61
1 LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE: L'ÉTAT DU DROIT Michel Lalande j.c.m. Formation dispensée à l'Association des procureurs de Cours municipales du Québec St-Hyacinthe 8 février 2013

LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

  • Upload
    others

  • View
    5

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

1

LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE:

L'ÉTAT DU DROIT

Michel Lalande j.c.m.

Formation dispensée à l'Association des procureurs de Cours municipales du Québec

St-Hyacinthe

8 février 2013

Page 2: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

2

INTRODUCTION

La présente formation porte sur l'état du droit concernant les infractions prévues aux articles 202.2 et 327 du Code de la sécurité routière1.

Elle tient compte de la jurisprudence, répertoriée ou dont j'ai pu autrement obtenir copie, en date du 1er janvier 2013.

Dans le cadre de sa préparation, j'ai effectué des recherches dans plusieurs banques de données afin de tenter de mettre la main sur l'ensemble des décisions rendues à l'égard de ces articles. Certaines décisions, malgré qu'elles puissent émaner de tribunaux supérieurs, ne sont pas nécessairement mentionnées, si elles n'ajoutent pas aux décisions que j'ai considérées de principe.

S'agissant de dispositions législatives qui meublent le quotidien des procureurs de Cours municipales, mon objectif n'est pas vous apprendre quelque chose de nouveau mais bien de faire la synthèse des éléments essentiels de ces infractions et de constituer un aide-mémoire que vous pourrez facilement utiliser pour vous assurer, dans la présentation de vos dossiers devant le Tribunal, d'avoir bien fait le tour de la question.

Les causes relatives à la consommation d'alcool chez les jeunes ainsi que celles de la conduite dite imprudente, sont monnaie courante et, malgré toutes les tentatives de sensibilisation publique à cet égard, elles semblent vouloir continuer d'occuper une partie importante de nos rôles d'audience.

Il faut aussi noter aussi que les peines étant ce qu'elles sont à l'égard de ces infractions, et les conséquences administratives qui en découlent étant d'une telle ampleur, qu’il ne faut pas s'étonner de constater un nombre croissant de contestations en regard de ces infractions.

Les recherches que j'ai effectuées m'ont apprises que bien souvent, en regard de l'infraction de l'article 202.2 C.s.r., les contestations résultent d'une incompréhension, de la part des officiers chargés de l'application de la loi, du fardeau de preuve exigé où d'une application en double des infractions que la consommation d'alcool lors de la conduite d'un véhicule routier peut entrainer.

En ce qui a trait à la conduite imprudente de l'article 327 C.s.r., je n'ai pas retracé de changements majeurs dans l'état du droit, mais plutôt une évolution possible dans le futur, à la lumière de certains arrêts récents de notre Cour d'appel.

1 L.R.Q. c. C-24.2

Page 3: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

3

Vous remarquerez que dans le cadre de ma présentation, j'ai plus souvent qu'autrement recours à mon expérience personnelle comme juge et j'utilise, lorsque cela est possible, des décisions que j'ai moi-même rendues, pour illustrer mon propos. On pourra peut-être me reprocher de me «citer» moi-même, mais j'estime que le vécu personnel est le plus souvent la meilleure source d'exemples.

Je n'ai pas la prétention d'être un spécialiste des articles 202.2 et 327 du C.s.r. mais mes délibérés sur ces questions m'ont amenés à faire passablement de recherches et c'est le condensé de ces recherches et des conclusions que j'en ai tirées que je désire vous présenter aujourd'hui.

En terminant, j'attire votre attention sur le fait qu'il est bien possible que des décisions importantes aient été omises, soit parce que j'estimais qu'elle ne faisaient que répéter des choses déjà dites, soit que je n'en ai tout simplement pas eu connaissance. Je ne crois cependant pas avoir omis de décisions qui auraient pour conséquence de changer complètement l'orientation décrite dans mon texte, mais cela est toujours possible. Vous m'en excuserez donc à l'avance.

Page 4: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

4

PARTIE I

L'ARTICLE 202.2 DU CODE DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE

Page 5: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

5

1.1: Le contexte législatif

Comme vous le savez, évidemment, l'article 202.2 du C.s.r. édicte l'infraction, pour certaines catégories de conducteurs, de conduire un véhicule routier avec la moindre présence d'alcool à l'intérieur de leur organisme. C'est l'infraction dite de «tolérance zéro».

L'article 202.2, dans son état actuel, est libellé comme suit:

«202.2. Il est interdit aux personnes suivantes de conduire un véhicule routier ou d'en avoir la garde ou le contrôle s'il y a quelque présence d'alcool dans leur organisme:

1° le titulaire d'un permis d'apprenti-conducteur ou d'un permis probatoire, s'il n'a jamais été titulaire d'un permis de conduire autre qu'un permis de conduire autorisant uniquement la conduite d'un cyclomoteur ou autorisant uniquement la conduite d'un tracteur de ferme;

2° la personne âgée de 22 ans ou plus qui est titulaire d'un permis de conduire autorisant uniquement la conduite d'un cyclomoteur ou d'un tracteur de ferme depuis moins de cinq ans;

3° le titulaire d'un permis restreint délivré en vertu de l'article 118 lorsque le permis a été délivré à la suite de la révocation d'un permis probatoire ainsi que le titulaire d'un permis délivré en vertu du quatrième alinéa de l'article 73 ou de l'un des articles 76.1.1, 76.1.3, 76.1.5, 76.1.6, 76.1.8, 76.1.11 ou 76.1.12;

4° la personne âgée de 21 ans ou moins qui est titulaire d'un permis de conduire.

L'interdiction prévue au premier alinéa s'applique également à une personne qui, sans jamais avoir été titulaire d'un permis de conduire autre qu'un permis de conduire autorisant uniquement la conduite d'un cyclomoteur ou autorisant uniquement la conduite d'un tracteur de ferme, conduit un véhicule routier ou en a la garde ou le contrôle.»

Cette disposition, en fait toute la section I.1, intitulée «Conduite d'un véhicule routier en présence d'alcool dans l'organisme», du Chapitre II, du Titre V du Code, y à été introduite

Page 6: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

6

par le projet de Loi numéro 12, «Loi modifiant le Code de la sécurité routière et d'autres dispositions législatives»2, sanctionnée le 23 décembre 1996.

Quant aux articles 202.2 et 202.3, soit ceux qui nous intéresse de façon plus particulière, ils sont entrés en vigueur le 30 juin 19973.

Quand on regarde l'historique législatif des dispositions du Code de la sécurité routière relatives à la conduite d'un véhicule automobile sous l'influence de l'alcool, on constate jusqu'à quel point ce phénomène est problématique dans notre société et, j'oserais même dire, jusqu'à quel point il nous faut être sévère pour obtenir le moindre résultat.

En effet, entre 1996 et 2007, le législateur est intervenu a 3 reprises pour modifier ces dispositions afin d'augmenter les conséquences de la commission de ces infractions4.

Pour le praticien, en poursuite comme en défense, bien que l'article 202.2 soit le générateur de l'infraction, c'est l'article 202.3 qui amène le plus souvent les contestations.

Cette disposition se lit comme suit:

«202.3. Un agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme d'une personne soumise à l'interdiction prévue à l'article 202.2, 202.2.1.1 ou 202.2.1.2 peut lui ordonner de lui fournir immédiatement l'échantillon d'haleine qu'il estime nécessaire pour l'analyser à l'aide d'un appareil de détection approuvé par le ministre de la Sécurité publique et conçu pour déceler la présence d'alcool dans le sang d'une personne. Cet appareil doit être entretenu et utilisé conformément aux normes prévues par règlement et par des personnes ayant reçu la formation prévue par règlement.

Aux fins de prélever les échantillons d'haleine, l'agent de la paix peut ordonner à cette personne de le suivre.»

Cette disposition encadre de façon très serrée, comme nous le verrons à l'examen de la jurisprudence, l'exercice du pouvoir policier de contrôler la présence d'alcool dans l'organisme des conducteurs de véhicules visés par l'interdiction de l'article 202.2.

2 L.Q. 1996, c. 52

3 Idem, art. 158 (1)

4 L.Q. 2001, c. 29, art.12; L.Q. 2002, c.29, art 17; L.Q. 2007 c.40, art 35

Page 7: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

7

Le cadre législatif de l'interdiction de conduite un véhicule routier avec présence d'alcool dans l'organisme, se complète par un arrêté du ministre de la Sécurité publique5 et un règlement sur les appareils de détection d'alcool6.

Ces deux textes sont d'une importance capitale pour le plaideur puisque l'on y retrouve des exigences de preuve qui ne se révèlent pas automatiquement à la lecture des dispositions du Code lui-même.

L'arrêté ministériel précise les seuls appareils de détection d'alcool approuvés en application de l'article 202.3 du Code.

Le règlement sur les appareils de détection d'alcool contient plusieurs dispositions d'importance relativement à l'utilisation et aux utilisateurs des appareils.

1.2: La règle de la «tolérance zéro»:

Probablement en raison du taux élevé d'accidents de la route, ou de contraventions aux dispositions du Code de la sécurité routière, le législateur québécois à choisi d'interdire, à certaines catégories de conducteurs de véhicules routiers, la conduite d'un tel véhicule avec la moindre présence d'alcool dans leur organisme.

1.2.1: Les personnes visées:

Il faut lire attentivement les dispositions de l'article 202.2, ainsi que les autres articles auxquels il réfère, pour réaliser toute la panoplie de conducteurs visés par l'interdiction de conduire avec la moindre présence d'alcool dans l'organisme.

Ces conducteurs sont les suivants:

• Le non détenteur d'une quelconque catégorie de permis de conduire. • Le détenteur d'un permis d'apprenti-conducteur, ou d'un permis probatoire. • Le détenteur d'un permis de conduire uniquement un cyclomoteur, ou un tracteur

de ferme, s'il est âgé de mois de 25 ans et dispose d'un permis de conduire depuis moins de 5 ans.

• Le détenteur d'un permis restreint en raison de la révocation d'un permis probatoire suite à l'accumulation du nombre maximal de points de démérite accordés.

5 Arrêté du ministre de la sécurité publique concernant l'approbation des appareils de détection d'alcool

en application de l'article 202.3 du Code de la sécurité routière, A.M. 98-03-19, 1998 G.O. 2, 1816

6 Règlement sur les appareils de détection d'alcool, D. 1495-97, G.O. 2, 7316

Page 8: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

8

• Les personnes atteintes d'alcoolisme ou de certaines dépendances ou encore celles qui détiennent un permis délivré en vertu des articles 76 et 76.1 du Code.

On constate que législateur vise plus particulièrement les jeunes conducteurs ainsi que les personnes montrant des tendances à l'alcoolisme.

1.2.2: Le champs d'application:

L'interdiction vise la «conduite» ou la «garde et le contrôle» d'un véhicule routier.

Comme le fait remarquer Me. Karl-Emmanuel Harrison7 dans son ouvrage sur les capacités affaiblies, dans le cas de l'article 202.2 du Code de la sécurité routière, l'actus reus de l'infraction sera la conduite ou la garde et le contrôle d'un véhicule avec présence d'alcool dans l'organisme alors que l'élément moral sera l'intention de conduire ou d'avoir la garde et le contrôle du véhicule après avoir volontairement consommé de l'alcool.

Nous verrons plus en détails ce que cela comporte lorsque nous analyserons les éléments constitutifs de l'infraction.

1.2.3: 202.2 C.s.r. VS 253 C.cr.:

Il arrive fréquemment que l'on demande au juge saisi d'un dossier de contravention à l'article 202.2 du Code de la sécurité routière, de suspendre l'audition jusqu'au jugement de la Cour du Québec sur une accusation en vertu des articles 253 a) et b) du Code criminel, contre le même défendeur et en raison des mêmes faits.

Par ailleurs, tout aussi fréquemment, lorsque le défendeur à été reconnu coupable, ou a plaidé coupable, dans le dossier du Code criminel, il arrive que l'on demande au juge saisi de l'infraction alléguée à l'article 202.2, la permission de retirer le constat.

Y-a-t'il véritablement lieu de retirer le constat d'infraction en vertu de l'article 202.2 du Code de la sécurité routière dans de telles circonstances ? En d'autres termes, est-ce que le fait de plaider coupable, ou d'être reconnu coupable, sous une accusation en vertu de l'article 253 du Code criminel, constitue une fin de non recevoir à l'encontre des accusations sous l'article 202.2 du Code de la sécurité routière, et vice versa ?

Cette question amène une réflexion sur les défenses d'autrefois convict, res judicata et chose jugée ainsi que sur l'application de l'article 11 h) de la Charte Canadienne des Droits et Libertés.

7 Capacités affaiblies: Principes et application, Dubois Schneider, 2 ed. CCH, p. 464

Page 9: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

9

Tous ces moyens de défense sont regroupés à l'intérieur de la règle de l'interdiction du double péril (double Jeopardy).

Comme le font remarquer les auteurs Béliveau et Vauclair8, pour que le plaidoyer d'autrefois acquit ou convict puisse trouver application, il doit y avoir identité stricte des infractions. Lorsque qu'il n'y a pas de telle identité stricte, la common law reconnait l'applicabilité soit du principe de l'interdiction des condamnations multiples (res judicata), soit la fin de non-recevoir (issue estoppel).

Le plaidoyer d'autrefois acquis ou convict ne trouve pas application dans un cas où une personne fait face à une accusation en vertu de l'article 202.2 C.s.r. alors qu'elle a plaidé coupable, ou a été trouvé coupable, à une infraction en vertu de l'article 253 C.cr. En effet, on ne saurait parlé d'une identité stricte des infractions9.

Le juge Guy Ringuet, de la Cour du Québec, dans une affaire de «M.R.C. de Bonaventure c. Sébastien Fulham»10, saisi justement de cette problématique en regard des articles 202.2 C.s.r et 253 C.cr, mentionnait à cet égard:

«[21] L'identité des accusations quant aux infractions suppose

l'identité des composantes juridiques des infractions reprochées

par les accusations.[18] En droit criminel, les articles 609 et 610

du Code criminel proposent des critères de détermination de

cette identité. Un accusé doit démontrer que le nouveau chef

d'accusation est le même qu'au procès antérieur ou y être

implicitement inclus. Une infraction est implicitement incluse

dans une autre soit en droit, soit en raison de la preuve faite au

premier procès s'il avait été légalement possible alors d'apporter

au chef original les modifications nécessaires.[19] Une

infraction incluse dans celle faisant l'objet du jugement

antérieur est une infraction identique pour les fins d'application

des défenses d'autrefois.[20]

8 Pierre Béliveau, Martin Vauclair, Traité général de preuve et de procédure pénales, 10 ed., 2003, Les

Éditions Thémis, p. 1009

9 idem, p.1010 et ss.

10 C.Q. Bonaventure, No. 105-61-009274-043, 22 octobre 2004, références omises.

Page 10: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

10

[22] Les plaidoyers d'autrefois acquit ou autrefois convict exige

l'identité stricte des infractions pour trouver application, ce qui

n'est pas le cas ici. Il n'y a pas identité juridique des deux

infractions. L'application exige l'identité des composantes

juridiques des infractions reprochées par les accusations.

L'article 253b) C.cr. est une infraction fédérale et l'article 202.2

est une infraction provinciale.[21]»

Quant à l'issue estoppel, règle de la chose jugée, elle ne trouve pas non plus application puisqu'elle nécessite que la question faisant l'objet du second débat ait été déjà tranchée en faveur de l'accusé lors du premier.

