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Va-et-vient 9 novembre 2009, vingtième anniversaire de la chute du Mur de Berlin. Invitée en Allemagne du nord, j’écoute les récits que chacun me fait de son propre 9 novembre 1989. L’une, occu- pée par ses jeunes enfants ce soir-là, se souvient de l’été 1989, quand elle avait ramassé un ours en peluche égaré sur un chemin p assant de Hongrie en Autriche. Un étudiant euphorique trouve honteux que les habitants de l’ouest aient offert des bananes aux arrivants de l’est… avant d’en rire. Âgé de deux ans, il s’était endormi dans la voiture familiale qui r oulait jusqu’ au p assage ouvert entre les deux Allemagne. Est-ce que j’écrivais ce jour-là ? Les dirigeants de nos pays applaudissent au spectacle des dominos géants qui chu- tent sur l’écran de télévision. Au dehors, d’énormes p orte-conteneurs cir culent dans le port fluvial, leurs reflets brouillés par la pluie. J’emprunte le passage carrelé creusé sous le fleuve, croise un couple en tandem, reviens sur mes pas jusqu’aux docks de briques r ouges. L a ville de Hambourg s’est assoupie. Depuis quelques jours, je parle livres, création, devant un public attentif. Trouve plaisir à donner sens et chair à mes tex tes lors de lectures publiques, à surprendre dans un regard une émotion. Étonnée de rejoindre aussi aisément les rives du monde après une période d’écriture, de repli sur moi- même, je vis ces rencontres passagères avec enthousiasme. Heureuse de faire partie de l’humanité ! D’être femme et non l’encre ou la page ! Écrivaine et non personnage ! Lorsque le silence revient, je m’échappe pour aller seule dans la ville étrangère. Fendre la foule, prendre un métro à contresens, être bousculée, voir de mes propres yeux, me laisser gagner par la longue nuit du nor d. Cent projets refont surface. Je ressens l’im- patience de l’isolement, du retour à l’écrit. Ce va-et-vient entre monde et mots, ce mouvement perpétuel entre lecteurs et écri- ture me fait songer à celui des vagues sur un littoral. Il me berce dans le train qui longe la Baltique. Est-ce que j’écrirai demain ? Sylvie Deshors n°247 - décembre 2009 le mensuel du livre en Rhône-Alpes en +++++++++ 9 e Rencontres littéraires de la FACIM, les 4 et 5 décembre à Chambéry, avec l’écrivain et traducteur Georges-Arthur Goldschmidt, qui publie à cette occasion Une langue pour abri (FACIM/Créaphis). Entre Savoie et Haute- Savoie, entre littérature et mémoire, la FACIM continue d’arpenter les lieux et de mêler les publics, proposant à tous ses « Parcours de lectures ». Georges-Arthur Goldschmidt ren- contrera une classe de Terminale, s’entretien- dra avec Pascale Roze et Jean-François Forges, dialoguera avec Assia Djebar… Programme sur www.fondation-facim.fr > www.arald.org les écrivains à leur place édition/p.5 Fage Éditions relance Scala Spécialisé dans l’art et le catalogue d’exposition, l’éditeur lyonnais crée les Nouvelles Éditions Scala pour exploiter le fonds qu’il vient de racheter et lance de nouvelles collections. zoom/p.6 FRAB online Le Fonds régional d’acquisition pour les bibliothèques de Rhône-Alpes crée sa vitrine sur Internet. Entretien. !!!!!!!!!!! Pour l’Arbitraire ! Affiches, bandes dessinées, peintures, sérigraphies… Jusqu’au 21 janvier 2010, L’Épluche-doigts, atelier lyonnais de gravure et de typographie, propose une exposition foisonnante consacrée à un collectif bap- tisé Arbitraire. Ces jeunes illustrateurs et auteurs de bande dessinée ont déjà fait paraître une dizaine de livres, participé à de nombreux salons et publient la revue Arbitrairewww.l-epluche-doigts.com Bibliothèque et handicap « De l’accessibilité des bâti- ments à l’accès aux services, comment appliquer concrète- ment la loi du 11 février 2005 », c’est l’intitulé de la journée organisée par l’ARALD le 11 décembre au musée des Beaux-Arts de L yon. C ette r en- contre s’adresse aux profession- nels de toutes les bibliothèques de la région. Elle a pour objectif d’apporter un éclairage concret sur la loi « pour l’égalité des droits et des chances, la partici- pation et la citoyenneté des per- sonnes handicapées » et sur ses consé-quences pour les biblio- thèques. La journée est organisée en p artenariat a vec les biblio- thèques départementales de prêt de Rhône-Alpes, la DRAC et la Région Rhône-Alpes. Programme et inscription : www.arald.org rendez-vous Carrément ! C’est le retour du Prix des lycéens et apprentis rhônalpins version 2009- 2010. Un événement. Oui, un événe- ment. L’année passée, on s’était ému de l’emballement lycéen pour les romanciers et pour les auteurs de bande dessinée, avec bouquet final au Toboggan, à Décines, et 700 lycéens en délire. En avril prochain, ils seront à peu près 1 000. La Région Rhône-Alpes, qui organise, cherche la salle adéquate… 1 000 à avoir lu les livres, à avoir rencontré au moins un auteur de roman et un auteur de bande dessinée – « un auteur, un vrai… » –, à avoir voté pour exprimer leur préférence au bout de quelques mois. Discussions, travaux, expres- sion… Pascal Garnier et Jung s’en souviennent encore. Question du journaliste le jour de la remise des prix : « Et ça vous a plus de lire tout ça ? » Réponse : « Ah, carrément ! ». (lire p.4) L. B. espèces d’espaces/p.2-3 Sur le paysage Regard croisé sur les paysages urbains à travers une série de publications et une nouvelle librairie d’architecture à Lyon. © Joël Bastard © Maison de l’architecture Automne à Montréal. L’écrivain Joël Bastard, en résidence au Québec, nous envoie un extrait de ses « Carnets de travers » (lire p.11).

livre et lire - n° 247 - décembre 2009

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L'Arald publie chaque début de mois "livre & lire", journal d'information sur la vie du livre en Rhône-Alpes. Ce mensuel de douze pages est un supplément aux revues professionnelles Livres-Hebdo et Livres de France, publiées par le Cercle de la librairie.

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Page 1: livre et lire - n° 247 - décembre 2009

Va-et-vient9 novembre 2009, vingtième anniversairede la chute du Mur de Berlin.Invitée en Allemagne du nord, j’écouteles récits que chacun me fait de sonpropre 9 novembre 1989. L’une, occu-pée par ses jeunes enfants ce soir-là, sesouvient de l’été 1989, quand elle avaitramassé un ours en peluche égaré surun chemin p assant de Hongrie enAutriche. Un étudiant euphoriquetrouve honteux que les habitants del’ouest aient offert des bananes aux

arrivants de l’est… avant d’en rire. Âgé dedeux ans, il s’était endormi dans la voiturefamiliale qui r oulait jusqu’ au p assageouvert entre les deux Allemagne.Est-ce que j’écrivais ce jour-là ?Les dirigeants de nos pays applaudissentau spectacle des dominos géants qui chu-tent sur l’écran de télévision. Au dehors,d’énormes p orte-conteneurs cir culentdans le port fluvial, leurs reflets brouilléspar la pluie. J’emprunte le passage carrelécreusé sous le fleuve, croise un couple entandem, reviens sur mes pas jusqu’auxdocks de briques r ouges. L a ville deHambourg s’est assoupie.Depuis quelques jours, je parle livres, création,devant un public attentif. Trouve plaisir àdonner sens et chair à mes textes lors delectures publiques, à surprendre dans unregard une émotion. Étonnée de rejoindreaussi aisément les rives du monde aprèsune période d’écriture, de repli sur moi-même, je vis ces rencontres passagères avecenthousiasme. Heureuse de faire partie del’humanité ! D’être femme et non l’encreou la page ! Écrivaine et non personnage !Lorsque le silence revient, je m’échappe pouraller seule dans la ville étrangère. Fendre lafoule, prendre un métro à contresens, êtrebousculée, voir de mes propres yeux, melaisser gagner par la longue nuit du nord.Cent projets refont surface. Je ressens l’im-patience de l’isolement, du retour à l’écrit.Ce va-et-vient entre monde et mots, cemouvement perpétuel entre lecteurs et écri-ture me fait songer à celui des vagues surun littoral. Il me berce dans le train qui longela Baltique. Est-ce que j’écrirai demain ?Sylvie Deshors

n°247 - décembre 2009le mensuel du livre en Rhône-Alpes

en + + + + + + + + +9e Rencontres littéraires de la FACIM, les4 et 5 décembre à Chambéry, avec l’écrivainet traducteur Georges-Arthur Goldschmidt,qui publie à cette occasion Une langue pourabri (FACIM/Créaphis). Entre Savoie et Haute-Savoie, entre littérature et mémoire, la FACIMcontinue d’arpenter les lieux et de mêler lespublics, proposant à tous ses « Parcours delectures ». Georges-Arthur Goldschmidt ren-contrera une classe de Terminale, s’entretien-dra avec Pascale Roze et Jean-François Forges,dialoguera avec Assia Djebar… Programme sur www.fondation-facim.fr

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édition/p.5Fage Éditions relance ScalaSpécialisé dans l’art et le catalogue d’exposition,l’éditeur lyonnais crée lesNouvelles Éditions Scala pourexploiter le fonds qu’il vientde racheter et lance denouvelles collections.

zoom/p.6FRAB onlineLe Fonds régional d’acquisitionpour les bibliothèques deRhône-Alpes crée sa vitrine sur Internet. Entretien.

! ! ! ! ! ! ! ! ! ! !Pour l’Arbitraire !Affiches, bandes dessinées,peintures, sérigraphies…Jusqu’au 21 janvier 2010,

L’Épluche-doigts, atelier lyonnais de gravureet de typographie, propose une expositionfoisonnante consacrée à un collectif bap-tisé Arbitraire. Ces jeunes illustrateurs etauteurs de bande dessinée ont déjà faitparaître une dizaine de livres, participéà de nombreux salons et publient la revueArbitraire… www.l-epluche-doigts.com

Bibliothèque et handicap« De l’accessibilité des bâti-ments à l’accès aux services,comment appliquer concrète-ment la loi du 11 février2005 ? », c’est l’intitulé de la

journée organisée par l’ARALDle 11 décembre au musée desBeaux-Arts de L yon. C ette r en-contre s’adresse aux profession-nels de toutes les bibliothèquesde la région. Elle a pour objectif

d’apporter un éclairage concretsur la loi « pour l’égalité desdroits et des chances, la partici-pation et la citoyenneté des per-sonnes handicapées » et sur sesconsé-quences pour les biblio-thèques. La journée est organiséeen p artenariat a vec les biblio-thèques départementales de prêtde Rhône -Alpes, la DRAC et laRégion Rhône-Alpes.

