56
ACTU. P18-25 COUP DE FROID SUR LES GOOGLE GLASS/ FOOT : LE BARÇA À VAU-L’EAU IDÉES. P26-33 SAMUEL HAYAT: JANVIER 2015 ET LA RÉVOLUTION DE 1848/ ET PAGIS IACUB, CLERC... CULTURE. P34-41 PHILHARMONIE: FINI LES COUACS/ LE DOMAINE PUBLIC N’EST PAS EN RESTE NEXT. P42-49 GALLIANO FAIT FOI CHEZ MARGIELA / CAHAGNET, CHEF DE BANLIEUE WEEK-END PHOTO FRÉDÉRIC STUCIN AUX ACTES, CITOYENS! PAGES 2-17 L’élan né avec le mouvement Charlie ne doit pas retomber. «Libération» explore cinq pistes pour un renouveau républicain et invite au débat. AP 2,70 EUROS. DEUXIÈME ÉDITION N O 10471 SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 WWW.LIBERATION.FR IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 3,40 €, Andorre 3,40 €, Autriche 3,90 €, Belgique 2,80 €, Canada 6,20 $, Danemark 36 Kr, DOM 3,50 €, Espagne 3,40 €, Etats-Unis 6,00 $, Finlande 3,80 €, Grande-Bretagne 2,80 £, Grèce 3,80 €, Irlande 3,50 €, Israël 27 ILS, Italie 3,40 €, Luxembourg 2,80 €, Maroc 30 Dh, Norvège 36 Kr, Pays-Bas 3,40 €, Portugal (cont.) 3,60 €, Slovénie 3,80 €, Suède 34 Kr, Suisse 4,40 FS, TOM 560 CFP, Tunisie 4,90 DT, Zone CFA 2 900 CFA.

Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

  • Upload
    alex-4

  • View
    61

  • Download
    1

Embed Size (px)

DESCRIPTION

a

Citation preview

Page 1: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

ACTU. P18­25COUP DE FROIDSUR LESGOOGLE GLASS/FOOT : LE BARÇAÀ VAU­L’EAU

IDÉES. P26­33SAMUEL HAYAT:JANVIER 2015 ETLA RÉVOLUTIONDE 1848/ET PAGISIACUB, CLERC...

CULTURE. P34­41PHILHARMONIE:FINI LES COUACS/LE DOMAINEPUBLIC N’EST PASEN RESTE

NEXT. P42­49GALLIANOFAIT FOI CHEZMARGIELA /CAHAGNET, CHEFDE BANLIEUE

WEEK­END

PHO

TOFR

ÉDÉR

ICST

UC

IN

AUXACTES,CITOYENS!

PAGES 2­17

L’élan né avec lemouvement Charliene doit pas retomber.«Libération»explore cinq pistespour un renouveaurépublicainet inviteau débat.

AP

•2,70 EUROS. DEUXIÈME ÉDITION NO10471 SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 WWW.LIBERATION.FR

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 3,40 €, Andorre 3,40 €, Autriche 3,90 €, Belgique 2,80 €, Canada 6,20 $, Danemark 36 Kr, DOM 3,50 €, Espagne 3,40 €, Etats­Unis 6,00 $, Finlande 3,80 €, Grande­Bretagne 2,80 £, Grèce3,80 €, Irlande 3,50 €, Israël 27 ILS, Italie 3,40 €, Luxembourg 2,80 €, Maroc 30 Dh, Norvège 36 Kr, Pays­Bas 3,40 €, Portugal (cont.) 3,60 €, Slovénie 3,80 €, Suède 34 Kr, Suisse 4,40 FS, TOM 560 CFP, Tunisie 4,90 DT, Zone CFA 2 900 CFA.

Page 2: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

Panser la République

A près les larmes, la réflexion. Après laferveur d’une mobilisation sans précé-dent, le temps de la lucidité. Dans cesjours de douleur, on le voit de mieux en

mieux, nous n’étions pas tous Charlie. Regardonsces divisions en face. La République est confortéedans l’épreuve, certes, mais il lui reste beaucoupà faire. C’est la raison pour laquelleLibération a voulu entamer au plusvite le débat. En cinq chapitres, aveccinq grands témoins, avec une dis-cussion vive entre acteurs de ter-rain, nous avons voulu désigner les champs d’ac-tion, esquisser les propositions, commencerd’énumérer les efforts que nous devons faire en-core pour être républicains.Fractures sociales. La lucidité, donc. La plusgrande manifestation du siècle, généreuse et fra-ternelle, ne débouche pas sur un monde de Bisou-nours, bien au contraire. Plusieurs réalités déran-geantes, amères, cruelles parfois, se sont

réaffirmées dans cette tourmente. Il est clair dé-sormais, si on ne l’avait pas reconnu jusque-là,qu’un bon nombre de Français, souvent dans lesbanlieues, sont en dissidence morale et socialedans leur propre pays. Une partie de ces jeunes,travaillés par les intégrismes, sensibles à un com-plotisme trop répandu, refusent de s’associer à

la peine générale et récusent lesréférences communes. Ils obéissentà ces critères communautaires etreligieux étrangers aux valeursdémocratiques.

La France ne subit pas seulement les conséquencesde ses propres fractures sociales, qui offrent auxobscurantistes un terrain idéal de recrutement.Elle est le théâtre, comme tant de pays, du combatplanétaire entre deux islams, celui qui accepte peuou prou la modernité et celui qui la refuse. Celuiqui réunit les croyants pacifiques, très majoritairesen général, mais pas partout, et la faction dogma-tique qui veut revenir à la lettre des textes, c’est-à-

dire à un Moyen Age à la fois idéalisé et sinistre,quitte à user d’une violence insensée. C’est unebataille policière et militaire contre le terrorisme,qui doit être menée sans faiblesse. C’est une ba-taille culturelle, idéologique, théologique contrel’intégrisme, qui concerne les musulmans au pre-mier chef, en même temps que tous les citoyens.La vraie caricature de Mahomet, c’est l’inté-grisme. Chacun doit s’en persuader.Examen de conscience. Alors comment lutter?Par l’éducation et la raison, bien sûr, fondementsde la société démocratique. Il y eut jadis les hus-sards noirs de la République. Ils ne reviendrontpas. Mais nous avons besoin de soutenir, d’encou-rager, d’honorer, de récompenser, y compris parune rémunération adaptée, ces profs qui sont surla ligne de front, qui transmettent les valeurs deliberté souvent dans l’isolement et même, parfois,le dénigrement. Leur combat doit être reconnu.Il ne s’agit pas seulement d’adapter les méthodespédagogiques à un nouveau public, de détecter les

ÉDITORIALPar LAURENT JOFFRIN

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 20152 • EVENEMENT

Page 3: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

Panser la République

«décrocheurs» et de les ramener au bercail ou demodifier le système de notes pour éviter l’humi-liation –actions sympathiques mais insuffisantes.Il s’agit aussi de rester intransigeants sur les sa-voirs, de ne tolérer aucune intervention exté-rieure, aucune pression sur le contenu des pro-grammes, qui doivent comprendre, par exemple,un enseignement laïque du fait religieux qui necède rien aux communautarismes naissants. Ils’agit de conforter la formation des enseignants,mais aussi leur autorité, parce qu’ils savent et queles élèves ne savent pas, parce qu’ils sont les insti-tuteurs du civisme.L’éducation, dont on charge souvent outrageuse-ment la barque, ne pourra réussir sans l’emploi,c’est-à-dire sans que la formation ne débouche surl’espoir raisonnable de se faire une place au soleil.Et comme l’emploi dépend, pour beaucoup, del’activité, les dirigeants de nos économies euro-péennes doivent se livrer à un examen de cons-cience. En imposant le gel de la croissance par

l’austérité, ils ont accru le désespoir des banlieues,l’exclusion des jeunes, l’angoisse de la précarité.Ils commencent seulement de s’en rendre compte.La pression pour une autre politique économiqueen Europe doit s’accroître. Il est temps de libérerl’activité, de soutenir le pouvoir d’achat, de relan-

cer l’investissement, de desserrer le licol de l’or-thodoxie financière et budgétaire. Les obsédés dudogme monétaire, au bout du compte, favorisentle terrorisme.Crime contre l’esprit. Il faut enfin livrer une ba-taille intellectuelle. Les prophètes du déclin, lesJérémie de la modernité, les frénétiques de l’iden-

tité tiennent depuis trop longtemps le haut dupavé, tout en se présentant comme des martyrsde la bien-pensance. La bien-pensance, dans leuracception, ce sont les idées de liberté et de pro-grès. Nous l’avons souffert avec trop de longani-mité. Les valeurs ne sont pas relatives, selon les

cultures ou les religions; les identités,sous prétexte qu’elles sont malheu-reuses, ne sauraient remplacer l’héri-tage de la raison. Les valeurs sontuniverselles, comme les droits del’homme. Ceux qui prônent l’enfer-mement communautaire ou inté-griste, qui veulent substituer les pa-

roles révélées à la délibération rationnelle, commeceux qui veulent rompre avec l’Europe et l’inter-nationalisme au nom d’une conception rabougriede la France ne commettent pas seulement uncrime contre l’esprit. Ils attentent à l’intérêt dupays et à son avenir. Comme aurait dit Charb, ti-rons l’esprit du cachot ! •

Il y eut jadis les hussards noirs de laRépublique. Ils ne reviendront pas. Mais nousavons besoin de soutenir, d’encourager,d’honorer, de récompenser ces profs quisont sur la ligne de front.

Place de laRépublique,à Paris, jeudi.Depuis la tuerieperpétréeà Charlie Hebdopar les frèresKouachi,de nombreuxdessinset messagesde soutien ontété laissés surla statue. PHOTOCHRISTOPHE MAOUT

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 • 3

Page 4: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

4 • EVENEMENT

L’Assemblée debout, entonnant la Marseillaiseaprès une minute de silence observée enhommage aux victimes des frères Kouachiet d’Amedy Coulibaly. Une première depuis 1918.Mais ce cliché historique, pas plus queles 3,7 millions de Français qui ont marchédimanche 11 janvier, ne doit faire oublier le déficitde citoyenneté qui déstructure à petit feunotre vie démocratique. En premier lieu dansla jeunesse et a fortiori dans ces quartiers qu’onappelait populaires, qu’on qualifie de sensibles,et dans lesquels certains maires ne sont élusqu’avec les voix d’une petite minorité. Ici, maisplus largement en France, il faudra plus quele droit de vote à 16 ans ou une réformetteinstitutionnelle pour faire trouver ou retrouverle chemin des urnes à ces millions de décrocheursélectoraux, qui ne votent bien souvent que lorsde la présidentielle. Cela doit être une ambitionde moyen terme mais s’imposer comme uneurgence. Un hémicycle à l’image du pays,donnant droit de cité à la France telle qu’elle est,y contribuerait bien sûr. Tout comme le faitd’accorder –le candidat Hollande l’avait promis–le droit de vote aux élections locales auxétrangers non européens légalement en Francedepuis cinq ans. Mais pour répondre à la ruptureentre un nombre croissant de Français et uneclasse politique qui apparaît à beaucoup centréesur ses intérêts personnels ou, au mieux,partisans, c’est d’abord en se mettantconcrètement au service de l’intérêt généralque les hommes politiques pourront entamerla reconquête démocratique.Un combat vital. J.B.­P.

Citoy

enne

A Clichy­sous­Bois, vendredi.

Dans la commune de Seine-Saint-Denis,les anciens regrettent les espoirs des années 80

tandis que les plus jeunes se sententsous-représentés et se débattent avec le chômage.

A Clichy,les oubliés dela République

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 5: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

EVENEMENT • 5

Par RACHID LAÏRECHEPhoto ALBERT FACELLY

«A près la stupeur etl’angoisse suite àl’attentat, puis

l’émotion et l’unité res-senties lors de la manif dedimanche, on entremaintenant dans le tempsde la réflexion et de la re-mise en question. Avec cette inter-rogation: comment en est-on arrivélà? Car il ne s’agit pas uniquementde la dérive personnelle de trois ter-roristes. C’est aussi celle de notresociété. Une dérive déjà identifiéelors de la crise des banlieues en2005, et qui, à défaut d’avoir ététraitée, nous explose à la figureaujourd’hui de la façon la plusatroce. Avec une difficulté supplé-mentaire, qui est la mondialisationde cette dérive, avec le phénomènejihadiste. Car les départs de ces jeu-nes sont aussi le signe d’un défautd’intégration. Bref, il y a eu un ratémagistral, à l’époque, vis-à-vis decette jeunesse, que nous payonsaujourd’hui. Et qui pose la questionde l’éducation, de la formation, del’accès à l’emploi…«On ne peut en effet demander à unjeune d’être citoyen, d’être intégrédans la société et exiger de lui desdevoirs, sans lui accorder les droitsqui vont avec. Car être citoyen, c’estun tout. C’est d’abord le respect desautres, de leurs différences, et c’estagir pour accorder ces différencesafin de bâtir le vivre ensemble. C’est

faire attention à son voi-sin âgé, à la femme en-ceinte dans la rue, à lapersonne handica-pée, etc. C’est un en-semble de conduites quipermettent de “faire so-ciété”. Mais être citoyen,

c’est aussi avoir des droits. Le droitau logement, à la santé, à la forma-tion, à la culture ou encore au tra-vail. Or, il y a tout une partie de lapopulation à qui, aujourd’hui, ondénie ces droits, ce qui empêched’accéder à la citoyenneté de façonpleine et entière.«Je sais qu’il y a des jeunes qui ontrefusé de suivre la minute de silenceen mémoire des victimes et c’estinacceptable. Mais peut-on leur de-mander d’être des citoyens exem-plaires dans une société s’ils sesentent discriminés? Que leur pro-pose-t-on comme accès à l’emploi,à la culture, à la formation ? Notresystème d’exclusion ampute unepartie de la citoyenneté.«Prenons l’exemple de l’école. Ra-rement notre système d’éducationn’aura autant reproduit les inégali-tés sociales qu’aujourd’hui. Or, iln’y a pas de citoyenneté s’il y a dis-crimination dans l’accès à l’égalitédes chances. Il ne suffit pas de for-mer les professeurs à l’enseigne-ment des valeurs républicaines si,dans le même temps, une partie dela population est reléguée. Même

chose sur la pauvreté. Il n’y a jamaiseu autant de pauvres chez les moinsde 18 ans (presque 20%). Comment,dans ces conditions, inculquer ledevoir de citoyenneté? Tant que cesproblèmes ne seront pas résolus, onne réglera pas totalement la ques-tion de la citoyenneté.«En prêchant pour ma paroisse, jecrois que le service civique, si on ledéveloppe, peut être un outil puis-sant de citoyenneté. Il peut permet-tre à une partie de la jeunesse des’engager dans des actions citoyen-nes (auprès de personnes âgées, deshandicapés, pour la lutte contre leréchauffement climatique, etc.) touten étant reconnu par la nation, en-tre autres par le biais d’une indem-nisation. D’autant qu’on reconnaîtensuite l’expérience du jeune, cequi l’aidera dans son parcours d’ac-cès à l’emploi et à la formation. Lespersonnes qui sont passées par leservice civique sont d’ailleurs da-vantage prêtes à s’engager et ontmoins peur des autres. Elles sontainsi 43% à penser que l’on peutfaire davantage confiance à la plu-part des gens, contre 17% pour cel-les qui ne l’ont pas fait. Et 92%d’entre elles se disent heureusesd’avoir fait quelque chose d’utilesocialement.«Sans pour autant verser dans unmea culpa déplacé, peut-on se posertoutes ces questions ?»

Recueilli par LUC PEILLON

Pour François Chérèque, de l’Agence du service civique,les dérives jihadistes sont «le signe d’un défaut d’intégration»:

«La crise des banlieuesnous explose à la figure»

AP

L a nuit tombe sur Clichy-sous-Bois.Près du centre-ville, les âmes se dis-patchent en silence à la descente dubus. Ici, on a l’impression que tout le

monde se connaît de près ou de loin. My-riam (1), la trentaine passée, nedort plus dans les parages depuisune dizaine d’années. Elle a quittésa ville natale pour Paris. Ce soir, elle est àClichy-sous-Bois pour une simple visite de«courtoisie». Myriam passe pour «garder lecontact» une à deux fois par mois. Elle sepose à quelques de mètres de la mairie. «Iciil n’y a aucun coin pour se retrouver, boire unverre», dit-elle. Puis elle explique d’une voixdouce et lente: «J’ai sûrement passé ici les plusbelles années de ma vie. Mais tout a changé aumilieu des années 90.»

«PAROLE». Les plus belles années débutentau début des années 80. Nostalgique, Myriamraconte : «On était tous mélangés. Il y avaittoutes les cultures et surtout des classes socia-les différentes. Des locataires, des prioritaires.Les plus riches sont partis et des pauvres sontrevenus rejoindre les pauvres. Puis les immeu-bles étaient peu ou pas entretenus, le chômage

a grimpé, la délinquance aussi. On est passédu rêve au cauchemar en silence et sans aucuneaide extérieure.» Kamel (1), un ami d’en-fance, déboule, tape la bise et débite en vi-tesse. Ce fonctionnaire est né ici, son enfantaussi. Il planque son sourire et cause citoyen-neté : «Ce mot me fait marrer. Comment tuveux te sentir citoyen et voter lorsque ton ascen-

seur ne fonctionne jamais, que tucroises des rats en bas de chez toi etque tu galères pour trouver un job?

Ici, le citoyen peut très vite être largué et se cou-per du monde. Donc lorsque le bureau de voteouvre ses portes, on le regarde de loin.»Lors des municipales de mars 2014, le maire(PS) Olivier Klein l’a emporté dès le premiertour avec 62% des suffrages. Mais lorsquel’on regarde le nombre de voix, le résultatchange la donne : 2 698 bulletins, soit près8% des 39 000 habitants.Presque rien. Le maire dé-taille : «Il faut souligner que40% des inscrits sur les listesélectorales ont voté, ce quin’est pas rien à Clichy. Et nepas oublier que la moitié de lapopulation est mineure et prèsd’un tiers étrangère.» Ilajoute: «Je regrette vraimentque la loi sur le vote des étran-

gers pour les élections locales ne soit pas pas-sée. Tous les gouvernements qui se succèdentle promettent sans tenir parole.»

«RÊVE». Ahmed, retraité et clichois depuis ledébut des années 80, approuve. L’ancienouvrier a quitté l’Ouest algérien au début desannées 70. Sa femme l’a rejoint plus tard. Lecouple fonde une famille et vit sans faire de«bruit». Voix grave éraillée par la clope, petitbonnet sur la tête, Ahmed compare les épo-ques: «Avant, il y avait du boulot partout. LaFrance, c’était le rêve pour tout le monde, mêmeles étrangers. Aujourd’hui, c’est plus dur, leschoses se dégradent, les gens ne croient en rien.Mes enfants ne votent plus. Des fois, je leur dis“si vous ne voulez pas voter, laissez-moi votreplace”.» Madame Djerroudi, membre de l’as-sociation ACLefeu, côtoie des familles «de

toutes origines» avec qui elleorganise des groupes de pa-roles ou des ateliers manuels.Elle tente d’analyser la situa-tion: «Les étrangers se sententplus français que leurs enfantsparce qu’ils sont là depuis trèslongtemps et ne se sont jamaisplaints. Les enfants, eux, sontnés ici, ont étudié ici et ont re-marqué la différence de traite-

ment avec les autres enfants. Ils ont l’impressiond’être à l’écart.»Mohamed Sabri, yeux clairs et pull en mari-nière, est responsable de Planet FinanceFrance. L’association (de Jacques Attali) apour objectif «d’aider» les habitants de Cli-chy et Montfermeil qui veulent créer leur en-treprise. Chaque mois, il reçoit en moyenne25 personnes avec un projet: cinq d’entre el-les arrivent au bout. «Il y a des jeunes doués,motivés et qui arrivent à faire des choses super-bes, mais les gens préfèrent parler des problèmessans agir. Des fois, il suffit juste de tendre unemain», dit-il fièrement. Mohamed Sabri, quia toujours vécu dans «le secteur», n’est pasdu genre rêveur. La solution pour intégrer leshabitants à la vie de la cité? «Elle est économi-que.» A Clichy, le taux de chômage dépasseles 23%, le double de la moyenne nationale.Il frôle même les 50% dans certains quartiers.Avant de trouver un emploi et fonder sa fa-mille, Mohamed Sabri a connu des momentsde doute en attendant le versement du RSA.Aujourd’hui, il parle pour les moins bavards:«Le fait de travailler enclenche un mécanisme,comme se lever le matin ou partir en vacances.Ici, certaines personnes ont la trentaine passéeet n’ont pas de solution pour le futur. Et c’estleur unique préoccupation du moment.» •(1) Les prénoms ont été changé.

SEINE-SAINT-DENIS

5 km

Clichy-sous-Bois

BobignyHAUTS-DE-

SEINE

PARIS

VAL-D’OISE

HAUTS-DE-

SEINE

REPORTAGE

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 6: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

6 • EVENEMENT

Etre ou ne pas être «Charlie»? Derrière cetteinterrogation qui interpelle la société depuisune semaine, c’est le principe même de la laïcitéque les attentats contre Charlie Hebdo et l’HyperCacher remettent en cause. Singularité françaiselongtemps enviée et encore admirée dansle monde entier, le dispositif est aujourd’hui misà mal par la mondialisation des échanges. Faceà la montée des religions et l’expression desidentités, la France n’en a­t­elle pas trop fait dansson affirmation laïque? L’attaque même contrele journal satirique prouve le contraire, répondentles partisans d’une indéfectible laïcité: faceau radicalisme religieux, il faut toujours et encorese mobiliser. D’autres rappellent que la loi de 1905permet à chacun de vivre sa foi et de cohabiter,à égalité. Contrairement aux idées reçues,elle n’interdit pas le religieux, elle l’organise.En 2004, la loi sur les signes religieux à l’écoleétait venue éteindre le débat brûlant sur le voile.Mais aujourd’hui que faire? L’Observatoire dela laïcité vient de rendre, jeudi, onze propositionspour «renforcer la cohésion nationale»et réaffirme «la nécessaire mise en œuvrede l’enseignement moral et civique».Déjà des critiques s’élèvent. Propositions«angéliques et pusillanimes, cosmétiques dansle meilleur des cas», disent les uns, la Républiquen’est plus assez défendue, notamment danssa dimension laïque, redoutent les autres.Le 11 janvier, près de 4 millions de personnessont descendues dans la rue pour défendrece modèle français. Avec pour enjeuconsidérable: la laïcité doit intégreret non stigmatiser. C.D. et A.Vé.

La grandemosquée de larue Emile­Zola,

à Limoges,vendredi.

Ce vendredi, jour de prière, les fidèles appelaientà un «accompagnement» de l’Etat et revendiquaient

le même respect pour toutes les religions.

A la mosquéede Limoges,

un rêve d’égalitédevant la foi

Laïci

téLIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 7: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

EVENEMENT • 7

Par JULIE CARNISCorrepondante à LimogesPhoto CLAUDE PAUQUET

«I l est important de distinguerle rapport entre la religion etla lutte contre le terrorisme,

même si ces jeunes qui ont sombrédans le terrorisme se réclament dela religion. La laïcité a été atteinteen deux points: la liberté de cons-cience avec l’attentat contre Char-lie Hebdo et le principe de non-discrimina-tion pour raison de religion dans le cas del’Hyper Cacher. Isoler les terroristes de ceuxqui pratiquent tranquillement leur religion,même de façon orthodoxe, même si cela ma-nifeste une différence avec la manière majo-ritaire de vivre, est dans notre intérêt. Pourcela, il faut une laïcité qui soit la plus inclu-sive possible plutôt que de l’invoquer pourjustifier une méfiance vis-à-vis de l’islam,comme le font certains.«L’article 1 de la loi de 1905 assure la libertéde conscience et garantit le libre exercice descultes, sous la seule réserve de l’intérêt del’ordre public. Depuis vingt-cinq ans, enoubliant cela, on a fait beaucoup de mal à lalaïcité et notamment à la représentation quepeuvent en avoir un certain nombre dejeunes. Il y a eu un glissement de sens quidevient un contresens, c’est-à-dire que lareligion est affaire privée au sens où elleest choix personnel de chacun, elle n’estpas affaire de la puissance publique. A ceniveau-là, le terme de privé est pertinent.Mais la loi ne relègue pas la religion dans

la sphère privée, au contraire.Il s’agit de distinguer la puissancepublique, l’Etat et ses repré-sentants d’une part, et l’espacepublic d’autre part, qui estl’agora, l’espace de discussion,les lieux où les personnes pri-vées circulent, dialoguent, “s’en-

gueulent librement”, comme le dit DanielCohn-Bendit.«La dérive à laquelle on assiste, qui consisteà faire glisser l’obligation de neutralité del’Etat vers la société elle-même, est contraireà la loi, mais elle est aussi contre-productive:elle choque les croyants et donne l’idée d’unelaïcité répressive. De nombreux musulmansse sentent stigmatisés, cela a des fondementsréels. Ils doivent pouvoir pratiquer leur reli-gion dans le cadre de la République sans dis-crimination aucune. La laïcité a dû faire faceà ses débuts à la force du catholicisme qui sepensait comme une monarchie et qui com-battait les valeurs modernes. La loi n’a paschangé pour autant. Il y avait à l’époque undissensus très fort qui a duré jusqu’à Vati-can II, en 1962, mais cela n’a pas empêché lalaïcité de fonctionner.«Il faut aussi distinguer laïcité et sécularisa-tion. La sécularisation est une prise de dis-tance à l’égard des normes religieuses, alorsque la laïcité permet aux individus qui ontdes rapports différents à la sécularisation depouvoir vivre ensemble. La question de

l’égalité entre les religions est aussi impor-tante. N’oublions pas que dans la loi de 1905,les mêmes peines sont prévues pour ceux quiimposeraient ou empêcheraient des actes re-ligieux. L’égalité faite entre le droit de croireet celui de ne pas croire doit être rappeléeaujourd’hui.«L’Observatoire de la laïcité a remis jeudionze propositions, comme le recrutementd’aumôniers musulmans supplémentaires enprison et l’instauration de conseillers huma-nistes pour les détenus. Développer l’ensei-gnement laïque du fait religieux dans lesétablissements scolaires est aussi une bonnechose.«Je pense qu’il est nécessaire que le minis-tère de l’Intérieur assume les questions desécurité et de lutte contre le terrorisme maislaisse les rapports de la République avecles cultes au ministère de la Justice afinde garantir le libre exercice des religions.Quant à la Halde [Haute Autorité de luttecontre les discriminations et pour l’égalité,ndlr] supprimée par Nicolas Sarkozy, elledoit être rétablie. Créée au moment de la loide 2004 sur les signes religieux à l’école,elle veillait à ce que ce texte ne débordepas de son objet initial. Il est urgent demettre fin à la confusion actuelle quibaptise laïcité des situations qui n’en relè-vent pas et de renforcer la lutte contre lesdiscriminations.»

Recueilli par ANASTASIA VÉCRIN

L’historien et sociologue Jean Baubérot, auteur de «la Laïcité falsifiée», déplorele glissement de «l’obligation de neutralité de l’Etat vers la société elle-même»:

«La loi ne relègue pas la religiondans la sphère privée»

AFP

A la grande mosquée de Limoges,c’est jour de prière. Sous les éten-dards «Pas en mon nom», «La li-berté n’est pas négociable», les fou-

lards verts, roses et dorés des femmescolorent la grisaille de ce vendredi. Une tou-che de gaieté pour cacher un peu de gêne etde méfiance. L’imam entame son prêche.«Dans ces moments de passion, il faut faireappel à la raison et à l’intelligence, parce quedonner l’image du Prophète, c’est faire preuvede sérénité, y compris face à la méchanceté.»Hassan Izzaoui plaide pour l’éducation,pour refaire sens autour de la laïcité. «Nousavons, nous tous, citoyens de ce pays, notreresponsabilité. Et c’est par l’éducation quenous devons lutter.»

«VECTEUR». Rachid, 25 ans, se décrit commeun enfant de la République. Elevé dans unquartier populaire, il explique : «A l’école,je n’ai eu que des professeurs très ouverts.Cette laïcité-là, qui respecte la sensibilité dechacun, j’ai l’intime conviction qu’elle estcompatible avec l’islam.» «En revanche, re-bondit Amel, sa sœur de 18 ans, la laïcité telle

qu’elle est orientée aujourd’hui est mal vécuepar les musulmans. D’abord, la communautéa le sentiment que depuis quelques années,quand on parle laïcité, c’est toujours au sujetdes musulmans. Au-delà de ça, c’est toujourspour aller dans le sens de l’interdit, de la res-triction.» La jeune étudiante en droit pro-fesse : «Pour faire passer un message, il y aplusieurs chemins, la contrainte ou l’accompa-gnement. Je pense que l’accompagnement parl’Etat serait plus bénéfique.»Fatima acquiesce. L’aumônière principalede la mosquée a 46 ans. Profondément heur-tée par les attentats, elle martèle : «Nouscroyons dans la laïcité comme vecteur de lien.Mais aujourd’hui, il me semble que ce principenoble est souvent dévoyé. Pour moi, c’est le res-pect de chacun dans ses différences. Dans nosmosquées, nous passons ce message de respect,mais nous nous sentons par-fois seuls… Il ne faut pasoublier que ces fanatiquesétaient des enfants de la Répu-blique, élevés dans ses écoleset passés par ses foyers. J’es-time que l’Etat a son rôle àjouer pour redonner du sens àla laïcité.» Hassan Izzaouirésume: «Je suis comme toutle monde, je préfère vivre dans

un pays où il y a trop de liberté que pas assez.Mais la laïcité est un idéal, et, par essence,l’idéal négocie avec la réalité, or la réalité est enmouvement. La laïcité n’est pas monolithique,elle doit se réinventer perpétuellement. Les mu-sulmans demandent simplement qu’elle s’appli-que avec les mêmes souplesses et les mêmes ri-gueurs à l’ensemble des religions. Je crois qu’ilfaut que notre pays se réconcilie avec le principefondateur de la laïcité de 1905. A l’époque, ils’agissait de mettre un terme aux conflits enmettant tous les citoyens à égalité devant laloi.»

«RAIDEURS». «La laïcité ne se nomme pas, ellese vit», fredonne Sylviane Gougat, le sourireaux yeux. Avec ses mots, elle explique êtrecatholique, pratiquante, investie dans sa pa-roisse, mais aussi citoyenne, militante asso-

ciative et responsable dudialogue avec l’islam. Elleraconte: «J’ai toujours été in-vestie dans la cité sans cachermes convictions. Au lycée, çam’a valu d’être montrée dudoigt par des professeurs di-sons… un peu laïcards.»Adulte, elle s’impliquera ausein de la FCPE. «Là, j’ai étédésignée suspecte aussi bien

dans ma communauté que dans le syndicat !Vous rendez-vous compte: une catho qui monteun syndicat de gauche! Comme quoi, la carica-ture est partout», se souvient-elle dans unéclat de rire. Une déconvenue qu’elle partageavec un ami musulman. «Un jour, il s’est pro-posé pour présider une section de parents d’élè-ves, mais pour l’assistance, il en était hors dequestion. Le message qu’il a reçu ce jour-là,c’est qu’il n’était pas un citoyen comme lesautres.» Il y a, selon elle, «certaines raideurs»en France qui favorisent le repli. «J’ai ten-dance à penser que la laïcité par l’interdit créeles conditions du repli communautaire. Dansmon quartier, je n’ai jamais vu autant de voilesqu’après la loi qui l’a interdit.» D’après elle, levrai défi de l’avenir est dans le combat contrel’ignorance. «Les croyants connaissent malleur religion, propagent des usages faux, et lesdifférentes religions se connaissent mal entreelles. Quant aux non-croyants, souvent, ilsdéconsidèrent les gens de foi.»A ce titre, elle estime capital l’enjeu de la jeu-nesse. «Je sais qu’on nous prend pour des naïfs,nous, les citoyens chrétiens, musulmans oujuifs, qui avons choisi la (re)connaissance mu-tuelle. Mais nous, nous expérimentons des es-paces de dialogue sans a priori. Nous pensonsque c’est par cette voie qu’on redonnera del’épaisseur à la laïcité.» •

CORRÈZE

HAUTE-VIENNE

CREUSE

VIENNE

DORDOGNE 25 km

Limoges

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 8: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

8 • EVENEMENT

Réceptacle de toutes les frustrations, des non­dits et des impensés de la République, l’écolese retrouve une nouvelle fois sur l’estradedes questionnements. Premier rouagede l’intégration, dernière digue avantla désocialisation, elle est une sorte de ligne defront républicaine. A chaque éruption, le premierréflexe est de lui demander de se justifier. Lesenfants de certains quartiers ne respectent pasla minute de silence? Ce serait la faute de l’école.Les thèses complotistes prolifèrent dans la courde récréation à la vitesse de la 4G? Ce seraitévidemment encore la faute de l’école. Nous luidemandons tout à la fois. D’une part de préparerdes jeunes adultes au marché du travail, deles connecter au monde moderne pour être enmesure de répondre à ses impératifs de mobilitéet d’employabilité. D’autre part de former descitoyens éclairés, de leur donner des réflexesde tolérance, une culture civique. De pallier lesdéficiences du passé et de préparer notre futur.Sur le papier, les deux injonctions ne sont pascontradictoires. Mais à l’heure de la contraintebudgétaire, elles peuvent difficilement êtreérigées en double priorité. Alors que la droitepleure ce temps d’une institution où l’autoritédu professeur s’imposait comme une tablede la loi, la gauche a eu le mérite de tenter unedouble rupture. De moyens, d’abord, avecla création des 60000 postes. Et d’objectifs:en assumant un discours de lutte contrela reproduction des inégalités. Jusqu’à présent,François Hollande s’est montré d’une trop grandediscrétion sur ce terrain éducatif. Le momentnécessite une mobilisation nationale. G.Bs.

Latifa Ibn Ziaten, vendredi,lors de son interventionau collège Joliot­Curie d’Argenteuil.

Educ

ation

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 9: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

EVENEMENT • 9

Par MARIE PIQUEMALEnvoyée spéciale à ArgenteuilPhoto MARC CHAUMEIL

«A partir de maintenant,je pense qu’il y a deuxpoints à travailler.

L’éducation en prison. Et l’ap-prentissage de la critique duNet et des réseaux sociaux.Quand on parle avec des jeu-nes, on voit qu’il est de plus enplus difficile de savoir où est leréel, dans le Net, dans les jeuxvidéo… il y a un rapport com-plexe à la fiction.«Je suis persuadée que Couli-baly, jusqu’au bout, ne savaitpas vraiment où était le réel.L’éducation devrait être un ap-prentissage du jugement, dudistinguo, de la critique, dugoût.«Il y a une faille monumentaledans le système éducatif. Onfait beaucoup de la maternelleau lycée mais, à un moment,c’est bloqué. C’est insupporta-ble parce qu’on dit “la Répu-blique vous appartient”… tuparles ! On arrive à peu près à

amener une bonnepartie de chaquegénération jusqu’aubac. Et ensuite, ilssont lâchés, les por-tes se ferment et el-les se ferment demanière inégale.Si la tradition familiale n’estpas là, l’ascenseur social nefonctionne pas. Quand Couli-baly a commencé à déconner,ça a été fini pour lui. Quant auxfrères Kouachi, ils ont à un mo-ment été élevés dans une insti-tution très respectable dans leLimousin, on ne peut pas direqu’on n’ait rien fait pour eux,mais il y a un moment où ças’est arrêté. Ils ont fait de laprison, ont découvert l’islamradical. Les autres portesétaient fermées.«Si j’avais des recommanda-tions à faire, ce serait de tra-vailler la pluralité des langues.Il faut proposer un apprentis-

sage précoce deslangues. Il faudraitque les élèves aientau moins vu une li-gne d’arabe, ou dechinois, au tableaude la classe, et jepense que ça n’est

pas le cas.«Je travaille sur la traduction,sur la différence des langues.Le prochain ouvrage collectifque je veux faire est d’ailleursun dictionnaire sur les intra-duisibles des trois monothéis-mes. Je sais que le travail sur ladiversité des langues permetd’appréhender une diversitéqui n’est pas une diversité clô-turée, mais d’emblée en com-munication. Ce qu’on appellela traduction, c’est le passaged’une langue à l’autre, c’estmettre des ponts entre les sin-gularités. Il faut aussi s’ap-puyer sur les bilingues. Quandil y a plusieurs langues, on

passe de l’une à l’autre, il y ades points d’achoppements, onles travaille, c’est ça qui est in-téressant. Et c’est en réfléchis-sant là-dessus qu’on trouve lesanalogies qui permettent decommuniquer. Il n’y a pas seu-lement un universel, mais dessingularités –non pas commu-nautaires et closes, mais en in-teraction.«Qu’est-ce que l’école peutproposer à un adolescent quicherche du sens? Il faut lui ap-prendre à lire les textes, à lesinterpréter, comparer, réflé-chir, juger. Lire des textes endifférentes langues aussi. Noussommes face à deux dangerssymétriques. D’un côté, lescommunautarismes isolés, desentités closes. De l’autre, ununiversel non complexe,comme celui des droits del’homme. C’est entre ces deuxdangers qu’il faut éduquer lejugement.

«Il ne s’agit pas de faire del’instruction civique, c’est gé-néralement très ennuyeux. Ilfaut lire des textes, apprendrela critique, l’éducation au goût,en s’appuyant sur ce qui inté-resse les élèves. On peut fairedes choses magnifiques en par-tant de Star Wars.«Y a-t-il des modèles à propo-ser aux adolescents? Je ne saispas. Avant, les romans d’éduca-tion passaient par le voyage, lacomparaison, l’immersion dansd’autres mondes. Et il y avait lesgrandes figures, les hommes il-lustres. Moi, je ne proposeraispas des personnages commemodèles, mais des phrases.Comme la première phrase, dela Métaphysique d’Aristote :“Tous les hommes désirent natu-rellement savoir.” Pour moi, lesmodèles, ce sont des phrasesqui donnent à réfléchir.»

Recueilli parNATALIE LEVISALLES

Pour la philosophe Barbara Cassin, l’urgence est l’apprentissage du jugement, de la critique:

«On peut faire des choses magnifiquesen partant de “Star Wars”»

DR

Depuis le meurtre de son fils par Mohamed Merah, Latifa Ibn Ziatense rend dans les écoles pour échanger sur la religion et la citoyenneté.

Face aux ados,le poids des mots

«B onjour, meilleurs vœux. Jesuis la maman du premiersoldat tué par Mohamed Me-rah. Il a volé la vie de mon

fils. Je ne peux pas vous expliquer la dou-leur à l’intérieur de moi. Les fêtes, lesanniversaires, je ne sais plus ce quec’est.» Latifa Ibn Ziaten, voilée depuisla mort de son fils, se tient droite, de-bout face à des élèves de troisième aucollège Joliot-Curie d’Argenteuil(Val-d’Oise), réputé difficile. La se-maine dernière, la principale l’avait ap-pelée à la rescousse: «Vous savez, dansnos classes comme ailleurs, on entend des“c’est bien fait” et des théories du complotdepuis les attentats.»En mars 2012, quelques jours après lamort de son fils, Latifa Ibn Ziaten serend à Toulouse, dans la cité des Izards,où Mohamed Merah a grandi. «Desjeunes étaient assis, je leur ai demandés’ils le connaissaient. Ils m’ont répondu :“Vous regardez pas la télé, madame? Me-rah, c’est un martyr de l’islam.”» Elle

crée l’association Imad Ibn Ziaten pourla jeunesse et la paix. Et sillonne depuisécoles et prisons pour mineurs pour té-moigner auprès des jeunes, échangeravec les parents. Leur dire «qu’on peutvivre ensemble malgré nos différences»,combien «il est important de respecterl’école et les professeurs. A la fin, vousaurez quelque chose dans la tête et dansles mains: un diplôme. Vous êtes l’avenirde la France, c’est très important».

«VICTIME». Dans ce collège d’Argen-teuil, Latifa Ibn Ziaten parle depuisquinze minutes d’une voix posée devantune centaine de jeunes, la salle estmuette. «Je peux répondre à n’importequelle question, ce n’est pas un problèmepour moi.» Un élève :«C’était votre seul en-fant?» Réponse: «Non,Imad est le deuxième.Mais tu sais, j’en auraisdix, ce serait pareil. Tousles dimanches, on mangeen famille et la chaised’Imad reste vide. C’estune souffrance.» Unautre: «Vous avez res-

senti du bonheur quand vous avez apprisla mort de Mohamed Merah ?» Elle dit,toujours avec le même timbre de voix:«Non, mon fils, non. Je ne lui pardonne pasce qu’il a fait, mais je pardonne ce qu’ilétait: un jeune Français qui n’a pas eu dechance. Il n’a pas reçu suffisammentd’amour, c’est une victime de la société,il est tombé dans le piège.» Durant l’heured’échange, elle emploie plusieurs fois cemot, «piège», avec l’insistance d’unemère: «Quand on ne va pas bien, il ne fautpas attendre, il faut se confier à un profes-seur ou aller voir le directeur. Les frèresKouachi, ils sont tombés dans le piège. Ilsdisent avoir fait ça au nom de l’islam. Maisce ne sont pas des musulmans, parcequ’un musulman ne peut pas tuer.»

Au moment de l’atta-que contre CharlieHebdo, elle était dansle train pour Saint-Etienne. Elle devait in-tervenir dans un col-lège le lendemain, unerencontre prévue delongue date. Sur le quaide la gare, raconte-t-elle, «je n’ai pas voulu y

croire. Je me disais “mon dieu, ça recom-mence”». Eprouvée physiquement, ellene s’est pas sentie de s’exprimer devantla classe. Le professeur a un peu insisté,elle a plié. «Je n’ai jamais refusé une de-mande, je dois faire passer le message duvivre ensemble.» Cette semaine, les in-vitations grimpent en flèche, son calen-drier est déjà rempli jusqu’au mois demars. De la part de maisons de quartier,mais aussi de beaucoup d’enseignantsdans les banlieues, démunis. «L’éduca-tion nationale ne devrait pas envoyer lesplus jeunes professeurs dans les quartiers,ça ne va pas. Quand je vais voir les fa-milles, beaucoup se sentent mises de côté,abandonnées par la République.»

