions qui expliquent sa deacutecision dopeacuterer Molly mecircme si ce nest peut-ecirctre pas dans le meilleur inteacuterecirct de sa patiente Bref les accents indiqueacutes dans le texte original veulent ainsi appuyer les donneacutees de la fable

Le metteur en scegravene de la production canadienne plutocirct que demployer des accents canadiens de faccedilon agrave ce que les spectateurs saisissent les diffeacuterences de classe des personnages ou dutiliser un accent irlandais uniforme en renforccedilant les indices visuels a choisi deacutelibeacutereacutement de jouer la carte de lexotisme aux deacutepens de la lisibiliteacute Ce choix daccents approximatifs illustre les propos de Grene selon lesquels lidentiteacute irlandaise ne peut saffirmer pour les publics reacutecepteurs que dans lexotisme lalteacuteriteacute et le clicheacute plutocirct que dans un reacuteel souci dauthenticiteacute Dans sa synthegravese de la theacuteorie de Hans-Robert Jauss synthegravese qui tient compte du concept de laquo communauteacute interpreacutetative10 raquo de Stanley Fish et de Frank Lentricchia Susan Bennett affirme que les attentes des publics reacutecepteurs laquo modifient raquo les œuvres lues (1997 48) La laquo communauteacute interpreacutetative raquo (constitueacutee par le public les creacuteateurs et la presse eacutecrite de Toronto) associe consciemment ou non leacutepithegravete laquo irlandais raquo aux immigrants peu eacuteduqueacutes et issus de milieux populaires chasseacutes dIrlande par la grande famine des anneacutees 184011 (Ignatiev 1995 148-176)

Il sagit lagrave dun type dassociation hasardeuse qui a manifestement influenceacute R H Thomson dans son interpreacutetation du rocircle de Frank le personnage de Molly Sweeney Lacteur employait un accent (trop) prononceacute qui selon au moins une critique manquait de consistance (Kershaw et Lingerfelt 2001) et lanccedilait souvent ses reacutepliques dans le but de faire rire sans rendre compte du cocircteacute poignant du personnage de ses obsessions eacutepheacutemegraveres comme de son incapaciteacute agrave accepter les conseacutequences de ses actions Il jouait un laquo Irlandais raquo au lieu de jouer son personnage Ainsi il semble que mecircme les plus chevronneacutes des acteurs canadiens-anglais tombent parfois dans le piegravege dune repreacutesentation caricaturale de lIrlandais -1laquo Irish Stage Figure raquo - et sacrifient leur jeu aux clicheacutes du bouffon du rebelle du gros buveur ou du noble paysan pour ne rien dire de la toile de fond obligeacutee de la misegravere et de la famine

Mecircme si son reacutepertoire nest pas exactement le mecircme force est de constater que le milieu montreacutealais sinteacuteresse autant au theacuteacirctre contemporain irlandais quagrave celui de la Ville reine Ont aussi eacuteteacute produites Des roches dans ses poches Stones in his Pockets) de Marie Jones en 2002 Danser agrave Lughnasa Dancing at Lughnasa) de Brian Friel en 2003 Billy Veacuteclopeacute The Cripple of Inishmaan) de Martin McDonagh en 2005 Nuit dlrlande Night in November) de Marie Jones en 2006 Cest incontestablement le directeur

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artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture Jean-Denis Leduc qui a joueacute un veacuteritable rocircle de promoteur aupregraves du milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois en 2001 La Manufacture preacutesente La reine de beauteacute de Leenane The Beauty Queen ofLeenane) de Martin McDonagh en 2002 Howie le Rookie de Mark ORowe en 2004 Doldrum Bay de Hilary Fannin et Tecircte premiegravere (Crestfall) une piegravece eacutegalement signeacutee Mark ORowe en 2005

Que ce theacuteacirctre de taille intermeacutediaire ait monteacute une production de Howie le Rookie neacutetonne guegravere Il sagit dun texte composeacute de deux longs monologues veacuteritables morceaux de bravoure pour de jeunes interpregravetes masculins dont la porteacutee sociale est indeacuteniable puisquil eacutetablit un lien direct entre la pauvreteacute des personnages et les eacuteveacutenements qui marquent leur trajet Contrairement agrave celle de Brian Friel agrave Toronto lœuvre de Mark ORowe eacutetait lors de la creacuteation agraveHowie le Rookie meacuteconnue du public francophone de Montreacuteal

Serait-il abusif de voir dans laccueil reacuteserveacute par Montreacuteal au theacuteacirctre irlandais et agrave Howie le Rookie et agrave Danser agrave Lughnaser en particulier un contre-exemple du pheacutenomegravene deacutecrit par Grene Certes lagrave aussi le theacuteacirctre irlandais est consideacutereacute pour une part comme une marchandise importeacutee mais dans une moindre mesure quailleurs En effet tout en eacutevoquant agrave maintes reprises les origines irlandaises du texte et de son auteur le directeur artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture et la presse ont mis surtout laccent sur la moderniteacute du texte et la particulariteacute de sa langue langue dont on souligne plus loriginaliteacute stylistique que le caractegravere reacutegional Manifestement lapport des immigreacutes agrave la socieacuteteacute queacutebeacutecoise mythifieacute par la culture populaire na joueacute aucun rocircle dans le fait quelle ait eacuteteacute retenue par Leduc et seul le critique Jean St-Hilaire du Soleil de Queacutebec y fait allusion indirectement tout en soulignant lui aussi la moderniteacute du texte et son aspect urbain12

Leduc eacutecrit dailleurs

Avant toute chose son theacuteacirctre nous parle de qui nous sommes Sincegravere et transparent il sait fouiller lacircme humaine ses vulneacuterabiliteacutes ses deacutesirs ses forces et ses secrets La langue de ORowe comme celle de Choiniegravere est vive urbaine dangereuse incisive et vraie Elle a du souffle et respire la moderniteacute (2002 3)

Howie the Rookie de Mark ORowe se deacuteroule en entier dans un contexte urbain ce qui explique quelle ait moins souffert de sa transposition agrave Montreacuteal Ses reacutefeacuterences culturelles sont celles des icocircnes occidentales du fast food des films hollywoodiens et de la teacuteleacutevision ameacutericaine compreacutehensibles agrave la fois par les publics dublinois et montreacutealais Comme le constate la critique Amy Barratt du Montreal Mirror laquo Howie le Rookie ressemble au titre dune eacutemission de teacuteleacutevision canadienne au sujet dune eacutequipe de hockey fictive13 raquo (2002)

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Cest sans aucun doute lune des raisons de la visibiliteacute meacutediatique dont a beacuteneacuteficieacute la piegravece et qui deacutepasse celle des autres piegraveces dorigine irlandaise monteacutees dans la meacutetropole queacutebeacutecoise depuis 2000 Car si le laquo nous raquo dont parle Leduc est celui du public montreacutealais il est aussi le nom des reacutesidents pauvres des quartiers deacutefavoriseacutes des grandes villes occidentales laquo De bien des faccedilons ce Dublin-lagrave qui tombe agrave peine sous la coupe des lois ordinaires ressemble agrave la zone de tant de grandes villes Sa singulariteacute samplifie toutefois gracircce au regard imaginatif et sans fard que pose ORowe sur une telle faune raquo (2002 B8) remarque Herveacute Guay du Devoir

Dans la version franccedilaise la mention de certains lieux connus agrave Dublin rappelle ponctuellement au spectateur que laction se deacuteroule dans la capitale irlandaise (la boutique Harry Moore la laquo Mercy Loop raquo Dame Street etc) Neacuteanmoins le texte est deacutepourvu de toute mention dune quecircte identitaire quelconque thegraveme reacutecurrent dans la dramaturgie postcoloniale Howie Lee le protagoniste est plutocirct en quecircte de reacutedemption pour avoir eacuteteacute agrave lorigine de la mort de son petit fregravere Moussey Si le trajet de sa chute est raconteacute par cet antiheacuteros lui-mecircme celui de sa reacutedemption est raconteacute apregraves sa mort par un teacutemoin Rookie Lee Cest ainsi que le public apprend que le premier conteur au moment de paraicirctre devant les spectateurs eacutetait en fait un fantocircme

Il semblait acquis pour le metteur en scegravene Fernand Rainville que la preacutesence sur scegravene dun ecirctre fantasmagorique ne poserait aucun problegraveme au public montreacutealais alors quelle en avait poseacute un au public torontois de Portia Coughlan Il na donc pas senti le besoin de lexpliciter sceacuteniquement pas plus quil na eu recours agrave des strateacutegies sceacuteniques pour expliquer laspect atemporel de la piegravece Au contraire il a situeacute laction dans un no mans land spatial Lespace sceacutenique proposeacute par la sceacutenographe Patricia Ruel eacutevoquait un sous-sol ou une maison abandonneacutee un espace neutre clos deacutepourvu de reacutefeacuterences culturelles particuliegraveres et ayant comme seule entreacutee une cage descalier au fond quelques poutres en meacutetal tombeacutees du plafond soulignaient agrave la fois leacutetat de leacutedifice et leacutetat desprit des personnages deacutestabiliseacutes quils sont par les eacuteveacutenements quils racontent

Cest aussi labsence dun horizon dattente preacutecis qui a donc permis au public montreacutealais deacutevaluer le texte et lhistoire en tant que tels Cette disponibiliteacute du public sexplique par le fait que le theacuteacirctre queacutebeacutecois est moins reacutealiste que son homologue canadien-anglais et que bon nombre de fantocircmes traversent les piegraveces dauteurs comme Michel Marc Bouchard et Jean Marc Dalpeacute ce dernier eacutetant par ailleurs eacutetroitement associeacute au Theacuteacirctre de La Manufacture depuis son deacutepart du Theacuteacirctre du Nouvel-Ontario de Sudbury De plus la langue dORowe se lit tout comme celle de Carr dans Portia Coughlan comme une version poeacutetiseacutee du vernaculaire irlandais une approche dramaturgique qui retrouve eacutegalement de fortes reacutesonances au Queacutebec faut-il souligner

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la parenteacute avec la langue des dramaturges Daniel Danis Michel Tremblay et Claude Gauvreau (Blonde 2003) Si la presse a fait souvent mention de la particulariteacute de la langue dramatique dHowie le Rookie - notamment Marie-Christine Biais de La Presse Joseacutee Chaboillez du Montreacuteal Express de la Socieacuteteacute Radio-Canada et mecircme Matt Radz du Montreal Gazette - elle na jamais eacutevoqueacute de difficulteacute de compreacutehension14

Cest sur ce rapport particulier agrave la langue theacuteacirctrale quont en commun les theacuteacirctres irlandais et queacutebeacutecois que repose latraduction dOlivier Choiniegravere il propose une poeacutesie laquo eacutequivalente raquo agrave celle dORowe Par exemple dans louverture du monologue de Rookie Lee le personnage affirme laquo Handsome bastard I am Bit attractive to the dollys theyre into me I Find them easy to pick up easy to get I Break hearts an hymens I do raquo traduite en franccedilais par laquo Jtun beau salaud cest sucircr Pas dma faute si jpogne avec les babes quest-ce que tu veux jai ccedila dans le sang Facile pour moi des attirer encore plus facile des coucher Bourreau dcœurs briseur dhymens amen raquo Mecircme la comparaison la plus superficielle de ces brefs extraits indique que la parlure dORowe - dont une partie importante des mots sont transcrits phoneacutetiquement afin dimposer une prononciation preacutecise aux interpregravetes anglophones - a eacuteteacute rendue par un franccedilais laquo joualiseacute raquo tout aussi laquo construit raquo que loriginal

Cest justement en eacutevitant les contraintes dun franccedilais normatif que lefficaciteacute seacutemantique et poeacutetique de loriginal a eacuteteacute conserveacutee Et puisquil est impossible de preacuteserver un laquo accent raquo ou de reproduire les particulariteacutes syntaxiques du parler irlandais qui ont inspireacute ORowe Choiniegravere a utiliseacute le vernaculaire queacutebeacutecois comme mateacuteriau pour creacuteer un rythme un souffle et une eacutenergie aussi chaotiques que ceux de loriginal mecircme si par moments laspect polysyllabique du franccedilais rend son texte plus verbeux que loriginal Le fait que la creacuteation langagiegravere soit au cœur mecircme du projet de monter Howie le Rookie dans une version franccedilaise situe tout le projet loin des preacuteoccupations mercantiles du theacuteacirctre occidental dont parle Grene

Danser agrave Lughnasa occupe une place tout aussi importante dans les productions du theacuteacirctre irlandais contemporain sur les scegravenes montreacutealaises La piegravece a eacuteteacute creacuteeacutee dans le cadre dune collaboration entre le theacuteacirctre dit national - le Theacuteacirctre du Nouveau Monde -et un theacuteacirctre reacutegional - Le Bic - situeacute agrave quelques kilomegravetres de Rimouski Il importe de souligner que le directeur artistique du Abbey Ben Barnes a mis en scegravene cette version traduite de loriginal sans comprendre le franccedilais et que le comeacutedien qui jouait le rocircle de Michael Maxime Deacutenommeacutee avait connu un grand succegraves un an plus tocirct dans le rocircle de Howie Lee Sacrifiant de nouveau agrave certains clicheacutes lieacutes agrave lidentiteacute irlandaise la campagne promotionnelle montreacutealaise eacutetait largement axeacutee sur le fait que les comeacutediennes de la piegravece laquo dansaient raquo comme le souligne le communiqueacute de presse du Theacuteacirctre du Nouveau

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Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

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Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

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moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

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un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

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Page 3: Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

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une marchandise dimport-export sappuyant sur le fait quil est consideacutereacute par certains plus comme un objet agrave mettre en marcheacute que comme un mouvement artistique Le theacuteacirctre irlandais souligne Grene laquo constitue en soi une cateacutegorie agrave part parce quil tranche de lui-mecircme avec le courant meacutetropolitain dominant1 raquo (1999 262) Sans parler de laquo nostalgie raquo il est clair que la repreacutesentation de la vie rurale explique en partie linteacuterecirct du public mecircme si les textes preacutesenteacutes sont tregraves critiques envers cette vision steacutereacuteotypeacutee de la culture de lidentiteacute et par extension du theacuteacirctre irlandais Pour Grene cest ce malentendu joint agrave la distance linguistique qui expliquent la perception de lIrlande comme laquo Alteacuteriteacute raquo laquoOthernessraquo) (1999 268) et les modaliteacutes des productions des piegraveces irlandaises agrave Toronto agrave Montreacuteal et ailleurs

Les œuvres de Carr dORowe et de Friel mecircme si elles se distinguent par une inscription explicite dans la socieacuteteacute contemporaine neacutechappent pas agrave cette perception mecircme si la plupart des irlandistes les deacutefinissent comme profondeacutement laquo postcoloniales raquo et symboliques repreacutesentatives de laffranchissement du theacuteacirctre irlandais Par conseacutequent leur reacuteception critique voire leur fonction au sein des deux institutions theacuteacirctrales eacutetrangegraveres dont il sera question ici ne peuvent ecirctre compareacutees agrave celles quy reccediloivent les productions des piegraveces de Bernard Shaw de Samuel Beckett ou dOscar Wilde qui en tant que laquo marchandises raquo sont a priori consideacutereacutees comme des importations britanniques pour des raisons historiques eacutevidentes De plus la proximiteacute culturelle entre les Canadiens anglais les Queacutebeacutecois et les Irlandais limite lusage que lon pourrait faire dans cette eacutetude de laquo linterculturel raquo reacutefeacuterence obligeacutee et deacutefinie par Patrice Pavis et Erika Fischer-Lichte2 En effet lorsquune piegravece voyage de lIrlande vers une scegravene torontoise ou montreacutealaise aucune culture des deux nest exposeacutee agrave une alteacuteriteacute radicale Il nen demeure pas moins que ces transferts supposent une alteacuteration du sens de la piegravece car ils entraicircnent neacutecessairement des interpreacutetations fondeacutees sur les meacutecanismes sociaux et culturels de la socieacuteteacute hocircte Ces piegraveces sont donc choisies monteacutees et moduleacutees selon les besoins et les normes de linstitution theacuteacirctrale reacuteceptrice comme lont montreacute Gay McAuley (2003) et Rie Knowles (2004)

Les milieux de theacuteacirctre canadiens-anglais et irlandais partagent non seulement une langue mais aussi un fondement ideacuteologique semblable Ils accordent depuis le deacutebut des anneacutees 70 une place privileacutegieacutee au theacuteacirctre de creacuteation encouragent la diversiteacute estheacutetique et font la promotion de leur particulariteacute culturelle Il est donc eacutetonnant de constater agrave quel point les creacuteateurs torontois se soucient parfois peu des particulariteacutes linguistiques et autres des textes irlandais quils montent Plus encore leurs choix sceacuteniques inspireacutes par une conception steacutereacuteotypeacutee de lidentiteacute irlandaise creacuteent chez le public une illusoire familiariteacute qui facilite la mise en marcheacute et la reacuteception Par contre les traducteurs les praticiens et les critiques francophones reacutesistent mieux au pheacutenomegravene de

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laquo marchandisation raquo deacutecrit par Grene sans pour autant y eacutechapper complegravetement Agrave Montreacuteal la faveur du theacuteacirctre irlandais relegraveve plutocirct du fait quon considegravere sa production dramaturgique laquo moderne raquo laquo urbaine raquo et laquo riche de deacutebats raquo mais aussi comme un lieu de recherche formelle ce qui est aussi lune des caracteacuteristiques principales de la production queacutebeacutecoise depuis la Reacutevolution tranquille

Dans un rapport publieacute en 1997 la directrice geacuteneacuterale du Hummingbird Centre de Toronto Elizabeth Bradley affirme que la programmation de cette salle se veut le reflet de la diversiteacute culturelle de son public Cette administratrice du plus grand centre de diffusion des arts de la scegravene au Canada - la Canadian Opera Company et le Ballet national du Canada y preacutesentaient leurs spectacles jusquagrave leacuteteacute 2006 - affirme que laquo si la culture particuliegravere de certains publics est agrave lorigine de productions denvergure [] cest parce que ces derniers peuvent les soutenir financiegraverement3 raquo (Bell 1997 5) alors mecircme quelle a deacutecideacute daccueillir une production irlandaise agrave grand deacuteploiement soit Riverdance Cette coiumlncidence illustre agrave quel point les consideacuterations eacuteconomiques ont influeacute sur certaines deacutecisions de programmation au cours de la peacuteriode durant laquelle Toronto a connu une augmentation significative du nombre de productions de textes irlandais Une augmentation qui peut aussi sexpliquer par limpact du deacuteveloppement eacuteconomique du laquo Celtic Tiger Boom raquo comme par le succegraves remporteacute par la nouvelle dramaturgie irlandaise sur les grandes scegravenes de Londres et de New York Outre les productions venues en tourneacutee les productions torontoises de piegraveces irlandaises les plus importantes ont eacuteteacute creacuteeacutees par le Canadian Stage Company - Molly Sweeney de Brian Friel (1998) et Lonesome West de Martin McDonagh (2002) au Bluma Appel Theatre ainsi que The Weir de Conor McPherson (2000) et Tillsonburg de Malachy McKenna (2001) au Berkeley Street Theatre sous la direction entre autres de Miles Potter de Christopher Hoile et de Jackie Maxwell lactuelle directrice artistique du Shaw Festival originaire de Belfast qui sest consacreacutee plus que quiconque pendant les anneacutees 90 agrave la promotion de la dramaturgie irlandaise dans le milieu torontois On peut encore signaler la production des laquo monodrames raquo de Conor McPherson au Summerwork Festival et sur la scegravene de petits theacuteacirctres indeacutependants un peu partout dans la ville ainsi que la premiegravere canadienne de Portia Coughlan de Marina Carr au Glen Morris Studio de lUniversiteacute de Toronto dans une mise en scegravene de Natalie Harrower

Cette programmation sexplique agrave la fois par la repreacutesentation de la piegravece par ses liens avec le Canada et par le mandat artistique des compagnies En effet les spectateurs torontois avaient deacutejagrave entendu parler de la plupart de ces piegraveces avant quelles ne soient produites au Canada ou ils en connaissaient lauteur Par exemple la piegravece The Weir avait connu un grand succegraves au World Stage Festival de Toronto en 1998 dans le cadre de la tourneacutee du Gate Theatre de Dublin Brian Friel eacutetait connu gracircce agrave la version

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cineacutematographique de sa piegravece Dancing at Lughnasa qui avait fait lobjet de nombreuses productions professionnelles et amateur un peu partout au Canada En outre la production irlandaise de la Leenane Trilogy de Martin McDonagh dont Lonesome West constitue la troisiegraveme et derniegravere partie jouait deacutejagrave agrave Broadway au moment de louverture de la piegravece agrave Toronto Seule la trageacutedie de Marina Carr Portia Coughlan eacutetait agrave peine connue au Canada

Laction de cette piegravece se deacuteroule le jour du 30e anniversaire du personnage eacuteponyme Portia est hanteacutee par le fantocircme de son fregravere jumeau Gabriel noyeacute le jour de leur 15e anniversaire dans la riviegravere Belmont Elle est megravere malgreacute elle de trois garccedilons Son indiffeacuterence agrave leacutegard de ses enfants est le reflet de la mauvaise relation quelle a veacutecue avec sa propre megravere elle a beau tenter de se perdre dans des aventures sexuelles avec les hommes du village ou dans une folle danse au pub lappel enchanteur de son fregravere deacutefunt qui apparaicirct en scegravene de temps agrave autre lemporte petit agrave petit

Les actes de la piegravece sont inverseacutes le premier commence le matin de lanniversaire de Portia le deuxiegraveme se deacuteroule au moment de ses funeacuterailles et le troisiegraveme la veille de sa mort Les premiers critiques nord-ameacutericains ont trouveacute cette structure compliqueacutee4 et la metteur en scegravene Natalie Harrower craignait quil en soit de mecircme pour les spectateurs torontois Elle sest donc eacuteloigneacutee du texte lui ajoutant un prologue et un eacutepilogue muets au cours desquels les personnages entrent en scegravene lun agrave la suite de lautre eacuteclaireacutes par des bougies en regardant dans la riviegravere ce qui rappelle preacuteciseacutement le deacutebut du deuxiegraveme acte au moment ougrave le corps de Portia est sorti de leau Des reacutefeacuterences agrave la trageacutedie antique facilitent aussi la compreacutehension de la piegravece car contrairement agrave ce quen a dit le critique Joshua Tanzer la piegravece nest pas centreacutee sur la magie (2002) mais bien sur la fataliteacute dun destin celui de Portia qui la conduit ineacutevitablement au suicide (Doyle 2006) Sil est tregraves commun dans la dramaturgie irlandaise de repreacutesenter des eacuteveacutenements surnaturels et de briser la lineacuteariteacute de lintrigue5 il fallait pour un public peu habitueacute par sa propre dramaturgie agrave de tels proceacutedeacutes que la mise en scegravene les explicite

La piegravece se deacuteroule dans trois lieux principaux au bord de la riviegravere dans la maison de Portia et au pub Les deux derniers sont des lieux souvent exploiteacutes par la dramaturgie irlandaise Or la structure eacutepisodique de ce texte qui force agrave effectuer des transitions rapides entre chaque lieu limite les possibiliteacutes de concevoir un deacutecor reacutealiste La sceacutenographie de la production canadienne prenait donc de grandes liberteacutes avec le reacutealisme comme avec des images steacutereacuteotypeacutees de lIrlande Des accessoires amovibles eacutetaient disperseacutes sur une scegravene vide et servaient agrave repreacutesenter les diffeacuterents espaces de la maison de Portia et du pub La riviegravere pregraves de laquelle Portia rencontre ses amants pour seacutevader de sa vie quotidienne coulait agrave lavant de la scegravene et cocircteacute cour Le deacutecor composeacute

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principalement dune toile de fond peinte en un motif abstrait de verts et de bruns nancrait pas plus la production dans un lieu preacutecis mecircme si lutilisation de certaines couleurs permettait de deacutemarquer les espaces inteacuterieur et exteacuterieur de la maison Lespace surnaturel quant agrave lui existait dans lunivers sonore - les chants de Gabriel - et eacutetait lieacute agrave la rive puisque ce personnage entrait cocircteacute jardin et restait pregraves de la riviegravere pour chanter Somme toute la sceacutenographe Tanit Mendes a reacuteussi agrave conjuguer un deacutecor flexible et un espace intime

Les reacutefeacuterences agrave lIrlande reposaient essentiellement sur laccent et sur deux chansons celle dun juke-box dans le pub et celle que chante agrave Portia son fregravere deacutefunt La metteur en scegravene Natalie Harrower avait dabord penseacute utiliser une musique irlandaise traditionnelle comme ceacutetait le cas dans la production de la piegravece preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Mais son choix sest finalement arrecircteacute sur une chanson de rock celtique du groupe irlandais les Saw Doctors laquo Used To Love Her6 raquo dont le rythme deacutesordonneacute convenait agrave la laquo danse folle raquo du personnage de Portia et dont les paroles semblaient renvoyer agrave lhistoire Pour la chanson de Gabriel Harrower aurait voulu employer une chanson en eacutecossais afin dobscurcir le sens des mots tout en eacutevoquant la culture dorigine du texte Selon elle la langue eacutetait moins importante que son laquo effet auditifraquo sur les spectateurs qui pour la plupart ne sauraient distinguer les diffeacuterentes langues gaeacuteliques Elle tenait aussi agrave ce que la musique reacuteponde aux attentes dun spectateur canadien anglais pour lequel une musique traditionnelle signifie laquo pub irlandais raquo quelle soit irlandaise ou non Mais elle a opteacute en fin de compte pour une ballade traditionnelle irlandaise laquo She Moved Through the Fair raquo