Reste donc la règle de l'interdiction des condamnations multiples.

Les auteurs Béliveau et Vauclair la circonscrive comme suit:11

«2411. ... cette défense interdit qu'un individu soit déclaré coupable de deux infractions qui, bien qu'abstraitement différentes à la lecture des textes d'incrimination, comportent des éléments déterminants qui se recoupent et visent de facto des comportements essentiellement identiques...»

Les arrêts de principe en cette matière sont ceux de la Cour suprême dans les affaires Kienapple12, Loyer13 et Prince14.

Dans l'arrêt Prince, le juge en chef Dickson rappelle, à la page 491, que l'arrêt Kienapple n'a pas pour effet d'empêcher plusieurs déclarations de culpabilité qui se rapportent à des faits différents. Il réitère qu'il faut, pour que l'on puisse invoquer le principe de l'interdiction des condamnations multiples, que les infractions tirent leur origine de la même opération.

Suivant les principes de cet arrêt, il faut être en présence de liens suffisamment étroits entre les faits reprochés et également entre les infractions elles-mêmes.

11 op. cit. note 8, p.1015 et ss.

12 R. c. Kienapple, (1975) 1 R.C.S. 729

13 R. c. Loyer et Blouin, (1978) 2 R.C.S. 631

14 R. c. Prince, (1986) 2 R.C.S. 480

Page 11: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

11

Qu'en est-il de l'application de ces principes aux infractions de l'article 202.2 C.s.r. et 253 C.cr. ?

La réponse dépendra de la nature de l’infraction criminelle à laquelle le défendeur aura plaidé ou été déclaré coupable

Il y a très peu de jurisprudence rapportée sur la question. J’ai retrouvé quatre décisions où l’on s’est penché sur la question. Celle du juge Ringuet, précitée, dans l’affaire Fulham, celle du juge Jean-Pierre Dumais, j.c.q., dans l’affaire «La Reine c. Olivier Pilote»15et deux du juge François Gravel de la Cour municipale de Gatineau, soit les affaires «Ville de Gatineau c. Éric Shipman»16 et «La Reine c. Bruno Laroche Grenier»17.

Il se dégage de ces décisions, les principes suivants :

1. Le défendeur qui a plaidé coupable à une accusation de conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite permise de l’article 253 b) du C.cr et à qui on reproche également une infraction à l’article 202.2 C.s.r., pourra invoquer la règle de l’interdiction des condamnations multiples à l’encontre de cette dernière accusation car les deux infractions, bien que distinctes, sanctionnent le même comportement, soit la conduite d’un véhicule routier après avoir consommé une quantité excessive d’alcool et du fait de l’existence d’un lien juridique suffisant entre les deux infractions, l’élément essentiel de chacune d’elles étant le taux d’alcoolémie.

2. Le défendeur qui a plaidé coupable à une accusation de conduite avec les facultés affaiblies par l’alcool de l’article 253 a) du C.cr et a qui on reproche également une infraction à l’article 202.2 du C.s.r ne pourra pas invoquer la règle de l’interdiction des condamnations multiples à l’encontre de cette seconde accusation en raison de l’absence de liens factuels et juridiques suffisants. En effet, l’article 202.2 du C.s.r. sanctionne une inconduite précise, la présence d’alcool dans l’organisme alors que l’article 253 a) C.cr. sanctionne le fait d’avoir les capacités affaiblies par l’alcool.

3. Le défendeur qui a payé l’amende pour une infraction reprochée à l’article 202.2 C.s.r., ne peut invoquer l’interdiction des condamnations multiples à l’encontre d’accusations portées subséquemment en vertu des articles 253 a) ou b) du C.cr puisque la règle de l’interdiction des condamnations multiples ne permet pas d’être libéré d’accusations plus graves portées en vertu du Code criminel en

15 C.Q. Québec, no. 200-01-066866-017, 9 mai 2003

16 C.M. Gatineau, no. 2001-000721, 18 juin 2001

17 C.M. Gatineau, no. 06-80823-3, 7 août 2007

Page 12: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

12

enregistrant avant procès un plaidoyer de culpabilité à une infraction de moindre gravité, même si les deux accusations ont pour fondement le même évènement. Ceci découle des principes énoncés par la Cour suprême dans l’arrêt Loyer précité où le juge en chef Laskin mentionne, à la page 635, que lorsqu’il y a deux chefs d’accusations d’infractions de gravité différente et que le même délit sert de fondement aux deux, le juge doit, s’il trouve l’accusé coupable de l’infraction la plus grave, acquitter l’accusé de la moins grave ou, s’il l’acquitte de la plus grave, se prononcer sur la culpabilité à l’égard de la moins grave.

Il y a un passage de la décision du juge Dumais dans l’affaire précitée d’Olivier Pilote, repris indirectement par le juge Gravel dans l’affaire Bruno Laroche Grenier, qui m’interpelle tout particulièrement.

Le juge Dumais situe le contexte juridique de la question qui lui est soumise sous l’article 11 h) de la Charte Canadienne des Droits et Libertés qui prévoit le droit de tout inculpé de «ne pas être puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable ou puni».

Jusque là tout va bien puisqu’il semble être question d’une certaine identité des infractions, composante de la règle de l’interdiction des condamnations multiples.

Toutefois, le juge Dumais pousse plus loin en se posant la question de savoir si l’article 11 h) s’appliquait, les infractions en causes n’étant pas de même nature, l’infraction de l’article 202.2 du C.s.r. étant de nature règlementaire alors que celle de l’article 253 C.cr est de nature criminelle.

En effet, la juge McLaughlin, maintenant juge en chef, dans l’arrêt «R. c. Shubley»18, reprenant les principes de l’arrêt «R. c. Wigglesworth»19mentionnait que l’article 11 h) de la Charte ne protégeait que contre la répétition des procédures de nature criminelle, rien n’empêchant que deux sortes de procédures, les unes criminelles et les autres non-criminelles, découlent du même acte.

En effet, suivant les principes découlant des arrêts Shubley et Wigglesworth l’article 11 h) de l Charte ne s’appliquerait pas à la situation qui nous intéresse du fait de la nature non-criminelle de l’infraction de l’article 202.2 C.s.r..

C’est ainsi que l’un des considérants de la décision du juge Dumais, le paragraphe 34, est à l’effet que l’article 11 h) de la Charte, «lequel interdit les condamnations multiples» ne

18 (1990) 1 R.C.S. 3

19 (1987) 2 R.C.S. 554

Page 13: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

13

peut s’appliquer. Pourtant, il se prononcera tout de même sur l'application possible de la règle de l'interdiction des condamnations multiples en mentionnant que, subsidiairement, bien qu’il existe un lien factuel suffisant entre les deux infractions, il n’existe pas de lien juridique suffisant, l’article 253 comportant des éléments distinctifs sur le plan matériel. Or. Ces deux «liens» sont justement les composantes essentielles de la règle de l’interdiction des condamnations multiples.

La confusion provient du fait que le juge n'explique pas pourquoi, même s'il considère que l'article 11 h) de la Charte ne peut trouver application, il en applique tout de même le principe.

Or, c'est par le biais de l’article 60 du Code de procédure pénale qui introduit en droit pénal québécois les moyens de défense de la common law, dont le «double jeopardy» fait partie, que l'on en arrive tout de même à la conclusion que la règle de l’interdiction des condamnations multiples doit s'appliquer.

Les principes découlant de ces décisions peuvent soulever quelques problèmes d'application dans un contexte où les accusations criminelles se déroulent parfois devant une instance différente de celles en vertu du Code de la sécurité routière.

Dans l’arrêt Loyer, la Cour suprême a indiqué la procédure à suivre lorsque, à la suite d’un même évènement, des accusations étaient portées tant en vertu du Code de la sécurité routière que du Code criminel :

1. Si l’accusé est trouvé coupable, ou plaide coupable, à l’accusation la plus grave, il doit être acquitté de la moins grave.

2. S’il plaide coupable sous l’inculpation la moins la grave, il faut remettre la décision sur le plaidoyer en attendant le procès sous l’infraction la plus grave. Si l’accusé est déclaré coupable sous l’accusation la plus grave, le plaidoyer sous l’inculpation la moins grave doit être radié et un acquittement ordonné.

3. S’il a été condamné, sur plaidoyer de culpabilité, de l’infraction la moins grave, puis trouvé coupable de l’infraction la plus grave, la condamnation sur l’inculpation a moins grave doit être annulée.

En pratique, lorsque les accusations sont portées devant des juridictions différentes, le juge saisi du dossier en vertu du Code de la sécurité routière, en suspendra l’audition jusqu’à jugement final sur les accusations criminelles.

Si l’accusé est déclaré coupable, ou plaide coupable, à l’infraction de l’article 253 b) C.cr, le juge saisi du dossier en vertu du Code de la sécurité routière, ordonnera l’arrêt des procédures.

Si l’accusé est plutôt reconnu coupable, ou plaide coupable, à l’infraction de l’article 253 a) C.cr, les procédures en vertu du Code de la sécurité routière doivent reprendre et suivre leur cours.

Page 14: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

14

Dans la perspective où le défendeur, en payant l’amende réclamée en vertu du constat d’infraction émis sous l’article 202.2 C.s.r., est réputé avoir été déclaré coupable, il ne pourra invoquer à l’encontre des procédures criminelles la règle de l’interdiction des condamnations multiples, puisque sa condamnation préalable concernait l’infraction la moins grave.

Ainsi, à mon avis, la troisième possibilité envisagée par la Cour suprême dans l’arrêt Loyer ne peut survenir que dans le cadre d’un appel.

L'information relative à l'existence d'accusations criminelle n'est pas toujours disponible et, dans biens des cas, le tribunal saisi de l'infraction règlementaire n'en est pas informé

1.3 : Les éléments constitutifs de l’infraction :

J'estime qu'il faut distinguer les éléments constitutifs de l'infraction du fardeau de preuve qui repose sur repose sur les épaules de la poursuivante et, l'infraction de l'article 202.2 C.s.r. en constitue, à mon humble avis, un bel exemple.

C'est à la lecture de la disposition qui crée l'infraction que l'on retrouve les éléments qui la constitue et dont, évidemment, la poursuivante assumera le fardeau d'établissement hors de tout doute raisonnable.

Les éléments constitutifs de l'infraction de l'article 202.2 C.s.r. sont donc les suivants:

• Un certaine catégorie de conducteurs. • Un véhicule routier ou un véhicule hors route. • Un chemin public ou autre lieu de circulation publique. • La présence d'alcool dans l'organisme du conducteur. • La conduite ou la garde et le contrôle du véhicule routier.

La poursuivante devra donc faire la preuve que le défendeur est, à la date de l'infraction alléguée, détenteur d'un permis de conduire de l'une ou l'autre des catégories visées par les paragraphes 1 à 3 de l'article 202.2 C.s.r. ou qu'il ne détenait aucun permis de conduire, qu'il a conduit, ou eu la garde et le contrôle, sur un chemin public, ou autre lieu de circulation publique au sens de l'article 202.1.1 C.s.r., un véhicule routier ou véhicule hors route, alors qu'il y avait présence d'alcool dans son organisme.

Attardons-nous sur quelques uns de ces éléments.

1.3.1: Une certaine catégorie de conducteurs

Cette preuve se fait généralement par le dépôt d'une attestation en provenance de la Société de l'assurance automobile du Québec et ne soulève pas vraiment de difficultés particulières.

Page 15: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

15

1.3.2: Un véhicule routier ou un véhicule hors route

L'article 202.2 C.s.r ne traite directement que de la conduite d'un véhicule routier.

En règle générale, le véhicule hors route n'est pas visé par la plupart des dispositions du Code de la sécurité routière, comme le stipule expressément l'article 1 de ce Code.

Toutefois, l'article 202.1.1 (2) stipule expressément que la section I.1, «Conduite d'un véhicule routier en présence d'alcool dans l'organisme» s'applique «au conducteur d'un véhicule hors route et à la personne qui en a la garde et le contrôle».

Mais attention, ce n'est pas dans tous les cas que le conducteur d'un véhicule hors route pourra être visé par l'interdiction de l'article 202.2 mais plutôt uniquement lorsqu'il circulera sur une catégorie de chemins visée par la disposition.

1.3.3: Un chemin public ou autre lieu de circulation publique

L'interdiction de conduire avec présence d'alcool dans l'organisme pour certains conducteurs ne s'applique que sur les chemins publics, les chemins soumis à l'administration ou entretenus par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune, les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains des centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler. (art. 202.1.1 (1) C.s.r.)

Rappelons tout d'abord que le «chemin public» est celui dont l'entretient est à la charge d'une autorité publique et où sont aménagées une ou plusieurs chaussées ouvertes à la circulation publique des véhicules routiers, la «chaussée» étant, quant à elle, la partie du chemin utilisée pour la circulation des véhicules routiers ( art. 4 C.s.r.)

Je fais ce rappel dans le but d'attirer encore une fois l'attention sur la situation particulière des véhicules hors route.

Le conducteur d'un véhicule hors route, titulaire de l'une des catégories de permis conduire mentionnée à l'article 202.2 C.s.r., ne sera assujetti à l'interdiction de conduire avec présence d'alcool dans son organisme que lorsqu'il se trouvera sur un chemin public, un chemin entretenu ou administré par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune, un chemin privé où la circulation des véhicules routiers est permise, les terrains des centres commerciaux et ceux où le public est autorisé à circuler.

Ainsi, le conducteur d'un véhicule hors route se trouvant sur un chemin privé où la circulation des véhicules routiers n'est pas permise ou sur un quelconque autre terrain où le public n'est pas autorisé à circuler, ne sera pas visé par l'interdiction.

Page 16: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

16

Dans cette perspective, qu'en est-il du cas du conducteur d'un véhicule hors route qui circule sur un sentier aménagé sur les terres du domaine privé par un club d'utilisateur conformément aux dispositions de l'article 10 de la loi sur les véhicules hors route20?

Pour répondre à cette question, il faut se demander si un tel sentier constitue un terrain sur lequel le public est autoriser à circuler, puisque de toute évidence il ne s'agit pas d'un chemin privé où la circulation des véhicules routiers est permise.

Je crois qu'il faut répondre par la négative à la question posée: Bien qu'un sentier soit généralement sur un terrain, le public n'est pas autorisé à circuler sur les sentiers des clubs d'utilisateurs de véhicules hors route.

Pour pouvoir y circuler, il faut nécessairement être à bord d'un véhicule hors route et rencontrer certaines conditions, comme payer un droit d'accès.

Par ailleurs, il est intéressant de noter que la loi sur les véhicules hors route ne comporte aucune interdiction de conduire sous l'influence de l'alcool. La seule disposition qui concerne l'alcool est celle de l'article 24 qui interdit la consommation de boissons alcooliques à bord d'un véhicule hors route ou d'un traineau ou remorque tiré par un tel véhicule. Seules les dispositions du Code criminel trouveront donc application.

La situation de la motoneige est un peu différente: L'article 70 du Règlement sur la motoneige21stipule que «nul ne peut conduire ou avoir la garde d'une motoneige alors qu'il est sous l'influence de l'alcool ou d'une drogue».

Comme la motoneige est un véhicule hors route, lorsqu'elle circule sur un des chemins visés à l'article 202.1.1.(1) C.s.r. et que son conducteur, titulaire de l'une des catégories de permis de conduire énumérés à l'article 202.2 est sous l'influence de l'alcool, une accusation pourra être portée soit en vertu de l'article 202.2 C.s.r ou de l'article 70 du règlement sur la motoneige.

