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Les étoiles de Noss head, tome 5 : Origines, 2ème partieekladata.com/2IvSMh1Um18z401DxFkHvT_x_7M/5_Origines_-_2... · 2016-01-21 · (alinéa 1er de l’article L. 122-4). ... LES

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LeCodede lapropriété intellectuelle et artistiquen’autorisant, aux termesdes alinéas2 et 3del’articleL.122-5,d’unepart,queles«copiesoureproductionsstrictementréservéesàl’usageprivéducopisteetnondestinéesàuneutilisationcollective»et,d’autrepart,quelesanalysesetlescourtescitationsdansunbutd’exempleetd’illustration,«toutereprésentationoureproductionintégrale,oupartielle, faitesans leconsentementde l’auteuroudesesayantsdroitouayantscause,est illicite»(alinéa1erdel’articleL.122-4).«Cettereprésentationoureproduction,parquelqueprocédéquecesoit,constitueraitdoncunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticles425etsuivantsduCodepénal.»Pourlespublicationsdestinéesàlajeunesse,laLoin°49-956du16juillet1949,estappliquée.

©RebelleÉditions,2014.

ISBN:978-2-36538-252-6ISSN:2256-8301

RebelleÉditions29avenuedesGuineberts03100MONTLUÇON

www.rebelleeditions.com

LESETOILESDENOSSHEAD

5-ORIGINESDeuxièmepartie

SophieJOMAINRebelleÉditions(2014)

Vousn’existezpas,

Pourtant,j’ail’impressiondevousavoirtoujoursconnus.Vousêtesenmoi,Vousêtesmoi,

Cederniertome,jevousledédie.Àvous,meshérosdepapier.

LeithetHannah.

Notedel’auteur:SilamontagnedeBenHopeabriteuncertainnombredefaillesetdecavités,iln’estpasavéréque

celles-ci soient occupées, et encore moins aménagées d’habitations troglodytes. La cité souterrainegarolleaété imaginéepar l’auteurpour lesbesoinsde l’histoire.De lamêmemanière, l’utilisationdugaélique ne signifie nullement que lesmembres de laCommunauté du Sutherland ne parlent que cettelangue,elleestutilepourdésignerdestermesissusdelatraditiongarolle.L’anglaisestlalanguequ’ilspratiquentquotidiennement.

D’autrepart,afindepermettreauxlecteursdemieuxapprécierlalecture,lesnotesdebasdepageontétélimitées.Pourplusdeprécisionsurlestermesgaéliques,oupropresàl’histoire,l’auteurproposeunglossaireenfind’ouvrage.

Notedel’édition:Pourlesbesoinsdel’eBook,touslesaccentsontétéretirédesmotsétrangers(gaéliqueetroumain)

Prologue

Àlafindutomeprécédent…

Leith se tenait à quelques pas demoi. Lesmains derrière le dos, la tête haute, le corps solide, ilembaumaittout,dominaittout,évinçaittout.

Ilétaitmagnifique.Viril.Sauvage.Ilétaitàmoi.Jel’avaisretrouvé.Lesyeuxinondésdelarmes,lecœursurlepointd’exploser,jecourusversluisansmêmeprononcer

sonnom.—Vousn’allezpasdanslabonnedirection!m’interpellaungardegalbroenmeretenantparl’épaule.Monregardcroisafurtivementlesien,jenevoulaispasperdreLeithdevue.—Lâchez-moi.—Nousavonsdesordres,ilvousfautdescendre.Mais…maisvousêtesunefoal-creutair!—Lâchez-moi!Exaltée,jem’emparaidesonpoignet,luitordislebrasàlefairehurler,etleprojetaidetoutesmes

forcesàplusieursmètres,aubeaumilieudeshabitantsqui risquaientsévèrementdes’échauffer.Jemedétournai etme dirigeai de nouveau vers Leith. Il avait déjà bien avancé, perdu dans cette foule quis’épaississait.Lesgenscommençaientàsebousculeràl’entréedel’escalierquilesmèneraitauniveauinférieur.Leithlessuivaitdocilement,leregardfixe.

Était-ilenchaîné?Quilemaintenait?Alors,jeforçailepassage.Jebousculaichaquehomme,femmeetenfantquim’empêchaitd’avancer.

Violemment et sans une once de remords. Jeme fichais complètement de ce qu’ils étaient, de qui ilsétaient.J’avaisunseulbutàatteindreetplusaucunelimite.

—Leith!hurlai-jeenfin.Ilnem’entenditpas.Lesondemavoixvenaitd’êtrecouvertparceluid’unecornedebrume.—Nepoussezpas!s’égosillaunhommeententantdefairedel’espaceautourdelui.Vouspasserez

tous!Jedonnaiuneultimepoussée,écartaiunedernièrepersonne,avançaidetroispas,tendislebras,étirai

lesdoigts…etletouchai.Enfin.Lachaleurdesoncorps,ladouceurdesapeau…—Leith…,Leith…Sansmême le regarder, je tombaiàgenouxdevant lui, encerclai sescuissesdemesbraset, la tête

blottiecontresonventre,jepleurai.Toutes les larmes demon corps semblaient vouloirmequitter, se libérer, partagerma joie d’avoir

retrouvél’amourdemavie.—Comme tum’asmanqué, comme tum’asmanqué…, gémis-je. J’ai cru ne jamais te revoir, j’ai

cru…j’aicruquetuétaismort!Les joues inondées par mes pleurs, le nez rougi et la gorge douloureuse, je levai la tête pour le

contempler.Ilmedévisageaitaussi,lessourcilsfroncés,sesmagnifiquesyeuxvertsscintillantdestupeurcommes’ilneréalisaitpas,commes’ilnes’étaitpasattenduàmevoir.

—Jesuislà…jesuislà,murmurai-jeenmefrottantcontrelui.Sesmainsvigoureusesseposèrentsurmesbiceps,etmeforcèrentàmerelever.Jemeredressailentement,respirantsonparfum,humantlesucredesapeau.Je lui fis complètement face et ne le quittai pas des yeux. Lui non plus ne semblait pas vouloir

détourner leregard.Ilmesondait,m’examinait,pénétrantmonâmeautantquemoncœuretmonesprit,remettant dans l’ordre tout ce qui ne tournait pas rond chez moi depuis des jours et des jours, merestituanttoutcequ’onm’avaitvolé.

Commejel’aimais.—Monamour…Sespupilless’étrécirent.Ilouvritlabouche,puislareferma.C’estlàquejel’aperçus,justederrière,cettefemelleGalbrominceetpresqueaussigrandequelui.

Elle m’observait par-dessus son épaule. Elle avait les yeux les plus étranges et hypnotiques que jen’avaisjamaisvus.Dorésetourlésdecilsinterminables,épaisetnoirstoutcommeseslongscheveux.Elleétaitbelle,etellememéprisait.

Doucement,elleposaunemainsurl’épauledeLeithetluisusurraquelquechoseàl’oreillequejenecomprispas.Puis,ellemegratifiad’unsouriresarcastique.

Leithneréagissaitpasàmoi.Pasunson.Pasungeste.Quesepassait-il?—Leith…Ilplissalespaupières,penchalatêtedecôtéetreculad’unpaspourmieuxm’observer.—Quiêtes-vous?Etmoncœurs’arrêta.

Chapitre1

Jesentismesjambessedérobersousmoietmoncœurralentirdestupeur.Ilnemereconnaissaitpas.—Quiêtes-vous?répéta-t-il.—Leith…,gémis-je,enproieàunepaniqueindomptable.C’estmoi…,Hannah.Sonregardsemblaitsiincertain,sidéroutéquej’euslasensationquemoncorpssedéchiraitdetoute

part.Ilnemereconnaissaitpas!—Toi!Viensparici!grondaquelqu’underrièremoi.Lavoixétaitindéniablementmenaçante.Jel’ignorai.Leith…Jevoulaiscomprendre.Sesbeauxyeuxvertsnebrillaientplusdumêmeéclat.Pourquoinese

souvenait-ilpasdemoi?Par l’Esprit, c’étaitune ruse ! Il faisaitexprèsdenepasme reconnaître,cen’étaitpaspossible?

Lafemmequil’accompagnaitsecollaunpeuplusàluietramenasajouetoutcontrelasienneavantdelui parler à voix basse. Mon regard suivit la main de Leith qui, dans un geste rassurant, venait des’emparerdecelledecettecréature.Quiétaitcettefille?JecherchaiuneexplicationdanslesyeuxdeLeithetn’entrouvaiaucune.Ilagissaitcommesijenereprésentaisrienpourlui.J’avaismal,tellementmal.Dansmapoitrine,moncœurvrombissaitdedouleur.

Soudain,unguerriercrinosarrivadecôtéetm’agrippalebrasavantdemebloquerbrutalement lesmains dans le dos. J’étais tellement sous le choc que sur le moment, je ne fis aucun geste pour medéfendre,refusantcatégoriquementdeperdreLeithdevue.Or,lorsquejesentisqueleCrinosvoulaitquejemetournefaceàlui,jemedébattiscommeunediablesse,remuantdesépaulesviolemmentpourqu’ilmelibère.

—Lâchez-moi!Ilmefituneclédebras,sibienquejecessaidem’agiterethurlaidedouleur.Ilm’obligeaàplierles

jambesetàmecoucherfacecontreterre.Jem’entaillaiprofondémentlajouecontrelarocherugueuseetlevaidesyeuximplorantssurLeith.

Indigné par la façon dont j’étais traitée, mais finalement peu concerné, il fronça simplement lessourcils.

—Tutecroismaligne,faol-creutair{1}?semoqualeCrinosenappuyantlourdementungenouentremes omoplates. Tu penses pouvoir t’en prendre aux gens qui vivent ici ? Tu rigolerasmoins une foisemprisonnée !C’est la seulemanièredecontrôler lescréaturescomme toi.Vousnedevriezmêmepasexister!

Ilétaitimmenseetpesaitsurmoidetoutsonpoids,mecoupanttousmesmoyens.Àboutdeforces,pluspsychologiquesquephysiques,jerésistaifaiblement.

—Leith…—Merci, guerrier,minauda laGalbro enme considérant avec dégoût. Si ça se trouve, elle est de

mècheavecceuxquinousattaquent.Onnepeutpaslalaisserenliberté.Ilyatellementd’innocentsici.Desfemmes,desvieillards,desenfants…

Elleénuméraunelonguelistedetouteslesraisonspourlesquellesjedevaisêtretenueenfermée,maisje ne l’entendais plus. Je ne la voyais plus. Je n’avais d’intérêt que pour Leith qui ne semblait pascomprendre ce que je lui voulais. J’avais l’impression de perdre pied, que tout ce à quoi jem’étaisdésespérémentaccrochéecesderniersjoursm’échappait.J’étaissonâmesœur…Ilnepouvaitpasnepassesouvenirdemoi…Sijen’étaisplusrienpourlui,quemerestait-il?Jevoulaismourir.

J’étais effondrée. Mes muscles se relâchèrent d’un coup et un gémissement de pure souffrances’échappademeslèvres.Devantmacapitulation,leguerriermeremitsurmespieds.

—Ellen’ennuierapluspersonne.Enattendant,descendezaveclesautres,leurordonnaleCrinos.Puisilmepoussabrutalementenavant.—Bouge!Non!Jerésistai,freinaidesquatrefers,etmebraquaidetoutesmesforces.—Leith!C’estmoi,Hannah!Jesuistonâmesœur!Jesuistonâmesœur!Leith!hurlai-je,tandis

queleCrinosresserraitcruellementsapoigneetm’obligeaitàavancer.Jemedébattisunpeuplus,jusqu’àcequ’unedouleurépouvantablem’immobiliseetqueleCrinosme

ramènecontresapoitrinenue.D’unesimpletorsiondupoignet,ilmenaçaitdemedémantibulerlebrasetl’épaule.Jenepouvaisplusbouger,neparvenantqu’àlaisserfilerdessonsinarticuléstantj’avaismal.

—Situnetecalmespas,jet’arrachelesmembres,vermine!Avance!Lesgenssepressaientautourdenous,setassaientpourrejoindrel’étageinférieur.Jelesdistinguaisà

peine.J’étaissidésorientée.Toutentitubant,jetournailatêteversLeith,ilcontinuaitàm’observer.Deslarmes roulèrent sur mes joues, silencieuses, douloureuses et plus suppliantes que ne pourrait jamaisl’êtrelemoindremot,maisLeithsemblaitnepaslesvoir,nepascomprendre.Ilplissalefront,secoualementond’unairnavré,etselaissaentraînerparlabelleGalbro.Mesforcesm’abandonnèrenttotalement.Sibienquejecrusneplusêtrecapabledemarcher,defairefonctionnerlemoindremuscle.

—Leith…,murmurai-jedansunsanglot.Desamainlibre,leguerriermeforçaàregarderdroitdevantmoi.—TuaurasbienletempsdeprierceLeithdanstacellule,faol-creutair!Ilricanaetimprimauneviolentepousséeentremesépaules.Lavueplustroublequesijem’étaistrouvéeaucœurd’unbrouillardépais,jenediscernaisplusrien.

Nioùj’étaisnioùj’allais.Ledésespoirm’engloutissaitaussisûrementquelatristessequim’avaittendu

lesbras.J’étaisplusanéantiequelorsquej’avaisététransforméeenAngeNoiretquejepensaisavoirdéfinitivementperdumonhumanité.Jenevoyaisplusl’ombred’unespoir.Jetrébuchaisurl’aspéritédusoletmanquaidetomberàgenoux.LeCrinosmeredressasansménagementetbifurquaendirectiond’unpassage étroit devant lequel se tenait un garde galbro. Il s’écarta pour nous laisser passer,mais justeavantquenousnousengouffrionsdansleboyau,lavoixdeLeithretentitderrièrenous.

—Attendez!Le guerrier nous fit faire volte-face tandis que Leith s’avançait d’une démarche déterminée pour

franchirlesquelquesmètresquinousséparaient.Moncœurs’emballaet,l’espaced’uninstant,l’espoirrejaillit.

—Queveux-tu?demandaleCrinosquis’impatientait.Leithmedésignadumenton.—Luiparler.—Tucroisquejen’aiqueçaàfaire,Lupus?Jesuisunguerrier,jedevraisêtreoccupéàautrechose

qu’àfairerégnerl’ordre!C’estàcausedevousquejeperdsmontemps!Tuasvuquecettecréatureaconsciemmentagresséunmembredenotre communauté.Cesvermines sont instables.Allez ! Ily adugrabugedehors.Retire-toiausous-solcommetoutlemondeetlaisse-moilaconduiredanslescachots!

—Justeuneminute, s’il vousplaît, insistaLeith enprenant le tondéterminéque je lui connaissaisbien. C’est manifestement par ma faute que cette personne est devenue violente. J’aimerais savoirpourquoi.Ceneserapaslong.

Contretouteattente,exaspéréetconvaincuqu’onneluificheraitpaslapaix,leCrinoshochalatêteavantdemefusillerd’unregardnoir.Ilraffermitsapriseautourdemespoignetsetmeramenacontresontorsepourapprochersabouchedemonoreille.

—Tiens-toitranquille,compris?J’acquiesçaisilencieusementetabaissailespaupièresdansl’attentedouloureusedecequeLeithallait

medire.—Mademoiselle…,commença-t-ildansunmurmure.Jen’amorçaipasungeste,ne fispasunmouvementpouraffrontercevisagequin’avaitplusaucun

souvenirdumien.Alorsilinsista.—Mademoiselle,s’ilvousplaît.Levezlesyeux.J’essayaidecontrôlermarespirationetobtempérai.Ilnemequittaitpasduregard,etmedévisageait

avecune expression toutenouvellepourmoi : de la commisération. Jedistinguais àpeine ses traits àtraverslerideaudelarmesquientamaientmarésistancecommedel’acide.Jegonflailesnarines,prisdel’airparà-coups,memordisl’intérieurdeslèvresjusqu’ausangetparvinsànepaséclaterensanglotsbruyamment. La réalité se heurtait à mon esprit meurtri, me répétant inlassablement que Leith ne sesouvenait pas de moi, que je n’étais qu’une étrangère pour lui, qu’il fallait que je l’accepte. Maispersonne,pasmêmemoninconscientnevenaitmedirepourquoi.Pourquoineluirestait-ilriendemon

odeur,demonaura,denosmomentspartagés,denotreamour?Mêmelependentiffemme-Loupquejeluiavaisoffertunjour,ilneleportaitplus.Riennenousrattachaitl’unàl’autre.C’étaitcommes’ilavaitbalayéd’unreversdelamaintoutesaviepassée.Jamais,braversonregardn’avaitétéaussidouloureux.J’étaisen traindemener lepirecombatdemonexistence,uncombatcontremoi-même.Marésiliencemenaçaitderompre.Suicidaire,ellenetenaitqu’àunfilalorsquejetentaisdem’yagrippercoûtequecoûte pour m’en sortir. Une part de ma conscience m’y obligeait. Elle voulait que je survive. Yparviendrais-jeseulement?

—Jene suis pas celui quevous croyez. Je nevous connais pas.Vousm’avezpris pour quelqu’und’autre,ditLeithdesavoixdouceetprofondequimefitl’effetdemilleballestiréesenpleinepoitrine.

Et chacun de ses mots m’atteignit comme autant de couteaux plantés dans le cœur. Je manquaisd’oxygène. Tandis que mes poumons se contractaient, mon corps se craquelait de l’intérieur. Lasouffrancem’assaillaitsiviolemmentquej’avaisdumalàgarderl’équilibre.Alors,malgrémoi,jemelaissaiallercontreleguerrierpournepasm’effondrer.

—Jesuissincèrementdésolé, terminaLeithenmeregardantdroitdanslesyeux.J’espèrequevousretrouverezlapersonnequevouscherchez.

Danssonregard,j’essayaidepuiserunquelconquemessage,n’importequelsignequim’auraitprouvéque toutceciétaitunefable,queLeithsavaitparfaitementcequ’il faisait,qu’il jouait lacomédie,quej’étaistoujourscellequ’ilaimait,cellequel’Espritavaitunieàlui.Maisrien.Jen’ytrouvairiend’autrequedelapitié.J’étaisbrisée.Jen’étaisquesouffrance.Agonie.

Un gémissement de douleur s’échappa de mes lèvres quand il me tourna le dos pour rejoindre lafemme aux yeux dorés qui l’attendait impatiemment. Alors je perdis tous mes moyens. L’agressivitédéferlasurmoicommeunelamedefond.

—Lâchez-moi,lâchez-moi!hurlai-jeententantdemedégager.Leith!Leith!Neparspas!C’estmoi,Hannah!Leith!Neparspas!

LeCrinosmetiraviolemmentenarrièreetmeforçaàavancerdenouveau.—Restetranquille,faol-creutair.Nem’obligepasàtebriserlecouetàexpliqueràmessupérieurs

quec’étaitparcequetudevenaisincontrôlable.Les nerfs sousma peau étaient à vif, ils crépitaient.Mesmuscles étaient tendus et endoloris,mon

souffleerratique.Labêteenmoivoulaitsurgirpourévacuerlasouffrancequis’étaitemparéedechaquefibredemonêtre.Alors,pourlapremièrefoisdepuisquej’étaisdevenueunLupus,jenemaîtrisaiplusmoncorps.Tandisquenousrejoignionslecouloirsombresouslesroches,jefermailesyeuxetcourbailanuque.Enunepoignéedesecondes,macolonnevertébrales’étira,s’arrondit,lesosdemesmembresse raccourcirent, se modifièrent, et ma peau se pigmenta avant de se recouvrir de poils gris. Lesvêtementsdelinetdecotonqu’onm’avaitprêtésvolèrentenéclats.Délivréedemonenveloppehumaineetdel’empriseduCrinosqui,stupéfait,peinaitàsavoircommentréagir,jemeprécipitaidanslafoule.Surpris,lesgenss’écartèrentpourmelaisserpasser.

Lessenslibérésetdécuplés, l’espritplusclair, jereçusdepleinfouet l’odeurdesAngesNoirsquiprovenait de l’extérieur. En une demi-seconde, je compris. Tandis que je cherchais désespérément àretenirLeith,mesamisétaiententraind’affronterlalignededéfensecrinospournousretrouver,Bonnie,Al, Jeremiah etmoi. Ils avaient sciemment plongé au cœur de la bataille avant queMurdoch, le chefsuprêmedelaCommunautéduSutherland,n’aiteuletempsd’intervenir.

Darius,Gwen,Grigore,Pitt…IlsrisquaientdavantageleurviequelesmembresdelaMeutequilesaccompagnaient. Ils étaient les ennemis naturels des loups et ces derniers demeuraient bien plusnombreuxqu’eux,assoiffésdesang,etd’unepuissanceinouïe.

J’étaissurlepointdelesrejoindrelorsquej’entendisquelqu’unhurlermonnom.—Hannah!BonDieu,Hannah!Sorsd’ici!Vite!Va-t’en!JevisChristycourirdansmadirectionaumomentoùdescrisdepaniqueretentissaientdanslagrotte.

Leguerrierquim’avait tenueenrespectvenaitdeprendreformeanimaleet fonçaitdroitsurnous.Leshommes,lesfemmesetlesenfantss’éparpillaientcommeunenuéedemoineaux,semblantvouloirfuirauplusvite et tenterd’échapper à sa fureur.LeCrinos était des leurs,mais cesgens étaient effrayés.Letempsetlaréalitén’existentpaspourunCrinosdanssoncorpsdebête.Ilsuitsonbut,prêtàéliminerquiconquesemettraitentraversdesonchemin.Ilpourraittuerpèreetmèresansdiscernementaucun.Etcette fois, l’objectif c’étaitmoi.Avantqu’ilnenousatteigne, jeme jetai surChristyetglissaima têteentresesjambes.Elleenroulasesbrasautourdemoncou,s’agrippantdetoutessesforcesàmeslongspoils,puisjemeruaiversl’extérieur,necomptantquesurmessenspourtrouverlasortie.Ilyavaitdestunnelspartout,constituant,hélas,unlabyrinthequeleCrinosavaitl’avantagedeconnaîtreparcœur.Maforce à moi était d’être plus rapide, et même avec Christy sur le dos, je courrais plus vite que lui.Devinantquenotrepoursuivantn’étaitplusqu’àunecinquantainedemètres,jeredoublaid’effortsetmepropulsaidansungoulotrocheuxàpeineéclairé,priantl’EspritdetoutesmesforcespourqueChristysemetteenboule,s’accrochesolidementetnetombepas.Derrièrenous,onentendaitleguerrierrenâcler.J’accéléraicommesij’avaislediableauxtrousses,évitantsoigneusementdetropmecollerauxparoispournepasblesserChristyquisetenaitàmoiavecl’énergiedudésespoir.Pourmefaciliterlatâcheetéviterde secogner, elle s’abaissacomplètementcontremonéchineetmoula sapoitrineàmacolonnevertébrale,latêtelégèrementrelevéepourgarderunœilsurnotredirection.

—Parici!cria-t-elleendésignantunelargeembrasurecintréeetaménagéeàmêmelaroche.Droitdevantnous!

Jelatraversaietnousaboutîmessousuneimmensevoûtenaturelleamplementéclairéepardestorchesmuralesetoccupéeparquelquesgardesgalbroscachéssousleurcaperouge.Ilsnoussuivirentdesyeuxavecstupéfaction,nesaisissantpastrèsbiencequiétaitentraindesepasser.Devantnous,àunedizainedemètres, se trouvait la sortie,masquée par de gros rochers, de telle façon que la grotte n’était pasrepérabledepuisl’extérieur.Au-delà,c’étaitlanuitabsolue,lesoleilétaitcouchédepuislongtemps.LeCrinosrugit.Jecompris,àlaréactiondesGalbros,qu’ilvenaitdedonnerl’alerte.Laseconded’après,

une herse métallique sortie de nulle part commença à descendre pour nous barrer le passage. Sansm’arrêter, j’évaluai ladistanceet redoublaidevitesse,poussantmesmusclesau-delàde leurs limites,déterminéeàmettreChristyhorsdedanger.Ilmerestaitmoinsdetroismètresàparcourirquandjefusviolemment tirée par la queue, et jeme retrouvai à piler tout net.Christy fit un vol plané en avant etretombalourdementdel’autrecôtédelagrille.

Unglapissementdedouleurs’échappademagorgetandisquejemeretournaispourmordreleGalbroqui refusait de me libérer. Il m’évita d’un bond de côté sans me lâcher, puis, réalisant qu’il neparviendraitpasàmemaîtriserseul,undesessemblablessetransforma,sejetasurmondosetm’entoural’échinedeseslongsbrasmaigresafindemedéstabiliser.Jemedébattistantetsibienquejeparvinsàle faire basculer, obligeant le premier àme libérer. Hélas, j’eus à peine le temps de souffler. Jemeretournaiet,aveceffroi, jevis leCrinosfondresurmoi. Ilétaitsigrand,simassif,qu’ilmefit l’effetd’unbulldozerprêtàtoutécraser.Lagueulebéanteetécumantderage,ilm’attrapaparlecoud’unemainetme soulevade terre comme si je nepesais pasplus lourdqu’uneplume. J’eusbeau essayer demetortiller,ilétaittropfort.Beaucouptropfortpourmoi.Ilmecomprimaitlatrachée,lesveinesjugulaires,etdéjà,l’oxygènememanquait.Ilnefallutpaslongtempspourquedestachesnoiresapparaissentdevantmesyeuxetm’aveuglent.Irrémédiablement,jeperdaispeuàpeuconnaissance,ayantàpeineconsciencequ’un loup blanc venait de se jeter à la gorge demon agresseur pour lemordre.La bête finit parmelibéreretjem’écroulaisurlesolfroidethumide,àboutdesouffleetdeforces.Puis,avantdesombrertotalement,moncorpsrepritformehumaine.

—Hannah?entendis-jetoutprochedemoi.Lentement, j’ouvris les yeux et découvris le visage flou de Christy qui se dessinait devant moi.

Doucement,ellepassaunemainapaisantesurmonfront.—C’estterminé.Murdochestarrivéàtemps.Seigneur,leCrinosauraitputetuer.Je fermai les paupières pourme ressaisir et observai de nouveau la sorcière. Lorsquema vue fut

moinstrouble,jelevailatêteetdétaillailechefdesloups.Levisageburinéencadrédecheveuxblancscoupéscourts,sonregardvert fixésurmoi, ilse tenaitbiendroitdevantnous, l’airduret implacable.Chaussédebottesfourréesencuir,Murdochétaittorsenu,uniquementvêtud’unkiltauxcouleursdelacommunauté – vert, rouge et bleu –, et d’un tartan jeté en travers de ses larges épaules. Riend’ostentatoiredanssatenue,àpartpeut-êtrelescinqanneauxd’argentfinementouvragésqu’ilportaitàlamaindroite.Bienqu’ileûtatteintlessoixante-dixansaumoins,soncorpsétaitrestéfermeetmassif.Cethommedégageaituneaurairradiantdepuissanceetd’autoritéquesatenuerendaitplussauvageencore.Raresdevaientêtreceuxquiavaientoséledéfier.Jeresongeaiavecadmirationqu’ildétenaitmêmelepouvoird’arrêterlafureurdesCrinoslorsqu’ilsétaientsousleurformeanimale.Jel’avaisvufairedanslasalled’armes,aprèsquej’eustuéDarren.

J’essayaidemerelever,instantanémentarrêtéeparunmaldecrânelancinant.— Restez tranquille, faol-ur{2}, m’ordonna le Loup Suprême. Nous avons bien assez de blessés

commeça.Facilitez-nouslatâche,vousvoulezbien?Je fermai les yeux avec force afin de recouvrermesmoyens. Je ne percevais aucune odeur, je ne

voyaispasencoreparfaitementetj’avaisl’impressiond’avoirducotondanslesoreilles.Chacundemesmembresétaitsuffisammentengourdipourquejen’éprouveaucunesensationparticulière.Jemelaissaiallerquelquessecondesetrouvrislespaupières.Christym’observaittoujours.

—Jeremiah,Al…Bonnie…les…autres?réussis-jeàmurmurer.Ellesecoualatête.—Jenesaispas,Hannah.Ilssonttoujoursdehors.—Ilsvontbien,m’assuraMurdoch.Quantàvous,vouspouvezvousenorgueillirdel’avoiréchappé

belle.Jeparvinsàmeredressercomplètementsurlescoudes,etprisconsciencedemonétat.J’étaiscouchée

àmêmelapierre,entièrementnue.QuantauguerrierCrinosquim’avaitpoursuivie,ilétaitsérieusementamoché. Il prenait appui contre la paroi rocheuse et se faisait soigner par une femelleGalbro. Il étaitcouvertdesang,maistoujoursenvie.Autourdenous,desfemmess’affairaientàporterdesbrocsd’eauet des linges propres à l’extérieur, tandis queMurdoch se tenait debout devant moi, la mine sévère,m’offrantleregarddequelqu’unquiétaitàboutdenerfs.Épuisée,jemelaissailourdementtombersurlesolavantdemerendrecomptequesijenem’étaispascognélatête,c’étaitquequelqu’unlasoutenait.

Etilnes’agissaitpasdeChristy.Jelevaidavantagelementon,mesyeuxcroisèrentceuxdeLeith.—Vousavezapparemmentretrouvéceluiquevouscherchiez,ditMurdoch,fataliste.Incapable de proférer un mot, tant j’étais surprise, je me contentai de pincer les lèvres qui

commençaientdéjààtrembler.— Mor-fear-faol{3}, je ne connais pas cette jeune femme, l’informa poliment Leith en faisant

délicatementreposermatêtesurlesol.Christym’adressaunregardcompatissant,tandisqueMurdochfronçaitlessourcils.—Toutefois,vousn’avezpashésitéàlasauver.Leith ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt, comme s’il était lui-même déconcerté par cette

réalité.Murdochleconsidéraavecattention.—Commentvousappelezvous?Leithsemitdeboutdanssaglorieusenudité,totalementàl’aisecommel’étaientlaplupartdesgarous

danspareillesituation.Jeconnaissaissoncorpsparcœur,pourtantjemesentiscontraintededétournerlesyeux,commesilefaitqu’ilnesesouviennepasdemoim’interdisaitdelecontemplerainsi.

—MonnomestAlanKerr,Mor-fear-faol.—TonnomestLeithSutherland,lecontredis-jeenmeredressantalorsqu’unefemmenoustendaità

chacunundrapdelinpournouscouvrir.TueslefilsdeJeremiahetRoseSutherland.AlanKerr,cen’estpastoi!

Leithsecoualatêteetenroulalelingeautourdeseshanches.Ilétaittoujoursaussimagnifique,merveilleusementbienbâti,fortetténébreux,maisilnesavaitplus

qui il était.Mon cœur recommença àme fairemal en se comprimant, je respirai par à-coupspour encontrôlerladouleurplusvivequ’unebrûlure.Lessourcilsfroncés,jemelevaietmedrapaiaveclelinavantd’en récupérer lespointes supérieurespour lesnouer autourdemoncou, comme je l’aurais faitavecunparéo.Enmevoyantfaire,lafemmeprèsdenousécarquilladegrandsyeuxcommesiellen’avaitjamaisvupersonnes’accoutrerdecettefaçon.

—Hannah?medemandaLeithd’unevoixétrangementdouce.C’estcommeçaquevousvousappelez,n’est-cepas?

Jeluifissignequeoui.—Jeregrette,Hannah.Jenesuispasceluiquevouspensez.Jen’aimêmeaucuneidéedequiestce

LeithSutherland.Aurait-ilunrapportavecFillanSutherland,celuiquiadivisélacommunautéilyadessiècles?

Jel’observaisansdireunmot.Ilavaitl’airsisûrdelui.Silasituationn’avaitpasétéaussitragique,j’auraispuenrire.LeithetsonpèreétaienttellementfiersqueFillansoitleurancêtre!Ilsenparlaientsouvent,adulaientsongestehéroïquebiendavantagequetouslesmembresdelaCommunautéduMondeLibre.

MurdochcroisalesmainssursapoitrinepourconsidérerLeithavecsuspicion.—Etmoi,AlanKerr,jenesaispasnonplusquivousêtes.Quandêtes-vousarrivéici,mongarçon?—Ilyaunedizainedejours.—C’estexactementlapériodeoùtuasdisparu,Leith!grondai-je.Bonsang,maisquet’est-ilarrivé?

Pourquoine tesouviens-tude rien?TuesLeithSutherland,étudiantenquatrièmeannéed’Histoiredel’artàStAndrews.Audemeurant,tuesmonâmesœur!

Ilsecoualatête.—Non.—Oh,crois-moisurparole,jen’inventerien,lemor-aotrom{4},jel’aivécuavectoi!Nousétionssur

lepharedeNossHead,àWick, lavilleoù tuesné.Nomd’unchien !Tunepeuxpasavoirperdu lamémoireàcepoint!C’estuncauchemar,jevaismeréveiller!

Ileutl’airsincèrementaffligé,cequimerenditdoublementfolledecolère.—Jesuisdésolédedevoirvouscontredire,s’excusa-t-ilpourlaénièmefois,maissil’Esprits’était

posésurmoi,jelesaurais.Vousn’êtespasmonâmesœur,mademoiselle.Mademoiselle?J’auraispuhurlertantsesmotsmedéchiraientlapoitrine.—Quiestcettefilleavecquituétaistoutàl’heure?aboyai-je.Tupensespeut-êtrequec’estelleton

âmesœur?

Ilplissalespaupières,commepiquéauvif.—C’estmacompagne.L’Espritnenousapasencorerévélél’unàl’autre.—Etpourcause!nepus-jem’empêcherdecracher.Sonregardsefitplusnoirquelesténèbresetjem’enmoquaisroyalement.—Tupensesquetuesvenuicidetonpleingré,Leith?Ehbien,non,grinçai-je.Onadûtecognerun

peu trop fort sur la tête ! Tu as été enlevé, Leith. Enlevé ! C’est le père de John Slater qui a toutmanigancé.Parvengeance,parsimplevengeance.PourquesonfilsprennetaplaceauseindelaMeute!

Ilconservaunvisageimpassible.Maisilyavaitquelquechosededifférentdanssonregard.Quelquechosequejen’arrivaispasàdéfinir,quejeneluiavaisjamaisvujusque-làetquilerendaitplusfroidquelaglace.

— Vous faites erreur et je n’ai aucune idée de ce dont vous parlez. Shona et moi sommes venusjusqu’icipourêtreenseignésparlaCommunauté.Nosdeuxfamillesensontdeferventsdéfenseurs.

Cettefois,jefusincapablederetenirunrirecynique.—Par l’Esprit, Leith !Qu’est-ce que tu racontes ?C’est tout le contraire. Tu es le descendant de

FillanSutherland!TuesunmembredelaCommunautéduMondeLibreettuastoujoursrejetélesfoutuesloisdecesbrutes!

—N’allezpas troploin!grondaMurdochd’unevoixpuissante.Jecomprendsvotredésarroi,maisn’oubliezpasquejevousaioffertl’hospitalité,mademoiselle.Soyezrespectueuse.

Jefermailesyeuxetretinsmonsouffle,auborddelacrisedenerfs.Cen’étaitpaspossible,ilfallaitqu’ilseréveille!Qu’ilréalisequiilétaitvraiment!

Christy,quiavaitsuivi toute laconversation,posaunemainapaisantesurmonépaule.Je tournai latête pour observer ses doigts et pris une profonde inspiration. Je me ressaisis et priai Murdoch dem’excuser.Cettesituationallait finirparmerendredingue.Lechefsuprêmefitpreuvedecompassion,acquiesçaenm’étudiantcalmement,etseconcentrasurLeithpourleconsidérerd’unairgrave.

—Alan,comprenezbienque,convaincuequesonâmesœurseraitici,cettejeunefemmeafaitunlongtrajetpourlaretrouver.EllepénètredanslesEntraillesetydécouvreunhommequiluiressembleentouspoints.Vous.Or,vous lui affirmezqu’elle fait erreur.Mongarçon, reconnaissezquecette situationestpourlemoinssingulière.

Alan!C’étaitdéfinitif,jetrouvaisceprénomridicule!—Jel’admets,Mor-fear-faol,maisc’estpourtantlavérité.—Cen’estpaslavérité!lecontredis-jeférocement.—Vousme prenez pour un autre, insista-t-il enm’observant fixement d’un air si persuasif queme

sentissurlepointdelegiflerpourqu’ilseressaisisse.—Vousportezlamêmecicatrice!Aulieudeparaîtresurpris,ilposasurmoiunregardinexpressif.—Jevois.

Iln'encroyaitpasunmot,sansdoutepersuadéquejecherchaisàluiprouverpartouslesmoyensquej'avaisraison.Jeravalaimafureur.Àquoibonluidirequ'unCrinoslaluiavaitinfligéeparcequ'ilétaitunsang-mêlé?Ilauraitréponseàtout.Murdochsoupira.

—Bien.Quiestlajeunefemmequivousaccompagne,Alan?LevisagedeLeiths’adoucit instantanément.Jedusmefaireviolencepourl’ignoreretoublier toute

l’affectionqu’ilsemblaitluiporter.—ShonaAiken.UneGalbro,précisa-t-il.Jenepusm’empêcherdegrimacerenmerappelantl’uniqueGalbroquej’avaisrencontréavantelle:

Philip.Cettedeuxièmeexpérienceavecunmembredesonespècenefaisaitqu’attisermarévulsion.—Vousêtesnovice.Quefaisiez-vousdansleCœur?Me revint alors en mémoire ce que nous avait expliqué Murdoch un peu plus tôt. Les nouveaux

arrivants n’avaient pas la permission d’y pénétrer tant que leur formation n’était pas terminée. Ils nepouvaient intégrer le centre de la cité qu’au bout d’unmois. En attendant, ils résidaient tous dans lesquartiersdéfensifs,pastrèsloindelàoùDarren,leCrinosmortdemesmains,nousavaitreçus.

—Mor-fear-faol,expliquarespectueusementLeith.Shonaetmoiavonsétépromuspourl’excellencedenosrésultats.NousavonsétéautorisésàgagnerleCœurplustôtquelesautres.

Murdochopinabrièvement.—Trèsbien.Nousallonstâcherd’enapprendredavantagesurcettesituation.Ilseraitjudicieuxque

vousrestiezdisponibles,aucasoùnousaurionsquelquesquestions.Leithacquiesça.—Nousferonscequevousexigerez,Mor-fear-faol.Sesoumettren’étaitpasdanslanaturedeLeith.Pourunpeu,ilseraitmêmeparvenuàmefairecroire

qu’ilnes’agissaitpasdelui.Maismonodoratétaitcatégorique:cethommeétaitLeithSutherland,etpasunautre.

—Vouspouvezdisposer,l’informafinalementMurdoch.—Mais…,protestai-jetandisqueLeiths’éloignaitdéjà,etsansm’accorderunseulregard.Lechefsuprêmem’intimalesilenced’ungestedelamain.—Vous,Hannah,vousallezmesuivre.Nousavonsdeschosesplusurgentesàrégler.Mortifiée,jevoyaisl’amourdemaviedisparaîtredansuncouloir.PlusurgentesqueLeith?Dansl’immédiat,j’endoutaissérieusement.Comprenantmontrouble,etafinderetenirmonattention,Murdochsepenchaetsemitàmahauteur.

Là,ilplongeadanslevertdemesyeux,commesurlepointdemelivreruneinformationcapitale.Etpourcause…

—Bonnievaêtrecondamnéeàmort.

Chapitre2

Nousvîmesentrerdanslasalledutrôneunehordedepuissantsguerriersdel’espèceCrinosmarchantd’unpaslourdetmilitaire.Leursavant-brasvolumineuxétaientprotégéspardesmanches-brasenpeaudesquellessortaientdesbandelettesdetissuleurcouvrantledosdesmains.Letorseetlesjambesnus,ilsarboraient tous un kilt à épaisses lanières de cuir sur lequel reposait une double ceinture d’armesupportant une claymore. La poignée en bronze était magnifiquement ouvragée, la fusée et la gardeparseméesdefeuillagesdorés,tandisqu’aucentredupommeaufiguraitlesymbolegarous;troiscerclesconcentriques. Je glissai les yeux sur leurs bottes souples et lacées autour des mollets. La traditionhighlander voulait qu’un skean-dhu{5} soit toujours caché dans celle de droite. Ici, cette habitude nedérogeait pas à la règle, chaque guerrier en portait un, et leur tenue, indubitablement ostentatoire, lesrendaitencoreplusimpressionnants.

Ilsparaissaienttoussortird’undécordecinéma.Or,leurprésencen’avait,hélas,riend’artificiel.IlsfaisaientfermementavancerBonnie,frêlesilhouetteaumilieud’eux.Ellemarchaitcalmement,lesmainsemprisonnéesdansledos,lanuquebiendroiteetleportaltier.Larobequ’onluiavaitprêtéeunpeuplustôtétaitfroisséeettachéedeboue,maisn’entamaitenrienlaprestancenaturelledel’Hispo.Commesiresterdigneétaitplusimportantpourellequ’unetouteautrechose.Ellesemblaitsereineetdéterminée,prêteàaffrontersanscillercequil’attendait.

Lorsquejevisl’éclatdesesyeuxverts,moncœursecomprimasifortquej’eusleréflexedefaireunpasdanssadirection.Murdochm’endissuadaenmeretenantparlecoude.

—Pasunmot,pasungeste,faol-ur.—Jevousenprie…—Jenepeuxrienfairepourempêchercejugement,murmura-t-il,sincèrementdésolé.—Vousêteslechef!Ilsecoualementon.—Lesrèglesdoiventêtrerespectées.J’ensuislegarant.— Vos règles sont intolérables, cruelles et totalement ridicules ! m’emportai-je en essayant de le

repousser.Même si vous avez l’air de l’avoir oublié, nous ne sommes plus auMoyenÂge !Vous nepouvezpaslaisserfaireça!

D’unepoigneferme,ilmecomprimadavantagelebrasetm’obligeaàdemeurertranquille.—Vousavezassezfaitdegrabugecommeça.Nebougezplus!J’obtempérai,depeurqu’ilmebriselesosd’uneseulepression.

—Hannah,restecalme,plaidaChristyderrièremoi.Révoltée,jeparvinsàmetournerpourluifaireface.—Que je reste calme ? Comment voulez-vous que je reste calme alors que Bonnie risque d’être

conduiteàlamort?Etpourquelleraison?Lesavez-vousseulement,Christy?Elleplissalesyeux.—Queluireproche-t-on?continuai-je.Dequoiest-ellecoupable?D’êtrenéeaumauvaisendroit?

D’avoirfuicettecommunauté?Denepasavoirsouhaitésuivrevosrègles?—Lesloissontcequ’ellessont,ditsimplementlechefdesloups.—Parl’Esprit,Murdoch!C’estvotrenièce!Jevisclairementunvoilesombrepassersursonvisage.Sadécisionétaitentotaldésaccordavecce

queluiordonnaitsoncœur.Ilmefitpivoterdosàlui,seserracontremoi,etsepenchadefaçonàcollersabouchecontremonoreille.

—Elle est la prunelle demes yeux.Ne croyez pas que çam’amuse. Par pitié, pour votre propresécuritéetcelledevosamis,tenez-voustranquille!

JecroisaileregarddeBonniequandellepassadevantnous.Elleeutl’airdemesupplier,elleaussi,denepasfaireungeste.Monsoufflesesaccada,j’avaisenviedetoutcasser.

— Que vont-ils lui faire ? murmurai-je, la gorge plus douloureuse que si j’avalai une poignéed’aiguilles.

—Riendansl’immédiat.ElleseramiseenisolementenattendantlejugementduConseil.J’avaisdeplusenplusdemalàrespirer.—Où ça ? Pas dans les geôles dans lesquelles on nous a enfermés lorsque nous sommes arrivés,

n’est-cepas?Elleméritedavantagedeconsidération!—J’aiveilléàcequ’ellesoitconduitedansmesquartiers.—Combiendetemps?Jelevailesyeuxpourleregarder,ilsecoualatête.— Plusieurs jours. Tous les griefs présentés par Calum seront consciencieusement étudiés par les

Anciens.Jefronçailessourcils.—Calum?—LefrèreaînédeBonnie.JemesouvinsvaguementqueMurdochenavaitfaitmentionlorsquenousnousétionstousretrouvés

dans la sallede communionaprèsque j’eus tuéDarren.Bon sang !Quelgenred’hommepouvaitbienpousser sa sœur à la mort uniquement pour sauver les apparences ? J’étais ulcérée, désemparée etdésespéréequenousensoyonsarrivéslà.CommentAlastairallait-ilréagir?Oùétait-ild’ailleurs?EtlaMeute,oùsetrouvait-elle?LedétectiveForbes?Jeremiah?

Avantquejeneposelaquestion,unrugissementépouvantableretentitdanslagrotte,mehérissantles

cheveuxderrièrelanuqueetmeglaçantjusqu’auxos.—Sivouslatouchez,jevoustueraitous!Jevoustueraitous!L’estomac comme comprimé dans un étau, je vis arriver Al, fermement maintenu par deux gardes

hommidésquiavaientbiendumalà lemaîtriser.Enragé, il sedébattaitcommeundiable,donnantdescoupsdereinsetlançantsesjambesdevantluidansl’espoird’atteindreunecible.N’importelaquelle,pourvuqu’ilentoucheune.

—Al…,murmurai-jeenportantlamainàmeslèvres.Àquelquesmètresderrièrelui,Jeremiahserraitlesdentspournepasintervenir,sachantparfaitement

qu’ilaurait suffid’un rienpourque toutéclatedenouveauetaggravedavantage lasituation.AvantdetenterquoiquecesoitpourlibérerBonnie,ilfallaitlaisseràsonfrèreletempsderecouvrersonself-controlafinderéfléchiràuneissuevalable.Parcequed’unemanièreoud’uneautre,personneparmilesnôtresnepermettraitqueBonniemeureentrecesmurs.

Subitement,unHisposortitdenullepartetfonçasurAl.Illuiassénaunviolentcoupdecoudedansleplexussolaireetunautrederrièrelanuque.Lechocfuttelqu’Alastairsepliaendeux,lesoufflecoupé.

—Al!hurlaBonnieavantqu’onnelafassedisparaîtredansuncouloir.Alastairsedébattitencore.Alors,l’Hisporevintàlachargeetluiabattitlepoingenpleinemâchoire,

luifaisantperdreconnaissance.—Laissez-le!m’écriai-jeavantdem’élancerpourluiportersecours.L’Hispom’accueillitd’unegiflequim’envoyaausol.Je me redressais sur les coudes au moment où Jeremiah et Christy se précipitaient sur moi pour

m’aideràmerelever.—Calum!tonnaMurdoch.LefrèredeBonniemelançaunregarddissimulantmalsonécœurement.—Tudevienstropsensible,uncail{6}.Cen’estqu’unefaol-creutair.—Quiestsousmaprotection.Net’avisepasdereporterlamainsurelle,l’avertit-il.IlavaitprisuntonsipeuengageantqueCalumhochalatêteparprincipe.—Hannah…,murmuraChristyenmefrôlantlajoue.—Est-cequeçava?s’assuraJeremiahavecunecolèrecontenue.—Oui…,répondis-je,enprenantappuisurluipourmeremettredebout.J’essuyailefiletdesangquis’échappaitdemeslèvresetgrimaçai.—Leithestici.Jeluiaiparlé.Unéclatde soulagementbrilladans lesyeuxde Jeremiah,mais ce fut la seuleémotionqu’il laissa

paraître.Ilfronçalessourcilsetmepritparlebras.—Àprésent,tiens-toitranquille.—Sageconseil!semoquaCalumquisepostaitdevantnous.Ilm’étudiad’unregardméprisantquejem’efforçaid’affrontersansciller.

Ilétaittrèsgrand,decompositionrobuste,etsaressemblanceavecBonniefrappante.Ilpossédaitlesmêmes cheveux longs et blonds, les mêmes yeux profondément verts que sa sœur. Cependant,contrairementàelle,iln’étaitpasparticulièrementbeau–disonsplutôtquej’avaisbiendesdifficultésàlui trouverunquelconqueattrait –, les traits burinés, il était défiguréparunebalafre s’étirantdu côtégauchedesonfrontàsajouedroite,etsabouchesemblaitnaturellementtordueparunrictusmauvais.Àl’instardesguerrierscrinos,Calumportaitunkiltdecuir,uneceintured’arme,desmanches-brasetdesbottes,maislesnombreusesscarificationsquiluicouvraientletorse,conjuguéesàl’auraagressivequ’ildégageait, le rendaient plus terrifiant que les autres. Ses cicatrices formaient des entrelacs étudiés etfinement appliqués. Il avait accepté d’être profondémentmarqué pour que sa peau ne se régénère pascomplètement.J’enrestaiuninstantbouchebée.Puismesyeuxseposèrentsurlagenouillèremétalliquequiornaitsajambegauche.Elleétaitdélicatementouvragéeetétonnammentmouléeàsongenoucommesielleavaitétéfaçonnéeàmêmelapeau.

—Qu’est-cequeturegardes?medemanda-t-ilavecagressivité.Jerelevailatêteetsoutinsleméprisquibrillaitdanssesprunelles.—Commentpouvez-vousfaireunechosepareilleàvotrepropresœur?Ilaccueillitcettemanifestationindignéeparunhaussementdesourcils.—Tunepeuxeffectivementpascomprendre,faol-creutair.Nosrèglessontstrictesetapplicablesà

chaquemembredelacommunauté.Matrèschèresœurlesabafouées,elledoitpayer.Ilaffichauneexpressionsisatisfaite–commes’ilavaitattenducemomenttoutesavie–,quejedus

meretenirpournepasluicracheràlafigure.Ilm’étaitimpossibled’admettrequ’unhommeaussiviolentpuisseêtrelefrèred’unefemmeaussidouceetbienveillantequeBonnie

—C’estridicule!m’insurgeai-je.Ellen’acausédetortàpersonne!Agacéd’êtrecontreditparquelqu’und’aussiinsignifiantquemoiàsesyeux,sestraitssedéformèrent

soudainpourlaisserplaceàunegueulevelueetmenaçante.Ilronflaetfitclaquersamâchoireàquelquescentimètres demon visage pourm’impressionner. Stupéfaite, j’amorçai unmouvement de recul etmecognaiautorsepuissantdeJeremiah.

—Elle amené desAngesNoirs sur notre territoire ! gronda-t-il, alors qu’il avait déjà repris sonapparence habituelle. Révélé l’accès des Entrailles à de parfaits étrangers ! Elle est doublementcoupable!Lamort!C’esttoutcequ’elleméritepournousavoirtousmisendanger.

—Mesamisne ferontaucunmalauxvôtres,aboyai-je, ilsnesontpasvenuspourça.Ellen’amispersonneendanger!

Calumétaitcommelamajoritédesgarous.Ilpensaitquelaprésenced’unAngeNoir,mêmepacifiste,suffisaitpoursortirl’artillerielourde.Ilm’avaitfalluprèsdedeuxanspourconvaincrelaMeutequ’ilexistaitunautreaspectdelaréalité,alorsjen’allaissûrementpasparveniràfaireentendreraisonàcetêtrebuté,bornéetdénuédetoutebonté.

—Pourquoi sont-ils venus, faol-creutair? Pour ramener votre petit ami qui s’est soi-disant caché

ici?C’estcequevousprétendez?Voyons…Darrenavaitl’airdepensertoutautrechose.—Quenoussouhaitionsrenverserlepouvoirenplace?C’étaitunidiot!rétorquai-je.D’abordsurpris,Calumfinitparéclaterderire.—Noussommesaumoinsd’accordsurcepoint.—Jeveuxrécupérermonfils,intervintcalmementJeremiah,ainsiquemonfrèreetsafemme.Nous

devrionspouvoirtrouverunaccord.CalumposaunregardcalculateursurJeremiah.—J’endoute.MaislaissonslesAnciensdéciderdecequ’ilconvientdefaire.— Quand ils auront délibéré, il sera peut-être trop tard, le prévint Christy avec un détachement

étonnant.Voussereztousmorts.Calum,qui jusque-là avait parfaitement ignoré laprésencede la sorcière, lui accordaune attention

touteparticulière.—Vraiment ?Et qui serait suffisamment puissant pour décimer une communauté tout entière ?Cet

ennemiimaginairequis’est,selonvous,emparéducorpsdeDarren?— Il n’est pas imaginaire, c’est votre pire cauchemar, répondis-je en plongeant les yeux dans les

siens.Ils’esclaffapour ladeuxièmefois,semblantmêmenepluspouvoirs’arrêter,sonrire insupportable

faisantéchocontrelesparoisrocheuses.—Calum!lefittaireMurdoch.—Allez, mon oncle, vous n’allez pas croire à cette histoire à dormir debout ? Ils espèrent nous

effrayeravecleurschimères.Pourquenouscédions.Je décochai un regard en biais àMurdoch. S’il nous avait écoutés jusqu’au bout lorsque nous lui

avionsparlédesGuerriersdel’ombre,j’avaisdumalàcroirequ’ilsoittotalementconvaincuparcequenousavancions. Ilm’avaitvue fendre l’airpour tuerDarren,maisduCrinos transforméenmonstre, iln’avaitpasdistinguélemoindremillimètre.

—LesRazboiniccidinumbra{7},existent,ditsolennellementChristy.Lessorcièresenontcréécinq,etunseulestmortàcejour.

Calumredressaunpeuplussongrandcorps,unelueurd’amusementdanslesyeux.—Ehbien,s’ilsexistent,nouslesattendonsdepiedferme!—Vousn’avezvraimentaucuneidéedecequ’ilssont,murmuraChristyaussidécontenancéequemoi

parlescepticismedeCalum.—Évidemment!semoqua-t-il.Personnenelesavus!Cequetoutlemondeacompris,enrevanche,

bana-bhuidseach{8}, c’est que vous avez ensorcelé nos guerriers pour qu’ils s’entretuent. C’était, dureste,trèsefficace.Nousdevrionsfaireappelàvousplussouventpoursupprimerlesnuisibles.

Ilavaitraison,nousn’avionsaucunepreuveàfournir.Etàencroirel’expressiongênéedeMurdoch,ilparaissaitplutôtsoutenirlathèsedesonneveu.

Christyredressasoncorpsfrêle.—Pensez-vousréellementquecesoitcequis’estpassé?Quej’ai jetéunsortà touscesCrinos?

Avez-vous seulement retrouvé la dépouille de Darren ? insista-t-elle comme si ce fait suffirait àdémontreràCalumqu’elleavaitraison.

Maisilhaussahautainementunsourcil.— Non, il est vrai. Mais qu’y aurait-il d’étonnant dans cette disparition ? Les Crinos sont

incontrôlablessousleurformeanimale.Ilstuentcommeilsmangent,etvulaquantitédesangetlambeauxdechairquenousavonsdûnettoyerdanscettesalle, ilne faitaucundoutequeDarrenaitétéavaléetdigéré!

Puisilfitlagrimaced’unairamusé.—Soyonshonnêtes,ilsn’ontpaschoisilemeilleurmorceau!Christy semblait ulcérée. Calum ne devait pas être le genre d’homme à admettre ses faiblesses, il

préféraitseconvaincredesatoute-puissance.Etsi,danslecasprésent,sastupiditéauraitdûmeréjouir,puisqu’elleallaitleconduireàsaperte,lesEntraillesétaientfréquentéespardescentainesd’hommes,defemmes et d’enfants innocents, ce qui était loin deme satisfaire.La situation était catastrophique.LesGuerriersdel’ombreétaientàlarecherchedeDarius,etquandilsl’auraienttrouvé,ilsnoustrouveraient,nous. Ils pouvaient arriver à tout moment. Si ce n’était pas cette nuit, ce serait la suivante, ou laprochaine.Nousn’ensavionsrien,etnousn’avionsguèrede tempspournousprépareraucarnagequiauraitlieu.Christyetmoiétionslesseulesàlesvoir.Commentferions-nouspourêtrepartoutàlafois?Il y avait des accès soigneusement dissimulés sur chaque versant de la montagne. Mais Ben Hopes’étendait sur pas moins de cinq kilomètres, et les passages devaient être nombreux. Aussi étroits etdiscretsqu’ilspuissentêtre,ilsn’empêcheraientaucunedecescréaturesd’entrersielleledésirait.Cesmonstresauraientétécapablesdefendrelaroched’unsimplecoupdepoing.QueMurdochetCalumnenouscroientpasmerendaitmalade.

Lecœurauborddeslèvres,jemetournaiverslechefdesloups.Iln’avaitpasexactementremisendoutecequenousluiavionsraconté,maisnousavionsconsciencedenepouvoircomptersursonaide.Commentpourrait-ilseulementnouscroireaveuglément?Iln’avaitrienvu,sicen’estsesguerrierssebattantentreeuxetunejeunelouvesemblantaffronterunennemiimaginaire.ChristyétaitlaseuleàêtrecapabledepersuadercetidiotdeCalumentransformantunCrinosdevantsesyeux,maisplutôtmourirqueluidemanderdedonnernaissanceunenouvellefoisàl’unecesabominablescréatures.

—Sivousnevoulezpasquevotrecommunautésubissedelourdespertes,laissez-noustouspartirencompagnie demon fils etBonnie, répéta Jeremiah qui restait étrangement en retrait. LesGuerriers del’ombrenoussuivront.

Calum,quiétaitbienplusgrandqueJeremiah,sepenchapoursemettreàsahauteur.—S’ilyadespertes,ellesn’aurontlieuquechezlesSutherland,Lupus.Jeremiahfronçalessourcils.

—Cequiveutdire?Calumsecomposauneexpressionméprisante.—Quelesmienssontcapablesdesedéfendre,maisquepersonnenelèveralepetitdoigtpourvous

aider.Jeremiah se faisait violence pour ne pas exploser. S’il touchait un seul cheveu de Calum, il se

retrouveraitunenouvellefoissouslesverrous.Ilfallaits’absteniràtoutprixdeleprovoquer.Carbienquejenesachepasexactementlequel,j’étaispersuadéequel’Hispotenaitunrôleimportantauseindelacommunauté.Soninfluencepourraitnousdesservir.

—Mor-fear-faol,plaidai-jeenposantsurluiunregardsuppliant.Vousavezuneoccasiond’éviterlepire.J’aiconsciencequelaparoledesmembresduMondeLibren’aguèredevaleurpourvous,etencoremoinscelled’une faol-creutair,mais je juresur l’Espritquecequiarriveversvousestcentfoisplusdévastateurqu’unfléau.Nousn’auronsaucunechancedenousentirersansqu’ungrandnombren’ylaisselavie.Parpitié.Protégezlesvôtres.Rendez-nousLeithetBonnie,etlaissez-nouspartir.

—Lesrèglesdoiventêtrerespectées,n’est-cepas,uncail?s’assuraCalumenappuyantsurlederniermot.

Murdochleregardaitfixementsansouvrirlabouche.Calumsavaitquesononcleétaitcoincéetquemanifestement,mêmes’ildonnaitl’ordrequ’onlibèreBonnie,iln’auraitpasgaindecause.

Le chef suprême me contempla ensuite un long moment sans rien dire, et sans que quiconque sepermettederomprelesilencedesaméditation.Monventresecontracta.J’espéraisaufonddemoiqu’ilprennequandmêmedesrisques,qu’ilnouslaisselebénéficedudoute,qu’ilfasseéclaterlefondementmêmedeleurmicrocosme,qu’ilbalayed’unreversdelamainleursidéauxlesplustenaces.Or,jesavaisque jamais il ne remettrait en cause ce que la Communauté du Sutherland avait construit durant dessiècles.Maisavantqu’ilnemeréponde, je lusdanssonregardquec’étaitperdu.Nousallionsdevoirnousdébrouillerseuls.

— Cette décision n’est pas de mon ressort, faol-ur. Nous nous en remettrons aux Anciens, meconfirma-t-ild’untonsansréplique.

Satisfait,Calumsourittrèslargement,prêtànousannoncerlacouleur.—Trèsbien!Chersinvités,enattendantlasentence,vousêtesbienentendules…bienvenusentrenos

murs. Nous désignerons pour vous des quartiers dont vous aurez la jouissance. Cependant, vousdemeurerezsoushautesurveillance.Vousnedevrezavoiraucuncontactavecmonadorablesœur,nepasdépasserlespremièreslimitesextérieuressansautorisation,etsurtout,enaucuncas,vousnepermettrezàvos amisExploiteurs d’entrer dans le cœurmêmedesEntrailles.Nous les tuerions sanshésitation.Etvousavec,ajouta-t-ilavecunrictusentendu.Desquestions?

Jeremy,Christyetmoisecouâmeslatête.Noussavionsparfaitementcequenousavionsàfaireetoùnousmettions les pieds. À partir demaintenant, nous ne pourrions compter que sur nous-mêmes. Parl’Esprit…cesgensn’avaientaucuneidéedecequ’ilsallaientdevoiraffronter.

Finalement,CalumsetournaversMurdochavecunsourirehypocrite,etdésignalasalledutrônedelamain.

—J’aisouhaitéquenoussoyonsrassemblésiciafinquetousentendentque,puisquetuesdepartipriset que ton rôle dans l’évasion dema sœur reste à définir, tu es provisoirement écarté duConseil desAnciens.Tout cela n’est qu’une formalité, bien sûr, précisa-t-il avec condescendance.Tu garderas tesdistances le temps que tout soit éclairci et que nos diacres délibèrent. Je te rappelle que tu nous asaffirméavoirvuBonniemortequandelleadisparu.D’autrepart,j’aiprislalibertédefaireplacermasœurailleursquedanstesappartements.

IlplissalesyeuxetposasonregardsurJeremiah.—Elleseraconduiteenzoned’isolement,maisbénéficieradetoutleconfortnécessaireavantquele

jugement ne soit rendu. Je ne voudrais pas qu’onm’accuse d’être sans cœur, ou de ne pas traiter unmembrede lafamilleSutherlandavectous leségardsqu’ilmérite,ajouta-t-ilavecuntonquiendisaitlongsurlesprivationsauxquellesBonnieallaitdevoirfaireface.

Jeserrailesdents.Cethommeétaitdeloinleplusméprisantqu’ilm’aitétédonnéderencontrer.Parcequ’àladifférencedeTraian,lechefstrigoï,quiagissaitouvertementpoursapropregloire,Calumfaisaitcroirequ’ilétaittoutdévouéàl’intérêtdelacommunauté.Etrienn’étaitplusfaux.J’attendaisd’ailleurs,etsansmeleurrer,lemomentoùilsemontreraitsoussonvraijour,revendiquantlaplacedesononcle.Cequiarriveraitsansdouteplusvitequejenel’imaginais.Murdochlesavaitaussi,etc’estpourquoiilnesemblapassurprisparlarequêtedesonneveu.Ilhochalatêtepourluisignifierqu’ilavaitcomprisetqu’iln’iraitpasnonpluscontresadécisiond’isolertotalementBonnie.

Calumparutgrandementseréjouirdecettecapitulation.Enquelquesorte,elleprouvaitauxquelquesmembresdelacommunautéiciprésents,etquineperdaientpasunemiettedenotreéchange,qu’ilavaitlamainmise sur le pouvoir et que l’officialisation de cette autorité n’était qu’une question de temps. Ilfrappadanssesmainsavantdeselesfrotter.

—Ehbien,puisquetoutestenordre,nousallonspouvoirfaireunpeudeménage!IlconcédaunregardméprisantàAl,etreprit.— En attendant qu’il se calme, conduisons ce… Lupus dans un endroit plus approprié. Avec ton

autorisation,uncail,précisa-t-il,patelin.Murdochs’étaitcomposédepuisunmomentunvisagequinedénotaitaucuneexpressionparticulière.

Il étudia quelques secondes son neveu sans rien dire, puis il annonça simplement, et d’un ton sansréplique,qu’illecantonnaitàlazonedéfensive.

—Excellente idée ! se forçaà rireCalum. Jeprésumequ’il vaadorer la compagniedenosautresvisiteurs ! À présent, je vous laisse. Je voudrais m’assurer que ma très chère sœur est installéecorrectement.

Ilnousgratifiad’unhochementdetêteetd’unsourireencoincalculateur.Ilfitsigneauxgardesquimaintenaienttoujourslecorpsinerted’Aldeprendreladirectiondesquartiersest,etdisparut.

Jeremiah suivit du regard le corps inanimé d’Alastair, des étincellesmeurtrières crépitant dans lesyeux.Jelesentaisbouillonnerdel’intérieur,ilretenaitlaragequileconsumait.

—Lazonedéfensive?demanda-t-ilavecdégoût.C’estlàquevotresecondnousaséquestréslorsquenoussommesarrivésdanslesEntrailles.Comptez-vousrefairesubirlemêmetraitementàmonfrère?Lemettrederrièrelesverrous?

Murdochsecoualatête.—Ilserabientraitéetlibredecirculercommeill’entend.Puisilsetournaversmoi.—IlenvademêmepourvosamisAngesNoirs.L’espaceestspartiateetinoccupédepuisplusieurs

dizainesd’années,maisc’estl’endroitleplussûrpoureux,croyez-moisurparole.Vousm’avezpeut-êtrevantéleurbonnefoi,cependant,ilssontcequ’ilssont.Personneicinetoléreraqu’ilssemêlentànotrepeuple.Unefaol-creutairestdéjàplusquejenepeuxleurdemander.

Il avait utiliséun ton égal qui prouvait àquel point, enmeprenant sous son ailepourm’éviter lesennuis,ilavaitfaituneffortconsidérable.Jenerelevaipas.Enréalité,jemefichaiscomplètementd’êtreappréciéeoupas.Puissubitement,Christyémituncouinementstridentquinoussurprittous.Gênée,ellesefrottaénergiquementlenezetneputcontenirlasalved’éternuementsquis’ensuivit.Ellesemblaitnepluspouvoirs’arrêter.

Murdochfronçalessourcils,soucieux.—Vousallezbien?—Jesuisdésolée,réussit-elleàdire,cesontmesallergiesquirecommencent.—Vosallergies?Elledodelinadelatête.—Oui,à…aux...Jeremiahclaqua impatiemmentde la langueet lui jetaunregardnoir,cequieut l’effet immédiatde

fairetaireChristy.—Parlez-nousdujugementdeBonnie,exigeaJeremiah.Àquoidevons-nousnousattendre?Murdochfermamomentanémentlespaupières.—Aupire,j’enaipeur.—Par l’Esprit !grondaJeremiah.CommentestadministrécefoutuConseil?Quidécidedequoi?

Comment?Quand?—Lesdiacres.Ilssontaunombredequatre.Jesuis lecinquièmemembre,celuiqui trancheencas

d’indécisionoud’égalité.—CalumvientdedirequevousavezétémomentanémentécartéduConseil, lui rappelai-je.Si les

diacresnetombentpasd’accord,quiarrêteralesortdeBonnie?LevisagedeMurdochsedurcitplusvitequ’unegoutted’eausousl’effetdugel.—Ledemandeur.

Jeremiahetmoipâlîmesenmêmetemps.—Calum?murmurai-je.Murdochhochalatête.—Les diacres opposés à la condamnation plaident devant le demandeur qui dispose d’une nuit et

d’unejournéeentièrepourréfléchiretrendresadécision.—C’estscandaleux!m’écriai-je.—Absolumentpasdémocratique!renchéritChristy.—Cesontnoslois!grondaMurdoch.Sachezcependantqu’ilenvararementainsi.C’estmanièce.

LesmembresduConseil veilleront à tous tomberd’accordpournepas impliquerCalumetmemettredavantageenporteàfaux.

J’acquiesçai,pasplusrassurée,néanmoins.—Combiendetempsavantqu’ilsnedélibèrent?demandaJeremiah.—Aussilongtempsqu’ilsenaurontbesoin.— Personne ne laissera faire ça,Murdoch, le prévint Jeremiah. Aucun membre de ma famille ne

mourra!Lechefdesloupssoupiraprofondément.—Jeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourl’éviter,Jeremiah,vousavezmaparole.Jeremiahsepassabrutalementlamaindanslescheveux.—Trèsbien.Alors,commencezparnousparlerdecequisepasseici.—Jenerévélerairienquimettraitendangermonpeuple,leprévintcalmementMurdoch.JeremiahémitungrondementquifitsursauterChristy.—BonDieu,Murdoch,jenevousdemanderiendetel!Commentestgouvernéevotrecité?Murdochetluis’affrontèrentduregarduninstant,puisleMor-fear-faolhochalatête.AlorsChristyse

pinçalenezetseretintpresquederespirerpournepasl’interrompre.—JesuisleLoupSuprême,éluparleConseildesAnciensquiveilleàfaireappliquernoslois.J’ai

une responsabilitémorale et physique envers lesmiens. Je suis l’exemple, celui à qui l’on se réfère.Notrecommunautéestadministréedemanièrestricte.Nouspossédonsunegarde,dirigéeparRory,monnouveaubrasdroit,etquiestcomposéed’HommidésetdeGalbrosquevousreconnaîtrezàleurtenue.Ilsportentdes capes rouges, etontpour rôle la surveillanceet lemaintiende l’ordreaucœurmêmedesEntrailles.Certainsfontofficedesentinellesenécumantleslimitesdelacommunauté.Ilscontrôlentlesentréesetlessortiessurleterritoire,détournentlesintrus,desHumainsquandilss’approchenttropprèsdesfailles.Ilssontnombreuxparici,particulièrementl’été.Quantauxgarousn’ayantpasétéinvités,cesontlescombattantscrinosquisechargentdeles…escorter,dit-ilenposantsurnousunregardentendu

—Cesonttousdesguerriers?demandaJeremiahenserrantlesdents.IldétestaitlesCrinos.Murdochhochalatête.

—Oui.Ilsfontpartiedel’Élite.—Parquiest-elledirigée?Questionqui avait sonutilité, caronnepourrait compterque sur eux lorsque les créatures strigoii

arriveraient.—C’étaitDarrenquienavaitlaresponsabilité.Désormais,jesuisleurseulréférent.Aumoins,cettenouvelleétaitexcellente.—QuelleestlaplacedeCalumdansvotrecommunauté?continuaJeremiah.LevisagedeMurdochs’assombrit,commes’ildésapprouvaitcequ’ilallaitdire.—C’estlechefdel’élitehispo.—LesHispossontaussidesguerriers,n’est-cepas?demandaChristy.—Oui. Nous sommes considérés comme la force stratégique de la communauté, car lorsque nous

mutons,nousgardonslecontrôletotaldenosactesetdenospensées.—Cequin’estpaslecasdesCrinos,murmuraChristyquiavaitencorebiendumalàseremettrede

sonexpérienceavecceluiquinousavaitpourchasséesunpeuplustôt.—Non.Cesontdestraqueurs,desexterminateurs,expliquasimplementMurdoch.Ilsnecessentdese

battrequelorsqueleurobjectifestatteint.Ilsreprésententlaforcebrute.—Ilsonttuémafemme!grondasoudainJeremiah.Ilsontdéfigurémonfils!Lechefdesloupspritunairsincèrementaffligé.—Etj’ensuisprofondémentdésolé.Jen’étaispasencorenomméMor-fear-faolàl’époque,jen’étais

quesecond.Beaucoupdechosesontchangédepuis.Jeremiahsoutintsonregardetneditrien.Murdochn’étaitpassonennemi,illesavait.—Vousn’avezpasparlédesLupi,notai-jeaposteriori.N’yena-t-ilaucunquiadhèreàvoslois?Murdochplissalespaupièresetjetaunbrefcoupd’œilàJeremiah.—Ilssontrares,reconnut-il,etilsviventenretrait.Nousnelesvoyonsquetrèsoccasionnellement.

Ilshabitentendehorsdu territoireetserventd’intermédiairesentrenouset leMondeLibre lorsqu’uneinformationimportantedoitnousêtrecommuniquée.

Jeme souvins alorsduLupusqui avait enseignéàLeith le charmede l’égide. Il tenaitune station-serviceàquelqueskilomètresdelafrontièredelaCommunautéduSutherland.

—DageusSlater,celuiquiaprogrammél’enlèvementdemonpetitami,enest-ilun?Ilnepritpasuneseulesecondepourréfléchir.—Non.—Vousleconnaissez?—Oui.Jel’airencontréàplusieursreprises.Ilaffirmeêtreundescendantd’Aonghas.—Cequ’ilditestvrai?—Nosancêtresavaientuneprédilectionpourl’adultère.Beaucoupdegarousrevendiquentnoschefs

dansleurarbregénéalogique.C’esttoutàfaitpossible.

Jesoupiraid’épuisement.Nousdevionsàtoutprixremonterjusqu’àDageusSlaterpourconnaîtrelemotdelafin.Sadernière

entrevue avecKeithForbes n’avait vraisemblablement pas suffi à lui faire cracher tout lemorceau. Ilavaitjusteévoquél’enlèvementdeLeith,riend’autre.Pourtant,onnepouvaitreprocheraudétectivedenepasavoirmistoutsoncœurpourlefaireparler.Ilétaitimpératifdeluiarracherunenouvellefoislesversdunez.Cependant,ilnousétaitimpossibledefuirmaintenant.PassansLeith.Etmêmesijerestais,Jeremiahrefuseraitdepartirennouslaissantici.QuantàjoindreKeithpourluidemanderderetourneràStAndrews,nousnelepouvionspaspourl’instant.

—Lorsquenoussommesarrivésici,vousnousavezaffirméquechaquenoviceétaitpasséàlaloupeavantd’obtenirlapermissiondepénétrerlesEntrailles,rappelai-jeàMurdoch.

Ilacquiesça.—C’estvrai.Nousdisposonsdedossierstrèscomplets.Puisilsoupiralonguementquandilcompritoùjevoulaisenvenir.— Écoutez, je vais faire vérifier qu’Alan Kerr et Shona Aiken sont bien qui ils prétendent être.

Donnezdeuxoutroisjoursàmessentinellespourcontrôlertoutça.Maisjedoutequ’ilyaituneerreur.Puisils’interrompitdansuninstantd’hésitation.—Êtes-vousabsolumentcertainequecejeuneLupusestbienceluiquevouscherchez?—Évidemment !m’insurgeai-je.C’estmonâmesœur !Vouspensez franchementque jepourrais le

confondreavecunautre?Jeluiaiparlé,jel’aisenti,jel’aitouché,jel’aieuenmoi!Vousvenezdemedirevous-mêmequelesLupisefaisaientraresparici.Vouscroyezsincèrementàunhasard?

—Jepeuxsavoirdequoivousparlez?intervintJeremiahenfronçantlessourcilsavecforce.QuisontceAlanKerretcetteShonaAiken?Qu’ont-ilsàvoiravecmonfils?Quesepasse-t-il?Àquelhasardfais-turéférence,Hannah?Àquelsujetaurais-tuéventuellementputetromper?BonDieu,àquoifaites-vousallusion?

Mon regard croisa celui de Christy. Elle semblait tout aussi affligée que moi. Je ne savais pascommentdirelavéritéàJeremiahparcequ’iln’existeaucunefaçondécentepourannonceràunpèrequesonfilsnesesouviendrapasdeluiquandilleverra.

—Expliquez-vous!gronda-t-ilsoudain,àboutdenerfs.Je fermai les paupières et me frottai les yeux. J’avais la gorge nouée, l’estomac douloureusement

comprimé,etlasensationd’avoirduplombàlaplacedelalangue.Sibienquejefusincapablededireunmot.Christylecompritetmefitunsourirecrispé.

—Jeremiah,commença-t-elled’unevoixdouceenposantunemainsursonbras.Lespupillestotalementdilatées,ilglissasurelleunregardd’uneférocitéeffrayante.—Votrefilsaperdulamémoire.C’estirréversible.

Chapitre3

J’euslatrèsnetteimpressionquelavoûtesouslaquellenousétionsvenaitdemetombersurlatête,quetoutlesangcontenudansmesveiness’étaitglacéd’unseulcoup.

—Irréversible?chuchotai-je,incertained’avoirbienentendu.Christynemeréponditpas.ElleavaitlesyeuxfixéssurJeremiahquiparaissaitnoyédansunetotale

incompréhension.La vérité était que nous l’étions tous.Murdoch avait lui aussi entrouvert les lèvres,muetdestupéfaction.

—Monfilsestamnésique?demandaJeremiahenfronçantlessourcils.Puisilsetournaversmoi.—Hannah?Nem’as-tupasditquetuluiavaisparlé?Levisagedéfait,jehochailatête.—Ilnesesouvientpasdemoi.Derien.Ilpenseêtrequelqu’und’autre,avouai-jed’unevoixatone.PuisjemetournaiversChristy.—Parl’Esprit,dites-moiquecen’estpasvrai,quecen’estpasirréversible!Jeremiahm’observauncourt instant.Je tremblais, lespoumonscomprimésdansunétau,et lagorge

aussisèchequesij’avaisdormilaboucheouverte.Jen’enpouvaisplus.Quandtoutcelaallait-ilcesser?Quandallions-nousenfinnousensortir?

—Commentça,«ilseprendpourquelqu’und’autre»?répétaJeremiahavecbrusquerie,faisantmined’ignorerquej’étaissurlepointdedéfaillir.

Commej’étaisincapablederépondre,ilplantasonregarddansceluideMurdochpourchercheruneexplicationquelechefdesloupsnepossédaitpaslui-même.

—Hannah,est-cequeçava?s’inquiétaChristyenmevoyantpâliràvued’œil.Jenepusrienfaired’autrequesecouerlatêtededroiteàgauche.—Pourquoiest-ceirréversible?murmurai-jed’unevoixsitremblantequejelareconnusàpeine.Christyembrassa lagrottedesyeuxavantde se frotter énergiquement lenezpouréviterd’éternuer.

PuisellesetournaversMurdoch.—Pourrions-nousdiscuterdetoutçaailleurs?—Non!tonnaJeremiahd’unevoixcaverneuse.Sic’estd’uncanapé,d’unebonnetassedethéetde

biscuits dont vous avez besoin, vous allez devoir vous en passer ! Qu’est-il arrivé à mon fils ? Etpourquoiprétendez-vousquec’estirréversible?Jeveuxuneréponse.Maintenant!

À l’expression tendue de Christy, je sentis qu’elle était sur le point de lui envoyer une répliquecinglante.Cependant,elledutavoirdelacompassionpourluietcomprendrequecettesituationdevaitle

rendreaumoinsaussifouquemoi,parcequ’elles’enabstintetacquiesça.Jeremiahétaitàbout.—Jen’ai,hélas,aucuneexplicationàvousdonnersurlesraisonsprécisesdecetteamnésie,maisje

peuxvousdirecommentc’estarrivé.Jepensequevotrefilsasubiunsortd’effacementquiconsisteàviderlamémoiredelavictime,etàprofiterdelatransedanslaquelleilsetrouvepourluiimplanterdessouvenirsparrécitation.

—Dessouvenirsparrécitation?répétaJeremiah,totalementperdu.—Oui.Des éléments de base, son cerveau fait le reste. En gros, il brode. C’est un sortilège très

puissant.—Onluiauraitvolontairementfaitperdrelamémoire?s’étonnaMurdoch.Maispourquelleraison?—SansdouteàcausedecellesdontHannahvousadéjàfaitpart,luirappela-t-elle.Ilfronçalessourcilsdansuneexpressionquiaffichaitundoutecertain.—Çamesembletoutdemêmetrèsdisproportionné.Ilnes’agissaitquedeprendrelaplacedechefde

meuteàl’université.Christysoupiraavecfatalisme.—L’espècehumainenereculedevantrien,Murdoch,vouslesavezmieuxquepersonne.—Nousnesommesjustementpastoutàfaithumains,rétorqua-t-il.—Certes, lui accordaChristy, il n’empêcheque ceSlater a trouvéunmoyen efficace pour que ce

garçonnereviennejamaisàlacharge.Cequiauraitputrèsbienfonctionners’iln’avaitsous-estimésesproches.

—Arrêtonstoutcebla-bla!s’énervaJeremiah.Dites-moiexactementcequ’ilenest.Aveccalme,Christyaffrontasonregardenflammé.—Trèspeudemessemblablessontcapablesd’untelcharme.—Cellesquilesontdépendent-ellesdevotreguilde?Elleopina.—Cependant,jen’enconnaisaucunepersonnellement.Jenesauraisprétendresavoirdequiils’agit.

Toutcequejepeuxaffirmeraveccertitude,c’estquelesortestirréversible.Les poings serrés, Jeremiah donnait l’impression d’être à deux doigts de frapper sur quelqu’un,

n’importequi,pourvuqueçaledéfoule.Personnenesutquoiajouterdeplus,etsurtoutpasmoi.Jeneréalisaisencorepaslesconséquencesde

cequ’elleavançait.Alors, aprèsunécrasant silenceentrenous,maisquiparaissaitplusassourdissantquelebrouhahadesgardesaufonddelasalle,Jeremiahrepritlaparole.

—Çanevousestpasvenuàl’idéequ’ilpourraittoutsimplementfairecommes’ilnesesouvenaitderien,quecesoitunepurecomédie?

J’yavaisdéjàsongémoiaussi,maisChristysecouatristementlatête.—J’aimeraispouvoirvousdireoui,Jeremiah.Sincèrement.Larévoltequibouillonnaitdans lesveinesdeJeremiah transpiraitpar tous lesporesdesapeau. Il

avaitenviedehurleretsedonnaitunecontenancequisemblaitpresquelefairesouffrirtantlesmusclesdesonvisageétaienttendus.

—Commentpouvez-vousprétendreque l’amnésien’estpas justepassagère?Qu’iln’apassubiunsimplechoc?Noussommesforts,certes,maispasinvulnérables.C’estdel’ordredupossible.

Ilcherchaitavecacharnementunesortiedesecours,s’accrochantàtoutesleséventualitéspossibles.Detoutesmesforces,jepriaienmoi-mêmepourqueChristyadmettequ’ellepouvaitsetromper.Or,ellefinitparfaires’écroulertousnosespoirs,tousmesespoirsderetrouverleLeithquejeconnaissais.Monamour.Monâme.Mavie.

— Ses yeux. Je m’en suis rendu compte en le regardant attentivement. Par moment, ses iris sontfinementencerclésdenoir.C’estlesignequ’ilestsousl’influenced’unsortilège.

Jen’avaisrienvu,pourtant,j’avaistrouvésonregardsidifférentdeceluiquim’étaitfamilier,sivide,sifroid…

Irréversible.SicequeChristyavançaitétaitvrai,Leithne réaliserait jamaisceque je représentaispourlui.Jeseraisàjamaisuneinconnueilluminéequileprenaitpourunautre.Çamefaisaittellementmal que mon corps commençait à en ressentir physiquement les effets. Trop de choses à digérer, àassumer,àencaisseràlafois.Mesjambesm’abandonnaient,mesmusclesétaientfaiblesetl’extrémitédemesmembresfourmillante.Pouréviterdemontrermadétresse, je fermai lespaupièreset tentaidemeressaisirencontrôlantmarespirationpendantquelquessecondes.

—Ildoitbienexisterunmoyen!grondaJeremiah,désespéré.Unmoyenquevousneconnaissezpas.—Jeregrette…,murmuraChristy.Iln’yenaaucun.—Onluiaimplantéd’autressouvenirs,expliquai-jeàJeremiahd’unevoixchaotique.Ildits’appeler

AlanKerretfairepartied’unefamillequisoutientlaCommunautéduSutherland.Jenesaispass’ilgardeenmémoirelevoyagequ’ilafaitpourvenirjusqu’ici,maisilaffirmes’yêtrerendudesonproprechefpoursuivrel’enseignementdesEntrailles.Ilesttotalementpersuadéquejemetrompe.Jenereprésenterienpourlui.Jen’aipasvud’étincellesbrillerdanssesyeuxquandilmeregardait.Pourtant, il n’a pas hésité à te tirer des griffes du Crinos, me cria une petite voix intérieure.

Pourquoi?Pourquoi,situnereprésentesrien?Ilsesouvientdetoi!Unepartdeluisesouvientdetoi!

Jeremiahsecoualatêtededroiteàgauche.—Toutçaenhuitjours…Commenta-t-ilputrouverlacitétoutseul,onluiaaussigrefféuneborne

GPSdanslecrâne?finit-ilparironiseravecuneprofondeamertume.—Ilestvenuaccompagné.Sesyeuxs’arrondirent.—Dequi?Je le regardai fixement. Ilme semblaque lesmotsn’allaientpas sortirdemagorge tant ils étaient

douloureux.L’expressionémerveilléedeLeithquandilparlaitdecellequ’ilprenaitpoursacompagne,la

manièredontilavaitprononcésonnom,avectantdedouceuretd’admiration.J’enavaisencorelesoufflecoupé.

—Dequi?répétaJeremiahavecautorité.—UneGalbro.Sapetiteamie,soufflai-je.Jeremiah demeura imperturbable devant cette révélation,mais la lueur dans ses yeuxme témoigna

toutelasollicitudeetlacompassiondontilpouvaitfairepreuve.—LafameuseShonaAiken?Quiest-elle?Àmoinsd’avoirétémanipulée,elleaussi,elledevrait

être enmesure de nous donner quelques explications, non ? Conduisez-moi à eux,Murdoch ! Sur-le-champ!

Ilfitnondelatête.—Jevousledéconseille.Sivousfonceztêtebaissée,etquecettejeunefemmeestimpliquée,vous

risqueriezdebraquervotrefilsetdeleurfaireprendrelafuite.Ilsnesontpasnésici,ilssontvenuspourseformerànosrègles,cequiveutdirequ’ilspeuventrepartirquandbonleursemble.Ilsn’ontbesoind’aucuneautorisation,etpersonnenelespourchasseraàmoinsqu’ilsdivulguentnossecrets.

— Il a raison, Jeremiah, renchérit Christy d’une voix douce. J’imagine combien cette situation estdouloureusepourvous,maisdanslesEntrailles,votrefilsserasousbonnegarde,alorsques’ils’enfuitvousn’aurezaucunmoyendeleretrouver.Ilvautmieuxfairecommesivousnesaviezrienettenterderécolterhabilementdesinformations.Qui?Quand?Comment?Çanereferasansdoutepasrecouvrerlamémoireàvotrefils,maislescoupablesserontpunis,etLeithpourrasereconstruire.

JeremiahobservaitMurdochetChristyenserrantlesmâchoires.Ilsavaientraison.Jeremiahlesavaitautantquemoi.Maiscommentdemanderàunpèredejouerlacomédiealorsquetoutcequenousvivionsétait très sérieux au contraire ?Comment le contraindre à feindre l’indifférencedevant son fils, denelaissertransparaîtreaucuneémotion?Ilfaudraitquejem’ypliemoiaussi.Mentir.Donnerl’illusiondem’être trompée. J’avais envie de vomir et me sentais dangereusement proche des larmes. J’en avaispourtantdéjàbientropversé.

—Jeferaidemonmieuxpourvousaideràensavoirplus.Jevouslepromets,ajoutaChristyd’unevoixvibrantedesincéritéavantd’étoufferunéternuemententresesmains.

Sansmotdire,Jeremiahlascrutaintensément.Onauraitditqu’ilcherchaitàcomprendrepourquoielles’impliquaitdecettemanièrealorsqueleurrencontreremontaitàquelquesheuresàpeine.Jemeposaislamêmequestion.Toutefois, lorsque j’observaisChristy, j’éprouvais un sentiment comparable à celuiquej’avaisressentilorsquej’avaisfaitlaconnaissancedeBonnie.Ellem’inspiraitconfiance.Pouruneraison que je n’expliquais pas, j’étais certaine qu’elle jouerait un rôle important dans la familleSutherland.Et l’espaced’un instant,en lavoyantenroberJeremiahd’un regard réconfortant, jemedisqu’elleseraitparfaitepourlui.

Troublé,Jeremiahhochalatêtepourlaremercierets’adressaàMurdoch.—Trèsbien.Maisl’ignoreralorsqu’Hannahelle-mêmes’estmanifestéeparaîtraétrange.Demandez

àcequ’ilviennemerencontrer,defaçonàcequej’admettedevivevoixetdevantluiqu’iln’estpas…monfils.

Lesdeuxderniersmotssebrisèrentaufonddesagorge.IlfermalespaupièresfurtivementetattenditlaréponsedeMurdoch.

—C’estd’accord.Demainmatin.Jeremiahacquiesça.— Maintenant, conduisez-moi à mon frère. Je ne veux pas qu’il soit seul quand il reprendra

connaissance.Murdochluifitsignequeoui,s’éloignadequelquespas,etrécupéraunesacocheencuirnoirposéeau

pieddutrône.IllatenditàChristy.—Sivousavezprislapeinedeveniravec,c’estquevousjugiezenavoirbesoin.Lasorcièreleremercia,etouvritlesacpourvérifierrapidementqu’ilnemanquaitrien.Alorsque leparfumdumusc régnait icienmaître,desodeurs familières sedétachèrent soudainde

toutes les autres. Je tournai la têtevers lagalerieouest, et vis apparaîtreungardehispoqui escortaitÉtienne, Anneas et Georgia. Soulagée, je sentis le tout premier poids de la journée me quitter, et jemarchaiàleurrencontre.

Georgiasejetasurmoipourmeserrercontreelle.—Onaeuunedecespeursennevousvoyantpasarriver!Toutvabien?Jem’écartaidoucement,etdévisageaiÉtienneetAnneas.—Oui,çava.OùsontDan,JohnetKeithForbes?—ToujoursàBettyhill,réponditAnneas.Puisilmitlamaindanslapochedesonjeanpourenressortiruntéléphoneportable.—Jesupposequeleréseaunepassenullepartici?Jesecouailatête.—Soit…Sinousnesommespasrevenusdanstroisjours,ilsnousrejoindront.J’acquiesçaid’unhochementdementon.ÉtienneetGeorgiaseraidirentbrusquement.Murdochapprochait.Ilétaitsuivid’unHisposigrandet

simince – ce qui était plutôt rare pour un garou de son espèce – que je me demandais sincèrementcommentils’yprenaitpournepasperdrel’équilibre.JeremiahetChristy,eux,n’avaientpasbougé,ilsattendaient.

—Nousn’avonsjamaiseuautantdeLupiréunisicienuneseulefois,lâchalechefdesloupscommepourlui-même.JesuisMurdoch,leMór-fear-faol.SoyezlesbienvenusdanslesEntrailles.

Ilsseprésentèrentduboutdeslèvres,incertainsdelaconduiteàtenir.Murdochplissalesyeuxd’unairamusé.—Des logements vous ont été réservés. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, nous allons vous y

escorter.Vous pouvez circuler et sortir librement, cependant, Rory vous expliquera les règles à tenir,

ajouta-t-ilendésignantl’Hispoquipatientaitdiscrètementderrièrelui.Mes amis se regardèrent sans oser s’opposer à l’ordre non dissimulé deMurdoch. Je leur souris

brièvementpourleursignifierqu’ilspouvaientluifaireconfiance,puisleLoupSuprêmelesobservauncourtinstantsansriendire,etsetournaversmoi,levisagegrave.

—Je suis sur lepointd’accompagner Jeremiahauprèsde son frère.Souhaitez-vousvous joindreànous?

Georgiaetlesautresfroncèrentlessourcilsd’unairinterrogateur.—Jeviens.Jevousretrouveraiplustard,annonçai-jeàlaMeutesansplusd’explication.Etjetournailestalons.—Hannah,attends!s’écriaGeorgiaenmeprenantparl’épaule.Jefermailespaupières.Jesavaisqu’elleétaitsurlepointdemedemandersij’avaisretrouvéLeith.—Plustard,répliquai-jeenmedégageant.Ellenecherchapasàmeretenir,maisjesentaisleursyeuxbraquéssurmoi.Sansunregardenarrière,

jemarchaisurlespasdeMurdoch,Christysurmestâlons,etdisparusdansuncouloir.Nous reprîmes lemême chemin que nous avions emprunté un peu plus tôt. La tête haute et l’allure

majestueuse,Murdochnousfitlongerunelongueparoihumideetsombretoutjusteéclairéeparlatorchequ’iltenaitenmain.Laflammevacillaitàpeinetantl’airmanquait.L’odeurdemoisissureétaitlourde,oppressante, insupportable. Christy était aussi incommodée que moi, elle ne cessait d’éternuer. Nouscontournâmeslelacsouterrainéclairédelanternesbleues,empruntâmesunautregoulot,et,enquelquesminutes, nous atteignîmes les quartiers défensifs dont la porte d’accès – en raison de la présence desAngesNoirs–étaitgardéeparunguerrierhispo.CederniersedécalapournouslaisserlepassagetoutenadressantunhochementdetêterespectueuxàMurdoch,maislorsqueJeremiah,Christyetmoi-mêmepassâmes devant lui, il nous coula un regard méprisant. Aucun de nous ne se sentit touché par sonhostilité.Nousenavionsvud’autres.Nousl’ignorâmesetpénétrâmesdansl’immenseespacebordédecellulesquinousavaitaccueillisànotrearrivéeici.

PittetGrigoreattendaientdeboutaucentredelasalle,parmilestablesetleschaisespoussiéreuses,surprisdevoiruneHumaineennotrecompagnie.IlsdévisagèrentChristytandisquenousavancionssansunmot.Discrètement,j’avisailevisagecrispédeMurdoch.Ilretenaitsarespirationpournepassentirl’odeurâcredesAngesNoirsàlaquellejem’étaishabituéedepuislongtemps.Ilsledégoûtaient…

Mon regard passa de Pitt à Grigore. Ses cheveux, de cette teinte étrangement plus foncée que sessemblables,luiretombaientsurlefrontetsoulignaientladuretédesonregardgrisclair.Lespaupièresplissées et les mâchoires serrées sur une expression tendue, son regard ne me quittait pas. Commehypnotisée,jefusmoi-mêmeincapabledemedétacherdesesyeux.Lavéritéétaitquejen’enavaisnulleenvie. Un fluide invisible transportait sa crainte jusqu’àmoi. Je la ressentis comme si elle avait étémienne.Ilavaiteupeurpourmoi.Ilétaitheureuxdemeretrouver.Jememordisleslèvres,auborddeslarmes.J’auraistantvouluqu’ilsoitLeith.Tellement…

Jefermaifurtivement lespaupièresetdéglutisavantde lesrouvrir.J’avaisavancésansmêmem’enrendrecompte,etlorsquejevislesvilainesbalafresquiluifendaientlajouegauche,lementon,lecouetlamoitiédutorse,monsouffles’altéradavantageetjem’arrêtaiàquelquespasdelui.Maculédesangséchéetdeboue, ildégageaituneénergiepuissanteetsauvage. Ilétait fort, je lesavais,sesblessuresdisparaîtraient d’elles-mêmes, mais je ressentis un désir brut, impossible à réprimer, de passer mesmains sur sa peau pour les effacer. J’enfonçaimes ongles dans le creux demes paumes et retinsmarespiration.Jedétestaisqu’ilsoitblessé,jedétestaissavoirqu’ils’étaitbattupourmevenirenaideetqu’il avait risqué sa vie. La lutte, aussi courte fût-elle, avait dû être d’une violence abjecte. Jeconnaissaisl’agressivitédesHisposetdesCrinosquandilétaitquestiondesedéfendre.Ilsétaientprêtsà tout, plus efficaces que desmachines de guerre. Je grinçai des dents. Pitt et Grigore avaient de lachanced’êtretoujoursvivants.Jemeressaisispourdebonetexpulsaitoutl’airdemespoumons.

—Votrefrèreestici,annonçaMurdochàl’intentiondeJeremiahendésignantdumentonunecellulesansgrille.

Noustournâmestouslatêteenmêmetemps.Alétaitallongésurunepaillasseenpiteuxétat,lesbrasencroixetlaboucheouverte.Sansattendre,Jeremiahlerejoignit,suiviparChristyquifouillaitdanssasacochepourensortirunflaconpasplusgrosqu’unéchantillondeparfum,probablementunremèdepourlefairereveniràlui.

—Jevouslaisseentrevous,nousditMurdochenglissantunregardversleniveausupérieur.Jelevailesyeux.Ausommetdel’escalierenmétalpermettantd’accéderauflancestdeBenHope,

troisGalbrosarmésjusqu’auxdentsfaisaientdesalléesetvenuesincessantes.J’eusenviederire.Aucunpoignard,aucunedague,hacheouépéeneleursuffiraitpourveniràboutdedeuxAngesNoirsdepresquecinqcentsans.JesaluaiMurdochd’unhochementdementonetmepostaidevantPittetGrigore.

—Est-cequeçava?Puisjeregardaiautourdemoi.—OùsontDariusetGwen?—Toi,d’abord,exigeaGrigoreenmedétaillantdelatêteauxpieds,s’arrêtantsurmatenueetmes

piedsnus.Tun’asrien?—Non,répondis-jed’unevoixminusculepourqu’ilnedevinepasàquelpointj’étaisheureusedeme

retrouverenfacedelui.JedétournaimonattentionsurPitt,ilsemblaitallerbien,mêmesisondosetsescôtesétaientplusou

moinsdansunétataussipitoyableque le torsedeGrigore.Lescheveuxenbatailleet les traitsencorefrémissantsd’excitation,jenepusm’empêcherdeletrouvermagnifique.Pittaimaitsebattre.Ilaimaitça,parcequ’iln’avaitrienàperdre.Cequilerendaitplusdangereuxquen’importelequeld’entrenous.

—OùsontGwenetDarius?demandai-jeunenouvellefoisavecunpeuplusdeconviction.—Ilsontprislafuite,lâchaPittd’untonégalenhaussantlesépaules.Jefronçailessourcils.

—Ilsontprislafuite?—Nedispasn’importequoi!s’emportaGrigoreenlefusillantduregard.Bienqu’ayantlemêmecréateur,etmalgrélerapportparticulièrementfusionnelqu’ilsentretenaient,ils

étaient souvent en opposition. Depuis la mort deMinah, Pitt ne voyait plus l’éternité avec autant desérénité que Grigore, et c’était pourquoi il ne manquait pas une occasion de le provoquer, de luidémontreràquelpointiln’étaitplusl’hommequ’ilavaitconnu.

Pitthaussalesépaulesensouriant.—Appelleçacommetuveux.Jeclaquailalangue.—Çasuffit!Expliquez-vous.Grigoresemblaittendu.Vraimenttendu.—Quoi?insistai-je.—Jouefranco,monfrère,jesuiscertainqu’Hannahn’estplusàçaprès,semoquaPitt.—Quesous-entend-il?demandai-je,lecœurbattant.Grigorebaissalespaupièressurmoi,lesmâchoirescrispées.—Ilsn’ontpaspuprendrelafuiteparcequ’ilsnesontpasvenusjusqu’ici.—L’artetlamanièred’éludercequ’ilyadeplusessentiel,s’esclaffaPittenlevantlesyeuxauciel.

Crachelemorceau,c’estunegrandefille!Puisilsetournaversmoiensecouantlatête.—PauvreHannah…Cedoitêtreagaçantd’être toujoursconsidéréecommeunbébé,allez, rebiffe-

toi!Jefronçailessourcils.Pittetmoin’étionsplusvraimentenguerredepuisqu’ilm’avaitsauvélavieet

qu’il avait admis être incapable deme nuire à cause du lien qui nous unissait Grigore etmoi. C’estpourquoi j’étaispresquesûrequ’ilnemeprovoquaitpasparpureméchanceté.Toutefois, je serrai lesdents.

—Qu’enest-il,Grigore?Est-cequ’ilyaunrapportaveclesGuerriersdel’ombre?GrigorenequittaitpasPittdesyeux. Il semblait franchement luienvouloirdenepasavoir tenusa

langue.—Maintenant,çasuffit!m’énervai-jepourdebon.Quesepasse-t-il?—Dariusaprisladécisiondebrouillerlespistes,finitparavouerGrigorelamineassombrieparune

inquiétudemanifeste.Lorsquejeréalisaicequeçavoulaitdire,jeblanchisàvued’œil.—Maispourquoia-t-ilfaitunechosepareille?C’estluiquiestrecherché,pasnous!Ilsvontfoncer

droitsurlui,ilsvont…Jem’étranglai, incapable de terminermaphrase rienqued’imaginer ce qu’ils pourraient leur faire

subir,àluietGwen.

—Quelcrétin!nepus-jem’empêcherdejurer.Qu’est-cequiluiapris?LevisagedeGrigoresefitplusfroidquelaglace.—Nesachantpascequisepassaitici,ilapréférénecouriraucunrisqueetdisparaître.—Ettul’aslaisséfaire?beuglai-jeenluijetantunregardenflamméparlacolère.C’estluiqu’ils

cherchent,ilssuivrontsatrace.—Oui.—Vousavezfaituneterribleerreur…,m’entendis-jemurmurer.Dans lamesure où je ne comptais pas abandonnerLeith etBonnie ici, je n’aurais aucunmoyen de

venirenaideàDariusetGwenquandilsseferaientattaquer.J’enavaislanausée.—Non,Hannah.Nousavonsfaitcequinoussemblaitlemieux,rétorquaGrigore.Vousprotégertous

enleséloignantdevous.Macolères’embrasacommeuneallumette.—Cequivoussemblaitlemieux?Est-cequetut’écoutesparler,Grigore?Quellechanceont-ilsde

s’ensortir,hein?Yas-tuseulementréfléchi?Non.Biensûrquenon!C’estdelafolie!Vousêtestouscomplètementinconscients!Ilsnelesvoientpas!Ilsnelesvoientpas,bordel!

—Pasinconscients,responsables,mecontredit-ilcalmement.Etnesoispasaussivulgaire.—Ilsnelesverrontpas,Grigore!répétai-jepourlatroisièmefois.Ilhaussamollementlesépaules—DariusetGwensedéplacentplusvitequ’eux.EtDariusportetonamulette.—Labelleaffaire!Tun’aspaslamoindreidéedecequeturacontes!Parl’Esprit,toutsecompliquait.DariusetGwenrisquaientleurvie,celledeBonnieétaitdéjàenjeu,

etAlastairrisquaitfortementd’engagerlasiennepoursauversafemme.Ilyauraitdesmorts.Oh,oui,ilyenaurait,etjenepourraisrienyfaire.J’auraisvouluhurlerderage.

Grigoreplissalespaupières,passablementirrité.—JesuisunAngeNoir.Jesaisparfaitementdequoijeparle,Hannah.—Non!insistai-je.Tudiscequetusais,maistunesaispascequetudis!Toutça,c’estreculerpour

mieuxsauter!Quandilslesauronttués,c’estnousqu’ilsviendrontchercher,parcequenoussommestousconcernés,nousavonstoushumiliéTraian.Ilsvonts’attaqueràlacommunauté.

Ileutungesteindolentdelamain.—Nousseronspartisd’iciavantqu’ilsn’arrivent,prétendit-il.—Tun’ensaisrien!Bonsang,Grigore,jecomprendsquelacommunautét’importepeu,maisn’as-tu

doncaucuneconsidérationpourDarius?C’estlamortquil’attend!Lamort!—Çasuffit!tonna-t-il,àboutdenerfs.Sic’esttoi,oului,jepréfèrequecesoitlui.—Commentoses-tu?hurlai-je,horsdemoi,prêteàluiexpédiermonpoingàlafigure.PuisPittéclatasubitementderire.En pleine fureur, je tournai la tête, aussitôt imitée par Grigore. Nos regards s’étaient faits plus

menaçantsquedesmissilessurlepointd’êtrelancés.Ils’esclaffadeplusbelle.—Bonsang!Regardez-vous!Vousavezl’aird’unvieuxcouple!Nousl’observâmesuninstant,bouchebée,avantqu’ilfasseminedesécherseslarmes.—OK,Hannah,au lieudenousvolerdans lesplumes,si tucommençaisparnousdirecequis’est

passéennotreabsence?Tuasretrouvél’amourdetavie?Ilavaitappuyésurladernièrephraseavectantd’ironiequemabouchesetorditd’elle-même.Àcôtédemoi,sansmêmeleregarder,jesentistoutelacrispationdeGrigoreàlamentiondeLeith.

Alors,avantd’entrerdanslevifdusujetetdeleurparlerdusortilègequ’onluiavaitjeté,jecommençaiàleurraconternotrerencontreavecChristy,laraisondel’existencedesGuerriersdel’ombre,lamanièredont nous avions été accueillis ici, la mort de Darren, notre rencontre avec Murdoch et tout ce quis’ensuivait.

—Bien!seréjouitPitt.Tonpoiluestici,onvapouvoirsetirerauplusvite.Tuvois,cen’étaitpaslapeinedenousenfairetoutunfromage.

—Grigoreettoipouvezpartirsivouslesouhaitez.Grigoreseraiditetmefitfaced’unmouvementsec.—Qu’est-cequeçaveutdire?Jelevaisurluidesyeuxdéterminés.Lessiensavaientprisl’aspectdel’argentenfusion.Lesirisgris

clair,commeliquéfiés,ilmedonnal’impressiond’êtreprêtàbondirpourmesecouercommeunprunier.Je retinsmarespirationquelquessecondes,conscientequ’iln’aimeraitpasentendreceque j’allais luiannoncer.

—Jenevienspasavecvous.—J’avaisparfaitementcompris!gronda-t-ilaussitôt.Pourquoi?Jeveuxsavoirpourquoi,etaussice

quisepassedanstapetitetête,Hannah!Il serrait les poings.Mais sa fureur et tous les meilleurs arguments du monde ne me feraient pas

changerd’avis.JerepartiraisavecLeithoujenerepartiraisjamais.—ParcequeLeithabesoindemoi,annonçai-jed’unevoixquejevoulaisclaireetassurée.Etparce

que sa tante risque d’être condamnée à mort pour nous avoir emmenés ici et que je refuse del’abandonner.

Les narines frémissantes,Grigore éluda bien vite la dernière explication pour se concentrer sur lapremière.

—Pourquoiaurait-ildavantagebesoindetonaide?JesentismespupillessedilaterausouvenirdechaquemotqueLeithavaitprononcéetquim’avait

brisée de toute part. Je pris une inspirationmesurée et fermai furtivement les paupières avant de luirépondre.

—Ilaperdulamémoire.LesyeuxdePittetGrigores’arrondirentdesurpriseenmêmetemps.

