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Droit, déontologie et soin Décembre 2004, vol. 4, n° 4 388 C HRONIQUES Les réseaux de soins, un cadre adapté à une approche novatrice de l’offre de soins Stéphanie ARIÈS Avocat au Barreau de Lyon Résumé Parce qu’il est un secteur en pleine mutation, le monde de la santé doit s’adapter à l’évolution des pratiques et des mentalités tout en respectant les contraintes financières que notre système de soin, principalement basé sur la solidarité, lui impose. Dans ce contexte, la mise en œuvre des réseaux de soins correspond à deux points de vue qu’il convient de concilier. Un point de vue économique avec pour thème central, la maîtrise des dépenses de santé, et un point de vue organisationnel dont la préoccupation essentielle repose sur une réorganisation de l’offre de soins. L’émergence des réseaux de soins constitue une réponse à la fois gestion- naire et de santé publique aux problématiques révélées par l’apparition de la médecine moderne qui impose la spécialisation au détriment de la proximité, substituant parfois, à la traditionnelle relation « malade-médecin » celle de « malade-expert ». Répondant aux nécessités d’une prise en charge globale du patient, le réseau de soins se définit comme un ensemble de moyens humains et maté- riels organisé dans un cadre géographique donné pour atteindre des objectifs communs : coordonner le suivi des pathologies, mettre en commun des techno- logies, du matériel et des structures. Il se caractérise donc essentiellement par des procédures de coordination organisées au sein d’une structure horizontale se différenciant, par cet aspect, de la filière de soins dont l’organisation linéaire ou verticale induit la prise en charge du patient sous la direction d’un médecin de première intention librement choisi.

Les réseaux de soins, un cadre adapté à une approche novatrice de l’offre de soins

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C H R O N I Q U E S

Les réseaux de soins, un cadre adapté à une approche novatrice de l’offre de soinsStéphanie ARIÈS

Avocat au Barreau de Lyon

Résumé

Parce qu’il est un secteur en pleine mutation, le monde de la santé doits’adapter à l’évolution des pratiques et des mentalités tout en respectantles contraintes financières que notre système de soin, principalement basésur la solidarité, lui impose.Dans ce contexte, la mise en œuvre des réseaux de soins correspond à deuxpoints de vue qu’il convient de concilier. Un point de vue économiqueavec pour thème central, la maîtrise des dépenses de santé, et un pointde vue organisationnel dont la préoccupation essentielle repose sur uneréorganisation de l’offre de soins.

L’émergence des réseaux de soins constitue une réponse à la fois gestion-naire et de santé publique aux problématiques révélées par l’apparition de lamédecine moderne qui impose la spécialisation au détriment de la proximité,substituant parfois, à la traditionnelle relation « malade-médecin » celle de« malade-expert ».

Répondant aux nécessités d’une prise en charge globale du patient, leréseau de soins se définit comme un ensemble de moyens humains et maté-riels organisé dans un cadre géographique donné pour atteindre des objectifscommuns : coordonner le suivi des pathologies, mettre en commun des techno-logies, du matériel et des structures.

Il se caractérise donc essentiellement par des procédures de coordinationorganisées au sein d’une structure horizontale se différenciant, par cet aspect,de la filière de soins dont l’organisation linéaire ou verticale induit la prise encharge du patient sous la direction d’un médecin de première intention librementchoisi.

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La recherche de cohérence, raison d’être du réseau, s’appuie sur la notionde toile d’araignée ou network dont le centre est le patient et à l’intérieur duquella circulation de l’information, au travers d’une plate forme téléphoniqued’orientation et de régulation, joue un rôle majeur.

Organisation innovante, le réseau de soin est une réponse diversifiée à unbesoin économique et social.

La finalité économique du réseau est nécessairement prise en compte parles Caisses d’Assurance Maladie dont l’objectif principal est d’aboutir à unediminution des dépenses de santé.

De ce point de vue, le réseau est principalement envisagé comme unoutil de responsabilisation des acteurs et usagers du système de soins. Il vientcompléter les différentes mesures gouvernementales mises en place depuis plu-sieurs années, que sont, notamment, le carnet de santé, la carte vitale ou lesdernières mesures imposant le passage par un médecin généraliste.

