Louis-Auguste Blanqui - Textes Choisis

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    MM. Albert Soboul, Pierre Angrand et Jean Dautry, agrgs de l'Universit, ontcollabor la mise au point de cet ouvrage.

    L'introduction de Volguine et la note biographique ont t traduites par HlneMiakotine et Louise Biraud.

    Paris : ditions Sociales, 1971.

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    Table des matiresLes ides politiques et sociales de Blanqui, par V. P. VolguineNote biographiqueOuvrages d'Auguste BlanquiBibliographie

    TEXTES CHOISIS

    I. BLANQUI AVANT LA RVOLUTION DE 1848

    1. Le Procs des Quinze. Dfense du citoyen Louis-Auguste Blanquidevant la Cour d'Assises (1832)

    2. Rapport sur la situation intrieure et extrieure de la France depuisla Rvolution de juillet (2 fvrier 1832)

    3. Qui fait la soupe doit la manger (1834)

    Appendice :1. Appel de Blanqui aux tudiants (11 dcembre 1830)2. Formulaire de rception la Socit des Saisons (1830)3. Appel du Comit de la Socit des Saisons (12 mai 1839)

    II. BLANQUI SOUS LA DEUXIME RPUBLIQUE (1848-1852)

    1. Discours du 25 fvrier 18482. Pour le drapeau rouge (26 fvrier 1848)3. Adresse de la Socit Rpublicaine Centrale au Gouvernement (2

    mars 1848)4. Premire ptition pour l'ajournement des lections (6 mars 1848)5. Deuxime ptition pour l'ajournement des lections (14 mars 1848)6. Adresse au Gouvernement (17 mars 1848)7. Aux Clubs dmocratiques de Paris (Manifeste du 22 mars 1848)

    8. Profession de foi (30 mars 1848)9. Adresse au Gouvernement provisoire (20 avril 1848)10. Les massacres de Rouen. La Socit Rpublicaine Centrale au

    Gouvernement provisoire (2 mai 1848)11. Avis au peuple. (Toast du 25 fvrier 1851)12. propos des clameurs contre l'Avisau peuple (avril 1851)13. Lettre Maillard (6 juin 1852)

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    III. LA CRITIQUE SOCIALE1. L'usure (1869-1870)2. Le communisme, avenir de la socit (1869-1870)3. Saint-tienne. Lutte entre les fabricants et les ouvriers (dcembre

    1849)4. L'origine des fortunes (1850)5. Les partageux (1850)6. La presse capitaliste (1869)

    7. Saint-Simoniens. Crdit intellectuel (mars 1863)8. La guerre du capital la rvolution (avril 1866)9. L'infanticide. Ses causes : Dieu et le capital (1867)10. Projet de discours (aot 1867)11. Grve et coopration (octobre 1867)12. Le communisme primitif (avril 1869)13. Coopration et raction (1870)14. L'conomie politique sans morale (mars 1870)15. Les conqutes de l'industrie (juin 1870)

    IV. LA PATRIE EN DANGER

    1. L'affaire de La Villette (16 septembre 1870)2. La raction (19 septembre 1870)3. 1792-1870 (30 octobre 1870)4. Armistice et capitulation (5 novembre 1870)5. Alliance ouverte de la raction avec Bismarck (25 novembre 1870)

    6. Les envahisseurs (5 dcembre 1870)

    V. INSTRUCTION POUR UNE PRISE D'ARMES (1868)

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    LES IDES POLITIQUES ET SOCIALESDE BLANQUI

    Retour la table des matires

    Blanqui eut une longue vie : il a donn plus d'un demi-sicle la cause de larvolution. Ses dernires activits politiques se situent en 1880, mais sa conceptiondu monde, les ides politiques qui orientrent son action rvolutionnaire se sontformes sous le rgne de Louis-Philippe et ont pris leur forme dfinitive au coursde la rvolution de 1848. Ni le dveloppement ultrieur de la lutte de classe duproltariat, ni l'apparition du communisme scientifique n'ont apport demodifications essentielles ses ides rvolutionnaires.

    Blanqui, crit Engels en 1874, est un rvolutionnaire de la gnrationpasse 1. Il s'est arrt dans son dveloppement idologique au niveau qu'il avaitatteint en 1848. Il n'a su ni comprendre, ni assimiler la thorie du communismescientifique, bien qu'il ait connu l'activit de Marx et quelques-uns de ses travaux.Toutefois, en tant que reprsentant du communisme utopique prmarxiste, ilmrite que les historiens de la pense sociale lui accordent une grande attention.

    La priode 1830-1848 est marque en France par le dveloppement de lagrande industrie capitaliste et par l'essor du mouvement ouvrier ; ce mouvement

    s'est manifest par les soulvements des canuts lyonnais de 1831, de 1834, et parde nombreuses grves. (En 1832-1833, il y eut des moments o la grve englobaitpresque toutes les industries parisiennes ; en 1840, les grves s'tendirent l'ensemble du pays.) En mme temps que croissaient l'industrie capitaliste et lemouvement ouvrier, la conscience de classe du proltariat se dveloppait aussi.Dans la classe ouvrire s'veillaient la conscience de ses propres tches politiqueset l'ide que, pour l'accomplissement de celles-ci, elle devait parvenir constituersa propre organisation. Mais le proltariat a cherch en ttonnant les voies qui luipermettraient de forger cette organisation ; ses erreurs lui servirent de leons.

    mesure que s'affirmait concrtement la lutte de classe du proltariat, lessystmes utopiques du socialisme perdaient leur sens progressif. Les coles dusocialisme utopique dgnraient en sectes ; chacune d'elles proposait sesprocds pour liminer le mal social et pour concilier les contradictions de classes.

    1 MARX-ENGELS : uvres, t. XV, p. 225 (en russe).

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    Les ides du socialisme utopique devenaient de plus en plus le bien de la petitebourgeoisie.

    Les traits bourgeois et petits-bourgeois, propres chaque systme utopique, des degrs divers, se sont ainsi pleinement rvls cette poque. Ceux qui seconsidraient comme les hritiers des grands utopistes inclinaient chercher del'aide du ct des classes instruites. La classe ouvrire, au contraire, inclinait deplus en plus vers le communisme.

    Le socialisme, a dit Engels en caractrisant les rapports de cette poque,signifiait en 1847 un mouvement bourgeois ; le communisme, un mouvementouvrier1.

    Mais la classe ouvrire n'tait pas en mesure de se librer d'un seul coup, etcompltement, des influences trangres ses intrts de classe. Les ouvriersfranais taient encore trs troitement lis aux milieux petits-bourgeois d'o ilstaient issus pour la plupart et qui, malgr l'essor de la grande industrie,constituaient encore la majorit crasante de la population laborieuse en France. Ilexistait encore beaucoup de survivances petites-bourgeoises dans la psychologiedes ouvriers. Dans ces conditions, les thoriciens qui cherchaient poser les basesdu communisme ont t impuissants crer une thorie scientifique ducommunisme. Dans le meilleur des cas, c'tait le matrialisme mcaniste duXVIIIe sicle qui demeurait la base philosophique de leur systme. Aussi nepouvaient-ils pas dpasser la thorie rationaliste de la socit caractristique duXVIIIe sicle (la thorie de l' ordre naturel et raisonnable des rapports sociaux),ni fonder historiquement le communisme. Dans toutes leurs tentatives pour tracerune voie de ralisation au communisme, ils ne dpassaient pas la traditionbabouviste. Leur communisme restait un communisme utopique, malgr leur lanrvolutionnaire et leur dsir de lier le communisme la lutte ouvrire. Parmi tousces communistes utopistes, Blanqui, par sa fidlit illimite la cause de latransformation rvolutionnaire de la socit, occupait indiscutablement la premireplace aux yeux de ses contemporains.

    Le proltariat, a crit Marx dans Les luttes des classes en France , segroupe de plus en plus autour du socialisme rvolutionnaire, autour ducommunisme pour lequel la bourgeoisie elle-mme a invent le nom deBlanqui 2.

    1 Friedrich ENGELS : Prface (1er mai 1890) auManifeste du Parti communiste,p. 24,ditionssociales, 1954.

    2 Karl MARX : Les Luttes de classes en France. Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, p. 114,ditions sociales, 1948.

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    I

    L'ardente activit rvolutionnaire qui a rempli toute la vie consciente deBlanqui a commenc sous la Restauration.

    En 1824, le jeune Blanqui participa l'organisation conspiratrice desCarbonari. En 1827, il fut bless dans des combats de rues contre la police et latroupe et pour la premire fois arrt. En juillet 1830, il prit une part active la

    lutte rvolutionnaire et fut profondment du par son rsultat : l'tablissement dela monarchie bourgeoise de Louis-Philippe.

    Entr dans l'association rpublicaine Les Amis du Peuple, Blanqui se plaa l'aile gauche de celle-ci. Pour les premires annes de la monarchie de juillet, deuxdocuments tmoignent de ses ides. Le premier est sa dclaration au procs des Amis du Peuple , en janvier 1832 (Procs des Quinze). Le second est undiscours prononc une runion organise par cette Socit, le 2 fvrier de lamme anne. Le premier de ces documents a t imprim, l'poque mme, par

    l'association des Amis du Peuple ; le second nous est parvenu l'tat demanuscrit.

    Devant le tribunal, Blanqui posait nettement le problme de la division de lasocit en classes ; il liait la lutte que mnent les Amis du peuple pour lesdroits politiques aux besoins matriels, aux intrts et aux souffrances des espopulaires. Mais ses ides concernant les classes sociales de son temps n'avaientpas un suffisant degr de prcision et son programme social tait encore trsindtermin.

    Au prsident du tribunal qui lui demandait sa profession, Blanqui rpondit :Proltaire. Mais la suite de ses explications indique que, pour lui, le mot proltaire dsignait le travailleur en gnral :

    C'est la profession de trente millions de Franais qui vivent de leur travail etqui sont privs de leurs droits politiques.