De mecircme les horizons dattente du public imposent aux acteurs le recours aux accents Les critiques ne se font pas faute de commenter la capaciteacute des comeacutediens agrave conserver des accents creacutedibles7 Alors que les acteurs canadiens-anglais emploient souvent leur propre accent pour jouer des textes dorigine eacutetrangegravere mdash quils soient originellement eacutecrits en anglais ou traduits - les rythmes et la syntaxe des dialogues de Portia Coughlan les ont inciteacutes agrave reproduire les accents irlandais sans que leur metteur en scegravene les y ait contraints Car Marina Carr a eacutecrit cette piegravece en sinspirant dun patois de la reacutegion centrale de lIrlande certains mots sont mecircme transcrits phoneacutetiquement afin que la prononciation des acteurs soit prescrite par le texte Lorthographe a peut-ecirctre eacuteteacute normaliseacutee pour la publication du theacuteacirctre de Marina Carr en 1999 mais Portia Coughlan contient toujours des eacutechanges typiques des structures syntaxiques irlandaises

En fait les creacuteateurs de la plupart des productions torontoises que ce soit dans un theacuteacirctre de petite taille comme le Glen Morris Studio ou dans un theacuteacirctre dit laquo institutionnel raquo comme le Canadian Stage optent pour des accents qui sont laquo assez

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irlandais raquo pour permettre aux spectateurs canadiens de situer la piegravece dans le contexte culturel et geacuteographique mecircme si ces accents paraissent faux agrave un spectateur irlandais

Le choix de preacutesenter Molly Sweeney de Friel avec des accents irlandais a ainsi obscurci certains des eacuteleacutements de caracteacuterisation normalement rendus par lunivers sonore de la production irlandaise Avant decirctre reprise agrave Toronto dans une nouvelle creacuteation la piegravece avait dabord eacuteteacute monteacutee au Gate Theatre agrave Dublin en 1994 Elle a depuis eacuteteacute produite un peu partout dans le monde y compris dans une traduction franccedilaise intituleacutee Molly S Trois personnages qui occupent tous un espace dramatique diffeacuterent mais qui partagent la scegravene monologuent Molly est aveugle depuis sa tendre enfance mais Frank son mari est deacutetermineacute agrave tout faire pour quelle recouvre la vue Cest lun de ses nombreux projets agrave court terme tels celui deacutelever des chegravevres iraniennes ou de sauver les baleines Il fait donc appel agrave un chirurgien ophtalmologiste dont la carriegravere a eacuteteacute ruineacutee par lalcoolisme et qui voit en Molly loccasion de retrouver une gloire perdue Lintervention chirurgicale reacuteussit mais Molly qui ignore comment interpreacuteter les images que ses yeux lui preacutesentent se replie sur elle-mecircme et finira la piegravece seule abandonneacutee par Frank dans un hocircpital psychiatrique

Au moment de la creacuteation irlandaise de cette piegravece lauteur a agi agrave titre de metteur en scegravene et Joe Vanek en tant que sceacutenographe Chacun des trois acteurs eacutetait assis sur une chaise de style diffeacuterent devant une toile de fond deacutecoreacutee dune fenecirctre et des feuilles mortes eacutetaient reacutepandues sur la scegravene La nature statique de ce concept accentuait la litteacuterariteacute du texte La conception sceacutenographique dAstrid Jansen pour la production torontoise creacuteait au contraire une sensation de mouvement disolement et de juxtaposition Chaque personnage eacutetait assis agrave diffeacuterents endroits dune plateforme eacutetroite qui zigzaguait dun bout agrave lautre de la scegravene et dont linclinaison servait agrave creacuteer une distance tant verticale quhorizontale entre les acteurs et une illusion de deacuteplacement physique et de changement temporel Leacuteclairage accentuait lisolement de chaque personnage illumineacute par un seul projecteur comme si chacun vivait ses propres souvenirs dans son propre espace psychologique Le caractegravere laquo irlandais raquo de la piegravece ne pouvait donc reposer que sur des eacuteleacutements sonores

Le choix mecircme dutiliser les accents semble curieux agrave certains eacutegards puisque cette piegravece en fait beaucoup moins usage que les autres textes de Friel Il faut rappeler que les accents en Irlande sont moduleacutes par la geacuteographie leacuteducation et la classe sociale laccent et la syntaxe de Rice lophtalmologiste et de Molly eacutetablissent donc leacutecart qui les distingue des origines sociales de Frank Agrave propos de laquo laccent huppeacute raquo de Rice Frank dira pendant le premier acte laquo Et il est neacute dans le village de Kilmeedy dans le comteacute de Limerick nom de Dieu Je ne me suis jamais vraiment fait agrave cet homme8 raquo (Friel 1999 462) montrant

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quil nest pas dupe des maniegraveres de Rice Au cours du deuxiegraveme acte il remarque que laccent de Rice manque parfois de consistance laquo Il seacutenervait tellement il ny avait plus aucune trace de laccent chic9 raquo (Friel 1999 485) De tels deacutetails font aussi eacutecho au reacutecit de Rice sur ses deacutebuts prometteurs et sur ses ambitions qui expliquent sa deacutecision dopeacuterer Molly mecircme si ce nest peut-ecirctre pas dans le meilleur inteacuterecirct de sa patiente Bref les accents indiqueacutes dans le texte original veulent ainsi appuyer les donneacutees de la fable

Le metteur en scegravene de la production canadienne plutocirct que demployer des accents canadiens de faccedilon agrave ce que les spectateurs saisissent les diffeacuterences de classe des personnages ou dutiliser un accent irlandais uniforme en renforccedilant les indices visuels a choisi deacutelibeacutereacutement de jouer la carte de lexotisme aux deacutepens de la lisibiliteacute Ce choix daccents approximatifs illustre les propos de Grene selon lesquels lidentiteacute irlandaise ne peut saffirmer pour les publics reacutecepteurs que dans lexotisme lalteacuteriteacute et le clicheacute plutocirct que dans un reacuteel souci dauthenticiteacute Dans sa synthegravese de la theacuteorie de Hans-Robert Jauss synthegravese qui tient compte du concept de laquo communauteacute interpreacutetative10 raquo de Stanley Fish et de Frank Lentricchia Susan Bennett affirme que les attentes des publics reacutecepteurs laquo modifient raquo les œuvres lues (1997 48) La laquo communauteacute interpreacutetative raquo (constitueacutee par le public les creacuteateurs et la presse eacutecrite de Toronto) associe consciemment ou non leacutepithegravete laquo irlandais raquo aux immigrants peu eacuteduqueacutes et issus de milieux populaires chasseacutes dIrlande par la grande famine des anneacutees 184011 (Ignatiev 1995 148-176)

Il sagit lagrave dun type dassociation hasardeuse qui a manifestement influenceacute R H Thomson dans son interpreacutetation du rocircle de Frank le personnage de Molly Sweeney Lacteur employait un accent (trop) prononceacute qui selon au moins une critique manquait de consistance (Kershaw et Lingerfelt 2001) et lanccedilait souvent ses reacutepliques dans le but de faire rire sans rendre compte du cocircteacute poignant du personnage de ses obsessions eacutepheacutemegraveres comme de son incapaciteacute agrave accepter les conseacutequences de ses actions Il jouait un laquo Irlandais raquo au lieu de jouer son personnage Ainsi il semble que mecircme les plus chevronneacutes des acteurs canadiens-anglais tombent parfois dans le piegravege dune repreacutesentation caricaturale de lIrlandais -1laquo Irish Stage Figure raquo - et sacrifient leur jeu aux clicheacutes du bouffon du rebelle du gros buveur ou du noble paysan pour ne rien dire de la toile de fond obligeacutee de la misegravere et de la famine

Mecircme si son reacutepertoire nest pas exactement le mecircme force est de constater que le milieu montreacutealais sinteacuteresse autant au theacuteacirctre contemporain irlandais quagrave celui de la Ville reine Ont aussi eacuteteacute produites Des roches dans ses poches Stones in his Pockets) de Marie Jones en 2002 Danser agrave Lughnasa Dancing at Lughnasa) de Brian Friel en 2003 Billy Veacuteclopeacute The Cripple of Inishmaan) de Martin McDonagh en 2005 Nuit dlrlande Night in November) de Marie Jones en 2006 Cest incontestablement le directeur

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artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture Jean-Denis Leduc qui a joueacute un veacuteritable rocircle de promoteur aupregraves du milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois en 2001 La Manufacture preacutesente La reine de beauteacute de Leenane The Beauty Queen ofLeenane) de Martin McDonagh en 2002 Howie le Rookie de Mark ORowe en 2004 Doldrum Bay de Hilary Fannin et Tecircte premiegravere (Crestfall) une piegravece eacutegalement signeacutee Mark ORowe en 2005

Que ce theacuteacirctre de taille intermeacutediaire ait monteacute une production de Howie le Rookie neacutetonne guegravere Il sagit dun texte composeacute de deux longs monologues veacuteritables morceaux de bravoure pour de jeunes interpregravetes masculins dont la porteacutee sociale est indeacuteniable puisquil eacutetablit un lien direct entre la pauvreteacute des personnages et les eacuteveacutenements qui marquent leur trajet Contrairement agrave celle de Brian Friel agrave Toronto lœuvre de Mark ORowe eacutetait lors de la creacuteation agraveHowie le Rookie meacuteconnue du public francophone de Montreacuteal

Serait-il abusif de voir dans laccueil reacuteserveacute par Montreacuteal au theacuteacirctre irlandais et agrave Howie le Rookie et agrave Danser agrave Lughnaser en particulier un contre-exemple du pheacutenomegravene deacutecrit par Grene Certes lagrave aussi le theacuteacirctre irlandais est consideacutereacute pour une part comme une marchandise importeacutee mais dans une moindre mesure quailleurs En effet tout en eacutevoquant agrave maintes reprises les origines irlandaises du texte et de son auteur le directeur artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture et la presse ont mis surtout laccent sur la moderniteacute du texte et la particulariteacute de sa langue langue dont on souligne plus loriginaliteacute stylistique que le caractegravere reacutegional Manifestement lapport des immigreacutes agrave la socieacuteteacute queacutebeacutecoise mythifieacute par la culture populaire na joueacute aucun rocircle dans le fait quelle ait eacuteteacute retenue par Leduc et seul le critique Jean St-Hilaire du Soleil de Queacutebec y fait allusion indirectement tout en soulignant lui aussi la moderniteacute du texte et son aspect urbain12

Leduc eacutecrit dailleurs

Avant toute chose son theacuteacirctre nous parle de qui nous sommes Sincegravere et transparent il sait fouiller lacircme humaine ses vulneacuterabiliteacutes ses deacutesirs ses forces et ses secrets La langue de ORowe comme celle de Choiniegravere est vive urbaine dangereuse incisive et vraie Elle a du souffle et respire la moderniteacute (2002 3)

Howie the Rookie de Mark ORowe se deacuteroule en entier dans un contexte urbain ce qui explique quelle ait moins souffert de sa transposition agrave Montreacuteal Ses reacutefeacuterences culturelles sont celles des icocircnes occidentales du fast food des films hollywoodiens et de la teacuteleacutevision ameacutericaine compreacutehensibles agrave la fois par les publics dublinois et montreacutealais Comme le constate la critique Amy Barratt du Montreal Mirror laquo Howie le Rookie ressemble au titre dune eacutemission de teacuteleacutevision canadienne au sujet dune eacutequipe de hockey fictive13 raquo (2002)

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Cest sans aucun doute lune des raisons de la visibiliteacute meacutediatique dont a beacuteneacuteficieacute la piegravece et qui deacutepasse celle des autres piegraveces dorigine irlandaise monteacutees dans la meacutetropole queacutebeacutecoise depuis 2000 Car si le laquo nous raquo dont parle Leduc est celui du public montreacutealais il est aussi le nom des reacutesidents pauvres des quartiers deacutefavoriseacutes des grandes villes occidentales laquo De bien des faccedilons ce Dublin-lagrave qui tombe agrave peine sous la coupe des lois ordinaires ressemble agrave la zone de tant de grandes villes Sa singulariteacute samplifie toutefois gracircce au regard imaginatif et sans fard que pose ORowe sur une telle faune raquo (2002 B8) remarque Herveacute Guay du Devoir

Dans la version franccedilaise la mention de certains lieux connus agrave Dublin rappelle ponctuellement au spectateur que laction se deacuteroule dans la capitale irlandaise (la boutique Harry Moore la laquo Mercy Loop raquo Dame Street etc) Neacuteanmoins le texte est deacutepourvu de toute mention dune quecircte identitaire quelconque thegraveme reacutecurrent dans la dramaturgie postcoloniale Howie Lee le protagoniste est plutocirct en quecircte de reacutedemption pour avoir eacuteteacute agrave lorigine de la mort de son petit fregravere Moussey Si le trajet de sa chute est raconteacute par cet antiheacuteros lui-mecircme celui de sa reacutedemption est raconteacute apregraves sa mort par un teacutemoin Rookie Lee Cest ainsi que le public apprend que le premier conteur au moment de paraicirctre devant les spectateurs eacutetait en fait un fantocircme

Il semblait acquis pour le metteur en scegravene Fernand Rainville que la preacutesence sur scegravene dun ecirctre fantasmagorique ne poserait aucun problegraveme au public montreacutealais alors quelle en avait poseacute un au public torontois de Portia Coughlan Il na donc pas senti le besoin de lexpliciter sceacuteniquement pas plus quil na eu recours agrave des strateacutegies sceacuteniques pour expliquer laspect atemporel de la piegravece Au contraire il a situeacute laction dans un no mans land spatial Lespace sceacutenique proposeacute par la sceacutenographe Patricia Ruel eacutevoquait un sous-sol ou une maison abandonneacutee un espace neutre clos deacutepourvu de reacutefeacuterences culturelles particuliegraveres et ayant comme seule entreacutee une cage descalier au fond quelques poutres en meacutetal tombeacutees du plafond soulignaient agrave la fois leacutetat de leacutedifice et leacutetat desprit des personnages deacutestabiliseacutes quils sont par les eacuteveacutenements quils racontent

Cest aussi labsence dun horizon dattente preacutecis qui a donc permis au public montreacutealais deacutevaluer le texte et lhistoire en tant que tels Cette disponibiliteacute du public sexplique par le fait que le theacuteacirctre queacutebeacutecois est moins reacutealiste que son homologue canadien-anglais et que bon nombre de fantocircmes traversent les piegraveces dauteurs comme Michel Marc Bouchard et Jean Marc Dalpeacute ce dernier eacutetant par ailleurs eacutetroitement associeacute au Theacuteacirctre de La Manufacture depuis son deacutepart du Theacuteacirctre du Nouvel-Ontario de Sudbury De plus la langue dORowe se lit tout comme celle de Carr dans Portia Coughlan comme une version poeacutetiseacutee du vernaculaire irlandais une approche dramaturgique qui retrouve eacutegalement de fortes reacutesonances au Queacutebec faut-il souligner

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la parenteacute avec la langue des dramaturges Daniel Danis Michel Tremblay et Claude Gauvreau (Blonde 2003) Si la presse a fait souvent mention de la particulariteacute de la langue dramatique dHowie le Rookie - notamment Marie-Christine Biais de La Presse Joseacutee Chaboillez du Montreacuteal Express de la Socieacuteteacute Radio-Canada et mecircme Matt Radz du Montreal Gazette - elle na jamais eacutevoqueacute de difficulteacute de compreacutehension14

Cest sur ce rapport particulier agrave la langue theacuteacirctrale quont en commun les theacuteacirctres irlandais et queacutebeacutecois que repose latraduction dOlivier Choiniegravere il propose une poeacutesie laquo eacutequivalente raquo agrave celle dORowe Par exemple dans louverture du monologue de Rookie Lee le personnage affirme laquo Handsome bastard I am Bit attractive to the dollys theyre into me I Find them easy to pick up easy to get I Break hearts an hymens I do raquo traduite en franccedilais par laquo Jtun beau salaud cest sucircr Pas dma faute si jpogne avec les babes quest-ce que tu veux jai ccedila dans le sang Facile pour moi des attirer encore plus facile des coucher Bourreau dcœurs briseur dhymens amen raquo Mecircme la comparaison la plus superficielle de ces brefs extraits indique que la parlure dORowe - dont une partie importante des mots sont transcrits phoneacutetiquement afin dimposer une prononciation preacutecise aux interpregravetes anglophones - a eacuteteacute rendue par un franccedilais laquo joualiseacute raquo tout aussi laquo construit raquo que loriginal

Cest justement en eacutevitant les contraintes dun franccedilais normatif que lefficaciteacute seacutemantique et poeacutetique de loriginal a eacuteteacute conserveacutee Et puisquil est impossible de preacuteserver un laquo accent raquo ou de reproduire les particulariteacutes syntaxiques du parler irlandais qui ont inspireacute ORowe Choiniegravere a utiliseacute le vernaculaire queacutebeacutecois comme mateacuteriau pour creacuteer un rythme un souffle et une eacutenergie aussi chaotiques que ceux de loriginal mecircme si par moments laspect polysyllabique du franccedilais rend son texte plus verbeux que loriginal Le fait que la creacuteation langagiegravere soit au cœur mecircme du projet de monter Howie le Rookie dans une version franccedilaise situe tout le projet loin des preacuteoccupations mercantiles du theacuteacirctre occidental dont parle Grene

Danser agrave Lughnasa occupe une place tout aussi importante dans les productions du theacuteacirctre irlandais contemporain sur les scegravenes montreacutealaises La piegravece a eacuteteacute creacuteeacutee dans le cadre dune collaboration entre le theacuteacirctre dit national - le Theacuteacirctre du Nouveau Monde -et un theacuteacirctre reacutegional - Le Bic - situeacute agrave quelques kilomegravetres de Rimouski Il importe de souligner que le directeur artistique du Abbey Ben Barnes a mis en scegravene cette version traduite de loriginal sans comprendre le franccedilais et que le comeacutedien qui jouait le rocircle de Michael Maxime Deacutenommeacutee avait connu un grand succegraves un an plus tocirct dans le rocircle de Howie Lee Sacrifiant de nouveau agrave certains clicheacutes lieacutes agrave lidentiteacute irlandaise la campagne promotionnelle montreacutealaise eacutetait largement axeacutee sur le fait que les comeacutediennes de la piegravece laquo dansaient raquo comme le souligne le communiqueacute de presse du Theacuteacirctre du Nouveau

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Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

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Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

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moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

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un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

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LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 105

laquo marchandisation raquo deacutecrit par Grene sans pour autant y eacutechapper complegravetement Agrave Montreacuteal la faveur du theacuteacirctre irlandais relegraveve plutocirct du fait quon considegravere sa production dramaturgique laquo moderne raquo laquo urbaine raquo et laquo riche de deacutebats raquo mais aussi comme un lieu de recherche formelle ce qui est aussi lune des caracteacuteristiques principales de la production queacutebeacutecoise depuis la Reacutevolution tranquille

Dans un rapport publieacute en 1997 la directrice geacuteneacuterale du Hummingbird Centre de Toronto Elizabeth Bradley affirme que la programmation de cette salle se veut le reflet de la diversiteacute culturelle de son public Cette administratrice du plus grand centre de diffusion des arts de la scegravene au Canada - la Canadian Opera Company et le Ballet national du Canada y preacutesentaient leurs spectacles jusquagrave leacuteteacute 2006 - affirme que laquo si la culture particuliegravere de certains publics est agrave lorigine de productions denvergure [] cest parce que ces derniers peuvent les soutenir financiegraverement3 raquo (Bell 1997 5) alors mecircme quelle a deacutecideacute daccueillir une production irlandaise agrave grand deacuteploiement soit Riverdance Cette coiumlncidence illustre agrave quel point les consideacuterations eacuteconomiques ont influeacute sur certaines deacutecisions de programmation au cours de la peacuteriode durant laquelle Toronto a connu une augmentation significative du nombre de productions de textes irlandais Une augmentation qui peut aussi sexpliquer par limpact du deacuteveloppement eacuteconomique du laquo Celtic Tiger Boom raquo comme par le succegraves remporteacute par la nouvelle dramaturgie irlandaise sur les grandes scegravenes de Londres et de New York Outre les productions venues en tourneacutee les productions torontoises de piegraveces irlandaises les plus importantes ont eacuteteacute creacuteeacutees par le Canadian Stage Company - Molly Sweeney de Brian Friel (1998) et Lonesome West de Martin McDonagh (2002) au Bluma Appel Theatre ainsi que The Weir de Conor McPherson (2000) et Tillsonburg de Malachy McKenna (2001) au Berkeley Street Theatre sous la direction entre autres de Miles Potter de Christopher Hoile et de Jackie Maxwell lactuelle directrice artistique du Shaw Festival originaire de Belfast qui sest consacreacutee plus que quiconque pendant les anneacutees 90 agrave la promotion de la dramaturgie irlandaise dans le milieu torontois On peut encore signaler la production des laquo monodrames raquo de Conor McPherson au Summerwork Festival et sur la scegravene de petits theacuteacirctres indeacutependants un peu partout dans la ville ainsi que la premiegravere canadienne de Portia Coughlan de Marina Carr au Glen Morris Studio de lUniversiteacute de Toronto dans une mise en scegravene de Natalie Harrower

Cette programmation sexplique agrave la fois par la repreacutesentation de la piegravece par ses liens avec le Canada et par le mandat artistique des compagnies En effet les spectateurs torontois avaient deacutejagrave entendu parler de la plupart de ces piegraveces avant quelles ne soient produites au Canada ou ils en connaissaient lauteur Par exemple la piegravece The Weir avait connu un grand succegraves au World Stage Festival de Toronto en 1998 dans le cadre de la tourneacutee du Gate Theatre de Dublin Brian Friel eacutetait connu gracircce agrave la version

106 LANNUgraveAIRE THEacuteAcircTRAL

cineacutematographique de sa piegravece Dancing at Lughnasa qui avait fait lobjet de nombreuses productions professionnelles et amateur un peu partout au Canada En outre la production irlandaise de la Leenane Trilogy de Martin McDonagh dont Lonesome West constitue la troisiegraveme et derniegravere partie jouait deacutejagrave agrave Broadway au moment de louverture de la piegravece agrave Toronto Seule la trageacutedie de Marina Carr Portia Coughlan eacutetait agrave peine connue au Canada

Laction de cette piegravece se deacuteroule le jour du 30e anniversaire du personnage eacuteponyme Portia est hanteacutee par le fantocircme de son fregravere jumeau Gabriel noyeacute le jour de leur 15e anniversaire dans la riviegravere Belmont Elle est megravere malgreacute elle de trois garccedilons Son indiffeacuterence agrave leacutegard de ses enfants est le reflet de la mauvaise relation quelle a veacutecue avec sa propre megravere elle a beau tenter de se perdre dans des aventures sexuelles avec les hommes du village ou dans une folle danse au pub lappel enchanteur de son fregravere deacutefunt qui apparaicirct en scegravene de temps agrave autre lemporte petit agrave petit

Les actes de la piegravece sont inverseacutes le premier commence le matin de lanniversaire de Portia le deuxiegraveme se deacuteroule au moment de ses funeacuterailles et le troisiegraveme la veille de sa mort Les premiers critiques nord-ameacutericains ont trouveacute cette structure compliqueacutee4 et la metteur en scegravene Natalie Harrower craignait quil en soit de mecircme pour les spectateurs torontois Elle sest donc eacuteloigneacutee du texte lui ajoutant un prologue et un eacutepilogue muets au cours desquels les personnages entrent en scegravene lun agrave la suite de lautre eacuteclaireacutes par des bougies en regardant dans la riviegravere ce qui rappelle preacuteciseacutement le deacutebut du deuxiegraveme acte au moment ougrave le corps de Portia est sorti de leau Des reacutefeacuterences agrave la trageacutedie antique facilitent aussi la compreacutehension de la piegravece car contrairement agrave ce quen a dit le critique Joshua Tanzer la piegravece nest pas centreacutee sur la magie (2002) mais bien sur la fataliteacute dun destin celui de Portia qui la conduit ineacutevitablement au suicide (Doyle 2006) Sil est tregraves commun dans la dramaturgie irlandaise de repreacutesenter des eacuteveacutenements surnaturels et de briser la lineacuteariteacute de lintrigue5 il fallait pour un public peu habitueacute par sa propre dramaturgie agrave de tels proceacutedeacutes que la mise en scegravene les explicite

La piegravece se deacuteroule dans trois lieux principaux au bord de la riviegravere dans la maison de Portia et au pub Les deux derniers sont des lieux souvent exploiteacutes par la dramaturgie irlandaise Or la structure eacutepisodique de ce texte qui force agrave effectuer des transitions rapides entre chaque lieu limite les possibiliteacutes de concevoir un deacutecor reacutealiste La sceacutenographie de la production canadienne prenait donc de grandes liberteacutes avec le reacutealisme comme avec des images steacutereacuteotypeacutees de lIrlande Des accessoires amovibles eacutetaient disperseacutes sur une scegravene vide et servaient agrave repreacutesenter les diffeacuterents espaces de la maison de Portia et du pub La riviegravere pregraves de laquelle Portia rencontre ses amants pour seacutevader de sa vie quotidienne coulait agrave lavant de la scegravene et cocircteacute cour Le deacutecor composeacute

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principalement dune toile de fond peinte en un motif abstrait de verts et de bruns nancrait pas plus la production dans un lieu preacutecis mecircme si lutilisation de certaines couleurs permettait de deacutemarquer les espaces inteacuterieur et exteacuterieur de la maison Lespace surnaturel quant agrave lui existait dans lunivers sonore - les chants de Gabriel - et eacutetait lieacute agrave la rive puisque ce personnage entrait cocircteacute jardin et restait pregraves de la riviegravere pour chanter Somme toute la sceacutenographe Tanit Mendes a reacuteussi agrave conjuguer un deacutecor flexible et un espace intime