Cette coordination des professionnels de santé destinée à permettre uneprogression logique dans la prise en charge du patient concourt à une meilleureadaptation des traitements, des soins et des examens en évitant les redondancesinutiles et coûteuses.

Pareillement, la coopération des professionnels issus des champs sanitaireset sociaux permet d’accroître les possibilités de maintien à domicile. En ce sens,l’assurance maladie soutient activement les expériences alternatives à l’hospita-lisation. En s’en remettant au secteur libéral, certaines fonctions de l’hôpitalsont assurées sans assumer les coûts de l’infrastructure hospitalière.

Enfin, le réseau apparaît comme un outil de responsabilisation du patientlui-même en comprenant, par exemple, une charte engageant le malade à ne pasrecourir aux services de médecins extérieurs à la structure. Le but ici poursuiviest de limiter le nomadisme médical, source de dépenses jugées inutiles.

L’objectif purement financier du réseau de soins ne saurait masquer lesavantages qu’il doit représenter pour le patient en termes de qualité de prise encharge.

Sous cet aspect, l’un des enjeux majeurs du réseau réside dans le décloi-sonnement de notre système de santé entre disciplines médicales de plus en plusspécialisées, entre hôpital et médecine ambulatoire, entre champ social et champmédical et entre prévention, médecine curative et réinsertion.

Répondant à un enjeu qualitatif, la coordination des soins est perçuecomme un moyen d’optimiser l’intervention de différents acteurs par un échangepermanent autour du patient.

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De surcroît, et parce qu’elle s’inscrit dans le temps, la prise en charge ausein d’un réseau doit permettre un suivi des personnes et particulièrement decelles âgées ou souffrant de maladies chroniques. La fonction de coordinationintroduit une dynamique forte et oriente de manière cohérente un ensemble deprestations vers un but de production de santé : bien être physique, social etmental.

Outre l’amélioration de la prise en charge et de la continuité des soins, leréseau est perçu comme un outil d’accroissement des compétences et de « reva-lorisation » des professionnels par l’utilisation et le développement d’une for-mation transdisciplinaire associant généralistes et spécialistes ; médecins,paramédicaux, pharmaciens et travailleurs sociaux.

L’existence de rapports directs entre ces différents professionnels devrait,en effet, favoriser la circulation du savoir et rendre l’implantation des normesplus efficace que par les moyens d’information impersonnels de diffusion.

Le fonctionnement du réseau centré sur les patients, d’une part, et les pro-fessionnels, d’autre part (II), soulève un certain nombre de difficultés liées tantà la mise en oeuvre de la structure qu’à l’exercice de la médecine en réseau (I).

I – Le cadre juridique des réseaux de soins, ou la nécessaire prise en compte des particularismes de leur champ d’intervention

A – La mise œuvre de structures innovantes

La mise en œuvre et le fonctionnement d’un réseau de soins impliquentl’existence de problématiques juridiques complexes touchant aux intérêts desdifférents acteurs, membres et bénéficiaires de ce nouveau mode d’organisationde l’offre de soins.

Partant, le réseau doit disposer d’une structure organisationnelle précisereposant sur une entité juridique suffisamment pertinente et adaptée pour per-mettre, d’une part, la conclusion des différents contrats nécessaires aux opéra-tions de réalisation, de mise en œuvre et de développement de la structure et,d’autre part, la gestion et la capitalisation de son patrimoine médical et écono-mique.

Le choix d’une entité juridique, groupements ou association loi 1901,adaptée aux particularismes du réseau ne s’impose pas comme une évidence.

Tout au plus, nous relèverons que la forme associative présente une sou-plesse intéressante à condition, toutefois, d’user d’outils juridiques capablesd’éviter les prises de pouvoir souvent dénoncées.

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Afin d’éviter pareilles dérives, l’association pourra se doter d’un comitéconsultatif, autrement appelé comité de vigilance, d’éthique ou de pilotage, etcomposé de représentants d’usagers, de professionnels, de financeurs, voired’experts.