    Il est clair que Blanqui donnait la notion de proltaire Le mme sens que lesdmocrates donnaient la notion de peuple . C'est l'opposition entre l'aristocratie de la richesse et le peuple ou bien entre la bourgeoisie et lepeuple , qui caractrise la pense sociale de cette priode. L'imprcision dans lestermes de cette opposition refltait le niveau insuffisant du dveloppementcapitaliste en France, le non-achvement de l'volution industrielle. Comme nousle verrons plus loin, Blanqui confond proltaire et pauvres .

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    Je suis accus,poursuit Blanqui dans la mme dclaration,d'avoir dit aux 30millions de Franais, proltaires comme moi, qu'ils avaient le droit de vivre...

    En formulant une telle accusation,

    le ministre public ne s'est point adress votre quit et votre raison, mais vos passions et vos intrts, dit Blanqui aux juges. Le ministre public vous adit : vous voyez, c'est la guerre des pauvres contre les riches : tous ceux qui

    possdent sont intresss repousser l'invasion. Nous vous amenons vosennemis ; frappez-les avant qu'ils ne deviennent plus redoutables. Oui,Messieurs, ceci est la guerre entre les riches et les pauvres ; les riches... sont lesagresseurs, seulement ils trouvent mauvais que les pauvres fassent rsistance...

    On ne cesse de dnoncer les pauvres comme des voleurs prts se jeter sur lesproprits. [Les riches, ce sont] de lgitimes possesseurs menacs du pillage parune avide populace...

    Qui donc sont ces lgitimes possesseurs ? Qui sont les voleurs ? Les lgitimes possesseurs , ce sont les

    privilgis qui vivent grassement de la sueur du proltaire ... ; ce sont deux outrois cent mille oisifs qui dvorent paisiblement les milliards pays par lesvoleurs. [Et les voleurs ?] Trente millions de Franais qui paient au fisc unmilliard et demi, et une somme peu prs gale aux privilgis.

    En effet, poursuivait Blanqui,le gouvernement actuel n'a point d'autre baseque cette inique rpartition des charges et des bnfices,

    d'autre but que l'exploitation du pauvre par le riche. L'tat est une

    pompe aspirante et foulante qui foule la matire appele peuple pour en aspirerdes milliards incessamment verss dans les coffres de quelques oisifs...

    Tous les moyens lgaux qui protgent les intrts, qui permettent d'agir surl'opinion publique, sont entre les mains des privilgis. Le peuple n'en a aucun.

    Les lois sont faites par cent mille lecteurs, appliques par cent mille jurs,excutes par cent mille gardes nationaux... Or, ces lecteurs, ces jurs, cesgardes nationaux, ce sont les mmes individus, lesquels cumulent les fonctionsles plus opposes et se trouvent tout la fois lgislateurs, juges et soldats.

    Trente millions de proltaires restent en dehors de ce systme que font-ils ?Ils paient... [Mais comment] des hommes de cur et d'intelligence...

    pourraient-ils demeurer indiffrents... aux souffrances des proltaires... ? Leurdevoir est d'appeler les masses briser un joug de misre...

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    prendre les affaires politiques entre leurs mains. Le peuple veut faire et il fera leslois qui doivent le rgir ; alors ces lois ne seront plus faites contre lui ; elles seront

    faites pour lui, parce qu'elles le seront par lui.

    La conclusion laquelle Blanqui conduit ses auditeurs est claire : poursupprimer les maux de la socit, il est indispensable de crer une dmocratiepolitique. Au cours de sa dclaration, il ne fait pas de proposition de caractresocialiste ; mais la tendance socialiste est indiscutable. Il considre comme but dela lutte l'tablissement de l'galit sociale ; mais, comme mesure concrte pouramliorer le sort des opprims, il n'indique que la rforme des impts. Ceci estassurment d au fait que Blanqui considre navement le systme fiscal comme le

    mcanisme essentiel qui permet aux riches de piller les pauvres. Ces impts pillards doivent tre supprims et remplacs par un impt qui devras'emparer du superflu des oisifs , pour le rpartir par un systme de banquesnationales (ide probablement inspire par la propagande saint-simonienne) entre cette masse de gens indigents que le manque d'argent condamne l'inaction 1 .

    Dans son discours du 2 fvrier 1832, Blanqui a caractris de manire plusconcrte les forces de classes en lutte dans la France de son poque.

    Il ne faut pas se dissimuler qu'il y a guerre mort entre les classes quicomposent la nation... le parti vraiment national, celui auquel les patriotesdoivent se rallier, c'est le parti des masses.

    Dans la France de son temps, Blanqui constate l'existence de trois intrts :

    Celui de la classe dite trs leve, celui de la classe moyenne ou bourgeoise,enfin celui du peuple... En 1814 et 1815, la classe bourgeoise fatigue de

    Napolon, surtout parce que la guerre... nuisait sa tranquillit et empchait le

    commerce d'aller, reut les soldats trangers en librateurs et les Bourbonscomme les envoys de Dieu.

    Aussi les Bourbons rcompensrent-ils la bourgeoisie par la Charte . Par lemoyen de la Charte, la haute socit et les grands propritaires, d'une part, la classemoyenne, d'autre part, se partageaient entre elles le pouvoir. Le peuple fut mis dect. Priv de chefs , dmoralis par la dfaite, il se taisait. La bourgeoisie aprt son appui aux Bourbons jusqu'en 1825. Mais, par la suite, Charles X,

    se croyant assez fort sans les bourgeois voulut procder leur exclusion, commeon avait fait pour le peuple en 1815

    La bourgeoisie devint furieuse.

    1 Procs des Quinze,publi par la Socit des Amis du Peuple,Paris 1832 p. 77-86. (Voir plusloin : Textes choisis, p. 73et suiv.)

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    Alors commena cette guerre de journaux et d'lections [mene par elle

    contre Charles X]. Mais les bourgeois combattaient au nom de la Charte, rienque pour la Charte... [Le peuple] restait spectateur silencieux de la querelle ; etchacun sait bien que ses intrts ne comptaient pas dans les dbats survenusentre ses oppresseurs... en voyant ses matres se disputer, il piait en silence lemoment de s'lancer sur le champ de bataille et de mettre les parties d'accord.

    Lorsque, dans cette lutte entre la bourgeoisie et le gouvernement, la victoirecommena pencher vers la premire, Charles X rsolut de faire un coup d'tat. Ildcrta la dissolution de la Chambre des dputs et menaa de se servir de la forcearme. Les royalistes se montraient srs d'eux, et la bourgeoisie tait prise de

    panique. Ni l'une, ni l'autre partie ne s'attendait l'intervention du peuple.

    Lorsque le peuple se dressa, rveill d'un sommeil qui avait dur quinze ans,une frayeur plus grande encore saisit les bourgeois.

    Au travers des dbris, des flammes et de la fume, sur le cadavre de laroyaut, le peuple leur apparat debout, debout comme un gant, le drapeautricolore la main ; ils demeurent frapps de stupeur...

    D'abord, ils avaient redout la victoire de Charles X et ils avaient trembldevant ses consquences. Ensuite, quand le peuple triompha, contre toute attente,les bourgeois furent stupfaits.

    Pendant ces jours o le peuple fut si grand, les bourgeois ont t ballottsentre deux peurs, celle de Charles X d'abord et celle des ouvriers ensuite.

    Mais comment se fait-il qu'une rvlation si soudaine et si redoutable de laforce des masses soit demeure strile ?...

    [Cette rvolution] devait marquer la fin du rgime exclusif de la bourgeoisie,ainsi que l'avnement des intrts de la puissance populaire.

    Comment n'a-t-elle eu d'autre rsultat que d'tablir le despotisme de la classemoyenne ? C'est que le peuple n'a pas su profiter de sa victoire .

    Le combat fut si court que ses chefs naturels, ceux qui auraient donn cours sa victoire, n'eurent pas le temps de sortir de la foule ! [Le peuple accordait saconfiance ceux] qui avaient figur en tte de la bourgeoisie dans la lutte

    parlementaire contre les Bourbons.

    La victoire une fois remporte, le peuple rentra dans ses ateliers ; labourgeoisie entra dans l'arne. N'osant, par crainte du peuple, rtablir Charles X,elle proclama roi un autre Bourbon.

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    La classe moyenne qui s'est cache pendant le combat et qui l'adsapprouv... a escamot le fruit de la victoire remporte malgr elle. Le

    peuple, qui a tout fait, reste zro comme devant. [Mais il est entr malgr toutsur la scne] il n'en a pas moins fait acte de matre... C'est dsormais entre laclasse moyenne et lui que va se livrer une guerre acharne. Ce n'est plus entre leshautes classes et les bourgeois ; ceux-ci auront mme besoin d'appeler leur aideleurs anciens ennemis pour mieux lui rsister, pour rsister l'offensivemenaante des proltaires.

    La peur du peuple, le dsir de trouver un soutien dans l'aristocratie dterminenttoute la politique du gouvernement de Louis-Philippe ; ractionnaire en toutes sesmanifestations, ce gouvernement copie la Restauration .

    Deux principes divisent la France, le principe de la lgitimit et celui de lasouverainet du peuple , dclare Blanqui, en conclusion de son aperu historique. Il n'y a pas de troisime drapeau, de terme moyen. Tous ceux qui dnoncent l'anarchie et qui soutiennent la vieille organisation du pass se groupentautour du drapeau de la lgitimit.

    Le principe de la souverainet du peuple rallie tous les hommes d'avenir, lesmasses qui, fatigues d'tre exploites, cherchent briser ces cadres clans

    lesquels elles se sentent touffer1

    .