Programme et inscription :www.arald.org

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Carrément !C’est le retour du Prix des lycéens etapprentis rhônalpins version 2009-2010. Un événement. Oui, un événe-ment. L’année passée, on s’était émude l’emballement lycéen pour lesromanciers et pour les auteurs debande dessinée, avec bouquet finalau T oboggan, à Décines, et 700lycéens en délire. En avril prochain,ils seront à peu près 1 000. La RégionRhône-Alpes, qui organise, cherchela salle adéquate… 1 000 à avoir lules livres, à avoir rencontré au moinsun auteur de roman et un auteur debande dessinée – « un auteur, unvrai… » –, à avoir voté pour exprimerleur préférence au bout de quelquesmois. Discussions, travaux, expres-sion… Pascal Garnier et Jung s’ensouviennent encore. Question dujournaliste le jour de la remise desprix : « Et ça vous a plus de lire toutça ? » Réponse : « Ah, carrément ! ».(lire p.4) L. B.

espècesd’espaces/p.2-3Sur le paysageRegard croisé sur les paysagesurbains à travers une série depublications et une nouvellelibrairie d’architecture à Lyon.

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Automne à Montréal. L’écrivain Joël Bastard, en résidence au Québec, nous envoieun extrait de ses « Carnets de travers » (lire p.11).

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ne suivent pas le chantier, maissemblent le précéder, l’ordonner, leconstruire, non seulement à l’inté-rieur de l’image, mais aussi en s’éten-dant au périmètr e urb ain qui setrouve là, coincé en équilibre entreexistence et destruction, entr ematière et habitant, entre machineet travailleur. Car un chantier, c’estaussi de l’espace, c’est aussi de la vie,ce sont aussi des hommes. Le textede Lorette Nobécourt prend sasource à la même confluence. Il par-court les tr aces de la gr effe – quiprend, qui ne prend pas ? – entre cequartier déjà englouti et celui quis’apprête à r enaître. Mémoires enmutation donc, où l’on comprend àquel point ce sont les images quistructurent notre vision de l’espace,

et à travers elles notreappréhension de la villequi change en mêmetemps que nous. L. B.

Mémoires en mutationPhotographies deJacques Damez, texte de Lorette NobécourtÉditions Textuel Album avec carnet « texte »19 € - ISBN 978-2-84597-350-3

Deuxième volume d’une trilogieimages/textes c onsacrée à latransformation du quartier de LaConfluence, Mémoires en mutationprojette une ombr e d’humanitédans un chantier titanesque. Aucœur de Lyon, sur une surface decent cinquante hectares, une gigan-tesque opération d’urbanisme etd’aménagement entend donner unenouvelle vie à un quartier coupé ducentre à cause d’unegigantesque opérationd’urbanisme et d’amé-nagement un peu plusancienne…Les images du photo-graphe Jacques Damez(prix Rhône -Alpes dulivre en 2004 pour sonessai sur Hans Hartung)

Une collection urbaine auxÉditions Stéphane Bachès

Places, planset bergesC’est une collection « portraits ». Aupluriel parce que Lyon requiert diffé-rents angles et que chaque ouvrage –et donc chaque auteur – apporte lasingularité de son regard et de sonapproche. L’aventure éditoriale, pastout à fait préméditée, a commencéen 2007 avec Plans de Lyon (rééditionen 2009), signé Charles Delfante etJean Pelletier. Du plan scénogra-phique, « premier véritable documentcartographique représentant la ville deLyon » et datant du milieu du XVI e

siècle, aux visions présentes et futures

du nouveau quartier en train de seconstruire au confluent, en passantpar les merveilles dessinées par SimonMaupin au XVIIe siècle, le parcours estcaptivant. Pour Stéphane Bachès,il « restitue une évolution vue àtravers les plans et rend compte dela dynamique d’une ville ».Une tentative d’histoire de la repré-sentation de la ville que l’on retrouvedans Places de Lyon, des mêmesauteurs. Un choix de sites qui, seloneux, méritent le nom de « place »,«  une notion ambiguë, à Lyoncomme ailleurs… ». Dernier né decette c ollection, Les Berges duRhône, récit en images de la touterécente reconquête de cet espaceau cœur de la ville. Photos, plans,un retour sur ce chantier urbainde vingt -sept mois, raconté p arValérie Desgrandchamps. Cette collection, avec son format àl’italienne, p ourrait s’ attarderensuite sur les parcs et jardins privésde la ville, complétant ainsi c eportrait kaléidoscopique. L. B.

Collection « Portraits d’une ville »Éditions Stéphane Bachès

www.editionsstephanebaches.com

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les rives duRhône et le Pilatrhodanien…)et mêle p arcspublics et jar-dins privés, lieuxconnus et coinssecrets, terrainsouverts et surfaces inaccessibles.Premier produit d’une politique édi-toriale plus ouverte (qui se poursuitce mois-ci avec un livre consacré àl’architecte et urbaniste Tony Garnier)de la part d’un organisme générale-ment plus f amilier du c onseil et de la documentation technique, l’ou-vrage est une réussite. Il permet aulecteur de pénétrer dans des jardinshabituellement clos et de faire denombreuses découvertes.

Faisant suite à un long tr avail d’inventaire mené par le Conseild’architecture, d’urbanisme et del’environnement (CAUE) du Rhône,association menant des missions deservice public d’information et desensibilisation dans ces domaines,Parcs, jardins et paysages du Rhônes’aventure dans ce monde retiré oùl’on « apprend à converser avec letemps ». Car cet ouvrage traverseallègrement cinq siècles de l’art desjardins, à travers la diversité et larichesse du département du Rhône.Textes de pr ésentation, photosabondantes et de grande qualité,plans, renseignements pratiques,l’exploration se fait par zone géogra-phique (le Beaujolais et le val deSaône ; la plaine de l’Est lyonnais;

Mais surtout, Parcs,jardins et paysagesdu Rhône montre àquel point tous ceslieux de végétationconstituent un patri-moine exceptionnelqu’il c onvient deprotéger et de valori-ser. Du jar din à lafrançaise au cime-tière paysager, de la

premier planroseraie au jar din àl’italienne, du p arcanimalier au jar dind’insertion, du jardinde rocaille au jardinpartagé, l’éventail estimpressionnant, laqualité des photoset la précision destextes toujours à lahauteur. Ce livre offreainsi un p anoramainattendu sur c escréations paysagères,relevant leur impor-tance dans l’esp aceurbain. L. B.

Parcs, jardins et paysages du RhôneSous la direction de Catherine Grandin-Maurin et Mireille LemahieuÉditions du CAUE

du Rhône

300 p., 22 €

ISBN 978-2-912533-17-3

www.caue69.fr

Jacques Damez et LoretteNobécourt : duo pour mémoire(s)

Fleuve,presqu’îleet confluent

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Le CAUE du Rhône et le patrimoine des jardins

Parcs et jardinsQue n’avait-on idée d’un tel patrimoine dormant ànotre porte… Parcs, jardins et paysages du Rhône,publié par le CAUE du département, propose unvoyage exceptionnel en toute proximité.

Le parc du château de La Damette à Irigny.

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Auteur d’un essai remarqué en 2007, L’Homme

spatial, Michel Lussault continue son explorationde « l’espace entre les hommes » et nous livreune réflexion stimulante sur la place sociale dusujet dans le monde contemporain.

Qu’ont en commun des jeunes d’une cité duHavre auxquels on propose un faux hall d’im-meuble en guise d’aire de rencontres, un vieilhomme qui vend à la sauvette des coquillages surune plage du sud de l’Inde, des élèves noirs quidemandent à leur direction la permission des’asseoir, au même titre que les élèves blancs, sousl’arbre de leur école à Jena, en Louisiane ?Commencement de réponse : chacun occupe, outente d’occuper, une place que la société, le pou-voir, leur assigne ou leur refuse, selon le point devue que l’on adopte en de pareilles et non moinsdiverses circonstances. Il s’agit bien évidemmentd’un combat à la fois séculaire et de tous lesjours, et qui n’est pas gagné d’avance, si l’onen croit les « histoires » que nous conte le« géophilosophe » Michel Lussault dans unessai rigoureux et passionnant, vif et vivantajouterait-on volontiers.L’auteur explore ainsi avec une rare acuitél’expérience du théâtre social par la miseen scène du spatial, expérience envisagéecomme une sorte de coupure-lien qui sanscesse nous r assemble et nous sép are :quête et enquête dans et autour d’un« endroit » relationnel des plus complexes,comme le cadre d’une image qui menacerait

/ espèces d’espaces

Les situations que vousdécrivez sont très diverses,socialement et géogr aphi-quement parlant. Plaisir d’ungéographe qui aime à sortirde chez lui, de sa discipline,

ou nécessité de confronter unmonde qui se ressemble autantqu’il est étranger à lui-même ?La variété des situations analyséesreflète simplement la variété dessituations vécues par tout un cha-cun, dans le monde qui est lenôtre. La géographie doit tenircompte de cette multiplicité d’ex-périences, car son laboratoire, c’estla vie des humains au quotidien.

À vous lire, on a l’impressionque tout espace, tout l’espaceentre les hommes est politique.Oui, l’espace est fondamentalement

et tout à la fois une réalité, unproblème et un enjeu politiques,car il est ce qui exprime la dis-tance qui existe entre les êtreshumains ; il n’y a rien de pluspolitique, en toute société, quela régulation de cette distance.

Vous évo quez b eaucoup lefilage, le filtrage, le traçage deshommes qui se déplacent dansle monde d’aujourd’hui, commesi notre intimité spatiale n’étaitplus qu’un leurre.Notre intimité est bien réelle etnous la revendiquons, mais dansle même temps nous tendonsà l’exposer (voir e à l’exhib er,comme dans les réseaux sociauxdu web) de plus en plus. Demême nous revendiquons notredroit à la mobilité, mais notre

souci de sécuriser nos actes etnos déplacements nous pousseà accepter, voire à rechercher lefiltrage et le suivi. Ce sont tousces paradoxes que le géographedoit étudier.

L’homme est-il, globalement, un« spationaute » heureux ?Je ne sais si tout homme et toutefemme sont des sp ationautesheureux, mais ce que je sais c’estqu’une spatialité mal pensée, malassumée peut meurtrir les indi-vidus. Pour le géographe, la ques-tion de la « spatialité heureuse »est donc centrale, car elle nouspousse à réfléchir ce qui permetde rendre les espaces habitableshospitaliers et accueillants pourle plus grand nombre. Propos

recueillis par R.-Y. R.