Nécessairement indépendant, ce comité doit avoir pour mission essentiellede participer à la prise de décision quant aux orientations du réseau, aux plansde formation, aux contrats d’objectifs, aux évaluations ainsi qu’aux décisionsfinancières assurant ainsi la transparence et la qualité de la structure.

Reste à s’interroger sur la force obligatoire attachée aux décisions éven-tuellement prises par le comité dans l’hypothèse, seule pertinente, d’un désac-cord entre ses membres et les adhérents de l’association. Les textes de loidemeurant silencieux quant à l’existence d’un tel comité, la décision ou l’orien-tation litigieuse devrait, semble-t-il, être prise conformément aux modes déci-sionnels arrêtés par les statuts associatifs.

À côté de la mise en place du comité de vigilance, les rédacteurs des statutsde l’association seront sans doute bien inspirés d’insérer des conditions d’admis-sion des membres.

Une fois les objectifs et la philosophie du réseau définis, les candidaturespourraient être soumises à l’agrément du conseil d’administration et à l’ouver-ture d’une période de stage au cours de laquelle le membre stagiaire participeaux travaux de l’association sans disposer du droit de vote.

Enfin, l’organisation nécessairement horizontale du réseau et l’absence, enson sein, de toute hiérarchie rendent préférable la rédaction d’une charte défi-nissant précisément le rôle dévolu à chacun des professionnels et encadrant leursactions par des droits et devoirs.

Elle aura également pour intérêt de prévoir et définir les droits et devoirsdes patients.

Cependant, là encore, si le contrat d’association usuellement appelé « sta-tuts » peut être complété par un ou plusieurs règlements intérieurs, aucune réfé-rence légale n’est faite concernant la charte. Dès lors, un doute demeure sur lavaleur d’un tel document : engage-t-il ceux qui le signent ? Le fait de contreveniraux dispositions contenues dans la charte constitue-t-il une violation du contratd’association ?

Il semble que la charte ne puisse obliger à plus que ce qui est contenu dansles statuts et règlements intérieurs. Partant, un tel document ne sera que la trans-position de ces derniers, une transposition nécessaire à la formalisation des enga-gements mais dont la valeur juridique reste incertaine.

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B – Les conditions d’exercice de la médecine en réseau

À côté des risques de dysfonctionnement liés à sa structure, doivent êtreévoqués ceux propres à l’exercice de la médecine en réseau.

Pour les professionnels, la participation à un réseau de soins suppose néces-sairement des contraintes liées notamment à la formation médicale continue, àla participation à des staffs et consultations pluridisciplinaires ou encore à lacollecte rigoureuse d’information.

La pratique d’un travail en équipe impliquant le respect de règles collectivesvient profondément modifier l’exercice de la profession chez les praticiens libé-raux et suscite quelques craintes.

Lorsque à cela s’ajoutent des emplois du temps surchargés et l’absence derémunération ad hoc, la constitution et l’adhésion à un réseau de soins paraîtencore utopique. Il en résulte un certain découragement là où la motivation etla mobilisation de tous sont la condition essentielle et indispensable de la miseen œuvre et du bon fonctionnement des réseaux.

Au-delà, le travail en réseau pose la question du partage des responsabilitéset du respect des principes fondamentaux gouvernant l’exercice médical.

L’engagement d’un professionnel de santé dans la participation à un réseaude soins ne doit pas contredire les règles fondamentales de liberté de prescriptionet d’indépendance dans l’exercice de la médecine.

Conformément aux dispositions du code de déontologie médicale1, lemédecin exerce personnellement son art et demeure seul responsable des actesde soins auxquels il s’est livré.

La jurisprudence limite les cas dans lesquels la responsabilité d’un établis-sement de santé ou d’un médecin est susceptible d’être engagée du fait de laparticipation d’un autre professionnel de santé à la prise en charge du patient.Il en va ainsi, notamment, de la responsabilité d’une clinique du fait de sonmédecin salarié2 et de celle d’un médecin du fait de celui qui est sous ses ordreset dont il peut prévenir l’acte fautif3.