    Comme nous le voyons, dans ce discours aussi, les groupes sociaux sont assezmal dfinis ; et on n'y rencontre pas non plus un expos des mesures concrtes quipermettraient aux masses de se librer de l'exploitation. dfaut, l'attention deBlanqui se concentre sur le but politique de la lutte : l'tablissement de lasouverainet du peuple. Mais les tendances galitaires, communes presque tousles dmocrates de cette poque, taient aussi celles de Blanqui ; il est trs probableque, ds 1832, il avait une certaine sympathie pour le socialisme. Il n'est pas

    douteux qu'il ait connu, avant mme la Rvolution de 1830, les uvres des saint-simoniens et le livre de Buonarroti : La Conspiration pour l'galit. En tout cas,au dbut de 1834, ses convictions socialistes avaient dj pris forme. Dans unarticle crit cette mme anne, et qu'il avait destin au journal Le Librateur,Blanqui se prononce non seulement contre l'ingalit, mais aussi contre lesgrossires recettes de l'galitarisme pour lutter contre le mal social ; il leur opposele principe de l'association.

    Il existe deux sources de la richesse :

    l'intelligence et le travail, l'me et la vie de l'humanit, crit-il. Mais ces deuxforces ne peuvent agir qu' l'aide d'un lment passif, le sol, qu'elles mettent en

    1 Discours du 2 fvrier 1832, manuscrits de Blanqui, Bibliothque nationale, acquisitionsnouvelles, cote 9591-I, feuillets 314 et suivants. (Voir R. GARAUDY ; Les sources franaisesdu socialisme scientifique, p. 222-232, Paris, Hier et aujourd'hui, 1948).

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    uvre par leurs efforts combins... Cet instrument indispensable devraitappartenir tous les hommes. Il n'en est rien.

    La terre est devenue proprit particulire.

    Des individus se sont empars par ruse ou par violence de la terre commune,et, s'en dclarant les possesseurs, ils ont tabli par des lois qu'elle serait jamaisleur proprit... Ce droit de proprit s'est tendu... du sol d'autres instruments,

    produits accumuls du travail dsigns par le nom gnrique de capitaux.

    L'tablissement de la proprit a engendr un conflit entre les droits humainsmme celui de vivre et le privilge du petit nombre ...

    Comme les capitaux striles d'eux-mmes ne fructifient que par la main-d'uvre et que, d'un autre ct, ils sont ncessairement la matire premireuvre par les forces sociales, la majorit, exclue de leur possession, se trouvecondamne aux travaux forcs, au profit de la minorit possdante... Laconsquence logique d'une telle organisation, c'est l'esclavage.

    Cependant, le principe d'galit, grav au fond des curs et qui conspire,avec les sicles, dtruire sous toutes ses formes l'exploitation de l'homme parl'homme, porta le premier coup au droit sacrilge de proprit, en brisantl'esclavage domestique.

    Les esclaves, proprit titre de meuble , ont t transforms en serfs, proprit immeuble annexe et insparable de l'immeuble territorial . Maisl'esclavage existe encore de nos jours.

    La servitude, en effet, ne consiste pas seulement tre la chose de l'homme,ou le serf de la glbe. Celui-l n'est pas libre qui, priv des instruments detravail, demeure la merci des privilgis qui en sont dtenteurs... La

    transmission hrditaire du sol et des capitaux place les citoyens sous le joug despropritaires.

    La condition de l'ouvrier est pire que celle des ngres esclaves dans lesplantations.

    Car l'ouvrier n'est pas un capital mnager comme l'esclave ; sa mort n'estpas une perte, il y a toujours concurrence pour le remplacer.

    Le pauvre, poursuit Blanqui, ne connat pas la source de ses maux.L'ignorance, fille de l'asservissement, fait de lui un instrument docile desprivilgis... Si Lyon il [le proltariat] s'est lev comme un seul homme, c'estque l'antagonisme flagrant des intrts ne permettait plus l'illusion l'aveuglement mme le plus obstin.

    La situation est grosse de rvoltes. Le sentant bien, les dfenseurs de l'ordres'vertuent prcher

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    la communaut des intrts et, par suite, la solidarit entre le capitaliste et le

    travailleur... Ces homlies trouvent encore des dupes, mais peu. Chaque jour faitplus vive la lumire sur cette prtendue association du parasite et de sa victime.Les faits ont leur loquence ; ils prouvent le duel, le duel mort entre le revenuet le salaire.

    Blanqui est convaincu que, au bout de cette lutte, la victoire restera non auxoisifs, mais aux travailleurs.

    Oui, ajoute-t-il,le droit de proprit dcline... Il disparatra un jour avec lesderniers privilges qui lui servent de refuge et de rduit... L'humanit n'est

    jamais stationnaire. Elle avance ou recule.

    La marche rtrograde remonterait jusqu' l'esclavage personnel, dernier mot dudroit de proprit. La marche progressive la conduit l'galit.

    Disons tout de suite, explique Blanqui en conclusion de cet article, quel'galit n'est pas le partage agraire. Le morcellement infini du sol ne changeraitrien, dans le fond, au droit de proprit... La richesse provenant de la possessiondes instruments de travail plutt que du travail lui-mme, le gnie del'exploitation rest debout saurait bientt, par la reconstruction des grandes

    fortunes, restaurer l'ingalit sociale. L'association, substitue la propritindividuelle, fondera seule le rgne de la justice par l'galit 1.

    On distingue, dans cet article, une certaine influence de la thorie saint-simonienne sur Blanqui. Principalement, l'ide que le progrs consiste dans lasubstitution des formes d'exploitation. Il est possible que la notion de la socitfuture prsente sous l'aspect de l'association relve aussi de cette influence, bienque la propagande de Fourier et de ses disciples ait jou un rle important dans ladiffusion de l'ide d'association. Tout en notant les influences des coles utopiquesdu dbut du XIXe sicle qui ont pu s'exercer sur Blanqui, il est indispensabled'indiquer immdiatement qu'il est toujours rest tranger l'utopisme pacifique, la teinte religieuse de ces thories. En assimilant telle ou telle ide de Saint-Simonou de Fourier, il les reliait aux traditions rvolutionnaires du babouvisme.

    Dans ce mme article de 1834, il est encore un trait qui mrite d'tre soulign :c'est la faon de prsenter le travailleur salari dans le rgime capitaliste. Lacaractristique est videmment trs abstraite. Nous pouvons en trouver desemblables, ds le XVIIIe sicle (par exemple, chez Linguet). Toutefois, Blanquifait un certain pas en avant. Il en vient prciser la notion de proltaire ; il tend comprendre le rle de la vritable force sociale qui porte en elle la socit future.

    Comme nous l'avons remarqu, Blanqui n'est jamais parvenu la pleine clartsur cette question. Nul doute que ce pas en avant dans le dveloppement de ses

    1 BLANQUI : Critique sociale, t. II, p. 118-127.

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    opinions sociales, il l'effectua sous la pression de la ralit environnante, sousl'impulsion qu'il reut du dveloppement de la lutte de classe du proltariat

    franais, de la lutte des ouvriers lyonnais dont il parle dans son article.

    L'anne 1834 peut tre considre comme l'anne tournante de la Francervolutionnaire sous la monarchie de Juillet. En 1834, aprs l'crasement desinsurrections lyonnaise et parisienne, sous l'oppression accrue de l'tat, lesreprsentants de la bourgeoisie et des intellectuels bourgeois, qui avaient jou unrle important dans les socits secrtes de la priode prcdente, s'cartrent desorganisations rvolutionnaires.

    Les socits secrtes qui se reforment alors recrutent leurs membres, presqueexclusivement, dans les milieux ouvriers et de la petite bourgeoisie, les plusproches du proltariat. Dans ces nouvelles socits secrtes, les Familles, lesSaisons, Blanqui est port aux postes dirigeants. Nous ne pouvons connatre lesopinions professes par Blanqui que par les formulaires d'initiation de ces socits.Sans doute, il n'tait pas le seul participer leur rdaction, mais il en acceptaitassurment les ides fondamentales.

    Ces documents exposent d'abord que le gouvernement cristant fonctionne

    dans l'intrt d'un petit nombre de privilgis . Avant 1830, c'tait l'aristocratie denaissance ; lorsque celle-ci fut renverse en 1830, ce fut l'aristocratie des riches quiprit sa place :

    Hommes d'argent, banquiers, fournisseurs, monopoleurs... en un mot lesexploiteurs qui s'engraissaient aux dpens du peuple.

    ... Le peuple, c'est--dire l'ensemble de ceux qui travaillent,

    comment est-il trait par les lois ? Il est trait en esclave... Le sort du proltaireest semblable celui du serf et du ngre ; sa vie n'est qu'un long tissu de misres,de fatigues et de souffrances.

    Renverser le gouvernement en place doit tre le but final de l'organisation.

    Faut-il faire une rvolution politique ou une rvolution sociale ? Il faut faireune rvolution sociale. Faut-il se contenter de renverser la royaut ? Il fautdtruire les aristocraties quelconques, les privilges quelconques ; autrement cene serait rien faire. Que devons-nous mettre sa place ? Le gouvernement du

    peuple par lui-mme, c'est--dire la rpublique.

    Mais le peuple ne peut prendre le pouvoir en main

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    immdiatement aprs la rvolution. L'tat social tant gangren, pour passer untat sain, il faut des remdes hroques ; le peuple aura besoin, pendant quelquetemps, d'un pouvoir rvolutionnaire 1.

    Les documents que nous venons de prsenter, tout comme la dclaration deBlanqui en 1832, ne nous apportent pas de rponse claire concernant les butssociaux de la rvolution, bien qu'elle soit dfinie comme une rvolution sociale.Sous ce rapport, on se limite seulement des formules gnrales : l'galit doit trela base de la socit ; l'existence de chaque membre de la socit doit tre assure, condition qu'il soit un travailleur ; tous les membres de la socit ont des droitsgaux, et les mmes devoirs. La contradiction entre l'aristocratie de la richesse et le peuple , considr comme l'ensemble des travailleurs, apparat commel'opposition fondamentale de la socit. L'exigence d'une dictature rvolutionnaireque Blanqui a reue du babouvisme, et qui est au cur de sa conception duprocessus rvolutionnaire, est la particularit importante du document. On doitcependant remarquer que cette dictature, dans son ide, est la dictature d'uneorganisation rvolutionnaire et non pas la dictature de laclasse rvolutionnaire.