Les reacutefeacuterences agrave lIrlande reposaient essentiellement sur laccent et sur deux chansons celle dun juke-box dans le pub et celle que chante agrave Portia son fregravere deacutefunt La metteur en scegravene Natalie Harrower avait dabord penseacute utiliser une musique irlandaise traditionnelle comme ceacutetait le cas dans la production de la piegravece preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Mais son choix sest finalement arrecircteacute sur une chanson de rock celtique du groupe irlandais les Saw Doctors laquo Used To Love Her6 raquo dont le rythme deacutesordonneacute convenait agrave la laquo danse folle raquo du personnage de Portia et dont les paroles semblaient renvoyer agrave lhistoire Pour la chanson de Gabriel Harrower aurait voulu employer une chanson en eacutecossais afin dobscurcir le sens des mots tout en eacutevoquant la culture dorigine du texte Selon elle la langue eacutetait moins importante que son laquo effet auditifraquo sur les spectateurs qui pour la plupart ne sauraient distinguer les diffeacuterentes langues gaeacuteliques Elle tenait aussi agrave ce que la musique reacuteponde aux attentes dun spectateur canadien anglais pour lequel une musique traditionnelle signifie laquo pub irlandais raquo quelle soit irlandaise ou non Mais elle a opteacute en fin de compte pour une ballade traditionnelle irlandaise laquo She Moved Through the Fair raquo

De mecircme les horizons dattente du public imposent aux acteurs le recours aux accents Les critiques ne se font pas faute de commenter la capaciteacute des comeacutediens agrave conserver des accents creacutedibles7 Alors que les acteurs canadiens-anglais emploient souvent leur propre accent pour jouer des textes dorigine eacutetrangegravere mdash quils soient originellement eacutecrits en anglais ou traduits - les rythmes et la syntaxe des dialogues de Portia Coughlan les ont inciteacutes agrave reproduire les accents irlandais sans que leur metteur en scegravene les y ait contraints Car Marina Carr a eacutecrit cette piegravece en sinspirant dun patois de la reacutegion centrale de lIrlande certains mots sont mecircme transcrits phoneacutetiquement afin que la prononciation des acteurs soit prescrite par le texte Lorthographe a peut-ecirctre eacuteteacute normaliseacutee pour la publication du theacuteacirctre de Marina Carr en 1999 mais Portia Coughlan contient toujours des eacutechanges typiques des structures syntaxiques irlandaises

En fait les creacuteateurs de la plupart des productions torontoises que ce soit dans un theacuteacirctre de petite taille comme le Glen Morris Studio ou dans un theacuteacirctre dit laquo institutionnel raquo comme le Canadian Stage optent pour des accents qui sont laquo assez

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irlandais raquo pour permettre aux spectateurs canadiens de situer la piegravece dans le contexte culturel et geacuteographique mecircme si ces accents paraissent faux agrave un spectateur irlandais

Le choix de preacutesenter Molly Sweeney de Friel avec des accents irlandais a ainsi obscurci certains des eacuteleacutements de caracteacuterisation normalement rendus par lunivers sonore de la production irlandaise Avant decirctre reprise agrave Toronto dans une nouvelle creacuteation la piegravece avait dabord eacuteteacute monteacutee au Gate Theatre agrave Dublin en 1994 Elle a depuis eacuteteacute produite un peu partout dans le monde y compris dans une traduction franccedilaise intituleacutee Molly S Trois personnages qui occupent tous un espace dramatique diffeacuterent mais qui partagent la scegravene monologuent Molly est aveugle depuis sa tendre enfance mais Frank son mari est deacutetermineacute agrave tout faire pour quelle recouvre la vue Cest lun de ses nombreux projets agrave court terme tels celui deacutelever des chegravevres iraniennes ou de sauver les baleines Il fait donc appel agrave un chirurgien ophtalmologiste dont la carriegravere a eacuteteacute ruineacutee par lalcoolisme et qui voit en Molly loccasion de retrouver une gloire perdue Lintervention chirurgicale reacuteussit mais Molly qui ignore comment interpreacuteter les images que ses yeux lui preacutesentent se replie sur elle-mecircme et finira la piegravece seule abandonneacutee par Frank dans un hocircpital psychiatrique

Au moment de la creacuteation irlandaise de cette piegravece lauteur a agi agrave titre de metteur en scegravene et Joe Vanek en tant que sceacutenographe Chacun des trois acteurs eacutetait assis sur une chaise de style diffeacuterent devant une toile de fond deacutecoreacutee dune fenecirctre et des feuilles mortes eacutetaient reacutepandues sur la scegravene La nature statique de ce concept accentuait la litteacuterariteacute du texte La conception sceacutenographique dAstrid Jansen pour la production torontoise creacuteait au contraire une sensation de mouvement disolement et de juxtaposition Chaque personnage eacutetait assis agrave diffeacuterents endroits dune plateforme eacutetroite qui zigzaguait dun bout agrave lautre de la scegravene et dont linclinaison servait agrave creacuteer une distance tant verticale quhorizontale entre les acteurs et une illusion de deacuteplacement physique et de changement temporel Leacuteclairage accentuait lisolement de chaque personnage illumineacute par un seul projecteur comme si chacun vivait ses propres souvenirs dans son propre espace psychologique Le caractegravere laquo irlandais raquo de la piegravece ne pouvait donc reposer que sur des eacuteleacutements sonores

Le choix mecircme dutiliser les accents semble curieux agrave certains eacutegards puisque cette piegravece en fait beaucoup moins usage que les autres textes de Friel Il faut rappeler que les accents en Irlande sont moduleacutes par la geacuteographie leacuteducation et la classe sociale laccent et la syntaxe de Rice lophtalmologiste et de Molly eacutetablissent donc leacutecart qui les distingue des origines sociales de Frank Agrave propos de laquo laccent huppeacute raquo de Rice Frank dira pendant le premier acte laquo Et il est neacute dans le village de Kilmeedy dans le comteacute de Limerick nom de Dieu Je ne me suis jamais vraiment fait agrave cet homme8 raquo (Friel 1999 462) montrant

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quil nest pas dupe des maniegraveres de Rice Au cours du deuxiegraveme acte il remarque que laccent de Rice manque parfois de consistance laquo Il seacutenervait tellement il ny avait plus aucune trace de laccent chic9 raquo (Friel 1999 485) De tels deacutetails font aussi eacutecho au reacutecit de Rice sur ses deacutebuts prometteurs et sur ses ambitions qui expliquent sa deacutecision dopeacuterer Molly mecircme si ce nest peut-ecirctre pas dans le meilleur inteacuterecirct de sa patiente Bref les accents indiqueacutes dans le texte original veulent ainsi appuyer les donneacutees de la fable

Le metteur en scegravene de la production canadienne plutocirct que demployer des accents canadiens de faccedilon agrave ce que les spectateurs saisissent les diffeacuterences de classe des personnages ou dutiliser un accent irlandais uniforme en renforccedilant les indices visuels a choisi deacutelibeacutereacutement de jouer la carte de lexotisme aux deacutepens de la lisibiliteacute Ce choix daccents approximatifs illustre les propos de Grene selon lesquels lidentiteacute irlandaise ne peut saffirmer pour les publics reacutecepteurs que dans lexotisme lalteacuteriteacute et le clicheacute plutocirct que dans un reacuteel souci dauthenticiteacute Dans sa synthegravese de la theacuteorie de Hans-Robert Jauss synthegravese qui tient compte du concept de laquo communauteacute interpreacutetative10 raquo de Stanley Fish et de Frank Lentricchia Susan Bennett affirme que les attentes des publics reacutecepteurs laquo modifient raquo les œuvres lues (1997 48) La laquo communauteacute interpreacutetative raquo (constitueacutee par le public les creacuteateurs et la presse eacutecrite de Toronto) associe consciemment ou non leacutepithegravete laquo irlandais raquo aux immigrants peu eacuteduqueacutes et issus de milieux populaires chasseacutes dIrlande par la grande famine des anneacutees 184011 (Ignatiev 1995 148-176)

Il sagit lagrave dun type dassociation hasardeuse qui a manifestement influenceacute R H Thomson dans son interpreacutetation du rocircle de Frank le personnage de Molly Sweeney Lacteur employait un accent (trop) prononceacute qui selon au moins une critique manquait de consistance (Kershaw et Lingerfelt 2001) et lanccedilait souvent ses reacutepliques dans le but de faire rire sans rendre compte du cocircteacute poignant du personnage de ses obsessions eacutepheacutemegraveres comme de son incapaciteacute agrave accepter les conseacutequences de ses actions Il jouait un laquo Irlandais raquo au lieu de jouer son personnage Ainsi il semble que mecircme les plus chevronneacutes des acteurs canadiens-anglais tombent parfois dans le piegravege dune repreacutesentation caricaturale de lIrlandais -1laquo Irish Stage Figure raquo - et sacrifient leur jeu aux clicheacutes du bouffon du rebelle du gros buveur ou du noble paysan pour ne rien dire de la toile de fond obligeacutee de la misegravere et de la famine

Mecircme si son reacutepertoire nest pas exactement le mecircme force est de constater que le milieu montreacutealais sinteacuteresse autant au theacuteacirctre contemporain irlandais quagrave celui de la Ville reine Ont aussi eacuteteacute produites Des roches dans ses poches Stones in his Pockets) de Marie Jones en 2002 Danser agrave Lughnasa Dancing at Lughnasa) de Brian Friel en 2003 Billy Veacuteclopeacute The Cripple of Inishmaan) de Martin McDonagh en 2005 Nuit dlrlande Night in November) de Marie Jones en 2006 Cest incontestablement le directeur

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artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture Jean-Denis Leduc qui a joueacute un veacuteritable rocircle de promoteur aupregraves du milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois en 2001 La Manufacture preacutesente La reine de beauteacute de Leenane The Beauty Queen ofLeenane) de Martin McDonagh en 2002 Howie le Rookie de Mark ORowe en 2004 Doldrum Bay de Hilary Fannin et Tecircte premiegravere (Crestfall) une piegravece eacutegalement signeacutee Mark ORowe en 2005

Que ce theacuteacirctre de taille intermeacutediaire ait monteacute une production de Howie le Rookie neacutetonne guegravere Il sagit dun texte composeacute de deux longs monologues veacuteritables morceaux de bravoure pour de jeunes interpregravetes masculins dont la porteacutee sociale est indeacuteniable puisquil eacutetablit un lien direct entre la pauvreteacute des personnages et les eacuteveacutenements qui marquent leur trajet Contrairement agrave celle de Brian Friel agrave Toronto lœuvre de Mark ORowe eacutetait lors de la creacuteation agraveHowie le Rookie meacuteconnue du public francophone de Montreacuteal

Serait-il abusif de voir dans laccueil reacuteserveacute par Montreacuteal au theacuteacirctre irlandais et agrave Howie le Rookie et agrave Danser agrave Lughnaser en particulier un contre-exemple du pheacutenomegravene deacutecrit par Grene Certes lagrave aussi le theacuteacirctre irlandais est consideacutereacute pour une part comme une marchandise importeacutee mais dans une moindre mesure quailleurs En effet tout en eacutevoquant agrave maintes reprises les origines irlandaises du texte et de son auteur le directeur artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture et la presse ont mis surtout laccent sur la moderniteacute du texte et la particulariteacute de sa langue langue dont on souligne plus loriginaliteacute stylistique que le caractegravere reacutegional Manifestement lapport des immigreacutes agrave la socieacuteteacute queacutebeacutecoise mythifieacute par la culture populaire na joueacute aucun rocircle dans le fait quelle ait eacuteteacute retenue par Leduc et seul le critique Jean St-Hilaire du Soleil de Queacutebec y fait allusion indirectement tout en soulignant lui aussi la moderniteacute du texte et son aspect urbain12

Leduc eacutecrit dailleurs

Avant toute chose son theacuteacirctre nous parle de qui nous sommes Sincegravere et transparent il sait fouiller lacircme humaine ses vulneacuterabiliteacutes ses deacutesirs ses forces et ses secrets La langue de ORowe comme celle de Choiniegravere est vive urbaine dangereuse incisive et vraie Elle a du souffle et respire la moderniteacute (2002 3)

Howie the Rookie de Mark ORowe se deacuteroule en entier dans un contexte urbain ce qui explique quelle ait moins souffert de sa transposition agrave Montreacuteal Ses reacutefeacuterences culturelles sont celles des icocircnes occidentales du fast food des films hollywoodiens et de la teacuteleacutevision ameacutericaine compreacutehensibles agrave la fois par les publics dublinois et montreacutealais Comme le constate la critique Amy Barratt du Montreal Mirror laquo Howie le Rookie ressemble au titre dune eacutemission de teacuteleacutevision canadienne au sujet dune eacutequipe de hockey fictive13 raquo (2002)

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Cest sans aucun doute lune des raisons de la visibiliteacute meacutediatique dont a beacuteneacuteficieacute la piegravece et qui deacutepasse celle des autres piegraveces dorigine irlandaise monteacutees dans la meacutetropole queacutebeacutecoise depuis 2000 Car si le laquo nous raquo dont parle Leduc est celui du public montreacutealais il est aussi le nom des reacutesidents pauvres des quartiers deacutefavoriseacutes des grandes villes occidentales laquo De bien des faccedilons ce Dublin-lagrave qui tombe agrave peine sous la coupe des lois ordinaires ressemble agrave la zone de tant de grandes villes Sa singulariteacute samplifie toutefois gracircce au regard imaginatif et sans fard que pose ORowe sur une telle faune raquo (2002 B8) remarque Herveacute Guay du Devoir

Dans la version franccedilaise la mention de certains lieux connus agrave Dublin rappelle ponctuellement au spectateur que laction se deacuteroule dans la capitale irlandaise (la boutique Harry Moore la laquo Mercy Loop raquo Dame Street etc) Neacuteanmoins le texte est deacutepourvu de toute mention dune quecircte identitaire quelconque thegraveme reacutecurrent dans la dramaturgie postcoloniale Howie Lee le protagoniste est plutocirct en quecircte de reacutedemption pour avoir eacuteteacute agrave lorigine de la mort de son petit fregravere Moussey Si le trajet de sa chute est raconteacute par cet antiheacuteros lui-mecircme celui de sa reacutedemption est raconteacute apregraves sa mort par un teacutemoin Rookie Lee Cest ainsi que le public apprend que le premier conteur au moment de paraicirctre devant les spectateurs eacutetait en fait un fantocircme

Il semblait acquis pour le metteur en scegravene Fernand Rainville que la preacutesence sur scegravene dun ecirctre fantasmagorique ne poserait aucun problegraveme au public montreacutealais alors quelle en avait poseacute un au public torontois de Portia Coughlan Il na donc pas senti le besoin de lexpliciter sceacuteniquement pas plus quil na eu recours agrave des strateacutegies sceacuteniques pour expliquer laspect atemporel de la piegravece Au contraire il a situeacute laction dans un no mans land spatial Lespace sceacutenique proposeacute par la sceacutenographe Patricia Ruel eacutevoquait un sous-sol ou une maison abandonneacutee un espace neutre clos deacutepourvu de reacutefeacuterences culturelles particuliegraveres et ayant comme seule entreacutee une cage descalier au fond quelques poutres en meacutetal tombeacutees du plafond soulignaient agrave la fois leacutetat de leacutedifice et leacutetat desprit des personnages deacutestabiliseacutes quils sont par les eacuteveacutenements quils racontent

Cest aussi labsence dun horizon dattente preacutecis qui a donc permis au public montreacutealais deacutevaluer le texte et lhistoire en tant que tels Cette disponibiliteacute du public sexplique par le fait que le theacuteacirctre queacutebeacutecois est moins reacutealiste que son homologue canadien-anglais et que bon nombre de fantocircmes traversent les piegraveces dauteurs comme Michel Marc Bouchard et Jean Marc Dalpeacute ce dernier eacutetant par ailleurs eacutetroitement associeacute au Theacuteacirctre de La Manufacture depuis son deacutepart du Theacuteacirctre du Nouvel-Ontario de Sudbury De plus la langue dORowe se lit tout comme celle de Carr dans Portia Coughlan comme une version poeacutetiseacutee du vernaculaire irlandais une approche dramaturgique qui retrouve eacutegalement de fortes reacutesonances au Queacutebec faut-il souligner

112 LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

la parenteacute avec la langue des dramaturges Daniel Danis Michel Tremblay et Claude Gauvreau (Blonde 2003) Si la presse a fait souvent mention de la particulariteacute de la langue dramatique dHowie le Rookie - notamment Marie-Christine Biais de La Presse Joseacutee Chaboillez du Montreacuteal Express de la Socieacuteteacute Radio-Canada et mecircme Matt Radz du Montreal Gazette - elle na jamais eacutevoqueacute de difficulteacute de compreacutehension14

Cest sur ce rapport particulier agrave la langue theacuteacirctrale quont en commun les theacuteacirctres irlandais et queacutebeacutecois que repose latraduction dOlivier Choiniegravere il propose une poeacutesie laquo eacutequivalente raquo agrave celle dORowe Par exemple dans louverture du monologue de Rookie Lee le personnage affirme laquo Handsome bastard I am Bit attractive to the dollys theyre into me I Find them easy to pick up easy to get I Break hearts an hymens I do raquo traduite en franccedilais par laquo Jtun beau salaud cest sucircr Pas dma faute si jpogne avec les babes quest-ce que tu veux jai ccedila dans le sang Facile pour moi des attirer encore plus facile des coucher Bourreau dcœurs briseur dhymens amen raquo Mecircme la comparaison la plus superficielle de ces brefs extraits indique que la parlure dORowe - dont une partie importante des mots sont transcrits phoneacutetiquement afin dimposer une prononciation preacutecise aux interpregravetes anglophones - a eacuteteacute rendue par un franccedilais laquo joualiseacute raquo tout aussi laquo construit raquo que loriginal

Cest justement en eacutevitant les contraintes dun franccedilais normatif que lefficaciteacute seacutemantique et poeacutetique de loriginal a eacuteteacute conserveacutee Et puisquil est impossible de preacuteserver un laquo accent raquo ou de reproduire les particulariteacutes syntaxiques du parler irlandais qui ont inspireacute ORowe Choiniegravere a utiliseacute le vernaculaire queacutebeacutecois comme mateacuteriau pour creacuteer un rythme un souffle et une eacutenergie aussi chaotiques que ceux de loriginal mecircme si par moments laspect polysyllabique du franccedilais rend son texte plus verbeux que loriginal Le fait que la creacuteation langagiegravere soit au cœur mecircme du projet de monter Howie le Rookie dans une version franccedilaise situe tout le projet loin des preacuteoccupations mercantiles du theacuteacirctre occidental dont parle Grene

Danser agrave Lughnasa occupe une place tout aussi importante dans les productions du theacuteacirctre irlandais contemporain sur les scegravenes montreacutealaises La piegravece a eacuteteacute creacuteeacutee dans le cadre dune collaboration entre le theacuteacirctre dit national - le Theacuteacirctre du Nouveau Monde -et un theacuteacirctre reacutegional - Le Bic - situeacute agrave quelques kilomegravetres de Rimouski Il importe de souligner que le directeur artistique du Abbey Ben Barnes a mis en scegravene cette version traduite de loriginal sans comprendre le franccedilais et que le comeacutedien qui jouait le rocircle de Michael Maxime Deacutenommeacutee avait connu un grand succegraves un an plus tocirct dans le rocircle de Howie Lee Sacrifiant de nouveau agrave certains clicheacutes lieacutes agrave lidentiteacute irlandaise la campagne promotionnelle montreacutealaise eacutetait largement axeacutee sur le fait que les comeacutediennes de la piegravece laquo dansaient raquo comme le souligne le communiqueacute de presse du Theacuteacirctre du Nouveau

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Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

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Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

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moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

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un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

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Page 5: Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

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cineacutematographique de sa piegravece Dancing at Lughnasa qui avait fait lobjet de nombreuses productions professionnelles et amateur un peu partout au Canada En outre la production irlandaise de la Leenane Trilogy de Martin McDonagh dont Lonesome West constitue la troisiegraveme et derniegravere partie jouait deacutejagrave agrave Broadway au moment de louverture de la piegravece agrave Toronto Seule la trageacutedie de Marina Carr Portia Coughlan eacutetait agrave peine connue au Canada

Laction de cette piegravece se deacuteroule le jour du 30e anniversaire du personnage eacuteponyme Portia est hanteacutee par le fantocircme de son fregravere jumeau Gabriel noyeacute le jour de leur 15e anniversaire dans la riviegravere Belmont Elle est megravere malgreacute elle de trois garccedilons Son indiffeacuterence agrave leacutegard de ses enfants est le reflet de la mauvaise relation quelle a veacutecue avec sa propre megravere elle a beau tenter de se perdre dans des aventures sexuelles avec les hommes du village ou dans une folle danse au pub lappel enchanteur de son fregravere deacutefunt qui apparaicirct en scegravene de temps agrave autre lemporte petit agrave petit

Les actes de la piegravece sont inverseacutes le premier commence le matin de lanniversaire de Portia le deuxiegraveme se deacuteroule au moment de ses funeacuterailles et le troisiegraveme la veille de sa mort Les premiers critiques nord-ameacutericains ont trouveacute cette structure compliqueacutee4 et la metteur en scegravene Natalie Harrower craignait quil en soit de mecircme pour les spectateurs torontois Elle sest donc eacuteloigneacutee du texte lui ajoutant un prologue et un eacutepilogue muets au cours desquels les personnages entrent en scegravene lun agrave la suite de lautre eacuteclaireacutes par des bougies en regardant dans la riviegravere ce qui rappelle preacuteciseacutement le deacutebut du deuxiegraveme acte au moment ougrave le corps de Portia est sorti de leau Des reacutefeacuterences agrave la trageacutedie antique facilitent aussi la compreacutehension de la piegravece car contrairement agrave ce quen a dit le critique Joshua Tanzer la piegravece nest pas centreacutee sur la magie (2002) mais bien sur la fataliteacute dun destin celui de Portia qui la conduit ineacutevitablement au suicide (Doyle 2006) Sil est tregraves commun dans la dramaturgie irlandaise de repreacutesenter des eacuteveacutenements surnaturels et de briser la lineacuteariteacute de lintrigue5 il fallait pour un public peu habitueacute par sa propre dramaturgie agrave de tels proceacutedeacutes que la mise en scegravene les explicite

La piegravece se deacuteroule dans trois lieux principaux au bord de la riviegravere dans la maison de Portia et au pub Les deux derniers sont des lieux souvent exploiteacutes par la dramaturgie irlandaise Or la structure eacutepisodique de ce texte qui force agrave effectuer des transitions rapides entre chaque lieu limite les possibiliteacutes de concevoir un deacutecor reacutealiste La sceacutenographie de la production canadienne prenait donc de grandes liberteacutes avec le reacutealisme comme avec des images steacutereacuteotypeacutees de lIrlande Des accessoires amovibles eacutetaient disperseacutes sur une scegravene vide et servaient agrave repreacutesenter les diffeacuterents espaces de la maison de Portia et du pub La riviegravere pregraves de laquelle Portia rencontre ses amants pour seacutevader de sa vie quotidienne coulait agrave lavant de la scegravene et cocircteacute cour Le deacutecor composeacute

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principalement dune toile de fond peinte en un motif abstrait de verts et de bruns nancrait pas plus la production dans un lieu preacutecis mecircme si lutilisation de certaines couleurs permettait de deacutemarquer les espaces inteacuterieur et exteacuterieur de la maison Lespace surnaturel quant agrave lui existait dans lunivers sonore - les chants de Gabriel - et eacutetait lieacute agrave la rive puisque ce personnage entrait cocircteacute jardin et restait pregraves de la riviegravere pour chanter Somme toute la sceacutenographe Tanit Mendes a reacuteussi agrave conjuguer un deacutecor flexible et un espace intime

Les reacutefeacuterences agrave lIrlande reposaient essentiellement sur laccent et sur deux chansons celle dun juke-box dans le pub et celle que chante agrave Portia son fregravere deacutefunt La metteur en scegravene Natalie Harrower avait dabord penseacute utiliser une musique irlandaise traditionnelle comme ceacutetait le cas dans la production de la piegravece preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Mais son choix sest finalement arrecircteacute sur une chanson de rock celtique du groupe irlandais les Saw Doctors laquo Used To Love Her6 raquo dont le rythme deacutesordonneacute convenait agrave la laquo danse folle raquo du personnage de Portia et dont les paroles semblaient renvoyer agrave lhistoire Pour la chanson de Gabriel Harrower aurait voulu employer une chanson en eacutecossais afin dobscurcir le sens des mots tout en eacutevoquant la culture dorigine du texte Selon elle la langue eacutetait moins importante que son laquo effet auditifraquo sur les spectateurs qui pour la plupart ne sauraient distinguer les diffeacuterentes langues gaeacuteliques Elle tenait aussi agrave ce que la musique reacuteponde aux attentes dun spectateur canadien anglais pour lequel une musique traditionnelle signifie laquo pub irlandais raquo quelle soit irlandaise ou non Mais elle a opteacute en fin de compte pour une ballade traditionnelle irlandaise laquo She Moved Through the Fair raquo

De mecircme les horizons dattente du public imposent aux acteurs le recours aux accents Les critiques ne se font pas faute de commenter la capaciteacute des comeacutediens agrave conserver des accents creacutedibles7 Alors que les acteurs canadiens-anglais emploient souvent leur propre accent pour jouer des textes dorigine eacutetrangegravere mdash quils soient originellement eacutecrits en anglais ou traduits - les rythmes et la syntaxe des dialogues de Portia Coughlan les ont inciteacutes agrave reproduire les accents irlandais sans que leur metteur en scegravene les y ait contraints Car Marina Carr a eacutecrit cette piegravece en sinspirant dun patois de la reacutegion centrale de lIrlande certains mots sont mecircme transcrits phoneacutetiquement afin que la prononciation des acteurs soit prescrite par le texte Lorthographe a peut-ecirctre eacuteteacute normaliseacutee pour la publication du theacuteacirctre de Marina Carr en 1999 mais Portia Coughlan contient toujours des eacutechanges typiques des structures syntaxiques irlandaises