Dans l'éventualité d'une culpabilité en vertu du règlement sur la motoneige, il n'y aura pas de sanction administrative par la Société de l'assurance automobile ni révocation automatique du permis de conduire. En effet, l'obligation de l'agent de la paix de suspendre sur-le-champ le permis de conduire vise une contravention à l'article 202.2 du C.s.r. et non au Règlement sur la motoneige. Par ailleurs, la révocation du permis probatoire est la résultante de l'accumulation de 4 points d'inaptitudes22 en raison d'une

20 L.R.Q. c. V-1.2

21 Loi sur les véhicules hors route, L.R.Q. C. V-1.2, r.1

22 Règlement sur les points d'inaptitude, L.R.Q. chapitre C-24.2, r. 37

Page 17: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

17

déclaration de culpabilité sous l'article 202.2. C.s.r. et non la conséquence directe de cette déclaration de culpabilité. Par conséquent, une déclaration de culpabilité à une infraction à l'article 70 du Règlement sur la motoneige n'entrainera pas la perte de points d'inaptitude.

Par ailleurs, en ce qui concerne le fardeau de preuve, que faut-il entendre des mots «sous l'influence de l'alcool» du règlement sur la motoneige ? S'agit-il d'avoir les facultés affaiblies par l'alcool ou plutôt de la moindre présence d'alcool dans l'organisme ? quelle est la portée du qualificatif «influence» ? Je vous rappelle que le mot «influence», suivant le dictionnaire Petit Larousse, signifie «l'action qu'une chose exerce sur une personne ou sur une autre chose».

1.3.4.: La présence d'alcool dans l'organisme du conducteur

Le législateur ne s’est pas prononcé spécifiquement sur la façon d’établir la présence d’alcool dans l’organisme d’un conducteur visé par l’interdiction de l’article 202.2 C.s.r. .Dans cette perspective, il y a deux façons d’établir cette présence : Le recours aux pouvoirs conférés aux agents de la paix par l’article 202.3, ou autrement.

Le «autrement» signifie que le recours à l’appareil de détection approuvé, mentionné à l’article 202.3 C.s.r. n’est pas obligatoire, la poursuivante pouvant faire la preuve de la présence d’alcool dans l’organisme par tout moyen.23

Il arrive que des constats d’infractions pour contravention aux dispositions de l’article 202.2 C.s.r. soient délivrés sur simple constatation d’une odeur d’alcool par l’agent de la paix lors du premier contact avec le conducteur impliqué.

Est-ce que cette simple constatation est suffisante pour établir la présence d’alcool dans l’organisme du conducteur ?

Dans les affaires précitées de Thibault et Guérard, la réponse à cette question a été négative, en présence d’explications données par le conducteur.

Dans Guérard, la preuve révélait que le conducteur avait consommé deux bières durant la soirée et que, lors de son interception, le policier avait senti qu’il dégageait une odeur d’alcool.

23 Procureur général du Québec c. Guérard, 2006 QCCQ 2951 (JPM), 21 février 2006; Laval c. Thibault,

C.M. Laval, no. 0110012423, 23 mars 2007

Page 18: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

18

Le juge de paix magistrat Gaétan Ratté, s’exprime comme suit à l’égard de cette preuve :

« 30. La présence d’alcool dans l’organisme peut s’établir par tout moyen. Il n’est pas obligatoire que ce soit au moyen d’un alcootest même si cela peut s’avérer dans la majorité des cas, la meilleure preuve.

31. Dans le présent cas, la preuve de la poursuite ne repose sur aucune donnée scientifique ou test physique autre que l’odeur pour prétendre qu’il y avait présence d’alcool dans le sang du défendeur. Et encore-là, la preuve est plutôt floue à ce sujet puisqu’on ignore si le défendeur était seul dans le véhicule du policier au moment où il a constaté cette odeur d’alcool.

32. Quant aux déclarations du défendeur et de son ami, tout au plus, elles peuvent indiquer qu’il y avait eu consommation antérieure d’alcool. Elles ne peuvent prouver hors de tout doute raisonnable qu’il y avait encore une présence d’alcool dans le sang du défendeur au moment de l’arrestation.»

(Mes soulignés)

Dans Thibault, le défendeur avait déclaré spontanément au policier, lors de son interception, qu’il revenait d’un «party» et le policier avait déclaré qu’au moment de cette conversation, il avait senti une odeur d’alcool se dégageant de la bouche du défendeur.

Il faut noter que dans cette affaire, assez curieusement, et malgré son affirmation qu’une odeur d’alcool se dégageait de la bouche du défendeur, le policier, lors de son témoignage, mentionne au Tribunal qu’il n’a pas requis le défendeur de se soumettre à un test de dépistage d’alcool, car il n’avait pas de soupçons suffisants, le parler, la démarche et le comportement du défendeur semblant tout à fait normaux.

Le défendeur a été acquitté en ces termes :

«21. Est-ce que la seule odeur d’alcool se dégageant de la bouche d’une personne est suffisante à démontrer, hors de tout doute raisonnable, la présence d’alcool dans l’organisme de cette dernière lorsqu’il est mis en preuve une déclaration libre et volontaire du défendeur qu’il avait été dans un party ?

22. Je ne crois pas qu’une telle preuve soit suffisante.

Page 19: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

19

23. L’odeur et la déclaration peuvent sans aucun doute laisser croire que le défendeur a, à un moment où un autre, consommé de l’alcool, mais en avait-il dans son organisme au moment où il conduit son véhicule ? Là est la question.

24. Il n’est pas interdit au détenteur d’un permis probatoire de consommer de l’alcool, mais uniquement de conduire avec de l’alcool dans son organisme.

25. La simple odeur d’alcool ne m’apparait pas suffisante à établir sa présence dans l’organisme du défendeur surtout lorsque le policier déclare lui-même que cette odeur n’a pas engendrée chez-lui un soupçon de présence d’alcool dans l’organisme qui lui aurait permis d’exiger que le défendeur se soumette à un test au moyen d’un appareil de détection approuvé.»

On remarque que dans ces deux affaires il y avait tout de même un élément particulier qui, à lui seul, pouvait expliquer un acquittement : Dans Guérard, le juge de paix magistrat Ratté, note que la preuve n’est pas claire que l’odeur d’alcool provenait de la bouche du conducteur, puisqu’il n’avait pas été établi qu’il était seul dans le véhicule de police au moment de sa constatation. Dans Thibault il y avait cette déclaration un peu surprenante du policier que l’odeur d’alcool n’avait pas suscité chez lui des soupçons suffisants de présence d’alcool dans l’organisme pour justifier un ordre de se soumettre à un test de dépistage.

Ces deux décisions soulèvent tout de même d’intéressantes questions. En laissant de côté les éléments particuliers mentionnés ci-dessus, est-ce que l’on aurait pas pu considérer que la preuve faite répondait aux critères jurisprudentiels de la preuve circonstancielle ? Ou encore, le Tribunal a-t-il une connaissance judiciaire que l’odeur d’alcool émanant de la bouche d’une personne signifie la présence d’alcool dans son organisme ?

1.3.5 : La conduite ou la garde et le contrôle :

La question de la conduite ne pose pas réellement de problème : La poursuivante doit établir que le défendeur conduisait, c’est-à-dire qu’il avait la maîtrise d’un véhicule en mouvement.

En ce qui a trait à la garde et contrôle, la jurisprudence semblait être constante jusqu’à tout récemment. Avant l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire «R. Boudreault»24on pouvait raisonnablement résumer l’état du droit en matière de garde et contrôle d’un

24 2012 C.S.C. 56

Page 20: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

20

véhicule à moteur à la lumière des principes énoncés dans les arrêts Ford25, Toews26et Penno27 : Il n’est pas nécessaire que le défendeur ait eu l’intention de mettre le véhicule en mouvement et l’absence d’une telle intention n’entraîne pas nécessairement un acquittement.

Dans l’arrêt Ford, la Cour suprême mentionne qu’il peut y avoir garde et contrôle même en l’absence d’intention de mettre le véhicule en mouvement lorsque la personne accomplit des actes relatifs à l’utilisation du véhicule ou de ses accessoires qui font en sorte que le véhicule pourrait être mis en mouvement, même involontairement.

Dans Toews, la Cour suprême mentionne que la garde et contrôle consiste en des actes qui comportent une certaine forme d’utilisation du véhicule, ou de ses accessoires, ou un comportement à l’égard du véhicule où l’on risque de le mettre en mouvement.

Dans Penno, la Cour ajoute que la preuve que l’utilisation du véhicule ne comporte pas de risque de le mettre en mouvement peut entrainer un acquittement.

De façon pratique, à la lumière de ces arrêts, on considérait généralement que l’absence d’intention de mettre le véhicule en mouvement ne pouvait constituer un moyen de défense.

Un bel exemple à cet égard se trouve dans une récente décision de la juge Sophie Bourque de la Cour supérieure dans l’affaire «Town of Montreal c. O’Neil»28. Dans cette affaire, O’Neil, les facultés affaiblies par l’alcool, se trouvait dans son véhicule automobile pour se réchauffer, en attendant un ami qui devait venir le chercher pour le reconduire chez-lui.

La Juge Bourque considère que le fait que le défendeur se soit trouvé dans le véhicule en attendant quelqu’un et qu’il n’ait aucune intention de le mettre en mouvement, ne constitue pas un élément de défense :

«20. If the only thing preventing the vehicle to be put into motion is the lack of intention of the person occupying the driver seat, then there is no defence under the HSC. When there is a possibility to put the vehicle in motion, there is a risk, and

25 (1982) 1. R.C.S. 231

26 (1985) 2 R.C.S. 119

27 (1990) 2 R.C.S. 865

28 C.S. Mtl. No. 500-36-006112-125, 24 septembre 2012, 2012 QCCS 4630

Page 21: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

21

because the engine is running, than something can happen and this is enough to conform to the definition of risk under that section of the HSC. »

Les faits de cette affaire ressemblent passablement à ceux de l’arrêt Boudreault où la Cour suprême semble en être arrivée à une conclusion différente.

Rappelons que dans Boudreault, ce dernier décide, en raison des conditions climatiques, d’attendre un taxi dans son véhicule, moteur et chaufferette en marche, alors qu’il est en état d’ébriété. Au moment de l’intervention des policiers, il dort dans son véhicule.

La Cour suprême, sous la plume du juge Fish, répond à la question de savoir si le risque de danger constitue un élément essentiel de l’infraction de garde et contrôle décrite à l’article 253 (1) C. cr.29.

Le juge Fish y répond comme suit :

«9. Pour les motifs qui suivent, j’estime que, pour avoir « la garde ou le contrôle » au sens où il faut l’entendre pour l’application du par. 253(1) du C. cr., il faut (1) une conduite intentionnelle à l’égard du véhicule; (2) par une personne dont la capacité de conduire est affaiblie ou dont l’alcoolémie dépasse la limite légale; (3) dans des circonstances entrainant un risque réaliste, et non une infime possibilité de danger pour autrui ou pour un bien.»

(Mes soulignés)

La Cour confirme que le risque de danger constitue bel et bien un élément essentiel de l’infraction mais uniquement dans la mesure où il est réaliste, non pas seulement possible en théorie, même s’il n’a pas à être probable, ni même sérieux ou considérable (par.34)

Ainsi, pour la Cour, lorsqu’un accusé présente des éléments de preuve crédibles et fiables qu’il n’y avait pas de risques réels de mise en mouvement du véhicule puisqu’il ne l’utilisait que pour une «fin innocente», il ne saurait y avoir de garde et contrôle au sens de l’article 253 (1) du C. cr. .

Évidemment, le même raisonnement doit s’appliquer à l’infraction de l’article 202.2 du C. sr.

29 Op. cit. note 23, par.8

Page 22: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

22

Je ne crois pas que l’arrêt Boudreault vienne apporter des changements majeurs à l’état du droit sur la question. Au contraire, on y réaffirme les principes développés antérieurement dans les arrêts de la Cour suprême.

Par contre, il est intéressant de constater que suivant cet arrêt, il n’est pas dit que toute personne qui utilisera son véhicule dans les mêmes circonstances bénéficiera d’un acquittement. En effet, la Cour prend la peine de préciser, au par. 56, que la question de savoir s’il y a un risque réaliste de danger est une question de faits qui relève de l’appréciation du juge d’instance.

«56. Enfin, après avoir appliqué le bon critère juridique de la preuve admise, le juge du procès a conclu à l’absence, à quelque moment que ce soit, de tout risque que monsieur Boudreault mette intentionnellement son véhicule en mouvement. Je le répète, même si elle peut sembler discutable, voire déraisonnable, pour certains, cette conclusion de faits n’est pas sujette à révision en appel. »

On peut penser, à la lecture de ce passage, que si la Cour avait pu remettre les faits en question, la situation de monsieur Boudreault n’aurait peut-être pas emporté un acquittement.

À suivre…

1.4 : Le fardeau de preuve de la poursuivante :

Le fardeau de preuve de la poursuivante sous l’article 202.2 du C.s.r. variera suivant qu’on aura eu recours, ou non, à un appareil de détection approuvé.

Comme mentionné précédemment, la preuve de la présence d’alcool dans l’organisme de la personne peut se faire de toute manière, sans qu’il soit obligatoire de recourir à un test de dépistage.

Par contre, lorsqu’effectivement les policiers ont eu recours au test de dépistage, en vertu des dispositions de l’article 202.3 du C. s.r., en plus de la preuve des éléments mentionnés précédemment, et découlant du texte de l’article 202.2, un certain nombre d’autres éléments devront être mis en preuve.

Dans un tel cas, il y aura donc six autres éléments essentiels à mettre en preuve : 1) les raisons de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme du conducteur; 2) l’immédiateté de l’ordre de se soumettre à un test de dépistage; 3) la description de l’appareil de détection utilisé; 4) l’étalonnage de l’appareil dans le délai prévu au Règlement sur les appareils de détection d’alcool; 5) la formation appropriée de l’agent de la paix qui a procédé à l’étalonnage et 6) les qualifications de l’agent de la paix qui a manipulé l’appareil de détection.

Page 23: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

23

1.4.1 : Les soupçons :

À la lumière de la jurisprudence30, nous savons que les «soupçons raisonnables» consistent en une «constellation de faits», objectivement percevables, qui permettent de douter de la présence d’alcool dans l’organisme d’une personne.

Il peut s’agir de la perception d’une faible haleinée d’alcool chez le conducteur31, d’une déclaration spontanée de consommation, ou encore de la perception des symptômes propres à la conduite avec les facultés affaiblies.

1.4.2 : L’ordre de se soumettre à un test de dépistage :

Dès lors que les soupçons raisonnables sont présents, l’agent de la paix doit immédiatement sommer le conducteur, ou la personne qui à la garde et le contrôle du véhicule, de se soumettre au test de dépistage au moyen d’un appareil approuvé.

Dans son ouvrage précité sur les facultés affaiblies, l’auteur Karl-Emmanuel Harrisson fait remarquer32 que l’action policière se situe dans un cadre très rigide et que si les conditions des articles 202.2 et 202.3 ne sont pas respectées, la restriction au droit à l’avocat n’est pas applicable.

En effet, si l’action policière se situe à l’intérieur du cadre de ces dispositions, le droit constitutionnel de consulter un avocat est limité par le terme «immédiatement» de l’article 202.3. Ainsi, lorsque le caractère d’immédiateté de l’ordre n’est pas respecté, des dispositions pour le respect des droits constitutionnels doivent être prises.