«IDENTITÉ». Dans la salle, un prof d’his-toire-géo, qu’on confondrait presqueavec un élève: «Que dire aux jeunes quipensent que partir en Syrie, c’est un mo-dèle?» Impassible, Latifa Ibn Ziaten ex-plique connaître des jeunes partis fairele jihad qui rêvent aujourd’hui de ren-trer. Seulement, ils ne savent plus com-ment revenir, ils sont coincés là-bas, as-sure-t-elle. «Ce que vous avez ici, dansce pays qui est le vôtre, vous ne l’aurez ja-mais ailleurs. J’ai beaucoup voyagé,croyez-moi, la France est un pays de liber-tés. Il faut aimer ce pays qui est le vôtre.»Elle interroge son auditoire: «Dites-moi,vous êtes tous français ici?» Non, affirmela salle d’une voix. «Mais si, vous êtesdes Français ! Chacun d’entre vous a sesorigines, et c’est une force. Mais votreidentité, c’est la France. Il faut en être fier.J’en suis fière, mon fils l’était aussi. C’étaitun soldat de la République.» Au fond dela classe, Walid, un petit bout d’hommede 14 ans à lunettes demande: «Et le ji-hadisme, madame ?» «Faire le jihad, cen’est pas tuer, réplique-t-elle. Ce que jefais devant vous, c’est un jihad. Un com-bat pour le vivre ensemble.» •

VAL-D'OISE

YVELINES PARISPARIS

EURE OISE

15 km

PontoiseArgenteuil

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 10: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

10 • EVENEMENT

«A situation exceptionnelle, mesuresexceptionnelles», a déclaré, mardi, Manuel Vallsdevant l’Assemblée nationale. On ne peut pas envouloir au gouvernement de souhaiter répondrevite et fort à l’inquiétude et à la peur de beaucoupde Français, suscitées par ce double attentat. Unsilence politique aurait été incompréhensible.Pour autant, un gouvernement de l’émotion n’ajamais fait de bonnes lois. La gauche l’asuffisamment reproché à Nicolas Sarkozy. Lajustice n’aime pas réagir à chaud. C’est contre sanature. Elle a besoin de temps, de sérénité et demesure. Les Français veulent plus de sécurité?D’accord. Mais, ils ont aussi manifesté en massepour la défense de leur liberté. La prison seretrouve aujourd’hui sur le banc des accusés. Lasociété lui demande à la fois de punir et de faireen sorte que ses prisonniers, quand ils sontlibérés, se réintègrent comme si cela allait de soi.La privation de liberté n’a jamais préparé unhomme à retrouver une place dans la société. Etencore plus lorsque la surpopulation carcéralecrée les conditions d’une radicalisation, qu’ellesoit religieuse ou criminelle. Nos politiques onttoujours fait la sourde oreille devant l’étatdéplorable de nos prisons. Le sujet n’est pasélectoraliste. Le contribuable et l’élu local n’ontpas envie de consacrer leurs impôts à laconstruction de nouvelles cellules. La prison estune boîte noire. Y compris pour notre République.Difficile de trouver un sujet qui hystérise plus ledébat. Avec une droite enfermée dans sonaxiome «plus de sécurité=plus de prisonniers».Qui vient une nouvelle fois d’être démentipar les faits. G.Bs.

La prisonde la Santé,

en août. Avec untaux d’occupation

moyen de 130%au 1er décembre,

il manquerait plusde 10000 placesdans les maisons

d’arrêtpour répondre

aux normeseuropéennes de

l’encellulementindividuel.

PHOTO LIONELCHARRIER. MYOP

Un surveillant de la maison d’arrêt de Nîmes, racontel’impossibilité de repérer et d’empêcher l’embrigadement

des détenus dans des établissements surpeuplés.

En prison,les cellules

souches de laradicalisation

Justic

eLIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 11: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

EVENEMENT • 11

Par JEAN­MANUEL ESCARNOTCorrespondant à Toulouse

«Q ue peut faire le droitaprès ce qui s’est passé?Je vais essayer de répon-dre en reprenant le titre

d’un de mes livres (1): le droit peutpermettre de résister, de respon-sabiliser et d’anticiper. Ou en toutcas y contribuer.«Résister d’abord. Il ne faut pas se leurrer,le monde est dangereux. Pour la première foisdepuis longtemps, la France est au cœur dela tourmente. Le danger est à double face.D’un côté, le risque de ne rien faire et de lais-ser alors se propager les fureurs identitaires.Je dis fureur parce que c’est quelque chosequi échappe à la raison et qui conduit à labarbarie. De l’autre, le risque d’en faire trop:légaliser des dérives sécuritaires détruiraitl’Etat de droit. Comme l’a dit la Cour euro-péenne des droits de l’homme (CEDH) : “Ilne faut pas détruire la démocratie au motif dela défendre.”«Comment résister alors? En sanctionnantles criminels. Le terme “criminel”, plus pré-cis, est à utiliser de préférence à “terroriste”,compte tenu du cortège d’émotions qui serattache à ce mot. Il faut situer la répressiondans le champ pénal plutôt que dans celuid’une “guerre contre le terrorisme”. Même“l’Etat islamique” n’est pas un Etat, mais uneorganisation criminelle avec laquelle il n’ya ni accord ni traité de paix possibles. S’ils’agit d’une guerre, elle sera illimitée.«C’est pourquoi les acteurs publics doivent

assumer la responsabilité de leursdécisions. Il leur revient d’assurerà la fois la sécurité et la protectiondes libertés. Des restrictions auxdroits de l’homme sont admisesquand elles sont suffisammentmotivées pour qu’un juge puissecontrôler si ces mesures sont né-

cessaires et proportionnées, et les déroga-tions doivent rester exceptionnelles et doncprovisoires. Sinon, elles contaminent toutela société.«Il faut aussi anticiper, c’est-à-dire remonteren amont du crime pour le prévenir. Mais pasà n’importe quelles conditions. Après le11 Septembre, le Conseil de sécurité des Na-tions unies avait considéré que les attentatsétaient un acte d’agression et que les Etats-Unis étaient en état de légitime défense. Cesderniers ont alors invoqué le concept de dé-fense préventive pour justifier la guerre enIrak. On a vu les résultats, ils ont mis à feu età sang une partie du globe, avec les domma-ges collatéraux que l’on sait.«La difficulté est de prévenir le terrorismesans renoncer à l’Etat de droit. Il est sur cepoint rassurant que le gouvernement françaisait écarté le modèle du Patriot Act et soncortège de dérives: fichage généralisé, légali-sation de la torture, détention à durée indé-terminée notamment à Guantánamo, exécu-tions extrajudiciaires, etc. Il reste à savoircomment se fera la mise en application decette politique pénale.

«Enfin, il faut compter sur les acteurs civi-ques et préserver le pacte citoyen. Une initia-tion aux droits de l’homme est possible, etnécessaire. Elle devrait être renforcée dès lelycée autour de deux pôles : la Déclarationuniverselle des droits de l’homme de décem-bre 1948 (et les instruments qui ont suivi) etla déclaration, suivie de la convention, del’Unesco sur la diversité culturelle de no-vembre 2001, qui affirment que le pluralismedes cultures et des religions est “le patrimoinecommun de l’humanité”.«On devrait donc aussi intégrer aux pro-grammes scolaires la formation au pluralismetel qu’il est défini par la CEDH qui dit : “Laliberté d’expression vaut non seulement pour lesinformations et idées accueillies avec faveur ouconsidérées comme inoffensives, indifférentes,mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ouinquiètent l’Etat ou une fraction quelconquede la population. Ainsi le veulent le pluralisme,la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquelsil n’est pas de société démocratique.”«Ensuite, bien sûr, la question est: jusqu’oùpeut-on aller? Comment distinguer les idéesqui choquent dans un esprit de pluralismeet d’ouverture de celles qui relèvent de l’in-citation à la haine, de la provocation aucrime et de l’apologie du crime ? C’est toutle débat actuel. »

Recueilli par NATALIE LEVISALLES

(1) «Résister, responsabiliser, anticiperou comment humaniser la mondialisation»,éd. Seuil, 2013, 196pp., 18€.

Pour Mireille Delmas-Marty, juriste spécialiste des questions de droitinternational et de terrorisme, il faut «résister, responsabiliser et anticiper»:

«Distinguer les idées qui choquentde l’incitation à la haine»

DR

«A la maison d’arrêt de Nîmes, il y a80 détenus par étage au lieu de 40.Trois bonshommes par cellule de 9 m2.

Le taux d’occupation frise les 200%. Dans cesconditions comment repérer qui que ce soit ?»Paul (1), 40 ans, surveillant depuis plus dedix ans, a de sérieux doutes sur la capacité del’administration pénitentiaire à contrer lepéril islamiste dans les prisons françaises.«Les maisons d’arrêt sont de véritables garesde triage où se mêlent, parfois pendant des moisvoire des années, petits et très gros poissons enattente de leur condamnation définitive et, aumilieu de cela, des islamistes qui voient là unejeunesse des quartiers, délinquante et en colèrecontre cette société qu’elle estime responsable.Il n’y a pas de terreau plus fertile à la radicalisa-tion.» Avec un taux d’occupation moyen de130% au 1er décembre, il manquerait plusde 10 000 places dans les maisons d’arrêtpour répondre aux normes européennes del’encellulement individuel.

ÉMULES. A la surpopulation s’ajoute le man-que de formation spécifique du personnel surles processus d’embrigadement ou, plus gé-néralement, sur l’islam, «pour ne pas prendre

un détenu musulman lambda qui fait juste saprière pour un intégriste», observe notre inter-locuteur. Les détenus condamnés à plus dedeux ans purgent leur peine en cellules indi-viduelles dans les centres de détention, et encentrale pour les plus longues détentions.Pour autant, des détenus particulièrement si-gnalés, comme Aït Ali Belkacem, condamnéà perpétuité en 2003 pour les attentats duRER B en 1995, ou Djamel Beghal, mentorprésumé des frères Kouachi et de Coulibaly,continuent d’y faire des émules. «Pendant sonpassage à la centrale de Saint-Maur [Indre,ndlr], Aït Belkacem et une dizaine d’autres isla-mistes radicaux regroupés à l’étage C21 avaientdécrété qu’aucune femme non voilée ne passeraitla grille de leur étage. L’administration n’a pasbougé pour éviter que ça dégénère, racontePaul. La salle commune de leur étage servait desalle de prière et de cours par-ticuliers sur le Coran.» C’estseulement après leur «balu-chonnage» (leur transfère-ment) pour avoir organiséun refus collectif de retouren cellule que l’administra-tion a su qu’Aït Belkacem etl’un de ses comparses «met-taient la pression sur les typesde leur étage».

En dehors des profils comme Belkacem ouBeghal, les détenus radicalisés en détentionont plutôt tendance à se faire discrets pour nepas être repérés. «Ils évitent les appels à laprière collective, le port de la barbe et peuventmême fumer. Mais une fois la porte de la cellulerefermée, interdiction pour leur codétenu de re-garder certains programmes télé, pas de musi-que non plus. Tout l’enjeu est que l’informationpuisse remonter jusqu’à nous pour pouvoir le si-gnaler ensuite à la hiérarchie», indique Paul.De plus, la profusion des téléphones portableset des clés 3G à l’intérieur permettrait de fairecirculer les infos avec l’extérieur et faciliteraitl’accès à la propagande islamiste. «Les de-mandes de fouille générale d’établissement oude brouilleurs de téléphones restent sans réponse.Pour éviter que la cocotte n’explose, l’adminis-tration ferme les yeux», affirme Paul.

Alors, que faire? «Autour demoi, les surveillants sont dansl’attente de directives», ré-pond Paul, désabusé. La«base» n’a aucun retour surl’expérimentation de l’isole-ment des détenus les plus ra-dicaux menée à Fresnes. Lamise à l’écart «est une bonnechose» selon lui, mais avecune évaluation permanente

tout au long de la détention «pour déterminerle niveau d’intoxication, avec des psychologuesassez pointus». Sur le plan religieux, les pri-sons manqueraient d’imams «volontaires,avec un discours cohérent pour amener les plusjeunes à réfléchir sur leur parcours». Dansl’immédiat, il faut selon lui des «prisons plussécuritaires» pour «couper l’intérieur de toutcontact non contrôlé avec l’extérieur ; c’est çala priorité».

«LIEN». D’ici là, le seul outil à disposition serale logiciel de gestion nationale des personnesécrouées pour le suivi individualisé et la sé-curité (Genesis), en cours d’installation. Cefichier, consultable par le personnel de l’ad-ministration jusqu’au juge d’application despeines, recense les informations sur chaquedétenu pendant sa détention. «Une bonnechose à condition d’avoir le temps d’y mettre lesinfos et de faire le lien entre terrain et analyse.Ce qui n’est pas le cas», reprend Paul. Le22 avril, une bagarre sur le terrain de sportdu centre pénitentiaire de Condé-sur-Sarthe(Orne) a opposé plusieurs détenus, parmilesquels Belkacem, qui a pratiqué depuis desappels à la prière collective. «La demande demise à l’isolement faite par les surveillants estrestée sans réponse», soupire Paul. •(1) Le prénom a été changé.25 km

LOZÈREARDÈCHE

B.-DU-RHÔNE

VAU

CL.GARD

Nîmes

MerMéditerranée

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 12: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

12 • EVENEMENT

Le 7 janvier, la vie s’est arrêtée, et la France s’estretrouvée, qui devant la télé, chaînes d’info encontinu, sur les ondes des radios ou sur lesréseaux sociaux. Plus inhabituel, un très grandnombre de Français se sont remis à acheter desjournaux… Au­delà d’une tragédie qui a touchéjuifs comme forces de l’ordre, tirer sur CharlieHebdo, c’est mettre à mal la liberté d’opinion,celle d’informer et de débattre. C’est atteindreles médias et, en premier lieu, la presse écriteen crise depuis plusieurs années. Charlie Hebdoétait au bord du gouffre, déserté par nombrede ses lecteurs, le voilà riche à millions. Quelleterrible ironie: c’est l’assassinat de dessinateurset de journalistes qui a permis aux Français deretrouver le chemin des kiosques. Au lendemainde l’attentat, jeudi 8 janvier, Libérationa quintuplé ses ventes. Les Echos et le Figaro ontvendu deux fois plus que d’habitude… Encoreplus fou, les files, mercredi, pour la parution dupremier Charlie Hebdo postattentat. D’abord tiréà 1, puis 3 et enfin 5 millions d’exemplaires, plusgros tirage de la presse d’information française.Charlie épuisé dès 10 heures du matin. Maiscombien de temps ce regain d’intérêt va­t­ildurer? Télés, radios, Internet, lives des sitesd’information, tous ont connu des audiencesrecords… quitte à faire des erreurs (divulguer laposition du Raid en pleine opération Porte deVincennes, diffuser de fausses informations,des rumeurs…). Le CSA s’est saisi du dossier.Il s’agit aussi pour la profession de s’interroger surses principes, ses méthodes et ses liens avec lesFrançais, parfois si critiques à son égard. C.D. et I.H.

Média

s

Coincés par des enfants qui leur demandent ce qu’est le jihadet la liberté d’expression, nombre de profs et de parents

se tournent vers «Mon Quotidien» où l’on sait parler enfant.

L’actu mocheexpliquée

aux mioches

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 13: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

EVENEMENT • 13

Par ISABELLE HANNEPhoto JULIEN MIGNOT

Aquoi résister? Aprèsle choc émotionnel,le contrecoup qui

fait froid dans le dos. Et si,d’être ou d’avoir été«Charlie», il fallait se poserà frais nouveaux les ques-tions éthiques du journa-lisme : et nous, journalistes, danstout ça, tout comme avant ? Rienappris? Nous n’aimons guère, habi-tuellement, le mot «responsabi-lité». La baseline de Charlie Hebdodemeure celle-ci : «Journal irres-ponsable». Drôle mais idiot : noussommes forcément responsables dece que nous écrivons, de ce que nouscachons, de ce qu’en retiennent leslecteurs, les auditeurs, les téléspec-tateurs. Notre «miroir promené lelong du chemin» est déformant. Pasd’objectivité, sauf celle qui fait dire:«Vous êtes objectif, vous, je re-trouve bien mes idées chez vous.»En ces temps de laïcisme obliga-toire, on ose à peine esquisser l’idéequ’un examen de conscience desmédias est nécessaire. Tout ce quiarrive n’est pas de leur faute, maisils prennent toujours une part à cequi arrive, au retentissement desévénements dans la société. On a ledroit de rêver à une ascèse du jour-nalisme qui reposerait sur quelquesprincipes, faciles à énoncer, diffici-les à suivre au jour le jour.1. Se méfier de tout, à condition decommencer par soi-même. Etre in-dépendant de tout et de tous, à

commencer par soi :indépendant de sesorigines, de sa forma-tion, de ses pulsions etpassions.2. Cela pourrait s’ap-peler le principe desquatre respects. Res-

pect des faits, cela va de soi. Respectde ceux –lecteurs, auditeurs, télés-pectateurs– devant lesquels on lesexprime. Respect des gens dont onparle, mais aussi des institutions,des groupes, des communautés. Ilest tellement plus facile d’alignerdes clichés simplistes, des énormi-tés sensationnelles que de considé-rer l’infinie variété du réel. Enfin– mais oui ! –, respect pour soi-même: pouvoir se relire, se revoir,se réécouter, demain, dans vingtans, sans avoir à rougir.3. Le piège de l’hystérie est le plusrépandu. Les emballements dus à laconcurrence exacerbée, à la courseaux «scoops», aux commodités del’Internet, aux nécessités émotion-nelles de l’audiovisuel, tout celaconcourt à l’érosion de l’intelli-gence critique.4. Comment faire vivre la supério-rité du recul sur le direct, de la ré-flexion, voire de la méditation, parrapport aux diktats de l’audimat oude la diffusion? Il faudrait déjà queles rédactions en chef, plutôt que dehouspiller constamment leurs en-voyés spéciaux, sachent faire «poserle micro ou la caméra» comme on

dit «poser le stylo». Mais que di-raient leurs propres dirigeants, leursemployeurs, s’ils le faisaient ? Etpourtant : mieux vaut un ratagequ’une approximation.5. Savoir de quoi l’on parle et surquoi l’on écrit. Aller au cœur de lasociété et dans ses marges pourcomprendre ce qui se joue au-delàdu visible, par-delà les élites (en gé-néral suivistes). Le journalisme nepeut s’exonérer de ses responsabili-tés dans une société désaxée.6. Le journalisme n’est pas au-des-sus des lois et la liberté d’expressionn’est pas un absolu, elle ne doit pasdevenir un dogme au nom d’on nesait quelle église républicaine défen-dant une religion nouvelle. L’auto-censure a mauvaise presse, mais queserait une société où chacun s’auto-riserait à dire tout haut tout ce quilui passe par la tête ? Ce serait unenfer. L’autocensure, n’en déplaiseaux libertaires de tout poil, est undes marqueurs de la «civilisation»par rapport à la barbarie. L’écrit,l’imprimé, a un privilège dont leprix apparaîtra de plus en plus avecl’évolution du système médiatique:il est en retard. Il est contraint d’at-tendre avant de s’exprimer. Cettecontrainte est une chance à saisir.Les journaux doivent profiter de leurstatut pour élever le débat, nourrirla pensée des événements et contri-buer à faire en sorte que notre so-ciété soit moins caricaturale.

BRUNO FRAPPAT

L’ex-directeur de «la Croix» Bruno Frappat rappellel’impératif pour les médias de parfois «poser la caméra»:

«Un examen de conscienceest nécessaire»

AFP

La rédactionde Mon Quotidien,

vendredi.

L es petits lexiques de Mon Quotidien,ces derniers jours, pourraient pres-que reconstituer l’actualité tragique:«satirique», «Prophète», «jihadiste»,

«plan Vigipirate», «rescapé», «blasphème».Le quotidien des 10-14 ans, tout comme saversion pour les 6-10 ans (Mon Petit Quoti-dien), ou celle pour les 14-17 (l’Actu), éditéspar PlayBac Presse, publient des numérosspéciaux depuis l’attentat. Et la quarantainede journalistes de l’équipe n’hésite pas à at-taquer de front des questions compliquées:«Quel est le sens de l’expression “Attention auxamalgames” ?» s’interroge Mon Quotidien.«Liberté d’expression: peut-on comparer Dieu-donné et Charlie Hebdo?» se demande l’Actu.Le tout avec des phrases simples, «12 motsmaximum», détaille François Dufour, rédac-teur en chef et cofondateur.Boucles grises et yeux bleus chiffonnés, il re-vient tout juste des obsèques de Charb. «Çaa été long et magnifique», dit-il seulement. Ledessinateur, tué lors de l’attentat, était bienconnu de l’équipe et des lecteurs deMon Quotidien. Il a illustré le journal depuisson lancement, en 1995, jusqu’en 1999, an-née où le dessinateur Berth l’a remplacé.

Pendant cette période, Charb a fait près de«10 000 dessins» pour le titre, rappelle Du-four. C’est même lui qui a inventé Quotillon,la mascotte de Mon Quotidien à gros nez, pullrouge et longues jambes, qui fait partie dulogo du journal. Le dessin est essentiel dansles journaux de PlayBac: «C’est un langagequi parle aux enfants, décrit le rédacteur enchef. C’est d’ailleurs la première chose qu’ilsregardent.»

BOB L’ÉPONGE. Au fond d’une jolie cour prèsde la place des Vosges, le bâtiment s’organisesur trois étages. En haut de l’escalier, unegrosse peluche rose observe la rédaction. UnBob l’éponge est accroché au plafond, àl’étage des abonnements et du marketing.L’Eco, un hebdo sur l’économie pour lesados, et les trois autres journaux, ont été lan-cés grâce au succès des «Incollables», cesquiz auxquels ont joué des générations degosses. Edités par PlayBac, ils se sont vendusà 10 millions d’exemplaires en France età 40 millions, sous licence, aux Etats-Unis.«On cherchait des nouveaux moyens d’appren-dre des choses aux enfants, de faire le lien entrel’école et le JT du soir», se souvient FrançoisDufour. Ces journaux, qui ne sont pas distri-bués en kiosque mais uniquement par abon-nement, comptent 131000 lecteurs (Mon Pe-

tit Quotidien et Mon Quotidien en tête, avec50 000 abonnés chacun). Depuis les atten-tats, ils ont engrangé 3000 nouveaux abon-nements en une semaine, trois fois plus qu’àla même période l’an dernier. «Dès le jour del’attentat, on avait des coups de fil de profs, ra-conte le journaliste Ugo Emprin, qui s’oc-cupe des sites et des projets numériques. Desenseignants ou des parents qui nous disent“A l’aide, je n’ai pas les mots”.» Mais com-ment raconter la violence, la mort, à des en-fants ? «Notre but, c’est d’expliquer, pas derassurer : ça, c’est le rôle des parents, insisteFrançois Dufour. Nous, on sait “parler en-fant”. Les adultes, BFM ou Pujadas ne parlentpas enfant. Mais notre ligne éditoriale, c’est demontrer la réalité, ni plus ni moins.»Depuis longtemps, plusieurs matins par se-maine, des «rédacteurs en chef juniors»viennent assister à la conférence de rédac-tion. Un club des lecteurs vote en ligne pourses unes préférées et donne son avis sur lesthématiques traitées. Sans compter les sta-giaires de troisième, «en quasi-permanence»,précise Ugo Emprin. «C’est la manière qu’ona trouvée pour rester gamin au maximum, pouravoir 13 ans dans nos têtes, détaille-t-il. Et desavoir ce qui les intrigue et les intéresse.» Cejour-là, il y a Pauline, Noé et Gaspard, 14 ans.Une classe devait participer à un atelier

«journal» mais le plan Vigipirate a annulétoute sortie scolaire. La salle prévue pour ac-cueillir les enfants est vide. Chaque année,5 000 gosses passent dans la rédaction.

SURPRISE. Ces jours-ci, comme tout orga-nisme de presse, il y a des gendarmes devantles locaux. L’un d’eux passe dans un couloir.François Dufour le remercie. «C’est ça, untonfa?» demande-t-il, pointant du doigt sonéquipement. Ce vendredi après-midi, la ré-daction est assez calme. Les éditions du len-demain sont déjà prêtes et l’équipe travaillesur un hors-série qui devrait être en kiosqueà la fin du mois : «La République française,c’est quoi ?»Dans un couloir, les visages de toute l’équipedessinés par Berth. Un étage en dessous, cesont des photos de toute la rédaction mais àl’âge de leurs jeunes lecteurs. Impossible desavoir si ceux-ci garderont l’habitude de lapresse. En tout cas, grosse surprise: «Ils pré-fèrent la lecture sur papier à 99%, plutôt quecelle sur écran», affirme François Dufour.«Tiens d’ailleurs, vous, les jeunes, dit-il, hé-lant les stagiaires de troisième. Vous préférezlire sur écran ou sur papier ?» Pauline : «Jepréfère toucher les pages.» Noé : «Le papier,on peut le lire où on veut.» Gaspard : «Surécran, ça perd de son charme.» •

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 14: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

14 • EVENEMENT

«Libération» a réuni Mohamed Mechmache, leader d’ACLefeu,Véronique Decker, directrice d’école à Bobigny, Olivier Faure,député PS, et Nathalie Sarthou-Lajus, philosophe et directricede la revue jésuite «Etudes», pour évoquer l’après-7 janvier.

«La promesse républicaine n’a pas été tenue»

E t après? Alors que pasloin de 4 millions deFrançais ont battu lepavé après les attaquesterroristes menées parles frères Kouachi etAmedy Coulibalycontre Charlie Hebdo,

l’Hyper Cacher de la Porte de Vincenneset les forces de l’ordre, Libération a réunijeudi autour d’une table MohamedMechmache, leader de l’associationACLefeu, Véronique Decker, directriced’école à Bobigny (Seine-Saint-Denis),Olivier Faure, député PS de Seine-et-Marne, et Nathalie Sarthou-Lajus, phi-losophe et directrice de la revue jésuiteEtudes.Ces attentats étaient-ils prévisibles?Mohamed Mechmache: Cela devait ar-river. Je parlerai de là où je suis. Effecti-vement, on a vu évoluer certainessituations. Ce n’est pas faute d’avoirprévenu, d’avoir interpellé en expli-quant que des choses, tout doucement,basculent quand les gens ne se sententplus considérés. Quand les gens ne sesentent plus faire partie de cette Répu-

blique, ils finissent tout simplement pars’exclure, s’isoler, se renfermer… Fran-chement, j’étais mal, ce jour-là. Je mesuis dit qu’on aurait peut-être pu évitertout cela. Malheureusement, on réagittoujours quand il se passe des drames.Je voudrais vous rappeler une anecdote.Il y a trente ans, il y a eu la Marche pourl’égalité et contre le racisme. J’ai revudes archives où on voit Jack Lang allervers les marcheurs. Un des leurs l’inter-pelle : «Monsieur, qu’est-ce que vouscomptez faire pour la communauté musul-mane dans nos quartiers?» A l’époque,ils pointent déjà la question des gens quiprient et qui n’ont pas leur lieu de culte.De la part des politiques, il y a eu uneforme de réponse démagogique sur lemode «on s’en occupe», et puis plusgrand-chose. Pourquoi, aujourd’hui,une partie des gamins finissent par selaisser embobiner par une minorité ?Parce qu’ils ont le sentiment qu’on neleur tend pas la main. Ce désespoir,sans chercher des excuses, sans faire demisérabilisme, parce que ce n’est pasmon objectif, devrait nous interroger.N’a-t-on pas failli dans nos choix poli-

tiques? N’ont-ils pas été faits au détri-ment des habitants qui vivent là ?Olivier Faure: D’abord, je voudrais direque c’était d’autant plus prévisible quec’est déjà arrivé: Kelkal, Merah, Nem-

mouche et Créteil, puis Charlie, puisVincennes. On ne le découvre hélas pas.Comment en est-on arrivé là? Un élé-ment m’interpelle dans ce que vient dedire Mohamed Mechmache. Il reparlede la Marche des Beurs, qui était unemarche pour l’égalité et contre le ra-cisme. Pas pour la différence, mais pourl’égalité. Ce que je regrette, c’est quenous n’avons pas laissé émerger cetteélite des quartiers qui avait cette capa-cité à encadrer, à parler, et qui était uneélite laïque. Cela a permis aux religieuxintégristes, extrémistes, de prendre piedet de se substituer à cette parole répu-

blicaine. Nous avons perdu trente ansd’égarement. Evidemment qu’il y a descauses sociales, économiques! Mais il ya aussi la capacité à emmener des popu-lations entières sur des objectifs :

d’abord, avoir l’estime de soi,et offrir des chemins de réus-site. Ce chemin, on n’a pas sul’offrir avec les élites quiémergeaient. Que sont deve-nus ceux que l’on appelle par-fois, de manière ironique, les«beurgeois», qui se sont em-

pressés de quitter les quartiers et de nepas offrir cette perspective-là ?Véronique Decker: Je ne vois pas pour-quoi ils y resteraient. Franchement! Ilsne sont pas assignés aux quartiers pour-ris à partir du moment où ils ont lesmoyens de ne pas y vivre. Le soir, moi,je n’ai qu’une envie, c’est de me barrerde la cité Karl-Marx où je travaille pourrentrer chez moi, dans un petit quartierpavillonnaire, lui aussi à Bobigny.O.F.: Je ne les assignais pas à résidence!V.D. : Vous dites que les élites de cesquartiers sont parties. Eh bien, elles onteu raison ! Il n’y a pas d’école, il n’y a

Recueilli parGRÉGOIREBISEAU,JONATHANBOUCHET­PETERSEN,CÉCILEDAUMASet MATTHIEUÉCOIFFIERPhotos JULIENPEBREL. MYOP

«Ce que je regrette, c’est que nousn’avons pas laissé émerger l’élitedes quartiers qui avait la capacitéà encadrer et qui était laïque.»Olivier Faure député socialiste

VÉRONIQUEDECKER

Directricede l’écoleMarie­Curiede Bobigny(Seine­Saint­Denis), ellese bat notam­ment depuisplusieurs annéespour la scolarisa­tion des enfantsd’origine romvivant dans lacommune.

OLIVIERFAURE

Député deSeine­et­Marneet porte­paroledu PS,il a été l’undes conseillersdu candidatHollandependantla campagneprésidentielleet de Jean­MarcAyraultà Matignon.

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 15: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

EVENEMENT • 15

«La promesse républicaine n’a pas été tenue»pas de services publics, la police refused’entrer. Je suis directrice d’école et jepeux vous dire qu’une semaine aprèsl’attentat, les véhicules volés et garésillégalement devant mon école n’ontpas encore été enlevés. Et l’institutricede grande section à 75% n’a pas encoreété remplacée sur son 25% depuis larentrée. Vous imaginez, dans le Ve ar-rondissement de Paris, qu’on puisse an-noncer aux parents : «Le jeudi, vousn’aurez pas d’instituteur jusqu’à Noël.»Il n’y a que chez nous que cela peut seproduire. Je ne suis pas sûre que vousmesuriez l’étendue du recul de la vieréelle des gens sur les vingt dernièresannées. On est face à un tel abandondes classes populaires et à une telle dé-ficience morale des élites que la situa-tion ne peut qu’exploser. J’ai bien re-gardé la manif, il n’y avait pas tellementd’habitants des quartiers. Beaucoup nese sentent pas «Charlie», c’est clair. Ilsse sentent offensés par les caricatures.Et rien ne vient leur dire qu’il y a uneimmense hiérarchie entre ce sentimentet le fait de soutenir quelqu’un qui tue.On ne parle que des 17 morts. Mais il y

a 20 morts, parce que les 3 [tueurs abat-tus, ndlr], ce sont des Français, c’estnous qui les avons élevés, ils sont allésà l’école chez nous, ce ne sont pas desétrangers.Pourquoi une telle rupture?O.F. : On est en train de décrire desghettos. Ces ghettos, ils existent et ilssont le terreau dans lequel prend racinel’extrémisme, le fanatisme, l’obscuran-tisme. Mais ce terreau a existé à d’autres

époques. J’ai grandi dans un quartier,comme on dit maintenant, où il y avaitaussi de la misère. Pour autant, il n’yavait pas ce type de fanatisme. Il y adonc une radicalité apportée de l’exté-rieur, qui trouve un écho dans nosquartiers. Pourquoi? Parce qu’il y a unepromesse républicaine à laquelle tout lemonde croyait qui n’a pas été tenue,

voire qui a été trahie. Au fur et à me-sure, il y a eu un repli, non plus sur lanotion d’égalité, mais sur la notiond’identité. C’est valable pour le mondemusulman, pour faire court, mais c’estvalable aussi pour les catholiques, parceque l’on a une espèce de repli sur soi.M.M. : Aux émeutes de 2005, la seuleréponse que l’on a apportée à la ques-tion des quartiers populaires qui étaienten train de se soulever… a été sécuri-

taire. Pourtant, on a essayéde traduire ce malaise, avecdes doléances, avec 120 pro-positions. On a fait une mar-che pour interpeller l’en-semble des politiques et leurdemander de nous recevoir àl’Assemblée nationale. Ils

n’en ont même pas été capables. Vousvoyez le mépris que l’on peut avoir vis-à-vis d’une catégorie de population! Iln’y a rien de tel pour détruire les gens.Nathalie Sarthou-Lajus: Il y a une dé-tresse, effectivement, du politique pourapporter des réponses, notammentdans la construction de l’avenir. Maisl’ampleur des manifestations et de la

mobilisation a démontré qu’on a beaucritiquer l’individualisme, l’affaisse-ment de nos démocraties, l’absence degrands récits politiques mobilisateurs,la fragilité de l’idéal républicain, iln’empêche que, quand la démocratieest atteinte dans son cœur, les gens semobilisent avec une grande ferveur. Cetélan doit être alimenté. Je crois quec’est très bien d’en appeler à la laïcité,à l’ouverture républicaine, mais la laï-cité seule ne pourra pas combattre nonplus le fanatisme. Il va falloir aussi allerpuiser pour cela dans nos traditionsspirituelles. Le siècle de la raisontriomphante et des religions rejetées ducôté de l’obscurantisme, c’est terminé.J’aime bien cette expression du philo-sophe Jean-Marc Ferry, qui parle de«lumières des religions». Il y a des res-sources de sagesse dans l’islam, dans lejudaïsme, dans le christianisme, dansle bouddhisme, qui peuvent participerau débat public.On évoque souvent la difficulté d’identi-fier des représentants légitimes de l’is-lam de France, et donc des interlocu-teurs écoutés…

Jeudi, dansles locauxde Libération.

«On ne parle que des 17 morts.Mais il y a 20 morts, car les 3 [tueursabattus], ce sont des Français,ils sont allés à l’école chez nous.»Véronique Decker directrice d’école à Bobigny

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 16: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

16 • EVENEMENT

M.M.: La vraie question, ce n’est pas dedécréter ou de désigner quelqu’un.Quand les espaces étaient utilisés, queles habitants avaient un peu de pouvoird’agir, il y avait de la vie, du lien et desinterlocuteurs. Mais tout cela n’existeplus. On entend tout le temps que beau-coup d’argent a été mis dans les quar-tiers. Mais comment a-t-il été fléché?En concertation avec les habitants quidisent où sont les besoins? Non! Regar-dez les zones franches, quelle catastro-phe! Pendant quinze ans, on a alimentéles caisses pour dire que cela permet-trait à des gamins d’avoir de l’emploi.A l’arrivée, on a eu des boîtes aux lettresd’entreprises et des gens qui ont pris del’argent… Ce serait tout à l’honneur denos responsables politiques de dire :«On s’est peut-être trompés, commentfait-on maintenant?»O.F. : C’est ce que l’on dit.M.M.: Pas tous, Olivier, pas tous. Mêmesi le discours du Premier ministre a étéglobalement fédérateur et que jesuis d’accord avec certains passages,d’autres ont été trop durs. Par exemple,quand il a pointé ces gamins qui n’ontpas respecté la minute de silence en di-sant : «Ce n’est pas acceptable que desgamins…» J’aurais aimé un autre ton.On devrait dire : «Je suis très inquietque les enfants de la République, dansces écoles, n’aient pas fait la minute dusilence.» Cela enverrait le messagequ’ils ne sont pas des Français à part,mais à part entière. Sinon, après, à quoivont-ils se raccrocher ? A plus rien.V.D.: A quel moment les gamins qui ont

refusé de faire la minute de silencevont-ils avoir un espace de débat ? Ilssont sommés d’obéir et cela ne va pas.N.S.-L. : Deux ou trois jours après cesgrandes manifestations, que des voixintellectuelles autorisées aient pu affir-mer «Je ne suis pas Charlie» a soulagéd’autres personnes moins autorisées.Après ce temps de l’émotion, n’y a-t-il

pas le temps de la réflexion, de la prisede recul par rapport à cette espèced’unanimisme et d’identification? Der-rière le «Je suis Charlie», tout le mondene mettait pas la même chose.O.F.: Le devoir des politiques est d’allerchercher ceux qui ne sont pas venus–certains parce qu’ils contestaient plusprofondément les institutions républi-caines. A nous d’expliquer la laïcité, cetacquis douloureux qui est toujours me-nacé par la tentation du religieux de re-venir sur ce qui lui a été retiré par la loide 1905. Or, ce modèle est unique aumonde et les Français y tiennent. Noussommes un pays qui revendique la pos-sibilité pour chacun d’exprimer sa foi,mais pour aucun de l’imposer auxautres. Il faut remettre le débat sur cequi nous est commun: la République etla laïcité. Il faut que nous soyons capa-bles de dire comment nous pouvons

vivre ensemble. Si nous sommes tous àexalter ce qui nous différencie, c’estfini, ce sera la loi du plus fort.V.D. : En tant que femme ayant militédans les mouvements féministes, jeconsidère que les religions sont uneressource, sans doute, mais aussi uneénorme ressource de conneries. Desgamins disent : «T’es juif, t’es chrétien

ou t’es musulman ?» Eh bien,en France, tu peux être aussiquelqu’un qui ne croit pas enDieu. C’est très important.Seule la laïcité peut être l’es-pace où l’on se retrouve tous.La seule chose que je pourraisprescrire aux gamins qui ont

refusé de faire la minute de silence,c’est la nomination immédiate d’unprof de philo dans leur établissement.La laïcité semble davantage perçuecomme une injonction que comme unrempart contre les intolérances…V.D. : Ce qui pose problème, c’estquand il n’y a plus aucune explication.Pourquoi ne fait-on de la philo qu’enterminale générale? Il est où le lieu desmômes qui ont un CAP pour faire de laphilo? Pourquoi ne démarre-t-on pasla philo dès le CE2? Là, on laisse aux re-ligieux toute la parole sur la morale ousur l’entraide. On est dans un abandoncomplet. Je vois les gens qui vont à lamosquée, ils apportent toujours quel-que chose pour donner aux plus pauvresqui vont venir.O.F.: Ne laissez pas penser que la soli-darité s’exerce exclusivement par lebiais des cultes, ce n’est pas vrai! Mais

le communautarisme, c’est finalementle corporatisme de ceux qui n’ont pasde corporation, le filet de sécurité quipeut nous permettre de continuer à setenir chaud quand on a froid. Cela a crééun réceptacle pour ce fanatisme.N.S.-L.: Ce dont on souffre, ce n’est pastellement du manque de religieux, dumanque de foi, c’est du manque de rai-son. La religion pourrait aider la raisonà aller mieux, à se reprendre. Ce dontdoivent s’inquiéter les croyants, cen’est pas de la fin des croyances, c’estdu manque de raison. C’est la raison quiest malade et c’est la raison qu’il fautsauver aujourd’hui.M.M. : Ce n’est pas la seule réponse.Vous pourrez bien sûr mettre des profsde philo dans des écoles où l’ensembledes difficultés sont rassemblées, parceque l’éducation dans certains endroitsest méprisée, n’est pas prise en comptecomme ailleurs. Mais si on ne règle pasle problème de fond, qui est avant toutun problème social, comment les genspeuvent-ils arriver à vivre ?Comment donner suite à la mobilisationhistorique du 11 janvier?M.M. : «Je suis français, je m’appelleMohamed et j’habite en banlieue»,c’était déjà compliqué. Cela va l’êtreencore plus. Ma peur, c’est qu’on soitencore une «réserve de coupables»alors qu’on est les premiers otages detout cela. On est une partie de la solu-tion, on n’est pas le problème. Je con-nais plein de gens qui sont issus de l’im-migration et qui ont réussi. Mais cetteréussite, je ne la vois jamais ! La seule

«Ce serait tout à l’honneur despolitiques de dire: “On s’est peut-être trompés, comment fait-on?”—C’est ce que l’on dit.—Pas tous, Olivier, pas tous.»

Jeudi soir,à Libé.