En fait les creacuteateurs de la plupart des productions torontoises que ce soit dans un theacuteacirctre de petite taille comme le Glen Morris Studio ou dans un theacuteacirctre dit laquo institutionnel raquo comme le Canadian Stage optent pour des accents qui sont laquo assez

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irlandais raquo pour permettre aux spectateurs canadiens de situer la piegravece dans le contexte culturel et geacuteographique mecircme si ces accents paraissent faux agrave un spectateur irlandais

Le choix de preacutesenter Molly Sweeney de Friel avec des accents irlandais a ainsi obscurci certains des eacuteleacutements de caracteacuterisation normalement rendus par lunivers sonore de la production irlandaise Avant decirctre reprise agrave Toronto dans une nouvelle creacuteation la piegravece avait dabord eacuteteacute monteacutee au Gate Theatre agrave Dublin en 1994 Elle a depuis eacuteteacute produite un peu partout dans le monde y compris dans une traduction franccedilaise intituleacutee Molly S Trois personnages qui occupent tous un espace dramatique diffeacuterent mais qui partagent la scegravene monologuent Molly est aveugle depuis sa tendre enfance mais Frank son mari est deacutetermineacute agrave tout faire pour quelle recouvre la vue Cest lun de ses nombreux projets agrave court terme tels celui deacutelever des chegravevres iraniennes ou de sauver les baleines Il fait donc appel agrave un chirurgien ophtalmologiste dont la carriegravere a eacuteteacute ruineacutee par lalcoolisme et qui voit en Molly loccasion de retrouver une gloire perdue Lintervention chirurgicale reacuteussit mais Molly qui ignore comment interpreacuteter les images que ses yeux lui preacutesentent se replie sur elle-mecircme et finira la piegravece seule abandonneacutee par Frank dans un hocircpital psychiatrique

Au moment de la creacuteation irlandaise de cette piegravece lauteur a agi agrave titre de metteur en scegravene et Joe Vanek en tant que sceacutenographe Chacun des trois acteurs eacutetait assis sur une chaise de style diffeacuterent devant une toile de fond deacutecoreacutee dune fenecirctre et des feuilles mortes eacutetaient reacutepandues sur la scegravene La nature statique de ce concept accentuait la litteacuterariteacute du texte La conception sceacutenographique dAstrid Jansen pour la production torontoise creacuteait au contraire une sensation de mouvement disolement et de juxtaposition Chaque personnage eacutetait assis agrave diffeacuterents endroits dune plateforme eacutetroite qui zigzaguait dun bout agrave lautre de la scegravene et dont linclinaison servait agrave creacuteer une distance tant verticale quhorizontale entre les acteurs et une illusion de deacuteplacement physique et de changement temporel Leacuteclairage accentuait lisolement de chaque personnage illumineacute par un seul projecteur comme si chacun vivait ses propres souvenirs dans son propre espace psychologique Le caractegravere laquo irlandais raquo de la piegravece ne pouvait donc reposer que sur des eacuteleacutements sonores

Le choix mecircme dutiliser les accents semble curieux agrave certains eacutegards puisque cette piegravece en fait beaucoup moins usage que les autres textes de Friel Il faut rappeler que les accents en Irlande sont moduleacutes par la geacuteographie leacuteducation et la classe sociale laccent et la syntaxe de Rice lophtalmologiste et de Molly eacutetablissent donc leacutecart qui les distingue des origines sociales de Frank Agrave propos de laquo laccent huppeacute raquo de Rice Frank dira pendant le premier acte laquo Et il est neacute dans le village de Kilmeedy dans le comteacute de Limerick nom de Dieu Je ne me suis jamais vraiment fait agrave cet homme8 raquo (Friel 1999 462) montrant

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quil nest pas dupe des maniegraveres de Rice Au cours du deuxiegraveme acte il remarque que laccent de Rice manque parfois de consistance laquo Il seacutenervait tellement il ny avait plus aucune trace de laccent chic9 raquo (Friel 1999 485) De tels deacutetails font aussi eacutecho au reacutecit de Rice sur ses deacutebuts prometteurs et sur ses ambitions qui expliquent sa deacutecision dopeacuterer Molly mecircme si ce nest peut-ecirctre pas dans le meilleur inteacuterecirct de sa patiente Bref les accents indiqueacutes dans le texte original veulent ainsi appuyer les donneacutees de la fable

Le metteur en scegravene de la production canadienne plutocirct que demployer des accents canadiens de faccedilon agrave ce que les spectateurs saisissent les diffeacuterences de classe des personnages ou dutiliser un accent irlandais uniforme en renforccedilant les indices visuels a choisi deacutelibeacutereacutement de jouer la carte de lexotisme aux deacutepens de la lisibiliteacute Ce choix daccents approximatifs illustre les propos de Grene selon lesquels lidentiteacute irlandaise ne peut saffirmer pour les publics reacutecepteurs que dans lexotisme lalteacuteriteacute et le clicheacute plutocirct que dans un reacuteel souci dauthenticiteacute Dans sa synthegravese de la theacuteorie de Hans-Robert Jauss synthegravese qui tient compte du concept de laquo communauteacute interpreacutetative10 raquo de Stanley Fish et de Frank Lentricchia Susan Bennett affirme que les attentes des publics reacutecepteurs laquo modifient raquo les œuvres lues (1997 48) La laquo communauteacute interpreacutetative raquo (constitueacutee par le public les creacuteateurs et la presse eacutecrite de Toronto) associe consciemment ou non leacutepithegravete laquo irlandais raquo aux immigrants peu eacuteduqueacutes et issus de milieux populaires chasseacutes dIrlande par la grande famine des anneacutees 184011 (Ignatiev 1995 148-176)

Il sagit lagrave dun type dassociation hasardeuse qui a manifestement influenceacute R H Thomson dans son interpreacutetation du rocircle de Frank le personnage de Molly Sweeney Lacteur employait un accent (trop) prononceacute qui selon au moins une critique manquait de consistance (Kershaw et Lingerfelt 2001) et lanccedilait souvent ses reacutepliques dans le but de faire rire sans rendre compte du cocircteacute poignant du personnage de ses obsessions eacutepheacutemegraveres comme de son incapaciteacute agrave accepter les conseacutequences de ses actions Il jouait un laquo Irlandais raquo au lieu de jouer son personnage Ainsi il semble que mecircme les plus chevronneacutes des acteurs canadiens-anglais tombent parfois dans le piegravege dune repreacutesentation caricaturale de lIrlandais -1laquo Irish Stage Figure raquo - et sacrifient leur jeu aux clicheacutes du bouffon du rebelle du gros buveur ou du noble paysan pour ne rien dire de la toile de fond obligeacutee de la misegravere et de la famine

Mecircme si son reacutepertoire nest pas exactement le mecircme force est de constater que le milieu montreacutealais sinteacuteresse autant au theacuteacirctre contemporain irlandais quagrave celui de la Ville reine Ont aussi eacuteteacute produites Des roches dans ses poches Stones in his Pockets) de Marie Jones en 2002 Danser agrave Lughnasa Dancing at Lughnasa) de Brian Friel en 2003 Billy Veacuteclopeacute The Cripple of Inishmaan) de Martin McDonagh en 2005 Nuit dlrlande Night in November) de Marie Jones en 2006 Cest incontestablement le directeur

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artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture Jean-Denis Leduc qui a joueacute un veacuteritable rocircle de promoteur aupregraves du milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois en 2001 La Manufacture preacutesente La reine de beauteacute de Leenane The Beauty Queen ofLeenane) de Martin McDonagh en 2002 Howie le Rookie de Mark ORowe en 2004 Doldrum Bay de Hilary Fannin et Tecircte premiegravere (Crestfall) une piegravece eacutegalement signeacutee Mark ORowe en 2005

Que ce theacuteacirctre de taille intermeacutediaire ait monteacute une production de Howie le Rookie neacutetonne guegravere Il sagit dun texte composeacute de deux longs monologues veacuteritables morceaux de bravoure pour de jeunes interpregravetes masculins dont la porteacutee sociale est indeacuteniable puisquil eacutetablit un lien direct entre la pauvreteacute des personnages et les eacuteveacutenements qui marquent leur trajet Contrairement agrave celle de Brian Friel agrave Toronto lœuvre de Mark ORowe eacutetait lors de la creacuteation agraveHowie le Rookie meacuteconnue du public francophone de Montreacuteal

Serait-il abusif de voir dans laccueil reacuteserveacute par Montreacuteal au theacuteacirctre irlandais et agrave Howie le Rookie et agrave Danser agrave Lughnaser en particulier un contre-exemple du pheacutenomegravene deacutecrit par Grene Certes lagrave aussi le theacuteacirctre irlandais est consideacutereacute pour une part comme une marchandise importeacutee mais dans une moindre mesure quailleurs En effet tout en eacutevoquant agrave maintes reprises les origines irlandaises du texte et de son auteur le directeur artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture et la presse ont mis surtout laccent sur la moderniteacute du texte et la particulariteacute de sa langue langue dont on souligne plus loriginaliteacute stylistique que le caractegravere reacutegional Manifestement lapport des immigreacutes agrave la socieacuteteacute queacutebeacutecoise mythifieacute par la culture populaire na joueacute aucun rocircle dans le fait quelle ait eacuteteacute retenue par Leduc et seul le critique Jean St-Hilaire du Soleil de Queacutebec y fait allusion indirectement tout en soulignant lui aussi la moderniteacute du texte et son aspect urbain12

Leduc eacutecrit dailleurs

Avant toute chose son theacuteacirctre nous parle de qui nous sommes Sincegravere et transparent il sait fouiller lacircme humaine ses vulneacuterabiliteacutes ses deacutesirs ses forces et ses secrets La langue de ORowe comme celle de Choiniegravere est vive urbaine dangereuse incisive et vraie Elle a du souffle et respire la moderniteacute (2002 3)

Howie the Rookie de Mark ORowe se deacuteroule en entier dans un contexte urbain ce qui explique quelle ait moins souffert de sa transposition agrave Montreacuteal Ses reacutefeacuterences culturelles sont celles des icocircnes occidentales du fast food des films hollywoodiens et de la teacuteleacutevision ameacutericaine compreacutehensibles agrave la fois par les publics dublinois et montreacutealais Comme le constate la critique Amy Barratt du Montreal Mirror laquo Howie le Rookie ressemble au titre dune eacutemission de teacuteleacutevision canadienne au sujet dune eacutequipe de hockey fictive13 raquo (2002)

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Cest sans aucun doute lune des raisons de la visibiliteacute meacutediatique dont a beacuteneacuteficieacute la piegravece et qui deacutepasse celle des autres piegraveces dorigine irlandaise monteacutees dans la meacutetropole queacutebeacutecoise depuis 2000 Car si le laquo nous raquo dont parle Leduc est celui du public montreacutealais il est aussi le nom des reacutesidents pauvres des quartiers deacutefavoriseacutes des grandes villes occidentales laquo De bien des faccedilons ce Dublin-lagrave qui tombe agrave peine sous la coupe des lois ordinaires ressemble agrave la zone de tant de grandes villes Sa singulariteacute samplifie toutefois gracircce au regard imaginatif et sans fard que pose ORowe sur une telle faune raquo (2002 B8) remarque Herveacute Guay du Devoir

Dans la version franccedilaise la mention de certains lieux connus agrave Dublin rappelle ponctuellement au spectateur que laction se deacuteroule dans la capitale irlandaise (la boutique Harry Moore la laquo Mercy Loop raquo Dame Street etc) Neacuteanmoins le texte est deacutepourvu de toute mention dune quecircte identitaire quelconque thegraveme reacutecurrent dans la dramaturgie postcoloniale Howie Lee le protagoniste est plutocirct en quecircte de reacutedemption pour avoir eacuteteacute agrave lorigine de la mort de son petit fregravere Moussey Si le trajet de sa chute est raconteacute par cet antiheacuteros lui-mecircme celui de sa reacutedemption est raconteacute apregraves sa mort par un teacutemoin Rookie Lee Cest ainsi que le public apprend que le premier conteur au moment de paraicirctre devant les spectateurs eacutetait en fait un fantocircme

Il semblait acquis pour le metteur en scegravene Fernand Rainville que la preacutesence sur scegravene dun ecirctre fantasmagorique ne poserait aucun problegraveme au public montreacutealais alors quelle en avait poseacute un au public torontois de Portia Coughlan Il na donc pas senti le besoin de lexpliciter sceacuteniquement pas plus quil na eu recours agrave des strateacutegies sceacuteniques pour expliquer laspect atemporel de la piegravece Au contraire il a situeacute laction dans un no mans land spatial Lespace sceacutenique proposeacute par la sceacutenographe Patricia Ruel eacutevoquait un sous-sol ou une maison abandonneacutee un espace neutre clos deacutepourvu de reacutefeacuterences culturelles particuliegraveres et ayant comme seule entreacutee une cage descalier au fond quelques poutres en meacutetal tombeacutees du plafond soulignaient agrave la fois leacutetat de leacutedifice et leacutetat desprit des personnages deacutestabiliseacutes quils sont par les eacuteveacutenements quils racontent

Cest aussi labsence dun horizon dattente preacutecis qui a donc permis au public montreacutealais deacutevaluer le texte et lhistoire en tant que tels Cette disponibiliteacute du public sexplique par le fait que le theacuteacirctre queacutebeacutecois est moins reacutealiste que son homologue canadien-anglais et que bon nombre de fantocircmes traversent les piegraveces dauteurs comme Michel Marc Bouchard et Jean Marc Dalpeacute ce dernier eacutetant par ailleurs eacutetroitement associeacute au Theacuteacirctre de La Manufacture depuis son deacutepart du Theacuteacirctre du Nouvel-Ontario de Sudbury De plus la langue dORowe se lit tout comme celle de Carr dans Portia Coughlan comme une version poeacutetiseacutee du vernaculaire irlandais une approche dramaturgique qui retrouve eacutegalement de fortes reacutesonances au Queacutebec faut-il souligner

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la parenteacute avec la langue des dramaturges Daniel Danis Michel Tremblay et Claude Gauvreau (Blonde 2003) Si la presse a fait souvent mention de la particulariteacute de la langue dramatique dHowie le Rookie - notamment Marie-Christine Biais de La Presse Joseacutee Chaboillez du Montreacuteal Express de la Socieacuteteacute Radio-Canada et mecircme Matt Radz du Montreal Gazette - elle na jamais eacutevoqueacute de difficulteacute de compreacutehension14

Cest sur ce rapport particulier agrave la langue theacuteacirctrale quont en commun les theacuteacirctres irlandais et queacutebeacutecois que repose latraduction dOlivier Choiniegravere il propose une poeacutesie laquo eacutequivalente raquo agrave celle dORowe Par exemple dans louverture du monologue de Rookie Lee le personnage affirme laquo Handsome bastard I am Bit attractive to the dollys theyre into me I Find them easy to pick up easy to get I Break hearts an hymens I do raquo traduite en franccedilais par laquo Jtun beau salaud cest sucircr Pas dma faute si jpogne avec les babes quest-ce que tu veux jai ccedila dans le sang Facile pour moi des attirer encore plus facile des coucher Bourreau dcœurs briseur dhymens amen raquo Mecircme la comparaison la plus superficielle de ces brefs extraits indique que la parlure dORowe - dont une partie importante des mots sont transcrits phoneacutetiquement afin dimposer une prononciation preacutecise aux interpregravetes anglophones - a eacuteteacute rendue par un franccedilais laquo joualiseacute raquo tout aussi laquo construit raquo que loriginal

Cest justement en eacutevitant les contraintes dun franccedilais normatif que lefficaciteacute seacutemantique et poeacutetique de loriginal a eacuteteacute conserveacutee Et puisquil est impossible de preacuteserver un laquo accent raquo ou de reproduire les particulariteacutes syntaxiques du parler irlandais qui ont inspireacute ORowe Choiniegravere a utiliseacute le vernaculaire queacutebeacutecois comme mateacuteriau pour creacuteer un rythme un souffle et une eacutenergie aussi chaotiques que ceux de loriginal mecircme si par moments laspect polysyllabique du franccedilais rend son texte plus verbeux que loriginal Le fait que la creacuteation langagiegravere soit au cœur mecircme du projet de monter Howie le Rookie dans une version franccedilaise situe tout le projet loin des preacuteoccupations mercantiles du theacuteacirctre occidental dont parle Grene

Danser agrave Lughnasa occupe une place tout aussi importante dans les productions du theacuteacirctre irlandais contemporain sur les scegravenes montreacutealaises La piegravece a eacuteteacute creacuteeacutee dans le cadre dune collaboration entre le theacuteacirctre dit national - le Theacuteacirctre du Nouveau Monde -et un theacuteacirctre reacutegional - Le Bic - situeacute agrave quelques kilomegravetres de Rimouski Il importe de souligner que le directeur artistique du Abbey Ben Barnes a mis en scegravene cette version traduite de loriginal sans comprendre le franccedilais et que le comeacutedien qui jouait le rocircle de Michael Maxime Deacutenommeacutee avait connu un grand succegraves un an plus tocirct dans le rocircle de Howie Lee Sacrifiant de nouveau agrave certains clicheacutes lieacutes agrave lidentiteacute irlandaise la campagne promotionnelle montreacutealaise eacutetait largement axeacutee sur le fait que les comeacutediennes de la piegravece laquo dansaient raquo comme le souligne le communiqueacute de presse du Theacuteacirctre du Nouveau

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Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

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Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

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moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

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un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

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LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 107

principalement dune toile de fond peinte en un motif abstrait de verts et de bruns nancrait pas plus la production dans un lieu preacutecis mecircme si lutilisation de certaines couleurs permettait de deacutemarquer les espaces inteacuterieur et exteacuterieur de la maison Lespace surnaturel quant agrave lui existait dans lunivers sonore - les chants de Gabriel - et eacutetait lieacute agrave la rive puisque ce personnage entrait cocircteacute jardin et restait pregraves de la riviegravere pour chanter Somme toute la sceacutenographe Tanit Mendes a reacuteussi agrave conjuguer un deacutecor flexible et un espace intime

Les reacutefeacuterences agrave lIrlande reposaient essentiellement sur laccent et sur deux chansons celle dun juke-box dans le pub et celle que chante agrave Portia son fregravere deacutefunt La metteur en scegravene Natalie Harrower avait dabord penseacute utiliser une musique irlandaise traditionnelle comme ceacutetait le cas dans la production de la piegravece preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Mais son choix sest finalement arrecircteacute sur une chanson de rock celtique du groupe irlandais les Saw Doctors laquo Used To Love Her6 raquo dont le rythme deacutesordonneacute convenait agrave la laquo danse folle raquo du personnage de Portia et dont les paroles semblaient renvoyer agrave lhistoire Pour la chanson de Gabriel Harrower aurait voulu employer une chanson en eacutecossais afin dobscurcir le sens des mots tout en eacutevoquant la culture dorigine du texte Selon elle la langue eacutetait moins importante que son laquo effet auditifraquo sur les spectateurs qui pour la plupart ne sauraient distinguer les diffeacuterentes langues gaeacuteliques Elle tenait aussi agrave ce que la musique reacuteponde aux attentes dun spectateur canadien anglais pour lequel une musique traditionnelle signifie laquo pub irlandais raquo quelle soit irlandaise ou non Mais elle a opteacute en fin de compte pour une ballade traditionnelle irlandaise laquo She Moved Through the Fair raquo

De mecircme les horizons dattente du public imposent aux acteurs le recours aux accents Les critiques ne se font pas faute de commenter la capaciteacute des comeacutediens agrave conserver des accents creacutedibles7 Alors que les acteurs canadiens-anglais emploient souvent leur propre accent pour jouer des textes dorigine eacutetrangegravere mdash quils soient originellement eacutecrits en anglais ou traduits - les rythmes et la syntaxe des dialogues de Portia Coughlan les ont inciteacutes agrave reproduire les accents irlandais sans que leur metteur en scegravene les y ait contraints Car Marina Carr a eacutecrit cette piegravece en sinspirant dun patois de la reacutegion centrale de lIrlande certains mots sont mecircme transcrits phoneacutetiquement afin que la prononciation des acteurs soit prescrite par le texte Lorthographe a peut-ecirctre eacuteteacute normaliseacutee pour la publication du theacuteacirctre de Marina Carr en 1999 mais Portia Coughlan contient toujours des eacutechanges typiques des structures syntaxiques irlandaises

En fait les creacuteateurs de la plupart des productions torontoises que ce soit dans un theacuteacirctre de petite taille comme le Glen Morris Studio ou dans un theacuteacirctre dit laquo institutionnel raquo comme le Canadian Stage optent pour des accents qui sont laquo assez

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irlandais raquo pour permettre aux spectateurs canadiens de situer la piegravece dans le contexte culturel et geacuteographique mecircme si ces accents paraissent faux agrave un spectateur irlandais

Le choix de preacutesenter Molly Sweeney de Friel avec des accents irlandais a ainsi obscurci certains des eacuteleacutements de caracteacuterisation normalement rendus par lunivers sonore de la production irlandaise Avant decirctre reprise agrave Toronto dans une nouvelle creacuteation la piegravece avait dabord eacuteteacute monteacutee au Gate Theatre agrave Dublin en 1994 Elle a depuis eacuteteacute produite un peu partout dans le monde y compris dans une traduction franccedilaise intituleacutee Molly S Trois personnages qui occupent tous un espace dramatique diffeacuterent mais qui partagent la scegravene monologuent Molly est aveugle depuis sa tendre enfance mais Frank son mari est deacutetermineacute agrave tout faire pour quelle recouvre la vue Cest lun de ses nombreux projets agrave court terme tels celui deacutelever des chegravevres iraniennes ou de sauver les baleines Il fait donc appel agrave un chirurgien ophtalmologiste dont la carriegravere a eacuteteacute ruineacutee par lalcoolisme et qui voit en Molly loccasion de retrouver une gloire perdue Lintervention chirurgicale reacuteussit mais Molly qui ignore comment interpreacuteter les images que ses yeux lui preacutesentent se replie sur elle-mecircme et finira la piegravece seule abandonneacutee par Frank dans un hocircpital psychiatrique

Au moment de la creacuteation irlandaise de cette piegravece lauteur a agi agrave titre de metteur en scegravene et Joe Vanek en tant que sceacutenographe Chacun des trois acteurs eacutetait assis sur une chaise de style diffeacuterent devant une toile de fond deacutecoreacutee dune fenecirctre et des feuilles mortes eacutetaient reacutepandues sur la scegravene La nature statique de ce concept accentuait la litteacuterariteacute du texte La conception sceacutenographique dAstrid Jansen pour la production torontoise creacuteait au contraire une sensation de mouvement disolement et de juxtaposition Chaque personnage eacutetait assis agrave diffeacuterents endroits dune plateforme eacutetroite qui zigzaguait dun bout agrave lautre de la scegravene et dont linclinaison servait agrave creacuteer une distance tant verticale quhorizontale entre les acteurs et une illusion de deacuteplacement physique et de changement temporel Leacuteclairage accentuait lisolement de chaque personnage illumineacute par un seul projecteur comme si chacun vivait ses propres souvenirs dans son propre espace psychologique Le caractegravere laquo irlandais raquo de la piegravece ne pouvait donc reposer que sur des eacuteleacutements sonores

Le choix mecircme dutiliser les accents semble curieux agrave certains eacutegards puisque cette piegravece en fait beaucoup moins usage que les autres textes de Friel Il faut rappeler que les accents en Irlande sont moduleacutes par la geacuteographie leacuteducation et la classe sociale laccent et la syntaxe de Rice lophtalmologiste et de Molly eacutetablissent donc leacutecart qui les distingue des origines sociales de Frank Agrave propos de laquo laccent huppeacute raquo de Rice Frank dira pendant le premier acte laquo Et il est neacute dans le village de Kilmeedy dans le comteacute de Limerick nom de Dieu Je ne me suis jamais vraiment fait agrave cet homme8 raquo (Friel 1999 462) montrant

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quil nest pas dupe des maniegraveres de Rice Au cours du deuxiegraveme acte il remarque que laccent de Rice manque parfois de consistance laquo Il seacutenervait tellement il ny avait plus aucune trace de laccent chic9 raquo (Friel 1999 485) De tels deacutetails font aussi eacutecho au reacutecit de Rice sur ses deacutebuts prometteurs et sur ses ambitions qui expliquent sa deacutecision dopeacuterer Molly mecircme si ce nest peut-ecirctre pas dans le meilleur inteacuterecirct de sa patiente Bref les accents indiqueacutes dans le texte original veulent ainsi appuyer les donneacutees de la fable

Le metteur en scegravene de la production canadienne plutocirct que demployer des accents canadiens de faccedilon agrave ce que les spectateurs saisissent les diffeacuterences de classe des personnages ou dutiliser un accent irlandais uniforme en renforccedilant les indices visuels a choisi deacutelibeacutereacutement de jouer la carte de lexotisme aux deacutepens de la lisibiliteacute Ce choix daccents approximatifs illustre les propos de Grene selon lesquels lidentiteacute irlandaise ne peut saffirmer pour les publics reacutecepteurs que dans lexotisme lalteacuteriteacute et le clicheacute plutocirct que dans un reacuteel souci dauthenticiteacute Dans sa synthegravese de la theacuteorie de Hans-Robert Jauss synthegravese qui tient compte du concept de laquo communauteacute interpreacutetative10 raquo de Stanley Fish et de Frank Lentricchia Susan Bennett affirme que les attentes des publics reacutecepteurs laquo modifient raquo les œuvres lues (1997 48) La laquo communauteacute interpreacutetative raquo (constitueacutee par le public les creacuteateurs et la presse eacutecrite de Toronto) associe consciemment ou non leacutepithegravete laquo irlandais raquo aux immigrants peu eacuteduqueacutes et issus de milieux populaires chasseacutes dIrlande par la grande famine des anneacutees 184011 (Ignatiev 1995 148-176)