—Toutdumoins,quelqu’unlaluiavolée,précisai-jeavecunepointederagequejenesuscacher.Alorsjeleurracontainosretrouvailles,cequeChristynousavaitrévéléetcequenousavionsprévu

de faire pour en savoir plus.Grigore demeurait immobile, le visage aussi inexpressif que celui d’unestatuedepierre.

—Jenepeuxpaspartird’ici,continuai-je.Pastantquejen’auraispascompriscequiluiestarrivé,etpassansBonnie.

—Irréversible?répétaGrigored’unevoixsanstimbre.JehochailatêteetcroisaileregardlumineuxdePitt.Nousnousobservâmesunmomentsansqueje

sois capable de deviner ce qu’il était en train de penser. Mais pour la première fois, ses traits nerévélaientaucunetraced’amusement.Cependant,jenepusm’empêcherd’êtrecinglanteetamèreavantdetournerlestalons.

—Félicitations,Pitt.Ondiraitbienquetuasobtenutavengeance.

Chapitre4

Ce sont les bruits matinaux et lointains qui me sortirent du sommeil. Je soulevai les paupières,accueillieparunplafond rocheux,humide, irrégulieret étrangementaniméd’ombresdansantes. Jemisplusieurs secondes avant deme souvenir que jeme trouvais au cœurde la cité garolle, et encoreunepoignéedepluspourréaliserquesilesguerriersstrigoiin’avaientpasmontréleboutdeleurnez,c’étaitparce que Darius avait pris des risques. Je soupirai, repoussai les draps dans lesquels je m’étaisemmitouflée,etm’assissurlapaillasseposéeàmêmelesol.Elleétaitcouvertedetissusmatelassésquinel’avaientpasrendueaussiinconfortablequejel’auraiscruaudépart.Jeplissailefrontet,duboutdesdoigts,jemefrottailesyeuxengrimaçantdedégoût.Ici,lestorchesrestaientalluméesjouretnuit,l’airempestait le fer chaud, la cire brûlée et la graisse animale. Comment ces gens faisaient-ils pour êtrehabituésàcetteodeurâcre,àl’humiditéetaumanquedelumière?Commentsupportaient-ilsd’évoluerdansdesconditionssirudimentairesàlongueurdetemps?

Je baissai la tête sur la chemise de nuit qu’onm’avait prêtée et en touchai le lin rêche.C’était siinattendu. La société de consommation dans laquelle j’avais été élevée n’avait aucune emprise sur laCommunauté du Sutherland. Ils vivaient de trois fois rien et ne semblaient pas particulièrement ensouffrir.Unbroc d’eau, un savon, un linge de bain, une table, deux chaises, une timbale, un pichet enmétal, deux ou trois peaux demouton jetées àmême le sol, un rideau qui occultait l’ouverture de lapièce…C’étaittoutcequ’ilyavaitautourdemoi,etj’auraispariéqu’àquelquesdétailsprès,ilenallaitdemêmecheztousleshabitantsdeBenHope. Ilsétaientenviron troiscents,et lamajoritéd’entreeuxconsidéraitlamodernitécommelepirefléaudelaplanète.S’enteniréloignéleurpermettaitdegarderleurs racines et leurs traditions intactes. De rester vrais. Cependant, leur langue avait évolué commepartoutailleursenGrande-Bretagne.Tousparlaientl’anglaiscourant,mêmes’ilétaitparfoisparsemédequelquesmotsgaéliquesquej’avaisbiendumalàcomprendre.

Je me grattai la tête et décidai de me lever pour faire ma toilette. J’avisai les ustensiles à madispositionetgrognai.Iln’allaitpasfalloirquejefassemadifficile.Sansautrechoix,jemedéshabillaietmedirigeaiverslabassine.Enquelquesminutes,j’étaispropre,regrettantnéanmoinsdenepasavoirpumelaverlescheveuxquienavaientpourtantgrandbesoin.

Jem’apprêtaisàremettre lachemiseaveclaquelle j’avaisdormi, lorsqu’unejeuneHispod’environquinzeans,àlatignasseblonde,plusboucléequelamienne,etàlarobebleuroi,tiralerideaulie-de-vinquifermaitlapièceetapparutdansl’embrasure.Lecorpsraidit,ellesoutenaitplusieursvêtementsposésentraversdesesbras.

—Bonjour,mesalua-t-elled’unevoixhésitante.JesuisFreya.Onm’ademandédevousapporterde

quoivoushabiller.—Bonjour.Entre,jet’enprie.Nullementperturbéeparmanuditéqu’ellenesembla,dureste,pasnoter,elleglissaversmoidansun

bruissementd’étoffes,etmetendituntissuvertfoncé.—C’est…c’estunbliaud,bégaya-t-elle,visiblementintimidée.Unerobe.Jelaluiprisdoucementdesmainsetsouris.—Jeteremercie,Freya,jem’appelleHannah.Ellehochalatête,medonnantclairementl’impressionquejamaisellen’utiliseraitmonprénom.Elle

disposalerestedesvêtementssurlatableetsecalalesbrasderrièreledostandisquej’inspectaisavecattentionlatenuequej’avaisentrelesdoigts.

—Jevaisvousaideràvoushabiller.Onditquelesgenscommevousnesaventpassedébrouillerseuls.

Jetournailatêteverselle,interdite.—Lesgenscommemoi?Lesfaol-creutair?Ellesecoualementon.—Non,lesloupsdelaCommunautéduMondeLibre.Ilsontbesoinqu’onfassetoutàleurplace,c’est

cequ’onm’araconté.D’abordsurprise,jememisdoucementàrire.—Jet’assurequejepensepouvoirmedépatouiller,Freya.Et pourmieux le lui prouver, jem’emparai d’un tissu fin et écru que j’identifiai comme étant une

combinaison à manches longues. En théorie, elle devait me servir de dessous. Je l’enfilai assezfacilementet,victorieuse, jeportai lamainsur la robeverte.Freya toussotadiscrètement, je levai lesyeuxverselle.

—Vousavezoubliélebandeau.Jefronçailessourcilsetregardailesétoffesrestantessurlatable.—Pourvotrepoitrine,précisa-t-elle.Instinctivement, jebaissai la tête surmes seins, et souris. Ilsn’étaientpasparticulièrementgros, je

pourraism’enpasser.—Paslapeine,çaneferaitquegênermesmouvements.LajeuneFreyaeutunairhorrifié.—Euh…Touteslesfemmesenportent?endéduisis-je.Elleacquiesça.—Etonleremarquerasijen’enmetspas?Elledodelinadelatêtesiénergiquementquejecomprisqueçapourraitdevenirproblématiquesije

nem’ypliaispas.—Bon,soupirai-je.D’accord.Tupourraispeut-êtrem’aideràlenouer?

Cettefois,sonvisagesevêtitd’unesatisfactiontouteconquérante.Jelaissaitomberlachemisesurmeshanchesetlevailesbras.Freyapouffaderire.—Quoi?—Jedoisleserrerpar-dessuslacamisole!Camisolepourchemise.OK,OK…Jemerenfrognaietmerecouvris,puisFreyaenroulaméthodiquementlabandedetissuautourdema

poitrine. Justeavantdemettre lacotte, elleme tenditunepairedebasépaiset écrusànouer surmescuissespardesjarretières.Danslamesureoùjeneportaispasdeculotteetquecen’étaitmanifestementpasl’usageici,jerougissousl’œilétonnédeFreya.

Habilement,ellepassalesmainsdanslesplisdelarobe,etm’invitaàl’enfiler.Lelourdtissuvertretomba surmoi souplement, et jedus reconnaîtrequ’une fois ajustée, cette tenueétait très agréable àporter.Ledécolleté était droit et suffisamment remontépournepasdévoiler la chemise et lebandeaucachésdessous.Lataillehauteétaitagrémentéed’unelargeceinturecouleurrouille,lesmanches,longueset évasées, rehaussées d’un revers de teinte identique, et la jupe s’arrêtait vaporeusement sur meschevilles.L’espaced’uninstant,mêmesansfiorituresniornementations,jemefisl’effetd’uneprincesse.Pourparfairematenue,Freyametenditunepairedebottinesencuirmarronquej’enfilai,constatantavecsurprisequ’ellesétaientàmapointure.

—Quesouhaitez-vousfairepourvoscheveux?demandaFreya.— Les laver, avouai-je.Maismaintenant que je suis habillée et étant donné la complexité de ces

vêtements,jepréfèrem’enpasser.Nousverronsçalaprochainefois.Ellemesouritencore.—Ilyaunerésurgenced’eautièdeàunetrentainedemètresdevosquartiers.C’est isolé.Elleest

réservéeauxfemmesunjoursurdeux,mais…Ellesetut,visiblementtrèsembarrassée.—Mais?—Mais il ne faudra pas y aller seule. Je vous y accompagnerai.LeMor-fear-faol a exigé que je

m’occupedevous.Parcequelesautres…—Lesautresneveulentpasavoiraffaireavecunefaol-creutair,c’estça?Ellehochadoucementlatête.—Jevois…Quelâgeas-tu,Freya?—Dix-huitans,répondit-elleenétirantlecoudefierté.J’écarquillailesyeux.Nousn’avionsmêmepastroisansd’écart.Elleparaissaitpourtantsijeune.—Est-cequetuvasencoreàl’école?demandai-jeavecl’envied’apprendrecommentlacommunauté

géraitl’enseignementdesesenfants.—Non.JesuisauserviceduMor-fear-faol.

Jeposaisurelleunregardinterrogateur.Ellepossédaitdegrandsyeuxverts,unepeaulaiteuseparseméedetâchesderousseursetdesformes

généreuses.C’étaitunesuperbejeunefille.Maissavait-elleseulementlireetécrire?L’avait-onobligéeàtravaillercommeservante?Ellenesemblaitpasêtrebrimée,certes,cependant ilémanaitd’elleunesoumission presque naturelle quime conduisit àmedemander s’il en allait ainsi pour chaque femellegaroudelacommunauté.J’étaisloind’enavoirfaitletour,maisparmilesquelquesguerriers,gardesouplantons que j’avais rencontrés, je n’avais pas remarqué la moindre femme. Les seules que j’avaiscroiséesaprèsl’attaqueduCrinoss’étaientcontentéesdepanserlesplaies.Cettesociétédevaitêtrepluspatriarcale encore que la nôtre, ce qui expliquait sûrement pourquoi, de facto, onm’avait imposé desvêtementsindubitablementféminins.Trèsjolis,celadit.Àtelpointquejemedemandaispourquoij’avaisdroitàtantd’égards.Freyal’avaitditelle-même,jen’étaispasdesleurs,j’étaisunefaol-creutair,cequisignifiaitqu’àuneépoquepassilointaine,j’auraispuêtrepurementetsimplementtuéepourça.

J’étaissurlepointderemercierFreyapoursonaidelorsquel’odeurdeJeremiah,d’AletdufrèredeBonniemeparvint.Instantanément,touslespetitscheveuxderrièremanuquesedressèrentetmesmusclessecrispèrent.Sansmeconcéderunseulregard,Freyas’emparadubrocd’eausaleetdisparutcommesielleavaitlediableauxtrousses.

—Vousnemel’interdirezpas!grondalavoixd’Al.Letonétaitsimenaçantquej’accourusdanslavastesallecommunequinousavaitétéattribuée.J’eus

lasensationquemacolonnevertébraleseglaçaitd’effroi.L’énergienégativedestroisgarousremplissaittout l’espaceet auraitdonnéenvieàn’importequide fairedemi-tour.Cependant, jen’amorçaiparungeste,etChristy,quivenaitd’ouvrirlerideaudesachambre,nesemblapasnonplusavoirl’intentiondedisparaître.Elleobservalascèneavecattention.

—Ohsi,nousleferons,luigarantitCalumavecunsouriremauvais.Furieux,Alfitunpasenavant.Jeremiah le retint de justesse en lui passant les bras sous les aisselles et le ramena contre lui. Le

soufflecourt,Alcessamomentanémentdebouger.Calumseredressaalorsdetoutesahauteuretempruntauneposturedominatrice.

—Tiens-toitranquille,Lupus!—C’estmafemme!Calumsecouavicieusementlatête.—Tafemelleestdesnôtres,votremariagen’apasétéreconnuparlacommunauté.Ellen’estrien.—Elleesttout!Etjemefousdevotrebénédiction!C’estmonâmesœur,l’Espritnousachoisis,et

ça, aucune loi, aucun tribunal, aucunegouvernancenepourra lenier !Emmenez-moiàelle, jeveux lavoir!

Il se débattit,mais Jeremiah n’avait pas l’intention de le lâcher, quand bienmême il paraissait luiaussiprêtàexploserd’uneminuteàl’autre.

Calumavançadedeuxpasetsebaissapoursemettreàlahauteurd’Alastair.—J’espèrequetuasbienprofitéd’ellecesvingtdernièresannées,Lupus,parcequejedoutequetula

revoiesvivanteunjour.Almontralescrocs,etavantmêmequenousréalisionscequisepassait,sonvisages’étaitcouvertde

poils.D’uncoupdegueuleinattendu,ilharponnalecoudeCalumetendéchiralapeau.Maculédesang,l’Hispo hurla en se tenant la gorge. Surpris, Jeremiah libéra son frère qui achevait de se transformer.Calumseressaisittrèsrapidementet,d’uneseulepoussée,envoyaAlcontrelemuravantdeprendre,luiaussi,l’apparenced’unloup.SonpelagenoirétaitexactementdelamêmeteintequeceluideBonnie,ilsseressemblaientbeaucoup,maisCalumétaitnettementplusgros,grand,impressionnantetmillefoisplusdangereux.D’unbond, il se jeta surAl et lui agrippa lanuquede sespuissantesmâchoires, le faisantglapirdedouleur.

Jeserrailesdentsettremblaidetousmesmembres.Malgrél’énergienégativequiémanaitd’Alastair,ilétaitbientropfragilisépourveniràboutduguerrier.Mêmeaumeilleurdesaforme,jen’étaispassûrequ’ilpuisseyparvenir.LefrèredeBonnieétaitungarou terrifiantque lahainedesSutherlandrendaitencoreplusredoutable.Revenudesastupéfaction,Jeremiahréagitetvintenaideàsonfrère.Ilplongeasureuxàmainsnuespourtenterdelesséparer,maislaviolencedeleuraffrontementétaittellequ’ilfutéjecté àmes pieds sansmême être parvenu à attirer leur attention.Al etCalum roulèrent à travers lapièce,grondant,mordant,écumantderage,etrenversanttablesetchaisessurleurpassage.C’étaitcommesirienàpartlamortnepouvaitlesarrêter.Lesmusclesbandés,j’essayaisdefairetairelefrémissementsousmapeau.Jel’entendaismesupplierdeprendreformeanimale.Jecrevaisd’enviedemelibérer,defairepayeràCalumsahaineenvers lesmiens.Cedésirétait sipuissantqu’ilendevenaitdouloureux.Cependant,monesprit lupuss’opposadetoutessesforcesàmoncorpspourm’enempêcher.Calumnem’épargneraitpas.Ilmebriseraitlecouavecdélectation,d’unsimplecoupdedents.

Alpoussauncriétrangléquimeglaçalesang.Calumavaitréussiàlemettresurledos.Amoindri,ilarrivaitàpeineàbouger,l’Hispol’écrasaitdetoutsonpoidsetluiemprisonnaitlagorgedesagueulemeurtrière. Jeremiah se projeta une nouvelle fois en avant et abattit ses deux poings sur la nuque deCalum.Furieux,cedernierseretournad’uncoupsecetplantasescrocsdansl’épauledeJeremiahquihurla de douleur, tandis qu’Alastair, affaibli et recroquevillé sur lui-même, semblait incapable de serelever.

—Ordure!s’écriasubitementChristy.Sansréfléchirunesecondedeplus,jelaissail’espritdelabêterampersousmapeaupourluiveniren

aide. Mais en voyant la sorcière foncer droit sur Calum pour lui fracasser sur la tête une cruchemiraculeusementépargnée,ellemecoupadansmonélan.Déstabilisé,Calumdesserra lesmâchoiresetlibéraJeremiah,lefaisantchoirsurlesolcommeunepoupéedechiffon.

Stupéfaite, j’eusuneseconded’hésitationavantderéagir,mais lorsque,horsde lui, il fitvolte-facepour s’en prendre à Christy, je me propulsai pour m’interposer entre elle et lui. Calum me chargea

littéralement.Lesommetdesoncrânevints’écrasersurmonabdomen.Jeperdisl’équilibreettombaiàgenoux,lesoufflecoupé,pourfinalementbasculersurlecôtécommeunculbuto.Jemeretrouvaicouchéeen position fœtale, la douleur irradiant toute la partie supérieure de mon corps et m’immobilisanttotalement.

Je lâchaiungémissementd’impuissancelorsqueCalumpritappuisursespattesarrièrepourbondirsur Christy.Mais juste avant qu’il ne l’atteigne, Jeremiah se jeta sur lui. À l’aide de ses cuisses, ils’agrippaàsondosetluiencerclalecoudesesbras,refusantdelâcherprise.L’Hisposedémenacommeundiableenpoussantdesgrognementsaussimenaçantsqu’unepromessedemort.Violemment,ilréussitàéjecterJeremiahcontrelemur,l’assommantpresque.

Calum recentra son attention sur sa proie, les oreilles baissées et les poils dressés le long de sacolonnevertébrale.IlétaitsurlepointdebondirsurChristy.

—Calum,sguir-e!rugitalorslavoixcaverneusedeMurdoch.LetonqueleMor-fear-faolemployapourluiordonnerdecesserfutsuffisammentintimidantpourque

l’Hispos’immobilise.Rassuréeparsaprésence,jeparvinsàm’asseoir,maissidouloureusementquej’eusenviedepleurer.

Calumavaitdûmebriserlescôtes.—Debout!luienjointMurdoch.Cedernierreculaetrepritformehumaine.Jelevailespaupièresverslui,observaiseslongscheveux

blonds,lesmusclesnoueuxdesondoscouvertdesang,sesépaules,sesomoplatesetsesreinsbarrésdeprofondesgriffures.Commentpouvait-il ignorer sesblessureset fairecommes’ilnesouffraitpas.Cethommeétaituntitan.

—Jepeuxsavoircequisepasse?grondaMurdochenjetantunœilautourdelui.—Ilm’aattaqué, jemesuisdéfendu, répondit laconiquementCalumendésignant le corpspresque

immobiled’Alastair.Affaibli,ilétaitluiaussirevenudesatransition.Murdochfronçalessourcils,dubitatif,etobservaJeremiahquiseremettaitdebout.—Est-cevrai?Jeremiahhochalatête.Calumramassacequirestaitdesatuniquepoursecouvrirnonchalammentlebas-ventre.—Biensûrquec’estvrai,mononcle,renchérit-ild’unairpatelin.Nefais-tudoncplusconfianceà

tonneveupréféré?—C’estparcequevousl’avezprovoqué!s’écriaChristyhorsd’elle.Calumplissalespaupièresetposasurelleunregardd’avertissement.—N’essayezpasdem’impressionner,leprévint-elle,lestraitsenflammésparlacolère.Vousl’avez

provoquéetvouslesavezparfaitement!Ses beaux yeux indigo lançaient des éclairs et le doré qui les pigmentait les rendait plus lumineux

encore.Caluml’étudiaaveccuriosité.Seslongscheveuxbrunsétaienttoutébouriffésetelleétaitlaseuleencorevêtuedevêtementsmodernes,cequiluiconféraitunairparticulièrementétrangeaumilieudecedécor.Elleétaitpetite,frêle,avecunvisagesifinqu’onluiauraitdonnéàpeinetrenteansalorsqu’elleen avait au moins dix de plus – même bien davantage d’après ce qu’elle avait laissé sous-entendrelorsque nous l’avions rencontrée. D’après elle, elle avait l’âge d’être ma grand-mère. J’avais quandmêmedumalàlecroire.Malgrétout,aussiinoffensivequ’elleparaissait,Christyétaitplusférocequ’undragon.

—Ah!s’amusaCalum.Mevoilàdémasqué!Puisilsetournaverssononcleavecuneminefaussementinnocente.—Vais-jeêtrecondamnéparcequeceLupusnesaitpasfairepreuvedesang-froid?—Vousêtespuantdemalhonnêteté!sifflaChristy.LestraitsdeCalums’affaissèrentenuneexpressionmenaçante.—Faisattentionàcequetudis,femelle.Nosrèglespourraienttepunird’avoirinsultéunmembrede

lafamilleduMor-fear-faol.Christyrelevabienhautlementonetledéfiaduregarddumieuxqu’elleput.—Vousn’arrivezpasàlachevilledevotreoncle!Etj’aiunerévélationàvousfaire,Calum.Jeme

contrefousdevosrègles.Ellesnes’appliquentpasàmoi.L’Hisposouritencoin.—N’ensoispassisûre,sorcière.—Etvous,nemisezpas tropsurvotre toute-puissance,pauvrefou!Avisez-vousde tenterquelque

chosecontremoietjevousjurequevousnesaurezplussivousêtesunhommeouunefemme!Puis elle termina sa tirade par une bonne dizaine d’éternuements, brisant légèrement l’assurance

qu’elleavaitessayédesedonner.Cettefois,Calumsemoquad’elleens’esclaffantexagérément.—Assez!tonnaMurdoch.Necroispasqu’êtreexcluduConseildesAnciensmeretiremespouvoirs,

Calum.Jegouverne toujourscettecommunauté.Chefde l’élitehispooupas,que tusoismonneveuounon, je n’hésiterai pas à te faire enfermer si tumanquesde respect à nos invités.Me suis-je bien faitcomprendre?

LesyeuxdeCalumsefirentplusnoirsquelesténèbres.—Nosinvités?Lestiens,Murdoch.Ceuxquetuprotègesetquitetuerontd’uncoupdepoignarddans

ledos.Maisoui,mononcle,tut’esparfaitementfaitcomprendre:pourmonpropreintérêt,jenelesenempêcheraipas.

Illaissatomberlaguenillequiluicachaitlesexeetquittalasallesansunmotdeplus.Lesmâchoires serrées,Murdoch semblait peser le poids de chaquemot prononcé par Calum. Son

neveu venait clairement de l’avertir qu’il n’attendait qu’une chose : prendre sa place. Désormais,Murdochdevraitgarderunœilenarrière.Contrôlerquisetenaitderrièrelui.Toujours.

—Bonnie…,gémitAlenserelevant.Le cœur comprimé, je fis abstraction de la douleur qui enflammait mes côtes et me levai pour le

rejoindre.Jevoulaislesoutenir.L’aider.—Asseyez-vous,murmurai-jeenredressantunechaise.Unsilencesépulcrals’écrasasurnouslorsquenousréalisâmesl’étatdanslequelsetrouvaitAl.Ses

longs cheveux noirs collaient à son visage lacéré de coups de griffes. Sa poitrine semblait avoir étédévoréeparunanimal,ilmanquaitdesmorceauxdechairparendroit,etsapeauétaitcouvertedesang.Ilétaitbienamoché,maisilrésistait.PourBonnie.L’objectifàatteindreétaitbientropimportantpourqu’ilfaiblissevraiment.

— Allez chercher Freya pour qu’elle le soigne ! ordonna soudain Murdoch aux deux gardes quil’accompagnaient.

Ilshochèrentlatêteetobéirentsansdiscuter.Christydisparutquelquessecondesetrevintavecledrapdesonlitetunbrocd’eau.—Redressezlatable,s’ilvousplaît,demanda-t-elleàJeremiah.Elle y posa la bassine et s’agenouilla devantAl pour le couvrirminutieusement du long tissu. Ses

gestes étaient tellement bienfaisants, si empreints de douceur que j’en ressentis une onde dereconnaissance intense.Ellenenousconnaissaitpas,ou troppeu,etpourtant,elle faisaitpreuved’unecompassionextraordinaire,particulièrementpourAlquisouffraitdanssoncorps,soncœuret jusqu’aufonddesonâme.Undiscretcoupd’œilàJeremiahmepermitdecomprendrequ’ilpartageaitmonavis.IlregardaitChristyavecunmélangedecuriositéetdegratitude.Cettefemmeétaitincroyable,ellen’étaitpasobligéedenousaider,elleauraitpusecontenterdedisparaître,maisàlaplace,ellecouvaitAld’uneattention sincère et entière qui allait bien au-delà de ses prérogatives demédecin. Sans le recherchervraiment,Christyétaitentraindegagnernotrerespectéterneletnotreadmiration.

EllefitsigneàJeremiahdedéchirerunboutdedrapafindeletremperdansl’eau,avantdel’essoreretdel’appliquersurlecoudesonfrèrequisaignaitencoreabondamment.

—Jeveuxvoirmafemme!s’écria-t-ilavecdésespoir.—Est-celaraisonpourlaquellevousvousêtesmisencolère?demandaMurdoch.Vouspensiezque

nousvousl’interdirions?—Vousnepouvezpasm’empêcherdelavoir!s’étrangla-t-il.C’estmafemme!Murdochfronçalessourcils.—LesAnciensvousenontdonnél’autorisation,Alastair.J’aipenséquevousvoudriezêtreavecelle

letempsquelejugementsoitrendu.Jevenaisvouseninformer.Lesyeuxd’Alastairs’éclairèrent,maisilneditrien.— Il vaut mieux pour tout le monde que vous restiez avec elle. De par vos origines, vous ne

rencontrerezpersonneiciquivousfaciliteralatâche.—Àpartvous,lecontredis-je.VousetFreya.

Cettedernièreapparutaumêmemomentets’immobilisadevantl’ouvertureenentendantsonprénom.Crispée,ellenousjetaunregardincertainavantdeposerdesyeuxinterrogatifsMurdoch.

—Entre,monenfant,larassura-t-il.Ilneteserafaitaucunmal.Lesmusclestendus,elleacquiesça.Elle tenait entre sesmains plusieursmorceaux de tissu, ainsi qu’unmortier rempli de plantes. Les

mêmesdontBonnies’étaitserviedeuxansetdemiplustôtpoursoignerLeithaprèsl’attaqueduGalbro.Freya s’approchad’Alastair et s’agenouilla devant lui.Puis elle écrasa les feuilles aupilon afind’enfairedelabouillie.Quandelleeutterminé,Christysemitdecôtépourluilaisserlaplace.Lajeunefilleutilisa l’eau contenue dans le broc pour finir de nettoyer les nombreuses plaies d’Alastair, puis ellecommençaàappliquerl’onguentsursesblessures.

Pendantcetemps,ChristyfitquelquespashésitantsversJeremiahdontl’épauleensanglantéemaculaitsachemisederouge.

—Ilfautvoussoigneraussi,luifit-elleremarquerd’unevoixdouce.Bourru,ilsecoualatête.—Jen’enaipasbesoin.—Jesuismédecin!Jepenseêtremieuxplacéequevouspoursavoirsivousenavezbesoinoupas!Jeremiahlafusilladuregard.—Sivousvoulezvousrendreutile,allezchercherdesvêtementsàmonfrère.—Pardon,monsieur,hésitaFreya.Ce…ceneserapasnécessaire.J’aidemandéàunelingèredelui

enfaireapporter.Etdeschaussuresaussi.Sansdireunmot,Jeremiahopina.—Cequisignifiequemaintenant,jevaispanservosplaies,etquevousmelaisserezfaire!décida

Christy.Son regard violet brillait d’un éclat de détermination que Jeremiah n’osa plus défier. Il capitula et

retirasachemise,révélantuntorsesolide,légèrementhalé,etuneépaulegaucheprofondémententaméepar la morsure de Calum. Christy demeura impassible et commença à la nettoyer avec des gestesméthodiquesetconsciencieux.Jeremiahnelaquittaitpasdesyeux,ildonnaitl’impressiond’enregistrerchaquedétaildesonvisage.LorsqueChristys’enrenditcompte,elleeut l’air troublée.Elles’humectaleslèvresàplusieursreprises,ettâchadeseconcentrersurcequ’ellefaisait.

—Je…jenevousfaispasmal?—Non,réponditJeremiahd’unevoixgraveetrauque.Jem’immobilisaienlesvoyantfaire.Ilss’observèrentsansriendirependantuncourtinstant,aussiperturbésl’unquel’autre.La lingèremit court à ce dialoguemuet quand elle entra dans la pièce avec une pile de vêtements

propres.Elleveillaàcontemplerlesolpouréviterdenousregarder,lesposasurlatableetdisparutsansmêmeavoirprononcéunmot.

Freya terminadebander le torsed’Alastairet lui tenditunepairedechausseshautescousuesentreelles,ainsiqu’unecottecourtedelamêmecouleurquemarobe.Illesenfilasilencieusement,etmitsurses épaules un genre de tartan à carreaux vert et bleu supposémaintenir son bras blessé en écharpe.Jeremiahpassaaussiunechemisepropre, laissaouverts les lacets sur lecol,et remerciaChristyd’unhochementdetête,évitantdelaregarderenface.

—Maintenant,jeveuxvoirmafemme,exigeaAl.Murdochacquiesça.—Jevousyconduiraipersonnellement,maisauparavant,àlademandedeJeremiah,votreneveuva

vousrejoindreici.Freyaramassalesmorceauxdetissuensanglantésquitraînaientunpeupartout,noussaluad’ungeste

dumentonetquittalasalleenvitesse.Jeremiahplissalespaupières.—Quand?—D’uneminuteàl’autre,jel’aifaitappeler.Peut-êtrevaudrait-ilmieuxrétablirunpeud’ordredans

cettepièceavantqu’iln’arrive?suggéra-t-ilenavisantl’étatdanslequelnousl’avionsmise.—Jem’enoccupe!décidaChristy.Ensuite,jevouslaisseraientrevous.—Non!grondaJeremiah.Elleleconsidéraavecétonnement.—Écoutez…,jenepensepasquecesoitunebonneidée.Vousaveztousbesoindeluiparlerentêteà

têteet…—Ilnenousconnaîtpas,l’interrompitsèchementJeremiah.Toutcequenousavonsàfaire,c’estlui

certifierquenousnoussommestrompésetqu’iln’estpasceluiqu’oncroyait.Cependant,votreprésencenousserautiles’ilfaitmentiondequoiquecesoitquiaunrapportàcellequiluiajetéunsort.

Christyplissalesyeux.—J’endoute,maisc’estd’accord.Puisquevousinsistez,jereste.EttandisqueChristycommençaitàredresserleschaisesetàrangerlapièce,moncœurétaitentrain

d’accélérer.Leithn’étaitplusqu’àquelquespas.Lafemellegalbroaussi.

Chapitre5

Jeremiahsedonnaitunecontenancetouterelative.Ilsemaintenaitdroit,conservaitunregardfixeetdressait la nuque avec assurance. Cependant, la tension dans sesmuscles, et les poings qu’il gardaitserréscontresescuissesdémontraientàquelpointilbouillonnaitdel’intérieur.

Jefisfaceàl’entrée.Ilsétaientlà.LeithetShona.Toutmoncorpssemblaseratatinerdel’intérieur.Jeretinsmarespiration.Ils formaient un couplemagnifique. Comme animé d’une vie propre,mon regard se posa sur leurs

mains jointes, et la pulsation demes veines s’emballa un peu plus. Je détestais les voir ensemble, jedétestaisqu’illatouche.Jehaïssaiscettefemmeparcequ’elleétaitàmaplace.J’étaisperduesanslui.J’avaisfroid.J’avaisfroidjusqu’àl’âme.

Unsourireencoins’épanouitdiscrètementsurleslèvresdeShonatandisqu’ellemedétaillaitdelatêteauxpieds.Cettegarcen’avaitaucunmalàdeviner lefonddemespensées.Etça luiplaisait.Elleirradiait de beauté et j’en éprouvais un agacement difficile à cacher. Parée d’une époustouflante roberougeetd’unchâleauxcouleursdutartandelacommunauté,elleparaissaitencoreplusgrande,élancéeet gracieuse.Elle possédait un visage ovale et délicatement dessiné, une peau hâlée rehaussée par delongscheveuxébèneetlissesretombantsursesreins.Sesyeuxétincelantsderefletsdorésetourlésdecils épais ajoutaient de l’exotisme à son physique hors du commun. Oui. C’était indéniablement unefemmesuperbe,maisaussi,àn’enpointdouter,unêtredontlabeautén’avaitd’égalquesaperfidie.Jen’avais nulle confiance en cette créature, et alors que je n’avais aucune preuve contre elle, j’étaiscertainequ’ellen’étaitpasétrangèreàlasituationdeLeith.

Avecune expressionde froideurqui n’inspirait riend’autreque l’irritationde se trouver ici,Leithétudiarapidementlapièce.Ilnem’accordapasplusd’uneseconded’attentionetfinitpardévisagersonpèreavecétonnement.Ilsseressemblaienttellement…çan’auraitpaspuluiéchapper.Ilspossédaientlesmêmescheveuxsouplesetbruns,lesmêmesyeuxvertslumineux,deslèvrespleines,unemâchoirecarrée,un regard profondément déstabilisant surmonté de sourcils épais qui leur conféraient cet air siautoritaire…Personnen’auraitpunierqu’ilsétaientdelamêmefamille.Pourtant, ilallaitfalloirfairecommesic’étaitlecas.Mentir,ravalernotrejoiedel’avoirretrouvéetéviterdecasserlesmursdevantsonindifférence.

—Mor-fear-faol…,ditLeithdignementenfaisantfaceàMurdoch.—Mercid’êtrevenu,Alan.LechefsuprêmesetournaversJeremiahetledésignaduplatdelamain.—JevousprésenteJeremiahSutherland,lepèredujeuneLupusquiadisparu.Iltenaitàvérifierlui-

mêmeque…—Il lui ressemble,mais ce n’est pasmon fils, l’interrompit brusquement ce dernier d’une voix si

résolueettranchantequej’ensursautai.Leithl’observaquelquessecondes,toujoursaussiintriguéparleurressemblance.—Iln’apassonodeur,redoublaAlastairavecdétachement.Leiths’attardasurmoi.Ilmescrutaitd’unairpresqueaussivictorieuxqueceluideShonaàcemoment

précis.Cependant,c’estavecbeaucoupdedouceurqu’ils’adressaàmoi.—Vas-tucontinuerànier,àprésent?—Ehbien,je…Jelaissaiéchapperunsourirederésignation.—Taressemblanceavecmonâmesœurestsifrappantequeje…Jem’interrompis,faisantminedecherchermesmots.—Dansmon empressement à le retrouver, je n’ai pas réalisé que ton odeur était différente de la

sienne.Jesuisconfuseetprofondémentdésolée,Alan.Leithm’observalonguement.Jevisletroublepasserdanssonregardimplacable.Iln’encroyaitpas

unmot.—J’auraistellementvouluquetusoislui…,ajoutai-jedésespérément.ShonaseserracontreLeith,s’accrochaàsonbrasetcalanonchalammentlatêtesursonépaule.Tout

naturellement,illevalamainpourl’appliquertendrementsajoue.Jesuivaisleursgestesavecunintérêtpresquemaladif.J’auraisdûleurtournerledos,partir,maisje

nepouvaispas.Paradoxalement,leurcouplem’intriguaitautantqu’ilmerévoltait,meconsumait.Sielleétait responsabledesonétat,commentétait-elleparvenueàvaincre l’Esprit?Pourquoi lui?Pourquoinous?Cesquestions,jelesressassaisdepuisdeuxjourssansqu’aucuneréponsenemevienne.

Jelaressentisdenouveau.Lahaine.Intensément.Maisjemeressaisis,jenevoulaispasprendrelerisquede toutgâcher.Alors, je fisuneffort titanesquepournepassauterauvisagedecette femme, ladéfigureretluiarracherlesyeux.J’étaisplusfortequ’elle,jelesavais.Ellen’étaitrien.Ellen’étaitrien,maiselleavaittout.Ellel’avait,lui.

Jebaissailespaupières,tandisqueLeithrelevaitlatêtepournousregardertous.—Jevois combiencette situationvous affecte, dit-il calmement, et jevous crois surparolequand

vousdîtesquejeluiressemble.J’espèresincèrementquevousleretrouverez.Jeremiah se renferma un peu plus sur lui-même et crispa lesmâchoires, se contentant d’acquiescer

silencieusement.Ilruminaitdéjàsapeine.Jeremiahétaitunpère.IlavaitaidésafemmeàmettreLeithaumonde,ill’avaitélevé,regardégrandir,l’avaitsoutenu,encouragé,maisàprésent,iln’étaitriendeplusqu’unétrangerpoursonfils.Nonobstantmapropredouleur,j’étaisprofondémenttristepourlui.J’auraispréféréqu’ils’abstiennedem’accompagnerdanslesEntraillesafindenejamaisavoiràvivreça.QuantàAl…– je dissimulai trèsmal le soupir qui dépassa la barrière demes lèvres lorsquemes yeux se

posèrent sur lui –, il avait un air absent. Son esprit vagabondait déjà versBonnie qu’il avait hâte deretrouver,riend’autren’avaitd’importance.

Murdochfitunpasenavantpoursemanifester.—Merci,Alan.Jecroisquedésormaislasituationestclairepourtoutlemonde.Vousneserezplus

dérangé,vouspouvezretourneràvosoccupations.Leithhochalatêtesansriendireetmeconcédaunrapidecoupd’œil.Jen’ylusrien.Paslamoindre

trace d’émotion. Il repoussa gentiment Shona, prêt à partir. Sans plus attendre, il salua brièvementMurdochetnous tourna ledos,Shona toujoursaccrochéeà lui commeune sangsue.Maisuneoudeuxsecondesavantqu’ilnequittelasalle,l’odeurfamilièredelaMeutemeparvint.Ilsarrivaientversnous.Ilsn’étaientaucourantderien,ilspourraienttoutfairecapoter.Prised’unsoudainsentimentd’angoisse,je m’élançai brusquement vers la sortie, bousculant violemment Leith sur mon passage, déstabilisantShonaquiserattrapadejustesseàlaparoirocheuse.

—Hé ! tempêtaLeithenme retenantdurementpar l’épaule.Qu’est-cequine tournepas rondcheztoi?

Furieuxetpersuadéquejel’avaisfaitexprès,ilmefusillaitduregard.Àtraversletissudemarobe,je sentais la chaleur de ses doigts surmoi tandis qu’il exerçait une pression, et j’en perdis tousmesmoyens.

—Désolée,jedois…jedois…—Leith!s’écriaGeorgiaenl’apercevant.Elles’élançadanslecouloir,aussilégèrequ’uneplume,etsejetadanssesbras.Cedernier,légèrementdéséquilibré,futbienobligédemelâcher.—Bonsang,cequetunousasfaitpeur!embraya-t-elle.Tuvasbien?Personnenet’afaitdemal?

Cesgenssontcomplètementàcôtédelaplaque!Ilsviventcommedes…—Cen’estpaslui!l’interrompis-jebrusquement.Georgia ouvrit de grands yeux et s’écarta de Leith pour l’observer en fronçant les sourcils. Il se

contenta d’étudier son visage sans prononcer unmot,me laissant le soin d’expliquer la situation. Sonsilencevalaittoutundiscours.Nulbesoinqu’ils’exprimepourcomprendrequelasituationl’exaspéraitauplushautpoint.

—Qu’est-cequeturacontes?medemandaGeorgiadéconcertée.Malàl’aise,jejetaiunœilderrièremoi.Muets,Murdoch,Jeremiah,etAlobservaientlascène,tout

aussidésemparésquemoi.Finalement,jemetournaiversÉtienneetAnneasquidemeuraientsagementenretrait.ChacundesmembresscrutaitLeithavecunemouedestupéfactionmâtinéed’incertitude.Alorsjecaptaileregardd’Étienneetm’adressaiàluienfrançais.

—Prétendsquecen’estpaslui.Ilmefixapendantquelquessecondessansmontrerlamoindreémotion.Pourtant,àtraverssonsilence,

jesentistoutel’intensitédesoninterrogation.Cependant,ilsecontentadehocherlatêtesansposerde

questions.—Hannah?insistaGeorgia,jepeuxsavoircequisepasse?—Ilsepassequecen’estpasLeith,réponditÉtienned’unevoixtroublée.—Cen’estpaslui?répétaGeorgiaincrédule,endévisageantLeith.Cedernierclaqualalangued’agacement.—Non.Jenesuispaslui!Puisilseconcentrasurmoi.— Je peux espérer avoir la paix un jour, ou il y en a encore beaucoup comme ça ? siffla-t-il en

désignantlaMeutedumenton.Alorsquelesgarçonssemblaientgarderlecontrôle,Georgianesavaitplusoùelleenétait.—Mais…jenecomprendspas.Qu’est-cequeçasignifie?—Quejenesuispasceluiquevouscherchez!s’emportaLeithpourdebon.Jem’appelleAlanKerr.

AlanKerr!EtpasLeithSutherland!—C’estmonpetitami,renchéritShonaquin’avaitpasencoreditunmot.Georgiarestabouchebéeenl’étudiant.—Cen’estpasmonfils,finitparrenchérirJeremiah.Illuiressemble,maiscen’estpaslui.L’odeur

decejeunehommen’estpascelledeLeith.—Ilaraison,redoublaAnneasenpassantunbrasautourdesépaulesdeGeorgia.Onneconnaîtpas

cetype.Georgiareniflaminutieusementl’airetplissalespaupières.—Parl’Esprit!Elleétaitlivide.Quant àmoi, j’avais bien dumal à comprendre ce qui se déroulait sousmes yeux.Tous donnaient

réellement l’impression de ne pas reconnaître Leith. Effarée, j’en venais à me dire qu’Alastair etJeremiah n’avaient sans doute pas vraiment joué la comédie. Pourtant, je la sentais, moi, l’odeur deLeith!Etjelaconnaissaissuffisammentpournepasmetromper.Quesepassait-il?Affolée,jejetaiunregard à Shona qui souriait de toutes ses dents. Elle était bien trop satisfaite par ce petit imprévu.Quelquechoseclochait.

—Alan,chéri,nouspouvonspartirmaintenant?luiroucoula-t-elleàl’oreille.Shonapossédaitunprénomécossais,maisellen’étaitpourtantpasd’ici.Son fortaccentanglaisen

étaitlapreuve.Jeleremarquaisvraimentpourlapremièrefois.Le visage durci et froid commede la glace,Leith acquiesça avant de s’adresser àmoi d’une voix

forte.—Tuesunefemmedetête,unefrondeuse,çanefaitaucundoute.C’estpourquoituvasexpliquerà

toutcepetitmondequelleestlasituationetveilleràcequejen’aiplusàmejustifierdemonidentité.Jeveuxbienêtreconciliant,Hannah,maispasaupointderépéterlamêmescèneàlongueurdejournée.

Lenoirdesespupillesinondasonregard,commechaquefoisquelacolèregrondaitenlui.Elleétaitpalpable.Ellemetransperçait,m’étaitdestinée.Pouruneraisonquim’échappait,c’étaitàmoiqu’ilenvoulait, et à personne d’autre. Jeme redressai, bombai le torse fièrement et inspirai discrètement unmaximumd’oxygèneavantdesoutenirsafureuravectouteladignitédontj’étaiscapable.

—Ceserafait.Toiet tapetiteamiepouvezêtretranquilles,pluspersonneneviendravousennuyeraveccettehistoire.

Mavoix n’aurait pas pu être plus froide, etmes traits plus étudiés. Je lemettais au défi d’avoir àajouterquelquechose.

Sonexpression implacablenechangeapasd’un iota,maissubitement,sesyeuxseposèrentsurmeslèvrestandisqu’ilsortaitlapointedesalanguepourlécherlessiennes.Lesangdansmesveinessemitàbouillonneretmoncœurs’arrêtadebattrepourlacentièmefoisdepuisquej’étaisici.Merefusantàluimontrermontrouble,jefisunpasenarrièrepourlibérerlepassage.

Leithm’adressaundernierregard,glacial,ets’emparadelamaindeShonaafindel’entraîneraveclui. Ilsbifurquèrentauboutducouloir, etdisparurent.Cen’estqu’àcemoment-làque je relâchai toutl’aircontenudansmespoumons.

—Bonsang,maisoùestLeith?medemandaAnneasenfronçantlessourcils.Jesentismonpoulss’accélérer.—Ilétaitdevanttoi,Anneas.—Non, affirma sèchement Jeremiah.Si ce garçon étaitmon fils, j’aurais reconnu sonodeur. Il est

inutilederesterdansledéni,Hannah.Unsilencedeplombs’abattitsurnousavantquejeréagisse.—Ledéni?Mais…Jemerepassaimentalementcesdeuxdernièresjournéespouressayerdedéterminersicequ’ilvenait

dedireavaitunsens.Mesbrasretombèrentlelongdemoncorps.Ledoutegagnaitduterrainenmoi.Ets’ils avaient raison ? Et si mon envie de retrouver Leith m’avait fait perdre la tête au point d’êtrepersuadéedelesentir?Jefermailesyeuxuneseconde,etrespiraiungrandcoup.Non!Toutceciétaitparfaitementridicule!Cequileurapparaissaitcommeuneévidencenel’étaitpaspourmoi.CegarçonétaitLeithetpersonned’autre. J’enétais sûreàdeuxmillepourcent.Moncorps l’avait reconnu,moncœur,monâmeetmatêteaussi.C’étaitlui.

—Vousvoustrompez,Jeremiah,murmurai-je.Ils’agitbiendelui.—Hannah…Ilmecouvad’unregarddepitiéquieutraisondemonself-control.Jel’accueilliscommes’ilm’avait

donnéunegifle.—Hannahquoi?ripostai-je.C’estvousquiêtesdansledéni!Sonvisage,soncorps,sesyeux,sa

cicatrice ! C’est lui ! Je sens son odeur, je ne l’imagine pas ! C’est la sienne. C’est celle de Leith !Commentpouvez-vousnepaslareconnaître?

—Personnenelareconnaît,ditdoucementGeorgiatotalementaffligée.Illuiressembletraitpourtrait,c’estvrai,mais…

—S’ils’agitbiendelui,queluiest-ilarrivé?demandaÉtienne.Ilavaitenviedemelaisserlebénéficedudoute.Jelelisaisdanssesyeux.—Ilasubiunsortd’effacement.Sonamnésieest totale, ilnese rappelle riendesonanciennevie

parcequ’on lui a implantéd’autres souvenirs. Ildit senommerAlanKerr, ilpenseêtre fiancéàcettefille, il croit que sa famille a toujours suivi les règlesde laCommunautéduSutherland, et qu’il s’estrenduiciafind’êtreenseigné.Ilnemereconnaîtpas.Ilestconvaincudenejamaisavoirvéculemor-aotrom,maisl’Espritœuvreentrenous.Jelesens.Ilestlà!m’écriai-jeentapantviolemmentdupoingsurmapoitrine.

J’avais l’impression de voguer seule surmes certitudes.Alors, instinctivement, jeme tournai versChristypourdécelerquelquechose,n’importequelsignedanssonregardquimeprouveraitquejen’étaispasentraindeperdrelatête.Unplibarraitprofondémentlefrontdelasorcièretandisqu’ellesepressaitfortementlenezpouréviterd’éternuer.

MurdochsuivitmonregardetobservaChristy.—Quepensez-vousdelasituation?Lessourcilstoujoursfroncés,Christypinçaleslèvres.—Jepensequ’Hannaharaison.—Nelaconfortezpasdanssonerreursanssavoir!éructaJeremiah.C’est lachairdemachair, le

sangdemonsang,jereconnaîtraissonodeurn’importeoù!Christysoupiradelassitude.—Enplusd’avoirlenezcomplètementbouché,vousyvoyezaussiclairqu’unetaupe.Biensûrque

c’est lui ! Qu’est-ce qui, à part son odeur, ne vous fait pas penser à lui ? Rien, n’est-ce pas ?Sérieusement,Jeremiah,sij’encroiscequeditHannah,ilsseressemblenttraitpourtrait.

Jeremiahlafusilladuregard.—Votrefilsestsousl’emprised’unsortilègeextrêmementpuissant.Toutaétéorganisépourqu’ilne

sesouviennederienetseprennepourquelqu’und’autre.C’estpourquoijepensequ’ildiffuseuneautreodeurquelasienne.L’illusionesttotale.

—C’estunehistoireàdormirdebout!Onnepeutpaschangerl’odeurdequelqu’un!—Cequevousêtesirritant!siffla-t-elle.Danscettesituation,sivousnevoulezpaspasseràcôtéde

l’essentiel,ilnevousestpaspermisdedouter!Ilserenfrogna.— Certaines bana-bhuidsichean{9} sont capables de pouvoirs extraordinaires, Jeremiah, plaida

Murdochquicommençaitàcroirecedontj’étaispersonnellementcertaine,désormais.—Alorspourquoilesent-elle?répliquaJeremiahenmedésignantdel’index.Agacée,Christylevalesyeuxauciel.

—Àvotreavis?C’estsonâmesœur,l’Espritagitencoreentreeux.Jeremiahm’observaquelquessecondessansriendire.Pesantlepouretlecontre.Toutefois,rienne

lui permettait de remettre en cause l’explication de Christy. Personne ne le pouvait. Pas même lesmembresdelaMeutequiassistaient,consternés,àcetteconversation.JesentaisLeith,etsijelesentais,c’estquec’étaitbeletbienlui.Iln’yavaitpasd’autrechoixpossible.Point.

—Es-tusûrequ’ils’agitbiendelui,Hannah?medemanda-t-ild’unevoixchevrotante.Jeluifissignequeoui.Cettequestioncommençaitàdevenirlassante.Jeremiahsemassalestempes.—Parl’Esprit…Jenereconnaispasmonfils.—Oh,Jeremiah…,murmurai-je.Son visage déformé par le chagrinme renvoyaitma propre douleur.Comment pourrions-nous nous

habitueràunteldrame?Commentnousrésoudreàcequeplusriennesoitjamaispareil,avoirchaquejourl’impressiondevivreavecunétrangerqu’ilnousfaudraitapprendreàconnaître?

—Monenfantnesesouviendrajamaisdemoi,desespremierspas,desesluttes,desesvictoires,decequil’aconstruit…Jen’aimêmeplussonodeurpourmerappelercombiencelledesamèreenétaitproche.

Savoixs’étrangla,etilsetut.—Peuimportequiilpenseêtre,ditsubitementAlquiavaitretrouvéunsemblantd’énergie.Jecrois

cequeditlasorcière,jecroisHannah.C’estlesangdesSutherlandquicouledanssesveines.Ilesttonfils,riennepourrajamaischangerça.Quandtoutceciseraterminé,qu’ilsauraquiilestvéritablement,tuserastoujourslà,àsescôtéspourleguider,lesouteniretforgerdenouveauxsouvenirsaveclui.Lavien’estpasfinie,Jeremiah.Tutrouveraslecouragedesurmontercetteépreuve.

Jeremiah regarda son aîné avec attention, les yeux brillant d’un espoir infime. Puis Al se leva ets’adressaàMurdoch.

—Jevoudraisvoirmafemme,àprésent.LechefdesloupsacquiesçaetsetournaverslaMeute.—Nousallonsessayerdecomprendrecequiestarrivéàvotreami,etpunirlecoupable.Jeconnais

l’impétuositéetlafidélitédesLupi,c’estpourquoijevousdemandedecollaboreretdenepaschercheràfairejusticevous-même.Restezenretrait.

Tousapprouvèrent,toujourssouslechocdesrévélationsquileuravaientétéfaites.—Murdoch,m’imposai-je.Jedoisvousinformerdequelquechose.DeuxAngesNoirsontdécidéde

brouillerlespistes,d’induireenerreurlescréaturesstrigoii.—Cequiveutdire?—Qu’apriori,ellesneviendrontpasjusqu’ici.Entoutcas…pasimmédiatement.Murdochfronçalessourcils.—Jenesaisispas.Pourquoivosamisont-ilsfaitça?

— Pour nous laisser le temps de repartir et veiller à ce qu’aucun innocent ne soit confronté auxStrigoii.

Ilm’observa,stupéfait.—J’aipeurdenepascomprendre. Ilsnousprotégeraientdecréaturesquepersonnenevoitetdont

l’existenceestremiseencause?—Christyetmoilesvoyons,Murdoch.Ilbalayal’airdesamain,agacé.—Soit,soit…Imaginonsquevousayezraison.PourquoidiabledesExploiteursvoudraient-ilsnous

aider?Àquoiboninsister?Jesaturais.Jesaturaisvraiment.— Il existe des gens civilisés partout, Murdoch. Vous avez soumis vos exigences à laMeute, ils

obéiront,moiycompris,maisj’aiunerequêtemoiaussi.Ilarqualessourcils.—Jevousécoute.— Si mes amis reviennent, merci de ne pas les égorger pour avoir osé mettre un pied sur votre

territoire.Ilabaissalementontoutenplissantlespaupières.—Faut-ilencorequ’ilsnenousattaquentpas.Mesnarinesfrémirent.—Ilsn’attaquerontpersonne.—Danscecas,jeveilleraiàfairepasserlemessage.Jemeletinspourdit.N’enpouvantplusd’êtrecoincéeentrecesmurs,jelaissailaMeuteréfléchiràlasituation,Jeremiah

etChristysechicanerlemuseau,etAletMurdochrejoindreBonnie.J’avaisbesoind’air.Pourlaforme,jem’emparaiduchâlequem’avaitremisFreyaetmefaufilaidiscrètementàtraverslesgalerieshumideset éclairées de torches suintantes d’une substance nauséabonde. Rapidement, je me retrouvai dansl’Agora qui rassemblait étals et ateliers. Ici, pas de guerriers de l’Élite qui faisaient la loi, mais desimplesgardes,descivils,despèresdefamille,desmères,desenfants,dejeunesadolescentsdetoutesraces… J’avais vu les gens troquer, faire des dons, mais jamais aucune pièce de monnaie circuler.L’argentneparaissaitpasexisterici.Lacommunautétoutentièrevivaitsurleprincipesimpledupartagedesressources.Cesgenssemblaientapparteniràunsiècleauqueljeneconnaissaisfinalementpasgrand-choseetquimecorrespondaitsipeu...

Dansunecordonneriemontéesurpoteauxdeboisetdécoréedepeauxdebêtes,unvieilHispoétaitentraindedéplierducuirfraîchementtanné;unpeuplusloin,unHommidéremettaitenplacesonétaldeviande séchéeetde tubercules ; en facede lui,uncoupledeboulangersgalbrodistribuaient leurpaindans leur échoppe avec le sourire qu’ont les artisans fiers de leur travail ; pendant que leurs mères

parlaiententreelles,unpanierdeprovisionsàlamain,desenfantscouraient,s’écorchaientlesgenouxentombantsurlarocheetrepartaientenriantauxéclats.

Jen’avais jamaisvuautantdegarousde toutemavie.Entouréedemessemblables, j’auraisdûmesentir à l’aise plus que n’importe où ailleurs. Or, c’était tout le contraire. J’éprouvais une sensationd’oppressionquimecomprimaitlacagethoraciqueetmecoupaitlesouffle.Jenereconnaissaisaucuneodeur habituelle, aucun objet familier. Rien. Ce monde n’était pas le mien, et je n’y étais pas labienvenue.Aufuretàmesurequej’avançais,lesregardssebraquaientsurmoi.J’apercevaislesvisagesinterrogatifsdecesgensn’ayantprobablementjamaisvudefaol-creutairdetouteleurvie.Labouleauventre, je traversai l’Agora en marchant droit devant, longeai une immense place surplombée delogements,ignorantlesmessesbassessurmonpassage,etpriantpournepasêtreinterpellée,insultéeoubousculée.Jen’auraisjamaissugardermoncalme.

Jequittailagrottesansencombre,etsansqu’ungardenemeposeaucunequestion,ounemecontrôle.Lalumièredujourmefrappadepleinfouet,m’obligeantàmecacherlesyeuxderrièremonavant-bras.Jem’immobilisaiuninstantpourm’habituer,etfinalement,jerespiraiàpleinspoumonsl’airfraisdelamontagne.Quec’étaitbon!J’expiraiparlenezetbalayailepaysageduregard.Ilavaitneigé.Beaucoup.Lesolrocailleuxétaitmaculéd’unblancéclatantqueseulsquelquesarbustesdécharnésvenaientdéfierenexposantleursbranchessombres.C’étaitmagnifique,laneigescintillaitdanslalumièrehivernale.

Je n’avais aucune idée de l’heure qu’il était,mais l’astre était déjà haut dans le ciel. Ici, en pleinhiver, lanuit tombait trèsvite,unpeuavantdix-septheures. J’estimaidoncque lamatinéedevait êtrebien avancée. Dans cette partie de l’Écosse, et sans doute bien davantage qu’ailleurs, le temps étaitcapricieux–ilpouvaitpleuvoird’uneminuteàl’autre–,jeresserrailechâleautourdemesépaulesetprofitaidecesquelquesinstantsdequiétudepourmarcherunpeuettenterdefairelevide.

Laneigefixaitmestracesdepasetfaisaitchuintermeschaussures.Ellesn’étaientpasétanches,j’eusrapidementlespiedsmouillés,maisjem’enmoquais,jecontinuaisàavancerdanslefroidquejesentaisàpeine.J’avaisdéjàparcouruunebonnecentainedemètres,etpersonnenem’avaitencoreinterpellée,mais lespremières limitesdesEntraillesnedevaientplusêtre très loin.Parprécaution, je stoppaimaprogression et regardai derrièremoi. Je n’aperçus personne. Je poussai un peu plusma chance etmeremisenroute,cettefois-cidansunbutbienprécis.Jel’avaissenti.Iln’étaitpasloin.

—Tucherches les ennuis, semoquaunevoixque je connaissaisbien. Je croisque tu as fait vingtmètresdetrop.

Ensouriant,jelevailevisage.GrigoreetPittsetenaientàunequinzainedepiedsau-dessusdusol.Quand ils volaient, les AngesNoirs étaient d’une beautémajestueuse, hypnotique et presque irréelle.Leurs grandes plumes d’ébène chatoyaient effrontément dans le ciel lumineux de ce territoire hostile.Ellesbattaientl’airdansunsilenceabsolu,etportéeparlevent,l’odeurdePittetGrigoreétaitpresqueimperceptible, les rendant quasiment inexistants. Éblouie par le soleil, je plissai les paupières et lesregardai se poser souplement sur la neige avant de faire disparaître leurs ailes comme parmagie. Ils

paraissaientaussilégersqu’uneplume.—Jenerisqueriend’autrequ’unécartèlementenrègle,rétorquai-jeenriantdunez,jegère.Comment

allez-vous?—Fatigué!Jenemesouvenaispasqu’ilronflaitautant!fitminedegrognerPittenpassantlamain

danssescheveuxblonds.Grigoreramassaunpeudeneigepourl’envoyeràlafiguredePittquil’évitasansmal.—J’aiinforméMurdochqueDariusetGwenontdécidédebrouillerlespistes,annonçai-je.Ilnenous

croitpas.IlnepensepasuneseulesecondequelesGuerriersdel’ombreexistent.Avecunmouvementd’épaules,Grigoreeuttoutl’airderépliquerquec’étaittantpispoureux.Quantà

Pitt,ilnemontrapasplusd’intérêtàcequejevenaisdedire,ilselissanonchalammentlessourcils.Ilauraittoutaussibienpusiffloter.

—Jenesuispastranquille,ajoutai-je.Grigoreplissalefront.—Pourcettecommunauté?—PourDariusetGwen,répondis-jespontanément.D’abordpoureux.—Dariusn’estpasundébutant,ditPittaveccetoncinglantdontilaimaituseravecmoi.J’étrécislesyeux.—Peut-être,maiscescréaturessontbienplusanciennesquelui,etjeterappellequ’avoirseptcents

ansneluiapaspermisdeseprotégerquandellesl’ontcapturé.Voussaveztrèsbienquelapeurcourttoujoursdanssesveines.Iln’apasoubliécequ’ellesluiontfait.Commentpourra-t-illesaffronterseul?

—Iln’estpasseul,s’amusaPitt.Sadulcinéeestaveclui.—Oh,parl’Esprit!m’énervai-je.Cesontd’AngesNoirscommevousdontilabesoin!Rejoignez-

les!Pitts’étranglalittéralementavantd’éclaterderire.—Serais-tuentraindenousdonnerdesordres?—Prends-lecommetuveux.—Elleestbienbonnecelle-là,s’esclaffa-t-ildeplusbelle.Lesnarinesfrémissantes,jemetournaiversGrigorequiserraitlesmâchoires.—Iras-tu?Lestraitsduvisageindéchiffrables,illaissapasserquelquessecondesavantderépondre.—Non.Monsangsefigea.—Dariusesttonami!—Tut,tut,tut…,fitPittenlevantlesyeuxauciel.Jesaisbienquelesgarousonttoujoursétélentsà

comprendrelaplussimpledessituations,maisalorslà,tusurpassestoutcequej’aiconnu,Hannah.Je le fusillaidu regard, tandisqu’il tordait saboucheen faisantminede securer lesdentsavec la

langue.—Gardetesréflexionspourtoi,Pitt!—Tucroisvraimentquetonâmesœurvalaissersonâmesœurchezcescinglés?reprit-ilenavisant

rapidementGrigore,puisendésignantdumentonBenHope.—Jenesuispas…,commençai-je.Grigorelevaunindexpourm’interrompre,puissonexpressionsefitplusnoirequelanuit.—Hannah…—Non.Toi,arrête!m’emportai-je.Tumecontredistoutletemps,tun’asqueçaentête,maisjene

veux pas être ton âme sœur. Je ne veux pas, et je ne peux pas.Bon sang, réveille-toi,Grigore !Deschosesbienplusimportantessontentraindeseproduire.DariusetGwenpourraientylaisserlavie!

—Tantquetuserassurceterritoire,jenebougeraipasd’ici,Hannah.—Etpourquoi?Jesuisparmilesmiens,queveux-tuqu’ilm’arrive?lançai-je,demauvaisefoi.Tu

asbienplusàcraindrequemoi,ici!Grigorefitquelquespasdansmadirection,leregardcommeembraséparunfeuardant.—Tupeuxprotester,crier,cracheretfeuler,jenechangeraipasd’avis.Derrièrenous,Pittpouffaderire.—Pardonnez-moidenepas resteràvousobserver jouerauchatetà la souris,mais s’il fautaller

surveillerDariusetsadulcinée,autantquejemedévouepourfilerd’iciauplusvite.Vousmefatiguez,touslesdeux.Sanscompterquejecommenceàavoirlescrocs!

LesailesdePittsedéployèrent,etl’instantd’aprèsilvoltigeaitau-dessusdenous.— Si je les retrouve, je tâcherai de les convaincre de vous laisser vous débrouiller seuls. C’est

l’enfercetendroit.Quantàtoi,monfrère,situnelametsdanstonlitd’icideuxjours,rentreaubercail!GrigorerugitlittéralementdecolèresousleséclatsderiredePittquis’éloignaitdéjà.Après son départ, un silence de plomb s’abattit entre nous. Grigore m’observait sans que je sois

capabledeproférerunseulmot.Ilémanaitdeluicetteassurancevirilequimeclouaitsurplacedepuisquelque temps. J’aurais préféré qu’il disparaisse lui aussi. Le lien qui nous unissait, le même quej’essayais désespérément de nier, nous propulsait l’un vers l’autre et m’empêchait de respirercorrectement.Toujourssansriendire,Grigores’avançadefaçonàcequenousnousretrouvionsfaceàface.Ilétaitsiprochequ’ilauraitsuffiquejelèvelamainpourluitoucherlevisage.Cequejemourraisd’enviedefaire,maisquejenemepermispas.Subitement,ilemprisonnamesmainsetlesramenacontrenous,entrenosdeuxpoitrines.Là,ilbaissalatêteetposaseslèvressurmesdoigtsgelés.Jen’osaipasfaireungeste.Jeparvinsmêmeànepasfrissonner.

—Ilestchaque jourdeplusenpluspuissant. Ilnousappelle.L’entends-tu,Hannah?murmura-t-il.Entends-tulelienquinousunit?

Jemeperdisdanssonregardargentéet,malgrémoi,jehochaidoucementlementon.—Cessederésister,murmura-t-il.

—Grigore…Ilposal’indexsurmeslèvrespourmefairetaire.J’entrouvrislaboucheetmonhaleinechaudeallas’enroulerautourdesapeau.Ilfermalespaupières

quelquessecondes,puisilm’observadenouveau.—Pourquoitebattrecontremoi?Contrecequiestplusfortquenous?Jesuislà,bienvivant,etmon

âmeteréclame.Jemenourrisdetoi.Detonodeur.Detavoix.Detonsouffle.Quelediablem’emporte,jeteveux!

Unechaleurbrûlanteserépanditdansmesveines.Uninstant,jecrusêtresurlepointdemeliquéfierdevantlui.Cesmots, jelesavaisrêvés,désirésdetoutesmesforces.J’avaisvoulum’enrepaître,m’ynoyeretlesserrerfortcontremoi.Maispasdesabouche.C’estLeithquiauraitdûlesprononcer,etj’envoulaisàGrigoredel’avoirfaitàsaplace.Brusquement,jemedégageai.

—Tun’aspasledroit…,soufflai-je.L’exaspérationbrillaitdanssesyeux.—Jeleprends!Parcequecontrairementàlui,jemesouviensdetout.Dechaquechosequej’aivécue

avectoi.Jebaissailatête,auborddeslarmes.—Tuesinjuste.—Réaliste!Réveille-toi,Hannah!Ontel’adit,ilneretrouverajamaislamémoire.Tun’esplusrien

pourlui.Riendeplusqu’unefilledésespéréequisetrompedepersonne.Sansparveniràcontrôlerlacolèrequ’ilfaisaitsurgircommeunelamedefond,jelevailamainetle

giflaiàtoutevoléeavantdetournerledospourm’enfuir.Maisjen’avaispasfaittroisfouléesqueGrigoremerattrapaitetmeretenaitparl’épaule.—Hannah…—Lâche-moi!Meurtrieparcequ’iln’avaitfaitquedirelavérité,jemedébattisfurieusement.C’estalorsquenous

entendîmesunrugissementprovenantdederrièrenous.Laseconded’après,Grigoreétaitàterre,écrasésouslepoidsd’ungigantesqueloupblanc.

Leithétaitsurlepointdel’égorger.

Chapitre6

Totalementprisedecourt,lesyeuxécarquillésdestupeur,jeneréagispasimmédiatement.Le grand corps lupin de Leith couvrait entièrement celui de Grigore. Il ne bougeait pas, il

l’immobilisaitsousluietsurlecoup,Grigoresemblatropsonnépourtenterlemoindremouvement.C’estlàque je comprisqueLeithne l’avait pasvraiment attaqué. Il l’avait juste éloignédemoi, cequimedésorientabiendavantage.PuisGrigoreseressaisitetgesticulacommeunver.

—Mauditchacal,dégagedelà!hurla-t-ilavantdedonnerunpuissantcoupdereinsquifitbasculerLeithloinderrièrelui.

GrigoreimprimauneimpulsionàsesjambesetserelevabrusquementavantdefairefaceàLeith.Ilsseregardèrentenchiensdefaïence,puislentement,ilscommencèrentàtournerensemble,sansselâcherdesyeux.Leithmontraitlescrocs,tandisquelapositiondeGrigoredonnaitvaguementl’impressionqu’ilétaitsurlepointdedégainerunflingue.

—Prendsformehumaine,toutou,qu’ons’affronteàmainsnues.D’hommeàhomme.IlprovoquaitLeithd’unevoixbeaucouptropcalmepourêtrerassurante.—Personnenesebattraavecpersonne!m’interposai-je.Grigore,rangetatestostéroneetessaiedete

souveniroùnoussommes.Toucheunseuldesespoilsetjenepourrairienfairepourlesconvaincredetelaisserlaviesauve.

LecorpsdeLeithmutasousnosyeuxet,enunepoignéedesecondes,ilsedressadevantnousdanssasublimenudité.J’enperdistousmesmots.

—Tun’espasunhomme,Sang-mort,siffla-t-il.Grigoreledétailladelatêteauxpieds,puisilfixalebas-ventredeLeithavecinsistance.—Certes,maisjesuisenmeilleureformequetoi.Leithsemblas’enamuser.—Tuparieraislà-dessus?J’aientendudirequechezlesvampireslesangnecirculeplustrèsbien.Grigoreéclatad’un riremoqueurdénotantuneassuranceplusquemanifeste. J’en restaipétrifiéeet

battisdespaupières,estomaquée.— Besoin d’une preuve en image, peut-être ? dit-il en posant les doigts sur les boutons de son

pantalon.Cettefois,jemanquaidem’étrangler.—Non!m’écriai-je.Ilyeutensuiteunsilencesiprofondquej’euslanetteimpressiond’entendrelessecondesdéfiler,puis

leslèvresdeGrigoredessinèrentunsourireencoinlorsqu’ilserenditcomptequej’étaismortifiée.

—Commetuvoudras,chérie.Chérie?—Jecroisqueçairacommeça,Grigore,cinglai-je.Ilhaussalesépaules.—Situledis.—Jel’affirme.AgacéeparGrigore,etperturbéedevoirLeithdansleplussimpleappareil,jedétachailechâlequeje

portaisetleluitendis.Ils’enemparaetlenouatranquillementautourdeseshanches.—Pourquoies-tulà,chien?Tuaseupeurquejelavidedesonprécieuxsang?ÇafaisaitdessièclesqueGrigoreetlaprovocationformaientuncoupleefficace,alorsévidemment,

quandilévoquauneéventuellemorsure,unpetitmuscletressaillitsurlajouedeLeith.Nosdeuxespècessedétestaientdepuisl’éternité,etiln’yavaitriendeplusrévoltantpourungarouqu’unHumainservantderepasàunvampire.Autantdirequ’unLupusutiliséàdesfinsidentiquesétaitparfaitementintolérable.Leithserralesmâchoiresetplissalesyeux.

—Tun’espaslebienvenusurceterritoire,Sang-mort.Reparsd’oùtuviens.LevisagedeGrigoresefenditd’unlargesourire.—Désolé,monvieux,jamaissanselle,luiassura-t-ilenmedésignantdel’index.J’eus l’impression d’entendre Leith gronder sourdement, mais je me convainquis rapidement du

contraire, parcequedans l’état actuel des choses, il n’y avait aucune raisonpourque cela ledérangevraiment.

—Tucouchesaveclui?demanda-t-ilbrusquement.Jefussisurpriseparsaquestionquesurlecoupjenesusquerépondre.PuisGrigores’aventurasur

lespentesglissantesdumensonge,révélantunmachismequiluiseyaitbienmal.—Pourquoiperdrais-jemontemps,sinon?—Grigore!m’insurgeai-je.J’étaishorsdemoi.Commentosait-ilm’embarquerdanscettemascarade?Maisilfitminedenepas

comprendre.—Ehbienquoi?Noussommesprochetoietmoi,n’est-cepas?Cetteconversationétaittotalementridicule.Jenecherchaipasàrétorquer,etmetournaiversLeith.—Jepeuxsavoirpourquoituesintervenu?IlgardaitlesyeuxrivésàGrigore.Mêmeénervée,j’auraisdonnécherpourliredanssespensées.—Lajalousie,semoquanonchalammentGrigore.Laplusbellefilledesenvironsquiretrouveleplus

beaumecducoin.Tunel’aspaschoisietçaneluiapasplu.Leithsecontentadeplisserlefront,tandisquejefronçailessourcils,abasourdie.JevoulaisimpérativementéviterderabaisserGrigoredevantLeith,maisilsecomportaitcommeun

gosse boutonneux dans une cour de récré. Tout ceci ne lui ressemblait pas. Grigore était toujours

tellementsûrdeluiqu’iln’avaitjamaisbesoind’avoirrecoursàdetelsenfantillagespourenimposer.Cettefois,c’étaitpourtantlecasetjemedemandaisbienpourquoi.

—Maisquet’arrive-t-il,Grigore?Sonregardsefitplusfroidquelaglacequinousentourait,puislajalousiequ’ilavaitdécritequelques

secondesplustôtpassaletempsd’unéclairsursonvisage.—Ilm’arrivequ’ildébarquecommes’ilétaitenterrainconquisetqueçam’insupporte!J’écarquillailesyeux.— En terrain conquis ? Ne m’oblige pas à exprimer le fond de ma pensée ici, Grigore. Tu sais

parfaitement qu’il n’y a rien à conquérir. Je ne suis pas unmorceau de gâteau pour lequel on doit sebattre.

Grigoreaffichaunsourireplusamerquerailleur.—Alors,cessedetefairebouffercommetulefaispardesespoirstotalementvains,Hannah,ouje

peuxt’assurerqu’ilneresterabientôtplusquedesmiettesdetoi.Jeledétestaisd’avoirditça,maisjetâchaidegardermoncalme.—C’estmonproblème,Grigore.Ilsepenchapourm’observerdeplusprès,lespupillesluisantd’unefureurdifficilementcontenue.— J’espère que tu sais ce que tu fais, car le moment venu, je ne serai peut-être plus là pour les

ramasser.Avantquejepuisserétorquerquoiquecesoit,ils’élançadanslesairs.—Grigore!criai-jeenfaisantquelquespas.Maisilneseretournapas,etàgrandsbattementsd’ailes,ildisparutloinderrièreBenHope.Abattue,

jelaissairetombermesbraslelongdemoncorps.Lasituationallaitdevenirpluscompliquéequ’ellenel’étaitdéjà.Mêmes’ilm’avaitouvertementmenacéedemelaisserenplan,Grigoren’abandonneraitpassifacilement.Àdemi-mot,ilavaitprovoquéLeith,ledéfiantdem’approcherd’unpeutropprèstoutenlemettant en garde : il se battrait pour moi. Il ferait tout son possible pour me gagner. Grigore étaitconvaincuquenousavionsunavenircommun,etjepouvaisdemoinsenmoinsignorerquejeressentaispour lui quelque chose d’inexplicable, de fort et peut-être d’inaltérable. Oui, il comptait. Il comptaitterriblement.Toutcequ’ildisait,faisait,avaitdel’importanceàmesyeux,maismonamourpourLeithétaitdesmilliersdefoispluspuissant.J’allaissûrementêtrerejetéeetsouffrir,maisGrigoreaussi,parceque je ne le choisirais jamais, et lui faire du mal m’était insupportable. Il ne le méritait pas. Maisqu’aurais-jebienpuluipromettred’autrequemonamitiééternelle?

—Qu’est-ilpourtoi?La manière dont Leith avait détaché chaque mot me hérissa les poils des bras. Le mépris,

l’incompréhensionetl’intoléranceyrésonnaient.UnAngeNoiramiavecungarou.Ilnel’admettaitpas.Nousavionspourtantpassécetteétapedesmoisplustôt,luietmoi.

Jesoupirai,baissailatêteetmepinçail’arêtedunez.

—Quelqu’unquim’estcher.—UnAngeNoir?Jefisvolte-face,lesjouesenfeu.— Oui ! Un Ange Noir ! Un être vivant doté de sentiments, capable d’amour, de haine et aussi

d’honneur!Unhomme!Letonbrusquequej’avaisemployélelaissademarbre.Exaspérée,jefisquelquespaspourmettreun

peuplusdedistanceentrenous.—Maintenant,réponds-moi.Pourquoim’as-tusecourue?LefrontdeLeithsebarrad’unplisévère.—Quelledrôledequestion!TuétaisavecunExploiteur.—Cequisignifieforcémentquej’étaisendanger,ironisai-je.Maisdis-moi,Alan,c’estladeuxième

fois que tu me viens en aide depuis que je suis ici. Serais-tu atteint d’un quelconque syndrome desuperhéros?J’enperdsmonlatin.

Ilm’observaetsetutuninstant.Ilétaitclairementperturbé.Peut-êtrenecomprenait-ilpaslui-mêmepourquoiilétaitintervenu?Quandilrepritlaparole,savoixn’étaitplusqu’unmurmure.

—Non.Jesuisunloupalpha.Iln’yavaitpasuneonced’arrogancedanscequ’ilavançait.C’étaitcequ’ilétait.Unalpha.Ilétaitné

pourdiriger.Protéger.Anticiper.Pourautant, j’étaisbiendécidéeànepas le laissers’entirerparuneexplicationaussisimpliste.

—Faisquandmêmeattention, çapourraitdevenirunehabitude.Pourquelqu’unquiveutque je luifichelapaixetquidevraitm’évitercommelapeste,tut’yprendstrèsmal,tunetrouvespas?

Ilsemblaagacéparmaremarqueetmalgrémoi,j’enressentisunplaisirpuéril.—Donc,insistai-je,sijerésumebienlasituation,tuétaisdanslecoinparleplusgranddeshasards,

alorstum’assecourue.Ilposasurmoiunregardsiintensequ’unpicotementpritnaissancedansmesveinespourmeredonner

vie.—Lehasardn’arienàvoirlà-dedans,Hannah.Jet’aisuivie.Volontairement.Jenem’attendaispasàcequ’ilsoitaussifranc,etuninstant,j’eneuslesoufflecoupé.Jemerepris

assezvite,nesouhaitantpasluilaisserl’occasiondevoirqu’ilm’avaitperturbée.—Quemevautcethonneur?—Plustard.Parle-moidelui.Jerelevailementonetécarquillailesyeux.—DeGrigore?Ilsecoualatête.—Non.DuLupusquiadisparu.Tonpetitami.ParlerdeLeithà…Leith?J’auraispumetordrederiresilasituationn’avaitpasétésitriste.J’ouvris

labouche,puislarefermaisanstrouverquoidire.—Commentétait-il?insista-t-il.Sanspouvoirmecontrôler,jelefusillaiduregard.—Abstiens-toidefairementiondeluicommes’ilétaitmort.Ilnel’estpas!Leithsetenaitdevantmoi.Glorieux,unique,et…amnésique,maisilétaitlà,toutentier.Toutefois,il

étaitsidifférentdeceluiquejeconnaissais.Ungoûtamerserépanditdansmabouche.—Excuse-moi,murmura-t-ilcontretouteattente,cen’étaitpascequej’insinuais.—Àquoibondiscuter?—Parcequetuenasbesoin.J’arquai les sourcils, incrédule. J’en avais besoin ?Avait-il seulement lamoindre idée de ce dont

j’avaisbesoin?Jelevoulais,lui.Désespérément.Douloureusement.Furieusement.Riend’autre.Maisiln’étaitpasenmesuredemesatisfaireetj’encrevais.Toutserésumaitàça.

—Tutetrompes,Alan,affirmai-jeavecunedésinvolturetoutétudiée.—Jesuissûrquenon.Sesyeuxbrillaient.Jem’yperdisuninstant.Puis,résignée,jesoupiraiethaussailesépaules.—Qu’aimerais-tusavoir,précisément?L’intérêtquejelusdanssonregardmefitundrôled’effet.Cen’étaitpasuniquementpourmesoulager

qu’ilvoulaitmefaireparler,maisparcequ’il souhaitait lui-mêmeenapprendredavantage.Pourquoi?Pourquoicettesubitecuriosité,alorsquejusqu’àprésent,ilavaitaffirmésavolontédenepasêtremêléàcetteaffaire?

—Quiest-il?Quefait-ildanslavie?Oùl’as-turencontré?Jebaissailespaupièressurlaneigeéclatante,memordisleslèvresetmefrottailefrontpourm’éviter

dehurler. J’étais en colère. Je lui envoulaisdene se souvenirde rien.Maisqu’aurais-jebienpu luireprocher?Cen’étaitpassafaute.Ilneretrouveraitjamaislamémoireetjedevaisfaireavec.

Jeprisunelenteinspirationavantd’affronterlaprofondeurdesonregard.—Jesuistombéesurluiàl’aéroportd’Inverness.Littéralement.Ilnousarattrapés,moietleflacon

deparfumquejetransportaisdansunsac.Unlégersourireeffleuralecoindeseslèvres.—L’Espritnousachoisisilyapresquetroisans,continuai-je.—Avantquetusoistransformée,n’est-cepas?Jehochailatête.—Quandes-tudevenueunLupus?Jeme remémorai ce jour si particulier où Jeremiahm’avaitmordue et fus incapable de retenir le

frissonquiserépanditlelongdemacolonnevertébrale.—Ilyaunan.—Ill’afait?voulut-ilquejeluiprécise.

—Non.Sonpères’enestchargé,répondis-jeplatement.Leithplissalespaupières.—Pourquoi?—Pourmesauverlavie.Unvoiled’interrogationseposasursonvisage,maisjen’étaispasprêteàluienraconterdavantage.

Pasencore.Illecompritàlamanièredontjemecrispaietn’insistapas.—Oùvit-il?—ÀStAndrewslaplusgrandepartiedel’année.Ilestétudiant.Lerestedutemps,ilhabiteàWick.Jeme tusetmebaissaipourarracherunebrindilleasséchéequidépassaitde laneigeet lacoinçai

machinalemententremesdents.—Ettoi?demandai-jetimidement.Ilm’observaavecattention,étudiantparticulièrementlatigequejemâchouillais,s’attardantsurmes

lèvrespourladeuxièmefoisdelajournée.—Durness,répondit-ilsanslâchermabouchedesyeux.Je m’efforçais de ne pas laisser transparaître la moindre réaction, mais mon cœur était en train

d’entamerunecoursefolle.J’avaisl’impressionquemapeaucrépitaitsousl’intensitédesonregard.—Cen’estpastrèsloin,fis-jeremarquerenveillantàfixerunpointloinderrièresonépaule.C’étaitunepetitebourgadeenborddemeraunord-ouestdeBenHope.Nousyétionsdéjàallésavec

mesparentslorsquej’étaisplusjeune.Ellenedevaitpascompterplusdecinqcentshabitants.C’étaitunendroitmagnifique,trèspriséparlestouristes.

—Àunecinquantainedekilomètresd’ici,confirma-t-ild’unevoixrauquequim’électrisa.Unsilenceéprouvant s’installaentrenous, je sentaisdes fourmillementsdansmesbrasetdansmes

mains.J’avaisenviedeletoucher.Alorsjetordislebrind’herbequejemâchonnaispourm’occuperlesdoigts.

—Quelâgeas-tu,Hannah?—J’auraisvingtetunanslevingt-cinqjuillet.Quepensait-il?Jen’enavaisaucuneidée,maisdenouveau,ilnedisaitplusrienetmeconsidérait

avecattention.M’étudiaitmême.Duregard, jecherchaiquelquechosesurquoimeconcentrer,mais lesienétaitsilourdquej’euslasensationd’êtreentraindem’enflammerdevantlui.

—Depuis…depuisquandfréquentes-tucettefemelleGal…,Shona?merepris-je.Ilrestamuetsilongtempsquejemesentisobligéedeluijeterunœiletdefroncerlessourcils.—Pourquoim’observes-tucommeça?—Parcequetumens.Jelevaisurluiunvisageinterrogateur.—Pourtoutt’avouer,continua-t-il,jen’aipastrouvétonpetitnumérotrèsconvaincant,toutàl’heure.Jefismined’êtreétonnée.

—Jetedemandepardon?—Contrairementaupèredecegarçon,tunecroispasuneseulesecondequejenesuispasceluique

tucherches.—Biensûrquesi!rétorquai-je.Tonodeuresttotalementdifférentedelasienne!Comme pourme démontrer le contraire, Leith s’approcha demoi de telle façon que nos corps se

retrouvèrentàunepoignéedecentimètresl’undel’autre.Enalerte,jefisquelquespasenarrière.—Vraiment?Alorsqu’est-cequejesens,Hannah?Décriscequetuperçoisquejevoieàquelpoint

tumens.Jesecouailatête.—Tuneveuxpas?Pourquoi?Ilavançait,jereculaiencore.—J’aipassél’âgedejoueràcesjeuxidiots.Jen’aipasbesoindeteprouverquejepensequetun’es

pasLeith,parcequetun’espasLeithetquejelesais.—Menteuse,répéta-t-ilenemployantuntonaussisévèrequ’amusé.Cettefois,jenebronchaipas.Ilavaitraisonetsijemedéfendaisencore,ilenseraitdéfinitivement

convaincu.—Allez,décriscequetuperçois,insista-t-il.Jeredressailementonethaussailesourcildansuneattitudevolontairementprovocante.—Trèsbien.Tuesarrogant,tropsûrdetoi,autoritaireetdéfinitivementàcôtédelaplaque!De manière inattendue, il éclata d’un rire franc qui s’enroula autour de moi comme une caresse.

J’adoraisquandLeithriait,sonvisageétaitlumineuxetsesyeuxbrillaientd’unelueurespièglequejenemelassaispasdecontempler.

—Hannah…Hannah…Jemettraismamainaufeuquejenesuispasàcôtédelaplaque,maispourlereste,jetedonneraisonàcentpourcent.Maintenant,arrêtedetedéfiler,qu’est-cequejesens?L’amour…Ilm’enivre.Ilmefaitperdrelatête.J’aienviedetoi.J’aienviedemourir…Àenjugersonexpression,ilattendaitquejerépondeauhasardetquejem’enfoncetouteseuledans

monmensonge.Cequisepasseraitforcémentcommeçapuisquejen’avaisaucuneidéedecequesentaitAlanKerr.Toutcequejepercevais,c’étaitl’odeurdeLeithetriend’autre.Bonsang!Pourquoin’avais-jepaseul’idéededemanderauxautrescequ’ilsavaientsentiprécisément?Jem’étaisplantéecommeunedébutante.

UnsourireencoinsedessinasurleslèvresdeLeith,tandisquejeréfléchissaisàlameilleurefaçondem’ensortir.

—Ton silence et tes yeuxparlent d’eux-mêmes,Hannah. Je lis à travers eux commedans un livreouvert.Pouruneraisonquej’ignore,tuespersuadéequejesuisluietjen’auraisansdoutejamaisaucunmoyendeteprouverlecontraire.Trèsbien.Qu’ilensoitainsi.Jenepeuxpast’empêcherdefoncerdroitdanslemur.Tusouffrirasdavantage,maisaprèstout,c’esttonproblème.Çaresteraentretoietmoi.Situ

n’y vois pas d’inconvénient, je préférerais laisser Shona en dehors de ça et ne pas lui faire de malinutilement.Contrôle-toidevantelle,s’ilteplaît.

Je hochai simplement la tête, ce qui valait tous les aveux dumonde.À quoi bon continuer à fairesemblantdevant lui s’il était convaincuque j’essayaisde leduper?QuantàShona, jen’avaisaucuneenviedelarmoyersursonsortoudelaprotéger,maisdanslepropreintérêtdeLeithetlemien,ilétaitsouhaitablequ’ellenesacherien.

—Puisqu’onenestàparleràcœurouvert,lançai-jeavecdésinvolture,pourquoinemedonnerais-tupaslaraisonquit’apousséàmesecourir,AlanKerr?

Ilplissalesyeux.—Tulesaisdéjà.—Ahoui,c’estvrai!persiflai-je.TuesvenumesortirdesgriffesduméchantAngeNoir.Cequetu

nem’astoujourspasdit,enrevanche,c’estpourquoitum’assuivie.Quelque chose étincela dans ses iris avant qu’il ne laisse son regard vagabonder surmoi, un peu

commesi,enmedétaillant,ilpensaittrouverlabonneréponseàmelivrer.—J’étaiscertainquetujouaislacomédieetjevoulaisquetusachesquejen’étaispasdupe.—Suis-jebête,memoquai-jeencoreenriantdunez.Sessourcilsserejoignirent.Iln’avaitpasenviederire.—Tuveuxlavérité?Etcomment!Jehochailatête.—Tum’intrigues,Hannah.Jenecomprendspaspourquoitut’attachesàmoiàcepoint,alorsqueje

t’aiclairementrejetée.—Etdonc,c’estplutôtpourçaquetum’assuivie?luitendis-jelaperche.Parcequejet’intrigue?—Jen’ensaisfoutrementrien!s’énerva-t-il.Illefallait.C’étaitplusfortquemoi,çateva?J’avalaimasaliveàgrand-peine.—Jenecomprendspastout,maisçameconvient.J’eusdumalàmeretenirdesourire,etilparutencoreplusagacé.—Netefaisaucunsouci,jenecomprendspasplusquetoi.— OK. Mais ensuite, pourquoi es-tu intervenu ? Grigore ne me voulait aucun mal, tu as dû t’en

apercevoir,non?Ilgonflalesnarinesetcrispalesmâchoires.—Oui.—Alors,quoi?Aveclefroid,lacicatricesurlajouedroiteétaitplusviolacéequed’habitude,cequiluidonnaitun

côtébrutetsauvagequesonregardmagnétiquevenaitdavantageaccentuer.Jepatientai.Puismoncœurs’arrêtadebattreuninstantquandilmerépondit,lesyeuxprofondémentrivésauxmiens.

—Jen’aipassupportéqu’iltetouche.

C’étaitsiinopinéquejenesuscommentréagir.Jedusmefaireviolencepournepastremblerdevantlui. Cette confidence, c’était bien plus que ce que j’attendais. Je brûlais d’envie de lui demanderpourquoi,maisau lieudeça, jememordis la langueet laissai le silenceprendre toute laplace.Leithfronçaitlessourcils.Ilnecomprenaitpascommentilavaitpudire,penser,ressentirunechosepareillealorsquepourlui,nousnousconnaissionsdepuisseulementdeuxjours.Quelquechosedepluspuissantquesescertitudesœuvraitentrenous.Iln’enavaitpasconscience,maisl’Espritvibrait.Jelepercevais.Ilrampaitsousmapeau,etmefaisaitmal.Mêmesilamémoireneluirevenaitjamais,Leithfiniraitpars’enrendrecompteetmecroire.Dumoins,jel’espérais.

Commejesentaisquej’allaismemettreàpleurer,jebaissailespaupièresetbattisdescilsavantdecontemplermeschaussures.Ellesétaienttrempées.

—Tespiedssonttoutbleus,murmurai-jeenobservantceuxdeLeith.Ilsecontentad’acquiescersansmequitterdesyeux.L’airétaitdevenupesant, et son regardsurmoiplus lourdencore. Je retinsma respirationuncourt

instant,etluiposailaquestionquimebrûlaitleslèvres.—Quesepasserait-ilsi,pouruneraisonxouy,tuterendaiscomptequejen’aipastortetquetues

véritablementmonâmesœur?Ils’étaitsûrementpréparéàcettequestion,maisilnes’ensentitpasmoinstroublé.Pourlapremière

fois, ilm’observaitavec l’attentiondequelqu’underéellementconcerné,et ilmeréponditcommes’ilavaitdéjàtournéleproblèmedesdizainesdefoisdanssatête.

— Je ne vois pas comment ça pourrait être possible,Hannah,mais si tel était le cas, jemediraisque…j’aitrèsbongoût.

Bien qu’encore jeune, je n’étais plus assez innocente pour rougir comme une débutante, maissuffisammentamoureusepoursentirunedoucechaleurserépandresurmapeau.

Jeluioffrisunsouriresincèreauquelilrépondit,puisilmetournasubitementledosetcommençaàs’éloignerendirectiondelacité.

—Tupars?demandai-je,déçuequ’ilmeplantecommeçaaprèsm’avoiravouéquej’étaistoutàfaitsongenredefille.

Ils’arrêtapourjeterunœilpar-dessussonépaule.—Jevaisfaireensortedenepasperdreunorteil,s’amusa-t-ilavantdesedirigerunevingtainede

mètresplusloin,derrièreunrocherbrillantcommedel’argentsouslesoleil.Quand il réapparut, il était denouveauvêtude sa tunique écrue,de sonpantalonnoir serré sur les

cuisses et de sapairedebottes fourrées, en cuir sombre.Avec ses cheveuxbouclésqu’il portait pluslongsqued’habitude,lamèchequiluibarraitl’œilgaucheetsacicatrice,ilressemblaitàunpirate.Unmagnifiquepirate.

—Tiens,dit-ilenmetendantlechâlequejeluiavaisprêté.Enleprenant,nosdoigtss’agrippèrent.Jenelesretiraipas,ilnelefitpasnonplus,puisnosyeuxse

cherchèrentletempsd’uninstant.C’étaitétrange.J’avaisl’impressionderevenirauxprémicesdenotrerelation. Lorsque l’intérêt naissait entre nous. Ç’aurait pu être grisant s’il se souvenait aumoins quej’étaissonâmesœur,maiscen’étaitpas lecas.Peut-être l’attirais-je,maiscen’était riendeplusquephysique.Jemeraclailagorge,m’écartaietreplaçailechâleautourdemesépaules.

—Jeteremercied’avoirétéhonnêteavecmoi,murmurai-je.Ilmeregardaitsansciller.—Mentirnenousapporterarien.Je hochai la tête. Pourtant, c’est ce que j’allais devoir continuer à faire, jusqu’à ce que nous

apprenionscequiluiétaitexactementarrivé.SousaucunprétexteilnedevaitsavoirquejesoupçonnaisShona. Il fuirait avec elle et tout serait perdu. Mais maintenant, j’avais une raison de plus pour memotiveràfairesemblant:mêmeamnésique,jel’attirais.Etj’avaisbienl’intentiondetirerprofitdecetavantage.

Subitement,lesonpuissantd’unecornedebrumeretentit.Jesursautai.—Qu’est-cequec’est?demandai-jeàLeith.Unealerte?Instinctivement,jeregardailecielpourvoirsiDariusetGwens’ytrouvaient.Cen’étaitpaslecas.Je

baissai ensuite les yeuxversLeith.Les traits crispés sur une expression inquiétante, ilme considéraitcommes’ilavaitunetrèsmauvaisenouvelleàm’annoncer.

—Quoi?Parl’Esprit,dis-moi!—LeConseildesAnciensadélibéré.

Chapitre7

Nousdemeurâmesimmobilesdestupéfactionenpénétrantdanslafaille.Àl’intérieur,lesmembresdela communauté se précipitaient en direction des Entrailles telles des mouches vers un pot de miel.Dehors,lesfemmesassisessurdesrochesplates,profitantdelalumièrepourbroder,avaientabandonnéleurouvrageséancetenante,tandisquequelqueshommess’étaienthâtésdedéposercontrelesparoisdela montagne leurs armes et leur gibier fraîchement chassé. Estomaqués, nous les retrouvâmes tousentassésàl’entréedugoulothumideetétroitquimenaitauCœur.Personnenevoulaitraterl’événement.Unguerriercrinos,manifestementpressédeconnaîtrelesortréservéàBonnie,nousbousculapourpasserdevant tout lemonde, écartantde sesgrandsbras ceuxqui se trouvaient en traversde sonchemin.Çacriait,grognait, râlait, j’avaisdumalàencroiremesyeux.Plusungarde,plusuneseulesentinellenesurveillaitlesentrées.C’étaitcommesilacornedebrumeavaitsonnél’heuredeladistractionetqu’ilsn’attendaienttousqueça.C’étaitécœurant.

—Oùest-cequeçasedéroule?demandai-jeàLeithenserrantlesdents.—DanslaCathédrale.—LaCathédrale?Ilhochalatête.—Lagrandesallecontiguëàl’Agora.Ellefaitofficedelieuderassemblement.—Jevois.J’ysuispasséetoutàl’heure.Déterminée,jefismined’avancer.Leithmeretintparlecoudeetmeforçaàm’arrêteraumilieudes

gensquicouraient.—Ilyaurabeaucoupdemonde.Retrouvelestiensetnetemêlepasàlafoule.Jelevaiversluiunregardinterrogateur.—Pourquoi?—Tuesunefaol-creutair,quiplusestapparentéeàcellequivientd’êtrejugée.Jeneconnaispasla

décisionduConseil,maissicettefemmeestcondamnéeàmort,voussereztousmontrésdudoigtparceuxquisoutiennentCalum.Pournepasdireendanger.Nedonnepasl’occasionàceuxquivoushaïssentdetepoignarderpourl’exemple.Personnenejetteraitlapierreauresponsable.Lesgenscommetoinevalentrienici.

Jemesentispâlirinstantanément.—Mais…Mavoixs’éteignitavantd’avoirpuendiredavantage.Mêmesi j’aimaisêtreunLupus, jedétestais

êtredifférenteàcepoint.Jememordis l’intérieur de la joue.Et lui, qu’en pensait-il ? Je ne pus résister à l’envie de le lui

demander.—Ettoi,Alan?Tucroiségalementquejenevauxrien?LevisagedeLeiths’affaissa,commesincèrementaffectéquejepuissel’imagineraussiobtuset,ma

foi,sanscœur.Ilposasurmoiunregardhonnête.—Non.—Pourquoi?Intérieurement, j’espéraisqu’ilme réponde«parcequec’est toi»,mais il n’y avait aucune raison

pourqu’illefasse.—Tueslapremièrefaol-creutairquejerencontre,avança-t-ilcommesiçasuffisaitàtoutexpliquer.—Onditquelesgenscommemoisontinstables.Tupensesquec’estaussimoncas?insistai-jeavec

l’enviepresquemaladivequ’ilmehurlelecontraire.Ilhaussalesépaulesd’unairnonchalant.—Jen’aipasd’opinion,jeneteconnaispasassez.—Maisici,toutlemondeenaune,répliquai-jeamèrementenenrobantlesalentoursd’unœildépité.

Pourtant,jesuiscertainequeraressontceuxquiontdéjàvudesgarousnésparmorsure.D’unpincementdelèvres,ilmesignifiaqu’ilétaitdemonavis.—Noussommesaucœurd’unecontréeetd’unecommunautésauvages,Hannah.Leursrèglesnesont

pascellesaumilieudesquellesnousavonsgrandi,toi,moi,ouquiconqueayantcôtoyélamodernité.Ilsvivent par la tradition. Pour la tradition. Si certains esprits sont devenus plus ouverts et sont prêts àaccepter les différences pour rester en paix, d’autres sont farouchement opposés à toute idée dechangement.Ilssontnombreux.Alors,pendantcerassemblement,tiens-toisurtesgardes,compris?

Ohoui!J’avaisparfaitementsaisilemessage.Tousdesbarbares!Les mâchoires crispées et les narines dilatées, j’acquiesçai. Leith m’observa quelques secondes,

l’expressionaussidurequepouvaitl’êtrecelled’unhommecontrarié,puisildésignalagrottedumenton.—Allons-y.Nous étions les derniers, c’est pourquoi nous avançâmes et restâmes prudemment derrière tout le

monde,attendantcalmementnotretour.Lafoulesepressaitdanslecouloir,nousnousretrouvâmestrèsvitedanslenoircomplet.Leiths’étaitcolléàmoi,jesentaissachaleurdansmondosetellemerassurait.Jem’yaccrochaimentalementpournepas reculer. J’avais l’impressiond’avoir été ensevelievivante.Danslestunnelsbondés,viciésparl’odeurdemoisissureetdetranspiration,l’airétaitirrespirable.Jefermai les paupières, inspirai et expirai par à-coups, tentant de réduire la sensation de nausée quim’envahissait, couplée à l’angoisse de ce qui allait venir. Plus nous approchions du Cœur, plus lesbrouhahasenflaientetplusmonestomacsetordait...

Lorsquenoussortîmesde l’étranglement rocheux,nousnousprîmesdepleinfouet l’effervescenceà

peinevoiléede la foule.Serrés lesunscontre lesautres, lesmembresde lacommunautééchangeaientdansunecacophonieassourdissante.Hommes,femmes,enfants…,toutlemondes’étaitréuniafindenepasraterl’événement.Uninstant,jerestaipétrifiéeàlesobserver,tâchantdecomprendrecommentuneprobablemiseàmortpouvaitautantleséchauffer,lesexciter.Puisplusieursregardsseposèrentsurmoi,hostilesetavidesdevengeance.Exactementcommemel’avaitpréditLeith.

—Viensparlà,m’intima-t-ilenmefaisantraserlesmurspourcontournerlerassemblement.Toujoursderrièremoi,ilécartaitdubrasgauchelesgarousquirefusaientdesepousser,tandisquesa

maindroiteseplaquaitdansmondospourmeguider.J’étaisdansunétatsecond,j’avançaissanssavoiroùj’allaisvraiment,oppresséeparlafoulebourdonnantplusfortqu’unessaimd’abeilles,terrifiéeparcequ’il pourrait advenir de Bonnie. Des yeux, je cherchais Jeremiah et Christy sans parvenir à lesdistinguer,etj’enpaniquaisdavantage.J’étaistroppetitepourvoirau-dessusdestêtesetilyavaitbientropdemonde.

—Est-cequetuvoiston…est-cequetuvoisJeremiahSutherlandetsonfrère?demandai-jeàLeith.—Non.Continueàavancer.Tesamissonttoutprès.Nous longeâmes la paroi rocheuse un instant encore, puis j’aperçus laMeute qui attendait dans un

recoin, sur la ligne virtuelle séparant l’Agora de la Cathédrale. Nous n’eûmes pas le temps de lesrejoindre,troiscoupsdetambourretentirentetlesvoixseturent.LesAnciensfaisaientleurentrée.C’estdumoinscequejecomprislorsquelafoulecommençaàsediviserendeux,nousempêchantd’allerplusloin.

—Restedevantmoi,chuchotaLeith.Simultanément, il passa un bras autour de ma taille pour me coller si fermement à lui que j’en

sursautai.Aussidéroutéequesécurisée,jelevailatêteetessayaidecroisersonregard.Impassible,ilcontinuaitàfixerunpointdevantlui.Nousattendîmesplusieurssecondesdansunsilencepresquesépulcral,puisunquatrièmecoupvibra,

mefaisanttressaillirunenouvellefois.Machinalement,Leithresserrasonétreinte.Àpeinerassurée,jedécidaiquandmêmedemelaisserallercontreluietfermailespaupières.Puisjesentissesmusclesseraidirderrièremondos.Instinctivement,jetournailatêtesurladroiteetvisShonaquijouaitducoudepourvenirdansnotredirection.

—Alan ! Je t’ai cherchépartout ! chuchota-t-elle avantde se lover contre l’épauledeLeith.Nousallonsenfinsavoircequelesortréserveàcettetraîtresse!

Jemeprojetaienavantaveclasensationd’avoirreçuunedéchargeélectrique.LeithmelâchaetposasurShonaunregardsansexpression.

—Tuestropgentilaveccettefille,leréprimanda-t-elled’untonqu’ellevoulutdirectif.Jen’attendispasqueLeithréponde.Jen’avaispasenviedelesvoirensemble,pasenvied’écouterce

qu’ilsavaientàsedire,pasenvied’entendrecettecréaturemanipulatriceprétendrequeBonnieméritaitcequiétaitsurlepointdeluiarriver.Alors,faisantfidesavertissementsdeLeith,jemefaufilaientre

l’hommeetlafemmequisetenaientdevantnousetcommençaiàmefrayerunpassageparmil’assemblée.Jevoulaisrejoindrelesmiens.

—Hannah!mehélaLeithàvoixbasse.Jenem’arrêtaipasetm’enfonçaidanslamasse,poussantceuxquimebarraientlechemin,ignorantles

râlesdemécontentement.J’avançaijusqu’àatteindrel’alléequelesmembresdelacommunautéavaientouverte aux Anciens et m’immobilisai. Ils étaient quatre et progressaient en direction du colossalpiédestalenpierresituéaufonddelaCathédrale,flanquédedeuxescaliersetsurmontédecinqfauteuils.L’undessiègesétaitdéjàoccupéparMurdochquisuivaitlaprocessiondesdiacresd’unœilaustère.Cesderniers, toushabillésdemanière identique,étaientencapuchonnéssousuneamplecapevertedont lesmanches se terminaient par un revers pourpre. Le vêtement était si long que leurs chaussures endépassaient à peine lorsqu’ils marchaient. Ils étaient immenses. Leur tête, volontairement baissée,empêchait de voir leur visage, et leurs bras, repliés sur leur poitrine, rendaient leur démarche plussolennelleencore.LesAnciens…Ledosdroit,lespaslourdsetpuissants,lesépauleslarges.Riendansleurgestuellenepermettaitd’affirmerqu’ilsétaientsivieuxqueça.Etmêmeàmoitiécachés,ilémanaitd’euxuncharismequiauraitdissuadén’importequidelesprovoquer.Pasunson,pasunmotnefurentprononcésàleurpassage.Ilsreprésentaientindéniablementlespiliersdelacommunauté,

Ils avancèrent avec une attitude presque religieuse jusqu’au piédestal qu’ils gravirent pour sepositionnerdechaquecôtédeMurdoch,debout,lesmainscroiséesdevanteux,defaçonàdominertoutel’assemblée. Ainsi exposés, personne ne perdrait une miette de ce qu’ils allaient annoncer. La foulesemblaitsuspendueàleurslèvresencorecloses.Puissubitement,deschuchotementss’élevèrentettouslesvisagessetournèrent.Vêtud’unetogebleueferméesurlaclaviculeparuneattacheenor,etserréeàlatailleparuneceinturesupportantuneclaymore,lechefdel’élitehispofitsonapparitionàlatêtedecinq guerriers. Ils conduisaientBonnie qui conservait lementon relevé et les épaules en arrière. Ellemarchaitavecladignitéd’unereine,décidéeànerienlaisserparaîtredesontrouble.Elleregardaitdroitdevant elle, les yeux luisant d’une détermination presque effrayante, prête à subir le châtiment de satrahison.Prêteàmourirpourêtrevenueenaideàsonuniqueneveu.

—Bonnie…,articulai-jesansproférerunson.L’escorte avança jusqu’au pied de l’immense autel desAnciens et se positionna de telle façon que

Bonnie se retrouva entre deux guerriers hispos.Calumn’affichait pas lamoindre compassion pour sasœurnilapluspetiteexpressiondedoutequantauverdictquiseraitrendu.Ilresplendissaitdeconfiance,nem’inspirantquehaineetmépris.Bonnieétaitdesachairetdesonsang,etelleallaitêtresacrifiéecommeunanimal.Parl’Esprit!Jedétestaiscethommecommenulautreavantlui.

Mesyeuxseplissèrentmalgrémoi,etmesmusclessecontractèrentquandilpivotapourfairefaceàlacommunauté.Iljubilait.

Je fermai les paupières un instant pourme contenir, et lorsque je les rouvris,mon regard se portaquelquesmètresdevantmoi, surAl, JeremiahetChristy. Ils fendaient la foulepourêtreauxpremières

loges.MoncœurseserraviolemmentenobservantAl.Ledosvoûté,descernesimmensesluimangeaientlevisage.Ildonnaitl’impressiond’avoirprisdixansd’uncoup.Maisilparaissaitcalme.Tropcalme.Jesoupçonnaisqu’on luieut fait avalerquelque tranquillisantpourqu’iln’explosepasquand la sentenceseraitprononcée.