Dans l’hypothèse, fréquente au sein d’un réseau, de télédiagnostic, le méde-cin traitant qui fait appel à un médecin spécialisé n’est en principe pas respon-sable du diagnostic posé par ce dernier. Toutefois, il semble que sa responsabilitépourrait être engagée s’il est démontré soit qu’il a commis une faute dans le

1. Articles 32 et 93 du Décret 95-1000 du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale.2. Cour de cassation, 1re Chambre civile, 26 mai 1999.3. C.A. PARIS, 21 avril 1982 : un médecin a été condamné solidairement avec une infirmière du fait de sesactes car il était informé de son incompétence et n’avait pas pris les mesures qui s’imposaient à ce titre.

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choix de l’expert ou dans les informations qu’il lui a fournies en vue de la for-mulation du diagnostic à distance, soit qu’il a lui même participé au diagnostic.

Passées ces difficultés, le réseau doit pouvoir fonctionner selon un systèmede coordination centré sur les professionnels entre eux et envers le patient.

II – Le fonctionnement du réseau

L’une des incitations prévues par les pouvoirs publics à l’organisation enréseau s’est présentée sous la forme d’une aide méthodologique passant par la miseà disposition d’un cahier des charges unique au niveau de l’État et d’un guide dedéveloppement des plus anciens réseaux permettant ainsi de capitaliser les acquis.

D’autres organismes privés et de nombreux professionnels appartenant auxdomaines de la santé et du droit ont contribué à la mise en œuvre d’outils métho-dologiques.

Aussi précieux que soient ces outils, la réalité du terrain est contraignante.Le lancement d’un réseau est très souvent le fait d’un petit groupe de bénévolesdevant faire face au manque de temps et de moyens financiers pour construireun projet susceptible de convaincre les partenaires potentiels, futurs membresactifs ou financiers.

Le bon fonctionnement de la structure nécessite une phase indispensablede conception au sein de laquelle se dessine ce que nous pourrions appeler, enréférence au droit des sociétés, l’affectio « réseau-atis ».

A – L’affectio « réseau-atis »…

La création d’un réseau résulte nécessairement de la conviction partagéemais aussi vérifiée qu’il existe un problème de santé publique reconnu ou cons-taté par le professionnel dans sa pratique quotidienne du fait de l’inadéquationdes modalités actuelles de prise en charge.

Dans tous les cas, le réseau a pour objet de répondre à un besoin de santéconcret nécessitant l’intervention de compétences professionnelles différentes.

Dans l’hypothèse où la thématique du réseau est un problème de santé publi-que reconnu, le porteur du projet construira son étude d’opportunité en se basantsur les priorités de santé publique affichées au niveau local, régional ou national.

Si, au contraire, l’idée du réseau est née de la constatation et du vécu d’unecarence, l’initiateur du projet devra démontrer le besoin de santé pressenti etconvaincre de l’utilité et de la plus-value du réseau.

Après cette phase de vérification d’une conviction partagée, suit celle deconcertation avec les partenaires potentiels du projet afin de vérifier, d’une part,

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qu’il n’existe pas localement de projet similaire et, d’autre part, l’adhésion desprofessionnels pressentis.

Cette phase de concertation a pour autre but de dégager les objectifs com-muns du réseau, son éthique, la plus-value attendue ainsi que son champ d’inter-vention. Il convient également de définir avec précision le territoire sur lequelle réseau se propose d’intervenir en respectant les exigences de proximité.

B – Les relations entre professionnels

La coordination des membres du réseau implique l’organisation de réu-nions de coordination et la mise en place d’outils de liaison.

Les premières doivent permettre de déterminer, avant la prise en charge ettout au long du suivi du patient, les différents problèmes, les objectifs de soinset les actions à mettre en œuvre par chaque acteur.

Les outils de liaison – cahiers ou systèmes plus sophistiqués de transmissiondes informations – doivent permettre un renforcement des liens entre les diffé-rents partenaires et un suivi, au quotidien, de l’évolution de la situation dumalade.