Il sagit lagrave dun type dassociation hasardeuse qui a manifestement influenceacute R H Thomson dans son interpreacutetation du rocircle de Frank le personnage de Molly Sweeney Lacteur employait un accent (trop) prononceacute qui selon au moins une critique manquait de consistance (Kershaw et Lingerfelt 2001) et lanccedilait souvent ses reacutepliques dans le but de faire rire sans rendre compte du cocircteacute poignant du personnage de ses obsessions eacutepheacutemegraveres comme de son incapaciteacute agrave accepter les conseacutequences de ses actions Il jouait un laquo Irlandais raquo au lieu de jouer son personnage Ainsi il semble que mecircme les plus chevronneacutes des acteurs canadiens-anglais tombent parfois dans le piegravege dune repreacutesentation caricaturale de lIrlandais -1laquo Irish Stage Figure raquo - et sacrifient leur jeu aux clicheacutes du bouffon du rebelle du gros buveur ou du noble paysan pour ne rien dire de la toile de fond obligeacutee de la misegravere et de la famine

Mecircme si son reacutepertoire nest pas exactement le mecircme force est de constater que le milieu montreacutealais sinteacuteresse autant au theacuteacirctre contemporain irlandais quagrave celui de la Ville reine Ont aussi eacuteteacute produites Des roches dans ses poches Stones in his Pockets) de Marie Jones en 2002 Danser agrave Lughnasa Dancing at Lughnasa) de Brian Friel en 2003 Billy Veacuteclopeacute The Cripple of Inishmaan) de Martin McDonagh en 2005 Nuit dlrlande Night in November) de Marie Jones en 2006 Cest incontestablement le directeur

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artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture Jean-Denis Leduc qui a joueacute un veacuteritable rocircle de promoteur aupregraves du milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois en 2001 La Manufacture preacutesente La reine de beauteacute de Leenane The Beauty Queen ofLeenane) de Martin McDonagh en 2002 Howie le Rookie de Mark ORowe en 2004 Doldrum Bay de Hilary Fannin et Tecircte premiegravere (Crestfall) une piegravece eacutegalement signeacutee Mark ORowe en 2005

Que ce theacuteacirctre de taille intermeacutediaire ait monteacute une production de Howie le Rookie neacutetonne guegravere Il sagit dun texte composeacute de deux longs monologues veacuteritables morceaux de bravoure pour de jeunes interpregravetes masculins dont la porteacutee sociale est indeacuteniable puisquil eacutetablit un lien direct entre la pauvreteacute des personnages et les eacuteveacutenements qui marquent leur trajet Contrairement agrave celle de Brian Friel agrave Toronto lœuvre de Mark ORowe eacutetait lors de la creacuteation agraveHowie le Rookie meacuteconnue du public francophone de Montreacuteal

Serait-il abusif de voir dans laccueil reacuteserveacute par Montreacuteal au theacuteacirctre irlandais et agrave Howie le Rookie et agrave Danser agrave Lughnaser en particulier un contre-exemple du pheacutenomegravene deacutecrit par Grene Certes lagrave aussi le theacuteacirctre irlandais est consideacutereacute pour une part comme une marchandise importeacutee mais dans une moindre mesure quailleurs En effet tout en eacutevoquant agrave maintes reprises les origines irlandaises du texte et de son auteur le directeur artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture et la presse ont mis surtout laccent sur la moderniteacute du texte et la particulariteacute de sa langue langue dont on souligne plus loriginaliteacute stylistique que le caractegravere reacutegional Manifestement lapport des immigreacutes agrave la socieacuteteacute queacutebeacutecoise mythifieacute par la culture populaire na joueacute aucun rocircle dans le fait quelle ait eacuteteacute retenue par Leduc et seul le critique Jean St-Hilaire du Soleil de Queacutebec y fait allusion indirectement tout en soulignant lui aussi la moderniteacute du texte et son aspect urbain12

Leduc eacutecrit dailleurs

Avant toute chose son theacuteacirctre nous parle de qui nous sommes Sincegravere et transparent il sait fouiller lacircme humaine ses vulneacuterabiliteacutes ses deacutesirs ses forces et ses secrets La langue de ORowe comme celle de Choiniegravere est vive urbaine dangereuse incisive et vraie Elle a du souffle et respire la moderniteacute (2002 3)

Howie the Rookie de Mark ORowe se deacuteroule en entier dans un contexte urbain ce qui explique quelle ait moins souffert de sa transposition agrave Montreacuteal Ses reacutefeacuterences culturelles sont celles des icocircnes occidentales du fast food des films hollywoodiens et de la teacuteleacutevision ameacutericaine compreacutehensibles agrave la fois par les publics dublinois et montreacutealais Comme le constate la critique Amy Barratt du Montreal Mirror laquo Howie le Rookie ressemble au titre dune eacutemission de teacuteleacutevision canadienne au sujet dune eacutequipe de hockey fictive13 raquo (2002)

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Cest sans aucun doute lune des raisons de la visibiliteacute meacutediatique dont a beacuteneacuteficieacute la piegravece et qui deacutepasse celle des autres piegraveces dorigine irlandaise monteacutees dans la meacutetropole queacutebeacutecoise depuis 2000 Car si le laquo nous raquo dont parle Leduc est celui du public montreacutealais il est aussi le nom des reacutesidents pauvres des quartiers deacutefavoriseacutes des grandes villes occidentales laquo De bien des faccedilons ce Dublin-lagrave qui tombe agrave peine sous la coupe des lois ordinaires ressemble agrave la zone de tant de grandes villes Sa singulariteacute samplifie toutefois gracircce au regard imaginatif et sans fard que pose ORowe sur une telle faune raquo (2002 B8) remarque Herveacute Guay du Devoir

Dans la version franccedilaise la mention de certains lieux connus agrave Dublin rappelle ponctuellement au spectateur que laction se deacuteroule dans la capitale irlandaise (la boutique Harry Moore la laquo Mercy Loop raquo Dame Street etc) Neacuteanmoins le texte est deacutepourvu de toute mention dune quecircte identitaire quelconque thegraveme reacutecurrent dans la dramaturgie postcoloniale Howie Lee le protagoniste est plutocirct en quecircte de reacutedemption pour avoir eacuteteacute agrave lorigine de la mort de son petit fregravere Moussey Si le trajet de sa chute est raconteacute par cet antiheacuteros lui-mecircme celui de sa reacutedemption est raconteacute apregraves sa mort par un teacutemoin Rookie Lee Cest ainsi que le public apprend que le premier conteur au moment de paraicirctre devant les spectateurs eacutetait en fait un fantocircme

Il semblait acquis pour le metteur en scegravene Fernand Rainville que la preacutesence sur scegravene dun ecirctre fantasmagorique ne poserait aucun problegraveme au public montreacutealais alors quelle en avait poseacute un au public torontois de Portia Coughlan Il na donc pas senti le besoin de lexpliciter sceacuteniquement pas plus quil na eu recours agrave des strateacutegies sceacuteniques pour expliquer laspect atemporel de la piegravece Au contraire il a situeacute laction dans un no mans land spatial Lespace sceacutenique proposeacute par la sceacutenographe Patricia Ruel eacutevoquait un sous-sol ou une maison abandonneacutee un espace neutre clos deacutepourvu de reacutefeacuterences culturelles particuliegraveres et ayant comme seule entreacutee une cage descalier au fond quelques poutres en meacutetal tombeacutees du plafond soulignaient agrave la fois leacutetat de leacutedifice et leacutetat desprit des personnages deacutestabiliseacutes quils sont par les eacuteveacutenements quils racontent

Cest aussi labsence dun horizon dattente preacutecis qui a donc permis au public montreacutealais deacutevaluer le texte et lhistoire en tant que tels Cette disponibiliteacute du public sexplique par le fait que le theacuteacirctre queacutebeacutecois est moins reacutealiste que son homologue canadien-anglais et que bon nombre de fantocircmes traversent les piegraveces dauteurs comme Michel Marc Bouchard et Jean Marc Dalpeacute ce dernier eacutetant par ailleurs eacutetroitement associeacute au Theacuteacirctre de La Manufacture depuis son deacutepart du Theacuteacirctre du Nouvel-Ontario de Sudbury De plus la langue dORowe se lit tout comme celle de Carr dans Portia Coughlan comme une version poeacutetiseacutee du vernaculaire irlandais une approche dramaturgique qui retrouve eacutegalement de fortes reacutesonances au Queacutebec faut-il souligner

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la parenteacute avec la langue des dramaturges Daniel Danis Michel Tremblay et Claude Gauvreau (Blonde 2003) Si la presse a fait souvent mention de la particulariteacute de la langue dramatique dHowie le Rookie - notamment Marie-Christine Biais de La Presse Joseacutee Chaboillez du Montreacuteal Express de la Socieacuteteacute Radio-Canada et mecircme Matt Radz du Montreal Gazette - elle na jamais eacutevoqueacute de difficulteacute de compreacutehension14

Cest sur ce rapport particulier agrave la langue theacuteacirctrale quont en commun les theacuteacirctres irlandais et queacutebeacutecois que repose latraduction dOlivier Choiniegravere il propose une poeacutesie laquo eacutequivalente raquo agrave celle dORowe Par exemple dans louverture du monologue de Rookie Lee le personnage affirme laquo Handsome bastard I am Bit attractive to the dollys theyre into me I Find them easy to pick up easy to get I Break hearts an hymens I do raquo traduite en franccedilais par laquo Jtun beau salaud cest sucircr Pas dma faute si jpogne avec les babes quest-ce que tu veux jai ccedila dans le sang Facile pour moi des attirer encore plus facile des coucher Bourreau dcœurs briseur dhymens amen raquo Mecircme la comparaison la plus superficielle de ces brefs extraits indique que la parlure dORowe - dont une partie importante des mots sont transcrits phoneacutetiquement afin dimposer une prononciation preacutecise aux interpregravetes anglophones - a eacuteteacute rendue par un franccedilais laquo joualiseacute raquo tout aussi laquo construit raquo que loriginal

Cest justement en eacutevitant les contraintes dun franccedilais normatif que lefficaciteacute seacutemantique et poeacutetique de loriginal a eacuteteacute conserveacutee Et puisquil est impossible de preacuteserver un laquo accent raquo ou de reproduire les particulariteacutes syntaxiques du parler irlandais qui ont inspireacute ORowe Choiniegravere a utiliseacute le vernaculaire queacutebeacutecois comme mateacuteriau pour creacuteer un rythme un souffle et une eacutenergie aussi chaotiques que ceux de loriginal mecircme si par moments laspect polysyllabique du franccedilais rend son texte plus verbeux que loriginal Le fait que la creacuteation langagiegravere soit au cœur mecircme du projet de monter Howie le Rookie dans une version franccedilaise situe tout le projet loin des preacuteoccupations mercantiles du theacuteacirctre occidental dont parle Grene

Danser agrave Lughnasa occupe une place tout aussi importante dans les productions du theacuteacirctre irlandais contemporain sur les scegravenes montreacutealaises La piegravece a eacuteteacute creacuteeacutee dans le cadre dune collaboration entre le theacuteacirctre dit national - le Theacuteacirctre du Nouveau Monde -et un theacuteacirctre reacutegional - Le Bic - situeacute agrave quelques kilomegravetres de Rimouski Il importe de souligner que le directeur artistique du Abbey Ben Barnes a mis en scegravene cette version traduite de loriginal sans comprendre le franccedilais et que le comeacutedien qui jouait le rocircle de Michael Maxime Deacutenommeacutee avait connu un grand succegraves un an plus tocirct dans le rocircle de Howie Lee Sacrifiant de nouveau agrave certains clicheacutes lieacutes agrave lidentiteacute irlandaise la campagne promotionnelle montreacutealaise eacutetait largement axeacutee sur le fait que les comeacutediennes de la piegravece laquo dansaient raquo comme le souligne le communiqueacute de presse du Theacuteacirctre du Nouveau

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Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

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Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

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moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

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un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

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irlandais raquo pour permettre aux spectateurs canadiens de situer la piegravece dans le contexte culturel et geacuteographique mecircme si ces accents paraissent faux agrave un spectateur irlandais

Le choix de preacutesenter Molly Sweeney de Friel avec des accents irlandais a ainsi obscurci certains des eacuteleacutements de caracteacuterisation normalement rendus par lunivers sonore de la production irlandaise Avant decirctre reprise agrave Toronto dans une nouvelle creacuteation la piegravece avait dabord eacuteteacute monteacutee au Gate Theatre agrave Dublin en 1994 Elle a depuis eacuteteacute produite un peu partout dans le monde y compris dans une traduction franccedilaise intituleacutee Molly S Trois personnages qui occupent tous un espace dramatique diffeacuterent mais qui partagent la scegravene monologuent Molly est aveugle depuis sa tendre enfance mais Frank son mari est deacutetermineacute agrave tout faire pour quelle recouvre la vue Cest lun de ses nombreux projets agrave court terme tels celui deacutelever des chegravevres iraniennes ou de sauver les baleines Il fait donc appel agrave un chirurgien ophtalmologiste dont la carriegravere a eacuteteacute ruineacutee par lalcoolisme et qui voit en Molly loccasion de retrouver une gloire perdue Lintervention chirurgicale reacuteussit mais Molly qui ignore comment interpreacuteter les images que ses yeux lui preacutesentent se replie sur elle-mecircme et finira la piegravece seule abandonneacutee par Frank dans un hocircpital psychiatrique

Au moment de la creacuteation irlandaise de cette piegravece lauteur a agi agrave titre de metteur en scegravene et Joe Vanek en tant que sceacutenographe Chacun des trois acteurs eacutetait assis sur une chaise de style diffeacuterent devant une toile de fond deacutecoreacutee dune fenecirctre et des feuilles mortes eacutetaient reacutepandues sur la scegravene La nature statique de ce concept accentuait la litteacuterariteacute du texte La conception sceacutenographique dAstrid Jansen pour la production torontoise creacuteait au contraire une sensation de mouvement disolement et de juxtaposition Chaque personnage eacutetait assis agrave diffeacuterents endroits dune plateforme eacutetroite qui zigzaguait dun bout agrave lautre de la scegravene et dont linclinaison servait agrave creacuteer une distance tant verticale quhorizontale entre les acteurs et une illusion de deacuteplacement physique et de changement temporel Leacuteclairage accentuait lisolement de chaque personnage illumineacute par un seul projecteur comme si chacun vivait ses propres souvenirs dans son propre espace psychologique Le caractegravere laquo irlandais raquo de la piegravece ne pouvait donc reposer que sur des eacuteleacutements sonores

Le choix mecircme dutiliser les accents semble curieux agrave certains eacutegards puisque cette piegravece en fait beaucoup moins usage que les autres textes de Friel Il faut rappeler que les accents en Irlande sont moduleacutes par la geacuteographie leacuteducation et la classe sociale laccent et la syntaxe de Rice lophtalmologiste et de Molly eacutetablissent donc leacutecart qui les distingue des origines sociales de Frank Agrave propos de laquo laccent huppeacute raquo de Rice Frank dira pendant le premier acte laquo Et il est neacute dans le village de Kilmeedy dans le comteacute de Limerick nom de Dieu Je ne me suis jamais vraiment fait agrave cet homme8 raquo (Friel 1999 462) montrant

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quil nest pas dupe des maniegraveres de Rice Au cours du deuxiegraveme acte il remarque que laccent de Rice manque parfois de consistance laquo Il seacutenervait tellement il ny avait plus aucune trace de laccent chic9 raquo (Friel 1999 485) De tels deacutetails font aussi eacutecho au reacutecit de Rice sur ses deacutebuts prometteurs et sur ses ambitions qui expliquent sa deacutecision dopeacuterer Molly mecircme si ce nest peut-ecirctre pas dans le meilleur inteacuterecirct de sa patiente Bref les accents indiqueacutes dans le texte original veulent ainsi appuyer les donneacutees de la fable

Le metteur en scegravene de la production canadienne plutocirct que demployer des accents canadiens de faccedilon agrave ce que les spectateurs saisissent les diffeacuterences de classe des personnages ou dutiliser un accent irlandais uniforme en renforccedilant les indices visuels a choisi deacutelibeacutereacutement de jouer la carte de lexotisme aux deacutepens de la lisibiliteacute Ce choix daccents approximatifs illustre les propos de Grene selon lesquels lidentiteacute irlandaise ne peut saffirmer pour les publics reacutecepteurs que dans lexotisme lalteacuteriteacute et le clicheacute plutocirct que dans un reacuteel souci dauthenticiteacute Dans sa synthegravese de la theacuteorie de Hans-Robert Jauss synthegravese qui tient compte du concept de laquo communauteacute interpreacutetative10 raquo de Stanley Fish et de Frank Lentricchia Susan Bennett affirme que les attentes des publics reacutecepteurs laquo modifient raquo les œuvres lues (1997 48) La laquo communauteacute interpreacutetative raquo (constitueacutee par le public les creacuteateurs et la presse eacutecrite de Toronto) associe consciemment ou non leacutepithegravete laquo irlandais raquo aux immigrants peu eacuteduqueacutes et issus de milieux populaires chasseacutes dIrlande par la grande famine des anneacutees 184011 (Ignatiev 1995 148-176)

Il sagit lagrave dun type dassociation hasardeuse qui a manifestement influenceacute R H Thomson dans son interpreacutetation du rocircle de Frank le personnage de Molly Sweeney Lacteur employait un accent (trop) prononceacute qui selon au moins une critique manquait de consistance (Kershaw et Lingerfelt 2001) et lanccedilait souvent ses reacutepliques dans le but de faire rire sans rendre compte du cocircteacute poignant du personnage de ses obsessions eacutepheacutemegraveres comme de son incapaciteacute agrave accepter les conseacutequences de ses actions Il jouait un laquo Irlandais raquo au lieu de jouer son personnage Ainsi il semble que mecircme les plus chevronneacutes des acteurs canadiens-anglais tombent parfois dans le piegravege dune repreacutesentation caricaturale de lIrlandais -1laquo Irish Stage Figure raquo - et sacrifient leur jeu aux clicheacutes du bouffon du rebelle du gros buveur ou du noble paysan pour ne rien dire de la toile de fond obligeacutee de la misegravere et de la famine

Mecircme si son reacutepertoire nest pas exactement le mecircme force est de constater que le milieu montreacutealais sinteacuteresse autant au theacuteacirctre contemporain irlandais quagrave celui de la Ville reine Ont aussi eacuteteacute produites Des roches dans ses poches Stones in his Pockets) de Marie Jones en 2002 Danser agrave Lughnasa Dancing at Lughnasa) de Brian Friel en 2003 Billy Veacuteclopeacute The Cripple of Inishmaan) de Martin McDonagh en 2005 Nuit dlrlande Night in November) de Marie Jones en 2006 Cest incontestablement le directeur

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artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture Jean-Denis Leduc qui a joueacute un veacuteritable rocircle de promoteur aupregraves du milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois en 2001 La Manufacture preacutesente La reine de beauteacute de Leenane The Beauty Queen ofLeenane) de Martin McDonagh en 2002 Howie le Rookie de Mark ORowe en 2004 Doldrum Bay de Hilary Fannin et Tecircte premiegravere (Crestfall) une piegravece eacutegalement signeacutee Mark ORowe en 2005

Que ce theacuteacirctre de taille intermeacutediaire ait monteacute une production de Howie le Rookie neacutetonne guegravere Il sagit dun texte composeacute de deux longs monologues veacuteritables morceaux de bravoure pour de jeunes interpregravetes masculins dont la porteacutee sociale est indeacuteniable puisquil eacutetablit un lien direct entre la pauvreteacute des personnages et les eacuteveacutenements qui marquent leur trajet Contrairement agrave celle de Brian Friel agrave Toronto lœuvre de Mark ORowe eacutetait lors de la creacuteation agraveHowie le Rookie meacuteconnue du public francophone de Montreacuteal

Serait-il abusif de voir dans laccueil reacuteserveacute par Montreacuteal au theacuteacirctre irlandais et agrave Howie le Rookie et agrave Danser agrave Lughnaser en particulier un contre-exemple du pheacutenomegravene deacutecrit par Grene Certes lagrave aussi le theacuteacirctre irlandais est consideacutereacute pour une part comme une marchandise importeacutee mais dans une moindre mesure quailleurs En effet tout en eacutevoquant agrave maintes reprises les origines irlandaises du texte et de son auteur le directeur artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture et la presse ont mis surtout laccent sur la moderniteacute du texte et la particulariteacute de sa langue langue dont on souligne plus loriginaliteacute stylistique que le caractegravere reacutegional Manifestement lapport des immigreacutes agrave la socieacuteteacute queacutebeacutecoise mythifieacute par la culture populaire na joueacute aucun rocircle dans le fait quelle ait eacuteteacute retenue par Leduc et seul le critique Jean St-Hilaire du Soleil de Queacutebec y fait allusion indirectement tout en soulignant lui aussi la moderniteacute du texte et son aspect urbain12

Leduc eacutecrit dailleurs

Avant toute chose son theacuteacirctre nous parle de qui nous sommes Sincegravere et transparent il sait fouiller lacircme humaine ses vulneacuterabiliteacutes ses deacutesirs ses forces et ses secrets La langue de ORowe comme celle de Choiniegravere est vive urbaine dangereuse incisive et vraie Elle a du souffle et respire la moderniteacute (2002 3)

Howie the Rookie de Mark ORowe se deacuteroule en entier dans un contexte urbain ce qui explique quelle ait moins souffert de sa transposition agrave Montreacuteal Ses reacutefeacuterences culturelles sont celles des icocircnes occidentales du fast food des films hollywoodiens et de la teacuteleacutevision ameacutericaine compreacutehensibles agrave la fois par les publics dublinois et montreacutealais Comme le constate la critique Amy Barratt du Montreal Mirror laquo Howie le Rookie ressemble au titre dune eacutemission de teacuteleacutevision canadienne au sujet dune eacutequipe de hockey fictive13 raquo (2002)

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Cest sans aucun doute lune des raisons de la visibiliteacute meacutediatique dont a beacuteneacuteficieacute la piegravece et qui deacutepasse celle des autres piegraveces dorigine irlandaise monteacutees dans la meacutetropole queacutebeacutecoise depuis 2000 Car si le laquo nous raquo dont parle Leduc est celui du public montreacutealais il est aussi le nom des reacutesidents pauvres des quartiers deacutefavoriseacutes des grandes villes occidentales laquo De bien des faccedilons ce Dublin-lagrave qui tombe agrave peine sous la coupe des lois ordinaires ressemble agrave la zone de tant de grandes villes Sa singulariteacute samplifie toutefois gracircce au regard imaginatif et sans fard que pose ORowe sur une telle faune raquo (2002 B8) remarque Herveacute Guay du Devoir

Dans la version franccedilaise la mention de certains lieux connus agrave Dublin rappelle ponctuellement au spectateur que laction se deacuteroule dans la capitale irlandaise (la boutique Harry Moore la laquo Mercy Loop raquo Dame Street etc) Neacuteanmoins le texte est deacutepourvu de toute mention dune quecircte identitaire quelconque thegraveme reacutecurrent dans la dramaturgie postcoloniale Howie Lee le protagoniste est plutocirct en quecircte de reacutedemption pour avoir eacuteteacute agrave lorigine de la mort de son petit fregravere Moussey Si le trajet de sa chute est raconteacute par cet antiheacuteros lui-mecircme celui de sa reacutedemption est raconteacute apregraves sa mort par un teacutemoin Rookie Lee Cest ainsi que le public apprend que le premier conteur au moment de paraicirctre devant les spectateurs eacutetait en fait un fantocircme

Il semblait acquis pour le metteur en scegravene Fernand Rainville que la preacutesence sur scegravene dun ecirctre fantasmagorique ne poserait aucun problegraveme au public montreacutealais alors quelle en avait poseacute un au public torontois de Portia Coughlan Il na donc pas senti le besoin de lexpliciter sceacuteniquement pas plus quil na eu recours agrave des strateacutegies sceacuteniques pour expliquer laspect atemporel de la piegravece Au contraire il a situeacute laction dans un no mans land spatial Lespace sceacutenique proposeacute par la sceacutenographe Patricia Ruel eacutevoquait un sous-sol ou une maison abandonneacutee un espace neutre clos deacutepourvu de reacutefeacuterences culturelles particuliegraveres et ayant comme seule entreacutee une cage descalier au fond quelques poutres en meacutetal tombeacutees du plafond soulignaient agrave la fois leacutetat de leacutedifice et leacutetat desprit des personnages deacutestabiliseacutes quils sont par les eacuteveacutenements quils racontent

Cest aussi labsence dun horizon dattente preacutecis qui a donc permis au public montreacutealais deacutevaluer le texte et lhistoire en tant que tels Cette disponibiliteacute du public sexplique par le fait que le theacuteacirctre queacutebeacutecois est moins reacutealiste que son homologue canadien-anglais et que bon nombre de fantocircmes traversent les piegraveces dauteurs comme Michel Marc Bouchard et Jean Marc Dalpeacute ce dernier eacutetant par ailleurs eacutetroitement associeacute au Theacuteacirctre de La Manufacture depuis son deacutepart du Theacuteacirctre du Nouvel-Ontario de Sudbury De plus la langue dORowe se lit tout comme celle de Carr dans Portia Coughlan comme une version poeacutetiseacutee du vernaculaire irlandais une approche dramaturgique qui retrouve eacutegalement de fortes reacutesonances au Queacutebec faut-il souligner

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la parenteacute avec la langue des dramaturges Daniel Danis Michel Tremblay et Claude Gauvreau (Blonde 2003) Si la presse a fait souvent mention de la particulariteacute de la langue dramatique dHowie le Rookie - notamment Marie-Christine Biais de La Presse Joseacutee Chaboillez du Montreacuteal Express de la Socieacuteteacute Radio-Canada et mecircme Matt Radz du Montreal Gazette - elle na jamais eacutevoqueacute de difficulteacute de compreacutehension14