Subitement,Calumouvritlesbrascommepouraccueillirlacommunautétoutentière.—Mesfrères !Nousvoici réunispourentendre lavoixdenosPairs.Qu’ilsnouséclairentde leur

lumière,nousélèventetnousguidentverslasagesse!Laissons-lesnouslibérerdupoidsdelatrahisondesimpies.Écoutons-les!

Puisilsoulevabrusquementsonépée,fitvolte-face,etlaplantadanslesolavantdeposerungenouàterre.

—Anciens,qu’ilsoitfaitselonvotrevolonté!Instinctivement,jelevailatêteendirectiondeMurdoch.Impassible,ilsecontentad’acquiescer,alors

quelesdiacresattendaientqu’onleurordonnedeprononcerlasentence.Sansretirersacapuche,leplusgrandfitunpasenavantetlafoulesemblaarrêterderespirer.Plusunson,plusunbruitnesefitentendre.MesyeuxseposèrentsurBonnie,elleobservaituneexpressiondénuéedesentiment.Jel’admirais.

—BonnieCrenshaw,filledeDonnanCrenshaw,etdeAileenKincaid,tuasétéreconnuecoupabledetrahisonenverslacommunauté.Enconséquencedequoi,leConseildesAncienstecondamneàlapeinedemortpardécapitationselonlespréceptesancestrauxdenotrepeuple.

Murdochfermalespaupièresetserralespoings.Lesjouesinondéesdelarmes,Bonnietenditlebrasen direction de son mari qui venait de tomber à genoux, le visage décomposé par la douleur etl’impuissance. Jeremiah refoula un juron tandis qu’il fusillait Calum du regard, le chargeant demillepromessesmorbides.Maislechefdel’élitehispoaffichaitunsouriresatisfaitquej’auraisaiméarracherde mes propres mains, si seulement mon corps ne s’était pas tétanisé avant d’être pris de violentstremblementsquej’essayaidecalmerenmemordantleslèvresjusqu’ausang.

Lespréceptesancestraux.Lamort.Ladécapitation.La réalité se troubla à ma vue, et la voix du diacre se transforma en un bourdonnement

incompréhensible.—BonnieCrenshaw,conformémentà…deuxjours…préparer…l’au-delà.Lestiens…rendrevisite

et…Pendantquelquessecondes,jeperdistotalementlanotiondutempsetsentismesjambesflageoler.Je

fis un pas en arrière pour tenter de conserver l’équilibre et fermai les paupières avant de respirerprofondément.JenerouvrislesyeuxquelorsquelesAnciensfurentsaluésparunéclatdevoixallègres.Jemepinçai l’arêtedunezet regardaiautourdemoi, la tête lourdeet lavisionvacillante.C’estainsique,stupéfaite,jedécouvrisqu’unebonnemoitiédel’assembléenepartageaitpasladécisionduConseil.

Leslanguesallaientbontrain,exposantleurmécontentementouleurravissement,etdepetitsgroupesseformaient,commepoursedonnerplusdepoids.Alorsqu’ellem’étaitapparuesisoudéeetdéterminéeàavancerdansunemêmedirection,j’euslatrèsnetteimpressionquelacommunautésedivisaitendeux.

—Hannah…,chuchotaLeithdansmondos,posantfermementlamainsurmonbrasdroit.Jemeretournai,surprisequ’ilm’aitrejointe.—Lafouleestplustenduequ’unarc,ilsuffiraitd’unrienpourqu’unebagarreexplose.Jehochailatêteetobservaisesdoigtsquimebrûlaientsoudaincommedel’acide.—Jedoisallerretrouverlesmiens.—Attends,m’arrêta-t-il.Ilsepassequelquechose.Jefisvolte-faceetvisAlmarcherd’unpaslentendirectionduConseil.—Parl’Esprit,qu’est-cequ’ilfait?m’horrifiai-jeenjetantunœilàJeremiahquisuivaitsonfrèredu

regardenfronçantlessourcils.Calumétaitdéjàentrainderedressersongrandcorps,claymoreàlamain.—Al!Non!criaBonnie.Pasça!Naturellement, je fis un pas en avant, aussitôt stoppée par Leith. Sans un mot, il m’empoigna

solidementparlesépaulespourm’empêcherd’avancer.—Quoidonc,Lupus?sifflaCalum.LadécisionduConseiln’estpasrévocable.Reculesituneveux

pasqu’ontetrancheaussilatête!—Al…,non.Jet’enprie,gémitBonnie,levisageblême.Ill’ignoraetsepositionnaaupieddel’autel,faceauxAnciens,lementonrelevé.—Parlez!exigeaMurdochenl’observant.—Còmhrag-dithis!Lafoulepoussadesoh!destupéfaction.Murdoch,quinesemblapassurprislemoinsdumonde,leva

lamainpourfairetairel’assemblée.—C’esttondroit,renchérit-ilaveccalme.Lesyeuxécarquillés,jemetournaiversLeith.—Qu’est-cequeçaveutdire?IlmeréponditsansperdredevueMurdoch.—C’estuneloitrèsancienne.Ellepermetàuncondamnéàmortd’êtresauvéparungaroul’estimant

dignederesterenvie.Ildemandealorsàaffronterceluiquiestàl’originedujugement.S’ilremportelavictoire,lecondamnéestlibéré.

Puissubitement,l’éclatderiredeCalumrésonnadanstoutelagrotte.—Tumeprovoquesenduel,Lupus?—Non!s’écriaBonniequelapaniquedéfiguraittotalement.Alastair,non!Calumsetournaverselle,unsourirevicieuxluifendantlevisage.—Jecroisbienquesi,sœurette,s’esclaffa-t-ilencore.Ceartguleòr!

«D’accord»,c’estcequ’ilvenaitdedire,j’avaisaumoinscompriscemot,etj’enressentisunfroidglacialserépandredansmesveines.Calumétaittrèspuissant.Aln’auraitaucunechancedelevaincre,cequisemblaitplaireàlamoitiédelacommunauté.ElleacclamaitladécisiondeCalumquis’enfélicitadavantage.Puisunsourireencoinétiraseslèvres.

—Jedoisadmettrequetunemanquespasdecourage,Lupus,maislabravourenetesauverapaslavie.

—Nesoispasaussisûrdetoi,répliquaAlenserrantlesdents.Calumritdeplusbelleavantdeplisserlesyeuxd’unairquiexprimaitplusdelacertitudequedela

menace.—Jetetuerai,Lupus,etjemeserviraidetapeaucommecouvre-lit.Àcesmots,Bonnietombaàgenoux.Ellequis’étaitmontréedignejusque-làsemblaitprêteàimplorer

sonfrèrederefuserledéfilancéparAl.—Quedemandes-tuencasdevictoire?demandal’undesdiacres.Unéclatmeurtrierbrilladans sesprunellesquand il posa lesyeux surBonnie.Puis il lapointadu

doigt.—Samort.—C’estunerequêtequetuasdéjàformulée,Calum,fitrudementremarquerMurdoch.Unvoilecalculateurpassadevantleregarddesonneveuquisouritavecassurance.— Oh, tu as raison, uncail. Dans ce cas… Je veux que tu me remettes les anneaux du Pouvoir

Suprême.Descrisd’indignations’élevèrentdanslafoule,puislesquatrediacreslaissèrenttomberleurcapuche

enmêmetempsdansunsignedeconsternation,révélantdelongscheveuxblancsetdesvisagesburinésparletempsquedesridesdemécontentementcreusaientplusencore.

—Calum!s’interposaleplusgrandd’entreeux.Tulesaisaussibienquen’importequi,lesuccesseurduLoupSuprême est choisi par leConseil desAnciens. Il devra semontrer digne de cet honneur enaffrontantlemor-feal-faoldansuncombatsingulier,sansmiseàmortetàmainsnues.

—Etàl’issuducombat,cedernierluiremettralesanneauxduPouvoirSuprême.Bla,bla,bla…Jeconnaistoutça,l’interrompitCalumd’untonrailleur.

Ce n’était pas la première fois que j’entendais parler de ces anneaux. Lorsque nous nous étionsprésentés à Darren, il les avait évoqués, convaincu que nous voulions les subtiliser pour renverserl’autoritéenplace.Cequejenesavaispas,c’étaitcequ’ilsavaientdesiexceptionnel,maispeut-êtreétait-cegrâceàeuxquelesloupsperdantleurconsciencehumainesousleurformeanimaleobéissaientmalgré toutàMurdoch?Si telétait lecas, jecomprenaismieuxpourquoiCalumtenait tellementà lesposséder.Enlesportant,illessoumettraittous.

—Tunepeuxt’autoproclamerMor-fear-faol!éructalegranddiacre,horsdelui.Calumfitminedehausserlesépaulesavecdésinvolture.

—Qui a parlé de s’autoproclamer ? Si je gagne, mon très cher oncle me remettra lui-même lesanneauxetferademoi lenouveauLoupSuprême.Jen’ymetsaucunemauvaisevolonté, je luiépargnemêmeuncombat.Telleestmarequête.

— C’est inadmissible ! gronda un second membre du Conseil, immédiatement appuyé par lesprotestationsdesdeuxautres.Nousnelepermettronspas!

Calumclaqualalangued’agacement.— Quelle bande d’hypocrites vous faites ! En tout état de cause, Murdoch s’est impliqué dans

l’évasiondemasœurilyavingtans,maisvouscontinuezàlevénérercommes’ilétaitl’incarnationdel’Esprit surTerre !C’estd’unchef loyalenvers lessiensdont leSutherlandabesoin !Nousdevrionsvousremplaceraussi!

Lamoitiédelafoulel’acclama,l’autre,lehua.En pleine fureur, les quatre Anciens se mirent à rugir en même temps, provoquant un moment de

stupéfactionparmilacommunauté.PuisMurdochlevalapaumepourcalmerlesvieuxgarousquiobéirentinstantanément, avant de couler sur Calum un regard sans expression. Les deux hommes se fixèrentsilencieusement,nil’unnil’autrenesemblaitvouloirbaisserlesyeux.

—Qu’ilensoitainsi,finitpardiredistinctementMurdoch.Lafoulesemanifestaencoreunefoisetlesdiacresblêmirent.—Murdoch!Tunepeuxpas!Ilsecouasamaingarnied’anneauxd’argent,etsecomposaunairautoritaire.—Ilestenmonpouvoirdeprendrecettedécision.—Tunesaispascequetufais!grondaleplustrapudesAnciens,sesirisvertsbrillantderévolte.

Changed’avis!—Cen’estpasdiscutable!tonnaleMor-fear-faold’unevoixn’inspirantriend’autrequel’autorité

suprêmeetquiplongeainstantanémentlesAnciensdanslesilence.Murdoch se tut et posa un regard confiant surAl. Il leva soudain le bras droit, le son lourd d’une

maillochefrappantunegrossecaissesefitentendre.Troisfois.Ilrésonnadanstoutelagrotte,ramenantun silence intégral. Puis l’un des diacres se pencha derrière le siège de Murdoch et s’empara d’unimmensesablierqu’ilretournaetmitlargementenévidence.

—AlastairSutherland,déclaraMurdoch,vousavezréclaméuncombatàmort.Sivousenressortezvivant,votrefemmeseralibrederestericiaveclessiens,ouderepartiravecvous.Selonlatradition,aucundesdeuxadversairesn’aura lapermissiondemuteren loup.Si telétait lecas, lecombat seraitinstantanémentinterrompu,etceluidemeurantdanssoncorpsd’hommeproclamévainqueur.

Del’index,ildésignasolennellementlesablier.—Demain,àlamêmeheure,lacommunautétoutentièreseratémoindevotreaffrontement.AlacquiesçasanslâcherBonniedesyeux,faisantsecristalliserlessecondes.—Jedemandel’autorisationderesteravecmafemmependanttoutcetemps.

—Accordé,réponditaussitôtMurdoch.Les diacres ne s’y opposèrent pas, mais secouèrent le menton de droite à gauche, désœuvrés et

incertainsdelatournurequeprendraitlasuitedesévénements.Caluml’Infectbombaitletorsedefierté,sevoyantdéjààlatêtedessiens,adulé,adoréparlesplus

vilsd’entreeux.—Quechacunretourneàsesoccupations!ordonnaalorsMurdoch.Dans un bourdonnement assourdissant, la foule commença à se disperser pendant que les gardes

raccompagnaientBonnieetAldansleurcantonnement.Jelessuivisduregard,lecœurlourd.—Est-cequeçavaaller?medemandaLeith.J’avaisreprislecontrôledemoi-même,maisjelevailesyeuxsurluisansparveniràmettreunmotsur

cequejeressentais.Sij’avaisétéàlaplaced’Al,sansdouteaurais-jeprislamêmedécision.Maisparl’Esprit!C’étaitunevéritableboucheriequil’attendait.Calumnel’épargneraitpas.Illedétestait.EnsemariantavecBonnie,Alavaitattirélahontesursafamille.Nuldoutequel’Hispos’étaitpromisdeleleurfairepayer…L’occasionétaittoutetrouvée.Cettepenséemedégoûtaittellement,quej’osaisàpeineimaginercequ’ilallaitleurimposercommetortures.

Soudain,jevisLeithseraidir tandisqu’ilregardaitpar-dessusmonépaule.Jemetournailentementpour observer ce qu’il fixait. Calum était au centre de l’attention d’un groupe de garous venus luitransmettresonsoutien.

—Nevousinquiétezpas,mesfrères,sevanta-t-il,cettefientelupusserafacileàéliminer.Etlorsquejeseraiaupouvoir,jevousprometsdemettrehorsd’étatdenuiretousceuxquiseserontélevéscontrenotrecommunauté!

—Entresesmains, le traitédepaixnevaudraplusrien, il le réduiraànéant,murmuraLeithd’unevoixsanstimbre.

Ungoûtamerserépanditaufonddemagorge.—Pourquoiparleraufutur?C’estdéjàleprésent,parcequec’estgagnéd’avance!sifflai-je.Leithplantasesyeuxdanslesmiensavecuneintensitéétrange.—Nesous-estimepaslepouvoirdelaforcequel’Espritdonneàdeuxâmessœurs.Sur lecoup,déconcertéeparsaremarque, jedemeuraimuette.Puis, j’eusenviede luidemanderce

qu’ilensavaitexactement,maisc’estl’instantquechoisitShonapournousrejoindre.—Alan,chéri,tuenasdéjàbienassezfait.Nenousmêlonspasdecettehistoirequinenousregarde

pas.Nousrisquerionsd’avoirdesennuis.Viens.Partonsetallonsretrouvernosappartements.Puiselleenroulasonbrasautourdeluipourl’intimeràavancer.Leithnebougeapasd’unpouceetse

concentradenouveausurmoi,leregardpluspersuasifquejamais.—Nerestejamaisseule.Jeseraistrèscontrariéqu’ilt’arrivequelquechose.Lesyeuxplongésdanslessiens,j’ouvrislabouchesanspouvoirdireunmot.—Veillezsurelle,ajouta-t-ilenjetantunœilderrièremoi.

Je sursautai lorsque lamain deChristy se posa surmon épaule. Je pivotai de trois quarts pour laconsidérer,etquandjemetournaipourfinalementrépondreàLeith,iln’étaitpluslà.

Chapitre8

Jeremiah,ChristyetmoirejoignîmeslesquartiersestdanslesquelsétaitdésormaisconfinéeBonnie.Lorsquenousentrâmesdansl’espaceprincipal,nousaperçûmesGrigoreinstalléàunetabletoutaufond.Il avait revêtu une chemise écrue et ouverte sur le devant par des lacets, presque lamême que celleportéeparLeithunpeuplus tôt, jenepusm’empêcherdecomparer leursdeuxpeaux.Grigoreétait sipâle.Danscettetenue,avecsescheveuxmi-longs,iln’avaitjamaisautantcolléaudécoretausièclequil’avaient vu naître. Occupé à lire un parchemin, il nous fit un signe de tête, et nous indiqua quelledirection prendre pour trouver Al et Bonnie. Je le remerciai d’un bref hochement de tête et suivisJeremiahetChristy.

NousempruntâmesunlongcouloirauboutduquelsetrouvaitlacellulequiretenaitAletBonnie.Nousnous approchâmes et découvrîmes un cachot humide, poisseux et sombre, tout juste meublé d’unecouchettesimpleetd’unebottedepailleempestant lamoisissure.L’odeurderancequi régnaitdans leconduitmefitgrimacer,tandisqueChristylaissaitéchapperunchapeletdepetitséternuementsétouffés.Ignorantcequisepassaitautourd’eux, lecouplese tenaitenretrait, faceàface,oubliantmêmequ’ilsétaientépiéspardeuxjeunesgardeshommidésgrossièrementcachésdansunrenfoncementducouloiràpeine éclairé par la lueur vacillante d’une petite lanterne rouillée. Ils se contemplaient comme s’ilsétaientseulsaumonde,lesmainsjointes,lesyeuxdanslesyeux

—Pourquoias-tufaitunechosepareille?murmuraBonnied’unevoixbriséeparl’angoisse.—Tuesmafemme,monâme,lapersonnelaplusimportantedemonexistence.Serais-jeseulementla

moitiéd’unhommesijelaissaisquiconquetefairedumal?LesyeuxdeBonniesenoyèrentdelarmes.—Oh,Al…,ilvatetuer…—Quem’importedemourir?Jenesuisriensanstoi,Bonnie.Jeletueraiavantqu’il tetouche.Je

suisprêtàmesacrifier.Tudoisvivre.—Nedispasunechosepareille!Ellesejetadanssesbrasetallaseblottircontresonépaule,tandisqu’illacajolaitdoucement.—Tunemourraspas,monamour.Jenelepermettraipas.Jenelepermettraipas…Les Hommidés les observaient avec un sourire carnassier que Jeremiah eut vite fait de leur faire

ravalerensepositionnantdevanteux.—Jeveuxvoirmonfrère!Assissur leur tabouret,aucunneprit lapeinedese lever.Mais leplusgranddesdeuxsouleva les

paupièrespourtoiserJeremiahavecmépris.

—Personnen’entre,Lupus.Àboutdenerfs,Jeremiahétrécitlesyeux,plusinquiétantquejamais.—Jetedéconseillevraimentdemedonneruneoccasiondemeretrouverofficiellementderrièreces

barreaux.Ouvrelagrille.LegarderedressacourageusementlanuquepouraffronterleregardnoirdeJeremiah.—C’estunemenace?Jeremiahsepenchadefaçonàcequesonvisagenesoitplusqu’àquelquescentimètresdeceluideson

interlocuteur.—Qu’est-cequetuenpenses,Hommidé?Dansmonforintérieur,j’espéraisquecetyperéalisequ’ilneferaitjamaislepoidscontreunLupus,et

parcequ’ilvalaitmieuxévitertoutgrabuge.Tétanisée,Christyresserrainstinctivementsamainautourdemonavant-brastandisqueledeuxièmevigile,beaucoupplussage,rendaitlesarmesetsortaituneépaisseclédesapoche.Cinqsecondesplustard,lacelluleétaitouverte.Nousentrâmesavecautantderespectquenousl’aurionsfaitdansunendroitsacré,incertainsdel’attitudeàtenirdevantAletBonnie.Faceàcettedernière, jemesentissubmergéeparunevaguedemélancolieensongeantà tousces incroyablesmoments partagés ensemble. Elle m’avait immédiatement plu. Sa douceur, sa bienveillance, sagentillesse…Bonnieétaitunefemmeextraordinaire.Ilétaittellementinjustequ’elleseretrouveici,surlefildurasoir.Jefermailesyeuxuninstantetprisuneprofondeinspiration.

—Hannah ! s’écria-t-elle avant de faire quelques pas vers moi pourme tenir dans ses bras. Oh,Hannah,monpetit!

D’abordsurprise,jenebougeaipas,puisjelaserraicontremoi,plusfortqu’unnaufragéuneplanchedebois.Quec’étaitbon!LachaleurrassurantedeBonnieétait lemeilleurremèdequejeconnaissais.Personnen’étaitcapabled’autantd’apaisementqu’elle.Elledégageaitunetelleauradeconfianceetdetendresse.CommentCalumpouvait-ilnepasl’aimer?

Elleplaquasesmainssurmesjouespourlespresserdoucementavantdemereleverlatêteafindemeregarderdroitdanslesyeux.

—JesuistellementdésoléepourLeith.Maistoutvas’arranger,monpetit.Gardeconfiance.Vousvousaimez,etmêmes’ilnes’ensouvientpas,l’Esprit,lui,lesait.

Nesachantpasquoidire,jemecontentaidehocherlatêteensourianttimidement.DevantlesennuisdeBonnie,lesmiensmeparaissaientbiendérisoires.

— Et toi ! cria-t-elle soudain à Jeremiah. Tu aurais dû empêcher ton frère de prendre une telledécision!Tuasvuquelgenred’hommeestCalum,iln’épargnerapersonne.

Jeremiahfronçalessourcilsenobservantsabelle-sœur,puisilsecoualatête.—Jeregrette,Bonnie,maisj’auraisfaitlamêmechoseàsaplace.—Ilvamourir!Jeremiah posa alors sur elle un regard contrit. Il aurait aimé lui dire le contraire, mais comme

quiconqueici,ilétaitloind’enêtresûr.—Çasuffit!lesinterrompitrudementAl.Cequiestfaitestfait,jenechangeraipasd’avis.Bonniepassaunemaintremblantedanssescheveux.—TupèsespresquedeuxfoismoinslourdqueCalum,ilestbienplusgrandquetoi,plusexpérimenté,

plusvicieux,plus…—Plusstupideaussis’ilpensemevaincre!lacoupaAl.Jesuisunhommeamoureuxdepuisvingt-

cinq ans, etmon cœur est plus enragéque celui d’undragon en colère.Qu’a-t-il, lui, pour lemotivervraiment?Rien.Iln’arien.Tonfrèren’estqu’unecoquillevide,Bonnie.Etnous,nousavons l’Espritpournousrendreplusforts.Cessonscesbla-blainutiles,jedisposedetroppeudetemps.Parle-moidelui. Tu as quitté les Entrailles depuis très longtemps, mais tu te souviens peut-être de détails quipourraientm’êtreutiles?

AvantqueBonnien’ouvrelabouche,Jeremiahlevabrusquementlamainpourluisignifierdesetaire,puisilsetournaverslesdeuxHommidésquiécoutaientsansavoirl’intentiond’enperdreunemiette.

—Laissez-nous.D’abord,ilsnebougèrentpasd’unpouce,indécis.PuisnousvîmesarriverGrigored’unpaslent,mais

déterminé. Les gardes pâlirent et s’éloignèrent presque aussitôt sans prendre la peine de refermer lesgrillesderrièrenous.

—Ilsn’avaient jamaisvud’AngeNoiravantmoi, je leurfaisuneffetbœuf!commenta-t-il,pince-sans-rire.Vouspouvezparlertranquillement,jesurveillel’accèsauxcellules.

Jeremiah hocha simplement la tête pour le remercier. Le regard impénétrable, Grigore m’observaquelquessecondesetfitdemi-tour.J’avisailesdeuxtabouretslaissésvidesetm’enemparai.Christyetmoinousyassîmes,tandisqu’AletBonnies’installaientsurlacouchette,etJeremiahsurbottedepaillequis’affaissasoussonpoids.

—Sesfaiblesses,demandaAlàsafemme,quellessont-elles?Ellesecoualatêteensemordantlalèvreinférieure,puisellesoupira.—Ensont-ellesvraiment?CequiamoindritCalumlerendfort.Ils’esttoujoursentraîné,battudeux

foisplusquelesautrespourquepersonneneremarquesoninfirmité,outoutdumoins…l’oublie.—Soninfirmité?répétaJeremiah.Bonnieacquiesça.—IlavaittoutjustedouzeansetilavaitprovoquéenduelunHispobienplusvieuxquelui,celuiqui

l’adéfiguré.Ilssetrouvaientausommetd’unefalaise.Ilssonttombés,ilyaeuunéboulement,etCalums’est retrouvé coincé sous un rocher. L’une de ses jambes a été gravement atteinte. Calum ne s’étaitencorejamaistransforméetsoncorpsenagardélesstigmates.Songenougaucheestdoncsaprincipalefaiblesse,avoua-t-elled’unevoixmorne,commesielleétaitentraindeletrahir.

—Sagenouillère…,pensai-je àvoixhauteenme remémorant sa singularité et l’étonnantemanièredontelleluimoulaitlegenou.

—Cen’enestpasvraimentune,expliquaBonnie.L’articulationaétéentièrementreconstituéeparunforgeron lupus. Elle a été conçue pour ne pas se briser et s’adapter à sa morphologie quand il setransforme.

LevisagedeBonnies’affaissacommesouslecoupd’unsouvenirdouloureux.—Avantd’êtreopéré,Calumboitaitetsouffraithorriblement.Lesjeunesdesonâgesemoquaientde

lui,leprovoquaient,etlechefsuprêmedel’époquedétestaitlesfaibles.Calums’estbattupourqu’onleconsidèrel’égaldesautres.Ilestdevenuunguerrierredoutable,unêtreimpitoyablequ’aucunsentimentne venait plus affecter. Le métal lupus le renforce dans sa chair, et rappelle à ceux qui l’ont raillécombienilestdangereuxdesous-estimerlaforceintérieuredeceluiquiveutsevenger.

—Pourquoivousdéteste-t-ilautant,Bonnie?demandaChristy.—Parcequ’ilpensequenotremèreestmorteàcausedemoi,enmemettantaumonde.Jefronçailessourcils.—Calumest-ilbeaucoupplusvieux?Bonniehochalatête.—Dehuitans. Ilaconnunosdeuxparents. Ilnes’est jamaisvraiment remisde lamortbrutalede

notrepère.Celledenotremèreafinidenoircir intégralementsoncœur.Murdochetmatantenousontélevéscommesinousétionsleurspropresenfants,maisilsnesontjamaisparvenusàatténuerlahainedemonfrèreenversmoi.

Lestraitsdurcisparlacolère,Alenroulaunbrasautourdesépaulesdesafemmepourlaserrercontreluidansungesteprotecteur.Elleenfouitsonvisageaucreuxducoud’Alastairetrespiraprofondément.

—Songenou,luirappelaJeremiah.— Le métal ne se casse pas, mais les chocs violents se répercutent dans toute sa jambe et le

déstabilisent.—Etladouleurirradie,précisaspontanémentChristy.Bonnieacquiesça.Lesdeuxfemmesétaientmédecins.L’unechezlesHommes,l’autrechezlesgarous,

maisellessecomprenaientparfaitement.—Maisilesttrèsrapide,Al,leprévintBonnie.Ilnelaisseàpersonnel’occasiondeletoucheràcet

endroit.Calums’estentraînétoutesavie,ilestrompuauxcombatslesplusviolents.IlviendraitàboutduCrinosleplusenragé.Ilmedéteste,c’estvrai,maissamotivationdemontersurletrôneestencoreplusgrande.Ilnetelaisserapasgagner.

Sonvisagesecrispaalorssuruneexpressiondedouleur.—Parl’Esprit,Alastair,changed’avis!Tun’asmêmejamaistenuuneclaymoredetoutetavie!Implacable, il l’observa sans même ciller, déterminé à aller jusqu’au bout. Rien n’aurait pu le

dissuader,mêmepaselle.—C’estvrai.Etjel’affronteraisansarme.Bonnieémitunsonétranglé.

—Tuesdevenufou!Iltetueraavantquetun’aieseuletempsdefaireungeste!—Jeteprometsqu’ilmourraavantmoi.LesouffledeBonnieseperditdansunétranglement.—Tunesaispascequeturacontes.EllesetournaversJeremiahavecunregardimplorant.—Parpitié,tuessonfrère!Dissuade-le.Lesavant-brasappuyéssursescuisses,lebustelégèrementenavant,Jeremiahcontractalesmâchoires

etlespoings,soutenantlalueurdésespéréequibrillaitdanslesyeuxdesabelle-sœur.—Non.Bonnieselevabrusquement,lestraitschargésdefureur.—Quelediablevousemportetouslesdeux!Vousnesavezpascequevousfaites!Jerefusedete

perdre,Al!—Ilenvademêmepourmoi,monamour.Nemeforcepasàmerépéter.—Jet’ensupplie…Laisseledestins’accomplir.Mondestin.Alsemitsursespiedsàsontouretsedressadevantelledetoutesahauteur.—Tondestin?Tondestin?gronda-t-il.Tondestinestdevivresurnotreîle,danslamaisonquenous

avonsconstruite,aumilieudeslandes,deschevauxetdesembruns.Tunemourraspas!Brusquement, Bonnie tomba à genoux, se prit le visage entre les mains et sanglota. Al jura et

s’agenouillaprèsdesafemme,tandisquemoncœursecomprimaitdouloureusement.—Riennemeferachangerd’avis,Bonnie.Rien…Maispleure,monamour,videtacolèreetrestons

unis.Àdeux,noussommesplusforts.J’aitellementbesoindetoi.JejetaiunregardentenduàJeremiahetChristyquiacquiescèrentsansquej’eussebesoindedirequoi

que ce soit. Nous sortîmes en laissant la grille ouverte derrière nous, avec l’amère certitude que lesgardesnemanqueraientpasdetoutverrouillerdèsquenousserionspartis.

—Jeremiah,chuchotaChristylorsquenousatteignîmeslestablescentralesoùnousattendaitGrigore.Puis-jevousparleruninstantenprivé?

Jeremiahl’observaavecinterrogationetluifitsignequeouiavantdesedirigerverslescouloirsquimenaientaucœurdesEntrailles.Jelessuivisduregard,sentantceluideGrigorepesersurmoi.J’étaisincapabledeprononcerunmot,nesachantpascommentluidirequej’étaisdésoléepourcequis’étaitpasséunpeuplustôtavecLeith.Jen’aimaispasl’idéedel’avoirblessé.

Jemetournaiversluilesoufflecourt.Moinsdedeuxmètresnousséparaient,maisjesentaisl’étrangechaleurquiémanaitdelui,alorsqu’ilétaithabituellementsifroid.Ilm’observait.Attendait.Lesilencesefitsilourdetoppressantquejedécidaidelebriser.

—Jesuis…Il leva lamainpourme faire taire. Il s’approcha lentement et posa la paume surma joue avant de

caresserdoucementmapommettedupouce.Jefermailesyeux.

—Jenepeuxpasallercontrevousdeux,n’est-cepas?Noscœursetnosâmess’appellent,maisilseratoujourslà,toujoursplusfortquenous.Quemoi.

—Cen’estpasuncombat,Grigore,murmurai-je.—C’enestun,Hannah.Uncombatcontremoi-même.Meslèvressemirentàtrembler.J’étaisincapabledelescontrôler.—Jel’aime…—Etjet’aime,toi.Mêmesijelesavais,j’eusl’impressionqu’ilvenaitdemegifler.—Grigore…Nedispasça.—Nepasledireetmecontenterdelepenser?Jenerépondisrien.Puisilretirasamain.—Tumetues,Hannah!Àpetitfeu,maisaussisûrementqu’uncancerrongeantunfoie.Tumemetsà

l’épreuve.Tuesloindetedouteràquelpoint.Jesecouailatêtededroiteàgauche.—Jeneveuxpas…Ilfronçalessourcils.—Tuneveuxpasquoi?Lentement,jerelevailatêteetparvinsàleregarderdanslesyeux.—Temettreàl’épreuve.Tefairesouffrir.Sansque je l’aie vubouger, il se positionnaderrièremoi etm’entourade sesbras, descendant les

lèvrestoutcontremonoreille.Lesmusclestendus,jecessaiderespirer.—Prouve-le.Prouvequetuneveuxpasmefairesouffrir.Toutmon corps fut pris d’un tremblement violent que je fus incapable de cacher.Grigore raffermit

sauvagement son étreinte autour demoi, prit une profonde inspiration et laissa lourdement tomber sesbras le long de son corps. Involontairement, jeme laissai aller contre lui pour retrouver son contact.J’avaisfroidsoudain.

—Tunepeuxpas…,murmura-t-ilcontrelapeaudemoncou.Tunepeuxpast’empêcherdemefairesouffrir,parcequetunesaispascequetuveuxvraiment.Lui.Moi.Tunesaispas.

—Non!C’estfaux!m’écriai-jeenm’écartant,commeélectrocutée.Jemejetaienavantetfisvolte-face.—Jesaiscequejeveux.Jeleveux,lui.Detoutesmesforces.Detoutemonâme!Grigorerestaimpassible.—Maistonâmetecontredit,Hannah,carelleappelleaussilamienne.—Tun’asquecesmots-lààlabouche!Ilgonflalesnarines.

—Oui,Hannah!Parcequejen’inventerien.ParcequemêmesijenesaispaspourquoilesEspritstoutpuissantsnousfontuncouppareil,c’estainsi.Quequelqu’untetuemaintenantetjedeviendraisfou.Fouàlier.Osedirequ’iln’eniraitpasdemêmepourtoi!

Jememordis les lèvres,désespérée. Ilavait raison.Sur toute la ligne.Jenesupporteraispasqu’ilmeure. Pas plus que je ne supporterais la disparition de Leith. J’éprouvais pourtant pour eux deuxsentimentsbiendistincts.Leithfaisaitbattremoncœur,courirlaviedansmesveines.Ilétaitl’impulsiondemonexistence.Monair.Monoxygène.Grigore,c’étaitautrechose.Unesensationquejen’arrivaispasencoreàdéfinir.

Jesoupiraiprofondémentetfermailesyeuxuncourtinstant—J’aibesoinde toi,avouai-je,de toncontact,de taprésence.Maisne t’es-tu jamaisditquesi je

n’étaispasdansuneautresituationquecellequejesuisentraindevivre,sijenemesentaispasaussidéstabilisée,amoindrie,ceneseraitpeut-êtrepaslecas?Oupasdemanièreaussiintense?Lesâmessœurs vampiriques ne se jettent pas nécessairement dessus, Grigore. Elles ne sont pas toujoursamoureuses.

—Tuensaisquelquechose?semoqua-t-il.Jeclaquailalangued’agacement.—C’étaitlecasentreMinahetPitt.—Faux.Ilsétaientfousl’undel’autre,maisMinahrefusaitdelereconnaître.Ellelerepoussaitsans

cesse.Juraitqu’ellenelevoulaitquecommeami.Commetoi.—Elleavaitprobablementsesraisons,etmoi,j’ailesmiennes.Ilplissalespaupièresetcroisalesbrassursapoitrine.—Jeseraiscurieuxdet’entendremelesexpliquer,Hannah,situlesconnais.Maisjesuiscertainque

non.Or,jesensquetuvasmesortirlesstéréotypeshabituels,quetumevoiscommeunfrère,unamicher.J’exècretoutecettehypocrisie.Jesuisfaitdechairetdesang,etmachairfaitvibrerlatienne!

Jesoupiraid’exaspération.—Grigore…Jesuisanéantie,fragiliséeetsansvisiondel’avenir.C’estvrai,jesuisperdue.Jeme

sensseulealorsquetueslà,sigentil,siattentif,sichaleureux,sifortet…beau.Iln’empêchequejesaisparfaitementcequejedésire.Jelesais,maisjenepeuxpasl’avoir.Tucomprendsça?

Sesyeuxs’étrécirentenmêmetempsquel’aspectdel’argentliquideenvahissaitsesiris.—Quetropbien,oui.Jehaussailesépaules.—Ets’ilnevoulaitplusjamaisdetoi,Hannah?T’obligerais-tuàvivrecommeunenonne?Àbout,jemepinçail’arêtedunez.—Jen’ensaisrien.Jen’ensuispasàévaluerlessuppositions.—Ehbien,moi,oui.Plusieurssecondesdesilencepesèrentavantqu’ilnelesrompeavecviolence.

—Jevaistedirecequejevaisfaire,Hannah.Jevaistesoutenir, t’encourager,etmêmetepousserdanssesbras.Etquandilt’aurarejetéeunebonnefoispourtoutesetqu’ilneteresteraquedeslarmes,jenepenseraiqu’àmoietàcedésirquimebrûle,meconsumedouloureusement.Jenevivraiquepourteconvaincre dem’accepter enfin. Et là, seulement, tu comprendras, tu réaliseras que nous deux, c’étaitinéluctable.

J’écarquillailesyeuxderévolte,moncœurtambourinantfurieusementdansmapoitrine.—Ta petite démonstration ne changera jamais rien au fait que je l’aime ! glapis-je, hors demoi.

Commentpeux-tuseulementoserimaginerprendresaplace?Veniraprèslui?LeregarddeGrigores’étaitenflammé.—Jememoqued’êtreledeuxième,Hannah,dumomentqu’ilnerestequemoiàlafin.Jeplissailespaupières,etsecouailatête,auborddeslarmes.—Jenepeuxpascroirequetumedisesunechosepareille.Jenesuispasunobjet,pasunepoupée,

pasunjouet.J’aiuncœur…,dis-jed’unevoixétoufféequil’ébranlacomplètement.—Hannah…Iltenditlamainversmoi,jelerepoussai.—Pourquoim’as-tuaccompagnéeici?Pouravoirunechancederecollerlesmorceauxsimoncœur

étaitbrisé,etobtenirmareconnaissanceéternelle?—Non.—Alors,pourquoi?—Tulesais,Hannah,murmura-t-il.Jen’airienpréméditédecequinousarrive.Jebaissailatête.Ilmeramenacontreluietcettefoisjenerésistaipas.Laboucheposéesurlesommetdemoncrâne,il

meserrafort,àm’enétouffer.—Parl’enfer!Jesuisfoudejalousie.Jenemereconnaisplus.—Moncœurluiappartient,Grigore.Jenesuispascapablede…Lesmotss’éteignirentd’eux-mêmes,ilsétaientamersdansmabouche.Doucement,del’index,Grigore

mesoulevalementon.—Queressens-tupourmoi,Hannah?Réellement?Suis-jeàcôtédelaplaque?Quandjeteregarde,

jen’enaipasl’impression.Dis-moisijesuisaveugléparmessentimentspourtoi.—Jesuisattiréepartoi,mais…Grigorem’interrompitenriantsourdement.Surpriseparcerevirement,j’arquailessourcils.—Tuasditl’essentiel.Tuesattiréeparmoi.Lasuitenem’intéressepas.—Maisçan’ariendephysique!C’est…c’estspirituel!LecoindeslèvresdeGrigores’étiralégèrement.—Non,biensûr.Riendephysiquepourmoinonplus,jet’aitoujourstrouvéeaffreuse.Etpuisjen’ai

jamaisaimélesrousses.—Tantmieux.Contentdesapetitetirade,ilsouritdeplusbelle,alorsj’insistai.—J’aimeLeith.C’estirrévocable.—Jelesais,Hannah.—Soismonami,Grigore,c’esttoutcequejedemande.—Jelesuisdéjà,gamine.—Jetiensàtoi,Grigore.Sincèrement.Negâchonspastout.Sonvisagesefermaetsesyeuxbrillèrentd’uneintensitéquim’immobilisa.—Unirmonsangautienneserajamaisungâchis,Hannah.—Cen’estpascequej’aivoulu…Ungrondementremontadufinfonddesapoitrine.—Grigore…—Tais-toi.Savoixavaitprisuneinflexionpresquemenaçantequimecontraignitàobéir.—Tuesmonâmesœurvampirique,pasuncaprice,pasunjolipetit lotquejerêvedemettredans

monlitetd’emballervitefaitbienfait.Monâmesœur.Jeveuxquetonsangsemêleaumien, jeveuxqu’ilcouledansmesveinestoutcommel’oxygènecirculedansletien,jeveuxlegoûter,m’enrepaître,menoyerdedans.

Ilfermalespaupièrescommepoursecontenir.— Chaque minute à espérer que ce moment arrive est douloureuse, pénible, intolérable. Je peux

supporterquetuenaimesunautre,quetuentouchesunautre,quetutedonnesàunautre,maisjamais,jamais,jenepourraimepriverdetonsang.

Àcesmots,jesentislemienbouillir,s’électriserpresque,commes’ilrépondaitaubesoincuisantdeGrigore,qu’illuihurlaitquec’étaitréciproque.Moncœurbattaitplusfort,plusvite.Soudaindépossédéedetouteréflexioncohérente,jemesurprisàimaginerlefaire.Lemordre.Leboire.L’apprécier.Mapeaume brûlait. J’avais même mal. Chacune de mes terminaisons nerveuses s’excitait. Malgré moi, jegrimaçai.

Sereinement,Grigores’approchajusqu’àcequemesseinstouchenttontorse.—C’estdouloureux,n’est-cepas?Jehochailatêtesanspouvoirprononcerunmot.—C’estcequejevisdepuisdesjours,etcrois-moi,jenetiendraipaslongtemps.Unson inarticulé sortitdemagorge lorsque jeperçusmescrocspoindre sansque j’enaieémis la

volonté.Choquée,j’appliquaibrutalementunemainsurmabouche.LesyeuxdeGrigoreavaientprisl’aspectd’uneeautourbillonnante.Jeneparvenaispasàleregarder

enfacesansavoirlasensationdechavirer.Ils’inclinaetenvoyasonsoufflefraisàmonoreille,frôlant

monlobedeseslèvres.—Nenousfaispassouffrirdavantage,Hannah.Prendscequelavietedonne.Pourseuleréponse,jesecouailatête.Ilm’observadelonguessecondes,puissonvisagesefitplusfroidquelaglace.—Soismaudite.Ilme tournabrusquement ledos et s’éloignavers les escaliersmétalliquesd’où redescendaient les

deuxgardeshommidés.Avecl’impressionqu’onm’avaitarrachéunmembre,jemeretinsd’unemainàlatableetfermailesyeuxpendantdelonguessecondes.

Parl’Esprit,ilfallaitquetoutcelacesse!Je rouvris les paupières, Grigore n’était déjà plus là. Ignorant le regard curieux que les gardes

posaientsurmoi,etrassemblantcequ’ilmerestaitdeforce,jem’élançaiàsapoursuite.Ilétaitdéjàtoutprèsdelafaille,satuniqueàlamain,prêtàsortirdanslalumièredéclinantedujour.

—Grigore!m’écriai-je.Ilm’ignora.Neseretournapas.Ilpassalesrochers,etendeuxbattementsd’ailes,ildisparut.

Chapitre9

—Hannah…Jefronçailégèrementlessourcils,encoreaccrochéeàlalisièredemessonges,luttantpournepasme

laisser happer par la réalité et plonger une journée entière en enfer. Al affronterait Calum dans unepoignéed’heures.

—Hannah,réveille-toi,insistalavoixpaisibledeChristy.Cette fois, j’ouvris lespaupièresetdevinai ledouxvisagede la sorcièrepenchéesurmoi,àpeine

éclairéparlalueurdestorches.Groggy,jedéglutisetmeraclailagorge.—Quelleheureest-il?Christysecoualatête.—Jen’ainimontrenitéléphoneportable.Jenesaispasprécisément,maislejourn’estpasprèsdese

lever.Jediraisqu’iln’estpasloindetroisheuresdumatin.Jemeredressailentementsurmapaillasseetmefrottailesyeux.Christyéternua.—Désolée…Jenepensepaspouvoirm’habituerunjour.Jeluisourisbrièvementetrejetaimescouvertures.—Pourquoim’avez-vousréveilléesitôt,toutlemondeestdéjàdebout?Cependant,j’avaisbeautendrel’oreille,jenepercevaisaucunbruit.—Non,répondit-elle,justetoietmoi.Jeluiadressaiunregardinterrogatif.—J’aibesoindetonaide.PourAl.Moncœurs’affolaenmoinsdedeux.—Quesepasse-t-il?—Chut!Onnedoitpasnousentendre.Habille-toichaudementetsortons.Ellefitminedeserelever,jelaretinsparlebras.—Attendez,Christy?Ilestendanger?—Pasencore,Hannah.Nousallonsmêmetâcherde luiéviterde l’être.Dépêche-toietrejoins-moi

danslasallecommune.Nefaispasdebruit.Intriguée et définitivement réveillée, je me hâtai de sauter dans mes vêtements que j’enfilai

maladroitement.Quen’aurais-jepasdonnépouravoirunepairedejeanàportéedemain…JeretrouvaiChristyquelquesminutesplustard.Elles’étaitemmitoufléedansunecapedeuxfoistrop

grandepourelle,etdontellesoulevaitlespanspournepasmarcherdessus.—Allons-y,murmura-t-elleendésignantlasortie.

Nousnousengouffrâmesdanslecouloirenfaisantlemoinsdebruitpossible.SigrâceàavecDariusj’avais appris à me mouvoir aussi silencieusement qu’une ombre, Christy, elle, donnait l’impressiond’êtreplus légèrequ’uneplume,et soncorpssemblait flotteràquelquescentimètresau-dessusdusol.Pasunseuldesespasnerésonnaitdanslacavitérocheuse.Ellem’effrayasoudain,etjemedemandaicequ’elle pouvait bien cacher de plus mystérieux que les pouvoirs qu’elle possédait déjà. J’hésitai àl’interrogerpoursavoiroùellem’emmenait,nousaurionspunous faire remarquer. Jepatientaiencorequelquessecondes,jusqu’àcequenousdébouchionsdansl’Agoraintégralementvide.L’odeurmêmedelagrottemefrappaetmefitralentir.Alorsquelemusc,latranspirationetlesparfumspropresàchaquegarous’ymêlaienthabituellementetformaientunmélangedésagréable,nue,lagrandecavitésouterrainedégageait une étonnante fragrance de mousse, d’argile et d’eau ferrugineuse. Grisée, j’en respirai uninstantlessenteursetmeressaisislorsqueChristymepritparlebraspourmeforceràavancer.

—Christy,maisoùm’emmenez-vous?—Àl’extérieur.Jedois…Percevantsoudainunbruitléger,jel’attiraiavecmoidansunrenfoncement.Àquelquesdizainesde

mètres,unGalbro faisait sa ronde.Tropoccupéàmâchonnerunmorceaudeviandeséchée, ilnenousremarquapasetcontinuasoncheminpourdisparaîtredansunedesgaleriesquilongeaientl’Agora.

—Ildoityavoirunpaquetdegardes,chuchotaChristy,tumedemanderasplustardcequejecomptefairedehors.Jedoisimpérativementsortird’ici.

Nosyeuxsenouèrentquelquessecondes,lessiensbrillaientdedétermination.Jehochaifinalementlatêteetluitournailedos.—Jesaisquevousêtesdiscrète,maisplusvitenousavancerons,mieuxcesera.Jevaisvousporter.

Grimpez.—Ilnefaudraitpasqueçadevienneunehabitude,plaisanta-t-elleavecunpetitsourire.Elles’accrochaàmesépaules,poussasursespieds,puissehissasurmondos,verrouillantfermement

sesjambesàmeshanches.Jevérifiaiquelechampétaitlibre,veillaiànepasmeprendredanslespansma robe, etm’élançaidans l’Agoraque je traversai aussi rapidementet silencieusementquepossible.Puis je m’engouffrai dans le boyau rocheux menant à l’accès ouest. Christy devait tout juste pesercinquantekilos,jelasentaisàpeine,maisquitterlagrotteallaits’avérerbienplusdifficilequ’enpleinjour. Durant la nuit, l’accès était probablement surveillé avec la plus grande attention, je doutaisfortementqu’onlaissesortirl’ennemiimpunément,puisquenousétionsconsidéréescommetel.Jestoppaiavant d’entrer dans l’antichambre précédant la faille, et avisai la herse ouverte, puis les gardes. Ilsétaienttrois.TroisHommidésenfaction.

—Quefaites-vousici?grondasoudainunevoixderrièrenous.Christyetmoisursautâmesenmêmetemps.Elledescenditdemondosprécipitammentetnousfîmes

faceaugigantesqueHispoquisetenaitdevantnous.Commelaplupartdesessemblables,ildevaitbienmesurerdeuxmètres. Il était sortidenullepart, sivite,quemêmesonodeurnem’étaitpasparvenue.

Plutôtjeune,àpeinetrenteans,ilpossédaitdelongscheveuxbrunsluiretombantpresqueàlataille,etsesyeux, immensémentnoirs,nous jaugeaientavec laplusgrandeattention.Vêtucommelaplupartdesguerriersde la communauté– torsenu,kilt à lanièresdecuir et claymore–, il entretenaituneautoriténaturelle visant à impressionner les petites gens de notre espèce. Par chance, il semblait plus surprisqu’encolère,c’étaitunbonpointpournous.

—Quefaites-vousiciaubeaumilieudelanuit?répéta-t-ilpluscalmement.Lespaupièresmi-closes,ilpassadel’uneàl’autre.—Jenemesenspastrèsbien,mentitChristyenfeignantêtreauborddumalaise,letimbrevacillantet

lesépaulesaffaissées.Puisfaitexprès,ellelâchauneséried’éternuementsquirésonnèrentdanstoutelasalle.—Elleestclaustrophobeetallergiqueauxpoils,tentai-jed’expliquer.L’Hispoladétaillacommesiellevenaitd’uneautreplanète.—Auxpoils?— Aux loups-garous, souffla-t-elle. Par pitié, laissez-moi prendre l’air cinq minutes, je vais

exploser!Puisellesepinçalenezavecforce,commepourseretenirderespirer.—S’ilvousplaît,plaidai-jed’unevoixquejevoulaisconvaincante,nesachanttoujourspaspourquoi

Christytenaitautantàsortirprécisémentmaintenant.—Jenesuispasvotreprisonnière!aboyalasorcière.Jesuislibredepartirquandçamechante!L’Hispoluiadressaunregardpénétrantqu’ellepouvaitàpeinedevinerdanslalueurdestorches,mais

quejediscernaisparfaitementbien.—Eneffet,bana-bhuidseach,maispersonnenequitte la communauté lanuit sansautorisation.Pas

mêmevous.Jevousdonnequinzeminutes,pasunedeplus.—Jem’encontenterai,luiréponditfroidementChristy.Ellerelevalementonet tournaledospoursediriger toutdroitvers laherseouverte,souslesyeux

méfiantsdesgardesgalbro.—Faol-creutair,mehélal’Hispo,alorsquejem’apprêtaisàsuivreChristy.Personnen’esthabituéà

traiteraveclesgenscommetoi,etbienquetuparaissesplutôtstable,jenesuispascertainquetulesoisvraiment.Nemedonnepasl’occasiondem’enprendreàtoi.

C’étaitplusunavertissementqu’uneréellemenace,maisquejepristrèsausérieuxnéanmoins.Jenecillaipas,hochailatêteetrejoignisChristyaussitranquillementquepossible.

Elleétaitdéjàdehors.Ignorantlesolcouvertdeneigesoussescourtesbottesendaim,elleavançaitd’unpasrapideetdéterminé,àpeineéclairéeparl’éclatdelalunepartiellementcachéederrièred’épaisnuages.Jelarattrapaienquelquesfoulées,etlaretinsparlebras.

—Maintenant,dites-moicequevousfabriquez.—Vois-tubiendanslanuit,Hannah?

Surpriseparsaquestion,jehaussailessourcils.—Jesuisungarou,Christy,doncoui.Allez-vousmerépondre?Quesepasse-t-il?Au lieud’éclairerma lanterne,ellesortitbrusquementuncouteausuissede lapochearrièredeson

jean.Jeplissailefront.—Qu’est-cequevousfaites?—J’aibesoinderacinesd’ulexeuropaus.Tuserasmesyeux.—Qu’est-cequec’est?—Oh,tuenassûrementdéjàvuenÉcosse,lesHighlandsenregorgent.Cesontdesajoncssauvageset

ilyenabeaucoupparici.J’acquiesçai. Il s’agissait d’un arbuste épineux donnant de belles fleurs jaunes un peu avant le

printemps,etdégageantunétrangeparfumdenoixdecoco.Onentrouvaitpresquetoujoursauborddessentiersmontagneuxetdansleslandesmaritimes.

Christymetournaledospourinspecterlesenvirons,maisjedoutaisqu’elleyvoiequoiquecesoit.Moi,enrevanche,j’enétaiscapable,pourpeuquejeparvienneàlesreconnaîtreparmilamultitudedebuissonsdécharnés.

—Pourquoienavez-vousbesoinmaintenant,enpleinenuit?demandai-je.Christyéternuaetsefrottaledessousdunez.—Est-cequequelqu’unnoussurveille?Jehaussailesépaules.Jenemefaisaisaucuneillusion.—C’estgrandementpossible.—Danscecas…J’enaiassezdecesfichuesallergies,dit-elleunpeufort.Jedoismepréparerde

quoifaireuneinhalationefficace.Jen’arriveplusàdormir,etcommejenesaispascombiendetempsencore jevais restercoincée ici, jepréfèreprendre lesdevants.Bonsang,que jedétestecetendroit !Guide-moi,Hannah,s’ilteplaît.

Jen’encruspasunmot,évidemment.Néanmoins,jeluifissignedemesuivresansposerdequestions.Nousavançâmessilencieusementpendantquejescrutaislepaysagesauvageplongédanslanuitnoire.Jem’arrêtaidevantunbouquetdebuissonsauxbranchessèchesetsombre,avantd’encasserunebrindilleépineusequejetendisàChristy.

—Est-cequec’enestun?Fautedelumière,Christylatâtaavecprudenceethochalatête.Elles’agenouilladevantl’arbusteet,

sansperdredetemps,ellecommençaàdégagerlaneigeàmainsnuespourendénuderlepied.Jel’imitai,etenuninstant,letroncfutvisible.

—Lesracinessontpeuprofondes,expliqua-t-elleendonnantquelquespetitscoupsdelamedanslaterre,maisellessonthorriblementdifficilesàcouper.

Méthodiquementetàl’aveuglette,elleretiradesmottesqu’ellepritsoindeconserveràcôtéd’elle.Deux ou trois minutes plus tard, elle avait dégagé les premiers tubercules qu’elle palpa du bout des

doigts.—L’ulex se suffit à lui-même, il vit en symbiose avec les bactéries du sol qui le revigorent. Ses

racines en sont étonnamment concentrées. Préparées correctement et couplées auxbonnes incantations,elles se révèlent particulièrement efficaces pour, disons, remettre les choses dans l’ordre. La légendepopulaireracontequeleurconsommationpermetderetrouverl’espoirdansunesituationdifficile,ajouta-t-elle.Maisenvérité,ellesdécuplentlaforceetlessens.

J’ouvris tout grand la bouche. Christy comptait composer une décoction pour aider Al à affronterCalum,etpeut-êtremêmeàgagner.

Ellelevalatêtedansmadirectionetmetenditlecouteausuisse.—Jen’yvoisrien.Peux-tusortirlalamedentelée,s’ilteplaît?J’obtempéraiavantdeluiremettrel’outil.—Dommage que nous ne soyons pas à la bonne saison, ajouta-t-elle, songeuse, tout en sciant une

épaisseracine,lesgrainesrejetéesparlesfleurssontextrêmementtoxiques.J’enauraisbienfaitavalerquelques-unesàcertains…Ah!Çayest!

Victorieuse, Christy empoigna son trophée. Elle effrita les mottes qu’elle avait laissées de côté,mélangealaterreavecdelaneigefonduepourlarendreplusargileuse,etenrecouvritlemorceaud’ulex.Ellel’emballadansuncarrédelinqu’ellesortitdesapoche,puisellelerangeadanslapetitebourseentissuqu’elleportaitàlaceinturedesonjean.

—Ilesttrèsimportantqu’ellerestedanssonélémentnaturelpourconserverl’azotequ’ellecontient,expliqua-t-elle.C’estl’azotequifaittout.

—L’azoteetlamagie,murmurai-je.—L’azoteetlamagie!répéta-t-elleensouriant.—Letempss’estécoulé,nousavertitl’Hispoenvenantversnous.Christyéternuaplusieursfoisavantdeluiadresserunregardglacial.—Nemeditespasquevousvousêtesamuséàcompterlesminutes?Ils’approchaunpeuplusetjetaunœilànosmainscouvertesdeterre.—Non,répliqua-t-ilsereinement.Mamontres’enestchargée.Mécaniquement, mes yeux se posèrent sur son poignet nu. Puis je remarquai une chaîne argentée

dépassantdelaceinturedesonkilt:unemontreàgousset.L’Hisposouritencoin.—Passiarriérésqueça,hein,faol-creutair?—Çadépenddupointdevue!neputs’empêcherderétorquerChristyenpassantdevantluilatête

hauteetledosdroit.Leguerriern’enpritpasombrage.Jecrusmêmequeçal’amusait.—Lesracinesd’ajoncnesontpascomestibles,faitesattention,luilança-t-il,l’airderien.Christystoppatoutnetetfitvolte-face,ulcérée.—Jesaisparfaitementcequejefais,figurez-vous!

—J’espèrebien,dit-ild’unevoixétrangementdouce,leregardfixequelesfaiblesrefletsdelalunerendaientindéchiffrable.L’avenirdelacommunautétoutentièreendépend.

Christyentrouvritleslèvresdesurprise,alorsquejem’efforçaisàresterdemarbre.Ilétaitpeut-êtreen train de lui tendre un piège. Je jetai unœil àChristy, heureusement, elle n’avait pas l’intention demordreàl’hameçon.Elleserepritbienviteethaussalesépaulesnonchalamment.

— Ne vous inquiétez pas, guerrier, mes allergies n’ont jamais été contagieuses et encore moinsmortelles.Lesvôtresnerisquentrien.

Lesprunellesdel’Hispos’étrécirentunpeuplus.—Pouvons-nousdisposeràprésent?luidemanda-t-elle.Sansriendire,ilhochalatêteettenditlebraspournousfairesigned’avancer.Ilnousescortajusqu’à

l’Agoraoùnousnousrendîmesd’unbonpassansprononcerunmot.Devantleboyaurocheuxquimenaitànosquartiers,ilfitbarrageetnousregardadroitdanslesyeuxàtourderôleavantdeseconcentrersurChristy.

—Faitescequevousavezàfaire,bana-bhuidseach,maisn’oubliezpasquerienn’estplusutilequeladiscrétionquandons’apprêteàcontournerlesrègles.Nevousfaitespasremarquer.

Etilnousplantalà.Médusées,Christyetmoinousobservâmessanstropsavoircommentréagir.Puiselleouvritlabouche

pourdirequelquechose.—Pasici,luiintimai-je.Nous longeâmes lecouloiretpénétrâmesdans lasallecommune. Iln’yavaitpasunbruit,Jeremiah

dormaitprofondément.J’invitaiChristyàmesuivredanslapiècequimeservaitdechambre.Jeretiraivivementmacapeetlajetaisurlapaillasseavantdeverserdel’eaufroidedanslebrocpourmelaverlesmains.

—Ilsait,chuchota-t-elle.Ilacompris.Toiaussi,n’est-cepas?J’acquiesçai.—VousallezaiderAlàcombattreCalum.—Jevaisessayer,toutdumoins,etfairecequejepeux.Bonsang,maispourquoil’Hisposouhaite-t-

ilquej’yparvienne?—Lacommunauté estdiviséedepuisqueCaluma annoncéqu’il voulait prendre laplaceduMor-

fear-faol,expliquai-je.Ilsembleraitqueleguerriernelesoutiennepasdanssaquête.—Calumestsonchef,ilssontdelamêmeespèce…,souffla-t-elle,osantàpeineycroire.Jesecouailatêtededroiteàgauche.—Non,Christy.C’estMurdochsonchef,leseulquiadel’importanceàsesyeux.Voussavez,tousles

membres de la communauté ne sont pas fous. Certains ont compris où lesmènerait Calum : vers unenouvelleguerre.Ilsn’enveulentpas.Aldoitremporterlavictoire.PourBonnie.Pourlesgarous.Pourletraitédepaix.

Cequiétaitunelourderesponsabilitéàporter.Aln’avaitjamaisétépréparéàça.Christyapprouvad’unclignementdepaupièresetsoupiraprofondément.

—Jedoism’occuperdesracines.Elleobservalapetitetable,latimbaleetlepotenétainposésdessus,lebrocetlepichet,puiselle

baissalatêteensepinçantlenezpouréviterd’éternuer.—J’aibesoindefairedufeu.Machinalement,jemetournaiversl’unedestroistorchesaccrochéesaumur.C’étaittoutcedontnous

disposionspournepasnousfaireremarquer.Ici,iln’yavaitpasmoyendefaireuneflambéesansquelafumée se répande dans les couloirs et attire l’attention. Sans compter que l’odorat des garous étaitextrêmement développé et qu’ils étaient trop familiarisés avec les parfums de la grotte pour ne rienpercevoird’inhabituel.

—Çaferal’affaire,m’assura-t-elle.Christylaissatombersacapeetdétachalaboursedesaceinturepourensortirsonprécieuxtrophée.

Elledéplia lecarréde tissuetentrepritdenettoyer la racined’ulexeneffritantsoigneusement la terreentre ses doigts. Elle n’en garda qu’une mince pellicule qu’elle retirerait probablement au derniermoment.

— Peux-tu t’occuper de faire bouillir de l’eau, s’il te plaît ? me demanda-t-elle en désignant latimbaledumenton.

Je la remplis, décrochai une torche du mur et me débrouillai pour la fixer verticalement dans uninterstice rocheux naturellement creusé à même le sol. Une quinzaine de centimètres s’enfoncèrent,suffisammentpourqu’elle tiennebiendroit.La flammeétait vive, et le récipientdepetite contenance,l’eaudevraitentrerenébullitionenunedizainedeminutes.Pouréviterdemebrûler,j’enroulaiautourdemamainunmorceaudelindéchiréquej’humidifiai,puisjepositionnailatimbalejusteau-dessusdufeu.Ilnerestaitplusqu’àattendre.

Christysortitsoncouteausuisseetentrepritdepelersoigneusementlaracine.Lorsqu’elleeutterminé,elle la détailla en lamelles qu’elle finit par presser fortement entre ses paumes tout enmurmurant unesériedemotstotalementincompréhensibles.Jeladévisageai,stupéfaite.Lespaupièrescloses,elleétaitpresque en transe, et secouait sans cesse la tête de droite à gauche. Quand elle rouvrit les yeux, sespupillesétaientanormalementdilatées,etsesjouesaussirosesquesiellevenaitdepiquerunfard.

L’eau commençait à frémir, de fines petites bulles remontaient à la surface pour éclatersilencieusement.Christys’accroupitprèsdemoietm’enjoignitdeposerlatimbalesurlesol.Cequejefisbienvolontiers,l’anseétaitdevenuebrûlantemalgréletissuquimeprotégeaitlesmains.Lasorcièreouvrit lepoinget jeta les racinesémincéesà l’intérieur, elleschangèrent immédiatementdecouleuretpassèrent du blanc jauni au brun profond, dégageant une odeur aigre. Christy utilisa la lame de soncouteaupourremuerladécoctionetrecommençaàpsalmodierdanscettelangueauxinflexionsétranges,sansjamaiscesserdebrasserlamixture.Lerituelduraunebonnedizainedeminutespendantlesquelles

jerestaiparfaitementsilencieuse,tendantl’oreilledetempsàautrepourêtresûrequepersonnenenoussurprendrait.

LorsqueChristyeutterminé,l’eauavaitprisunaspectsifoncéqu’onauraitpucroireàunetassedecafénoir.Elle sortit de sabourseunpetit flacondeverrebleuté fermépar unbouchonde liège.Ellel’ouvrit,déposalecarrédetissusurlegoulot,etl’utilisacommefiltre,tandisqu’elleversaitlapotionàl’intérieur.

—C’estdeçadontvousavezparléavecJeremiahtoutàl’heure,n’est-cepas?Christylevafurtivementlesyeuxversmoi.—Oui.—Qu’enpense-t-il?Seslèvresdessinèrentunlégersourireencoin.—Quej’aiintérêtànepasempoisonnersonfrère.Jerisdoucementdunez.—Encorefaut-ilqu’Alastairacceptedeboirecequejeluiprépare,ajouta-t-elle.Jefronçailessourcils,certainequeceseraitlecas.—Illefera.Christy remitenplace lebouchonde liège, essuya rapidement le flaconet fitunedrôledegrimace

avecsabouche.—Jeremiahn’enestpassûr.—Pourquelleraison?Aln’estpasfou,ilsaittrèsbienqu’iln’aaucunechancecontreCalum.Ilne

refuserapasunpetitcoupdepouce.—Jeremiahpensequ’ilvoudrarespecterlesrèglesancestrales.Jemanquaidem’étrangler.—Alsemoquebiendetoutça!IlfaitpartieduMondeLibre.—Certes,maispassafemme.Elleappartientàcesterres,etpourcetteraison,ilpourraitrejetertoute

idéedetricher.—Cen’estpastricherqued’avalerunfortifiant!protestai-je,demauvaisefoi.—C’estbienplusqueça,Hannah.Ils’agitdemagie.Jehaussailesépaules.Quelledifférence?Lerésultatescomptéétaitlemême.—Combiendetempsdurentleseffetsdelapréparation?Christyenfouitlafioledanssabourseetposasurmoiunregardintense.—Moinsdetrenteminutes.J’enaifaitassezpourqu’ilenprenneunedizainedefois,maisjedoute

qu’ilenaitl’occasion.Toutiratrèsvite…C’étaitpeu…maismieuxquerien.—Mercipourcequevousfaites,murmurai-jeenprenantconsciencequejen’avaispaseuuneseule

foisl’occasiondeleluidire.Pourtout.

Elleouvritdegrandsyeux.—Pourtout?—Ehbien…,votresoutienànotrefamille,votreimplication.Nousnousconnaissonsdepuissipeude

temps.Vouspourrieztoutsimplementretournerchezvous.Ellesourit.—C’estvrai.Maisjen’enaipasenvie.—Pasenviedepartird’ici?Pourquoi?Elleneréponditpas.—Jenerêvequedeça!soupirai-jealors.—Çat’arrivera,Hannah,promit-elled’unevoixdouce.Toutrentreradansl’ordre.Jebaissailesyeuxsurmarobeetenlissailetissu,malàl’aise.—J’aimeraispouvoirenêtresûre.Christyposasamainsurlamiennedansungesteréconfortant.—Neperdspasespoir.LesSutherlandn’ontpasl’aird’êtrelegenred’hommesàoublier leurâme

sœur.Iltereviendra.Quenousréussissionsoupasàluiprouverquiilestvraiment.—Ilnerecouvrerajamaislamémoire,melamentai-jeenlevantsurelledesyeuxtristes.—C’estlamémoireducœurquiestlaplusimportante,Hannah.Leresten’estrien.Aiefoienvous.Ellesemblaitsisincère,siconfiante,quejen’osaipasluidirequej’avaisbiendumalàcroireque

Leith etmoi puissions réellement nous retrouver un jour. Je l’attirais. J’en étais plus que certaine, ilsuffisaitdevoirlamanièredontilmeregardait,desonintérêtpresqueimmédiatpourmoi,decetteenvieirrépressiblequ’ilavaitdemeprotéger,deveilleràcequ’ilnem’arriverien,alorsqu’ilétaitsupposéàpeine me connaître. L’Esprit dansait entre nous. Il était tellement palpable que cela en devenaitdouloureux.Mais sans samémoire qui lui rappellerait que j’étais son âme sœur, comment pourrait-ilseulementmevoirentantquetelleunjour?

— Jeremiah a dit à Murdoch que sa femme avait été assassinée par un Crinos. C’était il y alongtemps?demandasubitementChristy.

Jehochailatête.—Leithavaittoutjustehuitansquandsafamilleaétéattaquée.C’étaitpendantladernièrevaguede

répressiongarolle.Roseaététuéeparcequ’elleétaithumaine,etLeithmarqué,coupabled’êtredesang-mêlé.

—Desbarbares,grinça-t-elleentresesdents.Jeremiahnes’est-iljamaisremarié?—Non.IlaimaitprofondémentRose.—Sonâmesœur…,murmura-t-ellecommepourelle-même.—Est-cequ’unliensemblableexistechezvous?Chezlessorcières,s’entend?—Lesâmessœurs?Non.Maissinousnesommespasaveugléespardessentimentsnégatifs,nous

sommescapablesdesavoirsiunepersonnenousestdestinée.Nouslepercevonsàl’intérieurdenous.

—Ya-t-ilquelqu’undansvotrevie,Christy?Maquestionsemblalasurprendre.—Moi?GrandDieu,non!Jen’aijamaiseul’intentiondem’embarrasserd’unhomme.Parnature,ils

sonttellementimbusd’eux-mêmes!—Ilsnelesontpastous,lacontredis-jedoucement.—Cite-moiunexemple,pourvoir,s’amusa-t-elle.—Vousneleconnaissezpas,maismonpèreestquelqu’undetrèsàl’écoute.—Pas comme JeremiahSutherland ! lâcha-t-elle si spontanément que j’eus envie de sourire, et ne

m’enprivaipas.Puisserendantcomptedecequ’ellevenaitdedire,elleserenfrognaetregardaailleurs.—C’estunhommebonetgénéreux.—Ilesttêtucommeunemuleetdésagréable.—Honnêteetdroit,continuai-je,unbrinamusée.—Méprisantetintolérant.Jelaconsidéraisenriantsouscape.—Vousvousressemblezbeaucoup.Christyarquaunsourcil.—Tumetrouvesméprisanteetintolérante?Jesecouailatête.—Non.Généreuse,honnête,droiteet…têtuecommeunemule.Ellepouffaderire.—Jenevaispastecontrediresurcepoint.Puisellesoupiraprofondément.—Tuesquelqu’undebien,Hannah.Déterminéeetcourageuse.D’oùdétiens-tuunetelleforce?Jefermaiuninstantlespaupières.—Demesparents,demagrand-mèreaveugle,deLeith,demonpasséd’AngeNoir.Sesyeuxs’arrondirentdesurprise.—Tonpasséd’AngeNoir?Jehochailementon.—J’aiétéunAngeNoiravantd’êtreungarou.Etjesuisnéehumaine.Elleplissalefront,intriguée,ets’assitentailleuràcôtédemoi.—Voudrais-tumeracontertonhistoire?J’avaisconfianceenelle,alorsjelefis.—LesGuerriersdel’ombre…C’estpourcetteraisonquetulesvois.Tuesdésormaisungarou,mais

toncorpsconserveunetraceimmuabledel’AngeNoirquetuasété,dit-ellealors.J’acquiesçai.J’enétaismoiaussicatégoriquementcertaine.Ç’avaitpresqueétélecasàlaminuteoù

Christynousavaitexpliquéd’oùilsprovenaient,sansquej’osepourtantenformulerl’éventualité.C’étaitmêmecequiexpliquaitlelienquim’unissaitàGrigore.L’espritvampiriquen’étaitpasmortenmoi.Ill’avaitditlui-même:«TuasétéunAngeNoir,Hannah.Ilt’enrestequelquechose…»

Christysefrottalenezpourseretenird’éternuer.—Heureusementpourtoi,vousnepossédezpaslamêmeodeur.Jeluisouris.Ellesemitfinalementdeboutettapotasursescuissespourlesdépoussiérer.—Tâchonsdenous reposerunpeu.Demain seraun jourpénible.Mercipour tonaide,Hannah.Et

mercidem’avoirouverttoncœur.—Non.C’estvousquejedoisremercier,Christy.J’aiunedetteenversvous.Elleclaqualalangueenlevantlesyeuxauciel.—Riendutout,jeunefille,riendutout.Allez,aulit!Ellemesouritunedernièrefois,ramassalatorchequ’elleraccrochaaumuretdisparut.Sansbouger,jeregardaiunlongmomentlerideauquireprenaitsaplaceaprèslepassagedeChristy.

Puisjesoupiraiprofondément.Moralementépuisée,jemelaissaitombersurmapaillasseetfermailespaupières.

Oui.Lelendemainseraitunjourpénible.

Chapitre10

L’airétaitglacial,larochehumideetinhospitalière.Lestorchesflamboyantesdiffusaientleurlumièreorangée,projetantdesombrespresquevivantessurlesparois.L’atmosphèreétaitlourde,oppressante.Cesoir,lagrottetoutentièreverraitlesangcouler.

D’aprèsChristy,lesoleilcommençaittoutjusteàsecoucheretl’Agoraétaitétrangementcalme.Alorsqu’ordinairementàcetteheurede la journée laplace regorgeaitdemonde,elleétait àprésentàpeinefréquentée par des artisans et quelques femmes sortant pour se fournir enmiches de pain frais. Tousn’avaientqu’unmotàlabouche:combat.Lecombat.Chacunattendaitavecfébrilitéetexcitationleplusgrandévénementjamaisvécuicidepuisplusdevingtans,etjenedoutaispasquec’étaitlaraisonpourlaquelle le centrede la cité étaitpresquevide.Leshabitants sepréparaient.Al etCalumsebattraientdansdeuxheures.

Mes yeux se perdirent plus en amont, au cœur de la Cathédrale, là où le sablier s’écoulait, nousrapprochant du moment fatidique, et là où des garous donnaient des coups de masse à des piquetsfraîchement fichés dans le sol. Ils délimitaient la zone où s’affronteraientAl etCalum.Christy etmoirestâmespétrifiéesuninstant.Toutétaitsibienorganisé…

—Uncoutelasetunbraceletd’argentsurCalum!braillaunGalbroaucentred’unpetitregroupementdejeunesgens.

—Tuneprendspastropderisques!luilançaleplusgranddetousens’esclaffant.Misonsplutôtsurlamanière,parcequelerésultatonleconnaîtdéjà!

L’impression de nausée que j’avais ressentie la veille avant l’annonce du jugement de Bonnie mereprit.Commentpouvait-onseréjouirà l’idéed’unduelquiavait toutes leschancesdese terminerenboucherie?Çamerendaitvraimentmalade.Lestraditionsséculairessemblaientavoirplusd’importanceque lamorale.Desosbrisés,du sang,desboyaux répandusau sol, c’était tout ceque lamoitiéde lacommunautésemblaitattendre.

—Ilvarecevoirlaracléedesavie!s’amusaunHommidé.—Ah,c’estdommage,iln’aurajamaisl’occasiondes’ensouvenir,persiflaunautre.Et ils partirent tous dans un éclat de rire qui crissa violemment dans mes tympans. Ce qu’ils

racontaientétaitinsupportable.Malgrémoi,ungrondementsourds’échappademagorge,faisantsetaireetseretournerlesgarouslesplusproches.Jedoisficherlecampd’ici.Vite.Je baissai la tête pour éviter de soutenir les regards braqués sur nous et avançai d’un pas rapide,

suiviedeprèsparChristy,endirectiondescouloirsmenantausous-sol,verslesquartiersest.—Hannah!s’élevasoudainlavoixfamilièreetrassuranted’Étienne.Jestoppaietfitvolte-face.Ils’approchait,accompagnéd’Anneas.Dumenton,ilssaluèrentChristyavantdesereconcentrersurmoi.—Est-cequeçava?medemandaÉtienne.Jemefrottai lesyeuxetpinçai les lèvres.Jepréféraiséluder,nepasrépondreàcettequestion,car

non,çan’allaitpasdutout.—NouspartonsrejoindreAl.—Çasentmauvais,n’est-cepas?murmuraÉtienne.Jesoupirai.Oui.Potionoupas,çasentaiteffectivementmauvais.Anneaspassalamaindanssesboucleschâtaines.—Ilnes’ensortirajamais...—Nevendezpaslapeauduloupavantdel’avoirtué,leurconseillaChristyd’untonrailleur.Quand

ils’agitd’âmesœur,l’Espritseraffermitetdécuplelaforce.Vousdevriezsavoirçamieuxquemoi.Ilsl’ignoraienttotalementjustement.AnneasetÉtiennen’avaientpasencorevéculemor-aotrom.Surpris,ilsladétaillèrentdelatêteauxpieds,incertainsdecequ’elleconnaissaitprécisémentpour

parleravecautantd’assurance.— Christy Wanders, dit-elle en leur tendant la main qu’ils serrèrent avec hésitation. Nous nous

sommesdéjàvus,maisnousn’avonspaseul’occasiond’êtreprésentés.JesuisunmembredelaGuildedessorcièresdessortilèges,unebana-bhuidseach,pourfairecourt.J’aiétésecourueparHannahetsafamilleaprèsavoirlamentablementglissésurlarouteetanéantimon4x4.

Perdu,Étiennesoulevaunsourcil,cequiamusaChristy.—Çanevousditrienetc’estbiennormal.Jevousraconteraiçauneautrefois,sivousenavezenvie.

Hannah,nousdevonsyaller.Jehochailatête.—Ilfaudraqu’onparle,Hannah,exigeaÉtienne.Ilsepassedeschosesinattendues,nousavonsbesoin

demettre ça au clair et savoir en quoi nous pourrions tous nous rendre utiles, et surtout, à quoi nousdevonsnouspréparer.

—D’accord,murmurai-je.Maispasmaintenant.—Non,pasmaintenant,approuva-t-ild’unevoixdouce.—Merci…Retrouvons-nousiciavantlecombat,lorsquelacornedebrumeaurasonné.Jeremiahva

avoirbesoindenotresoutienàtous.—Ill’aura,m’assura-t-ilenmefixantintensément.Nous les abandonnâmes et parcourûmes la distance qui nous séparait des quartiers est en quelques

minutes.Prostréesilencieusementdansuncoindesacelluleentrouverte,Bonnievibraitd’inquiétude,leteintblêmeetlesmusclescrispésparl’angoisse.

C’étaitpourbientôt.Troptôt.Del’autrecôtédelagrille,sousl’œilattentifdeGrigorequiveillaitàcequepersonnenelesdérange,

AletJeremiahs’entretenaientausujetducombat.Je luiadressaiunsouriregênéauquel ilneréponditpas, ce qui accrut davantage mon malaise. Il me regardait fixement, les yeux plus noirs que la nuit.Grigorem’envoulait.Ilm’envoulaitvraiment.Jetâchaid’oublierledifférendquinousséparaitpourmeconcentrersurlasituation.

Alsemblaitcalmeetdéterminé.Jeremiah,beaucoupmoins.Jeremarquaiuntressaillementmusculairesur sonvisageàchaque foisqueson frèreprononçait lemotaffrontement. Il étaitnerveuxetaumoinsaussiinquietquesabelle-sœur.

—Acceptedetebattreavecdesarmes,luiconseilla-t-ilunenouvellefois.—Non.—Maispourquelleraison,bonDieu?s’emportaJeremiah.Qu’est-cequetuasàprouver?Quetues

unvéritableloup?L’honneur?Situcroisquecetypevat’épargner!—Ilnes’agitpasdeça,réponditcalmementAl.Jeremiahfronçalessourcilsetclaqualalangueenmêmetemps.—Alorsdequoi?Albaissalespaupièressursafemme.—Jesuisunhommedelanature,Jeremiah.Unfermier,unéleveurdechevaux.Jen’aijamaiseuta

passionpourlesarmesblanches.Jenesaistoutsimplementpaslesutiliser.—Vouspourriezleluiapprendre,suggéraChristyd’unevoixclaire.Jeremiahsetournad’uncoupsecpourlafusillerduregard.—Vousavezd’autressolutionsaussi intelligentesquecelle-ciànousproposer,bana-bhuidseach?

Calumetmonfrèreseretrouverontfaceàfacedansmoinsdedeuxheures!Vouscroyezauxmiracles?Moipas!

—Nemontezpassurvosgrandschevaux,Lupusmalembouché! lerabroua-t-elle.Contrairementàvous,j’évitedeparlerpourneriendire.Alastair…

Ellepassalagrilleets’approchad’Alastair.—Jesuisunesorcièredessortilèges.Jenesuispasparticulièrementrompueauxpotions,maisilen

estcependantunequejemaîtrisetrèsbien.Sous l’œil interrogatifd’Al, elle fouilladans sabourseen tissuet en ressortit la fiole contenant la

décoctionpréparéelanuitprécédente.—Qu’est-cequec’est?demanda-t-il.—Unemixtureàbased’ulexeuropaus.—Cesont lesajoncsquipoussentdansnosplaines, intervintBonnieensemettantdebout.Ilyena

beaucoupparici.Coupléeàvotremagie,qu’est-ellesupposéefaire?Christys’humidifialeslèvresetjetaunbrefregardàJeremiahquin’avaitpasdécoléré.

—C’estunbreuvagefortifiant.Al,sivousacceptezdeleprendre,ilvousrendraplusvif,décupleravotreforceetdévelopperavossenstouteladuréeducombat.

—Ettupourrasapprendreàteservird’uneépée,luisoufflaBonnie.Lesyeuxd’Als’étrécirent.—Nousn’avonspassuffisammentdetemps.—Vousn’aurezpasl’expérienceetl’habilitédeCalum,c’estcertain,admitChristy,maisvousaurez

acquisdeladextérité,aumoinspendantlecombat.—Vousrêvez!sifflaJeremiah.Jemesuislaisséconvaincrequevotremixturepourraitl’aider,mais

nepoussezpaslebouchontroploin,sorcière!—Ne sous-estime pas lamagie des plantes, Jeremiah, le corrigea doucement Bonnie. Ce sont les

mêmesquiontsauvélaviedetonfilsquandilétaitàl’articledelamort.Sanselle,ilneseraitplusdecemonde.

AusouvenirdeLeithalitédanslamaisondesonpère,moncœursecomprimavivement.LeGalbroquim’avaittraquéel’avaitprisparsurpriseetsisévèrementamochésurlajetéedeWickquepersonnen’avaitvraimentcruqu’ils’ensortirait.Etpourtant.Bonniel’avaitenpartiesoignéaveccesplantes,etilavaitguéri,cicatrisé.PuisilavaittuéPhilip.

Jeremiahserralesmâchoiresetgonflalesnarines.—Trèsbien.Maisjesuisloind’êtreunexpert,Al.J’aimelesarmes,c’estvrai,pourautant,saurais-

jeaffrontermoi-mêmeCalumsij’étaisàtaplace?J’endoute.—Moi,jepeuxl’enseigner.NoustournâmestouslatêteenmêmetempsendirectiondeGrigore.Nonchalammentadossécontrela

paroirocheuse,iln’avaitpasperduunemiettedelaconversation.—Je suisdecette époqueoùunhommen’étaitpasunhommes’ilne savaitpasmanier l’épée.Le

délaiestcourt,maisjepeuxvousenseignerl’essentiel.Trouvez-nousdeuxclaymoresetjevousaiderai.Moncœurbonditdansmapoitrine.Àcetinstant,j’auraispuluisauterdanslesbraspourleremercier

si jen’avaispascouru le risquedeme faire sévèrement rejeter. Je le fixaipour lui signifier toutemagratitude,maisilnesemblapasladésirer.Ilm’ignora.

—Jevousenprie,Alastair,accepteznotreaide, le suppliaChristy.Leseffetsdubreuvagesontdecourte durée, mais j’en ai préparé suffisamment pour que vous puissiez en prendre plusieurs fois, sibesoin.

Etelleluioffritleflacon.Alnebougeapas. Il l’observaaufonddesyeux,sansdoute incapabledecomprendrepourquoiune

étrangère était si bienveillante avec lui. Jeremiah non plus ne la quittait pas du regard. Derrière sonmasquede froideur, au-delàduméprisqu’il semblaitvouloir exprimerà toutprix, jeparvinsà lire lamêmeexpressionqu’ilavaitaffichéelorsqueChristys’étaitchargédelesoigner,unjourplustôt:ilétaitadmiratif.Admiratif,reconnaissantettroublé.

Lecœurbattant,nousattendîmesqu’Aldonnesaréponse.Lesilenceétaitsipesant,siépais,quenousentendionstomberlesgouttesd’eausuintantdelaroche.Auboutdeplusieurslonguessecondes,Alfinitpartendrelamain,puisilrefermarésolumentsesdoigtssurlafiole.

—Jeleboirai.

***

Nousétionsauxpremièresloges.AletCalumsetenaientdebout,faceàface,aucentredel’arèneimprovisée.Latraditionexigeaitque

les deux combattants soient habillés de lamêmemanière : kilt brun en peau retournée, bottes lacéesdissimulantunskean-dhu,couvre-poignet,etceintured’armeencuirdanslaquellereposaituneclaymore.Ainsivêtu,Aldonnaitune illusiondepuissancenaturelle.C’étaitunhommesolideetbienbâtique letravail en extérieur avait façonné et musclé, mais l’image que renvoyait Calum était cent fois plusimpressionnante.IldépassaitAld’unebonnetêtequ’ilavaitcoifféed’unemultitudedetresses,sontorseétaitlargementplusdéveloppéetrecouvertdepeinturestribalesnoiresluiconférantunairplussauvageencore,etsesjambesfermesetépaissesétaientsemblablesàdeuxtroncsnoueux.Calumétaiteffrayant.Ilparaissait pouvoir envoyer un homme à cent kilomètres d’un simple revers de la main. Mais Al nesemblaitpasimpressionnépourautant.LapotionqueluiavaitfaitingurgiterChristylemaintenaitaussiplacide et assuré que possible. Et à en croire ses poings qui s’ouvraient et se refermaient contre sescuisses,j’auraisjuréqu’ilavaithâted’enfinir,qu’iln’attendaitqueça.Jesavaisqu’iln’avaitpourtantpasdormiplusdequatreheureslanuitprécédente,cependant,ilétaitpleind’énergie.Ilavaitdéveloppéuneagressivitéetunevolontédevaincreexceptionnelles.

Je jetaiunœil au sablierplacéaucentredupiédestal, il restait cinqbonnesminutes.Cinqminutesperduessurleseffetsdubreuvage.Çanesuffiraitpas.AlauraitbesoindeplusdetempspourveniràboutdeCalum.Sitantestqu’ilpûtyparvenir…

L’angoisse m’envahissait sournoisement, doucement, au fil des secondes qui passaient. Mon cœurcognaitfortdansmapoitrine.EtmessenspercevaientceluideJeremiahquiavaitentaméunecoursebienplusfolleencore.Lesmâchoiresserréesetleregardrivéàsonfrère,ilpriait.Queldieu,jen’enavaisaucuneidée,maisj’enétaiscertaine.Ilpriait.

Grigoreavaitfait toutcequiétaitensonpouvoirpourenseignerAlenuntempsrecord.Il luiavaitappris l’essentiel de ce qu’il devait savoir sur le maniement d’une épée. Al s’était avéré un élèveextrêmementdoué.Ils’étaitbattucontreGrigoreavecardeur,neperdantpasdevuesonobjectifuneseuleseconde.Maiscequ’avaitapprisAlétaitmaîtriséparCalumdepuisdesdizainesd’années.IlfaudraitàAlbienplusquedel’habiletépourveniràboutdecemonstre.

BonDieu,jenem’étaisjamaissentieaussiimpuissantedetoutemavie.Aln’avaitquesonénergie,soncourage,sadéterminationetsafoipourlesarracher,luietsafemme,àleurfunestedestin.

Mon regard se posa alors sur Bonnie. Elle semblait sur le point de défaillir. Flanquée entre deuxHisposaupieddelachairesurlaquelleétaientinstallésMurdochetlesAnciens,elletenaitàpeinesursesjambesettremblaitdetoussesmembres.

Me sachant observée, je levai les yeux.Discret, imperceptible et presque invisible, Grigore allaitassister au combat. Il s’était niché en hauteur, dans un renfoncement de la roche, juste au-dessus desquelqueslogementsquidonnaientsurlaCathédrale.Ildominaitlagrandeplace,etpersonnenelevoyait,personnenelesentait,personnenel’avaitmêmevuentrer.Rienn’auraitpudéconcentrerlesmembresdela communauté fixés sur l’arène. Grigore ne me lâchait pas des yeux, surveillant la moindre de mesréactions,etpourune raison totalement insensée,alorsqu’ilauraitpuêtre tués’ilavaitétédécouvert,j’étaisrassuréequ’ilsoitlà.

Unregardfurtifausablier.Plusqu’uneminute.Jecommençaiàdécompter.Lapressionmontaitdans la foule,suffocanteet lourde.Calumajustasa

position,fléchitlesjambesetplaqualesmainssursescuissesenfixantAld’unœilassassin,prometteurdetoutesleshorreursqu’ilsouhaitaitluifairesubir.Ilétaitprêtaucombat.Iljubilait.Alnecillaitpas,nereculaitpas,nebougeaitpasd’unmillimètre.

Jefermailespaupièresetrespiraiàfond.Trentesecondes.Plusunbruitnesefitentendre.Pasmêmeunsouffle.Tousétaientsuspendusautemps.Vingtsecondes.Dixsecondes.Cinq,quatre,trois,deux,un.Lesdésétaientjetés.—Alastair Sutherland ! retentit alors la voix puissante deMurdoch. Vous avez choisi d’affronter

l’accusateurdevotrefemmedansuncombatàmort.Désormais,plusriennesauraitvousdélierdevotredécision.Messieurs…

Ilconcédaunregarddénuédetouteaffectionàsonneveu.—Battez-vousdignement!—Jevaistebriserlesos,Lupus,promitCalum.Ensuite,jet’arracherailecœuretj’enboirailesang.Uneclameursesouleva,puisunepartiedelacommunautésemitàscanderlenomdeCalum.Leurs

voixrésonnaientdanstoutelagrotte,faisantmonterlapressionenmoi.Jesentaisdespicotementsdansmesjambesetdansmesmains.J’avaisenviedefrapperquelqu’un.Delesfrappertous.

—Restecalme,m’ordonnaJeremiahenposant lesdoigtssurmonbiceps.Lacolèreque tudégagesirradie,etilssontquelques-unsautourdenousàn’attendrequeçapourrépondre.

Je levai les yeux etmon regard croisa soudain celui deLeith. Il était juste en face de nous, à unedizainedemètres,Shonaàcôtéde lui. Ilm’observait,etdanssonexpression, jepus lirepresquemot

pourmotcequevenaitdediresonpère.Als’emparadesonépéeàdeuxmains.Lesjambesécartéesetlesgenoux légèrement fléchis, iln’avait jamaissembléplussauvagementdéterminé.Calum,d’ungestesouple,étenditlamainverssabottedroite,etenretiraleskean-dhuqu’ilfitglisserentresesdoigtspouramuserlagalerie,unsourirecalculateuraucoindeslèvres.

Prêtaucombat,Alattaqualepremier.Ilsavaitqu’iln’avaitpasdetempsàperdre,ils’avançadansunevivefoulée.Calumbougeaàpeine,etquandAlvoulutabattrelalamedel’épéesurlui,Calumn’eutqu’àfaireunpasdecôtéets’emparerdesonbraspourletordreetlecontraindreàlâchersonarme.Levisage d’Al se crispa de douleur, mais il n’émit pas un son. En revanche, Bonnie cria, ce qui attisadavantage l’excitation de Calum. Tenant Al au bout du bras, il se tourna vers sa sœur, et plissavicieusementlesyeux.

—Restecalme,sœurette,cen’estpaspourmaintenant.J’aienviedem’amuserunpeu.Àpeineavait-ilprononcécesmotsqu’Alastairsecontorsionnaenmêmetempsqu’ilprenaitappuisur

sespieds,etdonnaunpuissantcoupdegenoudanslarotulegauchedeCalum.Déstabilisé,cedernierlelâcha,alorsquelafoulepoussaitdesoh!desurprise.

Levisagegrimaçant,Calumseramassasurlui-même.Alyvitl’occasiondemettreuntermeaucombatquivenaitàpeinedecommencer.Ilbranditsaclaymore,prêtàl’abattresurl’Hispo.MaisCalumn’avaitpaslaissééchappersadagueentombant.D’unmouvementleste,illalançasurAl.Lalameselogeadanssonaisselledroite,l’obligeantàabandonnersonépéeàterre.

—Non!hurlaBonnie,alorsquej’avaislecœurauborddeslèvres.Dansunrugissementprimitif,Alretiraleskean-dhuplantédanssachair,etlejetaloind’eux.Laplaie

ne tarderait pas à se refermer. Il le savait, c’est pourquoi il neprêta pas attention au sangqui coulaitabondamment.IlparvintàcontenirladouleuretfitdenouveaufaceàCalum.L’Hispoécumaitderage.Sonbeau-frèreavait touchéson talond’Achille.Calumne luipermettraitpasde le remettreà terre. Ilposa alors lamain sur le pommeau de son épée et, vif comme l’éclair, il la souleva.Al récupéra lasienne,évitantdejustesselalamedeCalum.Avecunepuissanceexceptionnelle,leguerrierl’abattitsurAlàplusieursreprises.Cederniersedéfendaitcommeundiable.IldéjouaitlaclaymoreàchaquefoisetbrandissaitlasienneavecautantdeforceetdedéterminationqueCalum.

Leurs épées s’entrechoquaient dans un fracas métallique, le bruit se répercutant contre les paroisrocheuses. Aucun des deux ne parvenait à atteindre l’autre. Calum était déchaîné, incapable decomprendrecommentungarousipeuexpérimentéqu’Alpouvaitréussiràluitenirtête.L’Hispoattaquaitsansrelâche,résoluàavoirlapeaudesonadversaire.

Alsemitsoudainà reculer,simulant lapeuret l’enviedefuir.Encouragé, leguerrier fonditsur luiavec un sourire satisfait. SurprenantCalum,Al esquiva au derniermoment et se déplaça avec tant delégèretéetderapiditéquesesmouvementsétaientàpeinedistinguables.Calumchargeaitavecuneforcebruteetsauvage,encoreetencore.Ils’épuisait.Alselaissafinalementapprocher,feintaundéplacementàgauche,etcontournal’Hispopourluifrapperleflancdesaclaymore.Prisaudépourvu,Calumhurlaet

seretournad’uncoupsec.Lesangs’écoulait,maculantsonventreetsescuisses,maisl’entaillen’était,hélas,passuffisammentprofondepour l’affaiblirvraiment.Aulieuderiposteravecsapropreépée, leguerriers’endélesta,perditlecontrôleetseparadegriffeseffrayantes.

—Calum!l’avertitl’undesmembresduConseil.Leguerrierlesrétracta,etAlroulasurlui-même.Ilseremitsursesjambesetportalesdoigtsàson

couvre-poignet.D’ungestesûr,ilenressortitdeuxétoilestranchantesqu’illançasurCalum.L’Hispolescontradesonavant-braspourseprotéger.Lesarmessefichèrentdanssachairsansluiarracherl’ombred’une grimace. Il les retira violemment et se précipita pour ramasser son épée et lancer une nouvelleoffensive.Lesdeuxgarousrepartirentdansunaffrontementsonore,croisantlefersansrelâchependantdelonguesminutes.

—Seigneur…,murmuraChristy,lesyeuxrivéssurAl.Les effets de la potion s’amoindrissaient. Il haletait et commençait à s’affaiblir sérieusement. Il ne

seraitbientôtplusdetailleàrésister.Je fermai les paupières, lamâchoire tremblante. Il ne sortirait pas de cette issue fatale. J’en étais

presquesûre,mêmesijemerefusaisàlaréalité.Calumavaitremarquéunchangement,ilfrappaitplusfort,plusvite,déséquilibrantdeplusenplussouventAl.Il finitpar ledésarmeret,d’uncoupdepiedviolent,luibrisaletibiadansunhorriblecraquement.Ladouleurexplosa,Alhurlaets’effondraàterre.

—Al!s’écriaBonniequelesdeuxguerriershisposétaientobligésdemaintenirpourqu’elleneseruepasverssonmari.

Calumlepritparlecouetleforçaàserelever.Alnesedébattitpas,àpeineétait-ilcapabledetenirsursajambevalide, tandisquel’autresaignaitabondamment.L’Hispoapprochasonvisagedusien,unsouriredemauvaisauguredessinéaucoindeslèvres.D’ungestesûretinflexible,ils’emparaduskean-dhud’Altoujourscachéàl’intérieurdesabotte,etl’instantd’aprèsilluiavaitenfoncélalamedansleventre.

—Non!invectivaBonnie.Bienqu’il fûtdéjàdansunétatde semi-conscience, lesyeuxd’Al s’arrondirentde surprise.Calum

éclataderire,branditsaclaymoreetvintlalogeràcôtédeladagueavantdelaisserchoirlecorpsinertedesonennemi.

—Al…,gémissaitBonnieentombantàgenoux,alorsquej’étaismoi-mêmeincapabledelamoindreréactionetqueJeremiahdemeuraitaussipétrifiéquemoi.

Jesecouailatête,refusantdecroirequec’étaitterminé.C’étaitimpossible.Alnepouvaitpasmourir!Iln’enavaitpasledroit!Soncœurbattaitencore!Ilétaittoujoursenvie,illedevait!Maiscouchésurleflanc,unemaredesangserépandantautourdelui, ilnebougeaitpas.Sesépaulesnesesoulevaientpas.Rien. Soudain,Calum ramassa la claymore d’Alastair et se dirigea d’un pas décidé versBonniealorsquedeuxguerrierscrinosformaientunmurdevantnouspournousempêcherderéagir.JelevaiunregardimplorantversMurdoch.Ilsemblaitplusanéantiquepourraitl’êtreunhommequiallaitperdrela

prunelledesesyeux.Ilnepouvaitrienfaire,nireculer,nirevenirsurcequiavaitétédécidé.—MonDieu!lâchaChristyentremblantdetoussesmembres.—Àtontour!rugitCalumenempoignantsacadetteparl’épaule.Briséeetarrachéeàsonmari,Bonnien’essayapasderésister.Lesjouesbaignéesdelarmes,ellene

quittaitpasdesyeuxlecorpsimmobiled’Alastair.Calumlatraînaaumilieudel’arène,unsilencepesantétait tombé dans la foule. Personne ne prononçait un mot, comme si les plus virulents eux-mêmesn’osaientpascroirequelaboucherien’étaitpasterminée,quel’Hispoallaitmassacrersapropresœur.

CalumfitmettreBonnieàgenoux,frontcontreterre,l’écrasantausold’unpiedsurlatête.—Pourlacommunauté!brailla-t-ilenlevantsonépée,prêtàfrapper.Jeremiahsecrispaàcôtédemoietfermalespaupièressansquejeparvienneàl’imiter.Maisalors

que Calum se préparait à trancher la tête de sa sœur, son corps se mit à briller d’une lueurphosphorescente que j’étais manifestement la seule à voir. La même qui avait enveloppé les deuxGuerriersdel’ombreavantqu’onnelestue,alorsjesusquecequem’avaitditKeithForbesétaitvrai:j’étais une bàs-taibhsear, un garou capable de deviner la mort de mes semblables. Et Calum allaitmourir.

Touts’accéléra.Alsesouleva,retiralalameduskean-dhuplantéesonventreetlalançasurCalumdansundernierespoir.Ladagueallaseficherentrelesdeuxyeuxduguerrierqui,lespaupièresgrandesouvertes,restadeboutquelquessecondes,immobile,lebrastoujoursenl’air.Puissamainlâchal’épée,etCalum,chefdel’élitehispo,s’écroula.

Alorsquedesexclamationsdeconsternations’élevaientdelafoule,Bonnierelevalatête,incertainedecequivenaitdesedérouler.Ellesuivitduregardlecorpsd’Alastairquis’effondraitàsontouretseprécipita sur lui. Jeremiah gronda, poussa les deux Crinos qui nous barraient le passage, enjamba lacordeets’élançaàsontourverssonfrère.NousenprofitâmespournousapprocheraussiavecChristy,etlemédecinresurgitenelle.Elles’agenouillaprèsdeluipourl’examiner.Bonnieluisoutenaitdoucementlatête,leslarmesinondantsesjoues.

—Oh,Al…,monamour…Ilsoulevadifficilementlespaupières.—Envie…,parvint-ilàdire.—Tum’assauvée…Ilsouritfaiblement,toussa,etdusangenvahitsabouche.—Faitesquelquechosepourlui,gémitBonnieensuppliantChristy.Elle hocha lementon, éloigna fermement lesmains que Jeremiah avait posées sur le ventre de son

frère.Lablessureétaittropprofonde.Beaucouptrop.ElleposaunregarddésolésurJeremiah,surmoi,n’osantaffronterlapeinedeBonnie.Iln’yavaitrienàfaire.

Altoussaencore.Non…ohnon!

Une lumièremorbideétait en trainde s’emparerde lui, enveloppant soncorps, tandisqu’ilglissaitdansuninévitabletrounoir.

—Monfrère…,murmuraJeremiahd’unevoixbriséeenserrantsesdoigtsentrelessiens,ignoranttoutdecequejevoyais.

Sonaînélefixadesesyeuxvitreux.—Soind’elle…Promets.—Jetelepromets.Bonnieétouffaunsanglot.—Nedispasça,tuleferastoi-même.Tuleferastoi-même…Je levai la tête endirectiondeGrigore, il observait la scènedansune immobilité totale.Puismon

regardglissaversLeith.Commetousceuxquil’entouraient,ilétaitblême.Alors,pourlapremièrefois,jeremerciail’Espritqu’ilaitperdulamémoire.

—Al!s’étranglaBonnieenpleurant.Al!Al!Ellelesecouait,éperdue.Maislalumièrenebrillaitplus.Ilvenaitdes’éteindre,laissantderrièrelui

unamourinfini.

Chapitre11

Lecœurde lanuit étaitdouxetmuet.Pasunsouffledeventnevenaitperturber le silencepresquereligieux dans lequel plus de la moitié de la Communauté du Sutherland s’était plongée. Selon latradition,AlastairSutherlandseraitincinérédansquelquesminutes,àpeinequatreheuresaprèssamort.

Unecentainedegarous,Crinos,Galbros,HommidésetHispos,sedressaientrespectueusementautourdeladépouilledeceluiquifutl’êtreleplusbravequej’eussejamaisconnu.Parmieux,Murdoch,Rory–quivenaitdeprendrelaplacedeCalumentantquechefdel’élitehispo–etLeith.

Leshommesdupremierrangportaientdestorchesenflammées,formantunrubanlumineuxdanslanuitétoiléequiéclairaitfaiblementlebûchersurlequelreposaitAl.Lesmainscroiséessursontorsenu,unbandeaude lin autourde sonabdomenpourdissimuler sablessure, il enserrait lepommeaude l’épéeavec laquelle il s’était battu. Son visage paraissait si détendu, ses traits si apaisés qu’on aurait pu lecroiresimplementendormi.

Als’étaitdéfenducommeunlion.Ilméritaitamplementl’hommagequiluiétaitrendu,cariln’avaitpas seulement sauvé la vie de son âme sœur, il s’était également dressé contre la tyrannie. Il l’avaitvaincueet avaitpréservé l’avenird’unpeuple toutentier,bienque tousneparurentpas le réaliser.SiCalumétaitmontéaupouvoir,lesdeuxcommunautésseseraientdenouveauaffrontées,enrayantunepaixdepresquevingtansetquepersonnenevoulaitvraimentvoirdisparaître.Néanmoins,Murdochdevraitrasseoir son autorité, et l’affirmer d’une poigne de fer afin de conserver sa crédibilité furieusementébranléeparlesaccusationsdeCalum.Unepartiedessiensn’avaitplusconfianceenlui,etpendantquenousfaisionsnosadieuxàAl,aucœurdelacité,lesdiscussionsallaientbontrainpoursavoircequ’ilconvenaitdefaire:ledestituerouluilaisseruneautrechance.

LeMór-fear-faolbrisalesilenceenfaisantdoucementteinteruneclochette.LesquatremembresduConseils’approchèrentsolennellementetsepositionnèrentautourdubûcher,auxquatrepointscardinaux.Tête baissée, ils entamèrent une prière en gaélique qu’ils récitèrent comme une litanie. Quand ils seturent, les sanglotsétouffésdeBonniedéchirèrent lanuit.Debout,àquelquesmètresdeMurdoch,elleétaitemmitoufléedansunecapesombre,levisagevolontairementdissimulésousunecapuche.Elletenaitàpeinesursesjambes.Brisée.Anéantie.Amputéed’unemoitiéd’elle-même.Bravantsonproprecorps,elles’approchadubûcheretsepenchasurlevisagedesonâmesœurpourl’embrasserunedernièrefois.

—Tu esmort pour que je vive, et je vivrai,murmura-t-elle, le front contre celui d’Alastair.Maisdésormais,jenerespireraiplusquedansl’attentedeterejoindre.

Savoixs’étrangla,faisants’ébranlerlepeudeforcedontjedisposaispournepascraquer.Jerésistaisansparveniràretenirmeslarmes,etmemordisl’intérieurdesjouespournepassangloterbruyamment,

parrespectpourJeremiahetBonniequisebattaientpourresterdignes.Bonnieposaleslèvressurcellesdesonépoux,trembladetoussesmembresetreculasanslequitterdesyeuxjusqu’àrejoindreJeremiah,plusfébrilequejamais.

Cedernier,fieretdroit,soutintlafemmedesonfrère,luttantlui-mêmepournepass’effondrer.Ilétaitpâleetvidédetoutéclat.PeuaprèsledécèsdeRose,Alastairetluiavaientgardéleursdistancesdurantde longues années. Ils étaient restés en désaccord au sujet de la bataille qu’aurait dû livrer Jeremiahcontre laCommunautéduSutherland,aunomde l’amour.Lesdeuxhommess’étaient retrouvés lorsqueLeith essayait de rester envie après l’agressionduGalbro.Cependant,Alastair et Jeremiahn’avaientjamais eubesoindequi que ce soit pour se rendre comptede l’affectionqu’ils éprouvaient l’unpourl’autre. Ils s’aimaient sincèrement. Hélas, désormais, un gouffre éternel les séparait. Jeremiah étaitimpuissantetmalheureux.Ilsouffrait.Etçamebrisaitlecœur.

Les lèvres tremblotantes, je fermai les poings et abaissai les paupières. Christy passa une mainréconfortante autourdemesépaules, etme serra contre elle.Elle était pluspetitequemoi,plus frêle,maissongestemerassuratellementquejem’yaccrochaidetoutesmesforcespournepasvacillersouslepoidsdel’émotionetdeladouleur.

Les quatremembres duConseil retirèrent leur capuche, et se baissèrent pour ramasser chacun unecarafeenétainaupieddubûcher.Ilsmarmonnèrentdesphrasesincompréhensiblesetdéversèrentsurlecorpssansvied’Alastairunliquideclair,épaisetparfuméaupin.Jecessaiderespirer.L’odeurdelamortqu’ilm’inspiraitmeresteraità jamais.LesAncienssereplacèrentaupremierrangaumomentoùMurdochs’avançaitverslebûcher.Ilsetintdeboutderrièrelatêted’Alastair,illevalesmainsaucieletoffritsonvisageàlavoûtecéleste.

