Les Monologues Dans Le Theatre Francais Sequence de Seconde

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LES MONOLOGUES DANS LE THEATRE FRANAIS

TEXTE 1. Molire, lavare, IV, 7 : le monologue dharpagon (1668) HARPAGON - Au voleur ! au voleur ! l'assassin ! au meurtrier ! Justice, juste Ciel ! je suis perdu, je suis assassin, on m'a coup la gorge, on m'a drob mon argent. Qui peut-ce tre ? Qu'est-il devenu ? O est-il ? O se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? O courir ? O ne pas courir ? N'est-il point l ? N'est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrte. Rends-moi mon argent, coquin... (Il se prend luimme par le bras.) Ah ! c'est moi. Mon esprit est troubl, et j'ignore o je suis, qui je suis, et ce que je fais. Hlas ! mon pauvre argent, mon pauvre argent, mon cher ami ! on m'a priv de toi ; et puisque tu m'es enlev, j'ai perdu mon support, ma consolation, ma joie ; tout est fini pour moi, et je n'ai plus que faire au monde : sans toi, il m'est impossible de vivre. C'en est fait, je n'en puis plus ; je me meurs, je suis mort, je suis enterr. N'y a-t-il personne qui veuille me ressusciter, en me rendant mon cher argent, ou en m'apprenant qui l'a pris ? Euh ? que dites-vous ? Ce n'est personne. Il faut, qui que ce soit qui ait fait le coup, qu'avec beaucoup de soin on ait pi l'heure ; et l'on a choisi justement le temps que je parlais mon tratre de fils. Sortons. Je veux aller qurir la justice, et faire donner la question toute la maison : servantes, valets, fils, fille, et moi aussi. Que de gens assembls ! Je ne jette mes regards sur personne qui ne me donne des soupons, et tout me semble mon voleur. Eh ! de quoi est-ce qu'on parle l ? De celui qui m'a drob ? Quel bruit fait-on l-haut ? Est-ce mon voleur qui y est ? De grce, si l'on sait des nouvelles de mon voleur, je supplie que l'on m'en dise. N'est-il point cach l parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent rire. Vous verrez qu'ils ont part sans doute au vol que l'on m'a fait. Allons vite, des commissaires, des archers, des prvts, des juges, des gnes, des potences et des bourreaux. je veux faire pendre tout le monde ; et si je ne retrouve mon argent, je me pendrai moi-mme aprs.

TEXTE 2. Racine, Andromaque, V, 1. Le monologue dHermione. (1667) O suis-je ? Qu'ai-je fait ? Que dois-je faire encore ? Quel transport me saisit ? Quel chagrin me dvore ? Errante, et sans dessein, je cours dans ce palais. Ah ! Ne puis-je savoir si j'aime ou si je hais ? Le cruel ! De quel il il m'a congdie ! Sans piti, sans douleur au moins tudie. L'ai-je vu se troubler et me plaindre un moment ? En ai-je pu tirer un seul gmissement ? Muet mes soupirs, tranquille mes alarmes, Semblait-il seulement qu'il et part mes larmes ? Et je le plains encore ! Et, pour comble d'ennui, Mon cur, mon lche cur s'intresse pour lui. Je tremble au seul penser du coup qui le menace, Et, prte me venger, je lui fais dj grce. Non, ne rvoquons point l'arrt de mon courroux : Qu'il prisse ! Aussi bien il ne vit plus pour nous. Le perfide triomphe et se rit de ma rage ;

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Il pense voir en pleurs dissiper cet orage ; Il croit que, toujours faible et d'un cur incertain, Je parerai d'un bras les coups de l'autre main. Il juge encor de moi par mes bonts passes. Mais plutt le perfide a bien d'autres penses. Triomphant dans le temple, il ne s'informe pas Si l'on souhaite ailleurs sa vie ou son trpas. Il me laisse, l'ingrat ! cet embarras funeste. Non, non, encore un coup : laissons agir Oreste. Qu'il meure, puisqu'enfin il a d le prvoir, Et puisqu'il m'a force enfin le vouloir. A le vouloir ? H quoi ! C'est donc moi qui l'ordonne ? Sa mort sera l'effet de l'amour d'Hermione ? Ce prince, dont mon cur se faisait autrefois Avec tant de plaisir redire les exploits, A qui mme en secret je m'tais destine Avant qu'on et conclu ce fatal hymne, Je n'ai donc travers tant de mers, tant d'tats, Que pour venir si loin prparer son trpas, L'assassiner, le perdre ? Ah ! Devant qu'il expire...

