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S 18 L’Encéphale, 2005 ; 31 : 18-20, cahier 2 Les critères de rémission dans la schizophrénie P. GORWOOD (1) (1) INSERM U675, 16, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France. INTRODUCTION La prise en charge de la schizophrénie se base sur la reconnaissance précise et rapide du trouble, la prise en considération des facteurs potentiellement impliqués pour chaque patient, le choix pharmacologique et psychothé- rapeutique qui semblent les plus adaptés, et l’établisse- ment d’un objectif pronostic réalisable. En dehors de la prise en charge singulière proposée par les psychiatres traitant un sujet souffrant de schizophrénie, la définition des objectifs de soins dans les études épidémiologiques et pharmacologiques ont un intérêt majeur. En effet la reproductibilité des résultats attendus face à une certaine prise en charge requiert l’existence de critères précis et valides. Par exemple, la baisse de 50 % du score de la MADRS est généralement considérée comme un bon index de réponse aux antidépresseurs, et le score de 15 est globalement considéré comme témoignant d’une rémission de l’épisode dépressif. Pour la schizophrénie, les choses sont nettement plus complexes, et ce n’est que très récemment que les premiers critères de rémission ont été proposés (1). Pourquoi un tel retard dans la schizo- phrénie ? DES CONCEPTS PEU PRÉCIS ET ÉVOLUTIFS L’une des premières raisons à la difficulté de concep- tualiser des critères unanimes de rémission dans la schi- zophrénie pourrait être liée à la langue. En effet, l’essentiel de la littérature étant, qu’on le veuille ou non, de nature anglo-saxonne, la terminologie utilisée en France et en pays anglophone n’a pas une correspondance stricte. Si la therapeutic response est bien similaire à la réponse thé- rapeutique, le concept de rémission renvoie à des con- cepts variés, la rémission pouvant être symptomatique (baisse de l’intensité des symptômes), syndromique (baisse des critères jusqu’à ce qu’il ne soit plus possible de poser le diagnostic) ou fonctionnelle (baisse du reten- tissement fonctionnel du trouble). Dans la littérature anglo- saxonne, la terminologie évoque plus aisément les con- cepts de partial remission (pour rémission symptomati- que), complete remission (syndromique) et functional remission (fonctionnelle). Il existe une confusion sur le concept de recovery, que les Français assimilent souvent à guérison, alors qu’il s’agit plutôt d’un rétablissement. De fait, le terme de cured (guérison en anglais) est très peu utilisé dans la littérature internationale sur la schizophré- nie. Ces variations terminologiques n’ont certainement pas facilité l’établissement de termes communs pour les objectifs de soin dans la schizophrénie. L’époque, comme la langue, peut avoir un impact majeur sur la critériologie. Le passage du DSM III-R au DSM IV a surtout été marqué par des modifications sou- vent mineures des critères de l’ensemble des troubles psychiatriques, mais, pour la schizophrénie, un change- ment intéressant a été observé. En effet, le DSM III-R pro- posait déjà le critère évolutif de rémission, en se focalisant sur la disparition des signes du trouble. Mais le DSM IV propose dorénavant des critères de rémission complète, cette fois basée sur l’absence de symptôme résiduel per- sistant, sans tenir compte des manifestations du trouble. Ce passage du DSM, manuel critériologique proche des critères de l’OMS (ICD-10) et largement utilisé dans le monde, signe donc une différence dans les moyens de repérer et coter un pattern spécifique évolutif. En effet, le concept de rémission complète est dorénavant reconnu, et sans risque de confusion avec la notion de guérison, puisque le concept de disparition des signes du trouble (donc de guérison) laisse la place à la notion de symptô- mes résiduels.

Les critères de rémission dans la schizophrénie

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S 18 L’Encéphale, 2005 ; 31 : 18-20, cahier 2

Les critères de rémission dans la schizophrénie

P. GORWOOD (1)

(1) INSERM U675, 16, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France.