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Michel Lussault : de la lutte des classes à la lutte des places

La conquête de l’espacede déborder. On songe parfois à la finesse desanalyses de Michel de Certeau sur le quoti-dien, c’est dire.L’enjeu d’une telle lecture est évidemment poli-tique, la position du sujet dans l’espace rimantencore trop souvent avec liberté surveillée (onretrouve bien sûr à l’appui des démonstrationscertaines des thèses de Foucault), et il faut toutel’agilité et la souplesse de l’homme, ce que l’onpourrait appeler son intelligence de la situa-tion, pour le traverser. Perec, cité par l’auteur, ledisait à sa manière : « Vivre, c’est passer d’unespace à un autre en essayant le plus possiblede ne pas se cogner ».En nous proposant, sans jamais nous l’imposer,une « éthique de l’espace habité », Lussault finitpar dessiner une cartographie presque intime denotre monde contemporain, où le désir de singu-larité l’emporte sur le « vivre-ensemble ». Par où

l’on entend mieux dequoi il est question dansle titr e de l’ouvr age :après la lutte des classes, lalutte des places. Hier, l’es-pace solidaire. Aujourd’hui,l’espace en solitaire. Roger-

Yves Roche

Michel LussaultDe la lutte des classes à la lutte des placesGrasset, collection « Mondes vécus »224 p., 16,50 €ISBN 978-2-246-733911

Samedi 12 décembre à 17hRencontre avec Paul Boino, professeurd’aménagement et d’urbanisme à l’universitéLouis-Lumière (Lyon 2), pour la signature du livre écrit sous sa direction : Lyon. La production de la ville (Éditions Parenthèses)

Archipel (centre de culture urbaine)Librairie ArchiLib21, place des Terreaux - 69001 Lyontél. 04 78 69 93 92Ouvert du mardi au dimanche de 13h à 19hNocturne jeudi 19 décembre jusqu’à 22h

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Une nouvelle librairie d’architecture à Lyon

En constructionDepuis la disp arition de la libr airie duMoniteur, en 2008, le livre d’architecture étaità Lyon sans domicile f ixe. Un comble. Aucœur de la ville, ArchiLib vient de remédierà cette regrettable situation.

On ne pouvait guère faire plus central. Sur la placedes Terreaux, la Maison de l’architecture a donnénaissance à un centre de culture urbaine baptiséArchipel, qui regroupe une salle d’exp osition(250 m2), la maquette de la ville que les Lyonnaisconnaissent et, depuis le mois d’octobre, unelibrairie. Une idée de complémentarité au sein dece lieu culturel que Valérie Disdier, directrice dela Maison de l’architecture, défend depuis plu-sieurs années. C’est d’ailleurs elle-même qui s’estengagée financièrement dans la création de cettelibrairie spécialisée, recrutant une responsable,Françoise Vitali, passée par l’INFL avant d’ouvrircet espace livres de 40 m2 consacré à la ville, dansl’ensemble de ses dimensions contemporaines :architecture, urbanisme, mais aussi environ-nement, design et tourisme urbain…Quelque 2 000 références pour commencer etl’envie de tester un éventail de médiations à des-tination des différents publics de ce lieu : les pro-fessionnels, les enseignants, les étudiants, maisaussi les touristes. « Il y a notamment une vraiedemande en matière de développement durableet de tourisme urbain », explique Valérie Disdier,qui entend proposer une politique d’animationalternant local et international. ArchiLib n’en estqu’à ses débuts, mais l’atmosphère de ce lieu trèsagréable est déjà là. La suite est à construire. L. B.

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une librairie et une bibliothèque et,éventuellement, par la réalisationde divers travaux annexes. PourLionel Chalaye, en charge du Prixdes lycéens et des apprentis au seindu Conseil régional Rhône-Alpes,« l’engagement des lycées est pri-mordial ». Celui des lycéens, en toutcas, ne fera pas défaut. L. B.

Nous sommes en décembre et lemarathon littéraire dans les villeset les campagnes de Rhône-Alpess’apprête à reprendre. Cette année,vingt-neuf classes ont été sélection-nées sur une cinquantaine de dos-siers. Il y aura donc environ milleélèves, venus de lycées d’enseigne-ment général, mais aussi de lycéesprofessionnels ou agric oles, ouencore de maisons familiales etrurales, au rassemblement de laremise des prix.Auparavant une cinquantaine derencontres dans les classes aurontété menées, avec pour chaque éta-blissement un budget d’achat delivres, mais aussi et surtout le devoirde préparer activement la venue desécrivains par la lecture et le travaildes œuvres, par le lien établi avec

Chaque année, depuis1999, le mois de marsvoyait fleurir un peu par-tout en France des pro-jets autour du « jeu des

dix mots », dans le cadre dela Semaine de la langue fran-çaise. 2010 marque la fin dela « semaine » et la transfor-mation du jeu des dix motsen une opération annuelle :« Dis-moi dix mots… ».Le choix des dix mots 2010(fait par le ministère de laCulture et l’Or ganisationinternationale de la franco-phonie) s’appuie sur l’idéeque notre langue est en per-pétuel mouvement, qu’elle ne cesse de s’in-venter et de s’adapter, empruntant aussi desmots à d’autres langues. Pour cette édition,en Rhône-Alpes, les différentes initiativesinviteront à « entrer dans la fabrique desmots, pour découvrir comment ils se trans-forment, se façonnent et passent dans le lan-gage courant ». La thématique retenue,« Dis-moi dix mots… dans tous les sens »,sera déclinée librement par les porteursde projets : ateliers d’écriture, expositions,créations multimédia, formations…Une journée de rencontre régionale estorganisée le 8 décembre à Bron (CinémaLes Alizés), afin de faire le point sur ceschangements, inventorier les initiativesen cours, permettre échanges et coopé-rations futures. M. B.

Caravane des dix mots tél. 04 72 12 04 32

Espace Pandora tél. 04 72 50 14 78http://espacepandora.free.fr

Le comité de pilotage du jeu

des dix mots en Rhône-Alpes réunit

la DRAC Rhône-Alpes, la Préfecture

du Rhône, la DRDJS, la Direction

régionale de l’ACSÉ, la Région

Rhône-Alpes, l’Espace Pandora

et la Caravane des dix mots.

L’année dernière, l’affaire s’étaitconclue p ar une apr ès-midiendiablée au Toboggan, du côtéde Décines. Pour cette saison2009-2010, le Prix des lycéens etdes apprentis rhônalpins, orga-nisé par la Région Rhône-Alpesavec le soutien de l’ARALD, serelance avec encore plus d’en-vie et enc ore plus de classesparticipantes. Présentations.

Nous l’avons vu, nous y étions. Près desept cents lycéens debout dans lagrande salle du Toboggan, vociférantà l’annonce des deux lauréats des pre-miers Prix des lycéens et apprentisrhônalpins… Pascal Garnier pour lalittérature et Jung pour la bandedessinée. C e jour -là, p ersonnen’était venu pour rien.

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actualités /prix des lycéens

rapprochements, of fre une visioncontextualisée des documents etpositionne dif féremment notr eregard. Inscrire les collections patri-moniales au cœur des préoccupa-tions contemporaines, faire dialoguerle passé et le présent, telle est l’am-bition de Gryphe. Dialogue qu’il estmaintenant possible de poursuivreavec les auteurs lors des tablesrondes organisées à chaque parution.Nul doute que la prochaine théma-tique, « Vivre et travailler à Lyon auXIXe siècle », suscitera le dialogue.Quant au vent de changement, ildevrait c ontinuer à souf fler en2010, avec la mise en ligne de laversion électronique de la revue.Delphine Guigues

GrypheDécembre 2009n°2372 p., 16 €En vente à laBibliothèque de la Part-Dieu ousur abonnement via www.bm-lyon.fr

Gryphe est la revue de la Bibliothèquede Lyon. Une revue patrimonialecomme il en existe p eu. Pointue etaccessible, elle repose sur un savantdosage de vulgarisation et de réflexion,de textes et d’images. Une formuleréussie puisque la revue va bientôtfêter sa dixième année de parution.Depuis sa création en 2000, Gryphea pour objectif de rendre comptede l’étendue, de la diversité et del’histoire des c ollections de laBibliothèque municipale de Lyon. Undocument, un donateur, une person-nalité ou le récit d’une acquisitionsont les premières pistes d’explo-ration de ce patrimoine écrit etgraphique, entendu au sens large,mais abordé par le détail.L’été 2009 a vu un vent de chan-gement souf fler sur la r evue.Couverture renouvelée, pagina-tion augmentée et surtout pré-sentation du numéro en dossierthématique. Le premier numérode la série « Pouvoir de l’image,images du pouvoir » opère undéplacement du point de vuesur les collections. Il permet des

Catégorie Roman

Stéphane Audeguy, Nous autres(Gallimard)Brigitte Giraud, Une annéeétrangère (Stock)Ahmed Kalouaz, Avec tes mains(Le Rouergue)Iegor Gran, Thriller (P.O.L)

Catégorie Bande dessinée

Fanny Montgermont et Alcante,Quelques jours ensemble (Dupuis)Olivier Tallec et Jean-ChristopheCamus, Negrinha (Gallimard)Alexandre Clérisse, Trompe la mort(Dargaud)Riff Reb’s, À bord de l’étoile Matutine(Éditions Soleil)

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2010

D’hier et d’aujourd’hui/patrimoine

Baladeur

Cheval de Troie

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Du nouveau pour les dix mots

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Nouvelle édition du Prix des lycéens et apprentis rhônalpins

Carrément livres…

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propositions éditoriales, notam-ment pour la jeunesse : un premieralbum, Moi, Iskandar, d’Aube Lebel, quiraconte la vie à la cour de Soliman le magnifique en recourant à unensemble d’enluminures persanes desXVIIe et XVIIIe, vient d’ailleurs de sortir.

Chacun son sentier

Lancée dans les années 80 p ar ungroupe londonien et dirigée en Francepar Chantal Demazière, la marqueavait récemment mis en vente ses col-lections après avoir beaucoup innovésur le marché du livre d’art, notam-ment avec des albums grand publicsur les collections des musées et unecollection petit format d’initiation àl’art intitulée « Tableaux choisis ». Ceslivres présentaient les grands peintres

Avec 170 titres à son catalogue etune trentaine de titres par an, FageÉditions a réussi à imposer son imaged’éditeur éclectique, inspiré par lesdifférents domaines de l’art mais passeulement. On se souvient de seslivres indéfinissables et très réussissur l’aventure de la bande à Bonnot àtravers la pr esse de l’ép oque toutcomme de ses textes inattendusautour de l’art publiés dans la sur-prenante collection « Varia ».Spécialisé dans le catalogue d’expo-sition, Fage Éditions vient de faire l’ac-quisition du fonds Scala et de créer,avec Michel Guillemot, ancien éditeurde Larousse, les Nouvelles ÉditionsScala, qui reprendront en partie lesrichesses de ce catalogue (90 titres surles 120 que comptaient les différentescollections) et feront de nouvelles

ou les gr ands mouvements ar tis-tiques, mais aussi la photographie etle design : « Une collection très bienfaite, très pédagogique, qui nous adonné envie de reprendre le fonds »,commente Gilles Fage, devenu gérantdes Nouvelles Éditions Scala.Nouvelle maquette, nouveau nom debaptême pour la collection, « Sentiersd’art », textes et iconographies mis àjour, les deux premières rééditionssont sorties : La Photographie contem-poraine et L’Art islamique. Il y aura parailleurs quatre rééditions et quatrenouveautés en 2010, avec le soucide garder à la marque Scala soncaractère grand public et pédago-gique. Côté Fage Éditions, qui pro-fite de ce rachat pour changer de

diffuseur-distributeur et passer auCDE-SODIS, on c ontinuera l’anprochain sur d’autres sentiers tou-jours plus inclassables avec une« Collection particulière » – qui portebien son nom – et un premier textede Jean- Christophe Bailly, autr einclassable notoire… L. B.