TEXTE 3. Beaumarchais, le mariage de Figaro, V,3. (1778) Figaro, seul, se promenant dans l'obscurit, dit du ton le plus sombre : O femme! femme! femme! crature faible et dcevante!... nul animal cr ne peut manquer son instinct: le tien est-il donc de tromper?... Aprs m'avoir obstinment refus quand je l'en pressais devant sa matresse; l'instant qu'elle me donne sa parole, au milieu mme de la crmonie... Il riait en lisant, le perfide! et moi comme un bent... Non, monsieur le Comte, vous ne l'aurez pas... vous ne l'aurez pas. Parce que vous tes un grand seigneur, vous vous croyez un grand gnie!... Noblesse, fortune, un rang, des places, tout cela rend si fier! Qu'avez-vous fait pour tant de biens? Vous vous tes donn la peine de natre, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire; tandis que moi, morbleu! perdu dans la foule obscure, il m'a fallu dployer plus de science et de calculs pour subsister seulement, qu'on n'en a mis depuis cent ans gouverner toutes les Espagnes: et vous voulez jouter... On vient... c'est elle... ce n'est personne. - La nuit est noire en diable, et me voil faisant le sot mtier de mari quoique je ne le sois qu' moiti! (Il s'assied sur un banc.) Est-il rien de plus bizarre que ma destine? Fils de je ne sais pas qui, vol par des bandits, lev dans leurs moeurs, je m'en dgote et veux courir une carrire honnte; et partout je suis repouss! J'apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crdit d'un grand seigneur peut peine me mettre la main une lancette vtrinaire! - Las d'attrister des btes malades, et pour faire un mtier contraire, je me jette corps perdu dans le thtre: me fuss-je mis une pierre au cou! Je broche une comdie dans les moeurs du srail. Auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule: l'instant un envoy... de je ne sais o se plaint que j'offense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqu'le de l'Inde, toute l'Egypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et de Maroc: et voil ma comdie flambe, pour plaire aux princes mahomtans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate, en nous disant: chiens de chrtiens! - Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant. - Mes joues creusaient, mon terme tait chu: je voyais de loin arriver l'affreux recors, la plume fiche dans sa perruque: en frmissant je m'vertue. Il s'lve une question sur la nature des richesses; et, comme il n'est pas ncessaire de tenir les choses pour en raisonner, n'ayant pas un sol, j'cris sur la valeur de l'argent et sur son produit net: sitt je vois du fond d'un fiacre baisser pour moi le pont d'un chteau fort, l'entre duquel je laissai2