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 17: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

EVENEMENT • 17

banlieue que je vois, la seule que l’onmontre, c’est la minorité nuisible à lamajorité des gens. Si on veut effective-ment faire en sorte que ce que l’on avécu dimanche se capitalise, il faut évi-ter que le naturel politique revienne augalop.O.F.: La première cause, le premier ter-reau sur lequel s’installent toutes lesviolences, c’est la misère. Ce n’est pasnouveau. Aujourd’hui, c’est l’extré-misme islamiste ; à d’autres époques,cela en a été d’autres. Mais cela ne peutpas être la cause exclusive. Quand bienmême nous aurions une politique de laville plus intelligente, que l’on arrive-rait, dans les quartiers, à faire émergerune élite issue de l’immigration, cela nesuffirait pas à endiguer ce que l’on con-naît aujourd’hui. Notre fameux Nor-mand qui est un égorgeur pour Daech[l’Etat islamique] est arrivé à cette bar-barie alors qu’il n’est pas issu de culturemusulmane, qu’il n’a pas grandi danscet esprit. Il a découvert un jour la reli-gion de sa vie. Il a fini par considérerque, pour retrouver l’estime de lui-même et l’estime des autres, il fallaitqu’il se valorise à travers des actes d’unecruauté sans nom. La misère ne peut pasconduire seule des gens vers cela. C’estd’ailleurs toute la difficulté que l’on aaujourd’hui avec les extrémistes. Avant,on pouvait dire que notre problème étaitd’enfermer les quartiers, de les murer,mais ça n’est plus le cas aujourd’hui.Aujourd’hui, des jeunes instruits, intel-lectuellement formés, ont malgré toutbasculé. Si je prends la caricature de

Cabu, ce n’est pas seulement des«cons» qui deviennent terroristes. Il ya d’ailleurs un lien étroit entre les déri-ves sectaires et le basculement dansl’extrémisme. On connaît le processus.Tout d’abord, on met les gens en rupturetotale avec la société française. On leurdit, en gros, que tout ce qui leur est ra-conté est faux, que c’est un vaste com-plot contre lequel il faut s’insurger, queles journalistes ne disent pas la vérité,que les politiques sont tous corrompus,que les profs sont les suppôts du sys-tème, que tout est tenu par des juifs, quetout cela n’a aucune crédibilité et quemême les parents se trompent.V.D.: Et que les parents, c’est des mous.O.F.: Exactement: «Mêmes tes parentssont des mous. Ils ont toujours courbél’échine et la courberont toujours. Toi,tu vas te relever. Sois fier de toi-même,de ce que tu es.» C’est par cette logique

qu’on coupe ces jeunes du monde.Après, on entre dans une autre logiqueet on leur dit: «Le seul avec qui tu peuxconverser, c’est avec moi qui suis tonmentor.» C’est comme cela qu’on lesfait basculer progressivement. Il fauttravailler sur l’humiliation subie quidépasse l’humiliation sociale. C’esttoute la question. Comment arrive-

t-on à redonner toute leur place à tou-tes ces identités sans qu’elles soientétouffantes pour la République? Com-ment faire vivre une société de faitmulticulturelle tout en faisant respecterpartout les principes de la République?Plutôt que d’exalter nos différences, ilfaut d’abord exalter ce que nous avonsde commun. C’est ce que l’école doitfaire. Je ne veux pas agresser l’école, etce qui est valable pour l’école l’est aussipour les élus.Le sursaut doit être aussi citoyen. Com-ment s’y prendre ?M.M.: L’espoir qu’on a aujourd’hui, unefois qu’on a fait l’état des lieux, c’estqu’on se demande, tous ensemble, nouscompris, comment on peut se mettreautour d’une table pour retrouver etpartager toutes ces valeurs républicai-nes. Franchement, je n’ai pas envie detomber dans le désespoir. J’ai besoin

d’entendre, y compris denos responsables politiques,non pas des injonctions,mais des paroles apaisantes,qui ne cherchent pas à trou-ver des coupables comme sic’était de leur faute. Si cettefois-ci, avec ce qui s’est

passé, on n’arrive pas à faire quelquechose, des personnes comme moi,qui essaient depuis des années de rat-traper des personnes, de faire en sortede ne pas avoir de dérive, de lutter con-tre ces injustices et ces inégalités, ellesvont lâcher.V.D. : Il faut des actes, pas que desparoles.

O.F. : Je pense profondément qu’il nefaut pas rater le coche, ce moment pré-cis. La France réagit par soubresauts,on ne sait pas faire autrement. On estun peuple qui marche avec des révolu-tions mais, là, ce n’est pas une révolu-tion. Quelque chose s’est passé dans cepays. Des gens se sont sentis «Charlie»,d’autres pas. Il faut donc profiter de cemoment pour les amener à réfléchirensemble. Si on n’arrive pas à tirerquelque chose de la force de l’événe-ment, alors on en reprend pourvingt ans. Et dans vingt ans, ceux quiviendront discuter à notre place, à Li-bération, ne discuteront plus de troisjihadistes complètement tarés. Ilsparleront d’émeutes, de territoires etd’une capitale enfermés derrière desbarbelés. C’est la dernière station avantle désert. C’est de cela dont nous de-vons tous avoir conscience.N.S.-L. : Aujourd’hui, on voit une rai-son délibérative qui a du mal à se met-tre autour de la table et à discuter en-semble. Les visions de la société sonttrès plurielles et s’affrontent. Il y a desintransigeants du côté des religions,mais aussi du côté de la laïcité. Le défiva être celui-là. Des compromis, il fau-dra en faire… Si la réponse politique, laseule réponse qu’on peut apporter, estde dire au monde musulman «l’isla-misme radical, c’est votre problème»,d’après moi, c’est catastrophique. Cen’est pas uniquement le problème desmusulmans, c’est un problème qui nousconcerne tous, républicains, et nousaussi, les autres religions. •

«Il y a des intransigeants du côtédes religions, mais aussi du côtéde la laïcité. Le défi va être celui-là.Des compromis, il faudra en faire…»Nathalie Sarthou­Lajus philosophe

NATHALIESARTHOU­LAJUS

Philosophede formation,elle est rédac­trice en chefadjointede la revuejésuite Etudes,qui a soutenula libertéd’expression deCharlie Hebdo.

MOHAMEDMECHMACHE

Présidentde ACLefeu,collectif qui a vule jour à Clichy­sous­Boisau lendemaindes «révoltessociales» denovembre 2005,il laboureles quartiersdepuis vingt ans.

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 18: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

18 • EVENEMENT

Deux jihadistes présumés ont été tués et un homme arrêté au coursd’une opération antiterroriste menée dans la petite ville belge.

Verviers, discret foyerde l’islamisme wallon

L’ ex-cité lainière belge, pro-che de la frontière alle-mande, était sous le chocau lendemain de l’opéra-

tion antiterroriste qui a fait deuxmorts jeudi : selon les premierséléments de l’enquête, la celluledémantelée à Verviers planifiaitdes attentats d’envergure contre«des services de police» et «de ma-nière imminente». Au total, dans lecadre d’une série de douze perqui-sitions menées sur tout le territoirebelge, la police a arrêté treize per-sonnes –dont cinq inculpées pour«participation aux activités d’ungroupe terroriste». Selon ManuelValls, «il semble qu’il n’y ait pasde lien» entre la cellule de Vervierset les attaques qui ont visé Paris lasemaine dernière.Au fil des années, Verviers,55000 habitants, avait attiré radi-caux religieux et femmes en niqab,au point d’effrayer même les mu-sulmans locaux. Car la ville, où letaux de chômage approche les20%, est depuis des années unfoyer islamiste en Wallonie. C’estdans le quartier de la gare que sesont établies des communautés pa-kistanaises, marocaines, afghanesmais aussi tchétchènes, à la recher-che d’un habitat bon marché. Dansce bouillon de cultures, sont venusse greffer des islamistes minoritai-res qui se sont radicalisés.En 2008, un rapport de la fondationaméricaine Nefa décrivait ce lieucomme une place forte des Frèresmusulmans et du Hamas, épinglantau passage Michaël Privot, un Belgeconverti à l’islam. Ce dernier, tou-jours actif dans la «lutte contre l’is-lamophobie», se tiendrait aujour-d’hui à l’écart de l’influence de laconfrérie. L’influence des Frères avite été supplantée par l’arrivéed’extrémistes, notamment issus dela guerre en Tchétchénie. «LesTchétchènes n’ont pas de contact avecles autres groupes, avance MichaëlPrivot. Dans notre salle de sports, oùnous faisons de la boxe ou de la mus-culation, ils jouent ensemble et fontbande à part.» Plus tard, d’autrescellules ont émergé, avec des con-nexions vers la Somalie ou l’Algérie.

LE CROISSANT D’OR. Verviers aconnu son lot de départs vers la Sy-rie (entre six et huit, selon le jour-nal l’Avenir), alors qu’en Belgique,l’essentiel des candidats au jihad secantonnait dans «l’axe Bruxelles-Anvers». «Encore récemment, unejeune femme est allée en Syrie, ditYilmaz, une habitante du quartier.Des jeunes sont partis via certainesmosquées. Aujourd’hui, et heureuse-ment, ces mosquées n’ouvrent leursportes que pour la prière puis lesreferment aussitôt. Il n’y a pasque sur Internet que les jeunes seradicalisent.»Les deux islamistes tués jeudi soir,dans l’opération de la police fédé-rale à Verviers, revenaient de Syrie.Quatre kalachnikovs, quatre armesde poing, des munitions, des ex-plosifs et des moyens de communi-cation ont été saisis ainsi que d’im-

portantes sommes d’argent, deséquipements de police et des fauxdocuments. L’homme qui a été ar-rêté à l’issue de l’assaut revenaitégalement de Syrie.Franck Amin Henschest l’imam d’unemosquée située dansun quartier défavo-risé, de l’autre côtéde la Vesdre, la ri-vière qui traverse laville. «Je suis trèschoqué, très touché»,

confie-t-il. Pour lui, les événementsde jeudi constituent «une nouvelletragique qui vient une fois de plusocculter tout le long travail de dialo-gue et de vivre-ensemble que nous

mettons en place».Qui étaient ces ji-hadistes ? Pour lemoment, le parquetn’a pas diffusé leuridentité, mais onsait que deux Ver-viétois d’originetchétchène et un

autre d’origine marocaine, Re-douane, 22 ans, avaient été localisésdébut 2014 en Syrie. Redouane avaitfait croire à sa famille qu’il partaitau Maroc, chez ses grands-parents.

CONTRASTE. Le retour des jiha-distes est le cauchemar des autori-tés belges, partagées entre une po-litique de déradicalisation – pourceux qui n’ont pas de sang sur lesmains – et de répression, commeon l’a vu jeudi. Les derniers chiffresde l’Intérieur font état de 184 res-

sortissants belges en Syrie et enIrak, d’une centaine de retours etd’une cinquantaine de tués surplace. Un bref coup de téléphoneannonçant que leur proche est«mort en martyr» avertit en généralles familles en Belgique. Un con-traste frappant avec les vidéos glo-rificatrices que postent les jeunesjihadistes sur les réseaux sociaux,où ils paradent avec leurs kalach-nikovs en jetant des anathèmes surl’Europe, en tentant de mobiliserles «frères» restés au pays. •

A Verviers, jeudi. Les forces de sécurité belges ont frappé une cellule islamiste qui planifiait une attaque «contre les forces de police». PHOTO REUTERS

Bruxelles

FRANCE

PAYS-BASPAYS-BAS

L

ALL

50 km

Flandre

WallonieBELGIQUE

Verviers

Par CHRISTOPHE LAMFALUSSYJournaliste à «la Libre Belgique»

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 19: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

EVENEMENT • 19

Très inquiet, son père se se-rait déplacé trois fois à lamairie pour demander de sesnouvelles. Contacté ven-dredi, il ne souhaitait pas

s’exprimer.Youssoup Nassoulk-hanov, qui serait ar-

rivé en France à l’adoles-cence, habitait chez sesparents, avec ses frères etsœurs. «Je crois que les tradi-tions culturelles tchétchènesétaient un sacré poids dans sa

vie», se souvientun collègue.Talentueux. Enmai dernier, il fai-sait du «streetworkout», mé-lange de muscu etd’acrobaties, quiconsiste à réaliser des figuressur le mobilier urbain (1). Sabande s’entraînait dans unparc de la ville. Il était l’undes plus talentueux, peu ba-vard mais passionné: «Dans

notre groupe, il y atoutes les nationa-lités, se réjouis-sait-il. On partageentre nous.»Comment a-t-ilbasculé ? «Laseule réponse que

je peux trouver, c’est l’effetboule de neige : l’un part etd’autres suivent, dit Mes-saoud Boumaza, recteur del’institut Al-Andalous, àSchiltigheim. Il ne faut pas

cantonner le problème à lacommunauté musulmane. Cesont des enfants de la France.Ils ont fréquenté l’école de laRépublique.» Youssoup seraitle second Schilikois partifaire le jihad en Syrie.

MAUD LESCOFFITet GABRIEL PORNET

(1) Nous l’avions rencontrépour un reportage non publiépour le Centre universitaired’enseignement du journalisme(Cuej). Lire égalementsur Liberation.fr

A vant de disparaître,en août 2014, Yous-soup Nassoulkhanov

(prononcer «Youssouf») tra-vaillait comme assistant in-fographiste à la mai-rie de Schiltigheim,dans l’agglomérationstrasbourgeoise. Le maire,Jean-Marie Kutner, a étécontacté jeudi soir par lesservices de renseignementsfrançais pour lui annoncerque le jeune homme âgéd’une vingtaine d’années,d’origine tchétchène, auraitété reconnu sur une vidéosiglée Etat islamique, publiéele 14 janvier sur Internet ettitrée «Des combattantsfrançais au sujet de CharlieHebdo à Raqqa».Sans citer l’attaque du 7 jan-vier, le jeune homme, vêtuchaudement et portant unfusil d’assaut, s’exprime àdestination de «tous les Fran-çais» : «Nous allons venir enEurope, ces opérations-là se-ront de plus en plus en France,en Belgique, en Allemagne, enSuisse, partout en Europe etpartout en Amérique.» Il sug-gère à ses «frères qui ne peu-vent pas rejoindre les terres del’Etat islamique : faites votremieux, faites tout ce que vouspouvez, tuez-les, égorgez-les,brûlez leurs voitures, brûlezleurs maisons.» La vidéo setermine avec les exhortationsde deux autres jihadistess’exprimant également enfrançais. Pour RomainCaillet, doctorant à l’Institutdu Proche-Orient, «c’est unevidéo classique de l’Etat isla-mique : ils aiment bien faire cetype de micros-trottoirs cen-trés sur des nationalités. On envoit plusieurs fois par semaine,mais mesurer leur impact estdifficile.»Ascenseur. A Schiltigheim,un ancien collègue de lamairie, où Youssoup tra-vaillait depuis mai 2013, n’enrevient pas : «Son contrat sepassait bien et on lui avait ditqu’on pourrait peut-être le ti-tulariser après trois ans. Ilétait calme et réservé. Cela mefait mal au cœur. J’ai pris uncoup ce matin. Je ne voulaispas y croire.» Le maire lecroisait tous les matins dansl’ascenseur : «Il était d’unegrande gentillesse et d’unegrande politesse.»Après avoir passé un mois enTchétchénie en juin, Yous-soup Nassoulkhanov ne s’estpas présenté au travail le14 août, prétextant un ren-dez-vous chez le médecin.

PROFIL

Douze personnes ontété interpellées en régionparisienne dans la nuitde jeudi à vendredi parla police, qui chercheà établir des complicitésdans l’entouraged’Amedy Coulibaly,meurtrier de cinqpersonnes la semainedernière à Paris. Parailleurs, le ministère dela Justice a comptabilisé157 procéduresjudiciaires, dont 69 pour«apologie du terrorisme»et «menaces d’actionsterroristes», depuisl’attentat contre CharlieHebdo. Enfin, trois jeunesFrançais, accusés d’avoirvoulu se rendre auYémen ou en Somalie en2012 pour y faire le jihad,ont été condamnésvendredi à des peinesde quatre à dix ans deprison par le tribunalcorrectionnel de Paris.

LA TRAQUEDES COMPLICESDE COULIBALY

Youssoup Nassoulkhanov, ex-employé de mairie, apparaît dans une vidéo de l’Etat islamique.

De la muscu dans les parcs alsaciensau jihad dans les rues de Raqqa

GA

BRIE

LPO

RNET

NOUSSOMMESCHARLIE

POURL’HISTOIRE

Rass

embl

emen

tspo

ntan

é,pl

ace

dela

Répu

bliq

ueà

Paris

,le7

janv

ier,

aprè

sl’at

taqu

eco

ntre

Cha

rlie

Heb

do.P

HO

TORÉ

MY

ART

IGES

HO

RS-S

ÉRIEJANVIER2015.4€

LIBÉRATION HORS -SÉRIE du lundi 19 janvier 2015 BEL/LUX 4.90€ - ALL/ESP/ITA/GR/PORT (Cont) 5€ - SUI 6 CHF - DOM/S 4.90 € - DOM/A 5.90 € - CAN 6.50 $CAN

UN HORS­SÉRIE DE 48 PAGES

LUNDI EN KIOSQUE

REPORTAGES,ARCHIVES,COULISSES,ANALYSES…

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 20: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

Par ÉTIENNE BOUCHE

La compagnie Aeroflotlance une filiale au-dessus de toute sanction

V olgograd pour moinsde mille roubles(13 euros) au départ

de Moscou, c’est l’une despromos aguicheuses propo-sées par Pobeda – «Vic-toire»–, la nouvelle filiale àbas coût lancée par le groupeAeroflot, contrôlé par l’Etatrusse. Depuis le 1er décem-bre, celle-ci assure desliaisons aériennes à des tarifsinédits sur le marché russe,reliant la capitale à une poi-gnée de villes situées dans lapartie européenne de la Rus-sie et dans l’Oural. Dans unpays où les voyages en trainpeuvent prendre plusieursjours, l’offre a de quoiséduire.

Fin octobre, le patron d’Ae-roflot, Vitali Saveliev, com-mentait en ces termes le nomde cette filiale : Pobeda«symbolise la victoire inévita-ble [de la Russie, ndlr] sur lesdifficultés auxquelles le pays etle peuple ont été confrontéscette année». Suivez mon re-gard : accusée par les Etatsdits occidentaux d’alimenterla fièvre séparatiste dans l’estde l’Ukraine, la Russie faitl’objet de sanctions écono-miques sans précédent. Lesous-texte politique est clair:la coercition est vaine, nousnous en sortirons. Le dis-cours est en vogue et Vladi-mir Poutine ne disait pasautre chose lorsqu’il accu-sait, en décembre, «lesEtats-Unis et leurs alliés» devouloir «freiner les opportu-nités croissantes de la Russie».

Le projet de création d’unréseau aérien low-cost, surle modèle des compagnies

européennes, a longtempsété tenu en échec en Russie.Il s’était finalement concré-tisé au printemps avec Do-broliot, lancée par Aeroflotqui affichait l’ambitieux ob-jectif de transporter200 000 passagers par an.Dans un pays galvanisé par le«retour» de la Crimée, Do-broliot fait la promotion devols pour Simferopol, ce quilui vaut de figurer sur la listedes sociétés russes sanction-nées par l’Union euro-péenne. Six semaines plustard, elle annonçait la fin deson activité, dans l’incapa-cité d’honorer ses contratsde location. Pobeda, c’estune «victoire» médiatiquecommode alors que l’écono-mie nationale titube : con-fronté à la chute des cours dupétrole et à la forte instabilitéde sa monnaie, le pays sem-ble condamné à la récessioncette année, selon les prévi-sions du ministère des Fi-nances.

Opérant les mêmes vols quel’éphémère Dobroliot, Po-beda a néanmoins renoncé àla Crimée. La compagnieajuste son offre : délaissantTcheliabinsk et Samara, ellea ouvert il y a quelques joursune liaison avec Makhatch-kala, la capitale du Dagues-tan. A la faveur de la dépré-ciation du rouble, qui acontraint de nombreux Rus-ses aisés et de la classemoyenne à renoncer à leursvacances à l’étranger, cer-taines destinations font leplein. Les vols pour Sotchi, lacoûteuse cité olympique,sont complets pour les se-maines à venir. •

VU DE MOSCOU

U n journaliste saou-dien va-t-il bientôtmourir sous le fouet

dans un pays considéré parles pays occidentaux commel’un de leurs alliés les plusprécieux au Proche-Orient?C’est ce qui menace Raëf Ba-daoui, le jeune animateur dusite internet Liberal SaudiNetwork, dont l’état desanté, après une premièreséance de fustigation, est àce point critique que lesautorités ont finalement re-porté d’une semaine la se-conde séance, qui était pré-vue vendredi. Hypocrisiesaoudienne, un représentantdu Royaume avait pourtantdéfilé à Paris pour Charlie.Appel. Le seul crime du blo-gueur est d’avoir critiqué surce site, qui a été fermé, lapolice religieuse, les terriblesmoutawa’in, et certains éditsreligieux. Et, autre crime pu-nissable dans le tolérantroyaume, d’avoir désobéi à…son père. C’est ce qui lui avalu d’être condamné en no-vembre à dix ans de prison,une amende d’un million deriyals (230 000 euros) et à1000 coups de fouet répartissur vingt semaines pour «in-sulte à l’islam». Une pre-

mière condamnation, l’anpassé, à 600 coups de fouetavait été jugée trop clémentepar l’accusation.Les 50 premiers coups defouet lui ont été infligés le9 janvier, en public, devantune mosquée de Jeddah, villepourtant regardée comme…la moins rigoriste d’ArabieSaoudite. La seconde séancea été reportée du fait que, se-lon le médecin de la prison,ses «blessures n’étaient pasencore cicatrisées correcte-ment et qu’il ne serait pas ca-pable de supporter une autreséance de coups de fouet».Déjà, l’épouse du journaliste,Ensaf Haidar, avait indiqué àAmnesty International,qu’elle craignait que sonmari ne puisse pas supporterphysiquement une deuxièmeséance de fustigation: «Raëfm’a dit qu’il souffrait beau-coup à la suite de sa flagella-tion, son état de santé n’estpas bon et je suis certaine qu’ilne pourra pas résister à unenouvelle série de coups defouet.» Elle avait lancé aussiun appel désespéré à la com-munauté internationale surles risques de mort prochainede son mari si celle-ci ne semobilisait pas: «J’ai déjà an-

noncé la nouvelle à nos enfantsla semaine dernière pour éviterqu’ils ne l’apprennent par desamis à l’école. Ils sont extrê-mement choqués.»«Inhumain». Jusqu’à pré-sent, Riyad n’a pas fléchimalgré la condamnation deWashington, qui a évoquéune «punition inhumaine»pour ce lauréat 2014 du prixReporters sans frontièrespour la liberté de la presse etle rappel par le haut-com-missaire de l’ONU aux droitsde l’homme que la flagella-tion constitue «une forme dechâtiment cruel et inhumain»,interdite par la conventioncontre la torture, d’ailleursratifiée par Riyad.Dans un pays où la dynastiedes Al-Saoud a tous les pou-voirs, il serait facile au roiAbdallah de gracier le sup-plicié. Mais le «protecteurdes deux saintes mosquées(La Mecque et Médine)»,outre sa santé précaire et sasuccession, doit gérer lamontée en puissance del’Etat islamique qui contestedésormais sa légitimité reli-gieuse, ce qu’il fait en semontrant plus cruel encoreque l’organisation jihadiste.

JEAN-PIERRE PERRIN

UnblogueursaoudienendangerdemortTORTURE Pour avoir «insulté l’islam», Raëf Badaouia notamment été condamné à 1000 coups de fouet.

«Nous appelonsles prêtres à lancerdes initiativespour préserverla mémoire descommunautés juivesdans des localitésoù elles avaientvécu, et demandonsaux fidèles […] deleur venir en aide.»Les évêques catholiquespolonais vendredi

170000migrants clandestins sontarrivés en Italie en 2014,soit une moyenne de 465par jour et près de quatrefois plus qu’en 2013. Selonl’Organisation internatio­nale pour les migrations,au moins 3200 migrantsont perdu la vie en Médi­terranée en 2014.

Il était surnommé «le bull­dozer» pour sa propensionà lancer des chantiersde construction à Nankin,8 millions d’habitants.Ji Jianye, ancien maire dela ville, a comparu vendredidevant la justice pourcorruption. Il est accuséd’avoir touché 11,3 millionsde yuans (1,58 milliond’euros) en pots­de­vinde fin 1999 à 2012. Sacondamnation ne faitaucun doute, les verdictsdépendant de décisionspolitiques en Chine.Ji Jianye avait été limogéen octobre 2013, unedécision saluée par deshabitants de Nankin avecdes tirs de pétards dansla rue. Il avait ensuite étéexclu du Parti communistechinois. Il faisait alorspartie de la premièredouzaine de hautsresponsables victimesde la campagne anticor­ruption lancée par le prési­dent Xi Jinping. Nommémaire de Nankin en 2010,Ji Jianye avait multiplié lesprojets d’infrastructureset immobiliers, voie la plussimple pour s’enrichiren Chine. PHOTO REUTERS

LE «BULLDOZER»CHINOIS BIENTÔTCONDAMNÉ

LES GENS

L’ouvrier était à pied et faisait du stop. Sans trop desuccès, puisqu’une vingtaine de véhicules le laissentpouce tendu sous le soleil torride de l’été austral. Puis unevoiture s’arrête et le prend. Et, ô surprise! l’homme assis àcôté de la conductrice de l’automobile qui le fait monterdans la camionnette qui suit son véhicule n’est autre quele président d’Uruguay lui­même, «Pépé» Mujica. «Quandje suis monté, je me suis dit [à propos de la conductrice]:“Cette femme, je la connais”. C’était Lucía [Topolansky,sénatrice et épouse de «Pépé» Mujica], avec leur chienneManuela, et Pépé était assis devant.» Le présidenturuguayen, José Mujica, dont le mandat s’achève en mars,a la réputation d’être un homme simple et peu férude protocole. «Ils ont été très aimables», a commentél’employé de l’usine de cellulose de Montes del Plata.

UN AUTOSTOPPEUR URUGUAYEN FAITLE VOYAGE AVEC LE PRÉSIDENT

L’HISTOIRE

Vendredi à Zinder, 2e ville du Niger, des manifestations anti­Charlie ont fait quatre morts,trois civils et un gendarme. Le centre culturel français a été incendié par une cinquantainede personnes. Trois églises, une catholique et deux protestantes, ont aussi été saccagées.Au Pakistan, des milliers de manifestants ont dénoncé la sortie de l’hebdo avec Mahometen une. Dans un affrontement devant le consulat de France à Karachi, un photographe del’AFP, Asif Hassan, a été sérieusement blessé par balle (photo). A Dakar (Sénégal) et àNouakchott (Mauritanie), des milliers de manifestants ont protesté et des drapeaux fran­çais ont été brûlés. On dénombrait aussi d’autres manifs antifrançaises à Alger et àAmman (Jordanie). Les Etats­Unis ont condamné ces violences. PH.AKHTAR. SOOMRO. REUTERS

MANIFS ANTIFRANÇAISES QUATRE MORTS AU NIGER

H LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201520 • MONDEXPRESSO

Page 21: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

L e projet initial de bar-rage à Sivens, dans leTarn, n’est «plus d’ac-

tualité», a tranché SégolèneRoyal. La ministre de l’Eco-logie a validé vendredi lesdeux alternatives proposéespar les experts missionnésaprès le drame de fin octo-bre, lorsque Rémi Fraisse,21 ans, avait été tué par unegrenade offensive lancée parles forces de l’ordre.Pistes. Les experts avaientdéjà fait part de leurs doutesdans un premier document,fustigeant un projet mal fi-celé, tant au niveau des be-soins, des compensationsécologiques, que des finan-cements. Pour eux, le projetde retenue d’eau de 1,5 mil-lion de m3 sur le Tescou étaitsurdimensionné. Ils avancentdésormais deux pistes, quiseront débattues lors de laprochaine session de l’as-semblée départementale duTarn, dont l’immense majo-

rité des élus soutiennent leprojet initial. Ces nouvellespropositions «sécurisent lesbesoins en eau», selon Royal,qui les estime à 750000m3.La première option consisteen un réservoir «de taille plusréduite» sur le site défrichéen septembre par les enginsdu conseil général. La se-conde prévoit une retenue la-térale en amont, une autre enaval, et «une ou deux» dansla vallée du Tescou. «Un peuplus coûteuse», elle provo-querait de «faibles» impactsenvironnementaux.Ben Lefetey, porte-paroled’un collectif d’opposants, sefélicite de la «clarification»apportée par le ministère.«C’est la reconnaissance desarguments que l’on porte de-puis deux ans.» Il comptemontrer qu’il «n’y a pas be-soin, à terme, de nouvelle rete-nue» car «2 millions de m3

d’eau sont sous-utilisés cha-que année». Didier Houlès,

vice-président (divers gau-che) du conseil général,prend acte de l’annonce deRoyal:. «Ce n’est ni une vic-toire ni une défaite. Le projetd’origine a été interrompu parun drame, il a été remis à platdans une ambiance construc-tive.» Ses faveurs vont auscénario d’une retenue pluspetite sur le site de Sivens.«Foutaise». Une positionque les «zadistes» qui occu-pent les lieux risquent de nepas comprendre. Quant auxagriculteurs favorables aubarrage initial, ils ne comp-tent pas baisser les bras. «Ladécision de Ségolène, c’est dela foutaise complète, s’em-porte Patrick Lombrail, re-présentant de la FDSEA dansle Tarn-et-Garonne. Elle nefait que protéger ces bons àrien de zadistes.» L’hommedit réfléchir à des actions«dès lundi»: «On ne peut paslaisser faire ça.»

SYLVAIN MOUILLARD

Sivens:RoyalretientdeuxprojetsalternatifsBARRAGE Suivant l’avis d’un nouveau rapport,la ministre de l’Ecologie a enterré le plan initial.

Sur la ZAD du Testet, dans le Tarn. PHOTO CHRISTIAN BELLAVIA.GREEN TORTUGA

Le chef de file des députésradicaux de gauche, Roger­Gérard Schwartzenberg,a réclamé vendredi que ledébat sur la fin de vie àl’Assemblée ne se fassepas à un «rythme expédi­tif» : «L’Assemblée peut dif­ficilement traiter un sujet siimportant dans une duréesi réduite.» Il déplore égale­ment «l’absence d’un votemercredi alors que la Cons­titution le permettrait».

FIN DE VIE: LE PRGREFUSE UN DÉBAT«EXPÉDITIF»

L’HISTOIRE

Un homme qui retenait deux otagesà la Poste de Colombes (Hauts-de-Seine) depuis la mi-journée a été in-terpellé, vendredi après midi, et sesotages libérés sains et saufs. Selonles premiers éléments de l’enquête,il est entré seul dans les locaux vers12 h 30 et plusieurs clients ont pus’enfuir. L’homme, 30 ans, un délin-quant de droit commun, connu de la

police pour de «petits délits», étaitmuni d’au moins «une arme factice».Il s’est rendu de lui-même vers14 h 30. «Il n’y a pas eu d’assaut», aexpliqué une source policière. «Ilétait légèrement alcoolisé et sembleavoir des problèmes psychologiques. Iln’a pas réclamé d’argent, ce n’est pasun braquage. Il voulait voir son méde-cin, une ambulance», a encore expli-

qué une source proche de l’enquête.Les deux personnes qu’il retenait,parmi lesquelles au moins une em-ployée de la Poste, sont sorties «cho-quées mais pas blessées». La Brigadede recherche et d’intervention (BRI)de la police judiciaire parisienne et lespoliciers du Raid avaient été déployéssur place. Aucun coup de feu n’a ététiré.

G À CHAUD UN HOMME «ALCOOLISÉ» S’EST RENDU VENDREDI À COLOMBES

La Poste: une prise d’otage vite expédiéePar CATHERINE MALLAVAL

La politique volontairede Marisol Touraineen faveur de l’IVG

U n droit acquis, maistoujours fragile : cesamedi se tiendra

une journée militante pour«le droit à l’avortementen France et en Europe», in-titulée «Bougez pour l’IVG»,à l’initiative de collectifsféministes. Un droit qui fêteses 40 ans, mais qui n’est pastoujours accessible à toutes:aussi, vendredi, la ministrede la Santé, Marisol Touraine,a-t-elle annoncé un planpour améliorer la situation.

Cela commence par une to-tale gratuité. Si l’avortementest remboursé par la Sécuritésociale, les actes associés(échographie de datation dela grossesse indispensable àla demande d’IVG et exa-mens biologiques) le serontdésormais aussi. Ensuite,pour assurer une plus grande«fluidité» du parcours vers

l’IVG, la ministre promet lamise en place d’une procé-dure pour les avortementsentre 10 et 12 semaines degrossesse, qui doivent êtrepratiquées en urgence, car auplus près du terme légal.

Enfin, souhaitant que chaquefemme «trouve un moyend’avorter près de chez elle», laministre demande à ce qu’unplan d’accès soit établi danschaque région. En outre, Ma-risol Touraine se montre fa-vorable à ce que les sages-femmes soient à l’avenirautorisées à pratiquer desIVG médicamenteuses, cequi consiste à prescrire la pi-lule abortive. Actuellement,plus de la moitié des avorte-ments en France (environ210 000 tous les ans) sontainsi réalisés. Un possible re-cours aux sages-femmes se-rait donc précieux. •

DROIT DE SUITE

Pho

to &

des

ign

PA

SCA

L C

OLR

AT

DEZAFI THÉÂTRE

Le TARMAC - 159 avenue Gambetta - 75020 Paris

Réservations 01 43 64 80 80 - www.letarmac.fr

21 > 24 janv. 2015avec Edouard Baptiste, Ruth Jean Charles, Billy Midi, Julaine Noléus, Nathania Priclès, Guy Régis Jr, Genèse Tombeau

de Frankétienne mise en scène Guy Régis Jr

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 FRANCEXPRESSO • 21

Page 22: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

LesGlass, lemauvaisœildeGoogleLa firmea suspendula vente deses lunettesconnectées,faute demarché. Uncoup d’arrêtau projetfuturistedu géantdu Web?Pas si sûr.

procuré les Glass, moyennant 1500 dol-lars (1 295 euros) pour faire joujou etimaginer des applications de toutes sor-tes: du mini-jeu vidéo projeté directe-ment sur l’œil, au coach sportif embar-qué, en passant par le GPS vision hauteet le tournage de pornos en vue subjec-tive… Google avait fait un pas vers une

commercialisation grand publicen 2015 en annonçant des ac-cords avec Ray Ban, Oakley ou

Armani. La promesse de ces lunettes,commandées par la voix, d’un cligne-ment de l’œil ou d’un tapotement sur lamonture ? «Libérer» l’utilisateur del’écran en affichant directement lemonde virtuel du Web sur un prismefixé à l’emplacement du verre droit. Lafolle ambition de Google? Faire porterses Glass à tout le monde (six personnessur dix ont des lunettes) et renvoyer lesmartphone au rayon des antiquités !Mais même Google peut se tromper.

«TROISIÈME HÉMISPHÈRE». Zoom ar-rière. Le 5 avril 2012, Sergey Brin, est vupour la première fois avec un prototype

de Google Glass, à la Foundation Fi-ghting Blindness à San Francisco. Ilannonce l’ère de l’homme connecté«anywhere, everywhere, anytime»(«n’importe où, partout, n’importequand»), augmenté par Google qui pré-tend devenir «le troisième hémisphère ducerveau». «Vous êtes isolés par votresmartphone. Les Google Glass vous per-mettront de vous détourner de cet écran etfaire autre chose», en consultant mailset réseaux sociaux en un clin d’œil, as-sure-t-il au magazine Wired. Retrouverune vie sociale en portant ces lunettesde Martien? Tout le monde n’est pas decet avis. Google va rapidement s’enapercevoir.Car les Glass sont vite perçues par lesmilieux technocritiques comme «l’œilde Google», un danger pour la vie pri-vée. Equipées d’une caméra, d’unmicro, d’un mini-écran et d’une con-nexion wi-fi, elles permettent à n’im-porte qui de vous photographier, filmer,«googliser» à votre insu, seul une lu-mière rouge sur la monture indiquantque les Glass sont en marche. Pour dé-samorcer ces inquiétudes, Google pro-met de ne pas coupler ses lunettes à uneapplication de reconnaissance faciale.Mais jusqu’à quand ? A ces craintess’ajoutent celles sur l’impact sur la vueet le cerveau d’une connexion perma-nente. Haro sur le projet «transhuma-

Par FABIEN BENOITet JEAN­CHRISTOPHE FÉRAUD

«O K Glass… it’s over.» Onimagine la scène : le co-fondateur de Google, Ser-gey Brin, utilisant la

commande vocale de ses lunettes con-nectées pour les débrancherd’un air las. Jeudi, le géant duWeb a annoncé en catiminiqu’il suspendait la vente de ses fameu-ses Google Glass par ce simple post surGoogle + : «Le 19 janvier sera le dernierjour pour obtenir les Glass […]. Nous fer-mons le programme afin de pouvoir nousconcentrer sur ce qui viendra ensuite.»Dès lundi, il sera impossible de se pro-curer ces lunettes tout droit sorties d’unfilm de SF qui prétendaient remplacerles smartphones en ouvrant l’ère d’unehumanité connectée en permanence.Officiellement, le programme n’est pasmort: «Vous commencerez à voir de nou-velles versions des Glass quand elles serontprêtes», a promis Google. Et l’équipeGoogle Glass va devenir autonome ensortant du cocon de Google X, le labodédié aux projets futuristes de la firmede Mountain View (Californie). Mieux,Tony Fadell, l’un des pères de l’iPodd’Apple et cofondateur de Nest Labs (unspécialiste de la domotique racheté l’anpassé par Google) a été chargé de relan-cer le projet et de transformer le gadgetpour geeks en produit viable. «C’est unefaçon pour nous de dire que les Goo-gle Glass continuent et que nous y croyons.Sortir les Glass de Google X cela signifieque le projet est suffisamment mûr pourêtre une entité à part entière de Google»,assurait vendredi un cadre de la compa-gnie sous couvert d’anonymat. Maistout cela ressemble à un big fail, commeon dit sur Internet.Depuis le lancement du projet expéri-mental en 2013, quelques milliers degeeks, développeurs, start-up et autres«early adopters», pompeusement bap-tisés «explorers» par Google, s’étaient

niste» de Google qui rêve de marierl’homme et la machine: le célèbre lin-guiste américain Noam Chomsky vajusqu’à qualifier les Glass d’«outil dedestruction de l’humain». Car, après leslunettes connectées, c’est l’implant in-tra-oculaire qui se profile. Google a déjàdéposé les brevets et signé un accordavec Novartis pour développer «unelentille intelligente». Et que fera doncle «Big Brother» californien des mil-liards de données privées engrangéespar ses «zombies Glass»?Ces derniers temps, les lunettes «hype»étaient devenues non grata en dehors desconférences TEDx. A San Francisco,certains utilisateurs ont même étéagressés dans la rue, se faisant traiter de«Glasshole», littéralement «trou ducul à lunettes». Et les convertis eux-mêmes, les Glass explorers ont rapide-ment souligné les limites techniques del’objet : design raté, faible autonomie(trois à cinq heures), manque de fonc-tionnalités… «Au début, j’ai été scotchépar le fait de pouvoir enregistrer des vidéoset des photos sans les mains. J’étais

euphorique, je marchaisdans la rue et on m’arrêtaitpour me poser des ques-tions. On me laissait rentrerdans des soirées, parce queje portais des Glass ! Desgendarmes m’ont même

arrêté pour les essayer!» raconte à Libé-ration Thibaud Villarmois, un Parisiende 29 ans, qui a testé les Glass pendantun an en se les procurant… sur eBay.Puis le fan s’est lassé: «La plupart desfonctions des Glass sont les mêmes quecelles que l’on trouve sur les smartphones.Il n’y a pas encore de “killer app”, une ap-pli spécifique aux Glass qui inviterait lesgens à les acheter. On peut vraiment se de-mander à quoi elles servent aujourd’hui.»

«APPLICATIONS». Récemment, les si-gnes d’un crash du projet se multi-pliaient. Le 16 novembre, Sergey Brinlui-même oubliait ses Glass dans sa voi-ture alors qu’il devait les porter lorsd’un gala sur le campus de la Nasa. Actemanqué remarqué par toute la techno-sphère. Dans la foulée, plusieurs têteschercheuses, dont Babak Parviz, chefdu projet Glass débauché par Amazon,quittaient le navire. Et Twitter aban-donnait toute velléité de développer desapplications pour les lunettes, quandde nombreux développeurs jetaientl’éponge. Et Google annonçait à la finde l’année la fermeture des showroomspour les Glass, à Los Angeles, New York,San Francisco et Londres. Dernière-ment, seule une petite centaine d’appli-cations était disponible pour les Glass,sans réelle plus-value par rapport à cel-les des smartphones. «Il n’y a pas de

RÉCIT

REPÈRES

10000bêta­testeurs s’étaientprocuré des Google Glassdès 2013. Depuis l’engoue­ment est retombé, certai­nes Glass se retrouvantsur eBay…

A San Francisco, certains utilisateursont même été agressés dans la rue,se faisant traiter de «Glasshole»,littéralement «trou du cul à lunettes».

Réalité

Imageprojetée

GOOGLEGLASSCOMMENTÇAMARCHEPuce électroniqueBaerie Caméra

MicrophoneHaut-parleur

Prisme

Prisme Projecteur

Rétine

«La matriceest universelle,omniprésente. Elleest avec nous en cemoment même.»En 1999, le film «Matrix»préfigurait les implantstechnologiques

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201522 • ECONOMIE

Page 23: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

marché, les gens ne veulent pas desGlass», entendait-on partout.Pourtant, 300 personnes seraient tou-jours à l’œuvre sur les Google Glasspour mettre au point une «V2» des lu-nettes connectées. Pour Aurélien Fa-che, spécialiste français des nouvellestechnologies et animateur du site Ma-kery, c’est une évidence: «Il y a encorede gros efforts à faire, mais Google nes’arrêtera pas là, explique-t-il. Si lesGlass ne sortent pas en 2015, ce seraen 2020.» «Nous avons compris qu’il yavait un réel intérêt pour les lunettes con-nectées, en particulier dans le secteurprofessionnel, chez les professionnels.Nous allons creuser ce sillon», indiquaitvendredi une source «off» chez Google.Il y a six mois, le programme «Glass atWork» a ainsi été initié pour dévelop-per leur utilisation en entreprise.Adrien Delepelaire, chef de projet chezFaber Novel et responsable du GoogleGlass Lab à Paris, y voit l’avenir à courtterme des lunettes connectées. «Lesmédecins s’en sont emparé pour retrans-mettre en direct leurs opérations et se faireaider à distance par des confrères, souli-gne-t-il. Le géant américain de l’énergieGeneral Electric s’en sert, lui, pour desopérations de maintenance, ses techni-ciens peuvent ainsi être guidés pas à pasou accéder à des informations tout en gar-dant les mains libres. On trouve le mêmeusage dans des entrepôts où il s’agit depréparer des commandes. Dans ce ca-dre-là, les Google Glass apportent unevraie valeur ajoutée.»