L’organisation en réseau implique donc un partage d’informations et unecirculation accrue des renseignements sur la santé des patients. Dans ces condi-tions, il n’est pas inutile de s’interroger sur le droit du malade au secret et aurespect de sa vie privée.

Le secret professionnel s’impose pour l’ensemble des membres du réseauavec, pour les professionnels de santé, un renforcement par les règles déontolo-giques relatives au secret médical4.

La participation des professionnels de santé au réseau ne saurait les sous-traire aux règles encadrant la pratique de leur activité médicale, règles auxquellesils restent personnellement et individuellement soumis.

En outre, et conformément au droit commun, l’information médicaleconcernant une personne identifiable ne peut, sous peine de sanctions pénales5,être révélée à des tiers n’ayant pas, en vertu de la loi, qualité pour la connaître.

4. Article 4 du Décret 95-1000 du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale : « Le secretprofessionnel, institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions établies parla loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession,c’est à dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu et compris. »5. L’article 226-13 du code pénal impose le respect du secret professionnel à toute personne qui en estdépositaire « soit par état ou par profession » (professionnel de santé par exemple), « soit en raison d’unefonction ou d’une mission temporaire » (par exemple : société de maintenance intervenant au sein duréseau). La révélation d’une information à caractère secret est punie d’un an d’emprisonnement et de15 000,00 € d’amende.

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Par le biais de l’évolution des technologies, les informations de santé ontaujourd’hui vocation à circuler.

Touchant au plus profond de l’intimité, ce type de renseignement revêt unesensibilité particulière et ne peut être traité, manipulé ou utilisé à n’importe quel-les fins. Dans le cadre d’un réseau de soins, le principe du secret médical « par-tagé », non consacré par la loi, prend toute sa dimension. Il doit être fondé surl’intérêt du patient.

Le mécanisme du réseau doit permettre d’assurer la protection de la vieprivée et des intérêts intimes du patient au travers, notamment, de solutionstechniques telles que le cryptage et la sécurisation de l’accès aux données infor-matisées.

Les contrats conclus avec les prestataires en charge de la réalisation dusystème d’information et plus généralement les partenaires du réseau pourrontcontenir des clauses de confidentialité. Chaque contractant sera alors tenu aurespect du secret des informations qui lui seront communiquées, ou dont il auraconnaissance au cours de la mise en œuvre du réseau de soins, et ce, à quelqueniveau qu’il se trouve.

Enfin, et de manière plus générale, toute information médicale à caractèrepersonnel doit, conformément aux dispositions de la loi Informatique et Liberté,bénéficier d’une protection appropriée, notamment lors de sa conservation, deson traitement informatique et, bien entendu, de sa transmission.

Les responsables de traitement de données informatiques se voientcontraints à une obligation de sécurité6 se traduisant, pour les professionnels desanté, par l’obligation de prendre toutes les précautions utiles afin d’éviter ladéformation, la divulgation et l’utilisation détournée des données nominativesissues directement ou non des prescriptions médicales. Le non respect de l’obli-gation est pénalement sanctionné7.

La déclaration CNIL relative à la mise en œuvre d’un traitement automa-tisé des informations permettant l’identification des patients, doit préciser lesdispositions prises pour assurer la protection du système informatique (mot depasse, carte d’accès…)8.

6. Article 29 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 dite loi Informatique et Liberté.7. L’article 226-17 du Code pénal puni de 5 ans d’emprisonnement et 300 000, 00 € d’amende le « faitde procéder à un traitement automatisé d’informations nominatives sans prendre toutes les précautionsutiles pour préserver la sécurité de ces informations et notamment empêcher qu’elles ne soient déformées,endommagées ou communiquées à un tiers non autorisé. »8. Article 19 de la loi n° 78-17 du janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés etmodifiée par la loi n° 94-548 du 1er juillet 1994 relative au traitement des données nominatives ayant pourfin la recherche dans le domaine de la santé.