    Le 12 mai 1839, la Socit des Saisons, dont Blanqui tait l'un des chefs,essaya de provoquer un soulvement Paris. Cette tentative avait un caractre deconjuration. Le manifeste des insurgs appelait fonder le rgne de l'galit et abolir l'exploitation.

    Prisse enfin l'exploitation et que l'galit s'asseye triomphante sur les dbrisconfondus de la royaut et de l'aristocratie.

    Or la classe ouvrire, seule, pouvait se soulever au nom de tels principes. Maisla classe ouvrire franaise, en 1839, n'tait pas encore en tat de faire triompherune rvolution sociale.

    La tactique de conjuration qu'avait adopte la Socit des Saisons tanterrone, la tentative rvolutionnaire de 1839 n'eut pas le succs qu'elle aurait puesprer dans les conditions du dbut de la monarchie de Juillet.

    levs l'cole de la conjuration, lis par la stricte discipline qui lui estpropre, ils partaient de cette ide qu'un nombre relativement petit d'hommesrsolus et bien organiss tait capable, le moment venu, non seulement des'emparer du pouvoir, mais aussi, en dployant une grande nergie et del'audace, de s'y maintenir assez longtemps pour russir entraner la masse du

    peuple dans la Rvolution2

    ,

    1 Procs des accuss du 12et 13 mai1839. Rapport de Mrilhou, p. 9-10 et 220-221. DE LAHODDE :Histoire des socits secrtes,p. 173-174 et 192-194.

    2 Friedrich ENGELS : Introduction l'dition allemande de 1891 de La guerre civile en France.(Voir Karl MARX :La guerrecivile en France,Annexes. p. 299, ditions sociales, 1953.)

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    a dit Engels en parlant des blanquistes.

    Les caractres de conjuration, indiqus par Engels, correspondaient l'immaturit de la conscience de classe du proltariat ; ils se manifestrent avecune grande vidence dans le mouvement de 1839. Tout en apprciant justement lavaleur de la discipline et de l'organisation, les rvolutionnaires de 1839 (et Blanquiavec eux) ne comprenaient pas que ces magnifiques qualits ne sauraient assurer lesuccs que lorsque l'organisme qui les possde est troitement li aux masses de laclasse ouvrire et lorsqu'il se prsente comme le reprsentant et le chef naturel desmasses ouvrires. La Socit des Saisons n'avait pas cette liaison ; elle ne l'avaitpas mme avec les ouvriers parisiens, pour ne pas parler de l'ensemble du

    proltariat franais. Les masses ne sortirent pas dans la rue le 12 mai 1839 et lecoup de force des groupes isols de conjurs fut facilement rprim.

    L'arrestation de Blanqui s'ensuivit (14 octobre 1839), aprs six mois de vainesrecherches policires ; elle arracha Blanqui des rangs des rvolutionnaires jusqu'la rvolution de 1848. Ces annes d'emprisonnement ne furent pas, pour lui, desannes infcondes. Il rentra dans l'action en lutteur incomparablement plus mr surle terrain politique, capable de saisir souvent les solutions pratiques quicorrespondaient le mieux aux intrts des travailleurs. Mais il demeurait comme

    auparavant impropre crer une thorie socialiste clairant scientifiquement lavoie vers le triomphe du communisme.

    Ds les premiers jours de la rvolution en apparence victorieuse, Blanquimontra le danger qui menaait la jeune Rpublique. Il constatait l'existence dedeux tendances dans le processus de la lutte, l'une pour la rpublique galitaire ,l'autre pour le constitutionnalisme bourgeois . Toute son activit, toutes sesdclarations taient diriges vers un seul but : lutter contre la raction bourgeoisequi menaait de dtruire les rsultats de la victoire populaire de Fvrier. Blanqui

    formula nettement le but final de la lutte, dans le discours qu'il pronona le 31mars la Socit Rpublicaine Centrale, qu'il avait organise :

    La Rpublique pour nous, dclare Blanqui en prcisant le contenu de cetteRpublique galitaire , c'est l'mancipation complte des travailleurs. C'estl'avnement d'un ordre nouveau qui fera disparatre la dernire forme del'esclavage, le Proltariat. La tyrannie du Capital est plus impitoyable que celledu sabre et de l'encensoir. La rvolution de Fvrier a eu pour but de la briser. Ce

    but est aussi celui de la Socit Rpublicaine Centrale et chacun de ses membress'engage le poursuivre jusqu' ce qu'il soit atteint 1.

    Blanqui considrait en premier lieu les ouvriers parisiens comme la forceprincipale capable de mener la lutte pour la Rpublique galitaire .

    1 Manuscrits de Blanqui. Cf. MOLINIER :Blanqui,p.42, Paris, 1848.

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    La premire intervention contre le gouvernement provisoire concerne laquestion du drapeau de la Rpublique. Au fond, il s'agissait pour lui d'un choix

    faire entre la voie galitaire et la voie bourgeoise de la rvolution.Le drapeau tricolore n'est pas le drapeau de la Rpublique ; il est celui de

    Louis-Philippe et de la monarchie... Il s'est baign vingt fois dans le sang desouvriers. Le peuple a arbor les couleurs rouges sur les barricades de 48, comme

    il les avait arbores sur celles de juin 1832, d'avril 1834, de mai 1839. Ellesont reu la double conscration de la dfaite et de la victoire. Ce sont dsormaisles siennes... Leur chute est un outrage au peuple, une profanation de ses morts...Dj, conclut Blanqui, la raction se dchane... Ouvriers ! c'est votre drapeauqui tombe. coutez-le bien ! La Rpublique ne tardera pas le suivre 1.

    Quelques jours aprs, le 2 mars, son club, Blanqui fit prsenter une adresseau gouvernement provisoire. L'adresse numrait les mesures que celui-ci devaitprendre pour assurer la libert de la presse, le droit d'association et de runion. Ils'y trouve aussi deux paragraphes touchant directement les intrts des ouvriers etleur place dans la rvolution.

    Le paragraphe 8 rclame

    l'organisation immdiate en garde nationale de tous les ouvriers... sansexception, avec indemnit de deux francs par jour pour chaque jour de serviceactif.

    Le paragraphe 9 demande

    l'abrogation des articles 415 et 416 du Code pnal, ces articles interdisant lescoalitions ouvrires 2.

    La campagne que mena Blanqui pour l'ajournement des lections l'AssembleConstituante prsente un grand intrt.

    La contre-rvolution, crit-il danssa ptition du 17 mars, a seule la paroledepuis cinquante ans... Le peuple ne sait pas, il faut qu'il sache...

    Pour connatre la vrit, un jour, un mois sont insuffisants.

    Il faut que la lumire se fasse presque dans les moindres hameaux... Et nedites pas que nos craintes sont chimriques. Les lections, si elles

    s'accomplissent, seront ractionnaires... Le parti royaliste, le seul organis grce sa longue domination, va les matriser par l'intrigue, la corruption, lesinfluences sociales ; il sortira triomphant de l'urne ! [Mais] ce triomphe, ce serait

    1 Manuscrits de Blanqui. Cf. MOLINIER : op. cit., p. 36.2 Ibidem,p. 37.

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    la guerre civile, car Paris, le cur et le cerveau de la France, Paris ne reculerapas devant le retour offensif du pass.

    Rflchissez, poursuit Blanqui,

    aux sinistres consquences d'un conflit entre la population parisienne et uneassemble qui croirait reprsenter la nation et qui ne la reprsenterait pas ; car levote de demain sera une surprise et un mensonge.

    Ainsi Blanqui exigeait l'ajournement des lections, comme conditionindispensable la rducation politique des masses paysannes. En partant de lamme comprhension du rapport des forces sociales, il a montr avec une grandeperspicacit l'importance politique de l'impt des quarante-cinq centimes dcrtpar le gouvernement provisoire ; cette mesure qui loignait les masses paysannesde la rvolution, il la considre comme la sentence de mort de la Rpublique .

    Blanqui comprenait que la bourgeoisie, effraye par la Rvolution, tait laprincipale force ractionnaire. Mais il dnonait avec une violence particulireceux qui, se donnant pour des dmocrates, trahissaient les intrts du peuple etservaient la cause de la raction bourgeoise. En intervenant avec une fermet deplus en plus marque contre le gouvernement provisoire, Blanqui condamnaitsvrement son aile gauche, la Montagne de 1848. Ces Montagnards , il lesdistinguait des Montagnards de 1793 par le fait qu'ils taient absolument dtachsdes masses parisiennes. Il devinait aussi le sens de la cration de la Commission duLuxembourg : c'tait une manuvre de diversion destine dtourner les ouvriersde l'action rvolutionnaire. En 1851, faisant le bilan de l'expriencervolutionnaire, Blanqui crivait :

    Quel cueil menace la rvolution de demain ? L'cueil o s'est brise celled'hier : la dplorable popularit de bourgeois dguiss en tribuns. Ledru-Rollin,

    Louis Blanc, Crmieux, Lamartine, Garnier-Pags, Dupont de l'Eure, Flocon,Albert, Arago, Marrast.... Liste funbre ! Noms sinistres, crits en caractressanglants sur tous les pavs de l'Europe dmocratique. C'est le gouvernement

    provisoire qui a tu la Rvolution. C'est sur sa tte que doit retomber laresponsabilit de tous les dsastres, le sang de tant de milliers de victimes. Laraction n'a fait que son mtier en gorgeant la dmocratie. Le crime est auxtratres que le peuple confiant avait accepts pour guides et qui l'ont livr laraction.