«ÉVANGÉLISATION». BMW, la SNCF ouencore Boeing testent toujours les Glass.Baptiste Benezet, développeur d’appli-cations, confirme: «Si de nombreux dé-veloppeurs ont arrêté de travailler sur lesGlass, faute de débouchés grand public,nous sommes encore nombreux à penserdes applications pour le monde de l’entre-prise. Je travaille par exemple avec Alstompour des solutions liées à la logistique.»Santé, transport, logistique, aide auhandicap… ainsi se dessinerait l’avenirdes Google Glass, qui pourraient surfersur la vague des «wearable devices» :montres, capteurs, vêtements et autresobjets connectés. «Le mouvement deslunettes connectées va se poursuivre, c’estcertain. Les Google Glass ont eu un rôled’évangélisation, pour nous préparer à larévolution des objets connectés», estimeBaptiste Benezet.D’autant que les concurrents Sony etToshiba ont aussi conçu leurs propreslunettes. Même Apple a déposé un bre-vet. Alors les Google Glass sont peut-être le brouillon d’un rêve – ou d’uncauchemar– plus grand. Pour le philo-sophe Eric Sadin, auteur de l’Humanitéaugmentée (l’Echappée, 2013), «lesGoogle Glass témoignent d’une rupture.Il ne s’agit plus simplement de technolo-gies portables, consultables ou manipula-bles de temps à autre, mais d’un projet degreffe technologique permanente sur lecorps humain. Et le risque, c’est celuid’une réalité orientée et non augmentée».Investir l’intégralité de notre existence,tel serait le projet de Google. Pour Auré-lien Fache, «le but ultime est de connecternotre cerveau à Google». En attendantl’implant dans la cornée ou le cortex,une nouvelle version, plus puissante etdisposant d’une plus grande autono-mie, serait déjà en gestation avec Intel.Le big fail des Glass n’était peut-êtrequ’une répétition générale. •

Le cofondateurde Google,

Sergey Brin,présentant lesGoogle Glass,

à San Francisco,en 2012 . PHOTOPAUL SAKUMA. AP

La reproductionde nos petites annonces

est interdite

CARNETconférenceS

FORUMFRANCECULTUREL'année vue par la philo

Samedi 24 janvier9h30 - 18h30

Grand amphithéâtrede La Sorbonne

47 rue des Ecoles, 75005Paris

5 tables rondes pourcomprendre lemonde

aujourd'hui, avec notammentCynthia Fleury,Michael Foessel,

Marcel Gauchet, GillesKepel,MyriamRevault d'Allones.

Entrée gratuite surréservation obligatoire

[email protected] 56 40 10 57Programme : franceculture.fr

DécèS

Paris

M. JeanBERTHO, ses enfantsChristine et Lolo

et ses petits-enfantsNina et Léo

ont la tristesse de fairepart dudécès de

MmeMathildeBERTHOLLIERNéePICARD

Épouse de Jean BERTHO

survenu le 8 janvier 2015,à PARIS à l'âge de 92 ans.

SouvenirS

MARCRITAN 17 janvIl trouvait que sur les frontons

de la Républiqueà côté de Liberté EgalitéFraternité ilmanquait

LAICITE et SOLIDARITE -un "je suis Charlie" qui

"cent ans après, coquin desort,manquait encore"

Miramas - Provence -Gard -Paris - Bruxelles - Bretagne

EveCharbonnier

17 janvier 2001Des pétales tombésdu camélia d'hiverma femmemortedans un linceul

d'un blanc éclatant17 janvier 2015

Ungrain de poussière,petite obsidienne de lamortunemousse enhiver.

Jean-Claude

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 ECONOMIE • 23

Page 24: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

+1,31 % / 4 379,62 PTS5 363 932 254€ +102,32%

UNIBAIL-RODAMCOCARREFOURTOTAL

Les 3 plus fortesALCATEL-LUCENTALSTOMVINCI

Les 3 plus basses

+0,20 %17 355,23+0,49 %4 593,18+0,79 %6 550,27-1,43 %16 864,16

«A première vue, l’at-mosphère se dé-tend», se réjouissait

un représentant du Medefvendredi en début d’après-midi. Le patronat venait deconfier aux organisationssyndicales une nouvelle co-pie du projet de texte sur lamodernisation du dialoguesocial. Un sujet majeurpuisqu’il vise à simplifier lesinstances de représentationdes salariés dans les entre-prises. Il y avait enfin unevraie détente entre partenai-res sociaux dans ce dernierround d’une négociationdifficile, cristallisée avantmême son commencementsur la question des seuilssociaux ?«Petits pas». De retour enplénière vers 16 h 30 aprèsdes heures d’exégèse, les or-ganisations syndicales n’af-fichaient pas le même opti-misme. «Les propositions duMedef sont tellement éloignéesde nos attentes que le parcours

ne se fait qu’à petits pas […].Les positions sont arrachéesau fil de l’eau pendant de lon-gues heures et pour l’instanton est très loin d’une signa-ture», témoignait Marie-Françoise Leflon, la négocia-trice de la CFE-CGC. «Enl’état, inacceptable», rejetaitd’emblée Joseph Thouvenel,CFTC.Certaines exigences avaientpourtant été satisfaites pourtenter de parvenir coûte quecoûte vendredi à un accordcensé améliorer un dialoguesocial dans l’entreprise, ac-tuellement «enserré dans unfaisceau de contraintes qui lerendent trop souvent formel etinefficace», dixit le préam-bule. La veille, le Medef avaitdéjà lâché un peu sur le prin-cipe d’une représentationexterne dans les entreprisesde moins de 11 salariés, sousforme d’un dispositif de re-présentation via des accordsde branche ou via des com-missions régionales.

Pour les plus de 11 salariés, leprojet instaure une instanceunique, le «Conseil d’entre-prise», regroupant le Comitéd’entreprise, le Comité d’hy-giène, de sécurité et des con-ditions de travail (CHSCT),les délégués du personnel.Sort. Face à la bronca dessyndicats, le texte de la mi-journée précisait que les pré-rogatives des instances ac-tuelles seraient maintenues.Le sort du CHSCT continuaitd’inquiéter. Il est prévuqu’une commission reprenneses attributions à partirde 300 salariés. Or, les deuxtiers des CHSCT se trouventdans des sociétés plus peti-tes. S’agissant du nombred’élus et de leurs heures dedélégation, le patronat avaitaussi progressé. Pas assez augoût des syndicats. En débutde soirée, le Medef repartaitamender sa copie, avec laferme volonté d’aboutir tarddans la nuit.

FRÉDÉRIQUE ROUSSEL

MedefetsyndicatsparlentdialoguesocialNÉGOCIATIONS Le patronat était décidé à aboutir,vendredi soir, à la signature d’un accord.

MA

RTIN

BARR

AUD

.PLA

INPI

CTU

RE

24 • ECONOMIEXPRESSO

www.liberation.fr/club/

VOUSÊTESABONNÉ? Chaque semaine, participez au tirage au sort pour bénéficier de nombreux privilèges et invitations.

Pour en profiter, rendez-vous sur :

LESCAHIERSDESSINÉSDeux siècles de dessin s’exposent à la Halle Saint-Pierre

avec la carte blanche offerte à la maison d’édition « Les

Cahiers Dessinés » créée par Frédéric Pajak. Avec plus de

70 artistes représentés, de Victor Hugo à Alechinsky, de

Saul Steinberg à Willem, Sempé, Topor ou encore Reiser,

l’exposition se décline en trois parties : dessins d’artistes,

dessins d’humour et caricatures de presse, et enfin des-

sins d’art brut.

du 21 janvier au 14 août 2015 à la Halle Saint-Pierre50x2 invitations à gagnerEXPOSITION

GIRLSINHAWAIIleur nouvel album !Après le succès d’Everest qui a marqué le retour du

groupe, Girls in Hawaii revient avec un nouvel album :

Hello Strange. Les Belges, orfèvres en arrangements,

réorchestrent 13 morceaux tirés de leur discographie, à

redécouvrir dans cet opus live totalement inédit.

10 albums à gagnerMUSIQUE

MIMANDELA d’Idris ElbaInspiré par Nelson Mandela, Idris Elba rend hommage à la

musique sud-africaine à travers l’album « mi Mandela »,

écrit et produit par l’acteur lui-même.

Avec la participation de James Blake, Cody ChesnuTT,

Mumford & Sons…

10 albums à gagner MUSIQUE

HAÏTIL’exposition, la première sur le sujet, propose de décou-

vrir l’extraordinaire richesse de la création artistique

haïtienne : elle n’a cessé de jaillir au coeur du destin tour-

menté de la première République noire, mêlant poésie,

magie, religion et engagement politique, à travers les

formes les plus diverses. Peintures, sculptures, installa-

tions, suspensions, vidéo… témoignent de cette vivacité

culturelle, du XIXe siècle à nos jours.

jusqu’au 15 février 2015, au Grand Palais30 invitations à gagner

EXPOSITION

104000C’est la prévision dunombre de chômeurssupplémentairesen 2015 selon l’Unédic,qui retient l’hypothèsed’une croissance de 0,9%pour l’année qui débute.Le gestionnaire du régimede l’assurance chômagen’anticipait en septembre«que» 96000 demandeursd’emploi en plus cetteannée.

Page 25: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

SPORTS • 25

MessicatalyselacriseauBarçaLes rumeurs de départ de l’Argentin s’ajoutent aux turbulences dans les coulisses du club catalan.

L ionel Messi, le sacro-saintastre argentin qui a lié sondestin au club depuis l’âgede 14 ans, pourrait-il être

transféré au Chelsea de José Mou-rinho ou à Manchester City? Mêmesi l’intéressé vient de le nier, ce quiparaissait inconcevable il y a encorequelques semaines se répandcomme une folle rumeur, effrayantles 153 000 socios (membres) duFC Barcelone. D’après certainsjournaux espagnols, Chelsea, pré-sidé par le milliardaire russe RomanAbramovitch, serait prêt à honorerla pourtant prohibitive clause libé-ratoire de Messi fixée à 250 millionsd’euros, et aussi améliorer le juteuxcontrat dont il jouit en Catalogne:20 millions d’euros net par an, jus-qu’à 2018.

FLAMME. «Si Leo part, c’est touteune équipe à reconstruire : un vraiabîme», souligne le commentateurAlfredo Relaño. Si de tels bruits decoulisses circulent sur la star de Ro-sario, c’est que le club est sens des-sus dessous. L’équipe qui a dominéles années 2000, au point d’impri-mer son style de jeu sur la sélectionnationale championne du mondeen 2010 et d’Europe en 2008 et2012, est en pleine convulsion :conflit ouvert entre l’Argentin etl’entraîneur, Luis Enrique; renvoifulminant du directeur sportif, An-doni Zubizarreta (qui payepour un recrutement raté),et de son assistant CarlesPuyol, ancien défenseur et icône lo-cale; attaques de certains dirigeantscontre le président du club, SandroRosell, poursuivi par la justice…Voyant que la situation est devenuevolcanique, son remplaçant intéri-maire, Josep Maria Bartomeu, aconvoqué des «élections anticipées»pour l’été prochain. Sur le papier,le club n’aurait pas de quoi s’in-quiéter. Qualifié sans mal pour leshuitièmes de finale de la Ligue deschampions, sur les talons du RealMadrid en championnat, il affichedes comptes assainis avec des re-cettes de 539 millions d’euros lasaison dernière, sensiblement au-delà des dépenses. Sur le terrain,cela ne va pas si mal non plus, no-tamment après la brillante victoire(3-1) en Liga face à l’Atlético Ma-drid – le tenant du titre –, grâce àl’efficacité et au brio de ses trois at-taquants vedettes : Lionel Messi,Luis Suárez et Neymar.Cette flamme dissimule pourtantmal un jeu collectif fébrile, et laperte du contrôle du ballon, la carted’identité du Barça depuis Rinus

Michels et Johan Cruijff dans lesannées 70. «Le club a perdu sa sin-gularité, sa charge symbolique et sa

culture footballistique, ana-lyse Ramon Besa d’El País.Paradoxalement, sa stabilité

sur le terrain dépend aujourd’hui deMessi, un footballeur qui se dit lui-même instable en laissant penser qu’ilpeut partir.» Le FC Barcelone est envérité en déliquescence institution-nelle. Tout a commencé avec «l’af-faire Neymar». En janvier 2014,une enquête judiciaire est ouverteafin de faire la lumière sur les57 millions d’euros de son transfertdu club brésilien Santos : selon lesplaignants, le montant aurait été

bien plus élevé en réalité et ce sur-plus aurait atterri de façon occultedans différentes mains privées. Surla sellette, le président, SandroRosell, démissionne; il a beau régu-lariser aussitôt 13,5 millions d’euros

au fisc et nommer comme intéri-maire une personnalité acceptable,Josep Maria Bartomeu, le club vitdepuis dans l’ère du soupçon, del’instabilité et des révolutions de

palais. Les ennuis du club ne se sonten effet pas arrêtés là.

HÉRAUTS. Depuis la saison der-nière, le sordide feuilleton concer-nant le transfert du Brésilien Ney-

mar se mêle en effetaux déboires fiscauxde Messi, son pèreJorge étant accusé dene pas avoir déclaréd’importantes som-mes et de s’enrichir

sur le dos du fisc, notamment lorsde l’organisation de matchs ami-caux internationaux. L’attaquantargentin a beau répéter à l’envi«l’argent, c’est papa qui s’en oc-

cupe», la lenteur et la médiatisationde ses démêlés judiciaires ne con-tribuent pas à la tranquillité dujoueur ni à la réputation du club. «Ily a quatre ans, le Barça était un mo-dèle de structure bien gérée et effi-cace, critique le chroniqueur Salva-dor Sostres. Tout est tombé à l’eau.»Et, puis, «cadeau» de fin d’année,la décision du tribunal de la Fifad’interdire au Barça de recruter desjoueurs jusqu’à 2016, et ce pouravoir commis des irrégularités dansle recrutement de jeunes de moinsde 18 ans ces dernières années. Groscoup dur pour un club qui a tou-jours fait des «valeurs morales» unde ses étendards et qui n’a cessé deprésenter la Masia (le centre de for-mation) comme une «référencemondiale», d’où sont sortis la plu-part des grands joueurs ayant écritles lettres de noblesse de l’histoirerécente –Messi, Xavi, Iniesta, Pi-qué, Busquets… En 2016, le contratstratégique avec le sponsor princi-pal, le Qatar, arrive à expiration.Sera-t-il renouvelé, alors que beau-coup pointent du doigt la sulfureuseréputation de ce pays du Golfe ?Longtemps hérauts d’un club au-dessus de tout soupçon, les diri-geants ont aujourd’hui fort à fairepour blanchir l’image salie d’uneinstitution en mal de repères. •

Par FRANÇOIS MUSSEAUCorrespondant à Madrid

«Le club a perdu sa singularité,sa charge symboliqueet sa culture footballistique.»Ramon Besa journaliste à El País

RÉCIT

L’enfant de Rosario fête le penalty qu’il vient d’inscrire contre le FC Elche en 16e de finale aller de Coupe du roi le 8 janvier. PHOTO JOSEP LAGO. AFP

7C’est le nombre de participa­tions consécutives du Barçaaux quarts de finale de laLigue des champions, sérieen cours. Le club catalan aremporté la compétition­reinedes clubs à quatre reprisesen 1992, 2006, 2009 et 2011.

LA 21e JOURNÉEDE LIGUE 1A la notable exception de Saint­Etienne, les quatre premiersdu classement de L1 affronterontce week­end des formations malclassées, à domicile pour deuxd’entre eux (le Paris­SG et l’OM)et sur terrain neutre pour Lyon.Ce qui laisse augurer une envo­lée des grosses cylindrées auclassement. A vérifier dimanche…

Vendredi. Bordeaux (6e)­Nice(12e) (résultat non parvenu).Samedi, 17h. Lens (19e)­Lyon (1er)(à Amiens).20h. Toulouse (15e)­Bastia (14e),Caen (20e)­Reims (10e),Lorient (16e)­Lille (11e),Monaco (5e)­Nantes (7e),Metz (17e)­Montpellier (8e).Dimanche, 14h. Paris­SG(4e)­Evian­TG (18e). 17h.Rennes (9e)­Saint­Etienne (3e).21h. Marseille (2e)­Guingamp (13e).

REPÈRES

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 26: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

Recueilli par MARC SEMODessin YANN LEGENDRE Historien

spécialiste desreprésentationspolitiques etdes mouvementsouvriers, SamuelHayat réévaluele sens du mot«République»à traversla révolutionde 1848.

Avec le mouvement pla-nétaire «Je suis Char-lie» et la manifestationhistorique du 11 janviercontre les attentatsqui ont touché Paris, laFrance est redevenue,un temps, et aux yeux

du monde, la patrie des droits de l’homme etde la République. Jeune historien, rattachéau Conservatoire national des arts et métiers,Samuel Hayat a particulièrement travaillé surla révolution de 1848 qui fut un moment d’af-frontements sur la citoyenneté, la représen-tation, le social. Autant de sujets aujourd’huiau cœur des débats sur la République.A l’automne dernier, Samuel Hayat a pu-blié 1848 : Quand la République était révolu-tionnaire (Seuil, 2014).Face au défi jihadiste, la France se mobilise aunom de la République. Pourquoi?Avec la manifestation du 11 janvier, il y a bieneu une communion autour de la Républiquesur un mode clairement fraternel. Les crain-tes que l’on aurait pu avoir d’un possible ras-semblement haineux d’une partie de la so-ciété contre une autre n’a pas eu lieu. On avu dans ces jours tragiques l’attachement desFrançais aux valeurs républicaines. Cela faitécho aux grandes proclamations unanimesde 1848. Mais aujourd’hui, comme alors,cette unité se fait sur l’oubli des profondesdivisions de la société et sur une mésententeà propos du sens des mots dont, en premierlieu, celui même de République. Les slogansqui ont réuni des millions de manifestants– «Je suis Charlie», «Vive la République»,«Vive la liberté d’expression», etc.– ne veu-lent pas dire la même chose pour les uns etles autres. Ces grandes manifestationsd’union risquent d’être éphémères et les dé-

saccords qui vont suivre risquent d’êtred’autant plus difficiles à accepter que l’una-nimité précédente se fondait sur le refoule-ment des différences. A cet égard aussi,l’exemple de 1848 est à méditer: en février,le peuple célébrait la République fraternelle,en juin, c’était la guerre civile.La révolution de 1848 fascina Marx commeTocqueville, puis elle fut longtemps négligée.Pourquoi?Sous la IIIe République, la révolution de 1848est volontiers présentée comme une simpleétape entre 1789 et l’instauration définitiveen France du système républicain. C’est «larévolution oubliée». Jules Ferry ou Gam-betta, comme tant d’autres, étaient gênéspar cette révolution, notamment les événe-

ments de juin 1848 où, pour le dire crûment,la République massacra ses enfants, ces ré-publicains qui, quatre mois plus tôt, étaientsur les barricades la portant au pouvoir. Maisla fascination que cette révolution exerçapour des raisons opposées, aussi bien sur lejeune Karl Marx, alors journaliste, que surTocqueville ou Flaubert, s’explique avanttout par son caractère social. Pour la pre-mière fois, la classe ouvrière fait irruptionen tant que telle dans l’histoire. Il ne s’agitplus, comme en 1793, du peuple comme unemasse indistincte. Les révolutionnairesde 1848 ouvrent la question sociale et ilsveulent changer le fonctionnement mêmede la société. Et cette révolution fascined’autant plus que les troubles ont secouél’Europe entière.Dans les débats de 1848 se retrouvent déjà lesgrands thèmes des décennies suivantes ?C’est justement ce qui m’a intéressé dans cesévénements. La question était, et reste, dedépasser l’alternative entre, d’un côté, la dé-mocratie représentative, dont on voitaujourd’hui toutes les limites, voire les im-passes, et, de l’autre, une démocratie directeen gestation, mais alors finalement non ad-venue. Pendant ces mois de tumulte, on voiten effet apparaître une conception de cequ’est la politique, la représentation, la ci-toyenneté qui n’existait pas avant et qui, en-suite, après l’écrasement du mouvement,sera portée en avant par des acteurs hors duchamp politique.Au début, ces deux conceptions marchaientensemble. Pour ceux qui se disaient républi-cains sous la monarchie de juillet, la Républi-que était synonyme d’émancipation sociale.La révolution en février 1848 les met au pou-voir. L’idée républicaine est ainsi mise àl’épreuve de faits. Il y a ceux pour qui la Ré-publique c’est le suffrage universel, un pointc’est tout. Et ceux qui disent que la Républi-que, c’est la République démocratique et so-

«En février 1848,le peuple célébraitla République, en juin,c’était la guerre civile»

IDÉE

SLIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201526 • IDÉES GRAND FORMAT

Page 27: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

ciale avec le droit au travail.Ces deux conceptions deviennent vite incon-ciliables. Pourquoi ?Victor Hugo écrit par exemple dans uneprofession de foi électorale: «Deux Républi-ques sont possibles. L’une abattra le drapeautricolore sous le drapeau rouge […], ajouteraà l’auguste devise –liberté, égalité, fraternité–l’option sinistre –ou la mort, fera banqueroute,ruinera les riches sans enrichir les pauvres[…], abolira la propriété et la famille, promè-nera des têtes sur des piques.» Le reste dutexte est à l’avenant. Il est d’autant plussignificatif que Victor Hugo, même s’iln’était pas encore à l’époque le grand écri-vain engagé qu’il deviendra ensuite, n’estpas un obscurantiste haïssant le peuple. Lesgens qui, face à lui, défendent la Républiquedémocratique et sociale lui semblent in-compréhensibles: ils ont le suffrage univer-sel, que peuvent-ils vouloir de plus ? Et laplupart des leaders du mouvementpartagent ce point de vue.Cette opposition entre les deux con-ceptions de la République conti-nue tout au long du XIXe siè-cle ?La commune de Paris estla résurgence de la Ré-publique démocrati-que et sociale. Elletrouve en faced’elle les mêmesforces, parfois lesmêmes hom-mes, que ceuxqui ont écrasé lep e u p l e e njuin 1848. Il y aaussi tous ceuxq u i , d e -puis 1848, telLedru-Rollin,étaient restés

dans l’ambiguïté, et qui seront à l’origine dela gauche politique. Ils parlent de la Républi-que démocratique et sociale, ils en font unargument de campagne électorale, mais ilsacceptent les institutions de la Républiquemodérée contre laquelle les ouvriers s’étaientlevés, demandant un autre usage des institu-tions. Pour les partisans de la République so-ciale, la République modérée détruit le sensmême du mot «République» et les promessesdont il était porteur depuis 1830.Le débat en 1848 porte aussi sur le gouverne-ment du peuple et ses modalités ?C’est en effet la grande question. Les parti-sans de la République démocratique et socialese satisfont des institutions républicaines,mais en veulent une autre interprétation.Leur problème n’est pas qu’il y ait une As-semblée nationale élue, mais que cette der-nière puisse se permettre de ne tenir aucuncompte de ce que disent les citoyens et

q u ’ e l l e

agisse comme si elle était souveraine alorsque, pour eux, le seul véritable souverain estle peuple. Ils veulent une autre représenta-tion, une représentation «inclusive» où lesdéputés soient leurs serviteurs et non leursmaîtres. Dans les débats de l’époque, il y aaussi des propositions un peu folles commeune convention nationale réunissant les clubspour contrôler l’Assemblée nationale. Laquestion du tirage au sort pour désigner lesreprésentants n’est pourtant abordée quemarginalement. Les révolutions duXVIIIe siècle, dont les révolutionnaires de1848 sont les héritiers, ont mis en avant leprincipe: tout pouvoir doit faire l’objet d’unconsentement de la part des gouvernés. Pourcela, l’élection –malgré ses défauts, car elleest moins démocratique et moins égalitaireque le tirage au sort– permet l’expression duchoix. Pouvoir choisir, c’est aussi pouvoirdémettre. Il ne faut pas oublier que, pendantla révolution de 1848, on n’élit pas seulementles députés, mais aussi les officiers de la garde

nationale, les juges de paix. Certains pro-posent même d’élire les artistes dont

les œuvres doivent être exposéesaux divers salons afin d’éviter

toute forme d’élitisme. Lavolonté de choisir est au

cœur même de l’idéerépublicaine.

Il y a aujourd’huiune redécouvertede ces débats ?Oui, justement àcause de la crisegénérale des for-mes de la repré-sentation et desmodalités dechoix des gou-vernants. Lesystème actuelne fonctionne

plus. Il y a une évidente désaffection vis-à-vis du gouvernement représentatif né d’unetradition monarchique constitutionnelle etrépublicanisé en 1848. Là où on voit une vi-gueur démocratique à gauche et dans le campprogressiste en général, comme en Amériquelatine, cela passe par l’expérience de formesalternatives de représentation donnant no-tamment de l’importance aux diverses mi-norités. L’inventivité démocratique se faitaujourd’hui contre le gouvernement repré-sentatif. Ce dernier se fonde sur le refoule-ment et l’empêchement de la participationpopulaire. Il se crée contre la démocratie etl’élection sert avant tout à une monopolisa-tion du pouvoir par les gouvernants. Ces réa-lités ont été longtemps masquées par l’émer-gence puis l’affirmation des grands partis demasse. La participation populaire était réelledans de telles structures politiques tout enétant canalisée dans la lutte pour le pouvoirdes élites dirigeantes. Ces partis n’en repré-sentaient pas moins un outil de formation ducitoyen. Je ne suis pas nostalgique de cetteépoque même si ces partis de masse permet-taient au système représentatif de fonction-ner sous perfusion grâce à cette illusion. Parla suite, ces structures, pour diverses raisons,ont perdu leur pouvoir de mobilisation, no-tamment avec l’effondrement du commu-nisme. Le voile a été levé. Aujourd’hui la dé-mystification de tout l’édifice construiten 1848 par la républicanisation du gouver-nement représentatif et l’écrasement de ladémocratie sociale est totale. La dénonciationde l’oligarchie politique est devenue un lieucommun.Comment répondre à cette crise actuelle ?L’une des leçons de 1848 est que les institu-tions existent avant tout par leur pratique,au-delà des normes juridiques. Ni le tirage ausort, ni l’instauration d’une VIe Républiquedont le concept reste flou, ni tout autre ré-forme institutionnelle ne suffisent en eux-mêmes à résoudre cette crise de la représen-tation. Changer les institutions sans changerla société ne règle rien. Mais les espoirsde 1848 et de la République sociale nous ontaussi laissé un héritage auquel nous référer.Il nous faut aujourd’hui retisser les fils éparsd’une tradition qui avait essaimé dans desmouvements syndicaux, autogestionnaireset associatifs. Les vaincus de 1848 ont com-pris qu’il était impossible de s’emparer del’appareil de l’Etat et qu’il était nécessaire detravailler à l’émancipation autrement, encommençant ici et maintenant à impulserdes changements. Cela a débuté sous le Se-cond Empire, malgré la répression avec lesassociations de producteurs et les coopérati-ves. Puis cela a donné la Première Internatio-nale et l’émergence du mouvement ouvrier.Cette grande leçon de 1848 reste vraie. Nousdevons, nous aussi, mettre en avant un«anarchisme stratégique». L’arène du pouvoirreste aujourd’hui verrouillée par les partismalgré la crise qui les traverse alors que lacatastrophe guette. Mais, à la différencede 1848, on ne peut s’appuyer seulement surle monde du travail, même si son rôle restecentral. Des mouvements comme les Indi-gnés ou les zadistes sont emblématiques. Oules mouvements féministes qui ont montréqu’il était possible de changer tout une visiondu monde sans devoir s’emparer des leviersdu pouvoir de l’Etat. •

«En février 1848,le peuple célébraitla République, en juin,c’était la guerre civile»

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 GRAND FORMAT IDÉES • 27

Page 28: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

REGARDER VOIR

Par CLÉMENT GHYS

Prière de ne pas dérangerC

ette image estd’une quiétudeabsolue. Par sonsujet –neuf hom-

mes qui prient dans unemosquée–, mais aussi par sacomposition. On voit claire-ment que son auteur, AlbertFacelly, s’est installé à quel-ques mètres du groupe, pourne pas le déranger. Ce calmetranche avec le capharnaümde cette dernière semaine,avec la surenchère visuelleoù se sont mêlées photos of-ficielles, images de foules,d’amateurs ou de profession-nels, souvent emballées pardes bandeaux i-Télé ouBFM TV. Publiée mercredidans Libération, la photo ac-compagnait une double pageconsacrée à la montée de laviolence contre la commu-nauté musulmane après la

tuerie de Charlie Hebdo. Lejournal publiait un repor-tage, signé Pierre Benetti,dans la mosquée de Ven-dôme, dont voici l’image,prise mardi, en pleine jour-née. D’où le petit nombre depersonnes dans la salle.Une ligne se forme en sonmilieu, grâce à un horizon detêtes anonymes, de hauteurs

diverses. Dans la partie dudessous, se trouvent les élé-ments classiques d’une mos-quée, le tapis qui couvre lesol, le porte-Coran de bois.Mais, dans la moitié supé-

rieure, on remarque que lescadres des fenêtres sont ba-nals. Le faux plafond est lemême que dans n’importequel collège ou administra-tion, la salle est chauffée parun radiateur lambda. Ce lieude culte est d’une normalitéconfondante. On peut y tra-quer les marques de la reli-gion omniprésentes. Mais la

frontière estporeuse entre lelieu de culte etl’extérieur. Lessurfaces blan-ches, aveuglan-tes, des fenêtress ’ ent re croi -

sent avec les tons de l’inté-rieur, le vert et noir du tapis.Aux traces du sacré répon-dent harmonieusement cel-les de la réalité. Ici, il n’estpas question de combat,mais d’entremêlement. Cettemosquée de Vendôme, dansle Loir-et-Cher, départe-ment français au possible (lapreuve: Michel Delpech en afait une chanson), est dé-pouillée comme une églisede province. Elle n’intéressepersonne, n’a pas la splen-deur de la Grande Mosquéede Paris ou d’un fantasmeorientaliste. Mais elle n’arien du louche des salles deprière des caves des citésdont se gargarisent journa-listes et éditorialistes réacs.

C’est d’une tragique incapa-cité à comprendre la norma-lité de cette image dont souf-frent un certain nombre decommentateurs: d’un pathé-tique Philippe Tesson quilança mercredi sur Europe 1:«Ce qui a créé le problème, cen’est quand même pas lesFrançais. […] D’où vient leproblème de l’atteinte à la laï-cité sinon des musulmans ?»Ou d’un lapsus de David Pu-jadas annonçant un sujet deson JT: «Et maintenant, un té-moignage. Il est musulman,marié à une Française.» Ensomme, volontairement ounon, on déchoit tout bonne-ment à des hommes et desfemmes leur nationalité.Dans la France des an-nées 2010, la stigmatisationde l’islam est un papier-cal-que. Elle masque à peine labête et méchante prolonga-tion du discours colonial,l’immense majorité des mu-sulmans de France venantd’anciens fiefs de l’empire.Est dénué à certains leur li-bre arbitre, leur droit de semitonner leur propre tam-bouille vis-à-vis de l’islam,comme le fait un croyant den’importe quelle religion.Cette photographie placideet triste est la plus juste desréponses. Mais elle n’est,heureusement, en aucun casun mot d’excuse. •

De nombreuses personnes dont la religion est l’islam craignentl’amalgame après l’attentat contre «Charlie». Témoignages.

«J’espérais que lestueurs ne soientpas musulmans»Par RACHID LAÏRECHE,MARIE PIQUEMALet SYLVAIN MOUILLARD

La mairie et des responsables musulmans jouentl’apaisement dans cette «ville sans racisme».

A Vendôme, émoi aprèsdes tirs sur une mosquéeC e sont des faits, qui ne

font certes pas de vic-times mais qui se pas-

sent un peu partout enFrance. En silence. Deux pe-tits coups de feu tirés enpleine nuit sur la vitrined’un tabac-presse de Ven-dôme (Loir-et-Cher). La ru-meur dit qu’une affiche«Je suis Charlie» y était accrochée. «Tout lemonde a été choqué en allant acheter son jour-nal le lendemain matin», raconte Pascal Brin-deau, le maire de cette ville de 17000 habi-tants nichée entre Le Mans et Blois, qui sursa page Facebook a exprimé son soutien «aucommerçant» et «à la communauté musul-mane». Car la même nuit, à quelques minu-tes d’écart, une seconde détonation a éclatéà l’autre bout de la ville : trois autres coupsde feu, vraisemblablement tirés avec un fusilde chasse, cette fois sur les portes et la gout-tière de la mosquée Tawba. «Pour l’instant,on ne sait pas si les deux faits sont liés, indiquela procureure de Blois, Dominique Puech-maille. L’enquête est en cours, mais il n’y a pasgrand-chose à en dire. Et puis le contexte estune raison de plus pour communiquer le moinspossible.»Le contexte, c’est la recrudescence des actesperpétrés à l’encontre des musulmans et deleurs lieux de culte depuis l’assassinat desjournalistes de Charlie Hebdo, le 7 janvier.Lundi, l’Observatoire contre l’islamophobiedu Conseil français du culte musulman(CFCM) reprenait les chiffres du ministère del’Intérieur : une cinquantaine d’actes et demenaces islamophobes en cinq jours. Onaurait donc pu aller à Soissons, où cinq coupsde feu ont été tirés; à Aix-les-Bains, où unepartie de la mosquée historique a été incen-diée; à Corte, où une tête de porc a été dépo-sée à l’entrée d’une salle de prière. On achoisi Vendôme, ses églises du XVe siècle etses deux mosquées du XXe. «Ici, c’est uneville sans histoires, sans racisme, raconte uncafetier du centre-ville. Pas de bandes, pasde mecs bizarres. Tout le monde a été surpris.»Le patron dit avoir tous types de clients, «ycompris des Turcs, bien établis». «Il y en a quiprofitent des événements pour s’amuser», es-time une cliente.Tête de porc. Très vite, on glisse le nom duquartier des Rottes. «Le quartier le plus vulné-rable», selon une mamie du centre-ville. Ony trouve de courtes barres HLM et un café al-gérien enfumé, mais aussi le tabac vandaliséet une mosquée gérée par une associationculturelle turque, gardée par un imam sou-riant timidement, formé en Egypte et ne par-lant pas français. Cette mosquée toute blan-che, construite dans les années 90, qui a ététaguée en 2012 puis en 2013, a ce coup-ci étéépargnée. «Une fois, ils ont même laissé unetête de porc, raconte Hikmet Afyon, vice-pré-sident de l’association culturelle turque, ar-rivé en France en 1973 pour travailler dans lebâtiment. On a porté plainte, mais personnen’a été arrêté.»Construite dans une ancienne tannerie lelong d’une triste nationale, la mosquée quia été attaquée accueille plutôt les Maghrébinsde la ville, même s’il leur arrive d’aller à la

mosquée turque plus prochede chez eux. Il faut traverserles zones pavillonnaires pours’y rendre. La porte est blo-quée par un plot de chantierpublic. Les trous causés parles balles ont été vaguementcolmatés, mais l’assurancerefuse de prendre en chargeles dégâts. Une ampoule

pendouille dans l’escalier. «On paye tout bé-névolement, les charges, l’électricité et les tra-vaux», explique Tahar Chaabi, président del’association gestionnaire, qui tient une épi-cerie aux Rottes et préfère le mot «citoyens»à celui de «communauté».«Aucun reproche». A l’étage, il y a les sal-les de l’école coranique et la salle de prièrepour les femmes. Deux adolescents et septhommes arrivent au compte-gouttes. Il est13h12 et la deuxième prière du jour débute.Le vendredi, jusqu’à 150 personnes y partici-pent, «dont une majorité de jeunes Français,souvent convertis», selon Tahar Chaabi. «Onn’a jamais eu aucun reproche ici, ajoute-t-il,encore choqué. On ne comprend pas pourquoiils tirent à la fois sur la mosquée et sur Charlie.Ceux qui ont fait les attentats nous ont faitbeaucoup de mal», ajoute-t-il, insistant sur«le vrai islam» et sur la nécessité «d’ouvrir lamosquée à tous».Le lendemain de l’attaque de Charlie Hebdo,des mères n’ont pas laissé leurs enfants allerà la mosquée par crainte d’un attentat. Sil’attaque de la mosquée est «un acte isolé»pour le maire de Vendôme, elle a beaucoupchoqué non seulement ses habitués, le millierde musulmans de Vendôme, mais aussi denombreux habitants pour lesquels «ils ne po-sent pas de problèmes». Un fidèle commenteà la sortie de la prière : «Il faut protéger lesmosquées, comme les synagogues.» «On esten train de réveiller les vieux démons, il faut lescalmer», résume l’imam Fasihidine, qui prê-che à la mosquée Tawba depuis 2002. Çaprendra combien de temps ? Deux semaines,deux ans?» Originaire des Comores et forméen Afrique du Sud, le religieux à l’air bon-homme reste critique envers les caricaturis-tes, mais a participé, samedi dernier, à unrassemblement d’hommage à Charlie Hebdoavec le maire et le curé.A Vendôme, l’église prête ses locaux pour desbrocantes organisées par les musulmans, lamosquée accueille des repas de fête avec lesvoisins. Les deux cimetières de la ville comp-tent un carré musulman. Depuis les dernièresélections, le conseil municipal compte plu-sieurs élus maghrébins. «On n’a rien à ca-cher», répètent Tahar Chaabi et l’imam Fasi-hidine, qui voudraient rencontrer plus dejournalistes, et aimeraient que l’Etat formedes imams «pour éviter les gens de l’étranger».Dans le quartier des Rottes, quatre femmesvoilées partent chercher les enfants à l’école.«Après tout ça, on essaie de rester neutre», ditl’une d’elles, l’air mal à l’aise. Quand elleparle du passé précédant le 7 janvier, elle dit:«Déjà avant, quand les gens avaient des ré-flexions à nous faire, ils nous les disaient direc-tement…»

Envoyé spécial à VendômePIERRE BENETTI

«C ourage». Ce texto,Moussa (1), policier dans lesud de la France, l’a reçu enplusieurs exemplaires après

les attentats terroristes des frères Koua-chi et d’Amedy Coulibaly. Pas parcequ’il est flic à la BAC, mais parce qu’ilest musulman pratiquant et qu’il porteune barbe. Moussa n’arrive pas à com-prendre. «Je n’ai aucun rapport avec lesterroristes, pourquoi me souhaite-t-on ducourage?» se marre-t-il. Le gaillard, latrentaine, se reprend : «Je saisqu’on va payer l’addition alorsqu’on n’a rien demandé. Il va fal-loir faire preuve de patience, faire le dosrond, parce que ça sera pire qu’hier.»Pour les quelque cinq millions de mu-sulmans vivant en France (dont 2 mil-lions se sont déclarés pratiquants en2012, selon l’Ifop), la crainte du lende-main est pesante. Les sommations à sejustifier, Mehdi (1), 40 ans, les a aussisubies. «La semaine dernière, je me suisretrouvé avec des amis autour d’un verre.On m’a demandé : “Et toi, tu te situesoù ?”» Ce cadre dans une PME pari-sienne se souvient de cette femme voi-lée dans le métro parisien que les pas-sagers regardaient «de manièreagressive». «J’ai dû intervenir pour direqu’elle n’avait pas de bombe sur elle», ra-conte-t-il.