—AlastairSutherland, tonespritarejointceluidetesancêtres.Prendslaplaced’honneurqui t’estdue et repose en paix. Ton courage et ton sacrifice demeureront gravés dans nos mémoires et, pourcertainsd’entrenous,auplusprofonddenoscœurs.Va,frèredesloups,etvitdésormaisdansl’au-delà.

Afindemettrelefeuaubûcher,Murdochseretournaets’emparad’unflambeau.Lesangpulsadansmesveines.Dansquelquesminutestoutseraitterminé.Lecorpsd’Alastair,Al,disparaîtraitàjamais.Sagentillesse, sondoux sourire, ses yeux rieurs, ses longs cheveuxnoirs…Submergéepar le chagrin, jemanquai deme jeter sur sa dépouille pour lui hurler combien le vide qu’il laissait derrière lui étaitimmense, combien j’étais désolée que Leith n’ait pas eu l’occasion de lui dire au revoir, et combienj’auraisaiméqu’il se souviennede luiaumoinsquelques secondesavantqu’ilpartedansunsommeiléternel. Mais Leith était là, à quelques mètres, le visage n’exprimant rien d’autre qu’une profondecompassionpourcettefamillequ’ilnereconnaissaitpascommelasienne.Immobiliséeparunedouleurplusvivantequelesflammesembrasantlebûcher,jefusincapabledefairelemoindregeste.Pendantuninstant,jerestaistupéfaited’effroietd’impuissancedevantlefeuquigrossissaitàvued’œil.

Lacombustion,l’odeur,Bonniequisanglotait…Jefusprised’unhaut-le-cœursipuissantquejemesentistanguer.Jenepourraispas.Jen’yarriveraispas.Galvaniséeparlerefuscatégoriquedegarderen

moilavisionducorpscalcinéd’Alastair,jereculaideplusieurspas,fisvolte-faceetcourusdanslanuitnoire.Ignorantlesolgelé,lesrochessurlesquellesjetrébuchais,etlefroid,jeparcourusbiendeuxcentsmètresavantqueLeithnem’arrêteenm’agrippantparlesépaules.

—Hé…,murmura-t-ilenmefaisantdoucementpivoterfaceàlui.J’avais les joues inondéesde larmes. Jeme laissai tomberàgenouxdans laneigeetpleuraienme

cachantlevisageentrelesmains.Nousn’aurionsjamaisdûvivreça,nousretrouverici.Bonnien’auraitjamaisdûperdresonmari,et

Jeremiah,sonfrère.JehaïssaisDageusSlater.Jelehaïssaissiprofondémentquejenourrissaisundésirdeplusenplusfortdeluifairepayercequ’ilnousavaitfait.

Leiths’agenouillaet,affectueusement,passaunemainderrièremanuquepourcalermonfrontcontresapoitrine.Sesbrass’enroulèrentautourdemoi,ilm’attiraàlui,etsachaleurm’enveloppa.Songestemefitpresquemaltantj’enavaisbesoin,et jepleuraideplusbelle.J’avaislecœuretlesnerfsàvif.Alors,jemelaissaicajoler,redoutantlemomentoùilallaitmelâcherpourretrouverlecorpschauddeShona.

—Jesuisdésolépourcequiestarrivé,murmura-t-ilaprèsdelonguessecondesdesilence,lementonposésurlesommetdematête.Cethommeétaitbrave.

Cethomme?Cethomme!Parl’Esprit!J’avaisenviedeluihurlerquesionneluiavaitpasvolésessouvenirs, il serait en train de souffrir, lui aussi. Cet homme, Al, était l’une des personnes les plusimportantes de sa vie, un second père, unmodèle, un pilier, un roc !Mais jeme tus. Il n’aurait pascompris,ilauraitmêmenié.Jenel’auraispassupporté.

Doucement, je me détachai de lui, et reniflai avant de me servir de la manche de ma robe pourm’essuyerlenez.Jedevaisavoirl’airpitoyable,maisjem’enmoquais.

—Il…ilvaterriblementmemanquer.—Jesuisdésolé,répéta-t-il.—Ilaimaitsincèrementsafemme.Ilsouritbrièvementenacquiesçant.—Ilétaitdigned’elle.Jelevaiversluidesyeuxinterrogatifs.—Digned’elle?Quesavait-ildeBonnieetdugenred’épousequ’elleétait?—Dignedesonamour,précisa-t-il.Ill’aimaitautantqu’ellel’aimait.—Qu’elle l’aime, lerepris-jefaiblement.Iln’estpasmortenelle, ilneleserajamais.C’étaitson

âmesœur.Sonair.Savie.Ellel’aimeratoujours.—Ellel’aimeratoujours,répéta-t-ildansunsouffle.Délicatement, il repoussa chaque mèche de mes cheveux collée à mon visage pour les remettre

derrièremesoreilles.

—Shonan’estpasavectoi?nepus-jem’empêcherdedemander.—Nousnesommespasmariés, répondit-ild’unevoixétrangementrauque.Etencemomentmême,

ellen’apasbesoinqu’onprennesoind’elle.—Maismoi,oui?Lesyeuxprofondémentancrésdanslesmiens,ilacquiesça.—Dequiconquecapabledet’apporterduréconfort.Jesecouailatête.—Non,pasquiconque.Toi.Sansmecontredire,etsansémettrelamoindrehésitation,iltenditlamain,englobamamâchoiredans

sapaumeet,dupouce, ildécrivitunecaresse surma joue.Fascinée, j’entrouvris les lèvresqu’il fixaardemment,mecontraignantànepasmelovercontresapeau.

—Commentest-cepossible?murmura-t-il.Jeprisunecourteinspirationavantderépondresurlemêmeton.—Quoi?—Troisjours.Jeteconnaisdepuistroisjours,Hannah.Jenedevraispasme…Ils’interrompitbrusquement.—Quelesttonnomdefamille?—Jorion,dis-jed’unevoixmorne.Ilsourit.—Jorion…C’esttellementfrançais.—C’estcequejesuis.Française.—EtBritannique,ajouta-t-ilpourmedémontrerqu’ils’ensouvenait.Jesoupirai.Ilétudiamonvisage.—Tumetouches,Hannah.C’estinjustequetusouffres.Jel’observaienclignantdespaupièresetpouffaicyniquementderire.Jeluifaisaispitié?Ehbien,

qu’ilgardesamauditecompassion,jen’envoulaispas!Jem’écartaietbondissurmespieds.Dérouté,Leithselevaaussietposalesdeuxmainssurmesépaules.Commebrûlée,jemedégageai

vivement.—Tamansuétudem’honore,AlanKerr,maisjedoutequ’ellesoitaugoûtdetapetiteamie.Tuferais

biend’allerlaretrouver.Ilfronçalessourcils,déconcerté.—J’airatéquelquechose?Un bruissement de pas nous interrompit, puis l’odeur ferreuse d’un Ange Noir. Je tournai la tête,

Grigoreétaitlà.—Elle veut être seule, annonça-t-il d’unevoix calme et profonde. Je crois que c’est suffisamment

clair.

Leithfitunpasdecôtépourl’avoirdanssonchampdevision,lefusilladuregard,puissereconcentrasurmoi.

—Ilaraison?Jefisminedehausserlesépaulesavecdésinvolture.—Grigoreaplusdecinqcentsans, ilestplutôtperspicacequandils’agitd’évaluerlessentiments

desgens,etparticulièrementlesmiens.Tupeuxluifaireconfiance.Aprèscesoufflet,Leithpenchalatêtedecôtéetm’observaintensément.—Ehbien.Quelrevirement…—Commeondiraitchezmoi,leraillaGrigore,mieuxvauttardquejamais!Jepensequetupeuxnous

laisser,Lupus.Elleestentredebonnesmains.AuxnarinesfrémissantesdeLeith,jeviscombienilrésistaitpournerienrépliquer.Entreungarouet

unAngeNoir,lesjoutesverbalespouvaientallertrèsloin,bienau-delàdesmots.Cen’étaitnil’endroitnilemomentpourunaffrontement,c’estpourquoijem’interposai.

—Jeteremercied’êtrevenuàmarencontreetdet’êtreassuréquej’allaisbien.Leithmedétaillaunedernièrefois.Finalement,ilhochalementonetnoustournaledossansunregard

enarrière.Immobile, je le suivisdesyeux tandisqu’il s’éloignait endirectiondesEntrailles, jusqu’à cequ’il

disparaissedemavue.Quandjeneperçuspluslamoindrebribedesonodeur,jefermailespaupièresetbaissailatête,abattue.Jel’avaisblessé.Volontairement.Etj’avaishonte.

—Pourquoiest-cequej’aifaitça?gémis-je.Grigores’approchaetsepositionnaderrièremoi.Ils’immobilisaetveillaànepasmetoucher.Ilétait

pourtanttoutproche.—Pourquoiest-cequejel’aienvoyétoutdroitdanslesbrasdecettefille?melamentai-je.—Parcequetuesblessée,répondit-ilavecdouceur.Amoureuseetblessée.—C’estnul.—Cen’estpasnul,Hannah.C’estinstinctif.Tutedéfends.Tuveuxluirendrelamonnaiedesapièce,

lefairesouffrirautantquetusouffres.Jesecouailatête.—Cen’estpaslabonnesolution.—Peut-être,maisc’estcellequit’apaise.Mêmeletempsd’uninstant.Jenerépondisrien.Ilavaitraison.Commetoujours.Alorsjefisbrusquementvolte-face.—Jetedemandepardon…Danslanuit,jevisl’éclatchaleureuxdesonregard.—Pourquoi?—J’aimalagiavectoi.Tuesunamisincère,etje…—Nedisrien,mecoupa-t-il,sesbeauxyeuxgrisprenantl’apparencedel’eau.Parcequemoi,jene

comptepasteprésenterd’excusespourcequejet’aidit.Jepensaischaquemot.Sonregardmetransperçait.Auboutdequelquessecondesdesilence,ilsoupiraetfronçalessourcils,

surlepointdedirequelquechose.—Quoi?demandai-je.Ilsecoualatêteetsemblaréfléchiravantdeprendrelaparole.—Ques’est-ilpassédansl’arène,justeavantqueCalumnemeure?Jet’observais.L’expressionde

tonvisageachangésubitement.Stupéfaite,j’écarquillailesyeuxetentrouvrislabouche.—Tuasremarqué?—Jeremarquetoutcequiteconcerne,gamine,dit-ilsanslamoindretraced’ironie.J’étaisabasourdie,néanmoins,jerépondis.—Je l’ai vubriller.Commec’était le cas pour leGuerrier de l’ombredevant chezDarius unpeu

avantqu’ilnemeure,tutesouviens?Àsontourd’êtredéconcerté.—Oui,parfaitement.—Etc’estencorearrivélorsquej’aituéleCrinostransforméparChristy.PourAlaussi.Ilfronçadurementlessourcils.—Qu’est-cequeçaveutdire?Jepinçaileslèvres.KeithForbesm’avaitmisesurlapistequandilavaitcomprisquej’avaisvula

créature briller chezDarius,mais je n’en avais parlé avec personne depuis.Nul ne savait que j’étaiscapabled’unetelleprouesse,j’avaismêmetoutniéenblocdevantledétective.

—Ilsembleraitquejesoisunebàs-taibhsear.Ungaroucapablededevinerlamortdesessemblablesquelquesminutesavantqu’ilsn’expirent.Lescréaturesstrigoiisontàmoitiécrinos,c’estpourquoijelesaivusbrilleraussi.

—Maiscecin’expliquepaspourquoitulesvoistoutcourt,fit-ilremarquer,presquecontrarié.—Ilssontàmoitiégarou,àmoitiéAngeNoir,Grigore.J’aiétél’unetjesuisl’autre.Finalement,nous

avonspresquelesmêmesgènes,dis-jecommesiçasuffisaitàtoutdissiper.Grigoremecontemplait,commesubjugué.—Tuesvraimentquelqu’undepeubanal,gamine.Jesouristimidement.— Je voudrais que tout ceci reste entre nous, Grigore. Je ne sais pas comment cette communauté

réagiraitenapprenantcequejesaisfaire.Certainssontsisuperstitieux,ilspourraientcroirequejeportemalheurau…

— Je ne dirai rien, m’interrompit-il. Tu possèdes une carte maîtresse qui pourrait changerconsidérablementladonnedansuncombat.

J’acquiesçaisansunmot.

Grigore m’observa quelques secondes en silence, comme s’il n’en revenait pas que je sois sidifférente.Jepouvaisdevinerlesdizainesdequestionsquisebousculaientdanssonesprit,maisqu’ilsegardadeposer.Iljetafinalementunœilpar-dessusmonépaule,etclaqualalangued’agacement.

—Tudevraisrejoindrelestiens.Lasorcièreregardedansnotredirection.Jehochailementon,repéraiChristyet,crispée,neparvinspasàignorerlesvolutesdefuméeépaisses

quimontaientavantdes’éparpillerdans leciel.Levent,bienque très léger,était favorable.De làoùnousnoustrouvions,nousnesentionsrien.

—MercidecequetuasfaitpourAl.—Çan’apaspermisqu’ilvive,alorsnemeremerciepas.—Tuasfaitcequetuaspu,Grigore.—Etcen’étaitpasassez,répliqua-t-il,lestraitsfermés.Va-t’en.Ilstecherchent.Jepivotailatête.JeremiahavaitrejointChristyetnousobservait.LorsquejerevinsàGrigorepourlui

direquejeluiétaistoutdemêmereconnaissante,ilavaitdisparu.

***

J’avaistellementpleuré,vautréeaufonddemapaillasse,qu’aupetitmatin,j’étaisconvaincuequejenepourraisplusjamaisêtrecapabledeverserunelarme.Mescanauxlacrymauxétaientplussecsqueledésertsaharien.J’avaislatêtelourde,lesyeuxgonflés,lesmusclestendus,douloureux,etlestraitsplustirésquelorsquej’étaishumaine,aprèsunenuitblanche.Jeremisdel’ordredansmesidées.Laréalitém’assomma encore plus. J’aurais donné n’importe quoi pour oublier et rester au fond de mon lit defortune. J’appréhendais cette journée et les jours suivants. Je redoutais d’affronter le regard triste deJeremiahetBonnie.Quelsmotsprononcerpourlessoulager?Quefairepourapaiserleurpeine?Rien.Tout ce que je détenais, c’était l’impuissance. Inutile et sournoise. Je ne possédais rien d’autre. Magrand-mèreavaitpourhabitudededirequelapaixsetrouveparfoisdanslesendroitslesplusinattendus,mais je ne voyais pas où Jeremiah et Bonnie auraient pu l’atteindre. Claquemurée dans son chagrin,Bonnie ne vivrait plus que dans l’attente de rejoindre son âme sœur dans l’au-delà, et Jeremiah…pourrait-ilseulementrecouvrerl’idéed’uneviemeilleureavecunfilsquinesesouviendraitjamaisdelui,etunfrèremort?Jemesentaissidémunie.Incapabledetrouverlaforcedelessoutenir.J’étaismoi-mêmedévastéeparcettesuccessiond’événementsaussidramatiqueslesunsquelesautres.Lecielnousétaittombésurlatêteenl’espacedetroisjours,etl’avenirneprésageaitaucuneamélioration.

—Jevoussommedenepasfaireunechosepareille,Jeremiah!grondasoudainlavoixdeMurdochquivenaitmanifestementdepénétrerdansnosquartiers.

—Etquim’enempêchera?Vous?Jesuisplustenduqu’unarc,Murdoch,alorsjevousdéconseilledem’interdirequoiquecesoit!

Beletbienréveillée, jemelevaid’unbondet,commejem’étaisendormie touthabillée, je tirai lelourdrideaulie-de-vinpourrejoindreimmédiatementlasallecommunedanslaquellelesdeuxhommess’affrontaientduregard.Aucunnesemblaitvouloirendémordre.

—Jeremiah,soyezraisonnable.Nosrèglessont…—Raisonnable!tonnacelui-ci.Quecroyez-vousquejevaisencoreaccepterdeperdrepourmeplier

àvosconneriesd’obligationsarchaïques?Monfilsviendraavecmoi,qu’illeveuilleounon!Christysortitdesachambre,piedsnus.Àpeinecouverted’unplaidenlaineetd’unechemisedelin

luiarrivantenhautdescuisses,elleaffichaitunemineaumoinsaussiinquiètequelamienne.—Quesepasse-t-il?demanda-t-elled’unevoixenrouée.Jeremiahlafusilladesyeuxsansqu’elleeûtfaitquoiquecesoitpourlemériter.—Ilsepassequejequittecetendroitaujourd’hui,avecmonfils,dussé-jeledroguerpourqu’ilme

suive!Sivousavezdelapoudredeperlimpinpin,c’estlemomentdemeladonner!—Jeremiah,repritcalmementMurdoch.Jevousaipromisd’avoirdesinformationssurShonaAiken

etAlanKerr,etvousenaurez.—Etaprèsquoi?aboya-t-il.—Après,vousaviserezenconnaissancedecause.—Maisbiensûr !Avez-vousseulementsongéà lapossibilitéque lanouvelle identitédemonfils,

crééedetoutespièces,aitjustementétéélaboréepourêtreindémontable?Murdochsoupira.—Sic’estlecas,ilestpeuprobablequenousnenousensoyonspasrenducompte.Mêmeàdemi-mot,ilremettaitencoreendoutemacertitudequantaufaitqu’ils’agissebiendeLeith.

Jeremiahs’avançad’unpasdéterminéverslechefdesloups.—Cequ’Hannahaffirmeaplusdevaleuràmesyeuxquelessoi-disantpreuvesqu’onvousapportera.

Jenepeuxplussentirsonodeur,maissimabelle-fillesoutientqu’ils’agitdeLeith,c’estquec’estlecas.Il ne peut en être autrement. Quant à vos règles, elles ne sont pas les miennes et ce que vous ditesm’importepeu.Monfilsrentrechezlui!Maintenant,écartez-vous!

Plusmenaçantquejamais,ilfitminedevouloirpasser.Murdochs’interposaentreluietlasortie,etcroisa lesbras sur sapoitrine. Il étaitbienplusgrandqueJeremiah,et son torsemassif semblaitplussolidequ’un roc.Cependant, si Jeremiah s’arrêtanet, il n’eut pas lemoindremouvementde recul quiauraitpudémontrerauMór-fear-faolqu’ilétaitimpressionné.

—Nevous avisezpas debafouermon autorité, JeremiahSutherland, le prévint-il. Je suis leLoupSuprême,ici.Quevoussoyezdenotreclanounonnevousdispensepasderespecternosrègleslorsquevous êtes sous notre toit. Leith Sutherland est peut-être votre fils, mais Alan Kerr fait partie de laCommunauté du Sutherland et je ne saurais vous permettre de l’y arracher contre sa volonté et sanspreuveformellejustement!

—Écartez-vous!répétaJeremiahquiétaitàdeuxdoigtsdeprovoquerMurdochenduel.

—Jeremiah!intervientChristyensejetantentrelesdeuxhommes.Arrêtezetécoutez-moi.S’ilvousplaît,écoutez-moi.

Son corps frêle ne faisait pas le poids et était loin d’impressionner Jeremiah, cependant, elle neflanchapasetsedressadevantlui, tenantmaladroitementlacouverturesupposéecachersachemisedenuitdefortune.J’enrestaibouchebée.

—Sivousemmenezvotrefilsdeforce,nonseulementvousnesaurezjamaiscequiluiestarrivé,maislorsqu’ilenaural’occasion,ilchercheraàfuirpartouslesmoyens,etvousaureztoutperdu.

Survolté, Jeremiah semblait concentrer toute la volonté dumonde pour ne pas tordre le cou de lasorcière.Ilabaissalespaupièrespourl’étudierdelatêteauxpiedsetgonflalesnarines.

—Écoutez-moibien,bana-bhuidseach…Christyéternuasifort,qu’elleluicoupalachique.—Non,vous,écoutez-moi!reprit-elleenreniflant.Jenedoutepasqu’ils’agissedevotreenfant,de

lachairdevotrechair,dusangdevotresang,etc’estpourquoijesuisencoreici,avecvous.Jeveuxvousaider.Detoutesmesforces,jesouhaitequevousretrouviezvotrefilsetqu’Hannahrécupèrelaplacequiestlasienneauprèsdelui.Maispascommeça.Vousfoncezdroitdanslemur,Jeremiah.Sivousvoulezconvaincrecegarçonquevousêtessonpère,ilfaudraluiapporterdespreuvestangibles.Ilestpersuadéd’êtrequelqu’und’autre.Ilpenseavoird’autresparents,uneautreenfance,uneautremaison…Vousnereprésentezrienpour lui.S’ilvousplaît…Faites leschosesdans l’ordre.Attendezque lessentinellesreviennent,etensuite,allezparleràceluiquiestàl’originedel’enlèvementdevotrefilspourensavoirplus.Enquêtezafind’apporteràLeithtouslesélémentsnécessaires.Àvotreretour,sivouslesouhaitez,nouspartironsensemblepourconsulterlaGrandePrêtressedemonordre.Nousessaieronsdedécouvrirquiajetéunsortàvotrefils,etpeut-êtremêmeobligerons-nouslacoupableàvenirtémoignerdevantlui.DevantShona,sielleyestpourquelquechose.S’ilvousplaît…,répéta-t-elleavecplusdeconviction,negâchezpastout.

Lesoufflecourt,Jeremiahlacontemplaitcommes’ilsetenaitfaceàunecréatureétrange,oucommes’il remarquait pour la première fois que Christy était une femme. Une femme magnifique etexceptionnellement intelligente.Elle percevait saméfiance, sonorgueil, et la violencedont il pourraitêtrecapable,pourtant,riennel’empêchaitd’allerjusqu’auboutdesonraisonnement.C’étaitpourcetteraisonqueChristy le troublait.Quantàmoi, j’étais siadmirativedesonsang-froidque jen’osaispasproférerunmot.

—Sesconseilssontsages,renchéritMurdochtoujoursaussisereinement.Jeremiah ne quittait pas Christy des yeux. Elle commençait à perdre un peu de son assurance. Le

regard qu’il posait sur elle était si intense, si agressif, qu’il aurait déstabilisé le plus vaillant desadversaires.Ellemejetauncoupd’œilàladérobéeetrevintàJeremiahensepassantlalanguesurleslèvres.

—Trèsbien,décida-t-ilenfin.Maisjen’attendraipasleretourdevossentinelles,Murdoch.Jepars

maintenant,etn’espérezpasm’endissuader,mapatienceadépasséseslimitesdepuislongtemps.—Jeneleferaipas,luiassuracedernier.Dois-jevousfaireescorter?—Sûrementpas!objecta-t-il.Àmoinsquevousneteniezàperdreundevoshommes.Jenesuispas

d’humeuràêtrematerné!Murdochacquiesçad’unsimplegestedumentonetsetournaversmoi.—Partirez-vousaussi,Hannah?—Non,répondis-jeavantqueJeremiahnes’yoppose.JeresteavecLeith.Jem’adressaiàlui,hésitante.—JesuggèrequeGrigorevousaccompagne.Ilpourraits’avérertrèspersuasifavecSlater.—Horsdequestion.Çasepasseentreloups.AucunAngeNoirneseramêléàça.Ilslesontdéjà,eus-jeenvied’ajouter.Maisjem’enabstins.Ilenavaitparfaitementconscience.—Dans ce cas, demandez le concours deKeith Forbes, de Dan et… de John. Comme nous vous

l’avons expliqué, Keith a interrogé Slater peu de temps avant que nous arrivions ici. Dan et John setrouventaveclui.Johnsaurajoindresonpèresicelui-ciresteintrouvable.Sonaidevousseraprécieuse.EtDan,mafoi,ilvousaideraaussi.

Cette fois, il approuva et j’en fus soulagée. John Slater était manifestement un homme plein deressources,j’étaisrassuréequeJeremiahn’yaillepasseul.

—Jeseraideretourdemainsoir.Sansfairedurerl’entretienpluslongtemps,ilsaluaChristyd’unhochementdetête,Murdochs’écarta

sursonpassage,etilsortit.—Jevousremercie,ditMurdochàChristy.—J’aiplaidécequejepensaisêtrejuste.Murdochsourit.—Vous n’êtes pas une bana-bhuidseach pour rien. Les vôtres ont toujours fait preuve de grande

sagesse.Christyhaussalesépaulesavecnonchalance.— C’est surtout que vous ne nous avez pas laissé beaucoup d’autres choix. Autant que vous le

sachiez:siJeremiahmel’avaitdemandé,j’auraistrouvéunmoyend’endormirsonfilscentansafinqu’ilmènel’enquêtetranquillement.

Murdochparutsurpris.— J’aimerais connaître la raison pour laquelle vous leur venez en aide ? l’interrogea-t-il plus

sérieusement.Quelestvotreintérêt?Christyarquaunsourcilrailleur.—Etvous,Murdoch?Pourquoileurvenez-vousenaide?Quelestvotreintérêt?—Aucun.C’estunequestiond’affection,répondit-ildutacautac.Elleremontaleplaidsursesépaulesetluienvoyaunsourireexagérémentétiré,agrémentéd’unclin

d’œilquilaissaMurdochcommedeuxrondsdeflans.—Alorsnousnouscomprenons.

Chapitre12

Cettejournéeavaitétéplusfraîchequed’habitude.Leventsoufflaitviolemmentetlecielsechargeaitdenuages.Laprochainepluieseraitverglaçante.Jeplissailesyeuxversl’horizonetfrissonnai,lesoleilcommençaitàdécliner.Commentpouvait-onaimervivredanscescontréesenpleinhiver?Iln’yavaitrien.Pasl’ombred’uninsecte,d’unarbrevigoureuxoud’uncoursd’eauruisselant.Toutsemblaitfigé.Lafauneétaitcommeéteinte.Jerabattismacapucheetlaissaiéchapperunprofondsoupirformantunfiletdebuéedevantmonvisage.

AufuretàmesurequenousavancionsaveclaMeutedanslacombebrûléeparlefroid,laneigegeléecraquait sous nos pas. Nous étions frigorifiés, mais c’était le prix à payer pour discuter en toutetranquillité.Nous avions d’ailleurs dû parcourir un bon kilomètre sans que personne ne tente de nousretenir.Calummort,Murdochavait faitsupprimer l’obligationà laquellenousétionssoumisdenepasdépasser les premières limites de la communauté.Cependant, on nous surveillait, nous l’avions senti.Mêmes’ilfaisaitmontredediscrétion,nousavionsperçulegardehommidécachéderrièrelesrochers,plusieurscentainesdemètresderrièrenous.

—Etmaintenant?medemandaÉtienneencontinuantàregarderdroitdevantlui.Ilsepassequoi?—Nousn’avonstoujoursaucunenouvelledeDariusoudePitt,ajoutaGeorgia.Je luidécochaiun regardenbiais.Darius avait été longuement torturépar les créatures strigoii. Il

n’étaitplusvraimentlemêmedepuis.J’avaisconsciencequecequ’ilétaitentraindefaireétaithéroïque.QuantàGwen,j’admiraissoncourageetsadétermination,maisellen’avaitjamaisétécapabledefairedu mal à une mouche. Non. Personne n’était à la hauteur pour défier les monstres qui nouspoursuivaient…

JeregardaidroitdevantmoienrépondantàGeorgia.—Jesais…,murmurai-je.Cequejenesavaispas,c’étaitsijedevaisenêtresoulagéeoupas.—Qu’enditGrigore?voulutsavoirÉtienne.Jehaussailesépaules.—Rien.Iln’ensaitpasplusquenous.—Pourquoireste-t-ilici?lançaGeorgia.Ilpourraitrentrerchezlui.Retrouverlessiens.Cen’estpas

soncombat.Jehochailatêteàdéfautdedirequ’ilnepouvaitpaspartiràcausedemoi.Ellen’auraitpascompris.

Personne,dureste.—DariusetGwensontpeut-êtredéjàmorts,lâchasoudainAnneas.

—S’ilsétaientmorts,nous le serionsdéjàaussi,Anneas ! répliquai-je spontanément.Ne t’imaginepasquelesGuerriersdel’ombrevontnousenvoyerunemissivepournousprévenirdeleurarrivée.

—Mais es-tu seulement certaine qu’ils vont vouloir vous retrouver,Grigore et toi ?Vous êtes icidepuistroisjoursettoujourspasl’ombred’unguerrierstrigoï!

—Ilsnouschercherontpournouspunir.C’estplusqueprobable.Cependant,l’affirmerrevenaitàadmettrequeDariusetGwenétaientmorts,ceàquoijerefusaisde

penser. Jeme rebellais de toutesmes forces contre cette idée,mais paradoxalement,mon instinctmehurlaitqu’onn’échapperaitpasauxcréaturesdelanuit.

—Donc,enattendant,queva-t-ilsepasser?répétaÉtienned’untonégal.— Jeremiah est parti hier soir pour interroger Dageus Slater avec Dan, John et Keith Forbes. Si

demain ils apportent la preuve à Leith qu’il a étémanipulé, nous quitterons cet endroit plus vite queprévu.

—CequinerèglepasleproblèmedesGuerriersdel’ombre,notaÉtienne.—Eneffet,confirmai-je.Unpasàlafois.Anneasstoppanet,excédé.—Hannah.Leschosesn’arriverontpasforcémentdansl’ordrequinousarrange.Croirelecontraire

serait unebêtisedangereuse.Tu refusesd’imaginerqu’il apuarriverquelquechose à tes amisAngesNoirs,maislavérité,c’estquelescréaturesstrïgoiipeuventdéciderd’attaquern’importequand.Cesoir,demain…PendantcettestupidefêtedelaNativité.Onnesaitpascequipeutleurpasserparlatête!

Jehaussaiunsourcil.—Quellefête?—Toutlemondeenparle!s’exclamaGeorgia.Tousles3février,lesmembresdelaCommunautédu

Sutherlandserassemblentpourcélébreran-diughbreith, le jourde lanaissancedeTyros, lepèredesloups.Etc’estdansdeuxjours.

Jeclignaidespaupières.—Le3février?Jen’enaijamaisentenduparler.—Parcequenousnelafêtonspas,expliquaAnneas.Personneneconnaîtladatedenaissanceexacte

deTyros,nimêmes’ilavraimentexisté.Parcheznous,ons’enmoque.—Maisici,ondiraitquec’estunévénementimportant,relevaGeorgia.Ilyauraungrandbanquet,les

gensdanseront,chanterontetsemettrontsurleurtrenteetun.—Oùest-cequeçavasedérouler?demandai-jed’unevoixmorne.DanslaCathédrale?Als’yétaitbattu,etilyétaitmort.L’endroitn’endevenait,certes,pasconsacrépourautant,maisils

nepouvaienttoutdemêmepasbalayercequis’étaitpasséetfoulerdeleurspieds,l’airderien,lesangquitachaitencorelesoletlapierre?

Soulagée,jevisGeorgiasecouerlatête.—D’aprèsceque j’aicompris, ils ferontungrand feuà l’extérieur,grillerontdugibier, etboiront

jusqu’àplussoif.Àconditionqu’ilfassebeau…Et comme pour prouver ses dires, nous entendîmes presque aussitôt des rires rauques s’élever en

amont, puis un groupe d’une vingtaine de chasseurs hommidés et galbros apparurent de derrière unamoncellementderochesbrillantesdegivre,àunebonnecinquantainedemètresdenous.Aumoinsdixd’entreeuxportaientchacunsurleurdosungigantesquecerfauxboisimmenses.Presqueaussigrandeetgrassequ’unponey,uneseuledecesbêtespourraitnourrirunetrentainedepersonnes.Certainshommesempoignaient des lièvres par les oreilles, tandis que d’autres transportaient des bouquets de saumonssauvagesquipendouillaientauboutdelongsbâtons.

—Ilssontmotivés,lesgars!semoquaÉtienne.Lestourbièressontquasisansvie.Ilsontdûparcourirdeskilomètrespourtrouvertoutecettebouffe!

Puisilsetut, ilsavançaientversnous.UnHispofendit latroupeet jereconnusleguerrierquinousavait aidées, Christy etmoi, la nuit où elle avait récolté des racines d’ulex. Il avait tressé ses longscheveuxbrunsderrièreledosetavaittroquésesvêtementsdecombattantcontreunetenuetraditionnelledechasse :uncarquoisetunarc logéssur l’épaule,uneample tuniquenoireetépaisseserréeparuneceinture d’arme, une veste sans manches à fourrure, un pantalon large et de courtes bottes en peauretournée.J’admiraissonallurebrute,lorsquejem’aperçusqu’ilmarchaitdroitsurmoi.Quandilarrivaàmahauteur,ils’arrêtaetlaissasescompagnonscontinuer.Ilétaitsigrandquejedusleverlementonpourleregarderdanslesyeux.

—Vousavezfaitcequ’ilfallait,dit-ild’unevoixtranquille.Nousnouscomprîmes.J’acquiesçaid’unhochementdetête.Etbrusquement,ilmetenditlamain.—Craig.C’étaitinattendu.ÀpartMurdochetlajeuneFreya,aucunmembredelaCommunautéduSutherlandne

s’étaitabaisséàmesaluer.Déconcertée,jerefermaimesdoigtssurlessiens.—Hannah.— Tout le monde sait qui vous êtes. Votre présence n’est pas passée inaperçue. Ici, ils n’avaient

encorejamaisrencontrédefaol-creutairdetouteleurvie.J’arquaiunsourcil.—Maisvous,oui?—JesuisnéàNewYork.Onvoittoutessortesdegens,là-bas.—NewYork?s’étonnaAnneas.CommentungarsdeNewYorkpeut-ilfinirdanscetrou?Leguerrierleconsidéraavecuneintensitédésarmante.—Quandlafoiestplusgrandequel’intérêtpersonnel.—Vousn’avezpasd’accent,murmurai-jepourromprelemalaisequis’étaitsoudaininstallé.Seslèvress’étirèrenttrèslégèrementencoin.—Si.Celuidemonpère.—Hé!Craig!hurlaunevoixmasculinederrièrelui.Tucompterasfleuretteplustard!Onadupain

surlaplanche!—Jennynevapasapprécier!s’esclaffaunautre.Tuvastefairebotterl’arrière-train!J’écarquillailesyeuxdesurprise.Gêné,leguerriersepassaunemaindanslescheveux.—Veuillezlesexcuser.Jeluisourismécaniquement.—Cen’estrien.—Toutesmescondoléancesàvotrefamille.JesuisdésoléqueleLupusnes’ensoitpassorti,dit-il

soudain.Ilétaitbrave.Jedétournailesyeux,incapabledecachermatristesse.—Ilétaitbiendavantage,murmurai-jed’unevoixàpeineaudible.Ilvabeaucoupnousmanquer.Leguerrierhochalatête,saluamesamisetrejoignitlessiens.—Quiest-ce?m’interrogeaGeorgia.—L’undesraressoutiensquenousayonsici.C’estenquelquesortegrâceàluiqu’Alastairavaincu

Calum.Alors,jecommençaiàleurexpliquercequeChristyavaitfaitpouraiderAl.Mavoixsebrisaavant

quejenefinissedeleurraconter.Nousavionséchoué.Alétaitmort,etBonnieseretrouvaitprivéedelamoitiédesoncœur.Éternellement.

Touchée,Georgiameserracontreelle.—Nousaurionstousvouluqueçasepasseautrement.Jesuistellementdésolée…—Nouslesommestous,renchéritAnneasavecdouceur.Jeravalaimeslarmesetrelevailatête.C’était ainsi.Désormais, ilnenous restaitqu’àprier l’Espritpourque lamortarrête là sonœuvre

macabre.Minah,Julia,Simon,Al…Çacommençaitàfairebeaucoup.Hélas,ilsuffiraitquelesGuerriersdel’ombrenoustrouventicipourquenosprièresrestentvaines.Certes,sinousétionsavertisàtemps,tousnemourraientpas,maislespertesseraientconsidérables.Peut-êtreaussiparmilesmiens.Ungoûtamermetapissalalangue.Lapeurgonflaitsipuissammentenmoiquejeneparvenaispasàimagineruneautreissue.

QuiétaitShona?Sielleavaiteuunrôleàjouer–cedontjenedoutaispas–,quelavantagetirait-elledecettesituation?DageusSlaterl’avait-ilpayéepourmanipulerLeithcommeunpantin?EtsiJeremiahéchouait?S’iln’arrivaitpasàtempspournouspermettredepartirviteetépargnertouscesgens?EtsiChristy ne découvrait jamais qui avait jeté un sort àLeith, et pourquoi ?Toutemon âme espérait queJeremiahrevienneavecdesréponses.Detoutesmesforces.

—Quoiencore?s’écriaÉtiennelorsquelacornedebruneretentitàplusieursreprises.Noussursautâmes.Sonbruitneprésageaitjamaisriendebon,etcettefois,ilsonnaitcommeunglas.

Nousdécidâmesdefairedemi-tourpourcomprendredequoiilretournait,etatteignîmeslesEntraillesen

quelques minutes. À la différence de l’annonce du jugement de Bonnie, personne ne se précipitait àl’intérieur.Leschasseursquenousavionscroisésdiscutaientpaisiblementdevant la faillemenantà lagrotte,etlesfemmesbrodaientàl’emplacementhabituel,profitantdesderniersrayonsdesoleil.Riennesemblait perturber leurs activités. Intriguée, je m’approchai d’une Hommidé aux cheveux blancs sebalançantlibrementdanssondos,etluidemandaicequesignifiaitcettealerte.Ellelevalesyeuxetlesécarquilla, surprise que je m’adresse à elle. Elle ne se décida à me répondre qu’après de longuessecondespasséesàm’observer.

—Septjoursdedeuiletd’isolement.C’estcequeçaveutdire.—Pourqui?l’interrogeaGeorgia.Lacommunautétoutentière?Lavieilledamesecoualatête.—PourlaveuveduLupus.—C’estcequ’onluiimpose?m’indignai-je.Ellehaussalesépaules.—Qu’est-cequej’ensais?Ellen’estpasdemafamille.Puiselleretournaàsesaiguillesaveclavolontédeneplusnousprêterlamoindreattention.—JevaisallervoirMurdoch,annonçai-jetandisquenousnouséloignions.Georgiahochalatête.—Veux-tuquenoust’accompagnions?Déterminée,jeluifissignequenon.—Trèsbien.Nousregagnonsnosquartiers.Tiens-nousaucourant.J’acquiesçaietm’engouffraidanslagrotte.Jesuivislescouloirs,traversail’Agoranoiredemondeet

atteignislasalledutrôneoùdemeuraithabituellementleLoupSuprême.Ilyétaitassis,entourédeRoryetdesquatremembresduConseil.Murdochsemblaitusé.Alorsque je l’avais trouvésisolide, fieretalerte,ilmeparaissaitavoirprisdixansd’uncoup.

—Hannah,m’accueillit-ild’unevoixmorne.J’allaisvousfaireappeler.— Je suis au courant pour Bonnie, commençai-je avec hargne. Est-ce vous qui l’avez obligée à

s’isoler?Murdochsemblaprofondémentchoqué.—Non,faol-ur.Manièceachoisiderespecternostraditions.Elleenafaitlademandeelle-même.—Pourquoi?aboyai-je.Vostraditionsluionttoutpris!Pourquoileshonorerait-elle?Àbout,j’enflaisd’agressivitéetdecolère,maisMurdochposasurmoiunregardbienveillant.—Parcequ’elleestdesnôtres,Hannah,qu’elleest icichezelleetqu’elleabesoindeseretrouver

seuleavecsonchagrin.Devantlapatienceetlasincéritéqu’ilavaitemployées,jen’eusd’autrechoixquedem’adoucir.—Puis-jelavoiravantqu’elleneseretire?Ilclignadespaupières.

—Justement.Ellet’attend.

Bonnie était installée non loin des appartements de son oncle, au fond d’un long couloir que seulMurdochavaitl’habituded’emprunter.Lapiècequ’elleoccupaitétaitvaste,spartiateetsombre,àpeineéclairéeparunetorcheetunchandelierdansuneencoignure.Unepaillasse,unetable,unechaise,untapisen peau, unemalle supportant un broc d’eau, une carafe et une tasse en étain. C’était tout ce que sachambrecontenait.

Bonniemetournaitledos.Faceaumurdufond,ellecontemplaitlesflammestranquillesdesbougies.Elleneportaitpasdenoir,commel’auraientfaitlaplupartdesgens,maisunelargerobeblancheetuneépaisseétolequ’elleavaitdisposéesursatête.

—Entre,Hannah,m’invita-t-ellesansseretourner.Jepénétrai àpasdeveloursdans cequime faisait pluspenser àun tombeauqu’àunechambre, et

attendis.Bonniepivotalentementetmefitfinalementface.En voyant son visage, j’eus l’impression de recevoir un coup de poing en pleine figure. Aucune

émotion ne s’y reflétait. Ni peine, ni colère, ni lassitude. Rien de tout ça. Comme si Bonnie s’étaittotalementdéconnectéedelaréalité,quecequivenaitdesepassern’avaitpaslamoindreemprisesurelle. Il était pourtant indéniable que c’était tout le contraire. Bonnie souffrait. Mais elle souffraitdignement,ensilence.

—Jet’attendais,dit-elled’unevoixmaîtrisée.Assieds-toi.Duplatdelamain,elledésignasapaillasse.Sansbruit,jem’yinstallaietpatientai.Elleseservitde

l’eau, but tranquillement à sa tasse et prit place près demoi. J’avais la gorge nouée, les intestins encompoteetn’osaiproférerunsondepeurdenepastrouverlesmotsjustes.

Bonnieretirasonfoulardetj’étouffaiuncridestupeur.Ellen’avaitplusuncheveusurlecrâne,elles’étaitentièrementrasée.Ainsi,sesgrandsyeuxvertsluimangeaientlevisage,onnevoyaitqueça.

—Ilsrepousseront,dit-ellesimplement.—Mais…Elleposaunemainfraîchesurmajouepourlacaresserdoucement.—J’aiperdulapersonnequim’étaitlapluschère,quesontdescheveuxencomparaison?Jenesusquoidire. Jen’essayaimêmepasdecomprendrepourquoielle l’avait fait.Cen’étaitpas

important.—Lamoitiédemoncœurvientdem’êtrearraché,Hannah.Nelaissepasletienêtreaussimalmené.

Récupère l’homme que tu aimes. Bats-toi. Le temps sur cette Terre nous est compté. Chaque minuteécoulée est perdue, ce que tu aurais pu choisir de faire pour la combler et que tu n’as pas réalisé,également.

—Ilneveutpasdemoi,Bonnie.

—Enes-tuvraimentsûre?Jenerépondisrien.—Regardeaufonddetoi.Qu’yvois-tu?—Lapeur,l’incertitude,avouai-jeenmefaisantviolencepournepaspleurer.Bonniesouritdoucementetenfermamesmainsdanslessiennesavantdelesposersursesgenoux.—Cettenuitétaitlapremièrequejepassaisseuledepuisvingt-cinqans.Seuleavecmoi-même,mes

doutesetmesespoirsdéchus.Ilyatantdechosesquej’auraisvouludireàAlavantqu’ilrejoignesesancêtres. J’aurais aimé lui offrir un cœur en paix, qu’il sache que je lui pardonne ses erreurs et sesmaladressespassées,quejesuiscontritepourlesmiennes,quejeneregretterienetqu’ilnesubsistequelemeilleurdenous.

Sesyeuxbrillèrent,alorsquelesmiensétaientauborddeslarmes.— Je donnerais n’importe quoi pour gagner quelques heures, souffla-t-elle. Juste un peu plus de

temps…Maistoi,tuenas,Hannah.Nelelaissepast’échapper,tesurprendre,tevolerunemoitiédetoi.Toutestpossible,rienn’estencoreperdu.Leithestl’enfantquejen’aijamaiseu.Jeconnaissoncœur.C’estunêtrebonetsensible.Ilnesesouvientderien,c’estvrai,maisilretomberaamoureuxdetoi,sois-encertaine.L’Espritestplusfortquetout.Plusfortquenous.Plusfortquevous.

Mes doigts enserrèrent les siens. Sesmots étaient un baume bienfaiteur. Exactement ce que j’avaisbesoind’entendre.Bonnieavaitraison,jedevaismebattre.Leithetmoiavionsencoretoutesleschancesdenousretrouver,carnousétionstoujoursenvie.Leithétaitpousséversmoiparuneforceinvisiblequiledépassait,maismoi,jelasentaisbeletbien.Ellenousenveloppaitdesadoucecertitude.LesregardsqueLeithposaitsurmoiétaientintensesetprofonds,soninquiétudeàmonégardpresqueirrépressible.Iln’ypouvaitrien.TouteslesShonadumonden’ypourraientrien:oui,tôtoutard,ilmereviendrait.

—Murdochm’aexpliquéqueJeremiahétaitparti.C’estmieuxainsi,ilvafinirpardevenirfous’ilrestelàsansrienfaire.

—Jesuistellementdésolée,Bonnie,éclatai-jesoudainensanglots.Jemesenssiresponsable.—Non,non!mecontredit-elleenmeserrantcontresapoitrinepourmecaresserlescheveux.Non,

monpetit…Tun’yespourrien.C’estlacupiditédel’Hommequiestencause.—Alneméritaitpasdemourir…J’entendisausouffledeBonniequ’elleseretenaitdepleurer.Ellemetapotaledos,seredressaetprit

mesjouesentresesmains.—Tuesundiamantdelaplusbelleeau,Hannah,nel’oubliejamais.Notrevieestdevenueplusdouce

lorsque nous t’avons rencontrée, parce que tu as réconcilié deux frères qui se déchiraient depuis desannées.AlauraitdonnédixansdelasiennepourêtreànouveauprochedeJeremiah,ettul’asfait.Tulesas réunis. Il t’appréciait énormément. Tu n’imagines pas à quel point il t’était reconnaissant d’avoirprovoquéleursretrouvailles.

—Jevoudraistellementqu’ilsoitencorelà…

—Moiaussi,Hannah,moiaussi…Ilm’asauvélavie,maisilaégalementouvertlaCommunautéduSutherland sur une ère nouvelle. Il a fait prendre conscience à mon peuple que nous n’étions pas sidifférentslesunsdesautres,quenousétionscapablesdedéfendrejusqu’àlamortcequ’onaimeetceàquoioncroit.Als’estmontrédigne,iln’estpasmortpourrien.

—Non,sanglotai-jeàmi-voix,iln’estpasmortpourrien…

JequittaiBonnielecœurlourd,etretrouvaiChristydanslasallecommuneoùnousnousrestaurâmesdemanièrefrugaleetdiscutâmeslongtemps.Nousétionsseules,etparcequenousn’avionspasvraimenteul’occasiondenouslavercorrectementdepuisnotrearrivée,jeluiproposaid’allernousbaigner.JemesouvenaisqueFreyam’avaitparléd’unesourced’eautièdeaucœurmêmedesEntrailles,etàdeuxpasdenosquartiers.Sonaccèsétaittantôtréservéauxhommes,tantôtauxfemmes,maisilétaitdéjàtard,etjedoutaisquenouspuissionstombersurquiquecesoit,c’estpourquoiChristyn’hésitapasàdireoui.

Nousrassemblâmesquelquesaffairesavantdepénétrerdansunecavitéeffectivementvideetcreuséeparunevasterésurgenced’eauclairedontlatempératureplusélevéequ’àl’extérieurcréaitdesvolutesdevapeur.Iln’yavaitpasâmequivive,pasmêmeunlingeoublié,unsavonoulapluspetiteépingleàcheveux.Seules les sempiternelles torchesmuralesne faisaientpasdéfaut etpourune fois, éclairaientjoliment l’endroit, le rendant plus accueillant que des bains turcs. Nous retirâmes nos vêtements etentrâmes avec délectation dans ce bassin que je trouvais personnellement plus frais que tiède,mais ôcombienprovidentiel.Mesmuscles,bandésàl’extrême,sedétendirentpresqueaussitôt.Jesoupiraidebien-être et fermai les yeux un instant. Christy se pencha sur sa sacoche de médecin pour fouiller àl’intérieur.Jehaussaiunsourcilenlaregardantfaire.

—Qu’est-cequevouscherchez?—Leparadisdansunflacon!s’exclama-t-elleenagitantunetoutepetitebouteilledeshampoing.Malgrémoi,jenepusm’empêcherdeglousser.—VousêtesunevéritableMaryPoppins!—Ettun’asencorerienvu!Etellerévélaplusieurséchantillonsdegeldoucheetdeparfum.— Soit, grommela-t-elle, c’est pour homme, mais ça fera quand même bien l’affaire. Je ne

m’imaginaispasmelaveravecleurespèced’huilesavonneusenauséabonde.Maisattends…Elles’étiraunpeuplus,enfonçantcomplètementlamaindanssonsac.—Tadam!Lacerisesurlegâteau!Ellebranditunrasoirjetablerose,unlargesourireauxlèvres.—Mamèrenesortaitjamaissanssapinceàépiler.Moi,j’aitoujoursçasurmoi!Nousnouslançâmessurlescosmétiquesetnousoffrîmesunpurmomentdedétente.Jepusmelaver

lescheveuxàdeuxreprises,nepensantd’ailleurspasyavoirdéjàtrouvéautantdeplaisir,jemerasailes

jambespourlapremièrefoisdemavie.Jemetartinaidegeldouche«boisdecèdreetminéraux»,memassailesorteilsavecunrestede«caféetbaied’açaï»etfinisparmesentirproprecommeunsouneuf.Christyetmoiobservâmeslesflaconsvidesengrimaçant,songeantquenousneprofiterionsplusdeceluxeavant longtemps.Nousnous rhabillâmesenvitesseetquittâmes lesbainsauboutdedeuxbonnesheuresaumoins.

Lecorpsrevigoré,j’eusl’impressiond’êtrepresqueaussilégèrequ’uneplumeetplusdéterminéequejenel’avaisétédepuisprèsdedeuxsemaines.

—J’aimeraisparleràLeith,annonçai-jeàChristysurlecheminduretour.Toutenmarchant,lasorcièremejetaunœildecôtésansriendire.—Jel’aibrutalementrejetéhier.—Pourquoi?—J’aiétéidiote.Iltentaituneapproche.Ellearquaunsourcil.—Dequelordre?—Dugenredequelqu’unquiaenviedeprendresoindemoietquisedemandepourquoi,maisquine

résistepasparticulièrement.Jel’airenvoyétoutdroitdanslesbrasdeShona.EtGrigoreestintervenu.—Ah.LebelAngeNoir,détermina-t-ellel’airderien.Tuluiplaisbeaucoup.Jehochailatête.—Qu’aimerais-tuluidire?—Jenesaispas…Sûrementque…jesuisdésolée.—Etqu’est-cequiteretient?Jesoupiraidelassitude.—Cetendroitestunvéritablelabyrinthe.Ilpeutêtren’importeoù.Christyritdoucementdunez.—Tonflairteferait-ildéfaut,Hannahlalouve?Ellesemoquaitgentiment,maiselleavaitparfaitementraison.Depuisquej’étaisici,monodoratétait

complètementperdu.Jen’avais jamaisétéentouréed’autantdegarousà la fois,et j’arrivaisàneplusriensentirdutout.

—Parchance,ajouta-t-ellel’airderien,jesaisoùsetrouventsesquartiers.Nousnousarrêtâmesdevantlecouloirrocheuxquimenaitànosappartements,Christylevalesyeux

pourscrutermonregardinterrogateur.—Comment?—Comment,cen’estpasimportant,jeunefille.Cequil’est,c’estquejesais.—Iln’estprobablementpasseul,luifis-jeremarquer.IldoitpartagersonlogementavecShona.Christysouritencoinetsecoualatête.—Non.Ilsn’enontpasledroit.

J’ouvrislabouchepourdemanderpourquoi,Christyréponditavantquejenelefasse.—Murdochneleurenapasdonnél’autorisation.J’écarquillaidegrandsyeux.—Sousquelprétexte?Pasqueçamedéplaise,loindelà,mais…— Ils ne sont pas mariés. Que veux-tu, cette société est très à cheval sur les principes. Enfin…

officiellement,carofficieusement,toutlemondes’enmoque.—Ilafaitçapourmoi?—Enattendantd’éclaircircetteaffaire,oui.Alors,quedécides-tu?Christyclignaitdespaupières.Jen’étaisfinalementplustrèssûre.Puismerevintàl’esprittoutema

conversation avec Bonnie. Se battre. Ne pas laisser échapper le temps. User de chaque minute pourretournerlasituation.

—Conduisez-moi.

J’euslasurprisedevoirquelesquartiersoùse trouvaitLeithn’étaientpasaussiéloignésqueje lepensaisdesnôtres. Ilssesituaientàproximitéde l’endroitoù je l’avaisdécouvertenarrivant ici, toutprochedescommercesetducentrevivantdesEntrailles.Pouryaccéder,ilsuffisaitdetraverserl’Agorad’estenouest,etdelongerlesarcadescontiguësaménagéespourlespotiers,lestanneurs,lesbottiersetdeux auberges. Je ne m’étais encore jamais rendue de ce côté-là du Cœur et restai bouche béed’admiration. Chaque voûte était supportée par deux immenses colonnes taillées à même la roche etfinementciseléesd’entrelacsceltiques.Lesolavaitétéparédelargesdallesdecalcaire,etlesplafondssemblaientintouchablestantilsétaienthauts.C’étaitsansaucundoutel’endroitleplusmajestueuxetleplusimpressionnantdecettecitésouterraine.

Nous longeâmes les arcades encore foisonnantesdemondeet aboutîmesdansunespace résidentielfréquenté.C’estenpassantdansunvastecouloirtrouédepartetd’autredeprofondesnichesoccupéespardesfamillesquejemerendiscomptecombienChristy,Jeremiahetmoiétionshébergésdansunlieuprivilégié,àl’écartdesregardsindiscretsetdubruit.Ici,lesgensvivaientpresquelesunssurlesautres,et dans une cacophonie assourdissante. Les enfants criaient, les conversations se superposaient, lavaisselles’entrechoquait…NousétionsloinducalmerégnantdanslapartieoccidentaledelacitédanslaquelleMurdochetlesAnciensétaientlogés.

Nousavançâmesjusqu’aubout,àl’embranchementd’ungoulotperpendiculaire.—C’estparlà,m’indiquaChristyendésignantlecouloir.Il était largement plus étriqué que celui où nous nous trouvions, cependant, il était éclairé de

nombreuses torcheset lanternespermettantdediscernersansmal lesouvertures, tout juste ferméespardesrideauxdonnantsurchaquehéberge.

—Dernièrenicheaufondàgauche,précisaChristy.Veux-tuquej’attendeici?

Jesecouaivigoureusementlatête.Christyéternuasiviolemmentqueplusieursgarousseretournèrentsurelle.Ellereniflaeteutunsourirecrispé.

— Je te remercie, car si je commence àm’habituer à toi, ce n’est pas le cas pour le reste de cescharmantsbipèdesàpoilscourts.Allez,respireunboncoup,toutsepasserabien.

Jemeretinsdeluiexprimerlefonddemapensée,luiremismesaffairesdebain,etavançailentementsouslesregardsscrutateursdeladizainedefemmes,d’hommesetd’enfantsdéambulantdanslecouloir.Jem’arrêtaiàmoinsdedeuxmètresdel’appartementdeLeith,etsentissonodeuretlesrelentsdecelledeShona.Ellen’avaitpeut-êtrepaslapermissiondevivreaveclui,maishélas,ellen’étaitpasinterditedevisite.Peum’importait.Qu’ellesoitlàoupas,j’étaisdéterminéeàvoiretàparleràLeith.Jeprisuneprofondeinspiration,mecomposaiuneexpressionavenanteetpoussaidoucementlerideau.

Monsouriresefigea.Shona se tenait sur la tableprincipale, assise à califourchon surLeith, la tête rejetée en arrière, la

poitrinedévoiléejusqu’àlatailleetlesjupesretrousséesenhautdescuisses.Immobileetincapabledeproférerunson,jeregardaisseslongscheveuxnoirssebalancerdansson

dospendantqu’ellebougeait lebassinpour l’exciter.L’hommeque j’aimais était sur lepointde fairel’amouràunefemme.Etcen’étaitpasmoi.Moncœuretmadéterminationsedéchirèrentenmêmetemps.MesespoirsetlesbellesparolesdeBonnieaussi.

LorsqueLeithmeremarquaetqu’iljura,jeprismesjambesàmoncouetm’enfuis.

Chapitre13

—Hannah!hurlaLeithderrièremoi.Je décampais comme si j’avais le diable aux trousses. Je courais aussi vite que me le permettait

l’exiguïtédescouloirs.L’instinctdepossessionpresqueanimalquigrondaitenmoimenaçaitd’exploserd’unesecondeàl’autre.J’allaistoutcasser.Riennemesemblaitplusimportantquedefuiretoubliercequejevenaisdevoir.Sijerestais,sij’affrontaisleregardcalculateurdeShona,sielledéliaitsalangueempoisonnéedevantmoi,jelatueraissansl’ombred’unregret.

—Bonsang!juraLeith.Hannah!Reviens!Jefonçaisdroitdevant,memoquantdesesinjonctionsetdesgensquejebousculaisviolemmentsur

monpassage.Jesortisdesgoulotsétriquéset,redoublantdevitesse,jemeprécipitailelongdesarcadesenslalomantentreleshabitants.Fuir.Fuir.Fuir…

—Hé!tonnaunHommidélorsquejeluifisperdrel’équilibreetqu’ils’étaladetoutsonlongsurlesol.

Jetournaiàpeinelatête,sautaipar-dessusunpanierdetuberculesposéàterreetcontinuaimacourse,déterminéeàm’isolerpourhurlermasouffranceetversertoutesleslarmesdemoncorps.

—Arrête-toi!brailladenouveauLeith.Rapidecomme l’éclair, ilme rattrapaenquelques fouléesetagrippamonpoignetpourme forcerà

stopper. Jemanquaide trébucher,meredressaide justesseet retiraibrusquement lesdoigtsqu’ilavaitreferméssurmoi,commebrûléeauferchaud.

—Lâche-moi!Prisaudépourvu,ilobtempéraetmeretintunesecondefois,alorsquejetentaisencoredefiler.—Çasuffit!gronda-t-il.Ilm’empoignafermementparlesépaules,etmesecouaviolemmentavantdem’immobiliserunebonne

foispourtoutes.—Tiens-toitranquille.Toutlemondealesyeuxfixéssurtoiettun’espasplusensécuritémaintenant

qu’ilyadeuxjours!Jeportailedosdemamainsurmabouche.J’étaisanéantie,maisplutôtmourirquepleurerdevantlui.

Jeravalaimeslarmesetsoutinssonregardflamboyantetnoirdecolère.Sesirisvertss’étaientpigmentésdedoré,denoir,etlesmusclesdesonvisageétaienttendusàl’extrême.Ilavaitlescheveuxenbatailleetsa tunique était entièrement délacée.Mon cœur se comprima. Elle l’avait touché. Elle l’avait touchépartout, s’était frottée contre lui, l’avait déjà pris en elle… J’avais envie de vomir. De vomir et de

mourir.—Jemedoutedecequeturessensetjesuisdésolé,maisjenesuispaslui,Hannah.Jenesuispas

lui,tucomprends?Je me mordis les lèvres, assommée par la réalité de ses propos.Mon cœur hurlait de révolte. Il

m’avait trahie.Menti.Trompée.Ladouleurquim’étreignait était si forteque jemanquaisdedéfaillir.Ellemebroyaitlesentraillesetlapoitrine,piétinaittousmesespoirs.Maisilnesesouvenaitpasdenousni de ce que nous avions partagé, d’aucune promesse que nous nous étions faite, d’aucun engagement.J’étais devenue une étrangère. Je n’avais pas le droit de l’accuser.La souffrancemeprenait de front,impitoyableetcruelle.Ceàquoijevenaisd’assisterétaitpirequecequej’avaisvujusque-là,pirequeceque jepouvais supporter.Non.Leithétait incapabledesedouterdeceque je ressentais. Iln’avaitmêmeaucuneidéedecombienilmefaisaitmal.

—Non,tun’espaslui,murmurai-je.L’hommequejeconnaissaisétaitmort.Ilneressemblaitenrienàceluiquisetenaitdevantmoi.Froid.

Distant.Siamoureuxd’uneautre.Jem’étaistrompéesurtoutelaligne.Jeneleretrouveraisjamais.—Jedoispartir,prétendis-je,d’unevoixfébrile.—Pourquoies-tuvenue?Quevoulais-tumedire?Jefermailespaupièresuninstantetgonflailesnarines.—Rien.J’aifaituneerreur.Ilfronçalessourcils.—Quelleerreur?La colère de l’Hommidé que j’avais bousculé m’épargna la peine de répondre. Il était furieux et

marchaitdroitsurnous.— Peu importe ! cinglai-je avant de tourner les talons. Tu étais bien parti, ne laisse pas la sève

redescendre,ceseraitdommage.Dépêche-toiderejoindreShona!Stoïque,iln’essayaplusdemeretenir.Jem’éloignaisanstarderetmefondisdanslafoule,nesachant

pas tropoùaller,quelledirectionprendrepourmecacherde lahontequimesubmergeait.Ladouleurm’oppressait, me comprimait les poumons au point de me faire regretter d’être encore capable derespirer,alorsquej’auraispumourirdesdizainesdefoisdéjà.Qu’avais-jeimaginé?Contrequoiavais-je cru pouvoirme battre ? Les certitudes d’un homme dont le cerveau avait été entièrement retourné,détraqué,lavédetoutcequiétaitsavéritablevie?Sonestimepourmoinedépassaitpascelled’untypepour une simple connaissance. Qu’aurait-il été en mesure de comprendre de mon charabia, de mesespoirsetdemesillusions?Commentaurait-ilseulementpuêtretouchéparcequejevoulaisluidire,parmadéterminationetlafoiquej’avaisennous?Shonaétaitbelle,parfaiteàsesyeux.Qu’ajouterdeplus?Leithpossédaitdéjàtoutcequesoncœurdésirait.IlcroyaitenShona,ilcroyaiteneux.Moi,jen’étaisqu’uninsectenuisible,collantetenvahissant.

Blessée,écœuréeettoujoursplusanéantie,jelaissaimeslarmescoulersurmesjouessanspouvoirles

retenir.Têtebaissée,jem’appuyaiuninstantcontrelarocheettentaidereprendremarespiration,demecalmer.

—Hannah?JelevailesyeuxetvislevisagedéconfitdeChristy.—Ques’est-ilpassé?Incapable de lui répondre, etmaudissant la Terre entière d’être aussimalheureuse, je la repoussai

brutalement et courusdans ladirectionopposée.Mespasmeconduisirentvers l’escalier interminablemenant dans les sous-sols de la cité. Je descendis les marches une à une, lentement, et avançai àl’aveuglette dans les brèches rocheuses. Je m’enfonçai toujours plus loin dans les profondeurs desEntrailles, résolue à tourner définitivement le dos àmonpassé si j’en avais la force. Il fallait que çacesse!Jenevoulaisplussouffrir.Jevoulaisqu’onm’empêched’avoirmal.Alors,commeanimésd’uneviepropre,mespiedsetl’Espritmeguidèrentlàoùjetrouveraisdel’apaisement.

Aprèsl’avoirtantrejeté,j’avaisunbesoinirrépressibledelui,instinctifetprimaire.Grigore.Ilétaitmonseulrecours,maseuleéchappatoire,l’uniquepersonneavecquijevoulaisêtremaintenant.Aufuretàmesurequej’avançais,moncœurbattaitplusfort.Mesveinespulsaientdansmestempes,derrièremesoreilles,moncouetmespoignets.Labêteenmoilaissaitplaceàquelquechosed’indomptable,deplusancien, d’immuable.L’AngeNoir que j’avais été refaisait surface dansmamémoire, plus fort quemavolonté,quemessens,plusfortquemaraison.Lebesoind’unalteregocrépitaitdansmonventreetsousma peau, rayonnant autour demoi comme un halo. Je prenais feu,mes artères bouillonnaient, chaquecelluledemoncorpsmetiraillait.J’avaismal.J’étaisnerveuse.J’avaispeur.Maismonsangappelaitlesien,etrienn’étaitplusimportantquedelesunir.

Auboutducouloir,lalourdeporteenboiss’ouvritbrusquement,etlasilhouettedeGrigoresedessinaplusieursmètresdevantmoi.Jem’immobilisaienvoyantsesépaulessesouleveraumêmerythmequelesmiennes.Nos respirations s’affolaient, nospoumons s’enflammaient.Magorge s’asséchait aupoint dedevenirdouloureuse.Nousnousobservâmessilencieusement.Pendantunlongmoment.Ilmesemblauneéternité.Jen’entendaisriend’autrequelesbattementsdemoncœuret lesouffleirrégulierdeGrigore.J’étaistétanisée,effaréeetsubjuguéeparl’intensitédesémotionsquimesubmergeaient.

—Hannah…Grigorefitunpasdansmadirectionets’arrêtadenouveau.—Tonsang…—Ilmebrûle,murmurai-je.Calmement,ilmetenditlamain.—Viens…Je ne bougeai pas. Mes pieds semblaient scellés dans la pierre, mes muscles alourdis et ma

déterminationvacillante.Jenefaisaispasuncaprice,jen’étaispassurlepointd’assouvirunevolontémineure.Lepasquejem’apprêtaisàfranchirallaitchangermonexistence,exposermonâmeetladiviser

enplusieursmorceaux.Quevoulais-jevraiment?Laréalités’embrouillait.Leith,Grigore,leurâme,lamienne.Quiétais-jevraiment?Moncœurétaitécartelé,déchiré,martyrisé,supplicié…Quiétaitmamoitié?Non.Jenedevaispluslutter,carmêmesilarévoltegrondaitenmoidepuislongtemps,j’étaistoutàla

fois,jel’avaistoujourssu,dèsl’instantoùceliens’étaitcrééentreGrigoreetmoi.Auplusprofonddemon être, je désirais l’amour de l’un et le sang de l’autre. Si puissamment… Par l’Esprit ! J’étaisincapabledechoisir.Ç’auraitétélestrahirtouslesdeux.

—Hannah!JesursautaienentendantlavoixdeLeithloinderrièremoi.—Va-t’en,Lupus!tonnaGrigore.Jefisvolte-face.Pourquoifallait-ilqu’ilmerejoigne?Pourquoin’était-ilpasrestéauprèsd’elle?Il

nemefacilitaitpaslatâche.J’étaissurlepointd’exploser.—Viens…,réitéradoucementGrigore.Viensàmoi.Leithfinitparapparaîtretoutauboutdelagalerie,songrandcorpsmassifprêtàbondiraumoindre

mouvementhostile.—Est-cequetuasdesennuis?chercha-t-ilàsavoirenmarchantdroitsurnous.—Hannah,insistaGrigored’unevoixgonfléededésespoir.—Est-cequetuasdesennuis?répétaLeithavecforce.Ledos collé contre la roche, je les regardais à tourde rôle sans savoirquoidire, quoi faire, quoi

décider.Qu’est-ce que Leith attendait demoi ? Pourquoi venirme chercher si c’était pourmieuxmerejeterensuite?Queressentait-il?Delaculpabilité?Del’intérêt?Del’affection?Delapitié?Dèslors,lavisiondeShonaondulantsurluimerevintdemanièresidistincte,siprécise,queladouleurmetransperçaunefoisdeplusetmoncœurseserraviolemment.Çafaisaitsimal!Tellementmal!Commejeledétestaisdemefairesouffrirautant.L’instinctdedéfensepritlepassurtoutlereste.Jevoulaisqu’ilsouffreluiaussi.Etàdéfaut,jesouhaitaisdetoutesmesforceséveillerenluiunsentimentdecolère,deregret,etdedégoût.Qu’ilsoitàmaplace,qu’ildeviennemoi.

Alors,sansréfléchirauxconséquencesdemesactes,j’avançaiendirectiondeGrigore.Quandjenefus plus qu’à quelques centimètres de lui, je tournai succinctement la tête vers Leith et articulaiclairement:

—Laisse-nous.SansdonneràGrigorel’occasionderéagir,j’empoignailecoldesatunique,etleplaquaicontrela

paroipourl’embrasseràpleinebouche.Stupéfait,ilseraiditetn’amorçapasungeste.Cefuttrèsbref,jem’écartai presque aussitôt pour jeter un coup d’œil à Leith. Il semblait pétrifié, assommé,indiscutablement choqué. Et je l’étais aussi, horrifiée dem’être délibérément servi de Grigore. Leith

demeuraquelquessecondesàm’observer,lesmâchoiresserrées,lesyeuxfixesetfroids.Puisilfitvolte-faceetdisparutdanslapénombre,sansmêmeunregardenarrière.J’étaisplusessouffléequesij’avaiscouru un marathon, incertaine d’avoir vraiment fait ce que je venais de faire. Fébrile, je levai lespaupièresversGrigore.

—Pardonne-moi…Ilhaussaunsourcil,déconcerté.—Pardonne-moi,Grigore,jen’auraispasdût’utilisercommeça.Lentement,ilportalamainàmajouepourmecaresserdoucementdurevers.—Tunem’aspassuffisammentutilisépourt’excuser,Hannah.—Grigore…—Jenesuisplusunenfant.Jesaisapprécierunesituation.Peserlepouretlecontre.Ilt’ablessée

unefoisdeplus,n’est-cepas?Jebaissailesyeux.—C’étaitdemafaute.Ileutdumalàétoufferunrirecynique.—Dequellebontéd’âmetufaispreuve!—C’étaitdemafaute,répétai-je,jen’auraispasdû…Ilposaunindexsurmeslèvres.—Chut.Jeneveuxpassavoir,Hannah.Devantlui,mêmesituastort,tuasraison.Viens.Ilmepritpar lamainetmefitpénétrerdanslesquartiersdéfensifsavantderefermerdoucement la

portederrièrelui.—Allez,respireungrandcoup.Etilsourit.L’atmosphèrelourdeetpesantes’entrouvapresqueinstantanémentdéliée.—Jetepriedem’excuserpourledésordre,continua-t-ild’untonléger,c’est toujoursaussisaleet

malfréquentéici,dit-ilenavisantlestablespoussiéreusesetlesgardesgalbrosquifaisaientleguetenhautde l’escalier. J’ai été sage, tupensesque jedevraisdemanderunepromotion ?Deprisonnier, jepourraispeut-êtrepasseraugradede…

—Tun’espasprisonnier,Grigore,l’interrompis-je.Ilricana.—Jedorsdansunecellule.—JepeuxentoucherunmotàMurdoch,jesuissûrequ’iltelogeraailleurs.Cettefois,iléclatacarrémentderire.—Ahoui,etoùça?Entrelesappartementsd’unCrinosetd’unHispo.Tuenasdebonnes,Hannah.

Allezva,net’inquiètepaspourcepauvreGrigore,ilenavud’autres!Jefronçailessourcils.

—Pourquoies-tusisarcastique?—JesuisreléguéicicommeunchienparcequejesuisunAngeNoir!C’estuncomblequandona

consciencequemoi,jen’aimêmejamaismarchésurquatrepattes.Sais-tuqu’ilafalluquejemegèlelesfessesdansunlochetquejecasselaglacepourmelaver?C’estpourlemoinsrustiqueetvivifiant.

—Ilyaunlacsouterrain,unpeuplusenamont.Peut-êtrequetupourrais…Ilarquaunsourcil.—Tuteproposespourmefrotterledos,gamine?—Jesuisdésolée…—Tun’arrêtespasdet’excuser,dis-moi.Jelefusillaiduregard.—Ettoi,tuesagressif.Ilhaussalesépaulesd’unairnonchalant.—Queveux-tu,c’est légitime.Çafaitdesmoisque j’espère teroulerunepelleet tumedonnesun

baisersibrefquejen’aimêmepasletempsdesavoirsij’aiaiméoupas.Jesais,jesais,ajouta-t-ilenvoyantmaminemédusée,jesuisunincompris.Tumelemontrescelac?

Sonregards’étaitfaitsiespièglequejenepusm’empêcherdesourire.—J’yai repéréquelques renfoncementsdans la rocheenypassant.C’esthumide,maispropre.En

attendantquejeparleàMurdoch,tupourrasenprofitercettenuit.Lesgaleriesneserontpasfréquentéesavantplusieursheureset…tusaistefaireparticulièrementdiscret.

Devantlecompliment,seslèvress’étirèrentencoin.—Moi,oui.Monodeur,unpeumoins.Je grimaçai en songeant aux effluves désagréables de rance et de métal que percevait un garou

lorsqu’ilsetrouvaitàproximitéd’unAngeNoir.J’yétaishabituéedepuislongtempsetnelesremarquaisplus.J’avaisétéunvampiremoi-même,çaaidait.

Nousréunîmesdeuxoutroisbricoles,commeunoreiller,unecouverture,unepeaudemouton,etnousrejoignîmeslarésurgenced’eauauboutducouloir.Grigoresifflaenvoyant toutes les lanternesbleueséclairées,illuminantdoucementlacavité.

—Tunem’avaispasditqueceseraitsiromantique,merailla-t-il.—C’estparcequejenetesavaispasaussifleurbleue,trèscher!Ils’enamusa,etcherchadesyeuxlemeilleurendroitoùpasserlanuit.—Là!D’unbond,ilseretrouvadeuxmètresplushautets’accrochaàlaparoi.Ilseglissaagilementdansune

faille,regardaàl’intérieuretressortitlatêteavecunsouriresatisfait.—C’estassezprofond,jedoutequ’onviennem’ydéloger.Bon,c’estunpeurustique,maissijeme

metsdedans,çaatoutdesuiteplusdeclasse.Jetefaisvisiter?Jesourisetsecouailementonavantdeluilancersesaffairesqu’ilattrapad’ungesteleste.

—Jevaisregagnermesquartiers.Christydoitsedemandercequejefabrique.Jeremiahserasûrementderetourdemainmatin.Jetetiensaucourant.

Lesyeuxplissésetrivéssurmoi,ilneréponditrien.Jetâchaidenepasprêterattentionàlamanièredontilmefixait,etcommençaiàmarcherendirectiondelasortie.

Jen’entendispasGrigoresauter,pasplusquejeneperçussespaslorsqu’ilmerejoignit.Ilposalamainsurmonépauleavantquejen’atteignelagalerieetmefitmeretournerd’uncoupsec.

—Nousn’avonspasfinidediscuter.Soudainplusapeuréequ’unpetitanimal,jedétournailesyeuxpourchercheràfuir.—Tonsangappelaitlemien,chuchota-t-il.Àcesmots,jesentisdespicotementsmeparcourirlesveines.Moinonplus,jen’avaispasoubliéla

brûlure.Grigoreinclinalatêteetapprofonditl’intensitédesonregard.—Tuétaisprête.Jemetus,incertainedelarépliqueàformuler.—Oserais-tuprétendrelecontraire,Hannah?J’enétaisincapable,non.—Quandt’es-tunourripourladernièrefois?demandai-je,netrouvantpasquoidired’autre.Sonregardn’avaitpasquittélefonddemesyeuxquandilréponditd’untonrauque.—Troplongtemps.Uneexpressionfulgurantedeconvoitisepassasursafigure,etjesusquec’étaitàmoiqu’ilaimerait

s’abreuver. Je cessai de respirer. Alors, Grigore glissa unemain derrière ma nuque et fit lever monvisageverslesien.Sesirisavaientprislacouleurmétalenfusion.

—Utilise-moiencoreunpeu,Hannah.Jesecouaifrénétiquementlatêtededroiteàgaucheetfermailespaupières.—Non…—Utilise-moi,gronda-t-il.—Jenet’embrasseraiplus.—Cen’estpascequej’attendsdetoi.Regarde-moi.—Non.—Regarde-moi!Cette fois, j’obéis.Lapointede sescaninesdépassaitde ses lèvres.Fascinéeet effrayéeà la fois,

j’étaisincapabledelesquitterdesyeux.—Dis-moicequetusouhaites,exigea-t-ilàvoixbasse.J’étaisenpleineconfusion,nesachantpassijedevaisfuirouaccueillirl’inévitable.Jen’étaisplus

fichuedeformulerlemoindremotnidefairelemoindregeste.—Hannah…Ilfitunpasenavant,etm’acculacontrelaparoi.

—Ehbien,moi,jevaistedirecequejeveux,murmura-t-ilàmonoreille.Jeveuxtaveine.Lasentirpalpitersousmalangue,s’affoler.Jeveuxlalécheretm’yabreuver.

Désespérément, j’essayai de retrouver l’axe de raison quime donnait la force de résister, mais ilm’avaitlâchementabandonnéeàl’instantoùcesmotsavaientfranchiseslèvres.Moiaussij’aspiraisàlier son sang aumien.Oh oui ! J’avais besoin dem’unir à son âme de toutesmes forces. J’en avaisbesoin,parcequemoncorpsetmoncœurvibraientencored’unecolèreetd’unesouffrancequeseulunalteregopouvaitapaiser.Cebaumenemeguériraitpas, ilnemeferait rienoublierdeceque j’avaisperdu,mais il endormiraitmadouleur le tempsd’un instant.Cettepromessevalait plusquen’importequelleautre.

Jegémis.Lapressiondesesdoigtsserefermaautourdemanuque.—Dis-le,chuchota-t-il.Jedétournaileregard.—Dis-le!Vaincue parma propre soif de lui, je fermai les paupières, rejetai la tête en arrière etm’entendis

prononcercequejen’auraisjamaiscrudireunjour.—Mords-moi…Grigoreémitunsonprochedusifflement,tandisquemoncorpstoutentierserecouvraitdesueur.Ses

doigts se crispèrent imperceptiblement contre mon cou, et ses lèvres fraîches et douces glissèrentparesseusementsurmapeaubouillonnante.Elless’ypromenèrentjusqu’às’arrêtersurl’endroitleplusvulnérable, et sans même l’ombre d’une hésitation, il planta ses dents dans ma gorge. Le cri que lamorsurem’arracha fut strident et court, faisant s’ouvrir tout grandmes yeux. Je gardai les yeux fixes,incapabledesavoir si j’aimaisçaounon,etpendantqu’ilbuvait lentement,parpetitesaspirations, jeressentislebesoinimpérieuxdem’abreuveràmontour,l’urgencedemenoyerdanssonsang.Jepassaila langue sur mes lèvres et grognai en m’accrochant à ses épaules. Grigore fut secoué d’un longtremblement, il se redressa avec un soupir résigné et posa les yeux surmoi. Ils brillaient d’une lueurnouvelle, ils étaient colorésd’unbleuplus sombre,plusprofond, lespupilles si étréciesqu’onne lesdistinguaitpresqueplus.Galvaniséeparl’éclatsauvagedesonvisage,j’entrouvrislaboucheetlaissaimescrocss’allonger.Ilsétaientimmenses.Grigorelevalamainpourmecaresserlajoue,maismueparun instinctprimitif, jem’emparaide sonpoignetetmordisàpleinesdentsdans lachair tendrede sonavant-bras. Il rejeta la tête en arrière et rugit.De plaisir ?De douleur ? Je n’en savais rien. Son crirésonna autour denous, rendant cet instant plus irréel encore.Mais bientôt, je n’entendis plus que lesbattementsprécipitésdemoncœur.J’aspiraiunepremièrefoisetaccomplislacommuniondenosâmes.Lasensationétrangedusangserépandantàtoutevitessedansmaboucheets’écoulantdansmagorgemefit gémir, et je m’étouffai presque. Grigore m’écarta doucement, repoussa mes cheveux derrière monépauleetmecontempla,m’admirasansdireunmot.Jemeperdisdanslegrisdesesyeuxet, l’espaced’un instant, totalement ivre de sang, je fus prise de vertige et mes genoux flanchèrent. Grigore me

soutenaitfermement.Ilmesoulevadeterre,tandisquej’appuyaismatêtecontresaclaviculeetfermailespaupières.

J’étaisépuisée.Vidée.Remplieaussi.Maisilétaitenmoi.Etj’étaisenlui.Nous nous retrouvâmes nichés dans la faille, allongés sur la peau de bête et enveloppés d’une

couverture, à peine éclairés par les lanternes extérieures.La joue calée contre la poitrinedeGrigore,blottieaucreuxdesesbrasrassurants,lesoufflerégulieretlesmembresdétendus,jenebougeaiplus.

Nousétionsliés.Jeflottais.Jeglissaisversununiversinconnu,tranquilleetserein.Toutmeparaissaitsi différent.La tempête avait cessé, le calme était revenu,mon corps était repu,mon âme soulagée etl’Espritapaisé.Pourtant,ilrégnaitdansmoncœurunfroidglacialquimemettaitàl’agonie.

J’avaistrahil’amourdemavie.

Chapitre14

J’attendaisleretourdeJeremiahavecunefébriliténondissimulée.Lesinformationsqu’ilramèneraitnouslibéreraientdecetendroit.Jen’enpouvaisplusd’êtrelà.Jevoulaisrentrerchezmoi,etl’absencedeDariusetGwenétaitentraindemerendrefolle.L’inquiétudemerongeaitchaquejourunpeuplus,etchaque nuit passée ici, sans nouvelles d’eux, me rapprochait de l’incertitude. Où étaient-ils ? Quefaisaient-ils?Étaient-ilstoujoursenvie?

Quellesquesoientlesréponsesàcesquestions,ilétaiturgentquenousquittionscetendroit.Àcausede notre présence ici, les trois cents garous abrités dans les Entrailles étaient en danger. Certes, niChristy,nimoi,nipersonnenepouvaitprétendrequelescréaturesstrigoiiviendraientvraiment–sanscompterquecettethéoriesignifieraitqueDariusetGwenétaientmorts,etjenepouvaismerésoudreàl’envisager–,mais le risqueencouruétaitsuffisammentgrandpourquenousne tentionspas lediable.Nousdevionspartir auplusvite.L’Élitede laTerredes loupsétait composéedevaleureuxguerriers,maisserait-ceseulementsuffisant?SanscompterqueMurdochétaitsipeuconvaincudel’existencedesGuerriersdel’ombre,quej’étaispresquecertainequ’ilneprenaitaucunedispositionparticulièrepourprotéger la cité. Non. La grande fête en l’honneur de la naissance de Tyros devait se dérouler lelendemainsoiret,àsesyeux,etàceuxdelacommunautétoutentière,riennesemblaitplusimportantquesapréparation.

Danslemilieudelamatinée,jedécidaid’alleràlarencontreduLoupSuprêmepourluiexposerlecasdeGrigore,luiparlerunenouvellefoisdelamenacestrigoïetleconvaincrederesterattentif,deseméfierdel’eauquidort.Murdochmereçutaveclasimplicitéquilecaractérisaitetmefitasseoiràlagrande table de la salle de communion. Je levai la tête, et contemplai le lustre aux cent quatre-vingtscandélabresquilasurplombait.

—Jesouhaiteraism’entreteniravecvousdeplusieurssujets,Mor-fear-faol,amorçai-je.Ilpritappuisursescoudesetentrecroisaseslongsdoigts.—Jevousécoute,faol-ur.—Nous n’avons toujours aucune nouvelle de la progression desGuerriers de l’ombre. Je voulais

m’assurer quevous étiez sur vosgardes, et quevous serezprêts à vousdéfendre s’ils nous attaquent,commençai-jesansprendredegants.

Ilfronçalessourcils.—«Si»,c’estexactementlemotqu’ilfallaitutiliser,faol-ur,«si».Jesecouailatête.—Mor-fear-faol…Murdoch.Jesouhaitedetoutmoncœurqu’ilssecontententdepoursuivrecelui

qu’ils sontvenuschercher,Darius.Maisnous avonsdéjà tué l’und’entre eux, etd’après laLiguedesSorcièresdesSortilèges,cescréaturessontraresetpeunombreuses.JedoutequelegrandStrigoïlaissenotre crime impuni. Nous l’avons humilié. Si Jeremiah revient avec les renseignements que nousattendons,alorsnouspartironsavecLeith,etvotrecommunautén’auraplusrienàcraindre.Sicen’estpaslecas,quenousdevonsresterpluslongtempsetque…etquemesamissontmorts,cesmonstresnousrejoindrontici.Vousserezendanger.

Murdochplissalesyeuxetm’observalonguement.—Ça fait décidément beaucoup de « si », faol-ur. J’ai entendu tout ce que vousm’avez déjà dit.

Comme à leur habitude, nos meilleurs guerriers parcourent les plaines et les tourbières afin de nousavertirdenousmettreàl’abriencasdedanger.

—Lasituationn’estjustementpashabituelle,insistai-je.Ilsoupiraprofondément.—Jedoutequenoussubissionsuneinvasion.Jecroisailesdoigtsdevantmoienmepenchantunpeu.—Vousavezparfaitementraison,Murdoch,ceneserapasuneinvasion,maisuneboucherie.Iltapabrusquementdupoingsurlatable.—Mais que voulez-vous qu’on fasse de plus ?Depuis le début, vousme parlez de créatures que

personnenevoitetquisontplusimaginairesqueréelles!Jem’arrimaifermementàsonregardpourlefixerintensément.—Ellesnesontpasimaginaires,Murdoch,jesuiscapabledelesvoircommejevousvois.Ilreculacontreledossursachaise,croisalesbrassursontorseetpritunairsévère.—Je sais cequevousessayezde faire, faol-ur. Insidieusement, vousme suggérezdevousdonner

l’autorisationd’emmenerAlanKerrcontresavolontésivotrebeau-pèrerevientbredouille,etce,afindenouséviterunhypothétiquecarnage.Maréponseestnon.Toujoursnon.Nulnesera forcéàquittercetendroits’ilneledésirepas.

Àmontourdegrincerdesdents.—Cen’estabsolumentpascequejefais.Maispuisquevousabordezvous-mêmelesujet,seriez-vous

prêtàprendrelerisquedevoirlesvôtresmassacréspourunseulhomme?—Ilestdesnôtres,affirma-t-ilavecforce.Etpersonneneseramassacré.Jesentismesjouess’enflammerdecolère.—Non.Ilnel’estpas.IlestLeithSutherland,delaCommunautéduMondeLibre.Etmassacrés,vous

lesereztoussivousn’ouvrezpaslesyeuxetquecesmonstresarrivent!Murdochmeconsidérad’unregardimpénétrable.—IlseraAlanKerrtantquenousn’auronspaslapreuveducontraire,faol-ur.Etpourlemoment,il

n’yarienàvoir,articula-t-ilsurletondel’avertissement.Vousrendez-vouscomptequechaquejourquipasserendvotrehistoireunpeuplusinvraisemblable?

Malgrémoi,mesyeuxs’étrécirentaumaximum.—AlorsjesouhaitedetoutmoncœurqueJeremiahrevienneaujourd’huiavecdebonnesnouvelles,

carj’aiuntrèsmauvaispressentiment.Cenesontpasquedesombresspéculations,Murdoch.Çavouspendaunez!

Ilselevabrusquement,gonflantsonénormetorse.—Jen’aipasl’habitudedediscuterdesaffairesdéfensivesdemonclanavecunefemme,faol-ur,à

plusforteraisonquandellenefaitpaslamoitiédemonâge.DemainseralejourdelagrandefêtedelaNativité pour les loups. Tâchez de vous amuser et d’oublier un instant vos soucis. Vous en sortirezragaillardie.

Je n’eus pas envie d’épiloguer sur ce point précis avec lui,mais pensait-il vraiment que cette fêteridiculeallaitme faireoubliermesennuis ?Tout cecin’étaitpasuncapriced’adolescente.Ceque jevivaisavecLeithétaitledramedemavie,probablementlepireéchecquejerisquaisd’essuyer.Riennesauraitamoindrircequejeressentais.

—Est-cetout,faol-ur?s’impatienta-t-il.—Non.JesouhaitequevoushébergiezmonamiAngeNoirailleursqu’aveclesrats.LeLoupSuprêmeendemeurabouchebée.—Ailleursqu’aveclesrats?Je lui expliquai aussi succinctement que possible la situation et lui demandai de bien vouloir le

déplacerdansunautreendroit.— Lorsque les Guerriers de l’ombre arriveront, celui que vous traitez comme un pestiféré

s’interposerapourprotégervotrecommunauté.Ilsebattrapoursauverdesvies.Àlafindecetépisode,cen’estpasunechambreetdeslingespropresquevousluidevrez,maisvotretrône!

—Nepoussezpas lebouchon trop loin, faol-ur,gronda-t-ild’unevoixmenaçanteet sansappel. Iln’estqu’unExploiteur!

—Unhommed’honneur,unallié!lecontredis-jeavecdétermination.Murdochfronçalessourcilsavectantd’incompréhensionquejecrusquesesridesnes’enremettraient

jamais.—Maisquereprésentedoncpourvouscettecréature,pourquevousladéfendiezavecautantdeforce

etd’insolence?Saquestionmepétrifiaetmelaissaaussimuettequ’unecarpe.J’étais encore sous l’influence de ce qui s’était passé la veille, de l’appel de son sang et de la

puissancedulienquim’unissaitàGrigore.Unmotdemapartpourplaiderunpeuplusensafaveuretjerisquaisdemetrahir.JemetinstranquilleetattendisqueMurdochévaluelasituationparlui-même.Ilm’observalonguementetfinitparsoupirer,résigné.

— Très bien. J’accède à votre requête. Il lui sera cependant interdit de pénétrer dans le Cœur etd’évoluerlibrementailleursquedanslesendroitsquejeluiattribuerai.

—Merci,dis-jesimplement.—Etmoijenevousremerciepasdetousleschangementsopérésdepuisquevousêtesarrivéeici!

Maintenant,faol-ur,sivousvoulezbienm’excuser,desaffairesurgentesm’attendent.Sortez.Dumenton,ildésignalagaleriemenantauxquartiersouestettournalestalonspourseconcentrersur

unrouleaudeparcheminposésuruneconsoleenbois.Sansunmot,jelelaissaiseuletquittailasalle,satisfaited’avoiraumoinsobtenugaindecausesurunpoint.

JeremiahfutderetouravecKeith,DanetJohnunpeuavantlatombéedelanuit.Ilsdébarquèrentdansl’appartementavec toute laMeute.QuandJeremiahdéposasur la tableunénormesacàdosremplidesandwiches,debarreschocolatéesetdebiscuits,ainsiquecinqgrandesbouteillesdebière,AnneasetÉtiennepoussèrentuncridesatisfaction,leremercièrentetsejetèrentdessuscommedesaffamés.J’étaisbien trop anxieuse pour avoir envie demanger, je n’avaismême rien avalé depuis la veille.Georgias’assitàcôtédemoiets’emparademamainqu’elleserra,tandisqueChristyprenaitplacejusteenface,lutantpournepaséternuerparmitouscesloups.

—Qu’enest-il?demandai-je.Johnn’osaitpascroisermonregard.Ilfixaitsesbaskets,l’expressionmêléedehonteetdedéception.

Lesnouvellesn’étaientpasbonnes.JepâlisavantmêmequeJeremiahneprononceunmot.—Ilnesaitrien,commençaKeith.Sa barbe blonde avait tellement poussé en quelques jours, qu’il étaitméconnaissable.De profonds

cernesvenaientfoncersapeauburinéejusqu’ausommetdesjoues.Ilsemblaitnepasavoirdormidepuisdeslustres.

—Ilnesaitrien?répétai-jed’unevoixblancheendévisageantJohn.—Monpèren’ajamaisdemandéàcequeLeithsoitensorcelé.Ils’estcontentéd’informerundeses

contacts des erreurs commises par Leith. Il n’a rien exigé en particulier, mais il avait parfaitementconsciencequesescrimesneresteraientpasimpunis.Ilsavaitqu’onl’amèneraitici.

JeregardaitouràtourJohn,KeithetJeremiah.—Descrimes?Quelscrimes?—Lesloisancestrales,Hannah,ditJeremiahd’unevoixsombre.Vouslesaveztoutesbrisées,etila

suffiquelepèredeJohnlementionnepouréchauffer lesesprits.LeithestunSutherland, lavengeanceétaittroptentante.Dageuslesavaitparfaitement.IlsontattenduqueLeiths’éloignedeStAndrewspourmettre leur plan à exécution. C’est du moins ce que leur a suggéré Dageus en les informant qu’ils’isoleraitàWicktroismoisplustard.

—Cetenfantdesalaudabienmenésonaffaire!vociféraledétective.PuisilsetournaversJohnquigardaitlatêteobstinémentbaissée.— Je suis navré de parler de ton père en ces termes devant toi, mon garçon, mais ce n’est pas

quelqu’undebien.Johnsemblaitsiabattuquej’eneusmalaucœurpourlui.—Ill’apourtantétéàuneépoque,murmura-t-iltristement.—Hélas pour lui, les choses ne se sont pas exactement passées comme prévu, ajoutaKeith. Il va

devoirpayer.Ladiasporan’appréciepasqu’onsemoqued’eux.Quantàmoi,jen’aimepasqu’onveuilleattenteràlaviedemesconcitoyens.Nousallonsfairedémantelerceréseauetmettresouslesverrouslesresponsables.Ceneserapasfacile,maisnousyparviendrons.

— Mais enfin, de quoi parlez-vous ? m’interposai-je en fronçant les sourcils, tandis que Johnacquiesçait,lamortdansl’âme.Qu’est-cequevousappelezladiaspora?

Je jetai un œil à la Meute et à Christy. Ils demeuraient muets comme des carpes. Je n’étaismanifestementpaslaseuleàneriencomprendre.

— C’est un réseau sous-marin, m’expliqua le détective Forbes. Des organisations secrètes ultra-radicalesetindépendantesquisesontcrééesauseindelaCommunautéduSutherlandunpeupartoutdanslemonde.LaplusimportantesetrouveàLondres,c’estcellequeSlateracontactée.

—Doncl’objectifdecesgensétaitdekidnapperLeithpourluifaireperdrelamémoire?récapitulai-je,déconcertée.Mais…pourquoi?Dansquelbut?

Çanerimaitàriendutout.—Oh.Cen’étaitpasleplaninitial,dit-ild’unevoixchargéedesous-entendus.Leurprojetétaitbien

moins retors. Ilsvoulaient le sacrifier icimême, sur la terrede leurs ancêtres.Commeun symboledevictoiresurlepassé.

Jemepinçail’arêtedunez.—Jenecomprendsplusrien.PourquoiLeithest-iltoujoursvivantdanscecas?Ilsn’ontpasencore

décidédumomentdece…sacrifice?Unlongfrissond’effroimeparcourut.—Murdochnousacertifiéqu’iln’avaitrienàvoiraveccettehistoire,etjelecrois,ajoutai-je.—Hannah,ditgravementJeremiah, levisagepresqueinexpressif.Leithabienétéenlevé,maispas

parladiaspora.Lorsqu’ilssesontmisentêted’allerlechercheràWick,ilavaitdéjàdisparu.J’écarquillaitoutgrandlesyeux.—Déjàdisparu?JemetournaiversJohn.—Lorsquenousnous sommesparlé avant de rejoindre lesEntrailles, nem’as-tu pas dit queLeith

avaitdéjàétéenlevé?Siladiasporanel’apastrouvé,commentest-cepossible?Commentétais-tuaucourant?

—C’estcequ’aprétendumonpère,c’estcequiétaitprévu.Or,Leithavaitdéjàdisparudepuisunesemainelorsqueladiasporaavoululuimettrelamaindessus.

—Etpersonnen’estvenus’enplaindre?Personnen’ademandédescomptesàtonpère?

—Ilfautcroirequenon.Qu’ilsn’étaientpaspressés.—Commequoi,iln’yaquelesimbécilesquinechangentpasd’avis,ironisaledétective.—Mais…mais…,bégayai-je,perdue.Quil’afaitenlevé,alors?ShonaAiken?—Nousnoussommesrendusjusqu’àWickpourtâcherdecomprendrecequis’estpasséetremonter

lespistes,continuaJeremiah.Envain.Nousn’avonspas trouvé lamoindre tracedeceluiquia fait lecoup.Etpourlemoment,nousn’avonstoujoursaucunepreuvequeShonaAikensoitimpliquéedanscetteaffaire.Maissitelétaitlecas,jedoutequ’elleysoitparvenueseule.

—Lediablesiellen’yestpourrien!rugis-je.JeremiahsetournalentementversChristy.—J’aibienpeurquenousayonsdésormaisbesoindevotreaide,bana-bhuidseach.LesgrandsyeuxvioletsdeChristybrillèrentd’unelueurexceptionnelle.—Unepromesseestunepromesse,Lupus.Quandsouhaitez-vousbénéficierdemesservices?Jeremiahdemeuraimpassible.—Leplustôtseralemieux.Ellehochalatêteetselevadesachaise.—Trèsbien.Jeremiah l’enveloppa d’un regard dur, glacial, sans que je ne sache exactement pourquoi. Christy

l’affrontasansciller.—Tenez-vousprêts.Nouspartonsdemain.

***

Iltombaitdescordes,etaveclaviolenceduvent,lapluies’écrasantsurlacarrosserierésonnaitdansl’habitacledansunfracasàrendresourd.

—Bonsang,maisqu’est-cequ’elle fabrique? s’impatienta Jeremiahen tapotant lesdoigts sur sonvolant.Çafaitplusd’uneheurequ’elleestlà-dedans!

Jeregardaiparlavitredepuisl’arrièredelavoitureetlevailesyeuxpourobserverl’immensebâtisseenpierregrisequis’érigeaitauborddelarivièreNess.Christyétaitentréeparunetourlatéraleformantunangleaveclarueoùnousétionsstationnés.NousnoustrouvionsàInverness,etàpartderaresfoisoùnousl’avionsjustetraversée,jen’yavaispasmislespiedsdepuismarencontreavecLeithàl’aéroport.C’étaitpresquetroisansplustôt.LaGrandePrêtressedelaGuildedemeuraitici.Ellen’étaitconsultablequesurrendez-vouset,surtout,nerecevaitquel’après-midi.Nousavionsparcouruplusde120kmsanssavoir si cettedernièreaccepteraitde s’entreteniravecChristyqui,depar l’importancede lamissionqu’on lui avait confiée quelques jours auparavant, comptait bien être accueillie hors du protocolehabituel.Etétantdonnél’urgencedelasituation,elleétaitcertained’avoirgaindecause.

Jeremiah,Keith,Grigoreetmoiattendionsavecuneinquiétudecroissantequ’ellerevienne.Iln’étaitquequatorzeheurestrente,maisilnousfaudraitpeut-êtretraversertoutel’Écossepourtrouvercellequiavait jeté un sort à Leith.Christy était convaincue que laGrande Prêtresse saurait de qui il avait étévictime.Cemaléfice relevait d’une incantationmagique en langue ancienne que peu connaissaient. Sasupérieurenepouvaitpasignorerlesmembresdesacastecapablesd’unetelleprouesse.

Je soupirai d’anxiété, me mordis les lèvres et me frottai machinalement le front. Naturellement,Grigore, qui se trouvait à côtédemoi, tendit lamain afinde serrer lamienne entre sesdoigts. Jemelaissaifaire,tournailatête,etluioffrisunsourirecrispé.Nuln’auraitpuêtreplusréconfortantqueluiàcemoment-là,maisçanesuffisaitpas,jenetenaispasenplace.Nerveusement,jemegrattailacuisseetretiraiunepoussièreimaginairedemonjean–unepetitebénédictiondelajournée:j’avaisrécupérémesvêtements dans le 4x4 de Jeremiah –, puis je serrai entre mes doigts mon pendentif femme/loup quej’avaisretrouvéaussi.Unjour,peut-être,jelemontreraisàLeithetils’ensouviendrait.

—Çavaaller,articulaGrigoresilencieusementlorsquejeluijetaiunregarddecôté.Je l’espéraisvraiment.CettePrêtresse était notreunique chancede savoir cequi s’était réellement

passésansavoiràprendreShonadefront,risquerdebraquerLeithetdelefairefuir.—Ilfautquejesorted’ici!s’écriaJeremiahUnfroidglacials’engouffraquandilmitunpieddehors,etiljuralorsqu’ilpritunerafaledeventet

d’eauenpleinefigure.Puisilrefermaenclaquantlaportederrièrelui.—Aveclesannées,ilyadeschosesquinechangentpas,persiflaKeith.Ilatoujourseuuncaractère

dechien.JeperçuschezGrigorel’effortincommensurablequ’ilfaisaitpouréviterlemauvaisesprit.—Commentvousêtes-vousconnus?demanda-t-ilàlaplace.LedétectivecroisaleregarddeGrigoredanslerétroviseur,actionnalapoignéeetmitunpieddehors

avantdelâcheravecuneindifférenceforcée:—J’étaisamoureuxdesafemme.Puisilpartit.Grigoreplissalefrontetricanaendodelinantdelatête.—Ehbien…Ilnemanqueraitplusqu’ilsenpincentaussipourlasorcière.J’arquaiunsourcil,faussementétonnée.—Allez!s’amusa-t-il.Jeremiahn’estpasinsensibleàcettenana,maisleflicaraison:ilavraiment

uncaractèredechien.Ilfaudraitpeut-êtreluidonnerdeuxoutroisconseilspourl’emballermieuxqueça.Ils’yprendcommeunmanche!

—Grigore!m’exclamai-jeengloussant.Ilmesouritdetoutessesdents.—Quoi?Turemettraisencausemoncharmedévastateur?Jelevailesmainsdevantmoiensecouantlatêtededroiteàgauche.

—Jenecourraipascerisque!Ils’esclaffaavecmoi,puisnosriress’estompèrentdoucementjusqu’àcequenousnousfixionssans

tropsavoirquoidire.Grigorem’observaitavecunetelleintensité,quejedétournaileregard,gênée.Depuis que nous nous étions liés, quelque chose de différent flottait entre nous. Le feu s’était

indubitablementapaisé.Toutefois,laculpabilitémerongeait.—Toutvafinirpars’arranger,murmura-t-il.Jelevailescils.Ilsourit,confiant.Alors,jecontemplaisondouxvisage,sesyeuxgris,sonnezdroit,seslèvresminces,sescheveuxplus

foncésqueceuxdelaplupartdesAngesNoirs,etjemedisqu’ilétaitl’undesplusbeauxgarçonsqu’ilm’avaitétédonnéderencontrer.Etilétaitbienplusquecela.C’étaitunêtreexceptionneldontlecœur,semblableàundiamantbrut,sesuffisaitàlui-mêmepourbriller.Bon,généreux,patient,bienveillantetaltruiste, d’une certaine façon, Grigore représentait l’image que je m’étais toujours faite de l’hommeparfait. Il était mon âme sœur vampirique et j’étais la sienne. C’était un honneur. J’en resteraistransforméeàjamais,forteetfièredeposséderuntelami.

—Mepardonneras-tuunjour,gamine?murmura-t-ilsoudain.—Qu’aurais-jedoncàtepardonner,Grigore?L’éclatdesonregardserévélaplusintenseencore.—Dem’êtrelaisséemporter.Jefronçailessourcils.—Qu’essayes-tudemedire?—Tuesbien trop importanteàmesyeuxpourque jecontinueàsemer le troubledans tonespritet

danstoncœur.Jeneseraiprobablementjamaistonamant,maistonami,ça,tupeuxenêtresûre.Leslarmesaffleurèrent,etjenerésistaipascinqsecondesavantdemejeterdanssesbras.—Oh,Grigore!Tuesl’amiquetoutlemondesouhaiteraitavoir,ettoiaussituestrèsimportantpour

moi.Jeneregretterien.Nousnoussommesliésetjeneregretterien.—Tunel’aspastrahi,dit-ilcommes’ilavaitcependantcomprislemal-êtrequimerongeait.Ilest

toujourstamoitié,mêmesijesuisuneautrepartiedetoi.Puissonexpressionsefitgrave.—As-tuconfianceenmoi,Hannah?—Incontestablement.—Alors,crois-moiquand je tedisque je ferai toutcequiestenmonpouvoirpourquevousvous

retrouviez,Leithettoi.Jeneseraipasunobstacle.Jesavaiscequiluiencoûtaitdedirecela,maisjeluifusprofondémentreconnaissantequ’illefasse.—Merci.Nous fûmes interrompusparChristyqui tapait à lavitre. Jemedépêchaid’ouvrir laportière etde

sortiravecGrigore.

—Alors?demandai-je,tandisqueKeithetJeremiahnousrejoignaientdéjà.EllenousobservaàtourderôlepuisplantasonregardindigodansceluideJeremiah.—Nouspartonssurl’îledeSkye.Pendantune fractiondeseconde, levisagedeJeremiahs’illuminaet jecrusqu’ilallait se jetersur

Christypourl’embrasser.—Quel’Espritsoitloué!

NousarrivâmesàKyleofLocalshversseizeheures.Nousn’avionspastraîné,Jeremiahavaitàpeinerespecté les limitations de vitesse,mais la route était bonne, directe depuis Inverness. La pluie avaitcessé, faisant place à un ciel étonnamment dégagé. Le soleil serait couché dans cinquanteminutes.Àprésent,lesreliefsescarpésetvertsdel’îlesedressaientfièrementdevantnous.Nousnousyétionsdéjàrendus plusieurs fois avecmes parents lorsque j’étais enfant, j’avais le souvenir d’une faune et d’uneflore resplendissantes. Les péninsules, l’air pur, les paysages sauvages, les détestésmidges{10}, et leschaînesmontagneusesabruptesseulementaccessiblesparlesalpinistes.Ilyavaitpourtantdesgensquivivaient ici. Pas loin de dix mille insulaires authentiques et accueillants répartis sur mille six centskilomètrescarrés.

IlnousfallaitàprésenttraverserlepontquinousmèneraitsurSkye.Nousenavionsencorepourbienuneheure et quart avant d’atteindre lenord-est de l’île.Cellequenousdevions rencontrer habitait aupieddeLealtFalls.AuxdiresdelaGrandePrêtresse,notresorcièredevaitavoisinerlesquatre-vingtsans,n’avaitplustoutesatêteetvivaitcommeunermitedansunebicoquedepuisqu’elleavaitétéchasséedelaGuilde.Bonsang!Jen’enpouvaisplusdesgrottes,descabanes,delacrasse,destoilesd’araignéeetdetoutcequis’ensuivait.J’auraisdonnén’importequoipourmeretrouverconfortablementinstalléedans un canapé avec une bonne tasse de thé, les pieds au chaud, emmitouflée dans une couverture delaine.