    La haine que ressentaient pour Blanqui non seulement les ractionnairesdclars, mais aussi les hommes qui couvraient de phrases librales,dmocratiques et mme socialistes, leur servilit envers la raction est doncparfaitement naturelle. Toute la contre-rvolution devient ple au seul nom deBlanqui , crivait Proudhon. Dans sa lutte contre l'ennemi le plus dangereux pourelle, contre l'homme le plus capable de grouper autour de lui les massesparisiennes, la raction ne recula devant aucune ignominie. Le 31 mars, Paris, fut

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    publi un document qui prtendait apporter la preuve que Blanqui aurait faitdevant le juge d'instruction de Louis-Philippe un tmoignage compromettant sur

    ses camarades de l'insurrection de 1839. Barbs, l'ancien camarade de Blanqui laSocit des Saisons, apporta son adhsion, cette campagne de mensonges.Blanqui dmentit cette calomnie, mais elle jeta un certain trouble dans les rangs deses partisans. Le 26 mai, Blanqui fut arrt pour avoir particip la manifestationdu 15 mai ; pendant les journes de juin, les ouvriers parisiens furent privs de leurguide le plus fidle, et du chef qui avait le plus d'autorit. Blanqui fut, nouveau etpour de nombreuses annes, cart de la lutte directe pour la cause de laRvolution.

    Son action rvolutionnaire de 1848 a t hautement apprcie par Marx etEngels. Ils appelaient Blanqui un rvolutionnaire proltarien 1. Dans Le 18Brumaire de Louis Bonaparte, Marx a crit au sujet de la manifestation du 15mai :

    Le 15 mai n'eut d'autre rsultat que d'loigner de la scne publique Blanquiet ses partisans, les communistes rvolutionnaires, c'est--dire les vritableschefs du parti proltarien 2.

    Dans la seconde adresse du Comit central de la Ligue des Communistes, iltait indiqu :

    Parmi les rvolutionnaires franais, le parti vritablement proltarien dontBlanqui est le chef s'est runi nous 3.

    Dans l'une de ses lettres, Marx crivait qu'il considrait Blanqui comme latte et le cur du parti proltaire en France 4 . En mars-avril 1850, Marx etEngels eurent des entrevues avec deux envoys de Blanqui Londres ; ilsconclurent avec eux un accord sur la base duquel taient reconnues, comme butcommun, l'exclusion des classes privilgies du pouvoir politique et la soumissionde ces classes la dictature du proltariat jusqu' la ralisation du communisme.

    Aprs l'chec de la rvolution de 1848, dans sa prison, jusqu' l'amnistie de1859, Blanqui continuait, malgr tout, uvrer pour la Rvolution, en cherchant maintenir la liaison avec les amis laisss en libert, en leur adressant des lettrespour diriger leurs activits, et des notes de caractre politique. Le 14 aot 1870,Blanqui prit part la tentative malheureuse qui visait renverser le gouvernementde Napolon III, compromis par les dfaites subies dans la guerre franco-prussienne. Aprs la chute de Napolon, Blanqui publia le journal La Patrie en

    1 MARX-ENGELS uvres,t. VIII, p. 305, dition russe.2 MARX-ENGELS uvres, t. VIII. p. 329, dition russe, ou en franais, MARX : Le 18

    brumaire de Louis Bonaparte,p.179, ditions sociales, 1948.3 MARX-ENGELS : uvres,t. VIII, p. 495, dition russe.4 MARX : Lettre au DrWatteau, 10 novembre 1861.

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    danger, o il fit une ardente propagande en faveur de la dfense de la France, foyerde la rvolution oppos au prussianisme ractionnaire.

    Dans les premiers jours de la Rpublique, Blanqui commit une grave erreurpolitique, en appelant les masses soutenir sans condition le gouvernementprovisoire bourgeois, au nom de la dfense de la Patrie 1 . Il ne sut pascomprendre que ce gouvernement, contre-rvolutionnaire dans son essence mme,redoutait plus les ouvriers franais arms qu'il ne craignait l'occupationprussienne ; et que, pour cette raison, il tait tout fait incapable d'organiser ladfense, et qu'il tait, comme le disait Marx, non un gouvernement de dfensenationale, mais un gouvernement de dfection nationale 2 . La suite des

    vnements obligea Blanqui abandonner cette position errone et se prononcernergiquement contre les politiciens bourgeois qui, par peur du mouvementrvolutionnaire des masses, taient prts trahir leur pays, en faisant alliance avecGuillaume et Bismarck. Le 17 mars 1871, la veille de la proclamation de laCommune, Blanqui fut arrt pour avoir particip une tentative de soulvementcontre le gouvernement provisoire, le 31 octobre 1870. lu membre de laCommune, il ne put prendre part son activit. Aprs sa libration en 1879,Blanqui, malgr ses soixante-quatorze ans, reprit la lutte politique, laquelle seulesa mort mit un terme, le 1er janvier 1881.

    II

    Blanqui n'a pas laiss d'expos systmatique de ses ides politiques, sociales etphilosophiques. Son hritage littraire consiste en articles de journaux sur diversesquestions de philosophie et de politique, en un trs grand nombre de manuscritsdisparates et qui restent encore, pour la plupart, indits. Toutefois, l'tudecomparative de ces articles, notes et crits permet de rtablir assez srement les

    positions thoriques qui inspiraient son activit rvolutionnaire.Les deux tendances principales du socialisme utopique franais au dbut du

    XIXe sicle, le fouririsme et le saint-simonisme par leurs principes

    1 Nouscroyons utile de rapporter la critique exprime sur ce point dans un article publi dans larevue sovitique Questions d'histoire, n 6, 1955 : notre avis, on ne peut tre entirementd'accord avec Volguine quand il affirme catgoriquement que Blanqui aurait apport sonsoutien absolu au gouvernement provisoire bourgeois dans les premiers jours de la TroisimeRpublique. Face l'ennemi extrieur, Blanqui a effectivement appel dans son journal, le 7

    septembre 1870, les Franais une union nationale complte. Mais il ne serait pas juste decroire qu'il n'avait pas conscience de la nature contre-rvolutionnaire du gouvernement Trochu-Favre ; le 18 septembre, Blanqui a crit dans le mme journal : Le doute envahit notre me, ausoupon d'un immense mensonge ... Il pressentait une lutte invitable entre deux courants,celui du dvouement et celui de l'gosme... Il mettait le peuple en garde galement contre la

    possibilit de la conclusion d'une paix honteuse derrire son dos et conseillait aux ouvriers de ne compter que sur eux-mmes . (N. T.)

    2 Karl MARX :La Guerre civi1e en France,p. 23, ditions sociales, 1953.

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    philosophiques gnraux, touchaient l'idalisme. Les aspirations religieusestaient le propre de l'une et de l'autre cole, bien que ces aspirations diffrassent du

    christianisme officiel. Certains communistes utopistes, cette mme poque, nes'taient pas librs, non plus, de ces tendances religieuses. Buonarroti, lepropagandiste du communisme rvolutionnaire, tradition babouviste, continuaitRousseau et Robespierre, dfendait l'ide d'une religion civique et considrait quela croyance en l'tre suprme et en l'immortalit de l'me taient indispensablespour le progrs et l'affermissement de la socit humaine.

    L'idalisme est tranger la conception du monde de Blanqui ; il reste unadepte logique des matrialistes franais du XVIIIe sicle, avec tous leurs cts

    faibles et forts. Pour lui le spiritualisme n'est pas seulement une erreurphilosophique ; il est un crime politique et social . En effet, le spiritualisme est le pre de toutes les religions et les religions sont la source de l'ignorance, del'exploitation, de la misre... . Le spiritualisme est la pierre angulaire del'oppression, l'instrument par excellence de la tyrannie . Or la religion est l'allienaturelle du conservatisme, car son essence est l'immobilisme , l'immutabilit.La religion interdit ses adeptes l'aspiration vers le progrs. Dieu est un motqui sert masquer notre impuissance et notre ignorance. Ce mot prtend toutexpliquer, mais il n'explique rien et interdit toute explication . La religion

    condamne l'esprit et la volont la stagnation. Sitt que l'esprit humain cesse decomprendre, il dit : dieu. Ce mot a toujours tenu l'esprit humain la chane ets'efforce encore de l'y retenir toujours . Seule, la science, en renversant lesobstacles qu'lve la foi, peut conduire l'humanit par les voies de la connaissanceet de l'action qui assureront sa grandeur et sa libert. La foi dit l'homme : genoux ! impie, on ne passe pas. La science lui dit froidement : Lve-toi et passonset l'homme passe 1 . La connaissance signifie mouvement et vie.

    Les peuples n'ont pas de plus cruel ennemi que la religion. Le christianisme

    et l'opium sont deux poisons identiques par leurs effets,

    crit Blanqui. En dtournant la pense et l'action humaines de problmes sociaux,terrestres, en les dirigeant vers le ciel, la religion rend l'homme indiffrent tout,sauf la vie future ; elle affaiblit sa lutte pour la justice. La lutte contre la religionoccupe chez Blanqui une place aussi considrable que chez les philosophes des lumires au XVIIIe sicle. Il considre que la premire tche de la rvolutiondoit tre de rduire nant le monothisme.

    Si Blanqui dnonce le rle social des religions historiques, il n'en est pas moinssvre l'gard des faux messies du XIXe sicle.

    Leurs tentatives, dit-il, sont rtrogrades par nature, bien qu'elles sedissimulent sous une fausse apparence de progrs.