Il faut noter toutefois que le terme «immédiatement» doit être interprété de façon large, d’autant plus que le second alinéa de l’article 202.3 permet au policier d’exiger que la personne le suive pour qu’il soit procédé à la prise des échantillons d’haleine.

À cet égard, voici ce que mentionne Me. Harrisson33 :

«… Dans la mesure où il s’écoulera un délai entre l’ordre et la prise d’un échantillon d’haleine, notamment lorsque les agents de la paix n’auront pas en leur possession un appareil de

30 Karl-Emmanuel Harrisson, Capacités affaiblies: Principes et application, Dubois Schneider, 2 ed. CCH,

op.cit note 7, page 53

31 R. c. Lindsay (1999) 134 C.C.C. (3d) 159 (C.A. Ont.)

32 Op. cit. note 7, page467 et ss

33 Op. cit, note 7 page 472

Page 24: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

24

détection d’alcool approuvé, des mesures raisonnables devront être prises pour faciliter le droit à l’avocat de la personne détenue. D’une part, ils devront aviser la personne détenue de son droit à l’avocat. D’autre part, ils devront alors vérifier s’il existe une possibilité réelle d’exercice du droit à l’avocat. Pour ce faire, ils pourront vérifier la possession par la personne détenue d’un cellulaire, la présence d’un téléphone public environnant ou se rendre à un poste de police situé à proximité. À moins que le prélèvement ne soit effectué immédiatement, la disponibilité d’un téléphone imposera l’obligation d’informer le détenu de son droit à l’avocat. S’il existait une possibilité réelle d’exercice du droit à l’avocat entre le moment où l’ordre de se soumettre à un test de dépistage est donné et la prise de l’échantillon d’haleine, l’ordre sera invalide et la violation du droit constitutionnel à l’avocat ne constituera plus une limite raisonnable.»

Le mot «immédiatement» a effectivement été interprété comme signifiant «tout de suite», «sur-le-champ», dans un bref délai après l’interception34, tout en tenant compte d’une interprétation souple et large, sans rigidité excessive et adaptée aux circonstances particulières de chaque cas.35

La Cour d'appel de l'Ontario s'est récemment prononcée sur la question dans l'arrêt «R. c. Quansah»36. Dans cette affaire, Quansah prétendait que le mot «immédiatement» de l'article 254(2) du C. cr. ne signifiait pas «dans un délai raisonnable» mais plutôt «sans délai».

Pour situer la décision dans son contexte, il convient d'en rappeler sommairement les faits: Lors d'une patrouille, un policier remarque un véhicule immobilisé à un feu de circulation, en pleine nuit, alors que ce dernier est au vert. Il sort de son véhicule et va à la rencontre du conducteur qu'il remarque assis derrière le volant, les yeux fermés. Il le réveille et constate qu'il a les yeux rouges. Le conducteur quitte puis s'immobilise un peu plus loin.

Le policier le rejoint, lui demande de sortir de son véhicule, remarque qu'il chancelle, le menotte, procède à une fouille sommaire du véhicule pour s'assurer qu'il n'y a pas d'armes puis questionne le conducteur sur sa consommation d'alcool. Il lui ordonne de se

34 R. c. Grant, (1991) 3 R.C.S. 139; R. c. Bernshaw, (1995) 1 R.C.S. 254; Dewalt c. La Reine, (1996) 1 R.C.S.

68; R. c. Woods, (2005) 2 R.C.S. 205;

35 Petit c. La Reine, C.A. no. 500-10-002619-037, 22 juillet 2005, juge Dalphond;

36 2012 ONCA 123

Page 25: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

25

soumettre à un test de dépistage de l'alcool, ce que le conducteur accepte de faire. le résultat est «Fail».

Il se sera écoulé 17 minutes entre la première intervention et l'exécution du test de dépistage.

Le conducteur est alors placé en état d'arrestation en vertu de l'article 253 du C. cr. et il lui est ordonné de se soumettre à un alcootest.

Le juge de première instance a considéré que le mot «immédiatement» de l'article 254(2) C. cr. signifiait «un délai raisonnable» et a déclaré le conducteur coupable de l'infraction reprochée.

La Cour rappelle en premier lieu le lien entre l'obligation d'immédiateté et les droits constitutionnels de la personne:

«[21] The “forthwith” requirement of s. 254(2) is inextricably linked to its constitutional integrity: see Woods, at para. 29. This justifies what would otherwise be sustained as violations of ss. 8, 9 and 10(b) of the Charter. Thus, in interpreting “forthwith”, this court must bear in mind Parliament's choice of language and Parliament's intention, which is to strike a balance between the public interest in eradicating driver impairment and the need to safeguard individual Charter rights: see Woods, at para. 29. [22] So long as the demand is validly made pursuant to s. 254(2) – that is, so long as it is made “forthwith” – for Charter purposes there is no unjustified seizure or arbitrary detention or breach of the requirement to advise the detainee of his or her right to counsel. This is because this statutory detection and enforcement procedure constitutes a reasonable limit on Charter rights, given the extreme danger represented by unlicensed or impaired drivers on the roads: see Degiorgio, at para. 37. [23] As this court noted in Degiorgio, at para. 46, the “forthwith” period is the time in which Charter rights are justifiably infringed. That is to say, within this time a detained person can be required to comply with an ASD demand and respond to that demand – be it blowing and registering a “fail” or be it refusing or failing to blow – and incur criminal liability that is justified despite ss. 8, 9 and 10(b) of the Charter.» (Mes soulignés)

Page 26: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

26

Reprenant ensuite les directives de la Cour suprême dans l'arrêt précité de Woods, la Cour d'appel ajoute:

«[26] Woods confirms this and reasserts that the constitutional validity of s. 254(2) depends on its implicit and explicit requirements of immediacy. This immediacy requirement is implicit for the police demand for a breath sample and explicit for the mandatory response: the driver must provide a breath sample “forthwith”. The term “forthwith” in s. 254(2), therefore, means “immediately” or “without delay” and indicates a prompt demand by the peace officer and an immediate response by the person to whom that demand is addressed: see Woods, at paras. 13-14 and 44. However, in unusual circumstances “forthwith” may be given a more flexible interpretation than its ordinary meaning strictly suggests: see Woods, at para. 43. [27] Woods sets out the correct approach to assessing the implicit and explicit immediacy requirements and whether they are met in any particular case. The approach begins with underlining the constitutional integrity of s. 254(2). That integrity depends on interfering with Charter rights, but only in a manner that is “reasonably necessary” to keep impaired drivers off the road: see Woods, at para. 30. The two critical Charter rights are s. 10(b) rights and s. 9 rights, although s. 8 rights are at stake as well.»

Puis, elle explique la nécessité d'une certaine souplesse dans l'interprétation du mot «immédiatement»:

«[28] For years this court has recognized that “forthwith”, or the immediacy requirement, called for some flexibility in its interpretation. For example, s. 254(2)(b) mandates that “a proper analysis” be made and thereby “incorporates an element of accuracy”: see Pierman, at para. 21. Consequently, if the circumstances dictate that a Page: 10 “short delay” is necessary for the officer to obtain an accurate result, the officer is justified in delaying either the making of the demand or the administration of the test after the demand: see Pierman, at para. 21. [29] This “flexibility” was adopted by the Supreme Court of Canada in R. v. Bernshaw, [1995] 1 S.C.R. 254. Sopinka J., at para. 73, agreed that “waiting 15 minutes is permitted under s. 254(2) of the Code when this is in accordance with the exigencies of the use of the equipment”, provided the officer is aware of the potential inaccuracy of the equipment. He went on to say in the same paragraph that such a delay “is in accord with the purpose of

Page 27: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

27

the statutory scheme and ensures that a police officer has an honest belief based on reasonable and probable grounds prior to making a breathalyzer demand.” ... [32] Most recently, Woods endorses Bernshaw and acknowledges that while “forthwith” may be interpreted with some flexibility, this should only be done in “unusual circumstances” such as those involving the “exigencies of the use of the equipment”: see Woods, at para. 43.»

(Mon souligné) Et finalement, la Cour d'appel précise les facteurs a considérer pour déterminer si l'ordre de se soumettre au test de dépistage à été donné «immédiatement»:

«[45] In sum, I conclude that the immediacy requirement in s. 254(2) necessitates the courts to consider five things. First, the analysis of the forthwith or immediacy requirement must always be done contextually. Courts must bear in mind Parliament‟s intention to strike a balance between the public interest in eradicating driver impairment and the need to safeguard individual Charter rights. [46] Second, the demand must be made by the police officer promptly once he or she forms the reasonable suspicion that the driver has alcohol in his or her body. The immediacy requirement, therefore, commences at the stage of reasonable suspicion. [47] Third, “forthwith” connotes a prompt demand and an immediate response, although in unusual circumstances a more flexible interpretation may be given. In the end, the time from the formation of reasonable suspicion to the making of the demand to the detainee‟s response to the demand by refusing or providing a sample must be no more than is reasonably necessary to enable the officer to discharge his or her duty as contemplated by s. 254(2). [48] Fourth, the immediacy requirement must take into account all the circumstances. These may include a reasonably necessary delay where breath tests cannot immediately be performed because an ASD is not immediately available, or where a short delay is needed to ensure an accurate result of an immediate ASD test, or where a short delay is required due to articulated and

Page 28: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

28

legitimate safety concerns. These are examples of delay that is no more than is reasonably necessary to enable the officer to properly discharge his or her duty. Any delay not so justified exceeds the immediacy requirement. [49] Fifth, one of the circumstances for consideration is whether the police could realistically have fulfilled their obligation to implement the detainee‟s s. 10(b) rights before requiring the sample. If so, the “forthwith” criterion is not met.»

On doit donc en retenir deux choses: D'une part, une certaine souplesse doit nous guider lorsque la question se pose de savoir si le conducteur a été sommé de se soumettre à un test de dépistage «immédiatement» après que l'agent de police ait acquis des soupçons de la présence d'alcool dans son organisme et, d'autre part que si l'ordre n'est pas donné immédiatement, la suspension des droits constitutionnels du conducteur n'a plus de raison d'être.

1.4.3 : La description de l’appareil utilisé :

La preuve, testimoniale ou documentaire doit comporter une description exacte de l’appareil utilisé puisque l’arrêté ministériel, précité, sur les appareils de détection d’alcool énumère les seuls qui sont autorisés pour les fins de l’application de l’article 202.3 du C. s.r. .

Dans une affaire de «Pigeon c. Ville de Sainte-Julie»37, le juge Mongeau de la Cour supérieure a ordonné la tenue d’un nouveau procès, entre autre sur la base du fait que le juge d’instance aurait dû se prononcer sur la conformité de l’appareil de détection approuvé, alors que la preuve révélait qu’il s’agissait d’un «Alco-sensor IV DWF» alors que l’arrêté ministériel approuve un «Alco-sensor IV DWF, fabriqué par Intoximeters Inc.».

Il faut retenir qu’il incombe à la poursuite d’établir, hors de tout doute raisonnable la marque et le modèle de l’appareil utilisé et son approbation par un arrêté ministériel du ministre de la Sécurité publique.

1.4.4 : L’étalonnage et la vérification de l’appareil :

L’article 3 du Règlement sur les appareils de détection d’alcool, précité, exige que l’appareil soit étalonné tous les quinze jours.

37 2008 QCCS 3750

Page 29: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

29

Le poursuivant doit en conséquence produire les documents, registres et relevés d’utilisation démontrant le respect de cette exigence.

Notons à cet égard que le registre, pour être conforme, doit comporter la signature de son auteur, la description de l’appareil, son numéro de série, le nom et l’adresse de son fabricant, la date de son achat, la date de délivrance du certificat d’utilisation par le Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale et de son ou ses renouvellements ainsi que toutes les informations relatives à l’entretient et aux réparations effectuées.

De plus, selon l’article 5 du Règlement, l’agent de la paix qui procède à l’étalonnage de l’appareil doit inscrire dans un registre d’utilisation la date et l’heure de chaque étalonnage effectué ainsi que le résultat. Le relevé d'utilisation doit être conservé pendant six mois au même endroit que l'appareil et, par la suite, il doit être joint au registre.

1.4.5: La formation de l'agent «utilisateur»:

L'article 6 du Règlement exige que l'agent de la paix qui manipule l'appareil de détection approuvé ait réusi un cours bien particulier dispensé par l'École nationale de police, soit le «Guide de l'utilisateur».

La poursuivante à le fardeau d'établir cette formation pour l'appareil spécifiquement utilisé.

Il m'a été donné de remarquer à quelques occasions que le certificat émis par l'École nationale de police à cet effet réfère à l'occasion à un cours de formation sur les appareils de détection approuvés, sans mention qu'il s'agit du «Guide de l'utilisateur». J'ai également remarqué que sur les formulaires utilisés par certains corps policiers, l'attestation de formation, signée par l'agent utilisateur ne réfère pas non plus spécifiquement à ce guide.

1.4.6: La formation de l'agent «étalonneur»:

Ici encore, l'article 7 du Règlement exige que l'agent de la paix qui étalonne un appareil de détection approuvé, ou qui en effectue la vérification annuelle, satisfasse aux normes de formation suivantes: 1) être titulaire d'un certificat de technicien qualifié en alcootest; 2) Pour chaque modèle d'appareil de détection qu'il étalonne, avoir réussi le cour «Guide de l'utilisateur» de l'École nationale de police et 3) qu'il ait réussi le cours «Technicien à l'étalonnage de cette même École.

Page 30: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

30

Dans l'affaire précitée de «Procureur général du Québec c. Guérard»38a été retenu le caractère essentiel de la preuve de la formation.

J'ai remarqué, encore une fois, que sur les formulaires utilisés par certains corps policiers, on atteste de la vérification annuelle par un agent de la paix au moyen d'une étiquette, à l'effigie du corps policier, non signée, apposée sur l'appareil.

J'ai quant à moi été saisi d'un dossier où l'ensemble des exigences de preuve concernant l'article 202.2 a été analysé et où la question des droits constitutionnels du défendeur étaient en cause. Il s'agit de l'affaire «Ville de Mont-Tremblant c. Gauthier»39.

Dans cette affaire, les policiers municipaux avaient été appelés sur les lieux d'un accident où ils ont constaté la présence d'une véhicule immobilisé dans un banc de neige.

Une personne est assise derrière le volant et semble dormir. En ouvrant la porte du véhicule, les policiers remarquent une bouteille de bière vide sur le plancher.

Le conducteur se réveille, semble confus, dégage une odeur d'alcool et à les yeux rouges.

Invité à sortir du véhicule, sa démarche est chancelante.

Étant alors convaincus que l'individu à les facultés affaiblies par l'alcool, il est mis en état d'arrestation et sommé de se soumettre à un alcootest.

Ses droits lui sont lus et il ne désire pas communiquer avec un avocat.

Rendu au poste de police, on constate que l'individu est plus alerte, sa démarche est maintenant normale et il ne subsiste qu'un peu de confusion et une forte odeur d'alcool.

Le policier en charge considérant ne plus avoir de motifs suffisants de croire que l'alcoolémie du conducteur serait supérieure à la limite permise, et expliquant n'avoir, à ce moment, que de simples soupçons de la présence d'alcool dans l'organisme, remet le conducteur en état d'arrestation pour contravention à l'article 202.2 du C.s.r. et le somme de se soumettre à un test de dépistage au moyen d'un appareil de détection approuvé.

Le conducteur échouant le test de dépistage, il est à nouveau placé en état d'arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies.