Surl’île,noustraversâmesunecombeimmense,sansaucunarbre,àpeinevallonnéeetpresquerougeàcettesaison,alorsquel’été,l’herbeyétaitgrasseetbienverte.Nouscontinuâmesplusaunord,jusqu’àatteindrelepromontoiresurplombantlesgorgesdeLealt.D’ici,lepaysageétaitépoustouflant.ÀL’est,nous avions une vue imprenable sur l’île de Rona, les côtes écossaises, et la mer dans laquelle sereflétaient les derniers rayons de soleil. À l’ouest, l’astre rouge glissait derrière la chaîne de Storrmarquéedevallonsirréguliersjaunisparlefroid,etd’oùs’érigeaitlevieilhomme{11}depuissonchaosrocheux.

Jeremiah arrêta son 4x4 sur un parking sauvage au bord de la route. Nous en descendîmes etattendîmes les instructions de Christy qui consultait ses notes. Elle leva la tête et nous montra deuxpoteauxsignalantunsentierserpentantlelongd’unezoneplusoumoinsboisée.

—Si jenefaispasd’erreur, ilnousfautsuivre lecheminetchercherunpassagepouraccéderaux

chutesquisetrouventjusteenbas.Jevouspréviens,jenesuispasuncabri!—Nousnonplus,rétorquaJeremiahsansquejeparvienneàsavoirs’ilfaisaitdel’humourounon.Ilsemblaittenducommeunarc.Christyhaussalesépaules,etKeith,passablementagacéparlessautes

d’humeur de Jeremiah, prit la tête de la marche. L’Isle de Skye était fréquentée toute l’année et lesdernierstouristescommençaientàpartir.Nousarrivionsaubonmoment.Nousparcourûmesàpeinedeuxcents mètres avant que Keith bifurque brusquement et parcoure quelques mètres afin d’aller voir encontrebas.

—Jecroisquec’estici!Nousavançâmesafindejeterunœil.Leschutesd’eausedéversaientparpalier,maisauplusprofond

desgorges,ildevaitbienyavoirdixmètresdehauteur.Toutenbas,nousaperçûmesunbaraquementenbois dressé sur la rive, contre la roche. Il était en mauvais état et avait franchement l’air d’êtreabandonné.Pasunbruit,pasuneodeur,pasunelumièrenes’enéchappaient.

—Ondiraitbienqu’iln’yapasâmequivive,fitremarquerKeith.—Détrompez-vous,lerepritChristy,elleestbienlà.Maisunsortilègedeprotectiondonnel’illusion

ducontraire.Elle ferait un feude cheminée, quepersonnene s’en rendrait compte, et jepariequ’elles’estdébrouilléepourqu’aucuntouristen’aitenviedes’approcher.

Grigorevérifiaquepersonnen’étaitenvueetretirasavesteetsonsweat-shirt.—Jevaisvoir.Ildéployasesimmensesailesetsejetadanslevide.—BonDieu ! s’écriaChristy en reculant de deux pas,manquant de perdre l’équilibre. Je n’avais

encorejamaisvuunechosepareille!—Etmoi,tropsouvent,grommelaKeithenlaretenantparlebras.JesuivisGrigoredesyeux.Ilétaitdéjàenbasets’approchaitprudemmentdel’entréedelacabane.

Subitement,alorsquesespasétaientplus légersqueceuxd’un insecte,Grigorese retrouvaprojetéenarrièreavantdes’écrasercontrelaroche.

—Grigore!m’étranglai-je,surlepointdedescendre.Jem’immobilisailorsqu’unepetitefemmemaigre,toutefripée,auxcheveuxblancsetcourts,habillée

commeunemalheureuse,maischausséedebasketsNikeblanchesetflambantneuves,sortitdelacabane,lesbrasenl’air,prêteàmeneruneoffensive.

—Rǣsas-miĕ!Rǣsas-miĕ!hurlaChristydansune languequepersonnene connaissait.Arrêtez !Aiisrȯmiǣ!

Lentement,lavieilledamelevalatêtedansnotredirectionetnousobservasansbouger.JedécochaiunregarddecôtéàGrigore.Ilsemblaittotalementimmobilisécontrelapierre.

—Nousavonsbesoindevousparler,luicriaChristypourcouvrirlebruitduvent.Lasorcièreattenditquelquessecondesetpointaundoigtsurmoi.Christyseraidit.—ElleexigequecesoitHannahquidescende.

—Non!s’interposaJeremiah.—Ellechoisitsesinvités,murmuraChristy.—Jem’encontrefous,onneluidemandepassonavis!HorsdequestiondelaisserHannahyaller

seule.—Ellel’achoisie,répéta-t-elle.Jedoutequ’elleluifasselemoindremal.—Etcommentpouvez-vousl’affirmer?Cettebonnefemmen’apastoutesatête,vousl’avezditvous-

même!—J’aibienpeurquenousn’ayonspasd’autresolution,insistaChristy.Ellenepermettraàpersonne

depasser,àpartHannah.Vouspouvezenêtresûr.Etencequimeconcerne,jen’aipastropenvied’êtreimpriméedanslaroche,vousvoyez.

—C’estcommevousvoulez,moije…Jen’attendispasqu’il terminesaphrasepourmejeterdanslevide.J’atterrissur lepremierpalier,

glissai,etdescendissurlesfessesjusqu’enbasoùjefinismacoursedansl’eauglaciale,trempéejusqu’àl’os.

—Hannah!hurlaJeremiah.—Toutvabien!luiassurai-jeenmerelevant.Jejetaiunœilméfiantàlasorcièrequin’avaittoujourspasbougé,etfisquelquespasendirectionde

Grigore.Ilétaitcommepétrifié,lesyeuxgrandsouvertssur…mafoi…rien.—Ildort,ditl’ensorceleuseavecundrôled’accent.—Ildort?Vousl’avezfracassécontrelaroche!Ellehaussalesépaulesavantdemetournerledos.—C’estunvampire,ils’enremettra.Venez,jen’aipasqueçaàfaire!JeconcédaiundernierregardàJeremiahet,frigorifiée,j’avançaienquêtedel’ultimepiècedupuzzle

qu’ilnousmanquait.Jepénétraidansunepitoyablemansardefaitedebricetdebroc,avantdemerendrecomptequ’ilne

s’agissait que d’un avant-toit, le reste de l’abri se situait à l’intérieurmême de la roche. Je suivis lavieille femmejusqu’àcequimeparutêtre l’uniqueespacesombre, froidethumidedece logementdefortune.Lacavitén’étaitéclairéequeparlalumièreducrépuscules’infiltraitfaiblement.Onn’yvoyaitpresquerien,jedusplisserlesyeuxpourm’habitueràl’obscurité.Lasorcièredésignaunetableetunechaiseduplatdelamainetm’invitaàm’yasseoir.J’obtempéraietposailesyeuxpartoutàlafoistantcetendroitmesemblait sorti toutdroitd’uncontepourenfants.Chaqueparoi étaithabilléed’étagères surlesquellesétaientrangésdesfiolesetdesbocauxcontenanttoutessortesdechoses.Destubercules,desfleursdansl’eau,desinsectesmorts…Dansuncoin,jeremarquaiplusieurspeauxdebêteempiléeslesunessurlesautresetquidevaientprobablementfaireofficedelit.Surunemalle,delourdschandeliersenfontetrônaient,etjusteau-dessusdebougieséteintessebalançaitunbouquetdefeuillesséchées.Aucentredelapiècesetrouvaientlesrestesd’unfeudeboismortdepuislongtemps.Toutautour,degrands

bâtons entrecroisés et noués entre eux supportaient un chaudron suspendupar des chaînettes que je nevoulais résolumentpas imaginercommeservantàpréparerdespotions.C’était juste…irréel.Maiscequimefrappa leplusétait l’absenced’odeurs. Jenesentais rien.Absolument rien.Pasplusque jenepercevais le parfumdemonhôte.Alors, je posai le regard sur l’ensorceleuse. Sa bouche formait uneligne horizontale mince et sèche, ses yeux, particulièrement clairs, rappelaient deux globes presquevitreux, ses pommettes et son menton étaient saillants. Tout dans son visage fin et marqué de ridesprofondesévoquaitleslonguesannéesqu’elleavaittraversées.

—Quit’envoie,têterouge?m’interrogea-t-elleabruptement.Onnem’avaitpasappeléeainsidepuissilongtempsquej’enrestaibouchebée.—Ehbien,je…—Cigarette?Etàmagrandesurprise,ellesortitunpaquetdeWinstondelapochedesontablierentoiledejute,

lequel,jel’auraisjuré,avaitétécoupédansungrandsacdepommesdeterre.—Non,merci,répondis-jeenfin.—Quit’envoie?répéta-t-elle.—Personne.Monpetitamiasubiunsortd’effacementet…—Jenepeuxpasl’endébarrasser,m’interrompit-elleavecdétachement.Sic’estcequetuesvenue

demander,tuasfaitducheminpourrien.Lasorcièrequit’accompagneauraitdûlesavoir.—Jesuisparfaitementaucourant.Jelaissaipasserquelquessecondesavantdereprendre.—C’estunLupus.Commemoi.Elles’emparad’unepetiteboîted’allumettesposéesur la table,craqua ladernièrepourallumersa

cigarette,ettiraunelongueboufféeavantdelarecrachertoutaussilentement.—Jelesais.Unmuscletressaillitaucoindemajoue.—C’estvousquiavezjetécesort,n’est-cepas?luidemandai-jepourobtenirconfirmation,bienque

çameparûtévident.Ellelevalesyeuxpourcontemplerleplafondenfaisantminederéfléchir.—Hum… Je ne travaille pas sur des garous toutes les semaines, tous lesmois, ou chaque année,

alors…jediraisqueoui,c’estpossible.Puisd’uncoup,sesyeuxs’illuminèrentcommesiellevenaitd’avoirunerévélation.—Jecroismêmequec’étaitlapremièrefois!Mes doigts me démangeaient. Pour la forme, parce qu’elle s’amusait avec moi et qu’elle avait

bouleversémavietoutentière,j’auraispul’étrangleretluiarracherlevisage.Maisjenelefispas,elleétaittropprécieuse.J’avaisbesoind’elle.

—Pouvez-vousmerévélerquivousasollicitée?

Ellesecoualatêteparà-coups.—Vousnevoulezpasouonnevousapaspermisdeledévoiler?Sessourcilsserejoignirent,marquantsesridesencoreplusfortement.—Jen’aibesoinde l’autorisationdepersonnepourparler, tête rouge!Jenesaispasquiestcette

personne.—Vousvoulezdirequ’ellenevousapasrévélésonnom?—Oh ! s’écria-t-elle soudain en jetant sa cigarette dans l’âtre, vous me fatiguez avec toutes vos

questions!Jemelevaietavançaiverselle.—C’estcapitalpourmoi.L’avez-vousaumoinsvue?Pouvez-vousmeladécrire?Elleme tourna le dos, alla ouvrir un bocal et s’empara d’une fleur séchée qu’elle fourra dans sa

boucheetmâchalentement.—Ellen’estpascommevous.Elleestbelle,dit-elle leplusnaturellementdumonde.Maissansun

brindecervelle,ajouta-t-elle.Ellealaissédestraces.—Destraces?Agacée,lasorcièresecoualamaindevantelle.Ellenerépondraitpas.—Était-ellebrune?Blonde?Grande?Petite?—Ellen’estpascommevous,s’entêta-t-elle.Jecommençaiàperdrepatience.—Maisçaveutdirequoi«pascommemoi»?Grosse?Maigre?Lescheveuxcourts?Brusquement,nonobstantsonâgeavancé,ellebonditetse tintdevantmoipourm’observerdeprès.

Sesyeuxclairsmetranspercèrent,puiselleapprochasonvisagedumienpourmerenifler.Subitement,ellereculaets’installasurlachaiseoùjem’étaisassisecinqminutesplustôt.

—Alors?Qu’est-cequeçasignifie?Ellehaussalesépaules.—Était-ceungarou?—Oui.Maiselleestplusbellequevous.—Vousl’avezdéjàdit,marmonnai-je.Sauriez-vouslareconnaîtresivouslavoyiez?Àcestadedelaconversation,j’avaisbiensûrcomprisqu’ils’agissaitdeShonaAiken,maisilfallait

àtoutprixquejeparvienneàconvaincrel’ensorceleusedeveniravecnouspourlaconfondre.—Iln’yaaucunechancequejelarevoie.—Etsic’étaitpossible?—Çanel’estpas.Jenereçoisjamaispersonnedeuxfois.Siellerevientici,jelatue.Jeplissailesyeux.Cettefemmeétaitimpossible.—Dans ce cas, accepteriez-vous dem’accompagner pour la désigner ? Je pense savoir de qui il

s’agit,maisj’aibesoindevotreconfirmation.

Lasorcièreécarquillalesyeux,battitdespaupièresàplusieursreprisesetéclataderiresisubitementquej’ensursautai.

—Notreentretienestterminé,têterouge.Malgrémoi,mesépauless’affaissèrent.Sansbouger,jelaregardaiselever,sepenchersurunpanier

remplideboismortetseservirdesontablierpourtransporterdesbrindillesetdesfleursséchéesqu’ellejetadanslescendressouslechaudron.Ellerécupéreralaboîted’allumettessurlatableetgrognaquandelles’aperçutqu’elleétaitvide.

—J’aibesoindevotreaide,madame…,lasuppliai-jecettefois.Ellelevalespaupièresetm’observaavecintérêt.—Vousavezdufeu?Jesecouailatête.Alors,ellemetournaledos.—Nepassezplusmaporte,têterouge.Elle semit à siffloterunchantpopulaire écossais et je susque la conversationétait définitivement

close. J’écoutai la raison et ne poussai pasma chance trop loin. Jemarchai en directionde la sortie.Toutefois,justeavantdequittersonantre,jeluiposaiunedernièrequestionsansmeretourner.

—Quevousa-t-elleproposéenéchangedevosservices?Lasorcièresetutinstantanément.—Lenerfdelavie,têterouge.Del’argent.Parfait.Etjesortis.Grigore dégringola de la roche presque aumêmemoment et s’étala la tête la première dans l’eau

glacée.—Saloperie!vociféra-t-ilenseredressant.Jevaismelafaire!—Jeneteleconseillepas.Etmalgrélasituationplusquedramatique,jenepusm’empêcherd’éclaterderire.—Tutrouvesçadrôle?Sisonregardavaitputuer,jeseraistombéeraidemortesur-le-champ.Sansdireunmotdeplus,ilmepritparlatailleets’élevadanslesairs.Christy,quis’étaitassisesurunrocherunpeuplusloinavecJeremiah,accourutaussitôt.—Alors?—Ils’agitbiendeShona.—Va-t-ellenousaideràlaconfondre?Jesecouaitristementlatêteetleurracontaitout.—Siellecroitquenousavonsfaittoutcevoyagepourrien,lavieillesefourreledoigtdansl’œil!

grondaJeremiah.—Jevousdéconseilledelaforcer,leprévintChristy.

—Bonsang,s’emporta-t-ilférocement,maisdequelcôtéêtes-vous?Christyfronçalessourcilsavecforce.— Calmez-vous, espèce de butor mal élevé ! Je suis du vôtre. Au cas où vous ne l’auriez pas

remarqué, c’est une sorcière très puissante, et si elle a été exclue de notre communauté, c’est parcequ’ellen’aaucunscrupuleàfairecequiluichante!Vousvoulezvousyfrotter?Allez-y,maisnevenezpasvousplaindreensuitelorsqu’elleaurafaitdevousuninvertébré!

JefronçailessourcilsetremarquaisoudainqueKeithn’étaitpluslà.—Excusez-moidevousinterrompre,m’interposai-je,mi-agacée,mi-amusée,maisoùestledétective

Forbes?JeremiahetChristyse tournèrent, stupéfaits.Nous reniflâmes l’airunmomentsans riendétecter.Le

ventsoufflaittropfort,emportanttoutaveclui.—Ilapeut-êtredécidédepiquerunetête,suggéraJeremiah.Aumieux,ils’estnoyé.Christyluifitdesyeuxtoutronds.—Vousn’êtespassérieux?Puis,àunedizainedemètresenamont,nousentendîmesunbruissement.Noustournâmestouslatêteet

vîmesKeithsortirdederrièredesrochers.— Désolé, mon vieux, dit-il à Jeremiah quand il arriva à notre hauteur, ce ne sera pas pour

aujourd’hui.J’aiuneinformationbienplusintéressanteàtelivrer.Jeremiahfronçalessourcils.—Accouche.—JepenseavoirdécouvertlecadavreduvéritableAlanKerr.

Chapitre15

—Depuisquandest-ilmortàvotreavis?Toutenbalayantlalumièred’unelampedepoche,Christysepenchadavantageau-dessusdelafaille

dans laquelle avait été caché le corps. Désormais, la nuit était bien tombée. Une nouvelle fois, elleobservatantbienquemalladépouilleduLupus,seredressaetsetournaversKeith.

—Jediraisunedizainedejourstoutauplus.Onluiatranchélagorge.—C’est-à-direaumomentoùLeithadisparu,fis-jeremarquerenobservantlepost-itfroisséquele

détectiveavaitdécouvertsurlavictime.

Alan,n’oubliepasnotrerendez-vous.S.

Alan,commeAlanKerr.S,commeShona.Çanefaisaitabsolumentaucundoute.AvantqueShonanesedébarrassede lui, ils avaientprobablementenlevéLeithensembleet l’avaient transporté icidepuisWick. Tout me semblait parfaitement clair. La Communauté du Sutherland enquêtait sur les membressouhaitantêtreenseignés.Shonaavaitdûpréparersoncoupdepuislongtemps,bienavantlekidnapping.Allerdans lesEntrailles,demanderàêtre instruite...Toutavaitétéprévu.Dès lors,ens’informantsurAlanKerr,laCommunautén’avaitrientrouvéd’anormalpuisqu’ilexistaitvraiment.Elleavaitaccueillilecouplesansciller.J’étaisprêteàparierqueShonaavaitfaitfairedefauxpapiersàLeithaucasoùilsauraientétécontrôlésauderniermoment.MaisquiallaitpenseràvérifierqueLeithSutherlandavaitbienlemêmevisagequ’AlanKerr ?Personne. Ils étaient tous les deuxde l’espèce lupus. J’étais plusquecertainedenepasme tromper sur ceque j’avançais.La seulequestionqui restait en suspens était desavoir pourquoi Shona avaitmanigancé tout ça. Comment avait-elle pu se synchroniser à la diasporalondonienne?Était-celefruitduhasard?Jen’encroyaispasunmot.Shonaétaitbritannique,sonaccentledémontrait,etsiledétectiveForbesfouinait,j’étaiscertainequ’ilfiniraitpardécouvrirqu’ellefaisaitpartie de ce regroupement secret, ou tout dumoins, qu’elle le soutenait. L’espace d’un instant, jemedemandaisiladiasporan’avaitpastoutorganisépourfaireporterlaresponsabilitéd’unpseudoéchecàDageusSlater,etl’avoirainsiàleurbotte.Auboutducompte,jemefichaispasmaldesconséquencesleconcernant,toutcequejevoyais,c’étaitquenousavionsenfinlapreuvequeMurdochattendait.Cesoir,oudemainauplustard,Leithsauraittout.

Christysemitdeboutetappliqualamanchedesonblousonsursonnez.Quandellen’étaitpasemportéeparlevent,l’odeurdeputréfactionétaitintenable.Elleauraitmême

dûêtreplusforteaprèsdixjours,maislefroidetlesembrunsaidant,ladécompositionavaitétéralentie.Contrairementàtoutlemonde,jen’avaispaseulecranderegarder.

—Leschosessontalléesloin.Ellea tuécepauvregarçonjustepourqueLeithusurpesonidentité.Qu’avez-vousprévudefaire?Prévenirlapolice?demanda-t-elleàKeith.

Ledétectiveluifitsignequenon.—Imaginezlatêtedeslégistesquandilsaurontdéterminéquel’empreintegénétiquedeKerrn’estpas

humaine. Ne vous inquiétez pas, bana-bhuidseach, son corps sera traité avec respect et rendu à safamille.Jedoispasserdeuxoutroiscoupsdefil.Ondoitl’enleverdelàavantquecetendroitregorgedemondedemainmatin.Personnen’arienvujusque-là,maisçanevasûrementpasdurer.

— Je n’ai rien senti, grommela Jeremiah qui n’en revenait toujours pas de ne pas avoir perçu lesrelentsdemortpourtantviolentslorsqu’onétaitaussiprès.

—Situn’étaispastantoccupéàtechicanerlemuseauavectasorcière,tut’enseraisaperçuavantmoi!jetaKeithpar-dessussonépauleens’éloignantd’unpasvif.

S’ilavaitpuluilancerdescouteauxdansledos,Jeremiahl’auraitfait.—Bonsang,elleest là, chuchota soudainChristyd’unevoixcrispéeen regardantendirectiondes

gorges.Stupéfaits,nousnoustournâmestousenmêmetemps.L’ensorceleusesetenaitdeboutdanslenoiràune

quinzainedemètres,appuyéesurunecanneimprovisée.Immobileetparfaitementsilencieuse,ellenousobservait,latêtelégèrementpenchéedecôté.Personnen’osaprononcerunmot.

—Vousavezdufeu?demanda-t-elle,commesiderienn’était,etcommesinousnevenionspasdetrouveruncadavrededixjourscachéaubeaumilieudecequidevaitluiservirdejardin.

—Non,réponditJeremiahavecuntimbreétrangementmaîtrisé,enplissantlespaupières.Jenepensepasqu’aucundenousn’enait.Pourriez-vousm’accorderquelquesminutes?

Elleredressalatêted’uncoupsec,levisagedénuédetouteexpression—Non.Elle recula jusqu’au bord des gorges, nous sourit d’une drôle demanière, et se laissa purement et

simplementtomberenarrière.Christypoussauncrietaccourutavecsatorchepourvérifiersielles’étaitécraséeenbas.Oh,loindelà.Notresorcièrepassaitpaisiblementlaportedechezelleensifflotant.

—Cettebonnefemmeestcomplètementcinglée!grondaGrigore.Puisiljetaunœilcirculairealentour.—Forbess’occupeducorps.Nous,quefaisons-nous?—Elleesteffrayante,murmuraChristyquin’enrevenaittoujourspas.—Effrayanteoupas,nousdevonslarameneravecnous!décidaJeremiahquiperdaittrèslargement

patience.—Laconvaincrepourraits’avérerlong,l’avertitHannah,mais…Ilbaissalespaupièrespourmeregardertoutaufonddesyeux.

—Mais?—Peut-êtrequ’avecunpeud’argent…LesprunellesdeJeremiahbrillèrentd’uneintensedéterminationcalculatrice.—Non,Hannah,jenevaispasluienproposerunpeu,jevaisluienoffrirbeaucoup.Allons-y!—Houla,houla!leretintChristy.Sivousvousyrendezcommeça,voussavezparfaitementcomment

cela se terminera. Laissez-moi lui parler d’abord. Peut-être qu’en utilisant le langage de la Terre, jepourraislaconvaincredevousrecevoir…

Ill’étudiauninstantet,résigné,finitparhocherlatête.— Grigore, Hannah. Forbes risque d’en avoir pour un moment, et nous aussi. Repartez dans les

EntraillesetinformezMurdochdecequipasse.Puisilseconcentrasurmoi.—PasunmotàLeithavantquenoussoyonsrevenus,d’accord?J’acquiesçai.—Prenezlavoiture.Nousnousdébrouilleronspourrentrer.Christyhaussaunsourcil,peuconvaincue.—Nousn’enavonspasbesoin,s’interposaGrigore.Ilseplaçaderrièremoi,déployasesaileset,enroulantsesbrasautourdemataille,ilmeserracontre

luiavantdequitterlesol.—Onseretrouvelà-bas.

Lorsque nous atterrîmes à proximité des Entrailles, une lueur inhabituelle s’élevait de derrière lescollines,lesfestivitésavaientcommencé.J’étaisfrigorifiée.Ilavaitplulamajeurepartiedenotrevoyageetnosvêtementsétaienttrempés.Nousnousprécipitâmessurleflancestpourgagnerlasalledutrôneoùsetrouvaitencoresûrementlechefdesloups.L’Hommidéenfactiondevantlafaillenousavisad’unairmauvais, fitunpeudezèleennousdétaillant longuementde la têteauxpieds, et finitparnous laisserpasser.Aufuretàmesurequenousavancions,jenotaiavecsoulagementquelescouloirsdesEntraillesétaientpresquedéserts.Nousnecroisâmesquequelquesgardesgalbrosquin’osèrentpasseconfronteràGrigoreenluidemandantpourquoiils’étaitpermisd’allerau-delàdelazonequiluiétaitimpartie.Nousatteignîmes la pièce de la gouvernance sans encombre, mais lorsque nous y pénétrâmes, nous fûmespresqueaussitôtcontréspardeuxguerrierscrinos. Ils sepositionnèrentdevantnousetnousplaquèrentfaceaumurcommedeuxintrus.Toutefois,àleursyeux,c’étaitexactementcequenousétions.

—Lâchez-les!leurordonnaMurdoch.Etsortez.Ils obtempérèrent bon grémal gré, grognèrent et s’enfoncèrent dans le goulot rocheux duquel nous

étions venus. Je respirai un grand coup etme tournai versMurdoch.Assis sur son trône de pierre, ilparaissaitplussauvageetcharismatiquequejamaisdanslatenuequ’ilavaitrevêtueàl’occasiondela

fête de la Nativité garolle. Chaque centimètre de peau visible, le visage y compris, était bariolé depeinturestribalesnoiresd’inspirationceltique.Letorsenu,ilavaitpasséuntartanvert,rougeetbleuentravers de ses épaules, ainsi qu’un kilt aux couleurs de la communauté, surmonté d’un large crest debronze représentant la marque universelle des garous : trois cercles concentriques. Ses avant-brasmusculeuxétaientornésdecouvre-poignetenargentrepoussé,etsoncouépaisd’untorquemassif.Àsesdoigts,lesanneauxduPouvoirSuprême.Deseshautesbottesfourréesetlacées,dépassaitlemanched’unskean-dhufinementciseléetsertidepierressemi-précieuses.Jerestaibéated’admiration.

Grigore,nettementmoinsimpressionné,fitquelquespasdanssadirectionetlesaluad’unsignedetêterespectueux.

—Revenez-vous avec les nouvelles que vous espériez ? nous demanda leMor-fear-faol d’un airgrave.

J’avançailentementenhochantlementon.—AlanKerrestbeletbienLeithSutherland,Murdoch.EtShonaAikenestentièrementresponsable

desonamnésie.Elleapayéquelqu’unpourlefaire.L’expressionindéchiffrable,ilacquiesçabrièvement.—Quellessontlespreuvesquevousrapportez?—Encoreaucune,JeremiahetChristysechargentdefairevenirl’ensorceleuse.—S’ilsréussissentàlapersuader,ajoutaGrigore.—Ilsyparviendront,assurai-je.Pendanttoutletrajetquinousavaitmenésici,j’avaisessayédem’enconvaincredetoutesmesforces.

Puisj’étaisarrivéeàlaconclusionquelaprovidencen’auraitjamaispermisquenouslaretrouvionssicen’était pas pour qu’elle soit la solution de nos problèmes. Elle viendrait, dénoncerait Shona, cettedernièreseraitpunie,etLeithseraitlibrededécouvrirquiilétaitvraiment.

—Qu’ellesétaientsesmotivations?voulutsavoirMurdochàproposdelaGalbro.—Nousnepouvonspasencorel’affirmeraveccertitude,maiselleseraittrèsprobablementliéeavec

legroupement fondamentaliste londonienauquela faitappelDageusSlater.LevéritableAlanKerrestmort,précisai-je.ShonaAikenl’atuépourqueLeithpuisseprendresaplace.

LeregarddeMurdochbrillad’unelueurquejeparvinspresqueàdéchiffrer.Ilsedemandaitcommenttoutceciétaitpossible,commentLeithSutherlandavaitpus’introduireicisansquepersonnenesedoutequ’iln’étaitpasceluiqu’ilprétendaitêtre?

—Shonaaeudesmoispourmontersonplan.LorsquevousavezfaitdesrecherchessurlevéritableAlanKerr,iln’yavaitsansdouterienàsignaler,nepus-jem’empêcherd’ajouterpourlerassurer.

Ilhochaunenouvelle fois la tête,peuconvaincu,etprobablement très irritédevoirque lasécuritéinstauréeparsacommunautén’étaitpasinfaillible.

—Trèsbien.Attendonsleretourdesvôtres,nousaviseronsensuite.Puisilétudianostenuesàtourderôle.

—Participerez-vousàlafête?Grigoreetmoinousregardâmes,incertains.—Jevouslerecommande,continua-t-il.Ilserait judicieuxdenepaséveiller lessoupçonsdeMlle

Aiken.Faitescequiétaitprévu.— J’avais justement prévu de ne pas y aller, l’informaGrigore avec suffisance. Ce n’est pas une

célébrationquimeconcerne.Murdoch se redressa pour le considérer avec hauteur. Dans la mesure où il était plus grand que

Grigore,cenefutpasbiendifficile.—Jevousyconvie,AngeNoir.Pasparcequej’enaienvie,maisparcequevotreprésenceauprès

d’Hannahpourraits’avérerfortutile.Refuserseraitm’insulter.Vousn’êtespasenpositionpourmetenirtête, alors jevous conseillede faire autre choseque songer àmecontrarier.Nousvousprêteronsdesvêtements.

Grigorehaussaunsourcil.Ilétaitpresqueamusé.Presque…—SiSaMajestél’impose,ironisa-t-ilendessinantunecourbette.

Nousnousretrouvâmesuneheureplustardsurleflancest,soigneusementcoiffésethabillés,prêtsàentrerdanslafosseauxlions.C’étaittoutdumoinsl’effetquejemefaisaisauxcôtésdeGrigore.Pourlapremière fois de toute l’histoire de la communauté garolle, unAngeNoir allait participer à leur fêteancestrale.Toutefois,Grigoreneparaissaitpasperturbéoutremesure. Ilsemblaitmêmetrèsheureuxàl’idéedemettreenébullitiontouteunehordedeloups-garousenivrésparlevin,lamusiqueetladanse.

Jetournailatêteversluietsoupirai.LorsqueFreyaluiavaitapporté,toutetremblotante,unepiledevêtementspourlasoirée,elleétaitloindesedouterqu’illesporteraitcommeunesecondepeau.Habillételungentilhomme,iln’avaitpasautantétédanssonélémentdepuisdessiècles!SiMurdochaimaitsepavanerenkilt,Grigoreétaittotalementdétendudanssonpantalonmarronencoton,satuniqueécrue,sonsurcotrougeàmanchescourtes,saceinturedecuirtombantsurseshanchesetseshautesbottes.

—Iln’yapasàdire,tuasfièreallure!memoquai-jeavecespièglerie.LesyeuxdeGrigores’illuminèrentdemalice.—Jevousretournelecompliment,gentedame.Cettetoilettevousvaàravir.Sonregardseposasurmoi,etilparcourutmatenueavecunelenteurparesseuse.J’avaislaissémes

cheveux libres surmes épaules et passé une ample robe vert foncé à capuche, étroitement serrée à lataille,auxmanchesévasées,etlargementouvertesurunempiècementdecotonblancmeretombantsurlespieds.Nouéeàlapoitrinepardeslacets,ellesoulignaitmonbusteetdrapaitjolimentletissu.Elleétaitaussi simple que pouvait l’être une robe médiévale, mais je devais bien l’avouer, terriblementconfortable.Aprèsavoirportédesvêtementsmouilléspendantplusdedeuxheures,j’auraispu,detoutefaçon,appréciern’importequoi.

—Prête?medemandaGrigoreavecenthousiasme.Tusaisdanserlagigue,j’espère?—Mêmepasenrêve!Ilouvritlebraspourm’indiquerlecheminetnousavançâmesendirectiondesbergesdelochnaseilg

miraculeusement épargnées par la neige.Nous étions à environ un kilomètre des rires, des chants, dugibier rôti et de l’immense feu qui éclairait la lande, mais déjà, les notes rythmiques de la musiqueécossaise résonnaientdans lanuit avecpuissance.Nousétionsaubeaumilieudenullepart, enpleinenature,maislesondelacornemuse,duviolonetdelaharpen’auraitpuêtreplussublimé.Jefermaiuninstantlesyeuxetrespiraiprofondément.

Lorsquenousnefûmesplusqu’àunecinquantainedepas,lamusiques’arrêtabrusquement.Nousnousimmobilisâmes presque en même temps et évaluâmes la tension montant crescendo et à une allureeffrayante parmi les loups. Trois cents visages ou presque étaient braqués sur nous. Je déglutisbruyammentetfrissonnai.

— Si tu meurs ce soir, sache que j’ai été ravie de te connaître, Grigore Vulpescu, tentai-je deplaisanter.

Iléclatad’unrirejoyeux.—Neteréjouispassivite,gamine.Ilsepourraitbienquecesoittoiquipassesl’armeàgauche.Ton

poilunetelâchepasdesyeux,etiln’apasl’aircontent.Je levai la têtepour lechercherduregardet le trouvai.Plantéaumilieude la foule, ilmescrutait.

Prèsdelui,Shonasetenaitbiendroite,unemainpossessiveposéesursonépaule.Unesensationdemaldemermeprit,j’avaisenviedevomir.Laculpabilitégonflaitenmoicommeunballon.Jen’avaispashâtedevoirlerésultatlorsqu’elleexploserait.Ettoutenformulantcetteremarquedansmonesprit,jemedemandaidequellemanièreréagiraitLeithquandilapprendraitqu’iln’étaitpasceluiqu’ilpensaitêtre.Comment parviendrait-il à digérer que Shona, sa vie tout entière et ses souvenirs n’étaient que desleurres ?L’impressiondemalaise s’intensifia.Leith pourrait ne jamais accepter d’avoir tout perdu, ilpourraitm’envouloiréternellementdel’avoirarrachéaupasséauquelils’étaitancré.

—Qu’est-cequit’arrive,gamine?Tuflanches?semoquaGrigore.J’esquissaiungesteévasifetledispensaidetouteexplication.—Allez,courage,meglissa-t-ilàl’oreilleencollantunemainsurmesreinspourmefaireavancer,il

vayavoirdusport.J’enfouis les doigts dans mes boucles encore mouillées et respirai un grand coup. Alors, Grigore

croisa lesbrasderrièresondos, leva la tête,et s’armad’unsourireà touteépreuve.Nousmarchâmesdroitdevantnous,maisfaceàtouscesregardshostiles,mavolontécommençaitsérieusementàs’étioler.Je me demandai par quelle folie Grigore avait pu accepter l’invitation de Murdoch, et moi, del’accompagner.C’étaitpresquedusuicide!Nouspassâmesprèsd’uncoupledeCrinosdontl’hommenemanqua pas de grogner avant de nous barrer littéralement le chemin. Encouragés, plusieurs garous netardèrentpasàl’imiteretenquelquessecondes,nousfûmesconfrontésàunvéritablemurdemuscleset

d’agressivitémanifeste.Çasentmauvais,pensai-je,lecœurtambourinant.Je sentis Grigore se crisper à côté demoi et perçus presque son sang circuler plus vite dans ses

veines.—Nous…nousavonsétéconviésparMurdochlui-même,bégayai-jeennetrouvantriendemieuxà

direpourjustifiernotreprésence.—Çasuffit!Écartez-vous!grondalavoixdecedernierderrièreeux.Ilsmarquèrent un temps d’hésitation et finirent par obéir.Murdoch se révéla à nous avec toute la

puissance,lecharismeetl’autoritédusàsonrangetnousfitsignedenousapprocher.—Ce sontmes invités, annonça-t-il à l’attention de la communauté, et j’entends à ce qu’ils soient

considéréscommetels.Simadécisiongênel’und’entrevous,qu’ils’enailleetnouslaisseprofiterdesfestivités.

Surlecoup,jemedisqu’ilsallaientbientousfinirparpartir,maispasunnefitungestedanscesens.Murdochlevalebras,lamusiquerepritetlafoulesedissipapourcontinueràboire,mangeretparler.

—Soyezlesbienvenus,noussaluacedernier.Amusez-vous,ilnevousserafaitaucunmal.GrigorehochalatêteetMurdochs’éloigna.—Qu’onm’arracheunmembres’iln’yapasd’incidentcesoir,marmonnaGrigore.Jepariequ’ils

sonttousentraindesedemanderàquelmomentilspourrontmetomberdessuspourm’égorger.—Ilsnetenterontrien,luiassurai-je.Murdochlespuniraitsévèrement.—Jepréfèrenepascompterlà-dessus,gamine.Ilfermaàmoitiélespaupièresetexaminaattentivementcequisepassaitautourdelui.Jesoupiraiet

laissai mon regard errer sur l’assemblée. Je croisai de nouveau celui de Leith qui semblait ne pasm’avoir lâchée des yeux un seul instant. À la lumière des flammes, sa tunique blanche immaculée etentrouverte rehaussaitdavantageson teintmatet lebrunprofonddesescheveux. Ilavait retroussésesmanches,dévoilantsesavant-brasquin’avaientnulbesoind’ornementationpourévoquerleurpuissance.Sonpantalondeveloursnoiretajustémettaitenvaleurlamusculatureharmonieusedesesjambesainsiquel’étroitessedeseshanches.Jefusparcourued’unlongfrissonsipeudiscretquejem’envoulus.Ilétaitmagnifique.

—Bonsang,marmonnaGrigore,ilfautvraimentquejetienneàtoipoursubiruntrucpareil.—Jenet’airiendemandé,grinçai-jeàvoixbasse.Tun’avaisqu’àdirenon.—Etraterl’occasiondedanseravectoi?Jamaisdelavie!Parsurprise,ilmepritparlamainetm’emmenaaucentredelafêtepourmefairetournoyerautourdu

feu au rythme des percussions et des cornemuses dans un genre de gigue effrénée.Oubliant où jemetrouvaisetl’essentieldemessoucis,jepartisdansunéclatderirequisemblaitneplusvouloirs’arrêter.Mespiedss’emmêlaient,mesbrasgesticulaienten toussens,maisquec’étaitbon!Troiscentsgarousabasourdisnousregardaientagircommesilemonden’existaitpas,quenousétionsenterreconquiseet,

combledesurprise,lamusiqueredoubla.NousvîmesalorsapparaîtreAnneasetGeorgia,suivisdeDan,ÉtienneetJohnaccompagnésdecharmantesjeunesfilleshispos.Ilsnousrejoignirentetnousentreprîmesunquadrilleauquel jenecomprisriendutout,maisquim’arrachadespetitscrisdesatisfaction.Jenem’étaispasaussifollementamuséedepuistrèslongtemps.

Lorsque lesmusiciensralentirent le rythme, jem’écartai,essoufflée,etm’installaienretraitsurunepierreplateaubordduloch.Grigoremeretrouvaquelquesminutesplustardavecàlamainunénormemorceaudeviandedecerfenveloppédefeuillesséchéesbaignéesdansl’huile.

—Tiens.Tun’asrienmangédelajournée.Jeleremerciaid’unsourireetprislerepasqu’ilmeproposait.J’ygoûtai,c’étaitbon.— Ils ne sont toujours pas revenus, dis-je pour moi-même. Et s’ils n’arrivaient pas à convaincre

l’ensorceleuse?—Maissi,ilsyparviendront,m’assura-t-ildoucement.Jet’aipromisquetoutrentreraitdansl’ordre.Jelevailesyeuxsurlui.—Aufonddetoi,qu’ensais-tu?Iltenditlamainetmecaressatendrementlajoue.—Noussommesunis,Hannah,tonavenirnem’estplusaussiétranger.Jeleressenslà.Ilpritmapaumeetladirigeacontresoncœur.Puisilmecontemplalonguement,levisagetoutprèsdu

mien.Legrisdesonregardscintillaitdanslalumièredufeu,jem’yperdisetnepensaiplusàrien.Jerenversailégèrementlatêteenarrièreetfermailespaupières.J’avaisenviedecroireenlui,encequ’ildisait,encedontilétaitcertain.

—As-tuconfianceenmoi?murmurasoudainGrigore.Jerouvrislesyeux.Unlégerbruissementsefitentendre,commedespasdansl’herbehumide,enmêmetempsquel’odeur

de Leithm’atteignait. Il était seul etmarchait droit sur nous. Paniquée, j’eus unmouvement de recul.Grigoremeretintenempoignantmesbiceps.

—As-tuconfianceenmoi?répéta-t-ilavecplusdefermeté.Surprise,jelâchailemorceauviandequejen’avaispasterminéetleregardai,lesyeuxécarquillés.—Oui,répondis-jedansunmurmure.Jet’aidéjàditqueoui.Sansunmotdeplus,ilpassalesdoigtsderrièremanuque,inclinalatêteetposadoucementseslèvres

surlesmiennes.Pétrifiée,jen’osaisfaireungeste.—Metstesbrasautourdemoncou,chuchota-t-ilcontremabouche.Leithétaittoutproche,moncœurseserra.Grigoreprit alorsmespoignetsde forceet les cala sur ses épaulesoù ilsdemeurèrent, immobiles.

Puisseslèvress’entrouvrirentetsalanguevintdélicatementcaressermesdents.Jegémis.Non…

LebaiserdeGrigoreseraffermit,s’approfondit.Non…Samainglissadansmondospourmeplaquercontre lui, tandisque l’autre fourrageaitmesboucles

rousses.—Non!Jem’écartaicommesouslecoupd’unebrûlure,lesoufflecourtetlarespirationheurtée.—Aieconfiance,répétaGrigoredontlesirisavaientprisl’apparencetumultueused’uneeauenpleine

tempête.Ill’avaitfaitexprès.HorrifiéequeLeithaitpuassisteràça,alorsquecettefoisjen’avaisrienprémédité,jetremblaisde

tousmesmembres. Je sautai surmes pieds etm’enfuis en direction desEntrailles. J’atteignis le flancouest, noyée de larmes, oppressée par un sentiment de trahison insoutenable.Mon âme et mon corpshurlaientderévoltecontremoi-même.J’étais l’infidèle!Jem’étais liéeavecunautre!Jen’avaispasattenduqueLeithmerevienne,jel’avaistrompé.Cetteréalitéétaitsidévastatricequ’ellemesecouadelongssanglots.Jetombaiàgenouxaupieddelamontagneetpleurai.

Çafaisaitsimal!Enunissantmon âme à celle deGrigore, j’avais inconsciemment admis queLeith neme serait pas

rendu,quejel’avaisperduàjamais.J’avaisabandonné,j’avaisjetél’épongesansmebattrevraiment,etmaintenant,j’allaisfairesouffrirGrigore.C’étaitunêtrebon,rare,etdotéd’unsensdel’honneurquejene posséderais jamais. Je lui avais offertmon sang sansmême accepter de lui appartenir vraiment etlui…lui,ilm’étaitdévouéentièrement,prêtàsacrifiersessentimentspourquejeretrouvel’hommedontj’étaiséperdumentamoureuse.J’avaishonte.Tellementhonte.

—Jenecroispasavoirdéjàvuungarousedonnerautantdemalpourseridiculiser,s’élevasoudainlavoixcruelledeShona.

Surprise,jemeredressaid’unbondpourluifaireface.Immobileetdroite,explosantdebeautédanssarobedebrocartrougeprofondémentdécolletée,sescheveuxnoirssoulevésenchignonpardespeignesdorésetémaillés,ellemescrutaitd’unregardmalveillant.

—Queveux-tu?demandai-jeenreniflant.—Pauvre…pauvreHannah.Queltristedestinqueletien,n’est-cepas?Jelasuivisdesyeuxtandisqu’elleavançaitdequelquespasdansunedémarchechaloupéeavantde

s’adossernonchalammentcontrelaparoirocheuse.—Jen’aijamaiscompriscequemonfrèretetrouvait.Jefronçailessourcils.—Tonfrère?Elleacquiesçaetsoupira.—Han,han…Ilavaitdécidédefairedetoisachose.

L’espritconfus,j’essayaiderassemblermesidées.Dequietdequoiparlait-elle?—Hélas,çaluiacoûtélavie,ajouta-t-elle.La vie ?Tout était en train de s’embrouiller dansma tête.Ewan…Ewan voulait faire demoi son

esclave,ilétaitmortdemesmains.MaisEwanétaitunAngeNoiret…Jepoussaiunpetitcrihorrifiéenreculantd’unpas.—Çayest?siffla-t-elle,unelueurmaléfiquedans lesyeux.Tuleremets?Tun’aspasoubliéson

visage?J’auraisaimégarderlesecretunpeupluslongtemps,maisc’étaittroptentant.Ellesouritenhaussantlesépaules.—J’aitoujoursétési…impatiente.Pourtant,voilàbientôttroisansquejet’observe.J’aifinalement

plusdequalitésquejenel’auraiscru.—Philip…,murmurai-je,commesouslecoupd’unchocviolent.ShonaétaituneGalbroetelleétaitbritannique,commelui.Parl’Esprit!Elletapadesmainsdansun

applaudissementlentetsinistre.—Bravo, bravo… Il serait heureuxde savoir que ton âme est désormais éternellement désunie de

celledesonassassin.Onfinittoujoursparpayer,HannahJorion.Toujours.Tonalteregoestàmoi,j’enferaicequebonmesemble.Jeletueraimêmecertainement,ettoi…toi…,ilneteresteraplusrien!

J’étaistétanisée,refusantdecroirecequej’étaisentraind’entendre,maistoutmerevintenmémoirecommesic’étaithier.Philipm’avaitpoursuiviedelonguessemainesaprèss’êtretransformébrutalementdevantmoisur les îlesOrcades. Irrésistiblementattiréparmonodeur, ilm’avait traquée,manipulée…Toutçaàcausedequelquesgouttesdeparfum.Envoûtement…Lephiltrequem’avaitoffertGwenavaitchangémavie. J’avais découvert queLeith était un garou, que sa famille tout entière l’était et que jeseraisdésormais liéeà luipar lepluspuissantdesamours.MaisShonaavait toutdétruit.Ellem’avaittoutpris.Parvengeance.

Devantsonvisagesatisfaitetvictorieux,lahainequibouillonnaitenmoidepuisdesjourssurgitplusvitequelalaved’unvolcan.Nousétionsseules,personneàplusieurscentainesdemètresàlarondepourm’arrêter,m’empêcherdeluiarracherlatêteetdeluicreverlesyeux.Alors,quand,avecunpetitsourireperfide,ellesortitd’entresesseinsunpendentifenbronzesebalançantauboutd’unechaînette,jeperdistoutecontenance.

Unefemmeetunloup.CeluideLeith.Moncadeau…Jepoussaiunrugissementderageetmejetaisurelle.Elle cria lorsquemes crocs se plantèrent dans la chair de son cou, et hurla quand je resserrai les

mâchoires,sifortquesonsangjaillitcommeungeyser.Laviolencedemonagressionétaittellequ’elleputàpeine réagir. Je relevai la têteet recommençai.Sonépaule, sonbras,puis lapeau tendredesonaisselle.Jevoulaislasaignercommeunporc!

Galvaniséeparsapeuretenivréeparlesangcommejenel’avaisencorejamaisété,jeneperçuspasl’odeurdeLeithquiarrivaitcommeunfousurnous.

—Alan…Alan,gémitShonadansungargouillisàpeineaudible.Saforce lupusmepercutadepleinfouetet j’allaiviolemmentm’écrasercontre lesrochers.J’eusà

peineletempsdemereleverquelepuissantloupmeprojetaitsurlesol,appuyantseslourdespattessurmes épaules pour me contraindre à rester immobile. Sortie de l’état second dans lequel je m’étaistrouvée,jeréalisaiqu’ilétaitsurlepointdememordre.

—Leith…,murmurai-je.Ilgrognasifortquesonrugissementserépercutadansmesos,sousmapeauetquej’entremblaide

tousmesmembres.Jevissonpelageblanchérissé,sescrocslongsetdégoulinantsdebaveplongersurmoi.Ilallaitmetuer.Maislevigoureuxcoupdegenouqu’ilreçutdansleflancl’empêchademedéchirerlagorge.Ilroulasurlui-même,seramassaetseprojetasurGrigoreavecuneviolenceinouïe.Cedernierbasculaenarrière,etparlaseuleforcedesesbras,réussitàsouleverlescentcinquantekilosquedevaitpeserLeithpourl’envoyerloinderrièrelui.Alertésparlebruitetl’odeurdusang,deuxguerriershisposaccoururent,s’interposèrentpuissammententreLeithetGrigore,etmirentuntermeàleuraffrontement.

Grigoreétaitfermementmaintenuausolpourl’empêcherdebouger,etLeith,toujourssursespattes,écumaitderage,soufflaitcommeunebêtesauvage,lesyeuxfixéssurmonvisage.Jelesavais,ilattendaitla moindre faiblesse des Hispos pour en finir avec moi. Mais ceux-ci ne permirent pas que la luttecontinue.L’und’entreeuxsortitunecornedebrumedesaceintured’armeetdonnal’alerte.LaMeutefutla première à arriver.Georgia se précipita surmoi pourm’aider àme relever, tandis queDan, John,ÉtienneetAnneasrestèrentpétrifiésdevantLeithenréalisantcequivenaitdeseproduire.

—Hannah,murmuraGeorgiaenmecaressantlescheveux,est-cequeçava?Jehochailatête.—J’aifaillilatuer…EllepivotaversShonaquin’étaitpassimalenpointàencroiresaposturebienplusplusdignequela

mienne.—Oui!Elleavoulumetuer!brailla-t-elle.Leithgrognaetretrouvasonapparencehumaine.—Oh,Alan,gémit-elleenseprécipitantsurlui.Sanstoi,jeseraismorte.—Ellet’amanipulé,menti!hurlai-jeavecdésespoir.Elleafaitdetoiunautre,aassassinéceluique

tupensesêtrepourquetuprennessaplace!Leith…Mavoixsebrisa.—Elleatoutorganisé.Pournouspunir.Parceque…tuastuésonfrèrepourmeprotéger,terminai-je

enlaissantcoulerdeslarmesderagesurmesjoues.—Elleraconten’importequoi!sedéfenditShona.Levisageplusferméquejamais,Leithposasurmoiunregardsiméprisant,sidénuédeconsidération

quemoncœurs’effritaunpeuplus.Murdochapparutalorsavecunehordedegarouscurieuxderrièrelui.Quandilnousvit,iln’eutpas

besoinqu’onluiexpliquelasituationpourcomprendre.—Libérez-le!ordonna-t-ilpourqu’onlâcheGrigore.Ilsetournaverslesdeuxguerriers,l’airimplacable,etdésignaShona.—Mettez-lasousbonnegardejusqu’ànouvelordre.—Quefaites-vous?C’estellequil’aattaquée!s’exclamaLeithenmemontrantdudroit.Laissez-la!

Ellen’arienfait!Le Loup Suprême leva lamain pour le faire taire, défit son tartan et le jeta à Leith pour qu’il se

couvre.—Mongarçon,ilesttempsdemettrecettesituationauclair.—Maislasituationl’estparfaitement!gronda-t-ilalorsquelesdeuxHisposemmenaientShona.La

faol-creutairavoulutuermapetiteamie.C’estelle,quevousdevriezenfermer!C’était lapremièrefoisqu’ilutilisaitcenom-làpourmedésignerdirectement,etil l’avaitfaitavec

tantdehaine,deméprisetdecolèrequ’àcet instantjefuspersuadéequesahargneneleferait jamaischangerd’avis.Quej’étaisdevenueuneennemiepourtoujours.

—Plusunmot ! tonnaMurdoch.Habille-toiet retrouve-nousdans lasalledecommunion.C’estunordre.Désormais,AlanKerrn’existeplus.Cesoir,tuserasobligéd’admettrequetuesLeithSutherland,filsdeJeremiahSutherlandetdescendantdeFillan,fondateurdelaCommunautéduMondeLibre.

—Conneries!vociféraLeith.Fouderage,ilnoualetartanautourdeseshancheset,sansprendrelapeinedecontournerlapointede

BenHope,ilbonditsouplementsurlaparoiàplusieursreprisespouratteindrelafailleouest,etdisparutderrière les rochers. Puis Murdoch se tourna vers moi pour m’observer, une lueur éclatante dans leregard.

—Ilssontrentrés.

Chapitre16

LahainesurlevisagedeLeithlorsqu’ilmeregardaitétaitplusdouloureusequecentcoupsdecouteaudanslapoitrine.Nousn’arriverionsjamaisàsurmonterça,cettecolère,cetteviolence,cetterévolteluisoulevant le thoraxparsaccadeset l’empêchantderespirernormalement. Ilsemblaitn’êtrecapablederetrouversoncalmequelorsqu’ilm’auraitétrangléedesespropresmains.J’avaismal.Horriblementmalqu’ilmedétesteàcepoint.

Assis en face de lui à la grande table rectangulaire, Jeremiah observait son fils silencieusement,ressentantaveclamêmeintensitéquemoilesémotionsfaisantrageenlui.Sestraitsétaientdursetsonregard impénétrable.Maintenant, il irait jusqu’aubout.Car il fallait crever l’abcès. Il était tempsqueLeithsache,qu’ilconnaisselavéritéetqu’ill’accepte,aussibrutalefût-elle.

L’ensorceleuse faisait le tour de la pièce, détaillant avec intérêt chaque arme accrochée au mur,caressant des yeux les haches, les hallebardes, les tapisseries. À coup sûr, elle adorerait voir lescollectionsdelasalledutrône.Bonsang,cettevieillebiqueneparleraitpastantqu’ellen’auraitpastoutétudié.Àchaqueobjetdevant lequelelles’arrêtait, lapressionmontait.Etelleprenait toutson temps.Assis enbout de table, dans un silencepresque funeste,Murdochobservait lemoindre de ses faits etgestes.Christyavait lesnerfsàvif,attendantavecimpatiencequelavieillesorcièredéliesalangueetnous libèredecette tensionqu’elleexacerbaitvolontairement.Puisellese tournasoudainversnousetsortitcalmementdelapochedesontabliersonpaquetdeWinston.

—Vousavezdufeu?Unsoufflecourts’échappademeslèvres.Jemejuraideluioffrirunemontagnedeboîtesd’allumettes

sielle tenaitparoleetexpliquaitàLeithcequ’elleavait faitetdansquellescirconstances.Cedont jecommençaissérieusementàdouter.Commepersonnenebougeaitninepipaitmot,consternéparl’attitudeindolentedel’ensorceleuse,Jeremiahperditpatienceetalladécrocherdumurunetorcheenflammée.Illalui tendit sanscérémonieetattenditqu’elle tiregoulûmentsur sacigarette.Elle ferma lespaupièresetlâchaunsoupirdesatisfaction.

—Çasuffit!rugitsoudainLeithentapantdupoing.Lavieilledamehaussaunsourciletretiral’excédentdecendrequis’étaitdéjàforméauboutdesa

clope.—Tuavaisdemeilleuresmanièresladernièrefoisqu’ons’estcroisés,jeunehomme.—Arrêtezvosconneries,riposta-t-il,onneseconnaîtpas.Unpetitsourireencoinétiralaboucheridéedelasorcière.

—C’esttoujoursplaisantdevoiràquelpointmessortilègesfonctionnent.Iln’empêchequetuétaispluspoli.

Puisellefronçafortementlessourcils.—Jeteconseilledebaisserd’untonsituneveuxpasquejemefâche.Leithouvritleslèvrespourrépliquer,Murdochl’interrompit.—Etsivousnousracontiezcequenousaimerionssavoir,vénérablebana-bhuidseach?Cestièdesélogesnesemblèrentpaslatoucher.Elletiraunelongueboufféesursacigarette,lajetaau

soletl’écrasaavantmêmedel’avoirterminée.—Paslapeinedemepasserlabrosseàreluire,monchou,jenesuispasplusvénérablequevous.EllesetournaversLeithets’agrippaàsonregardavectantd’intensitéquejelacrussurlepointde

l’hypnotiser.Leithnecillapasetcroisalesbrassursapoitrine.—Quelestlesouvenirleplusanciendevotreenfance,jeuneLupus?Pendantun instant,Leithparutsurpris,puis l’hésitationsedessinasursonvisage. Ilchercha, fouina

danssamémoire,etfutincapablederépondre.Cependant,ilneperditpaslaface.—C’estaveccegenredequestionquevousespérezm’amadouer?dit-ilàmonintentionetàcellede

Jeremiah. Il va falloir trouver autre chose, j’ai une mémoire très sélective. Je ne me rappelle quel’essentiel.

Ilfanfaronnait,maisàlafaçondontsesépauless’étaientaffaissées,jeperçusletroublequ’ilessayaitvainementdecacher.L’ensorceleuselevalesmainsd’unairfaussementrésigné.

—Comme vous voulez. On n’est pas obligés de faire dans la dentelle. Vous êtes arrivé dans mabicoqueaussiflasquequ’unpotde jelly.Onvousavaitassommé,droguéet rouédecoups,parcequ’ilparaîtquevousavezdonnédufilàretordre.Jevousaiattachésurunechaisepourvouséviterdetomber,j’aividévotrecerveau,etlapouletteauxgrosseinss’estchargéedeleremplirdenouveau.Vousavezeudubol,voussavez?Elleauraitpuvousdonnerlamémoired’unYorkshire.

Personnen’avaitenviederire.Leithfronçalessourcils.—Combienvousa-t-onpayéepourvenirmeracontercesconneries?Levisagedelavieillefemmes’éclairad’unsourirecarnassier.—Plusquejenepouvaisl’espérer,jeuneLupus!Bienplus!Etelles’esclaffajoyeusement.Lorsqu’ilsetournaversJeremiahetmoi,lespaupièresdeLeithseplissèrentjusqu’àneformerplus

quedeuxpetitesfentes.Ilpoussasachaiseetseleva.—C’étaitbienessayé,maisc’estraté.—Non,çane l’estpas,m’interposai-jeen le rejoignant.TuesLeithSutherlandetcettechiennede

Shonat’amanipuléexactementcomme…—Jet’interdisdeprononcersonnom!rugit-ilenfaisantunpasmenaçantversmoi.Jeteferaipayer

cequetuluiasfait.Jeteprometsquetuvasverserl’équivalentdechaquegouttedusangquetuluiaspris.

Choquée,jereculai.—Leith ! s’interposa Jeremiah.Tu fais erreur sur toute la ligne.Personnene tement.Le corpsdu

véritableAlanKerraétéretrouvé,etsurlui,unmotsignédelamaindeShonaAiken.Leithfusillasonpèreduregard.—Jusqu’oùêtes-vousprêts à allerdans lemensongepour remplacervotre filsdisparu? lâcha-t-il

avecbrutalité.Jesaisparfaitementquijesuis.—Tucroislesavoir,lecontreditcalmementJeremiah.Tuaimeraisavoirraison,maistuastort,mon

fils.—Jenesuispasvotrefils,grinça-t-il.Et jevaisvous leprouverautrementqu’avec leshistoiresà

dormirdeboutd’unevieillefolle!Lasorcièreéclataunenouvellefoisderire.—Folle?C’estcequejesuis,jeuneLupus.Etbiendavantage!Jepeuxêtretonpirecauchemar,te

donner des coliques jusqu’à la fin de ta vie, t’obliger à vomir des excréments à chaque mot que tuprononceras,ettefairepisserdel’acide!Manque-moiencoreuneseulefoisderespectettun’aurasplusjamaisl’occasiondeproférerunson.

Christy tremblait. Elle prenait tout à fait au sérieux ses propos, car elle connaissait exactement laraisondubannissementdelasorcièreauseindelaGuilde.Leith, lui,était imperturbable, ilnedéviaitpasdudénidanslequelils’étaitenfoncé.Ilrelevalatêtefièrementets’adressaàMurdoch.

—Mor-fear-faol,maparole etmonpasséne sauraient êtremis endoute.Permettez-moide rendrevisiteàmesparents,delesramenericietdevousdémontrerquejenesuispasquions’obstineàcroirequejesuis.

—Mongarçon…,voulutl’arrêterMurdoch.—LoupSuprême,j’ail’impressiond’êtreenpleincauchemar.Cesgensdébarquentavecl’assurance

quejesuisdesleurs,ilsbousculenttout,accusentmapetiteamie,intententàsavieetlafontemprisonner.J’ailedroitdemedéfendreetceluidelaprotéger.Jesaisquevouslescroyez.Maislaissez-moivousprouverqu’ilsonttortenrejoignantlesmiens.

Murdochsetutetleconsidéraavecincertitude.Était-cevraimentlàlaseulesolution?L’uniquemoyende lui ouvrir les yeux ? Leith était buté, borné et si convaincu d’être quelqu’un d’autre qu’il fallaitprobablementunrejetbrutalpourleréveiller,leconfronteràlaréalité.Àcetteheure,lesparentsd’AlanKerrsavaientsûrementqueleurfilsavaitétéretrouvémortsurl’îledeSkye.LedétectiveForbesavaitdéjà dû les avertir. J’aurais préféré éviter ça à Leith, mais c’était inéluctable. Personne n’aurait pul’empêcherd’aller lesvoir. Jene lâchaipasMurdochdesyeuxethochaidoucement la têtequandsonregardcroisalemien.Jeremiahaussiacquiesçasilencieusement,etMurdochsoupira.

—Trèsbien.Faiscommebontesemble,etreviensnousdirecequ’ilenest.

Leithfitunsignedumentonetquittalapiècesansunmotdeplus.—Mamissionestterminée,jerentrechezmoi,nousinformaalorsl’ensorceleuse.— Pas avant demain, bana-bhuidseach, l’avertit Jeremiah. Cette nuit, vous la passerez parmi les

loups.Àcesmots,Christylaissafilerunchapeletd’éternuementsalorsqueçaneluiétaitpasarrivédepuis

deslustres.— Lierre terrestre, prêle, romarin et sauge, cita mécaniquement la vieille sorcière. Et si ça ne

fonctionnepas,fichezlecampd’ici!Cequejevaisfairemoiaussi,etn’essayezpasdem’enempêcher,Lupus.

—Mais…,murmurai-jemalgrémoi.Ilfaitfroid,vousêtesloinet…Comme elle l’avait fait dans sa cabane, elle entama un chant écossais pour mettre un terme à la

conversation,etdisparutdanslagaleriemenantàlafailleest.Personnen’amorçalemoindregestepourlaretenir.Àvraidire,nousfûmesmêmesoulagésqu’ellenesoitpluslà.

—Çan’apasététrèsconcluant,n’est-cepas?murmurai-jeàregret.—Sivousl’avieztuée,j’auraisdûvousfairecondamner,cinglabrusquementMurdochd’untonsans

réplique.Jevousavaisditderesteréloignée!Priseenfaute,jenepusquebaisserlesyeuxsurmarobetachéedesang.—Siellenem’avaitpastoutavoué,je…Christys’approchaetposaunemainapaisantesurmonépaule.—Cequiestfaitestfait.Àprésent,jesuispersuadéequetoutvarentrerdansl’ordre.—Cen’estpaspourautantqu’ilaccepteradenoussuivrequandildécouvriralavéritéparlui-même!

sifflaJeremiah,nelapréservantpasdutonsecqu’ilemployaitàchaquefoisqu’ils’adressaitàelle.Ellelevalesyeuxetluioffritunsourireforcé.— Une chose est sûre, c’est qu’avec le caractère que vous avez, il ne sera pas pressé de vous

rejoindre.Mais toi, ma petite Hannah, dit-elle en posant surmoi un regard plein de douceur, je suiscertainequetuparviendrasàleconvaincre.

Alors, elleétaitbien la seule.Mêmes’il apprenait lavérité, jenevoyaispas trèsbiencomment ilallaitmepardonnerd’avoirmanquédetuersabien-aiméeShona.Écœuréeetblessée,jesecouailatête.

—Jenedisposeplusdetelspouvoirssurlui.Pour la première fois depuis que nous étions arrivés ici, Jeremiah retira lemasque rigide derrière

lequelils’étaitcachépourseprotéger.Sonexpressions’adoucit.Ils’approchademoiafindeprendremesjouesentresesmainsetlà,ilsoulevamonvisageetmeregardatoutaufonddesyeux.

—Tuescellequesoncœura toujoursattendue.Riennesaura jamais l’évincer.Pasmêmelui.Pasmêmelamort.

Ilposaaffectueusementseslèvressurmonfrontets’écarta.J’étaistouteretournée.— J’aimerais suggérer à ton ami Grigore de suivre discrètement Leith, demain. Penses-tu qu’il

acceptera?Enétantsûredenepasmetromper,jeluiaffirmaiqueoui.—J’irailevoirmoi-même,promis-je.Jeremiahapprouva.—Lasoiréeaétédifficile,conclutMurdoch,jevousconseilleàtousd’allervouscouchersanstarder.Nousacquiesçâmesetquittâmeslasalledecommunion.Jefisundétourparlesquartiersoùétaitlogé

Grigore et lui demandai une nouvelle fois son aide. C’était un ami fidèle, un allié, non seulement ilacceptasanshésiter,maisilnementionnapaslebaiserqu’ilm’avaitdonnéunpeuplustôt,cedontjeluifus extrêmement reconnaissante. Je ne voulais pas en parler, ni même évoquer la culpabilité qui merongeait. Je pense qu’il le savait tropbien. Je dus faire demi-tour pour rejoindre le centre de la cité,néanmoins accompagnée d’un sentiment d’échec de plus en plus puissant. J’étais fatiguée, lasse,désœuvrée… Quand tout cela prendrait-il fin ? Quand goûterais-je au repos et au calme auxquelsj’aspirais?Uneannéedetranquillitén’avaitpasétésuffisantepourmeremettreducataclysmequiavaitbouleversémaviepresque troisansplus tôt. Ilmesemblaqueçanese terminerait jamais,que j’étaisprisedansuntourbilloninfernalquines’arrêteraitquelorsquemesyeuxseraientdéfinitivementfermésetquemoncœurauraitcessédebattre.Oh,jevoulaisvivre.Maispasseule.Passanslui.Leithétaitprésentpartout.Sonodeur,savoix,ladouceurdesapeau.Ilnemequittaitpas.Jamais.Mêmemesnuitsétaientrempliesdessongesoùnousétionsensemble,réunis,amoureuxetplusfortsquelerestedumonde.Jelerêvaissifortquej’avaislesentimentprofondd’êtrerevenueàlaréalité,etlorsquej’ouvraislesyeuxaupetitmatin,toutmonuniverss’effondrait.Encore.Invariablement.Inlassablement.

Plongéedansladouleurdemesdéceptions,messouvenirsetmesespoirsdéchus,jenemerendispascompte que, tandis que je marchais sans torche dans l’obscurité de l’immense escalier qui menait àl’Agora, je n’étais plus seule. Un bruissement léger se fit entendre, et l’instant d’après, une mains’écrasait sur ma bouche. J’étouffai un hurlement pendant qu’on me tirait puissamment en arrière.Désarçonnée, ilme fallut quelques secondes pour comprendre que c’était Leith quim’entraînait.Moncœurbattaitàtoutrompre.

Fulgurants, sesmotsmerevinrentà l’esprit :«Je te feraipayerceque tu luias fait.Tuvasverserl’équivalentdechaquegouttedusangquetu luiaspris.»Allait-ilmettresamenaceàexécution?Meferait-il subir le même sort que j’avais réservé à Shona ? Dans un regain d’énergie, je me débattisfarouchementdansl’espoirqu’ilmelâche,maisilétaitbienplusfortquemoi,sapoigneétaitsolide.Jene parvins qu’à me déséquilibrer davantage, à me coincer les pieds dans ma robe et à me tordrebrutalementlachevillesurlesmarches.Tétaniséeparladouleur,jenefisplusungestepourmelibérer.Lorsque nous fûmes tout en bas, je priai de toutes mes forces pour que Grigore nous entende, qu’ilintervienne,maisLeithpritladirectionopposéeauxquartiersoùilsetrouvait,etmefitavancerdansungoulotàpeineéclairé,puantl’aciditéducalcaireetlamoisissure.Entresallesetgaleries,ilmesemblaquenousavionsparcourudescentainesdemètresetça,pendantdelonguesminutes,alorsquepasplusde

cinqnedevaients’êtreécoulées.Leiths’arrêtaenfinetmepoussaavectantdeviolencedevantluiquej’allaipercuterlaparoiquimefaisaitface.Ilcraquauneallumette,embrasaunetorchemuraleet,tandisquejerestaispétrifiéecontrelaroche, ilavança.Nousétionsdansunecavitéétroiteet irrégulièred’àpeinevingtmètrescarrésquelesflammeséclairèrentenquelquessecondes.JedistinguaistrèsnettementleregarddeprédateurqueLeithposaitsurmoi.Iln’étaitpluslui-mêmeets’apparentaitàunfauvesurlepointdemettreàmortuneproie.Paniquée,jefisplusieurspasdecôtédansl’espoirdetrouveruneissue,maisilfutsirapidequej’eusàpeineletempsdelevoirbouger.Lesbrasplacésdepartetd’autredematête,lecorpspresquecolléaumien,ilm’empêchaitdefaireungeste.Ilrayonnaitd’uneénergienégativesipuissantequel’airvibraitautourdenous.

—Leith…,murmurai-je,endésespoirdecause.—Commentas-tuosé?articula-t-ild’unevoixsibassequ’elleenétaiteffrayante.Commentas-tupu

t’attaqueràelleetmontertoutecettehistoire?—Turefusesdevoirlaréalité.Ouvrelesyeux.Ouvrelesyeux!criai-je.C’estellequit’amanipulé,

pasmoi!—Tais-toi ! gronda-t-il.Tais-toi où je t’égorge avantmêmeque tun’aies le tempsdem’expliquer

pourquoituesalléesiloin.Il contenait mal sa fureur, les muscles de ses mâchoires se crispaient toujours plus et ses iris se

coloraientdepigmentsdorés.—Ellel’atué.Ellel’atuépourquetuprennessaplace.— C’est toi que je vais massacrer sans un remords si tu continues à dire des choses pareilles.

Commentas-tupuconvaincre leLoupSuprêmedesaculpabilité?Commentes-tuparvenueà lui faireadmettrequej’étaisceluiquevouscherchiez?Comment?Comment?hurla-t-il.

Ulcérée,jelerepoussaisiviolemmentqu’ilrecula.—Parcequec’esttoi!C’esttoi!Parcequecetypeestmort!Parcequ’ellet’ajetéunsort!Etparce

qu’on lui en a apporté la preuve.Mais tu es trop buté pour le reconnaître. Tu esmon âme sœur. Lamienne!Shonaneserajamaisriend’autrequ’uncorpssurlequeltunefaisquepasser!

—Laferme!Tunesaispascequetudis!Tumens,tumenscommeturespires.Tuesprêteàtoutpourretrouverunersatzdecequetuasperdu.Etj’enviensàmedirequec’étaittoutcequevousméritiez,toietlestiens.Vousêtestouscomplètementfous!

—Tononcleestmort!Ilneméritaitpasdemourir,etsafemmedeleperdre!Ilssontvenusicipourtesauveretilsonttoutperdu.Commentpeux-tucontinueràcroirequ’unetelledéterminationn’apasdesens?Nousnesommespasfous,noust’aimons!

Sonregards’enflamma.—Jeneveuxpasquevousm’aimiez,vousn’êtesrien.Vousnereprésentezrien.Etj’iraicrachersur

sescendrespourvousleprouver.Jeneréfléchispasunseulinstantetlegiflaiàtoutevolée,sifort,quesatêtetournaviolemmentsurle

côté.Quand il se reprit, ilgrognaetmontra lescrocsavantdemepousserunenouvelle foiscontre laroche.Puissoudain,sonvisageetsesavant-brasseparsemèrentdepoilsblancs.Parl’Esprit!L’instinctdesurvieenflaplusvitequemapeur.N’attendantpasqu’ilmemorde,jemeparaidegriffes,levailesmainsetlesplantaiférocementdanssesépaules.Ilrugit,reculaetmelaissasuffisammentd’espacepourprendrelafuite.J’enprofitaipourm’élancerafindesortir,maisilmeretintparletissudemarobe,enarrachant l’intégralité de la jupe. Toutefois, il me restait mon bustier, ma camisole, mes bas et mesjarretières. J’avaisplusde libertédemouvement, jeparvins àmedégager. Jemepropulsai àgrandesenjambéesdansleboyaurocheux.Leithn’eutqu’àfaireunsautpourmerattraper.Jemedébattisavectantde forcequ’il finitparme lâcher,me laissant l’occasiondeme retourneretde luiasséneruncoupdepoingprodigieuxdansl’estomac,puisunautreenpleinvisage.Ilfutuninstantdéséquilibréavantdesereprendrerapidement.Ilempoignaaussitôtmescheveuxpourmetirerenarrière.Jehurlaidedouleur.Ilmetraînacommeçajusqu’àlasalled’oùjem’étaiséchappéeetmeprojetasauvagementcontrelaparoi.Lesoufflecoupésouslaviolenceduchoc,jenebougeaiplus.Lapiècesemitàtourneretjem’affalaiparterre.Leithsetenaitàdeuxmètresdemoi.Ilavançad’unpasdéterminé,unelueurmeurtrièreaufonddesyeuxet, l’espaced’uninstant, jemedemandaisijereverraisunjourlesmiens.Iln’étaitplusl’hommequejeconnaissais,quej’aimais,j’étaisunepoupéedechiffonentresesmainsetilallaitmetuer.C’étaitcommesisaconsciencelupusn’existaitplus,seulecomptaitlavengeanceetledésirdemefairemal.Ilmeremitsurmespiedsparlecoldemarobequisedéchiraaussi,m’empoignalagorgeetmesoulevacontrelaparoi.Lapierremegriffaprofondémentledos,lesépaules,lescuisses,alorsjeréagisetlançaimespieds,mespoingssansréfléchir.JemedébattisavectantdehargnequejefinisparatteindreLeithaubas-ventreetilmelâcha.Maisjen’avaisplussuffisammentd’énergiepourm’enfuir,jetombaiàgenoux,la tête en avant, je toussai, crachai, incapable deme relever. Leith neme laissa pas le temps demereprendre,ilfonçasurmoietm’écrasadetoutsonpoidssurlesol.Majoueripasurlarochetranchanteetsemitàsaignerabondamment.Rassemblantmesdernièresforces,j’arrondisledosetparvinsàlefaireviolemmentbasculersurlecôté.Ilsereleva,commepossédé,etgrondaaveclapuissanced’unmonstre.Ilsejetaunenouvellefoissurmoiet,àcalifourchonsurmonventre,ilrefermasesmainsautourdemoncou.Désormaisàboutderessources,jecessaidemedébattre,gardailespaupièresouvertesetaffrontailatempêtequifaisaitragedanssesyeux.Lesoufflememanquait.Lesienétaitchaotique.Bientôt,jenerespirerais plus du tout. Il me tuerait. C’était son objectif. Se débarrasser de moi. Me faire payer.M’anéantir.Maisjel’aimais,detoutmonêtre.

—Leith…,réussis-jeàmurmurer.Il ouvrit de grands yeux. Sa poigne se relâcha sensiblement et il s’immobilisa au-dessus de moi.

Accrochée à son regard émeraude, j’entrouvris les lèvres et laissai passer un gémissement de puresouffrance.

—Souviens-toidemoi.Souviens-toidemoi…Justeunefois.Incertained’avoirparléàvoixhaute, je fermai furtivement lespaupières, laissant roulerunegrosse

larmesurmajoue.Leithdénoualesdoigtscommes’ils’étaitbrûlé,etcontemplamonvisagedurantdelonguessecondes.Ilavaitétésurlepointdemetuer,etilleréalisait,telunaveuinsoutenable.Unvoiletroublepassadevantlui,déformantsestraits,etl’instantd’après,ilécrasaitimpitoyablementsabouchesurlamiennesansqu’iln’ytrouvelamoindreopposition.Sesdentsmepincèrentlégèrementetlegoûtdusangsedéposasurmalangue,alorsjegémis.Dansunmouvementdésordonné,ils’allongeasurmoidetoutsonlong,sefrayauncheminentremescuissesnues, frottasonbassincontre lemien,etverrouillacomplètementseslèvresauxmiennes.Moncœurbattaitsiviolemmentquejefuspersuadéequ’ilallaitlâcher.MaisLeithme redonnaitvie, je sentais crépiterdeminusculesbullesd’air sousmapeau.Toutmoncorpsfrémissait,vibrait,l’appelait,l’exigeait.L’énergieetlavigueurardentequiémanaientdeluimeprenaienttoutentière,ravageanttoutsursonpassage,mespensées,mesespoirs,mescraintes.Iln’yavaitplusquelui.Luietledésirprimitifqu’ilfaisaits’abattresurmoi.Jeglissailesbrasautourdesanuqueet,commeunsignederedditionqu’ilauraitattendu,salangues’enfonçadansmaboucheavecunesauvagerieimpitoyable.Maisquem’importaitqu’ilsoitbrutal?Jelevoulais.Intégralement.

Puissubitement, ilsejetaenarrièrecommesi je l’avaisbrûlé.Effaré, ilm’observaunepoignéedesecondes.Immobileetmuette, jecontemplaisavecfascinationla lueuréclatantedesesyeuxélargisdestupéfaction:cebaiserl’avaitmarquéauferrouge.Ilmedésirait.Désormais,illesavait.C’étaitinscritenlui.

Il sauta sur ses pieds, passa unemain dans ses cheveux, le souffle heurté, et ferma brièvement lespaupières.Ilmeregardaunenouvellefois,ouvritlabouchepourdirequelquechose–desexcuses?–,maisseravisa.L’instantd’après,ilétaitparti.

Jerestailesbrasencroix,sansbouger,lecorpsengourdid’uneétrangesensation.Cetteviolenceavaitétéplusvivantequetouslesmotsprononcésjusque-là.Ellesignifiaitquelquechose.Ellecomptait.

Le goût que Leith avait laissé sur mes lèvres était puissant, douloureux, et son baiser vengeur,implacable,cruel.Maisquidenousdeuxavait-ilpuni?Lui,oumoi?

Chapitre17

Jesoupirai,m’assissurmapaillasseetmepinçail’arêtedunez.LesouvenirdemonaltercationavecLeith, la veille, neme quittait pas. Son regard et sa ragem’avaientmarquée au fer rouge.Lorsque jefermaislesyeux,cen’étaitplussadouceuretsatendressequis’imposaientàmoi,maislabestialitéaveclaquelleilavaitvoulumedétruire.Cependant,alorsqu’ilauraitpuserrersesmainsplusfortautourdemon cou, aller jusqu’au bout de sa vengeance et me faire taire à jamais, il ne l’avait pas fait. Laconsciences’étaitélevéeenlui.Laconscienceouautrechose.Maisquoi?Ilmedétestait,ilmedétestaitvraimentd’avoirchamboulésavieentière,maisunepartdelui-mêmelepoussaitmalgrétoutversmoietleconduisaitàmevoirdifféremment.

J’auraisdonnébeaucouppourpouvoir lireaufonddesoncœuretavoir l’assurancequetoutn’étaitpasaussinoirquejelecroyais.Or,lorsqu’ilseraitrevenudechezlesKerr,ceseraitpire.Lavéritéluiexploseraitenpleine figureet iln’auraitd’autrechoixqued’admettrequ’aucundenousn’avaitmenti,que Shona, sa déesse, sa reine, celle qu’il pensait être sa moitié, n’était rien de plus qu’unemanipulatrice.

Moncœurseserra.Ilneluiresteraitrien,riend’autrequ’unpasséquin’étaitpaslesienetunavenirincertain.Saurait-ilprendre lamainqu’on lui tendraitpourse reconstruire?J’endoutais.J’endoutaissérieusementetçamedonnaitlanausée.

—Hannah?Je levai lesyeuxsurGeorgiaqui sedessinaitdans l’embrasure.Elleportait son jeanet sonsweat-

shirt,refusantdedéambulerenpermanenceavecdesvêtementsd’époque.Malgréquelqueslavagesdansleslacssouterrains,ilsétaienttellementsalesqu’ilsavaientl’aird’avoirdessiècles,maisGeorgia,elle,resplendissait.L’ovaledesonvisageétaitencadréparunecascadedecheveuxblondsetsouplesquejeluiavaistoujoursenviés.Sansmaquillage,elleétaitencoreplusbellequed’habitude.L’amourlarendaitétincelante. Anneas et elle s’étaient trouvés juste après la mort de Julia. Georgia s’était pourtantaccrochéeàLeithplusefficacementqu’unesangsue,etnousnousétionsdétestées,puiselleavaitadmisqu’Anneasetelleétaientfaitsl’unpourl’autre.Etc’étaitlecas.Souvent,jemedemandaispourquoilemor-aotromnelesavaitpasencoreunis.PourLeithetmoi,ilavaitsuffidequatrerencontres.L’Espritnousavait frappéssur lepharedeNossHead lapremièrefois.Puissur lesommetdeClobberArgyll,lorsque j’étais devenue un Lupus. Ces endroits resteraient gravés dans ma mémoire comme les plusmagiquesaumonde.EtLeithnes’ensouviendraitjamais…Jefermailesyeux.

—Est-cequeçava?s’enquitGeorgiaens’asseyantàcôtédemoi.Lesoleilestdéjàtombéettun’asrienmangédelajournée.

J’avaisévitédepartageraveclaMeutematristeaventuredelaveilleavecLeith,etmêmesimapeaus’étaitbienviterégénérée,moncorpsétaitusé,fatigué.J’avaispasséunebonnepartiedel’après-midiconfinéeici,allongéesurmonlitdefortuneenmettantçasurlecomptedemonaltercationavecShona.

—Çava,répondis-jeavecunsemblantdesourire.Jen’aipastrèsfaim.Ellem’étudiadelatêteauxpiedsenhaussantunsourcil.—Tuasbeaucoupmaigri,Hannahettescheveuxsontdansunpiteuxétat.OndiraitMerida{12}.Je baissai les yeux sur mon tee-shirt, il bâillait aux manches, et mon jean aurait eu besoin d’une

ceinture.Quantàmescheveux…jem’enmoquais.Elles’approchaetsortitunélastiquedesapoche.—Jeneteprometspasunmiracle,maissitumelaissesfaire,jepeuxpeut-êtrearrangerça.Alors jehochai la tête.Siça lui faisaitplaisir.Elles’installaderrièremoietcommençaàdémêler

grossièrementmesbouclesduboutdesdoigts.Çamerappelaleslonguessoiréespyjamaentrefillesquenous organisions avec Sissi lorsque je vivais encore à Paris avecmes parents, et je fus prise d’uneprofondemélancolie.Toutçaétaitsiloin.JeneluiavaispasdonnésignedeviedepuisquenousétionspartisdeWick.Sissidevaitsefaireunsangd’encre,mêmesiPierricketHermancedevaientoccupertoutsonesprit.J’avaishâtedelesrevoir.DariusetGwenaussi.Pasunjournes’écoulaitsansquejepenseàeux et que je prie pour qu’ils aillent bien. Ma mère, mon père, Elaine… Ils me manquaient toushorriblement.

—Toutserabientôt terminé,m’assuraGeorgiad’unevoixdouce touten finissantdeme tresser lescheveux,etnousreprendronstousdupoildelabête.

Jehaussailesépaulessansparveniràsouriredesonjeudemots.—C’estcequetoutlemondes’évertueàdire,maisc’estencoreloind’êtrelecas.Ilvoudrapeut-être

restericietpersonnenepourral’enempêcher.Ellesoupira.—J’espèrequ’AlanKerrn’estpasaussitêtuqueLeithSutherland.Ça,j’endoutaissévèrement.—Vousdevriezpartir,murmurai-je.Ellepenchalatêtepar-dessusmonépaulepourmeregarderetécarquillalesyeux.—Etvouslaisserdanscebourbier?Tapropositionesttentante,jeneseraispascontreunsaunaet

unebonnemanucure,dit-elleenmontrantsesonglesquin’avaient jamaisétésimalenpoint,mais j’aipeurquecenesoitpaspossible.LatantedeLeithestendeuil,cederniern’estpasprèsdereprendresesesprits,Jeremiahettoinerentrerezpassanslui,vousnesavezpascequedevientDarius,etpuistun’aspasuneseulecopineici!Avecquituvasparlerchiffon?

Jeluisouris.—Pasavectoi,onnel’ajamaisfait.Vousnepourrezpasresteréternellement,Georgia.Elleclaqualalangue.

—Lafac,toutça,toutça…,jesais.Maisonnevouslâcherapasd’unesemelle.Parcequequandçachauffera,vousaurezbesoindenous.

Mabouchepritunpliamer.SilesGuerriersdel’ombredevaientnoustrouver,j’apprécieraisquemesamis soient partout ailleurs plutôt qu’ici.Mais le clan n’avait pas de laMeute que le nom, c’était ungroupeuni.Nulneparviendraitàlesmettredehors,mêmeenlespayant,etquelquepart,paradoxalement,çamerassurait.

Soudain,Étienneapparutdansl’encadrementdelaporte,levisagegrave.—Ilestderetour.Pas besoin de préciser qui. Jeme levai d’un bond et accourus dans la salle commune où se tenait

Jeremiah.Ilm’envoyaunregardd’uneintensitéetd’unetristesseextraordinaire.—IlademandéàparleràShona.Monestomacsecomprimasifortquejelaissaiéchapperunpetitgémissement.—Murdochest-ilaucourant?Ilhochalatête.—Oui.C’estmêmeluiqueLeithestallévoirenpremier.Lesparentsd’AlanKerrsontlàégalement.—EtGrigore?—Ilt’attend.Jehochailatêteetm’élançaidanslescouloirspourleretrouver.Jetraversailacitéetlessouterrains

aussirapidementquepossibleetletrouvaiassisauborddulacéclairédelanternesbleues.Seul.Ilnesetournapaslorsquejepénétraidanslacavité,ilgardaitlesyeuxfixéssurl’eau.

— J’ai vu beaucoup de choses dans ma longue vie. Les maladies, les guerres, la capitulation deNapoléonàWaterloo,larévolutionindustrielle,maisjen’avaisencorejamaisvuunhommeperdretoutcequifaisaitsavieavecautantdesouffrance.

Sontimbreétaitdoux,presquecompatissant.—Grigore…—Onlesavaitdéjàavertisdelamortdeleurfils,ilsluiontclaquélaporteaunez.Leithestresté

immobiledelonguesminutesàessayerdecomprendrecequivenaitdeluiarriver,c’étaitcommesi lecielluiétaittombésurlatête.Puislefrèred’AlanKerrestsorti.Leiths’estfaitbousculer,durement,ils’estlaisséfrappersansêtrecapablederéagir.C’estForbesquil’atrouvéuneheureplustardenallantrencontrerlesparentsd’AlanKerrpourleurdonnerplusd’élémentssurledrame.Leithétaitassissousunarbre.

—Parl’Esprit…Jem’approchailentementetm’installaiàcôtédelui.Iltournalatêteetmeconsidéralonguementde

sesgrandsyeuxgrisfroidsettransparents.—Tonpoiluvaavoirdumalàs’enremettre,Hannah.—Jesais…,murmurai-jed’unevoixéteinte.

—IlademandéàvoirlaGalbro.Jehochailementon.Ilsemitbrusquementsursespiedsetalladécrocherunelanternebleue.—Qu’est-cequetufais?—Viens.Jeveuxtemontrerquelquechose.Je fronçai lessourcilset lesuivis. Je fis le tourdu lacavec lui, jusqu’àcequ’il s’arrêtedevant la

paroi.Illevalatêteetm’indiquauntrouàdeuxmètresdehauteur,àpeinemoinsgrandquelatailled’unhomme.

—Prendsça.Ilme tendit la lampe, fléchit légèrement lesgenouxetsautapours’accrocheraurebordavantdese

faufileràl’intérieur.—Oùest-cequeçamène?demandai-je,intriguée.—Au-dessusdesquartiersdéfensifs,précisémentauniveaudelacellulelaplusenretrait.Celleoùse

trouvaitBonnie.Jepensequecepassageservaitàépier lesprisonniersetécouter leursconversations.C’estlàqueShonaAikenestgardée.

J’écarquillailesyeuxencomprenantcequ’ilmeproposait,levailebraspourluirendrelalanterneetlerejoignissansl’ombred’unehésitation.

Nouslongeâmeslagaleriependantunbonmoment,jusqu’àcequ’elleserétrécisseetquenoussoyonsobligésdecontinueràquatrepattes.Nousaboutîmesdansunespaceenformedeclocheoùnouspûmesnousremettredebout.Delà,nousperçûmeslesvoixfaiblesdeLeithetShona.

—Commentconnais-tucetendroit?finis-jepardemanderàGrigoreenchuchotant.Ilsetournaversmoiavecunpetitsourireencoinentendu.—Connaîttonennemicommetuteconnaistoi-mêmeettuvaincras.Un rai de lumière jaunâtre s’échappait d’un interstice formé au pied de la paroi et partiellement

combléparungroscaillou.Grigores’allongeapar terre,poussaaussi silencieusementquepossible lapierre, etm’invita à le rejoindre. Ce que je fis sans tarder. L’entaille était suffisamment grande pourdistinguerunbonquartdelacellule.JevoyaisLeithdedos,ilfaisaitfaceàShonadontlerirerésonnaitdanstoutelapièce.

— Parce que tu penses que j’aurais pu coucher avec l’assassin demon frère ? cracha-t-elle avecdégoût.Toutétaitorchestré,programmépourtebriser,pauvreimbécile!Tun’esrienpourmoi.Tun’asjamaiscompté!Jenet’auraisjamaispermisdemetoucher!

Les épaules de Leith se soulevaient avec tant d’irrégularité que je compris qu’il était sur le pointd’exploser.Jedétestaiscettefemme,maisjedétestaisencoreplusqu’ilsouffre.

—Tum’asvolémavie,mafamille,messouvenirs,murmura-t-il.Pourquoinepasm’avoirtuécommetul’asfaitavectonpetitami?

Shonalaissafilerunricanementmoqueur.

—Monpetitami?Non.Unidiot,maisunidiottrèsutile.—Pourquoi?hurla-t-il,sifortquej’ensursautai.Shonaapparutdansmonchampdevisionquandelles’approchadeLeithpourluirépondre.Elleétait

encorecouvertede sang, sescheveuxétaientébourifféset sesvêtementsen loques.Cependant, elle setenaitdroiteetfièredevantlui,leregardbrûlantdehaine.

—Pourquoi?Parcequelamortauraitététropdouce,Sutherland.J’aimaismonfrère.Ilétaitfaibleetrefusaitdesuivre l’enseignementdesAnciens,mais il représentait toutpourmoi,et tume l’aspris. Jevoulais que tu souffres, que tu retrouves seul, que tu ne reconnaisses plus ta propre famille et qu’ellet’abandonne.Jet’auraisjetécommeuneguenille,puiségorgéàtontourpourquelestiensaientlecœuraussibriséquelemien.Oh,leschosessontalléesbeaucouptropvite,j’auraisaiméfairedurerleplaisirplus longtemps,mais cequi est fait est fait.Tune serasplus jamais lemême,LeithSutherland.Tuesdevenuunétrangerpourtoietlesautres.Philipseraitfierdemoi.Ilneteresteplusrien!

Jemeraidis.Elleavaittort.Nousétionslàpourlui,ets’ilvoulaitdemoi,denous,nousl’aiderions,lesupporterions,leguiderions.

—LesparentsdecepauvreLupusquetuastuésebattrontpourqueleurfilssoitvengé.Tuserasjugéeetcondamnée,Shona,dit-ild’unevoixdangereusementcalme.Lamortnetefait-elledoncpaspeur?

—Lamort?siffla-t-elle.Lamortseramonamieetlatienne!Subitement,ellesejetasurluietlesangjaillit.Leurpositionavaitchangéetjenevoyaisplusrien.

Alors,sansréfléchir,jem’élançaidanslegoulotparlequelnousétionsvenusetavançaiaussivitequejele pouvais. La roche était coupante à travers mon jean, je me blessai sévèrement les genoux, maiscontinuai, ignorant la douleur et ma chair entaillée. Je sortis de la galerie, contournai le lac et meprécipitaidanslecouloirquimenaitauxquartiersdéfensifs.Là,j’ouvrislaporteàtoutevoléeetcouruspourrejoindreLeith.Jeletrouvaiaccroupidevantlacelluleferméehâtivementparungardegalbro,levisagecachéentre lesmains.Danslacellule,Shonaétaitallongée, inerte.Leiths’étaitdéfendu.Enmepercevant,illevalatête.Ilétaitcouvertdesang.Shonal’avaitsauvagementgriffé.

—Leith…Jem’approchaidoucementetm’agenouillaidevantlui.Grigoreapparutderrièrenous,etquandilvitquetoutallaitbien,ils’enalla.—Est-cequeçava?LesyeuxdeLeithbrillaientd’unetelletristessequej’eneuslesoufflecoupé.—Jenesaispas.Jenesaisplus…Jenesaisplusquijesuis…—TuesLeithSutherland,murmurai-je,l’undeshommeslespluscourageuxquejeconnaisse.Tues…Puisilsecoualatêteenfermantlesyeux.—Jene saispas, jene saisplus…Jene t’ai pas crue. Ilsm’ont rejeté.Mesparentsm’ont rejeté.

J’étaisunétrangerpoureux.Je ne pus empêchermes larmes de couler.Mon cœur saignait enmême temps que le sien. J’avais

tellementenviedeleprendredansmesbras,deleserrercontremoi,maisilnemel’auraitpaspermis.Alorsjemecontentaidecalermesmainsentremescuissespourleuréviterdetrembler.

—Jen’aiplusrien.Àquoibonluidirequ’ilsetrompait,quenousétionslàpourlui,qu’ilavaitunemaison,unefamille,

desamisquil’attendaient?Iln’avaitplusaucunrepère.Ilsouffrait.C’étaitencoretroptôt.—Jesuisdésolée…Il se leva brusquement,manquant deme faire tomber en arrière, et se dirigea à grands pas vers la

sortie.—Leith!criai-jeenvoulantlerattraper.Lorsquejel’atteignisetleretinsparlebras,ilsedégageaavecforce,gronda,etl’instantd’après,ses

vêtementsvolaientenlambeaux.Ilsetransforma.Impuissante,jelevisgravirlesescaliersetfileràtouteallure.

—Leith!Grigores’interposapourm’empêcherdelerejoindre.—Laisse-le.Illuifaudradutempspourdigérer.—Parl’Esprit!Écarte-toi!J’essayaidelepousser,maisilmetintfortementparlesépaules.—Gamine,jesaisexactementcequifaitrageentoi,maisfais-moiconfiance,ilabesoind’êtreseul.

Ilnevapass’enfuir.—Commentpeux-tuenêtresûr?aboyai-je,deslarmespleinlesyeux.—Parcequevousêtestoutcequiluireste,merépondit-il,levisagegrave.Soispatiente.Ilreviendra.Ilm’ouvritlesbras,jem’yblottissanslamoindrehésitation.Grigoremegardacontreluilongtemps,à

me caresser les cheveux,memurmurer des paroles réconfortantes. J’avais de la chance, tellement dechancedel’avoir.

Lorsque je fus calmée, il brava les interdictions de Murdoch et m’accompagna jusqu’à mesappartementsoùilmeremitentrelesmainsrassurantesdeChristy.Personnenecherchaàl’enempêcher,carlesrèglesdujeuétaiententraindechanger.Toutdumoins,jel’espérais.Ilétaitleprotecteur,l’amid’unloup,etdésormais,toutlemondelesavait.

***

Le soleil se levait sur Ben Hope, chargeant avec lui une multitude de tons rouges et jaunes quicoloraient doucement le ciel. La lumière du jour naissant se jetait dans les lochs en contrebas de lamontagne,lesfaisantscintillercommedesjoyaux.Bienancréesurmespattesausommetd’unimposantrocher,j’étaisseule,pasunhabitantn’avaitencoremissonnezdehors,etlesquelquesgardeshommidés

quej’avaiscroisésdans l’entréeouestneseseraientpasrisquésàaffronter leventdesibonneheure.Moi,oui.Jelevailemuseauetrespiraiprofondémentl’airfraisdupetitmatin.

LacommunautéavaitsurvécuàunenouvellenuitdanslesEntrailles.Neuf,précisément.C’étaitlong.Très long. À tel point que l’image de Darius et de Gwen entre les mains des guerriers strigoiim’assaillait chaque jour davantage. Ils m’étaient chers, et même si je souhaitais me convaincre ducontraireetquelesGuerriersn’étaienttoujourspaslà,jeredoutaisqu’illeursoitarrivéquelquechose.J’avaisdéjàaffrontéplusieursdecescréatures,etmêmeenlesdistinguantparfaitement, jen’avaispasétéenmesured’envaincreunseulsansaide.Faceàcesmontres,commentmesamisauraient-ilspusedéfendrealorsqu’ilsétaientplusdémunisqu’unaveugle?J’avaispeur,maisjerefusaisdecroirequ’illeurétaitarrivéquelquechose.Jemepersuadaismêmed’êtrecapabledelesentirsitelavaitétélecas,tout comme je percevais, hélas, au plus profond de mon être, que les Guerriers de l’ombre seraientbientôtànosportes.

Enattendantcemomenttantredouté,ilrégnaitauseindelacommunautéuneeffervescencetellequ’onn’enavaitpasconnuavantlacondamnationdeBonnie.Mêmesitousn’yavaientpasassisté,cequis’étaitpassé entre Shona etmoi s’était répandu comme une traînée de poudre et avait excité et échauffé lesesprits.Laplupartattendaientavec impatiencedesavoirdequoi ilenretournaitprécisément,mais lesragots filaientdéjàbon train.Cedontonpouvaitêtrecertain,c’étaitqueShonaavait rouléplusd’unepersonnedanslafarine.LedétectiveForbesétaitparvenuàluisoutirerdesdétailsquepersonnen’auraitpu deviner. Comme je l’avais imaginé, elle faisait bel et bien partie de la communauté intégristelondonienneetadhéraitentièrementàleursfaitsetgestes.Àladifférencequecettefois,ayanteuventdeleursprojets concernantLeith, elle avaitdécidéde leur couper l’herbe sous lepied.L’occasionde sevengerétaittropbelle,celafaisaitprèsdetroisansqu’ellel’attendait.ShonafréquentaitdéjàAlanKerrdepuisquelquetemps,c’estpourquoiellen’avaiteuaucunedifficultéàleconvaincredel’aideràmettreaupointsonplan.IlsdevaientkidnapperLeithavantladiaspora–ceàquoiilsétaientparvenus–,letuerdansuncoin reculé et fairedisparaître soncorps.ShonaavaitpersuadéAlanKerrde le faire loinduCaithness,directementsurl’îledeSkye,lespistesenseraientdavantagebrouillées.Or,c’estàsonpetit-amiqu’elle a tranché lagorge.Àprésent, ilne restaitplusauConseilqu’àprendreunedécision.Lesparentsd’AlanKerravaientfaitleurchoix:lamort.MaisShonan’étaitpasunehabitantedesEntraillesaumomentdesfaits.Celafaisait-ilunedifférence?Jen’enavaisaucuneidée,maissiteln’étaitpaslecas, elle serait condamnée à être décapitée, à moins que quelqu’un n’y fasse objection. J’aurais puaffirmersanscillerqueçan’arriveraitpas.Quioseraits’opposeràlasentenceetaffronterMurdochenpersonnedansuncombatpourluisauverlavie?Carc’étaitbienleMor-fear-faoll’accusateur,c’étaitlui qui avait choisi d’emprisonner Shona.Non. Personne ne voudrait tenir tête auLoup Suprême. PasmêmeLeith.

Je restai un long moment immobile à méditer, puis je finis par descendre de mon piédestal pouremprunter le sentier naturel qui serpentait à travers les hauteurs orientales. À quelques centaines de

mètres,àflancdemontagne,dormaitunétangprotégéduvent.Ilparaissaitpluschaudetvivantquelepaysagequil’accueillait,pasuneoncedeglacenelerecouvrait.Jem’enapprochaietrompislecalmedelasurfaceduboutdelapatte.Latempératuremesurprit,maisn’étaitpasassezvivepourmedissuaderdem’immerger complètement. L’air extérieur était d’ailleurs si froid, qu’une fois dedans, l’eaume parutpresquetiède.C’étaitsibon.Rapidement,jen’euspluspied,alorsjereprisuneapparencehumaineetfisquelquesbrasses,revigorantmesmusclesetmapeauencoremeurtrisparmonaffrontementavecLeith.Finalement,jem’adossaiaureborddubassinetfermailesyeux.Cen’estquelorsquej’euslesentimentden’êtreplusseulequejelesrouvris.

Àunebonnevingtainedemètresdevantmoisetenaitunloupblanc.Moncœurbattait à tout rompre.Leith était parti depuis trois jours.Trois jours pendant lesquels la

bouledansmonventren’avait cesséd’enfler. J’avais eu si peurqu’il ne rentre pas.Qu’il s’éloigne àjamais.Maisilétaitlà,surplombantl’étendued’eaudepuisunpromontoirerocheux.Ilmeregardait.

Jebougeai,maisavantdedécidersijedevaislerejoindreounon,ils’élançadepierreenpierreetdisparutsurl’autreversant.

Jesortisdel’eau,retrouvaimonapparencedebêteetm’ébrouai.J’atteignislafailleouestquelquesminutesplus tard, coinçaidansmagueule la robebleu roique j’avais laisséeaucreuxd’un rocher etpénétraidanslesEntraillessansprendrelapeinedemetransformer.Lesgardesfirentàpeineattentionàmoi,tropoccupésàorganiserlaprochainerelève,sibienquejerejoignisl’Agoradansmapeaulupus,sousl’œilintriguédeshabitantsdelacité.Ilsvoyaienttroppeudeloupsdemarace.

Pourlapremièrefoisdepuisplusd’unesemaine,lafaimmetenaillaitleventre,etlorsquejepassaidevant un étal deviande séchée, j’eusdumal àme retenir de saliver.Àmagrande surprise, la jeuneHispoderrièrelaconsoleledevina,elleremplitunepetitepochedetissuets’approchapourlacoincerentre mes dents. Saisie de stupéfaction, je hochai la tête pour la remercier et partis rejoindre mesappartements.Jeposaimonfestinet larobesurla table,reprisapparencehumaineetallaienfilermonjeandéchiré,puisjerevinspourmerestaurer.Enm’installantdanslasallecommune,jeneperçusaucuneodeur particulière, Christy et Jeremiah devaient être déjà sortis. J’engouffraima deuxième tranche deviandelorsqueLeithapparutdansl’encadrementdelaporte,manquantdemefaireavalerdetravers.Ilavaitrevêtuunpantalondetoilebleumarineetunetuniqueenlincrème.Jem’attardaisur l’espacedepeaudépassantducolentrouvert…ilétaitmagnifique.

—Bonjour,dit-ilpoliment.Jeclignaidespaupières,incrédule.—Bonjour.—Puis-jeentrer?Jedodelinaide la tête sansprononcerunmot tant j’étais stupéfaite. Il s’avança, s’installa à l’autre

boutdelatableetobservaaveccuriositécequej’étaisentraindemanger.—Tu…tuenveux?

—Jepréféreraisunbongroshamburger,jemesouviensaumoinsquej’adoreça.Jesourisaveclesyeux,ettortillaimesdoigts.—Jesuisvenupourm’excuser,ditLeithenplissantlespaupières.Pasparcequejenet’aipascrue,

n’importe qui àma place en aurait fait autant,mais surtout parce que… je t’ai sévèrementmalmenée.J’auraisputetuer.

Gênée, car je n’avais pas particulièrement envie de revenir sur cet épisode, je me grattaimachinalementlatête.

—Tuasfailli.—Jesais,murmura-t-il.Jesuisdésolé.—Excusesacceptées.Illaissapasserquelquessecondesetsoupira.—J’aimeraisquenousparlions.Denous,précisa-t-il.Moncœuraccéléralacadence.—Queveux-tusavoir?—Tout.Jenepusm’empêcherdesourire.—Nousenauronspourdesheures.—J’aitoutmontemps.Jen’aimêmeplusqueça.JeremisnerveusementlesmorceauxdeviandedansleurpocheetposailesyeuxsurLeith.—D’accord.Nouspourrionspeut-êtreallerailleurs?suggérai-je.Ilacquiesçaetseleva,désignantlaportepourm’inviteràlesuivre.Jepensaisqu’ilmeconduiraità

l’extérieur,maisàlaplace,ilsedirigeaverslesarcades,làoùs’étaitétabliel’unedesdeuxtavernesdelacité.Elleétaitdéjàouverteet toutes les tablesétaientdisponibles.Nousnous installâmesàcelle laplus en retrait, et commandâmes tous les deux un bol de lait d’avoine et d’amande que je n’étais pascertained’apprécier.L’aubergistenousleservitavecdebelles tranchesdepainnoir,dubeurre,etunegrandecarafed’eau.

—Jet’écoute,ditdoucementLeith.Commenceparledébut.Parlafoisoùjet’aiévitédetomberàl’aéroport.

Jehochailatêteetluiracontaiendétailcequej’avaisbrièvementsurvolélorsqu’ilm’avaitinterrogéequelquesjoursplustôt.Jen’oubliairien.Jementionnaitoutcequenousavionsvécuetquiétaitencoresivif dansmamémoire. Il m’écouta attentivement, ne posa aucune question, jusqu’aumoment où je luiavouaiavoirétéunAngeNoirpendantpresqueneufmois.