    1 Manuscrits de Blanqui, B. N. Nouv. acq. 9583-9587. Cf. GARAUDY : op. cit., p. 263-264.

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    Les masses n'ont pas besoin de ces caricatures du pass. Le trait commun de

    ces nouvelles religions, saint-simonisme, fouririsme, positivisme, est leur attitudengative vis--vis de la rvolution. Toutes, elles la traitent en ennemie ; ellesprtendent la remplacer. Mais, en se sparant de la rvolution, elles quittentinluctablement la route de l'avenir ; elles en viennent s'allier auxgouvernements du pass ; elles cherchent obtenir leur soutien, et elles achtent ce triste secours par leurs outrages la rvolution et ses dfenseurs .

    Saint-Simoniens, fouriristes, positivistes se sont montrs identiquementcraintifs, flagorneurs, diplomates, mendiants vis--vis des pouvoirs contre-rvolutionnaires... On peut en retrouver les dbris au Snat, dans les conseils oudans les auxiliaires du gouvernement imprial (celui de Napolon III).

    toutes les fantaisies religieuses et idalistes, Blanqui oppose le matrialismeet l'athisme.

    L'affirmation qui va prendre possession du monde est l'athisme, l'universincr, ternel, vivant par lui-mme, de sa propre force. Cette affirmation a pour

    base la science, et la science moderne est venue apporter et apporte chaque jourde nouveaux arguments l'appui de cette conclusion...[Les religions, sont]

    matresses encore aujourd'hui en apparence... [Mais dj] les dogmes sont mortspour toujours. Le monde est en marche, la science sa tte. L'croulement desreligions est inluctable.

    Tout comme ses matres en philosophie, Helvtius et d'Holbach, Blanqui n'taitpas en mesure de s'lever la comprhension matrialiste dialectique dudveloppement de la socit. Les lois des phnomnes de la vie sociale luiparaissaient sans liaison avec les progrs de la socit humaine, avec leperfectionnement des rapports sociaux, comme rsultats de l'activit consciente

    des hommes. Le mot loi , crivait-il, n'a de sens que par rapport la nature ; cequ'on nomme loi , rgle immuable, est incompatible avec la raison et la volont.L o l'homme agit, il n'y a point place pour la loi.

    Dans ce domaine Blanqui est en retard sur Saint-Simon et Fourier.

    Blanqui considrait le processus historique comme un mouvement progressif.Mais ce sont la raison et la volont, la pense et l'exprience de l'homme qui luiconfrent ce caractre progressif.

    Rien ne s'est improvis dans l'histoire des hommes... L'humanit n'a franchique par des transitions insensibles les tapes sans nombre qui sparent son

    berceau de son ge viril... Les rvolutions elles-mmes, avec leurs apparences sibrusques, ne sont que la dlivrance d'une chrysalide. Elles avaient grandilentement sous l'enveloppe rompue.

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    Elles sont bien diffrentes de la conqute, invasion brutale d'une forceextrieure ... L'volution intrieure d'une race, d'une peuplade n'offre rien de

    pareil ;elle s'accomplit par degrs, sans trouble sensible comme le dveloppement d'une

    plante... Chaque sicle a son organisme et son existence propres, faisant partiede la vie gnrale de l'humanit 1.

    Blanqui ne laisse pas de comprendre l'importance des rapports conomiquesdans le dveloppement de la socit. Il souligne frquemment que les luttes qui seproduisent dans la socit sont dtermines par des intrts matriels, que les ideset principes expriment ces intrts. Mais dans la complexit des forces qui agissentdans l'histoire des hommes, il attribue au dveloppement des connaissances, l'instruction, au perfectionnement de la raison humaine le rle de moteur principaldans le progrs de l'humanit. La philosophie, dclare-t-il, dirige le monde : c'estson axiome.

    Le contenu fondamental de l'histoire des socits est pour Blanqui la marchevers le communisme :

    L'humanit a commenc par l'individualisme absolu, et, travers une longuesrie de perfectionnements, elle doit aboutir la communaut.

    Il rejette de faon dcisive l'ide du communisme primitif, du communisme des premiers ges de l'humanit .

    Il est faux que le communisme ait jamais t l'enfance d'une socitquelconque. Ces assertions sont diamtralement le contraire de la vrit.

    Le non-partage des terres n'est pas le communisme.

    quoi bon partager ce qu'on ne cultive pas ? C'est comme si on disait lespeuples actuels communistes parce qu'ils ne divisent pas la mer en lotsparticuliers.

    Ce n'est pas le communisme, mais l'individualisme qui est la premire forcede la socit. Son rgne est celui de l'ignorance, de la sauvagerie . Les sauvagessont extrmement individualistes. Le communisme est incompatible avecl'ignorance ; il est le dernier mot de la science sociale, le terme final de

    l'association. Chaque pas dans cette voie est la consquence d'un progrs dansl'instruction , du travail de la raison humaine. Les arrts dans cette voie sontprovoqus par les retards dans le dveloppement de la raison. Ainsi le progrs a tretard, interrompu par le christianisme. Le communisme se ralisera

    1 Critique sociale, t. I, p. 41-45.

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    par le triomphe absolu des lumires. Il en sera la suite inluctable, l'expressionsociale et politique 1.

    Nous avons parl d'une influence possible du saint-simonisme sur la pense deBlanqui relativement l'histoire. Manifestement, cette influence ne fut pas trsprofonde. En tout cas, la priodisation historique de Blanqui diffre grandement decelle des saints simoniens. Chez Blanqui, l'apparition de la division du travailspare nettement deux priodes diffrentes de l'histoire des socits humaines 2.Avant la division du travail, l'individualisme conserve ses traits fondamentaux -isolement conomique de chaque famille ; les hommes ne connaissent pasl'change ; chaque famille produit elle-mme tout ce qui est ncessaire. Mais, aucours de cette poque d'conomie par groupes isols, l'humanit traverse troisphases de dveloppement : Premire phase l'ge de la pierre. L'homme, isol deses semblables, ne connat pas d'autre lien social que la famille. Deuxime phase :suite de l'ge de la pierre et commencement de l'ge du bronze ; rapprochementdes hommes par tribus. Ils vivent de l'levage et de la chasse ; la terre restecommune. Point de culture encore, ni d'appropriation du sol. bauche degouvernement, une hirarchie, un ou plusieurs chefs. La troisime phase : ge dubronze, ge du fer. Les hommes passent au travail de la terre qui suitl'appropriation du sol. Du point de vue historique, selon Blanqui,

    ce pas apparent vers l'individualisme est au contraire un progrs sensible del'association parmi les hommes et un acheminement vers la communaut.

    Dans cette priode apparaissent le pouvoir politique et social de la monarchieet de l'aristocratie, les castes, les rapports de vassalit. Mais il n'y a ni change,ni monnaie, ni par consquent exploitation capitaliste , conclut-il. 3

    La division du travail introduit une importante nouveaut dans la vie de

    l'humanit ; elle lve le rendement, amliore la qualit de la production. Elle

    dtruit l'isolement des individus et tablit un nouveau principe : chacuntravaillera pour tous, tous pour chacun 4 . Mais ce progrs indiscutable est paydu sacrifice de l'indpendance individuelle , de l'esclavage rciproque sousl'apparence de solidarit . L'abandon de l'indpendance personnelle n'est nispontan, ni conscient. Personne ne l'aurait consenti. Pas un homme n'auraitaccept d'changer le sentiment de la libert personnelle... contre le collier dor dela civilisation 5.

    Le rgime de la division du travail n'a d remplacer l'isolement individuel

    que par une srie de transformations rparties sur une priode immense. Chaque

    1 Critique sociale, t. II, 67-75 ; t. I, p. 73 et suivantes.2 Ibidem,t. II, p. 79 ; t. I p. 3 et suivantes.3 Critique sociale, t. II, p. 77-79.4 Ibidem,t. I, p. 9.5 Ibidem, t. I, p. 39-42.

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    pas dans cette voie tait applaudi comme une victoire attendue, dsire, et lechangement s'est ainsi opr peu peu, travers une longue suite de gnrationssans froissement de murs, d'habitudes, ni mme de prjugs.

    Avec la consolidation du principe de la division du travail,

    La socit repose sur l'change... Or, si le troc en nature suffisait aux tempsprimitifs, alors que la consommation portait sur un trs petit nombre d'objets,tous de ncessit absolue, il devenait radicalement impossible entre les milliersde produits d'une industrie perfectionne. Un intermdiaire tait doncindispensable. Les qualits spciales des mtaux prcieux ont d les dsigner de

    bonne heure l'attention publique. Car l'origine de la monnaie remonte des

    poques inconnues. Ce qui nous touche c'est l'exprience acquise que lesservices rendus par le numraire ont t pays bien cher.

    [Car] la condition fondamentale de l'change, c'est l'quivalence des objetschangs ; [c'est la loi mme de l'change]. Si cette loi avait t observe, l'usagede la monnaie et t fcond en bienfaits.

    [Au contraire, cet usage] a enfant un cruel abus... Il a cr l'usure,l'exploitation capitaliste et ses fines sinistres, l'ingalit, la misre 1.

    Quand naquit la monnaie, dclare Blanqui, deux procds s'offraient auxhommes pour l'emploi de ce moyen d'change : la fraternit, l'gosme. Ladroiture et conduit rapidement l'association intgrale... Bientt les exigencesd'une industrie plus avance auraient dtermin la coopration des activits

    particulires.

    Mais les gostes, les hommes de rapine ont rapidement compris la puissancede l'argent ; ils ont saisi l'importance que pouvait avoir la possession de cettelampe merveilleuse . Le vampirisme de ces hommes a conduit la socit sur

    la voie de l'gosme.L'accumulation du capital s'est opre non par l'association, mais par

    l'accaparement individuel, aux dpens de la masse, au profit du petit nombre.

    Quelques-uns se trouvrent possesseurs des instruments de travail et le plusgrand nombre fut oblig de travailler pour eux. Pouvait-il en tre autrement, dansles ges de tnbres et de sauvagerie ? alors que les hommes ne connaissaientd'autre droit que la force, d'autre morale que le succs . C'est ainsi que s'est tabli,comme le dit Blanqui, le pouvoir de l'Empereur cu et que l'usure est devenue laplaie universelle 2.