Aux Nouvelles Éditions ScalaChristian Gattinoni et Yannick VigourouxLa Photographie contemporaine128 p., 14,90 €

Dominique Clévenot, L’Art islamique128 p., 14,90 €

Aube Lebel, Moi, Iskandar, calligraphe de Soliman, 48 p., 14 €

actualités /édition

la librairie du voyage et des culturesdu monde vient combler cette lacuneet profite du flux de clientèle drainépar le centre commercial. Quant aupartenariat avec Décathlon, despasserelles se dessinent entre lesdeux enseignes : la montagne, larandonnée ou la mer, la préparationdes vacances ou des voyages.Audrey Siaux, r esponsable de lalibrairie de Bron, tient cependant àsouligner l’importance d’un fonds quine se limite pas à des ouvrages tech-niques. Si guides et cartes tiennent unebonne place dans les rayonnages, ontrouve aussi de la littérature étrangère,des récits de voyages, des beaux-livres,

Raconte-moi encore la Terre à Bron

La conquêtede l’EstDepuis le 1er juillet, la librairielyonnaise Raconte-moi la Terre aouvert un deuxième p oint devente dans la galerie marchandede Décathlon à Bron, alias le« village Oxylane ». Visite.

Un magasin de sport et une librairie ?On serait tenté de voir là une impro-bable union… Et pourtant, au-delàdes a priori, cette implantation, sou-haitée au départ par Décathlon, faitsens. « C’est un lieu original, dans lazone commerciale de la Porte des Alpesqui est l’une des plus dynamiques del’agglomération », indique l’équipe dela librairie. On noter a sur tout quel’offre en matière de livre était quasiinexistante dans la périphérie Estde Lyon. Avec ses 250 m2, ses 7 500références et ses quatre libraires,

des bandes dessinées, des manuels decuisine… « Nous sommes venus icichercher des lecteurs ». Et des amateursde bonne cuisine… Comme à Lyon,Raconte-moi la Terre – Bron abriteun café-restaurant et un comptoirde vente à emporter, achalandé enproduits frais et/ou bio, et/ou issusdu commerce équitable.Après cinq mois, le bilan est encoreincertain, notamment pour ce qui estdu chif fre de vente de livr es. Maisdevant l’enthousiasme des clients déjàconquis, l’équipe reste optimiste.« Il faut laisser le temps aux gens denous découvrir ». À bon entendeur…Marion Blangenois

Fage Éditions lance les Nouvelles Éditions Scala

L’art et les manièresUne manière de se diversifier tout en restant cohérent, c’est le sensdu rachat du fonds Scala par Fage Éditions, maison lyonnaisespécialisée dans le livre d’art et le catalogue d’exposition.Au programme, des rééditions et de nouvelles collections.

Petits formatset petits prixAvec la collection « Loupiote », lesÉditions du Lampion continuent

de se consacrer à des recueils de récitsou de c ontes, mais c ette f ois lestextes sont plus courts, la forme pluscondensée. Parmi les deux premierstitres, l’un rassemble de nouveauxtextes pour enfants d’un auteur peuconnu, Marcel Moratal ; alors que l’autre,un livre de Mark Twain, témoigne dutravail de réédition d’auteurs anciensmené par cette jeune maison.Par ailleurs, Critères Éditions s’est aussirécemment lancé dans des formats plusréduits avec une collection dédiée austreet art. « Opus Délits » se focaliseradans chaque livre (20 titres par an) surun artiste ou sur un collectif. Parmi lespremiers ouvrages parus, on retiendral’audace du Collectif France Tricot quicrée des scènes pleines d’humour eninstallant ses créations tricotées dansl’espace public. É.P.

Éditions du Lampion, collection « Loupiote »Marcel Moratal, Minusill. de Sophie Barbier, 80 p., 9,90 €ISBN 978-2-917976-06-7

Mark Twain, Journal d’Ève et d’Adam, 88 p., 9,90 €, ISBN 978-2-917976-07-4

Critères éditionscollection « Opus Délits »Aurélie Barnier, CFT, 60 p., 9,90 €ISBN 978-2-917829-15-8

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Raconte-moi la Terre Village Oxylane 332, avenue Général de Gaulle 69500 Bron

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entretien /patrimoinePatrimoine : le Fonds régional d’acquisitionpour les bibliothèques

FRAB : moded’emploiLe Fonds régional d’acquisition pour les biblio-thèques de Rhône-Alpes, qu’est-ce que c’est et com-ment ça marche ? Entretien avec Noëlle Drognat-Landré, conseillère pour le livre et la lecture àla Direction régionale des affaires culturelles,à l’occasion de l’ouverture du site Internet consacré à ce dispositif créé à l’initiative du minis-tère de la Culture et de la Région Rhône-Alpes.

Le FRAB, qu’est-ce que c’est ?Les Fonds régionaux d’acquisition pour les biblio-thèques sont des dispositifs de financement à carac-tère partenarial, alimentés à parité par l’État et lesconseils régionaux, destinés à accompagner l’enri-chissement des f onds p atrimoniaux des biblio-thèques des collectivités territoriales (principalementdes bibliothèques municipales). Les premiers FRABont été constitués dans les années 1990, il en existeaujourd’hui une dizaine en France. Le FRAB Rhône-Alpesa été créé en 1993, avec trois objectifs principaux :compléter les collections existantes de documentsanciens, rares ou précieux ; développer les fonds dansle sens de leur spécif icité régionale ou locale ; assurerl’entrée dans les collections publiques de documentscontemporains (livres de bibliophilie, papiers d’auteurs,fonds constitués, estampes).

À quel type d’établissement le FRAB est-il destiné ?Il est ouvert à l’ensemble des bibliothèques muni-cipales développant des fonds patrimoniaux, sansexclusive d’aucune sorte. Les premières bénéficiairesen sont, logiquement, les bibliothèques municipalesdites « classées » de la région, en raison de leur voca-tion patrimoniale affirmée et de leur responsabilitéparticulière dans le domaine de la conservation (cesbibliothèques sont en ef fet détentrices de fondsappartenant à l’État, principalement issus des confis-cations révolutionnaires après 1789 ; cela concerneen Rhône-Alpes cinq bibliothèques : celles de Lyon,Valence, Chambéry, Grenoble et Saint-Étienne), ainsique, plus largement, les bibliothèques à forte com-posante patrimoniale (outre les précédentes, oncitera notamment Bourg-en-Bresse et Roanne). Maisle FRAB a d’emblée été conçu comme un dispositifouvert à toute collectivité soucieuse d’enrichir sesfonds patrimoniaux ou désireuse de constituer descollections patrimoniales.

Y compris aux établissements de petite taille ?Tout à fait, nombre de bibliothèques de taille plusmodeste conservent – ou constituent – des fonds patri-moniaux de gr and intér êt : ouvr ages anciens etmodernes d’intérêt local, documents iconographiques(photographies, estampes, cartes postales, affiches),cartes et plans, mais aussi ouvrages de bibliophiliecontemporaine et livres d’artistes, etc. De fait, entre1993 et 2009, 22 établissements ont eu recours au FRAB

Rhône-Alpes. On constatenéanmoins ces dernièresannées un resserrementdes bénéficiaires autour d’une petite dizaine d’établis-sements. L’un des enjeux de la création du site Internetest précisément à mes yeux la promotion du dispositifauprès d’établissements qui peut-être se sententinsuffisamment légitimes pour y prétendre ou ignorentles possibilités d’accompagnement proposées pour laconstitution et l’enrichissement de fonds locaux ou defonds de bibliophilie contemporaine.

Existe-t-il des grandes tendances dans les politiquespatrimoniales des bibliothèques révélées à traversles demandes adressées au FRAB ?Pour ma part, je n’identifie pas de tendance générale.Cela me paraît assez logique, dans la mesure où chaquebibliothèque est profondément singulière, par sonhistoire, par son inscription dans un territoire, par lapolitique qu’elle met en œuvre dans le cadre desa collectivité de tutelle, par ses publics, etc. Trèsclairement, cependant, les bibliothèques ont lesouci d’enrichir en priorité les fonds les plus étroi-tement liés à l’histoire du territoire ou à l’histoiresingulière de l’établissement – et donc en cohérenceavec les collections existantes. D’où l’extraordinairevariété des thématiques représentées : fonds d’écri-vains (Stendhal à Grenoble, Roger Vailland à Bourg-en-Bresse, Jules Janin à Saint-Étienne, Jean-ClaudeRenard à Voiron), fonds musicaux (Berlioz à Grenoble,Jules Massenet à Saint-Étienne), histoire du livre,franc-maçonnerie, criminologieou ésotérisme à Lyon, histoireindustrielle à Saint -Étienne,textile à Lyon, cartes anciennes àChambéry, éditions vénitiennesà Roanne, documents dauphinois,foréziens, vivarois, savoyards, etc.

Le FRAB et les bibliothèques s’in-téressent-ils au patrimoine écrit endevenir, c’est-à-dire à la productionéditoriale contemporaine ?Cette question est très présente dansles établissements. Hors du cadre duFRAB, les bibliothèques, en tous cascelles d’entre elles qui se dotentd’une mission de c onservation,« patrimonialisent » régulièrementdes portions de leurs collections enrequalifiant des f onds de lectur epublique en fonds de conservationà long terme. Autre exemple dansle domaine des périodiques, à traversle plan de c onservation p artagée

adopté en 2007 par une quarantaine d’établissementset piloté p ar l’ARALD, qui vise pr écisément laconservation à long terme de la pr esse contem-poraine, y compris d’une presse traditionnelle-ment un peu « méprisée » par l’institution (pressede mode, presse sportive…).