«À LA MODE» Même type d’anecdotepour Ayman, 31 ans, qui bosse dans larecherche à Paris: «J’étais dans le métroavec un grand cabas, dans lequel je trans-portais des tubes en plastique pour despoteaux de badminton. En plus, je ne mesuis pas rasé depuis deux mois. Et là, j’aisenti un truc très désagréable, ce regardsur moi, sur le sac.» La barbe, nouveaurepoussoir? Baris, commercial dans lacapitale, la porte aussi: «Rien à voir avecla religion, juste parce que c’est à la mode.Forcément, je fais plus typé. Je pense queje vais devoir me raser… Comme s’il fallaitse cacher.» Ces derniers jours, il discutebeaucoup avec ses amis, musulmanspratiquants, «des gens bien placés, quioccupent des bons postes. On dit tous pa-reils: on va s’en prendre plein la gueule. Etça va durer. Le 11 Septembre, ça avait étédur, mais là, c’est en France. Moi, parexemple, je suis commercial, je vais à larencontre des clients, cela ne va pas mefaciliter la tâche, c’est clair.» Quand il a

appris l’attentat, Walid, un cadre supé-rieur de 26 ans, a croisé les doigts :«J’espérais que les terroristes ne soientpas musulmans, mais ma crainte s’est viteconcrétisée.» Depuis, toute la journée,dans sa tour d’un quartier chic parisien,il est obligé de se justifier. Tacle les col-lègues et leurs réflexions stupides.«Heureusement, ce n’est qu’une petitepoignée, la plupart font attention à cequ’ils disent.» Un grand directeur aquand même lâché: «Il y en a marre deces bougnoules, qu’on les exécute et qu’onrenvoie les femmes et enfants dans leurpays.» Une autre collègue, qu’il aimepourtant bien: «C’est important que tu

condamnes encore plus fort ces at-tentats, toi qui es musulman.» Ré-ponse de Walid: «Et donc? Je ne

vois pas le rapport.» Il dit qu’il «argu-mente», «explique», «que souvent çamarche», mais, là, il fatigue un peu. Ala fin de la conversation, Walid avoueavoir demandé la «Greencard» pourémigrer aux Etats-Unis. «Pourtant, jesuis très attaché à la France. J’ai grandi

en Algérie dans une famille qui aime laFrance profondément. Mais j’ai envied’être apprécié pour ce que je sais faire. EnFrance, ce n’est pas le cas. C’est dom-mage.»Moussa, le flic du sud de la France,pense, lui, à démissionner. «L’autrejour, un chef m’a fait une blague devanttous mes collègues. Il m’a dit : “Toi tu esà moitié intégriste et moitié policier.” Çane s’arrête jamais.» D’autres, commeYoussef Zaoui, ne veulent pas céder.Adjoint au maire à Bobigny en charge dela tranquillité publique, il discute avecsa collègue Sarah Sbia, qui s’occupe dela culture. Lui jure ne pas avoir «peur»de l’avenir. «Je ne demande rien à per-sonne, dit-il. J’ai mon boulot, ma famille,mes amis.» Elle rétorque : «Et les fillesvoilées qui risquent de se faire agresserdans la rue, tu y penses? L’hostilité contreles musulmans en France n’est pas nou-velle mais le risque vient de se multiplier.Les attaques contre les mosquées ces der-niers jours le prouvent.»Lundi, le Conseil français du culte mu-sulman avait recensé pas moins de cin-quante actes islamophobes dans le pays

depuis la tuerie de Charlie Hebdo (lire ci-contre). A Soissons, ville de 30000 ha-bitants dans l’Aisne, des individus ontouvert le feu sur la mosquée. «Ma mèrem’a demandé d’éviter de sortir dans larue», témoigne Tarik. Sa femme, voilée,n’ose plus être dehors sans lui. Mais letrentenaire ne compte pas changer ses«habitudes», «on sera plus forts». Mu-sulman pratiquant, il est aussi présidentd’une association sportive. «Au club,j’insiste toujours pour fêter Noël ou la ga-lette des rois.»

«CONSPIRATION» Ce rôle de «passerelleentre deux cultures», Mehdi le revendi-que également, avec toutes ses difficul-tés. A Paris, ce cadre est bien inséré so-cialement. Mais quand il retourne àMantes-la-Jolie, la ville des Yvelines oùil a grandi, on lui renvoie l’image dugars qui a manifesté «avec Nétanyahou»,dimanche dernier, lors de la grandemarche républicaine. Ce qui lui «prendla tête», c’est surtout «le côté conspira-tion». «Pour certains musulmans, il n’y

aurait pas eu de morts lorsdes attaques terroristes, lesimages auraient été mon-tées.» Il s’interroge: «Ilsveulent quoi, les gens ?Qu’on fasse une expositiondes corps comme avec Kad-hafi?» L’essentiel, estime-

t-il, est de «constater qu’il y a bien eu desmorts, ni plus, ni moins. Comme n’importequel Français.» Pour lui, l’incompréhen-sion vient parfois d’une «différence deculture entre un humour noir très gaulois,alors que nous, on est très susceptibles».«Il ne faut pas se mentir, il y a des annéesde dialogue à reconstruire, développe Sé-bastien Abdelhamid, Normand convertià l’islam depuis une dizaine d’années.A nous d’expliquer aux autres notre reli-gion. Chaque musulman représente l’islamsans le vouloir.» Myriam (1), cadre de35 ans dans l’automobile, est allée voirson patron en début de semaine pourque son entreprise envoie des genscomme elle dans les collèges, pour«ouvrir des perspectives aux jeunes desquartiers». «A l’époque, l’un de mes profsa cru en moi, je suis entrée dans unegrande prépa parisienne. Ça a changé mavie.» Pour Sébastien Abdelhamid, cha-que parent a aussi un rôle à jouer en ré-pondant aux questions sur la religion.«Il ne faut plus que les enfants s’en remet-tent aux charlatans sur le Net.» •(1) Les prénoms ont été modifiés à lademande des intéressés.

RÉCIT

A Paris, ce cadre est bien insérésocialement. Mais quand il retourne àMantes-la-Jolie, la ville où il a grandi,on lui renvoie l’image du gars qui amanifesté «avec Nétanyahou».

Blois LOIRET

EURE-ET-LOIR

SAR

THE

INDRE-ET-

LOIRE

INDRECHER

LOIR-ET-CHER

EURE-ET-LOIR

25 km

Vendôme

Mardi, la prière à la mosquée de Vendôme prise pour cible le 9 janvier. PHOTO ALBERT FACELLY

Derrière des chaînes de protection, l’entrée de la mosquée attaquée. PHOTO ALBERT FACELLY

LIBÉRATION MERCREDI 14 JANVIER 2015 LIBÉRATION MERCREDI 14 JANVIER 20156 • EVENEMENT EVENEMENT • 7

La frontière est poreuse entrele lieu de culte et l’extérieur.Aux traces du sacré répondentharmonieusement cellesde la réalité.

ALB

ERT

FAC

ELLY

Libération du mercredi 14 février.

Professeur(e)s Toc et Zoc, vous êtesles spécialistes mondiaux de toutesituation. Que nous décryptez-vouscette semaine ?

Pr Toc : Le monde est englué dans le pétrolejusqu’au cou. Ceux qui en ont vont mal parcequ’ils en ont et ceux qui n’en ont pas vont malparce qu’ils n’en ont pas. Les possesseurs, ilsse reposent dessus, se gavent de pétrodollarset s’endorment sur leurs matelas ou lauriersou je ne sais quoi, comme Picsou sauterait danssa piscine de pétrole. Quant à ceux qui n’enont pas, ils s’en gavent aussi mais à leurs frais.Pr Zoc : Comme dans le cochon, tout est bondans le pétrole. Il faut qu’on s’en goinfre,qu’on s’en mette jusque-là, qu’on nagededans, qu’on soit complètement empétrolé,qu’on n’en laisse pas une goutte, comme çanos enfants seront bien obligés d’être enfinpropres. On veut liquider la malédiction dupétrole dont le prix oscille entre trop haut ettrop bas sans jamais atteindre l’équilibre.C’est l’injuste prix permanent.Pr Toc : Au moins, le fromage, c’est stable,quoique le camembert coule. Mais personnen’a jamais vu une marée de camembertenvahir les plages après le naufrage d’unsuper-camembertier.Pr Zoc : Revenons à nos hydrocarbures.Pr Toc : Les hydrocacarbures, comme devraientdire les écologistes.Pr Zoc : Je vous prie. Le compliqué, c’est quemoins de pétrole veut souvent dire plus denucléaire, moins de nucléaire plus de charbonet moins de charbon plus de pétrole.Pr Toc : Et le soleil ? Voilà une énergie propre etrenouvelable et c’est encore tous ces pays dansle désert qui vont rafler la mise à faire leurschoux gras d’un ensoleillement permanent.Pr Zoc : On voit souvent la possession de pétrolecomme une injustice, comme si ceux quil’avaient ne le méritaient pas, des aristocratesnés avec un baril d’argent dans la bouche.Pr Toc : D’un autre côté, ce n’est pas si injusteque ça que, lorsqu’il n’y a que du sable ou de laglace, il y ait aussi du pétrole pour survivre.Si, en Europe, les noix de coco tombaient duciel, on les mangerait. Si la manne était tombéesur nous, on aurait la bonne conscience desgagnants du loto.Pr Zoc : Le monde entier est accro au pétrole,tout le monde veut tout le temps se faire leplein. C’est en vente libre et il y a des pompes-seringues à disposition dans chaque station-service qui est un peu une salle de shoot.Pr Toc : Magie du pétrole : à la station-service,on est pompé en même temps qu’on pompe.Pr Zoc : Vous avez de ces images.Pr Toc : En tout cas, entre ceux qui en ont etceux qui n’en ont pas, on ne sait plus lesquelssont les plus dépendants. Tout le monde setient par la barbichette. Pour qui sont ces barilsqui sifflent sur nos têtes ? comme dirait Racine.Pr Zoc : Imaginons un monde sans pétrole où laconcierge serait obligée de pédaler pour fairemonter l’ascenseur, des chevaux et du crottinplein les rues.Pr Toc : Vous confondez tout.Pr Zoc : Et vous ? Ça prétend s’y connaîtremieux que moi ? On croit rêver. •

La malédiction deshydrocacarbures

Par MATHIEU LINDON

EXPERTISES EN TOUS GENRES

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201528 • IDÉES CHRONIQUES

Page 29: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

Les Français ne sont pasce que l’on croit. Sur ceschéma classique, RobinRivaton vient d’écrire un

livre original et utile (1). Proched’Alain Juppé, conseiller auprèsde quelques PDG, Rivaton estun jeune «libéral réaliste» quiprépare, avec son nouveaumentor, les mesures qu’unedroite ouverte revenue au pou-voir pourrait mettre en œuvre. On ne sui-vra pas ses conclusions franchement libé-rales. Mais on lira son diagnostic avecattention : il donne du pays une visionneuve et quelque peu réconfortante; il serautile à la gauche autant qu’à la droite.Jusqu’ici la cause était entendue : vieuxpays perclus de tradition étatiques, de ré-glementations, de préjugés hostiles à l’en-treprise, la France était une nation retar-

dataire, antimarché, qui se calfeutraitdevant les défis du futur et ne voyait dansla mondialisation qu’une menace socialeet culturelle. Tout un discours déprimantet masochiste occupait en conséquence lascène publique, donnant de notre avenirune vision sinistre, fustigeant ce peuplerigide et passéiste, brodant sans fin sur ledéclin français, l’abaissement de l’écono-mie, le recul national. L’essai de Rivaton,c’est sa grande vertu, prend tout cela àcontre-pied. Fondé sur une interprétationserrée et inédite des enquêtes d’opinion etdes données sociologiques, il montrequ’au rebours des Cassandre neurasthé-niques, le peuple français s’est adapté enprofondeur à la nouvelle donne. Il travailleautant que les autres, il adopte les codes etles innovations de la technologie, il figureà la douzième place des nations les plusouvertes à la mondialisation, loin devantles Etats-Unis, il part volontiers à l’étran-ger à la conquête de la réussite ou du dé-paysement, il plébiscite les valeurs d’en-treprise, l’initiative, la créativité, l’énergieindustrielle ou commerciale. Il accepte leprincipe de la réforme, veut un Etat moinsobèse et plus efficace, approuve la solida-rité mais rejette l’assistanat, reste égali-taire mais admet –et admire– la réussitedes créateurs d’entreprise. Une entreprisepublique comme la Poste, remarque Riva-ton, syndicalisée et fonctionnarisée à sou-hait, s’est totalement transformée enquelques années, comme en témoigne larévolution du quotidien que constitue l’or-donnancement nouveau des antiquesbureaux, qui symbolisaient naguère laculture du guichet rébarbatif et du postierrevêche, pour se transformer en lieux

d’accueil ouverts, conviviaux,tournés vers la satisfaction nonde l’usager mais du client. End’autres termes, cette Francesoi-disant fermée est mûrepour l’ouverture, l’offensive etla réforme.Robin Rivaton en déduit, biensûr, que l’heure de la droite li-bérale est arrivée. Un libéra-lisme tempéré, réaliste, adapté

à la culture républicaine de l’ancienne na-tion, tel qu’Alain Juppé, figure à la foisraide et pragmatique, respectée dans l’op-position et aussi à gauche, peut l’incarnerdans le futur débat présidentiel. Pourtant,la leçon n’est pas confinée aux limites dela droite classique. Elle vaut pour la gau-che. Mutatis mutandis, les mêmes glisse-ments culturels s’observent dans sa basesociologique. Les fonctionnaires accep-

tent, en fait, la réforme de l’Etat.Le fiscalisme n’est guère popu-laire, même si chacun tient auprincipe de l’impôt pour financerles dépenses collectives. Les syn-dicats les plus réformistes, la CFDT

en tête, progressent aux élections profes-sionnelles, à l’inverse de la CGT. L’opinionde gauche a elle aussi, en grande majorité,une vision positive de l’entreprise. Malgrél’opprobre où l’on tient encore la gaucheau pouvoir, l’extrême gauche stagne et dessociaux-libéraux assumés, comme ManuelValls ou Emmanuel Macron, tirent mieuxque d’autres leur épingle du jeu des sonda-ges de popularité. La gauche aussi acceptela mondialisation, intègre les principes del’économie de marché, valorise les entre-preneurs, qu’elle distingue soigneusementdes spéculateurs de la finance. Contraire-ment à ce que suggère Rivaton, cetteouverture nouvelle au monde ne favorisepar automatiquement la droite libérale.Personne ne souhaite la dictature des mar-chés, la brutalité de la concurrence sansfrein, l’effacement de l’Etat ou la libérali-sation soudaine du marché du travail. Lesvaleurs de la République sociale sont bienvivantes. Une gauche du nouveau sièclepeut, elle aussi, s’appuyer sur la révolutionculturelle française. •(1) Robin Rivaton, «La France est prête. Nousavons déjà changé», Manitoba–les BellesLettres, 176 pages, 19 €.

La révolutionculturelle française

LA CITÉ DES LIVRES

Par LAURENT JOFFRIN

Je ne voulais pas défiler,mais je ne voulais pas medésolidariser de l’évé-nement. Alors, je suis

descendu dans la rue, et j’aimarché jusqu’à la porte Saint-Martin, près de laquelle j’ha-bite. Les boulevards étaientnoirs. Je suis resté près de l’arcdes victoires de Louis XIV, deuxheures avec la foule, qui s’éten-dait jusqu’à l’infini sur la droite, et quiconvergeait vers République sur la gauche.J’ai appelé quelques amis, mais il était im-possible de les retrouver dans la mer.J’ai regardé le cortège avec une sympathieincrédule, à laquelle j’aurais voulu donnerplus de moi-même. Sous nos yeux fatiguéspar trop d’ironie, un peuple se reprenait,défaisant le nihilisme auquel on ne le sou-mettra pas. J’ai croisé des connaissances,j’ai parlé à des inconnus, je suis tombé surd’anciennes étudiantes: l’une avait ajouté«Pas dupe» à «Je suis Charlie», intro-

duisant une saine réserve à l’empathiecitoyenne, où je crus voir ma vérité. Je nemarcherais pas, mais je ne ferais pas relâ-che; je voulais être là, sans hauteur, maisà distance.Mon grand-père était croix-de-feu, il aparticipé à l’insurrection du 6 février1934; c’est peut-être pour ça que j’ai tou-jours eu du mal avec les foules; il m’expli-quait que les fascistes vont toujours de pairavec les voleurs. En 2002, ayant voté Jos-pin au premier tour, j’avais déjà refusé deme faire culpabiliser par des abstention-nistes, qui mirent un escroc à la place d’unfacho.La situation n’est plus tout à fait la même,bien qu’elle en découle : mercredi soir,je suis allé rejoindre les républicains ;dimanche, je suis resté spectateur. Ne pasdéfiler ne signifie pas se défiler: j’estime,à tort peut-être, que les hommes poli-tiques, qui nous gouvernent depuis qua-rante ans, sont les principaux responsablesde la situation merdique de la France. Lesresponsables sont des irresponsables.Depuis les années 80, la montée du Frontnational et de l’islamisme forme les deuxfaces d’une feuille de papier bible et cul ;je constate que cela va de pair avec le«grand remplacement» des scienceshumaines par l’économie de supermarché.La crise que nous traversons est intellec-tuelle. Charlie a fait relâche cette semaine,mais pas l’esprit français, ce précipité desérieux républicain à la Péguy et d’irres-pect, qui est notre style, et précisément ce

qu’on a voulu abattre. Je re-viens du Japon: que peut signi-fier Charlie Hebdo dans un paysqui ignore l’esprit critique? Ladroite chrétienne est aussi isla-miste que les loubavitch, tel estleur œcuménisme. «Les reli-gions ne rient pas», a dit CharlieBaudelaire. Ecrire n’a pasd’autre fin que l’irrespect, etc’est ce qui me retient de défi-

ler. Le génie de Charlie était d’avoir com-pris cette essence de l’acte de création, quin’a de comptes à rendre à personne –ni à«dieu», ni aux multinationales, ni à la na-tion, ni à la police.Ne pas défiler, c’est refuser la connotationdu message («retour à l’ordre») couvertpar sa dénotation, l’unité nationale, par-fois nécessaire. J’ai hésité. Contrairementà Barack Obama, je ne le regrette pas.Je n’ai pas défilé pour des raisons qu’onpeut juger mesquines, parce que la morale,en un sens, est supérieure à la politique :

dans certains cas, il faut s’oubliersoi-même, répudier sa propreanarchie, et rejoindre le corpssocial.Pourtant, je considère que le terro-risme, le racisme et la haine de laculture sont des produits purement

politiques. Tout le monde s’accorde pourcombattre le fanatisme religieux ; je suisun fanatique littéraire, une puissance devie qui n’opprime personne. Mon combat– politique – de tous les instants est desubstituer un fanatisme à un autre, non deprôner je ne sais quel respect: ce n’est pasla religion qui relie les hommes, c’est laculture, cette putain qui est sur toutes lesbouches, mais que personne ne paie.La culture dérange, contrairement aux cul-tes, parce qu’elle inquiète. Dans le dispo-sitif même de la manifestation, il y avait savérité: les gouvernants d’un côté (qu’ai-jeà faire avec Nétanyahou, avec Sarkozy?),le peuple de l’autre : entre les deux, unvide. Et puis, les «dignitaires» religieux;je ne leur veux aucun mal mais, désolé,je n’ai aucun respect pour eux. Je me suisévadé du catholicisme à l’âge de 12 ans;j’attends la même chose des musulmanspratiquant de France. On gardera cepen-dant les rites, qui sont beaux. A Marseille,Gaudin bloque la construction d’une mos-quée; ainsi, il alimente l’humiliation et leterrorisme, car pour atténuer les effets desreligions, il faut d’abord les égaliser. Je suisrentré, j’ai allumé la télé. L’intelligenced’Abd al-Malik prônant une «spiritualitélaïque» m’a bouleversé, et l’autre ana-gramme de Charlie m’a sauté au visage aumoment même où j’éclatai en pleurs. •

Cette chronique est assurée en alternancepar Olivier Adam, Christine Angot,Thomas Clerc et Marie Darrieussecq.

J’ai regardé le cortège, «Je suisCharlie», avec une sympathieincrédule, à laquelle j’aurais vouludonner plus de moi-même.

Rilache

ÉCRITURES

Par THOMAS CLERC

LA FRANCE ESTPRÊTE. NOUSAVONS DÉJÀCHANGÉ deROBIN RIVATONManitoba–les BellesLettres, 176 pages 19 €.

Le peuple français s’est adapté enprofondeur à la nouvelle donne. Iladopte les codes et les innovations…

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 CHRONIQUES IDÉES • 29

Page 30: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201530 • IDÉES IMAGES

Page 31: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

Vu à Paris, placesde la Républiqueet de la Nation,devant le siègede CharlieHebdo,à Vincennes,jeudi. PHOTOSCHRISTOPHE MAOUT

Après le chocet l’émotion,les fleursflétrissent, lacrasse s’amasse.Dans des imagesfrontales,sans flou niprofondeur,le photographeChristopheMaout détailleles traces deslieux emblémati­ques des atten­tats perpétrésla semainedernière à Paris:de la place de laRépubliqueà celle de laNation, l’HyperCacher Porte deVincennes, bou­levard Richard­Lenoir et la rueNicolas­Appert,siège de CharlieHebdo. Façon ex­voto, la foule adéposé une mul­titude de petitsobjets (bougies,crayons, photos,fleurs…) pour seguérir d’un malet conjurerla haine. Au­delàde l’hommage,il s’agit d’exaucerun vœu, sauve­garder la libertéd’expression.Une semaines’achève, les reli­ques s’évanouis­sent, fragiles etéphémères.Jeudi, placede la République,un hommes’était donnépour tâchede rallumer tou­tes les bougiesbattues par levent et la pluie.LÉAIRIBARNEGARAY

TRAITSPOURTRACES

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 IMAGES IDÉES • 31

Page 32: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

Depuis les attentats des 7 et 9 janvier,certaines voix se sont élevées pourexpliquer le terrorisme par la discri-mination dont la population d’ori-

gine musulmane serait victime. Aux yeux deces penseurs de «gauche», le terroriste neferait que «mal» réagir à une situation «into-lérable». Il va de soi qu’ils ne justifient pasces barbaries : ils ne font que contemplertristement les «causes» de ces événements.Ces bonnes âmes croient rendre service àceux qu’ils tiennent pour leurs «protégés».Alors qu’en vérité, elles sont aussi nuisiblesaux intérêts de ces derniers que les apôtresde l’extrême droite.En effet, si l’on suit leurs raisonnements,n’importe quel musulman est un terroriste enpuissance. Comment peuvent-ils s’offusquerde l’amalgame qui est fait entre le terrorismeet l’islam, si à leurs yeux, les musulmans sontsi opprimés que, du jour au lendemain, uneenvie intolérable d’aller massacrer des intel-lectuels et des juifs peut éclore en eux?Par ailleurs, si la situation de cette commu-

nauté était si intolérable –au pointd’expliquer que l’on devienne ter-roriste au nom d’Allah– pourquoices bonnes âmes craindraient-ellesle triomphe de l’extrêmedroitepuisque leur condition nepourrait pas s’aggraver davan-tage?Si ces «amis» des musulmansétaient cohérents, ils devraientmême souhaiter que le Front na-tional arrive au pouvoir : ce serait la seulemanière de mettre enfin en évidence le ra-cisme inacceptable dont sont victimes leurs«protégés». On dira que je ne comprendsrien, que je mélange tout. Et qui sait? Peut-être même qu’une bonne âme me traitera deraciste, et me conseillera d’aller m’inscrireau parti de Marine Le Pen, au lieu d’écrire desstupidités dans Libération.Et peu leur importera de perdre des alliéspolitiques comme moi et d’autres encore, quipensent de la même façon. Car, ce quicompte à leurs yeux, ce n’est pas de lutter

contre le racisme, mais de fairetriompher ce pseudo-antiracismequi est lui aussi un discours dehaine.En effet, le but de cette rhétoriqueest d’attribuer au seul racismel’ensemble des maux dont pâtis-sent certaines franges défavoriséesde ce pays. Ces arguments fal-lacieux feraient naître de la haineau sein de n’importe quelle popu-

lation. C’est le même procédé qu’utilisent lesféministes officielles pour expliquer la situa-tion d’infériorité dans laquelle se trouvent lesfemmes. La haine masculine serait seule res-ponsable. La condition inférieure ne s’expli-querait pas par le fait que ce sont toujours lesfemmes qui ont les enfants à charge, la fauteen reviendrait aux hommes qui cherchent àles asservir, à les utiliser comme des objetssexuels et à les prendre pour des moins querien.Peut-être un jour comprendra-t-on, enfin,que dans une démocratie comme la nôtre,

dans laquelle l’égalité des individus estgarantie par la loi, le racisme ne se combatpas par l’antiracisme. Car, ce type de dis-cours ne peut qu’accroître le malheur queressent celui qui hait. Et exacerber la folie desterroristes qui tuent au nom d’un dieu. Pourles individus qui sont la cible du racisme, lemieux à faire est de le mépriser. Et pour cela,la meilleure solution est d’avoir des projetset des désirs. Cela ne signifie pas que chacund’entre nous n’ait pas à se battre contre cer-tains partis extrémistes et idéologies nauséa-bondes, qui risquent de compromettre la dé-mocratie. Bien au contraire. Il faut aller plusloin encore, et faire en sorte que les deuxidéaux démocratiques, que sont l’égalité etla liberté, ne se cessent de se développer. Etce chemin est sans fin.Cette lutte n’a rien à voir avec l’antiracisme,elle est celle du peuple lui-même cherchantà parfaire les idéaux démocratiques. La dé-mocratie n’est pas faite pour les lâchesni pour ceux qui se vivent en victimes maispour des citoyens. •

Les ambiguïtés de l’antiracisme

À CONTRESENS

Par MARCELA IACUB

L'AIR DU RIEN

Par AUDE PICAULT

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201532 • IDÉES CHRONIQUES

Page 33: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

L’année vient de commen-cer en France avec unassaut, un effondrement,une bataille perdue, une

contre-révolution, un deuil,mais aussi peut-être avec lapossibilité de construire denouvelles alliances qui coor-donnent ce que nous aimons,qui le protègent. De mon côté,j’ai commencé l’année en de-mandant à mes amis proches,mais aussi à ceux qui ne me connaissentpas, d’arrêter de m’appeler par le prénomféminin qui me fut assigné à la naissanceet de désormais m’appeler par un nou-veau. Beatriz est Paul. Une déconstruc-tion, une révolution, un saut sans filet, en-core un deuil. Et, lorsque je marche avecce nouveau prénom dans les rues du Ravalà Barcelone, je pense que l’effacementsystématique du genre normatif et l’in-vention d’une nouvelle forme de vie, danslesquels je suis embarqué depuis long-temps, pourraient être comparés au pro-cessus de transformation dans lequel laCatalogne est immergée.Allez savoir si tout ça est le fruit encored’une dysphorie, qui fait que les paysagessans frontières du val d’Aran ou des terresdu Ponent se confondent avec ma propreanatomie changeante, ou si c’est la con-clusion logique de la résonance entre deuxdéplacements possibles: j’aventure qu’ily a une similitude formelle et politique en-tre la subjectivité trans en mutation et laCatalogne en devenir. Voici deux fictionsen train de se faire et se défaire. Autrementdit, le processus de constitution d’une Ca-talogne libre pourrait ressembler, dans sesmodalités de relations avec le pouvoir, lamémoire et le futur, aux pratiques d’in-vention de la liberté de genre et sexuellequi sont à l’œuvre dans les micropolitiquestranssexuelles et transgenres.Au-delà de l’identité nationale, quellesforces entrent ou pourraient entrer dans lacomposition de la forme Catalogne? Au-delà de l’identité de genre, quelles forcesentrent ou pourraient entrer dans la com-position de la forme-trans? Qu’est-ce queje sais ? Qu’est-ce que nous savons ?Qu’est-ce que je peux ? Qu’est-ce quenous pouvons? Qu’est-ce que je vais faire?Qu’est-ce que nous allons faire? Dans lecas du devenir-trans, comme dans celui dudevenir-Catalogne, ou bien il s’agit de sui-vre un protocole prévisible de changementde sexe (diagnostic d’un mal-être pensé entant que pathologie, administration d’hor-mones en doses permettant de précipiterun changement culturellement reconnais-sable, opérations de réassignation sexuelle)ou bien, au contraire, il s’agit de mettre enmarche un ensemble de pratiques de ren-versement des forces de domination descorps, pouvant donner lieu à l’invention

d’une nouvelle forme de vie.Une forme d’existence dont lajovialité critique fasse le deuilde la violence et ouvre un lieupour une relationalité nouvelle.Ou bien il s’agit de passer d’unsexe à un autre en répliquant lesconventions normatives ou, aucontraire, il est possible d’ini-tier une dérive permettant decréer du dehors.Le plus important donc n’est

pas la transsexualité ou l’indépendance,mais plutôt l’ensemble des relations que leprocessus de transformation active et quijusqu’alors étaient capturées par la norme.Dans le cas du devenir-Catalogne-libre, oubien l’indépendance est l’objectif finald’une opération politique tendant vers lafixation d’une identité nationale, vers lacristallisation d’une carte du pouvoir, oubien, au contraire, il s’agit d’un processusd’expérimentation sociale et subjectiveimpliquant la mise en question de touteidentité normative (nationale, de classe, degenre, sexuelle, territoriale, linguistique,raciale, de différence corporelle et cogni-tive). Ou bien la masculinité, la féminité,la nation, les frontières, les démarcationsterritoriales et linguistiques l’emportentsur l’infinitude des séries possibles de rela-tions établies et à établir, ou bien nous fa-briquons ensemble l’enthousiasme expéri-mental capable de soutenir un processusconstituant perpétuellement ouvert.Devenir trans, comme devenir indépen-dant, signifie qu’il faut surtout et toujoursdémissionner de la nation et du genre. Re-noncer à l’anatomie en tant que destin età l’histoire en tant que prescriptrice decontenus doctrinaux. Renoncer au corps,au sang et au sol en tant que lois. L’identiténationale et l’identité de genre ne peuventêtre ni fondement ni téléologie. Dans la na-tion comme dans le genre nous ne pouvonspas chercher des vérités ontologiques nides nécessités empiriques permettant deconclure des appartenances ou des démar-cations. Il n’y a rien à vérifier ou à démon-trer là-dedans, tout est à expérimenter.Comme le genre, la nation n’existe pas endehors des pratiques collectives, qui l’ima-ginent et la construisent. La bataille com-mence par la désidentification, par la déso-béissance, et non par l’identité. En barrantla carte, en effaçant le prénom, pour pro-poser d’autres cartes et d’autres prénomsdont la condition de fiction collectivementimaginée soit mise en évidence. Des fic-tions permettant de fabriquer la liberté. •

Paul Beatriz Preciado est philosophe,directeur du Programme d’étudesindépendantes, musée d’Art contemporain deBarcelone (Macba).Cette chronique est assurée en alternancepar Sandra Laugier, Michaël Fœssel,Paul Beatriz Preciado et Frédéric Worms.

CatalogneTrans

PHILOSOPHIQUES

Par PAUL BÉATRIX PRECIADO

Depuis le 7 janvier, mé-dias, politiques et in-tellectuels médiatiquesnous enjoignent à

l’«union nationale» et à «êtreCharlie», avec pour effet destigmatiser au passage ceux quine s’y rallient pas. Mais serions-nous «Tous Zemmour» ou«Tous Minute», si ces derniersavaient été pris pour cible ?Cette question –ni provocatriceni rhétorique– permet de distinguer deuxniveaux de sens derrière le «Nous sommesCharlie»: celui d’une revendication sur laliberté inaliénable de la presse; celui d’uneidentification aux journalistes assassinéspour ce qu’ils incarnaient. Or, les injonc-tions médiatiques, politiques, scolaires oufamiliales, à «être Charlie», en ne distin-guant pas ces deux registres, empêchentde saines disputes (dont les dessinateursde Charlie étaient friands) et génèrent desmalaises dont les sciences sociales peuventcommencer à esquisser certains ressorts.Charlie Hebdo, par ses figures historiquesdont plusieurs ont été assassinées le 7 jan-vier, incarnait une unité de génération,engagée durant les années 60 et 70 dansla remise en cause de tous les conserva-tismes, de tous les carcans –politiques, re-ligieux, sexuels – lesquels corsetaient lasociété française. Cabu, Wolinski, Maris,c’était cette croyance en une liberté abso-lue (celle, émancipatrice, du «Il est inter-dit d’interdire» – sauf le voile ?) et, au-dessus de tout, la liberté de critiquer, parla voie privilégiée de l’humour, toutes for-mes d’autorité. Charlie était alors jouissi-vement transgressif, et nous sommesnombreux – nés dans les années 60, 70et 80– à avoir grandi avec son rire éman-cipateur: ce sont nos pères, dont la seulearme était l’humour, qui ont été tués àcoups de kalachnikov.Poursuivant inlassablement la critique desreligions, il faut avouer que certaines cari-catures de Charlie Hebdo ne faisaient plusrire une partie d’entre nous depuis des an-nées: la religion essentialisée était devenueun mal à combattre en tant que tel et «lespersonnes revendiquant une religion des con-servateurs, des aliénés, des frustrés, bref, desennemis imbéciles de la [leur?] liberté (1)».A ceux qui s’en défendent (souvent de ma-nière sincère) au nom qu’ils n’auraient faitque continuer le même combat, celui del’anticléricalisme, rappelons qu’un pointdans un espace (social, économique et cul-turel) en mouvement, se déplace. S’enprendre au pape et au clergé d’une religionmajoritaire dans les années 70, c’est s’atta-quer à une bourgeoisie influente dans tou-tes les sphères du pouvoir. Viser, dans lesannées 2000, l’islam en France (en repré-sentant les musulmans comme des fanati-ques et les musulmanes comme des fem-

mes voilées soumises), c’ests’attaquer à une confession mi-noritaire, largement dépourvued’influence sur les institutionsdu pouvoir, et qui concerne, enmajorité, les classes populaires.Au-delà des cibles visées, il y ala question des personnes quel’on fait rire. Dans les an-nées 70, les jeunes révoltés deHara-Kiri puis de Charlie Hebdos’en prenaient aux pouvoirs

en place et à leurs conservatismes, faisantrire des dominés et des jeunes de diffé-rents horizons (marginaux, soixante-hui-tards reconvertis dans les luttes féminis-tes, écologistes, etc.). Dans les années2000, les mêmes se situent au pôle cultureldes classes moyennes et supérieures (pari-siennes), et leur humour offense une par-tie des classes populaires urbaines, en par-ticulier, quand il tourne en dérision l’islamqui représente, pour certains, la seule ap-partenance positive à laquelle se raccro-cher. En effet, la mémoire coloniale etouvrière de leurs parents est celle de l’hu-miliation ; ils connaissent les plus fortstaux de chômage; la «gauche» les a large-ment abandonnés, délaissés; et ils subis-sent une islamophobie grandissante (2).On est passé du rire jouissif, minoritaire,émancipateur, car participant d’une re-mise en cause de l’ordre établi, à un rirequi n’est plus transgressif, un rire aveugleà ce que les diverses affirmations identi-taires musulmanes «peuvent porter commecolère et protestation contre l’abandon descités et de leurs habitants (1)».Un rire mépris de classe? Un rire en toutcas qui a tourné le dos depuis longtempsà de larges franges des classes populaires.Je sais que je serai attaquée –notammentpar des proches – pour cette chronique,mais je n’arrivais pas à écrire «Je suisCharlie»: grâce à Charlie Hebdo, à Renaudet tant d’autres, quand on me dit «unionnationale», je crains le bruit des bottes etj’entonne le Déserteur plutôt que la Mar-seillaise. Plutôt que de sommer les musul-mans à se désolidariser des actes de la se-maine dernière, ou à renforcer les moyensd’une «guerre contre le terrorisme», bat-tons-nous collectivement pour plus deculture et pour une justice sociale et éco-nomique. Sans oublier l’essentiel : fairel’humour, pas la guerre ! •

(1) Extrait d’une tribune de Louis Jésu adresséeà Charb en 2013 («Libération»).(2) «Islamophobie. Comment les élitesfrançaises fabriquent le “problèmemusulman”», Abdellali Hajjat,Marwan Mohammed, La Découverte.

Julie Pagis est chercheure en sociologiepolitique au CNRS.Cette chronique est assurée en alternancepar Cyril Lemieux, Frédérique Aït­Touati,Julie Pagis et Nathalie Heinich.

Quand nos enfantstuent nos pères

SOCIÉTÉS

Par JULIE PAGIS

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 CHRONIQUES IDÉES • 33

Page 34: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

CU

LTU

RE

LaPhilharmonie

complètementà

A la Philharmoniede Paris, conçue

par l’architecteJean Nouvel,

mercredi.

l’Est

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201534 • CULTURE GRAND FORMAT

Page 35: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

P aris, te voilà dotéd’une Philharmonie.La capitale n’a plusrien à envier à Berlin età son énorme et célè-bre ensemble quijouxte le Tiergarten.

Mercredi soir a été inauguré en grandepompe le bâtiment de la Philharmoniede Paris, projet lancé en 2006 sous l’im-pulsion de l’Etat et de la Ville de Paris,après des décennies de forcing de PierreBoulez. Et c’est Laurent Bayle, hommedu sérail musical et proche du composi-teur, qui a assuré la tenue du projet surpresque une décennie. Le lieu flambantneuf accueille deux résidents, l’Orches-tre de Paris et l’Ensemble intercontem-porain, ainsi que trois formations asso-

ciées: l’Orchestre de chambre de Paris,l’Orchestre national d’Ile-de-France etles Arts florissants. Bizet n’est peut-êtrepas au programme, mais il n’empêche:cette toute nouvelle institution a été uneformidable arlésienne. Avec un chœurpolitique de première bourre (et fraî-cheur): Jacques Chirac, Dominique deVillepin, Renaud Donnedieu de Vabres,Bertrand Delanoë, Nicolas Sarkozy,François Hollande… Il était temps quecela s’arrête.

«Aberrations décisionnelles»Beaucoup de critiques ont été formuléessur les travaux, leurs retards. Le coûttotal du bâtiment s’élève à 386 millionsd’euros, la somme originelle étant de200 millions, selon l’institution. Les ca-prices de l’architecte Jean Nouvel ontété évoqués pour expliquer ce dépasse-ment hors normes, de même que lecours de l’aluminium (qui couvre la fa-

çade), monté en flèche depuis le milieudes années 2000, la technocratie qui aenrouillé l’affaire, la mauvaise gestionpolitique… Mais une question métaphy-sique a également fait polémique :pourquoi une Philharmonie plutôt querien ? Elle devait être un temple de lasymphonie et remplacer Pleyel (désor-mais dévolue aux musiques actuelles),permettre d’accueillir les Troyens deBerlioz. Au lieu de cela, sa programma-tion semble redoubler celle de l’ex-Citéde la musique, rebaptisée Philharmo-nie 2, en se recentrant sur une politiqueculturelle populiste du «il faut donneraux gens ce qu’ils veulent entendre»plutôt que «ce qu’ils pourraient dé-couvrir».Par ailleurs, beaucoup doutent que lepublic huppé de l’ouest parisien qui fré-quentait Pleyel se rende à la Philharmo-nie tant que les infrastructures (mé-tro, etc.) seront insuffisantes. Mais, sur

le fond politique, la plus virulente descritiques est venue, en novembre, ducélèbre compositeur Philippe Manouryqui, quoique réaffirmant son soutien àLaurent Bayle, s’emportait contre lesconsidérations de rentabilité, écrivantque «si à une vue conformiste (la musiquesavante comme patrimoine), la politiqueculturelle répond par une autre tout aussiconformiste, malgré les apparences (lehip-hop dans une salle philharmonique),si donc elle se contente d’organiser le di-vertissement du peuple, entretenant, en-core et sans fin, les vieux clivages quigangrènent notre société, alors, les yeuxfermés, elle va droit dans le mur». Et desoulever entre autres la question del’éducation artistique et musicale dansles collèges, laissée «sur les bas-côtés».La Philharmonie s’ouvre donc dans unclimat de dissonances. Mercredi dansle Monde, Jean Nouvel faisait savoir qu’iln’assisterait pas à l’inauguration, écri-vant: «L’architecture est martyrisée, lesdétails sabotés, les contribuables aurontdonc à payer, une fois encore, pour corri-ger [des] aberrations décisionnelles.»De la fin des travaux à l’accouchementpublic, Libération a sillonné les intermi-nables couloirs de l’édifice.

Montgolfière immobiliséePour comprendre à quoi ressemble lebâtiment, à défaut de pouvoir arpenterle ciel de Paris en hélico, on peut sepencher sur une modélisation ou unemaquette située au fond d’un couloirnoir. Difficile de ne pas constater que ladernière réalisation de Jean Nouvel aquelque chose d’un soufflet de chemi-née, voire d’une pompe à matelas gon-flable. De la structure énorme sort uneexcroissance triangulaire qui s’immisceentre la Cité de la musique et le boule-vard périphérique. Quant au gros de lachose, c’est un drôle d’amas qui a étéposé là, au cœur du parc de la Villette.Nouvel, prix Pritzker 2008, retenuen 2007 pour la commande, a construitun objet assez vivant, qui semble pou-voir s’étendre et se gonfler comme unemontgolfière immobilisée. Mais cet élé-ment organique, une paroi faussementsouple conçue comme un mouchara-bieh, se retrouve engoncé dans unestructure rigide et anguleuse.Le bâtiment de la Philharmonie de Pa-ris, comme l’institution elle-même, afait de la conciliation, du mariage entreles genres, son maître mot. L’époquen’est plus à un courant stylistique dog-matique mais à l’agglomération des al-lures. Avec cette Philharmonie, l’archi-tecte continue d’apposer sa patte sur laville de Paris, sans grande concurrence:il est notamment l’auteur de la Fonda-tion Cartier, du musée du Quai Branly,de l’Institut du monde arabe et mêmed’un magasin H&M aux Champs-Ely-sées. Si l’on ajoute le palais de justice deNantes ou l’Opéra de Lyon, s’entérinel’image de Nouvel en grand construc-teur de nos cités.Hasard du calendrier, sa Philharmoniesuit les inaugurations de la FondationLouis-Vuitton de Frank Gehry dans leXVIe arrondissement parisien ou duMusée des confluences à Lyon. Les bâti-

Par CLÉMENT GHYS, ÉRIC LORETet GUILLAUME TIONPhoto JULIEN MIGNOT

La nouvelle salle symphonique du XIXe arrondissementde Paris, jusqu’alors connue pour ses dépassementsde budget faramineux, a enfin été inaugurée mercredi.

La salle a étéinaugurée parles résidentsde l’Orchestrede Paris, dirigépar Paavo Järvi,avec RenaudCapuçon auviolon, HélèneGrimaud au piano(debout en blanc)et SabineDevieilhe.

Lors del’inauguration ,mercredi,dans le XIXe

arrondissementde Paris.