    1 Critique sociale, t. I, p. 3-5, 42-43.2 Ibidem, t. I, p. 43-45.

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    Nous ne rencontrons pas, chez Blanqui, une analyse fouille du capitalisme.Dans sa conception du capital et de l'exploitation capitaliste, il reste au niveau des

    utopistes petits-bourgeois de la premire moiti du XIXe

    sicle. Pour lui, le capitalest synonyme d'usure ; il voit la source du profit capitaliste dans la non-quivalence de l'change. Sa critique du capitalisme repose principalement sur unjugement de caractre moral et rationnel. L'ordre existant ne rpond pas auxexigences de la justice, de la logique, du bon sens. Or la justice, dclare-t-il, estle seul critrium vrai applicable aux choses humaines . Son application conduitinvitablement au socialisme. L'conomie politique bourgeoise est indiffrente lamorale, et son indiffrence morale lui te toute puissance de critique, sonscepticisme la frappe d'impuissance 1. Blanqui accuse l'conomie politique

    bourgeoise de violer le principe del'quivalence des objets changs, axiome qu'elle-mme a pos, reconnu et

    proclam, en justifiant le prt intrt.

    Il est naturel que Blanqui se plaant sur des positions petites-bourgeoises, ausujet de la nature de l'exploitation capitaliste, ne soit pas en mesure de comprendrela structure de classe de la socit capitaliste. Il n'est pas douteux que saconception petite-bourgeoise de l'exploitation capitaliste est lie ce fait qu'ilassimile le proltariat tout l'ensemble des groupes sociaux vivant de leur travailsans exploiter le travail d'autrui.

    Cette mme thorie, profondment errone, concernant l'exploitation capitalistele conduit dformer la perspective historique et mler, dans son esprit, lesformes diverses de l'exploitation. Pour lui, le pouvoir despotique de l'Empereurcu a commenc ds les temps les plus reculs :

    avant mme que le rideau de l'histoire se lve, sa majest l'Empereur cugouverne en despote l'Europe, l'Asie et l'Afrique. [Le capital rgne] sur l'gypte,

    la Phnicie, la Grce, Carthage. Il trne dans Rome rpublicaine. Les patriciens... sont des usuriers, matres la fois par le glaive et par le sesterce.... Tous lesgrands hommes classiques [de la Rpublique romaine] Scipion, Pompe,Lucullus, Caton, Brutus, Cassius, etc., [taient] prteurs sur gages, pressureursimpitoyables... Cinq cents annes durant, Patriciat et Proltariat sont aux prisessur la question politique et sociale.

    Et, dclare Blanqui : L'histoire romaine n'est qu'un long rcit de la lutte entrele Capital et le Travail. Bien que dans cette lutte la dfaite ait rduit les

    cranciers insolvables la condition d'esclaves, la situation du proltariat Romeest au fond analogue, suppose Blanqui, la situation du travailleur europen ;mais, dans la Rpublique romaine, les trois instruments de tyrannie, le sacerdoce,la monnaie et le sabre, sont runis dans les mmes mains...

    1 Critique sociale,t. I, p. II et t. II, p. 58.

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    Des trois jougs que le plbien subit, le plus lourd est celui du capital. Lesdeux autres lui servent de gendarmes.

    Le triomphe de Csar sur la Rpublique a t rendu possible par le fait que lesmasses se sont mises du ct de Csar. Le csarisme dut son succs la hainegnrale contre la tyrannie des usuriers. Mais les masses n'ont rien gagn cettervolution.

    Le sabre n'tait plus aux mains des usuriers , mais l'usure dirigeait Rome,comme auparavant. ces deux flaux, s'en tait joint un troisime, leChristianisme ... ! Tous ensemble, ils engloutirent le vieux monde.

    Le christianisme engendr par la civilisation antique l'a dtruite. Entre Rome etle monde contemporain se place le rgne vritable du christianisme ; le moyen ge,poque de barbarie 1.

    Dans la socit fodale, qui s'est leve sur les ruines de Rome,

    la noblesse et le clerg se partagent la puissance. L'homme d'argent est la proiede l'homme de guerre... [Mais le monde] a remont peu peu les pentes de lacivilisation. Aujourd'hui, le revirement est complet.

    Le capitalisme domine la socit, obsd par la cupidit, la chasse au profit.

    Il a saisi la porte de l'association et ce magnifique instrument de progrs estdevenu entre ses mains... [une arme) pour exterminer la petite et moyenneindustrie, le moyen et le petit commerce.

    ... Sur les ruines du bourgeois modeste s'lve, plus savante et plus terribleque le vieux patriciat, cette triple fodalit financire, industrielle et

    commerciale qui tient sous ses pieds, la socit entire

    2

    .La socit marche l'abme, comme saisie d'une

    furie aveugle... En vain le cri presque universel rclame l'galit. Chaque jour, latranche se creuse plus profonde entre deux castes uniques, l'opulence et lamisre. Les situations intermdiaires disparaissent. Toutes les conqutes de lascience deviennent une arme terrible entre les mains du Capital contre le Travailet la Pense 3.

    Rsumant ses considrations sur l'histoire, Blanqui en arrive la gnralisationsuivante :

    1 Voir manuscrits de Blanqui ; cit par E. MASON : Blanqui and Communism PoliticalScience Quarterly, 1929, XLIV, p. 505.

    2 Critique sociale, t. I, p. 176 et suivantes.3 Critique sociale,t. I, p. 74.

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    Les procds de la tyrannie sont immuables. On les retrouve partout et

    toujours, debout sur les mmes assises, l'ignorance et la crdulit... Ainsi sepassent les choses depuis les temps historiques.

    Mais il est convaincu que ce rgime bas sur l'exploitation ne peut tre le destindu genre humain. Le genre humain est-il vou l'exploitation perptuelle ? Nous savons que, pour Blanqui, la lutte contre le Capital est le trait essentiel del'histoire de la socit et cela ds l'histoire de la Rpublique romaine. Tout commeses matres, les babouvistes, il est enclin penser que la lutte des pauvres contreles riches est le propre de toute socit o rgne l'ingalit. Mais, d'autre part, ilexplique non sans quelque contradiction avec cette conception, que l'Empereurcu... aujourd'hui pour la premire fois, se heurte la rvolte de ses victimes 1.

    Une lutte acharne existe dans la socit entre deux classes la bourgeoisie et leproltariat. 2 Les proltaires

    ne peuvent se passer vingt-quatre heures des instruments de travail qui sont aupouvoir des privilgis ; mais conclure qu'il y a entre ces deux classescommunaut d'intrt, c'est un trange raisonnement... Ce n'est pas l unecommunaut, mais une opposition d'intrts ; il n'existe d'autre rapport que celui

    de la lutte.

    La domination des oppresseurs chancelle. Leur classe est avec Csar sondernier espoir , tandis que le peuple est avec la Rpublique . Les oppresseurscherchent un soutien dans l'glise catholique :

    Les industriels d'Elbeuf se rangent sous la bannire de Loyola ; ils vont lamesse tous les dimanches, afin de prier pour la conservation de leurs privilgessociaux et de leurs cus.

    D'un ct, la violence, l'iniquit, les tnbres ; de l'autre la justice, la fraternit,les lumires . L'issue de la lutte, selon Blanqui, ne fait aucun doute 3.

    Bien qu'il y ait des gens appartenant par leur naissance la bourgeoisie qui sesoient placs dans les rangs du proltariat, bien qu'il y ait des proltaires quicombattent dans les rangs de la bourgeoisie, la lutte se droule entre le Profit et leSalaire, entre le Capital et le Travail. Il est naturel, dit Blanqui, que les chefs dumouvement rvolutionnaire sortent de la bourgeoisie. Dans les rangs de la

    bourgeoisie se trouve une certaine minorit d'lite, cur et cerveau de la

    1 Ibidem,t. I, p. 46.2 Dans l'apprciation de cette position de Blanqui, on ne saurait videmment oublier l'acception

    qu'il donne au terme de proltariat : il compte en France 32 millions de proltaires, savoir tousles gens n'ayant pas de proprit importante et vivant du travail de leurs mains.

    3 Critique sociale,t. I, p. 51.

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    Rvolution. Les bourgeois dclasss activent la fermentation des masses, lesconduisent au combat contre la bourgeoisie dans l'intrt du proltariat. Mais

    Blanqui raille de faon acerbe les gens qui se proclament dmocrates etdclarent qu'ils n'appartiennent ni au camp de la bourgeoisie ni celui duproltariat. Seuls, ceux qui cherchent tromper le peuple peuvent se cacher sousdes phrases aussi creuses ; ceux qui sont vritablement chers les intrts dupeuple doivent, sans rserve et sans hsitation, rejoindre son camp et porterouvertement sa cocarde. Blanqui voque les hommes d'action de la Montagne de1793 ; il les idalise pour les donner en exemple aux dmocrates de son temps.

    Depuis le 10 aot, chute de la Monarchie, jusqu'au 1er prairial, dernire

    convulsion des faubourgs, le Peuple et la Montagne marchent comme un seulhomme, dclare-t-il, insparables dans la victoire et dans la dfaite 1.

    Blanqui ne croit pas la possibilit de changer les conditions de vie des massesopprimes par les moyens que proposent les diffrentes coles du socialismeutopique. Il reconnat qu'en posant la question de la transformation sociale ellesont t d'une certaine utilit, car elles ont montr les dfauts de l'ordre existant etont inspir aux masses l'espoir dans un avenir meilleur, dans le socialisme. Maisaucune de ces coles socialistes ne peut prtendre avoir donn une recette quisauverait l'humanit de tous les maux sociaux. Il appelle les raisonnements desutopistes sur l'avenir de la socit, une scolastique rvolutionnaire . Lesdiscussions de ces doctrines n'aboutiraient qu' un lamentable avortement si lepeuple se laissait entraner par les utopistes, s'il ngligeait le seul lmentpratique de succs : la force .