INTRODUCTION

La prise en charge de la schizophrénie se base sur lareconnaissance précise et rapide du trouble, la prise enconsidération des facteurs potentiellement impliqués pourchaque patient, le choix pharmacologique et psychothé-rapeutique qui semblent les plus adaptés, et l’établisse-ment d’un objectif pronostic réalisable. En dehors de laprise en charge singulière proposée par les psychiatrestraitant un sujet souffrant de schizophrénie, la définitiondes objectifs de soins dans les études épidémiologiqueset pharmacologiques ont un intérêt majeur. En effet lareproductibilité des résultats attendus face à une certaineprise en charge requiert l’existence de critères précis etvalides. Par exemple, la baisse de 50 % du score de laMADRS est généralement considérée comme un bonindex de réponse aux antidépresseurs, et le score de 15est globalement considéré comme témoignant d’unerémission de l’épisode dépressif. Pour la schizophrénie,les choses sont nettement plus complexes, et ce n’est quetrès récemment que les premiers critères de rémission ontété proposés (1). Pourquoi un tel retard dans la schizo-phrénie ?

DES CONCEPTS PEU PRÉCIS ET ÉVOLUTIFS

L’une des premières raisons à la difficulté de concep-tualiser des critères unanimes de rémission dans la schi-zophrénie pourrait être liée à la langue. En effet, l’essentielde la littérature étant, qu’on le veuille ou non, de natureanglo-saxonne, la terminologie utilisée en France et enpays anglophone n’a pas une correspondance stricte. Sila therapeutic response est bien similaire à la réponse thé-rapeutique, le concept de rémission renvoie à des con-cepts variés, la rémission pouvant être symptomatique

(baisse de l’intensité des symptômes), syndromique(baisse des critères jusqu’à ce qu’il ne soit plus possiblede poser le diagnostic) ou fonctionnelle (baisse du reten-tissement fonctionnel du trouble). Dans la littérature anglo-saxonne, la terminologie évoque plus aisément les con-cepts de partial remission (pour rémission symptomati-que), complete remission (syndromique) et functionalremission (fonctionnelle). Il existe une confusion sur leconcept de recovery, que les Français assimilent souventà guérison, alors qu’il s’agit plutôt d’un rétablissement. Defait, le terme de cured (guérison en anglais) est très peuutilisé dans la littérature internationale sur la schizophré-nie. Ces variations terminologiques n’ont certainementpas facilité l’établissement de termes communs pour lesobjectifs de soin dans la schizophrénie.

L’époque, comme la langue, peut avoir un impactmajeur sur la critériologie. Le passage du DSM III-R auDSM IV a surtout été marqué par des modifications sou-vent mineures des critères de l’ensemble des troublespsychiatriques, mais, pour la schizophrénie, un change-ment intéressant a été observé. En effet, le DSM III-R pro-posait déjà le critère évolutif de rémission, en se focalisantsur la disparition des signes du trouble. Mais le DSM IVpropose dorénavant des critères de rémission complète,cette fois basée sur l’absence de symptôme résiduel per-sistant, sans tenir compte des manifestations du trouble.Ce passage du DSM, manuel critériologique proche descritères de l’OMS (ICD-10) et largement utilisé dans lemonde, signe donc une différence dans les moyens derepérer et coter un pattern spécifique évolutif. En effet, leconcept de rémission complète est dorénavant reconnu,et sans risque de confusion avec la notion de guérison,puisque le concept de disparition des signes du trouble(donc de guérison) laisse la place à la notion de symptô-mes résiduels.

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EST-IL PERTINENT D’OPÉRATIONALISER DES CRITÈRES DE RÉMISSION DANS LA SCHIZOPHRÉNIE ?

Le premier impératif pour trouver de la pertinence à pro-poser un concept consensuel de rémission dans la schi-zophrénie est que la possibilité d’évolution de cette mala-die englobe ce type d’évolution. Le clinicien est parfoisdubitatif sur la notion de rémission comme objectif théra-peutique, mais cet état d’esprit se base sur son expérienceclinique, par définition biaisée vers les patients sévèreset ayant accès aux soins.