La défense avait plusieurs arguments a présenter:

38 op.cit note 22, par.26

39 C.M. Mont-Tremblant, no. 09-00166-5, 19 avril 2010

Page 31: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

31

1) L'ordre de se soumettre au test de dépistage n'a pas été donné «immédiatement»;

2) Bien qu'en état d'arrestation, le défendeur a été requis de donner un échantillon d'haleine avant d'avoir pu exercer son droit de consulter un avocat;

3) Le certificat d'utilisation de l'appareil de détection approuvé, et le registre d'utilisation de la solution d'alcool type ne respectent pas les exigences du Règlement sur les appareils de détection d'alcool en ce que le nom du fabricant de l'appareil n'apparait pas et le numéro de série ne concorde pas.

Le jeu de l'acquisition puis de la perte des motifs ayant justifiés la mise en état d'arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies soulevait la question de savoir si il pouvait survenir des circonstances où un agent de la paix, après avoir acquis des motifs raisonnables de croire à une conduite avec les facultés affaiblies par l'effet de l'alcool pouvait les perdre.

Et, par la suite, si effectivement de telles circonstances pouvaient exister, l'agent de la paix peut-il, alors que le défendeur est en état d'arrestation pour une infraction à l'égard de laquelle il aurait perdu ses motifs raisonnables, exiger lors que le défendeur se soumette à un test de dépistage en vertu de l'article 202.3 du C.s.r. ?

Et là encore, si le défendeur échoue le test de dépistage, peut-il être remis à nouveau en état d'arrestation pour conduite avec les facultés affaiblies ?

J'en suis arrivé à la conclusion qu'en matière d'infractions relatives à l'alcool au volant, deux situations distinctes pouvaient survenir lors d'une intervention policière: Soit que les constatations de l'agent de police l'amènent à soupçonner la présence d'alcool dans l'organisme du conducteur, soit qu'elles l'amènent à acquérir des motifs raisonnables de croire que cette personne conduit avec les facultés affaiblies par l'alcool ou avec une alcoolémie supérieure à la limite légale.

Dans le premier cas, il peut ordonner au conducteur de se soumettre à un test de dépistage, soit en vertu de l'article 202.3 du C.s.r. ou de l'article 254(2) du C. cr., suivant le cas. S'il agit en vertu du Code criminel, le résultat du test de dépistage peut alors lui permettre de transformer ses soupçons en motifs raisonnables de croire à la commission d'u infraction en vertu de l'article 253 du C.cr., justifiant un ordre de se soumettre à un alcootest.

Dans de telles circonstances, si le résultat de l'alcootest indique une concentration d'alcool inférieure à la limite légale, des accusations de conduites avec les facultés affaiblies pourront tout de même être portées si la preuve factuelle est suffisante.

Par ailleurs, il sera également possible d'émettre un constat en vertu de l'article 202.2 du C.s.r. si le conducteur en est un visé par cette dispositions. Toutefois, comme l'enquête a

Page 32: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

32

débutée dans le cadre du Code criminel, toute la question du respect des droits constitutionnels pourra être soulevée.

En second lieu, dans les cas où les constatations du policier n'amènent qu'un soupçon à l'égard de la présence d'alcool dans l'organisme, il pourra exiger que la personne visée par l'article 202.2 du C.s.r. se soumette à un test de dépistage en vertu de l'article 202.3

Donc, en ce qui concerne le respect des droits constitutionnels du conducteur, ou de la personne qui a la garde et le contrôle du véhicule, il est important de savoir en vertu de quelles dispositions législatives débute l'enquête.

Si la personne est mise en état d'arrestation dès le départ pour une infraction criminelle, la suffisance des motifs doit s'apprécier à ce moment et non plus tard. Je ne crois pas qu'un changement subséquent dans les constatations du policier amène une perte des motifs. S'il survient donc un changement qui fasse a postériori douter des motifs de départ, l'enquête doit tout de même se poursuivre en vertu du Code criminel, ce qui implique toute la procédure relative aux droits constitutionnels.

Il est possible que la suite de l'enquête démontre une alcoolémie inférieure à la limite légale, et que l'on ne dispose pas de motifs suffisants pour des accusations de conduite avec les facultés affaiblies, mais alors on pourra tout de même se rabattre sur l'article 202.2 du C.s.r. en présence d'un conducteur visé par cette disposition.

Dans cette affaire de Gauthier, en décidant de faire machine arrière, d'abandonner l'arrestation pour une infraction criminelle, et de recommencer l'enquête en vertu des articles 202.2 et 202.3 du C.s.r., les policiers ont viciée la procédure et violé les droits constitutionnels du défendeur: Étant en état d'arrestation pour une infraction criminelle, one pouvait exiger qu'il se soumette au test de dépistage avant qu'il n'ait pu exercer son droit de consulter un avocat.

En l'instance, je suis d'avais que le défendeur n'a jamais cessé d'être en état d'arrestation pour une infraction criminelle.

Quant à la conformité de la preuve avec les exigences du Règlement sur les appareils de détection d'alcool, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il s'agissait là d'éléments essentiels de l'infraction de l'article 202.2 du C.s.r. dont la preuve incombait à la poursuite.

1.4: L'avant procès: La divulgation de la preuve:

Compte tenu de ce que nous venons de voir relativement à l'étendue du fardeau de preuve de la poursuivante lorsque la culpabilité du conducteur repose sur le résultat d'un test de dépistage, se pose inévitablement la question de savoir jusqu'ou s'étend son obligation préalable de divulgation.

Page 33: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

33

Depuis l'arrêt de la Cour suprême dans Stinchcombe40, il est clairement reconnu que le droit à la divulgation fait partie intégrante du droit à une défense pleine et entière garantit par l'article 7 de la Charte et qu'en conséquence la poursuite doit divulguer tous les renseignements pertinents qu'elle a en sa possession ou qui sont sous sont contrôle et qui ne font pas l'objet d'un privilège particulier41.

Pour le défendeur, le droit d'obtenir la divulgation d'un document ou d'un renseignement particulier dépendra de la possibilité raisonnable que la non-divulgation puisse avoir une influence sur l'issue du procès ou sur son équité42.

Ainsi, pour déterminer si un document ou une information doit être divulgué, il faut en apprécier la pertinence et l'utilité pour la défense.

À cet égard, la Cour suprême, dans l'arrêt Egger43mentionne ce qui suit:

«Une façon de mesurer la pertinence d'un renseignement dont dispose le ministère public est de déterminer son utilité pour la défense: s'il a une certaine utilité, il est pertinent et devrait être divulgué -- précité, à la p. 345. Le juge qui effectue le contrôle doit déterminer si l'accusé peut raisonnablement utiliser la communication des renseignements pour réfuter la preuve et les arguments du ministère public, pour présenter un moyen de défense ou autrement pour parvenir à une décision susceptible d'avoir un effet sur le déroulement de la défense comme, par exemple, de présenter ou non une preuve.»

Comme l'a souligné le juge Chamberland dans l'arrêt Commanda44la portée de l'obligation de divulgation doit se définir à la lumière des éléments constitutifs de l'infraction et aux défenses possibles en lien direct avec ces éléments.

Tout ceci pour attirer votre attention sur une décision récente de la Cour supérieure sur le sujet. Il s'agit de l'affaire «Caron c. La Reine»45.Dans cette affaire, monsieur Caron

40 R. c. Stinchcombe, (1991) / R.C.S. 326

41 R. c. Egger, (1993) 2 R.C.S. 451; R. c. Chaplin, (1995) 1 R.C.S. 727; R. c. Dixon, (1998) 1 R.C.S. 244

42 R. c. Dixon, op.cit, note 41

43 Op.cit. note 41, p.467

44 R. c. Commanda, 2007 QCCA 947

45 2011 QCCS 7346

Page 34: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

34

demandait la divulgation des certificats d'utilisation de l'appareil de dépistage utilisé lors de son interception ainsi que les relevés des tests qui avaient permis le renouvellement des certificats. Cette demande s'insérait dans le cadre de l'obligation, faite par l'article 4 du Règlement sur les appareils de détection d'alcool, de vérifier tous les 12 mois l'appareil de détection et d'en certifier le bon fonctionnement.

La Cour supérieure à considérée que la poursuivante avait l'obligation de divulguer le relevés des tests effectués qui avaient permis la certification de l'appareil. Le juge Claude C. Gagnon s'exprime comme suit:

«[22] Par sa demande de divulgation additionnelle, l'appelant cible à la fois la validité du test de dépistage, l'efficacité de l'appareil utilisé, la suffisance des motifs de procéder à son arrestation et par voie de conséquence, l'admissibilité des éléments de preuve recueillis suite à l'utilisation de l'appareil de dépistage. [23] Dans un tel contexte, les résultats des tests de vérification du bon fonctionnement de l'instrument utilisé, qui ont conduit à sa certification, peuvent raisonnablement être utiles à l'appelant et ont une pertinence. [24] Cela étant, le ministère public a l'obligation de les divulguer, puisque ces renseignements sont sous son contrôle et ne bénéficient d'aucun privilège. [25] La possibilité que la communication d'un renseignement pertinent puisse révéler l'existence de d'autres informations utiles et servir de fondement à d'autres demandes de divulgation est sans importance, puisque s'ils sont pertinents, ces nouveaux éléments doivent aussi être divulgués.»

Le même raisonnement, quoique sans beaucoup d'explications, a été tenu par la Cour d'appel dans l'affaire «Mailloux c. R.»46dont la Cour suprême a refusée la permission d'appel47. La situation est curieuse car la Cour d'appel de l'Alberta ne partage pas cette opinion et l'une de ses décisions à cet égard a également fait l'objet d'un refus d'en autoriser l'appel par la Cour suprême. Il s'agit de l'arrêt «R. c. Black»48.

46 2011 QCCA 1797

47 2012 CSC 140

Page 35: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

35

Dans cette affaire monsieur Black, accusé en vertu des articles 253 a) et b) du C.cr., demandait copie du registre de calibration de l'appareil de détection d'alcool approuvé qui avait été utilisé. Pour rejeter sa demande, la Cour d'appel de l'Alberta se fonde sur les motifs suivants:

[44] The ASD’s role in establishing an over .08 offence is that it provides officers with the means to gain the reasonable and probable grounds necessary to demand a breathalyzer test. If the officer reasonably suspects that a motorist has alcohol in his or her body, the officer may demand that the motorist provide a breath sample into an ASD: Criminal Code, s. 254(2)(b). A fail result on a properly conducted ASD test constitutes reasonable and probable grounds to demand a breathalyzer test: Bernshaw at para49.There is no requirement that the ASD be proven to be working properly:R v Arthurs (1981), 12 Sask R 95, 63 CCC (2d) 572 (CA); R v Yurechuk (1983), 42 AR176, 23Alta LR (2d) 136 (CA). So long as the ASD has been approved under the statutory scheme, theofficer can reasonably and honestly rely on its accuracy unless there is evidence that the officer knew or believed that it was not working properly: Bernshaw at para 80. ...

[49] The logs for three months prior to the test are also irrelevant to the issue of an officer’s formulation of reasonable and probable grounds for a breathalyzer demand. Again speculative suppositions regarding continual need for substantial re-calibration do not meet the relevancy threshold set out in both Stinchcombe and McNeil. In addition, in Bernshaw, the Supreme Court clearly stated that investigating police officers are entitled to rely on the accuracy of ASDs. In this case, the sticker on the ASD would have conveyed to the officer the fact that the calibration of the ASD was recently performed. The sticker was attached in compliance with recommendations from the body charged with ensuring that ASDs are checked and re-calibrated on a regular basis. It would only be reasonable for the officer to believe that he was dealing with a properly operating ASD. Moreover, it would only be reasonable for an objective observer to conclude that the formulation of the officer’s opinion, taking into account the belief that the ASD was operating correctly, was

48 2011 ABCA 349; Permission d'appel refusée par la Cour suprême du Canada (2012) CSC 49

Page 36: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

36

proper. the body charged with ensuring that ASDs are checked and re-calibrated on a regular basis. It would only be reasonable for the officer to believe that he was dealing with a properly operating ASD. Moreover, it would only be reasonable for an objective observer to conclude that the formulation of the officer’s opinion, taking into account the belief that the ASD was operating correctly, was proper.

[50] The only exception to this analysis would be cases where the investigating officer also played a role in certifying the ASD at issue. In those cases, problems with the certification process would be part of the officer’s subjective knowledge and might impact on the reasonableness of his grounds for demanding a breath sample for analysis by a breathalyzer. ... [52] The re-calibration logs are therefore irrelevant to the issue of the reasonableness of the officer’s demand for a breath sample. Because there is no direct charge that follows a fail result on an ASD test, the logs are also irrelevant to any issue flowing from the breathalyzer test. What is relevant to charges of driving over .08 is the operation of the breathalyzer machine and not the ASD.

Dans un contexte d'accusations portées en vertu des articles 253 a) et b) du C. cr, on peut facilement comprendre la non pertinence des registres concernant l'appareil de détection approuvé utilisé, puisque l'utilisation de cet appareil n'a pour but que l'acquisition par l'agent de police de motifs suffisants pour exiger que le conducteur se soumette à un alcootest.

Par ailleurs, on peut sérieusement se poser la question de savoir si en matière d'infraction à l'article 202.2 du C.sr. si le raisonnement serait le même compte tenu du fait que le résultat du test de dépistage sert directement à établir la culpabilité du défendeur, comme le laisse entendre la Cour d'appel d'Alberta au par 52 de l'arrêt Black.

Comme le souligne le juge Gagnon dans l'affaire précitée de Caron, au par. 22, la demande de divulgation «cible à la fois la validité du test de dépistage, l'efficacité de l'appareil utilisé...».

Page 37: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

37

Conclusion:

Comme le fait remarquer l'auteur Harrisson dans son ouvrage sur les facultés affaiblies49, les articles 202.2 et 202.3 du C.s.r. encadrent de façon très serrée l'action policière.

Dans la mesure où les exigences de ces dispositions ne sont pas respectées, l'intervention policière devra être analysée indépendamment de ces dispositions et les garanties constitutionnelles devront être scrupuleusement respectées. Si l'ordre de se soumettre à un test de dépistage n'est pas conforme aux conditions requises, la personne visée ne sera pas tenue d'y obtempérer et ne se placera pas dans une position de contravention aux dispositions de l'article 202.8 du C. s.r.

Lorsque le policier se prévaut de l'article 202.3 du C.s.r. pour exiger un test de dépistage, le fardeau de preuve de la poursuivante est lourd et technique et l'absence de conformité de cette preuve avec les exigences de l'arrêté ministériel ou du Règlement sur les appareils de détection d'alcool, peut entraîner l'exclusion de la preuve du résultat du test. Dans de telles circonstances, cela ne signifie pas nécessairement un acquittement, dans la mesure où les constatations de faits du policiers seront suffisantes à démontrer, hors de tout doute raisonnable, la présence d'alcool dans l'organisme de la personne visée, mais on ne pourra pas se servir du résultat du test pour les appuyer.

49 op.cit. note 7, page 467 et ss

Page 38: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

38

PARTIE II

L'ARTICLE 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE

Page 39: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

39

Que dire de l'état du droit en ce qui concerne l'article 327 du Code de la sécurité routière? Rien n'a changé mais tout pourrait évoluer!

Comme vous serez vous-même en mesure de le constater, la jurisprudence est relativement stable en ce qui concerne les paramètres de l'infraction de conduite ou vitesse imprudente de l'article 327 du C.s.r. . C'est dans l'avenir que nous pourrons peut=être voir survenir certains changements.