Et qu’en est-il de l’édition d’aujourd’hui ?Dans le cadre du FRAB, on constate une forte atten-tion portée à la bibliophilie contemporaine. Ce termeun peu flou recouvre un ensemble constitué d’ou-vrages ayant en c ommun la qualité plastique etesthétique, et l’intervention d’un artiste, associé ounon à un écrivain ou à un texte littéraire. Une quin-zaine au moins de bibliothèques acquièrent plus oumoins régulièrement des ouvrages de ce type dansle cadre du FRAB, dont certaines ont développé desfonds tr ès imp ortants (Annecy , R oanne, L yon,Grenoble, Portes-lès-Valence, Chambéry, Oullins, plusrécemment Saint-Priest). Ce domaine, au cœur de lacréation contemporaine, à la frontière du livre et desarts plastiques, est particulièrement intéressant àexplorer. Nous réfléchissons d’ailleurs actuellementavec l’ARALD à la possibilité de constituer, peut-êtredans le cadre du site Mémoire et actualité en Rhône-Alpes, un portail dédié aux collections de bibliophiliecontemporaine et de livres d’artiste de Rhône-Alpes.http://frab.rhone-alpes.culture.gouv.fr

Budget annuelentre 45 000 et 60 000 €

FinancementDRAC et Région Rhône-Alpes

Documents acquis ouvrages anciens et de bibliophiliecontemporaine, livres d’artistes, cartespostales, photographies, estampes,cartes et plans, objets…

Plusieurs milliers de documents ont intégré les collectionspatrimoniales des bibliothèques de la région avec l’aide du FRAB

Codex Oceanicus de Kenneth White et Richard Texier. Éditeur : Robert et Lydie Dutrou, 1999. Bibliothèque municipale de Portes-lès-Valence.

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regards

Pour Mohammed Lhoussni, il s’agitavant tout de « bâtir des ponts entreprotection de l’enfance et actionculturelle » et de reconnaître la placede la culture dans le développementde l’individu : «  On sait que ladimension culturelle joue un rôledans les situations de souffrance lesplus extrêmes, et on sait aussi quela littérature peut éviter l’effondre-ment total d’une personne  toutcomme elle peut être en lien avecdes formes de résilience ».Et puis, c ontrairement aux idéesreçues, le directeur de Retis et sonéquipe constatent que, très souvent,

Ouvrir, rencontrer, partager. Un seulélan mais tr ois p erspectives quiconviendraient sans doute pour qua-lifier la politique d’action culturellemenée par Mohammed Lhoussni,directeur de l’association de protec-tion de l’enfance Retis, dont le siègeest situé à Thonon-les-Bains, mais quidispose aussi de maisons à Annecyet à Annemasse, où se déroulerad’ailleurs la rencontre avec ÉlisabethBrami et Patrick Laupin. Des écrivainsdont on sait l’engagement et la com-pétence dans tout ce qui concerne lelien entre littérature et expression,écriture et souffrance.

Chaque mois, retrouvez Géraldine Kosiak, en texte et en image, pour un regard singulier, graphique, tendre et impertinent sur l'univers des livres, des lectures et des écrivains...

Au travailVite !Il est 15h, je suis en trainde taper ce texte sur monordinateur. J’ai un peu froid.Il pleut, l’atelier est sombre.J’allume la lumière.Je n’ai pas vraiment d’horaire,je fonctionne ainsi, par à-coups,au gré de mes sensations. Sij’ai une idée dans la tête, ellem’obsède, m’épuise, et je nedors plus. Finalement, toutecette année, j’ai l’impressionque mes journées se sontdivisées en tr ois p arties :réflexion le matin, écriture etdessin l’après-midi, détente le soir. La gestion du temps me passionne.Chez les autres, surtout. J’aime savoirà quel moment les écrivains travaillent.

J’établis des statistiques qui ne servent pas à grand-chose, sinon à créerdes groupes et des sous-groupes : ceux qui se lèvent tôt, les couche-tard,les méthodiques, les intuitifs, les fulgurants, les lents. Pour être tout à fait

honnête, cela me rassure, parfois.Françoise Sagan n’écrivait pas tous les jours. Elle n’y pensait pasen permanence et il arrivait même qu’elle ne pense à rien. Maislorsqu’elle travaillait, c’était plutôt la nuit. Elle montait dans son

petit bureau, à une heure du matin, quand il n’y avaitplus aucun bruit dans la maison. Question deconcentration et, simultanément, de détente.Elle tournait ainsi autour de son livre, jusqu’àce qu’elle arrive à « rentrer dedans ». Quandcela marchait, elle poursuivait jusqu’à six ousept heures du matin.Une de ses positions préférées pour écrire :allongée sur son canapé. Elle notait tout sur unpetit carnet, d’une écriture illisible et dansante.

Elle reprenait cette ébauche et l’enregistraitsur un magnétophone équipé d’un petit

système permettant d’en modifierla vitesse. Car Françoise écrivaitcomme elle parlait : vite. Plus tard,bande au ralenti, une dame trans-crivait le texte à la machine à écrire.Sans tarder.

Françoise SaganDes yeux de soieStock, 2009

chronique Géraldine Kosiak 9 /

les enfants et les parents qu’ils reçoi-vent lisent. L’organisation d’ateliersd’écriture, la participation au Festivaldu premier roman de Chambéry, lesrencontres avec les écrivains, sontdonc l’occasion, y compris pour lepersonnel et les éduc ateurs, defaire sauter quelques cloisonsentre les mondes et d’ouvrir leslieux sur l’ex térieur af in que lespublics se mélangent. « C’est unemanière de dire que la protection del’enfance est aussi l’affaire de tous »,poursuit Mohammed Lhoussni quisait l’importance du lien à construireentre enfance en difficulté et création.Aux yeux de Sylvie Goutteb aron,directrice de la MEL, ce nouveau cyclede rencontres, qui se déroulera dansdifférentes régions au gré des parte-naires, est une manière de poursuivrela réflexion menée avec les écrivainsautour du sens des rencontres litté-raires, que celles-ci s’effectuent dansle cadre de l’éducation artistique ouplus largement. Une mission réflexive

de la MEL à laquelle sa directrice tientparticulièrement, même si « chaquerencontre se fera en fonction de notrepartenaire et devra être cohérente avecsa propre problématique ». Il ne s’agit donc pas pour la MEL decréer des rencontres supplémentaireslà où les programmes littéraires sontdéjà chargés, mais bien de « travailleravec des acteurs de terrain sur desdomaines de notre compétence danslesquels nous pouvons leur apporterune aide, notamment en faisantvenir des auteurs ». Ce sera donc lecas à Annemasse, où la rencontre sedéroulera en deux temps ; une après-midi avec les enfants et les parentspuis une soir ée ouver te à tous.« Comment dire ? », c’est aussi unefaçon de retrouver tout le sens de larencontre avec des écrivains. L. B.

Cycle « La MEL en région »Mercredi 23 décembre à 14h30« Comment dire ? », rencontre avec Élisabeth Brami et Patrick LaupinAssociation Retis - 1, rue des Vétérans 74100 Annemasse

Retis + MEL = « Comment dire ? »

Le sens de la rencontreEn collaboration avec Retis, association de protection de l’enfanceinstallée en Savoie et en Haute -Savoie, la Maison des écrivains etde la littérature organise le 23 décembre à Annemasse la premièrerencontre d’un nouveau cycle baptisé « La MEL en région ». Invités :Élisabeth Brami et Patrick Laupin.

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Autour des parutions de Joël Vernet

Celui qui a les motsAlors que paraissent deux nouveaux récits,dans lesquels on retrouve sa prose poétique

sensible et profonde, Joël Vernet publie unvolume du journal qu’il tient avec assiduitédepuis près de trente ans. Rencontre avec unécrivain qui « habite poétiquement le monde ».

Comment l’écriture du journal s’inscrit-elle dansvotre travail poétique ?J’ai commencé ce Journal, Le Regard du cœur ouvert,en 1978. Tôt, après les grands prédécesseurs, j’ai suque je ne serais jamais qu’un piètre romancier et qu’àécrire des romans, genre admirable, il fallait se por-ter au sommet. Quand j’ai lu Faulkner et d’autres, jeme suis mis à genoux. L’exigence m’a tué et je mesuis retrouvé les bras vides. Je ne voulais pas com-mettre des savonnettes. J’ai laissé tomber. Que merestait-il ? À peu près rien. Sinon, le poème, la notecourte. Et ma toute petite vie que j’ai arrachée, disons-le, à quelques désastres qui ne se racontent pas. Oui,je suis dans tous mes livres, c’est bien la moindre deschoses, mais-celui-là est un autre, ce tout petit nar-rateur ne pr omène p as son ego, non, à la b ellemanière de Montaigne, j’aimerais ajouter, je suis lamatière même de mon livre, mais pardonnez-moi sicela vous chagrine, je ne peux qu’entreprendre cela.C’est beau aussi, c’est sain d’appréhender ses limites.Donc, la note m’a mis en route, quand j’observais

ou vivais telle ou telle chose, je la ramenais dansmes étroits carnets. Ces carnets furent les pilotisde l’Aventure.

Vos deux récits sont une fois de plus étroitement liésà l’enfance, qui est un motif central de votre univers…Georges Perros avance cette idée qui me plaît bien,idée que j’ai sans doute éprouvée : « l’écrivain n’estjamais que le nègre de l’enfant qui a déjà tout vu ».J’ai vécu vingt ans dans la nature, entre une ferme etune maison de village. Nous vivions là comme depetits sauvages, sauvages qu’on ne rencontre plusque très loin d’ici, loin, heureusement pour eux, trèsloin, mais jamais assez loin de ce modèle occiden-tal de civilisation que l’on s’acharne à exporter par-tout et cette enfance-là, la mienne, ni pire ni meilleurequ’une autre, m’a marqué au fer rouge. La ferveurpour l’enfance n’est pas un infantilisme. Héraclitedisait : royauté d’un enfant. Oui, l’enfance est mon

pays natal car je ne suis qu’un hommedes fr ontières, c elui qui mar che etmarche dans les périphéries, alors il m’afallu garder ces trésors d’enfance contremon cœur et, plus tard, mes enfants,les amis de mes enfants, ont écrit,avec moi, mes propres livres.