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À côté de ce partage d’informations concernant les patients inclus dans leréseau, la structure doit pourvoir à la mise en œuvre d’un programme de for-mation auquel chaque membre participera de façon régulière.

Différents outils peuvent être envisagés, comme l’organisation d’une per-manence téléphonique, la mise en place d’un centre de documentation, l’éditionde publications et, bien sûr, la création d’un site Internet.

Le site web représente un outil performant de promotion du réseau. Outreson rôle de présentation des activités de la structure, il permet un échange entreles professionnels de santé.

La loi du 1er août 20009 dispense de l’obligation de déclarer au Procureurde la République un site Internet à destination du public. En revanche, l’éditeurdu site, tenu à une obligation de transparence, devra tenir à la disposition dupublic les noms, prénoms et adresses des personnes concernées, les dénomina-tions, raisons sociales et sièges des sociétés participantes et de l’hébergeur dusite ainsi que le nom du directeur ou du co-directeur de la publication ou, le caséchéant, celui du responsable de la publication.

Dans l’hypothèse où des informations nominatives seraient collectées, enre-gistrées ou échangées, le site devra faire l’objet d’une déclaration CNIL.

Il est enfin nécessaire d’insister sur la déontologie du site étant entenduque le promoteur du réseau sera responsable des informations qu’il diffuse, deleur choix et de leur présentation.

C’est ainsi que le Conseil national de l’Ordre des médecins appelle au res-pect des principes déontologiques d’interdiction de la publicité et de respect dusecret médical en insistant sur la validation permanente et le contrôle qualitédes informations diffusées.

Aujourd’hui encore, certains réseaux ne cherchent pas la prise en chargedirecte des malades. Dans ce type de structure, chaque professionnel assume sesresponsabilités à domicile ou en institution et s’appuie sur le réseau pour accroî-tre ses compétences et renforcer l’équipe interdisciplinaire, si besoin.

Cette catégorie de réseaux, dont l’avantage est de présenter une grande sou-plesse logistique et des besoins financiers modestes, est très souvent l’étape prélimi-naire d’une structure dont l’objectif, à terme, est la prise en charge du patient.

C – La prise en charge du patient

La prise en charge du patient à l’intérieur d’un réseau pose les questionspratiques de son entrée, de l’établissement d’un plan de traitement et des moda-lités financières de la prise en charge.

9. Loi n° 2000-79 du 1er août 2000.

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Avant d’envisager la mise en œuvre de cette prise en charge, l’attentiondoit être portée sur l’information et le recueil du consentement de la personnemalade.

La circulaire du 29 novembre 199910 rappelle l’obligation d’informationpesant sur les membres du réseau à l’égard du patient. Ainsi, « la visibilité dupoint d’accès au réseau doit (lui) être assurée (…) Toute personne concernéedoit être mise au courant de la structure en réseau qui lui est proposée et deschoix qu’elle peut faire dans l’aire géographique où elle vit ».

À condition de respecter les règles déontologiques en matière de publicité11,le choix et la diversité des moyens d’information sont laissés à la discrétion desmembres du réseau. Nous pensons cependant qu’ils doivent être adaptés aupotentiel de compréhension de celui à qui on l’oppose et à sa culture, relevantparfois plus de la parole et de l’échange que de l’écrit.

Ce n’est que correctement informé que le patient pourra exprimer unconsentement conforme aux exigences de la loi, c’est-à-dire libre et éclairé.

Si l’écrit n’est pas requis, il est cependant probable qu’il facilite, le caséchéant, la démonstration que le consentement a bien été donné par le patient.

D’une manière pratique, les membres du réseau peuvent élaborer une« charte du patient » dont la signature vaut acte d’adhésion et d’engagement,par exemple, à suivre le plan de traitement et à ne pas faire appel, pour les soinsprévus par ce plan, à des professionnels de santé n’adhérant pas au réseau.

Une fois le consentement du patient acquis, aucun texte légal ne fixe avecprécision les modalités de prise en charge. Il appartiendra à chaque réseau, dansle respect des droits fondamentaux du malade, d’organiser – par exemple – lesconditions de son entrée, l’établissement d’un plan de traitement ainsi que lesmodalités financières de sa prise en charge.