l'esprance et la libert. (Il se lve.) Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si lgers sur le mal qu'ils ordonnent, quand une bonne disgrce a cuv son orgueil! Je lui dirais... que les sottises imprimes n'ont d'importance qu'aux lieux o l'on en gne le cours; que sans la libert de blmer, il n'est point d'loge flatteur; et qu'il n'y a que les petits hommes qui redoutent les petits crits. (Il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un jour dans la rue; et comme il faut dner, quoiqu'on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume et demande chacun de quoi il est question: on me dit que, pendant ma retraite conomique, il s'est tabli dans Madrid un systme de libert sur la vente des productions, qui s'tend mme celles de la presse; et que, pourvu que je ne parle en mes crits ni de l'autorit, ni du culte, ni de la politique, ni d la morale, ni des gens en place, ni des corps en crdit, ni de l'Opra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne quelque chose, je puis tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce libert, j'annonce un crit priodique, et, croyant n'aller sur les brises d'aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou! je vois s'lever contre moi mille pauvres diables la feuille, on me supprime, et me voil derechef sans emploi! - Le dsespoir m'allait saisir; on pense moi pour une place, mais par malheur j'y tais propre: il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint. Il ne me restait plus qu' voler; je me fais banquier de pharaon: alors, bonnes gens! je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut m'ouvrent poliment leur maison, en retenant pour elles les trois quarts du profit. J'aurais bien pu me remonter; je commenais mme comprendre que, pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir. Mais comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnte, il fallut bien prir encore. Pour le coup je quittais le monde, et vingt brasses d'eau m'en allaient sparer, lorsqu'un dieu bienfaisant m'appelle mon premier tat. Je reprends ma trousse et mon cuir anglais; puis, laissant la fume aux sots qui s'en nourrissent, et la honte au milieu du chemin, comme trop lourde un piton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci. Un grand seigneur passe Sville; il me reconnat, je le marie; et pour prix d'avoir eu par mes soins son pouse, il veut intercepter la mienne! Intrigue, orage ce sujet. Prt tomber dans un abme, au moment d'pouser ma mre, mes parents m'arrivent la file. (Il se lve en s'chauffant.) On se dbat, c'est vous, c'est lui, c'est moi, c'est toi, non, ce n'est pas nous; eh! mais qui donc? (Il retombe assis,) O bizarre suite d'vnements! Comment cela m'est-il arriv? Pourquoi ces choses et non pas d'autres? Qui les a fixes sur ma tte? Forc de parcourir la route o je suis entr sans le savoir, comme j'en sortirai sans le vouloir, je l'ai jonche d'autant de fleurs que ma gaiet me l'a permis: encore je dis ma gaiet sans savoir si elle est moi plus que le reste, ni mme quel est ce moi dont je m'occupe: un assemblage informe de parties inconnues; puis un chtif tre imbcile; un petit animal foltre; un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les gots pour jouir, faisant tous les mtiers pour vivre; matre ici, valet l, selon qu'il plat la fortune; ambitieux par vanit, laborieux par ncessit, mais paresseux... avec dlices! orateur selon le danger; pote par dlassement; musicien par occasion; amoureux par folles bouffes, j'ai tout vu, tout fait, tout us. Puis l'illusion s'est dtruite et, trop dsabus... Dsabus...! Suzon, Suzon, Suzon! que tu me donnes de tourments!... J'entends marcher... on vient. Voici l'instant de la crise. (Il se retire prs de la premire coulisse sa droite.)

TEXTE 4. IONESCO, Rhinocros. Le monologue de Brenger. (1960) Brenger, se regardant toujours dans la glace. Ce nest tout de mme pas si vilain que a un homme. Et pourtant, je ne suis pas parmi les plus beaux ! (Il se retourne.) Daisy ! Daisy ! O es-tu, Daisy ? Tu ne vas pas faire a ! (Il se prcipite vers la porte). Daisy ! (Arriv sur le palier, il se penche sur la balustrade.) Daisy ! Remonte ! Reviens, ma petite Daisy ! Tu nas mme pas djeun ! Daisy, ne me laisse pas tout seul ! Quest-ce que tu mavais promis ! Daisy ! Daisy ! ((Il renonce lappeler, fait un geste dsespr et rentre dans sa chambre.) videmment. On ne sentendait plus. Un mnage dsuni. Ce ntait plus viable. Mais elle naurait pas du me quitter sans sexpliquer. (Il regarde partout.) Elle ne ma pas laiss un mot. a ne se fait pas. Je3