Celle qui n’a pas les mots, qui s’inscritdans la tradition des « livres de mamère », est d’une très grande intimité.Vous êtes définitivement un poètedu sentiment…

De l’amour. Pas de plus grande chose que la joie etl’amour surtout lorsque cela vous est enlevé. Si nousposions cette question à ceux qui ont terriblementsouffert, croyez-vous qu’ils iraient rendre hommageà la cruauté, à la barbarie, au cynisme, à la lâchetécollective ! Tout cela est posture de qui n’a jamais ététraversé par l’effroi, la terreur. J’entends les voix quiont marché avec de l’humanité, pas en parole seule-ment, mais dans les actes. Mais nous, tout un cha-cun, sommes-nous dans cette dignité-là ? Celle quin’a pas les mots évoque, en effet, la figure universellede la mère. Elle est de mon petit peuple. C’est grâceà lui que le monde est enc ore debout. Lorsqu’on lesait, eh bien, on le dit. Tous ceux qui liront ce livre yrencontreront, je l’espère, cette force qui fut entravée.Oui, hommage à ceux qui sont au cœur du monde etne le savent pas. Propos recueillis par Yann Nicol

Lire la suite de cet entretien sur www.arald.org

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livres & lectures /récits

essayer de désamorcer l’ouvrage enlui réservant un traitement exclusi-vement sociologique, rien n’y fera,Purulence restera l’acte de naissanced’un authentique écrivain. Il n’estque de voir la façon dont Amoreena

Nulle recherche du coup éditorialderrière la p arution du livr ed’Amoreena Winkler, mais la marquede directeurs de collection (AstridToulon et Lionel Tran) capables derepérer « le » texte nécessaire, fût-ilsigné d’une parfaite inconnue.Ce livre d’Amoreena Winkler,ouvertement autobiographique,relate son enfance passée au seind’une « secte proxénète, pédophileet apocalyptique » (« Les enfantsde Dieu », dont la chorale ira jus-qu’à o ccuper les plateaux deGuy Lux à la f in des années 70avant que n’éclatent les scan-dales). Le récit n’est pas cousude fil blanc, et relègue sans peineles autofictions les plus fameusesde ces dernières années au rangd’aimables bluettes.Le plus troublant, dans la narra-tion de l’auteur, reste son refus dejouer la carte de la victimisation.Certains journalistes auront beau

Winkler enchâsse dans son récit lespréceptes de la secte (véritable cris-tallisation de la paranoïa ambiante),évite tout pathos et parvient à tenirà distance tout ressentiment, lors-qu’elle enchaîne les scènes d’abus.Chaque séquence extraite de sonenfance nomade, elle sait la raconterau présent de l’indicatif, la regarder enface, comme si elle ne craignait mêmeplus de revivre toute cette violence.

Impressionnant.Frédérick Houdaer

Amoreena WinklerPurulenceEgo comme X246 p., 20 €ISBN 978-2-910946-73-8

Le fantôme de l’opéraEncore un objet littéraire non identi-fié à mettre au crédit des éditionsChamp Vallon et de Luc Boltanski, quidonne avec Déluge un opéra sansmusique, mais avec illustrations,puisque le texte est entrecoupé de

planches de bandes dessinées améri-caines des années 40. Un opéra, donc,qui brasse les registres (une comédiedramatique, métaphysique et poli-tique) p our évo quer la plac e del’homme sur la planète et son avenirau sein d’un monde régi par les loisabsurdes d’un néo-libéralisme sau-vage. Composé de trois actes (Noir,Rouge et Blanc), ce texte étonnantinterroge avec beaucoup de finesse lerapport à l’Histoire, la question du bienet du mal ou le devenir possible de lanature humaine à travers le prismed’une « approche mythologique » despersonnages. Une manière de se glis-ser dans un genre que Luc Boltanski,dans sa notic e d’intr oduction,explique ainsi : « En ce sens, Délugevoudrait être à la fois un opéra – unopéra de plus –, et une célébration

de l’opéra en tantque forme et quelégende. » Y. N .

Luc BoltanskiDélugeChamp Vallon126 p., 13 €ISBN 978-2-87673-513-2

L’abus, ici et maintenantÀ chaque rentrée littéraire, son brûlot… Gageons qu’avec Purulence,d’Amoreena Winkler, les éditions Ego comme X vont marquer les esprits.

D.R

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Parutions en 2009

• Le Regard du cœur ouvert

Des carnets 1978-2002

(La part commune)

• Celle qui n’a pas les mots

(Lettres Vives)

• Le Séjour invisible

(L’Escampette)

• Voir est vivre, Carnet des

sept collines (Jean-PierreHuguet Éditeur)

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ANNA CHANEL

Graine d’espoirde Jérôme Le Dorze ;Stéfano Arici, ill.Histoire d’espoir et derenaissance, cet albumraconte la survie d’unegraine dans un contextesombre, prise entre deshommes qui fuient et desanimaux qui errent. Avecde très belles illustrations

au lavis qui mêlent noirceur,brillance et touches colorées.

40 p., 15 €ISBN 978-2-917204-19-1

ATELIER DU HANNETON

Sais pasde Monika DemangeSi l’écriture de l’auteur

toujours beaucoup d’adultes.De grandes illustrationsprésentent les modèles etmarques emblématiquesquand les textes rendenthommage aux fabricantsinternationaux qui les ont fait exister.

collection Jouets d’autrefois368 p., 39,90 €ISBN 978-2-357520-20-2

CHAMP VALLON

Engrenages : anthropologiedes milieux techniques (1)de Jean-Claude BeaunePremier des deux ouvragesdans lesquels l’auteur a souhaité compiler sesréflexions sur le sujet desrelations entre l’Homme et la technique, cette étudeminutieuse mobilise l’histoiredes techniques et des sciences,la philosophie, la sociologie,les mythes et les savoirstechniques. À lire pour trouverpeut-être une réponse à cettequestion : l’automatisme actuelcrée-t-il ou non un nouvel« homme-machine », un « post-humain » ?

588 pages, 15 €

ISBN 978-2-876735-18-7

CHRONIQUE SOCIALE

Comprendre l’impactdes jeux vidéo :potentiels + dangers= responsabilitésnécessairesde Mark Chambler-DubossonCe livre propose uneanalyse des risques commedes bienfaits des jeuxvidéo, ces logiciels entrejouets et exercices dontbeaucoup d’enfants, etd’adultes, ne parviennentque difficilementaujourd’hui à se séparer.

collection Comprendre la société120 p., 10,90 €ISBN 978-2-850087-75-2

parce qu’elle articule d’une façonsingulière vie intime et vie sociale,menus plaisirs du quotidien et del’érudition. Catherine Goffaux-H.

John BergerLa Tendarouge deBologneTraduit del’anglais parPascal Arnaud,dessins de PaulDavisQuidam Éditeur112 p., 15 €ISBN 978-2-915018-37-0

Robert Piccamiglio : dix ans après

Putaind’usine !Dix ans plus tard, le cauchemar estintact. Dans ce très joli livre publiépar les Éditions Encre et Lumière,on retrouve le style et la verve queRobert Picc amiglio a sumettre dans ses Chroniquesdes années d’usine, qui ontparu en 1999. Treize d’entreelles composent ici un che-min de théâtre, une invita-tion à la lecture à voix haute.Il y est question d’usine, detravail, de répétition, de joursqui passent. En attendantquoi ? Rien, nous dit Robert

Piccamiglio dans la pr éface qu’ilcompose dix ans après, alors que lui-même a quitté le monde de l’usinedepuis quelques années : « Dans mamémoire nichent encore ces oiseauxsongeurs, joyeux et insouciants, quiplanquent là-haut, derrière lesdoubles tubes de l’atelier, lourds d’unecrasse millénaire. Je les ai beaucoupobservés, ces oiseaux de l’usine,essayant désespérément de savoircombien de consciences avaient étéici même, en ces lieux, bouffées,avalées, digérées, mais jamais recra-chées. Combien de vies avaient éténiées et combien d’autres le serontencore et encore. Question sansréponse. Superflue. Inutile. »Dedans, dehors, la même âpreté, unseul monde sans égard, peuplé demachines et de répétitions. RobertPiccamiglio écrit son corps à corpsavec le temps qui passe, qui a passé,dans un atelier p ar où la vies’échappe. Aujourd’hui sa voix resteintacte. La souffrance qu’elle faitrevivre, également. L. B.

Robert PiccamiglioMaudites ComédiesDessins d’AdamNidzgorskiÉditions Encre etLumière86 p., 26 €ISBN 978-2-915235-47-3

Dans ce dernier livre, un autre de seschers disparus l’entraîne à Bologne.C’est le plus âgé des frères de sonpère, une personne modeste, fleg-matique et curieuse de tout.À Bologne, il est saisi par l’intensitédu rouge des stores (une tenda, destende) et par ses variantes selon quele soleil les a plus ou moins déco-lorés. Il se procure un métrage de cetissu, pour s’étendre sur l’une desmarches de la Piazza Maggiore oupour s’agenouiller sur le rail en ferforgé qui entoure des sculptures deterre cuite dans l’église Santa Mariadella Vita, ce faisant, pour contenir

la douleur de la perte et entre-tenir la détermination du

souvenir. Le rouge,c’est aussi la

couleur politiquede Bologne, une

ville qui honore lamémoire de ses par-

tisans antifascistes.C’est également la cou-

leur de la P assion et dumartyre, des mar tyrs, tous

« gens ordinaires ».Une f ois enc ore, John Ber ger sedépeint en creux à partir du portraitde cet oncle. Leur conversationsurréaliste et secrète, que favoriseun phénomène acoustique connupresque d’eux seuls dans unancien mar ché c ouvert devenucentre commercial, résonne lon-guement dans notre propre tête,

John Berger et la couleur rouge

La ultimavoltaAprès De A à X, son dernierroman p aru aux Éditions del’Olivier, John Berger nous offreLa Tenda rouge de Bologne etnous entraîne dans les couleursde cette ville italienne, sur les

traces d’un de seschers disparus.

Dans D’ici là(Prix Rhône-Alpes dulivre 2007), John Berger (83 ans),sous le « cyprès lusitanien » d’uneplace de Lisbonne, bavardait avecsa mère décédée depuis 15 ans.À Cracovie, c’était avec l’hommequi lui a tout appris quand il étaitadolescent et qui lui a fait croirequ’ensemble ils pourraient « trou-ver la musique particulière dechaque ville ».

nouveautés des éditeurs

livres & lectures /récits

emprunte des expressions aulangage commun, au domainede la fable et au contepopulaire, elle les détournepour les amener à une sortede cri poétique, une écorchurede l’âme et du corps.