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 GRAND FORMAT CULTURE • 35

Page 36: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

ments sont très différents, mais parta-gent le même désir de gigantisme, lamême volonté de modifier l’aspect gé-néral d’une ville ou d’un quartier. Para-doxalement, alors que ces inaugura-tions se succèdent, le geste semble àcontre-courant d’une architecture con-temporaine souvent rétive à toute in-cursion violente dans un paysage ur-bain. Nouvel n’a pas eu peur dumonumentalisme, a suivi à la lettrel’ambition du lieu, voulu en son tempspar Pierre Boulez comme «le centrePompidou de la musique». Les tuyaux deBeaubourg incarnaient les politiquesculturelles publiques de la France desannées 70. Le chaos de fonte de la Phil-harmonie, recouvert d’oiseaux de bétonou d’aluminium qui s’imbriquent, fa-çon Escher, sur sa façade, est le sym-bole de l’institution actuelle: gigantes-que, lourde, mais qui fait tout pourtrouver un nouvel envol.

Ligeti et Dvorákdans les embouteillages

Attention, la Philharmonie n’est pas unsimple bâtiment. Elle est, dixit le dos-sier de presse, «un bâtiment minéral auxallures de butte, intégré au parc de la Vil-lette». Mais ce serait minimiser son am-bition que de la considérer comme lenouveau trophée d’un jardin des mer-veilles architecturales: une zone conçuepar Bernard Tschumi, une Cité de lamusique adjacente et un Conservatoirenational conçu par Christian de Port-zamparc, et évidemment la fameuseGrande Halle, témoignage du passé in-dustriel de Paris, ou encore la Géode, leZénith… Le bâtiment de Jean Nouvel abeau être là, au milieu, il fait tout pours’en distinguer, aller plus haut et jouerà saute-mouton sur la barrière du péri-phérique, que politiques et urbanistespeinent à abattre.La Philharmonie ne prône pas l’arrivéede bulldozers sur le boulevard, mais in-vite à le surplomber. «Vous allez voir.D’en haut, c’est un autre Paris», enten-dait-on le jour de notre visite. Sur le toitdu bâtiment, auquel le passant (mélo-mane ou non) pourra accéder par unsentier de béton, une vaste terrasse of-fre une vue sur le parc de la Villette d’uncôté, et de l’autre sur Le Pré-Saint-Ger-vais, Pantin, Aubervilliers, la PlaineSaint-Denis… Une fois le belvédère–qui peut accueillir 700 personnes– at-teint, on est face à un paysage de toursde bureaux, d’habitations, stades defoot ou centres commerciaux. La façadedu bâtiment imprime en immenses let-tres lumineuses la programmation dusoir, visible depuis l’entrée principalemais surtout depuis le périph, commeun morceau de Times Square exilé là.Ligeti et Dvorák n’auront plus de secretpour les embouteillés.Partout dans la Philharmonie surgitl’ambition d’en faire le bâtiment duGrand Paris, la tour sentinelle du pha-raonique projet d’aménagement de l’ag-glomération. Mais organiser des con-certs de classique –genre au public trèsmarqué CSP+– dans une zone populairea quelque chose d’un défi. LaurentBayle, président de la Philharmonie, cite

l’exemple du Parco Della Musica ro-main, relativement excentré. Il refuse devoir le nord-est parisien comme unezone désertée mais comme «un espaceà fort potentiel de développement commer-cial et immobilier». Et évoque le nombrecroissant d’investisseurs, essentielle-ment des jeunes actifs, dans le secteur.D’ailleurs, si vous-même…Quand il parle de la Philharmonie, sonprésident, Laurent Bayle, se place dansla posture d’un maire de village: Cité etMusée de la musique, Philharmonie 1et 2, salle Pleyel. Le regard porté vers lefutur et le geste ample, manquant pardeux fois de renverser son verre d’eau,il explique les bienfaits d’une centrali-

sation sur le modèle d’une culture pourtous. «Quand on cumule quartier aisé etlieu fermé dans la journée [personne n’aévoqué Pleyel, ndlr], on favorise unusage qui replie la musique classique.»Selon lui, la moyenne d’âge de ce publica vieilli de douze ans en quelques dé-cennies, quand celle de l’amateur dethéâtre n’a pris que quatre ans.

Xylophone géantComme les musées qui alignent expos,ateliers et librairie, Bayle veut inventerle week-end culturel musical intégral,«où différentes formes sont proposées àune famille: aller à une expo à la Cité de lamusique, voir un concert en grand orches-

tre, laisser ses enfants dans des ateliers…Dans un même lieu, tout devient cohé-rent». La famille est au cœur de cette of-fre pléthorique à la tarification accessi-ble (place à 40 euros maximum pourl’Orchestre de Paris), qui comprendaussi conférences et expos –la première,très attendue, sur Bowie; la deuxième,comme par hasard, sur Boulez. Le siteest jalonné de restaurants et de bars, telle Balcon, dont la plaquette nous ap-prend qu’il a été «imaginé comme un bis-trot contemporain informel et décontractédans un environnement d’esthète». Bigre.En semaine, l’organisation sera moinsdense, accentuée sur la pédagogie, enrelation avec les écoles, où les enfants

LA PHILARMONIECOMPLÈTEMENT À L’EST

De l’énormestructure sort

une excroissancequi s’immisceentre la Cité

de la musiqueet le boulevard

périphérique.

De la puissance,la salle en a

sous le pied,c’est indéniable.

Mais elle est aussilégèrement

déséquilibréedans les aigus.

36 • CULTURE GRAND FORMAT

Page 37: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

avant sa première réplique. Traumatisé.A une semaine de son inauguration,quand nous avons pénétré dans la sallede la Philharmonie de Paris, nous som-mes restés cois. Tétanisés. Au plafond,les nuages acoustiques flottent dans lapoussière. A nos pieds, des fauteuilssont posés, sans dossier. En contrebas,la scène au sol troué est éclairée par lesétincelles des arcs à souder. Dans cinqjours, le son des instruments rempla-cera celui des scies sauteuses. Mais,pour l’instant, un quarteron d’ouvrierss’affaire dans cette bulle torsadée situéeentre ciel et terre, à une quinzaine demètres de hauteur.D’une capacité de 2400 places, la salleest oblongue. A l’image de la Philhar-monie de Berlin, elle est enveloppante,esthétisante dans ses formes, sédui-sante avec ses couleurs blanc, beige,jaune, et sert d’écrin à l’orchestre ins-tallé en son centre. Les balcons volet-tent autour d’une fosse relativement à-pic. Ils ne sont pas accrochés aux mursmais reposent sur de grandes languet-tes, ce qui permet au son de circulerautour, pour, nous dit-on, une qualitéoptimale quelle que soit la place duspectateur, près de l’orchestre ou relé-gué 37 mètres plus loin, au dernier rang.Si, à l’usage, l’acoustique déçoit, la sallepeut évoluer, explique Bayle: «Les sixpremiers mois, le résident [ici l’Orchestrede Paris, ndlr] sert de référent et expliqueses sensations. Les renseignements sontcroisés avec les avis d’invités. A la fin dela première saison, on y voit plus clair surles modifications éventuelles.»

Boîte à chaussuresde 3650 places

La salle peut aussi se transformer: uneparoi s’escamote et les sièges au sols’ensevelissent sous le plancher, le lieudevient alors une «boîte à chaussures»de 3650 places. Le tour de passe-passeprend la journée et est plutôt destinéaux concerts avec scène ou aux musi-ques amplifiées. Car, dans cette Phil-harmonie, on écoutera le pianiste LangLang, mais aussi Oxmo Puccino et sonAlice au pays des merveilles.Mercredi soir, Jean Nouvel était bien ab-sent et Laurent Bayle, ému, l’a salué àdistance. Il a aussi, entouré d’Anne Hi-dalgo et de François Hollande, loué «lapermanence de l’engagement des pouvoirspublics». Charlie aussi était là. Dans lediscours de la maire de Paris, contre «lefanatisme qui veut imposer le silence, quece soit en Irak, au Nigeria ou dans les lo-caux de Charlie», «chaque mouvementd’une symphonie conjure le terrorisme».Dans celui du Président: «On peut as-sassiner des hommes et des femmes, on nepeut tuer des idées. Charlie vit et vivra.»Si l’histoire peut oublier un slogan duchef de l’Etat («le meilleur de la musiquepour le prix d’une salle de cinéma»), ellese souviendra en revanche que la pre-mière standing ovation de cette Phil-harmonie fut pour Hollande: 2400 per-sonnes debout quand le Président aserré la main du Premier ministre avantle concert, dans une salle pimpantesentant encore la sciure de bois.Paavo Järvi, le chef de l’Orchestre de

Paris, a démarré la soirée par un rigoloTuning Up de Varèse, mise en scèneacoustique d’un accordage au finale to-nitruant, avant de lancer Renaud Capu-çon Sur le même accord de Dutilleux. Levioloniste star, toujours expressif, sau-tillait et scandait ses pizzicati commes’il voulait gratter le manche de songuarnerius de 1737. Ovation.La soprano Sabine Devieilhe et le bary-ton Matthias Goerne ont ensuite fait vi-brer le Requiem de Fauré avec chœur etsolennité, avant de laisser la place à Hé-lène Grimaud, de blanc vêtue, pour le

Concerto en sol de Ravel. Evidemment,au début du deuxième mouvement, en-tre les notes mélancoliques du pianosolo s’est glissée la sonnerie d’un télé-phone. La bonne acoustique amplifieaussi, hélas, les mauvais bruits. Et sou-dain, au milieu du troisième mouve-ment, après deux éclairs frappés sur leclavier, Grimaud a tourné la tête vers lepublic. Pour la première fois. Elle a es-quissé un sourire puis s’est lancée dans

une nouvelle série d’axels avant uneconclusion aussi abrupte que la battuede Pärvi, tout en cassures, est sèche. Letroisième mouvement a été bissé. Puisentracte, sur un constat dubitatif: de lapuissance, la salle en a sous le pied, c’estindéniable. Mais elle est aussi légère-ment déséquilibrée dans les aigus.Caisse claire, cymbales et toux sèchefrappent quand les basses sont en re-trait. Tout cela n’est pas très grave.Dans la seconde partie, l’Orchestre deParis a remis les choses au point. Chan-gement de configuration ou premiers

émois de l’inaugurationpassés? Tout s’est rééqui-libré, les teintes et les tim-bres ont retrouvé leur ter-ritoire et nous avons puassister à la création d’unmagnifique Concerto pour

orchestre de Thierry Escaich. Dynami-que, houleux, éclatant : une œuvreblessée, meurtrie de coups et d’inquié-tantes lacérations. Puis cette premièresoirée s’est achevée par la suite n°2 deDaphnis et Chloé, avec une aurore ma-gnifique et une danse générale cho-quante de puissance et de détermina-tion. Musiciens et choristes ont marchéde concert sur la salle, les spectateursétaient en leur empire. Ça promet. •

pourront par exemple s’initier au xylo-phone géant d’Ouganda.Pour le moment, le pari est atteint,puisque, avant même son inauguration,plus de 70% des places pour les con-certs prévus jusqu’en mars avaient étéachetées. Et plus de 10000 entrées sontdéjà prévendues pour l’expositionBowie, qui n’ouvrira que le 3 mars.A l’intérieur du bâtiment, EmmanuelHondré, le directeur de la production,insiste lui aussi sur le caractère pédagoet collectif du projet : «Contrairementaux autres lieux parisiens, il y a ici beau-coup d’endroits pour répéter, en petite ouen grande formation. Les musiciens com-mencent à monter des projets entre eux.Le lieu devient un campus, c’est très exci-tant!» Tout est ici agencé pour le plaisirde l’instrumentiste ou du mélomane, ettant pis si les fenêtres du personneldonnent sur le béton de la rampe duparking.Dans une petite salle, un accordeur tra-vaille sur quatre Yamaha encore embal-lés. Donnant sur les arbres du parc,deux grandes salles de répétition auxmurs isolants en bois gravé serventaussi de studio, l’une est construite auxdimensions de l’orchestre sur la scène.Plus loin, des couloirs rouges ouvrentsur une quinzaine d’ateliers individuelset collectifs où, selon une méthodeéprouvée au Venezuela et en Finlande,«quiconque ne pratiquant aucun instru-ment pourra venir, apprendre avec l’aidedes autres et, en quelques heures, jouer unmorceau». Nous ne savons pas encoredans quel désarroi auditif se trouverontles profs mais, lecteurs, nous prévoyonsun reportage sur ces ateliers.Et puis ily a la salle. A 12 ans, quand Wa-gner est entré sur la scène du Hoftheaterde Dresde, il en est ressorti en courant

La première standing ovation de cettePhilharmonie fut pour Hollande:2400 personnes debout dans unesalle sentant encore la sciure de bois.

GRAND FORMAT CULTURE • 37

Bal

loon

Dog

(Mag

enta

) (B

allo

n en

form

e de

chi

en (M

agen

ta),

1994

-200

0. P

inau

lt c

olle

ctio

n ©

Jef

f Koo

ns -

© C

entr

e P

ompi

dou,

dire

ctio

n de

la c

omm

unic

atio

n et

des

par

tena

riat

s, c

once

ptio

n gr

aphi

que

: Ch.

Ben

eyto

n, 2

014

JEFF KOONSLA RÉTROSPECTIVE

JUSQU’AU 27 AVRIL 2015 NOCTURNES JUSQU’À 23 H DU JEUDI AU SAMEDI

Cette exposition est organisée par le Whitney Museum of American Art, New York, en collaboration avec le Centre Pompidou, Paris

L’exposition « Jeff Koons, La rétrospective » bénéficie du soutien de

Page 38: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

CÉLÉBRATION A Paris se déroulent de nombreux événements participatifs, à l’occasiondu premier festival consacré aux œuvres libres de droit, car septuagénaires.

Le domaine public,un accès d’euphorieI l n’y a pas de raison que les œuvres les

plus libres prennent la poussière dans lestiroirs. C’est pour les remettre à l’hon-neur qu’Alexis Kauffmann et Véronique

Boukali, enseignants de formation, ont fondéle site Romaine lubrique, en septembre 2013.Ils y causent régulièrementd’artistes entrés dans le do-maine public (et non «tom-bés» dedans, aiment-ilsrappeler, car ce n’est pas undéshonneur), de la défini-tion juridique de celui-ci etde son actualité étonnam-ment brûlante: les amende-ments déposés à l’Assemblée nationale pourréformer le droit d’auteur, les internautescréatifs illustrant des lettres de poilus, lesinge qui prenait des selfies… Autant d’his-

toires et de débats méritant d’être connus dugrand public, autant de raisons de transfor-mer le blog de Romaine lubrique en Festivaldu domaine public.

ICONOCLASTE. Inauguré vendredi soir avecune «conférence gesticulée», le raout s’articu-lera durant deux semaines autour de 26 évé-nements parisiens (ainsi que 3 en banlieue,

et une journée hors-les-murs à Bruxelles, le7 février). Un concours de «public domain re-mix» proposera par exemple de profiter del’entrée dans le domaine public, le 1er jan-

vier 2015, d’artistes célèbres ou confidentielspour s’approprier leurs œuvres et les revisiterà toutes les sauces: que donnerait un tableaude Kandinsky agrémenté des typographiesd’Edward Johnston dans le style Art nouveaude l’affichiste Giovanni Mataloni? Au Père-Lachaise, dimanche prochain, le photogra-phe Pierre-Yves Beaudouin invitera les cu-rieux à l’accompagner dans le gigantesqueprojet auquel il s’est attelé pour enrichir Wi-kipédia : photographier sous licence libretoutes les tombes du cimetière. L’égliseSaint-Merri accueillera un concert de la pia-niste Kimiko Ishizaka, qui a offert au do-maine public son enregistrement des Varia-tions Goldberg de Bach.«L’idée, c’est de renverser les mentalités parrapport à la création et au droit d’auteur, expli-que Alexis Kauffmann, c’est de rappeler quele destin de toute œuvre est de rejoindre le do-maine public, et que le droit d’auteur n’est fina-lement qu’une exception temporaire.» L’affir-

mation, juridiquement exacte, n’en reste pasmoins iconoclaste à une époque où l’on sem-ble plus préoccupé de protéger les ayantsdroit que de laisser le public accéder à laculture, plus pressé d’imposer des restric-tions d’usages que de parler libertés dans ledomaine de la création artistique et numé-rique. Mais est-il vraiment dans l’intérêt su-périeur de l’œuvre de la boucler derrière lesbarreaux ? «Le bien commun n’existe que siune communauté se l’approprie, le défend, lepartage équitablement. Il n’est vivant que si ons’en sert, résume Alexis Kauffmann. C’est unespace où on respire, loin des privatisations etdes contraintes. Et, il faut le rappeler, il n’y apas de liberté d’expression sans libre accès à laculture.»Repoussée de plus en plus tard au fil des lé-gislations sur la propriété intellectuelle, l’en-trée dans le domaine public (aujourd’hui enFrance fixée à soixante-dix ans après la mortde l’auteur) ouvre toutes les portes. Distribu-

Par ERWAN CARIOet CAMILLE GÉVAUDAN

«Le bien commun n’existe que si unecommunauté se l’approprie, le défend,le partage équitablement. Il n’est vivantque si on s’en sert. […] Il n’y a pas de libertéd’expression sans libre accès à la culture.»Alexis Kauffmann du site Romaine lubrique

A gauche en haut: le Cri (1893), de Munch. En bas: des robes de Paul Poiret par Paul Iribe (1908). Au centre: une photo de l’émir de Boukhara par Sergueï Prokoudine­Gorski (1911). A droite enhaut: Etude (1920), de Georges­Louis Arlaud. En bas: pris en 2014 par un macaque à crête d’Indonésie, ce selfie est dans le domaine public car le droit d’auteur ne s’applique pas aux non­humains.

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201538 • CULTURE

Page 39: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

tion, remix, mash-up: presque une nouvellevie. Alexis Kauffmann en est persuadé: «Ence moment, on fait beaucoup de célébration trèssymbolique autour des artistes, les centenairesde la naissance ou de la mort, par exemple.C’est l’occasion de se pencher sur l’ensemblede leur œuvre, c’est bien, mais ça n’apporte rienau public. Alors que l’entrée de son œuvre dansle domaine public est un événement majeur etdécisif, qui change complètement la donne.C’est un point de bascule.» Ce jour-là, la ficheWikipédia du Cri de Munch est illustrée parune reproduction du tableau en question,pour comprendre enfin de quoi il est ques-tion. Ce jour-là, des éditeurs réimprimentl’intégrale de Jean Giraudoux, et la radiopasse le Carmen de Maria Callas sans reverserle moindre centime à personne. Bref, c’est lafête. Mais personne ne veut la célébrer.

LUCRATIF. «L’Etat ne produit pas de liste d’ar-tistes qui entrent dans le domaine public au1er janvier, il n’existe rien d’officiel, déplore Vé-ronique Boukali. Les musées qui hébergent lesœuvres de grands peintres entrés dans le do-maine public ne mettent pas non plus à disposi-tion du public leurs reproductions haute défini-tion. Ils sont plus dans une optique deconservation que de valorisation, mais celaaurait dû changer à l’heure d’Internet.» Alors,si une grande majorité des institutions rechi-gnent à faire la pub de leur patrimoine du do-maine public, sans doute pas assez lucratif,le festival de Romaine lubrique essaiera d’y«suppléer» et de «mettre un peu la pression»…Mais sous «l’angle festif plutôt que militant».Bien qu’imaginé par de fervents défenseursdu logiciel libre (Alexis Kauffmann a cofondél’association Framasoft), il s’agira d’un évé-nement culturel avant tout. «Nous voulonsmettre les œuvres à l’honneur, pas simplementles questions juridiques et politiques. Lesœuvres concernent aussi bien des communautésd’artistes que d’enseignants, ou le grand publicen général. Et même si le numérique est fabu-leux pour appréhender les œuvres, les étudier,les comparer, il reste complémentaire avec desrencontres, des mises en valeur physiques et lespectacle vivant.» •

FESTIVAL DU DOMAINE PUBLICDans divers lieux de Paris. Jusqu’au 31 janvier.Rens.: festivaldomainepublic.org

ATELIERLa meilleure façon de faire vivre le domaine public est sansdoute de se réapproprier les œuvres pour en créer de nou­velles. Toute la journée, différents ateliers font découvrir cequ’il est possible de réaliser à partir de films, tableaux ounouvelles. Ainsi, un atelier enfants proposera de reprendreles tableaux de Mondrian et Kandinsky tout en apprenantà coder, et un atelier cinéma, de remonter des séquencesou d’associer des plans de films du domaine public.LA GRANDE FÊTE DU REMIX Numa, 39, rue du Caire, 75002.Le samedi 24 janvier de 10h à 21h. Rens.: www.numa.paris

TABLE RONDEEn présence de la députée Isabelle Attard, très au fait deces problématiques, et de Lionel Maurel, alias Calimaq,membre de SavoirCom1 et La Quadrature du Net, cettetable ronde va aborder les aspects politiques du domainepublic, notamment la nécessité d’en élaborer une définitionpositive. Les nombreux sujets abordés iront de la protectionde ce domaine public face aux nouveaux traités internatio­naux (Tafta, TPP) jusqu’à la question épineuse du finance­ment de la numérisation des œuvres, qui doit avant tout lesrendre accessibles à tous.ENJEUX POLITIQUES ET JURIDIQUESDU DOMAINE PUBLIC ENS, 45, rue d’Ulm, 75005.Le mercredi 28 janvier à 20h. Rens.: www.ens.fr

RENCONTREL’association La Quadrature du Net abrite un scannerà livres en libre­service. On vient avec un bouquin, puis bzzbzz, et on repart avec le PDF. Pour le festival, une séancepublique de scan du Petit Prince sera l’occasion d’apprécierce casse­tête juridique: Saint­Exupéry est entré dans ledomaine public le 1er janvier 2015 en Belgique… mais pasencore ici, parce que «mort pour la France». Un Belgepeut­il le numériser tout de même? Oui. Sur le sol français?Bof. Partager le fichier? Non. Repartir avec? Sûrement pas!Il faudra le détruire en fin de soirée.LE PETIT PRINCE AU PAYS DES HACKERS La Quadraturedu Net, 19, rue Richard­Lenoir, 75011. Lundi 26 janvier à 20 heures. Rens.:www.laquadrature.net/fr

CINÉ­CONCERTFantômas, criminel en cagoule et collants noirs, méritaitmieux que les oubliettes de la ringardise. Le voici recoloréde jaune, de rose, de vert et de violet, plus effrayant quejamais derrière ses surimpressions psychédéliques.Le vidéaste Arnold Boudin a remonté les cinq filmsoriginaux de Louis Feuillade (tournés en 1913­1914) surfond de musique electro. La bande­son sera jouée en livepar son compositeur, Shoï Lorillard, à la Gaîté lyrique.FANTÔMAS REVIVAL Gaîté Lyrique, 3 bis, rue Papin, 75003.Vendredi 30 janvier à 20h30. Rens.: http://gaite­lyrique.net

L’affiche duciné­concertque la Gaîtélyriqueconsacre auxcinq films deLouis Feuilladeautour deFantômas.

Pho

togr

aphi

e : ©

Gré

goir

e Vi

eill

e

EXPOSITION

LA DÉCENNIE24.05.14 > 02.03.15

À 85 MIN DE PARIS centrepompidou-metz.fr

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 CULTURE • 39

Page 40: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

40 • CULTURE GUIDE

«Le Parisdu Moyen Agea héritéde la Lutècegallo-romainequelques ruesdallées, maisles siècles ontà ce point accumulé les bouesnaturelles et les déchets humainsque ce qui reste des pavagesromains est le plus souventà quelques pieds sous le sol.»Jean Favier le Bourgeois de Parisau Moyen Age (Tallandier «Texto»).

«Il pense à la têtede Jankiel, gisantsur le sol commeune pomme sale;le gravieret la poussièrede charbonse mêlant au sangcoagulé. Lida est accroupieà côté du corps; ses longs brasfins pendent, sans vie,entre ses genoux.»Steve Sem­Sandberg les Dépossédés (10/18).

DANS LA POCHE

Mikhaïlov, un Ukrainienà Paris et à Arles

PHOTO La galerie parisienne Suzanne Tarasieve expose la série«Arles, Paris… And.» de l’irrévérencieux artiste de Kharkiv.

B oris Mikhaïlov, 76 ans, vit en-tre Berlin et Kharkiv(Ukraine), sa ville natale. Sa

dernière série inédite, réalisée entreParis et Arles, de 1989 à aujourd’hui,prouve son amour fou pour laFrance, ses paysages urbains et laCamargue, donc, en bonus argenti-que. Vita, sa muse, accueille le spec-tateur impressionné par cette figurede proue posant sur une locomotiveà l’arrêt. Le portrait est formidable,on y reconnaît les anciens ateliersSNCF, friche pratique des Rencon-tres d’Arles en version François Hé-bel (son ex-directeur); ce pourraitêtre l’affiche des Rencontres 2015,quelle classe.Godemiché. Pas très loin de sa ma-jesté Vita, Boris, vêtu d’un caleçonvintage style Brejnev, grimpe à l’as-saut de la loco, comme si c’était lemont Everest. Et d’une certaine fa-çon, ça l’est, tant cet artiste chercheà atteindre les sommets, ici et là,luttant depuis ses débuts pour la li-berté d’expression. Il s’est fait virerde son travail dans les années 60 –ilétait ingénieur– parce qu’il se ser-vait aussi de son appareil photo pourprendre des nus (niet, a dit le KGB).

Depuis, il ne cesse de partager sonexpérience du régime soviétique,puis postsoviétique, se moquant duhéros de l’ex-empire. Ainsi la série«I Am Not I» (1992), où il se met enscène avec un godemiché. Ou, re-tour aux sources, en dévoilant lesrues de Kharkiv et cette société crè-ve-cœur hantée par la misère, l’al-cool, les faux miroirs de la consom-mation («Tea, Coffee, Capuccino»,2000-2010).Mikhaïlov est un homme pugnace.«Intègre, ajoute Guillaume Lointier,responsable de la galerie SuzanneTarasieve. L’histoire lui sert, mais il nes’en sert pas gratuitement, il le faitavec finesse, sans opportunisme.C’est un artiste engagé, pour lui, c’estprimordial. La photographie n’est pasqu’une question d’esthétique.» Parcequ’il n’a pas été formaté par le mar-ché, cet irrévérencieux chroniquejoue avec les codes et les dogmes dumédium, il n’en fait qu’à sa tête. Iln’hésite pas à retoucher des vieuxtirages, parfois cornés aux coins,pourquoi s’en soucier, la perfectionasphyxie la photographie. C’est cequi fait le charme de la série «Arles,Paris… And.», où chacune des cin-

quante épreuves a été customisée.Délire. Beauté. Force. L’artiste aaccentué le visage de Willy Ronis(dont le père était d’Odessa), enbrouillant tous les autres ; ou il agribouillé nerveusement sur lasurface; ou il a tout repeint, en sou-venir de sa jeunesse, quand il colo-riait ses tirages avec des teinturesanilines.«Coup de foudre». A cette sériequ’il considère comme une pièceunique, Boris Mikhaïlov a ajoutévingt-huit photographies somp-tueuses. Il y a toujours un brind’érotisme : corps à corps avec safemme-déesse, ou d’autres Vénusqui fracassent les stéréotypes de labeauté. Mikhaïlov est un géant. Decet artiste phénoménal, SuzanneTarasieve dit : «J’ai eu un coup defoudre pour lui, qui n’a jamais cessé.»

BRIGITTE OLLIER

ARLES, PARIS… AND.de BORIS MIKHAÏLOVGalerie Suzanne Tarasieve, 7, ruePastourelle, Paris IIIe. Jusqu’au 28 février.Catalogue prévu en février.Rens.: 0142717654et http://2013.suzanne­tarasieve.com

Détail d’une image extraite de la série «Arles, Paris… And.». COURTESY BORIS MIKHAÏLOV. GALERIE SUZANNE TARASIEVE, PARIS

www.fetedugraphisme.org

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 41: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

GUIDE CULTURE • 41

«WILD», PIÈGE À FILLE, TREK TABOU

Le principe du voyage initiatique, c’est aller loin pour découvrir que leproblème est à ses pieds. Wild est une variante en forme de fuite: c’est parcequ’elle se sait engluée dans les problèmes (drogue, prostitution, deuil desa mère) que Cheryl va remonter seule le PCT, ligne de randonnée qui tra-verse la côte Ouest des Etats-Unis. Cela causera quand même des problèmesà ses pieds (arrachage d’ongle en ouverture du film).Pendant ces 1600km, il se passera plein de choses au premier degré dignesd’une formation Vieux Campeur (tente, cloques, réchaud, oh! un renard…).Il y aura énormément d’allers-retours en forme de «balade dans les recoinsde ma tête», comme dit Cheryl, donnant par là sa forme au film, qui bonditdu passé au présent comme la main gauche d’un pianiste de ragtime. Uneautopsy interactive que Cheryl conduit et qui la guide. «Je ne regrette pasd’avoir été avec un mari alcoolique et violent. Parce qu’avec lui, je t’ai eue, toiet ton frère. La vie n’est pas simple», asséné jadis par la mère de Cheryl estpar exemple un des sujets de sa réflexion. Et il régnera enfin sur ce cheminde renaissance une ambivalence sur le point de vue adopté, moral ou pas.Jean-Marc Vallée, le réalisateur, ne prétend pas trouver de solution. Maisce qu’il montre (couple rassis, rockers meurtris, chasseurs crétins, enfantmalade…) est si déprimant qu’il constitue en soi une injonction morale:sur les pas d’un Thoreau, fuyons la société qui pourrit les hommes. Wildest sincère quand Cheryl pleure sans musique, seule dans la nature. Il esténervant trois minutes plus tard quand une voix off assène des «Et si je mepardonnais ? Et si je…» Le périple est sophistiqué mais sans surprises.Reese Witherspoon coproduit le film et interprète le rôle de Cheryl, pourlequel elle concourt aux oscars. L’an dernier, Matthew McConaughey avaitremporté la statuette après Dallas Buyers Club, du même réalisateur. •«Wild», de Jean­Marc Vallée, avec Reese Witherspoon… 1h55. En salles.

LEFI

LMD

UD

IMA

NC

HE

Par GUILLAUME TION

«The Talos Principle»,métaphysique des cubes

JEU VIDÉO Le studio croate Croteam sort un nouveau«puzzle game» éprouvant mais réjouissant.

A rrive le moment où,avec tous les élémentsen main, on ne voit

pas la solution. C’est sansdoute l’instant le plus impor-tant dans un puzzle game,genre très spécifique qu’onpourrait aussi appeler «vidéocasse-tête», tant il emprunteà ces petits objets visible-ment impossibles à démêleralors qu’ils sont sensés(d’après la légende) l’être.On commence alors à essayerd’autres combinaisons, àpenser hors du cadre. Pasévident. Et si je mettais cecube par ici? Non, ça ne sertà rien. On tourne en rond, onrumine. On quitte le jeu. Onle relance. On décrète l’im-possibilité, l’erreur de con-ception. Puis la tentation, lasolution est à deux clics dansun navigateur web. Non,l’honneur du gamer nousl’interdit. Surtout, sauf àmentir effrontément (tou-jours une option), il nous seraimpossible de nous vanterd’avoir vaincu le jeu. Surtout,c’est admettre ses limites in-tellectuelles. Pas question. Etsurvient la révélation. Untruc qu’on n’avait pas vu ou,le plus souvent, une faussepiste laissée par les créateursdans laquelle on s’était en-gouffré. Mais quel abruti !The Talos Principle est un hé-ritier de Portal, l’ovni ludi-que sorti en 2007 par Valve.Il ont en commun non seule-ment la vue subjective,l’ambiance futuriste et lespuzzles tordus à base de cu-bes, mais aussi la narration,décalée, ici pleine de digres-sions philosophiques sur

l’humanité et la conscience.Le joueur incarne un an-droïde qui se réveille dans ungrand terrain de jeu jonchéde ruines antiques. On re-père tout de suite les portesviolettes qui délimitent deszones de défis où il faut trou-ver le moyen de récupérerdes tétrominos, ces formesgéométriques composées dequatre carrés bien connuesdes joueurs de Tetris. Pour yarriver, il faut désactiver unchamp de force en combi-nant plusieurs types d’objetsà disposition : brouilleurs,cubes, cristaux pour dévierdes lasers ou encore ventila-teurs à activer.Le talent du studio croateCroteam, plus connu pour sasérie de jeux de tir bourrinset joyeusement décérébrésSerious Sam, est d’avoirconçu des puzzles complexestout en restant lisibles, ce quin’est pas une mince affairedans un environnement en3D. Et dès la résolution d’unniveau, le joueur connaîtdeux états diamétralement

opposés : soit, comme nousl’avons vu, il se sent concomme ses pieds d’avoirramé pendant des plombes,soit il se croit doté d’un in-tellect supérieur après avoirvaincu une énigme rapide-ment. Et on passe de l’un àl’autre en quelques minutesà peine. Ce qui, finalement,s’accorde à merveille avecles discussions métaphysi-ques par écran interposéavec une intelligence artifi-cielle sibylline et les injonc-tions divines de celui qu’onimagine être à l’origine decet univers factice dans le-quel on évolue.The Talos Principle est finale-ment une étrange proposi-tion dans laquelle le joueurest amené à lire de la philopour se détendre les neuro-nes entre deux pièces de Te-tris à récupérer. Et c’est bi-zarrement exaltant.

ERWAN CARIO

THE TALOS PRINCIPLEdéveloppé par CROTEAMen téléchargement sur PC, 40€.

Le jeu mélange technologies et ruines antiques. PHOTO DR

Sésostris III, pharaon de légendePalais des Beaux­Arts de Lille (59).Jusqu’au 25 janvier.Rens. : www.pba­lille.fr

Œuvres contemporaines et d’époqueprésentent ce pharaon qui réformala société du Moyen Empire, souventconfondu avec ses deuxprédécesseurs de la XIIe dynastie.

Regards croisés,théâtre et photographieMaison Victor­Hugo, place des Vosges,Paris IVe. Jusqu’au 1er mars.Rens. : www.maisonsvictorhugo.paris.fr

Photos d’hier et d’aujourd’hui autour

d’un répertoire très circonscrit :Ruy Blas, les Burgraves, Marie Tudoret Angelo, tyran de Padoue,quatre pièces de Hugo. Tout sur lesinteractions entre œil du photographe,mise en scène, acteurs et texte.

Giuseppe PenoneMusée de Grenoble (39).Jusqu’au 22 février.Rens.: www.museedegrenoble.fr

Quarante ans de création et de travauxcycliques autour des thèmes fétichesde la peau, l’écorce, l’arbre, la nature…Cinq salles enveloppées d’une seuleet unique fresque épidermiquede 50 mètres de long au fusain.

LES

CH

OIX

EXPO

S

5x2 invitations à gagner pour leSamedi 24 Janvier à 20h45 au NECC Maisons-AlfortLADELL MCLINN TRIOBRIAN JACKSON "TRIBUTE TO GILSCOTT-HERON"FEATURING M1/MARTIN LUTHER5x2 invitations à gagner pour leSamedi 31 Janvier à 20h30 auThéâtre Jean Vilar de Vitry-sur-seineTHE LANGSTON PROJECTRODOLPHE BURGER & JAMESBLOOD ULMER"BLOOD & BURGER"5x2 invitations à gagner pour leVendredi 6 février à 20h30 à laSalle Jacques Brel de Fontenay-sous-BoisARCHIE SHEPPATTICA BLUES BAND

pour participer adressez

votre demande à : [email protected] de précisez impérativement votre adresse postale complète.

Vous disposez d’un droit d’accès, de rectification et de suppression de vos informations personnelles (art.27 de la loi in-formatique et libertés). Les informations recueillies sont destinées exclusivement à Libération et à ses partenaires saufopposition de votre part en nous retournant un email à l’adresse mentionnée ci-dessus.

invitationAvec trente deux concerts et des Tambours-Conférences, Sonsd’hiver #24, du 23 janvier au 15 février 2015 invite aux découvertes demusiciens indispensables à notre imaginaire du monde actuel. Momentmusical fait de rencontres artistiques résolument engagées dans cedésir de liberté, dynamique des musiques jazz et créatives depuis fortlongtemps.

SONS D'HIVER 162X3:Mise en page 1 14/01/15 12:03 Page1

1600 kilomètres à pied, ça use, ça use… PHOTO 20TH CENTURY FOX

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 42: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

NEX

T

Le timing était moyen.Au lendemain d’une se-maine tsunami et de laplus grosse manifesta-tion française depuis laLibération, qu’avait-onà faire d’un défilé demode, quand bien

même haute couture, quand bien mêmeil marquait le come-back d’un de seshérauts déchus et son association avecMaison Martin Margiela, une marque apriori antinomique? On avait au moinsune certitude: loin de ses saluts en Na-poléon ou en pirate qui ont jalonné sapériode Dior (1998-2011), John Galliano,54 ans, désormais sobre post-rehab (al-coolisme avoué pour expliquer sa sortiede route antisémite de février 2011 dansun bar parisien), n’allait pas surgir enCharlie (celui de la BD), marinière etbonnet à pompon… On l’a de fait à peineentrevu, lundi à Londres, très Yves SaintLaurent en costume-cravate sous blouseblanche. Nommé début octobre à la di-rection de la création de la marque, leBritannique né à Gibraltar a signalé sonarrivée avec un changement sémantiquepeut-être pas si anecdotique: il ne fautplus parler de Maison Martin Margiela,mais de Maison Margiela.Dès les premières minutes du défilé, unsouffle a circulé parmi la centaine d’in-

vités qui se faisaient face sur deux ran-gées de chaises blanches. Ce qu’on a vu:d’immenses créatures strassées, les che-veux comme bombés par des tagueurs,juchées sur des plateformes sculptées,à la fois futuristes, tribales et baroques,mix d’héroïnes de mangas, de princesseLeia, de Pocahontas et de délicates de laRenaissance. Ce qu’on a surtout vu: unedémonstration grandiose mais nonoutrageuse, légère, ludique, du talent deGalliano. Manteau carmin à tête-plas-tron en coquillages, poches transparen-tes en plastique et poignets mousque-taire. Robe longue sang très Borgia.Tailleur-pantalon noir extralong. Destraînes, du tulle, de la déconstruction,des jeux de proportions, des dos délica-tement révélés, beaucoup d’allure ycompris dans ces robes-patrons commejuste descendues du Stockman, parfoisencore flanquées d’empiècements depapier. Adoubement des codes Mar-giela, mais dopés par le supplément deromantisme épique de Galliano. Unéquilibre s’esquisse, en même tempsqu’une évolution excitante.En 2002, Maison Martin Margiela estpassé dans l’escarcelle du groupe OnlyThe Brave, la holding de l’homme d’af-faires italien Renzo Rosso, fondateur deDiesel et détenteur de Viktor&Rolf etMarni. En somme, la marque devenait

propriété d’un géant du jean (certeshaut de gamme). A l’époque, à la nou-velle du rachat, plusieurs personnes fu-rent choquées, et d’autres emballées,sur l’air de «à une griffe exceptionnelle,il fallait bien un acheteur exceptionnel».Alors que Galliano vient de faire son en-trée dans cette drôle de cour blanche,qu’est-ce qui fait la spécificité de cettemarque si étrange, jugée par tous en ter-mes de superlatifs: la plus belle, la plussnob, la plus intello, la plus radicale, laplus influente, la plus importable, laplus désirable ? Passage en revue deséléments clés de l’univers Margiela.

Hors diktatsDès le lancement de sa marque,en 1988, Martin Margiela fait vœu dechasteté médiatique et d’anonymat.C’est pourtant le début de l’époque oùse réaffirme la figure du créateur-star,les Galliano, Ford, «Karl». Mais non.Non seulement on ne verra plus le vi-sage du Belge dont l’âge même est unmystère (lui-même se dit né en 1977-1980, moment de son passage à la fa-meuse académie d’Anvers incubatricede toute une génération de talents),mais l’ancien assistant de Jean PaulGaultier décide de se fondre dans lamasse de Maison Martin Mar-giela (MMM). Soit une équipe de

80 personnes portant tous blouse blan-che, façon laborantins. Cela peut sug-gérer une secte fashion toute dévouéeà son gourou conceptualisant, ça a entout cas le mérite de confondre les visa-ges et les grades, de dépersonnaliserpour renvoyer au vêtement.La maison a d’ailleurs installé son siègeparisien dans une ancienne école duXIe arrondissement, loin de la rutilanteavenue Montaigne, épicentre du luxe.Résolument hors programme, hors dik-tats, buissonnière. Et l’école a gardé sessalles de classe, ses longs couloirs, sestableaux noirs, mais le mobilier recou-vert de tissu blanc transparent. Commesous cloche mais perceptible, commeun fantôme prêt à s’animer à tout ins-tant. Jusqu’à son départ, Martin Mar-giela avait son studio de création audernier étage des 3000m2 du bâtiment,jamais il ne se montrait aux journalis-tes, mais vu qu’on ne savait pas à quoiil ressemblait, il était possible qu’on lerencontre sans le savoir… Des deman-des d’interview étaient parfois accep-tées, selon un protocole précis: il fallaitenvoyer les questions par fax, les ré-ponses revenaient par le même canal,signées Maison Martin Margiela. Frus-trant? Ça désamorçait en tout cas l’effetde cour autour du prince-créateur avechappy few autorisés à l’approcher et vi-lains petits canards placardisés. Etprendre les commandes de la lignefemme d’Hermès de 1997 à 2003 n’a pasbrisé cette distance équanime.Une radicalité qui rappelle celle del’écrivain Thomas Pynchon, rétif àtoute apparition publique depuis les

Par SABRINACHAMPENOISet CLÉMENTGHYS

Galliano

A la tête de la marque aux fils blancs jusque-là sansvisage, l’ex-couturier de Dior, hors circuit depuis 2011,

a fait son come-back à Londres. Réjouissant.