suis tout fait seul maintenant. (Il va fermer la porte cl, soigneusement, mais avec colre.) On ne maura pas, moi. (Il ferme soigneusement les fentres.) Vous ne maurez pas, moi (Il sadresse toutes les ttes de rhinocros.) Je ne vous suivrai pas, je ne vous comprends pas ! Je reste ce que je suis. Je suis un tre humain. Un tre humain. (Il va sasseoir dans le fauteuil.) La situation est absolument intenable. Cest ma faute, si elle est partie. Jtais tout pour elle. Quest-ce quelle va devenir ? Encore quelquun sur la conscience. Jimagine le pire, le pire est possible. Pauvre enfant abandonne dans cet univers de monstres ! Personne ne peut maider la retrouver, personne, car il ny a plus personne. (Nouveaux barrissements, courses perdues, nuages de poussire.) Je ne veux pas les entendre. Je vais mettre du coton dans oreilles. (Il se met du coton dans les oreilles et se parle lui-mme dans la glace.) Il ny a pas dautre solutions que de les convaincre, les convaincre, de quoi ? Et les mutations sont-elles rversibles ? Hein, sont-elles rversibles ? Ce serait un travail dHercule, au dessus de mes forces. Dabord, pour les convaincre, il faut leur parler. Pour leur parler, il faut que japprenne leur langue. O quils apprennent la mienne ? Mais quelle langue est-ce que je parle ? Quelle est ma langue ? Este du franais, a ? Ce doit bien tre du franais ? Mais quest-ce du franais ? On peut appeler a du franais, si on veut, personne ne peut le contester, je suis seul le parler. Quet-ce que je dis ? Est-ce que je me comprends, est-ce que je me comprends ? (Il va vers le milieu de la chambre.) Et si, comme me lavait di Daisy, si cest eux qui ont raison ? (Il retourne vers la glace.) Un homme nest pas laid, un homme nest pas laid ! (Il se regarde en passant la main sur sa figure.) Quelle drle de chose ! A quoi je ressemble alors ? A quoi ? (Il se prcipite vers un placard, en sort des photos, quil regarde.) Des photos ! Qui sont-ils tous ces gens-l ? M. Papillon, ou Daisy plutt ? Et celui-l, est-ce Botard ou Dudard, ou Jean ? Ou moi, peut-tre ! (Il se prcipite de nouveau vers le placard do il sort deux ou trois tableaux.) Oui, je me reconnais ; Cest moi, cest moi. (Il va raccrocher les tableaux sur le mur du fond, cot des ttes des rhinocros.) Cest moi, cest moi. (Lorsquil accroche les tableaux, on saperoit que ceux-ci reprsentent un vieillard, une grosse femme, un autre homme. La laideur de ces portraits contraste avec les ttes des rhinocros qui sont devenues trs belles. Brenger scarte pour contempler les tableaux.) Je ne suis pas beau, je ne suis pas beau. (Il dcroche les tableaux, les jette par terre avec fureur, il va vers la glace.) Ce sont eux qui sont beaux. Jai eu tort ! Oh ! Comme je voudrais tre comme eux. Je nai pas de corne, hlas ! Que cest laid, un front plat. Il men faudrait une ou deux, pour rehausser mes traits tombants. a viendra peut-tre, et je naurai plus honte, je pourrai aller tous les retrouver. Mais a ne pousse pas ! (Il regarde les paumes de ses mains.) Mes mains ont moites. Deviendront-elles rugueuses ? (Il enlve son veston, dfait sa chemise, contemple sa poitrine dans la glace.) Jai la peau flasque. Ah, ce corps trop blanc, et poilu ! Comme je voudrais avoir une peau dure et cette magnifique couleur dun vert sombre, une nudit dcente, sans poils, comme la leur ! (Il coute les barrissements.) Leurs chants ont du charme, une peur pre, mais un charme certain ! Sine pouvais faire comme eux. (Il essaye de les imiter.) Ahh, ahh, brr ! Non, a nest pas a ! Essayons encore, plus fort ! Ahh, ahh, brr ! Non, non, ce nes pas a, que cest faible, comme cela manque de vigueur ! Je narrive pas barrir. Je hurle seulement. Ahh, ahh, brr ! Les hurlements ne sont pas des barrissements : Comme jai mauvaise conscience, jaurais du les suivre temps. Trop tard maintenant ! Hlas, je suis un monstre, je suis un monstre. Hlas, jamais je ne deviendrai rhinocros, jamais, jamais ! Je ne peux plus changer. Je voudrais bien, je voudrais tellement, mais je ne peux pas. Je ne peux plus me voir. Jai trop honte ! (Il tourne le dos la glace.) Comme je suis laid ! Malheur celui qui veut conserver son originalit ! (Il a un brusque sursaut.) Eh bien tant pis ! Je me dfendrai contre tout le monde ! Ma carabine, ma carabine ! (Il se retourne face au mur du fond o sont fixes les ttes des rhinocros, tout en criant) Contre tout le monde, je me dfendrai ! Je suis le dernier homme, je le renterai jusquau bout ! Je ne capitule pas !

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