83 p., 16 €ISBN 978-2-914543-18-7

ÉDITIONS STÉPHANEBACHÈS

La Grande Aventure du train jouetde Dominique DupuisCe beau-livre est le premierd’une nouvelle collection trèsnostalgique. Écrit et composépar un collectionneur, il nous entraîne dans l’histoiredu « petit train », cet objet lié à l’enfance qui passionne

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ENS ÉDITIONS

L’Animal sauvage entre nuisance etpatrimoinede Stéphane Frioux etÉmilie-Anne Pépy (dir.)Cet ouvrage rassemble desétudes de cas effectuées pardes historiens, géographeset sociologues en milieuxvariés. Elles mettent enévidence les représentationsque nous nous faisons desanimaux sauvages, qu’ilssoient maritimes oumontagnards, et commentces bêtes sont traitées par les sociétés humaines,de la destruction

à la préservation en passantpar l’exploitation.

collection Sociétés, espaces,temps192 p., 22 €ISBN 978-2-847881-98-1

112 p., 20 €ISBN 978-2-352 210-38-2

LIEUX DITS

Une autre chined’Éric Dessert, photos ;Lucien Bianco, textesLa réalité de la Chine des campagnes, pauvre,silencieuse, travailleuse,

MOSQUITO

E. P Jacobs :témoignages inéditsde Viviane QuittelierPetite fille par allianced’Edgar P. Jacobs (1904-1987),le créateur des légendairesBlake & Mortimer, VivianeQuittelier nous fait part des heures de complicitépartagées avec ce grand-père, dévoilant ainsi unprocessus créatifsurprenant. Photographieset témoignages apportentun éclairage inédit surl’œuvre de celui qui est l’un des pères fondateurs de la bande dessinéeeuropéenne.

335 p., 25 €ISBN 978-2-352830-32-0

ÉDITIONS GUÉRIN

Le Petit Alpinistede Catherine Destivelle et Érik Decamp ; Claire Robert, ill.Parce que la montagne est aussi un terraind’exploration privilégiépour la jeunesse, voici lepremier d’une nouvellesérie de guides. Celui-ciinvite les enfants de 8 à 14 ans à une découverteprogressive de l’escalade,avec des conseilstechniques, des dessinsdidactiques, de bellesimages et des confidencesde Catherine Destivelle, quileur permettront peut-êtrede devenir un jour eux aussi de grands alpinistes.

Sélection des nouveautés des éditeurs de Rhône-Alpesréalisée par Émilie Pellissier

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sœurs, elle s’o ccupe des p ension-naires, vieilles et vieux en attentede la délivrance.La vie de Manière est faite de travauxingrats et de photos de magazines, desouvenirs et de visions, de penséesconfuses et de pressentiments lumi-neux. Joël Bastard leur donne corpsen alternant les points de vue. Myriamraconte elle-même les plongées ver-tigineuses dans le « bazar » de sa têtealors qu’un narrateur élargit notrevision d’un monde lourd de secrets etde non-dits, de violences familiales etintimes, de r agots et de p auvreté.«  J’aime me promener et voir leschoses vivre », dit Manière. Une sim-plicité essentielle du regard qui siedaussi à Joël Bastard et à son écriture.La preuve dans Bakofè qui, en bam-bara, signifie « derrière le fleuve ».

Comme dans Beule ouSe dessine déjà, le poètecherche le sens justederrière les êtres et leschoses, les animaux etles couleurs. Écrit à l’occasion d’un séjour au Mali, ce beau recueilest celui du regard et de l’écoute. Davantagedans le ton de la note et

Trois livres de Joël Bastard

Traces devie(s)Bakofè, All is one et Manière, troislivres qui constituent l’actualitélittéraire chargée de Joël Bastard,en résidence à Montréal jusqu’au21 décembre (lire p.11). Regard surla richesse des vies de l’écrivain.

Premier récit de Joël Bastard, plutôtpoète jusque-là, même si son travailpoétique s’inscrit résolument dansune prose de l’ouver ture et de lamatière, Manière est un conte ruralplein de voix et de fantômes. Manière,c’est Myriam, jeune femme simple,prisonnière de ses secrets et des êtresqui peuplent ses pensées, enfant quin’a pas les mots. Fille d’une femmearrivée des îles p our un mariagearrangé à la suite d’une grossesse hon-teuse, elle grandit dans les paysagesmonochromes d’un Jura âpre et cruel.À la mort de sa mère, elle est recueilliedans un hospice où, aux côtés des

du voyage, All isone a la forme ducarnet sur lequell’écrivain accrochequelques souve-nirs et quelquesimages. Péripledans les Balkans :

paysages, fr ontières, plaisirs del’étrangeté… Les vies multiples deJoël Bastard. L. B.

Manière, Gallimard, 216 p., 19,50 €ISBN 978-2-07-012689-7Bakofè, Al Manar, 56 p., 16 €ISBN 978-2-913896-75-8All is one, Le Miel de l’Ours, non paginé

Un roman de Maya Ombasic

Le plaisir oula muerte !De retour d’une résidence d’écritureen Rhône-Alpes, l’auteur(e) québécois(e)– née en Bosnie-Herzégovine – MayaOmbasic nous of fre son pr emierroman, intitulé Rhadamanthe. Dès lespremières lignes, son personnage prin-cipal, Marc Vadeboncœur, change devie. À soixante ans, ce n’est pas troptôt. Ni trop tard. Grâce à uneSuisse allemande championnede rafting, le voilà qui repart àl’aventure. C’est surtout MayaOmbasic qui le promène jus-qu’à Cub a p our lui f airerecueillir un f ormidable ettroublant témoignage sur… laguerre en Bosnie-Herzégovine.

Magie du roman picaresque. Magie duroman tout court quand il est remar-quablement mené. Maya Omb asicconnaît le monde, elle connaît aussil’art de conter les histoires, ce qui luipermet de nous balader sans jamaisnous semer en chemin.Dans un style sans tiédeur, l’écrivainsait questionner son personnage. Deson point de départ (Il « aurait aiméavoir plus de défis dans sa vie. Puisquetout semblait possible dans son pays,rien n’était faisable, car pourquoi êtrequelque chose si l’on peut être tout à lafois et finir par n’être rien du tout ? ») àson point de chute, où un Cubain luilance : « Ne me dis pas que tu fais par-tie de cette bande de missionnairesvenus environnemengéliser l’île ? C’estune connerie et une fantaisie desOccidentaux qui n’ont pas d’autreschats à fouetter et qui croient qu’ils peu-vent sauver la planète. »).Rhadamanthe offre un grand plaisir

de lecture, à l’instar desmeilleurs romans de DanyLaferrière, un autre auteurquébécois venu d’ailleurs.F. H .

Maya OmbasicRhadamantheMarchand de feuilles264 p., 24,95 $ISBN 978 2 922944 53 2

résidences /québec

apparaît bien dérisoire etanachronique aux yeuxdes grandes villes de ce pays en pleineeffervescence. Lephotographe Éric Dessert,qui a exploré cesprovinces reculées, a su conférer une certainedouceur aux situations etaux êtres grâce à un beaunoir et blanc aux refletsargentés. En contrepoint,le texte de Lucien Biancositue ces images dans une histoire, permettantd’en mesurer la portée. Un beau-livre à découvrirabsolument.

240 p., 45 €ISBN 978-2-914528-62-7

Maya Ombasic a séjourné à Lyon de février à avril 2009, dans le cadre de la résidence Rhône-Alpes/Québec.Elle est l’auteur des Chroniques dulézard, un recueil de nouvelles paru auxéditions Marchand de feuilles en 2007.

www.marchanddefeuilles.com

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On commence une phrase, quelques mots nous vien-nent de l’informe et l’on continue de lire ce qui s’écritemporté par le plaisir et la curiosité. Sans rien devinerde la chute, de l’impasse comme de l’envol, de la fin duvoyage. De la même manière on marche dans une villeétrangère, de porte en porte, de visage en visage. Onne connait de ce jour ni la dernière porte, ni le derniervisage. Une phrase s’éteint, les mains serrées surla rambarde d’un balcon, une ville dans les yeux.

Souvent dans les voyages, on peut s’asseoir dans unsquare sans nom, gris, sale, sans intérêt aucun. Onpeut ainsi, attendre rien et, vaguement se poser desquestions sur sa situation. Un p eu de loin. Onentend à peine la question. On ne la comprend pasvraiment. Alors, on s’en pose une autre tout aussiinintelligible. Une question chasse l’autre. Ce squarepeut être vide avec toujours des pigeons qui foui-nent, ou des rats, ici des écureuils mais c’est lamême chose. La ville est dans ce cas fière de ses ratspanachés. Un parapluie noir peut longer lentementle square. Une femme en survêtement blanc, touteà sa musique et à ses jambes, peut le traverser sansle voir tel un éclair musical pour bien être en ville.On peut lever les yeux sur un chêne abîmé p ar lemanque de place dans la rue pour ses branches. Onpeut penser à autre chose. On ne sait toujours pasà quoi. C’est curieux, c’est toujours après coup, biendes années plus tard, que l’on se souvient de cemoment devenu inestimable et du bonheur d’avoirpassé là un temps nulle p art. De retour à des mil-liers de kilomètres de ce refuge, on aimerait retrou-ver le nom de ce square sans intérêt où l’on s’étaitbien reposé de toutes nos pensées contradictoiresqui nous préoccupaient. Et l’on se souvient avectendresse de l’éclair blanc d’une femme sans visage.

résidences /québecCarnets de travers. Montréal.

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Les clochards s’abandonnent sous les beauxescaliers de Montréal. Comme partout ilss’abandonnent dans les beaux lieux. Rome,Paris, Genève… Abandonnés des lieux, ilsse roulent en boule en attendant la neige.Pour Halloween, ils jetteront des pastèquesbien juteuses à la déneigeuse pour faire accroireà l’employé que leur crâne a explosé en dormanttrop fort sous le manteau blanc.

Sur les marches de mon immeuble, ils se saluentcomme des militaires qui n’en auraient plus rienà faire des campagnes et de la guerre. Ils pren-nent la température de la rue, vident leur boîteà lettres des circulaires envahissantes et jettentle tout dans la p oubelle écologique. Puis ilsremontent au septième ciel pour regarder seulsla petite canopée du Carré Saint-Louis. Ils humentl’air, referment la baie vitrée sur le vent et les bour-rasques. Je comprends seulement aujourd’huipourquoi on m’a souhaité la bienvenue à bordde cet étrange vaisseau. Il y a à l’intérieur commeun bruit de moteur immense. Le bruit d’une îlequi s’avance dans l’eau.

Sitôt entendues ou lues, toutes les légendes dis-paraissent en moi. Leurs animaux fabuleux per-dent leur nom et si je souhaitais les réinviter j’enserais incapable. Je sens bien que dans ces ruellesoù personne ne s’aventure la nuit à part d’invi-sibles amoureux qui râlent debout contre lespalissades, tout de même un wendigo, grandetaille perdue en ville, pose un front perlé d’enviesur des vitres sans lumière. Si son nom me revientmaintenant, dicté par l’obscur, c’est que peut-êtrela ville commence son cinéma derrière un décorvictorien de pacotille. Car toujours derrière ledécor le mystère joue le rôle essentiel. À l’aubedans les flaques, on trouve des plumes d’oiseauxqui n’existent pas et l’onde ténue de quelqu’unou de quelque chose qui traversa la nuit.