Pour bien cerner l'infraction de l'article 327 C.s.r., il faut l'analyser en parallèle avec les infractions criminelles des articles 219 et 249 du C. cr., soit la négligence criminelle et la conduite dangereuse, et principalement en regard de l'article 249 C.cr.

Je me propose donc, dans une première étape, de vous dresser un portait global de ce que constitue la vitesse ou la conduite imprudente au sens de l'article 327 du C. s.r. en la comparant avec les dispositions du Code criminel.

Dans une seconde étape, je vous soumettrai un élément intéressant de réflexion que j'ai découvert en effectuant mes recherches et qui n'a pas encore été réellement plaidé comme moyen de défense à une infraction sous l'article 327 du C. s.r. mais qui, s'il devait être retenu, pourrait bien changer notre perception de ce qu'est la conduite imprudente.

2.1: Le contexte législatif:

L'article 327 du C.s.r. se lit comme suit:

327. Toute vitesse ou toute action susceptible de mettre en péril la vie ou la sécurité des personnes ou la propriété est prohibée.

En outre des chemins publics, le présent article s'applique sur les chemins soumis à l'administration du ministère des Ressources naturelles et de la Faune ou entretenus par celui-ci, sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler.

Comme notre analyse sera comparative avec certaines dispositions du Code criminel, il est utile de les reproduire:

249. (1) Commet une infraction quiconque conduit, selon le cas :

a) un véhicule à moteur d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du lieu,

Page 40: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

40

l’utilisation qui en est faite ainsi que l’intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu;

b) un bateau ou des skis nautiques, une planche de surf, un aquaplane ou autre objet remorqué sur les eaux intérieures ou la mer territoriale du Canada ou au-dessus de ces eaux ou de cette mer d’une manière dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état de ces eaux ou de cette mer et l’usage qui, au moment considéré, en est ou pourrait raisonnablement en être fait;

c) un aéronef d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état de cet aéronef, ou l’endroit ou l’espace dans lequel il est conduit;

d) du matériel ferroviaire d’une façon dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l’état du matériel ou l’endroit dans lequel il est conduit.

...

2.2 : Le champs d’application de l’article 327 du C. s.r. :

Le champ d’application de l’article 327 du C.s.r. doit être envisagé tant sous l’angle du lieu que sous celui de la personne.

Le second alinéa de l’article 327 précise son champ d’application en terme de lieux : Les chemins publics, ceux administrés ou entretenus par le ministère des Richesses naturelles et de la Faune, les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers, les terrains des centres commerciaux ainsi que tous ceux où le public est autorisé à circuler.

J’attire votre attention sur une décision de la Cour du Québec concernant le champ d’application de l’articlé 327 C. s.r. qui, de la façon dont elle est rapportée dans un certain ouvrage de référence, prête grandement à confusion.

Il s’agit de la décision de la juge de paix magistrat Suzanne Bousquet, dans l’affaire «Procureur général du Québec c. Daoust»50. Dans cette affaire un constat d’infraction reprochait au défendeur d’avoir, sur un terrain où le public est autorisé à circuler, commis une action susceptible de mettre en péril la sécurité des personnes ou de la propriété.

Comme la preuve révélait que l’action en question s’était produite sur l’accotement, le défendeur a été acquitté puisqu’il ne constitue pas un endroit où le public est autorisé à circuler.

50 C.Q. Montréal, no. 500-61-172616-030

Page 41: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

41

Vu sous cet angle, la décision ne prête pas à critique mais elle est rapportée, dans un certain ouvrage, sans cette mention importante au constat, de sorte qu’on semble vouloir lui faire dire que l’accotement ne fait pas partie du chemin public.

Cette décision est également intéressante parce qu’elle illustre les conséquences de particulariser une dénonciation.

Le champs d’application doit également être analysé en fonction des personnes qui sont visées par l’article 327 du C.s.r.

L’article 327 vise essentiellement la conduite d’un véhicule. Il se trouve à la sous-section 2, «limites de vitesse et distance entre les véhicules», de la section I, «Règles de conduite des véhicules, du chapitre II, «Dispositions générales concernant la circulation des véhicules», du Titre VIII, «Règles de circulation routière». Son emplacement suggère semble donc indiquer qu'il vise la conduite d'un véhicule51 ou, à tout le moins, les cas où un certain contrôle est exercé sur la conduite du véhicule52.

Je ne crois pas qu'un simple piéton, tout comme un passager qui n'exerce aucun contrôle sur la conduite d'un véhicule, puissent êtres visés par cette disposition du Code.

Dans l'affaire Poirier-Laframboise, il s'agissait d'un passager du véhicule automobile qui, alors que ce dernier était en mouvement, se sort la tête jusqu'aux épaules par la fenêtre. Un contat d'infraction sous l'aticle 327 C.s.r. lui est délivré.

Certes ce passager à commis une action susceptible de mettre en péril sa propre sécurité, mais le juge Fournier considère que cela n'entre pas dans le cadre limité de l'article 327 C.s.r. Citant la décision du juge Alarie dans l'affaire «Ville de Beloeil c. Latendresse»53, il mentionne que dans certaines circonstances, le constat d'infraction pourrait être émis au conducteur du véhicule si, par ses actes ou omissions, il met en danger la sécurité de ses passagers.

Dans l'affaire Sauvé, il s'agissait d'un piéton qui s'était placé dans le milieu de la rue, bloquant le passage à un automobiliste et risquant d'être percuté par ce dernier, surpris par sa présence. J'ai émis l'opinion que l'article 327 C.s.r. visait l'action imprudente qui

51 Directeur des poursuites publiques c. Medhat, 2007 QCCQ 13275 (JPM Benoit)

52 Ville de Boisbriand c. Beaudoin, C.M. Boisbriand, no. no. 0070536, 4 février 2004, Juge André Hotte;

Ville de Laval c. Poirier-Laframboise, C.M. Laval, No. 0111086431, 26 septembre 2006, Juge Yves Fournier; Municipalité de Rawdon c. Sauvé, C.M. MRC Matawinie, no. 09-00671-6, 25 janvier 2010, Juge Michel Lalande

53 C.M. Beloeil, no. 98-0274-2, 14 octobre 1998

Page 42: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

42

s'insère dans le cadre de la conduite d'un véhicule, ou du contrôle de cette conduite, par la personne qui est à la base de l'action.

2.3: Les infractions de l'article 327 C.s.r.:

Il ressort clairement des décisions de nos tribunaux que l'article 327 C.s.r. vise deux situations totalement distinctes et crée en conséquence deux infractions.

Le libellé même de l'article 327 C.s.r. ne me semble pas prêter à confusion: «Toute vitesse ou toute action» susceptible de mettre en péril la vie ou la sécurité est prohibé.

La décision de principe à cet égard est celle du juge Claude-C. Gagnon, de la Cour supérieure, dans l'affaire «Carrier c. Lévis (Ville de)»54, reprise par ailleurs par le juge Jacques J. Lévesque, également de la Cour supérieure, dans l'affaire «Talbot c. Directeur des poursuites criminelles et pénales»55.

La question que l'on peut par ailleurs se poser est celle de savoir si ces deux infractions sont moindres et incluses l'une dans l'autre. J'ai tenté de répondre à cette question dans deux affaires distinctes56.

Dans l'affaire Vendette, le constat d'infraction reprochait au défendeur une «vitesse» susceptible de mettre en péril. Toutefois, la preuve offerte ne révélait aucunement la vitesse à laquelle circulait le défendeur, mais plutôt des «actions» de la part du conducteur.

J'ai émis l'opinion que l'infraction de commettre une action susceptible de mettre en péril la sécurité des personnes ou la propriété n'était pas moindre et incluse dans cette de circuler à une vitesse susceptible d'entraîner le même résultat. Pour arriver à cette conclusion, je me suis basé sur le passage suivant des motifs du juge Binnie de la Cour suprême dans l'arrêt «La Reine c. G.R.»57:

« [11] Une fonction importante d’un acte d’accusati on est de notifier formellement à l’accusé le risque qu’il court sur le plan juridique. Il est, bien sûr, tout aussi important que, lorsque le ministère public est en mesure d’ét ablir

54 C.S. Québec, no. 200-36-001455-088, 20 août 2008, 2008 QCCS 3824

55 C.S. Québec, no. 200-36-001621-093, 18 mai 2010, 2010 QCCS 2122

56 Municipalité de Val-David c. Vendette, C.M. Ste-Adèle, no. 07Q454947, 11 septembre 2009; Ville de

Montréal c. Champoux, C.M. Montréal, no. 778-288-442, 19 décembre 2012

57 (2005) 2 R.C.S. 371

Page 43: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

43

l’existence d’une partie seulement des faits décrit s dans l’acte d’accusation ou énoncés dans la définition l égale de l’infraction et qu’une telle preuve partielle ét ablit l’existence des éléments constitutifs d’une infract ion moindre et incluse, il y ait non pas acquittement m ais plutôt déclaration de culpabilité à l’égard de l’in fraction incluse. Comme l’a écrit le professeur Glanville Wi lliams, [TRADUCTION] « une infraction incluse est une infra ction constituée de fragments de l’infraction reprochée » (« Included Offences » (1991), 55 J. Crim. L. 234, p. 234). Tout autre résultat engendrerait un gaspillage des ressources consacrées au procès.

[25] Une infraction est « incluse » si ses éléments constitutifs sont compris dans l’infraction imputée (telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation) ou si le Code criminel la qualifie expressément d’infraction comprise ou incluse. Le critère est strict : l’infr action doit « nécessairement » être comprise, comme l’affirmait le juge Martland dans l’arrêt Lafrance c. La Reine, [1 975] 2 R.C.S. 201, p. 214 :

. . . l’infraction créée par l’art. 281 [balade dans une voiture volée] n’est pas nécessairement comprise dans l’infraction de vol [. . .] et n’est pas comprise dans le chef d’accusation porté en la présente espèce. [Je souligne.]

Ce qui n’est pas « nécessairement compris » est exclu. Voir également Fergusson c. La Reine, [1962] R.C.S. 229, p. 233; Barton c. Le Roi, [1929] R.C.S. 42, p. 42-48.

[26] L’interprétation stricte de l’art. 662 est l iée à l’exigence de notification raisonnable du risque co uru sur le plan juridique, comme le juge Sheppard l’a souligné dans l’arrêt R. c. Manuel (1960), 128 C.C. C. 383 (C.A.C.-B.) :

[TRADUCTION] De plus, pour constituer une infraction incluse, l’inclusion doit être une composante si claire et essentielle de l’infraction imputée que l’accusé qui lit le chef d’accusation sera, dans tous les cas, raisonnablement informé qu’il devra se défendre non seulement contre l’infraction reprochée, mais également contre les

Page 44: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

44

infractions précises qui seront incluses. Une telle inclusion claire doit ressortir de la « disposition qui [. . .] crée »l’infraction ou de l’infraction « portée dans le chef d’accusation »; [le par. 662(1)] permet de tenir compte de l’une ou l’autre de ces situations, mais non de l’exposé initial de l’avocat ni de la preuve.

[Je souligne; p. 385.]

[27] Le juge Martin de la Cour d’appel de l’Ontari o a également insisté sur l’importance d’expliquer clai rement à l’accusé l’ampleur exacte du risque qu’il court s ur le plan juridique :

[TRADUCTION] L’infraction imputée, telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation, doit contenir les éléments essentiels de l’infraction qualifiée d’incluse.

. . .

. . . l’infraction imputée, telle qu’elle est décrite dans la disposition qui la crée ou telle qu’elle est portée dans le chef d’accusation, doit être suffisante pour informer l’accusé des infractions incluses contre lesquelles il devra se défendre.

[Je souligne.]

(R. c. Simpson (No. 2) (1981), 58 C.C.C. (2d) 122 (C.A. Ont.), p. 133, autorisation de pourvoi refusée, [1981] 1 R.C.S. xiii; voir aussi R. c. Harmer and Miller (1976), 33 C.C.C. (2d) 17 (C.A. Ont.), p. 19.)

[28] Les principes énoncés par le juge Martin dans les motifs de jugement encyclopédiques qu’il a rédigés dans l’affaire Simpson ont, depuis lors, été adoptés et appliqués partout au Canada, y compris par la Cour d’appel du Québec dans les arrêts R. c. Drolet (198 8), 14 M.V.R. (2d) 50, conf. par [1990] 2 R.C.S. 1107, R. c. Allard (1990), 36 Q.A.C. 137, et R. c. Colburne, [1991] R. J.Q. 1199. Voir aussi R. c. Morehouse (1982), 65 C.C.C. (2d) 231 (C.A.N.-B.), autorisation de pourvoi refusée, [ 1982] 1 R.C.S. xi; R. c. Angevine (1984), 61 N.S.R. (2d) 26 3 (C.A.); Plank; R. c. Taylor (1991), 66 C.C.C. (3d) 262 (C.A .N.-É.); R. c. Webber (1995), 102 C.C.C. (3d) 248 (C.A.C.-B. ); R. c.

Page 45: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

45

Rowley (1999), 140 C.C.C. (3d) 361 (C.A. Ont.); R. c. Beyo (2000), 144 C.C.C. (3d) 15 (C.A. Ont.), autorisatio n de pourvoi refusée, [2000] 2 R.C.S. vi. »

[29] … La loi écrite traite maintenant de cette que stion et l’art. 662 autorise les déclarations de culpabilité d’infractions « incluses » dans le cas seulement de trois catégories d’infractions :

a) les infractions incluses par la loi comme, par exemple, celles qui sont mentionnées aux par. 662(2) à (6), et les tentatives de commettre une infraction, dont fait état l’art. 660;

b) les infractions incluses dans la loi qui crée l’infraction imputée comme, par exemple, les voi es de fait simples dans une accusation d’agression sexuelle;

c) les infractions qui deviennent incluses par l’ajout de mots appropriés dans la description d e l’accusation principale.

[30] En ce qui concerne la nécessité d’une noti fication raisonnable, les infractions «incluses » relevant de la première catégorie peuvent être dégagées du Code criminel lui-même; …

[31] En ce qui a trait à la deuxième catégorie, o n peut dire que [TRADUCTION] « [s]i l’infraction imputée p eut être commise intégralement sans que soit commise un e autre infraction, cette autre infraction n’est pas incluse » (je souligne) (P. J. Gloin, « Included Offences » ( 1961-62), 4 Crim. L.Q. 160, p. 160). … le juge Martin, et la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Colburne, p. 1206, o ù le juge Proulx a ajouté ce qui suit:

J’ajouterai, pour ma part, que sera incluse l’infraction dont les éléments essentiels sont partie de l’infraction imputée.

[En italique dans l’original.]

[32] C’est la troisième catégorie de cas qui est l a plus susceptible de causer des difficultés. Elle exige q ue les mots descriptifs de faits dans le chef d’accusation lui-même informent l’accusé que, s’ils sont prouvés, ce s faits pris avec les éléments de l’accusation révéle ront la

Page 46: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

46

perpétration d’une infraction « incluse » (Allard). Par exemple, dans l’affaire Tousignant c. La Reine (196 0), 130 C.C.C. 285 (B.R. Qué. (en appel)), l’acte d’accusat ion reprochait à l’accusé d’avoir tenté de tuer la vict ime [TRADUCTION] « en la frappant à la tête avec un instrument contondant » (italiques ajoutés; p. 291) . Les mots en italique n’étaient pas essentiels à l’accus ation de tentative de meurtre, mais leur inclusion a, de toute façon, permis de prononcer une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction moindre et (a insi) incluse consistant à causer des lésions corporelles dans l’intention de blesser ou à commettre des voies de fait : voir Simpson, p. 139. De même, dans l’arrêt R. c. K ay, [1958] O.J. No. 467 (QL) (C.A.), l’acte d’accusatio n faisait état d’un homicide involontaire coupable [TRADUCTIO N] « résultant d’un coup ou de coups ». L’ajout de ces mots descriptifs dans l’acte d’accusation faisait état d e l’allégation de voies de fait, et la déclaration de culpabilité de l’accusé relativement à l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles a été maintenue en appel.