—Ont’atransformée?répéta-t-il,incrédule.J’acquiesçai.—Ettum’asquittée,finis-jepardire.Ilnefitpasuneseuleremarquelà-dessus,riennedevaitluiparaîtreplusnormalqu’ungarourefusant

deresterauxcôtésd’unSang-mort.—Àquelmomentes-tudevenueunLupus?Jecontinuaimonrécitetm’arrêtaiaumomentoùLeithavaitdisparu.—Tuconnaislasuite,murmurai-je.Ilsecoualatête.—Non.Uniquementmapartiedel’histoire,paslatienne.Commentm’as-turetrouvé?Je retins ma respiration. Était-il prêt à apprendre l’existence des Strigoii, celle des Guerriers de

l’ombre,de leurpossiblevenue ici?Jeplongeaidans l’immensitédesesyeuxvertsety lusune telledétermination,unetellesoifdesavoir,quejedécidaidetoutluilivrer,lesmoindresdétails,jusqu’àcequenousarrivionsdanslesEntraillesetqueDariusetGwens’échappentpouréloignerlescréaturesdelanuit.Aufuretàmesurequejeluiexposaislasituation,Leiths’abîmaitdanslaréflexion.Ilessayaitd’analyserlesconséquencesqueMurdochlui-mêmeneprenaitpasausérieux.Leithmecroyaitsansquej’aiebesoind’apporterdespreuves,ettelquejeleconnaissais,ilétaitdéjàsûremententraindechercherdessolutions.Iln’enditrien,toutefois,ilavalaunegorgéedulaitquejen’avaismoi-mêmepasprislapeinedegoûter,s’essuyaleslèvresetposalescoudessurlatable.

— Est-ce parce que tu as été un Ange Noir que l’Exploiteur et toi êtes proches ou… c’est autrechose?

Sa questionme fit l’effet d’une bombe. J’écarquillai les yeux et cessai de respirer. Pas ça. Je nevoulaispas.Qu’aurait-il pensé ?Qu’àpeineunproblème survenu, jem’étais jetéedans lesbrasd’unautre pour être consolée et que j’avais partagé mon sang avec lui ? Que j’avais bafoué l’Esprit parvengeance – même si c’était en réalité bien autre chose. Je ne pouvais pas. Il nous avait vus nousembrassercependant,deuxfois,maisjerefusaisdemejustifier.

—Noussommesproches,répondis-jeavecprécipitation.Sespupilless’étrécirentenmêmetempsqu’ilpenchaitlatêtedecôté.—Laquestionesttoujours:pourquoi,Hannah?L’espaced’uninstant,jeretrouvail’autoriténaturellequ’avaittoujoursexercéeLeith,etjem’yperdis.

Jefaillis tout luiavouersansmêmem’enrendrecompte.Puis jeremarquaiderrièrenousungroupedetroisjeunesgarçonsd’entresixetdixansquis’approchaientdenotretableavecconviction.

—Dis,monsieur,commençaleplusgrand,c’estvraiquelafilleettoivousêtesdesLupi?Leithluioffritunmagnifiquesourirecommejeneluienavaispasvudepuisquej’étaisarrivéeici.

Bêtement,jemesentispousserdesailes,alorsqu’ilnem’étaitpasdestiné.—Ondiraitbienqueoui,répondit-il,amusé.—Waouh!Onn’enavaitencorejamaisvu,s’écrialemoyen.Vousêtesforts?—Trèsforts!prétenditLeithenprenantunfauxairdeméchantavantdesimulerungrognementféroce.Lestroisenfantsreculèrent,surpris,puiséclatèrentderire.—Vousallezvousmarier?demandasoudainlepluspetit,leplusnaturellementdumonde.

Leithetmoinousregardâmes,gênés,etsanssavoirquoirépondre.—Dispasdebêtise!lerepritaussitôtleplusâgé.Mamèrem’aditqu’ellenepouvaitpassemarier

avecungarou,elleapasledroit!C’estpasunevraieLupus!Devantlaviolencedecettedéclaration,jebaissailescilsetmeconcentraisurmonbol.—Allez,oust!lessermonnaLeith.Lapetitetroupedéguerpitsansdemandersonreste,laissantderrièreelleunsilencepesant.—Tun’espasinstable,affirmaLeithauboutd’unmoment.Jeremuaimacuillèredansmonlaitsansleverlesyeux.—Non…—Murdochsait-ilquemon…quemonpèret’atransformée?—Oui.Ils’abîmauninstantdanslesilenceavantdereprendre.—Enquelquesorte,tuesuneSutherlandtoiaussi.Jehaussailesépaules.—Cequinereprésentepasgrand-chose,ici.—Çasignifiebeaucoupaucontraire,mecontredit-ild’unevoixdouce.Silacommunautésavaitqui

t’afaite,elleverraitleschosesdifféremment.—Çam’étonnerait.Ilparutsurprisquej’ymetteautantdemauvaisevolonté.—Tunesaisdoncpas?Jefronçailessourcils.—Quesuis-jesupposéesavoir?Pourladeuxièmefoisdelamatinée,unsourireéclatantéclairasonvisage.Puisilselevabrusquement

etmetenditlamain.—Viens,jevaistemontrerquelquechose.

Chapitre18

Leithnous fit traverser l’Agoraàgrandspas.Nous longeâmes laplacede laCathédrale,puisnousbifurquâmes dans une galerie étroite et parsemée de lanternes.Nous aboutîmes sur une vaste salle auplafondsihautquejen’envoyaispasl’extrémité.Àl’intérieur,unecentainedechandellesvenaitéclairerunemultitudedestatuesencalcaire. Ilyenavait tellementquejeparvinsàpeineàenfaire le tourduregard.

—NoussommesdanslaChapelle,m’expliquaLeith.Tun’yesjamaisentrée?Jesecouailatête.—TouslesMor-fear-faolquisesontsuccédéysontreprésentés.Jem’approchaidel’uned’entreellesettouchailegrainlisseetgrisâtredelapierre.—C’estfascinant…Letravaildesculptureavaitétéréaliséavectantdeprécisionquej’endemeuraibouchebée.Chaque

personnageparaissait avoir été reproduit à l’identique, dansdesposturesdifférentes, et pour certains,vêtus de draperies plus vraies que nature. En première position se tenait celle de Murdoch. Laressemblanceétaitsisaisissantequec’enétaitstupéfiant.

—Parici,m’intimaLeithenavançantdequelquespas.Cellequinousintéresseestparlà.Ilmeconduisitaupieddelastatued’unjeunehommemince,bienbâti,auxcheveuxlongsetondulés.

Ilavaitleportdetêtefieretprenaitappuisurlepommeaud’uneépéefichéedanslesocle.—Quiest-ce?demandai-je.—FillanSutherland.JelevailesyeuxsurLeith,sceptique.—Mais…iln’ajamaisétéLoupSuprême.Leithsourit.—Toutjuste.Ilestconnupouravoirdivisélacommunauté.—Qu’est-cequesastatuefaitici,danscecas?—Attends.Nebougepas.Intriguée,jelesuivisdesyeuxlorsqu’ilalladécrocherunebougieavantdel’approcherdusoclede

sonancêtre.—Regarde.C’estcequ’ilacriéauxdieuxaprèsavoirvaincuAngus.Etillut.

J’aiséparélesloups,madescendancebàs-taibhsearlesréunira.

Jedemeuraipétrifiéedevantcesquelquesmots.—Voilà, s’amusaLeith à qui je n’avais pas révélé que j’étaismoi-mêmeunebàs-taibhsear, c’est

pourquoilesSutherlandsontimportantsici.L’und’entreeuxdoitrefairecequeFillanadéfait.Unechoseestsûre,ceneserapasmoi!Ilétaitbàs-taibhsear,tusavaisça?

Jesecouailatête,j’étaisbouchebée.—C’estaussilaraisonpourlaquelleannoncertonorigineseraitpeut-êtrejudicieux,mêmesitun’as

rien à voir avec la prophétie. Trois quarts des membres du Sutherland souhaitent réunifier les deuxcommunautés et vivre totalement en paix. C’est la raison pour laquelle le nom Sutherland a del’importanceici.

Me revint alors enmémoire ce que Johnm’avait dit à propos des Sutherland avant que nous nousrendionsdans lesEntrailles.Que lorsque jeviendraisdans la communauté, je finiraispar comprendrepourquoi les membres de leur famille étaient respectés en dépit de l’ancienne loi leur interdisant defoulerlesoldelaTerredesloups.Maisc’étaitimpossible,çanepouvaitpasêtremoi…

—TudevraisenparleràMurdoch,insista-t-il.JenesuispasvraimentunedescendantedesSutherland…Certes,maislesbàs-taibhsearnecourentpaslesrues!mesoufflaunepetitevoix.—S’ilapuobligerleshabitantsdesEntraillesàtolérerunAngeNoiràlafêtedelaNativité,tefaire

admettrecommeungarouàpartentièreneluiserapasbiendifficile,continua-t-il.TuesuneSutherland!TuesliéeauxSutherlandparlesgènesqueJeremiaht’atransmis.Ils’agitdetoi,continualavoix

dansmatête.—Hannah,tum’écoutes?Jelevailesyeuxverslui.—Je…oui.Ilfronçalessourcils.—Qu’est-cequinevapas?Laferme,Hannah,tugardesçapourtoi!Jesecouailatête.—Rien,rien…C’estjusteque…Jeprisunecourteinspirationetrassemblaimesidées.Ellessebousculaient,jemesaisisdecelleàma

portéeimmédiate.—Ilyadeuxjours,tuétaissurlepointdemetuer,tuétaisAlanKerrettunevoulaisriensavoirsur

moi,alors…jesuisunpeuperdue.LevisagedeLeithserefermainstantanément.— Tu te trompes, me contredit-il doucement. Je souhaitais déjà tout apprendre de toi. Je refusais

simplementqu’onmedisequej’étaisquelqu’und’autre.Etj’aiencoredumalàl’accepter.—Jelesais,murmurai-je.Pardonne-moi.

Ilpritmes jouesentre sesmainsetme fit relever la tête.Sesyeuxétincelaientdans la lumièredesbougies.J’étaisfascinéeparsonregard.Ledorégagnaitduterrainsurlevertdesesiris.Ilétaitenproieauxémotionslesplusviolentes.

—C’estmoiquitedemandepardon,Hannah.J’entrouvrislabouchepourdirequelquechoseetn’yparvinspas.Puisdupouce, ilsemitàdessinerdepetitscerclessurmajoue.Jefermaiàdemilespaupières, la

respirationlenteetprofonde.—Regarde-moi,susurra-t-il.J’obéis.—Jenepeuxpasredevenirceluiquetuasconnu,nimêmetepromettredereprendrelàoùnousen

étions,maispuissel’avenirmerévélercommentatténuertoutlemalquejet’aifait.Ilglissadélicatementunemainderrièremanuque,imprimaunelégèrepressionàsesdoigtsetinclina

sonvisageverslemien.Sonsoufflechaudmecaressaetmoncœurs’arrêtadebattre.Aveugleaurestedumonde, sourde à tout ce qui n’était pas nous, je fermai les paupières. Alors, ses lèvres frôlèrent lesmiennes,aussiaériennesquelesailesd’unpapillon,doucescommelepétaled’unefleur.Jefrissonnaietlaissaiéchapperunpetitgémissementdeplaisir.Leithsecrispa,haletanttoutprèsdemabouche.Puisilseredressasubitementetcollasonfrontaumien.

—Parl’Esprit…,dit-ild’unevoixrauquevoiléeparledésir.Quandilsedétachaetquejerouvris lesyeuxpourluiexprimercombienj’avaisaimésonbaiser,à

quelpointjevoulaisqu’ilyenaitencoredescentainesd’autres,lessiensbrûlaientd’unfeuardentquim’ôtatouslesmots.

—Hannah…Etlebruitpuissantetétirédelacornedebrumel’empêchadecontinuer.—Qu’est-cequeçaveutdire?demandai-je,latenailleauventre.Ilfronçalessourcils.—C’estunealerte.Jedemeuraistupéfaiteuninstant.—Viens,m’intimaLeith.Nousdevonsnousregrouperdansl’Agoraavantd’êtreconduitsauniveau

inférieur.Ilfitungestepourpartir,jeleretins.—Attends!Nousdevonsd’abordsavoircequisepasse.Peut-êtreque…peut-être…J’enperdismonsouffle.Ilmeconsidéraavecinterrogation.—Quoi?—Darius,PittetGwen…Moncœurbattaitàtoutrompre.

—TesamisAngesNoirs?Jehochailatête.—Peut-onrestericiencoreunpeu?—Non.Lesgardesvontcontrôlerl’étageets’assurerqu’ilestvide.—Sansêtresûrsqu’ilyaundanger?Ilmeregardaavecunairprochedelaconsternation.—CesontdesAngesNoirs,Hannah.Jemegardaid’expliquerpourquoicetteremarquenevoulaitriendiredutout–luietmoiavionsdéjà

eucetteconversationtellementsouventavantqu’ilneperdelamémoire–,etmedirigeaid’unpasdécidéversleCœur.Leithmerejoignitendeuxenjambées.

—Qu’est-cequetufais?—Jevaism’interposeravantqu’onneleségorge.Cettefois,ilmeretintparl’épaule.—Parcequetucroisqu’onvatelaissersortirdelacité?—Qu’onm’enempêche!grondai-jeenm’élançantsuffisammentvitepourlesurprendre.Je l’entendis jurer comme un charretier dans mon dos, mais ne m’arrêtai pas. Il ne me fallut que

quelques secondes pour rejoindre l’Agora. C’était la panique. Les habitants s’agglutinaient devantl’escaliermenant aux souterrains, les femmes avec leurs enfants dans les bras, les hommes jouant ducoude pour faire passer leur famille. On aurait presque dit qu’une bombe atomique était sur le pointd’exploser.Jegrinçaidesdents.

—Onnepoussepas!Onnepoussepas!Chacunsontour!braillaitungardehommidéenessayantdecalmerlafoule.

D’autresbarraientdéjàl’accèsàl’extérieur,tandisqueplusieursguerrierscrinoss’engouffraientdanslesgaleries.Maisl’uned’entreellessemblaitnepasêtresurveillée,jem’yprécipitai.

—Bonsang!Nelesprendspasdefront,grondaLeithens’interposantjusteavantquejen’atteignemonbut.Onvatecueillirauboutducouloir.

—Tucroisquej’ailechoix?sifflai-je.—Tul’as.Suis-moi!JedécidaideluifaireconfianceettraversaiavecluilaCathédralepresquevide.Lorsquenousnous

retrouvâmesaupieddelarocheouest, ilmefitsignederegarderenl’air.Jelevailatêteetavisaileslogementssurmontantlaplace.Simultanément,Leithfléchitlesgenouxetsautasurlepremierniveaudebalcons.Je l’imitaiet lesuivisencourant le longdesarcadesbordant leshabitations.Nousaboutîmestrèsviteàl’intérieurd’unpassagesinueuxtotalementetimmergédanslenoir.Nouslelongeâmesàtâtonspendantunedizainedemètresavantdebifurqueretd’apercevoirlesfaiblesraisdelumièrequivenaientdedehors.

—Tun’espasépaisse,tudevraispouvoiryarriver,ditLeithenseplantantsousuneétroitefailledans

laroche,situéeàplusieursmètresau-dessusdenostêtes.—Oùest-cequeçadonne?Ilsecoualatête.—Jenesaispasprécisément.Jen’aipassuffisammentlalignepourm’yglisser,poulette.Vas-y.Ettu

meraconterascequetuasvu,semoqua-t-ilenmegratifiantd’unclind’œil.Poulette?Sijen’avaispasétéaussipresséedefilerd’ici,jeluiauraisbiendemandédesecantonnerauxhoney

quej’avaisplutôtl’habituded’entendre.—Çafaithaut,fis-jeremarquerenavisantlessixmètresdeparoirocheusequimeséparaientdela

fissure.—Nefaispastachochotte.Leithnouspritsubitementparlataillepournoussoulever,moietmessoixante-deuxkilos,sibienque

jen’eusqu’àleverlesbraspourm’accrocheràlaparoi.Ensuite,ilfléchitlesjambes,calamespiedsdepartetd’autredesoncoutoutenmemaintenantparlesmollets,etseredressacomplètement.

—Voilà,tuviensdegagnerpresquedeuxmètres.—Unmètrequatre-vingt-dix,poulet,rectifiai-je.—Ouais,ouais,ouais…Bon,tusautesouilfautquejetelance?Ilavaitbeauavoirdesépauleslargesetsolides,jen’étaispasacrobate.Jen’avaisdéjàaucuneidée

de commentm’yprendrepour garder l’équilibre s’il semettait àmarcher, alors prendre appui sur luipourm’éjecternemeparaissaitpasparticulièrementjudicieux.

—Contente-toid’êtrelàaucasoùjetomberais,luisuggérai-je,jepréfèregrimper.—Situyarrives…,merailla-t-il.Nos regards se croisèrent et nous nous dévisageâmes unmoment sansmot dire. L’ambiance s’était

subitementdétenduecommeunvieuxjean,alorsquetroisjoursplustôt,nousnousétripions.Jenesavaistropquoipenser.C’étaitparfaitementinattendu.Jem’empêchaidetropréfléchiretmeressaisis.Ilyavaitplusurgentdehors.Jeprisappuisurmesavant-brasetmesoulevaipourescaladerlaroche.Jen’avaisjamais faitçaavantetcomptaibiensurmescapacités lupuspouryarriver. Je tendis lamainversunepierrepourm’agripperetréussisàcalermonpieddroitdansunrenfoncement.Puisjejetaiunœilenbas,etm’aperçusqueLeithneperdaitpasdevueunseuldemesmouvements,prêtàmerattraperencasdechute. Je continuai ma progression, et grâce à l’aspérité de la roche qui me permettait d’avoir unemeilleureprise,jenemispastrèslongtempsàarriverenhaut.

—Êtes-vousliésparlesang,l’AngeNoirettoi?medemandaLeithjusteavantquejenemeglisseversl’extérieur.

J’enfustellementsurprisequejedérapaietmerattrapaidejustesseaureborddelafaille,etrecalaimespiedstantbienquemal.

—Qu…quoi?bégayai-jeenbaissantlatêteverslui.

Mêmed’où j’étais,etmalgré lapénombre, jevoyaissonregard flamboyer. J’avaisvraimentespéréqu’ilnem’interrogepasàproposdeGrigore.Raté.

—Unproblèmed’audition,Hannah?siffla-t-il.Ilm’avait prise au dépourvu, je ne savais vraiment pas quoi dire. Le silence était tel que j’eus la

sensation que les battements lourds et précipités demon cœur résonnaient autour de nous. Bon sang,pourquoimeposait-ilcettequestion?Çasevoyaittantqueça?Étais-jesitransparente?Qu’est-cequiluiavaitmislapuceàl’oreille?Illesentait?Ildevinaitlatrahison?Secondehypothèse,ilbluffait.IlsavaitqueGrigoreetmoiétionsproches,quej’avaisétéunAngeNoir,alorsilessayaitdecreuserpourconnaîtrelemotdelafinsansvraimentsedouterdequoiquecesoit.Danstouslescas,puisqu’illançaitlesujetsurletapis,qu’ilparaissaitplutôtrelax–enfin,c’estcedontjevoulaismeconvaincre–,etqu’ilallaitbienfalloirquejeluidisetôtoutardoùj’enétais,devais-jevraimentluicacherlavérité?Surtout,qu’ilmesuffiraitdedeuxsecondespourm’échappersansqu’ilaitlamoindrechancedem’atteindre.

Malgrémoi,alorsqu’ilrestaitfixéàmonregard,jedétournailesyeux,incapabledelesoutenirpluslongtemps. Leith rayonnait d’énergie virile, charnelle, sensuelle, et quand il me regardait ainsi j’enperdais tous mes moyens. Je soupirai intérieurement. Rien de nouveau sous les tropiques, il m’avaittoujoursfaitceteffet-là!

—L’Espritestparfoistrèscapricieux,lâchai-jeavecunpetitrirenerveux.Oui,j’aideuxâmessœurs.Jem’appuyaisurmesavant-brasetjem’élançaiàl’extérieur.

J’étais sortie par la pointe nord. Je pivotai pour regarder autour de moi et aperçus, presque unkilomètreplusloin,troisAngesNoirstournoyerdanslesairspourresterhorsdeportéed’unedizainedecombattantsdelacommunauté,dontprobablementcinqCrinossousleurapparenceanimale,àencroireleur façonerratiquedebouger. Jemeprécipitaidans leurdirectionsansperdrede temps, trébuchantàplusieurs reprises sur les rochers, et finis par glisser complètement le long de la pente raide etcaillouteuseduflancoccidental.Jemerelevaisansprêterattentionauxécorchuresquimezébraientlesreins,etcourusdans laneigeàenperdrehaleinepouréviter lemassacre.Lorsquejefussuffisammentprès, je stoppai un instant et constatai avec effroi que quatre archers hispos bandaient leur arc afind’atteindre Darius, Gwen, et aussi Grigore qui les avait rejoints. Pitt n’était pas avec eux, mais lasituationétaittropgravepourquejem’attardesursonabsence.Ilétaittroptardpourqu’ilssedécidentàvolerplushautdans leciel.Le tempsqu’ils s’élèvent, lesguerriersauraient l’occasionde les touchercentfois.Galvaniséeparlapeur,jem’élançaicommeunefurie,ignorantlabestialitécrinosquipourraitmecoûterlavie.

—Arrêtez!Arrêtez!hurlai-je,alorsqu’ilslançaientdesdagues.Mesamislesesquivèrent,etaussitôt,ilsfirentfaceàunepremièregrêledeflèches.DariusetGrigore

lesévitèrentdejustesse,maisGwenpoussauncri.Elleavaitététouchée.Horrifiée,jemepétrifiai.Ilme

fallutplusieurssecondespourréaliserqueletraitn’avaitfaitquel’écorcher.—Arrêtez!vociférai-jedeplusbelle,alorsqu’unenouvellesalveétaitsurlepointd’êtretirée.Maismesinjonctionsfurenttotalementignoréesetdesflèchesvolèrentdenouveauentoussens.Bon

sang,ilyenavaitdesdizainesdanschaquecarquois!—Par l’Esprit !Vousnesavezpascequevous faites !Murdoch !Murdoch!criai-jeen regardant

autourdemoi.NomdeDieu!Pourquoin’était-ilpasici?Jel’avaisprévenuquelesAngesNoirspouvaientarriver

d’unjouràl’autre!—Faol-creutair!maugréaunevoixdansmondosavantqu’onmetireviolemmentparlesépaules.Je fis volte-face et levai lementonversCraig, le guerrier hispo avecqui j’avais fait connaissance

quelquesjoursplustôt.Lesyeuxflamboyantsdecolère,jecrusuninstantqu’ilallaitm’assommer.—Vousêtestombéesurlatête?Vousvoulezvousfaireécharper?IldésignalescinqCrinosplusdéchaînésqu’unouragan,sautant,rugissant,etfendantaveuglémentl’air

deleursgriffesdansl’espoird’atteindremesamis.—Allez-vous-en!brailla-t-il.—Horsdequestion!Dites-leurd’arrêterimmédiatement!—Nousn’avonsaucuneemprisesurlesCrinos,Faol-ur!Fichezlecampd’ici!— Pas eux ! Vos semblables, les Hispos ! BonDieu ! jurai-je en voyant les Hispos amorcer une

nouvelleoffensive.Laissez-lestranquilles!Ilsviennentpourvousprévenir!Ilmeconsidéraavecunairsisurpris,qu’un instant, jemedemandaisinousparlionsbien lamême

langue.—Nesoyezpasstupides!continuai-jeavechargneenmontrantGrigoredudoigt.Vousleconnaissez!

Vousvoyezbienqu’ilestavecnous!—AucunAngeNoirn’estavecnous,grinça-t-ilentresesdents.—Parl’Esprit!Cen’estpaslemomentdefaireduzèle!Ilssontlàpourvousaider.Pasvoustuer!

Vousaider!NomdeDieu!Murdochabiendûvousledire?—Nousavonsreçul’ordred’attaquer,faol-ur.Murdochn’avaitpastenuparole.Jen’euspasletempsdem’insurger, lesHispostirèrentencore,et

Grigorefuttouchéàl’épaule.Jecriai.—Appelez-le!Sonnezl’alerte!Sonnezcetteputaind’alerte!Jenemesouvenaispasd’avoirétéaussivulgairedetoutemavie.Maisj’étaissienragéequej’aurais

pul’écorchervifavantdeluiarrachercettemauditecornedebovin.Ilnebougeapasd’unpouce.—S’ilvousplaît…, le suppliai-je alors,d’unevoixcassée.Peu importe lesordresquevousavez

reçus,lacommunautéestendanger.Vousluiavezdéjàévitéunavenirsanglantennousaidantunefois,nevousarrêtezpasensibonchemin.Jevousenprie…

Le regarddeCraigme transperça.Puis subitement, il porta lamainà sa ceintured’arme,décrocha

l’instrument, et souffla à l’intérieur. Le son grave et puissant se répandit dans la plaine, attirantimmédiatement l’attention des guerriers qui se retournèrent, stupéfaits d’entendre l’alerte pour ladeuxièmefois.Darius,GrigoreetGwenneperdirentpasdetempsetenprofitèrentpourvolersihautetsivite,qu’ils furentbientôthorsd’atteintedes flècheshispos,etenmoinsd’uneminute,onne lesvoyaitplusdutout.

L’instantdesurprisepassé,lesCrinosrestéssurleurfaimsetournèrenttousdanslamêmedirection:lamienne.

—Wow,wow,wow!tentadelescalmerCraigtandisqu’ilsapprochaient.Reculez!Évidemment,autantparleràunmur.Babinesretrousséesetgriffesenavant,ilsavaientbienl’intention

demefairepayermonintervention.Tousmesmusclessebandèrentsansquejesoiscapabledefairelemoindregeste.

Toutnaturellement,Craigseplaçadevantmoipours’interposer,claymoreaupoing.—Jeneseraispascontreuncoupdemain!hurla-t-ilàsescongénères.Enquelquessecondes,lesguerriershisposm’encerclèrent.Àtourderôle,ilsagitaientleurépéepour

repousserlesCrinosetmegarderenviecoûtequecoûte.J’avaisdumalàlecroire.Ilauraitétésifaciledesedébarrasserdemoi,defairesupprimerl’uniquefaol-creutairayantjamaisosés’imposerdanslesEntrailles.

LesCrinosgrognaient,rugissaient,revenaientàlacharge,maispasunneparvintàpasserlebarragehispo. Pétrifiée aumilieu de tout ça, j’avais les yeux partout etme demandais combien de temps ilsallaienttenir.PuislasilhouettemassivedeMurdochapparutauloin.Ilfonçaitsurnous,entourédesonnouveaubrasdroit,Rory,etdeplusieursguerriersarmésjusqu’auxdents.

—Sguiribh!cria-t-il.J’assistaiencoreàl’incroyablefacultéqueconféraient lesanneauxduPouvoirSuprêmeàMurdoch.

Les Crinos s’immobilisèrent instantanément, attendant le prochain ordre que leur chef leur donnerait.Maiscetteprouessenesuffitpasàaltérerlacolèreenmoi.

—Comment avez-vouspu faireunechosepareille ? commençai-je enécartant lesHispospourmefrayerunpassage.Vousm’aviezpromisdenepaslesattaquer!

—Silence!tonna-t-ild’unevoixsifortequ’ellerésonnatoutautourdenous.—Cesontmesamis!—Paslesnôtres,dit-ilsèchement.—Grigore,vousl’avezinvitéàlacélébrationdelanativité!—UniquementpourquesaprésencefasseréagirvotreLupus.J’étaisestomaquée.—Vousetlasorcièrenousavezracontéunehistoireàdormirdebout,poursuivit-il.Aprèsdixnuits,il

n’yatoujourspaslamoindretracedescréaturesquevousauriezaffrontées.—Cen’estpasunesupposition.Nousl’avonsfait,Murdoch,j’aituéDarrendevantvous.

—C’estcequevousavezprétendu,s’exaspéra-t-ilavecungestenonchalantdelamain,maisjen’airienvud’autrequ’unejeunefemmebrandissantuneépéedanslevide.Monneveuavaitbiendesdéfauts,maisilpouvaitsevanterd’avoirunsensaigudeladéduction.Ilavaitraison:lesguerrierscrinosontétéensorcelés,ilssesontentretués.

J’avaislagorgesisèche,soudain,qu’endéglutissant,ilmeparutavalerdesépingles.—Nous…nousvousaurionstousmenti?murmurai-je.Votrepropreniècevousauraitmenti?Ilprituneprofondeinspirationetplissalespaupières.—Jecroisquevousavezétémanipulées.C’étaitridicule!— Par qui ? m’emportai-je férocement. Et quand ? Personne ! Personne n’a manipulé personne,

Murdoch!Jamais!Cequej’aivuenRoumanieétaitréel.LedétectiveForbesn’apasnonplusrêvélamortd’unedecescréatureslorsqu’ilnousaaidésàluitranspercerlecœur.Iln’apasimaginésonodeurpuanteni lescrisqu’ellepoussait.Al, JeremiahetBonnieétaient làquandDarren s’est transformé,etqu’il s’est déchaîné sur nous! Par pitié,Murdoch, que vous arrive-t-il ? Dites-moi qu’il s’agit d’uneplaisanterie!

Je cherchai une explication dans ses yeux et n’en trouvai aucune. Ses pupilles s’étrécirent et sonexpressiondemeuraimplacablelorsqu’ilmerépondit.

—NousnetoléreronsplusaucunExploiteurici.Partons!ordonna-t-ilauxsiensavantdetournerlestalons.

LesquatreCrinossemirentaussitôtenbranle,telleunemachinedontonauraitpressélebouton«ON».Lesguerriershisposramassèrentsilencieusementlesdaguesetlesdizainesdeflèchesrestéesausol,puis ils prirent la direction des Entrailles. Juste avant de suivre ses semblables, Craig m’étudiafurtivement et l’intensité de son regard parut m’affirmer que lui et moi aurions bientôt une petiteconversation.

Je demeurai seule, les bras ballants. Je ne savais pas ce qui me dévastait le plus, que Murdochconduiselui-mêmelacommunautéenenfer,oud’êtreobligéed’assisteràcecarnageparcequejen’étaispasparvenueàleconvaincre.Glacéed’horreuràlaperspectivedecequipourraitarriver,jefisvolte-faceetm’élançaiendirectiondusudpour rejoindreDarius,GrigoreetGwenetenavoir lecœurnet.Nousavionsprobablementtroppeudetempspourprendreleschosesenmains,dumoins,pourfairecequenouspouvionspourlimiterlesdégâts.

Je parcourus plusieurs kilomètres en courant, jusqu’àKinloch, avant de les trouver. Ils patientaientautourdu4x4deJeremiah.

—Hannah!s’écriaGwenenmesautantdanslesbras.Jelaserraitrèsfortcontremoietreculaipourladétailler.Elleparaissaitextrêmementfatiguée.Elle

avaitlestraitstirésetdeprofondscernesluimangeaientlevisage.Avecsescheveuxblondsprochesdublanc,sapeaudevenuesilaiteuse,elleavaitpresquel’aird’êtremalade.Jelalâchaietmetournaivers

Darius.Nousrestâmesfaceàfaceuninstant,immobiles,ànousobserver.IlsemblaitmoinsexténuéqueGwen,maislalueurfarouchedanssonregardparlaitd’elle-même:ilétaitàcran.

—Ah,gamine,commença-t-ilenconsidérantmatenue,moiquipensaistetrouvercouvertedepoilsethabilléecommeunesauvage.

Ilsefocalisasurmonjeandéchiréauxgenouxetfronçalessourcils,faussementchoqué.—Enfait,c’estpirequeça,vousmarchezàquatrepattestoutletemps!Ilmesouritetmetenditlesbras.Jem’yjetaiavecautantd’entrainqu’ungossesurlepèreNoël,etl’étreignis.—Cequec’estbondetevoir!murmurai-jeenenfouissantmonvisagedanssoncou.Pendantdesmois,Dariusavaitétémonseulrepère,maseulesécurité,monroc,jenel’oubliaispas.Il

étaitl’unedespersonneslesplusimportantesdemavie.— Toi aussi, tu m’as manqué, gamine, souffla-t-il en me repoussant doucement pour m’embrasser

tendrement sur le front. Tu as une mine presque aussi épouvantable que la nôtre. Grigore nous abrièvementtoutraconté.Leith,sonamnésie,lamortdesononcle.C’estmoche.

JehochailatêteetpivotaiversGrigore.Sontorseencorenuétaitcouvertdesang,etlaflèchequ’ilavaitarrachéedesonépaulegisaitàsespieds.

—Hé…,murmurai-jeenm’approchant,lagorgeserrée,çavaaller?Legrisdesesyeuxétaitaussitumultueuxqu’unetempête.Jelevailamaindroiteetfrôlaisablessureduboutdesdoigts,elles’étaitdéjàrefermée.—Jesuisdésolée,Grigore,…ils…Jebaissai les paupières, en proie à un haut-le-cœur. Puis un nouveau flot de colèremonta enmoi.

J’étaisrévoltéequeMurdochaitpulestraiterdelasorte.—Chut,m’intima-t-iltoutbas.Tun’yespourrien.—Murdochleuradonnél’ordredevousattaquer.IlneveutplusunseulAngeNoirsursonterritoire.—Quoid’étonnant ?dit-il avecun sourire crispé.Cequi relèvedu surnaturel, c’est qu’il nous ait

permisd’ymettreunpiedquelquesjourssansnousfaireégorger.Nous…—OùestPitt?demandai-jealors.Grigoresecoualatête.—Nousn’ensavonsrien,ditGwen.Ilnenousajamaisrejoints.Mes yeux se perdirent dans ceux de Grigore, il semblait plus affecté qu’il voulait bien le laisser

paraître.Toutefois,ilbattitl’airdelamaincommesiçan’avaitfinalementaucuneimportance.—Parle-nousdeMurdoch,m’enjoignit-il.Ques’est-ilpassé?Jesoupirailonguement.—J’ai toujourseuconsciencequ’il avaitdumalàcroire toutecettehistoire,mais jepensaisqu’il

nousavaitaumoinslaissélebénéficedudoute.

EtjeleurracontaimadernièrealtercationavecMurdoch.—C’estbiendommage,sifflaDarius,parcequelesGuerriersdel’ombrefoncentdroitici.Mêmesijem’endoutaisdéjà,unfiletglacialparcourutmacolonnevertébrale.—Nousavonsfait toutcequenouspouvionspour les leurrer,Hannah,semblas’excuserGwen. Ils

nousontsuivispendantquatrenuits.Nousnoussommesfiésàleurodeurputridepourlesdétecteretnouslesavonsmenésjusqu’ausuddel’Angleterre,puisilsontsubitementdisparu.

—Disparu?répétai-je,déconcertée.— Plus aucune trace, rien, reprit Darius. Nous avons balayé le territoire sans relâche pendant six

jours,noussommesmêmeremontésjusqu’ici.Etrien.Ilss’étaientvolatilisés.Etpuis, lanuitdernière,nouslesavonsdenouveaurepérés.

—Oùça?demandai-je,tremblotante.—AusuddeGlasgow.Parl’Esprit…—Cen’estplusseulementmoiqu’ilscherchent,Hannah,mais tousceuxquim’ontsortiduchâteau

strigoïetquionthumiliéTraian,nousrappelaDarius.Nousavonseubeaupasserau-dessusd’euxsansamulettepourlesdétourner,ilsonttotalementignorénotreprésence.Ilssaventprécisémentcequ’ilsfont.Ilsontcomprisques’ilsfoncenttoutdroitsurlacommunauté,nousinterviendrons.Cequ’ilsontdécidé,c’estdetousnousréuniraumêmeendroit.

C’étaitcequej’avaisredoutédepuisledébut,c’étaitcequej’avaistoujoursditàMurdoch,toujourspensé.Parl’Esprit,ilsnousavaientpiégés…—Sont-ilsrapides?—Pasautantquenous,meréponditGwen.Maiss’ilsnes’arrêtentpas,ilspeuventparcourirjusqu’à

deuxcentcinquantemilesenunenuit,peut-êtreplus.Alors ils arriveraient un peu avant le lever du jour. Suffisamment tôt pour s’introduire dans les

Entrailles…—Nousnepouvonspaslaissertouscesgensmourir,murmurai-jepourmoi-même.Dariusfronçalessourcils.—Cen’estpasl’enviequimemanque,Hannah.Jesecouailatête.—Ilyadesfamilles,desenfants,desvieillards.Ilsnesontpasresponsablesdeladécisiondeleur

chef.Ilssontinnocents.Nousdevonsagir.Grigoreritdunezironiquement.—Encorefaudrait-ilqu’ilsnousendonnentl’occasion,gamine!—Jevaistrouverunesolution.Dubitatif,ilhaussaunsourcil.—Vraiment?Tuvasessayerdeconvaincrel’Élitequeleurgrandmanitouestcomplètementcingléet

quelacommunautécourtàlamort?Jetesouhaitebienducourage!Oh,j’auraisbesoindebienmoinsdecouragequedepersuasion.—Queveux-tufaire?demandaDariusd’untongrave.Quipenses-turéussiràfaireréagir?Quel’Espritmevienneenaide!Jen’enavaisaucuneidée.

Chapitre19

Lorsquejeregagnai lesEntraillesdeuxbonnesheuresplus tard, laviede lacommunautéavaitdéjàreprissoncours.L’Agoraétaitpleinedemonde,etlesquelquesconversationsquejesurprisenmarchantaumilieudelafoulenetournaientqu’autourd’unseulsujet:lesAngesNoirsvaillammentrepoussésparl’Élite.S’ilssavaientdansquelpétrinvenaitdelesmettreleurchef,ilscourraientplierleursvalisessanstarder.Jesecouailatête,désabusée,etmefrayaiunpassagejusqu’auxquartiersoùseterraitBonnie.Peum’importaitquesonisolementneseterminequedansunjour,c’étaitàellequejeparleraisenpremier.Etmaintenant.Dansquelquesheures,ilseraittroptard.S’ilyavaitunepersonnecapabledefairechangerMurdochd’avis,c’étaitbienelle.Entoutcas,j’espéraisnepasprésumerdesescapacitésdepersuasion.Bonnieétaitpeut-êtrel’ultimechanced’éviterunmassacresurlaTerredesloups.Jen’auraispasmismamainaufeuqu’iln’yaitaucunmortaprèslepassagedesGuerriersdel’ombre,maispuisquenousétionslesseulesàlesvoir,avecmonaideetcelledeChristy,l’Élitepourraitprotégeraumieuxlesportesdelacité.Maispourça,ilfallaitqueMurdochabandonnesonorgueilmalplacéd’Alpha,etacceptedes’êtretrompé.

Bienavantd’êtreunLupus, j’avaisdéjàdumalàcomprendrecetteguerreancestraleetridiculequiopposaitloups-garousetAngesNoirs.Aujourd’hui,plusencore.SiungarouétaitvenuprévenirMurdochd’unquelconquedanger,nonseulementill’auraitécouté,maisenplus,ill’auraitcru.

Je ne digérais pas. J’avais imaginé leMor-fear-faol moins obtus que tous les autres, et c’étaitexactementpourquoiilavaitrapidementgagnéuneplacedansmonestime.Jenesavaisplusquoipenser.Irritée,jedonnaiuncoupdepieddansunepierreetmefaufilaidanslagaleriemenantàl’appartementdeBonnie,comptantsursasagesseetsoninfluencepourtrouverunesolution.Jem’arrêtaiquelquesmètresavantd’yentreret respiraiungrandcoup. Jecraignais l’étatdans lequel j’allais ladécouvrir. J’avaispeur d’affronter sa souffrance une nouvelle fois.Qu’avait-elle fait pendant ces six jours de deuil ?Àmaintes reprises, je l’avais imaginée en train de pleurer toutes les larmes de son corps, refusant demangeretdeboire,préparantsalonguedescenteauxenfers,perdueetseule,sansl’hommequ’elleavaitaiméavecunepassiondévorante.J’exhalaiunprofondsoupiretavançai.

— Entre, Hannah, me dit-elle d’une voix douce avant même que je n’atteigne l’ouverture de sachambre.

Lecœurbattant,jepoussailerideaudeveloursrougeetm’exécutai.L’uniquelampeàhuiledelapiècereposaitsurunemalle.Cachéesousunelonguecape,Bonnieétait

agenouilléedevant,àmêmelesol.Jel’avaismanifestementdérangéeenpleinrecueillement,cequinefit

qu’accroîtremonmalaise.Jecroisairespectueusementlesmainsdevantmoietluiprésentaimesexcuses.—Jesuisdésolée,Bonnie,je…Çanefaitpasseptjours.Sansunmot,elleseredressaetselevapourmefairefaceavantderetirersacapuche.Commejeleredoutais,elles’étaitsûrementtrèspeualimentéeetavaitbeaucoupmaigri.L’ossaturede

sespommettessaillaitsursonvisagecreusé,etmêmedanslapénombre,jedevinaisàquelpointsapeauétait blême, privée du rose qui colorait habituellement ses joues. Avec ses cheveux rasés, je lareconnaissaisàpeine.Maiselleparaissaitcalme.Apaisée,sic’étaitpossible.

—Approche,dit-elledoucementenmetendantlesmains.Cequejefis,emprisonnantsesdoigtsentrelesmiens.Elleétaitsichaude.—L’alerte,c’étaitpourtesamisAngesNoirs,n’est-cepas?medemanda-t-elletranquillement,loin

desedouterdecequej’allaisluiannoncer.Jehochailatête.—Donne-moid’aborddesnouvellesdeLeith.Jesoupirai.—Nousluiavonsapportélapreuvequ’iln’étaitpasAlanKerr.Lechocaétébrutal,mais jecrois

qu’il commence à digérer.L’hommedont il a usurpé l’identité a été assassiné parShonaAiken.NousattendonsdésormaisqueleConseildesAnciensdélibèresursoncas.

—Raconte-moitout,exigea-t-elle,lesyeuxsibrillantsd’émotionsquejecrusqu’elleallaitsemettreàpleurer.

Jeluidélivrailesévénementsdesderniersjourssansomettreunseuldétailetrépondisàtoutessesquestions.Leithnesesouviendraitjamaisderien,elleenavaitconscience,c’estpourquoiellenefitriend’autrequeseréjouird’apprendrequelevoileétaitenfinlevésurlavérité.Ellen’essayapasdesavoirsinousnousétionsrapprochés.Pourçaaussielleréalisaitqu’ilétaitencorebientroptôt.

—Mouncail?Mononcle?m’interrogea-t-elleensuite.Ques’est-ilpasséavectesamis?—Ilademandéàl’Élitedelesrepousser.IlneleurpermetpasderesterdanslesEntrailles.Maisce

n’estpascequiestimportant.DariusetGwensontrevenusparceque…Magorgeétaitsisèchesoudainquejedusavalermasalivepourcontinuer.—LesGuerriersdel’ombresedirigentdroitsurnous.L’expressionsereinequ’ellearboraitquelquessecondesplustôtsechangeaengrimaced’effroi.Elle

portalamainàseslèvresetarrêtaderespirer.—Parl’Esprit…—Murdochneveutrienentendre.Audébut,jepensaisqu’ilnesouhaitaittoutbonnementpasagirsur

labasede simples suppositions,mais c’estpirequeça. Ilnenouscroitpas. Il estpersuadéquenousavons inventé toute cette histoire ou que nous avons été manipulées. Bon sang ! S’il refuse de nousécouter,lacommunautétoutentièreenpaieraleprix.

—Quand?souffla-t-elle.

—Cettenuit,probablementunpeuavantleleverdusoleild’aprèsGwen.Bonnieétaithorrifiée.—Sont-ilsnombreux?—Christyditqu’ilsétaientcinqàl’origine.Nousenavonstuéun,etc’estjustementpourquoiTraian,

le chef strigoï, les envoie droit sur nous. Pour nous faire payer. Comment, je ne sais pas, mais il acomprisquenousdéfendrionslaCommunautéduSutherlandencasd’attaque.Lemeilleurmoyendenouspiégerétaitdetousnousrassemblerici.

—Commentvois-tuleschoses?demanda-t-elleaveccalme.—Nousdevonslesempêcherd’entrerdanslacité.S’ilssontàl’abridelalumière,ilsdisposerontde

toutletempsnécessairepournoustuerunparun.Toutefois,enarrivantpeuavantleleverdujour,ilestpeuprobablequ’ilsselancentdansunlongaffrontementaurisqued’êtresurprisparlesrayonsdusoleil.Malgrétout,Bonnie,jedoutequenouspuissionsenveniràboutsansl’interventiondesguerriersdelacommunauté.

CescréaturesétaientsansdouteparmilesplusdangereusesdecetteTerre.Laforcedeceluiquenousavions déjà tué – Darren mis à part – serait multipliée par quatre et nous n’étions que deux à êtrecapables de les voir. Il était trop tard pour demander à Christy de partir en quête d’une autre bana-bhuidseachpournousaider.Nousn’avionsplusassezde temps, lesoleilsecoucheraitdansmoinsdequatreheures.Toutcequ’ilnousrestaitàfaireétaitdepersuaderMurdochdemettreaupointunplandedéfenseetdeprierpourqu’ilréussisse.

LabilememontaauxlèvrestandisquejeregardaisBonnie.Sielleneparvenaitpasàleconvaincre,tout était perdu.Même nous enfuir ne nous permettrait pas de diriger cesmontres ailleurs, j’en avaisl’intimecertitude.IlsferaientunehaltedanslesEntrailles,etsenourriraient.Traiannousavaitpromislamort, il ferait toutcequ’il fautpourquenousne lamanquionspas.Lesviesgarollesn’avaientaucuneespèced’importancepourlui,seullerésultatcomptait.

JescrutaiBonnieavecattention.Lefrontbarréd’unerideprofonde,elleréfléchissait.—Jeneleferaipaschangerd’avis,dit-elleenfin.Ilnem’écouterapasplusquetoi.Jesentistousmesespoirss’effondrerplusvitequ’unchâteaudecartes.—Vousêtessanièce.—Jeseraislareined’Angleterrequ’iln’admettraitpasdavantagequ’ilpourraitavoirtort.Personne

n’a réussi à démontrer que Darren était devenu une de ces créatures. La disparition du Crinos luiéchappe,ilpourraittoutaussibienavoirétédévoréparsessemblables.

—Ilveutdespreuves?grinçai-jeentremesdents.Ilenaura.Maistroptard!—Jelesais,Hannah,c’estpourquoinousallonsnousyprendreautrement.Devant ma mine perplexe, elle détacha sa cape, se dirigea sur sa paillasse pour s’emparer d’un

foulardbleuroi,etledrapaautourdesatête.—Mondeuilestterminé.Suis-moi.

Jenem’attendaispasàcequeBonniemeconduisetoutdroitversRory,lebrasdroitdeMurdoch,etjem’attendais encore moins à ce qu’il nous écoute avec autant d’attention. Le numéro deux de lacommunautéduSutherlandaccordaitunintérêttoutparticulieràcequejeracontaiset,àladifférencedeMurdoch,nesemblaitpaspressédemedired’allervoirailleurs.

RoryétaitlecadetdeMurdochd’aumoinsvingtans,ildevaitapproximativementavoirlemêmeâgequeBonnie.Trèsgrand,maisdecorpulencefrêle,lescheveuxlongs,raidesetsombres,iln’avaitpaslaprestanceduLoupSuprême,toutefois,ilsedégageaitdeluiunesérénité,unesagesseetunetempérancequi, sans nul doute possible, le mèneraient très loin. J’avais toujours vu l’Hispo rester en retrait etobserverplutôtquedegesticulerentoussensetparlerpourneriendire.Làencore,ilnedérogeapasàlarègleetn’ouvritpaslaboucheavantquej’eusseterminédeluiexposerlasituation.

Le regardqu’ilposait surmoidemeurait indéchiffrable. Jen’avais aucune idéedecequ’il était entraindepenser.J’évoquailescréaturesstrigoii,leurinvisibilitéetleurbarbariesansqu’ilcilleuneseulefois,sibienquejecommençaisàcraindrequ’ilnemecroiepasouqu’ilrefusedemelaisseraumoinslebénéfice du doute. Cependant, une lueur d’espoir ressurgit en moi lorsqu’il me demanda de quellemanièresetuaitunGuerrierdel’ombre.

—Monamia transpercé le cœurde l’un, j’ai coupé la têtede l’autre,Darren,précisai-je avecundétachementque je n’avaispasprémédité.Dans lamesureoùpersonnene lesvoit, le plusdur est deparveniràlestoucher.

—Maisvousetlabana-bhuidseachpouvezlesvoir,sij’aibiencompris,nota-t-ilsansironieaucune.Jeluifissignequeoui.—C’estnotreplusgrandatoutpourlesvaincre,ajoutaBonnieenleregardantfixement,commepour

leconvaincrequ’ilnefallaitm’écartersousaucunprétexte.Ilacquiesçaetsetournaversmoi.—Jesaispourquoilasorcièreparvientàlesdistinguer,maisvousnem’avezpasditpourquoivous,

vouslesvoyez.Je ne pusm’empêcher de pincer les lèvres en remarquant la grimace de Bonnie tandis qu’elle se

remémoraitcettepériodeoùj’avaisétéunAngeNoir.—Quelleenestlaraison?insistal’Hispo.JeplongeaimesyeuxdansceuxdeRory,etleregardaiavecuneintensecertitude.—Vousn’aimeriezpaslesavoir.Il neme questionna pas davantage et s’absorba dans un long silence pendant lequel il se donna le

tempsderéfléchiràlasituation.Aprèsquoi,ils’accoudaàlatable,etmeconsidéraavecattention.— Il existe de nombreux accès aux Entrailles, mais seules les failles est et ouest permettent d’y

pénétreraisémentlorsqu’onmesureplusd’unmètretrente.Faol-ur,vousvouspositionnerezàl’estavecdixdenosguerriershispos,àl’abridesregardsindiscrets,sousleporcheàunecinquantainedemètres

de l’accèsauxquartiersdéfensifs.Lasorcière resteraà l’ouestavecun renfort identique,enamontdel’entréeprincipaleàlapointesuddeLochHope.Jenepeux,hélas,donnerd’ordresàl’élitecrinos,ilsn’obéissentqu’àMurdoch.Toutefois,jepeuxluisuggérerd’affermirnoslignesdesurveillanceàcausede la présence d’Exploiteurs sur le territoire, il y affectera automatiquement quelques guerriers quiapprécientlesrondesdenuit.Etafinquenousdemeurionstotalementdiscrets,jevousprieraideveilleràce que vos amis Anges Noirs restent à distance. Nos combattants s’en prendraient à eux et seraientdétournésdupointessentiel.

—Vousmecroyez?murmurai-je,interdite.Je n’en revenais pas.Aucunemoquerie, aucune ironie, aucun orgueil.Rien.Rory semblaitm’avoir

considéréeavecbeaucoupdesérieux.Ilplissalespaupières.—Jenesauraisledire,faol-ur,maislacommunautéestbientropimportantepourquej’acceptede

courirlerisquedelavoirsefairedécimer.—Murdochl’apourtantpris,lui,marmonnai-je.Jen’avaistoujourspasdigérélamanièredontilavaitrejetétouteéventualitéd’avoirtort,alorsque

nousétionssupposésentretenirunclimatdeconfiance,luietmoi.—Ne comptez pas surmoi pour dénigrer notre chef,me prévint-il. Il est leLoupSuprême, et ses

décisionssontmûrement réfléchies.Toutcomme lesmiennes,etc’estpourquoi jevais fairecequimesemblejusteetresponsable.

Jehochailatêtesansdiscuter.—Merci,Rory,semanifestaBonnie.— Ne me remerciez pas, l’arrêta-t-il d’une voix sans timbre. Si cette nuit prouve que vous avez

raison,c’estlacommunautétoutentièrequivousseraredevable.Je m’apprêtais à glisser que j’en doutais sincèrement, lorsque nous perçûmes l’odeur et les pas

volontairementbruyantsd’unHispodanslecouloir.—Entre,monfils,ditalorsRoryensoupirant.Entre,puisquetuastoutentendu.Je tressaillis de surprise en voyant apparaître Craig. Le guerrier approcha et me considéra avec

étonnement.—Ehbien,faol-creutair,onpeutdirequevousavezplusd’unecordeàvotrearc.Etcettehistoireest

pourlemoins…inattendue.—Murdochn’adoncpasprislapeinedelapartageravecvous,maugréai-je.Sabouchesetorditenunpliamer.—Non.—Mononcleestunidiot,grommelaBonnie.UnsourireencoinfleuritsurlevisagedeCraig.Iltiraunechaisepours’asseoiràtableavecnous,et

setournaverssonpère.

— Je rejoins ta décision, père. Si ce que l’étrangère dit est vrai, je me tiens prêt à protéger lacommunauté.Maissiellenousmèneenbateau,jemeferaiunejoiedeluienfoncerplusieursfoislatêtedanslelochleplusglacialpourluiremettrelesidéesenplace.

Jen’euspasl’occasionderéagir,Bonniesepenchaenavantpourlefusillerduregard.—Vous n’aurez pas à vous acquitter de cette tâche, jeune homme.Tenez-vous-en à votre première

proposition,ettâchezderesterenvie.—J’ycomptebien,luidit-ilenserrantlesdents.—Tuserasaveclajeunelouvesurleflancest, luiordonnaRory,ettuprendrasavectoilesquatre

guerriersenqui tuas leplusconfiance.Ceuxquiserontcapablesde tenir leur langueenattendantqueMurdochpèselepoidsdelasituationentouteconnaissancedecause.

—Encorefaut-ilqu’ilyaitquelquechoseàpeser,père,répliquaCraigsansmelâcherdesyeux.Nousnesommessûrsderien.

Jedardaisurluiunregardnoir.—Vous,non,maismoi,oui,guerrier.S’ilsneviennentpascettenuit,ceseralasuivante.Seriez-vous

prêtàprendrelepariquejemetrompe?—Non.Etc’estpourquoivouspouvezcomptersurmonaide,faol-creutair.—J’aimeraisquevouscessiezdel’appelerainsi!cinglaunenouvellefoisBonniealorsquej’avais

arrêtédepuislongtempsdem’insurgerlorsqu’onmedonnaitcesurnom.ElleporteenellelesgènesdesSutherland.Jevousdemandedeluimontrerlerespectauquelelleadroit!

Mouché,Craigécarquillalesyeuxenmedétaillant.—Çane fait rien,nepus-jem’empêcherde répliquermielleusement.Moiaumoins, j’ai lachance

d’êtreunLupus.Bonnie nem’envoulut pas pour cette réflexionqui ne visait qu’à remettre en place l’arrogance du

guerrier.Personnenetrouvarienàredire,dureste.Nousquittâmeslepèreetlefilsquelquesminutesplustard avec l’intention de rejoindre nos quartiers et de parler à Jeremiah, et les laissâmes organiser lerassemblement des combattants. Dès que nous franchîmes le dernier palier menant à l’Agora, nousaperçûmesLeithquifendaitlafoulepresséedevantlesétals.Ilnousavaitdéjàrepérées.

Bonnie se figea. Je réalisai alors que c’était la première fois qu’elle le voyait depuis qu’elle étaitrevenuedanslesEntrailles.Elleparaissaitbouleversée.Puis,jaillissanttoutdroitdesoncœur,unelarmecoulasursa joue tandisqueLeithn’étaitplusqu’àquelquespas.Prisaudépourvu, ils’arrêta toutnet.J’étaislaseuleavecquiilavaitdiscutédepuissonretourdechezlesKerr,laseuledevantquiilavaitadmis, impuissant, s’être trompé, et l’émotion sur le visage de Bonnie sembla le tétaniser. Lorsqu’ilm’avaitdemandédeluiparlerdesavie,jeluiavaisditcombienilétaitimportantpoursononcleetsatante.Ilsavaitqu’ilétaitlefilsqu’ilsn’avaientjamaiseu.Maisétait-ilseulementprêtàrecevoirtoutcetamourmaintenant?Probablementpas.

JemetournaiversBonnie.

—Est-cequeçava?Elletremblaitdetoussesmembresetretenaitsarespiration,enproieàunebataillecontreelle-même.

C’étaitunefemmeintelligente,ellesavaitqueLeithavaitbesoindetemps,c’estpourquoielles’abstintdecourirversluipourluisauterdanslesbras,etsecontentad’expirerungrandcoup.

—Çava.Ellemefitsigned’avancerets’approchadesonneveuavecunsourireavenant.—Bonjour,Leith,lesalua-t-elle.Jesuisheureusedetevoir.Le hochement de tête de ce dernier fut presque imperceptible tant il ne savait pas comment se

comporter.—Jesuisdésolépourvotre…,pourAlastair,dit-ild’unevoixtrouble.Bonniesemorditlecoindeslèvres.—J’aimaisénormément tononcle,et ilvabeaucoupmemanquer. Il t’aimaitaussi tendrement,et il

seraitheureuxd’apprendrequetuasretrouvétonidentité.Maissi tu leveuxbien,nousreparleronsdetoutçaplustard.

Les yeux de Leith brillaient d’une intensité presque douloureuse. Ses proches seraient émus,transportés de joie qu’il leur revienne, mais sans sa mémoire, cela ne signifiait rien. Mon cœur secomprimadevantsonimpuissance.Quelquesoitlecheminqu’ildécideraitd’emprunter,ilseraitlongetdifficile.Illuifaudraittoutrecommenceràzéro.Iln’avaitd’autrechoixqueselaisserguideretreprendrelàoùilenétaitresté,ous’inventeruneautrevie,sansnous.

—Qu’enest-il?finit-ilparmedemander.Tesamis?Jeprisuneprofondeinspirationetrelevailatête.—LesGuerriersdel’ombreserontprobablementicicettenuit.LesyeuxdeLeiths’écarquillèrent.—Cettenuit?J’acquiesçaietsoupirai.—Situn’yvoispasd’inconvénient,allonsrejoindrelesautresafinqueBonnieetmoipuissionstout

vousexpliquer.Ileutunmomentd’hésitation.—Tesens-tuprêtà…affrontertoutlemonde?m’enquis-je.Ilm’observaplusieurssecondesavantdemefairesignequeoui,maisjeledevinaisdanssonregard:

ilétaitloind’enêtresûr.—Leith…—Allons-y,décida-t-il.Nous retrouvâmesJeremiah, laMeute,Christyet ledétectiveForbesdans la sallecommunedenos

appartements.QuandDan,John,Anneas,ÉtienneetGeorgiaaperçurentLeithderrièremoi,lasurpriselesréduisit au silence. Tous le dévisageaient avec unmélange d’interrogation et d’incertitude, et lorsque

Bonnie pénétra dans la pièce, arborant un crâne blanc et rasé, plus personne n’osa amorcer un geste.TandisqueJeremiahrestaitrivéauxyeuxdesonfils,bienplusémuqu’ilnevoulaitleparaître,j’avançaiplusaucentreetrépétaimotpourmotlaphrasequej’avaisditeàLeithquelquesminutesplustôt.Christyselevadesachaised’unbond,horrifiée.Ellen’étaitpasplusprêtequemoiàseconfronterunenouvellefoisàcescréaturesquenousétionsseulesàvoir.

—NomdeDieu!jura-t-elle.NomdeDieu!Combien?Combiensont-ils?—Tablonssurquatre.Et je leur racontai tout ce que Darius et Gwenm’avaient dit, tout ce qu’ils avaient tenté de faire

pendantplusd’unesemainepourleséloignerdesEntrailles.—EtcetidiotdeMurdochlesachassés?maugréaKeith.Leuraidenousseraitprécieuse!Iln’enavaitque tropconscience. Il était là lorsqueDarius avaitplanté ses serresdans le cœurdu

guerrierstrigoï.—Commentnousorganisons-nous?demandaAnneas.— Si vous avez un brin de cervelle, tenez-vous à distance de ces créatures ! aboya durement le

détective.—Etvouslaisseraffronterseulscesmonstres?ripostaGeorgiadontleregardverts’étaitenflammé.

Jamaisdelavie!Nousallonsdemanderàcequ’onnousfournissedesarmes.—Murdochnesaitpasquenousnousapprêtonsàprotégerlacité,murmurai-je.Jeremiahfronçalessourcils.—Ilnesaitpas?—Ilréfutel’idéemêmequelesGuerriersdel’ombreexistent.—Nousdevronsagiràcouvert,intervintBonnie.Maisnousneseronspasseuls.Lebrasdroitdemon

oncle nous a écoutés. Plusieurs combattants de l’élite hispo seront en faction devant chaque entrée, etquelquesCrinosàl’extérieur.Hannahsepositionneraàl’estetChristyàl’ouest,ellesserontnosyeux.

—Nos?notaJeremiah.Tunepeuxpasyaller,Bonnie.—Etpourquoiça?Parcequejesuisunefemme?Ilsecoualatête.—Çan’arienàvoir,tulesaisbien,dit-ild’unevoixdouce.Maistun’espasencoreremisede…—Nepensepasàmaplace!l’interrompit-ellesèchement.Cettecitém’avolél’hommequej’aime.Je

nepermettraipasqu’elleprenneunseuld’entrevous.BonnieetJeremiahs’affrontèrentduregardquelquesinstants.PuisJeremiahcapitulad’unbrefsigne

dumenton.Elleétaitdéterminée,ilnelaferaitpaschangerd’avis.—Jevouspréviens,nousnonplusnousneresteronspasàrienfaire!grondaÉtienne.—C’estpourtantcequivasepasser,luipromitcalmementBonnie.Uneerreur,unefaiblesseetc’est

toutelacommunautéquivoleraenéclat.Çanonplus,jenelepermettraipas.Vousferezexactementcequ’onvousditetpatienterezbientranquillementici,c’estcompris?Celadit,jeuneloup,soyezrassuré,

noussavonsquenouspouvonscomptersurvous.Lesyeuxd’Étiennelançaientdeséclairs.LaMeuten’avaitpasl’habitudedesetournerlespoucesen

casdeproblème,surtouts’ilyavaitunebonnebagarreàlaclé.Maiscettefois,c’étaitdifférent.Cettenuitseraitsansdoutelaplusdangereusedetoutenotrevie,etilnesuffiraitpasdemontrerlescrocsoudebrandirlespoingspours’ensortir.

Pendantce temps,Leithneprononçaitpasunmot.Jeconnaissaisbienl’expressionimpassiblequ’ilaffichait. Adossé contre la paroi rocheuse, les bras croisés sur le torse, il enregistrait, analysait etdisséquaitchaquemot,chaquephrase,chaqueordreproférés.Sonsilenceétaitonnepeutpluséloquent:iln’attendraitpasgentimentqueleschosessepassent.J’enétaisabsolumentconvaincue.

—Roryviendranoustrouverpournousexpliquerdansledétailquellepositionnousauronsàtenir.Soyezprêts,finitpardireBonnie.Jevaismechanger.

Elle tourna les talons et disparut dans le couloir.Furieux,Étiennedonnaun coupdepieddansunechaiseetsortitàsontour,presqueaussitôtsuiviparlerestedelaMeute.Keith,Jeremiah,Christy,Leithetmoidemeurâmessilencieuxunbonboutdetempsànousregarderenchiensdefaïence.PuisLeithseraclalagorgepourattirernotreattention.

— Bien. Je ne sais pas exactement ce qui nous attend, ni même comment se déroulera la fin desopérations,maisj’oseespérerquevousaveztouscomprisquesicettejeunefemmeavecquij’aiétéliépar l’Esprit risque sa vie, je ne me contenterai pas de souhaiter qu’elle rentre saine et sauve. Sanscompterquesimafamilles’implique,j’aiuneraisondeplusdem’enmêler.

Malgrémoi, je baissai la tête et pressai deux doigts surma bouche pour cacher le sourire qui s’yépanouissait.Fier,déterminéetcourageux.C’estcommeçaquejel’avaistoujoursconnu.

Jeremiahouvritlabouchepourdirequelquechose,puisilsetut,commesaisidestupeur.Safamille…Leith ne se souviendrait jamais de sa vie passée, mais quelle importance ? Il venait de faire un

premierpas.Leplusimportantdetous.Celuiquilerapprocheraitdenous.

Chapitre20

La nuit finissait de s’étirer sous la pluie battante et le vent. La neige ramollissait à vue d’œil, etdévoilait de largesplaquesd’herbe jauniepar le froid. Je les contemplai en songeantquedansmoinsd’une heure, le soleil commencerait à percer les épais nuages pour libérer sa lumière salvatrice.J’attendaiscemomentavecunetelleimpatiencequemoncœurpalpitaitd’excitationetdecraintemêlées,car l’angoissenem’avaitpastoutàfaitabandonnée.LesGuerriersdel’ombrepouvaientencorevenir.Mêmelorsquelecrépusculeprendraitnaissance,ilspourraientêtrelà.

Pourlamillièmefoisdelanuit,protégéesousunelargecapucheenpeau,jesortisdansl’obscuritéquis’étendaitàpertedevue.Jefermailesyeuxetlevailenezpourreniflerl’airavecattention.Maisdepuisdesheuresetdesheures,jenepercevaisriend’autrequel’odeurmusquéedemessemblables,ainsiqueles relents ferreux et lointains des Anges Noirs postés sur le plus haut sommet de Ben Hope.Silencieusement,ilsguettaientl’arrivéedescréaturesdelanuit.Commenoustous.

Surmadroite,unebonnecinquantainedemètresplus loin,plusieurscombattantscrinos faisaient larondesanssavoirqued’uneminuteàl’autre,desmonstresqu’ilsneverraientmêmepaspourraientleurarracherlagorgeavantqu’ilsneréalisentquoiquecesoit.

Riennesauraitm’apaiserdavantageque la lumièredu jour,maisaprèsquelquesheuresde répit, ilnous faudrait recommencer, anxieux et incertains, jusqu’à ce que le couperet laisse tomber sa lametranchanteetdécidedenotresort.

Par l’Esprit, si les Guerriers de l’ombre n’apparaissaient pas avant le lever du jour, Rory noussoutiendrait-ilencorelanuitsuivante?

Jemefrottailessourcilsnerveusementetrejetailatêteenarrière.L’incertitudeétaitcertesentraindeme bouffer,mais l’angoisseme dévorait bien davantage. La cité était sur le point de se réveiller. Jen’osaisimaginercequisepasseraitsileshabitantssedécidaientàmettrelenezdehorsaumomentoùlesguerriersstrigoiiapprocheraientlecœurdelaTerredesloups.

Je fis face au porche sous lequel nous étions abrités, et inspirai profondément. Nous étions huit àattendre que la nuit se termine.Leith,Craig, quatre guerriers hispos,Bonnie etmoi, et pas un n’avaitencore fermé l’œil, ne serait-ce que cinq minutes. Les combattants qui accompagnaient Craig étaientadossésaufonddelacavitédansunsilencereligieux.Craigétaitinstallésurunrocherprèsdel’entréeetmâchonnaitnonchalammentunbrind’herbeséchée.Presqueen facede lui,Leith, installéauxpiedsdeBonnie, lui offrait toute son attention. Assise sur unemotte de paille, elle lui racontait les souvenirsd’enfance qu’il avait perdus et qu’elle avait chaleureusement conservés tout au fond de son cœur. Ill’écoutaitsansmotdire,nel’interrompantquepourensavoirdavantage.Jemelaissaialleràsourireet

retournai m’asseoir près de Craig. Accroupie contre la roche, je resserrai autour de mes épaules lafourrurequ’onm’avaitprêtéepourmeréchauffer.L’airétaitglacial,jeportaismesvêtementsmodernespourgagnerenlibertédemouvement,maismonjeanétaitdéchiréetmonsweatpastrèsépais.Malgrématempératurecorporelleplusélevéequelamoyenne, j’étaisfrigorifiée.Jefermailesyeux,entouraimesgenouxdemesbraset,lespaupièrescloses,calaimatêteàl’intérieur.

—C’estcommentlaFrance?medemandasoudainCraig.Jerouvrislesyeuxetméditaiquelquessecondessaquestionsansbouger,puisjemeredressaipourle

regarder.—Différentd’ici.Moinssauvage.Plusfréquenté.Lesterressontfertiles,lesrivièresabondantes,les

Alpesseperdentdanslesnuagesetlanourritureestmerveilleuse.Ilritdoucement.—C’estcequ’ondit.—Aimeriez-vousvousyrendreunjour?Ilhaussalessourcils.—Etmangerdesescargots?Jamaisdelavie!Jenepusm’empêcherd’êtreamusée.—Quelgoûtçaa?m’interrogea-t-ilenfaisantlagrimace.—Aucuneidée,jen’enaijamaismangé.—LaFrancevousmanque?— Son climat, répondis-je sans hésiter.Mais j’aime vivre en Écosse. J’ai toujours considéré que

c’étaitl’undesplusbeauxpaysdumonde.Craig baissa les yeux sur sesmains et caressa doucement l’anneau d’argent qu’il portait à l’index

droit.—NewYorkmemanqueparfois,dit-ilavecunsoupirmélancolique.Jetournailatêtepourétudiersonprofilaumentonvolontaire,auxlèvrescharnuesetaunezlégèrement

bossu.—Pourquoienêtes-vousparti?Ilmejetaunœilfurtif.—Jesuisnéici,voussavez.—Ahoui?Ilhochalatête.—Mesparentssesontséparéslorsquej’avaisseptans.J’aisuivimamèreauxÉtats-Unis.J’écarquillailesyeuxdesurprise.—C’étaitenpleinerépressiongarolle,onvousalaissépartir?IlcoulaunregardbrefàBonniequin’avaitpaseucettechanceetacquiesça.—Mamère ne réfutait pas les principes de la communauté, elle ne voulait simplement plus vivre

auprès de mon père. J’ai reçu l’enseignement du Sutherland. Je suis même allé dans une école quil’inculquait.

—Çaexiste?m’étonnai-je.—Toutestpossiblechezl’oncleSam,faol-ur!—Qu’est-cequivousapousséàrevenir?Ilhaussalesépaules.—Bah,l’enviedeconnaîtreunpeumieuxmesracines.Deservirunecausejuste.Piquéeauvifsansqu’ill’eûtfaitexprès,j’étaisàdeuxdoigtsdeluidemandercequ’ilpouvaitbien

trouver de juste dans les lois ancestrales du Sutherland. Je m’en abstins. Craig semblait content dediscuter, il était amical et je n’avais pas vraiment envie de dresser unmur entre nous. J’étais mêmereconnaissantequ’ilnousapportesonsoutien,etj’auraisétéprêteàparierquemêmesisonpèreavaitétécontrenous,ilnousauraitquandmêmeaidés.

—Moi,jesuisItalien,semanifestasoudainunguerrierhispoens’approchant.Jesuisarrivéiciilyadixans.J’aimecetendroit,maisjedoisbienavouerquesimafemmesedémènepourmefaireplaisir,jesuisconstammentenmanquedepizzas!

—Je suisdepure souche, intervint undeuxième.Unvrai highlander !Donnez-moiduhaggis et duwhiskyetvousferezmonbonheur!

—Cormagestunmenteur,s’esclaffaCraig.Rienquelemotbrebislefaitcouinercommeunepucelle!Cederniergonflalapoitrineetfronçalessourcilscommepoursedonnerunairredoutable.—Maisj’aimelewhiskyetlesfemmes!—Poursûr!confirmal’undesdeuxcombattantsrestésenretrait.C’estpourquoilesfillescélibataires

tefuientcommelapeste!Lestroisguerrierséclatèrentderire,faisantseretournerLeithetBonnie,puisseregroupèrenttousles

cinqpourdiscuterdeleurvierespective.Jelesécoutaiunmomentet, incapabledetenirenplacepluslongtemps,jemeremisdeboutetretournaiàl’entréedelagrotte.Là,j’étiraimesmusclesengourdisparlefroidetlaissaiéchapperunbâillementmalgrémoi.

—Lanuitn’estpasfinie,murmuraLeithdansmondos.Net’endorspas.—Çanerisquepas,affirmai-jeenmefrottantlesyeux.Mais je ne rêvais que de ça. D’un lit douillet, d’une couverture chaude et d’un oreillermoelleux.

Commecen’étaitpasprèsdem’arriver,jesoupiraietbougeailatêtededroiteàgaucheplusieursfoispourdétendremescervicales.

—Tiens,ditLeithmeproposantlagourdequ’iltenaitentrelesdoigts.Çavateréchauffer.Jelapris,ouvrislebouchon,laportaiàmeslèvres.L’alcoolétaittellementfortquej’écarquillailes

yeuxdesurpriseensentantmagorgeetmonœsophages’enflammer.—Penses-tuqu’ilsviendront?medemanda-t-ild’unevoixcalme.— Je ne sais pas. Ils le feront s’ils ont la certitude de pouvoir se protéger de la lumière du jour

suffisammenttôt.Ya-t-ildesgrottesàproximité?—Destas.LesplusprochessontenamontdeBenHope,àenvironcinqkilomètresàl’est,versLoch

anDherue.— S’ils arrivent par l’est, c’est sûrement là qu’ils iront se protéger. Je ne sais pas s’ils vont se

décideràattaqueravantleleverdujour,maissicen’estpaslecas,nousdevronsfouillercesgrottesetvérifierqu’ilsnes’ytrouventpas.

—Ets’ilsysont?demanda-t-il,sceptique.Quefait-on?Nouslesempêchonsdesortir?Jeplissailespaupières.—Non,Leith.Nousdevronslestuer.Ilsefrottalesyeuxetpassaunemaindanssescheveux.—Aucunefemmenedevraitavoiràassumercequetuassumes,Hannah.Trouve-moirétrogradesitu

veux,maistudevraisêtreailleursà…—Faire du crochet ?Confectionner des gâteaux ? plaisantai-je. Je t’ai déjà dit que tu as toujours

détestémacuisine?Ilfronçalenez.—Non,maisjeprendslepariquetuferaisuneexcellente…—Ilsarrivent!s’élevasoudainlavoixpuissantedeGrigore.Mon cœur bondit si violemment dansma poitrine que je le crus sur le point de sortir dema cage

thoracique.Prêtounonàendécoudre,toutlemondeselevapoursortir.Jem’élançaicommeunetorpilleetrejoignisGrigorequi,trempéparlapluie,faisaitdusurplace,quelquesmètresau-dessusdusol.

—Unquartd’heure,cria-t-il.Ilssontàseptmiles,ausuddeLochMeadie.Par l’Esprit ! Je m’étais préparée à cette confrontation toute la nuit pour finalement constater, le

momentvenu,quejen’étaispasprêtedutout!LesouvenirdelafaceputridedesGuerriersdel’ombres’imposaàmoi,etlapeurs’insinuapartouslesporesdemapeau.J’auraisdonnén’importequoipourdisparaître,pourêtren’importeoùailleursqu’ici.

Soudain,à traverslerideaudepluie, lasilhouetted’unCrinosmesortitdemesangoisses.Ils’étaittransforméetfonçaittoutdroitsurGrigore!

—Derrièretoi!hurlai-je.Toutsepassatrèsvite.Enmoinsdedeuxsecondes,labêtepropulsasoncorpsmassifdanslesairset

agrippa Grigore par les épaules pour le forcer à toucher terre. Les griffes solidement arrimées, ill’entraîna avec lui. Accrochés l’un à l’autre, ils se ramassèrent sur eux-mêmes, roulèrent et nes’immobilisèrentquelorsquequ’unsecondCrinosfonditsureuxpourformerunemêléequimeglaçalesang.Grigoren’allaitpasenressortirvivant!Jem’élançaisansréfléchiretfrappaidetoutesmesforceslatêted’undesguerriers.L’animalétaitsidéchaînéqu’ilnesemblariensentir.J’essayaiencore,joignantmesdeuxpoings,etcettefois,ilseredressa,rugissantdecolère.Jen’attendispasqu’ilfoncesurmoi,jereculaidedeuxbonsmètres,attrapaiàdeuxmainslapremièrerochedetaillerespectablequimetomba

souslesmains,fixaimonadversaireentrelesdeuxyeuxetmistoutelapuissancedontjedisposaispourlancer mon arme de fortune. Le lourd projectile atteignit sa cible de plein fouet, exactement au bonendroit,etlabête,assommée,s’effondra.

Grigoresedébattaitcommeundiable.Allongésurledos,ilplialesgenouxetparvintàrepoussersonadversaired’unevigoureusebourrade.

—Attention!braillai-jeenvoyantuntroisièmeguerriersurgirdenullepart.Encoreunefois,Grigoren’eutpas le tempsderéagir, leCrinosbonditetfendit l’airdesesgriffes.

Grigorelesaccueillitenpleinepoitrine.Ilhurla,puissoncriseperditdansungargouillisquieutraisondemesdernièresbribesdebonsens.Commepossédéeparlarage,jem’élançaisansétatsd’âmesursonagresseuralorsqueceluiqu’ilavaitécartérevenaitàlacharge.Crocsetgriffesdehors,jefondissursondos,frappai,mordis,déchiquetai,aveclavagueimpressiond’entendrel’alerteretentirderrièremoi.Puisje me sentis soudain tirée en arrière par deux mains puissantes. Hors de contrôle, je gigotaifrénétiquementlesjambespourqueLeithmelâche.

—Grigore!Grigore!m’égosillai-jeenvoyantquelesCrinosnelelaissaientpastranquille.LasilhouettedeDariussurgitalorsduciel.Lesmainsenavant,illacéralesépaulesd’undesguerriers

quilâchaprisepourseretournerenpoussantuncrieffroyable.Dariusl’éloignadumieuxqu’illeput,lenarguant,l’excitant,faisantminedeselaisserattraperpourbifurquerauderniermoment.Gwenintervintpresquesimultanémentetdessinadescerclesautourdudernierguerrierquiseredressa.Détournédesacible, il agita les bras et essaya de l’attraper. En quelques secondes, les deux Crinos avaientcomplètementoubliéleurproie.

Grigoreétaitensangetnebougeaitpresqueplus.ImmobiliséeparlesbrasdeLeith,j’étaisincapabledefairelemoindregestepourluivenirenaide.

—Laisse-moi,sanglotai-je,impuissante,lesjouesnoyéesdelarmes.Laisse-moil’aider…Aulieudem’écouter,ilmefitreculeraveclui.—Pasmaintenant,c’esttropdangereux.—Ilsvontletuer!Parl’Esprit,laisse-moi!Ilnecédapaset resserra sapoignepourm’empêcherde luiporter secours. Je ledétestaispource

qu’il était en train de faire, je le haïssais dem’éloigner deGrigore.Mon sang bouillonnait dansmesveinesetappelaitceluidemonalteregovampirique.ToutmonêtreserévoltaitcontreLeith.Iln’avaitpasledroit!Chaqueparcelledemapeauencontactaveclasienneparutmebrûleretjehurlaitoutemarage.

—Jetehais!Jetehais!Leithrefusades’émouvoir.Ilnousfitfairevolte-face,etmepoussaendirectiondesEntraillesd’oùse

dessinaient la silhouette deMurdoch et celles de plusieurs autres guerriers.Alors que j’amorçais uneultimetentativepourmelibérer,Leithgronda,mesoulevaparlatailleetparcourutlesquelquesmètresquinousséparaientduflancestavantdemecollercontrelaparoirocheuseetdepressersongrandcorps

contrelemienpourm’immobiliser.—Que veux-tu, sombre idiote ?Que je te donne en pâture à cesmonstres ? C’est ce qu’ils sont,

Hannah,desmonstresincontrôlablesetincapablesdedissocierlebiendumal!—Ilvamourir!—Labelleaffaire,c’estunAngeNoir!—C’estmonâmesœur,hurlai-je!sansmêmemerendrecomptedelaportéedemesmots.Jel’avaisditavectantdecertitude,dedésespoir,queLeithparutcommefrappéparlafoudre.Dansun

moment d’inattention, il desserra son étreinte et recula sensiblement. Je profitai de sa confusion pourpassersoussonbrasdansl’intentionderejoindreGrigore.MaislavisiondestroisGuerriersdel’ombrefonçant droit sur nousm’arrêta dansmonélan. Ils avançaient vite, très vite, et n’étaient plusqu’àunecentainedemètres.Quatre-vingtsmètres.Cinquantemètres.

Ils progressaient sans se dématérialiser, marchant d’un pas lourd et lent, prenant tout leur tempscommepourmieuxsavourerl’effetdesurprise,traînantaveceuxl’odeurputridedeleurcorpsvieuxdeplusd’unmillierd’années.

Pétrifiée,j’étaisincapabledecontenirlestremblementsquimesecouaient.—Hannah,quesepasse-t-il?murmuraLeithquemaréactionintrigua.Hannah?Jenerépondispas,remarquantàpeinelesbruitsdepasénergiquesdeMurdochquiarrivaitderrière

moi.—Commentavez-vousosélesfairevenirici?tonna-t-ilenmefaisantviolemmentpivoter.Une fraction de seconde, alors que la peurme rongeait de l’intérieur et quemes os semblaient se

craquelerd’eux-mêmes,jecrusqu’illesvoyaitluiaussi.—Faol-creutair!JevousavaisditquejevoulaisquelesExploiteurssetiennentéloignésdelaTerre

desloups!Jenelaisseraipasvotreinsolenceimpu…Murdochs’arrêtatoutnetlorsqu’unhurlementeffroyabledéchiralanuit.LeguerriercrinosqueDarius

détournaitvenaitd’êtreattaquéparunecréaturestrigoï.Nousleregardâmessetordre,seconvulser, jevis son corps s’enflammer d’une lumière phosphorescente, le sonmacabre de la chair tailladée nousparvint,etquelquessecondesplustard,ilgisaitàterre,débitéenmorceaux.

— Par l’Esprit tout puissant ! souffla le Loup Suprême dont le visage se mêlait d’autant destupéfactionquedeterreur.Parl’Esprit…

Les trois Guerriers de l’ombre avaient pris pour cible le Crinos que j’avais assommé. Ilsl’entourèrent,lesoulevèrentdeterreetjouèrentavecluitelunchatavecunesouris.Entreleursmains,ilnesemblaitpaspeserpluslourdqu’unmaigrequartierdeviande.Musd’unesauvagerieinqualifiable,ilsl’embrochaient,lejetaientenl’air,lerattrapaientpourmieuxletranspercerdetoutespartsalorsquelalumièredelamortl’enveloppaitdéjà.Lassésdeleurjeumacabre,alorsqueleurvictimenetenaitplusdebout,deuxs’emparèrentdesespoignets,l’autredesoncou,puisilstirèrentdessusjusqu’àcequelesoscraquent,quelesbrasetlatêtesedéchirentetquelecorpssansviedugarous’effondre.Ilsdévorèrent

leurpriseet se tournèrent sur ledernier combattantqui, inconscientdudanger, avait abandonnéGwenpourfoncerdroitsureux.

Horrifiée,Bonniesepositionnadevantsononcle.—Faisquelquechose!Maintenant!Uncail!insista-t-elleenlesecouantparlesépaules.Enétatdechoc,Murdochposasurelleunregardsividequejedoutaisqu’ileûtcomprisuntraîtremot

decequ’avaitditsanièce.Roryapparut,bienplusalertequeMurdoch.Ilpritleschosesenmainsetsetintdevantmoi.

—Hannah,aidez-nous.Oùsont-ils?JetournailatêteversledernierCrinos.Ilparaissaitplusagilequelesautres.Iltournaitsurlui-même,

bougeant les bras en tous sens dans unmouvement parfaitementmaîtrisé, repoussant sans les voir lesGuerriersdel’ombrequil’encerclaient.Maisilnesurvivraitpas.Ilchatoyaitdéjàd’unelueurjaunâtreetfuneste.

Moncorpssecouvritdesueursfroides,et leslarmesroulèrentsurmesjouessansquejepuisselescontenir.Lesmainstremblantes,jem’essuyailevisage,leregardfixésurDariusetGwenquisoulevaientlecorpsinertedeGrigorepourl’emporteraveceuxdanslesairs.

Craigs’approcha,pritfermementmonvisageentresesmains,etplongeasesyeuxnoirsettumultueuxdanslesmiens.

—Ressaisis-toietguide-moi.Meslèvrestremblèrent.Ilportalesdoigtsàsaceintured’armeetsoulevasaclaymored’ungesteassuré.—Hannah…,letempspresse.Soisnosyeux.Jem’essuyailenezetregardaidroitdevantmoi,prêteàobtempérer.—Passansmoi,grondaLeithenmeretenantparl’épaule.Jesoutinssonregard,respiraiprofondémentethochailatête.Personnen’auraitpul’empêcherdeme

suivre.Ilétaitpousséparl’Espritquivibraitenluietquejeressentaisdetoutmonêtre.—Allons-y!ordonnaCraig.Accompagnés des deux combattants hispos avec qui nous avions ri dans la grotte, nous avançâmes

aussidiscrètementquepossible.Lesguerriersstrigoiinenousprêtaientpasattention.Leurbestialitélespoussantàacheveruneproieavantdeseconcentrersuruneautre.

LeCrinosétaitàterre,assailliparlescoupsdeserresincessantsdescréaturesdelanuit.L’odeurdusangmêléeàcelleduchoupourrietdugoudronétaittelle,quemonestomacfutprisdespasmesviolents.Surmontant lanausée, jeme tournaivers lesquatreHispos,et leur fis signedese tenirprêts.Épéeaupoing,ilsl’étaientplusquejamais.

Lesdévoreursdechairétaientserréslesunscontrelesautres,penchéssurleurvictime.Sijenesavaispas notre chance de les éliminer tous les trois en même temps totalement vaine, j’aurais dit auxprotecteurs de la communauté de s’élancer sur eux pour leur enfoncer leur claymore dans le dos. Je

l’auraisvraimentfaitsijen’avaispasétélaseuleàlesvoir.Maispersonnenelesdistinguait.Pasuneombre,pasuncontour.Rien.Pasmêmeleurstracesdepasdanslaneige.L’herberaseavait totalementreprispossessiondelalandeenl’espaced’unenuit.

Lecœurauborddeslèvres,jeramassaiunepierreetlajetaiàlatêted’unecréaturepourattirersonattention.Cequinemanquapasd’arriver.Elleseretournasurmoi,etfeulasacolère.Lespoilsnoirsethirsutesdresséssurlesommetducrâne,elles’apprêtaitàmefairepayermonintrusion.

—Approche,l’invitai-jed’unevoixmalassurée.Cequ’ellefit.Lorsqu’ellefutàmoinsdedeuxmètres,sansunmot,jemecontentaidepointerledoigtdevantmoi.

Les guerriers hispos se consultèrent à peine d’un regard avant de bondir. Craig parvint à toucher lacréatureàl’épaule,lesdeuxautresmanquèrentleurcibledepeu.Lemonstrestrigoïrugitetbalayal’airdeseslongsbrasvelus,envoyantàplusieursmètresl’amateurdewhiskyetdefemmes,ainsiquelegarouitalien.Ilss’écrasèrentcommedespantinssurlesolgorgédepluie.Lecœurauborddeslèvres,jevislacréatures’approcher.Vibranted’excitationetd’impatience,sapoitrineimberbeetpuissantesesoulevaitavec force. Elle secoua son impressionnante tête afin de se débarrasser des longs poils collés à sesimmensesyeuxrouges,etouvrittoutgrandlagueulepourdévoilerlestroisrangéesdedentsqui,àn’enpointdouter,netarderaientpasàserefermersurl’und’entrenous.

—Hannah?criaLeithtandisquejerestaisimmobileetterrifiéedevantcettepuissancemaléfique.Oùsont-ils?

Jenerépondisrien.Jenequittaispasdesyeuxlacréature,commehypnotisée.— Hannah ! répéta Leith plus fort, tandis que, ébahie, je voyais un halo étincelant dessiner lescontoursdumonstre.—Ellevamourir…,murmurai-je.Jelevois.Lalumièreautourd’elle…Lacréaturevamourir.—Quoi?ditLeith,abasourdi.—Devanttoi!hurlai-jeàCraig.Ellefoncesurtoi!Instinctivement, au dernier moment, il marqua un temps d’arrêt et s’accroupit en brandissant sa

claymore. Déconcerté, le Guerrier de l’ombre vint buter sur la pointe de l’épée. Craig sentit unerésistance.Ilpoussaunpeuplus,pritlepommeauàdeuxmainsetenfonçasonarmedetoutessesforcesdans l’abdomen de son adversaire. Celui-ci s’immobilisa, mais il vivait toujours et possédaitprobablementencoresuffisammentdeforcepourenvoyerCraigenenfer.

—Frappeencore!éructai-je.Maisc’estLeithquiintervint,alorsquelesdeuxautresGuerriersdel’ombre,attirésparl’odeurdu

sangdeleurcongénère,setournaientversnous.Ilsortitunedaguedesabotteetsejetaàl’aveuglettesurla créature qui perdit l’équilibre et bascula en arrière. Leith la chevaucha et lui poignarda le crâne àplusieursreprisesjusqu’àceque,vifcommel’éclair,unGuerriersedématérialiseetapparaissedevantlui.Cedernierl’empoignaparlecouetlesoulevadeterre.

Monsangseglaça.Illuisuffiraitd’uneseulepressionpourluibriserlanuque.—Non!hurlai-jeenbondissant.Mais avant de parvenir à l’atteindre,Cormag s’était relevé pour enfoncer son épée dans le dos du

monstre,maishélas,passuffisammentprofondément.CederniergrondaetabandonnaLeithquitombaàterreentoussant,lesoufflecourt.

Lalametoujoursfichéeentresesomoplates, leGuerrierdel’ombrefitplusieurstourssurlui-mêmesans parvenir à la retirer. Ce qui lemit dans une rage folle. Il rugit puissamment, et au lieu de s’enprendreàCormag,ilsefixasurmoi.Commeauralenti,jeleviss’élancerdansmadirection.Ilnemelaissapasl’occasiond’esquisserlemoindregeste.Ilagrippamescheveux,metiralatêteenarrièreetplongea sur ma gorge. Je hurlai sous la violence de la morsure. Il me dévorait, me déchiquetaitlittéralementlapeaupours’abreuverdemonsangetserepaîtredemachair.Persuadéed’êtreàdeuxpasde lamort, jen’entendaisplusque legrincementdesesdentssurmaclavicule, ignorant toutcequisepassait autour demoi. Puis subitement, il retira ses crocs demon cou et, d’un simplemouvement depoignet,ilmepropulsadanslesairs.Brasetjambesécartés,j’allaim’écrasercontreunrocher,percevantlecraquementsinistredemesos.Moncorpsglissaàterredansl’humiditédel’herbe.Lesyeuxgrandsouvertssurleciel,levisageoffertàlapluie,jerestailàdelonguesminutes,immobileetsansforce,larespirationfaibleetirrégulière.Jepercevaislesgrognements,lescrisetlesgémissementsdedouleurquis’élevaientàquelquesmètres.Qu’ilsnesouffrentpastrop,pensai-jeenoubliantmapropredouleur.Ilyeutundernierrugissement,puisplusrien.Lesilencetotal.Plusieurssecondess’écoulèrent,peut-êtredesminutes,desheures...Pasunbruit.Vousêtestousmorts?Maispersonnenerépondit.Alorsjecessaidelutter.Jen’aipaspeur.Jevousrejoins…Àdemiconsciente,avantquemesyeuxneserefermentsurlesténèbres,j’eusletempsdevoirnaître

lespremièreslueursdusoleil.C’étaitfini.

Chapitre21

Onal’habitudededirequelaMortaimenoussurprendre.Etc’estprobablementparcequej’avaisétécertaine de mourir que j’étais toujours en vie. La Grande Faucheuse n’aime rien de mieux que vouscouper l’herbe sous le pied, c’est pourquoi elle avait dû considérer que me prendre n’était passuffisamment inattendu. J’avais cassé l’ambiance.Enconséquencedequoi, au lieudevoguerdans leseauxtranquillesdel’au-delà,j’étaisentraindemepayerleplusgrosmaldecrânedemonexistence.

Çafaisaitunmomentque j’étais revenueàmoi,mais jen’avaispasencoreeu la forced’ouvrir lesyeux.Jenesavaispasoùj’étaisnicombiendetempsj’étaisrestéeinconsciente,maiscedontjepouvaisêtre certaine, c’était que jeme trouvais couchée sur lematelas le plus inconfortable dumonde. Puis,réflexionfaite,jeréalisaiquelelitn’yétaitpourpasgrand-chose.Enmoinsd’unenuit,j’avaispresqueréussiàmebriser tous lesos.Aumoins, il faisait chaud.Mécaniquement, jepassai la languesurmesdentspourunepetitevérification,iln’enmanquaitaucune.Puisj’ouvrislaboucheetpiaffai.J’avaissoif.Trèssoif.Etmagorgeétaitenfeu.

—Hé…Jefronçai lessourcils,soulevaiunepaupière,puis l’autre,etprisdoucementconsciencequej’étais

danslachambrequej’occupaisdanslesEntrailles.Jelareconnusgrâceàlapetiteaspéritéenformedebananejusteau-dessusdemoi.Àdéfautd’avoirsuffisammentdeforcepourbougerlatête,jetournailesyeux et croisai le regarddeLeith.Les lèvres sèches, j’essayai de leshumidifier dubout de la langueavantdedirequelquechose,mais j’étais siépuiséequepasunmotnesortit.LevisagedeGrigoresedessinaderrièreceluideLeith,etjerefermailespaupières.

Tous les deux dans une même pièce sans s’étriper relevait de l’exploit. Je souris intérieurement.Grigoreallaitbien.

Jesentissoudainunlingemouillémerafraîchirlefront,etunegoutted’eaurouleràtoutevitessesurmajoue.J’ouvrisfaiblementleslèvresetlarecueillis.

—Elleasoif,murmuraGrigore.L’Espritsoitloué,j’allaisboire!J’entendislebruitdel’eauverséedansunrécipient,etl’instantd’après,Leithpassaitdélicatementune

main derrière ma nuque pour me soulever la tête. Je grimaçai, mais reçus avec reconnaissance lebreuvagesucréqu’ilfitcoulerdansmabouche.

—C’estunremèdequet’apréparéChristy.Elleapromisquetuiraismieuxaprèsça.Bois-enlepluspossible.

Je pris quelques petites gorgées et fermai mollement les lèvres lorsque j’en eus assez. Leith se

débarrassadelatimbaleetposaunemainsurmonfrontpourrepoussermescheveux.—Tul’aséchappébelle,Hannah…Toutlemondetecroyaitmorte.J’avaisvaguementeucette impression,moiaussi.Etça t’arendutriste?eus-jeenviededemander.

Maislemoulinàparoleétaittoujourshorsservice.Jemecontentaidesoupirer.—Nemefaisplusjamaisça,grondasourdementGrigore.Ilsepenchaau-dessusdemoipendantqueLeithsedécalait,etposaundouxbaisersurmonfront.—Jevaisavertirlesautresquetuesréveillée.Tiens-toiprête.Lamoitiédelacommunautéveutte

rendrevisitepourteremercier.J’esquissai l’ombre d’un sourire pendant qu’il sortait, puis je sentis la main de Leith se glisser

délicatementsurlacouverturepourenvelopperlamienne.Ilétaitsichaud.—Jen’aijamaiseuaussipeurdetoutemavie,dit-ilenmecontemplantd’unregardpénétrant.Ona

failli teperdre.LasorcièreetBonnie t’ontsoignéeenun tempsrecord, tu te remettrasvite.Tu leurasflanquéunetrouillebleue.Toustesprochesétaientterriblementinquiets.L’AngeNoir,Gwen,elleajuréme tuer puis me ressusciter, et recommencer cela éternellement si tu mourais. Elle n’est pas trèscommode.Sonmecnonplus.

Commej’étaistropfatiguéepoursourirefranchement,jemecontentaideplisserlesyeux.PuisLeitheutuneminesongeuse.— Je n’avais encore jamais vu un garou être ami avec autant d’Exploiteurs. Tout lemonde t’aime

énormément.Lavolontéprenantlepassurl’épuisement,jeparvinsàprononcerdeuxmots.—Ettoi?Ilseterradanslesilence,etm’étudialonguementavantderépondre.— L’Esprit doit être très puissant entre nous pour que j’éprouve un tel attachement. Je tiens

énormémentàtoi,Hannah.Mapetitebàs-taibhsear.Desurprise,jeclignaidespaupièresplusieursfois.—Oui, j’ai compris ça, admit-il. Tu es de loin l’être le plus exceptionnel quim’ait été donné de

rencontrer.Etmêmeenpossessiondetousmessouvenirs,jesuiscertainquejeneprétendraisjamaislecontraire.

Iltenditlamainpourremonterlacouverturesurmapoitrineetsourit.—Jegarderaitonsecret,promit-il.Leplusnaturellementdumonde,ils’inclinapourdéposerunbaisersurmeslèvres.Jegémisdeplaisirenfermantlesyeux,etmerendormisaussitôt.Lorsquejemeréveillaidenouveau,BonnieetChristyétaientàmonchevet.J’avaistellementtranspiré

quelachemisedenuitquejeportaisétaittrempée,maiscommel’avaitaffirméChristyàLeith,j’allaisnettementmieux.Jepouvaisbougermesmembres,etmatêtenemefaisaitplusdutoutsouffrir.

—Labelleauboisdormantestenfinréveillée?s’amusacettedernière.

—Quelleheureest-il?demandai-jeparréflexe.—Quelquechosecommequinzeheures,réponditBonnie.Seulement?Avantdeperdreconnaissance,jemesouvenaisavoirfermélespaupièressurlesrayons

dusoleil,etici,ilselevaitvershuitheuresetdemie.Jefrottaimesyeuxetbâillai.—Jen’aidormiqueseptheures?—Septheures?s’esclaffaBonnie.Prèsdesoixante-douze,tuveuxdire!J’écarquillailesyeux.—Jesuislàdepuistroisjours?—Ilfallaitaumoinsça!ritdoucementChristy.Tuétaisdansunsaleétat.Nebougepas.Ellesepencha,passalesmainssousmanuqueetdéroulaminutieusementlebandageserréautourde

moncou.—Cesplantessontextraordinaires!s’exclama-t-elleenétudiantmapeau.—C’estsurtoutsonpatrimoinegénétiquequil’est,s’amusaBonnie.Jetentaideporterlesdoigtsàmagorge,Christym’enempêcha.—Lesplaiessontreferméesmaintenant,maisj’aimeraisquetuévitesdelestoucher.Encoredeuxou

troisjours,etellesn’yparaîtrontplus.—Ques’est-ilpassé?demandai-je.LesGuerriersdel’ombre?Troisjoursquejesuisici?N’ont-ils

pasattaqué?Oùsont-ils?Christysourit.—Ilssonttousmorts,Hannah.—M…mort?bégayai-je.Elleacquiesça.C’étaitirréel.—Jesuisintervenueaumomentoùtut’esécraséesurcerocher.J’aiservideguideàl’Hispo.Ilétait

fouderage,illesatuéstouslesdeux.—L’Hispo?—Craig,réponditBonnie.—Et…etlesautres?Lesdeuxautresguerriers?Sesamis?Navrée,ellesecoualatête.Ilsétaienttombés.Jebaissai lespaupières, lecœur lourd. J’auraisaiméconnaîtreunpeuplusCormaget l’Italien. Ils

étaientmortsenhéros,etjesongeaiavecuneémotionétrange,alorsquenousnousn’étionspasparléplusdecinqminutes,quej’étaishonoréed’avoirpulesrencontrer.

—Murdoch?voulus-jesavoir,etparcequelesquestionscommençaientàaffluer.LevisagedeBonnieserefermapresqueaussitôt.—Ilestdésolé.

Ilyavaitdequoi.—Aujourd’hui,ilreconnaîtdevoirbeaucoupauxAngesNoirs.Ilregrettedes’êtrelaissésubmerger

par la haine ancestrale qui lie nos deux espèces.La communauté a perdu de très bons combattants. Ilviendrateparlerquandtuirasmieux.

LavisiondescréaturesstrigoiientraindedéchiqueterlesCrinoss’imposaàmoi,chargeantmagorgedebile.

—Ilssontvraimentmorts?insistai-je.—Oui,Hannah,onnepeutplusmort,meconfirmaChristy.D’uncôté,j’étaisraviequeçasetermineainsi,d’unautre,j’étaisencoreplusinquiète.Etjepouvais

endonnerdeuxbonnesraisons.Lapremièreétaitquesiquatremonstresavaientététués,ilenrestaitun.Ilpouvaittoujoursfaireledéplacementpourvengersescopains.Ladeuxièmeseréduisaitàunpointbienplus angoissant : le Grand Strigoï n’apprécierait pas qu’on ait fait le ménage parmi ses créaturesmillénaireschéries.Enrésumé,nousn’étionspasplus tranquillesque trois joursauparavant.Jegardaimespetitesthéoriespourmoipourl’instantetmeredressaisurmacouche.J’allaismieux,maisj’avaistoujoursaussisoif.

Jeréclamaiunpeud’eau,maisàlaplace,Christymefitboireleremèdequ’elleavaitpréparé.Cettefois,jel’avalaid’unetraite,puisj’essayaidemelever.Évidemment,latêtemetournasisubitementquejemerassisaussitôt.

—Nevapastropviteenbesogne,jeunefille,meconseillaBonnie.Tuasencorebesoinderepos.Situveuxsoulagertavessie,c’estparlà.

Etdumenton,elledésignaunpotdechambreencéramiqueposésuruneconsole.Super…Ellemeforçaàallongermes jambesetàmecaler ledoscontreunoreillerenplume,puiselleme

considérad’unairgrave.—L’AngeNoir,Grigore…Ilestamoureuxdetoi.Moncœuraccéléralerythme.—Jelesais,répondis-jeplutôtquedementir.— Quand tu étais au plus mal, il hurlait à qui voulait bien l’entendre que tu étais son âme sœur

vampirique.—Jelesuis…LevisagedeBonnies’affaissa.—Jevois…Et…Leith?—Leithestl’hommequej’aime,celuiquel’Espritachoisipourmoi.Çanechangerien.—C’estquelqu’undebien,intervintBonnie.Jefronçailessourcils.—Grigore?

Ellehochalatête.—Ilneméritepasdesouffrir,murmurai-jecommepourmoi-même.—Non,ilneleméritepas,ditBonnieavecgentillesse.Restesonamieetsatristessepasserapeuà

peu.Jenerépondisrien.Jen’enétaispassûre.—Hannah!s’élevasoudainlavoixdeGwenquifaisaitirruptiondanslapièce.Bonsang,cen’estpas

possibledenousfaireuntrucpareil!Tum’asfaitunedecespeurs,mavieille!Commesij’yétaispourquelquechose…Jesouris.—Doucement,laprévintgentimentBonniequandellefonçasurmoi.Elleestencorefaible.Elleacquiesçaetsepenchasurmoipourm’embrassersurlajouelorsqueBonnies’écarta.—Contentquetuaillesmieux,petitefille,ditsourdementDariusenentrantavecGrigore.En entendant le surnomqu’ilme donnait lorsque je vivais sous son toit,mon cœur se réchauffa. Il

m’avaittellementmanqué.—Nousallonsvouslaisser,nousinformaBonniequis’apprêtaitàsortiravecChristy.Situasbesoin

dequoiquecesoit,Hannah,noussommesàcôté.JelaremerciaietsuivisGrigoreduregard.Ilavançaitavecunplateauchargédenourriture.Illeposa

surunetabledechevetinstalléetrèsrécemmentetmetenditunboldesoupe.—Mange,gamine.—Merci,murmurai-je.Il tiradeuxchaiseset s’assit avecDarius,déterminéàmevoir avaler jusqu’à ladernièregoutte le

potage de lait, d’avoine et d’oignons bouillis. Ce que je fis sansmal tant j’avais faim. J’allaimêmejusqu’à saucer l’écuelle avecunmorceaudepainnoir.Finalement, je busungrandverred’eau etmesentisenfinrassasiée.Jemecalaiunenouvellefoissurmonoreilleretlevailesyeuxsurmesamis.

—Ilspeuventvenirjusqu’ici,annonçai-jesanslemoindredoutequ’ilscomprennentàquijefaisaisallusion.

Etcefutlecas.LesyeuxcouleurazurdeDariusprirentl’aspectd’uneeautumultueuse.IlhaïssaitlesStrigoii.

—Nouslesavons,dit-il.Traiannetiendrapassapromesse.Quiétaitdenouslaissertranquillessinousparvenionsàtuertoussesguerriers.Or,nousnel’avions

pasvraimentfait,puisqu’ilenrestaitun.Mespetitesthéoriess’enretrouvaientdavantagerenforcées,cequin’étaitpaspourmerassurer.

—Qu’allons-nousfaire?demandai-je.—Attendre,réponditDariusd’unevoixsanstimbre.Attendreetaviser.Inutiledechercheràsavoircombiendetemps,iln’ensavaitpasplusquemoi.Personnenepourrait

deviner.—Doit-onprévenirMurdoch?m’enquis-je.

— À quoi cela servirait-il, à part affoler la communauté qui se remet à peine de l’attaque desGuerriersdel’ombre?mitenévidenceGrigore.

Ilsoufflaparlenez,etsecoualatêtededépit.— Je ne laisse pas une semaine à Traian avant d’intervenir. Sans doute est-il même en train de

chercher la meilleure solution pour nous faire payer. Il ne possède plus qu’une seule créature, c’estpourquoiilnecourrapaslerisquedelaperdre,etqu’ilsedéplacerasûrementenpersonne.Attendons-nousànousbattrevraimentcettefois-ci.

—Ets’ilsnousprennentparsurprise?—Ilsneleferontpas,m’assuraDarius.Traianaimetropjouer.Jepensequ’ilviendrad’abordnous

exposersesintentionsetsemerlapaniquedanslacité.—Jelehais,sifflai-je.—Pastantquemoi,petitefille,pastantquemoi.Unsilencedeplombs’installa.S’ilsenétaientaumêmepointquemoi,unmillierdevisionsmacabres

devaientleurtraverserl’esprit.LesStrigoiiétaientbienplusfortsquenousneleserionsjamais.Entoutcas, leur élite. Ceux que nous avions affrontés àWick ne devaient pas arriver à la cheville des pluspuissants.

—J’aiparléàLeith,m’informasoudainGwen.Çamefaitdrôlequ’ilnesesouviennepasdemoi.Maisilaététrèscurieux,ilvoulaittoutsavoir.

—Il aenviede se reconstruire, affirmai-jedouloureusementen songeantà toutcequenousavionspartagéetperduàjamaisdansleslimbesdel’oubli.