Une étude récente a, par exemple, porté sur 180 casde psychoses au sens large (incluant quelques cas ayantd’ores et déjà les critères de schizophrénie) et suivi cessujets sur 2 ans et demi (5). L’étude a montré qu’enincluant des sujets de sévérité variable, y compris modé-rée, les 100 sujets souffrant au départ de schizophréniese trouvaient en rémission syndromique pour 9 % d’entreeux à la fin du suivi. Certes, cette fréquence est bien infé-rieure au 50 % de rémission observée pour les psychosesnon-schizophréniques, mais la rémission syndromiquen’est pas non plus négligeable.

Si l’on compare les modalités évolutives de ces sujetssouffrant de schizophrénie aux sujets ayant un trouble thy-mique, on repère cette même rareté de la rémission fonc-tionnelle à 6 mois (4) de la schizophrénie (15 %) par rap-port aux bouffées délirantes aiguës (24 %) ou de ladépression (32 %), mais à nouveau, ces fréquences sontbien éloignées de l’absence de rémission de la pathologieschizophrénique (figure 1).

Ce concept de rémission est pourtant souvent et aisé-ment utilisé dans la dépression (guérison de l’épisode),pourquoi dépression et schizophrénie s’opposent-ellesdans ce pattern évolutif ? Certes, 60 % des épisodesdépressifs sont en rémission après leur prise en charge,mais en fait seuls 30 % sont en rémission complète. Il estdifficile de réduire l’explication de la différence d’utilisationdu concept de rémission entre dépression et schizophré-nie à une différence de fréquence, qui semble relativementmodeste. La différence pourrait s’expliquer plutôt par lanotion de qualité de rémission, qui semble meilleure dansla dépression du fait d’une plus grande possibilité de retourad integrum. Néanmoins, les études épidémiologiquesrécentes (2) ont montré que l’épisode dépressif majeurétait un facteur de risque considérable pour la récidive thy-mique, et que cela s’aggravait au fur et à mesure de cha-que récidive (3). Ainsi, la « maladie dépressive » ne sem-ble pas si éloignée du concept de schizophrénie. Sil’épisode « guérit », la vulnérabilité dépressive est un con-cept relativement stable, comme la psychose.

La réponse thérapeutique est un critère souvent utilisédans la littérature dans le traitement de la schizophrénie,mais renvoie à une vision réductrice et limitée dans le tempsdu soin. Dans la prise en charge des patients souffrant deschizophrénie, le terme de stabilisation est nettement plussouvent utilisé par les cliniciens, mais ne permet pas deprendre en considération le niveau d’amélioration. Notam-ment, les sujets chroniques et sévères peuvent être parfai-tement stabilisés. Dans ce registre, on conçoit que la notionde rémission dans la schizophrénie pourrait permettred’apporter un peu de clarté dans les objectifs thérapeuti-ques, mais encore faut-il trouver des critères à peu prèsunanimes. Notamment, il est difficile de savoir sur quelsdomaines le concept de rémission doit se reposer, lessymptômes, le fonctionnement, le syndrome ou la maladie.De fait, le terme de rémission pourrait avoir une double fonc-tion, c’est-à-dire nommer un mieux temporaire, ce qui signi-fie que cette amélioration est possible, mais aussi cristalli-ser les progrès thérapeutiques dans le précaire, et donc quecette amélioration pourrait être amenée à cesser. Le fait derecentrer le concept de rémission sur les symptômes et laqualité du fonctionnement (forcément instable), et non surl’épisode ou la maladie (concept basé sur toute la vie), per-mettrait de faire l’économie de telles difficultés. C’estd’ailleurs le choix fait récemment par un consensusd’experts américains. La rémission pourrait alors être unmoyen plus simple d’envisager le rétablissement. En effet,les concepts de réponse, de rémission et de rétablissementse suivent de manière relativement linéaire. Ne faut-il pasune amélioration des symptômes (réponse) sur quelquessemaines avant d’avoir le recul de quelques mois pourréaliser que les symptômes ont diminué (rémission symp-tomatique), parfois au point de ne plus avoir les critères dutrouble (rémission syndromique) ? Et ces derniers progrèssont vraisemblablement largement explicatifs du fait que,au bout de 6 à 12 mois, le fonctionnement social et cognitifpeuvent se rétablir pour certains patients (rétablissement).Formaliser ces premières étapes interventionelles a doncété l’objectif utile du consortium américain.