[33] Les mots ajoutés doivent, bien sûr, avoir trai t à l’infraction imputée. Comme l’a écrit le juge Evans , dans l’arrêt Harmer and Miller :

[TRADUCTION] . . . l’accusation doit être libellée de façon à notifier raisonnablement à l’accusé l’infraction ou les infractions que comprendrait l’infraction principale qui lui est reprochée. De plus, l’infraction doit être incluse à juste titre dans le chef d’accusation. [p. 19] »

Dans l'affaire Champoux, j'ai un peu complété mon raisonnement. Dans cette affaire, le constat reprochait au défendeur une action susceptible de mettre en péril alors que la preuve faite concernait tant des actions que de la vitesse.

J'ai réitéré que l'infraction de l'«action» n'était pas moindre et incluse à celle de «vitesse» mais ajouté que la vitesse, quant à elle, constituait une «action»58 et qu'en conséquence l'infraction d'avoir circulé à une vitesse susceptible de mettre en péril la sécurité des personnes ou des biens était moindre et incluse à celle de l'action de mettre en péril:

«75 À l'inverse, lorsque l'on reproche une «action susceptible» et que la preuve ne révèle qu'une vitesse, le

58 op.cit note 45, par.73

Page 47: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

47

défendeur pourra être trouvé coupable de cette infraction d'«action», si la vitesse mise en preuve, dans les circonstances, est susceptible de mettre en péril la sécurité des personnes ou des biens, puisque la «vitesse» n'est autre chose que l'action d'aller vite.»

2.4: Les particularités et distinctifs de la conduite imprudente:

Les éléments intrinsèques de l'infraction de conduite imprudente sous l'article 327 du C.s.r. apparaissent plus clairement lorsqu'on en fait la comparaisons avec ceux des infractions criminelles de conduite dangereuse et de négligence criminelle des articles 219 et 249 du C.cr.

Évidemment, le premier élément de distinction entre notre infraction règlementaire et ces infractions de nature criminelle résidera dans la mens rea requise pour les dernières, aucune intention coupable n'étant requise pour la première.

C'est dans l'arrêt Hundal59que la comparaison débute, lorsque la Cour suprême mentionne que La conduite négligente d'un véhicule automobile peut être considérée comme un continuum où l'on va de l'inattention momentanée qui entraîne la responsabilité civile, en passant par la conduite imprudente prévue au code de la route d'une province, jusqu'à la conduite dangereuse sanctionnée par le Code criminel.

En matière de responsabilité civile, point n'est besoin d'une intention quelconque. La survenance du dommage et la simple faute de celui qui le cause l'entraîne en principe.

En matière de responsabilité criminelle, l'état d'esprit de l'accusé entre en ligne de compte: Il faut une certaine forme d'intention pour l'entraîner, un certain degré de mens rea.

C'est dans cette perspective que la Cour suprême dans l'arrêt Hundal mentionne que la mens rea de l'infraction de conduite dangereuse de l'article 249 du C.cr. doit s'apprécier d'une façon «objective modifié», en ce sens que la conduite de l'accusé est appréciée objectivement mais en tenant compte de toutes les circonstances et évènements qui l'entourent. C'est ce qui ressort du passage suivant des motifs du juge Cory, à la page 886 de l’arrêt :

« Quoiqu’il faille appliquer un critère objectif `l’infraction de conduite dangereuse, il sera tout de même loisible à l’accusé de faire naître un doute raisonnable quant à savoir si une personne raisonnable aurait été consciente des risques inhérents à son comportement. Une certaine souplesse s’impose dans l’application du critère. En d’autres termes, le critère

59 R. c. Hundal, (1993) 1 R.C.S. 867

Page 48: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

48

objectif est à appliquer non pas dans l’abstrait mais dans le contexte des évènements entourant l’incident en question. »

(Mes soulignés)

Le juge Cory conclut, à la page 888, que le juge du procès, en faisant l’appréciation des faits de la cause, « doit être convaincu qu’il s’agit d’un comportement qui représentait un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable dans la situation de l’accusé ».

Comme la culpabilité repose sur la négligence, la Cour suprême propose dans cet arrêt d'apprécier objectivement la conduite de l'accusé pour déterminer s'il a satisfait à la norme appropriée de diligence tout en permettant, à la lumière des explications fournies par l'accusé, de considérer si une personne raisonnable, dans le contexte particulier des évènements en cause, aurait été consciente des risques inhérents à son comportement.

La même approche a été reprise par la Cour dans l'arrêt Beatty60. Dans cet arrêt, la Cour réitère que la négligence pénale, par opposition à la négligence civile, tient compte non seulement d'un comportement qui déroge à la norme de diligence reconnue mais aussi de l'état mental de l'auteur de l'infraction.

Pour la Cour, en matière d'infractions criminelles fondées sur a négligence, le critère à appliquer demeure celui établi dans l'arrêt Hundal.

Il ressort de ces décisions qu'au niveau de l'actus reus, il faut apprécier l'acte posé par l'accusé en fonction de la norme de diligence requise par la nature de 'infraction.

En ce qui a trait à la conduite dangereuse de l'article 249 du C. cr., l'acte doit s'écarté de façon marqué de la norme de diligence, c'est-a-dire de la personne raisonnable placé dans les mêmes circonstances.

C'est à partir de ces décisions que s'est développé le concept que l'infraction de conduite imprudente de l'article 327 devait s'apprécier en comparant le comportement du défendeur avec celui d'une personne raisonnablement prudente, mais placée dans les mêmes circonstances.

La différence entre l'actus reus de la conduite dangereuse du C. cr. et celui de la conduite imprudente du C. s.r. se situe dans le degré d'écart entre la conduite que l'on apprécie et celle de l'homme raisonnable placé dans les mêmes circonstances. La première demande un écart marqué alors que la seconde, un simple écart.

60 R. c. Beatty, (2008) 1 R.C.S. 49

Page 49: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

49

L'arrêt de principe en cette matière est celui de la Cour supérieure dans Carrier c. Ville de Lévis»61où le juge Gagnon mentionne ce qui suit:

«15 Si l’article 327 C.s.r. vise à sanctionner la conduite imprudente d’un véhicule routier, celle-ci diffère toutefois de la conduite téméraire et dérég lée de l’article 219 C.cr. et de celle constituant un écar t marqué par rapport à la norme de diligence qu’aurai t observée une personne raisonnable exigée par la conduite dangereuse de l’article 249 C.cr. 62

16 Il y a en effet violation de l’article 327 C.s. r. dès que le comportement du défendeur s’écarte de celui d’une personne raisonnable et soucieuse de la sécur ité routière, eu égard aux personnes et aux biens, plac ée dans des circonstances analogues .63 Il s’agit donc là d’une norme objective. 64 Peu importe que subjectivement le défendeur ait ou non voulu les conséquences possibles de son action ou de sa conduite. 65

61 Op.cit. note 43

62 Directeur des poursuites publiques c. Medhat, J.E. 2008-226 (C.Q.); Sainte-Foy (Ville) c. Rochon,

[2000] J.Q. (Quicklaw) no 3214 (CM); Québec (Procureur général) c. Champeau, 2008 QCCQ 2478

63 Laval (Ville de) c. Lévesque, CM Laval, no 011142897, 4 décembre 2007, j. Fournier, Québec (Ville

de) c. Landry, C.M. Québec, no 66867732, 25 mai 2006, j. Vachon; Varennes (Ville de) c. Danis, 2006 QCCS 510; Laval (Ville de) c. Fourniol, J.E. 91-81 (C.M.); Alma (Ville d’) c. Bédard C.M. Alma, no 06-00093, 19 juin 2006, j. Morency; Alma (Ville d’) c. Gagné, C.M. Alma, no 06-00247, 25 septembre 2006, j. Morency : Laval (Ville de) c. Kastelloriziou, C.M. Laval, no 0110152708, 27 octobre 2006, j. Lalande; Alma (Ville d’) c. Plourde, C.M. Alma, no 06-00088, 6 décembre 2006, j. Morency; Alma (Ville d’) c. Simard, C.M. Alma, no 06-00367, 6 décembre 2006, j. Morency; Joliette (Ville de) c. Grenier, C.M. Joliette, no 06-2734-9, 14 décembre 2006, j. Beauséjour; Sainte-

Foy (Ville de) c. Rochon, [2000] J.Q. (Quicklaw) no 3214 (CM); Procureur général du Québec c.

Croteau, C.Q. Saint-Jérôme, no 700-61-064659—052, 31 mai 2006, j. Duperron Roy)

64 Québec (Ville de) c. Landry, CM. Québec no 66867732, 25 mai 2006, j. Vachon; Québec

(Procureur général) c. Fitzmorris, B.E. 2007BE-455 (CQ.); Shawinigan (Ville de) c. Arsenault (CM St-Maurice, no 0801763344, 11 octobre 2006, j. Trudel; Collines de L’Outaouais (Municipalité

régionale de comté) c. Giselbrecht, [2005] J.Q. (Quicklaw) no 24130; (C.M.)

65 Laval (Ville de) c. Lévesque, C.M. Laval, no 011142897, 4 décembre 2007, j. Fournier, Procureur

général du Québec c. Meury, C.Q. Québec no 200-61-072914-029, 20 janvier 2004, j. Pelletier.

Page 50: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

50

17 Aucune preuve d’intention coupable, de négligence grave ou d’insouciance n’est alors requise. 66 Une simple conduite qui ne représente pas le soin exigé ou qui ne démontre pas de souci pour les risques qu’elle fait encourir aux autres suffit. 67

18 Il est de jurisprudence constate qu’il n’est pa s essentiel, pour que soit commise l’infraction, que la vitesse ou l’action crée un actuel danger. Un dang er potentiel et raisonnablement prévisible, pouvant résulter de la conduite du défendeur, suffit. 68

19 L’article 327 C.cr. couvre, en effet, toute situation qui constitue un danger ou un risque immédiat pour la sécurité des personnes et de la propriété, dans son sens large 69 ou, en d’autres termes, qui est susceptible de causer (ou qui aurait pu raisonnablement produire) 70 des dommages, aussi minimes soient-ils. 71

66 Québec (Procureur général) c. Bélanger, 2007 QCCQ 15730; Shawinigan (Ville de) c. Arsenault,

C.M. St-Maurice, no 0801763344, 11 octobre 2006, j. Trudel; Collines de L’Outaouais

(Municipalité régionale de comté) c. Giselbrecht [2005] J.Q. (Quicklaw) no 24130 (C.M.); Québec

(Procureur général) c. Champeau, 2008 QCCQ 2478.

67 Collines de L’Outaouais (Municipalité régionale de comté) c. Giselbrecht, [2005] J.Q. (Quicklaw)

no 24130; (C.M.)

68 Collines de L’Outaouais (Municipalité régionale de comté) c. Giselbrecht, [2005] J.Q. (Quicklaw) no 24130; (C.M.); R. c. Boulianne, [1996] J.Q. (Quicklaw) no 4989 (C.M.); Shawinigan (Ville de) c.

Arseneault, C.M. St-Maurice, no 0801763344, 11 octobre 2006, j. Trudel; Laval (Ville de) c.

Fourniol, J.E. 91-81 (C.M.); Québec (Procureur général) c. Bélanger, 2007 QCCQ 15730; Varennes

(Ville de) c. Danis, 2006 QCCS 510; Laval (Ville de) c. Lévesque, C.M. Laval, no 0111424897, 4 décembre 2007, j. Fournier; Québec (Procureur général) c. Champeau, 2008 QCCQ 2478; Québec

(Procureur général) c. Neil, 2007 QCCQ 13417; St-Thomas (Municipalité de) c. Durand, C.M. Joliette, no 06-02754-1, 23 janvier 2007, j. Beauséjour; Québec (Ville de) c. Landry, C.M. Québec, no 66867732, 25 mai 2006, j. Vachon.

69 Laval (Ville de) c. Lévesque, C.M. Laval, no 0111424897, 4 décembre 2007, j. Fournier.

70 Alma (Ville de) c. Gagné, C.M. Alma, no 06-00247, 25 septembre 2006, j. Morency.

71 Collines de L’Outaouais (Municipalité régionale de comté) c. Giselbrecht, [2005] J.Q. (Quicklaw)

no 24130; (C.M.); St-Thomas (Municipalité de) c. Durand, C.M. Joliette, no 06-02754-1, 23 janvier 2007, j. Beauséjour.

Page 51: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

51

20 En somme, si le tribunal est convaincu que le geste commis par l’appelant en est un qui représent e un écart qui ne peut se réconcilier avec le comportement d’une personne raisonnable placée dans des circonstances analogues et que, dommages ou non, ce geste aurait pu en causer, il doit, sous réserve d’une défense de diligence raisonnable, le déclarer coupable d’avoir contrevenu à l’article 32 7 c.cr.»

La Cour d'appel, sans le dire clairement, semble être en accord avec cette perception. Dans l'arrêt «Bélanger c. R.»72mentionne ce qui suit à cet égard:

«11 L’enjeu n’est pas de déterminer si l’appelant a conduit de manière imprudente, au sens de la négligence civile ou au sens du Code de la sécurité routière, en dépassant la double ligne à un endroit où la visibilité était réduite et alors que sa vision des voitures venant en sens inverse était limitée par l a taille de la camionnette Ford. La question qui se pose ici est celle de savoir si le Ministère public a établi que le comportement de l’appelant fait voir une faute péna le qui justifie sa condamnation et, éventuellement, un e peine d’emprisonnement.

12 Dans les arrêts Desbiens 73 et Dorval 74, la Cour rappelle l’importance de bien distinguer la néglige nce civile de la négligence pénale dans l’appréciation de la conduite fautive. À ce propos, la juge Charron écri t dans Beatty 75 que l’écart de la norme qui se rapporte à la négligence civile ne suffit pas à établir la fau te pénale. Il faut également tenir compte de l'état me ntal de l'auteur de l'infraction :

Le critère objectif modifié établi par la jurisprudence de la Cour reste le critère approprié pour déterminer

72 2011 QCCA 1598 (CanLII)

73 Desbiens c. R., 2009 QCCA 1670, paragr. [22] à [24].

74 Dorval c. R., 2010 QCCA 2287, motifs déposés 2010 QCCA 2287, paragr. [30] à [34].

75 Supra, note 1, paragr. [7] et [8].

Page 52: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

52

la mens rea requise dans le cas des infractions criminelles fondées sur la négligence. Comme son nom le suggère, ce critère applicable à la négligence pénale « modifie », et ce, à deux égards importants, la norme purement objective utilisée pour statuer sur la négligence civile. Premièrement, les circonstances de l’infraction doivent démontrer un « écart marqué » par rapport à la norme civile. Un simple écart par rapport à la norme que respecterait une personne raisonnablement prudente satisfera au critère préliminaire de la négligence civile, mais il ne sera pas suffisant pour établir la responsabilité en matière de négligence pénale. La distinction entre un simple écart et un écart marqué par rapport à la norme est une affaire de degré. Ce n’est que lorsque le comportement satisfait au critère plus élevé que le tribunal peut conclure, en se fondant sur ce seul comportement, à l’existence d’un état mental blâmable.