Nouveaumaître

de MaisonMargiela

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201542 • NEXT GRAND FORMAT

Page 43: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

années 50. Et il est à noter que depuisson départ, fin 2009, et alors qu’il auraitpu en profiter pour sortir fructueuse-ment du bois, le créateur belge restechevillé à une absolue discrétion. Touten planant dans toutes les têtes de lamode, qui ont du mal à se résoudre àune volatilisation définitive.Au-delà de ce premier défilé, quel posi-tionnement John Galliano va-t-il adop-ter, lui qui opère là un retour post-ban-nissement avec profil plutôt bas aprèsdes années passées en créateur-créaturebaroque? La greffe va-t-elle prendre?Autant d’interrogations qui laissent à lafois planer le doute sur son mariageavec MMM, et le rendent excitant.

Zéro flafla, mais du blablaPleins feux sur le vêtement, qui n’estpas qu’un produit de consommation va-lable une saison mais qui a une histoire,une vie, une évolution, et surtout uneutilité: c’est le parti pris (décroissant?humaniste ? écoresponsable avantl’heure?) que Maison Martin Margielaa défendu depuis sa création. Les pré-sentations des collections homme enfournissent la démonstration in vivo:pas de défilé, zéro flafla, mais du blablatrès technique, pédagogique. Le per-sonnel, en blouse blanche, invite à scru-ter les pièces dans le moindre détail,fournit des explications sur la matièreemployée, l’inspiration, le montage, lenombre d’heures engagées à l’atelier…Adepte de la récupération, du bricolageet du recyclage, terriblement ingé-nieux, Margiela bâtit par exemple unblouson à partir de trois ton sur ton, les

Au défilé Margiela, à Londres lundi.D’immenses créatures strassées,mix d’héroïnes de mangas, de princesseLeia, de Pocahontas et de délicatesde la Renaissance. PHOTO RETNA.PHOTOSHOT. ABACA; DR

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 GRAND FORMAT NEXT • 43

Page 44: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

GALLIANO, NOUVEAUMAÎTRE DE MAISON

MARGIELA

Défilé Margiela en juillet 2012. PHOTO AUDOIN DESFORGES

travaille en patchwork et les dote d’uneflambante doublure donnant l’illusiond’un vêtement neuf. C’est bluffant,souvent stupéfiant, et il y a de l’hu-mour, du dadaïsme dans les détourne-ments de Margiela qui peut aussi faired’une ceinture de sécurité… une cein-ture. Des sacs de voyage en nylon semétamorphosent en veste, ceinturéepar la sangle du bagage et ajustée par lesfermetures Eclair d’origine. De vieilleschaussettes militaires en laine font unpull. Des répliques d’anciens vêtementsdeviennent des pièces uniques, collec-tor en quelque sorte. L’aspect râpé etusé est recherché, accentué, fignolé.Idem des détails habituellement dissi-mulés: doublure, traits de craie, coutu-res, épaulettes ou fermeture à glissière…La fripe se fait arty, unique, poétique,empreinte de vécu et remastérisée avecune maîtrise technique qui ne se révèleque dans un second temps, à la ré-flexion. John Galliano, aussi, est notoi-rement un technicien hors pair, as de lacoupe décisive. Et (pour sa propre mar-que sinon pour Dior) il a pu la jouerpunk et (faussement) paupériste, avecmendiants, freaks et compagnie. Maislui était alors résolument, délibérémentthéâtral. Le théâtral, la grande gesteroyale, la fougue sentimentale, sont-ilssolubles dans l’artisanal-cérébral, et in-versement, sans qu’aucune des partiesy perde son âme? C’est ce que l’on es-père, c’est ce que l’on va voir.

Doigt d’honneurL’univers de la mode est beaucoup plusclassique et conformiste que ses quel-ques excentricités pourraient le laissersupposer. Là encore, toute l’histoire deMaison Martin Margiela a su explosercette rigidité. Ainsi des défilés de mode,exercice qui n’a formellement que trèspeu changé depuis des décennies.Quand, au début des années 90, toutes

les marques organisaient des présenta-tions dans des hôtels luxueux duVIIIe arrondissement parisien, les invi-tés posant leur séant attifé sur des cous-sins, Margiela faisait tout l’inverse : ildécentrait le défilé. Adieu les beauxquartiers et les univers ouatés, la mai-son s’est promenée partout, dans desterrains vagues, dans une station demétro, dans des hangars. La chose étaitsurprenante pour le cirque de la mode,mais c’était justement un pied de nez,un doigt d’honneur, à un milieu en-goncé. Mieux, une invitation à le réin-venter. En 1995, Libération écrivait :«Un certain nombre de caractériels ontréussi à repérer le chapiteau Santus, sischemin de la ceinture du lac supérieur aubois de Vincennes, où défile le Belge délo-calisé Margiela. Tout ce cirque puerait fa-

cilement le traquenard underground, maissoudain surgissent des créatures sur fondde pot-pourri classique scratché à grandscoups de coude dans la platine.»Certaines rédactrices ou acheteurs re-chignaient à traverser le périph, eh bientant pis pour eux: une nouvelle généra-tion y allait, remplaçait les frileux. Laplupart de ces afficionados de la pre-mière heure se souviennent encore deces déplacements avec une certaineémotion. Avec quelques autres(Kawakubo ou Yamamoto notamment),Margiela a-t-il façonné une nouvellegénération du fashion pack ou l’a-t-ilrepérée avant tout le monde ? C’estl’œuf ou la poule. Sur les lieux, c’estdans un esprit de radicalité que débar-quaient les filles. Il y eut des non-défi-lés, où seul un film était projeté, beau-coup où les visages étaient cagoulés. Lesmannequins marchaient dans de lapeinture, souillaient le sol. Dans unautre plus récent, ce furent des glaçonscolorés qui tachaient les habits en fon-

dant. Depuis le départ du fondateur,force est de constater que la marque aperdu en dynamisme scénographique.Margiela est sans conteste l’un descréateurs de mode qui a le plus essaimé,servi de modèle. Un équivalent histori-que est sans doute Christian Dior.Alexander McQueen ou Nicolas Ghes-quière, sensation des années 90 pour lepremier, des années 2000 et 2010 pourl’autre, s’inscrivent dans sa continuité.Et si, en courant à Londres, Gallianon’avait pas voulu opérer le même espritde décentrement que la marque under-ground en son temps? Après tout, de-puis et à cause de Margiela, défiler dansdes entrepôts et autres lieux industrielsn’a plus aucune force détonante.Au-delà de la scénographie, la marques’amuse à innover avec ses invitations

aux défilés. Il y eutquantité de formesdifférentes, toujoursarty-ludiques : flip-book, stylet-lampetorche qui projetaitl’adresse, mini-postede télé de plastoc

blanc, jeu pour enfants, pièce de métalrouillé, sachet de thé, et même un tic-ket de métro.

Esthétique mathématiqueCe sont quatre fils blancs, très fins, donton dirait qu’ils ont été cousus à l’instantet qui risquent de craquer (d’ailleurs, çaarrive). Au dos des pulls, vestes, tee-shirts ou chemises, ce petit quatuor sidiscret que tout le monde le remarqueest le symbole du prêt-à-porter Mar-giela. Ils tiennent une étiquette très dis-crète, blanche. A l’origine, l’idée étaitde pouvoir la découdre soi-même afinde rendre son vêtement indifférent, dele faire passer par un processus d’ano-nymat similaire à celui de son créateur.Avec ce petit jeu, se préfigurait un espritpas très éloigné du No Logo de NaomiKlein en 2000. Mais les vêtements Mai-son Martin Margiela sont chers, et ilsl’ont toujours été. Alors, par un effetpervers – voulu ou pas ? C’est le lot detout acte «radical» ou du moins nova-

teur–, les petits fils blancs sont devenusun supplément de snobisme. Ce sont lestalismans d’un cercle d’initiés et de pri-vilégiés, qui s’habillent en MMM parcequ’ils le valent si bien (et qu’ils en ontles moyens, compter 345 euros pour unsweat-shirt). Contrairement à un vête-ment de toutes les autres marques, unpull Margiela se distingue de très loinpuisque cette non-étiquette en est bienune, beaucoup plus visible, puisqu’elletransparaît dans le dos (et non dans ladoublure de la fringue).La poésie est brute, envoie valser touteniaiserie. A l’image de la qualificationque la griffe appose à ses lignes. Dansl’univers MMM, on ne parle pas de«collection homme» ou d’«accessoiresfemmes», de «ligne de joaillerie» ou de«fragrances». On parle en chiffres(12, 22, 13, 4 ou 0). Les adeptes connais-sent leurs significations. Sur les éti-quettes, les chiffres sont cerclés afin depréciser dans quel sous-univers on sesitue. Tout est ici d’une esthétique ma-thématique, sommaire. Et, évidem-ment, épurée et sobre.Margiela est synonyme de blanc. Lundi,Galliano a d’ailleurs fait défiler sur lepodium quelques variations d’albâtre,des déclinaisons et des volutes de lanon-couleur virginale. On a longtempsdit que les plus grands créateurs demode avaient été ceux qui savaient ma-nier le noir : Cristóbal Balenciaga ouYves Saint Laurent se sont, avec obses-sion, délectés du charme vénéneux del’obscurité. Mais les débuts de Margielaont eu lieu quand le numérique n’exis-tait pas, et que les photographes utili-saient encore des pellicules. Il a travailléavec le négatif de la tradition de la cou-ture. En faisant du blanc une couleurchaude, en mettant en scène la diversitéet le potentiel d’un simple tissu imma-culé, il a pris la mode à rebours et achangé la donne.En endossant la blouse blanche, celle dela marque comme celle des ateliers dela couture des années 50, John Gallianos’est inscrit dans cette histoire. A lui legrand défi de la prolonger et, surtout,de la surpasser. •

Ce qu’on a vu: une démonstrationgrandiose mais non outrageuse du talentde Galliano. Plastron en coquillages,poches transparentes en plastiqueet robe longue sang très Borgia.

La maison a installé son siège parisien dans une ancienne école du XIe arrondissement. PHOTO JOHANN ROUSSELOT. SIGNATURES

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201544 • NEXT GRAND FORMAT

Page 45: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

A LA TELE SAMEDI20h55. The voice.La plus belle voix.Divertissementprésenté par NikosAliagas et Karine Ferri.23h15. The voice.La suite.Divertissement.0h25. Esprits criminels.Morts de peur,Les enfants de l’ombre.Série.2h05. New York PoliceJudiciaire.Série.

20h45. Hier encoreDivertissementprésenté par Virginie Guilhaume etCharles Aznavour.23h15. On n’est pascouché.Magazine présenté parLaurent Ruquier.2h25. Météo.2h30. Alcaline, le mag.The Do.Magazine.3h20. Thé ou café.Magazine.

20h45. Le sang de la vigne.Chaos dans le vin noirTéléfilm français :Avec Pierre Arditi,Catherine Demaiffe.22h25. Météo.22h30. Soir 3.22h50. Chateaubriand.Téléfilm de PierreAknine.Avec FrédéricDiefenthal.0h35. Les carnets de Julie.

20h55. Match retour.Comédie américainede Peter Segal, 113mn,2013.Avec Sylvester Stallone,Robert De Niro.22h45. Jour de foot.Magazine présenté parKarim Bennani.23h45. Nymphomaniac- volume 1.Film.1h35. Nymphomaniac -volume 2.Film.

20h50. La véritablehistoire de Moby Dick.Documentaire.21h40. Lesmammouths, géantsde l’âge de glace.Documentaire.22h35. Twist and Loud !Les débuts du rock.Documentaire.23h30. Tracks.Magazine.0h15. Wacken 2014.Spectacle.1h10. The killing.

20h50. NCIS : Los Angeles.Série américaine :La plume et l’épée,Le projet Sinclair (1re & 2e parties),Nos charmants voisins,Porté disparu.Avec Chris O'Donnell,Daniela Ruah.1h00. Supernatural.La ménagerieenchantée,Invocations.Série.

20h45. Rugby : Lyon Lou Rugby /Edimbourg.European ChallengeCup.Sport.22h45. Le jour de l’apocalypse.Téléfilm de StevenMonroe.Avec Greg Grunberg.0h05. Nova Sessions.Francois & the AtlasMountains.Spectacle.

20h35. Échappeesbelles.Texas : terre depionniers.Magazine présenté parJérôme Pitorin.22h10. Vu sur terre.Les Shetland.Documentaire.23h00. L’oeil et la main.Magazine.23h30. Maya et Thomas sont sur un bateau.Documentaire.

20h40. Le fils du comique.En direct du ThéâtreSaint-Georges.Spectacle présenté parDominique Besnehard.Avec Pierre Palmade,Emmanuelle Michelet.22h35. Chevallier et Laspalès vont au Dejazet.Spectacle,95mn.0h10. Paris dernière.Magazine.

20h50. New Yorkpolice judiciaire.La panthère noire,Rétrospective,Hors jeu,Epreuve d’endurance,Le nouveauprogramme.Série.1h10. Tellement Vrai.Nouveaux couples : desamoureux pas commeles autres II.Magazine.

20h50. DowntonAbbey.Série britannique :Le bonheur d’être aimé,Révolution à Downton,Tout ce qui compte...Avec Hugh Bonneville,Maggie Smith.0h00. 90’ Enquêtes.Folie des soldes :business, bonnesaffaires et arnaques.Magazine.1h45. Delphine ou lesplaisirs simples.

20h50. Les Simpson.Un pour tous, tous pourWiggum,Les années 90,L’amour à laspringfieldienne,Simpsons horror showXVIII,Millie le petit orphelin.Jeunesse.22h40. Les Simpson.5 épisodes.Jeunesse.0h50. Robin des Bois.Spectacle.

20h45. Flicka 2 : amiespour la vie.Téléfilm de MichaelDamian.Avec PatrickWarburton, Emily Tennant.22h25. Marley & moi 2.Téléfilm américain.Avec Travis Turner,Donnelly Rhodes.0h05. Total wipe outmade in USA.Épisode 10.Jeu.

20h50. Père et maire.Téléfilm français :Chippendales.Avec Christian Rauth,Daniel Rialet.22h35. Père et maire.Téléfilm français :Association debienfaiteurs.Avec Christian Rauth,Daniel Rialet.0h20. Programmes de nuit.

20h50. Chroniquescriminelles.Affaire Chabert : unedisparition mystérieuse/ 25 ans pour connaîtrela vérité / Meurtre àHollywood.Magazine présenté parMagali Lunel.22h40. Chroniquescriminelles.Magazine.2h40. Marie ou lafascination charnelle.

20h50. Le zap choc.Divertissement,60mn.21h50. Le zap choc.Divertissement,60mn.22h50. Le zap choc.Divertissement,60mn.23h50. Le zap choc.Divertissement,60mn.0h50. Programmes de nuit.

DIMANCHE20h55. ContagionFilm de science-fictionaméricain de StevenSoderbergh, 105mn,2011.Avec Gwyneth Paltrow,Jude Law.22h55. Les experts.La femme qui en savaittrop 1 & 2/2,Sang neuf.Série.1h25. New York SectionCriminelle.Série.

20h45. Night and day.Comédie américainede James Mangold,100mn, 2010Avec Tom Cruise,Cameron Diaz.22h40. Faites entrerl’accusé.Patrice Alègre : le sanget la rumeur.Magazine présenté parFrédérique Lantieri.0h35. Météo.0h40. Histoirescourtes.

20h45. Les enquêtesde Vera.Téléfilm britannique :Le piège à corbeaux,Sauvé des eaux.Avec Brenda Blethyn,David Leon.23h50. Météo.23h55. Soir 3.0h20. L’impitoyable.Film.2h00. Barbe-Neige etles sept petits cochonsau bois dormant.Spectacle.

21h00. Football : Marseille / Guingamp.21e journée duchampionnat de Francede Ligue 1.Sport.22h55. Canal footballclub - le débrief.Sport.23h15. L’équipe du dimanche.Magazine présenté parMessaoud Benterki.0h05. Le journal desjeux vidéo.

20h45. Le salaire de la peur.Film d’aventuresfranco-italien d’Henri-Georges Clouzot,142mn, 1952.Avec Yves Montand,Charles Vanel.23h10. Les guerriers du dimanche.Documentaire.0h40. Mon professeurs’appelle Lang Lang (1 & 2).Documentaire.

20h50. Capital.Pouvoir, qualité de vie,le match Paris /Province.Magazine.23h00. Enquêteexclusive.Fourrières, dépanneurs,garagistes : halte auxarnaques !Magazine présenté parBernard De laVillardière.0h25. Enquêteexclusive.

20h45. Fargo.Thriller américano-britannique de JoelCoen, 98mn, 1996.Avec William H. Macy,Steve Buscemi.22h20. Black Swan.Thriller américain deDarren Aronofsky,108mn, 2010.Avec Natalie Portman,Vincent Cassel.0h00. Broadchurch.3 épisodes.Série.

20h35. Burger sur legrill.Documentaire.21h30. Larves, grillons,scorpions : les steaksde demain ?Documentaire.22h25. J’étais enfant àBuchenwald.Documentaire.0h00. La grandelibrairie.Magazine.1h00. Le voyage de la vie.

20h40. Les rescapésde Sobibor.Téléfilm de Jack Gold.Avec Alan Arkin,Joanna Pacula.23h15. Les tempsmodernes.Comédie dramatiqueaméricaine de CharlesChaplin, 87mn, 1936.Avec Charles Chaplin,Pauline Goddard.0h45. Zemmour et Naulleau.Magazine.

20h50. Dans l’espoir de se retrouver.Émission 4Magazine présenté parPatricia Fagué.22h35. Dans l’espoir de se retrouver.Magazine.0h15. Dans l’espoir de se retrouver.Magazine.1h55. Poker.2h50. Programmes de nuit.

20h50. New Yorksection criminelle.Série américaine :Mauvaise pioche,Au nom de la tradition,Mauvaise carte.Avec VincentD'Onofrio, Kathryn Erbe.23h35. Il était une fois...Louis de Funès.Magazine.1h30. Désirs troublés.Téléfilm.

20h50. Beauty & the beast.Série américaine :La parenthèseLa rage au ventreLa ligne rougeLa confusion dessentimentsEn quarantaine.Avec Kristin Kreuk,Jay Ryan.0h40. Météo.0h45. Programmes de nuit.

20h45. Étoiles ducirque de Pekin.Spectacle,110mn.22h35. Légendes !!! Par les étoiles ducirque de Pékin.Spectacle,95mn.0h10. Les Parent2 épisodes.Série.1h00. Magic : familleféérique.Série.

20h50. Les Barbouzes.Comédie franco-italienne de GeorgesLautner, 109mn, 1964.Avec Lino Ventura,Francis Blanche.22h50. Les nerfs à vif.Thriller américain deMartin Scorsese,128mn, 1991.Avec Robert De Niro,Jessica Lange.0h40. Langue de boiss’abstenir.

20h50. Deux sœurspour un roi.Comédie dramatiqueaméricaine de JustinChadwick, 115mn, 2007.Avec Natalie Portman,Scarlett Johansson.22h50. Confessionsintimes.Magazine présenté parChristophe Beaugrand.0h40. Confessionsintimes.Magazine.

20h50. Nouvelle star.Épisode 8 : L’épreuvedu feu.Divertissement avecSinclair, Yarol Poupaud,Élodie Frégé et AndréManoukian.23h00.Aveuglantes.Téléfilm,110mn.0h50. Programmes de nuit.

TF1

ARTE M6 FRANCE 4 FRANCE 5

GULLIW9TMCPARIS 1ERE

NRJ12 D8 NT1 D17

FRANCE 2 FRANCE 3 CANAL +TF1

ARTE M6 FRANCE 4 FRANCE 5

GULLIW9TMCPARIS 1ERE

NRJ12 D8 NT1 D17

FRANCE 2 FRANCE 3 CANAL +

20h50. Section derecherches.Série française :Apparences,Handicap,Dérapages,Camping.Avec Xavier Deluc,Virginie Caliari.0h35. Madame est servie.Comme le temps passe vite.Série.

20h50. Le convoi de l’extrême : le choc des titans.Épisodes 7, 8 & 9.Divertissement.23h30. Storage wars :enchères surprises.Jeunes chiens fous,Les rois du pétrole,Le nabab,Le défi.Documentaire.1h10. Storage wars :enchères surprises.

20h50. Fireball.Téléfilm de Kt Donaldson.Avec Ian Somerhalder,Aleks Paunovic.22h30. Ledétournement du bus CX17.Téléfilm de PaulSchneider.Avec Marcy Walker,Michael Paul Chan.0h10. Meurtres ensommeil.

20h45. River monsters.Jungle terminator,Le fleuve de sang,Le repaire des géants2/2.Documentaire.23h10. Shameless.Série américaine :Les dindons de la farce,Retour à l’anormal,Monicataclysme,Nettoyage deprintemps.Avec William H. Macy.

20h50. Enfin veuve.Comédie française deIsabelle Mergault,93mn, 2007.Avec Michèle Laroque.23h00. 8 femmes.Comédie musicalefranco-italienne deFrançois Ozon, 111mn,2001.Avec CatherineDeneuve.0h45. Prochainementsur vos écrans.

20h50. Meurtre à laMaison Blanche.Policier américain deDwight Little, 107mn,1997.Avec Wesley Snipes,Diane Lane.22h45. Storage wars :enchères surprises.Trésor de guerre,Bras de fer chez lesretraités,Jackpot à Las Vegas.Documentaire.

20h50. Vérité oblige.Téléfilm français :La loi du silence.Avec André Dussolier,Jean-Michel Martial.22h40. Vérité oblige.Téléfilm français :L’avocat du diable.Avec André Dussolier.0h40. Vérité oblige.Ma fille cette inconnue.Téléfilm.2h25. Programmes de nuit.

20h45. Gothika.Thriller américain deMathieu Kassovitz,98mn, 2003.Avec Halle Berry,Robert Downey Jr.22h35. Phénomèneparanormal.L’esprit malveillant / La créature de la forêt.Série.0h15. Phénomèneparanormal.Série.

HD1 6 TER CHÉRIE 25 NUMÉRO 23HD1 6 TER CHÉRIE 25 NUMÉRO 23

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 ECRANS&MEDIAS • 45

Page 46: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

AULNAY­SOUS­BOISLe seul chef étoiléde Seine-Saint-Denis sert sacuisine compositeet sa disciplinemilitaire dansson Aubergedes Saint-Pèreset jusque dansles écolesou les maisonsde retraite.

Jean-Claude Cahagnet,Fort en gueuletons

P our venir dans son restau-rant, l’Auberge des Saints-Pères (1), une étoile au Mi-chelin, il conseille aux Pari-

siens peu habitués à risquer un pieden Seine-Saint-Denis de «garer leurvoiture porte de Bagnolet puis de pren-dre le premier chameau pour Aulnay-sous-Bois». Jean-Claude Cahagnetest un original. Seul chef étoilé dudépartement le plus pauvre deFrance, il aime tourner en ridiculel’appréhension de certains clientsqui rechignent à quitter Paris intra-muros pour la banlieue où se trouveson restaurant. Après enquête, Libé-ration peut affirmer qu’il n’existe pasde ligne directe à dos de chameaupour son antre. Pas de ligne directede bus non plus, et encore moins demétro. Pour les piétons, le plus sim-ple reste le RER B puis la marche.

vingt bonnes minutes dans les ruesd’Aulnay, où rien ne vient troublerla monotonie du parcours.Jean-Claude Cahagnet aime faire del’humour mais dans sa cuisine, àpart lui, personne ne rit. Si l’un deses commis, dont la moyenne d’âgeatteint à peine 20 ans, s’oublie et semarre, il s’expose à de dangereusesreprésailles. Interdiction de flânerchez le chef Cahagnet, où ses souf-flantes ponctuent les soirées. Encoulisse, les cuistots courent, frient,découpent et écoutent. C’est le dé-but du service du soir, à peine arri-vés, l’équipe enchaîne les poêléesd’escargots de Bourgogne. Disposésur une purée d’ail accompagnéed’amandes, le tout est surmonté demacarons à la moutarde.

«FOU». Derrière son plan de travail,Jean-Claude Cahagnet, 50 ans, peti-tes lunettes, crâne dégarni et yeuxvifs, est vêtu de sa blouse de maîtrecuisinier de France, mais c’est ex-ceptionnel. En temps normal, il of-ficie en tee-shirt. Après deux an-nées passées avec le chef Gérard Viéà Versailles, il aurait pu continuerson apprentissage chez Alain Du-casse, Marc Haeberlin ou Joël Robu-chon. Il a préféré ouvrir son restau-rant. Etre le seul maître à bord luiconvient : «Je me sens mieux dansune petite maison avec une organisa-tion plus humaine.» En 1997, alorsque Paris lui tend les bras, le chefchoisit Aulnay. Aujourd’hui, il estl’une des fiertés de la ville et même

Par CHARLIE DUPLANPhotos RÉMY ARTIGES

Jean­Claude Cahagnet, à Aulnay, en juillet.

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201546 • NEXT FOOD

Page 47: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

Par JACKY DURAND

«Zinzins» au naturel

O n était venu pourcauser vins naturelsdans l’antre d’un

chercheur de pépites à Be-sançon, dans le Doubs. Onest reparti avec une épopéejalonnée de «quilles» enrouge et en blanc, comme ditFabrice Monnin à propos deses bouteilles aussi rares etéloquentes que le nom desa cave et de son bar : lesZinzins du vin. Ce gars-làest un conteur d’émotionspapillaires et un éleveur devins au long cours et,comme les deux vont de pairdans ses choix œnologiques,on n’est pas déçu du voyagedans cette rue de la Made-leine, qui sent–encore– lesvieilles pierres et les espritslibres au pays du «socialismeutopique» (Charles Fourierest né à Besançon en 1772).

Dans une autre vie, FabriceMonnin aurait pu être bou-langer s’il n’avait pas été dé-goûté par un stage au pays dela baguette informatisée. Ilboit de la bière en étudiant labotanique, puis les cailloux,et découvre le vin et la vignelors de son stage de fin demaîtrise de géologie dans labien nommée vallée du Ver-double dans les Hautes-Cor-bières. «On a fait une visitedans une petite cave coopéra-tive, où le maître de chais nousa expliqué en détails commeil faisait le vin. Je me suis dit“c’est ça que je veux faire”,c’était il y a vingt-cinq ans»,raconte Fabrice. Embauchédans un bureau d’études, ilcommence par s’ennuyer enplanchant sur des sourcesd’eau potable avant d’utiliserson crédit formation à l’Uni-versité du vin de Suze-la-Rousse, où les sommeliers deParis regardent de haut ce

casseur de cailloux qui sor-tira… major de promotion.Fabrice Monnin fait ses pre-mières vendanges chez Mar-cel Richaud (côtes-du-Rhône), qui lui met le pied àl’étrier des vins naturels quine sont encore qu’un ru aumilieu des fleuves pinardiers.Il veut tout voir, tout com-prendre, monte à Paris où ilfricote avec Jean-Pierre Ro-binot qui fait les beaux joursdes cuvées sans sulfite dansson bistrot l’Ange vin. Aprèsun détour au Verre volé, ruede Lancry, il s’en revient àBesançon avec 5 000 francsen poche et un bail précairedans une ancienne boucheriechevaline. «J’ai loué un ca-mion trois jours et on est partiacheter du vin avec ma femme,Momoko.» L’aventure desZinzins démarre avec descartons qui font office debancs et des tables de récup.

Quatorze ans plus tard, le lieune désemplit pas: on vient icise régaler le gosier, les pa-pilles et l’humeur avec lesvins que Momoko et Fabriceaccompagnent dans leurcave pour les «amener à leuroptimum». Et, après s’êtrelancé dans la production«maison» avec des raisinsachetés sur pied dans le Jura,les voilà désormais vigne-rons, là où Fabrice s’est prisd’amour pour le vin, dans lavallée du Verdouble, où lecouple a acquis des vignescentenaires. Au printemps, lecouple ira s’installer parmiles ceps de macabeu, de cari-gnan et de grenache. Sansperdre de vue la cave desZinzins, et d’y apporter en-core de fameuses quilles.•(1) 14, rue de la Madeleine àBesançon. Rens.: 0381812474et www.leszinzinsduvin.com

PARLONS CRUS

«La bonne cuisine, c’est le souvenir»,disait Georges Simenon. Voici ceuxd’une grande dame des fourneaux:

Hélène Darroze. A travers cinquante recettes, elle fait vivreet revivre des femmes qui «ont traversé sa vie» et influencésa cuisine. Il y a les «œufs mimosa» de sa grand­mère Char­lotte; le «chou farci», de son arrière­grand­mère Hortense;le «sandre farci» de sa tante Monique ou encore la «pasta ala carbonara» de mamma Léna. Au­delà du savoir­faire,Hélène Darroze confirme que la transmission en cuisine estaussi une affaire de sentiments et d’âmes qui perdurentdans des saveurs éternelles, comme l’inégalée «saucegrand veneur» de tante Monique. J.D.(1) «Les recettes de mes grands­mères»de Hélène Darroze. Le Cherche Midi, 220pp., 29€.

DES SOUVENIRSPLEIN L’ASSIETTE

COUP DE CŒUR

du département. «J’ai regardé surune carte où étaient les bonnes tables,où je pouvais me positionner. J’ai vuqu’il y avait toute une ceinture de so-ciétés à proximité et j’ai eu le coup decœur pour l’endroit.» Du côté desprofessionnels, personne n’a com-pris sa décision. «Tout le monde m’adit que j’étais fou.»Si la cuisine de l’Auberge des Saints-Pères est un bonheur, son aspect aautant de caractère qu’un plat sur-gelé de supermarché. Au cœur de lazone pavillonnaire de la commune,toutes les petites maisons se ressem-blent et le restaurant ne déroge pasà la règle. «Si on veut un site paumé,on peut pas faire mieux», s’amuse lechef. A l’intérieur, la déco estmoderne, mais sans charme. Ici, onvient pour l’assiette. L’établisse-ment est plein, même en pleine se-maine de vacances au cœur de l’hi-ver. Le plat phare de la soirée : uneépaisse poitrine de cochon fermier.En cuisine, les gros rectangles deviande passent de main en mainaprès avoir été cuits dix-neuf heuresà basse température. Ils sont panésdans une chapelure japonaise àla crevette et aupain («la touche Ca-hagnet»). L’ensem-ble est rissolé etoffre un savoureuxcontraste entre lecroustillant du des-sus et le fondant dudessous. Commeaccompagnement :

un bouquet de légumes, une puréede pommes de terre à boire avec uneécume d’aïoli. L’ultime touche ré-side dans le coulis de homard aveclequel on peut napper le tout.Jean-Claude mène plusieurs vies defront. Il multiplie les interventionsdans les écoles, les collèges et ly-cées. A Stains, il a organisé avecplusieurs lycéens un atelier en cinqétapes: «On a cuisiné des plats allantde la préhistoire à nos jours», sou-rit-il. Lui ne sert pas de discours«Bisounours» aux enfants, au con-traire. Quand il débarque dans uneclasse où les élèves sont peu enclinsà faire des efforts, il leur «rentredans la gueule», dit celui qui se pro-clame antimilitariste et ne supportela hiérarchie que quand il ne la subitpas. «Il faut de l’ordre, de la disciplineaux gosses, c’est ce qu’ils cher-chent», lâche-t-il, entre deux gueu-lantes sur le commis aux légumes,qui s’évertue à s’agiter pour mon-trer sa bonne volonté. Avec ses ap-prentis, «c’est de la sélection natu-relle» : «Je les teste, s’ils n’aimentpas, ils s’en vont.»Fournissant le plus souvent matérielet ingrédients, le chef est aussi unhabitué des interventions en maisonde retraite. Lors d’une de ces sor-ties, il a appris aux convives à dévei-ner un foie gras. Et il ne s’arrête paslà. Il donne aussi des cours à desmères des quartiers. «Elles viennentdu monde entier. Moi, j’arrive avecmes ustensiles. Et je les engueule.»Ces interventions, Jean-Claude Ca-hagnet les fait gratuitement. Il se ditni de droite ni de gauche. Dernierprojet en date: faire, dans les joursqui viennent, un repas pourles 35 personnes qui encadrent lesRestos du cœur à Aulnay.Hors parti politique, mais pas aso-cial: le cuistot s’est beaucoup impli-qué avec l’Association des centressociaux d’Aulnay (Acsa). En dé-cembre 2013, il a organisé un repasde réveillon pour 15000 personnes.Dans l’une des galeries du centrecommercial O’Parinor, foie gras,noix de Saint-Jacques, volaille ethomard ont été offerts aux habitantsd’Aulnay pour 5 euros. Mais cetteimplication avec les services sociauxde la mairie est mal perçue par cer-tains de ses clients. «Quelques per-sonnes m’ont dit qu’elles ne mettraientplus les pieds chez moi parce quej’étais du côté de la mairie» qui, àl’époque, était de gauche. Lui l’as-sure, il a fait ça «parce que c’est nor-mal. C’est aussi simple que ça».

«SAISONS». L’été 2013, il avait égale-ment accepté de concevoir un menuà 5 euros pour le restaurant d’Aulnayplage. Carpaccio de saumon, saladed’avocats, crevettes aux agrumes,croustillant de chèvre chaud sur litde mâche framboisée à la betterave,au lieu des traditionnels hot-dogs ou

hamburgers. Exi-geant, même quandil travaille gratuite-ment, il garde surl’expérience un œilcritique. «Ça s’estfait à la dernière mi-nute. C’était pas as-sez pro. Si je recom-mence on va le faire

vraiment sérieusement.» Le cuistotavait tout de même accepté de for-mer deux travailleurs sociaux auxcuisines pendant dix jours.Véritable éponge, Jean-Claude Ca-hagnet cuisine à son image: ouvertsur l’extérieur. «Je n’ai pas un typede cuisine définie et je n’en veux pas.Après, on se perd et on s’enferme. Leseul fil conducteur de ma cuisine, cesont les saisons.» De ses voyages auJapon, il a gardé une influence asia-tique. Pas étonnant, donc, de voirdes tamis chinois superposés sur lesétagères autour de lui. Le chef dé-pose dans l’un d’eux un bar sauvageassaisonné à l’huile de gingembre etcombava, relevé avec une poudre decitron noir iranien. Puis le tout estfumé avec un mélange de sciure debois de hêtre, d’origan, de mentheet d’herbe de Provence. Marqué parl’explosion de la cuisine dite molé-culaire, il s’y est aussi essayé. «Çaa permis des réussites magnifiques,mais aussi des catastrophes excep-tionnelles. C’était ludique.» Pourun de ses menus, il a ajouté des élé-ments de paella déstructurée, du laitmeringué décliné dans une versionde dessert de restaurant étoilé. Uneinfluence rapportée d’Espagne, oùvit sa grand-mère.Ce partageur a longtemps été unprovocateur. Avant son étoile, ilmélangeait l’huître spéciale à la ge-lée de Schweppes, accompagnant letout d’une poêlée de chipolatas avecdu foie gras. Cuit séparément, cha-que élément était déposé dans unecoupe à cocktail, recouvert d’unechantilly d’ibiscus. Surprenant? Pasvraiment. «L’huître, la chipolata etle foie gras se mélangeaient déjà àBordeaux il y a des centaines d’an-nées. Je n’ai rien inventé. Une recettedoit être dégustée, pas intellectuali-sée.» «L’idée, c’était de construire unpont gustatif entre deux éléments dontl’alliance était improbable.»A sa carte, on débusque un veloutéde petits marrons avec une essencede chocolat épicé et une chantilly defoie gras. Disposé sur une assietteronde dans un bocal, le tout ressem-ble à un cappuccino bien frappé.Le chef mettra en place un menudécouverte à la mi-janvier. «Il y alongtemps que j’en ai envie. C’est duplaisir pour les clients et pour nous.On cuisine en fonction de la qualité desproduits du moment.»En 2004, année de son étoile, Jean-Claude Cahagnet devient «le Mickeyde la foire. J’ai enregistré 250 passagesde journalistes. Des Chinois, des Bel-ges, des Néerlandais. Ils venaient desquatre coins du monde!» De par sonchoix géographique insolite, le toquédu 9-3 est sollicité pour tout etn’importe quoi. Pendant les émeutesqui ont ébranlé le départementen 2005, l’année qui a suivi sa sou-daine notoriété, «un grand quotidienm’a appelé pour avoir mon analyse desévénements», dit-il, l’air dubitatif.Dans un autre style, un représentantde guide, au détour d’une conversa-tion lui donna un jour ce conseil :«Quand on ouvre un magasin Vuitton,on le fait dans le triangle d’or.» Luis’en fiche. «Je suis ici chez moi», as-sure-t-il dans sa petite cuisine. •(1) 212, avenue de Nonneville, 93600Aulnay­sous­Bois. Rens.: 0148666211.

PARIS

SEINE-ET-M

ARN

E

VAL-D’OISE

VAL-DE-

MARNE

HAUTS-DE-

SEINE SEINE-SAINT-DENIS

3 km

Bobigny

PARIS SAINT-DENISSAINT-DENISSAINT-DENIS

Aulnay-sous-Bois

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 FOOD NEXT • 47

Page 48: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

L e quartier de Nouville, à Nouméa,offre un toporama tel qu’on pour-rait y passer toute une vie sans ensortir. Pêle-mêle, on trouve en ef-

fet sur la presqu’île un lycée, l’universitéet son campus, des installations portuai-res, les vestiges de l’ancien bagne, l’actuelcentre pénitentiaire, un théâtre, un hôpi-tal psychiatrique, le Sénat coutumier… Etl’édénique Sunset : en fin d’après midi,lové au cœur d’une végétation luxuriante–et encadré de petits bidonvilles–, le spotgarantit une vue imprenable sur le

coucher de soleilqui, après avoir irisél’océan, tire sa révé-rence dans le loin-tain. Un éblouisse-ment presquequotidien en Nou-velle-Calédonie, di-gne du plus carica-tural des clichés, audétail près que le

Sunset n’est pas un lieu si commun, puis-qu’il s’agit d’un nakamal.Un nakamal? Quèsaco? Importé de l’ar-chipel du Vanuatu, où sa fréquentation,réservée aux hommes, repose sur descroyances ancestrales extrêmement codi-fiées, le nakamal est un espace commu-nautaire dédié à la consommation d’unbreuvage singulier : le kava. Quèsaco(bis)? A ne surtout pas confondre avec lecafé, en dépit d’une phonétique traîtresse,il s’agit d’une décoction qui possède despropriétés diamétralement inverses decelles du petit noir, puisqu’on la con-somme pour se relaxer. Une forme de dé-

fonce light en somme, localement tolérée,là où d’autres territoires comme la France,la Grande-Bretagne ou la Suisse la prohi-bent (risques d’atteinte hépatiques, seloncertaines études médicales controver-sées), tandis que l’Australie songe à fairede même mais cette fois en invoquant desquestions de trafic illégal.

LOUPIOTE ROUGE. Sillonner la Nouvelle-Calédonie sur la piste du kava n’interditpas de jouir des mille et un trésors envi-ronnementaux de cet archipel verdoyant(palmiers, cocotiers, banians, niaoulis… àl’infini) cerné par la deuxième plus grandebarrière de corail au monde (1600 kilomè-tres). Au contraire, on imagine mal, parexemple, faire le voyage sans con-naître l’expérience intense d’unpique-nique sur la plage, agré-menté par les fréquentes repta-tions de tricots rayés, ces petitsserpents marins au venin mortel(leur morsure équivaut à dix fois celle ducobra royal) mais, paraît-il, sans danger(ou presque) pour l’homme : on les dittrouillards et aussi pacifiques que l’océandans lequel ils vont se restaurer.Moins riche en sensations fortes – le butrecherché étant précisément l’inverse–,le nakamal vaut néanmoins carrément ledétour pour ses vertus ethnologiques in-comparables. C’est en effet le seul con-texte dans lequel Kanaks (les Mélanésienscomposant le peuple autochtone), Caldo-ches (les Blancs installés sur place depuisplusieurs générations), métros (ceux quiy résident temporairement) et Wallisiensse côtoient, a fortiori toutes barrières so-ciales abolies.Le Sunset, les Palmiers, le 21, les Esca-liers… on dénombre plus d’une centaine

de nakamals rien qu’à Nouméa, et quantitéd’autres disséminés partout en brousse.Les lieux ne sont en général pas signalés,sinon parfois par une loupiote rouge, allu-mée quand ils sont ouverts. Le cadre n’a ensoi rien de rutilant: il s’agira d’une sortede paillote, de cabane, voire de salon dejardin sommairement meublé (chaises enplastique, toile cirée) et décoré (statuettesde tiki, affichettes). Il ouvre en fin d’après-midi et ferme… quand le fût est vide.Le kava provient de la racine d’une plante,le piper methysticum, que, dans sa formetraditionnelle, on mâche puis recrache surune feuille de bananier. Les initiés, quil’ont testé au Vanuatu, décrivent un effetbœuf. Plus «tout public», la version calé-

donienne se confectionne à partir durhizome réduit en poudre et conditionné.Servi à la louche pour une somme modi-que (80 centimes d’euro la quantité stan-dard), l’élixir se boit cul sec dans une de-mi-noix de coco évidée. Savonneux,amer, terreux, les qualificatifs employéspour décrire le goût du kava ne sont pastop. Du reste, une fois le liquide ingurgité,on crache dans un long évier, avant derincer le bol et de grignoter n’importequoi (chips, morceau de pomme, bonbon)destiné à estomper la sensation désagréa-ble. Mais pas au point de supplanter les ef-fets ressentis, qui commencent par uneimpression d’anesthésie dans la bouche,antichambre de ce que les exégètes appel-lent le «chant du kava»Vincent Vuibert est de ceux-là. On le ren-

contre dans le nord de la Grande Terre, àKoné. A quelques kilomètres du fameuxCœur de Voh –cette clairière dans la man-grove immortalisée en couverture du livrede Yann Arthus-Bertrand la Terre vue duciel. Chez Jimmy est un nakamal perdu aubout d’une piste en terre bordée dechamps arides, où pick-up et 4×4 conver-gent en fin d’après-midi pour «lever quel-ques shells», selon la formule consacrée.Comme un poisson dans l’eau dans ce dé-cor de Far West, Vincent Vuibert, proftrentenaire et auteur primé l’an dernier enCalédonie pour son roman Chroniques dela mauvaise herbe, détaille le plaisir itératifque lui procure la pratique: «Le kava a cecide plaisant qu’à la différence de l’alcool oudu cannabis, il désinhibe, détend et permetde garder une certaine lucidité, le tout sanscréer d’accoutumance. Il favorise la rencon-tre, l’échange, libère l’esprit. En outre, il am-plifie chez moi le plaisir de l’écriture.»