Cest sur ce rapport particulier agrave la langue theacuteacirctrale quont en commun les theacuteacirctres irlandais et queacutebeacutecois que repose latraduction dOlivier Choiniegravere il propose une poeacutesie laquo eacutequivalente raquo agrave celle dORowe Par exemple dans louverture du monologue de Rookie Lee le personnage affirme laquo Handsome bastard I am Bit attractive to the dollys theyre into me I Find them easy to pick up easy to get I Break hearts an hymens I do raquo traduite en franccedilais par laquo Jtun beau salaud cest sucircr Pas dma faute si jpogne avec les babes quest-ce que tu veux jai ccedila dans le sang Facile pour moi des attirer encore plus facile des coucher Bourreau dcœurs briseur dhymens amen raquo Mecircme la comparaison la plus superficielle de ces brefs extraits indique que la parlure dORowe - dont une partie importante des mots sont transcrits phoneacutetiquement afin dimposer une prononciation preacutecise aux interpregravetes anglophones - a eacuteteacute rendue par un franccedilais laquo joualiseacute raquo tout aussi laquo construit raquo que loriginal

Cest justement en eacutevitant les contraintes dun franccedilais normatif que lefficaciteacute seacutemantique et poeacutetique de loriginal a eacuteteacute conserveacutee Et puisquil est impossible de preacuteserver un laquo accent raquo ou de reproduire les particulariteacutes syntaxiques du parler irlandais qui ont inspireacute ORowe Choiniegravere a utiliseacute le vernaculaire queacutebeacutecois comme mateacuteriau pour creacuteer un rythme un souffle et une eacutenergie aussi chaotiques que ceux de loriginal mecircme si par moments laspect polysyllabique du franccedilais rend son texte plus verbeux que loriginal Le fait que la creacuteation langagiegravere soit au cœur mecircme du projet de monter Howie le Rookie dans une version franccedilaise situe tout le projet loin des preacuteoccupations mercantiles du theacuteacirctre occidental dont parle Grene

Danser agrave Lughnasa occupe une place tout aussi importante dans les productions du theacuteacirctre irlandais contemporain sur les scegravenes montreacutealaises La piegravece a eacuteteacute creacuteeacutee dans le cadre dune collaboration entre le theacuteacirctre dit national - le Theacuteacirctre du Nouveau Monde -et un theacuteacirctre reacutegional - Le Bic - situeacute agrave quelques kilomegravetres de Rimouski Il importe de souligner que le directeur artistique du Abbey Ben Barnes a mis en scegravene cette version traduite de loriginal sans comprendre le franccedilais et que le comeacutedien qui jouait le rocircle de Michael Maxime Deacutenommeacutee avait connu un grand succegraves un an plus tocirct dans le rocircle de Howie Lee Sacrifiant de nouveau agrave certains clicheacutes lieacutes agrave lidentiteacute irlandaise la campagne promotionnelle montreacutealaise eacutetait largement axeacutee sur le fait que les comeacutediennes de la piegravece laquo dansaient raquo comme le souligne le communiqueacute de presse du Theacuteacirctre du Nouveau

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Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

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Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

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moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

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un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

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LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 109

quil nest pas dupe des maniegraveres de Rice Au cours du deuxiegraveme acte il remarque que laccent de Rice manque parfois de consistance laquo Il seacutenervait tellement il ny avait plus aucune trace de laccent chic9 raquo (Friel 1999 485) De tels deacutetails font aussi eacutecho au reacutecit de Rice sur ses deacutebuts prometteurs et sur ses ambitions qui expliquent sa deacutecision dopeacuterer Molly mecircme si ce nest peut-ecirctre pas dans le meilleur inteacuterecirct de sa patiente Bref les accents indiqueacutes dans le texte original veulent ainsi appuyer les donneacutees de la fable

Le metteur en scegravene de la production canadienne plutocirct que demployer des accents canadiens de faccedilon agrave ce que les spectateurs saisissent les diffeacuterences de classe des personnages ou dutiliser un accent irlandais uniforme en renforccedilant les indices visuels a choisi deacutelibeacutereacutement de jouer la carte de lexotisme aux deacutepens de la lisibiliteacute Ce choix daccents approximatifs illustre les propos de Grene selon lesquels lidentiteacute irlandaise ne peut saffirmer pour les publics reacutecepteurs que dans lexotisme lalteacuteriteacute et le clicheacute plutocirct que dans un reacuteel souci dauthenticiteacute Dans sa synthegravese de la theacuteorie de Hans-Robert Jauss synthegravese qui tient compte du concept de laquo communauteacute interpreacutetative10 raquo de Stanley Fish et de Frank Lentricchia Susan Bennett affirme que les attentes des publics reacutecepteurs laquo modifient raquo les œuvres lues (1997 48) La laquo communauteacute interpreacutetative raquo (constitueacutee par le public les creacuteateurs et la presse eacutecrite de Toronto) associe consciemment ou non leacutepithegravete laquo irlandais raquo aux immigrants peu eacuteduqueacutes et issus de milieux populaires chasseacutes dIrlande par la grande famine des anneacutees 184011 (Ignatiev 1995 148-176)

Il sagit lagrave dun type dassociation hasardeuse qui a manifestement influenceacute R H Thomson dans son interpreacutetation du rocircle de Frank le personnage de Molly Sweeney Lacteur employait un accent (trop) prononceacute qui selon au moins une critique manquait de consistance (Kershaw et Lingerfelt 2001) et lanccedilait souvent ses reacutepliques dans le but de faire rire sans rendre compte du cocircteacute poignant du personnage de ses obsessions eacutepheacutemegraveres comme de son incapaciteacute agrave accepter les conseacutequences de ses actions Il jouait un laquo Irlandais raquo au lieu de jouer son personnage Ainsi il semble que mecircme les plus chevronneacutes des acteurs canadiens-anglais tombent parfois dans le piegravege dune repreacutesentation caricaturale de lIrlandais -1laquo Irish Stage Figure raquo - et sacrifient leur jeu aux clicheacutes du bouffon du rebelle du gros buveur ou du noble paysan pour ne rien dire de la toile de fond obligeacutee de la misegravere et de la famine

Mecircme si son reacutepertoire nest pas exactement le mecircme force est de constater que le milieu montreacutealais sinteacuteresse autant au theacuteacirctre contemporain irlandais quagrave celui de la Ville reine Ont aussi eacuteteacute produites Des roches dans ses poches Stones in his Pockets) de Marie Jones en 2002 Danser agrave Lughnasa Dancing at Lughnasa) de Brian Friel en 2003 Billy Veacuteclopeacute The Cripple of Inishmaan) de Martin McDonagh en 2005 Nuit dlrlande Night in November) de Marie Jones en 2006 Cest incontestablement le directeur

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artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture Jean-Denis Leduc qui a joueacute un veacuteritable rocircle de promoteur aupregraves du milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois en 2001 La Manufacture preacutesente La reine de beauteacute de Leenane The Beauty Queen ofLeenane) de Martin McDonagh en 2002 Howie le Rookie de Mark ORowe en 2004 Doldrum Bay de Hilary Fannin et Tecircte premiegravere (Crestfall) une piegravece eacutegalement signeacutee Mark ORowe en 2005

Que ce theacuteacirctre de taille intermeacutediaire ait monteacute une production de Howie le Rookie neacutetonne guegravere Il sagit dun texte composeacute de deux longs monologues veacuteritables morceaux de bravoure pour de jeunes interpregravetes masculins dont la porteacutee sociale est indeacuteniable puisquil eacutetablit un lien direct entre la pauvreteacute des personnages et les eacuteveacutenements qui marquent leur trajet Contrairement agrave celle de Brian Friel agrave Toronto lœuvre de Mark ORowe eacutetait lors de la creacuteation agraveHowie le Rookie meacuteconnue du public francophone de Montreacuteal

Serait-il abusif de voir dans laccueil reacuteserveacute par Montreacuteal au theacuteacirctre irlandais et agrave Howie le Rookie et agrave Danser agrave Lughnaser en particulier un contre-exemple du pheacutenomegravene deacutecrit par Grene Certes lagrave aussi le theacuteacirctre irlandais est consideacutereacute pour une part comme une marchandise importeacutee mais dans une moindre mesure quailleurs En effet tout en eacutevoquant agrave maintes reprises les origines irlandaises du texte et de son auteur le directeur artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture et la presse ont mis surtout laccent sur la moderniteacute du texte et la particulariteacute de sa langue langue dont on souligne plus loriginaliteacute stylistique que le caractegravere reacutegional Manifestement lapport des immigreacutes agrave la socieacuteteacute queacutebeacutecoise mythifieacute par la culture populaire na joueacute aucun rocircle dans le fait quelle ait eacuteteacute retenue par Leduc et seul le critique Jean St-Hilaire du Soleil de Queacutebec y fait allusion indirectement tout en soulignant lui aussi la moderniteacute du texte et son aspect urbain12

Leduc eacutecrit dailleurs

Avant toute chose son theacuteacirctre nous parle de qui nous sommes Sincegravere et transparent il sait fouiller lacircme humaine ses vulneacuterabiliteacutes ses deacutesirs ses forces et ses secrets La langue de ORowe comme celle de Choiniegravere est vive urbaine dangereuse incisive et vraie Elle a du souffle et respire la moderniteacute (2002 3)

Howie the Rookie de Mark ORowe se deacuteroule en entier dans un contexte urbain ce qui explique quelle ait moins souffert de sa transposition agrave Montreacuteal Ses reacutefeacuterences culturelles sont celles des icocircnes occidentales du fast food des films hollywoodiens et de la teacuteleacutevision ameacutericaine compreacutehensibles agrave la fois par les publics dublinois et montreacutealais Comme le constate la critique Amy Barratt du Montreal Mirror laquo Howie le Rookie ressemble au titre dune eacutemission de teacuteleacutevision canadienne au sujet dune eacutequipe de hockey fictive13 raquo (2002)

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Cest sans aucun doute lune des raisons de la visibiliteacute meacutediatique dont a beacuteneacuteficieacute la piegravece et qui deacutepasse celle des autres piegraveces dorigine irlandaise monteacutees dans la meacutetropole queacutebeacutecoise depuis 2000 Car si le laquo nous raquo dont parle Leduc est celui du public montreacutealais il est aussi le nom des reacutesidents pauvres des quartiers deacutefavoriseacutes des grandes villes occidentales laquo De bien des faccedilons ce Dublin-lagrave qui tombe agrave peine sous la coupe des lois ordinaires ressemble agrave la zone de tant de grandes villes Sa singulariteacute samplifie toutefois gracircce au regard imaginatif et sans fard que pose ORowe sur une telle faune raquo (2002 B8) remarque Herveacute Guay du Devoir

Dans la version franccedilaise la mention de certains lieux connus agrave Dublin rappelle ponctuellement au spectateur que laction se deacuteroule dans la capitale irlandaise (la boutique Harry Moore la laquo Mercy Loop raquo Dame Street etc) Neacuteanmoins le texte est deacutepourvu de toute mention dune quecircte identitaire quelconque thegraveme reacutecurrent dans la dramaturgie postcoloniale Howie Lee le protagoniste est plutocirct en quecircte de reacutedemption pour avoir eacuteteacute agrave lorigine de la mort de son petit fregravere Moussey Si le trajet de sa chute est raconteacute par cet antiheacuteros lui-mecircme celui de sa reacutedemption est raconteacute apregraves sa mort par un teacutemoin Rookie Lee Cest ainsi que le public apprend que le premier conteur au moment de paraicirctre devant les spectateurs eacutetait en fait un fantocircme

Il semblait acquis pour le metteur en scegravene Fernand Rainville que la preacutesence sur scegravene dun ecirctre fantasmagorique ne poserait aucun problegraveme au public montreacutealais alors quelle en avait poseacute un au public torontois de Portia Coughlan Il na donc pas senti le besoin de lexpliciter sceacuteniquement pas plus quil na eu recours agrave des strateacutegies sceacuteniques pour expliquer laspect atemporel de la piegravece Au contraire il a situeacute laction dans un no mans land spatial Lespace sceacutenique proposeacute par la sceacutenographe Patricia Ruel eacutevoquait un sous-sol ou une maison abandonneacutee un espace neutre clos deacutepourvu de reacutefeacuterences culturelles particuliegraveres et ayant comme seule entreacutee une cage descalier au fond quelques poutres en meacutetal tombeacutees du plafond soulignaient agrave la fois leacutetat de leacutedifice et leacutetat desprit des personnages deacutestabiliseacutes quils sont par les eacuteveacutenements quils racontent

Cest aussi labsence dun horizon dattente preacutecis qui a donc permis au public montreacutealais deacutevaluer le texte et lhistoire en tant que tels Cette disponibiliteacute du public sexplique par le fait que le theacuteacirctre queacutebeacutecois est moins reacutealiste que son homologue canadien-anglais et que bon nombre de fantocircmes traversent les piegraveces dauteurs comme Michel Marc Bouchard et Jean Marc Dalpeacute ce dernier eacutetant par ailleurs eacutetroitement associeacute au Theacuteacirctre de La Manufacture depuis son deacutepart du Theacuteacirctre du Nouvel-Ontario de Sudbury De plus la langue dORowe se lit tout comme celle de Carr dans Portia Coughlan comme une version poeacutetiseacutee du vernaculaire irlandais une approche dramaturgique qui retrouve eacutegalement de fortes reacutesonances au Queacutebec faut-il souligner

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la parenteacute avec la langue des dramaturges Daniel Danis Michel Tremblay et Claude Gauvreau (Blonde 2003) Si la presse a fait souvent mention de la particulariteacute de la langue dramatique dHowie le Rookie - notamment Marie-Christine Biais de La Presse Joseacutee Chaboillez du Montreacuteal Express de la Socieacuteteacute Radio-Canada et mecircme Matt Radz du Montreal Gazette - elle na jamais eacutevoqueacute de difficulteacute de compreacutehension14

Cest sur ce rapport particulier agrave la langue theacuteacirctrale quont en commun les theacuteacirctres irlandais et queacutebeacutecois que repose latraduction dOlivier Choiniegravere il propose une poeacutesie laquo eacutequivalente raquo agrave celle dORowe Par exemple dans louverture du monologue de Rookie Lee le personnage affirme laquo Handsome bastard I am Bit attractive to the dollys theyre into me I Find them easy to pick up easy to get I Break hearts an hymens I do raquo traduite en franccedilais par laquo Jtun beau salaud cest sucircr Pas dma faute si jpogne avec les babes quest-ce que tu veux jai ccedila dans le sang Facile pour moi des attirer encore plus facile des coucher Bourreau dcœurs briseur dhymens amen raquo Mecircme la comparaison la plus superficielle de ces brefs extraits indique que la parlure dORowe - dont une partie importante des mots sont transcrits phoneacutetiquement afin dimposer une prononciation preacutecise aux interpregravetes anglophones - a eacuteteacute rendue par un franccedilais laquo joualiseacute raquo tout aussi laquo construit raquo que loriginal

Cest justement en eacutevitant les contraintes dun franccedilais normatif que lefficaciteacute seacutemantique et poeacutetique de loriginal a eacuteteacute conserveacutee Et puisquil est impossible de preacuteserver un laquo accent raquo ou de reproduire les particulariteacutes syntaxiques du parler irlandais qui ont inspireacute ORowe Choiniegravere a utiliseacute le vernaculaire queacutebeacutecois comme mateacuteriau pour creacuteer un rythme un souffle et une eacutenergie aussi chaotiques que ceux de loriginal mecircme si par moments laspect polysyllabique du franccedilais rend son texte plus verbeux que loriginal Le fait que la creacuteation langagiegravere soit au cœur mecircme du projet de monter Howie le Rookie dans une version franccedilaise situe tout le projet loin des preacuteoccupations mercantiles du theacuteacirctre occidental dont parle Grene

Danser agrave Lughnasa occupe une place tout aussi importante dans les productions du theacuteacirctre irlandais contemporain sur les scegravenes montreacutealaises La piegravece a eacuteteacute creacuteeacutee dans le cadre dune collaboration entre le theacuteacirctre dit national - le Theacuteacirctre du Nouveau Monde -et un theacuteacirctre reacutegional - Le Bic - situeacute agrave quelques kilomegravetres de Rimouski Il importe de souligner que le directeur artistique du Abbey Ben Barnes a mis en scegravene cette version traduite de loriginal sans comprendre le franccedilais et que le comeacutedien qui jouait le rocircle de Michael Maxime Deacutenommeacutee avait connu un grand succegraves un an plus tocirct dans le rocircle de Howie Lee Sacrifiant de nouveau agrave certains clicheacutes lieacutes agrave lidentiteacute irlandaise la campagne promotionnelle montreacutealaise eacutetait largement axeacutee sur le fait que les comeacutediennes de la piegravece laquo dansaient raquo comme le souligne le communiqueacute de presse du Theacuteacirctre du Nouveau

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Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

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Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

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moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

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un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

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118 LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

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Page 9: Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

11 o LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture Jean-Denis Leduc qui a joueacute un veacuteritable rocircle de promoteur aupregraves du milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois en 2001 La Manufacture preacutesente La reine de beauteacute de Leenane The Beauty Queen ofLeenane) de Martin McDonagh en 2002 Howie le Rookie de Mark ORowe en 2004 Doldrum Bay de Hilary Fannin et Tecircte premiegravere (Crestfall) une piegravece eacutegalement signeacutee Mark ORowe en 2005

Que ce theacuteacirctre de taille intermeacutediaire ait monteacute une production de Howie le Rookie neacutetonne guegravere Il sagit dun texte composeacute de deux longs monologues veacuteritables morceaux de bravoure pour de jeunes interpregravetes masculins dont la porteacutee sociale est indeacuteniable puisquil eacutetablit un lien direct entre la pauvreteacute des personnages et les eacuteveacutenements qui marquent leur trajet Contrairement agrave celle de Brian Friel agrave Toronto lœuvre de Mark ORowe eacutetait lors de la creacuteation agraveHowie le Rookie meacuteconnue du public francophone de Montreacuteal

Serait-il abusif de voir dans laccueil reacuteserveacute par Montreacuteal au theacuteacirctre irlandais et agrave Howie le Rookie et agrave Danser agrave Lughnaser en particulier un contre-exemple du pheacutenomegravene deacutecrit par Grene Certes lagrave aussi le theacuteacirctre irlandais est consideacutereacute pour une part comme une marchandise importeacutee mais dans une moindre mesure quailleurs En effet tout en eacutevoquant agrave maintes reprises les origines irlandaises du texte et de son auteur le directeur artistique du Theacuteacirctre de La Manufacture et la presse ont mis surtout laccent sur la moderniteacute du texte et la particulariteacute de sa langue langue dont on souligne plus loriginaliteacute stylistique que le caractegravere reacutegional Manifestement lapport des immigreacutes agrave la socieacuteteacute queacutebeacutecoise mythifieacute par la culture populaire na joueacute aucun rocircle dans le fait quelle ait eacuteteacute retenue par Leduc et seul le critique Jean St-Hilaire du Soleil de Queacutebec y fait allusion indirectement tout en soulignant lui aussi la moderniteacute du texte et son aspect urbain12

Leduc eacutecrit dailleurs

Avant toute chose son theacuteacirctre nous parle de qui nous sommes Sincegravere et transparent il sait fouiller lacircme humaine ses vulneacuterabiliteacutes ses deacutesirs ses forces et ses secrets La langue de ORowe comme celle de Choiniegravere est vive urbaine dangereuse incisive et vraie Elle a du souffle et respire la moderniteacute (2002 3)

Howie the Rookie de Mark ORowe se deacuteroule en entier dans un contexte urbain ce qui explique quelle ait moins souffert de sa transposition agrave Montreacuteal Ses reacutefeacuterences culturelles sont celles des icocircnes occidentales du fast food des films hollywoodiens et de la teacuteleacutevision ameacutericaine compreacutehensibles agrave la fois par les publics dublinois et montreacutealais Comme le constate la critique Amy Barratt du Montreal Mirror laquo Howie le Rookie ressemble au titre dune eacutemission de teacuteleacutevision canadienne au sujet dune eacutequipe de hockey fictive13 raquo (2002)

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 111

Cest sans aucun doute lune des raisons de la visibiliteacute meacutediatique dont a beacuteneacuteficieacute la piegravece et qui deacutepasse celle des autres piegraveces dorigine irlandaise monteacutees dans la meacutetropole queacutebeacutecoise depuis 2000 Car si le laquo nous raquo dont parle Leduc est celui du public montreacutealais il est aussi le nom des reacutesidents pauvres des quartiers deacutefavoriseacutes des grandes villes occidentales laquo De bien des faccedilons ce Dublin-lagrave qui tombe agrave peine sous la coupe des lois ordinaires ressemble agrave la zone de tant de grandes villes Sa singulariteacute samplifie toutefois gracircce au regard imaginatif et sans fard que pose ORowe sur une telle faune raquo (2002 B8) remarque Herveacute Guay du Devoir

Dans la version franccedilaise la mention de certains lieux connus agrave Dublin rappelle ponctuellement au spectateur que laction se deacuteroule dans la capitale irlandaise (la boutique Harry Moore la laquo Mercy Loop raquo Dame Street etc) Neacuteanmoins le texte est deacutepourvu de toute mention dune quecircte identitaire quelconque thegraveme reacutecurrent dans la dramaturgie postcoloniale Howie Lee le protagoniste est plutocirct en quecircte de reacutedemption pour avoir eacuteteacute agrave lorigine de la mort de son petit fregravere Moussey Si le trajet de sa chute est raconteacute par cet antiheacuteros lui-mecircme celui de sa reacutedemption est raconteacute apregraves sa mort par un teacutemoin Rookie Lee Cest ainsi que le public apprend que le premier conteur au moment de paraicirctre devant les spectateurs eacutetait en fait un fantocircme

Il semblait acquis pour le metteur en scegravene Fernand Rainville que la preacutesence sur scegravene dun ecirctre fantasmagorique ne poserait aucun problegraveme au public montreacutealais alors quelle en avait poseacute un au public torontois de Portia Coughlan Il na donc pas senti le besoin de lexpliciter sceacuteniquement pas plus quil na eu recours agrave des strateacutegies sceacuteniques pour expliquer laspect atemporel de la piegravece Au contraire il a situeacute laction dans un no mans land spatial Lespace sceacutenique proposeacute par la sceacutenographe Patricia Ruel eacutevoquait un sous-sol ou une maison abandonneacutee un espace neutre clos deacutepourvu de reacutefeacuterences culturelles particuliegraveres et ayant comme seule entreacutee une cage descalier au fond quelques poutres en meacutetal tombeacutees du plafond soulignaient agrave la fois leacutetat de leacutedifice et leacutetat desprit des personnages deacutestabiliseacutes quils sont par les eacuteveacutenements quils racontent

Cest aussi labsence dun horizon dattente preacutecis qui a donc permis au public montreacutealais deacutevaluer le texte et lhistoire en tant que tels Cette disponibiliteacute du public sexplique par le fait que le theacuteacirctre queacutebeacutecois est moins reacutealiste que son homologue canadien-anglais et que bon nombre de fantocircmes traversent les piegraveces dauteurs comme Michel Marc Bouchard et Jean Marc Dalpeacute ce dernier eacutetant par ailleurs eacutetroitement associeacute au Theacuteacirctre de La Manufacture depuis son deacutepart du Theacuteacirctre du Nouvel-Ontario de Sudbury De plus la langue dORowe se lit tout comme celle de Carr dans Portia Coughlan comme une version poeacutetiseacutee du vernaculaire irlandais une approche dramaturgique qui retrouve eacutegalement de fortes reacutesonances au Queacutebec faut-il souligner

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la parenteacute avec la langue des dramaturges Daniel Danis Michel Tremblay et Claude Gauvreau (Blonde 2003) Si la presse a fait souvent mention de la particulariteacute de la langue dramatique dHowie le Rookie - notamment Marie-Christine Biais de La Presse Joseacutee Chaboillez du Montreacuteal Express de la Socieacuteteacute Radio-Canada et mecircme Matt Radz du Montreal Gazette - elle na jamais eacutevoqueacute de difficulteacute de compreacutehension14

Cest sur ce rapport particulier agrave la langue theacuteacirctrale quont en commun les theacuteacirctres irlandais et queacutebeacutecois que repose latraduction dOlivier Choiniegravere il propose une poeacutesie laquo eacutequivalente raquo agrave celle dORowe Par exemple dans louverture du monologue de Rookie Lee le personnage affirme laquo Handsome bastard I am Bit attractive to the dollys theyre into me I Find them easy to pick up easy to get I Break hearts an hymens I do raquo traduite en franccedilais par laquo Jtun beau salaud cest sucircr Pas dma faute si jpogne avec les babes quest-ce que tu veux jai ccedila dans le sang Facile pour moi des attirer encore plus facile des coucher Bourreau dcœurs briseur dhymens amen raquo Mecircme la comparaison la plus superficielle de ces brefs extraits indique que la parlure dORowe - dont une partie importante des mots sont transcrits phoneacutetiquement afin dimposer une prononciation preacutecise aux interpregravetes anglophones - a eacuteteacute rendue par un franccedilais laquo joualiseacute raquo tout aussi laquo construit raquo que loriginal

Cest justement en eacutevitant les contraintes dun franccedilais normatif que lefficaciteacute seacutemantique et poeacutetique de loriginal a eacuteteacute conserveacutee Et puisquil est impossible de preacuteserver un laquo accent raquo ou de reproduire les particulariteacutes syntaxiques du parler irlandais qui ont inspireacute ORowe Choiniegravere a utiliseacute le vernaculaire queacutebeacutecois comme mateacuteriau pour creacuteer un rythme un souffle et une eacutenergie aussi chaotiques que ceux de loriginal mecircme si par moments laspect polysyllabique du franccedilais rend son texte plus verbeux que loriginal Le fait que la creacuteation langagiegravere soit au cœur mecircme du projet de monter Howie le Rookie dans une version franccedilaise situe tout le projet loin des preacuteoccupations mercantiles du theacuteacirctre occidental dont parle Grene