Deuxièmement, contrairement au critère applicable dans le cadre de la négligence civile, qui ne tient pas compte de l’état mental du conducteur, le critère objectif modifié utilisé en matière de négligence pénale ne peut faire abstraction de l’état mental véritable de l’accusé. La mens rea objective repose sur le principe selon lequel une personne raisonnable, dans une situation semblable à celle de l’accusé, aurait été consciente des risques inhérents à son comportement. La faute consiste dans l’absence de l’état mental de diligence requis. Par conséquent, l’accusé ne saurait éviter une déclaration de culpabilité en disant simplement qu’il ne pensait pas à sa façon de conduire. Toutefois, s’il parvient à faire douter raisonnablement le tribunal qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation aurait été consciente des risques inhérents à son comportement, la prémisse justifiant la conclusion de faute objective se trouve dépourvue de fondement et l’acquittement s’impose. L’analyse est donc de nature contextuelle et des moyens de défense comme l’incapacité et l’erreur de fait peuvent être invoqués. Cette démarche est nécessaire pour garantir le respect du principe fondamental de justice

Page 53: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

53

pénale selon lequel une personne innocente ne doit pas être punie.

...

«24 L’évaluation faite par la juge du caractère marqué de l’écart par rapport à la norme n'a pas ét é effectuée en plaçant la personne raisonnable dans l a situation de l’appelant, en tenant compte de son ét at d’esprit. En fait, son appréciation de l’écart marq ué semble s’inférer uniquement du fait que l’appelant a dépassé la double ligne en roulant à 100 km/h. La j uge écrit au paragraphe [15] que « [l]e fait de dépasse r sur une ligne double continue constitue un écart marqué par rapport à une conduite d’une personne raisonnable » et encore au paragraphe [22] que « [. ..] l’écart marqué est celui d’avoir pris la décision d e dépasser sur une ligne double continue, donc à l’encontre des consigne du Code de la sécurité routière ». Conduire de la sorte peut constituer un écart, mais il ne constitue pas forcément un écart marqué au sens que lui donne l’arrêt Beatty. Dans l e continuum identifié dans Hundal, l'infraction au Co de de la sécurité routière dont parle la juge ne suffi sait pas pour condamner l'appelant. Il a peut-être fait preu ve d'imprudence au sens du Code de la sécurité routièr e, mais sa conduite ne peut aucunement être qualifiée de « dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l'état du lie u, l'utilisation qui en est faite ainsi que l'intensit é de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisib le dans ce lieu », comme l'exige l'article 249 du Code criminel.»

(Mes soulignés)

Une excellente étude de l'ensemble de la jurisprudence sur la question a été faite par le juge Robert Beauséjour de la Cour municipale de Joliette dans l'affaire «Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Loranger»76. Il y cite d'ailleurs deux décisions du juge Yves

76 C.M. Joliette, no. 11-50420-8, 11 janvier 2012

Page 54: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

54

Fournier de la Cour municipale de Laval qui, à mon humble avis, résument bien l'état du droit.77

Dans l'affaire Bélanger, le juge Fournier avait mentionné ce qui suit:

« ¶ 31 La conduite négligente d'un véhicule automobile peut être associée à un phénomène progressif dont on ne peut considérer une partie que par abstraction et où le point de départ se voudrait l'inattention momentanée qui fait surgir la responsabilité civile, en passant par la conduite imprudente prévue au Code de la sécurité routière pour aboutir à la conduite dangereuse sanctionnée par le Code criminel. Certaines décisions ont semblé confondre les deux dernières formes de conduite.

¶ 32 S'agissant d'une infraction de responsabilité stricte, le défendeur pourra présenter une défense de diligence raisonnable ou d'erreur de fait.

¶ 33 La conduite encadrée par l'article 327 C.S.R. devra être appréciée objectivement et dans un contexte de tous les événements entourant l'incident ou les incidents.

¶ 34 L'application d'une norme objective est commandée par l'article 327 C.S.R. considérant la nécessité de réduire la multiplication de cette catégorie d'infractions sur nos routes. Conséquemment la question à se poser est de savoir si du point de vue objectif, le conducteur a satisfait à la norme appropriée de diligence, et non pas de savoir s'il a subjectivement voulu les conséquences possibles de son action. »

et dans l'affaire Lévesque:

« [18] La conduite décrite à l'article 327 C.S.R. devra être appréciée objectivement et dans un contexte de tous les ingrédients enveloppant l’infraction reprochée. La question est de savoir si du point de vue objectif, le conducteur a satisfait à la norme appropriée de diligence, et non pas de savoir s'il a subjectivement voulu les conséquences possibles de son action.

...

[22] Le Tribunal doit être convaincu qu'il s'agit d'une action, d'une manœuvre ou d'un comportement que représente un écart qui ne peut se réconcilier avec le comportement de l'homme raisonnable. Il n'a pas à attendre l'écart marqué tel que requiert la conduite dangereuse sous l'empire du Code criminel. Il faut donc retrouver la conviction qu'une personne raisonnable dans des circonstances analogues aurait dû être

77 Ville de Laval c. Bélanger, (1999) J.Q. no. 2814; Ville de Laval c. Lévesque, C.M. Laval, no. 0111424897, 4

décembre 2007

Page 55: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

55

consciente du risque et du danger inhérents au comportement du défendeur.

[23] L'existence de la faute sera prouvée si cette action manifeste un manque de diligence jugé selon la norme d'un "homme raisonnable dans les circonstances". Le défendeur ne saurait se disculper en prétendant qu'il croyait être prudent.

[24] Conséquemment, la faute pourra à l'occasion résider dans la négligence ou même dans l'inconscience. Je le rappelle, la norme applicable dans la façon de conduire se veut une norme de comportement raisonnable laquelle se prête facilement à jugement par quiconque. Le défendeur a-t-il manqué de façon palpable à cette norme? Telle est la question. »

On peut donc résumer l'état du droit relatif à l'article 327 du C.s.r en disant que la conduite du défendeur, suivant l'ensemble des circonstances mises en preuve, doit s'écarter du comportement d'une personne raisonnable, soucieuse de la sécurité routière, placée dans les mêmes conditions et doit se traduire par une situation qui constitue un danger immédiat, un risque pour la sécurité des personnes ou la propriété.

Il m'apparait important d'ajouter que la conduite imprudente de l'article 327 du C.s.r. n'a rien à voir avec la légalité ou l'illégalité des actes posés. Il ne s'agit pas d'une question de légalité ou d'illégalité de l'acte posé mais d'une analyse objective de la situation de faits en cause à travers les yeux d'une personne raisonnablement prudente et soucieuse de la sécurité routière, placée dans les mêmes circonstances. Dans plusieurs décisions de nos tribunaux, des gestes qui ne sont pas interdits par la loi, ont été considérés comme des actions susceptibles de mettre en péril la sécurité des personne ou la propriété, compte tenu des circonstances.

Ainsi, dans une affaire de «Laval (Ville de) c. Provençal»78, mon collègue, le juge Yves Fournier, à considéré que le fait de porter des verres fumés le soir en conduisant dans un secteur non éclairé, fréquenté par des voitures, des cyclistes et des piétons, constituait une action susceptible de mettre en péril la sécurité des personnes ou la propriété.

Dans la cause de «Québec (Ville de) c. Voyer»79, le juge Paulin Cloutier a considéré, quant à lui, que le fait de circuler en regardant à l'arrière dans son rétroviseur, pendant 10 à 15 secondes, constituait une action qui se démarquait du comportement d'une personne raisonnablement prudente et soucieuse de la sécurité d'autrui.

78 C.M. Laval, 0210095298, 12 mai 2009

79 C.M. Québec, 78095334, 12 mars 2009

Page 56: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

56

Dans «Ville de Salaberry-de-Valleyfield c. Caron»80, j'ai considéré comme une action imprudente en vertu de l'article 327 du C.s.r. le fait de conduire un véhicule en hiver muni de pneus d'été, même si le conducteur n'était pas tenu d'installer des pneus d'hiver sur son véhicule, ce dernier étant muni d'une plaque amovible «X».

2.5: Une évolution possible ?

Au cours de mes recherches j'ai eu l'occasion de retracer deux décisions de tribunaux d'appels qui portent à réfléchir sur une évolution possible de l'appréciation du caractère de négligence des actes composant la conduite imprudente du Code de La sécurité routière.

Il s'agit d'une décision de la Cour d'appel d'Ontario dans l'affaire «R. c. Richards»81, reprise par notre propre Cour d'appel dans l'affaire Desbiens c. R.»82. Ces deux décisions ont été rendues dans le cadres d'infractions relevant du Code criminel, mais la pensée qui y est développée pourrait peut-être trouver application sous l'article 327 du C.s.r. Là se situe en fait la question.

Dans Richards, il s'agissait d'un grave accident survenu sur une autoroute de la région d'Ottawa où le conducteur avait perdu la maîtrise de son véhicule, traversé le terre-plein et heurté un pylône se trouvant de l'autre côté. Sous l'impact, le véhicule a explosé, entrainant la mort instantanée des passagers.

L'enquête ayant révélée, entre autre, que le conducteur circulait a une vitesse d'au moins 119 Km/h dans une zone où la vitesse maximale permise était de 100 Km/h, alors que la vitesse moyenne des véhicule à cet endroit était se situait généralement entre 103 et 133 Km/h.

Le conducteur fut donc accusé sous deux chefs de conduite dangereuse causant la mort.

Vu le verdict d'acquittement en première instance, la Couronne portait l'affaire devant la Cour d'appel.

La Cour d'appel commence par rappeler que l'infraction de conduite dangereuse du Code criminel requière la démonstration d'un «écart marqué» entre la conduite observée du défendeur et celle d'un conducteur raisonnablement prudent. Par contre elle continue en suggérant que le critère du «conducteur raisonnablement prudent» ne doit s'apprécier in abstracto, mais bien in concreto, ce qui signifie que l'on doit tenir compte des habitudes de conduite générales à l'endroit en cause.

80 C.M. Salaberry-de-Valleyfield, no. 1100427-3, 10 novembre 2011

81 C.A. (ont.), No. C35403, 12 mars 2003.

82 2009 QCCA 1670

Page 57: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

57

La Cour a posé le principe en ces termes:

«[14] While the trial judge found that the respondent was travelling at a minimum speed of 119 kilometres per hour when his vehicle left the highway, no opinion evidence was led concerning the applicable increase to that minimum speed estimation to be made when consideration of the impact with the pillar is taken into account. The evidence of the lay witnesses indicated that the respondent's rate of speed on impact was between 80 to 120 kilometres per hour. In addition, and of more importance, there was evidence at trial from a police officer that, although the posted speed in the area of the accident is 100 kilometres per hour, speeds in the passing lane of up to 130 kilometres per hour are not uncommon. In the slower right-hand lane, speeds range from 80 to 110 kilometres per hour, depending on traffic.

[15] Accordingly, the respondent's actual rate of speed, which was not quantified at trial, is a live issue. Given the evidence which indicated the speeding practices of other drivers on the highway where the accident occurred, we are not persuaded that the demonstrated evidence supports no conclusion other than the conclusion that the respondent's driving was a marked departure from the standard of care of a reasonable driver in a similar situation. A new trial must be held to determine that central issue.»

(Mes soulignés)

Dans Desbiens, notre Cour d'appel a repris le même raisonnement. Il s'agissait, là encore, d'une accusation de conduite dangereuse causant la mort.

Voici ce que dit la Cour d'appel:

«14 La preuve est concluante : les conducteurs ne respectent généralement pas la limite de vitesse sur la rue Notre-Dame et circulent habituellement à 60, 65 et même 70 km/h. C'était le cas au moment des événements. Il s'agit d'un élément de preuve dont on doit tenir compte au moment de déterminer si la conduite de l'appelant constitue un écart marqué par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable placée dans la même situation : R. c. Richards (2003), 174 C.C.C. (3d) 154, paragr. 15 (C.A. Ont.).

...

Page 58: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

58

21 En examinant toutes les circonstances de l'espèce, peut-on vraiment parler d'une conduite dangereuse qui s'écarte de façon marquée de la norme? Nous ne le croyons pas.

...

25 En traversant l'intersection, l'appelant a peut-être fait preuve d'imprudence au sens de l'article 327 du Code de la sécurité routière, mais sa conduite ne peut aucunement être qualifiée de « dangereuse pour le public, eu égard aux circonstances, y compris la nature et l'état du lieu, l'utilisation qui en est faite ainsi que l'intensité de la circulation à ce moment ou raisonnablement prévisible dans ce lieu », comme l'exige l'article 249 du Code criminel.

26 Il est impossible d'affirmer que la vitesse de l'appelant au moment de la collision (comparable ou légèrement supérieure à celle des autres conducteurs), même si on la considère à la lumière des événements qui l'ont précédée, et sa manière de conduire (contourner le véhicule qui le précédait au moment où ce dernier s'est arrêté et traverser l'intersection en ligne droite) sont telles qu'elles permettent d'atteindre le degré de gravité requis. De plus, il n'y avait ni arrêt obligatoire, ni feu de circulation. La preuve de l'actus reus n'a donc pas été faite.

27 Conduire de la sorte et tenir pour acquis, dans les circonstances de l'espèce, qu'une automobile ne viendra pas bloquer la voie de droite au moment de traverser, constitue peut-être une imprudence, un simple écart, mais ne peut constituer ici un écart marqué au sens que lui donne la jurisprudence. C'est une question de degré que la preuve ne permet pas d'atteindre et la mens rea n'a donc pas davantage été établie.»

(Mes soulignés)

En matière de conduite imprudente sous l'article 327 du C.s.r., nous savons que la norme de comparaison est celle d'un écart qui ne peut se réconcilier avec le comportement de l'homme raisonnable placé dans les mêmes circonstances, ce qui est différent de l'écart marqué sous le Code criminel, mais ne devons-nous pas tenir quand même compte du comportement général des conducteurs à l'endroit en cause pour déterminer si le comportement du défendeur s'écarte de la norme de diligence requise.

Comme on peut le lire au paragraphe 25 de l'arrêt Desbiens, la Cour d'appel ne dit pas clairement et fermement non. Elle ne fait que mentionner qu'il est possible, sans l'affirmer, que la conduite du défendeur ait pu constituer une conduite imprudente au sens de l'article 327 du C.s.r. Il me semble que la porte est grande ouverte. La Cour n'a pas

Page 59: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

59

remis en question cette façon de voir malgré qu'elle ait eue au moins trois occasions de commenter l'arrêt Desbiens.83

On peut facilement imaginer des situations où un conducteur, malgré qu'il contrevienne dans sa conduite générale à plusieurs règles de circulation ne conduit pas différemment de la majorité des conducteurs québécois. Sa conduite peut-elle dès lors être qualifiée d'imprudente au sens de l'article 327 lorsqu'elle s'apparente à celle des autres ? La question reste à trancher.

Merci de votre attention

Michel Lalande j.c.m.

83 Voir à cet effet: Bélanger c. R, op.cit note 62 ; Dorval c. R, op. cit note 64; Tremblay c. R., 2012 QCCA

675 (CanLII)

Page 60: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

60

Page 61: LES ARTICLES 202.2 ET 327 DU CODE DE LA SÉCURITÉ …apcmq.com/contenu/membres/formations/Conf. 202.2 et... · 2 INTRODUCTION La présente formation porte sur l'état du droit concernant

61