Au soleil, le dos contre un mur blanc, en pleinvent rue du port. Les yeux dans les reflets noirsd’un pick-up, j’écoute la carlingue refroidir en cli-quetis venus d’ailleurs. Des drapeaux claquentsur le dos des motards visant l’extérieur de laville. On se dit, pas étonnant que la poésie Beatait battu le pavé des villes nord-américaines. Onse dit, pas étonnant que l’amour devait se trou-ver dans une chambre de motel à l’autre bout dupays. Nous le traverserons en trois poèmes. Onse dit, je veux être gardien de parking et boire desbières au b ord du f leuve en c ompagnie deKerouac. On se dit qu’il est trop tard pour celamais que l’histoire est toujours bonne à prendreet que l’essentiel est toujours ailleurs.

Je vais sortir. Je dois sortir. Marcher dans les rues,écouter la ville. Voir le pas des maisons. Les habitantsentrer dans ces maisons et en sortir. Plus que tout,je dois aller voir le fleuve, le chemin qui marche, leMagtogoek des Amérindiens, le fleuve aux grandeseaux. Le Saint-Laurent. Mais peut-être ne sera-t-il pluslà. Peut-être que le fleuve aura disparu au fondde la nuit dans le cerveau d’un homme qui le rêvait.Peut-être que le f leuve et tous ses tr ansports depommes douces, de sel et de farine, coule pour tou-jours dans le crâne d’un inconnu disparu en forêt.Peut-être que le fleuve que nous voyons là est uneillusion, le reflet de la pensée d’un homme étendusous les branches et que le chemin qui marchele protège maintenant de son absence.

La cervelle déliée comme celle d’un ange, c’est ainsique l’on écrit en ville ! Je vais à mille lumières d’iciet dans le bois le plus noir je vise une fenêtre. Lamarche est sans lune mais le chemin aisé. Longuemarche. Je m’approche, je frappe à la p orte. Onm’ouvre, personne ! Je m’asseois à la fenêtre dansle bois le plus noir et j’attends.

Un saule trop penché, grince sur un bassin vide.Bétonné en ses crevasses, en sa vieillesse, d’unemême couleur. Etayé de solides vérins jaunes pourses nœuds trop lourds, il attend patiemment le seulpoids d’un écureuil pour rompre le charme.Pour en finir avec sa résistance.

Joël Bastard, Montréal, automne 2009

Retrouvez Joël Bastard sur http://joelbastard.blogspot.com

PRESSESUNIVERSITAIRES DEGRENOBLE (PUG)

Dominants etdominés : les identitésdes collections et desagrégatsde Fabio Lorenzi-CioldiSpécialiste de l’identitésociale, l’auteur plaide icipour une pluralité desconceptions du groupesocial, entre l’agrégat et lacollection. Il détermine leurorigine et leur usage,démontrant ainsi commentpeut se reproduire un ordresocial toujours dominé parles mêmes groupes.

collection Vies sociales367 p., 21 €ISBN 978-2-706115-50-9

Joël Bastard séjourne à Montréal jusqu’au 21 décembre2009, dans le cadre de la résidence d’écrivainsLyon/Montréal, organisée par l’UNEQ et l’ARALD, avec le soutien du Conseil des arts et lettres du Québecet de la Région Rhône-Alpes.

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Elle ne mâche pas ses mots, Annie Cucinotta, etvous renvoie vite fait à vos certitudes de journa-liste culturellement nanti venu à Chambéry-le-Hautvoir le temps qu’il f ait du c ôté de la lectur epublique. Frais, avec de lourds nuages qui pèsentsur la montagne juste au-dessus. Mais la lumièreest belle, ce jour-là, dans le bureau minusculedonnant sur la cour intérieure de la bibliothèqueGeorges Brassens.

Franchement, on n’en revient pas. Ou plutôt, on enrevient avec l’impression qu’on est loin d’avoir comprisquelque chose à rien et qu’on en parlerait volontiers unpeu plus longtemps encore. D’abord, il faut le dire, onavait patienté. Il est vrai que madame la coordinatricedes projets hors les murs et adjointe à la directrice desbibliothèques de Chambéry chargée du développementdes publics a un emploi du temps un p eu plus quechargé. Une matinée à la médiathèque Jean-JacquesRousseau, un après-midi à Chambéry-le-Haut pourpréparer la journée des bébés lecteurs, des visites dansles résidences sociales et dans l’établissement péni-tentiaire où circule la Bibliothèque voyageuse qu’ellea créée, les réunions, les projets pédagogiques, lesquestions, les réponses… Surtout les questions.Car il ne faut pas s’y tromper, Annie Cucinotta est certesune bibliothécaire de choc, mais au bout de ses phrases,qui sonnent fort, elle fait souvent résonner un pointd’interrogation. C’est aussi ça, la médiation, non ? Êtreà l’écoute, essayer de se placer du côté des gens, allerles chercher là où ils sont et non pas là où l’on aimeraitqu’ils soient. « Je suis devenue bibliothécaire parce quej’aimais les livres, je le reste parce que j’aime les gens ».Voilà, c’est dit. Pas très grande, blonde, les cheveux enpétard, s’échauffant vite, la bibliothécaire estime quesavoir gérer des documents, c’est bien, mais qu’il y aurgence à « passer au public ». Depuis plusieurs années,Annie Cucinotta se consacre professionnellement à ceuxqui ne fréquentent pas ces lieux de lecture trop souventrepliés sur leur dignité – toute respectable – et sur leurscertitudes culturellement dominantes. C’est pour elle

service de prêt aux collectivités puis créela Bibliothèque voyageuse. Si tu ne vaspas à la lecture, la lecture ira à toi…« Jereste persuadée que la lecture publiqueest fondamentale dans la citoyenneté,dans la politique et dans l’existence… »La bibliothécaire s’excuse en souriantde sa naïveté. Mais elle a raison. Elle lesait. Elle y croit. Les beaux bâtiments nesuffisent pas. Parfois même, ils font peur.Et à Chambéry, ils sont très beaux : « Lesbibliothèques sont faites pour les gensqui lisent », dit-elle. Et les autres ? Lesautres, c’est ça le métier d’ AnnieCucinotta. Mettre en relation des genset des livres. Des gens qui ne lisent pasavec des livres qu’ils aimeraient lire etavec d’autres qu’ils n’avaient pas imagi-nés pour eux. Un peu plus qu’un métier.Presque une vie. Laurent Bonzon

une nage difficile et souvent à contre-courant :«  Il ne faut pas craindre une forme dedévoiement dans le fait qu’une partie de nosfonds ne corresponde pas à ce que lisent lesbibliothécaires. » Alors il lui a f allu dessemaines pour convaincre ses collègues quela bibliothèque Georges Brassens pouvaits’abonner à Voici. «  Toutes les bibliothèquessont abonnées à Elle… Vous trouvez quec’est mieux ? » Honnêtement, on ne lit nil’un ni l’autre, mais on croyait bêtement queoui. Ce n’est pas qu’Annie Cucinotta veuillevous persuader du contraire, mais elle estincomparable pour poser les questions quidérangent. Cette femme d’énergie est unenageuse hors-pair.

Dis, c’est encore loin, la lecture ?

Il faut dire que, petite fille, Annie (Pélisson)jouait à… la bibliothéc aire. Enfance à Lyon,famille originaire de Haute-Loire, milieu modeste commeon dit. Père ouvrier, non lecteur. Mère institutrice, lectrice. Lagamine fait des fiches qu’elle intercale dans ses livres de labibliothèque rose. Il y a du grand écart dans l’air. Amusée,Annie Cucinotta nous voit venir avec notre allusionpsy à quelques centimes…On reprend. Études de lettres, diplôme de bibliothécaire,recrutement à Chambéry en 1986. Responsable du prêtadulte, elle s’emballe, lectrice passionnée, pour le Festivaldu premier roman de Chambéry qui démarre et dont elleva s’occuper jusqu’en 1993. Mais elle aime le changement.En 1994, elle fête ses trente ans en prenant la direction dela bibliothèque Georges Brassens. En cadeau, un quartierdifficile et un projet de construction ambitieux : « Les biblio-thèques ne sont pas là pour résoudre les problèmes sociaux,mais le fait est que nous sommes venus à bout des difficul-tés qui existaient avec certains jeunes et que, depuisl’ouverture en 2001, il n’y a eu aucune dégradation. »Très vite, l’objectif d’Annie Cucinotta est de se tourner versles publics que la bibliothèque ne touche pas. Elle gère le

Une bibliothécaire dans la cité

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Poésies auféminin pluriel

Une voix d’Alger, l’autre d’Athènes.Un lieu méconnu, poétique à luiseul : le musée des moulages à Lyon,sis dans une corseterie désaffectée.Le vendr edi 23 o ctobre, Samir aNegrouche et Angélique Ionatosdonnent une p erformance p oé-tique et music ale pr oposée p arParole ambulante. Ce festival, orga-nisé par l’espace Pandora, ambi-

tionne de donner à entendr e lapoésie contemporaine au public leplus large. « Culture pour tous, par-tout, tout le temps », clame sa 14e

édition. Est-ce leur Méditerranéecommune qui anime le lyrismerageur de Samira Negrouche et laguitare vive d’Angélique Ionatos ?La chaleur irr adie les blanchesrépliques des statues anciennes,qui contribuaient fin XIXe siècle àla f ormation des étudiants enHistoire de l’art. Ce soir, l’esprit despoètes du passé communie avec

l’énergie des vivants. La chanteusegrecque évoque Sappho, telle unedéesse tutélaire. Arthur Rimbaudinspire à Samira Negrouche un longpoème de liberté et de brûlures. Lesapplaudissements n’en f inissentplus quand s’élèvent les derniersmots de Samir a Negr ouche :« Avant toi, je voulais mourir / Avectoi, je veux toujours mourir / Mais jeveux bien attendre encore un peu. »Myriam Gallot

Livre & Lire : journal mensuel, supplément régional à LivresHebdo et Livres de France, publié par l'Agence Rhône-Alpespour le livre et la documentation.

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Directeur de la publication : Geneviève Dalbin

Rédacteur en chef : Laurent Bonzon

Assistantes de rédaction :Marion Blangenois,Fabienne Hyvert

Ont participé à ce numéro : Joël Bastard, Sylvie Deshors,Myriam Gallot, CatherineGoffaux-H., Delphine Guigues,Frédérick Houdaer, Géraldine Kosiak, Yann Nicol,Émilie PellissierRoger-Yves Roche

Livre & Lire / Arald 25, rue Chazière - 69004 Lyon tél. 04 78 39 58 87 fax 04 78 39 57 46 mél. [email protected] www.arald.org

Siège social / Arald1, rue Jean-Jaurès - 74000 Annecy tél. 04 50 51 64 63 - fax 04 50 51 82 05

Conception : PerluetteImpression : ImprimerieFerréol (Imprim'Vert). Livre & Lire est imprimé sur papier 100% recyclé avec des encres végétales

ISSN 1626-1331

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