FIG. 1. — Devenir symptomatique et fonctionnel des patients schizophrènes et non schizophrènes. D’après Tohen et al. (4).

EDM : Épisodes Dépressifs MajeursBDA : Bouffées Délirantes AiguësSz-Af : Troubles Schizo-affectifsSz : Schizophrénie

100

90

80

70

60

50

40

30

20

10

0

0 4 8 12 16 20 24 28

Semaines après hospitalisation

Troubleschizohrénique

Troubleschizo-affectif

EDM + BDA

% d

e ré

mis

sion

syn

drom

ique

À 6 mois de suivi

• 81 % des EDM• 74 % des BDA• 70 % SZ-Af• 36 % des SZ

Rémissionsyndromique :

• 32 % des EDM• 24 % des BDA• 0 % des SZ-Af • 15 % des SZ

Recovery(rémissionfonctionnelle) :

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LES CRITÈRES DE LA RÉMISSION DANS LA SCHIZOPHRÉNIE

La multiplicité des échelles, la diversité des dimensionsen jeu, et la variabilité des critères clés de la schizophrénierendait l’établissement de critères de rémission complexe.L’originalité de ces critères pourrait se décliner sur troisfacettes. Tout d’abord, l’absence de choix sélectif, et doncexclusif, d’une seule échelle. Le consortium (1) a en effetplutôt choisi de repérer les symptômes majeurs de la schi-zophrénie (consensuels du diagnostic et fortement impli-qués dans l’impact de la qualité des patients) communsaux échelles le plus souvent utilisées, c’est-à-dire laSANS-SAPS, la PANSS et la BPRS. Autre point important,les critères proposés tiennent compte pour la première foisdu facteur temps. En effet, les symptômes considérés doi-vent être inférieurs à un score seuil, mais cela pour unedurée minimale de 6 mois, faisant ainsi bien la différenceentre la réponse (notion ponctuelle) et la rémission, quise veut un concept plus stable dans le temps. Enfin, leniveau de rémission symptomatique requis pour atteindrela rémission se veut assez stringent, puisque seul des sco-res mineurs sont tolérés, ce qu’il est possible d’observerchez des sujets non schizophrènes.

Ces critères sont proposés par une grande partie des« décideurs » dans le domaine de la recherche, clinique

et pharmacologique, sur la schizophrénie, et ont donc debonnes chances d’être d’une utilisation très générale. Ceciimplique que l’efficacité des traitements pourra doréna-vant être comparée non seulement pour l’impact immédiatsur le tableau clinique, mais aussi pour la capacité à ame-ner, à terme, les sujets à un niveau de rémission tel querémission syndromique et fonctionnelle.

Références

1. ANDREASEN NC, CARPENTER WT Jr, KANE JM et al. Remissionin schizophrenia : proposed criteria and rationale for consensus. AmJ Psychiatry 2005 ; 162 (3) : 441-9.

2. JUDD LL, AKISKAL HS, ZELLER PJ et al. Psychosocial disabilityduring the long-term course of unipolar major depressive disorder.Arch Gen Psychiatry 2000 ; 57 (4) : 375-80.

3. KESSING LV, ANDERSEN PK, MORTENSEN PB et al. Recurrencein affective disorder. I. Case register study. Br J Psychiatry 1998 ;172 : 23-8.

4. TOHEN M, STRAKOWSKI SM, ZARATE C Jr et al. The McLean-Harvard first-episode project : 6-month symptomatic and functionaloutcome in affective and nonaffective psychosis. Biol Psychiatry2000 ; 48 (6) : 467-76.

5. VEEN ND, SELTEN JP, SCHOLS D et al. Diagnostic stability in aDutch psychosis incidence cohort. Br J Psychiatry 2004 ; 185 :460-4.