«L’ÂME DU PAYS». «Pour qui souhaite ren-contrer les gens, c’est vraiment au nakamalque se trouve l’âme du pays», renchéritGwen, 260 kilomètres plus bas, à Nouméa,dans un improbable bivouac plongé dansl’obscurité d’une friche en face d’un bâti-ment administratif. Conquis depuis lesprémices underground de la fin desannées 80, cet employé de la fonction pu-blique coanime un webzine, le Cri du ca-gou (1), qui chante notamment les louan-ges de cet «endroit inclassable, garant de lavie sociale». Fin octobre, l’autoproclamé«kava masta» (maître du kava) y a, nonsans fierté, initié Imhotep, l’architecte so-nore du groupe IAM. «Et franchement, jepense que ça lui a plu», commente-t-ild’un sourire connivent. •(1) http://lecriducagou.org

NOUVELLE-CALÉDONIE

Koné

Océan Pacifique

Mer de Corail75 km

Lifou

Maré

Ouvéa

Nouméa

ILES LOYAUTÉ

GRANDETERRE

RACINES Le soir venu,du nord au sud de GrandeTerre, Kanaks, Caldoches,

métros et Wallisiensse rassemblent dans

de petites cahutes, lesnakamals, pour partagerune décoction amère aux

propriétés relaxantes.

Nouvelle-Calédonie

Par GILLES RENAULTEnvoyé spécial en Nouvelle­Calédonie

Servi à la louche pour une sommemodique, l’élixir se boit cul sec dansune demi-noix de coco évidée.

Les bienfaitsde la pause kava

Le kava provient de la racine d’une plante, le piper methysticum. Une fois le liquide ingurgité, on mange quelque chose pour estomper le goût terreux. PHOTOS GEORGES BARTOLI. FEDEPHOTO

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201548 • NEXT VOYAGES

Page 49: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

Y allerAvec 17000 kilomètres à par-courir en environ vingt-cinqheures, se rendre en Nouvel-le-Calédonie tient encore del’épopée moderne. AirFrance ou KLM desservent ladestination via le Japon.

Y dormirNouméa possède de nom-breux hôtels plus ou moinschers sur le front de mer.A Koné, l’Hibiscus est unélégant et récent établisse-ment, depuis lequel il estpossible de survoler le Cœurde Voh en ULM.L’Hibiscus, à Koné. Chambresentre 110 et 160€ environ.Rens.: www.hotelhibiscusnc.com

S’y détendreGrande Terre compte beau-coup de nakamals. Parmieux, à Nouméa, le Sunset, lesPalmiers, le 21, les Escaliers.A Koné, Chez Jimmy.Le Sunset, rue du Contre­Amiral­Joseph­du­Bouzet,Nouville. Les Palmiers, rue deBougainville. Le 21, 21, rue Félix­Broche, Magenta. Les Escaliers,rue du 5­Mai.

Y mangerPrivilégier les produits lo-caux, variés et succulents.A Nouméa, l’Assiette ducagou et l’Astrolabe sont desadresses fiables (mais pasdonnées : autour de30 euros). Et le drapeau bre-ton (!) flotte sur le Rocher,bon bistrot pas cher de crê-pes et de salades qui dominela baie de l’Anse Vata.L’Assiette du Cagou,15, rue Auguste­Brun.L’Astrolabe, baie des Citrons.Le Rocher, Anse Vata.

Y boirePour prendre un verre àNouméa, la Bodega, priséede la jeunesse locale, garantitun coucher de soleil de cartepostale.134, promenade Roger­Laroque.

A faireUne sortie au phare Amédée(à 22 km au large de Nou-méa) ou un simple plongeondans le lagon depuis l’île auxCanards (cinq minutes detraversée) et c’est la pro-messe d’une rencontre avectortues, raies, poissonstrompettes, poissons-perro-quets, voire requins (à poin-tes noires) et tricots rayés.

ÉPOPÉE VERSLES PALMIERS

PRATIQUE

Coucher de soleilà Nouméa. PHOTO FAUSTOGIACCONE. ANZENBERGER.PHOTONONSTOP

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 VOYAGES NEXT • 49

Page 50: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 201550 •

GRA

ND

AN

GLE

Page 51: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 • 51

Elle habite au rez-de-chaussée,une petite pièce unique donnantsur cour qui fait office de cham-bre, salon et salle à manger. Sonmari, qui est resté avec elle «mal-gré tout», est sorti, elle est seuledevant sa télévision, «comme tousles jours» depuis sa sortie de pri-

son. Elle serre la main en tentant de sourire, baisseles yeux. On remarque un peu partout sur les pla-cards des autocollants du dessin animé Ratatouille,et elle explique que ses petits-enfants (deux gar-çons de 6 ans, une fillette de 18 mois) viennent trèssouvent la voir, qu’elle les garde les mercredis etpendant les vacances. L’autre chose que l’on re-marque, quand la conversation réussit enfin às’installer, entre gêne et longs silences, c’est uneacuité forte dans l’attention, une intelligence finedes échanges.

Le plus important infanticideen Europe

Dominique Cottrez a tué huit de ses bébés, en-tre 1989 et 2000, en les étouffant à la naissance.Elle est l’auteure du plus important infanticide ja-mais dévoilé en Europe. Elle fut d’abord un gros

Octuple infanticide

«Je n’avaispas d’autresolution»

titre, et l’indignation de ses voisins au JT –«c’estun monstre»– lorsque les corps cachés furent dé-couverts, le 24 juillet 2010. Elle fut ensuite une ba-taille de juristes, les uns plaidant pour qu’elle soitjugée, les autres pour que soit considéré que lesfaits commis sont trop anciens, donc prescrits. Elleest aujourd’hui l’incarnation d’un changementdécisif de jurisprudence : le 7 novembre 2014, laCour de cassation a estimé que devait être appli-quée à son cas une lecture inédite de la loi, per-mettant malgré l’ancienneté des faits l’organisa-tion d’un procès, prévu du 25 juin au 2 juillet.Où sont les mots pour demander à une femmepourquoi elle a tué ses huit bébés ? Où sont lesmots pour expliquer que l’on a rencontré cettefemme et que l’on a été touchée par sa détresse?En ce début janvier, les routes et les champs duPas-de-Calais sont gris et gelés, et la petite villede la périphérie lensoise où habite DominiqueCottrez, malgré les décorations de Noël encorependues, ne fait pas exception à la lugubre im-pression. Que fait-on là ? Voilà quatre années etdemie que l’on suit, par décisions de justice inter-posées, le sort de cette femme, 50 ans aujourd’hui.Monstre, fait divers, cas psychiatrique ou cas dedroit, l’évolution des clichés ne nous a rien apprissur qui est Dominique Cottrez. Alors on a tenté,il y a longtemps déjà, par l’intermédiaire de FrankBerton, son avocat, une première demande pourla rencontrer. Réponse: non. Après deux années

Par ONDINE MILLOTEnvoyée spéciale à LensPhotos AIMÉE THIRION

Après quatre années et demie de bataille juridique,Dominique Cottrez sera finalement jugée cet étépour le meurtre, entre 1989 et 2000, de huit deses bébés, étouffés à leur naissance et dissimulésjusqu’en 2010. Pour la première fois, elle tentede s’expliquer dans «Libération».

DominiqueCottrez, chez elle,

près de Lens,en janvier.

Page 52: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

52 • GRAND ANGLE

de détention préventive, l’ex-aide-soignante viten liberté provisoire depuis août 2012, libre de sesrencontres et de ses mouvements. Mais se sentaitjusqu’ici «trop fragile, trop coupable» pour parlerà un journaliste.On a réitéré la demande et, en novembre, FrankBerton a répercuté un changement. «Puisque lajustice a décidé qu’elle devrait s’expliquer, elle estprête à essayer.» Dominique Cottrez, bien que«très angoissée», allait recevoir pour la premièrefois successivement trois médias, dont Libération.

«Comme si j’étaisdeux choses opposées»

Elle s’assoit derrière une petite table ronde à latoile cirée beige et marron. Elle regarde dans lesyeux. Ne dit rien. Il faut revenir sans cesse auxquestions, elle répond à mots courts, mais n’éludepas. Dominique Cottrez comprend que des habi-

tants de son ancienvillage, Villers-au-Tertre (Nord), desinconnus dans larue, d’autres sur leFacebook de sa fillela traitent d’«hor-reur», de «grossemerde». Ce qu’elle

ne comprend pas, c’est l’inverse : «Que des gensacceptent de m’écouter, que ma psy accepte de mesoigner, que mon avocat veuille bien me défendre.»L’étiquette du «monstre», elle se l’applique touteseule. «Quand je revois ce que j’ai fait. Mais quandje pense à mes deux filles, à mes petits-enfants, c’estdifférent. C’est comme si j’étais deux choses oppo-sées.»Entre 1989 et 2000, Dominique Cottrez a enchaînéhuit grossesses cachées et huit meurtres de nou-veau-nés. Personne, pas même son mari (untemps soupçonné), n’a réalisé qu’elle était en-ceinte, sans doute du fait de sa forte corpulence(140 kilos) et des vêtements amples qu’elle portait.

Auparavant, elle avait accouché d’une premièrefille, E., en 1987, enfant «désiré», dit-elle, et an-noncé à tous dès les premiers mois de maternité.Puis elle était retombée enceinte, grossesse dissi-mulée cette fois, qu’elle n’avait révélée à ses pro-ches «qu’au moment des premières contractions».V. était née en 1988 et Dominique Cottrez avaitsubi «les regards, les reproches… Dans le village, toutle monde me critiquait, disait que c’était anormal, queje n’avais pas pensé à l’enfant». La maternité sui-vante, un an plus tard, est tue jusqu’à l’accouche-ment, seule dans la salle de bains de la maison fa-miliale. Le petit corps, un garçon, est asphyxiédans des draps, emballé dans un sac plastique, en-foui dans sa garde-robe, puis dans le grenier dudomicile de ses parents.«Je savais que j’étais enceinte, dit-elle. Mais je medisais dans ma tête “non, ce n’est pas possible”, etj’essayais de penser à autre chose. Jusqu’au derniermoment, j’espérais un miracle. Que quelqu’un meparle, même si en même temps j’avais peur qu’on medécouvre.» Les psychiatres et psychologues quil’ont examinée évoquent un «engrenage». Il n’ya pas de «déni de grossesse», observent-ils. Pas depathologie psychiatrique. Mais un «processus psy-chopathe». «Pour moi, jusqu’au dernier moment,ce n’est pas un enfant, nous dit Dominique Cottrez.Après, j’ai les contractions, je me rends compte queça va arriver, et là, je n’ai pas d’autre solution…»Aux enquêteurs, aux psys, à nous maintenant, elleessaie d’expliquer pourquoi elle pensait n’avoir«pas d’autre solution» que de tuer ses enfants. Re-vient, en boucle, sa terreur «de tout ce qui est médi-cal. De tout ce qui est… le corps». Et le traumatismede son premier accouchement. Les contractions,très douloureuses, débutent à 5 heures du matin.Se poursuivent jusqu’à 20 heures.A côté de son lit, une sage-femmequi, d’après elle, ne fait que luiparler de son poids. «Elle me disaitque l’enfant était bloqué à cause demon embonpoint, que j’aurais dûd’abord maigrir, que je n’avais faitaucun effort. Elle a ajouté : “Si jevous revois à la maternité pour undeuxième, vous avez intérêt à avoirchangé.”» Après cette journée,

Dominique Cottrez n’est plus jamais allée consulterun médecin, renonçant notamment à se faire pres-crire un moyen de contraception. Les psychiatresparlent d’«une pathologie de l’image du corps». Aurang des «tentatives d’explication», elle évoque en-suite la honte du jugement social sur sa deuxièmegrossesse, cachée jusqu’à la naissance de V. «Je nevoulais plus qu’on me regarde encore comme ça.»

Phobie du corps et effroidu «regard des autres»

Mille fois, elle a entendu les questions qu’on luipose à nouveau sur la contraception, l’avortement,la parole, tous ces chemins qu’elle aurait pu, auraitdû prendre pour éviter l’horreur. Mille fois, elle adonné les mêmes réponses, forcément insatisfai-santes, irrationnelles, parlant toujours de la sage-femme, de sa phobie du corps, de son effroi du «re-gard des autres». Son horrible secret, elle était par-tie pour le garder jusqu’au bout. Si son père n’étaitpas décédé en 2007, si la maison parentale n’avaitpas été vendue, si l’acheteur n’était pas tombé surdeux corps de nourrissons enterrés en bêchant lejardin, elle n’aurait jamais parlé.C’était le 24 juillet 2010. Les nouveaux acquérantsd’un petit pavillon de Villers-au-Tertre décidentde creuser un bassin dans le jardin. Deux sacs-poubelles renfermant deux petits cadavres sontmis au jour. Les anciens propriétaires, Oscar etLouise Lempereur, sont décédés. Les gendarmesinterrogent leurs cinq enfants, qui ont tous grandilà. Dominique, la benjamine, avoue. Et dit que sixautres corps sont dans le garage de sa maison.Ce n’est que sept mois plus tard, début février, in-terrogée une énième fois par la juge d’instruction,qu’elle ajoute avoir été victime d’inceste par son

père. «Je n’arrivais pas à en parler,dit-elle. Je suis timide… Une chosecomme ça, c’est une honte. Et puismon père, je l’aimais. Même s’il afait ça… ça reste mon papa.» Ellea 8 ans au moment du premierviol. «Ensuite, il a recommencé. Pastous les jours, mais moi, j’avais peurtous les jours. Il a arrêté quandj’étais adolescente. Ça a repris aprèsmon mariage.» Elle se tait. Elle

«Je savais que j’étais enceinte.Mais je me disais “non, ce n’est paspossible”, et j’essayais de penserà autre chose. Jusqu’au derniermoment, j’espérais un miracle.»Dominique Cottrez

OCTUPLE INFANTICIDE:«JE N’AVAIS PAS D’AUTRE SOLUTION»

Lille

Mer du Nord

Arras

25 km

PAS-DE-CALAIS

SOMME

OISE

AISNE

NORD

Lens

BELG

Villers-au-Tertre

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 53: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

GRAND ANGLE • 53

pleure. «Là… c’est différent. J’étais adulte donc, aufond, peut-être que j’étais un peu consentante.» Lajuge d’instruction l’a interrogée cent fois, elle nesait toujours pas. «C’est compliqué. A la fois je luien voulais. A la fois je l’aimais. Mon père, juste avantde mourir, il s’est tourné vers moi et il a dit : “Maisqu’est-ce que tu vas devenir ?” Ce sont ses derniersmots. Il pensait que je ne pouvais pas vivre sans lui.Moi aussi, je pensais ça.»Dernière enfant de la fratrie, Dominique Cottreznée Lempereur était, parmi son frère et ses sœurs,la plus proche des parents. Elle a grandi dans unrapport de «grande obéissance» à une mère plutôtsévère et à un père taiseux mais fusionnel, tousdeux agriculteurs. Chaque jour, elle aidait à laferme, «traire les vaches, ramasser les œufs, nourrirles cochons»… Dans les premiers interrogatoiresde l’enquête, elle parlait d’une enfance «heu-reuse». Quand on le lui rappelle, elle secoue la tête.«C’était pas une très belle vie. Mon meilleur moment,c’est l’adolescence. Parce que mon père me laissaittranquille.» Elle dit que c’est «aussi beaucoup»parce qu’elle a eu peur que ses nourrissons soientissus de ces rapports incestueux qu’elle les a tués.Les analyses ADN ont montré qu’ils étaient tousles enfants de son mari.C’est en discothèque, à 18 ans, qu’elle rencontrePierre-Marie Cottrez. «En discothèque, je ne dansaispas, non, bien sûr!» sourit-elle un court instant. Ensurpoids depuis l’enfance, elle se souvient avoir étéde tout temps «très complexée». «J’avais toujoursdes remarques désagréables, les gens se moquaient.En sport, par exemple, ils rigolaient.» Elle n’a «pres-que pas d’amis, aucun petit ami». La bienveillancede Pierre-Marie lui fait l’effet d’un baume miracu-leux. «Pour lui, j’étais une femme comme une autre,ça ne le dérangeait pas que je sois forte. Ça ne l’empê-chait pas de se montrer avec moi, de me donner lamain en ville. Je n’avais jamais connu ça.» Ils se ma-rient deux ans plus tard, en 1985. E. naît en 1987.

«Des gens qui ne parlent pas»Elle admet avoir toujours eu «très peu de conversa-tions» avec son mari, mais aussi avec ses parents,ses filles, avec tout le monde. «On est des gens quine parlent pas.» Après son mariage, elle continueà prendre du poids, tente un régime «qui ne marche

pas». Son mari développe une vie sociale hors dela maison. Pas elle, qui s’absorbe, «surimpliquée»d’après ses patrons dans son travail d’aide-soi-gnante à domicile auprès de personnes âgées, puisenchaîne sur les tâches domestiques. Pas de loisirs,pas d’amis, pas de vacances, à part «une journéeen août pour aller à la pêche». «C’était comme çaquand j’étais petite, dit-elle. J’ai continué.» Les ex-perts psychiatres ont noté chez elle «un sentimentde frustration et de délaissement» grandissant avecles années. Elle leur a confié s’être sentie négligéepar son époux, elle ne veut pas le répéter. «C’étaitnotre façon d’être ensemble. Je ne veux pas dire dumal de lui. J’ai tout fait pour qu’il ne remarque pasmes grossesses, je ne peux pas lui reprocher mainte-nant de ne pas avoir compris. Dans ma tête, je mesuis demandé à plusieurs moments s’il savait. Main-tenant, je suis certaine qu’il n’avait rien vu.»Lorsque son mari et ses deux filles, aujourd’huiâgées de 27 et 26 ans, ont «appris», dit-elle, ils luiont «posé beaucoup de questions». «Mais ils nem’ont jamais lâchée. Mon mari ne me lâchera jamais.Et on est très proches avec mes filles.» V., contactéepar téléphone, confirme. «Même si on n’acceptepas ce qu’elle a fait, c’est notre maman, on l’aime»,dit la jeune femme. «Au début, poursuit V., je luidemandais beaucoup pourquoi. Aujourd’hui, je necomprends toujours pas, je ne sais pas si je compren-drai un jour. Par moments, je lui en veux, par mo-ments non. En fait, je lui en veux, mais je l’aime enmême temps.»V. décrit une mère «très discrète, très aimante, trèsprésente pour sa famille». Une mère «qui veut tou-jours s’occuper des autres et ne s’occupe pas d’elle».Ses anciens employeurs, le service de soins à do-micile de la ville de Douai (Nord), parlent eux aussid’une «perle», d’une «aide-soignante dévouée».«Dès que j’ai fini mon BEP sanitaire et social, ra-conte Dominique Cottrez, j’ai tout de suite su qu’ilfallait que je me dirige vers les personnes âgées. Sur-tout à domicile, la relation est plus intime. Je les écou-tais, ça leur faisait du bien, et moi aussi du coup, çame faisait plaisir. Je leur apportais du bien-être. J’ar-rivais, ils étaient sales, je repartais, ils étaient pro-pres, levés, lavés… Les personnes âgées, elles sontdans le besoin. Et moi, j’aime quand je peux apporterquelque chose aux gens.»

Dominique Cottrez dit qu’en voyant arriver lesgendarmes au mois de juillet 2010, elle s’est sentie«soulagée». Si elle redoute le procès, c’est pourses petits-enfants – «J’ai peur qu’on leur en parleà l’école. Il faut qu’on les prépare.» La prison, enrevanche, ne l’effraie pas. «Ça s’est bien passé lapremière fois. J’y suis en sécurité. La seule chose dif-ficile, c’est de moins voir ma famille.» Son avocat,Frank Berton, s’insurge contre le changementinédit de jurisprudence lié à son cas, répète queles faits sont prescrits et qu’il ne devrait pas yavoir de procès. La Cour de cassation, à l’inverse,a estimé que les crimes ayant été totalement dis-simulés, le délai de prescription ne devait dé-marrer qu’à la découverte des corps. Elle pensejuste que «c’est normal, quand on a commis unechose pareille, d’être jugée». Que l’inverse «ne se-rait pas logique».

«Je voulais les garder»Avec la révélation des faits, elle a découvert, aussi,la culpabilité. «Avant, je ne réalisais pas. Je ne medisais pas que je les avais tués.» Ce qui frappe peut-être le plus, lorsque l’on se penche sur son histoire,c’est à quel point les corps des nourrissons sontrestés proches d’elle, le plus souvent entreposésdans sa chambre, à 2 mètres du lit, les fenêtresouvertes pour masquer l’odeur. Déplacés réguliè-rement, de la garde-robe à la salle de bains et augarage. Elle pleure quand on ose enfin lui dire cela,étranglée par les hoquets. «C’est difficile d’expli-quer ce qu’ils étaient pour moi. C’étaient des bébés.Ils faisaient partie de moi. Je voulais les garder.» Savoix s’étouffe complètement. «L’hiver, quand ilsétaient dans le garage, je pensais à eux. J’avais peurqu’ils aient froid.»Aujourd’hui, bien qu’en dépression, sous traite-ment anxiolytique lourd, cloîtrée chez elle de peurd’être reconnue, Dominique Cottrez se dit «un peuplus heureuse qu’avant», quand personne ne savait.Elle pense toujours à ses nouveau-nés morts mais,dans sa tête, les images ont changé. Ce ne sont plusdes bébés. «Maintenant que les enquêteurs m’ontobligée à me souvenir des années de naissance,je pense à l’âge qu’ils auraient. Je me demande cequ’ils feraient. Je pense à comment ils seraientmaintenant.» •

A gaucheet à droite:

à Villers­au­Tertre,l’ancien village dela famille Cottrez,

dans le Nord.Au centre, dans

la maison oùvivent aujourd’hui

DominiqueCottrez et son

mari, dansla périphérie

de Lens.L’ex­aide­soignante

de 50 ans est enliberté provisoiredepuis août 2012.

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 54: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

PORTRAIT NATHALIE RICHARD

son personnage découvre d’autres états, de plus en plus ter-rifiants, car comment être certain que l’on ne dort pas, lors-qu’on échoue à fermer les yeux? L’actrice est experte dansl’art de la mue et ses énigmes.Pour l’heure, elle a les cheveux ébouriffés, le visage complè-tement dénué de maquillage, les yeux très clairs, la peau fine,une longue doudoune dans les gris, une absence d’afféterie,tel un tableau ouvert à tous les possibles. Comme toutes lespersonnes timides, elle intimide. On ne pense pas lui avoirdemandé combien elle gagne, mais elle répond: «Depuis mesdébuts, je suis payée pareil. Je n’ai jamais augmenté mes tarifs.C’est étrange, non ?»Nathalie Richard est une interprète discrète, qui travaille toutle temps, plutôt au théâtre, toujours dans des spectacles exi-geants, et qui fut remarquée dès ses premiers films, notam-ment dans le magnifique la Bande des quatre, de Jacques Ri-vette, puis une minute dans un film de Jean-Luc Godard,restée, on ne sait pourquoi, gravée dans la mémoire. Avec detelles premières fois, le bal était ouvert. Mais tout se passecomme si l’actrice s’était détourné des rails linéaires de lacélébrité et avait dissocié le dur désir de durer, de l’exposi-tion. Elle a un moment de recul, comme si elle venait toutjuste de remarquer la tension entre son goût du retrait et son

art, qui exige tout de même d’apparaître. «Débutante, je n’aijamais réfléchi à quelle serait ma place. N’ai pas été stratège.Mon parcours s’est plutôt construit sous la forme d’un mobileque comme les marches d’un escalier.» Le mobile a d’abord eucomme pièce mouvante le patinage artistique, auquel elles’adonnait enfant, levée à 4 heures, pour se rendre aux con-cours sur glace. De ces premiers glissements, il lui reste unediscipline et la fluidité des déplacements. Puis, la danse etla musique, la première l’emmenant à New York, pendantun an, dans la troupe de Karole Armitage. Quand elle revienten France, que faire? Le Conservatoire d’art dramatique luipermet de renouer avec les mots. D’où vient-elle? NathalieRichard est aussi vague lorsqu’elle évoque par exemple lemétier de son père, «un industriel», qu’elle est précise sur sontravail. Elle parle de sa fille de 30 ans, «aussi brune que je suisblonde», et dit qu’elle vit plutôt seule tout en ayant longtempsvécu en couple avec le père de sa fille, le musicien et chanteurGhédalia Tazartès.A quoi pense-t-elle, lorsqu’elle est sur la scène? «Les motsentraînent des couleurs, je suis à la fois dedans, et légèrementen surplomb. J’évalue la distance entre le public et moi. Je penseau temps que je laisse entre les phrases. Je suis critique sur monjeu. Tout d’un coup, je me surprends à porter un jugement.»Elle n’a jamais le trac, c’est«toujours un soulagement dejouer». Mais a connu l’oubliponctuel alors même que,par définition, le monologuene permet pas le secoursd’un partenaire. Qu’a-t-ellefait ? «En temps habituel, unblanc est plutôt bon signe. Ilindique qu’on s’est laissé hap-per par ce qu’on joue, sans s’yinstaller. Seule, c’est pluscompliqué d’en sortir. Je mesuis sentie me décomposer. J’ai attendu. Quand je me suis rap-pelé que mon personnage était rattrapé par une chose qu’elle nesait pas nommer, un mot est apparu. Je l’ai saisi et avec lui lereste du texte.» Un temps de réflexion: «Je crois que le blanca surgi parce que j’essayais d’être en avance sur ce que je jouais.Dans une pièce de Shakespeare, il est possible de se donner desobjectifs en parcourant mentalement les actes. Pas avec le mono-logue de Murakami.» Le soir, elle ne s’attarde pas au théâtre.«Le spectacle [la] laisse dans une drôle de temporalité. Pas assezloin dans la nuit.»Nathalie Richard provoque spontanément des commentairesenthousiastes. «Quelque chose de Delphine Seyrig !» dit Ar-naud des Pallières, qui lui confia une longue et étonnantescène d’amour dans Parc, où «elle se jeta vaillamment».Olivier Assayas évoque son «extrême singularité», tandis queStéphane Batut, directeur de casting, dit que «rien ne lui estimpossible». Pourtant, les financiers du cinéma ne misent passur son nom. De sa bouche, une foule de cinéastes dont ona peu ou pas du tout vu les films surgissent de l’obscurité,tapis on ne sait où, qui laissent penser que l’underground estloin d’être mort en France, mais ne se fraye pas d’existenceen salles. Ainsi, note-t-on Notre-Dame des Hormones, de Ber-trand Mandico, ou A bas bruit, de Judith Abitbol, où elle jouetous les rôles. Nathalie Richard: «On pense de plus en plus àla place du public, on présuppose ses attentes. Les films qui ontbesoin de temps pour s’installer disparaissent immédiatement.La pratique artistique est morcelée.»Son seul luxe est le temps. Par exemple, celui de se rendormir«exprès» le matin, «pour rêver». Elle lance, comme si c’étaitbanal: «J’ai fait, pour la première fois, une recherche sur Googleen 2014.» Elle a tout de même réussi à envoyer un mail l’an-née dernière! Pour la joindre, elle conseille le bottin. Lit dupapier, et renoncera à la presse quand celle-ci sera unique-ment sur écran. Peut-être est-ce dû à sa formation de dan-seuse. Quand on a pris le pli de penser en bougeant, on saittrès bien que la fantaisie, donc la pensée, n’est pas dissociabledu corps en mouvement.Paris, 7 janvier, sur scène, jour de l’attentat à Charlie Hebdo.«Si la mort n’est pas un état de repos, quel salut espérer danscette vie imparfaite et éreintante?» «J’étais bien obligée de jouer.Je pensais aux morts, et aux blessés, à Philippe Lançon [journa-liste à Libération, ndlr] qui était venu voir le spectacle. Je mesuis demandé s’il fallait que j’adresse le texte autrement. Defait, non.» Depuis, chaque soir, l’écoute les charge d’uneautre résonance. •

Par ANNE DIATKINEPhoto FRÉDÉRIC STUCIN

EN 5 DATES

6 janvier 1962 Naissanceà Paris. 1988 La Bande desquatre (Jacques Rivette).1996 Irma Vep (OlivierAssayas). 2002 Met enscène le Traitement,de Martin Crimp. Jusqu’au24 janvier 2015 Nuitsblanches, d’après HarukiMurakami.

P aris, jour de l’an, les cafés sont pleins, les rues sontvides, les immeubles du VIe arrondissement éteints.On marche vite dans le froid, on n’a pas le souvenirde lui avoir demandé son âge, et elle lance, un peu

abrupte, joyeusement: «Je suis née le 6 janvier 1962, j’ai 53 ansdans une semaine, et je suis très contente de vieillir !» «Quellechance», pense-t-on très fort. Un air interrogatif perce lesilence car elle poursuit: «Oui, contente! Je trouve que je pro-gresse. Le pire, c’est lorsqu’on vous demande de refaire sanscesse quelque chose qui a marché précédemment.»Paris, jour de torpeur et de relâche. La semaine, entre19 heures et 21h10, Nathalie Richard est seule sur scène dansune adaptation de Sommeil de Haruki Murakami, au théâtrede l’Œuvre. Un monologue où elle incarne une jolie madamemariée à un dentiste qui, brutalement, est privée de sommeil.Des insomnies? Non. Plutôt un genre de double vie, qui per-met à l’épouse modèle de s’échapper de son quotidien sansque rien de son exaltation nocturne ne modifie la routine.Le verbe «incarner» convient au sens propre à l’actrice quirosit et change de peau sous nos yeux, au fur et à mesure que

La discrète et talentueuse comédienne interprète au théâtreune héroïne de Murakami à la double vie nocturne.

La veilleuse de nuit

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015

Page 55: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

Libérationest unepublication du GroupePMPDirecteur général Pierre FraidenraichDirectrice Marketing et DéveloppementValérie bruschini

Libérationwww.liberation.fr11, rue béranger 75154 Pariscedex 03 tél. : 01 42 76 17 89 Edité par la SarLLibération SarL au capital de 15 560 250 €.11, rue béranger, 75003 ParisrCS Paris : 382.028.199Durée : 50 ans à compter du 3 juin 1991. associés:Sa investissements Presseau capital de 18 098 355 €et Presse MediaParticipations SaS aucapital de 2 532 €.

CogérantsLaurent JoffrinFrançois Moulias

Directeur opérationnelPierre Fraidenraich

Directeur de la publicationet de la rédactionLaurent Joffrin

Directeur en chargedes EditionsJohan Hufnagel

Directeurs adjoints de la rédactionStéphanie aubertalexandra Schwartzbrod

rédacteurs en chefChristophe boulard (tech.)

Directeurs artistiques alain blaiseMartin Le Chevallier

rédacteurs en chef adjoints Michel becquembois (édition)Lionel Charrier (photo)Jacky Durand (société)Matthieu Ecoiffier (pol.)Jean-Christophe Féraud (éco-futur)Elisabeth Franck-Dumas(culture)Luc Peillon (économie)Marc Semo (monde)richard Poirot(éditions électroniques)Sibylle Vincendon etFabrice Drouzy (spéciaux)

Directeur administratifet financierChloé nicolas

Directrice Marketing et DéveloppementValérie bruschini,

Service commercial [email protected]

[email protected] abonnement 1 anFrance métropolitaine : 391€.

PubLiCité Directeur général deLibération MédiasJean-Michel Lopestél. : 01 44 78 30 18 Libération Medias. 11, ruebéranger, 75003 Paris. tél. : 01 44 78 30 67amaury médias25, avenue Michelet93405 Saint-ouen Cedextél.01 40 10 53 [email protected] annonces.Carnet.

iMPrESSionMidi-print (Gallargues), PoP (La Courneuve)

imprimé en France Membre de oJD-DiffusionContrôle. CPPP: 1115C 80064.iSSn 0335-1793.

La responsabilité du jour nalne saurait être engagée encas de non-restitution dedocuments .Pour joindre un journalistepar mail : initiale dupré[email protected]

Strasbourg

Dijon

Lyon

Toulouse

Bordeaux

Orléans

Nantes

Caen

Brest

Lille

Paris

MontpellierMarseille

Strasbourg

Dijon

Lyon

Toulouse

Bordeaux

Orléans

Nantes

Caen

Brest

Lille

Paris

MontpellierMarseille

Nice Nice

Strasbourg

Dijon

Lyon

Toulouse

Bordeaux

Limoges

Orléans

Nantes

Caen

Brest

Lille

Paris

MontpellierMarseille

Nice

Ajaccio

NuageuxSoleil Couvert FaibleModéréFort

CalmePeu agitée

AgitéeAverses Pluie

Éclaircies

Orage

0,6 m/10º

LLEE MMAATTIINN La perturbation de la veillequie le pays par l'est en donnant depetites chutes de neige jusqu'en plaine.Éclaircies ailleurs avec brouillards fré-quents et givrants au nord-ouest.

LL’’AAPPRRÈÈSS--MMIIDDII Des giboulées se déclen-chent près de la Manche et de l'Atlan-tique. De faibles chutes de neige seproduisent en montagne. Soleil et nuagesalternent dans les autres régions.

-10°/0° 1°/5° 6°/10° 11°/15° 16°/20° 21°/25° 26°/30° 31°/35° 36°/40°

FRANCE MIN/MAX

Lille CaenBrest NantesParis Nice Strasbourg

FRANCE MIN/MAX

Dijon Lyon Bordeaux Ajaccio Toulouse Montpellier Marseille

SÉLECTION MIN/MAX

Alger BruxellesJérusalem LondresBerlinMadrid New York

Neige

0,3 m/10º

0,6 m/14º

0,3 m/14º

1 m/14º

SAMEDI

La moitié nord du pays est soumise à untemps perturbé avec des pluiesintermientes. Il peut localement s'agirde neige au nord de la Seine.

DIMANCHE Dans un flux de nord-ouest, c'est untemps frais qui domine avec un risqued'averses, parfois neigeuses jusqu'enplaine.

LUNDI

0,3 m/15°

1 m/11º

0/61/7

3/108/132/9

3/104/10

10/13-1/5

6/150/63/7

-2/8-9/0

3/7-1/7

5/100/92/8

5/151/7

1 m/10º

0,1 m/10º

1,5 m/14º

0,6 m/11º

1 m/14º

0,6 m/10º

0,3 m/10º

0,3 m/14º

0,6 m/11º

1 m/11º

IIPP04

91

27 0

1 16

OO

UU

II

EE

EE

SS

UU

CC

OO

CC

TT

NN

EE

UU

EE

OO

NN

CC

UU

II

CC

SS

UU

DD

NN

UU

TT

DD

OO

UU

2 1 3 4 7

4 1 2 6 8

6 3

8 5 1 7

4 7

7 6 3 1 4 9

9 2 8 3 6 4

7 4 9 2

4 9

SUDOKU FACILE

MOT CARRÉ SUDOKU

Comportements.

MOT CARRÉ

9 5 4 6 2 7 1 8 3

6 8 7 3 1 5 9 2 4

2 1 3 4 8 9 5 6 7

4 9 5 1 3 2 8 7 6

8 3 6 5 7 4 2 9 1

1 7 2 8 9 6 3 4 5

3 6 9 7 5 8 4 1 2

5 4 8 2 6 1 7 3 9

7 2 1 9 4 3 6 5 8

TT

RR

II

SS

DD

EE

AA

CC

PP

PP

EE

SS

CC

TT

AA

II

DD

RR

CC

AA

DD

II

RR

PP

TT

SS

EE

RR

CC

AA

EE

SS

II

PP

TT

DD

EE

DD

TT

RR

PP

CC

SS

AA

II

II

SS

PP

DD

AA

TT

RR

EE

CC

DD

TT

CC

PP

II

SS

EE

RR

AA

SS

PP

RR

AA

EE

DD

CC

II

TT

AA

II

EE

TT

CC

RR

DD

PP

SS

IMMOBILIER

REPERTOIRE ENTRENOUS

JOURDE FÊTE

MESSAGESPERSONNELS

[email protected]: Tél: 01 40 10 51 66

[email protected] Contact: Tél: 01 40 10 51 66 [email protected]: Tél: 01 40 10 51 66

ANNONCES [email protected] Contact: Tél: 01 40 10 51 51Libération est officiellement habilité pour l’année 2015 pour la publication des annonces légales et judiciaires pararrêté de chaque préfet concerné dans les départements : 75 (5,49€) - 91 (5,12€) - 92 (5,49€) - 93 (5,49€) - 94 (5,49€)tarifs HT à la ligne définis par l’arrêté du ministère de la Culture et la Communication de décembre 2014.

Le Wind Oléron Club convoque ses adhérents aux AssembléesGénérales Extraordinaires vendredi 30 Janvier 2015 à 10.00 H, ausiège; à défaut de quorum la même AGE est convoquée dimanche15 février 2015 à 09.30 H, Office de Tourisme 17550 DOLUSd’OLERON. Ordre du jour: adoption des nouveaux statuts modifiés.L’Assemblée Générale Ordinaire se tiendra dimanche 15 février 2015à 10.30 H même endroit.

Insertions diverses

Ma blonde. Bonanniversaire ! 9 ans déjàd'amour et d'eau fraîche.Je t'aime ! Ton brun.

Jeune antillais 45 ans cherchefemme sdf seule pour vie à 2.01.46.31.61.23

A VOTRE SERVICE

DIVERS RÉPERTOIRE

ECRITUREDEVOTREBIOGRAPHIE,CORRECTION DEMANUSCRITS,TOUT REWRITING PARPROFESSIONNEL.bernard-marie.garreau@wanadoo.frwww.garreau123.frTél. : 02 38 37 15 01ou06 87 35 24 91

Disquaire sérieux achètedisques vinyles 33t/45t.Pop/rock, jazz, classique,...Grande quantité préférée.Déplacement possible.Tél. : 06 89 68 71 43

LIVRES - REVUES

LIBRAIREACHETE :Livres modernes, ancienspléiades,bibliothèques,service de presse.Me contacter :068043 82 70

CARNET DE DÉCORATION

ANTIQUITÉS/BROCANTES

Estimation gratuiteEXPERT MEMBRE DE LA CECOA

[email protected]

06 07 03 23 16

Tous sujets, école de Barbizon,orientaliste, vue de venise,

marine, chasse, peintures degenre, peintres français &

étrangers (russe, grec,américains...), ancien atelierde peintre décédé, bronzes...

XIXe et Moderneavant 1960

Achètetableauxanciens

VENTE

MULTI SURFACES

Universités américainescherchent appartements àvendre à Paris ouestContact : 06 51 14 50 06

À P A R T I R D U 0 1 J A N V I E R 2 0 1 5

est habilité pour toutesvos annonces légalessur les départements75 - 91 - 92 - 93 - 94

Votrejournal

Renseignements commerciaux de 9h00 à 18h00 au 01 40 10 51 51

NOUVEAU

ou par email : [email protected]

La reproduction de nos petitesannonces est interdite

Notre rencontre futimprobable, nos vies sontinaliénables, notre amour nepeut être qu'étonnant. Love

Recherche femmes pratiquantsdes sports ou boulotsd''homme'' pour des portraitspour mon projet photo. Sarah06.77.91.12.92.

JEUX_17:LIBE09 16/01/15 16:34 Page1

LIBÉRATION SAMEDI 17 ET DIMANCHE 18 JANVIER 2015 MÉTÉO­JEUX­ANNONCES • 55

Page 56: Liberation WEEK-EnD Du Samedi 17 Dimanche 18 Ja

Location longue durée sur 36 mois. 1er loyer 2.999 € et 35 loyers de 289 €.

Offre valable du 1er janvier au 31 mars 2015.

*Exemple pour une Audi A3 1.6 TDI 110 ch BVM6 Attraction en location longue durée sur 36 mois et pour 45000 km maximum, hors assurances facultatives. **Garantie 2 ans + 1 an

de garantie additionnelle incluse. Offre réservée aux particuliers chez tous les Distributeurs présentant ce financement, sous réserve d’acceptation du dossier par Volkswagen Bank

GmbH – SARL de droit allemand – Capital 318 279 200 € - Succursale France : Bâtiment Ellipse – 15 av de la Demi-Lune 95700 Roissy en France - RCS Pontoise 451 618 904 - ORIAS :

08 040 267 (www.orias.fr). ***Forfait Service Entretien obligatoire souscrit auprès d’Opteven Services, SA au capital de 365 878 € - RCS Lyon B 333 375 426 siège social : 35-37, rue

Guérin – 69100 Villeurbanne. Modèle présenté : Audi A3 1.6 TDI 110 ch BVM6 S line avec options : peinture métallisée, Adaptive cruise control, phares à LED, pack extérieur S line et

1 an de garantie additionnelle. 1er loyer 3.799 € et 35 loyers de 449 €. Tarifs au 04.12.2014. Volkswagen Group France S.A. – RC Soissons B 602 025 538. Audi recommande Castrol

EDGE Professional. Vorsprung durch Technik = L’avance par la technologie.

Gamme Audi A3 : consommation en cycle mixte (l/100km) : 1,5 – 7,1. Rejets de CO2 (g/km) : 35 - 165.

À partir de

289 €/mois avec apport*.3 ans de garantie inclus**. Forfait Service Entretien inclus***.

Audi A3. Technologies prédictives.

Avoir de l’allure et savoir l’adapter.

Vorsprung durch Technik