—Etnousl’yaiderons,mepromit-elleenserrantmamaindroitedanslessiennes.Jeremiahetluisontensembleàl’heureactuelle.C’esttrèsdurpoursonpère.

—Presqueplusquepournoustous,admis-jetristement.Grigore,DariusetGwens’enallèrentaumomentoùlaMeutevenaitprendredemesnouvelles.Nous

passâmesunlongmomentàdiscuterdecettenuitoùj’avaisfaillimourir.Chacunyalladesacolèreoudesonamertumedenepasavoirétéautoriséànousaider.J’étaispourtantheureusequ’ilsnel’aientpasfait.Je n’aurais pas voulu qu’un seul d’entre eux coure des risques. Je les aimais tous bien trop. Ilsdemeurèrentdeuxbonnesheuresavecmoietnemequittèrentqu’aprèsm’avoirnourried’une tonnedegâteaux aux amandes et à la confiture. Je reçus aussi la visite de Freya quim’apporta des vêtementspropres.Elleétait accompagnéed’un jeuneGalbroquidéposaun large tubmétalliqueaumilieude lapièce.LabelleHispoet luifirentplusieursaller-retourpour leremplird’eaubouillante,etm’offrir lebain chauddont je rêvais depuis biendix jours.Puis, vers la fin de la journée,Murdoch enpersonnedemandaàmevoir.Assiseaufonddemonlit, je lereçusenmefaisantviolencepournepasexploserlorsqu’ilferaitsonapparition.MaislaprésencedeCraigàsescôtésm’endissuada.

—Bonjour,faol-ur,mesalualeLoupSuprêmed’unevoixrauque.Ilnemesemblaitpasl’avoirdéjàvusiabattu,sibienquemacolèresedissipapeuàpeu.

—Entrez,lesinvitai-je.—Commenttesens-tu?medemandaCraig.—Beaucoupmieux.Si j’avais étéHumaine, je seraismorte depuis longtemps. Je suis sincèrement

désoléepourCormagetleguerrieritalien.Ilhochalatête.—C’étaitdevaleureuxcombattants.Ilsmanquerontàcettecité.— Hannah, commença Murdoch d’une voix chargée de remords. Vous présenter des excuses ne

changerait pas l’horreur de ce qui s’est passé, ni même l’effroi que les miens ont connu. Je tienscependantàlefaire.ParcequeRoryaétéplussagequemoi,etquegrâceàvousetàvotreamiebana-bhuidseach,nousavonslimitélenombredemorts.Nousavonsperduhuitdenosguerriers.Jenesauraijamaisexprimeràleursfamillesàquelpointjesuisdésoléd’avoirétéunchefsimédiocre.JenemériteplusletitredeLoupSuprême.

—Mor-fear-foal…,protestaCraig.Murdochlevalamainpourlefairetaire.— Non, mon garçon, j’assume complètement mes erreurs. Je remettrai mes anneaux du Pouvoir

SuprêmeauConseilquichoisira lui-mêmelenouveaumor-fear-faol. Je l’affronteraicommeleveut latradition,etildeviendralenouveauchef.

Quedireàunhommequiportaitlelourdpoidsdeseséchecs,etquimêmeendemandantpardon,nepourraitjamaiss’endélester?Jen’avaisplusenviedel’accabler.Ill’étaitdéjàbienassez.

—Lesanneaux,osai-jedemander,cesonteuxquivousconfèrent lepouvoirdedompter lesCrinossousleurformeanimale,n’est-cepas?

—C’estexact,faol-ur.C’estpourquoi,durantdessiècles,ilsontétél’objetdebiendesconvoitises.NosfrèresCrinossontlesplusredoutablesdetouslesgarous.Ilpeutêtresigrisantdecontrôlerunetellepuissance.

—Murdoch…LesEntraillessontbelles,dis-jedufondducœur.BeaucoupderègleslesséparentduMondeLibre,maislesgensysontheureux.Rappelez-vousqu’ilsnel’étaientsansdoutepasavantvous.

Levieilhommemesouritetlevalamainpourlaporteràmajoue.—Faol-ur,vousêtesuncadeaupourcettecité.Votrepassageiciaurachangébiendeschoses.Vouset

lesvôtressereztoujourslesbienvenus.MurdochetCraigsortirentlorsqued’autresvisiteurssemanifestèrent.JeremiahetKeith.Ilss’étaient

battus coude à coude pour défendre la communauté. Les deux ennemis n’en étaient plus réellement.L’ombre de Rose qui les unissait par un lien douloureux s’était dissipée au profit du courage, del’honneuretdupartage.Ilsavaientenfintiréuntraitsurlepassé,etàprésent,ledétectiveForbesvenaitm’annoncerqu’ilrentraitchezlui.

La nuit était tombée depuis longtemps lorsque je me retrouvai seule et épuisée. Blottie sous mescouvertures,jepensaism’endormirdèsquej’auraisfermélesyeux.Maisl’odeurdeLeithmeparvint,et

jemeredressaid’uncoupsecaumomentoùilentrait.—Bonsoir,dit-ild’unevoixchaude.—Bonsoir…Ils’approchaets’emparad’unechaisepours’installeràcôtédemonlit.—Jesuisrestéavectoilesnuitsprécédentes.Àmoinsqueçat’ennuie,j’aimeraisbienveillersurton

sommeilcelle-ciencore.Incapabledeproférerunsondevantcetaveu,jeluifissignequej’acceptais.— Pardonne-moi de ne pas être revenu plus tôt, mais tu as reçu beaucoup de visites aujourd’hui.

D’ailleurs,tusemblesallerbienmieux.Jem’enréjouis.Jehochailatêteetentrouvrisleslèvres,subjuguéeparsonregardsivertqu’ilenétaitpresqueirréel.—Tuasfroid?medemanda-t-ilenavisantlachairdepoulesurmesbras.—Non,je…jesuiscontentequetusoislà.Ilsouritetmeconsidéraavecintensité.—Jeremiah…Ilsoupiraetsereprit.—Monpèreetmoiavonseuunegrandediscussionaujourd’hui.Ilm’aproposédelesuivrequandil

rentreraitàWick.Ilvoudraitmemontrerlavilleoùjesuisné,lesendroitsquejepréfère,mamaisonet…lesphotosdemamère.Ilm’aparlédelamanièredontelleaperdulavie,delaraisonpourlaquellejesuisbalafré.Jesuispresqueheureuxden’enavoiraucunsouvenir.

Naturellement,jetendislamainpourcaressersonvisage.Il lacapturaetappliquamapaumesursabouchepourl’embrasser.Jefrissonnaisansmêmelecacher.

—Grigore…Es-tuaussiamoureusedelui?—Non,non…,répondis-jeimmédiatement.Maisjetienssincèrementàlui.Sesyeuxbrillèrentd’unelueurindéchiffrable.—Commejetiensàtoi?Jebaissailatête.—Je…jenesaispas.C’estunamicheretjenepourraisjamais…fairel’amouraveclui,avouai-je

pourêtretotalementclairesurmessentimentsetmesintentionsvis-à-visdeGrigore.Ilmedévisagea intensémentpendantde longuessecondessilencieuses,puis ilcaressa lentementma

bouchedesonpouce.—Moijelepourrais…,fairel’amouravectoi.Moncœurs’emballasivite,monestomacsecomprimasifort,quejelaissaiéchapperungémissement

étouffé.—Jenetienspasàtoicommetutiensàlui,Hannah,murmura-t-ilenmedévorantduregard.—Sho…Shona,bégayai-jesanspouvoirfinirmaphrase.Sonexpressionsefitdeglaceletempsd’uninstant.

—Jesupposequej’aicrul’aimer.—Tusupposes?Ilacquiesça.—Ellemesembledéjàtellementloin,ettuparaissiproche.—Jelesuis…—Leverdictserarendudansdeuxjours,dit-ild’untondétaché.Ensuite,jeneregarderaiplusjamais

dansladirectiondecepassé-là.L’avenirm’intéressedavantage,désormais.Alorsjesouris.Etbâillai.J’étaissifatiguée.—Couche-toiettâchededormirunpeu,m’ordonna-t-ilgentimentenréajustantmonoreiller.Jeserai

làdemainàtonréveil.Machinalement,jejetaiunœilautourdemoi.—Surlachaise?Ilécartalescuissesettapotal’assiseduplatdelamain.—Oh,net’enfaispas,elleestplusconfortablequ’elleenal’air.—Lelitaussi…,osai-jesuggéreràdemi-mot.—Etilestsuffisammentgrand,ajouta-t-il,mutin.Sansdireunmotdeplus,jemedécalaijusqu’àsentirlaparoidansmondos,etouvrislacouverture.

Jenepouvaispasêtreplusclaire,etLeithplusempressé.Ilretiraseschaussures,sortitsatuniquedesonpantalondecotonnoir,etmerejoignitsanssedéshabiller.Iltrouvasaplaceplusvitequ’unvieilhabitué,etmoi,lamienne.Jemeblottisentrelesbrasqu’ilmetendait,posaimatêtesursapoitrineetsoupiraidebien-être.

Lorsquejemeréveilleraislelendemainmatinetquejeconstateraisquetoutcecin’étaitpasunrêve,alorsjeseraislafemmelaplusheureusedumonde.

Puisjesouris.Non.Jel’étaisdéjà.Jefermailespaupièresetm’endormis.

***

—Cettefois,jevaisvousétriper!grondasoudainlavoixfurieusedeJeremiah.SibienqueLeithetmoi,nosjambesenchevêtréeslesunessurlesautres,nousassîmesd’unseulcoup

surlapaillasse.J’avais,celadit,connudesréveilsbienpires.—Pourquoifaut-ilquevousnepossédiezpasplusdecervellequ’unepoule!crachaencoreJeremiah.

Avec Leith, nous nous regardâmes en écarquillant les yeux.Vraisemblablement, à part nous, il n’yavaitpersonned’autredanslapièce,cen’étaitdoncpasànousqueJeremiahs’adressait.

—Àquiparle-t-il?chuchota-t-ilàmonoreille.Jesoulevailesépaules,blasée.—Christy,sansaucundoute…Etçaallaitchauffer.—Unepoule?Vraiment?sifflacettedernière.Etmoi,àquoidevrais-jevouscompareràvotreavis

pour être au plus proche de la réalité ? À un teckel de combat ou un babouin surexcité ? Vous êtesridicule!

—N’allezpastroploin,bana-bhuidseach,l’avertit-il.OK. Cette fois, nous nous levâmes pieds nus pour les rejoindre et tâcher de les calmer. Ils se

trouvaientdanslachambredeChristy,etlerideauétaitentrouvertjustecequ’ilfallaitpourdeuxcurieuxdansnotregenre.Nousnousapprochâmesetnouspostâmesderrière,sansunbruit.

—Sérieusement,Jeremiah,soupiraexagérémentChristy.Arrêtezdemontersurvosgrandschevauxenpermanence.C’estusant,voussavez.Jemesuistrompéed’endroit,voilàtout.Cettecitéestunvéritablelabyrinthe.

—Vousvousêtestrompéed’endroit?répétaJeremiahd’unevoixsourdeetconsternée.Vousavezfaitplus que ça, espèce de bonne femme inconsciente. Vous êtes entrée comme une fleur dans une sallebondéedemâlesintégralementnus!

—Oh,c’estdoncçaquivousgêne?Leithetmoinouspenchâmesaussidiscrètementquepossiblede façonàapprécier la scèneplusen

détail.JeremiahetChristyétaientpiledansnotrechampdevision,etJeremiahétaitrougedecolère.—Oui,çamedérange!Vousavezfaitintrusionàpeinevêtuede…de…Il s’interrompit, à court de mots, tout en désignant l’unique chemise blanche et courte que portait

Christy.Celadit,Jeremiahn’étaitguèrepluscouvertd’undrapdelinqu’ilavaitenrouléautourdeseshanches.

—Lesbainsétaientréservésauxhommes,nomdeDieu!s’étrangla-t-il.—Oh,jevousenprie!Vousn’allezpasmefaireunfromageparcequej’aimalencontreusementvu

votre petit oiseau. Je suis médecin. Le vôtre ou celui d’un autre, croyez-moi, ça ne fait guère dedifférence.

—Ouch!chuchotaLeithengrimaçant.Ça,çafaitmal.Jemeretinsdepoufferderire.LepauvreJeremiahavaitsincèrementl’airdenepasenrevenir.—Çanefaitguèrededifférence?répéta-t-ilenécarquillantlesyeux.Christyglissaunemèchedecheveuxderrièresonoreilleetselissaunsourcil.—Non,aucune,jepeuxvousl’affirmer.Jeremiahlaregardaplusieurssecondessanstrouverquoirépliquer,puisilseressaisitetrepritdeplus

belle.—UnemajoritédeCrinos!IlyavaitunemajoritédeCrinos!Voussavezqu’elleestlaparticularité

decetterace?Ilsnesecontrôlentpas!Jamais!— Vraiment ? rétorqua-t-elle en feignant l’innocence. Vous savez, Jeremiah, jusqu’à preuve du

contraire,c’estvous,qui,commeunebruteincontrôlable,m’avezsautédessuspourmeconduireici.Paseux.

Nousétionsauxpremièresloges,c’estpourquoinousdistinguâmessansmallesirisdeJeremiahquiprenaientl’apparencedel’or,cequin’étaitpasforcémentbonsigne.Ilsemorditleslèvres,etsepenchaversChristypourlaregarderbienenface.

—Unebruteincontrôlable?articula-t-il.Christyaffrontalatempêtequifaisaitragedanssesyeuxenredressantlanuque.—Oui.C’estexactementcequevousêtes,Lupus.Ilfitunbrusquepasdanssadirection,laconduisantàreculeraussisec.—Jevousconseilledenepasmeprovoquer,bana-bhuidseach,vouspourriezleregretter.Ellehaussalessourcilsetsouffladunezd’unairhautain.—C’estsupposém’impressionner?Jeremiahplissalespaupières,plusmenaçantquejamais.—Çadevrait,oui.Elle éclata de rire, aboya même. Puis subitement, alors que Jeremiah s’était carrément rapproché

d’elle, l’hilarité de Christy se transforma en une série d’éternuements qui laissèrent le père de Leithpantois.J’étaisàdeuxdoigtsdem’esclafferbruyamment.

—Parl’Esprit,cessez!luiordonna-t-ilenvoyantqueçaneprenaitpasfin.Maisellesemblaitnepluspouvoirs’arrêter.—Cessezimmédiatement!répéta-t-il,encorepluséchauffé.Rienàfaire.Àboutdenerfs,illapritparlesépaules,laplaquacontresontorsesolideetlafittaireenécrasantses

lèvressurlessiennes.J’enrestaibouchebée,maispasmoinssurprisequeChristyquigardaitlesyeuxgrandsouverts,nesachantpasquoifairedesesbras.Nullementdérangéparsaréaction,Jeremiahglissaunemainderrièresanuqueetapprofonditleurbaiseravecunefougueexceptionnelle.Ellegémitetfinitpars’enroulerautourdesoncoupour lecollerunpeuplusàelle.Jeremiahgrogna, fit reculerChristycontrelaparoi,etglissaunemainsouslesfessesdelasorcièrepourlasoulever.Simultanément,celle-ciemprisonnaseshanchesdesesjambesminces.

Gênés,nousrabattîmeslatenture,etretournèrentimmédiatementdansmachambre.—Benmerde…,s’étouffaLeith.—Çaleurpendaitaunez.—Vraiment?

—Han,han.Jemedirigeaiverslapaillasse,m’yassisetattrapaimarobepourlapasserpar-dessusmachemise.

Leiths’installaàcôtédemoietm’aidaàretirerlebandagequejeportaistoujoursautourducou.—Tun’aspresqueplusrien.Jesourisetfinisdemevêtir.Leithmeregardaitd’unairétrange.Puisilvints’installeràmescôtés.—As-tubiendormi?Jehochailementon.—Pasaussibiendepuisdessemaines.Illevalamainetéloignaunemèchetombéedevantmesyeux.—Jecroisquemoinonplus,murmura-t-il.Jeledévisageaietfrémis.Très lentement, Leith inclina la tête et posa ses lèvres à la commissure des miennes. Puis il se

redressa.Jesoupirai.—J’aifaim,dit-ilavecunelumièred’enviedéstabilisantedansleregard.Pasexactementd’unbolde

porridge,maisjepensequ’ilestplussagedem’encontenter.Ilseleva,etmoi,commeuneidiote,jerougis.—Tuviens?meproposa-t-ilenmetendantlamain.Nousquittâmesl’appartementsanscroiserJeremiahetChristy.Jen’eusnulbesoindefairebeaucoup

travailler mon imagination pour en trouver la raison. Main dans la main, nous traversâmes l’Agoraétrangement vide. C’était le cœur de la cité et, quelle que soit l’heure de la journée, sauf événementparticulier, elle était toujours très fréquentée. Nous fûmes si surpris que nous nous arrêtâmes pourregarderautourdenous.

—Oùsontlesgens?demandai-jeavecstupéfaction.Leithfronçalessourcils.—Jenesaispas.Noussuivîmesdesyeuxuncoupled’Hommidésseprécipitantverslafailleouest,etnousdécidâmes

de les imiterpourenavoir lecœurnet.Trèsvite,nousnousretrouvâmescoincésaumilieududerniergoulot où une cinquantaine de garous étaient entassés.Nous attendîmes patiemment que le bouchon sedissipe et sortîmes de la grotte. Dehors, nous fûmes étonnés de découvrir une foule importante.Agglomérésencercledansunsilencepresquecomplet,plusieursmembresdelacommunautésemblaientobserverquelquechose.Lasurprisepassée,l’odeurâcredesAngesNoirsvintmefrapperdepleinfouet.Niunenideux, je jouaides coudes etme frayaiuncheminparmi leshabitants. J’arrivai au centredurassemblement.Grigores’ytrouvait,debout,levisagedécomposé.

ÀsespiedsgisaitlecorpsinertedePitt.

Chapitre22

RAZBOI.MarquéauferrougesurledosnudePitt.C’étaitduroumain.Monsangseglaça.LesStrigoii.Grigores’agenouillapoursouleverlatêtedesonamiavantdeleretournerdoucementfaceauciel.—Parl’Enfer!murmuraLeithderrièremoitandisquejeretenaisunhaut-le-cœur.Ses lèvresavaientétécousuesentreellespouréviterqu’ilcrie.Sonnez, sesdoigtset sespoignets

étaientcassés.Sespaupièresetsesjouesétaientgravementbrûlées.Illuimanquaitdesmorceauxdechairçà et là sur la taille, les côtes, les bras, la poitrine, le cou et les épaules. Sa peau était zébrée deprofondesentaillesfraîchementinfligées.

Pittavaitététorturé,aumoinsaussiviolemmentqueDarius.Ilavaitdûsouffrirlemartyre,etmalgrétoutcequinousséparait,luietmoi,j’étaishorrifiéeetdétestaiscequ’ilavaiteuàsubir.Jehaïssaissesbourreaux,etj’étaisprêteàluioffrirmonsangpourqu’ilserétablisseauplusvite.

—Quesepasse-t-il?s’élevaalorslavoixdeMurdochquiarrivaitsurleslieux.Grigoreserralesdents.—C’estunavertissement.Razboisignifieguerre.Murdochparutcommefoudroyé.—Uneguerre?Grigorehochalatêtesansdonnerplusdeprécision,concentrésursonami.—LesStrigoii,murmuraleLoupSuprêmeenévaluantparfaitementlasituation.Àvoirsonvisagedécomposé,onsentaitbienqu’il lesredoutaitpresquedavantagequ’unenouvelle

visited’unGuerrierdel’ombre.La pluie semit brusquement à tomber, déversant sur nous un flot glacial, et nettoyant les dernières

tracesdesangséchésurlecorpsdePitt.L’AngeNoirfronçalessourcilsetgémit.—Ne le laissez pas ici, ordonnaMurdoch. Emmenez-le à l’intérieur et soignez-le. Je prends des

dispositionsavecmescombattants.Rejoignez-moiensuitedanslasalledutrône.GrigorehochalatêteetcalaPittentresesbrasavantdelesoulever.Lafoules’écartapourluiouvrir

le passage. Leith et moi nous empressâmes de le suivre, alors que Darius et Gwen faisaient leurapparitiondanslafaille.Depuisqu’ilsavaientprotégélacommunautédesGuerriersdel’ombre,celle-citoléraitleurprésencesurlaTerredesloupsetauseindeleurcité.LesAngesNoirsétaiententourésde

regards incertains, de messes basses et de mépris, mais ils circulaient librement dans les Entrailles.MêmelesplusredoutablesdesCrinosleslaissaienttranquilles.

—Pitt!s’écriaGwenenseprécipitantsurGrigore.Cederniernes’arrêtapaset traçatoutdroitendirectiondessouterrainsoùilsétaient touslogés.Il

étaitinutilededemanderdel’aideàChristyetàBonnie,c’estpourquoinouslesuivîmessansfairededétour.Siellesétaientparvenuesàmesoigner,jedoutaisqu’ellespuissentenfaireautantavecunAngeNoir,unecréaturedontlecorpsétaitpresquemortpourreveniràlavieavecdescapacitésquin’avaientplus rien d’humain.Grigore traversa la cité en quelquesminutes et allongea délicatement Pitt sur unepaillasse.Sansperdredetemps,Dariuss’agenouillaprèsdeluietprit lecouteausuissequeGwenluitendaitavantd’ensortirlapairedeciseauxintégrée.Pittavaitplusoumoinsreprisconnaissance.Dansunétatsecond,il tournaitlatêtededroiteàgauche,persuadéqu’onallait letorturerunenouvellefois.Moncœurseserraviolemmentdansmapoitrineetjeverrouillaimesbrasautourdemoipourmeretenirdepleurer.

—Restetranquille,monfrère,chuchotaGrigored’unevoixéteinte.Nousallonstelibérer.IlmaintintfermementlatêtedePittentresesmains,etDariuscommençaàretirerminutieusementles

filsquiluifermaientleslèvres.Pittsoulevalespaupièresetdévisageasesdeuxamisavecunregardsivide que j’eus envie de pleurer. Toute cette violence, cette sauvagerie bestiale et gratuite. J’étais unLupus,maisc’étaitlesStrigoiilesanimaux.

—Voilà,çayest,murmuraDarius.Pittentrouvritlaboucheetlaissaéchapperunsoninarticulé.Ilétaitfaible.Trèsfaible.—BonDieu,maisqueluiont-ilsfait?grinçaLeith.—Tun’aimeraispaslesavoir,sifflaDariusquirevivaitsonproprecalvaireàtraversPitt.—Ilabesoindesang,annonçaGrigore.Je sursautai, pourtant, j’avais déjà pris ma décision. J’approchai lentement, le cœur au bord des

lèvres.Leithmeretint.LediablesijelaissaisPittdanscetétat!JesecouailatêtepoursignifieràLeithqu’il était inutile de chercher à m’en empêcher. Je voulais aider Pitt, et personne n’aurait pu m’endissuader. En m’agenouillant, je perçus l’odeur de la peur en lui. C’était éprouvant. Éprouvant etinsupportable.Malgrétousnosdifférends,jedétestaislevoirainsi.Jeretroussailamanchedemarobe,etmordissanshésiteretàpleinesdentsdanslachairdemonpoignet.Leliquiderougeetépaiss’écoulalelongdemapeau,alorsj’offrismonavant-brasàPittsansperdredetempsetfermailesyeux.L’AngeNoirréagitpresqueaussitôtàlasenteurâcreetmétalliquedemonsang.Ilsoulevalatête,s’emparadecequejeluidonnaiscommesisavieendépendait,etportamonpoignetàseslèvresavantdemeharponnerlittéralement.Jefislagrimacesouslecoupdeladouleur,maisneproféraipasunson,attendantqu’ilaitsuffisammentbupourmeretirer.

—Çasuffit…,meprévintdoucementGrigoreenforçantPittàlâcherprise.Illuimitlesdoigtsdanslaboucheetlecontraignitàserallongercomplètement.LevisagepâledePitt

avait déjà retrouvé quelques couleurs tandis que lamagie du sang opérait. Lentement, nous vîmes sesmembres brisés reprendre un axe normal, et certaines de ses blessures se refermer comme parenchantement.PuisLeithm’aidaàmereleveretfitquelquechosequim’ébranlaauplusprofonddemonêtre.Ilportamonavant-brasàseslèvresetléchamesplaiesjusqu’àcequelesangs’arrêtedecouleretqu’ellescicatrisentd’elles-mêmes.Jetremblaissifortquejemanquaideperdrel’équilibre.

—Hé…,murmura-t-ilenmeretenant.Çavaaller?Jehochailatêtesanspouvoirdireunmot.—Ilsarrivent…,marmonnaPittd’unevoixméconnaissableens’agitant.—Calme-toi,luiintimaDariusenposantunemainfermesursontorse.Peux-tunousracontercequi

s’estpassé?Pittportalesdoigtsàsesyeuxetlespressa.—Partidepuiscinqjours…pasréussiàvoustrouver…m’ontcapturé…obligédedire…vousici.Ildéglutitavecdifficultéetouvrittoutgrandlespaupières.—Traian…arméestrigoï…ici…Jesuis…désolé.—Personnenet’enveut,monfrère,luiassuraDariusencomprenantlaculpabilitéquifaisaitrageen

Pitt.Jesaiscequ’ilssontcapablesdefaire.Jesaisexactementcommentilspoussentunhommeau-delàdeseslimites.

Pittfutprisdelongsfrissons.Ilserecroquevillasurlui-mêmeetnebougeaplus.Nous nous observâmes tous sans rien dire, les pensées tournées vers le ciel qui s’apprêtait à nous

tombersurlatête.Quand?Nousn’enavionsaucuneidéeprécise,maisceseraitpourbientôt.

La salle du trône était encore noire de monde lorsque nous l’atteignîmes. Deux groupes s’ydistinguaient:lesguerriersdel’élitecrinos,etceuxdel’élitehispos.Ilsavaientencommund’êtretousarmésjusqu’auxdents,prêtsàdéfendrelacommunautélemomentvenu.Chacunyallaitdesonavis,desessuppositions,desesintentions,imaginantcommentveniràboutd’unvampirestrigoïalorsqu’aucund’entre eux n’en avait jamais vu. Tandis qu’ils se livraient à leurs préparatifs, les yeux de jade deMurdoch brillaient d’un éclat tourmenté. Ses combattants pouvaient toujours faire des plans sur lacomète, personne n’était sûr de rien.Murdoch le savait aussi bien que nous. Soudain, il leva lamaindroiteetintimalesilence.Lecalmerevintgraduellement,etlorsqu’onputentendreunemouchevoler,ilpritlaparole.

— Anges Noirs, s’adressa-t-il à mes amis. Nous avons besoin de vos lumières. Parlez-nous desStrigoii.

Commenousétionsenretraitaufonddelapièce,lahordesetournaversnousets’écartapourfaireplaceàDariusquis’avançaitavectoutelagrâcedeseshuitsiècles.

—Mor-fear-faol, commença-t-il respectueusement, lesvampires strigoii sont si vieuxquenousne

saurions leur donner d’âge.Certains d’entre eux, probablement ceux qui viendront jusqu’ici, sont trèspuissants.Traian,leurchef,possèdedespouvoirsquenousnesavonspasévaluer.L’AngeNoirquivientd’êtretorturénousaunjouraffirméqu’ilétaitcapabled’influersurl’espritdechacun,mêmesurceluidescréatureslesplusindomptables.Ilestd’ailleursleseulàpouvoircontrôlerlesGuerriersdel’ombre.

—Quandsont-ilssusceptiblesd’attaquer?demandaCraigens’approchant.—N’importequand,luiréponditDarius.Ilsnecraignentnilalumièredujournidesebattrelanuit,

maisjedoutequenousayonsàcraindrel’interventiondeleurdernièrecréature.Traiannecourrapaslerisquedeleperdrealorsquenousluienavonsdéjàprisquatreenuntempsrecord.Cescréaturesavaientplusdemilleans.

—Millecentvingtetun,précisaChristy,sij’encroislesÉcritures.MurdochhochalementonetsereconcentrasurDarius.—Ilsdoiventpourtantbienavoirunpointfaible…—Lemêmequen’importequelvampire,réponditDariusd’unevoixsanstimbre.Leurtête.—Leurtrancherlatêtenedevraitpasêtrebiencompliqué!aboyaunguerrierhispo,aussitôtacclamé

parlerestedel’Élite.Dariusleurfitsignequenonenpinçantleslèvres.—Détrompe-toi,Hispo.Ilssedématérialisentsivitequ’ilssontpresqueintouchables.Lenombresera

notreplusgrandatout.—Lenombre,oulesarmeslupi…Nousnous retournâmes tous surPitt qui faisait son entrée.Torse et pieds nus, il avançait d’un pas

encorefaible,ladémarcheincertaine.Maisilavaitdéjàreprisdupoildelabête,lesstigmatessursoncorpsavaientpresquedisparu.

—Ilsm’ontbrisélesospourquejenem’enfuiepas.Ilsm’ontcousulabouchepourquejenecriepas.Ilsm’ontbrûlélesyeuxetconfondudansladouleur,mefaisantoublierjusqu’àmonnom.Maisilsnem’ontpasrendusourd.LesStrigoiicraignentleferlupus.

Cetterévélationnouslaissatousstupéfaits.—C’estlaraisonpourlaquelleilsontmissilongtempsàintervenir,ajoutaPitt.Ilsvoulaientsavoir

decombiend’armesvousdisposiez.—Troppeu,avouaMurdoch,affligé.Troppeu.Àpeineunedizaine.Pittpinçaleslèvresetsecoualatête.—Çanesuffirapas.Vousdevezenfabriquerd’autres.Etvite.—C’est impossible, se lamenta leLoupSuprême.Nousnedétenonspascepouvoir.Les forgerons

lupiquipossèdentcetalentsontrépartisauxquatrecoinsdumondeetsecomptentsurlesdoigtsdelamain.Maissurtout,aucunnerejoindraitnotrecause.

LevisagedePittsereferma.—Alorsvousêtesperdus.

—Aumoinsunaccepteradevousaider,luigarantitJeremiah.JeffreyCulloch.Murdochfronçalessourcils.—ÀWick?Jeremiahacquiesça.—Laissez-moiallerletrouver.Jeleramèneraicesoir.—J’espèrequevousditesvrai,Jeremiah.Jel’espère…Jeremiahneperditpasuneminute.IlsaluaMurdochd’unhochementdetêteetquittalapiècesuivide

Christyqui,manifestement,l’accompagnerait.Puissubitement,Georgias’avançaaumilieudelasalle.—Mor-fear-faol, je suis la fille d’un forgeron. Il ne possède pas la capacité de créer des armes

indestructibles, mais il connaît un ferronnier d’art qui pourra vous aider. Avec votre permission,j’aimeraispartirégalementettâcherdefairevenircethomme.

LesyeuxdeMurdochbrillèrentd’uneviveémotion.—Vousêteslibredevousenallerquandvouslesouhaitez,faol-ur.Sachezquesivotrepèreparvient

àconvaincrecethomme,lacommunautéduSutherlandauraunedetteenversvotrefamille.UnefoisGeorgiaetAnneaspartis,lerassemblementsedissipa.Leithetmoinousretrouvâmesseuls

avecMurdoch.Jevoulaisluiparler.Jevoulaisqu’ilcomprennequej’étaisdésoléepourtoutça.Parcequequelquepart,mêmesicen’étaitpasvraimentmafautenicelledeLeith,jemesentaiscoupable.LacommunautéduSutherlandétaitendangerparcequenousétionslà.Sansnous,lesGuerriersdel’ombreet les Vampires de l’Est n’auraient jamaismis un pied ici.Murdoch accueillit mes paroles avec uneimmensebienveillance.Puisilselevadesontrônepourseposterdevantmoi.

— Il n’arrive jamais rien par hasard, faol-ur. Chaque événement, même le pire, finit par êtrebénéfiqueàl’avenir.Etl’avenir,ehbien…l’avenirnousledira.

Murdochnecroyaitpassibiendire.Ledestinfrappaànotreportemoinsdedeuxheuresplustard.Oh,il était bienmoins imprévisible qu’on aurait pu l’imaginer puisqu’il se présenta sous la forme d’unehorded’unecentainedevampiresassoiffésdevengeance.

L’alerteavaitétédonnéesitôtlesStrigoiirepéréssurlaTerredesloups.Épéeaupoing,l’élitegarollesetenaitenfacedel’ennemi,àquelquedeuxcentsmètresdesEntrailles.

—Jesuisravid’êtreaccueilliparuntelcomité,s’amusaTraian.Dois-jeenconclurequenotrevenueétait…attendue?

PuisilposalesyeuxsurPittqui,soutenuparGrigoreetDarius,avaitinsistépourêtrelàetaffrontersonbourreau.

—Jemeréjouisquetutesoisremisaussivite,Petre.J’aimequandceuxquim’ontétéd’unegrandeaidenesouffrentpastropdeleursacrifice.

PuisilsouritàDarius.—Darius,montrèscherami.Quedebonssouvenirsnousavonsensemble,etquellechancej’aide

vousvoirtousréunisici.Lafêteseraexceptionnelle!—Veimuri,Traian,sifflaPitt.LechefStrigoïéclataderire.Enfin,ilouvritlesmainsdevantlui,écartalesdoigtsetlesentrecroisa

surseslèvressouriantes.—Mourir?Unjouroul’autre,monami.Nuln’estéternel.Maispasaujourd’hui,nidemain,niavant

plusieurssiècles.J’aiencoretantdechosesàaccomplir.Ilfitmined’admirerlepaysageavantdeseconcentrersurMurdoch.—Tuvissurunebienbelleterreetjecomprendsquetudésiresladéfendre.—Queveux-tu?grondaMurdochenredressantsonimposantecarrure.Traianétaitpetitetmaigre,sibienqu’ildonnaitl’impressionderisquerdes’envoleraumoindrecoup

de vent.Mais il n’en était rien. Sa puissance maléfique transpirait par tous les pores de sa peau. Ildégageaituneauradestructriceinouïe,unpouvoirdesoumettrequiallaitbienau-delàdescapacitésdontchaqueAngeNoiretchaquegarouétaitdoté.

—Jenevienspaspournégocier,LoupSuprême,maispourt’avertirdecequej’aidécidé.Il lissa ses longscheveuxde jais tirésenqueuedecheval.Lesmainsposéesdechaquecôtéde sa

nuque frêle, il ferma les yeux, visage au ciel, et s’immobilisa pour respirer profondément. Quand ilrouvritlespaupières,sesirisavaientprislacouleurdusang.

—Tu as permis lamort de trois demes guerriers, et c’est pourquoi ta communauté doit payer. Jeréclameuneviepourunevie.Chaquecréatureavaitmilleans.Vousdevrezdoncm’offrirtroismilleansdelaviedesvôtres.

Etdudoigt,ildésignaunpointversl’est.—Danstroisjours,surlaplainedeMoineMhor.Lestiensmourront.LapromessemacabrefitserrerlesdentsàMurdoch.Lamaincrispéeautourdupommeauargentédesa

claymore, ilbrûlaitd’enviede labrandiretde l’enfoncerprofondémentdans lecœurdeTraian.Maissans le savoir– et sansqu’aucund’entrenousne comprenne lamotivationd’un tel sursis–, leGrandStrigoïvenaitde luidonner trois joursderépit.Trois jourspoursefournirenarmeslupi.SiMurdochdéclenchaituneguerremaintenant,ilconduiraitlessiensàleurperte.

—Tenez-vousprêts,garous!tonnaTraian.Danstroislunes,uneaubenouvelleselèverasurlaTerredes loups. Vous connaîtrez une grande épopée, un combat épique que vos survivants conteront à vosenfantscommelejouroùlesVampiresdel’Estontaffirméleursupérioritésurvotrepeuple.Alors, ilsnouscraindrontetsesoumettront!

Cet homme était fou à lier ! Instinctivement, je fis un pas dans sa direction. Leith me retint sifermementpar la taille,quesonavant-brass’enfonçadansmonventre,m’arrachantungémissementdedouleur.Nousétionstousconsternés.

Subitement,l’undesStrigoiisedéplaçadansunnuagedefuméenoire,etsepostadevantunguerrierhispoquineputéviterlecoupfatalportéparlevampire.Songrandcorpss’effondracommeunfétudepaille, sa nuque avait été brisée. L’Élite réagit aussitôt en grondant, crachant et se précipitant vers leStrigoïquiétaitdéjàretournédanslesrangsennemis.

—Stadaibh!leurordonnaMurdoch.Ettouss’immobilisèrent.Traiansourit.—L’obéissance.Voilàlaqualitédigneduplusgrandrespect,etdigneduchefquidoitm’affronter.À

danstroisjours,LoupSuprême.Jemeréjouisdecesfestivités.Confiant, il tournasimplement ledos,commeaprèsunevisitedecourtoisie,etmarcha lentementen

direction de l’ouest, précédé de sa cohorte meurtrière. Dans un parfait silence, nous les regardâmess’éloigner.Aumomentoùjem’yattendaislemoins,j’entendisunsifflementdansl’airsuivid’uneombrequipassasivitequejecrusavoirrêvé.Jesusquejen’avaisrienimaginélorsqu’unedagueatteignitunvampire en plein derrière le crâne. Les Strigoii stoppèrent tout net sans se retourner tandis que levampires’écroulaitausol.

Nouscessâmestousderespirer.Ilneserelevaitpas.PuisleGrandStrigoïéclataderireetcontinuasaroutecommesiderienn’était.—Ohoui,garous!Jemeréjouis!Etilssedématérialisèrentsuccessivement,disparaissantdanslaligned’horizon.—Craig…,murmuraLeith,bouchebée.Le souffle court et les muscles tendus, l’Hispo ne quittait pas des yeux le corps qui gisait à une

centainedemètresdevantnous.—Uneviepourunevie,grinça-t-il.Ilserralespoingsetrugit.

Avecsonskean-dhu,Craignousavaitàtousdémontrélepouvoirdesarmeslupi.SibienquelorsqueJeffreyCullocharrivaavecJeremiahenfind’après-midi,ilfutreçucommeunhérosalorsqu’iln’avaitpasencorelevélepetitdoigt.Accompagnéduforgeronprincipaldelacité,ils’enfermadansunatelierduquelilnecomptaitpassortiravantlelendemainmatin.Cettenuit,lebruitduferqu’onmartèleetqu’onfaçonnes’élèveraitdanslesEntraillescommeunemélodiesalutaire.

GeorgiaetAnneasn’étaienttoujourspasrentrés,etmalgrétoutelabonnevolontédontferaitpreuveM.McLachlan,lepèredeGeorgia,pourconvaincreleferronnierdevenirnousaider,personnen’étaitsûrqu’ilyparvienne.Cullochseraitpeut-êtrenotreuniquechancedesauverlaTerredesloups.

Dariuspossédaitluiaussiuneépéegarolle.L’imposantobjetétaitexposédansl’entréedesamaison.

Chaquepièce ajoutée à celles dont nousdisposerionspourrait faire la différence, c’est pourquoi iln’avaitpashésitéàfairel’aller-retourdanslajournéepourallerlachercher.Cependant,nousétionsenbien tropmauvaiseposturepourprésumerdenoschancesdeparveniràéliminer lesStrigoiiavecunedizainedeclaymoresetdepoignards.Car ils’agissaitbiendecela : les tuer.Leséloignernesuffiraitpas.Leurdéfaite devrait être totale, et les projets deTraian anéantis afinque chaquemembrede leurespècesachequelesloupspossédaientlepouvoirdelesfairereculer.Personnen’étaitcapablededireexactementàcombiens’élevaitlenombredeStrigoiidanslemonde,maisPittetGrigoreavaientunjourracontéquelesVampiresdel’Estrestaientàl’Est,etqueseulleurchefs’octroyaitledroitdetransformerdesHumainspour agrandir leur rang.C’étaitprécisément la raisonpour laquelleTraiannedevaitpassurvivre,nimêmeaucund’entreeux,pasunseulquipourraitprendresaplace.Carencasdedéfaite,lesStrigoii ne vivraient plus que pour se venger des loups, et aucune des deux communautés garolles neserait plus jamais tranquille.L’objectif était limpide,maismême si j’adorerais avoir l’honneur de luitranchermoi-mêmelatête,j’avaisparfaitementconsciencedenepasenêtrephysiquementcapable.Jenevoyais d’ailleurs pas qui le pourrait, à part la chance et le hasard combinés. Traian était le vampireoriginel,lepèredetouslesAngesNoirs,àencroirelalégende,sonâgeétaitindéfinissable.Sansdouteavait-illui-mêmeoubliéquandilétaitné.Sapuissance,dontjen’avaisqu’unemaigreidée,devaitêtredévastatrice et impitoyable,mais nous n’avions d’autre choix que de l’affronter. Il nous faudrait nousbattre.

Nousbattre.Etgagner.—Hannah?Perduedansmesréflexions, jesursautaietmetournaipourregarderGrigore.Ils’approcha,etposa

uneépaissefourruresurmesépaules.AusommetdeBenHope,leventétaitglacialet,aveclatombéedelanuit,lefroids’étaitdavantageaccru.

—Quefais-tuseuleici?—Jeréfléchissaisàcequinousattend.Ilcontournalerochersurlequeljem’étaisassiseentailleur,ets’installaàcôtédemoi.—Depuiscombiendetempses-tulà?Jesecouailatête.—Jenesaispas.CommentvaPitt?—Mieux,bienmieux.Tonsangl’arétablietrenduplusfort.Jerisdoucementdunez.—Parcequejesuisunesang-mêlé.Humaine,vampire,garou…—Ilterestebeaucoupdel’êtrehumain,maisrienduvampire,murmura-t-ilenfixantl’horizon,une

inflexionderegretdanslavoix.Je tournai la tête et observai son profil qui se dessinait à peine dans les dernières lueurs du

crépuscule.

—Noussommesliés,Grigore,tueslapartvampiriquequ’ilmereste.Ilpivotapourmedévisager,etjesus,àsonregardtourmenté,quejedétesteraiscequ’ilallaitmedire.—Quandtoutceciseraterminé,sijesuisencoreenvie,jepartirai.—Tupartiras?Oùça?Moncœurbattaitàtoutrompre.—Loindetoi,Hannah…Lasensationdetristessequim’envahitfuttellequejemesentisdéfailliretdusmereteniràlaroche

pournepasbasculer.— Je ne t’ai jamaismenti, gamine, tu comptes beaucoup.Et je compte également pour toi, je n’en

doute pas un seul instant, hélas, pas au point d’être capable de retirer l’étau qui me broie le cœur.J’aimeraisquetulefassespourtant.

Ilfitunecourtepauseetreprit.—Jenesouhaitequetonbonheur.Sijereste,maprésencel’entacheraparcequejeneserai jamais

heureuxenvousvoyantensemble.—Grigore…Ilposaunindexsurmeslèvrespourmefairetaire.—Maisjeseraitoujourslàpourtoi…Toujours.Situm’appelles,jerépondrai.—Parl’Esprit…—Tul’aimes.Jet’aime.Etilt’aimeaussi.Jen’aijamaisététrèsfortenmaths,maisilmesembleque

l’équationestassezsimpleàrésoudre.Unelourdelarmecoulasurmajoue.Ill’essuyadupouce,etsourit.—Nepleurepas…Toutirabien.Ilm’ouvritlesbras,etalorsquej’auraisdûtoutfairepouréviterdem’yréfugier,jenerésistaipaset

melaissaicajoler.—Jet’aimeaussi,Grigore.Pascommelui,maisjet’aime.—Jelesais,chuchota-t-ildansmescheveux.Jelesais…Ilm’embrassachaudementsurlefront,longuement,seleva,etdisparutdanslanuit.Levisageoffertauciel,jepleurailonguement.Grigoreétaitladernièrepersonneàquijevoulaisfairedumal.Pourtant,jel’avaismeurtrialorsqu’il

m’inondait de sa confiance et de son affection. Je me haïssais pour ça. Le voir souffrir était aussidouloureuxqu’unmillierdecoupsdecouteau.

Lesmainstremblantes,jelesportaiàmeslèvresetfermailespaupières.—Pardonne-moi…Lesmotss’envolèrentdanslanuit.Alors,jeregagnailesEntrailleslecœurgrosetladémarchealourdieparlaculpabilité.Têtebaissée,

lesyeuxprobablementrougisparlesnombreuseslarmesquej’avaisversées,jenemerendispascompte

queLeithm’observait.Cen’estquelorsqu’ils’approchademoiquejeleremarquai.Jelevailatêteetplongeai dans son regard émeraude. La chaleur que j’y lus balaya ma tristesse, allégea mes peines.J’auraispugoûterindéfinimentàcetinstant.

Sansunmot,ilmetenditlamain.—Viens…

Chapitre23

—Fermelesyeux…,chuchotaLeithàmonoreille.Amusée,jem’exécutaisansdiscuteretmelaissaiguider.—Nous avons franchi l’Agora ? finis-je quandmêmepar demander aubout de quelques secondes

alorsquelesbruitsautourdenouss’estompaientgraduellement.Ilposaunindexsurmeslèvrespourmefairetaire.Serrésl’uncontrel’autre,nousentreprîmesdedescendrelelongetétroitescalierquimenaitausous-

sol.Unbrasfermementenrouléautourdemataille,Leithveillaitàcequejenetrébuchepas,tandisque,confianteetintriguée,jesuivaislerythmedesespas,sansunmot.Toutenbas,ilstoppanetetsecouladerrièremoi.Jesentissonsouffledansmescheveux,etseslèvresdoucesglissersurmatempepours’yarrêter.Jefrissonnai.

—Nelesouvresurtoutpas…Jeluifissignequej’obtempéraisetmemordislabouchenerveusement.Soudain,ilmefitlentement

tournersurmoi-mêmeàplusieursreprises,sibienquequandilcessa,j’étaisencoreplusdésorientée.—Tuasconfianceenmoi?demanda-t-ild’unevoixrauqueenpercevantmaconfusion.—Oui,soufflai-jesanslamoindrehésitation.Alors,ilglissaunemainsurmeshanches,etmeconduisitàtraverslesgaleries.Àdroite,àgauche,toutdroit…Ilmesemblamarcherpendantuneéternitésansaucunpointderepère,

n’entendantriend’autrequelechuintementdenospassurlaroche.Jetâchaidemeconcentrersurmonodorat,maisdanslesprofondeursdesEntrailles,touslescouloirsavaientstrictementlamêmeodeur.

Leith s’arrêta enfin, alors qu’unparfumdebougie flottait dans l’air et qu’unedouce chaleur venaitnousenvelopper.

—Prête?Jeprisunelenteinspirationetrépondisparl’affirmative.—Ouvrelesyeux.Jesoulevailespaupièresetentrouvrislabouched’ébahissement.Nousnoustrouvionsàl’endroitdans

lequelnousnousétionsbattus,Leithetmoi,quelquesjoursplustôt.Maislacavitén’avaitplusrienencommunaveccequej’avaisvu.Descentainesdechandellesétaientallumées.Ausol,contrelesmurs,dans les encoignures, les renfoncements, partout où elles pouvaient tenir debout. Elles illuminaientl’espace d’un halo doré, et leurs ombresmouvantes rendaient les parois presque vivantes.Au centre,d’épaissescouverturesetcoussinsavaientétéjetés.Àcôté,unplatremplidegâteauxsecs,unecarafeetdeuxcoupesenargent.Auplafond,deséclatsdeverrepolisuspendusauboutd’unfilmaintenupardes

boulesdecire.Lalumièredesbougiess’yreflétait,faisantscintillerlavoûtecommeunmillierd’étoiles.J’étaissubjuguée.Maislavisiondecequis’étaitpasséicimême,laviolencedenotreaffrontementetlahainequihabitaitLeithàcemoment-làfurentsinettes,quejefusincapablederetenirlegémissementdedétressequis’échappaitdemeslèvres.

—Hannah…,murmura-t-il.Jesecouailatête,leslarmesmebrûlaientlesyeux.Ilme prit par les épaules etme ramena doucement contre lui, la joue contre son torse, tout enme

caressanttendrementlescheveux.—Jesuistristeethonteuxd’avoirsimalagi.Ilnesepassepasuneminutesansquejenesongeàce

quejet’aifaitici.Jeleregrette.Jeleregrettesincèrementetjevoudrais…Ils’interrompitetrespiraprofondément.— Je voudrais effacer de ta mémoire ce souvenir et le remplacer par un autre. J’aimerais que tu

m’autorisesàt’honorerpourmefairepardonnerd’avoirétésicruel.Deslarmesdepurbonheurcoulaientmaintenantsurmesjoues.Savoix,sadouceur,sachaleur.J’étais

émerveillée.MaisleregarddeLeiths’assombritd’inquiétude.—Melepermettras-tu?Unlourdsilencetombaentrenous.Puisjelaissaiéchapperunsoupirderavissement.—Oui…Ilapprochasesdoigtsdemespommettespourramassermeslarmes.—Nepleureplus…Nepleureplus,magnifiquecréatureauxcheveuxdefeu.Jebattisdespaupières.Jamais,mêmeenremontantdansmesplus lointainssouvenirs, ilnem’avait

appeléeainsi.Etçameplaisait.Etalorsquejesouriais,Leiths’immobilisaetscrutamonvisage.—Sijolie…Avecuneattention troublante, il laissasonregarderrersurmoncou,mesépaulesetmapoitrine.À

traversmarobe,ilétudialesformesdematailleetdemeshanches.Enfin,sesyeuxflamboyantsdedésirremontèrent lentement et se posèrent sur ma bouche où ils demeurèrent longtemps. Cette possessionpresque physique m’ébranla. L’Esprit était là, entre nous, il faisait ressurgir ce lien qui nous uniraitéternellement,mais que Leith avait oublié. LeMor-àotrom était puissant, indicible, insoumis. Il nousrappelait l’un à l’autre, et bienqu’il ne s’en souviennepas,Leith ressentait sonpouvoir.Chavirée, jeposai lesdoigts sur sa joue, il ferma lespaupières, frémitetentrouvrit les lèvrespourvenir lécher lecreuxdemamain.Ledésirqui jaillit enmoi,meconsuma tout entière.Contremapaume, j’éprouvaisl’énergiequeLeithdégageait.Elleirradiait,brute,sauvageetindomptable.Ellem’étaittoutedévouée.Lefeuardentquibrûlaitennousnes’éteindraitjamais.Leithétaitmonâmesœuretj’étaislasienne.

Dansungeste lentetétudié, ils’inclinaets’arrêtaàquelquesmillimètresdemonvisage, lesoufflesaccadé.

—Parl’Esprit…Jeveuxtefairel’amouricietmaintenant.

Moncœurcognaitsifortdansmapoitrine.Tellementfort.Ilpressadoucementseslèvrescontrelesmiennesetlesretirapresqueaussitôt.Révoltéeetenflammée

par une faim de lui presque douloureuse, je m’accrochai à ses épaules et le contraignis à ne pas seredresser.

—Encore,murmurai-jecontresabouche.Encore…encore.C’était une supplication, une prière, un vœu, et s’il l’avait fallu, jeme seraismise à genoux pour

l’obtenir,mais jen’eneusnulbesoin.Leithm’entouradesesbraspuissantsetmefitpivotercontre laparoi.Ilglissaunemainderrièremanuque,l’autredansmondosetseplaquaférocementcontremoipourm’offrirlebaiservolcaniquedontjerêvaisdepuisdesjours.Salangueétaitdelalaveenfusion,etseslèvresconquérantesmesoumettaientàleurvolontésansquej’émettelamoindrerésistance.Aucontraire,jem’abandonnaisetgémissaiscontrelui.Ilquittamabouchepourseposersurmoncou,mesclavicules,tirantpresquesauvagementsur ledécolletédemarobeafind’atteindremesépaulesetyfairepleuvoirunepluie debaisers brûlants. Ilme serra plus fort contre lui, remontaune cuisse entre lesmiennes etgrognaquandilm’entenditlâcherunpetitrâleaigudeplaisir.

C’étaitsibon,tellementbon!Leithfrottaérotiquementsajouecontrelamienneavantdetitillerlelobedemonoreilledesdentset

duboutdelalangue.Lecontactdesabarberappeusemestimuladavantage,etjem’enhardisàcaresserses reins, sa taille, puis fis férocement sortir sa tunique de son pantalon. Je glissai les doigts sur sonventre etmemordis les lèvres.Sapeauétait si douce, si chaude, j’auraispuenpleurerdeplaisir. Jeremontai le long de ses côtes, effleurai ses aisselles, touchai ses pectoraux saillants et m’accrochaisauvagementàsesépaulestandisqu’ilretroussaitbrusquementlespansdemarobepourpasserlesmainssous mes fesses et me hisser contre son bas-ventre. Je drapai mes jambes autour de lui et rejetaidoucement la tête en arrière, les lèvres entrouvertes. Sous mes vêtements, je ne portais rien d’autrequ’unecamisoleetdesbasmaintenuspardesjarretières,sibienquejecrusLeithsurlepointdedevenirfou. D’une main, il dénoua les liens qui enserraient ma poitrine et embrassa voracement ma chairdénudée.J’étaisentraindeprendrefeu.

—BonDieu,marmonna-t-ildansmoncou.Dis-moid’arrêter…Parpitié,dis-moidem’arrêter.Pascontreunmur,pascommeça…

Lesyeuxmi-clos,jesecouailatêtededroiteàgauche,nesachantpassij’étaisentraindeluidonnerraisonoutort.Lavéritéétaitquejemefichaisbienqueçasepassedansunlit,parterre,surunechaiseoucontreunmur.Jevoulaisqueçasepassetoutcourt!

—Pose-moi,haletai-je.Repose-moi…Il s’écarta lentement, stupéfait que j’aie pu le prendre au mot. Pendant quelques secondes, il me

transperçadesesyeuxdevenusdorés,etsedécidaàmefaireglissersurlesol.Mesjupesretombèrentsouplementjusqu’àmeschevillesdansunbruitléger.Leithlesobserva,sommetouteunpeuperdu.Jemebaissai, retirai calmement mes chaussures et me relevai en ondulant sciemment les hanches avant de

plaquerlespaumescontresontorse.—Jeteveux…,murmurai-je.Jeteveuxmaintenant.Illevalatêteetmeparcourutduregard,lespupillesdilatées.Je le fis reculer jusqu’auborddescouverturesdisposéesàmême le sol et appuyai sur sesépaules

pourlecontraindreàs’asseoir.Là,jem’installaisurluiàcalifourchonetretiraipurementetsimplementmarobedéjàdélacéeetmachemiseenmêmetemps.Jeneportaiplusquemesbas,etjevislesyeuxdeLeith s’embraser de désir. Alors je bougeai le bassin, doucement, et rejetai la tête en arrière, lespaupièresmi-closes.Toutàcoup,Leithgrognaetmesaisitparlesbicepspourmefairebasculersurledos.Jepoussaiuncridesurprisetandisque,àmoitiécouchésurmoi,ilgigotaitpoursedélestertantbienquemaldesonpantalonetdesatunique.

—Vite…,gémis-jed’impatience.Vite…Jevoulaisqu’ilm’embrasse,qu’ilmegoûte, encoreet encore. Ilm’avait tellementmanqué, j’avais

tantbesoindelui.Quandilfutentièrementnu,magnifiquedanscequelaNatureluiavaitdonnédeplusglorieux,ilentrepritdemecaresserpartout,n’omettantpasuncentimètrecarrédemapeau.Unincendiegrondait en moi. J’aurais donné n’importe quoi pour qu’il ne s’éteigne jamais, que cette nuit dureéternellement.Leithrelevalatêteetmefixaavecuneextraordinaireintensitéalorsquej’étaisentraindevolerenéclatsousl’agilitédesesdoigts.

— Hannah…, murmura-t-il d’une voix altérée, appuyé sur les bras au-dessus de moi. Je ne peuxplus…jenepeuxplus.

—Viens…,l’appelai-je,prêteàlerecevoir,àl’aimerdetoutesmesforces.Viens.La chaleur monta de nouveau en lui, en moi… J’ouvris un peu plus les jambes et accueillis la

puissancedesondésirpleinementetdetoutmonêtre.Lepassé,l’avenir…Plusrienn’avaitd’importance.Seulleprésentcomptait.Cetinstantmagiqueet

merveilleux que j’avais tant attendu.Cet amour si fort qu’il était indestructible.Lemouvement de seshanches.Soncorpssurmoi,enmoi,pourmoi.Iln’yavaitplusquenous.

Jem’agrippaiàsesépaulesetnelelâchaiplus.Ilm’appartenait.Entièrement.Irrévocablement.Etj’étaisàlui.Jet’aime.Lesmotsétaientlà,surleborddemeslèvres,maisjenelesprononçaipas.Ilsnecomptaientpas.Nos

âmesn’enavaientnulbesoinpours’unir.Ellesfaisaientl’amour.Ellesseretrouvaient.Ellesseliaientdenouveau.

Leith rejeta la tête enarrièreet cria. Jemecambrai etdesmillionsd’étoiles explosèrentdansmesyeux.Leiths’effondrasurmoi,lesoufflecourt,jeleserraitrèsfort.Ilseredressalentement,cherchamaboucheetlatrouva.Puisilcontemplamonvisage,unelueurdepromessedansleregard.Lui.Moi.Une

éternitéàpartager.

Lesbougiesbrûlaient toujourslorsquejemeréveillai.Ildevaitêtretrèstard,outrèstôt.Jen’avaisaucuneidéedel’heure.Jetournailatêteversl’hommequej’aimaisetétudiaisestraits.

Ilétaitdivin.Il grommela pendant son sommeil, alors je ne pus m’empêcher de me pencher et d’embrasser

doucement le coin de ses lèvres.Aumoment où j’allaisme redresser, il emprisonna brusquementmanuquedesamaindroiteetouvritlespaupières.

—Finiscequetuascommencé,femme!Jesecouailatêteenriant.—Crétin!—Certes,maisjesuisuncrétinquiafaim!Ilroulasubitementsurmoietmedévoradebaisers.Lasuitedel’histoirefutàpeuprèslamêmequecelledelaveille,maisleplusimportantàretenir,

c’estqueLeithenressortitrassasié!Lorsquenousreprîmescomplètementnosespritsetréalisâmesquedehors,letempsnes’étaitpasarrêtéetqu’ilnousétaitcompté,nousdécidâmesdenouslever.Nousnoushabillâmesavecdesgestes lents, à regret, tristesdenepouvoirnous réfugierquelquesheuresdeplusdanslabullequenousnousétionscrééel’espaced’unenuit.Leithm’aidaànouerlelaçagedemarobeetenfilaseschaussures.

—M’aimes-tuunpeu?demandai-jesubitement.Ilseredressapourmeregarder.Lesyeuxprofondémentvertsplongésdanslesmiens, ilnerépondit

pasimmédiatement.Pourautant,ilnesemblapashésiterquandilpritlaparole.—J’aimecequejevois.Etcequejevois,j’aimeapprendreàledécouvrir.Jelissaimescheveuxenarrière,lesregroupaietlesentortillaid’unemainpourlesdiscipliner.Leithfronçalessourcilstandisqu’ilsuivaitattentivementchacundemesgestes.—Tunedisplusrien.Àquoipenses-tu,Hannah?—Ànous.—Et?insista-t-il,intrigué.Nosregardssenouèrent.—Etjemedemandaiscequetoi,tupensais.L’expressiondeLeithrestaindéchiffrablealorsquejel’étudiaisavecintérêt.—Cequejepenseestloind’êtrelimpide,HannahJorion,avoua-t-ilenutilisantmonnomdefamille

pourlapremièrefois.Maiscequejecroissavoiraveccertitude,c’estqu’ungarscommemoin’auraitpasbeaucoupdemalàdevenirtotalementfoud’unefillecommetoi.

C’étaitl’unedesplusjoliesdéclarationsqu’ilm’aitfaites.Jeplaçailedosdemamainsurmeslèvres

etsouris.Ils’approchaetpritmonvisageentresesmainspourm’embrasserlentement.—Taboucheestplusgrisantequelemeilleurdeschampagnes.Jehaussaiunsourcil.—Vraiment?—Vraiment.Etc’estpourquoijeporteuntoastàl’avenir.Jepouffaiderire.—Alors,soit,àl’avenir!Ils’inclinaunedernièrefoisetmedonnaunlong,trèslongbaiser.Lorsque nous sortîmes du couloir pour rejoindre la salle du trône où devait sûrement se trouver

Murdoch,noustombâmesnezànezavecGrigorequirevenaitdesquartiersest.Ileutuntempsd’arrêtennousvoyant.Lecœurbattant,jel’observaisavisernotretenue,noscheveuxemmêlésetmesjouesencoreroses.Puisils’approchad’unpasdécidé.Ilnem’accordapasuneseuleseconded’attentionquandilsepostadevantLeith.Lespaupièresplisséessurlegristourmentédesesyeux,il lefoudroyad’unregardmeurtrier.

—Fais-luilemoindremal,Lupus,etjetetue.Iltournalestalons,ets’élançadansl’escalierquimenaitauxniveauxsupérieurs.Moncœurbattaitàtoutrompre,maisLeithdemeuraimpassible,lesyeuxfixéssurl’endroitoùavait

disparuGrigore.—Jesuisdésolée,murmurai-je,nesachantpasquoidired’autre.Ilposasurmoiunregardinexpressif.—Cen’estrien.Allons-y.Ilme prit par le bras, etm’enjoignit à le suivre.Ce que je fis sans discuter, la tenaille au ventre,

néanmoins.Enquelquesminutes,nousatteignîmeslasalledutrôneoùsetenaientleLoupSuprême,leConseildes

Anciens,Rory,JeffreyCulloch,Jeremiah,Georgia,sonpère,etunhommequenousneconnaissionspas.UnLupusgrandetmaigred’unesoixantained’années,auxyeuximmensémentbleusetauxcheveuxblanccraie.M.McLachlanavaitréussiàconvaincreleferronnierdevenirnousaider,etjem’enréjouissais.

—Quinzedaguesontétéfabriquéescettenuit,annonçaitMurdochauxdiacres.Ilnousenfaudraitdixdeplus.Lemêmenombred’épées,etdesflèchesintégralementenmétal.

Le deuxième forgeron plissa le front, tandis que le premier semblait épuisé. Le visage de JeffreyCulloch, rondouillard et orné d’une épaisse moustache brune, était marqué de profonds cernes. Lesortilège–parcequ’ils’agissaitbiendeça–étaitcomplexeetlongàréaliser.Cependant,bienmoinsquecelui utilisé pour les amulettes de protection.Ce qui n’empêchait pas leur concentration et leur espritd’êtreextrêmementsollicités.

L’artdefabriquerdesarmesindestructiblesrelevaitd’unsavoirancestralréservéàpeud’élus.Selonla légende, Filan Sutherland, pour vaincre Angus, aurait offert dix ans de sa vie aux dieux afin de

permettreàquelquesLupidefaçonnerunarsenalinaltérablequirepousseraitl’ennemi.CeseraitmêmelaraisonpourlaquelleAngusauraitacceptédesignerletraitéquiséparaitaujourd’huilepeupledesloups

— Je regrette, Mor-fear-faol, annonça le nouvel arrivant. En deux jours, je pourrai tout justeconfectionnercinqépéesetunecentainedeflèches.

Murdochgrimaça.—Alors,ilnousfautchoisir.—Lesflèchesnousserontd’ungrandsecours,indiquaRory.Commetulesais,Murdoch,l’élitehispo

comprendd’excellentsarchers.Pendantquelesguerrierscrinosdétournerontl’attentiondesStrigoii,lesHispospourront tirer.Lesdaguespeuventégalementse lancerde loin,misonsaussisurelles.Culloch,pouvez-vousvouschargerdesskean-dhu?Quinzedeplusaujourd’hui,etsoixanteflèchescettenuitoudemain?

Leforgeronportalesdoigtsàsesyeuxpourlespresser.—Trèsbien.Vuletempsimparti,jeferaicequejepourrai.—Mor-fear-faol,intervintsonconfrère,jenesaispascequ’ilenestpourJeffreyCulloch,maisilme

sembleopportundepréciserquesij’accepted’aidervotrecommunauté,enaucuncasjen’adhèreàvotrecause.JefaispartieduMondeLibre,etj’entendsbienyrester.

LeLoupSuprêmeneputcachersonagacement.—Tout est parfaitement clair,McArthy.Ma communauté vous est néanmoins reconnaissante.Nous

avonsunedetteenversvous.McArthy se contenta de hocher la tête. Intérieurement, je ne pusm’empêcher de penser que ça lui

faisaitunebellejambe.C’estentoutcasl’impressionqu’ildonnait.—Decombiendecombattantsdisposez-vous?s’enquitJeremiah.Murdochneréfléchitpasquandilrépondit.—Dansl’Élite,nousdénombronsdésormaistrenteetunHisposetvingt-deuxCrinos.Jeserrailesdents.C’étaitpeu.—EncomptantlestroisAngesNoirs,quatresilafemelleacceptedesebattre,votrebrasdroit,vous

ettoutepersonnesuffisammentsolidequiseporteraitvolontaire,àcombienestimez-vousvostroupes?demandalepèredeGeorgia.

Assisdignementsursonsiègedepierre,accablé,Murdochsefrottalementon.—Probablementmoinsd’unecentaine.—C’estàpeuprèslenombredesStrigoii,notaRoryavecdesintonationsdedécouragementdansla

voix.Nousnesommespasasseznombreux.Sanscompterquetousnepourraientpasêtresurleterrain.—CombiendeguerriersresterontàsurveillerlesEntraillespendantquenousseronssurlechampde

bataille?voulus-jesavoir.—Nous?s’étranglaleMor-fear-faolenouvrantdegrandsyeux.Vousn’ysongezpasvraiment,faol-

ur?Lacitévaêtreévacuée,vouspartezaveceux.Puisilsetournaverssonbrasdroitsansmeprêterplusattention.—Néanmoins,Rory,tuposterascinqhommesdetonélitesurlespremièreslimitesextérieurespour

vérifierqu’aucunStrigoïn’entre.Tonfilsestunexcellentcombattant,j’aimeraisqu’ilnousaccompagneàMoineMhor.

L’Hispoluifitsignequ’ilétaitd’accord.—Mor-fear-faol,s’interposaMcArthy.Sivousn’yvoyezpasd’inconvénient,unlongtravailm’attend

etjesouhaiteraiscommencerdèsàprésent.Murdochagréasarequêteetdemandaqu’onmèneleferronnierauxforgesdelacité.JeffreyCulloch

indiquaqu’ilallaitprendrequelquesheuresderepos,etsortitàsontour.—À présent, laissez-nous, exigeaMurdoch en nous considérant avec autorité, Jeremiah, Leith,M.

McLachlan,Georgiaetmoi.Nousdevonsorganiseraumieuxnotredéfense.Nous acquiesçâmes sans broncher et nous nous apprêtâmes à partir. Au dernier moment,Murdoch

arrêtaLeith.—Jeuneloup,étantdonnélescirconstances, le jugementdeShonaAikenestreporté.Elleévacuera

lesEntraillesenmêmetempsqueleshabitants,maisvousavezmaparolequ’elleseratenuesousbonnegarde,etqu’ànotreretourellerépondradesesactes.

Leithhochalatêtesansdireunmot,etsortit.Nous rejoignîmes l’Agora dans un parfait silence, chacun méditant ce qui venait de se dire.

L’inquiétudenous rendaitmoroses,mais la situationauraitpuêtrepire.Aumoins,deux forgerons lupiavaientacceptédeservirlacausedelaCommunautéduSutherland.Toutefois,nousavionsparfaitementconscience que nos chances demettre une racléemagistrale auxVampires de l’Est restaientmaigres.Nousdevrionslesprendreparsurprise,etmaintenantqu’ilsavaientcomprisquenoussavionscommentleséliminer,ilsseraientcentfoisplusvigilants.LesdeuxStrigoiisollicitésparEwan,etquim’avaientattaquéeunanetdemiplus tôt,n’étaientcertainementpassipuissantsqueceuxquenousaffronterionsdansdeuxjours. Ilnousfaudrait jouerdebienplusdefinessequedeforcebrutepourenveniràbout.Intérieurement,jeremerciail’Espritd’avoirfaçonnédesibonsarchersquelesHispos,ilsseraientd’uneefficacité redoutable. Un point cependant demeurait incertain. Le pouvoir mental de Traian étaitherculéen. Il était, disait-on, capable de soumettre n’importe quelle créature. J’avais moi-même déjàressentilaforcesombreetirrésistibleémanantdelui.Uneénergienégativecommejen’enavaisjamaisconnue, et quim’avait avalée tout entière.Personnen’était capablede repousser l’influenceduGrandStrigoï.Ce jour-là, il s’était concentré surmoi,uniquement surmoi, alors jemedemandais s’il seraitcapable de faire plier juste par la pensée toute une horde de garous. Si tel était le cas, nous étionsvraimentperdus,etlabataillequ’ilavaitsouhaitéorganisern’étaitpourluiqu’uneimmensemascaradedistrayante.

—Que l’Esprit soit loué ! s’écria soudain un garde hommidé en sortant du goulot quimenait aux

logementsinoccupésdusous-sol.Surpris,nousnousarrêtâmespourlesuivreduregard,ilcouraittoutdroitendirectiondeMurdoch.—Unautreforgeronlupusestarrivé!ajouta-t-ilenriantpresque.Nous nous observâmes tous avec étonnement, seulement deux artisans avaient été alertés et nous

savionsqueMurdoch,certaindenepasêtresoutenu,n’avaitenvoyéaucunemissive.—Oùsetrouve-t-il?luicriaJeremiahavantqu’ilnedisparaissedanslesgaleries.—Àquelquespas,ilarrive!Lafillequil’accompagneademandéàparleràlafaol-creutair!Stupéfaits–maispasautantquemoi–,ilssetournèrentdansmadirection.Puisnousvîmesapparaître

un vieuxmonsieur à la barbe si longue qu’elle lui chatouillait la poitrine. Son dos était horriblementvoûté,sonvisagefripé,etmalgrél’angleétrangequipliaitsoncorpsversl’avant,ilavançaitversnousàl’aided’unecanne,vifetdécidé.

—Vauhtia!Olenkiire!s’écria-t-ildansunelangueétrangère.—Saavun!Saavun!réponditunevoixféminine.Espècedevieuxfou!Jesuistoujoursaussicontente

quetuneparlespasl’anglais,jepeuxt’insultersansquetucomprennesquedalle.Monsangseglaça.J’auraisreconnucetimbre,cesnotesaiguësetcetaccentsiparticulierparmimille

autres.Jefisunbonddedeuxansenarrièreetfrissonnaidelatêteauxpieds.C’étaitimpossible...Maislorsqu’unepetitebruneauxlongscheveuxetàlapeauclairesortitducouloird’unpasprécipité,jesusquejenem’étaispastrompée.

Parl’Esprit!Tarja!

Chapitre24

Quandellemevit,laCrinossepétrifiaetlaissapartirlevieillardloindevantelle.—Çaalors…,murmuraGeorgiaquin’enrevenaitpas.Lesyeuxarrondisdesurprise,Tarjam’observaitcommesiellesetenaitdevantunecréatureétrange.

Duregard,ellemeparcouraitdelatêteauxpieds,etdespiedsàlatête,donnantsincèrementl’impressiondefaireladécouvertedusiècle.Puisjeréalisaiquedeuxansplustôt,àl’aéroport,c’étaitunejeunefilleonnepeutplushumainequ’elleavaitlaisséederrièrelavitredelaported’embarquement.Tarjan’auraitpuêtreplusstupéfaite.

—Hannah?C’estbientoi?Après les réactions en chaîne qui avaient suivi son départ, j’aurais dû lui sauter dessus pour lui

arracherlatête–entuantMinah,Tarjaavaitbouleversémavieentière–,maisaulieudeça,jenepusempêcherunbrefsouriresedessinersurlecoindemeslèvres.

—C’estbienmoi.Elles’approchacommesiellemarchaitsurdesœufs,etportalamainàsabouche.—TuesunLupus…—Ilsemblerait.Quivousamisaucourant,toietleforgeron,pourlaCommunautéduSutherland?Encoresouslechoc,ellefronçalessourcils,etuninstant,elledonnaclairementl’impressiond’avoir

oubliépourquoiellesetrouvaitlà.Elleseressaisitensecouantbrièvementlatête.—Deuxforgeronslupiontétésollicités.Commetulesais,ilsnesontquequelques-unsàappartenirà

cettecasteet…lesnouvellesvontvite.Celuiquiafabriquél’amulettedemamèreestunamiprochedemafamille.Ilaétémisaucourant,ilnousaavertiset…

—Ettul’asconvaincuetaccompagné,finis-jeàsaplace,abasourdieparsonaudace.Tusavaisquejemetrouvaisici,n’est-cepas?Sinon,tuneseraispasvenue.

ElleregardaLeithducoindel’œil,lequelneréagissaitpas,quandbienmêmelenomdeTarjaneluiétaitpasinconnupuisquejeluiavaisracontétoutel’histoire.

— J’ai une dette envers les Sutherland, expliqua-t-elle simplement, les yeux brasillant d’une lueurindéchiffrable.

Jeplissailespaupièressansmelaisserattendrir.—Bienplusquetunelecrois.MaiscesontlesEntraillesquisontendanger,passpécifiquementles

Sutherland,etilmesemblequetudétestesseshabitants.LevisagedeTarjasefenditd’unsouriregêné.—Je…jenelesdétestepas,jenelescomprendspas.Écoute,onnousaditpourquoilesVampiresde

l’Est attaquaient la cité.Nous n’avons eu que les grandes lignes,mais je savais queLeith et toi voustrouviezicietquelesStrigoiienavaientaprèsvous.

—C’estunpeupluscompliquédeça,Crinos,cinglaGeorgia.Est-cevraimenttoiquiasconvainculeforgerondevenir?

Tarjahochalementonsansmequitterdesyeux.—C’étaitleminimumquejepouvaisfaire.—Leminimumpourquoi,Tarja?nepus-jemeretenirdepersifler,amère.Pourtefairepardonner?

Tuestrèsloinducompte,mavieille.RienneramèneraMinahoun’effaceratoutcequej’aisubiquandtut’eslaisséalleràluiarracherlatête!

—Jen’airienprémédité,dit-elled’unevoixéteinte.Jen’avaispasl’intentiondelatuer.Oh ça, je le savais. Comme tous ceux de son espèce, Tarja ne se contrôlait pas et n’avait aucun

souvenir de ce qu’elle faisait sous sa forme animale. Il n’en restait pas moins que je lui en voulaisterriblementdenousavoirabusés.Sonmensongeavaitbouleversénosexistencesàtous.

—Jesuisdésolée,murmura-t-elleencore.—Vousavezcrééplusd’ennuisquevousnel’imaginez,intervintM.McLachlanavecdouceur.Vous

nesavezpasàquelpoint.SilepèredeGeorgian’avaitpasétéletémoindirectdesévénementsquiavaientsecouénosviesàSt

Andrews, il nous avait aidés à découvrir qui était le meurtrier deMinah, l’âme sœur de Pitt. C’estpourquoiTarjaneluiétaitpasétrangère.

—Nulnepeutvousreprocherd’êtrecequevousêtes,continua-t-ilalorsqueTarja,accablée,baissaitlatête.Pasplusqu’onaledroitdevousrendreresponsabledelarageanimalequis’emparedesvôtres,maisvotreerreuraeudesconséquencesgraves.DesAngesNoirssontmorts,desgarousaussi.

—Tun’auraisjamaisdûcachertavraienature,renchéritGeorgia,lameuteauraitput’aider.Elle l’aurait même fait sans l’ombre d’une hésitation, mais Tarja avait intégré l’université de St

Andrewsenétantpersuadéequ’elleserait rejetéesielleavouaitqu’elleétaitunCrinos.Cette racedeloup-garouétaitcraintedans lemondeentier.C’estpourquoi,chaque jour,pournepasêtrerepéréedenossemblables,elleavaitportéuneamulettegarolle,rendantsonodeuraussineutrequecelled’unêtrehumain.MaisMinah l’avaitpercéeà jour.Elles s’étaientbattues, etMinahétaitmorte.Cet événementavait constitué le point de départ de tous mes ennuis, et toute ma vie avait basculé. Julia avait étéassassinée, je m’étais transformée peu de temps après en Ange Noir. En quête pour recouvrer monhumanité,j’avaisrencontrélesStrigoiipourlapremièrefoiset,pourmeprotéger,Dariusavaittuél’undesleurs.Non.Tarjanesedoutaitpasàquelpointelleavaitjouéunrôlecrucialdanstoutcequiétaitentraindesepasser.

—À quoi bon lui faire un procèsmaintenant ? intervint Leith sans quitter Tarja des yeux. Elle aramené un forgeron lupus avec elle, pour lemoment, c’est tout ce qui compte. Je vous rappelle aussiqu’envenanticiellerisquesaviecommen’importelequeld’entrenous,etça,ellen’yétaitpasobligée.

—Merci…,murmuracettedernièreenbaissantlesyeux.—Leitharaison,redoublaM.Mclachlan,l’heureestgrave.Pourmapart,jevaisapportermonaideà

CullochetMcArthys’ilsenontbesoin.Leith,mongarçon,quellesquesoientlescirconstances,jesuistoujourstrèsheureuxdeterevoir.

Ilnoussaluad’unhochementdetêteets’éloigna.—Tarja!Odotan!criaenfinnoislevieuxLupus.Tarjanousregardatousunedernièrefois,soupira,etpartitrejoindreleforgeron.—Etmaintenant?demandaGeorgia.Jefermailesyeuxetmepinçail’arêtedunez.Nousn’étionspassortisdel’auberge.—AllonsprévenirPitt.Georgiablanchitinstantanémentquandelleréalisacequecelasignifiait.—Parl’enfer…Elle ne croyait pas si bien dire.Quand Pitt saurait qu’elle se trouve ici, c’est exactement là qu’il

enverraitTarja.NousrejoignîmeslesniveauxsupérieurspourretrouverBonnie,Christyettouslesautres.LeCœur,si

vivantd’habitude,était totalementdésert.Pasdefemmesquivenaientchercherleurpain,pasd’enfantsqui jouaient dans l’Agora, pas d’hommes à la taverne ni d’artisans derrière leurs étals. Nous netrouvâmes que le silence angoissant du calme avant la tempête. Les habitants restaient chez eux, sepréparantàpartir,réunissantlemaximumd’effetstransportablesàmainsnues.Ilsnesavaientpasquandilsreviendraientnimêmes’ilsreviendraientunjour.

Soudain,descoupsdemasseportéssurdesenclumesetsurduferencorerougeoyantrésonnèrentdanslagrottetandisqu’unechaleurinhabituelleserépandait.Lesfoyerstournaientàpleinrégimepourfairefondrelemétal,uneépaissefuméenoiredevaits’échapperdescheminéesnaturellesdeBenHope.Nousavancions silencieusement sur la place, le bruit de nos pas couverts par celui de la forge, lorsquej’aperçus Grigore et Darius juchés sur le piédestal surplombant la Cathérale. Assis, les jambes sebalançantdanslevide,ilssemblaientaucœurd’unediscussionmouvementée.

—Rejoignezlesautres,jevaisleurparler,informai-jeLeithetGeorgia.Leithmepritlamainavantquejen’amorceungestepourm’éloigner,etlaportaàseslèvres.—Veux-tuquejet’accompagne?Jesecouailatête.—Jen’enaipaspourlongtemps.Ilmelaissapartiràregretetdisparutdanslatrouéequimenaitànosappartements.—Hé!lançai-jeenarrivantaupieddel’immensesoubassementenpierre.VulesregardsglacialsqueGrigoreetDariussejetaientetl’hostilitéqu’ilssemanifestaient,jen’étais

pas sûre que ce soit le moment idéal, mais je m’imposai quand même. Je gravis la cinquantaine de

marchesquinousséparaient,etjeleurfissignedesepousserafinquejepuissem’asseoirentreeux.—Quesepasse-t-il,petite?amorçaDarius,pince-sans-rire.Lacompagniedesloupscommencerait-

elleàtefatiguer?—OùestPitt?Dariusfitmined’êtresurpris.—Tuaseulabontéd’âmedeluidonnertonsangpourqu’ilseremette,maisas-tuaussinouéaveclui

uneamitiéparticulièrepourt’eninquiéteràcepoint?persifla-t-ilencoulantunœildetraversàGrigore.Etlà, jecomprislateneurdeleurconversation.Grigoreluiavaitditpournous,etçaneluiplaisait

pas.Pourquoi? Jenevoulaismêmepas le savoir. Je fronçai les sourcilset le fixaidans leblancdesyeux.

—Avectoutlerespectquejetedois,DariusLegrand,jenerépondraipasàcettequestionparcequeçaneteregardepas.Oùest-il?

—Dansnosquartiers,finitpardireGrigoreentresesdents.Ilétaitfurieux,maiscen’étaitpascontremoi,jel’avaisbiencompris.—Lasituationsecomplique.Dariusaffichaunrictusmoqueur.—Ehben,moiquipensaisquenousétionsseulemententraindejouerlesfunambulesau-dessusde

l’enfer…Queviens-tunousannoncer,Hannah?Belzebuthnousouvredéjàlesbras?Jen’avaispasfranchementenviederire.—Tarjaestici,leursignifiai-jesansprendredegants.Grigore blêmit instantanément tandis qu’une ligne profonde barrait le front deDarius.Aucund’eux

n’avaitoubliéceprénom.Grigore,parcequeson«frère»avaitétéanéanti,etDariusparcequ’ilavaitcrééMinah.Jemesouvenaistropbiendelahainel’envahissantlorsquecelle-ciétaitmorteetqu’ilavaitapprisquemacolocataireétaitresponsable.

—Qu’est-cequeçaveutdire ?demandaGrigore endonnant l’impressionqu’unmillierd’épinglesétaitenfoncédanssagorge.

Alors, je commençai à leur raconter la raisonde laprésencedeTarja,mais jen’eus,hélas,pas letempsdeterminer.Commedansunmauvaisfilmd’actionoùledénouementseraitbientropprévisible,nousvîmesTarjavenirdel’estetsedirigerverslesforgesencompagnieduvieuxLupusetdeMurdoch,tandisqu’àl’ouest,Pittsortaitd’unegalerie.Dansmoinsdevingtmètres,Pitttomberaitnezànezavecelle,etiln’enferaitqu’unebouchée.Nousétionsicidansl’antredesloups,siunAngeNoirs’avisaitàposerlamainsurl’und’entreeux,c’étaitlamortassurée.Mesdeuxamisl’avaientparfaitementcompris.Grigoreréagitauquartdetouretselaissalittéralementglisserdixmètresplusbas,immédiatementsuiviparDarius.Ils traversèrent laCathédralesivitequeje lesvisàpeinebouger.DariusseplantadevantPitt,etGrigore,derrière.Plusvifquel’éclair,cedernierluicoinçalesbrasdansledosetsecollacontrelui.Totalementprisaudépourvu,Pittn’amorçapasunseulmouvementpoursedéfendre.

—Qu’est-cequefoutez?Grigore,çasuffit!Lâche-moi!Ilmituncoupd’épaule,maisGrigoreletenaitbientropfermement.—Regarde-moi!Regarde-moi!exigeaDarius.Pittobtempéra,totalementdésorienté.—Quoiqu’ilarriveetpeuimportequituvois,nefaispasungeste.Puis il remarqua Tarja. Et son corps se banda instantanément. Son visage se décomposa et, d’où

j’étais,j’auraisjuréquelamortelle-mêmesedessinaitdanssonregard.TarjanesedoutaitpasuneseulesecondequePittenavaitaprèselle.Ellen’avaitjamaisriensudu

lienquiunissaitPittetMinah.ElleavançaitpaisiblementauxcôtésdeMurdoch,loind’imaginerquedanslasécuritédesEntraillessetenaitsonpireennemi.

Grigoreneperditpasuneseconde,ilmarchaàreculons,entraînantPittavecluiavantdedisparaîtredans les galeriesmenant à l’extérieur.Un rugissement terrible y retentit, commeun cri d’agonie pure,prémicesde laplus terribledesvengeances.Monsangseglaça,et tandisqueDarius les rejoignait, jedescendis du piédestal et accourus vers Murdoch. Le vieux Lupus et Tarja s’étaient immobilisés destupéfactionaumilieudel’Agora.

—Quesepasse-t-il?demandaMurdoch,lessourcilsfroncésetleregardrivéàl’endroitoùavaientdisparumesamis.

Jefisminedenepasl’entendre.—Tudoispartir,Tarja.Ilenaaprèstoi.Endépitdemacolèrecontreelle,jenesouhaitaispasqu’ellemeure.Elleplissalefront,déconcertée.—Moi?Maispour…pourquoi?—Qu’est-cequeçasignifie,faol-ur?grondaMurdoch.Jenevoulaispasm’expliquerdevantlui.Enaucuncas.—Tarja,allonsparler.Sanscomprendre,lajeuneCrinosbattitplusieursfoislescilsetm’observadesesgrandsyeuxnoirs.

PuisellesetournaversMurdochquis’impatientait,s’excusaetacceptademesuivre.—Faol-ur!Ditesàvosamisquejenetoléreraipasqu’ilss’enprennentàl’undesnôtres.Qu’ilsnous

offrentleuraidenejustifiepasquecetendroitfassel’objetderèglementsdecompte.Jeveuxqu’ilsoitcalméquandilreviendra,ounouslejetteronsderrièrelesbarreaux,est-ceclair?

Je hochai la tête sans mot dire et attrapai Tarja par le bras. Je la guidai en direction de nosappartements,etm’arrêtaiàunedizainedemètresavantd’ypénétrer.

—Minahétaitl’âmesœurdePitt.Levampirequevousavezentenduhurler.Ellepercutaenquelquessecondeset,horrifiée,elleportalesmainsàseslèvres.Ellemesemblasifrêle,sifragileainsi.Commentunesipetitechosepouvait-elledevenirunmonstre

sanguinairecapabledetuerunvampireàmainsnues?

—Je…jenesavaispas,bégaya-t-elle.—Taprésencelerendrafou.Pars.Jedemanderaiauxgarçonsde laMeutede t’accompagner,mais

va-t’enauplusvite,Tarja.GrigoreetDariusnesaurontpasretenirPittbienlongtemps.Ellemeregardaitcommesiellenecomprenaitpascequejedisais,etbaissalesyeux.—Jenepeuxpas…—Pourquoi?—Sijepars,ilneresterapas.—Leforgeron?Elleacquiesça.—Pourquoi?—C’estunoriginal.Unetêtedemule.Iladécrétéquejedevaisluiservirdeguide.Jefronçailessourcils.—Jecroyaisquec’étaittoiquiavaisprisl’initiativedevenir.—Oui,bienentendu.Maisilaacceptéàconditionquejesoissa…sa…Jeplissailesyeux,intriguée.—Oui?Elleclaqualalangued’agacement,etfitungesteévasifdelamain.—Necherchepasàcomprendre,illuiatoujoursmanquéunecase.Maissoiscertainequ’ilnerestera

passijepars.J’expiraiprofondément.Onn’avaitvraimentpasbesoindeça.—Tarja,cequiestsurlepointdesepassericineserapasunepartiedeplaisir.Crois-moi,tuastout

intérêtàt’enaller,indépendammentdePitt.Ellerelevafièrementlatêteetmeregardaintensémentsanscligneruneseulefoisdespaupières.— Prends-moi pour quelqu’un de stupide si tu veux, mais je dois expier ma faute. Je n’ai pas

seulement fait une erreur de jugement en ne révélant pas à laMeute ce que j’étais, j’ai assassiné unefemme.C’étaitpeut-êtreunAngeNoir,maisunefemmequandmême.Jeluiaiplantémesgriffesdanslecœuretarrachélatête.Jen’enaiaucunsouvenir,maisc’estcequej’aifait,n’est-cepas?

—Oui…—Je saurais tuer sans l’ombred’unehésitation l’unede ces créaturesquimenacent lesEntrailles,

maisjamaisjenepourraisvivreaveclamortd’uninnocentsurlaconscience.C’estcequ’étaitMinah.Innocente.Saseulefauteaétédedécouvrircequejetentaisdecacherdepuisdesmois.J’aieuplusd’unanetdemipourréfléchiretmeremettreenquestion.JenepartiraipasHannah,dussé-jeaffronterunAngeNoirmâleàmainsnues.

—Tarja…Sespupillesétaientsidilatéesqu’ellesseconfondaientaveclebrunprofonddesesyeux.Cesdeux

grandesbillessombresétaientfixéessurmoietnesemblaientpasrefléterlamoindrehésitation.

—Jeregretteprofondémentcequej’aifait,Hannah.Etsijedoissacrifiermaviepourça,jeleferai.Jehochailatête,résignée.—Trèsbien.Cesdeuxprochainsjours,necirculejamaisseule.Fais-toiaccompagnerdelaMeute,de

Murdochsipossible.Pittneserajamaisloin.Elleacquiesçaetsourittimidement.—Accepteras-tudemeracontertoutcequis’estpassécesdeuxdernièresannées?Jesoupirailonguement.—Tellementdechoses,Tarja…—Entoutcas,tufaisunmagnifiqueLupus.Jesourisàmontour,etdésignailecouloirduplatdelamain.—Allez.Viens.Nousnousenfoncionsunpeuplusdanslagalerielorsquejefusbrusquementprojetéeenavantparun

coupspectaculairedansledos.J’essayaidemerattrapersurplusieurspas,perdisl’équilibreettombaiviolemment sur les genoux, désorientée. Derrière moi, Tarja poussa un cri de stupeur suivi degémissementsétouffés.Jemeressaisisetmeretournaid’uncoupsec.UnemainappuyéesurlabouchedeTarja,Pittvenaitdelaplaquercontrelaparoi.Lescaninessaillantes,illuitirabrutalementlescheveuxenarrièreetapprochaseslèvresdesonoreille.

—Lorsque tout ceci sera terminé, chuchota-t-il avec des inflexionsmenaçantes dans la voix, je teretrouverai,t’écartèleraiett’égorgerai.

—Pitt!m’écriai-je.Ilm’ignora,regardaTarjadroitdanslesyeux,seléchalescrocscommeparenvieetrépéta:—Jeteretrouverai,t’écartèleraiett’égorgerai.Quand il la lâcha subitement pour disparaître, Tarja tremblait de tous ses membres. Elle resta

immobileuninstant,puisselaissaglissercontrelaparoi.Deslarmescoulaientsurlesjouesalorsqu’elleavaitlesyeuxgrandsouvertsetfixaitunpointdevantelle.

—Tarja…,murmurai-jeenm’approchantdoucement.—«Jeteretrouverai,t’écartèleraiett’égorgerai.»,cita-t-elleavecunevoixméconnaissable.—Viens,dis-jeenluitendantlesbraspourlaréconforter.Viens…Elles’yréfugiaetpleuratoutsonsoûl.Lesforgeronslupitravaillèrentsansrelâchetoutelajournéeetendébutdesoirée,unebellequantité

d’armess’entassaientdansl’atelier.Maisiln’yavaitpasencorelecompteespéréparMurdoch.Illeurfaudraitun jour supplémentairepouryparvenir.Les fours avaient tellement tourné,que l’intérieurdesEntrailles dégageait des relents de charbon carbonisé et de métal surchauffé. Tout ça additionné auxodeursdecireetdegraissedéjàprésentes,l’atmosphèredevenaitirrespirable.Etdehors,lorsquenousnous y rendîmes avec Leith pour prendre un peu d’air pur, la pluie et le froid conjugués finirentd’annihilermesdernièresforces.Abritéedansunrenfoncementdelaroche,jemelaissaiallercontresa

poitrineetsoupirai.Dansmoinsdequarante-huitheures,nousmettrionslespiedsenEnferpourpeut-êtrene plus jamais en ressortir.Chaqueminute qui passait, le poids de cette probabilité pesait plus lourdqu’un sac de plomb dansmon estomac. Combattre et gagner. Nous n’avions aucune autre solution, etmêmesiMurdochpensaitqu’unchampdebataillen’étaitpaslaplaced’unefemme,j’yseraisaussi.Jebraverais le danger avec courage et détermination et tâcherais d’ignorer la peur qui me nouait lesintestins.Etdemain,pendantquelacommunautéseraitévacuéeverslenord,jemeprépareraisàaffronterledestin.

—Rentrons,soufflaLeithàmonoreille.

***

Souslespremièreslueursdujour,leventemportaitavecluilesvoixdeshabitantsdesEntrailles,tousrassemblésdevant la failleest. Ilsétaient sur lepointdepartir.Lesbraset ledoschargésdesacsdetoile, lesquelqueshommesquineparticiperaientpasaucombatdiscutaientdesdispositionsàprendretandisquelesfemmespressaientcontreelleslesenfantseffrayés.Murdochetsonbrasdroitvenussaluerlesmembresdelacommunautédonnaientleursdernièresrecommandations.Moncœurseserra.QuitterlesEntraillesdecettemanièreétaitunedéchirurepourchacund’entreeux.Ils’agissaitdeleurmaison,leurtoit,leurhavredepaix,etcertainsn’avaientmêmejamaismisunpiedhorsdecesmursdetouteleurvie.Peut-êtreneserait-cequepourquelques jours?Peut-êtrepas.Maiscelanechangeait rienau faitqu’ils devaient fuir. Sans que jem’en sois rendu compte, tousmesmuscles s’étaient raidis. J’étais sitristepourcesgens.Ilsneméritaientpasdevivreça.Encoreunefois,jenepusm’empêcherdemesentircoupable,alorsquecellequiauraitdûenportertoutelaresponsabilitésetenaitàquelquesdizainesdemètresdevantmoi,escortéeparplusieursgardesgalbrosquinelaquittaientpasduregard.

JerefusaideperdremontempsàobserverShona.JetournailatêteetmeconcentraisurBonnie.Levisageempreintd’uneprofondetristesse,elleassistait,impuissante,àl’évacuationdessiens.Sansdouten’avait-ellejamaiscruvivreçaunjourniimaginévoirlaCommunautéduSutherland,quiavaitterrorisétantdefamillesetdegensinnocents,prendrelafuiteainsi.D’aucunsauraientpusedirequec’étaitunjuste retour des choses, mais ça ne l’était pas. La communauté n’avait plus rien en commun avec larépressiongarollequiavait sévipendantdesannées.Elleneméritaitpasd’êtrepersécutéeàson tour.Tous ces hommes, ces femmes, ces enfants, même avec leurs idées archaïques et leur manque deconsidération pour ceux qui étaient différents, n’aspiraient qu’à une vie tranquille, façonnée dans lesrèglesqu’ils seplaisaient à suivre.Oui, laCommunautéduSutherlandn’était pas le fléauque j’avaisimaginé.

Uneagitationsoudainemesortitdemesréflexions.Monregardseportasurleshabitants.Lesfemmeset les enfants se serraient les uns contre les autres tandis que les hommes formaient commeun cercle

protecteurautourd’eux.Audébut,jeneparvinspasàcomprendrecequipouvaitbienlesaffoler,jusqu’àcequ’unjeuneGalbropointedudoigtlaligned’horizonàl’ouest.Glacéed’effroi,jevissedessinerunebandedesilhouettesnoiresetmouvantes.Ellesétaientencoreloin,maisseraientrapidementauxportesdes Entrailles. Presque aussitôt, le son de la corne de brume retentit et ce fut la panique. Les genscouraient dans tous les sens, criaient, les enfants pleuraient. Acculée contre un monticule rocheux,déroutée,jeregardaialentouretvisLeithquiseprécipitaitversmoi.

—LesStrigoii!Ceschiensn’ontpastenuparole!—Parl’Esprit…Plusieursguerriershisposetcrinoscanalisèrent la fouleenquelquessecondesdemanièreà replier

toutlemondeversl’intérieur.Lesenfantsd’abord,lesfemmesensuite,maislesgenssebousculaientpouratteindrelafaille,leboyauétaittropétroit.

—Dégagezl’entrée!hurlalavoixdeMurdoch.Trois Crinos poussèrent un rugissement effrayant, ils se transformèrent presque immédiatement et,

stimulésparl’ordrequeleurchefleuravaitdonné,ilsagrippèrentlesrochers,protégeantl’ouverturedesregards indiscrets, et les déplacèrent comme s’il s’était agi de morceaux de bois. Les habitantss’engouffrèrentaussitôt à l’intérieur tandisqued’autrescontournaient lacollinepour rejoindre l’accèsouest.Simultanément,lesonmétalliqued’armesjetéesàmêmelesolretentit.Unemontagned’armeslupidéposéesparplusieursguerriers.

—Iln’yenaurajamaisassez!braillaRoryenvoyantquelemonticuledescendaitàvued’œilaufuretàmesurequelescombattantsseservaient.

Puissoudain,uneombrefurtivepassadevantnous,commeunnuagedefuméenoire.Elleapparaissaitetdisparaissaitsanscommettrelemoindredégât,maissemantvolontairementlapaniqueautourd’elle.

—Viens!m’intimabrusquementLeithenmeprenantparlesépaules.Maissanssavoirpourquoi,jerésistai.—Hannah!criaGrigoreenvolantau-dessusdematête.Faiscequ’iltedit,retourneàl’intérieur!

Maintenant!Hélas,moinsdecinqsecondesplustard,uneimmensenuéesombrenousencercla,tournantsurelle-

mêmeà toutevitessepour empêcher lesderniershabitants de se réfugier dans lesEntrailles.Le cœurtambourinantplusfortquejamais, jem’immobilisai, lesbrasvigoureuxdeLeithfermementverrouillésautourdemoi.

—Ilarrive…,murmurai-jeenpercevantl’auradepuissancedeTraian.Ilestlà…Lebarragestrigoïs’ouvrit,etleVampireSuprêmesematérialisa.

Chapitre25

—Qu’avons-nouslà?Vousnousfaitesfauxbond?Cen’estguèredigned’unchefdevotrerang,lâchaTraiand’unairattristé.Meserais-jetrompésurvotrecompte,Mor-fear-faol?

Murdochimposasonimmensecarrureenseredressant,etfixaleStrigoïavecmépris.—Vousaurezvotreguerre,Traian,maisaucuninnocentn’yparticipera.LeGrandStrigoïsoupiraprofondément.—Personnen’estjamaisvraimentinnocent,cherami.Mêmel’êtrelepluspurfinitparêtrepervertiun

jour.—Ilss’envont,insistaMurdochd’untonsansréplique.Traianlevalesyeuxaucieletpinçaleslèvres.—J’aibienpeurdenepouvoiraccéderàvotrerequête.Vousdevezmedédommagerdetroismille

ans,monami,et…Ilsouritetdésignal’Éliteduplatdelamain.—…jedoutequelapoignéedeguerriersdontvousdisposezsoitsuffisante.Quelquesâmesdeplus

nedevraientpasfaireladifférence.Sivousytenezvraiment,nousépargneronslesfemmesetlesenfants.Ilssontsitouchantsàtremblerainsidepeur.

Le Loup Suprême laissa échapper un grondement sourd. Nullement affolé, Traian haussanonchalammentlesépaules.

—Dois-jeconsidérerquenoussommesendésaccord,Mor-fear-faol?Murdochplissalespaupièresenportantlamainàsaclaymore.—C’estexactementça.Droitcommeuni,lespaumescolléesl’unecontrel’autreauniveaudesapoitrine,leGrandStrigoïse

composauneminedésœuvrée.—Queldommage.Pourl’exemple,nousallonsdevoirtuertoutlemonde.La tensionmonta irrémédiablement d’un cran. Je jetai unœil rapide autour demoi pour évaluer la

situation. La centaine de vampires nous encerclaient de toutes parts et, dans leur piège, se tenaient lamoitiéde lahordegarolle,Murdoch,Rory,Bonnie, Jeremiah,Christy,Leith,Shonaet ses troisgardesgalbros,ainsiqu’unebonnetrentained’habitants.Toutenhaut,surlamontagne,lesquatreAngesNoirsattendaient le moindre mouvement pour intervenir, tandis que plus à gauche, camouflés derrière lesrochers,unedizained’archershisposétaientprêtsàtirer.

Discrètement,Leithsecollaàmondos.—Nebougepas,chuchota-t-ilàmonoreille.Ils’agenouilladerrièremoietsoulevamesjupes.Jesentisalorslalamefroided’unearmecontremon

mollet.Leithvenaitdecacherunskean-dhudansmabottine,entrelecuiretlafourrure.Tandisqu’ilsereplaçaitàmescôtés,jebaissailatêteet,rassurée,jevisqu’ilenportaitunaussi.Puissoudain,Traianlevaunbrasauciel,poingserré.

— Est-ce ton dernier mot, Hispo ? lança-t-il à Murdoch d’une voix désormais dénuée de toutamusement.C’esttonultimechancedesauvercettecommunauté.

QuellequesoitladécisionduLoupSuprême,Traianfiniraitpartuerchacund’entrenoussansl’ombred’unregret.Murdoch lesavait,c’estpourquoi ilsoulevasonépée,etaffronta le regarddesonennemiavec fierté, détermination, prêt à se défendre et à perdre la vie pour sauver son peuple. Tendus àl’extrêmeetsuspendusàseslèvres,nousattendionstousaveccrainteetfébrilitéqu’ilaffirmesonchoix.Jamaismoncœurn’avaitcognéaussifort.

—Maguerreesttaguerre,vampire.Bats-toi!Iln’enfallutpasplusauStrigoïpouréveillertotalementsasoifdesang.Unelueurcarnassièrepassa

danssesyeuxnoirsbordésdelongscils.Calmement,ilouvritlesdoigtsqu’iltenaitfermésau-dessusdesa tête, et donna le signal à ses hommes. Traian etMurdoch ne bougèrent pas d’un poil lorsque lesStrigoii commencèrent à se mouvoir. Ils se bravèrent du regard d’interminables secondes. Puis,lentement,sanssequitterdesyeux, lesdeuxchefss’éloignèrentducœurde labataillepours’isolerets’affronterseulàseul.Faceàface.

Leurduel fut le réelpointdedépartdeshostilités.LesStrigoii entreprirent d’attaquer vraiment. Jetremblaidetousmesmembresquandunepremièregrêledeflèchestomba.Lestraitsfilèrentsivitequejeles vis à peinepasser.LesStrigoii qui en avaient réchappé s’immobilisèrent et regardèrent,médusés,leurssemblabless’écroulercommedevulgairespoupéesdechiffon.Ilneleurfallutqu’uninstantpourréagir et éviter la deuxième salve. En se dématérialisant, ils fondirent sur les guerriers qu’ilsencerclaient.Lesbruitsdesuccionsetd’osécrasésquis’ensuivirentmetétanisèrent,etjemeretrouvaiànepluspouvoirfairelemoindregeste.Pétrifiéecontrelarochefroideethumide,j’assistais,horrifiéeetimpuissante,aupirecarnagequ’ilm’aitétédonnédevoir.Desmembresétaientarrachés, lesviscèresgisaientausol,etl’herbejaunieprenaitlacouleursombredusangquelaterreneparvenaitdéjàplusàboire. Éperdus, les habitants les plus faibles couraient pour s’enfuir tandis que les plus valeureuxprenaient les armes pour se défendre. Les vampires disparaissaient et ne réapparaissant que pourenfoncerunedague,uneépée,ouuntraitrécoltésuruncadavre,enpleindanslecœurdeleuradversaireoudeleurvictime.Deleurvictime,souvent.

LesStrigoiiétaientimpitoyables.Vicieux.Sansscrupules.Ilsmutilaientlachairavecunedélectationécœurante, laissant les civils à terre, sans bras ni jambes, débités comme de vulgaires morceaux deviande.Jenecomptaismêmepluslenombred’hommesetdefemmesquejevoyaisbrillerd’unelueur

macabre.Incapablederefrénerlanauséequimesubmergeaitaussiviolemmentqu’unelamedefond,jemepenchaienavantetvomis.Lorsquej’eusvidétoutlecontenudemonestomac,agenouillée,jerelevailatête,deslarmespleinlesyeux.

Soudain,j’aperçusChristyentraind’accourirversmoi.Desoncorpsfrêleetagile,elleparvenaitàsefaufilerentrelesunsetlesautressanssefairetoucher.

—Quefaites-vouslà!Allez-vous-en!hurlai-jequandellearrivadevantmoi.—C’esttoiquiviensavecmoi,jeunefille!Elleessayademetirerparlebras,maisjem’yopposai.—Jesaismebattre,pasvous!Partez!—Jamaisdelavie!Tuvasm’écouterimmédiatement.Viens!Jefronçailessourcils,ellen’avaitpaschoisilemeilleurmomentpourfaireunecrised’autorité.Un

guerriercrinosfonçaitdroitsurnous.Mûparjenesaisquelleidéefixe,c’étaitnousqu’ilprenaitpourcible.Illevasagrandepatte,prêtànoustailladerlevisage.Christyl’évitaenseprojetantàterrealorsqu’unedagueseplantaitdansl’épauleduCrinos.Ils’immobilisauninstant,rugitetseretournapoursefocalisersur le responsable.UnStrigoï armé jusqu’auxdents. Jeneperdispasde tempsà suivre leurcombat,jemeprécipitaiversChristyqui,danssachute,s’étaitméchammentcognélatempecontreunepierre.Elleavaitperduconnaissance.Jelatiraiprudemmentparlesbraspourlamettreensécuritédansuncreuxformépardeuxrochers.Lorsquejemeretournai,Leithétaitprisdefrontparunjeunevampireaux longs cheveux blonds.Muni d’une épée garolle, il bondissait et donnait des coups vigoureux queLeithparvenaitchaquefoisàéviter.LeStrigoïsedématérialisaetréapparutaussitôtàcôtélui.Leithlecontradesonavant-brasetfutsérieusementtouché.J’eusàpeineletempsdefaireungestepourl’aider,un vampire arriva par-derrière et passa un bras autour demon cou. Je n’attendis pas qu’il serre pourréagir. Jememunisdegriffes, levai lescoudespour l’atteindreet lui lacéraiprofondément ledos.LeStrigoï hurla. Déchaîné, il m’attrapa par les cheveux et me retourna violemment pour me mordre.Déséquilibrée, je me pris dans le tissu de ma robe, et tombai à genoux devant lui. Avec un sourirevicieux,ilbranditunedague,prêtàmepoignarder.Beletbiendéterminéeàresterenvie,jeluienvoyaiunpuissantcoupdepoingdanslestesticulesetconstatai,satisfaite,quecettepartie-làdeleuranatomieétaitaussisensiblequechezn’importequelmammifèreterrestre.Levampiresepliaendeux,etavantquej’amorceungestepourmeredresser,unelameluitranchalanuque.Onmetenditunemainpourm’aideràme relever, je lapris et levai lesyeux surDarius.L’AngeNoir couvertde sang sourit, et s’élançadenouveaudanslabataille.