Danser agrave Lughnasa occupe une place tout aussi importante dans les productions du theacuteacirctre irlandais contemporain sur les scegravenes montreacutealaises La piegravece a eacuteteacute creacuteeacutee dans le cadre dune collaboration entre le theacuteacirctre dit national - le Theacuteacirctre du Nouveau Monde -et un theacuteacirctre reacutegional - Le Bic - situeacute agrave quelques kilomegravetres de Rimouski Il importe de souligner que le directeur artistique du Abbey Ben Barnes a mis en scegravene cette version traduite de loriginal sans comprendre le franccedilais et que le comeacutedien qui jouait le rocircle de Michael Maxime Deacutenommeacutee avait connu un grand succegraves un an plus tocirct dans le rocircle de Howie Lee Sacrifiant de nouveau agrave certains clicheacutes lieacutes agrave lidentiteacute irlandaise la campagne promotionnelle montreacutealaise eacutetait largement axeacutee sur le fait que les comeacutediennes de la piegravece laquo dansaient raquo comme le souligne le communiqueacute de presse du Theacuteacirctre du Nouveau

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Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

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Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

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moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

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un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

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Page 10: Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

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Cest sans aucun doute lune des raisons de la visibiliteacute meacutediatique dont a beacuteneacuteficieacute la piegravece et qui deacutepasse celle des autres piegraveces dorigine irlandaise monteacutees dans la meacutetropole queacutebeacutecoise depuis 2000 Car si le laquo nous raquo dont parle Leduc est celui du public montreacutealais il est aussi le nom des reacutesidents pauvres des quartiers deacutefavoriseacutes des grandes villes occidentales laquo De bien des faccedilons ce Dublin-lagrave qui tombe agrave peine sous la coupe des lois ordinaires ressemble agrave la zone de tant de grandes villes Sa singulariteacute samplifie toutefois gracircce au regard imaginatif et sans fard que pose ORowe sur une telle faune raquo (2002 B8) remarque Herveacute Guay du Devoir

Dans la version franccedilaise la mention de certains lieux connus agrave Dublin rappelle ponctuellement au spectateur que laction se deacuteroule dans la capitale irlandaise (la boutique Harry Moore la laquo Mercy Loop raquo Dame Street etc) Neacuteanmoins le texte est deacutepourvu de toute mention dune quecircte identitaire quelconque thegraveme reacutecurrent dans la dramaturgie postcoloniale Howie Lee le protagoniste est plutocirct en quecircte de reacutedemption pour avoir eacuteteacute agrave lorigine de la mort de son petit fregravere Moussey Si le trajet de sa chute est raconteacute par cet antiheacuteros lui-mecircme celui de sa reacutedemption est raconteacute apregraves sa mort par un teacutemoin Rookie Lee Cest ainsi que le public apprend que le premier conteur au moment de paraicirctre devant les spectateurs eacutetait en fait un fantocircme

Il semblait acquis pour le metteur en scegravene Fernand Rainville que la preacutesence sur scegravene dun ecirctre fantasmagorique ne poserait aucun problegraveme au public montreacutealais alors quelle en avait poseacute un au public torontois de Portia Coughlan Il na donc pas senti le besoin de lexpliciter sceacuteniquement pas plus quil na eu recours agrave des strateacutegies sceacuteniques pour expliquer laspect atemporel de la piegravece Au contraire il a situeacute laction dans un no mans land spatial Lespace sceacutenique proposeacute par la sceacutenographe Patricia Ruel eacutevoquait un sous-sol ou une maison abandonneacutee un espace neutre clos deacutepourvu de reacutefeacuterences culturelles particuliegraveres et ayant comme seule entreacutee une cage descalier au fond quelques poutres en meacutetal tombeacutees du plafond soulignaient agrave la fois leacutetat de leacutedifice et leacutetat desprit des personnages deacutestabiliseacutes quils sont par les eacuteveacutenements quils racontent

Cest aussi labsence dun horizon dattente preacutecis qui a donc permis au public montreacutealais deacutevaluer le texte et lhistoire en tant que tels Cette disponibiliteacute du public sexplique par le fait que le theacuteacirctre queacutebeacutecois est moins reacutealiste que son homologue canadien-anglais et que bon nombre de fantocircmes traversent les piegraveces dauteurs comme Michel Marc Bouchard et Jean Marc Dalpeacute ce dernier eacutetant par ailleurs eacutetroitement associeacute au Theacuteacirctre de La Manufacture depuis son deacutepart du Theacuteacirctre du Nouvel-Ontario de Sudbury De plus la langue dORowe se lit tout comme celle de Carr dans Portia Coughlan comme une version poeacutetiseacutee du vernaculaire irlandais une approche dramaturgique qui retrouve eacutegalement de fortes reacutesonances au Queacutebec faut-il souligner

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la parenteacute avec la langue des dramaturges Daniel Danis Michel Tremblay et Claude Gauvreau (Blonde 2003) Si la presse a fait souvent mention de la particulariteacute de la langue dramatique dHowie le Rookie - notamment Marie-Christine Biais de La Presse Joseacutee Chaboillez du Montreacuteal Express de la Socieacuteteacute Radio-Canada et mecircme Matt Radz du Montreal Gazette - elle na jamais eacutevoqueacute de difficulteacute de compreacutehension14

Cest sur ce rapport particulier agrave la langue theacuteacirctrale quont en commun les theacuteacirctres irlandais et queacutebeacutecois que repose latraduction dOlivier Choiniegravere il propose une poeacutesie laquo eacutequivalente raquo agrave celle dORowe Par exemple dans louverture du monologue de Rookie Lee le personnage affirme laquo Handsome bastard I am Bit attractive to the dollys theyre into me I Find them easy to pick up easy to get I Break hearts an hymens I do raquo traduite en franccedilais par laquo Jtun beau salaud cest sucircr Pas dma faute si jpogne avec les babes quest-ce que tu veux jai ccedila dans le sang Facile pour moi des attirer encore plus facile des coucher Bourreau dcœurs briseur dhymens amen raquo Mecircme la comparaison la plus superficielle de ces brefs extraits indique que la parlure dORowe - dont une partie importante des mots sont transcrits phoneacutetiquement afin dimposer une prononciation preacutecise aux interpregravetes anglophones - a eacuteteacute rendue par un franccedilais laquo joualiseacute raquo tout aussi laquo construit raquo que loriginal

Cest justement en eacutevitant les contraintes dun franccedilais normatif que lefficaciteacute seacutemantique et poeacutetique de loriginal a eacuteteacute conserveacutee Et puisquil est impossible de preacuteserver un laquo accent raquo ou de reproduire les particulariteacutes syntaxiques du parler irlandais qui ont inspireacute ORowe Choiniegravere a utiliseacute le vernaculaire queacutebeacutecois comme mateacuteriau pour creacuteer un rythme un souffle et une eacutenergie aussi chaotiques que ceux de loriginal mecircme si par moments laspect polysyllabique du franccedilais rend son texte plus verbeux que loriginal Le fait que la creacuteation langagiegravere soit au cœur mecircme du projet de monter Howie le Rookie dans une version franccedilaise situe tout le projet loin des preacuteoccupations mercantiles du theacuteacirctre occidental dont parle Grene

Danser agrave Lughnasa occupe une place tout aussi importante dans les productions du theacuteacirctre irlandais contemporain sur les scegravenes montreacutealaises La piegravece a eacuteteacute creacuteeacutee dans le cadre dune collaboration entre le theacuteacirctre dit national - le Theacuteacirctre du Nouveau Monde -et un theacuteacirctre reacutegional - Le Bic - situeacute agrave quelques kilomegravetres de Rimouski Il importe de souligner que le directeur artistique du Abbey Ben Barnes a mis en scegravene cette version traduite de loriginal sans comprendre le franccedilais et que le comeacutedien qui jouait le rocircle de Michael Maxime Deacutenommeacutee avait connu un grand succegraves un an plus tocirct dans le rocircle de Howie Lee Sacrifiant de nouveau agrave certains clicheacutes lieacutes agrave lidentiteacute irlandaise la campagne promotionnelle montreacutealaise eacutetait largement axeacutee sur le fait que les comeacutediennes de la piegravece laquo dansaient raquo comme le souligne le communiqueacute de presse du Theacuteacirctre du Nouveau

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Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

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Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 115

moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

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un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

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118 LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

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Page 11: Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

112 LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

la parenteacute avec la langue des dramaturges Daniel Danis Michel Tremblay et Claude Gauvreau (Blonde 2003) Si la presse a fait souvent mention de la particulariteacute de la langue dramatique dHowie le Rookie - notamment Marie-Christine Biais de La Presse Joseacutee Chaboillez du Montreacuteal Express de la Socieacuteteacute Radio-Canada et mecircme Matt Radz du Montreal Gazette - elle na jamais eacutevoqueacute de difficulteacute de compreacutehension14

Cest sur ce rapport particulier agrave la langue theacuteacirctrale quont en commun les theacuteacirctres irlandais et queacutebeacutecois que repose latraduction dOlivier Choiniegravere il propose une poeacutesie laquo eacutequivalente raquo agrave celle dORowe Par exemple dans louverture du monologue de Rookie Lee le personnage affirme laquo Handsome bastard I am Bit attractive to the dollys theyre into me I Find them easy to pick up easy to get I Break hearts an hymens I do raquo traduite en franccedilais par laquo Jtun beau salaud cest sucircr Pas dma faute si jpogne avec les babes quest-ce que tu veux jai ccedila dans le sang Facile pour moi des attirer encore plus facile des coucher Bourreau dcœurs briseur dhymens amen raquo Mecircme la comparaison la plus superficielle de ces brefs extraits indique que la parlure dORowe - dont une partie importante des mots sont transcrits phoneacutetiquement afin dimposer une prononciation preacutecise aux interpregravetes anglophones - a eacuteteacute rendue par un franccedilais laquo joualiseacute raquo tout aussi laquo construit raquo que loriginal

Cest justement en eacutevitant les contraintes dun franccedilais normatif que lefficaciteacute seacutemantique et poeacutetique de loriginal a eacuteteacute conserveacutee Et puisquil est impossible de preacuteserver un laquo accent raquo ou de reproduire les particulariteacutes syntaxiques du parler irlandais qui ont inspireacute ORowe Choiniegravere a utiliseacute le vernaculaire queacutebeacutecois comme mateacuteriau pour creacuteer un rythme un souffle et une eacutenergie aussi chaotiques que ceux de loriginal mecircme si par moments laspect polysyllabique du franccedilais rend son texte plus verbeux que loriginal Le fait que la creacuteation langagiegravere soit au cœur mecircme du projet de monter Howie le Rookie dans une version franccedilaise situe tout le projet loin des preacuteoccupations mercantiles du theacuteacirctre occidental dont parle Grene

Danser agrave Lughnasa occupe une place tout aussi importante dans les productions du theacuteacirctre irlandais contemporain sur les scegravenes montreacutealaises La piegravece a eacuteteacute creacuteeacutee dans le cadre dune collaboration entre le theacuteacirctre dit national - le Theacuteacirctre du Nouveau Monde -et un theacuteacirctre reacutegional - Le Bic - situeacute agrave quelques kilomegravetres de Rimouski Il importe de souligner que le directeur artistique du Abbey Ben Barnes a mis en scegravene cette version traduite de loriginal sans comprendre le franccedilais et que le comeacutedien qui jouait le rocircle de Michael Maxime Deacutenommeacutee avait connu un grand succegraves un an plus tocirct dans le rocircle de Howie Lee Sacrifiant de nouveau agrave certains clicheacutes lieacutes agrave lidentiteacute irlandaise la campagne promotionnelle montreacutealaise eacutetait largement axeacutee sur le fait que les comeacutediennes de la piegravece laquo dansaient raquo comme le souligne le communiqueacute de presse du Theacuteacirctre du Nouveau

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Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

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Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 115

moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 117

un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

Bibliographie

AL-SOLAYLEE Kamal (2001) laquoNo Smoke Without Fireraquo Eye 11 octobre [En ligne] [httpwwweyeenteyeissueissue_10ll01artstillsonburgphp] (23 octobre 2006)

BARRAIT Amy (2002) laquo Les Fighting Irish raquo Montreal Mirror 28 mars [En ligne] I [httpwwwmontrealmirrorcomARCHIVES2002032802theatrelhtml) (23 octobre 2006)

BELL Karen (1997) laquo Not the Only Game in Town Anymore raquo Performing Arts and Entertainment in Canada vol 30 ndeg 4 (printemps) p 3-5

BENNETT Susan (1997) Theatre Audiences New York Routledge

BERTHA Csilla et Donald MORSE (1994) Worlds Visible and Invisible Essays on Irish Literature Debrecen Lajos Kossuth University

BLAIS Marie-Christine (2002) laquo Howie le Rookie dur et exceptionnel raquo La Presse 30 mars p D7

BLONDE David (2003) laquo De Gauvreau agrave Danis repegraveres pour une poeacutetique de la langue theacuteacirctrale raquo Thegravese de maicirctrise Ottawa Universiteacute dOttawa

BORELLO Christine (1994) laquoUn reacuteservoir dalteacuteriteacute le reacutepertoire allemand dans le theacuteacirctre queacutebeacutecois raquo TheacuteacirctrePublic n 117 (mai-juin) p 55-63

BRISSET Annie (1990) Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) Longueuil Eacuteditions du Preacuteambule

BROWN Terence (1985) Ireland A Social and Cultural History 1922 to the Present Londres Fontana Press

CARR Marina (1999) Portia Coughlan dans Marina Carr Plays 1 Londres Faber amp Faber

CLOUTIER Anne-Marie (2003) laquo Bain de douceur raquo La Presse 29 mars p D4 COULBURN John (2001) laquoWorking it out in Tillsonburg raquo Toronto Sun 19 octobre [En ligne]

[httpjamcanoecaTheatreReviewsTTillonburg] (23 octobre 2006)

CHABOILLEZ Joseacutee (2002) laquo Le theacuteacirctre de La Licorne preacutesente Howie le Rookie raquo Montreacuteal Express Premiegravere Chaicircne de Radio-Canada 21 mars retranscription

DOYLE Maria (2006) laquo Dead Center Tragedy and the Reanimated Body in Marina Carrs The Mai and Portia Coughlan raquo Modern Drama vol 49 ndeg 1 (printemps) p 41-59

FiSCHER-LlCHTE Erika Josephine Riley et Michael Gissenwherer (dir) (1990) The Dramatic Touch of Difference Tubingen Gunter Narr Verlag

FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Paul Lefebvre (2003) ineacutedit FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Jean-Marie Besset (1996) Paris Eacuteditions theacuteacirctrales

118 LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

FRIEL Brian (1999) Molly Sweeney dans Brian Friel Plays 2 Londres Faber amp Faber

FRIEL Brian (1999) Molly S trad Alain Delahaye Arles LemeacuteacActes Sud

GUAY Herveacute (2002) laquo Monologues de Dublin raquo Le Devoir 25 mars p B8

GUAY Herveacute (2003) laquo Forces souterraines Danser agrave Lughnasa est une chronique lente et sensible dune finesse dexeacutecution et de reacuteflexion remarquable raquo Le Devoir 31 mars p B8

GRANT Kieran (2000) laquo The Weir Serves up a Sobering Experience raquo Toronto Sun 18 novembre [En ligne] [httpxjamcanoecaTheatreReviewsWThe_Weir2000ll18742597html] (23 octobre 2006)

GRENE Nicholas (1999) The Politics of Irish Drama Cambridge Cambridge University Press HoiLE Christopher (2001) laquoIrishmen with Baggageraquo Stage Door novembre [En ligne]

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HoiLE Christopher (2001) laquoA Haunting Irish Mysteryraquo Stage Door deacutecembre [En ligne] [httpwwwpostgazettecommagazine20010328portia7asp] (23 octobre 2006)

IGNATIEV Noel (1995) laquo From Protestant Ascendancy to White Republic raquo How the Irish Became White New York Routledge p 148-176

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LAHR John (1999) laquo The Bejaysus Factor raquo The New Yorker 12 avril

LEDUC Jean-Denis (2002) laquo Mot du directeur artistique raquo dans le Dossier de presse de Howie le Rookie

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McAuLEY Gay (2003) Space in Performance Ann Arbor University of Michigan Press

OROWE Mark (1999) Howie the Rookie Londres Nick Hern Books

OROWE Mark (1999) Howie le Rookie trad Olivier Choiniegravere (2002) ineacutedit

PAVIS Patrice (1990) Le theacuteacirctre au croisement des cultures Paris Joseacute Corti

RADZ Matt (2002) laquo Dublins Underbelly Montreacuteal-style raquo The Gazette 11 avril p D5 RAWSON Christopher (2001) laquo Stage Review Portia is Drenched in Grim Yruths raquo Post-Gazette 18

mars p 7 ST-HlLAiRE Jean (2004) laquo Howie le Rookie un enfer des plus divertissants raquo Le Soleil 15 avril

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wwwtnmqccafrprogrammesaison_02_03communiquelughnasahtm] (16 octobre 2006)

TODD Loreto (1999) Green English Dublin OBrien Press

Page 12: Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 113

Monde (2003) Ces circonstances pourraient donner agrave penser que cette production relevait elle aussi dune marchandisation du theacuteacirctre irlandais i

Or la structure et les thegravemes de Danser agrave Lughnasa deacutejouent les clicheacutes normatifs que i Grene associe agrave la vision de laquo lIrlandais raquo preacutesenteacutee agrave leacutetranger Cest que Friel emprunte un modegravele dramaturgique connu agrave savoir laquo The memory play raquo dont lexemple le plus | ceacutelegravebre demeure La meacutenagerie de verre de Tennessee Williams Comme le personnage de Tom celui de Michael est agrave la fois narrateur et personnage Et comme Tom il commente laction et deacutecrit la vie de chacun des membres de sa famille qui habite le village fictif de Ballybeg lagrave ougrave Friel situe la plupart de ses piegraveces

Dans un lieu laquo typiquement irlandais raquo - la cuisine de la maison familiale ougrave lon retrouve selon les didascalies un poecircle agrave tourbe des lampes agrave lhuile et des seaux deau - le personnage de Michael raconte les eacuteveacutenements du mois daoucirct 1936 qui ont eu lieu peu de temps apregraves le retour dAfrique de son oncle Jack ancien aumocircnier de larmeacutee britannique devenu precirctre missionnaire et les visites surprises de son pegravere gallois Gerry Evans avant son deacutepart pour la guerre en Espagne Dans ce microcosme dune Irlande libre ideacutealiseacutee et reacutevolue la mecircme agrave laquelle recircvait tout un peuple agrave la suite de son indeacutependance lunivers familial est au bord de leffondrement Une reacutevolution industrielle imposeacutee agrave licircle par des inteacuterecircts eacutetrangers ce mecircme type dinvestissement qui fera de lIrlande actuelle un pays prospegravere remet en cause lexistence mecircme de ce clan

Les trois personnages masculins font figure dombres dans cet univers matriarcal Le fait que Kate sœur aicircneacutee ait participeacute agrave la guerre dindeacutependance de lIrlande et quelle soit institutrice et seule salarieacutee de la maison lui confegravere la fonction de laquo megravere symbolique raquo qui perd progressivement le controcircle de la maison et de la famille Le narrateur souligne que la piegravece se deacuteroule en aoucirct mois de lancienne fecircte du dieu paiumlen Lugh nommeacutee la Lughnasa La musique des danses provient dune radio qui porte le nom de ce mecircme Dieu et incarne une moderniteacute dont les femmes sont de plus en plus victimes et contre laquelle les hommes ne peuvent les proteacuteger Comme la radio sallume et seacuteteint de faccedilon inopineacutee le passeacute paiumlen et gaeacutelique de ces Irlandaises composante essentielle de leur identiteacute pendant la peacuteriode nationaliste est de moins en moins laquo audible raquo ou preacutesent dans leurs vies Elles deacutecident mecircme de ne pas participer agrave la danse communautaire pour ceacuteleacutebrer la moisson Avant la fin de la piegravece le passeacute eacutevoqueacute par le narrateur disparaicirct Le spectateur apprend que les tantes Agnes et Rose sexilent clandestinement apregraves avoir perdu leur emploi et que la megravere du protagoniste Chris passera sa vie dans une manufacture de gants pour faire vivre son fils illeacutegitime La mort de loncle Jack dont lesprit oscille entre une douce folie et la reacutealiteacute comme celle de Gerry Evans sont annonceacutees

114 LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 115

moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

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impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 117

un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

Bibliographie

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FiSCHER-LlCHTE Erika Josephine Riley et Michael Gissenwherer (dir) (1990) The Dramatic Touch of Difference Tubingen Gunter Narr Verlag

FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Paul Lefebvre (2003) ineacutedit FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Jean-Marie Besset (1996) Paris Eacuteditions theacuteacirctrales

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OROWE Mark (1999) Howie le Rookie trad Olivier Choiniegravere (2002) ineacutedit

PAVIS Patrice (1990) Le theacuteacirctre au croisement des cultures Paris Joseacute Corti

RADZ Matt (2002) laquo Dublins Underbelly Montreacuteal-style raquo The Gazette 11 avril p D5 RAWSON Christopher (2001) laquo Stage Review Portia is Drenched in Grim Yruths raquo Post-Gazette 18

mars p 7 ST-HlLAiRE Jean (2004) laquo Howie le Rookie un enfer des plus divertissants raquo Le Soleil 15 avril

p B5 TANZER Joshua (2002) laquoToo surly with loveraquo 21 mars [En ligne]

[httpv^vwoffofToffcomtheater2002portiacoughlanphp3] (16 octobre 2006) THEacuteAcircTRE DU NOUVEAU MONDE laquo Dansez agrave Lughnasa raquo communiqueacute de presse [En ligne] [http

wwwtnmqccafrprogrammesaison_02_03communiquelughnasahtm] (16 octobre 2006)

TODD Loreto (1999) Green English Dublin OBrien Press

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114 LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

Selon les didascalies le comeacutedien qui incarne Michael nintervient pas directement dans lespace sceacutenique des autres personnages Quand il ne commente pas laction il precircte sa voix agrave un autre lui-mecircme un enfant de sept ans auquel les autres personnages sadressent mais que le public doit imaginer En sappuyant sur cette galerie de personnages on peut conclure que laquo lIrlandais raquo du passeacute est deacutepeint comme mourant primitif (malgreacute lui) malade et combatif et laquo lIrlandais raquo du preacutesent comme une absence ce qui nest pas sans rappeler certaines figures sceacuteniques de Beckett Cette piegravece consideacutereacutee comme la plus importante du reacutepertoire de Friel fait ainsi reacutefeacuterence agrave une vision nostalgique de lidentiteacute irlandaise pour mieux souligner agrave quel point elle est deacutesuegravete et reacutevolue

Cest cette dimension que le metteur en scegravene Ben Barnes a mise en valeur avec laide et la preacutesence lors des reacutepeacutetitions de Kate Bligh conseillegravere dramaturgique aupregraves du traducteur Paul Lefebvre La sceacutenographie de Guido Tondino respectait la simpliciteacute souhaiteacutee par lauteur selon les didascalies une cuisine une cour exteacuterieure et un champ au lointain composaient lespace sceacutenique dans une logique deacutepuration dobservation et de contemplation laquo Jamais la scegravene du TNM na sembleacute si vaste Le ciel touche les champs les champs touchent le ciel agrave peine les personnages seacuteloignent-ils quils basculent dans limmensiteacute raquo (2003 D4) eacutecrit Anne-Marie Cloutier de La Presse Herveacute Guay du Devoir fait justement leacuteloge dun objet de contemplation qui aborde toute une seacuterie de questions pertinentes dont celle dune identiteacute deacutepasseacutee (2003)

Langlais du texte original est beaucoup moins oraliseacute que celui dORowe et de bon nombre de traductions des piegraveces de Friel Le franccedilais est plus normatif et curieusement ne rend pas les particulariteacutes lexicales et syntaxiques utiliseacutees par les personnages de Gerry et de Jack contrairement justement agrave la traduction hexagonale du mecircme texte signeacutee Jean-Marie Besset Comme Portia Coughlan agrave Toronto cest la musique un signe audible qui eacutevoque le caractegravere irlandais de lœuvre Selon le choix pertinent du traducteur et contrairement agrave celui de Besset les chansons de guerre chanteacutees par le personnage de Maggie - qui eacutevoque par ailleurs la figure du nationaliste Eamon de Valera - leacutetaient en anglais rappelant ponctuellement au public les origines eacutetrangegraveres de la piegravece Quant agrave la musique utiliseacutee dans la production elle eacutetait authentiquement irlandaise

Au-delagrave des jugements que lon pourrait porter sur la fonction du mercantilisme dans nimporte quel milieu theacuteacirctral et de son influence sucircr les choix artistiques des creacuteateurs ou sur les diffeacuterences qui existent entre les pratiques respectives des deux meacutetropoles canadiennes ce bref bilan a permis de deacutecrire des reacutealiteacutes qui remettent en question certains aspects de lhypothegravese de Grene Le fait quun lieu reacutecepteur dune œuvre eacutetrangegravere partage une langue avec la piegravece abordeacutee repreacutesente un handicap puisque le laquo sentiment raquo de proximiteacute incite une communauteacute interpreacutetative agrave proposer des lectures

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 115

moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

116 HANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 117

un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

Bibliographie

AL-SOLAYLEE Kamal (2001) laquoNo Smoke Without Fireraquo Eye 11 octobre [En ligne] [httpwwweyeenteyeissueissue_10ll01artstillsonburgphp] (23 octobre 2006)

BARRAIT Amy (2002) laquo Les Fighting Irish raquo Montreal Mirror 28 mars [En ligne] I [httpwwwmontrealmirrorcomARCHIVES2002032802theatrelhtml) (23 octobre 2006)