L’inclusion du patient dans le réseau pourra être soumise à conditions etprécédée d’un bilan initial. Ce préalable répond à une exigence de bon fonction-nement de la structure nécessitant que les patients pris en charge correspondenteffectivement à ceux visés par ses objectifs.

Pareil bilan permettra, par ailleurs, de vérifier que le patient peut bénéficierd’un dispositif de prise en charge à domicile compte tenu de son état médical

10. Circulaire DGS/DAS/DH/DSS/DIRMI n° 99-648 du 25 novembre 1999 relative aux réseaux de soinspréventifs, curatifs, palliatifs ou sociaux.11. Article 19 du décret 95-1000 du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale : « La méde-cine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects depublicité et notamment tout aménagement ou signalisation donnant aux locaux une apparence commer-ciale. »

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et de son environnement familial et social ; ainsi que d’évaluer l’ensemble de sesbesoins sur le plan physique, psychique et relationnel.

En un mot, le bilan initial a pour but de vérifier la faisabilité de la priseen charge.

La décision d’inclusion sera suivie d’une réunion de coordination dontl’objet sera d’orienter et d’organiser les interventions nécessaires à l’état de santédu malade.

Il pourra apparaître opportun, à l’issue de cette rencontre, de rédiger unplan d’intervention adapté à la situation médico-sociale du patient et compor-tant, par exemple, un volet médical et para-médical (plan de suivi du médecingénéraliste, prescriptions médicamenteuses, délivrance de soins par des auxiliai-res médicaux…) et un volet social (besoins financiers, de soutien de l’entourage,d’aménagement du domicile ou encore démarches administratives).

Enfin, des réunions de réévaluation de la situation et du plan de traitementde chaque patient seront organisées selon une périodicité décidée par les membresdu réseau.

Conclusion

Nous l’avons vu, la mise en œuvre d’un réseau de soins nécessite que soientréunis plusieurs ingrédients indispensables : un noyau de personnes motivéesfondant les bases de la structure et s’y consacrant au moins jusqu’à ce que leréseau soit assez solide pour se passer d’eux, des objectifs cohérents et bien défi-nis, un territoire et une population ciblée, la définition précise de la trajectoiredes patients et des missions de chaque intervenant et, bien sûr, l’engagementvolontaire de professionnels issus de disciplines variées.

À ces conditions de mise en œuvre, s’ajouteront celles, indispensables à lapérennité de la structure, que sont la pratique de l’évaluation et la recherchepermanente de qualité ainsi qu’un financement global, stable et suffisammentincitatif pour entraîner des adhésions.

L’évaluation du réseau de santé apparaît, par ailleurs, comme une condi-tion sine qua non de sa longévité.

Elle permet la mesure d’un résultat tangible tendant à démontrer aux finan-ceurs l’utilité de leur aide et aux acteurs l’efficacité de leur participation ; l’ana-lyse des processus permet de dégager les formes d’organisation les plus efficaces ;enfin, l’évaluation rend possible l’identification des contextes les plus favorablesà la coopération.

De manière plus générale, l’évaluation doit permettre de comprendre lefonctionnement des réseaux afin de dégager un ensemble de règles communes.

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Enfin, et bien que constituant une réponse en terme de maîtrise des dépen-ses de santé, la pratique en réseau implique des coûts nouveaux liés à la priseen charge des patients et au fonctionnement de la structure elle-même.

La coordination entraîne nécessairement des frais liés à l’organisation desréunions de suivi et à la mise en place d’un système d’information pertinent etsécurisé. Elle demande, en outre, un effort supplémentaire de mobilisation desprofessionnels. La mission de coordinateur, pour être envisageable à long terme,doit être rémunérée.

C’est au prix de ces efforts et par l’acceptation d’un bouleversement despratiques, à la fois voulues et craintes par les professionnels de santé, que sedéveloppe un mode nouveau d’organisation de l’offre de soin recentré sur lepatient et son entourage.