Horrifiée,jeprisdavantageconscienceducombatquifaisaitragedevantmoi.TouslesmembresdelaMeuteétaientlà.Anneas,Dan,Étienne,JohnetGeorgia,maisaussiTarja.Lestroispremierssebattaientcourageusement,évitantenmêmetempslaragedesCrinosquinefaisaientplusladifférenceentregarouset vampires, tandis que les trois autres essayaient tant bien quemal d’éloigner les blessés agonisantspouvantencoreêtresauvés.Tarjafaisaitpreuved’unself-controlincroyable.Lesangcoulaitàflots,mais

elle parvenait à maîtriser l’animal qui grondait en elle, alors même qu’il devait lui ordonner de setransformer et de laisser exploser sa bestialité. Quant à Darius, Pitt, Grigore et Gwen, ils ne secontentaientpasdesebattre.Savoirvolerétaitunatoutmajeur,c’estpourquoiilsseservaientdecedonexceptionnelpourévacuerceuxquienavaientleplusbesoin.Entredeuxvoyages,ilsseposaientàterreetfendaientl’airdeleursserrespourtrancherdestêtes,creverdescœurs,quandilsnebrisaientpasdesos.Leurpuissanceétaitextraordinaire.JeremiahetBonnieavaientégalementprislesarmes.LepèredeLeith était d’une agilité insoupçonnée. Il maniait l’épée aussi bien que n’importe quel guerrier, usantd’unestratégied’uneefficacitéredoutablepourtromperl’ennemietlesurprendreavantdeporterlecoupfatal.Bonnieavaitunetechniquebienplusprimitive,maistoutaussiinfaillible.Elledemeuraitimmobile,scrutantavecattentionlamoindreoccasionquis’offraitàellepoursautersurledosd’unvampireetluiromprelesvertèbrescervicales.Là,dansladéroute–toutallaitsivite–,elles’emparaitdelapremièrearmequiluipassaitsouslamain,uneépée,unedague,n’importequoi,pouracheversonadversaire.Etenretrait, plus à l’ouest,Murdoch et Traian se faisaient toujours face. Et aussi étrange que cela puisseparaître, leGrandStrigoï affrontait le chef des loups à l’épée. L’un,maigre, habillé tout de noir, lescheveuxluiretombantjusqu’àlataille,s’apparentaitàunangedéchu.Ledeuxième,enkilt,letorsenuetlesmuscles puissamment développés, donnait l’impression de pouvoir abattre desmontagnes àmainsnues.Le fer croisait le fer, les lames s’entrechoquaient, tintaient, faisaient des étincelles,mais peudecoupsétaientportés,aucundesdeuxneparvenantàatteindresacible.Leurforcen’avaitpourtantd’égaleque leur volonté farouche de soumettre l’autre, de le faire s’agenouiller et de l’humilier. Oui. Il mesembla que l’avilissement de leur adversaire était plus important que sa mort elle-même. L’aura depuissance qui émanait d’eux paraissait former un écran magnétique que personne ici n’aurait pris lerisquedefranchir.

—Hannah!s’écriaLeithenmerejoignant.Toutvabien?Jehochailatête,incertaine.Toutcesang,toutecetteviolence.M’enremettrais-jejamais?—Dannnnnnnnnnnnnnnnnnnnn!hurlaGeorgia,sifortqu’ellecouvritlebruitdelabataille.Leith etmoi nous retournâmes d’un coup sec et, horrifiés, nous vîmesDan s’effondrer à terre. Un

Strigoïluiavaitenfoncéuneépéeenpleinepoitrineavantdelaretirer,unsouriresatisfaitauxlèvres.Jerestai un instant immobile, refusant de croire qu’il venait d’être tué. Agenouillée devant lui, Georgiapleurait toutes les larmes de son corps, les mains et les avant-bras colorés de rouge tandis qu’elleessayaitdepresserlablessurepourquelesangcessedes’écouler,maisDans’étaitéteint,etaveclui,lalumièrequil’enveloppait.Lafureurquis’emparademoifuttellequejedevinsplusincontrôlablequ’unCrinossoussaformeanimale.D’uncoupd’œil,j’examinaileterrainetmepropulsaisuruneclaymorefichéedans lecœurd’unvampire. Ignorant lesappelsdeLeithquimesuppliaitde reveniralorsqu’ilétait déjà en proie à un autre affrontement, jeme saisis de l’arme, lourde et imposante, la brandis etfonçaiaveuglémentdansletas.

Le premier Strigoï à qui je tranchai la tête venait de se matérialiser devant un citoyen galbro et

s’apprêtaitàlepoignarder.Ledeuxième,jeluicoupaid’abordlamainaveclaquelleilenserraitlagorged’unefemme.Quandilseretourna,jeséparaisoncorpsendeuxpartiesdistinctes.LetroisièmefutceluiquivenaittoutjustedebriserlanuquedeShonad’unesimpletorsion.Touràtour,plussournoisequ’unchatsauvage,j’abattaismonarmecommeunrobotsurlesennemisquiavaientlemalheurdemetournerledos.

Avec puissance, rage et acharnement, garous et vampires s’affrontaient aumilieu d’un vent glacial,entourés de cris de douleur, de hurlements et de gargouillis sinistres. Nous nous battions comme deslions, mais nous tombions en masse. La communauté fléchissait alors que les Strigoii se montraienttoujoursplusredoutables.Lamortnoustendaitlesbrasaussitendrementqu’unemèreàsonnouveau-né.Puis, sans que je puisse l’expliquer, la situation parut se retourner à notre avantage. Les garousredoublèrentd’effort, et leur forceparut soudain sedécupler. Ilsdéfendaient leurvie avecuncourageexceptionnel, une détermination si grande qu’elle en devenait inébranlable, et que l’ennemi se mit àfaibliràvued’œil.LesCrinos,lesHisposetmêmelesGalbrosétaientplusdéchaînésqu’unetempête.Rienn’aurait pu les arrêter.Grâce aumétal lupus, plus efficace qu’unpoison concentré, les vampiress’effondraient sous les coups d’épées, de griffes et de poignards.Les têtes tombaient plus vite que lapluie en train de s’abattre sur la lande. Prise, moi aussi, d’un étonnant regain d’énergie, je levaiinstinctivementlesyeuxendirectiondelamontagneavantdemefondreunenouvellefoisdanslabataille.Sur le plus haut promontoire rocheux,Christy se tenait debout à côté deGwen, sa longue robe et sescheveuxbrunsflottantauvent.Levisageoffertàlapluie,lesmainstenduesversleciel,elledemeuraitplus immobile qu’une statue, mais il me sembla voir ses lèvres bouger. Elle en appelait à la magie.C’étaitellequinousrendaitplusforts.

Déstabilisés, les derniers Strigoii perdaient peu à peu de leur assurance. Puis soudain, le corpsinanimé deMurdoch apparut de derrière un amoncellement de roche. Il flottait dans les airs, bras etjambesballants.Commesous lecoupd’unsortilègepuissant, tous lescombattants semirentenveille,garouscommevampires, suivantavecstupéfaction l’ascensionextraordinaireduchefdes loups. Jemeressaisis et cherchai Traian des yeux. Il n’était nulle part, et, alors que j’en étais à imaginer tout etn’importequoi,Murdochs’écrasasurlesol,aumilieudetous.

—Uncail!hurlaBonnieenaccourantpours’agenouillerdevantlui.La poitrine ensanglantée deMurdoch n’augurait rien de bon. Il semblait avoir reçu un coup fatal.

Bonnielepalpa,unflotdelarmesroulantsursesjoues.Puissoudain,unrirecaverneuxretentitjusteau-dessusdenous.Prised’unenauséeépouvantableetd’unmaldecrânequifaillitmemettreàgenoux,jemeretinsàunrocherpournepastomber.Presqueaussitôt,jesentisl’odeurfamilièredeputréfaction,dechoupourrietdegoudron.Décontenancée,jelevailatêteetcherchaidesyeuxlaprésenced’unGuerrierdel’ombre,maisn’enrepéraiaucun.Pourcause,nousétionsenpleinjour.Untrèsmauvaispressentimentmeparalysa,etmonestomacsetorditunefoisdeplus.Traian…

Autourdemoi,personnen’avaitencoreamorcélemoindregeste.PuisleGrandStrigoïsematérialisa

danslesairs.Lamoitiéinférieuredesoncorpsétaitidentiqueàcelledesmonstresquenousavionstués.Des jambes massives couvertes de poils sombres et graisseux, les genoux fléchis, des piedsdisproportionnés pourvus de doubles ergots et de griffes impressionnantes, ainsi qu’un arrière-trainsurmonté d’une longue queue au bout de laquelle se balançaient trois pointes noires. Seule la partiesupérieuredesoncorpsavaitgardésonapparencehumaine,àl’exceptiondesdeuximmensesailesébèneaccrochéesàsondosnu,etdesserressemblablesàcellesquepossédaientlesAngesNoirs.Lecœurauborddeslèvres,jeréalisaiquelacinquièmeetdernièrecréaturedel’ombresetenaitdevantnous,etquecettefois,toutlemondeétaitcapabledelavoir.Traiannecessaitderire,ravidesapetitesurprise.

La réaction des miens fut viscérale. Les Crinos se ressaisirent – leur soif de sang toujours aussigrondante –, et cherchèrent à empoigner une proie, n’importe laquelle, tandis que les archers hisposfaisaientdéjàpleuvoirunjetdetraitspourl’atteindre.Maislevampiresedématérialisasivitequ’illesévitatous.Ilétaitdevenutotalementinvisible,mêmepourmoi,maisnouspouvionsnéanmoinslesuivreàla trace.Lesguerriersétaientbalayéscommedesmouchessursonpassage.Leurscorpsétaientéjectéscontre la roche, à plusieurs mètres, ou envoyés dans les airs. Sa force était redoutable et cette fois,personnenepouvaitrienfairepourl’arrêter.Par l’Esprit!Ilsedirigeait toutdroitvers lafaille!Unepuissante vague d’énergie négative me submergea en même temps qu’il s’approchait des Entrailles.J’étaisécraséesouslepoidsdudésespoir,sibrusquement,quejecomprisquecen’étaitpasnormal,etjen’étaismanifestementpaslaseuledanscecas.Plusaucunvampireougarounesetrouvaitenmesurederéagir,enproieàundésœuvrementtotal.Cemonstres’apprêtaitàtuerdescentainesd’innocentssansquepersonnen’opposelamoindrerésistance.Ilavaitassezjoué.Maintenant,ilvoulaitgagner.

Alors, je priai l’Esprit de toutes mes forces, je suppliai Dieu, l’enfer, ou n’importe quelle entitécapabledechangerladonneetdesauverlaviedetouscesgens.Etlemiracleseproduisit.

Ilyeutunsifflement,commeuntirdeflèche,maisleprojectileétaitTraianlui-même.Jem’enrendiscompte,lorsqu’unbruitmatretentitcontreunrocher,etquelecorpsdésarticuléduStrigoïnousapparut.ÀsonexactopposésetenaitGwen,jambesécartéesetmainsenavant.Éberluée,jelavisavancerd’unpasdécidéverslevampire,etsesaisird’uneépéefichéedanslesol.Àquelquesmètresderrièreelle,descendue de son promontoire, Christymarmonnait desmots inintelligibles, le regard fixé sur l’AngeNoir.Ellesemblaitêtredansunétatsecond,etsatranseconféraitàGwenunpouvoirincroyable.Sansperdreuneseconde,alorsqueTraianserelevaitdéjà,jem’emparaideladaguecachéedansmabotte,etlalançaisurlechefStrigoï.Toujoursalerte,illevalamainetlaissalalames’enfoncerdanssapaume.Sanscrietsansmêmeunegrimacededouleur,ilretiraleskean-dhu,etleretournacontreGwen.L’armel’atteignitenpleinepoitrineetelles’effondra.Toutallatrèsviteensuite,ilfonditcommeuneombresurChristyquin’étaitplusvraimentelle-mêmeetcontinuaitàmarmonnerdanssondialectesansserendrecomptequeGwennepouvaitplusbouger.Lesbrasenavant,Traians’étaitparédegriffesets’apprêtaitàla déchiqueter, puis, au dernier moment il s’arrêta, comme s’il prenait conscience de quelque chosed’important.Cesquelquessecondesdeflottementfaillirentluicoûterlavie.Arméd’uneépée,Jeremiah

la lui plantadans le flanc.Levampire rugit,maisne tombapas. Il se retournad’uncoup sec, les irisrougesangetbrillantsd’uneférocitéinégalable.Enl’espaced’uneseconde,ilterminasatransformation,serenditinvisibleet,l’instantd’après,Jeremiahgisaitàterre,letorselacérédeprofondesentailles.LepèredeLeithtrouvalaforcederoulersurlui-même,ils’emparad’uneflècheabandonnée,etallongésurledos,ildonnaaveuglémentdeviolentscoupsdevantlui,maislacréatureparaissaits’êtrevolatiliséeetJeremiahn’atteignitquelevide.Àboutdeforcesetprofondémentblessé,ilfinitpars’effondrer.

JejetaiunœilendirectiondeGwen,elleétaittoujoursenvie.Dariusétaitentraindel’évacuerparlesairs.PuislavoixdeTraianretentit,aussifortequecellededixpersonnesréunies.

—Retragerea!Des volutes de fumée noire apparurent, disparurent et réapparurent successivement en différents

endroits. Les Strigoii semblaient battre en retraite, Traian venait de sonner la fin des hostilités.Simultanément, les Crinos sortirent de l’engourdissement dans lequel Traian nous avait tous plongés,cherchantl’ennemiqu’ilsnetrouvèrentpas.SansMurdochpourlessoumettre,ilsétaientincontrôlablesetsansdiscernement,ilss’enprirentàleurssemblables,rugissant,gesticulantentoussens,essayantdemordre et de déchiqueter la chair à tout prix.Armés de claymores, les guerriers hispos formèrent unbarrageautourd’eux,tâchantdelestenirenrespectsanslesblesser,maisilsneparvinrentpasàtouslesretenir.UnCrinospritappuisursesimmensespattesarrière,fléchitlesjambesetbonditau-dessusd’eux.Lesbrasenavant,ilfonçadroitdevant.Leithsetrouvaitsursatrajectoire.Agenouilléprèsdesonpère,iln’avaitaucuneidéedecequisepassaitderrièrelui.Labileremontalelongdemonœsophageetjem’élançaidanssadirection.

—Attention!hurlaJohn.LeithseretournaaumomentoùleguerriersautaitaucoudujeuneLupus.Ilplongeasescrocsacérés

danssagorge,etcenefutplusquejetsdesangetgargouillis.Leiths’emparadelaclaymoreabandonnéeà côté de son père, il la prit à deux mains et l’enfonça de toutes ses forces entre les épaules ducombattant. La bête releva la nuque, rugit, chancela, et finit par tomber, emportant avec elle le corpsflasquedeJohn.

—Thasinguleòr!tonnaalorsunevoixstridente.Je levai brusquement la tête, et aperçus Bonnie qui se tenait debout, au milieu des cadavres

déchiquetésetdesmembresépars.Leregardflamboyantetlestraitsdéfigurésparladouleur,latristesse,la fatigue et la rage, elle venait d’ordonner aux Crinos d’arrêter. La horde déchaînée s’étaitinstantanément calmée. Pendant un temps, les guerriers demeurèrent immobiles, puis ils reprirentapparencehumainedansune totalehébétude.Mesyeux seposèrent sur lamaindroitedeBonnie.ElleportaitlesanneauxduPouvoirSuprême.

LeithtombaàgenouxdevantJohnetluisoutintlatêtetandisquecelui-ciessayaitd’ouvrirlabouchepourdirequelquechose,maislesangquis’enécoulaitl’enempêcha.

—Chut,nedisrien,çavaaller,tentadel’apaiserLeithensachanttrèsbienquenon,çan’iraitplus

jamaispourlui.Lalueurphosphorescentequil’enveloppaitnefitquemeleconfirmer.Lespaupièresmi-closes,JohnlessoulevalentementafinderegarderLeithuneultimefois.Sesyeux

étaientvitreuxetvides,lesmiens,noyésdelarmes.—Pardonne-moi…,parvintàprononcerJohndansunmurmure.Etilrenditsonderniersouffle.LeithnesesouvenaitpasdeJohn,maisilétaitsérieusementébranlé.Lesdoigtsagrippésauxjouesde

celuiquin’avaitjamaiscesséd’êtresonami,ilserralesmâchoiresetpleura.Jeposailedosdemamainrougedesangàmeslèvrespourlesempêcherdetrembler,etbaissailes

cils.Pourquoifallait-ilqueçase termineainsi?Pourquoi?Lorsquejeregardaidenouveauautourdemoi,toutn’étaitquedésolation.Lanatureempourpréecommençaittoutjusteàs’apaiser,progressivementlavéeparlestrombesd’eauquitombaientdepuisdelonguesminutesdéjà.MonattentionseportasurlalumièreéclatantequicouronnaitlecorpsdeMurdoch.Entourédesanièceetdesonbrasdroit,levieilHispone tarderaitpasà rendre l’âme.Bonnies’évertuaitàpresser laprofondeblessurequibarrait lapoitrinedesononcle,plusdéterminéequejamaisànepasleperdre,ethurlantpourqu’onluiamènedesbandages propres. Je soulevai alors mes jupes et déchirai un long morceau de lin de ma camisolemiraculeusement épargnée par le sang et la boue, puis jem’approchai doucement deBonnie et le luitendis.

Lesyeuxfroidscommelaglace,ellemelepritdesmainsetl’appliquasurlaplaiedeMurdoch.Sansunmot,jem’agenouillaiàcôtéd’elle.

—Ilm’enfautencore!hurla-t-elle.Plusieurs Hispos se précipitèrent pour lui remettre des bandes de cotons arrachées çà et là. Je la

voyaiss’acharneràtenterdesauverlaviesononclealorsqu’ilétaitdéjàtroptard.Lecœurserrédansunétau,jeglissailamainsursonavant-bras.Elles’immobilisaetmeregardadroitdanslesyeux.J’ylustoutel’impuissancedumonde.Elleessayaitdebraverlamort,maislamortnepouvaitêtrevaincue.

—Ilbrille…,murmurai-je.Ellefronçalessourcilssanscomprendre.—Bàs-taibhsear…,ditMurdochd’unevoixéteintetoutenposantlesyeuxsurmoi.—Il…ilvamourir?balbutiaBonnie.Tristement,jehochailatête.LeLoupSuprêmetoussasifortquesoncorpsseconvulsaetqu’unfiletdesangcouladesabouche.—Uncail!Ilsecalma,levalamainetlatenditverssaniècequilaserradoucemententrelessiennes,lesjoues

inondéesdelarmes.Puisilmeregardaencore.Intensément.—Ensemble…réunissez…les…deux…communautés.Jenepouvaisaffirmerquej’enseraiscapable,alorsjemecontentaidehocherlatête.

Soulagé,Murdochfermalentementlespaupières.Lalumièreavaitcessédebriller.

Chapitre26

Panserlesblessures,rassemblerlesmortsetbrûlerlescorps.Lacommunautélefitdansleslarmes,lescrisetleslamentations.Lespertesétaientlourdes,soixante-quinzepersonnesavaientpéri,dontseizeguerriers.Presqueun tiersde lapopulationdesEntrailles.Deshommes,des femmes,des enfants.Lesvampiresavaienttuésansdistinction,prislavieetbulesangjusqu’àneplusêtrecapablesd’enavalerunegoutte.

Pourquoi?Cruauté.Bestialité.Sauvagerie.Touts’étaitpassésivite.Uncourantd’air.Ungraindepoussièredanslafrisedutemps.LesStrigoii

avaient toutefoismarqué éternellement nos esprits, notremémoire et notre âme du sceau de l’horreur.Nousn’avionsétéquedesjouetsentreleursmains,desproiesfacilesàferrer,etsansl’interventiondeChristyetdesforgeronslupi,lacommunautétoutentièreauraitdisparu.

Toutecetteboucherie…Jefermailesyeuxetrevisaveceffroilascène.Lesang.Leschairsarrachées.Lesosbrisés.Leshurlements.L’agonie...Labilen’avaitpasquittémagorgedepuisquetoutétaitterminé.JeneparvenaismêmepasàmeréjouirdelamortdeShonaalorsquejel’avaistantdétestée.Contretouteattente, jecroisquesi j’avaispuluivenirenaide, jel’auraisfaitsansl’ombred’unehésitation.Jeluiaurais donné la possibilité de se défendre, de les affronter noblement. Mais les Strigoii étaient desmonstres.Queleurimportaitladignité?Prendredesviesétaittoutcequilesintéressait.

Yavait-ileuassezd’armesgarolles?Ohoui,mêmetrèslargementauboutducompte.Desépées,desdagues,desflèches…LesStrigoiiavaientétéprisparsurprise,ilsavaientgoûtéauferlupus,maiscetteartillerien’avaitpassuffiàsauvertoutlemonde,etdeuxdemesamisétaientmorts.Touslesmomentsque nous avions partagés remontèrent à la surface, etma poitrine se fit douleur.Oppressée.Tiraillée.J’avaismal.

Vingt vampires sur une centaine avaient survécu.C’était encore trop.Combien se terraient toujoursdanslesprofondeursdeleurchâteau?Quandreviendraient-ilsàlacharge?Nulnelesavait.Nimêmes’ilsleferaient.

Àboutde forces, jeme laissai tomber surmapaillasse.Accoudéeàmescuisses, je serraima têteentremesmains.Toutoublier.Dormir.Maisjeredoutaisdefermerlesyeux.Toutescesrafalesd’imagesqui m’assaillaient. Je me redressai, parcourue d’un frisson. Le sang. J’en sentais encore les effluvescommesij’étaisaucœurdumassacre.Ilmefaudraitdutemps.Beaucoupdetempspourmeremettredetoutescesatrocités.J’aurais…j’auraistoujourspeur.

—Hannah?

JelevailesyeuxpourcroiserleregardtumultueuxdeLeith.—Commentvatonpère?luidemandai-jed’unevoixquejenereconnuspastantelleétaitvoilée.—Bien.Christylesoigne.Ils’approchaetvints’asseoiràcôtédemoi.—Jesuisdésolépourtesamis.C’étaitégalementlestiens…—Ilssontmortsbravement.Ilsétaienttropjeunes.—Jeréalisecombienilscomptaientpourtoi,continua-t-ilavecdouceurtoutenmeprenantlamain

pourcaressermapaumedesonpouce.Pourtoiaussi,Leith…Maisàquoibonluidiretoutça?Illesavaitdéjà.Ilnesesouvenaitpasd’eux,certes,maisilavaitété

ébranléplusqu’ilnelemontrait.Johnluiavaitsauvélavie.—LaMeute…Ils’interrompit,commes’ils’étaitsurprislui-mêmeàemployercetermequeseulslesmembresoule

Cercleavaientl’habituded’utiliser.—LaMeuteetM.McLachlanvontpartird’unmomentàl’autre,reprit-il.—D’accord,murmurai-jeenbaissantlatête.—IlsvontrendrelescorpsdeDanetJohnàleurfamille.Unedouleuraiguëmetraversalapoitrineetj’étouffaiunsanglot.—Jesuisdésolé…,répéta-t-ilenmeprenantdanssesbraspourmeconsoler.J’aimaissachaleur.Sonodeur.Ellesmerassuraient.Jepleurailonguement,silencieusement.Etparmeslarmes,jefissortirtoutemarage,toutemacolère.

Toutelaviolencequimerongeait.Etserréecontresontorse,jelelaissaimecaresserlescheveuxavectendresse.Ilm’embrassasurlefront,plusieursfois,etmerepoussadoucement.

—Rejoignons-lesavantqu’ilss’enaillent,veux-tu?Jeremiah…Monpèreadéplacéson4x4surlesabordsdeLochHope.Illesaccompagnerajusqu’àKinlochetprofiteradeladiscrétiondelanuit.

J’avalaimasaliveetacquiesçai.Leithseleva,etmetenditlamain.Jerefermaimesdoigtsdanslessiens,etlesuivisjusqu’àl’Agoraoùtoutlemondeétaitréuni.AngesNoirsetgarous.Quandellemevit,Georgiaseréfugiadansmesbraspourpleurer,rendantlaséparationencoreplusdifficile.Notrevieneseraitpluspareilleaprèsça.LaMeuteneseraitplusjamaislamême.Julia,Dan,John…C’étaittrop.

Étiennes’avançaetmepressacontreluiàsontoursansdesserrerleslèvres.Lesmotsétaientdetoutefaçoninutiles.Iln’yavaitrienàdire.Lechagrinn’avaitbesoind’aucuneparolepours’exprimer.Anneasm’enlaça aussi et tous tournèrent les talons, la mort dans l’âme. Leith et Bonnie les accompagnèrentjusqu’àlavoiture, jem’enabstins.J’auraisétéincapabledevoir lescorpsdeDanetJohnenveloppésdansleurlinceulsanscraquer.

—Hannah?JelevailesyeuxsurTarja,lessiensbrillaientd’uneprofondetristesse.—Nousallonspartir,nousaussi,dit-elleendésignantlevieuxLupusavecquielleétaitvenue.Etinstinctivement,ellejetaunregardinquietàPitt.Ils’étaitmisenretrait,nonchalammentadosséàla

roche, les bras croisés sur son torse. Tout dans son attitude reflétait celle du prédateur. Il semblaitattendreledépartdeTarjaavecuneimpatienceàpeinedissimulée.

Monestomacsecomprima.QuandelleneseraitplussouslaprotectiondesEntrailles,ilseraitlibred’attaqueretd’assouvirsavengeance.Tarjalesavait.

—Quivousaccompagne?demandai-jesansavoirbesoindepréciserlefonddemapensée.—Deuxguerrierscrinos.Jenerisquerientantqu’ilsserontlà.—Etensuite,Tarja?Quandtuteretrouverasseule.Qu’as-tuprévudefaire?Sonregardsenouaaumienavecuneintensitéextraordinaire.—L’affronter.Jefermailespaupières.Çan’enfiniraitdoncjamais?—Oletkovalmis?luicrialeforgeron.Ellesoupiraprofondément.—Oui,j’aiterminé,vieuxbougon…Voin!Elleposaunbrassurmonépauleetpenchalatêtedecôté.—Tunem’astoujourspasracontécequit’estarrivécesdeuxdernièresannées.Acceptes-tuquenous

restionsencontact,cettefois?J’acquiesçai.—D’accord…Ellesourit.—Peuimportelescirconstances,jesuisheureusedet’avoirrevue,Hannah.—Mercid’êtrevenuenousaider.Lesgrandsyeuxnoirsbrillèrentunpeuplus.—Derien.Etellepartit.Puisjesentisqu’onm’observait.Grigore se trouvait à l’opposé de Pitt, à côté de Gwen et Darius qui, serrés l’un contre l’autre,

paraissaientsavourerlefaitd’êtreencoreenvie.Gwenl’avaitéchappébelle.LalamedeTraianavaitmanquésoncœurdepeu.

Grigorefitquelquespasdansmadirection.Alorsmonenviedepleurerfutinsurmontableet,incapabledemeretenir,jecourusversluipourmejeterdanssesbras.Ilmeserrasifortquej’auraispuétouffer,maispourrienaumondejeneluiauraisdemandédemelâcher.Jemelaissaiallercontreluietrespiraisonodeurferreused’AngeNoiràpleinspoumons,commesic’étaitladernièrefois.J’avaispeurquece

lesoit.J’avaispeurdecequecetteétreintesignifiait.—Tupars,toiaussi?l’interrogeai-jed’unevoixtremblotante.—Oui,gamine.Commemusd’uneviepropre,mesdoigtss’agrippèrentàsondosnu.Ilémitunpetitrireétouffé.—Faisattention,rouquine,sitonpoilunousvoit,jenefiniraipasl’année!Jem’écartaietrenversailatêteenarrièrepourcroisersonregardargenté.L’eausemblaitjouerdans

sesyeux.—Grigore,je…Unegrosselarmeroulasurmajoue,illaramassa,lagoûta,etfermauninstantlespaupières.—Net’inquiètepas,microbe,onsereverra.Moinssouvent,maisonsereverra.Jereniflaietpleuraideplusbelle.—Situpensesqueçasuffirapourmeconsoler.GrigoreseconcentrafurtivementsurPitt.Alorsjecompris.—Tuvaslesuivre?—Oui.—StAndrews,c’estfini?Ilsourit.—Aprèsplusdedeuxcentsansdebonsetloyauxservices,cettevilledevraapprendreàsepasserde

moi.LaFinlandenedoitpasêtresimal,aprèstout.Etquisait?Jecraqueraipeut-êtresurlafilledupèreNoël?

Jesecouailatête.—Tumemanqueras,Grigore.Terriblement.Ilglissadenouveausesbrasautourdemoipourmeserrercontresapoitrine, lementoncalésur le

sommetdemoncrâne.—Pasautantquetumemanqueras,gamine…Puisilmerepoussadoucement,s’inclinaetposatrèslégèrementseslèvressurlesmiennes.Jefermai

lespaupières,etquandils’écarta,jeleretinspourluirendresonbaiser.Ilcaressamajoueuneultimefois,mesouritavec lesyeux,etme lâchapour rejoindrePitt.Cederniermefitunclind’œilavantdepartir,etlevalamainderrièreluipourmesaluer.

Lecœurlourd,jelessuivisduregardjusqu’àcequ’ilsdisparaissentdanslesgaleries.Mêmetaille,mêmecarrure,mêmeorigine…Ensemble,lesdeuxfrèresvampiriquesferaientunautreboutdechemin,etde toutmoncœur, j’espéraisqueGrigoreparvienneàraisonnerPitt,quecelui-cifinissepar trouver lapaix.Maisj’endoutais,j’endoutaisvraiment.

—Hannah,toutvabien?medemandaGwenens’approchant.Jemetournaiverselleetacquiesçai.

—Oui.Vousvousenallez,vousaussi?Ellemefitsignequenon.—NouspartironslorsquevousdécidereztousdequitterlesEntrailles.QuitterlesEntrailles.Oh,oui.Jevoulaisrentrerchezmoi.Àlamaison.Làoùsetrouvaientmonpère,mamère,Elaine.Mafamille.Les revoir. Les sentir. Les toucher. Les serrer dans mes bras. La mort avait tenté cent fois de

m’arracheràeux,etcentfois,elleavaitéchoué.Maiscombiendechancesmerestait-ilencore?Combiendetempsavantdefairelegrandsaut?Mavolontéétaitdevivre.Vivrevraiment,melaisserporterparl’amourdesmiens.Partagerleurexistence.Pleinement.

LeithpénétradanslesEntraillesavecsonpère.Jecroisaisonregard.Madécisionétaitprise.JenerentreraispasàStAndrews.Jeneretourneraispasàlafac.Jerecommenceraistout.ÀWick.Aveclui.—Hannah?m’interpellaGwenenfronçantdessourcils.Ils’approchait.Ettoi?M’aimes-tu?Ilmesourit.Est-cequetum’aimes?—Hannah!insistaGwen.Tuessûrequeçava?JenequittaispasLeithdesyeux.Ilsepostadevantmoi.—M’aimes-tu?luidemandai-jesansmêmemerendrecomptequejeparlaisàvoixhaute.Sonsouriresefigeaetsespupilless’étrécirent.—M’aimes-tu?répétai-jealors,sciemment.Lesirisdejadebrillèrentd’unéclatdoré.—Jenepeuxpasrépondreàça,murmura-t-il.—Pourquoi?Gwensemblaitcommepétrifiée.Mon cœur battait à tout rompre. Je cessai de respirer. Puis un épais silence se forma entre nous.

J’attendis.Nousétionsseulsaumonde.—Parcequejenesaispas.Iln’avaitpasditnon.Iln’avaitpasditouinonplus.Maisendépitdubonsens,meslèvress’étirèrent.

Bientôt,ceseraitoui.

—Moi,jesais,soufflai-je.Ilhaussalessourcils,interrogateur.—Tusais?—JevaisresteràWick.Leithplissalefrontenpenchantlatêtedecôté.—D’accord…Iln’ycomprenaitriendutout.Puisilregardaautourdelui,déconcerté,etrevintàmesyeux.Ilouvrit

labouchepourdirequelquechose,lareferma,puisfinalement…—Jetiensàtoi,Hannah.Énormément.Mêmeplusqueça.JeresteàWickmoiaussi.Pourmoi?—Pournous,ajouta-t-ilcommes’ilavaitperçulefonddemespensées.Jedoisteconnaîtremieux.Je

leveux.Tuvastomberamoureux.Cettecertitudemeparutsidouce,siévidente,quejesourisdeplusbelle.PuisGwenseraclalagorge.—Ehbien…C’estmeilleurqu’unbonfilm!Jem’installeraisbienunpeuplusconfortablementpour

regarderlasuite,maisjecroisqu’onvousappelle.D’ungestedumenton,elledésignalefonddel’Agora.Nousnousretournâmes,Bonnienousattendait,

sedressantdansunebellerobebleuroi.Nouslarejoignîmes.Ellemefixaitdansleblancdesyeux,unelueurétrangementdéterminéebrillantdanslessiens.

—Vas-tutenirtapromesse?Immédiatement,lesmotsdeMurdochmerevinrentàl’esprit.«Réunissezlesdeuxcommunautés.»J’étaisintérieurementflattéequ’ellem’encroiecapable,maisjedoutaissincèrementdel’être.—Bonnie…Ellem’interrompitenlevantlamain.—TudoisrévélerauConseilquetuesunebàs-taibhsear.Acceptes-tudemesuivre,Hannah?Jesentispresquemespupillessedilater.C’étaitplusunordrequ’unequestion,maiscommeilvenait

deBonnie,jenerefusaipasethochailatête.Nous traversâmes l’immense place et gagnâmes les galeries du sous-sol par lesquelles nous

rejoignîmes la salle du trône. Le large siège en pierre était vide, et la vision deMurdoch l’occupantquelques heures plus tôt me pinça le cœur. Je détournai les yeux et me concentrai sur l’assemblée.Installés en rang d’oignons au fond de la pièce, Rory, ainsi que les Anciens, vêtus de longues capesrougesàcapuche,nousattendaient.Nousnousprésentâmesdevanteuxsilencieusement,etattendîmesquequelqu’unprennelaparole.

—BonnieCrenshaw, commença cérémonieusement le plusmaigre des quatremembres duConseil,

conformémentànosloisetauxvœuxdeMurdoch,tononcle,tuesàprésentlenouveauMor-fear-faol.Enportant lesanneauxduPouvoirSuprême, tuasaccepté la tâchequi t’aétéconfiée.Ence jour funeste,noussouhaitionstoustedi…

Bonnielevalamainpourlesfairetaire.Uninstant,lediacreperditsesmoyens,regardasesconfrèrespours’assurerqu’iln’avaitpasditunebêtise,etreposalesyeuxsurBonnie.

—Diacres,malgrélaprofondeestimequej’aipourchacund’entrevous,etl’amourquejeportaisàmononcle,jenepeuxacceptercethonneur.

L’espace de quelques secondes, je perçus comme un soulagement sur le visage desAnciens. Il nefaisaitaucundoutequ’ilsn’auraientjamaischoisiBonniesileprotocoleavaitétérespecté.

—J’aicependantdeuxrequêtes,ajouta-t-elleavecsolennité,et jenevousremettrai lesanneauxduPouvoirSuprêmequesivousyaccédez.

—Soislibredet’exprimer,l’invitaàcontinuerleplusvieuxdesquatre,intrigué.BonnieacquiesçaetplantasesyeuxdansceuxdeRoryqui,immobile,n’avaitpasencoreproféréun

mot.—Je souhaitequeRoryprennemaplace.Sa sagesse, sondévouementpour la communauté, et son

désintérêtpersonnelferontdeluiunbonchef.RoryneparutpassurprisparlechoixdeBonnie,maissonregardbrillad’unesincèreémotion.—Merci,souffla-t-ilenbaissantlatêteavecrespect.Lesdiacress’observèrentet,d’uncommunaccord,hochèrentlementon.Ilsyavaientdéjàsongé.La

rapiditéaveclaquelleilssedécidèrentleprouva,etBonniesemblarassurée.—Nousagréonscettedemande,annonçaleConseil.Jesupposequetunesouhaitespasl’affronter?LeslèvresdeBonnies’étirèrentencoin.—Voussupposezbien.—Quesollicites-tud’autre?s’enquitleplusvieux.BonniesetournaversmoietfinitparseconcentrersurRory.—Jeneteremettrailesanneauxquesil’ultimevœudemononcleestrespecté.Médusés,lesmembresduConseilseconsultèrentbrièvementd’unregard.Ilsn’avaientaucuneidéede

ceàquoifaisaitallusionBonnie.MaisRorysavait.IlétaitlàlorsqueMurdochavaitrendusonderniersouffle, quand j’avais silencieusement avoué être capable de voir la mort de mes semblables. Ilconnaissait la prophétie, comme n’importe quel habitant des Entrailles. Alors il me considéra avecintensité,redressalanuqueetfitunpasversmoi.Là,ilmepritlesmainsetnouasonregardaumien.

—Bàs-taibhsear,descendantedeFillanSutherland.Inquiète,jejetaiunœilauxdiacresquiouvraientdegrandsyeux.Roryportamesdoigts à ses lèvres, et les embrassaunparun.Décontenancée, je reculai d’unpas.

Bonniemeretintparl’épaule.Finalement,ilmelâchaets’agenouilladevantBonnie.—Mor-fear-faol, déclara-t-il d’une voix altérée, si tu fais de moi le nouveau Loup Suprême, je

prometssolennellementderéunirlesdeuxcommunautés.Unebrèveagitationparcourut lesdiacres.Lespréceptesancestrauxenseraiententièrementchangés,

balayés,anéantisauprofitd’unevolontéfarouched’unirlepeupledesloupsautourd’unemêmepensée,d’unemêmevoix.CellesdeFillanSutherland.

L’appuidesAnciensétaitessentielàRory.S’ilnel’avaitpas,ilseraitobligédedissoudreleConseil,et semettrait probablement à dos la cité tout entière, c’est pourquoi son souffle semblait suspendu enattendantleurdécision.Iln’avaitpourtantpasbougéd’unmillimètre.

Leplusvieuxdesmembrespritletempsdelissersalonguebarbeblancheavantderépondreaunomdetouslesautres.

—Mor-fear-faol…Murdochcaressaitlerêved’unirlepeuplegarou.Denombreusesfois,aucoursde samission, ilnousaparléde sesambitionsde réunification, etplus tard,de ses regretsdenepasavoirsulefaire.Ilainstaurélapaixparminosdeuxcommunautés.Ilaapportéànotrepeupleunsoufflenouveau, refermé les blessures de la dernière répression pour qu’aucun d’entre nous ne souhaitereplonger dans cette sombre époque, c’est pourquoi il nous a enseigné à tous l’indulgence et lacompassion.Nousavonsfaitdenotremieuxpourgrandirdanscesenstoutenhonorantlamémoiredenosancêtres.Nousavonsconnudenombreusespériodesdetrouble,auseinmêmedelacité.Nouslesavonstoutessurmontéesavecdétermination.

Avecune lenteurétudiée, il se tournaversmoipourmeparcourird’unregardattentif,puis revintàBonnie.

—Lesbàs-taibhsearan{13} sont rares.Les loupsn’enontpascroiséunseulenseptcentsans,c’estpourquoinousnesaurionsremettreendoutevotrerôle.IlsembleraitqueledestindesEntraillesétaittouttracé.Rienn’arrivejamaisparhasard.Aucunévénement,aucunerencontre.QuelasagessedontnousagratifiésMurdochsoitlouée,etquel’Espritnousguideverslalumière.Ilenserafaitselonsavolonté.Nousnousbattronspourquelesdeuxcommunautéssoientenfinréunies.

Sansdireunmot,Bonnieretiralescinqanneauxbientropgrandspourelle,engardaundanslecreuxdesapaume,etdistribualesautresàchacundesdiacres.Unlongmoment,ilslescontemplèrentcommes’il s’était agidepierresprécieuses,puis ils levèrent lesyeuxversBonnie.Celle-ciouvrit lesmains,observaladernièrebagueensouriant,etlatenditàRory.

Il l’accepta, ferma les paupières, et la glissa autour de son pouce, le visage empreint d’unereconnaissanceéternelle.Tour à tour, lesdiacresvinrent lui remettre l’anneauduPouvoirSuprêmeenleurpossessionet lepassèrentàchacundesesdoigts,avantdedéposer le frontsur ledosdesamaincommel’exigeaitlerituelancestral.Quandilfutentièrementparé,RoryfitfaceàBonnie,baissalatêteensignederespectetl’observaavecunelueurprochedeladévotion.

—Jeteprometsdetoujoursêtredignedelaconfiancequetum’asofferte,BonnieCrenshaw,filledeDonnanCrenshaw,etdeAileenKincaid.

LesyeuxvertsdeBonniebrillèrentintensément.

—Jecroisentoi.—Tumefaisunimmensehonneur.Resteras-tuavecnous,EnfantdelaTerredesloups?Bonnieeutunsourireàlafoismélancoliqueetreconnaissant.—C’esticiquej’aiperdumonmari,etc’estdanscecielquesonâmes’estenvolée.Oui,Mor-fear-

faol,sivousvoulezbiendemoi,jeresterai.—Tuesunegrandedame,Bonnie,taprésencedanscettecitéestunebénédiction.Soislabienvenue

cheztoi.

***

—C’estàtoi.C’estcequenousavionstoujoursdécidéavectononcle,affirmaBonnieàLeith,tandisqu’elleserrait fermementsesmainsdans lessiennes.Leschevaux, le terrain, lamaisonetcequiestàl’intérieur.Toutestàtoi.

Totalementdésemparé,Leithnesutquoidire.Bonniesedressasurlapointedespieds,etl’embrassasurlajoue.—Prends le temps de tout découvrir,mon garçon.Tu ne t’en souviens pas,mais lesOrcades sont

belles, sauvages et chaleureuses pour qui les respecte.Elles t’accueilleront les bras ouverts.Toi et…Hannah.

Ellemeglissaunregardentendu.LeithhaussalessourcilsetmeparcourutdesyeuxavantregarderunenouvellefoisBonnie.—Bon,ehbien…merci.SatantesouritetsetournaversJeremiah.—M’ouvriras-tutaportelorsquel’appeldelacivilisationmechatouillera?Jeremiahopina.— Ma maison est ta maison, Bonnie Sutherland. N’importe quand, aussi longtemps que tu le

souhaiteras,tuserastoujourslabienvenue.— Vous allez beaucoup me manquer, dit-elle en observant les sacs contenant les effets que nous

tenionsabsolumentàramener.Nousétionsprêtsàpartir.Bonnieouvritlesbras,s’approchadesonbeau-frèreetleserracontreelle.Endépit des sourires surnos lèvres, notredépart se conjuguait avec la tristesseprofondequinous

rongeait.Quitter laTerre des loups, laisserBonnie et les amis que nous avions perdus derrière nous,c’était comme tirer un trait sur l’un des épisodes les plus importants de notre existence. Pourtant, lesouvenir de ce que nous avions vécu ici ces quinze derniers jours nous poursuivrait éternellement. Il

seraitgravédansnotremémoireenlettresdefeu.Lesangavaitcoulédanslamontagne,nulnepourraitl’oublier.

LesEntraillesdelaTerreavaientchangénotrevieàjamais.

Chapitre27

J’aimaisresterdelonguesminutesdevantlacheminéeàregarderlesflammesetleboiscrépiterdansl’âtre.Lefoyerm’enveloppaitdesadoucechaleur,etl’odeurquedégageaientlespommesdepinenseconsumant avait presque des vertus apaisantes. C’était bon d’être ici, de retour à la maison. Cettedemeure qui m’avait vue grandir durant ces mois d’été où nous y passions des vacances en famillem’apportaitpaixet réconfort.Dieuque j’enavaisbesoinàcet instant !LesfunéraillesdeDanetJohnavaientété,etdetrèsloin,cequej’avaisvécudepluséprouvant,émotionnellement,cestroisdernièressemaines.LesquatrecentskilomètresquiséparaientStAndrewsdeWick,etquenousavionsparcourusle matin même, n’avaient pas suffi à apaiser le chagrin et l’immense sentiment d’injustice que jeressentais. La famille deDaniel était anéantie, brisée. Ils venaient d’enterrer leur deuxième enfant, etrien, jamais, ne pourrait guérir leur cœurmeurtri. Quant àDageus Slater, il avait donné l’impressiond’êtremort,luiaussi.C’étaitsonfilsuniquequ’ilavaitmisenterre,celuipourquiilavaitprisdegrosrisques, par amour et par fierté.DageusSlater avait joué, et il avait perdu.Toutefois, s’ilméritait desouffrirpourcequ’ilavaitfaitàLeith,cettepunition,aucunpère,aucunemère,nedevraitjamaisavoiràlasubir.J’étaistriste,profondémenttristepourcesfamilles.

Jeremontaileplaidsurmesépaulesetfermailespaupières.Mesparentsétaientloindesedouterdesderniersévénementsquiavaientbouleversénosexistencesàtous.Etilsn’ensauraientjamaisrien.Poureux,Dan et John étaientmorts dans un accident de voiture, et Leith n’avait jamais perdu lamémoire.J’avaisévitétantdequestionsjusque-là.Laraisondemaprésenceicienpleinsemestreuniversitaire,mamaigreur ou les cernes profonds sousmes yeux quemême le garou que j’étais n’aurait su dissimuler.Paradoxalement,sij’éprouvaisunbesoinpresquedouloureuxd’êtreàleurscôtés,demeressourcerdansleuramouretleuraffection,jeredoutaislamoindredenosconversations.Ilsétaientinquiets.J’enavaisconscienceetjemetrouvaisdansuneornière.Jen’avaisrienàraconterpourlessoulager.

Unlégertoussotementattiramonattention.J’ouvrislesyeuxetmelaissaiemporterparladouceodeurrassurantedemamère.

—Chérie?Jemetournaietlaregardais’approcheravecunmugfumant.Ilsentaitlechocolatchaud.J’adoraisça.

Elles’installaavecmoisurletapisetmetenditlatasse.—Toutvabien,Hannah?Jehochaiimperceptiblementlementon.—Commentétait-ce?J’avalaiunpeudecesiagréablebreuvage.Ilparvintàpeineàadoucirl’amertumequirésidaitaufond

demagorgedepuisquenousétionsrevenusduSutherland,troisjoursplustôt.Jesoufflaisurlavapeurquis’enéchappait,etsoupirai.

—Triste.Ellesecoualatêteetportalesdoigtsàmajoue.—Maquestionétaitstupide.Biensûrqu’unenterrementesttriste.Ilsétaientsijeunes…Jenesaispas

commentjeferaissijeteperdais.Je levai lesyeux,mamèreétaitprised’uneviveémotion. Il était inévitablequ’unévénementaussi

tragiquelarenvoieàsapropresituation.Moncœurseserradavantage.Laréalitéauraitpunepasêtresidifférente.Jeneluidiraisjamais.Jamais.Jeposaimatasseparterreetcalaimajouesursonépaule.

—Jesuislà.Etjevaisbien.Elleenroulaunbrasautourdemoi,etmeserracontreelle.—Tuesaffectée,jelevoisbien.Elleneprononçaplusunmotetmecajoladoucement.J’avaisaffrontétantdemonstres, luttécontretantdecraintes.Qu’ilétaitbondes’abandonnerainsi.

Commej’aimaisêtrelà.Avecelle.—Ehbien,envoilàuncharmanttableau,ditmonpèreenarrivantderrièrenous.Elaineétaitaccrochéeàsonbras.Sesyeuxétaientfixes,morts,etpourtantsiflamboyantsdevie.Le

bleudesesirisbrillaittelleunemagnifiqueaigue-marine.Ellebattitsescilsépaisetblancs,etselaissaguider vers son fauteuil préféré, devant la cheminée. Naturellement, maman se détacha de moi. Ellesouriait.Ellemeconnaissaitparcœur.Jereculaisurlesfessesetallaimecalercontrelesjambesdemagrand-mèrequisemitaussitôtàmecaresserlescheveux.

—Ilsonttellementpoussé…,fit-elleremarquer.Lorsquej’étaisplusjeuneetquejelesavaislongsmoiaussi,tongrand-pèrem’appelaitlasauvageonne.Matignasseétaitindomptable.

Monpères’installaen faced’Elaine. Ilposasachevilledroitesursongenougauche,etdépliasonjournal.

—JeneretournepasàStAndrews,annonçai-jedebutenblanc.Lamaind’Elaines’immobilisasurmatête,etpendantquelquessecondes,iln’yeutpasunbruit,pas

mêmelepluspetitfroissementdepapier.Puismonpèremeregardapar-dessuslespagesdelagazettequ’iln’avaitpascommencéàlireet,contretouteattente,neproférapasunmot.

—J’aibesoind’unelonguepause.D’êtreavecvous,ajoutai-je.Mamèrem’observaavecuneattentiontoutematernelle.— Ne te sens pas obligée de nous en parler si tu ne veux pas, Hannah, mais… cela a-t-il un

quelconquerapportavecLeith?Oh,lerapportesttoutsaufquelconque,maman.—NousavonsdécidéderesteràWickquelquetemps.Poursouffler.Ellefronçalessourcils.

—Jenecomprendspas…Vousvousêtesdisputés?Non,nousnousredécouvrons.Jesecouailatêteetsouris.Ellemeconsidérasansriendire,nesachantpastropcommentinterprétermonsilence.—Mepermettez-vousderesterici?m’enquis-je.—Hannah!s’exclamamagrand-mère.Tuescheztoiici,tun’asnulbesoindepermission,mapetite-

fille!—Qu’ensera-t-ildetoninscription?demandamonpère,toujoursaussipragmatique.—C’estunepause,papa.Jesuisentroisièmeannée,çanemeporterapaspréjudice.—Maisçacoûteracher,dit-ilunpeusèchement.Iln’avaitpastort.Seullederniertrimestreseraitsuspendusij’enfaisaislarequêtesuffisammenttôt,

l’actuelétaitperdu.Jehochailatêteenbaissantlesyeux.—Jesais…— Paul…, plaida ma mère avec douceur. Nous avons fait la même chose, souviens-toi. Et nous

n’avionsaucuneraisonvalableàdonnersicen’estquenousdésirionsplusdetempspournous.Pourêtretouslesdeux.

Papamarmonnaquelquechosedanssabarbe,etsecachaderrièresonjournal.—Etsimamémoireestbonne,personnenet’amisdebâtonsdanslesroues,luirappelamagrand-

mèred’untonégal.Cequim’arrachaunpetitrictusd’amusement.Je soupirai et pris appui sur mes mains pour me lever. J’avançai jusqu’à mon père, m’assis sur

l’accoudoirdufauteuildanslequelilétaitinstalléetpassaiunbrasautourdesoncou.—Est-cesidifficiled’êtredenouveauenvahipartafillechérie?Ilposalesyeuxsurmoietsoufflafortavecsonnez.—Hum…,jesuisunsuperhérosoupas?Çadevraitêtredansmescordes.Jesouris.—Jesuiscontentequetucomprennes,papa.Ilfitlamoue.—Oh,détrompe-toi.Çafaitbienlongtempsquej’aiarrêtéd’essayerdecomprendrelesfemmes!Ilfitunecourtepauseetnouasonregardaumien.—Jusqu’àlarentréeprochaine,Hannah.Ensuite.Tureprendraslescours.Autoritépaternellequandtunoustiens!Sibienque jen’osaipas lecontredire.Maisenhuitmois, ilpouvait sepasser tellementdechoses

danslavied’unloup-garou.Jefisclaquerunbaisersursajoue,posaimatêtesursonépauleetsoupiraidebien-être.Mafamillem’avaittellementmanqué.

Sissivintmecherchersurlescoupsdedix-huitheurespourallerchezlesSutherland.Jeremiahnousavait invitées à dîner. J’étais moralement épuisée, et même si je crevais d’envie d’être avec Leith,j’auraispresquepréféréresteraufonddemonlit.MaisSissipartaitpourÉdimbourglelendemain,ellereprenaitl’avionpourl’Australiecinqjoursplustard.

Je montai dans la Mini – celle que je lui avais prêtée après qu’elle eut accepté d’accompagnerPierricketHermancechezlamèredeGwen,troissemainesplustôt–etbouclaimaceinture.

—Toujourspaslagrandeforme,hein?s’enquit-elleenattachantlasienne.—Çavapasser.Elleallumalecontactpourmettrelechauffageàfondetsetournaversmoi.—Jevoudraispouvoirfairequelquechose.Jesourispéniblement.—Iln’ya rienà faire,Sissi.Quand je tedisqueçavapasser,c’estvraiment lecas.Jevaisbien.

Physiquementbien.Maismatêteestenvahiedesouvenirsquejepréféreraisoublier.Jedorspeu.Jefaisdescauchemarschaquenuit.Touscesmorts…Jeperçoisencorel’odeurdusangautourdemoi.

—Oh,Hannah…—Pardonne-moi.J’aieuunejournéedifficile.Doucement,elleposasamainsurlamienne.—Hé…j’ail’impressionquec’esttoutetaviequiaétédifficilecesdeuxdernièresannéesetdemie.

Àprésent,tuvaspouvoirgoûteràunpeuderepos.Siseulementc’étaitunecertitude.J’étaisloind’avoirlafoi,alors,jenerépondisrien.—Leith et toi… Je suis heureuse que tu l’aies retrouvé, tu sais.Même si…même s’il n’est plus

vraimentlui-même.Enfin…est-ilsidifférentduLeithquetuasconnu?Jesoupiraiprofondémentetfixaiunpointdevantmoi.— En le revoyant, c’est ce que j’ai cru.Mais son cœur est le même. Il a… il a juste besoin de

s’habitueràmoi.—Illefera,mepromit-elle.Jevoisbienlamanièredontilteregarde.Jehaussaiunsourcil,intriguée.—Etcommentmeregarde-t-il?Elleenclenchalamarchearrièreetcommençaàmanœuvrerpoursortirdelacour.—Commesituétaislepetitchaperonrouge,chérie!Jesourisetmeconcentraisurlaroute.—Commenttesens-tuvis-à-visdePitt?demandai-jealors.Sissicrispasensiblementlesdoigtsautourduvolant.—Utilisée.Jeplissai lespaupières.Jenepouvaismêmepasprotesterpour lacontredire,c’étaitexactementce

qu’avait fait Pitt. Il s’était servi d’elle pour m’atteindre. Son plan n’avait pas abouti au final, il

n’empêchequeSissiseretrouvaitaussiseulequ’unechaussettetrouée.—IlestvenumevoirlorsquevousétiezdanslesEntrailles.Surprise,jetournailatêtepourladévisager.—Quandça?Ellemitsonclignotantets’engageasurThursoRoad.—Ilyaenvirondeuxsemaines.—Quetevoulait-il?Lemuscledesajouegauchesautanerveusement.—S’excuser.Parcequ’ilm’adonnél’illusiond’êtreamoureuxetquecen’étaitpasvrai.—Jesuisdésolée,murmurai-jeavecsincérité.Ellemedécochaunfaiblesourire.—Nelesoispas.Jenel’étaispasnonplus.Jemepenchaietscrutaisonregard.Elledisaitlavérité.—Maisilm’afaitlittéralementcraquer.Tuvois,c’estlegenredemecqui…qui...Elletoussota,gênée.—Quitelaisseunexcellentsouvenirdumode…horizontal?suggérai-je.—Etlatéral!Nouséclatâmesderire.—TurestescombiendetempsenAustralie?Ellemeréponditparunsourireradieux.—Jusqu’àcequej’aierencontrélesurfeurdemesrêves!NousarrivâmesdixminutesplustarddanslaruedesSutherland.Sissisegarajusteenfacedechez

Gwen,etnoussortîmesdelavoiture.Uneodeurmarquéed’AngesNoirsmeparvintpresqueaussitôt.JetournailatêtepourregarderderrièremoietvislessilhouettesdePierricketHermancesedessineràunetrentainedemètressurletrottoir.

—Oh!Meschoubidous!s’exclamaSissi.—Sissi!Hannah!s’écrièrent-ilslorsqu’ilsnousaperçurent.Nousavançâmesdansleurdirection.—D’oùvenez-vouscommeça?demandaSissid’unairfaussementautoritaire.—Ons’estbaladéssurlajetée!réponditHermance,levisagelumineux.—Et on a acheté plein de chocolat ! ajouta Pierrick enmontrant ses poches remplies de papiers

d’emballage.Je souris. Pierrick etHermance devaient être les deux seulsAngesNoirs aumonde à apprécier la

nourriturehumaine,particulièrementsoussonaspectsucré.—VousalliezchezGwen?demandaPierrick.Sissisecoualatête.

—Non,nousavonsétéinvitéesparM.Suther…Un crissement de pneus épouvantable l’interrompit et nous fit tous sursauter. Stupéfaits, nous nous

tournâmespourobserverlefourgongrismétalliséimmobiliséjusteàcôtédenous,tousfeuxéteints.Nousnousfigeâmes,décontenancés.Ilnesemblaitpasvouloirbouger.Puissoudain,laportelatérales’ouvrit.Je ne compris ce qui était en train de se passer que lorsque cinq vampires strigoii en sortirent, plusrapidesetsilencieuxqu’uneombre.Ilssedématérialisèrent,unefois,deuxfois,ets’abattirentsurnous.En l’espace d’un instant, nous nous retrouvâmes tous éjectés dans le véhicule avantmême d’avoir puréagiroucrier.Presquesimultanément,tandisquejem’écrasaiscontrelatôle,unedouleurmetransperçalecreuxdel’épaule.Ilmefallutmoinsdedixsecondespourmerendrecomptequ’onvenaitdem’injecterunanesthésiant.Lesmusclessubitementengourdis,j’avaisdumalàgarderlesyeuxouvertsettoutcequejevoyaisétaitsitroublequ’ilm’étaitimpossibled’identifierlamoindreforme.

—Qu’est-cequejefaitavecl’Humaineetlegarou?demandaunhommeenanglais.—Onlesemmène!Illesprendrasûrement.Àcesmots,Sissiémitungémissementétouffé.—Alors,assommelablondequ’elleselaferme!Ilyeutunbruitmatsuivid’uncourtsilence.—Tuescertainqueçavafaireeffetsurlesgosses?Lavoixmeparvenaitcommeauralenti,étirée,grave.—Tuveuxessayertoi-mêmepourvérifier?Faisvoirtesfesses!Deséclatsderire.Unbourdonnementincompréhensif.Puisplusrien.

Jerevinsàmoiplusieursfoisavantdereprendretotalementconscience.Jenepouvaistoujourspasbouger.BonDieu,onm’avaitadministréunedosedecheval.J’étaismême

incapable d’ouvrir les paupières. Mais mon nez, lui, fonctionnait très bien. Je perçus l’odeur del’humidité,ducalcaireetdusel.Nousétionsprobablementdansunegrottetoutprèsdelacôte,cequefinitparmeconfirmerlebruitdesvaguesàproximité.Depuiscombiendetempsétions-nousici?Etoùétions-nousexactement?

Jeme concentrai et captai des relents de terre, de fer, demort : les Strigoii. Il y avait aussi deseffluvesdemétal,dechocolat–PierricketHermance–,d’épicesetdelait–Sissi.Puis jemecrispailorsquejesentisladernière,celleàlaquellejem’attendaislemoins.

Lesfleurs,lesucre.CelledeChristy.—Lâchez-moiimmédiatement,bandedelémurespuants!juracettedernière.

Unriregrasserépercutatoutautourdenous,aussitôtavaléparunrugissementpuissant.Toutemapeauseparsemadechairdepoule.IlyavaitunCrinosici.Peut-êtredeux.Jemedébattismentalementpouressayerdereprendrelecontrôledemoncorps,maisjen’yparvinspas.Couchéeenchiendefusilsurlesolduretfroid,j’étaisaussiflasquequ’unballondégonflé,inapteàfairelemoindregeste.Bonsang,ilsnousavaientassommésdesédatifs!

Sissi émitunpetit gémissementderrièremoi. Jepriai pourqu’ellene se réveillepasmaintenant etn’attirepasl’attentionsurelle.Maisplusunbruitnefranchitseslèvres,etsonsouffleredevintrégulier.

—Avance!grondaunevoixmasculine.Auxpasdésordonnésquis’ensuivirent,jecomprisqueChristyavaittrébuché.—Jeneferaipascequevousmedemandez,vousentendez?Jamais!—Jeteprometsquesi,bana-bhuidseach.Ilsaurateconvaincredeluiobéir.Assieds-toi!Christyparutobtempérer.Elle était si apeurée que je crus percevoir les battements précipités de son cœur. Et du pied, elle

frappaitnerveusementlacadence.Jerassemblailepeudeforcesqu’ilmerestait,etréussisàentrouvrirlespaupières.Lacavitéétaitsombre,àpeineéclairéeparunegrosselampeélectriqueposéeparterre,etjusteenfacedemoisetrouvaitChristy.Assisesuruneroche,lesmainsligotéesdevantelle,ellefixaitavecunmélanged’effroietdetristesseunpointàmagauche.J’eusbeaufairetousleseffortspossiblespour tourner la tête, je n’y parvins pas,mais j’étais sûre qu’elle regardait versPierrick etHermance.Alors,leregardindigodeChristyseposasurmoi.Ellemedévisageaplusieurssecondes,puisdétournalesyeuxpournepasattirerl’attentionlorsquedespasretentirent.Despaslourdstraînantaveceuxuneodeurdebête.Affolée,lasorcières’acculadavantagecontrelaparoiettrembladetoussesmembres.Or,cen’étaitpaslemuscdesCrinosarrivantdroitsurnousquilatétanisait,maisunparfumplusâcre,plusincisif,plusdangereux.

Traian.Tous mes muscles se bandèrent alors même qu’il me semblait ne plus pouvoir les contrôler. Ils

s’étirèrentsivitequedescrampesmetranspercèrentdedouleur.Jemebattiscommeunedémentepourgarderleslèvrespincéesetnepasgémir,etencorepluspournepascrierquandunéclairdeluciditémetraversal’espritetquejecomprispourquoinousétionstousici.LevisageémaciéduGrandStrigoïetsesyeuxrougesangirradiaientd’avidité.Jefermailesmiensetserrailesdents.

— Regardez-moi ça ! s’écria Traian. Quelle assemblée extraordinaire ! Je me réjouis d’êtrel’instigateurd’unetelleréunion.

Ils’avançaetmebousculad’unlégercoupdepied.—Mais…aujuste,pourquoiunLupusetunehumaine?demanda-t-ilàsesacolytes.—Ellesétaientavec lesgosses, reçut-ilcommeréponse.Ons’estditqu’ellesvousseraientpt’être

utiles.—Etvousavezeuparfaitementraison,lesfélicita-t-ilentapantdesmainscommeunenfantàquion

aurait promis le cadeaudeNoëldu siècle.Elles servirontdenourriture àmesguerriers lorsquenotresorcièrelesaura…commentdites-vous?Façonnés?

Des grognements gutturaux s’élevèrent derrière lui. Des grognements et des bruits de chaînes. LesCrinos,provoquésaupointdes’êtretransformés,étaientprobablementmaintenuspardesentraveslupi.J’eusl’impressionquemonsangsefigeaitdansmesveinesaufuretàmesurequejeréalisaispourquoiiln’avait pas tuéChristy lorsqu’il s’était trouvé en face d’elle dans les Entrailles. Pour l’utiliser. Pourqu’elleluirendecequ’ilavaitperdu.Parl’Esprit!Unesueurglacialeparcourutmacolonnevertébrale,etjefrissonnai.

—Jeneferairiendutout!glapitvaillammentChristy.Levampirelaissafilerunrireaigu.—J’aibienpeurquevousn’ayezpastroplechoix,machère.Regardez,nousavonstoutprévu.Deux

jeunesAngesNoirs,deuxbeauxCrinos.Allons,allons,mettezunpeudebonnevolontéetmontrez-moivosfabuleuxtalents.

—Jamais!Traianclaqualalangued’agacement.—Entrenous,vousm’avezplutôtl’aird’unepersonneintelligente,bana-bhuidseach.C’estpourquoi

jepensequ’aprèsvousavoirexposétouslestenantsetaboutissantsdecetteaffaire,vousnemerefuserezpascettepetitefaveur.Voyons,jevaistâcherd’êtreclair.

Illaissafilerquelquessecondescommes’ilréfléchissaitàlameilleurefaçondeluiexpliquer.—Transformez-les, et vous aurez la vie sauve. Entêtez-vous, et je vous torturerai si lentement, si

longuement,quemêmemourirdépecéeparmescamaradesvoussembleraplusdouxquemesdoigtssurvotrecorpsfrêle.

J’ouvrisgrandlespaupières.Ilmetournaitledos,faisantfaceàChristy.Illevalamaindroiteetfitapparaître une longue griffe au bout de son index. Il la glissa sur le visage de Christy et lui entaillaprofondémentlapeau.Lasorcièreeutungestederecul,maiscrispalesmâchoirespournepascrier.

—Bravesorcière,s’amusaTraian.Sicourageuse.Sifière.Ilsepenchasurelle,etaubruitdelapementquiretentit,jecomprisqu’ilvenaitdeluilécherlajoue.—Hum…,sidoux.Ilsedécalaunpeu,etjevisqueChristyfermaitlesyeux.Puisilfouilladanssapocheetensortitdeux

étuis en papier contenant chacun une seringue. Il les tendit à l’un des cinq vampires se tenant dans lacavité,eteutungesteindolentdelamain.

—Prélevezunpeudesangsurchacund’eux,ordonna-t-il.Ilsemitdeprofildetellemanièreàembrassertoutelagrotte,puisilposadenouveausonregardsur

Christy.—Nousallonstenterunenouvelleexpérience,machère,sivousvoulezbien.Mélangerl’hémoglobine

decesdeuxenfantsexceptionnels,etvoirqueleffetcelaproduitsurmescréatures.

Christysecoualatête,écœurée.—Vousêtesfou!Traiansecomposaunairprofondémentblessé.—Fou ?Comme je suis triste quevous ne compreniez pasmongénie.Lavigueur, la vitalité et la

jeunesse de ces deux Anges Noirs dans le corps d’un Crinos en pleine force de l’âge. Imaginez lapuissancedelacréaturequienrésultera?

Puistoutàcoup,illevalesmainsdevantlui.—Non.N’imaginezpas,bana-bhuidseach.Exécutez-vous.Maintenant!gronda-t-il.Christyleregardadroitdanslesyeux,plusdéterminéequejamais.—Jerefusedevousservir,Traian.LeGrandStrigoïarquaunsourcild’amusement.—Vousêtessiprévisible…Vousn’êtesguèredifférented’unHumain,finalement.C’estpourquoiil

meseratrèsfaciledevousconvaincre.Puis subitement,alorsqu’il semblaitnem’avoirprêtéaucune réelleattention jusque-là, il se tourna

versmoi.—Vous connaissez cette jeune femme, n’est-ce pas ? Elle combattait à vos côtés sur la Terre des

loups.Voyonsvoirsi…jepeuxvousfairechangerd’avis.Christydevintsiblêmequesonteintfinitparêtrepresquecendreux.Traians’approchademoi.—Nelatouchezpas!Laissez-la!s’écria-t-elleaussitôt.Levampirefitminedes’arrêterauderniermoment,lapaumejusteau-dessusdematête.—Iln’entientqu’àvous,trèschère.CommeChristynedisaitplusrien,ils’agenouilladevantmoi.—JesuiscertainquevouspréférezmourirdelamaindesRazboiniciidinumbra{14}plutôtquedela

mienne.Cequiarriveracertainement,Lupus.J’aimetorturermesvictimes.Riennemeplaîtplusquedevoirjaillirlasouffrancedeleursyeux.Lesvôtressonttrèsjolis,susurra-t-ilencaressantmamâchoire

d’unlongdoigtmaigre.Ilmeconviendraitdevouslesarracher.—Arrêtez!hurlaChristyensemettantbrusquementdebout.Sibienqueseschevillesattachéesluifirentperdrel’équilibre.Elletombaenavantet,seprotégeantle

visagedesesavant-bras,elleseblessaméchamment.Traiannesemblapass’enémouvoir,etcontinuaàtracer une ligne jusqu’àmes paupières closes. La peur s’insinuait par tous les pores dema peau. Etsubitement,ilseparadelonguesserresàlaplacedechaqueongle.Lapointeacéréemegriffa,etjeretinsmonsouffle.

—Non!s’étranglaChristyenredressantlatête.Jeferaicequevousvoulez.Ôtezvossalespattesdelà!

Traianregardaenarrière,arméd’unsourirecarnassier.

—Comme il est agréablede réussir sanégociation.Allons,bana-bhuidseach, relevez-vous.Onnefaitjamaisriendebonenétantavachi.

IlsautasursespiedsetattrapaviolemmentChristyparlebrasafindelamettredebout.Ilglissaunegriffeentrelescordagesquilamaintenaientprisonnière,etlesdéchirad’unsimplegeste.Christysefrottalespoignets,bougealespieds,etposasurmoiunregardtriste.

LesdeuxStrigoii qui s’étaient occupés de ponctionnerHermance et Pierrick remirent àTraian unefiolecontenantlesangdesdeuxAngesNoirs.

—Bravespetits,dit-ilàl’attentiondesenfants.Parchance,ilsn’étaientpasencorerevenusàeux.Sissinonpluset,detoutesmesforces,jesouhaitais

quesinousdevionsfinirsouslescrocsdesmonstresstrigoii,elleneseréveillejamais.Jenepouvaistoujourspasfaireungeste,àpeineparvenais-jeàentrouvrirleslèvres.Jenem’étaisjamaissentieplusdésespérée,impuissante,etconvaincued’êtresurlepointdenon-retour.

—Amenez-les!ordonna-t-ilàsesacolytesàproposdesdeuxgarous.LesvampirespoussèrentlesdeuximmensesCrinostoutaufonddelacavité.Ilsdemeuraientbientrop

calmespourquecefûtnormal.Ilsavaientétédroguéseuxaussi,maisjustecequ’ilfallaitpourqu’ilsnereprennentpasleurapparencehumaine.

D’unemaintremblante,Christys’emparadelafiolequeTraianluitendait,ets’approchafébrilementdes deux bêtes. J’entendis quand elle fit sauter le bouchon de liège qui fermait le flacon de sang, etaussitôt,ellejetal’intégralitéducontenusurlesdeuxguerriers.

— Ces hommes-là ont peut-être une famille. Une femme, des enfants ! Vous les condamnez à uneéternitédesouffrance.

—Tes semblables n’avaient pas autant de scrupules,bana-bhuidseach, quand il a fallu que je lessortedesgriffesdesHumainsquilesbrûlaient.Voyons,voyons,nesoispassensible.Cenesontquedesanimaux,aprèstout.

—Vousêtesunêtreabject,Traian.Iléclataderire.—Cecomplimentmevadroitaucœur.Maintenant,agisavantquejeneperdemonsangfroid.Jeles

veuxpourmoi!Pourmoi!cria-t-ild’untonassoifféd’impatience.La voix chancelante, la sorcière commença à psalmodier desmots qu’elle seule comprenait. Puis,

prise dans une transe indomptable, elle se mit à parler si vite que l’incantation se fondit dans unchuintementquin’avaitplusriend’humain.

Jenevoulaispasvoircequiallaitsuivre,pourtant,moncorpsnem’écoutapasetchoisitdebraverl’engourdissementquimetétanisaitpourmefairetournerlatête.LesdeuxCrinostombèrentàgenoux,serecroquevillèrent et commencèrent à muter. Leurs poils devinrent plus denses, plus épais. Leur doss’arronditdavantageetleurspiedsprirentdeuxfoisleurtaille.Leurslongsbrass’étendirentunpeuplustandisqueleursmainsseparaientdeserresredoutables.

—Oui!Oui!s’excitaitTraiansansperdredevuesescréatures.Oui!Venezàmoi,venezàmoi!—MonDieu…,murmuraSissiquiseréveillait.MonDieu…Je savais ce qu’elle voyait : deux corps qui disparaissaient peu à peu au fur et à mesure qu’ils

prenaientl’apparencedeGuerriersdel’ombre.IlssefigèrentlorsqueChristysetut.Elleétaitessoufflée,la tête baissée, les doigts écartés et crispés contre ses cuisses, tandis queTraian paraissait en pleinejouissance, lesyeuxsi rougesqu’ilpleuraitdes larmesdesang. Il s’approchadesessujets,et leva lamain pour les toucher. Ils ne bougeaient pas, leurs épais poignets toujours entravés dans des chaînes.Traian sortit une clé de sa poche et ouvrit les deux cadenas. Il appliqua ses deuxmains l’une contrel’autreetregardasesdeuxnouvellescréaturesavecadoration.

—Debout.Dansunsilenceabsolu,lesdeuxmonstresdéplièrentleurimmensecorpsetfirentfaceàleurmaître,la

gueulebéante.Ilsétaientdéjàassoiffésdechairetdesang.—Jesuisvotreseigneur,dit-ilsolennellement.Leseulàquivousobéirez.Jesuislamainquivous

nourrira,lebrasquivousportera.Jesuisl’Unique,leSuprême,l’Éternel.Mon regard glissa vers les cinqStrigoii. Ils demeuraient plus immobiles que la pierre, totalement

subjuguésparcequ’ilsnevoyaientpas,maisqu’ilsconnaissaientpourtantparcœur.Christyéclatabrusquementderire,sifort,quelacaverneentières’enfitl’écho.—Tais-toi!luiordonnaTraianquin’appréciaitpasd’êtreinterrompudanssonmomentdegloire.EtChristycessa.Elle redressa la tête, affronta le regard du vampire, et sourit en considérant tour à tour ses deux

créations.—Jesuislemaître.Tuez-le.Comme dans un film au ralenti, Traian se retourna d’un coup sec pour faire face auxGuerriers de

l’ombre qui dégagèrent subitement une odeur quim’était devenue si familière : celle de la chasse. Ilreculainstantanément,levisagefigésuruneexpressiond’horreur.

—Qu’as-tufait?Qu’as-tufait?s’étrangla-t-il.Le premier monstre rugit et mit un coup de patte qui lacéra le torse du vampire. Traian hurla de

stupéfactionplusquededouleur.—Non!Non!Noooooon!Nelui laissantpasletempsderéagir, ledeuxièmebondit,etplaquasesdeuxgrandesmainssurles

jouesmaigresduGrandStrigoï.L’effroisedessinasurlevisageduplusvieuxvampirequelaTerreaitconnu,etilydemeuralorsqueleguerrierluiarrachalatête.

Sissi hurla derrière moi et se leva pour s’échapper. Mes muscles commençaient tout juste à merépondre.Jeparvinsàbougerunejambeetàl’étendreentraversdesonchemin.Elletrébucha,tomba,etnecherchapasà se relever, saisiede frayeurà lavuedescinqStrigoii qui s’apprêtaient à sauter surChristypourluifairepayerlamortdeleurchef.Instinctivement,ellemecontournaets’acculacontrela

paroi.—Tuez-les!Tuez-lestous!hurla-t-elleendésignantlescinqvampires.Lepremiersefitdévorerlatêteenuncoupdemâchoire.Lesautres,horrifiés,prirentaussitôtlafuite

etcoururentlelongdesgaleriesmenantàlasortie.—Hannah!s’écriaChristyenseprécipitantversmoi.Ellem’aidaàmeredresseretàm’asseoircontrelemur.JemetournaiversHermanceetPierrick,ils

étaienttoujoursinconscients.—Ilssontmorts?demandaSissid’unevoixchevrotante.Jefisnondelatête.—Sousl’effetd’unedrogue,parvins-jeàarticuler.—Oùsommes-nous?Jen’ensavaisrien.—Ilne faut…fautpas…pas rester ici, bégayaSissi, secouéede tremblements irrépressibles.Les

chosesinvisiblesvont…vontrevenir.Nousde…devonsfuir.Christyposaunemainsursonépaule.—Ilsn’obéissentqu’àmoi.Nousnerisquonsrien.Sissibattitdespaupièressursesgrandsyeuxbleus.—Que…quesont-ils?LevisagedeChristys’affaissasouslecoupdelatristesse.—Desinnocents…Unhurlementeffroyableretentitdanslacaverne,etSissiéclataensanglots.—Ilslesdévorent…ilssont…Elles’étranglaenembrassantlagrotteduregard.Ilyavaitdusangpartout.—Jeveuxpartird’ici.Jeveuxpartird’ici!s’écria-t-elle,auborddel’hystérie.—Calme-toi,tentai-jedel’apaiser.Avant,nousdevonsêtresûrsquelesStrigoiisontloin.Sissi,prostréesurelle-même,portalesdoigtsàsabouchecommepours’éviterdetrembler.Nousrestâmesainsipendantdelonguesminutes,àl’affûtdumoindrebruit,maispasunsonnesefit

entendre.Jebougeailesjambes,lesbras,etdécidaidememettredebout.Sissimeretintparlejean.—Que…que…quefais-tu?—Jevaisallervoiroùnoussommes.—Non!s’étrangla-t-elle.—Êtes-vouscertainesqu’ilsn’essaierontpasdem’attaquer?m’assurai-jeauprèsdeChristy.—Cescréaturesn’obéissentqu’àmoi.Quandelleslesauronttoustués,ellesreviendront.Pasavant.

Àmoinsquejenelesappelle.—Partélépathie?demandai-je.CommelefaisaitTraian?Elleacquiesça.

—Hannah, n’y va pas !me supplia Sissi. Les vampires sont peut-être en embuscade, ils attendentqu’onsorte,ils…

—Chut…chut…Onnepeutpasrestericiadvitamaeternam.Jeseraiprudente.—Oh,non,tuneleserasjamaisassez!s’élevalavoixd’unStrigoïderrièrenous.Sissihurla,etenmoinsd’uneseconde,levampireétaitsurnous.Ilassenauncoupprodigieuxsurla

tempedeChristyquiperditconnaissancepresqueaussitôt,l’empêchantdéfinitivementdefaireappelauxGuerriersdel’ombre.LeStrigoï s’attaquad’abordàmoi, ilagrippamoncoualorsque jen’avaispasrecouvré suffisamment de force pour me défendre. Il serrait, serrait, si bien que mes genouxm’abandonnèrent.Jenetenaisplusdebout,ilm’étranglaitetmesecouaitcommeunpantin.Jerefusaisdecroirequej’allaismourircommeça.Maisbientôtl’oxygènememanqua,etmesyeuxserévulsèrent.Puissubitement, ilmelâcha.Jem’affalaiparterreenreprenantunpeud’air, toussantetcrachant.Magorgeétait en feu, mes narines bouchées, mes oreilles sifflaient. Je ne sentais même plus rien. Lorsque jerelevai la tête, j’eus l’impression d’être au beau milieu d’un rêve. Un rêve inespéré. Leith était àcalifourchon sur le vampire et le frappait sauvagement avec ses poings. Il était déchaîné, enragé,incontrôlable.Iln’étaitquefureuretvengeance.Haineetcolère.IlcognaitsifortqueleStrigoïenétaitdéfiguré. Ses os craquaient. Son visage n’était plus qu’un amas de chairs sanguinolentes.Quand il nebougeaplusdu tout,Leith sortitdenullepartunpoignardenmétal lupuset leplantadans le cœurduStrigoï.Pasunsoubresaut,rien.Ilétaitkaputdepuisdelonguessecondesdéjà.Lesmains,lesavant-brasetletee-shirtcouvertsdesang,Leithsetournaversmoi,lesoufflecourt,leregardfou.Ilrespiraitsifortque ses narines frémissaient. Ses yeux dorés étincelaient d’une sauvagerie effrayante. L’espace d’uneseconde,jemedemandais’ilmereconnaissait,s’iln’allaitpasmefairedumalàmoiaussi.Ilmefitpeur,etinstinctivement,j’eusungestederecul.

—Non!rugit-ilsansquejesachevraimentpourquoi.Mon cœur s’emballa et je m’immobilisai, tandis que Jeremiah, Darius et Gwen entraient dans la

cavité.C’étaitgrâceàDariusqu’ilsnousavaientretrouvés.Leliendecréationquil’unissaitàsesfrèresluipermettaitdelesrepérern’importeoùdanslemonde.

Leithgardaitlesyeuxfixéssurmoi,etnevitniJeremiahquiserraitChristycontreluietl’embrassaitàperdrehaleine,niDariusetGwensepenchantsurlesenfantspourtenterdelesréveiller.Ilobservaitmoncou,lesmeurtrissuresdontjedevaisêtrecouverte.Lesyeuxplissés,ilgrogna.

Qu’éprouvait-il?Delarage?Delacolère?Del’envie?Quelque chose était en traindevibrer en lui, alorsqu’uneboule enflammée se formait enmoi.Me

brûlait.M’électrisait.Mefascinait.Jenem’étaisjamaissentieplusvivante.Iln’yavaitplusqueluietmoi.Nous.Justenous.

—Leith…,murmurai-je.Ungrondementsourdsortitdesagorge,etl’instantd’après,ilétaitallongésurmoi.Contremoi.Les

mainsautourdemonvisage,ilposaitdesbaiserspartout,mehumaitpartout.Nousétionsseulsaumonde.

Iln’yavaitpersonne.Enfin,jecrois.Jem’enmoquais.—Plusjamais,dit-ild’unevoixrauque.Ilétaitàl’agonie.Ilmevoulait.Plusquetout.Leslèvrestoutcontrelesmiennes,ilmedévorait,m’avalait,aspiraitmonâme.—Jenetelaisseraiplusjamais.Ilm’embrassaencore.Encore.Etencore.—Jamais…

Épilogue

—Jamaisplusd’unesemainesansnouvelles,c’estpromis?—Promis,Sissi,luiassurai-jeenlaserrantfortcontremoi.Elle soupira profondément et s’agenouilla pour prendre Pierrick et Hermance dans ses bras. Les

enfantsfaisaientbienpâlefigure.—Vousallezterriblementmemanquer,voussavez?—Toiaussi,murmurèrent-ilschacunleurtour.EllelesembrassaunedernièrefoissurlajoueetsetournaversDariusetGwen.—Jesaisquel’Australien’estpaslaporteàcôté,maisvousêteslesbienvenuschezmoi.LevisagedeDariussefenditd’unsourireéclatant.Iln’yavaitpasremislespiedsdepuisqu’ilyavait

rencontréMinahetqu’ill’avaittransformée.—Ce seraavecgrandplaisir, et sacheque je te suis extrêmement reconnaissantd’être restéeavec

PierricketHermance.Ellebaissalatêtesureuxetleurfitunclind’œil.—Çan’apasétélatâchelaplusdifficiledemavie.Jevousaimeénormément,lesenfants.Maispar

pitié,apprenezàmangerautrechosequetoutescescochonneries!Ilséclatèrentderireet,parpureprovocation,sortirentunedragéechocolatéedeleurpocheavantde

lafourrerrapidementdansleurbouche.Sissilevalesyeuxauciel,puissonregardseposasurLeith.—Mêmepunition.VenezmevoirquandvouslesouhaitezavecHannah.Ilenroulaunbrasautourdemesépaulespourmeserrercontreluietsourit.—Nousviendrons.Mameilleureamiemeconsidéraavecuneintensitédéroutante,sibienquesansavoirbesoinqu’ellele

dise,toutlemondecompritqu’elledésiraitmeparlerseuleàseule.Seslongscheveuxblondsvolaientauvent,etilnemesemblaitpasavoirdéjàvulebleudesesyeuxbrillerd’unteléclat.Sansquejesachepourquoi,moncœursemitàbattrelachamade.

Unelarme,uneseule,jaillitdesesyeux.Ellefermalespaupièresetsecouadoucementlatête.—Mavieneseraplusjamaislamême…,plusjamais,Hannah.J’eus l’impression de recevoir une gifle, que la culpabilité s’abattait sur moi, plus lourde qu’une

chapedeplomb.—Je…suisdésolée.Ellemesouritfaiblement.

—Nelesoispas.J’aitoujoursconsidéréquetuétaismonalterego.Laseulepersonneàquijepeuxdirecequejevoisvraimentquandjeregardemonrefletdansunmiroir,laseulepersonnedevantquijepeuxfairesurgircequ’ilyaauplusprofondenmoisansjamaisavoirhonte.Sijen’avaispasappriscequejesaisdésormais,nosviesseseraientséparées,etj’auraisperduunêtreexceptionnel.

Àmontour,jesentisleslarmesmemonterauxyeux.—Oh,Sissi…—Jesuisheureusedepartagertonsecret,etheureusedefairepartiedetavie.Etvoilà.Cettefois,jepleuraisbeletbien.J’ouvrislesbrasetserraimonamiedetoujourscontremoncœur.—Jeseraitoujourslàpourtoi,Hannah.Toujours.—Moiaussi,monamie,moiaussi…Nousdemeurâmeslongtempsdanslesbrasl’unedel’autre,silencieusement.Puisunbruitdeklaxon

retentit.C’étaitMmeFisher,lamèredeGwen.Elleluiserviraitdetaxijusqu’àÉdimbourg,profitantd’undéplacementprofessionnelpourl’emmenerjusque-là.

—Désolée, lesfilles, il fautqu’onyaille.Lamétéoaprévuqu’il tomberaitdescordesàpartirdequatorzeheures.Jeveuxabsolumentéviterça.

Sissirenifla,jel’imitaietnousnoussourîmes.—Prendssoindetoi,mavieille,m’ordonna-t-elle.—Jetelepromets.Prendssoindetoiaussi.Ellehocha la tête, s’avançapour embrasser lesgarçonsunedernière fois etmontadans lavoiture.

Noussuivîmes levéhiculedu regard, sansunmot, jusqu’àcequ’ildisparaisseaucoinde la rue.PuisDariustoussota.

— Nous allons nous balader sur la plage de Thurso avec les enfants. Vous nous accompagnez ?proposa-t-il.

Jen’avaisquedebonssouvenirsàThurso.C’étaitlà-basqueLeithm’avaitditqu’ilm’aimaitpourlapremièrefoisetj’auraisdonnén’importequoipourqu’ilserappellecetinstant.

Jebalayaid’unclignementdepaupières lamélancoliequicommençaitàmesubmerger,etoffrisungrandsourireàDarius.

J’allais lui dire oui, mais Leith intervint avant que je ne le fasse, il pencha la tête et me caressatendrementlajoue.

— Si personne n’y voit d’inconvénient, j’aimerais rester seul avec Hannah, dit-il d’une voixétrangementrauquesansmeperdreuninstantdesyeux.

Lesoufflecoupépar l’intensitédesonregard, jesecouai faiblement lementon.Non, jen’envoyaisabsolument aucun. Comme si nous étions seuls, du pouce, il caressa ma lèvre inférieure, m’offrit unsourire plein de promesses, et se tourna vers mes amis. Darius et Gwen nous observaient avec unmélangedecuriositéetdesoulagement.

—Allez-y,fitDariusavecungestedumenton.Retrouvons-nouslorsquelefeuseseraéteint.—Dansmilleans,réponditLeithenmeprenantlamain,emprisonnantmesdoigtsdanslessienspour

nefairequ’un.Dansmilleansilbrûleraencore.DariuséclataderireetpritGwenparlesépaules—Alors,àdansmilleans,monami!Mafamilleetmoi,nousvousattendons.Levisageradieux,iltournalestalons.HermancepritlamaindeGwen,PierrickcelledeDarius,etils

s’éloignèrent.Safamille…Bêtement,jepleuraiencore.Leithpivota légèrement pourme regarder, puis il sortit unepetite clé plate de sapochequ’il agita

devantmonnez.—NossHead…Mesyeuxs’arrondirent.—NossHead?Ils’inclinajusqu’àfrôlermonoreilledesabouche.—Montre-moi.Toutmonvisagepritfeuenentendantcesmots.Ilenobservachaquedétail.Pournerienmanquerde

mastupéfaction,demajoie,del’immenseémotionquimesubmergeait.Jeluisouris,lesyeuxbrillantsd’amour.—Allons-y.

IlnousfallutmoinsdetrenteminutespourparcouriràpiedlesquatrekilomètresquinousséparaientdupharedeNossHead.Nousavionscourutoutlelong,traverséleschamps,longélacôteetlesfalaises,reçuleventet lesembrunsenpleinvisage.Etmaintenant, lesoufflecourt, jeregardaisLeithouvrir laporte.Moncœurbattaitsivite,sifort.

Cetendroit.Deuxansetdemiplustôt.J’yétais.Je fermai lesyeuxet revis toute lascène.Absolument tout.Elaineet sonsourire, lessoixante-seize

marches,Leithencolèrecontremoi,etmoi,contrelui.L’idiot!Ilpensaitquej’avaisfaitexprèsdeleretrouverici.Jel’avaisdétesté.Etdésiré.Passionnément.

Nous gravîmes l’escalier. Il me sembla que Leith connaissait cet endroit par cœur, comme uneréminiscence,une trace immuabledesonpassé. Ilpoussa laporteblindéeetpénétradans lasalledeslumières,circulaireetentièrementvitrée.Sesgestesétaientscrupuleusementlesmêmesquelapremièrefois,etj’enressentisuneviveémotion.Ils’avançapourtirerlaporte-fenêtreetattendit.

Jenebougeaipas.Ilfronçalessourcils.—Tuveuxvoirlepaysageoutupréfèresresterici?Parl’Esprit!Lesmêmesmots…Jelesuivissurlebalconetretinsmarespirationlorsqu’unerafaledeventbalayamescheveux.Leith

passaderrièremondos,enroulasesbrasautourdemoietfitreposersonmentonsurlesommetdemoncrâne.

—C’estmagnifique,murmurai-jesubjuguéeparlepaysagequis’offraitànous.Le phare surplombait la mer agitée, les vagues s’écrasaient sur les rochers, le sel parfumait

délicatementl’air.Dieuquej’aimaisêtreici!—Alors,c’étaitlà...,dit-ild’unevoixpresquerocailleuseenresserrantsonétreinte.Jefermailesyeuxetrespiraiprofondément,lentement.—C’étaitlà.Ilme fit brusquement pivoter etme colla contre lui. Il posa doucement ses lèvres sur lesmiennes.

Ellesm’effleurèrentàpeine,mefirentgémir,m’enflammèrent.Puisilseredressa,plongeantsesyeuxdejadeaufonddesmiens.

—Tuasdisparu,Hannah,etlapeurm’abroyélesentrailles.Jelevailamainpourluitoucherlevisage,ill’emprisonnaaussitôtdanslasienne.—Jerefusedeteperdre.—Tunemeperdraspas,soufflai-je.Jebaissailespaupières.Ilsoulevamonmentonpourmecontraindreàleregarder.—Jenelepermettraipas!gronda-t-il.Il m’empoigna brusquement les cheveux, me renversa la tête en arrière et me dévora d’un baiser

sauvage.Lesyeuxmi-clos,jemelaissaiembrasser,etàmesurequ’ilmemarquaitdesondésir,etquelemiens’embrasait,mesdoutesétaientanéantis.Toutcequin’étaitpasnousdisparut.Lorsqueseslèvresquittèrent les miennes, j’ouvris les paupières et m’aperçus qu’il m’observait. Son expression étaitindéchiffrable.Puisils’écartalégèrementetplongealamaindanssapoche.Ilmetenditsonpoingfermé.

—Qu’est-cequec’est?Ilouvritlesdoigts.Deuxpetitesfigurinesargentées.Sonpendentiffemme/loup.Jeprislacordelette,ouvrislespremiersboutonsdesaveste,etlaluipassaiautourducou.Ilabaissa

leregardpourl’observer,etrevintàmesyeux.—Chaquechoseestàsaplace,dit-ilsimplemententirantlelienquisupportaitmonproprebijoupour

lesortirdemontee-shirt.Surmon épaisse veste en laine, sesmains glissèrent demes épaules àmes poignets avant que ses

doigtsneserefermentsurlesmiens.—Ensemble,murmura-t-il.—Ensemble,répétai-je,lecœurchaviré.

Jelefixaiintensément—Jet’…Ilappliquaunindexsurmabouche.—Cenesontquedesmots.Sonregardsetroubla.Letempssesuspendit.Marespirationaussi.Ilfermalespaupières,etlorsqu’il

les rouvrit,descentainesd’étoilesen jaillirent, s’enroulèrentautourdenous,nous illuminèrentetnouslièrent.

Jesouris.Jevenaisderetrouverlecheminduparadis.Mamoitié.Mondouble.Monâme.L’éternité.

FIN

Glossaire

Amulettegarolle :à l’époqueoù les loisancestralesétaientappliquées, lesamulettespermettaientaux familles de se cacher de laRépression.Grâce à un sortilègepuissant, elles rendaient l’odeur desgarousaussineutrequecelled’unêtrehumain,etleurpermettaientdepasserinaperçus.

AnneauxduPouvoirSuprême:ilsconfèrentàceluiquilesportelepouvoirdemaîtriserlesgarousincontrôlablessousleurformeanimale,telsquelesHommidés,lesGalbrosetlesCrinos.LesanneauxduPouvoirSuprêmesontdétenusparlesMor-fear-faolquisesuccèdent.

An-diugh breith :mot pour mot, « jour de la Nativité ». Chez le peuple garou, il s’agit de lacélébrationdelanaissancedeTyros,lepèredetouslesloups,quisefêtechaque3février.

AngeNoir:selon la légende, les anges noirs sont issus de l’accouplement d’un vampire et d’unestryge.Delastryge,ilspossèdentdegrandesailesnoires,etduvampire,presquetouslesattributs.

Bana-bhuidseach:sorcière.

Bàs-taibhsear : mot pour mot, « qui devine la mort ». Dans l’histoire, les bàs-taibhsearan sontcapablesdedevinerlamortdeleurssemblablesquelquesminutesavantquecelle-cilesfrappe.Hannahfait partie des rares bàs-taibhsearan que la communauté garolle a connues. Le dernier était FillanSutherland.

Còmhrag-dithis:c’estuncombat,unduel.DanslaCommunautéduSutherland,cetteloitrèsanciennepermet à un condamné à mort d’être sauvé par un garou qui l’estime digne de conserver la vie. Ledemandeursebatalorsàmortavecl’accusateur.S’ilgagne,lecondamnéestamnistié.

CommunautéduMondeLibre:ensembledesgarousquinesuiventpaslesloisancestralesgarolles,etdontlesmembressontrépartissansattachesàtraverslemonde.

CommunautéduSutherland:ensembledesgarousquisuiventlesloisancestralesgarolles,etdontlacitésetrouvedansleComtéduSutherlandenÉcosse.

Entrailles/Terredesloups:citésouterrainedanslaquelleviventlesmembreslesplusradicauxdelaCommunautéduSutherland.Géographiquement,lesEntraillessesituentaucœurdelamontagnedeBenHope.

Crinos:leCrinosestlaplusterrifiantedescinqracesgarolles.Soussaformeanimale,iln’estpasrarequ’ildépasse lesdeuxmètrescinquante.D’une forceexceptionnelle, il évolue surdeuxpattes, se

paredelonguesgriffes,secouvredepoils,sesmusclessedéveloppent,sonnezs’allongeetsesdentssechangentencrocsredoutables.LeCrinos,àl’instardel’HommidéetduGalbro,alaparticularitédenepascontrôlersatransformation.Lapeuretlacolèreleconduisentsouventàmuter.Alors,ilneréfléchitplusenHomme,etàl’issuedecettemétamorphose,ilnesesouvientderien.

Faol-cruthaich:estletermedonnéauxgarousissusd’unetransformationparmorsure.

Faol-Tùsail:loups-garousdenaissance.

FillanSutherland:c’estleLupusquis’estrebellécontrelesloisancestrales.Ilamenélarévoltequiaconduitàladivisiondesonpeupleendeuxcommunautésdistinctes:celleduMondeLibre,etcelleduSutherland.Bàs-taibhseardenature,ilestaussil’ancêtred’Alastair,JeremiahetdeLeithSutherland.

Faol-ur:jeuneloup/louve.

Forgeronslupi:c’estunecastedeforgeronsgarousquipossèdentlepouvoirdefabriquerdumétalindestructible.LorsdelaRévoltequiadivisésonpeuple,FillanSutherlandaoffertdixansdesavieauxdieuxcontrelacapacitédefabriquerdesarmesquirepousseraientl’ennemi.

LeGalbro:garou.Pendantsatransition,ilévoluesursesjambesetsonapparenceestrelativementproche de son enveloppe humaine. Il se recouvre de poils fins, ses mains, ses doigts et ses oreilless’allongent,sescaninessontmassivesetsonnezsechangeenmuseau.Sesforcessedécuplent,ildevientplusgrandetsessenssontplusaffinés.ToutcommeleCrinos,ilestincontrôlablesoussaformeanimale,maisbienmoinspuissant.

Guerriersdel’ombre:cesontdescréaturesmi-Crinos,mi-AngeNoir.Ellesontétécrééesparlesbana-bhuidsicheanà lademandedeTraian, lechefstrigoï,pour leremercierde lesavoiraidéesàseprotégerdesHommespendantleschassesauxsorcières.

Hispo : garou. L’Hispo, après sa transformation, a quelques caractéristiques typiques du loup. Ilmarcheàquatrepattes,maisilestplusgrand,plusmassifetsapuissanceatteintpresquecelleduCrinos.Àl’instarduLupus,ilgardesaconsciencehumainependantsatransition.

Hommidé:garou.Quandilsetransforme,l’Hommidégardel’apparencegénéraledel’Homme.Sestraits physiques sont cependant sensiblementmodifiés. Ses sourcils se rejoignent, ses lobes d’oreillessonttombants,sescanineslégèrementsortantes.Unefoistransformé,sessenssontplusdéveloppésquechezl’Humain.

L’Esprit:l’EspritesttrèsimportantchezlesGarous.Ils’agitdel’élémentimmatérielquiincarnelapuissancegarolledanstoutesaquintessence.Ilestvucommeuneforcebienveillantesanspourautantêtreassimiléàunedivinité.Ilestaussilepointdedépartdebiendesphénomènessurnaturels,commeleMor-aotrom.

Lesloisancestrales:ellessontaunombredetrois.Lapremière:nepaschangerd’Hommeenloup-garou. La deuxième : l’Homme ne doit jamais connaître l’existence des loups-garous. La troisième :aucunHumainnedoitêtrefécondéparunloup-garou.Aufildessiècles,cesloisontévolué,ellesontétérenforcées,cequiaconduitFillanSutherlandàmenerlaRévolte.

Lupus:ils’agitdelaracegarollelaplusprocheduloup.LeLupusluiressembleentouspoints,maisilestplusgros,plusgrand,plusfortaussi.Durantsatransition,ilgardetouteconsciencehumaine.Connupoursagrandesagesseetsatotaleosmoseavecl’Esprit,ilestconsidérécommelaformelaplusaboutiedescinqraces.

Mor-aotrom: littéralement, « grande lumière ». Il s’agit d’un phénomène lumineux pendant lequell’Espritrévèlesonâmesœuràunloup-garou.

Mor-fear-faol:chefdesloupsdelaCommunautéduSutherland.

NossHead: il s’agitdunomdonnéaupharesesituantsur labaiedeWickenÉcosse.C’estaussil’endroitoùLeithetHannahont,pourlapremièrefois,étéfrappésparleMor-aotrom.

Strigoii:ouVampiresdel’Est.LeurcommunautésesitueenRoumanie.Cetteespècedevampiresàlaparticularitéd’êtretrèspuissante.

Traian:chefdesStrigoii.Ilestaussi,dit-on,levampireoriginel.Pèredetouslesangesnoirs.Desmillénairesplustôt,ilseseraitaccoupléàunestrygequiauraitdonnénaissanceaupremierangenoir.

Tyros:pèredetouslesloups-garous.Selonlalégende,punipoursabarbarieàl’égarddesHommes,ilauraitétécondamnéparlesdieuxàerrersouslaformed’unecréaturemi-hommemi-louppendanttroiscentsans,puisàmourir.Durantcettemalédiction,Tyross’estaccoupléàunelouvecommunequiadonnénaissanceauxcinqracesgarollesconnues.

Remerciements

Lorsquejeregardequatreansetdemienarrière,le28août2009précisément,jemerevoisassisesurmoncanapé,devantlatablebasse,ouvrirunepageblanchedeWordsurmonPC.Ellen’apasdenom,necontientmêmepasencoreunetoutepetitelettre.Pourtant,toutestencrédansmatête.Oui,encré,avecun«e».Commesichaquephrase,chaquemot,étaitdéjàécrit.NossHead.LesétoilesdeNossHead.Leith,Hannah.Ilssontlà.Devantmoi.Déjàtellementvivants.Jen’aiqu’àlessuivre.Ilsm’emmènerontloin,trèsloin…

Qued’émotionsentapantlemotfin,le31janvier2014.J’aimêmeencoredumalàm’enremettre.Jen’avais pas envie qu’ils s’en aillent, et pourtant… songer au fait qu’ils prendront leur envol dansl’imagination des lecteursme réchauffe abondamment le cœur etme permet de les laisser partir plussereinement. J’espère qu’ils existeront encore longtemps. Que vont-ils devenir ? Où habiteront-ils ?Auront-ilsdesenfants?J’aimeraistellementquequelqu’unmeraconteçaunjour.Etjel’écouteraiaveclaplusgrandeattention.

Durantcespresquecinqannées,j’aifaittantdebellesrencontresquiontinfluencémonécriture,faitvibrer mes doigts sur le clavier, que je ne saurais remercier tout le monde personnellement. Il estcependantquelquesprénomsen«i»quiontleurimportance.

Sissi,Élodie,Christy.Que vous dire, les filles, à part ce dont vous vous doutez déjà ? Je vous suis non seulement

reconnaissantepourvotreaideprécieuse,vosréflexionsavisées,letempsquevousm’avezaccordé,vosencouragements et votre gentillesse,mais aussi pour votre amitié. Sissi, je t’ai déjà dit que tu auraisprobablementtasérie?

Sylvie(tenez,encoreuni!),tuasmistapattesurNossHeadenm’offrantunemagnifiquecouverture.Jeteremercied’avoirsucapterl’essencemêmedecetome.Toutyest.Tuesunechef!Miesisforever!

Magali (je sais, je sais… je suis abonnée aux i), tu as rejoint l’aventure en cours de route, etqu’aurais-jefaitsanstonaide?MonDieu,tueslaplusefficaceôteused’épinedupiedquejeconnaisse!Çan’existepas?Peuimporte,lerésultatestlà!

LesLafleur,vousavezreprisleflambeau,portéLesétoilesdeNossHeadàbraslecorpsetêtesallésjusqu’aubout.Çavousaplu?Alors,oncontinue?

Mafamille…Quej’aidelachancedevousavoir!Unpourtous,et touspourun!Ç’auraitpuêtrenotredevise,etcesderniersmois, le«un»,c’étaitmoi.Quelle incroyableforcevousêtespourmoi!

Mari,fille,père,mère…Bonsang!Maintenant,jevousdoisdessièclesdecâlins!(Etplusieursannéesdeménage,derepasetderepassageàlamaison.Pff…jesavaisquej’allaisdevoirm’ycoller.)

Etpuis,etpuis…leslecteurs.Vousrendez-vousbiencomptedecequevousavezfait?Jesuissûrequenon.Quandonprendunbouquinetqu’onl’apprécie,onn’apas lesentimentd’avoirconcrètementparticipéàsonélaboration.Etpourtant.J’aisisouventpenséàvousenl’écrivant.Jemesuissisouventdemandécommentvousenvisageriezleschoses,cequevousaimeriezyvoir.Pourtoutvousavouer,vousaveztrèsrarementquittémonesprit.Vousêtesl’unedemesplusgrandesmotivations,maisaussilacausedemesplusgrosmauxdeventre.Lestress!Qu’entends-je?Vousn’yêtespourrien?Ohmaissi!Toutça,c’estdevotrefaute!Maisjevoussuissireconnaissante.Cetteaventuren’auraitjamaiseulamêmesaveursansvous.

Bon,ehbien…ondiraitqu’onarriveaumotdelafin.Etc’estàmonmarietmafillequejeledédie.Merci♥

{1}.Faol (loup),Creutair (créature).Faol-creutairest le terme utilisé pour qualifier les loups-garous issus d’une transformation aprèsmorsure.Selon les lois ancestrales, les faol-creutair valentmoins qu’un loup-garoude naissance, notamment parce qu’ils sont instables etqu’ilspourraientrévélerl’existencedel’espècegarolle.Cequin’est,toutefois,paslecasd’Hannah.

{2}.Jeuneloup/louve.{3}.Grandchefdesloups.

{4}.Littéralement,«grande lumière».C’est lemomentoù l’Espritunitdeuxâmessœurs,dontaumoins l’uned’ellesestungarou,en

faisantjaillirdeleursyeuxunelueurétincelante.

{5}.DaguespécifiquementécossaisequelesHighlandersportaientàl’intérieurdeleurbotte.{6}.Oncle.Qu’onliraici«mononcle».

{7}.Guerriersdel’ombre.{8}.Sorcière.

{9}.Plurieldebana-bhuidseach(sorcière)

{10}.Moustiquesquel’onretrouvel’été,particulièrementvirulentsetattaquantenessaim.{11}.LenomoriginalestOldmanofStorr.Ils’agitdupluscélèbrepinaclerocheuxdel’archipeldesHébridesintérieuresenÉcosse.Le

monolithetientsonnomaufaitquevuedeface,ilévoqueraitlevisaged’unvieillard.{12}.PersonnageprincipaldulongmétragedeDisney,Rebelle.

{13}Plurieldebàs-taibhsear(sorcière).

{14}.Guerriersdel’ombreenroumain.