BELL Karen (1997) laquo Not the Only Game in Town Anymore raquo Performing Arts and Entertainment in Canada vol 30 ndeg 4 (printemps) p 3-5

BENNETT Susan (1997) Theatre Audiences New York Routledge

BERTHA Csilla et Donald MORSE (1994) Worlds Visible and Invisible Essays on Irish Literature Debrecen Lajos Kossuth University

BLAIS Marie-Christine (2002) laquo Howie le Rookie dur et exceptionnel raquo La Presse 30 mars p D7

BLONDE David (2003) laquo De Gauvreau agrave Danis repegraveres pour une poeacutetique de la langue theacuteacirctrale raquo Thegravese de maicirctrise Ottawa Universiteacute dOttawa

BORELLO Christine (1994) laquoUn reacuteservoir dalteacuteriteacute le reacutepertoire allemand dans le theacuteacirctre queacutebeacutecois raquo TheacuteacirctrePublic n 117 (mai-juin) p 55-63

BRISSET Annie (1990) Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) Longueuil Eacuteditions du Preacuteambule

BROWN Terence (1985) Ireland A Social and Cultural History 1922 to the Present Londres Fontana Press

CARR Marina (1999) Portia Coughlan dans Marina Carr Plays 1 Londres Faber amp Faber

CLOUTIER Anne-Marie (2003) laquo Bain de douceur raquo La Presse 29 mars p D4 COULBURN John (2001) laquoWorking it out in Tillsonburg raquo Toronto Sun 19 octobre [En ligne]

[httpjamcanoecaTheatreReviewsTTillonburg] (23 octobre 2006)

CHABOILLEZ Joseacutee (2002) laquo Le theacuteacirctre de La Licorne preacutesente Howie le Rookie raquo Montreacuteal Express Premiegravere Chaicircne de Radio-Canada 21 mars retranscription

DOYLE Maria (2006) laquo Dead Center Tragedy and the Reanimated Body in Marina Carrs The Mai and Portia Coughlan raquo Modern Drama vol 49 ndeg 1 (printemps) p 41-59

FiSCHER-LlCHTE Erika Josephine Riley et Michael Gissenwherer (dir) (1990) The Dramatic Touch of Difference Tubingen Gunter Narr Verlag

FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Paul Lefebvre (2003) ineacutedit FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Jean-Marie Besset (1996) Paris Eacuteditions theacuteacirctrales

118 LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

FRIEL Brian (1999) Molly Sweeney dans Brian Friel Plays 2 Londres Faber amp Faber

FRIEL Brian (1999) Molly S trad Alain Delahaye Arles LemeacuteacActes Sud

GUAY Herveacute (2002) laquo Monologues de Dublin raquo Le Devoir 25 mars p B8

GUAY Herveacute (2003) laquo Forces souterraines Danser agrave Lughnasa est une chronique lente et sensible dune finesse dexeacutecution et de reacuteflexion remarquable raquo Le Devoir 31 mars p B8

GRANT Kieran (2000) laquo The Weir Serves up a Sobering Experience raquo Toronto Sun 18 novembre [En ligne] [httpxjamcanoecaTheatreReviewsWThe_Weir2000ll18742597html] (23 octobre 2006)

GRENE Nicholas (1999) The Politics of Irish Drama Cambridge Cambridge University Press HoiLE Christopher (2001) laquoIrishmen with Baggageraquo Stage Door novembre [En ligne]

[httpwwwstage-doororgreviewsmise2001ghtm] (23 octobre 2006)

HoiLE Christopher (2001) laquoA Haunting Irish Mysteryraquo Stage Door deacutecembre [En ligne] [httpwwwpostgazettecommagazine20010328portia7asp] (23 octobre 2006)

IGNATIEV Noel (1995) laquo From Protestant Ascendancy to White Republic raquo How the Irish Became White New York Routledge p 148-176

KERSHAW Roger et Jim LINGERFELT (2001) laquo Molly Sweeney raquo Stage Door feacutevrier

KNOWLES Ric (2004) Reading the Material Theatre Cambridge Cambridge University Press

LAHR John (1999) laquo The Bejaysus Factor raquo The New Yorker 12 avril

LEDUC Jean-Denis (2002) laquo Mot du directeur artistique raquo dans le Dossier de presse de Howie le Rookie

LiONNET Franccediloise (1995) Postcolonial Representations Women Literature Identity Ithaca Cornell University Press

McAuLEY Gay (2003) Space in Performance Ann Arbor University of Michigan Press

OROWE Mark (1999) Howie the Rookie Londres Nick Hern Books

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PAVIS Patrice (1990) Le theacuteacirctre au croisement des cultures Paris Joseacute Corti

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mars p 7 ST-HlLAiRE Jean (2004) laquo Howie le Rookie un enfer des plus divertissants raquo Le Soleil 15 avril

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wwwtnmqccafrprogrammesaison_02_03communiquelughnasahtm] (16 octobre 2006)

TODD Loreto (1999) Green English Dublin OBrien Press

Page 14: Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 115

moins reacutefleacutechies que celles dun milieu artistique qui doit dabord moduler un texte au moment den entreprendre la traduction Les productions torontoises manifestent ainsi une relative occultation de certains referents de lidentiteacute irlandaise Annie Brisset a montreacute dans Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) que le milieu theacuteacirctral queacutebeacutecois reacutesistait agrave limage mecircme de laquo lautre raquo Or lexpeacuterience du theacuteacirctre irlandais sur les scegravenes montreacutealaises depuis 2000 indique que le milieu dans son ensemble ne reacutesiste plus agrave limage de lautre et cherche encore moins agrave le rapprocher inducircment des normes locales Au contraire les animateurs des theacuteacirctres affichent les origines des textes quils produisent cherchent agrave en rendre les particulariteacutes et laissent aux spectateurs le loisir de faire un lien entre lœuvre et leur propre expeacuterience culturelle Qui plus est il nest plus possible de cateacutegoriser aussi nettement les fonctions du texte emprunteacute qui oscillaient dans les anneacutees 80 ici comme ailleurs entre lappropriation et la mise agrave distance Dans les choix des creacuteateurs ce sont les motivations artistiques qui preacutevalent

Traduction de certaines sections de Saragraveh Migneron revue par Dominique Lafon

Notes

1 laquo [P]henomenon of Irish drama as a commodity of international currency raquo laquo it constitutes a separable category fulfilling its own contrastive function in relation to the metropolitan mainstream raquo 2 Tout comme Erika Fischer-Lichte Patrice Pavis dans son livre Le theacuteacirctre au croisement des cultures privileacutegie le transfert de mateacuteriaux dautres cultures dans la reacutealisation dune ostranenie cest-agrave-dire pour rendre eacutetrange la culture occidentale face agrave elle-mecircme Erika Fischer-Lichte de son cocircteacute note laquo Lutilisation deacuteleacutements eacutetrangers ou leur adoption dans une production doit donc toujours ecirctre vue comme un processus de transformation culturelle au cours duquel les eacuteleacutements extraits de lautre culture sont graveacutes dans la culture concerneacutee afin que leur potentiel speacutecial puisse eacutevoluer ici et maintenant raquo (laquo The use of foreign elements or the adoption of them in a production is thus always to be understood as a process of cultural transformation in which the components extracted from the other culture are embedded in the own culture so that their special potential can evolve in the here and now raquo) (Voir Fischer-Lichte et ai 1990 27-40) 3 laquo There are audiences whose cultures produce presentations of a certain scale [] who have the disposable income to support such presentations raquo 4 Dans une critique reacutedigeacutee pour wwwoffoffoffcom de la production preacutesenteacutee au Show World Theatre agrave New York Joshua Tanzer parle dlaquo un eacutenorme truc de magie au deacutebut du deuxiegraveme acte lorsque se produit quelque chose de tout agrave fait impossible que [le spectateur] doi[t] tout simplement accepter raquo (laquo giant chunk of magic at the beginning of the second act when something thoroughly

116 HANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 117

un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

Bibliographie

AL-SOLAYLEE Kamal (2001) laquoNo Smoke Without Fireraquo Eye 11 octobre [En ligne] [httpwwweyeenteyeissueissue_10ll01artstillsonburgphp] (23 octobre 2006)

BARRAIT Amy (2002) laquo Les Fighting Irish raquo Montreal Mirror 28 mars [En ligne] I [httpwwwmontrealmirrorcomARCHIVES2002032802theatrelhtml) (23 octobre 2006)

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BLONDE David (2003) laquo De Gauvreau agrave Danis repegraveres pour une poeacutetique de la langue theacuteacirctrale raquo Thegravese de maicirctrise Ottawa Universiteacute dOttawa

BORELLO Christine (1994) laquoUn reacuteservoir dalteacuteriteacute le reacutepertoire allemand dans le theacuteacirctre queacutebeacutecois raquo TheacuteacirctrePublic n 117 (mai-juin) p 55-63

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BROWN Terence (1985) Ireland A Social and Cultural History 1922 to the Present Londres Fontana Press

CARR Marina (1999) Portia Coughlan dans Marina Carr Plays 1 Londres Faber amp Faber

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[httpjamcanoecaTheatreReviewsTTillonburg] (23 octobre 2006)

CHABOILLEZ Joseacutee (2002) laquo Le theacuteacirctre de La Licorne preacutesente Howie le Rookie raquo Montreacuteal Express Premiegravere Chaicircne de Radio-Canada 21 mars retranscription

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FiSCHER-LlCHTE Erika Josephine Riley et Michael Gissenwherer (dir) (1990) The Dramatic Touch of Difference Tubingen Gunter Narr Verlag

FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Paul Lefebvre (2003) ineacutedit FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Jean-Marie Besset (1996) Paris Eacuteditions theacuteacirctrales

118 LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

FRIEL Brian (1999) Molly Sweeney dans Brian Friel Plays 2 Londres Faber amp Faber

FRIEL Brian (1999) Molly S trad Alain Delahaye Arles LemeacuteacActes Sud

GUAY Herveacute (2002) laquo Monologues de Dublin raquo Le Devoir 25 mars p B8

GUAY Herveacute (2003) laquo Forces souterraines Danser agrave Lughnasa est une chronique lente et sensible dune finesse dexeacutecution et de reacuteflexion remarquable raquo Le Devoir 31 mars p B8

GRANT Kieran (2000) laquo The Weir Serves up a Sobering Experience raquo Toronto Sun 18 novembre [En ligne] [httpxjamcanoecaTheatreReviewsWThe_Weir2000ll18742597html] (23 octobre 2006)

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mars p 7 ST-HlLAiRE Jean (2004) laquo Howie le Rookie un enfer des plus divertissants raquo Le Soleil 15 avril

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[httpv^vwoffofToffcomtheater2002portiacoughlanphp3] (16 octobre 2006) THEacuteAcircTRE DU NOUVEAU MONDE laquo Dansez agrave Lughnasa raquo communiqueacute de presse [En ligne] [http

wwwtnmqccafrprogrammesaison_02_03communiquelughnasahtm] (16 octobre 2006)

TODD Loreto (1999) Green English Dublin OBrien Press

Page 15: Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

116 HANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

impossible happens and you just have to go along with itraquo) (2002) Le critique de theacuteacirctre du Post-Gazette Christopher Rawson parle pour sa part de la possibiliteacute dlaquo une projection dans le futur mais peut-ecirctre sagit-il dune autre reacutealiteacute possible raquo (laquo a flash forward but perhaps its an alternative possibilityraquo) (2001 7) 5 Voir Csilla Bertha et Donald Morse (1994) Cette collection dessais examine la preacutesence du surnaturel et du fantastique dans une gamme de textes dramatiques et litteacuteraires irlandais 6 Leacutetude de la mise en scegravene de Natalie Harrower de la piegravece Portia Coughlan est fondeacutee sur des entrevues et des conversations ineacutedites ainsi que sur lobservation du processus de reacutepeacutetition et sur les repreacutesentations elles-mecircmes 7 Christopher Hoile reproche agrave deux des acteurs de Portia Coughlan davoir eacutechoueacute agrave laquo maicirctriser le dialecte irlandais raquo (laquo master the Irish dialectraquo) (2001) dans sa critique de la piegravece The Weir pour le Toronto Suny Kieran Grant feacutelicite les acteurs davoir laquo bien reacuteussi agrave recreacuteer des accents irlandais raquo (laquo a commendable job of recreating Irish accents raquo) (2000) 8 laquo [S]wanky accent raquo laquo And he was born in the village ofKilmeedy in County Limerick for Gods sake I never really did warm to that man raquo 9 laquo He was so excited there was no trace of the posh accent raquo 10 laquo [Interpretive community raquo 11 Noel Ignatiev trace la progression sociale des Irlandais aux Eacutetats-Unis mais une grande partie de sa theacuteorie sapplique aussi au Canada Voir aussi (Brown 1985) Terence Brown ne se penche pas explicitement sur le Canada mais son enquecircte sur les circonstances qui ont meneacute agrave leacutemigration massive des anneacutees 40 et 50 illustre les origines de la majoriteacute des emigrants irlandais 12 laquo Une Irlande eacutetonnante se raconte au Peacuteriscope une Eacuterinplus verte par la truculence de la langue que par la patine de ses dures ruelles aux faccedilades deacutelaveacutees Le Theacuteacirctre de La Manufacture reacuteussit parfaitement notre initiation agrave limaginaire provocant du jeune dramaturge Mark ORowe Les oreilles trop deacutelicates mises agrave part on voit mal qui pourrait reacutesister agrave la tension taraudante et divertissante acircHHowie le Rookie [] Dune eacutecriture urgente et haletante faite de fragments auxquels lexcitation et lart consommeacute du conteur ORowe confegraverent un sens immeacutediat Howie le Rookie est un texte urbain hurlant et cruel sur une frange pauvre en mal de tendresse et despoir Ses reacutefeacuterences agrave limagerie religieuse ne sont jamais souligneacutees en gras mais elles sont nombreuses et on peut voir en la piegravece une Passion profane Howie ne se fait-il pas le sauveur du Rookie en rachat dune faute dont on ne saurait humainement le tenir coupable [] La fable est actuelle mais on a lagrave une illustration de la grande tradition des conteurs irlandais raquo (St-Hilaire 2004 B5 Nous soulignons) 13 laquo Howie le Rookie sounds like the title of a Canadian TV show about a fictional NHL team raquo 14 Joseacutee Chaboillez laquo [CJest une langue de la rue violente directe et en mecircme temps pleine de reacutesonance pleine dimages et deacute poeacutesie et Olivier Choiniegravere a vraiment reacuteussi agrave rendre agrave traduire tous ces aspects-lagraveraquo (2002) Marie-Christine Biais laquo [U]n veacuteritable cineacutema parlant agrave deux voix adapteacute de faccedilon exceptionnelle par Olivier Choiniegravere soutenu avec une trame sonore et des eacuteclairages qui opegraverent au quart de tour Direct intense facinant rough andsoft raquo (2002 D7) Matt Radz laquo Si vous aimez le theacuteacirctre preacutesenteacute en langue eacutetrangegravere Howie the Rookie est joueacute dans

LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 117

un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

Bibliographie

AL-SOLAYLEE Kamal (2001) laquoNo Smoke Without Fireraquo Eye 11 octobre [En ligne] [httpwwweyeenteyeissueissue_10ll01artstillsonburgphp] (23 octobre 2006)

BARRAIT Amy (2002) laquo Les Fighting Irish raquo Montreal Mirror 28 mars [En ligne] I [httpwwwmontrealmirrorcomARCHIVES2002032802theatrelhtml) (23 octobre 2006)

BELL Karen (1997) laquo Not the Only Game in Town Anymore raquo Performing Arts and Entertainment in Canada vol 30 ndeg 4 (printemps) p 3-5

BENNETT Susan (1997) Theatre Audiences New York Routledge

BERTHA Csilla et Donald MORSE (1994) Worlds Visible and Invisible Essays on Irish Literature Debrecen Lajos Kossuth University

BLAIS Marie-Christine (2002) laquo Howie le Rookie dur et exceptionnel raquo La Presse 30 mars p D7

BLONDE David (2003) laquo De Gauvreau agrave Danis repegraveres pour une poeacutetique de la langue theacuteacirctrale raquo Thegravese de maicirctrise Ottawa Universiteacute dOttawa

BORELLO Christine (1994) laquoUn reacuteservoir dalteacuteriteacute le reacutepertoire allemand dans le theacuteacirctre queacutebeacutecois raquo TheacuteacirctrePublic n 117 (mai-juin) p 55-63

BRISSET Annie (1990) Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) Longueuil Eacuteditions du Preacuteambule

BROWN Terence (1985) Ireland A Social and Cultural History 1922 to the Present Londres Fontana Press

CARR Marina (1999) Portia Coughlan dans Marina Carr Plays 1 Londres Faber amp Faber

CLOUTIER Anne-Marie (2003) laquo Bain de douceur raquo La Presse 29 mars p D4 COULBURN John (2001) laquoWorking it out in Tillsonburg raquo Toronto Sun 19 octobre [En ligne]

[httpjamcanoecaTheatreReviewsTTillonburg] (23 octobre 2006)

CHABOILLEZ Joseacutee (2002) laquo Le theacuteacirctre de La Licorne preacutesente Howie le Rookie raquo Montreacuteal Express Premiegravere Chaicircne de Radio-Canada 21 mars retranscription

DOYLE Maria (2006) laquo Dead Center Tragedy and the Reanimated Body in Marina Carrs The Mai and Portia Coughlan raquo Modern Drama vol 49 ndeg 1 (printemps) p 41-59

FiSCHER-LlCHTE Erika Josephine Riley et Michael Gissenwherer (dir) (1990) The Dramatic Touch of Difference Tubingen Gunter Narr Verlag

FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Paul Lefebvre (2003) ineacutedit FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Jean-Marie Besset (1996) Paris Eacuteditions theacuteacirctrales

118 LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

FRIEL Brian (1999) Molly Sweeney dans Brian Friel Plays 2 Londres Faber amp Faber

FRIEL Brian (1999) Molly S trad Alain Delahaye Arles LemeacuteacActes Sud

GUAY Herveacute (2002) laquo Monologues de Dublin raquo Le Devoir 25 mars p B8

GUAY Herveacute (2003) laquo Forces souterraines Danser agrave Lughnasa est une chronique lente et sensible dune finesse dexeacutecution et de reacuteflexion remarquable raquo Le Devoir 31 mars p B8

GRANT Kieran (2000) laquo The Weir Serves up a Sobering Experience raquo Toronto Sun 18 novembre [En ligne] [httpxjamcanoecaTheatreReviewsWThe_Weir2000ll18742597html] (23 octobre 2006)

GRENE Nicholas (1999) The Politics of Irish Drama Cambridge Cambridge University Press HoiLE Christopher (2001) laquoIrishmen with Baggageraquo Stage Door novembre [En ligne]

[httpwwwstage-doororgreviewsmise2001ghtm] (23 octobre 2006)

HoiLE Christopher (2001) laquoA Haunting Irish Mysteryraquo Stage Door deacutecembre [En ligne] [httpwwwpostgazettecommagazine20010328portia7asp] (23 octobre 2006)

IGNATIEV Noel (1995) laquo From Protestant Ascendancy to White Republic raquo How the Irish Became White New York Routledge p 148-176

KERSHAW Roger et Jim LINGERFELT (2001) laquo Molly Sweeney raquo Stage Door feacutevrier

KNOWLES Ric (2004) Reading the Material Theatre Cambridge Cambridge University Press

LAHR John (1999) laquo The Bejaysus Factor raquo The New Yorker 12 avril

LEDUC Jean-Denis (2002) laquo Mot du directeur artistique raquo dans le Dossier de presse de Howie le Rookie

LiONNET Franccediloise (1995) Postcolonial Representations Women Literature Identity Ithaca Cornell University Press

McAuLEY Gay (2003) Space in Performance Ann Arbor University of Michigan Press

OROWE Mark (1999) Howie the Rookie Londres Nick Hern Books

OROWE Mark (1999) Howie le Rookie trad Olivier Choiniegravere (2002) ineacutedit

PAVIS Patrice (1990) Le theacuteacirctre au croisement des cultures Paris Joseacute Corti

RADZ Matt (2002) laquo Dublins Underbelly Montreacuteal-style raquo The Gazette 11 avril p D5 RAWSON Christopher (2001) laquo Stage Review Portia is Drenched in Grim Yruths raquo Post-Gazette 18

mars p 7 ST-HlLAiRE Jean (2004) laquo Howie le Rookie un enfer des plus divertissants raquo Le Soleil 15 avril

p B5 TANZER Joshua (2002) laquoToo surly with loveraquo 21 mars [En ligne]

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LE THEacuteAcircTRE IRLANDAIS Agrave TORONTO ET Agrave MONTREacuteAL DU CLICHEacute IDENTITAIRE 117

un dialecte qui nest tregraves certainement pas ameacutericain raquo (2002 D5) - laquo If you like your theatre in foreign languages Howie the Rookie is in a dialect that certainly isnt American raquo I

Bibliographie

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BARRAIT Amy (2002) laquo Les Fighting Irish raquo Montreal Mirror 28 mars [En ligne] I [httpwwwmontrealmirrorcomARCHIVES2002032802theatrelhtml) (23 octobre 2006)

BELL Karen (1997) laquo Not the Only Game in Town Anymore raquo Performing Arts and Entertainment in Canada vol 30 ndeg 4 (printemps) p 3-5

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BERTHA Csilla et Donald MORSE (1994) Worlds Visible and Invisible Essays on Irish Literature Debrecen Lajos Kossuth University

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BLONDE David (2003) laquo De Gauvreau agrave Danis repegraveres pour une poeacutetique de la langue theacuteacirctrale raquo Thegravese de maicirctrise Ottawa Universiteacute dOttawa

BORELLO Christine (1994) laquoUn reacuteservoir dalteacuteriteacute le reacutepertoire allemand dans le theacuteacirctre queacutebeacutecois raquo TheacuteacirctrePublic n 117 (mai-juin) p 55-63

BRISSET Annie (1990) Sociocritique de la traduction theacuteacirctre et alteacuteriteacute au Queacutebec (1968-1988) Longueuil Eacuteditions du Preacuteambule

BROWN Terence (1985) Ireland A Social and Cultural History 1922 to the Present Londres Fontana Press

CARR Marina (1999) Portia Coughlan dans Marina Carr Plays 1 Londres Faber amp Faber

CLOUTIER Anne-Marie (2003) laquo Bain de douceur raquo La Presse 29 mars p D4 COULBURN John (2001) laquoWorking it out in Tillsonburg raquo Toronto Sun 19 octobre [En ligne]

[httpjamcanoecaTheatreReviewsTTillonburg] (23 octobre 2006)

CHABOILLEZ Joseacutee (2002) laquo Le theacuteacirctre de La Licorne preacutesente Howie le Rookie raquo Montreacuteal Express Premiegravere Chaicircne de Radio-Canada 21 mars retranscription

DOYLE Maria (2006) laquo Dead Center Tragedy and the Reanimated Body in Marina Carrs The Mai and Portia Coughlan raquo Modern Drama vol 49 ndeg 1 (printemps) p 41-59

FiSCHER-LlCHTE Erika Josephine Riley et Michael Gissenwherer (dir) (1990) The Dramatic Touch of Difference Tubingen Gunter Narr Verlag

FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Paul Lefebvre (2003) ineacutedit FRIEL Brian (1990) Danser agrave Lughnasa trad Jean-Marie Besset (1996) Paris Eacuteditions theacuteacirctrales

118 LANNUAIRE THEacuteAcircTRAL

FRIEL Brian (1999) Molly Sweeney dans Brian Friel Plays 2 Londres Faber amp Faber

FRIEL Brian (1999) Molly S trad Alain Delahaye Arles LemeacuteacActes Sud

GUAY Herveacute (2002) laquo Monologues de Dublin raquo Le Devoir 25 mars p B8

GUAY Herveacute (2003) laquo Forces souterraines Danser agrave Lughnasa est une chronique lente et sensible dune finesse dexeacutecution et de reacuteflexion remarquable raquo Le Devoir 31 mars p B8

GRANT Kieran (2000) laquo The Weir Serves up a Sobering Experience raquo Toronto Sun 18 novembre [En ligne] [httpxjamcanoecaTheatreReviewsWThe_Weir2000ll18742597html] (23 octobre 2006)

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IGNATIEV Noel (1995) laquo From Protestant Ascendancy to White Republic raquo How the Irish Became White New York Routledge p 148-176

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wwwtnmqccafrprogrammesaison_02_03communiquelughnasahtm] (16 octobre 2006)

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Page 17: Le théâtre irlandais à Toronto et à Montréal : du cliché

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FRIEL Brian (1999) Molly Sweeney dans Brian Friel Plays 2 Londres Faber amp Faber

FRIEL Brian (1999) Molly S trad Alain Delahaye Arles LemeacuteacActes Sud

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GUAY Herveacute (2003) laquo Forces souterraines Danser agrave Lughnasa est une chronique lente et sensible dune finesse dexeacutecution et de reacuteflexion remarquable raquo Le Devoir 31 mars p B8

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McAuLEY Gay (2003) Space in Performance Ann Arbor University of Michigan Press

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OROWE Mark (1999) Howie le Rookie trad Olivier Choiniegravere (2002) ineacutedit

PAVIS Patrice (1990) Le theacuteacirctre au croisement des cultures Paris Joseacute Corti

RADZ Matt (2002) laquo Dublins Underbelly Montreacuteal-style raquo The Gazette 11 avril p D5 RAWSON Christopher (2001) laquo Stage Review Portia is Drenched in Grim Yruths raquo Post-Gazette 18

mars p 7 ST-HlLAiRE Jean (2004) laquo Howie le Rookie un enfer des plus divertissants raquo Le Soleil 15 avril

p B5 TANZER Joshua (2002) laquoToo surly with loveraquo 21 mars [En ligne]

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