    La socit future ne saurait tre la cration de l'esprit de tel ou tel penseur.

    Le communisme [de l'avenir] n'est pas une utopie. Il est le dveloppementnormal de tout un processus historique et n'a aucune parent avec les trois ou

    quatre systmes sortis tout quips de cervelles fantaisistes... Le communismeest une rsultante gnrale, et non point un uf pondu et couv dans un coin del'espce humaine par un oiseau deux pieds, sans plumes ni ailes 2.

    Les rveries utopiques sur l'dification d'une socit nouvelle, sans renverserl'ancien rgime, paraissent Blanqui absolument irralisables. Ds que lesgouvernements remarquent le danger, ils brisent sans difficult toutes les tentativesfaites pour la ralisation de ces plans utopiques. Blanqui considre aussi que tousles essais pour amliorer la condition des travailleurs par la coopration n'ont

    aucune valeur srieuse.

    1 Discours au banquet des Travailleurs socialistes (3 dcembre 1848). Cf. La Rvolution de1848,n LXI, sept. 1925, p. 546.

    2 Critique sociale, t. I, p. 199.

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    Le mouvement coopratif, c'est, dit-il, un pige pour les proltaires , unmoyen de les attirer insensiblement dans le camp de l'ennemi 1.

    Les organisations coopratives, accessibles seulement la couche suprieuredu proltariat, introduisent une stratification dans la classe ouvrire. Ellesdtournent des masses les hommes qui seraient les plus aptes devenir leurschefs ; elles font de ceux-ci une caste semi-bourgeoise conservatrice. Aumouvement coopratif, Blanqui oppose le mouvement grviste, instrument naturelet par surcrot instrument de masse dans la lutte du Travail contre le Capital 2.

    La grve, malgr les inconvnients, est le moyen naturel la porte de tous,

    auquel tous participent... La seule arme vraiment populaire dans la lutte contre leCapital.

    Mais elle n'est qu'un moyen temporaire de dfense contre l'oppression.

    Appuys provisoirement sur la grve comme moyen dfensif contrel'oppression du Capital, les masses populaires doivent concentrer tous leursefforts vers les changements politiques, reconnus seuls capables d'oprer unetransformation sociale 3...

    L'tat, dit Blanqui, est le gendarme des riches contre les pauvres. Il faut doncfabriquer un autre tat qui soit la gendarmerie des pauvres contre les riches. Nevous y trompez pas : le socialisme, c'est la Rvolution 4...

    La rvolution que prvoit Blanqui, et vers laquelle il s'oriente, aura pour tcheimmdiate le renversement du pouvoir du Capital et, pour but final, l'instaurationdu rgime communiste, l'limination complte de toute exploitation. Mais lesconceptions de Blanqui sur les forces motrices de la rvolution et sur les voiesd'dification du communisme demeurent entirement utopiques. Son imprcise

    comprhension de la structure de classe de la socit ne peut pas ne pas se reflterngativement sur cette partie de ses opinions. En considrant le proltariat commedissous dans la masse gnrale du peuple, dans l'ensemble des pauvres , il n'apu dterminer correctement la place historique de la lutte de classe du proltariatdans le processus qui prpare la rvolution sociale, et dans le mouvement mme dela rvolution.

    1

    Ibidem,t. II, p. 129-130.2 L'article dj cit page 26 et publi dans la revue Questions d'histoire apporte sur ce point laprcision suivante : Volguine souligne avec juste raison que Blanqui ne niait pas l'importancede la lutte grviste comme arme des ouvriers contre le capital. Mais il n'attire pas l'attention surle fait que Blanqui et les blanquistes ont toujours considr les grves comme une affairesecondaire et n'ont pas du tout lutt pour les besoins quotidiens de la classe ouvrire. (N. T.)

    3 Critique sociale,t. II, p. 166-167.4 Lettre Maillard, 1852.

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    Le blanquisme, a crit Lnine, attend la libration de l'humanit del'esclavage salari non pas par la lutte de classe du proltariat, mais par laconjuration d'une petite minorit d'intellectuels 1.

    Nous savons dj que Blanqui se reprsentait la rvolution comme uneinsurrection arme, ralise par des conspirateurs bien organiss. Organisation,ordre, discipline, voil le principal, voil ce qui est ncessaire, d'aprs lui, pour lesuccs de l'insurrection. Il accordait une grande attention la prparationtechnique de l'insurrection, et il a rdig ce sujet une instruction particulirementminutieuse. Il supposait que la rvolution venir serait une insurrectiondclenche dans l'intrt du proltariat, et qu'elle parachverait la lutte sculairedes pauvres et des riches, du Travail et du Capital . Il comptait sur les ouvriersparisiens pour entreprendre l'insurrection. Pendant la rvolution de 1848,l'organisation qu'il dirigeait dfendit nergiquement la cause du proltariat et, en cesens, elle fut un parti proltaire .

    Mais l'activit rvolutionnaire de Blanqui, qui atteignit son apoge en 1848,n'tait pas claire par une thorie rvolutionnaire. Il n'a pas su apprcierl'importance de ce facteur rvolutionnaire : la conscience de classe grandissante duproltariat, la croissance de sa capacit d'organisation. Il n'a pas su comprendreque, pour raliser la rvolution sociale, il faut un parti ouvriers'appuyant sur lemouvement ouvrier, un parti de classe 2.

    C'est pourquoi il se reprsentait mal la liaison entre le groupe disciplin desrvolutionnaires et les masses. Il ne comprenait pas la ncessit d'un lien direct etvivant entre l'organisation rvolutionnaire et la lutte concrte de classe mene parle proltariat. Il n'accordait pas une attention la lutte pour les besoins matrielsdes masses.

    Blanqui prend une attitude critique l'gard de l'ide traditionnelle et fortementenracine : aprs la victoire de la rvolution, lection d'une assemble constituante.Il accable de sarcasmes le parlementarisme bourgeois ; il dmasque la cupidit, lavnalit, l'indiffrence pour les intrts du peuple qui caractrisent les soi-disant reprsentants du peuple , dans les parlements bourgeois. Il n'accorde pas nonplus une grande importance au suffrage universel comme sauvegarde des intrtsdu peuple. En effet, le degr de conscience du peuple tant insuffisant, le peuplelui-mme souffrant d'un manque d'organisation, la prsence et la puissance desmoyens d'action spirituels et matriels placs entre les mains de la classedirigeante font que les rsultats du suffrage universel ne sauraient tre que trsdouteux. Pendant des dizaines d'annes, le peuple n'a entendu qu'un son de cloche ;pour juger sainement, il faut qu'il ait le temps d'entendre l'autre.

    1 LNINE : uvres, t. X, p. 360, dition russe.2 Idem,t. XVII, p. 129.

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    C'est un tribunal aveugle qui a cout soixante-dix ans une seule des deuxparties. Il se doit lui-mme d'couter soixante-dix ans la partie adverse 1.

    Pour assurer le triomphe de la rvolution, pour accomplir les transformationsindispensables, ce ne sont ni des lections, ni une assemble constituante quiparaissent ncessaires ; mais c'est, pense Blanqui, une dictature rvolutionnaire.Comme nous l'avons dit, la dictature, dans son ide, n'est pas une dictature declasse. Pour la dfinir, il parle de dictature parisienne .

    Le gouvernement de Paris, affirme-t-il, est le gouvernement du pays par lepays... c'est une vritable reprsentation nationale 2.

    Paris est le cerveau de la France ; le caractre rvolutionnaire de la capitale

    indique sa capacit de diriger la France. Cependant, il est vident que Blanqui,lorsqu'il parle de dictature parisienne , a en vue la dictature de l'organisationrvolutionnaire appuye sur une partie dtermine de la population parisienne. Lapremire tche du gouvernement rvolutionnaire, et dont l'accomplissements'impose pour assurer les rsultats de la rvolution, pour garantir les intrts dupeuple, c'est

    le dsarmement des gardes bourgeoises, et l'armement et l'organisation desmilices nationales de tous les ouvriers (Blanqui dit parfois : les ouvriers et les

    populations rpublicaines)...

    Ainsi la garde nationale bourgeoise doit tre licencie et, sa place, doit trecre une milice nationale forme d'ouvriers. En premier lieu, Blanqui pense auxouvriers parisiens, comme la partie la plus duque des travailleurs. Mais, plustard, il rvera de la parisiennisation de toute la France, qui assureradfinitivement le triomphe de la rvolution.

    L'armement, l'organisation, dclare-t-il, voil les instruments dcisifs de

    progrs, le moyen srieux d'en finir avec l'oppression et la misre. Qui a du fer adu pain. La France hrisse de travailleurs en armes, c'est l'avnement dusocialisme. Devant les proltaires appuys sur leurs fusils, obstacles, rsistance,impossibilit, tout s'vanouit 3.

    Le pouvoir rvolutionnaire doit porter des coups dcisifs au systme actuel dugouvernement et de la justice, au systme qui sert renforcer et dfendre lepouvoir des riches sur les pauvres. L'arme existante doit tre dissoute et, saplace, on procdera la formation d'une arme nationale sdentaire . Lepouvoir judiciaire actuel doit tre supprim ; les magistrats seront rvoqus. Lesfonctions judiciaires seront assumes par des arbitres au civil, par des jurs aucriminel . Des mesures doivent tre galement prises contre l'glise, qui sanctifie

    1 Critique sociale, t. I p. 206.2 Ibidem,t. I, p. 206-208.3 Avis au peuple (novembre 1850), La Rvolution de 1848, loc. cit.

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    l'ordre existant par le dogme et l'autorit spirituelle. Toute l'arme noire (mleet femelle) sera expulse . Seront galement chasss les aristocrates ; les vrais

    ennemis de la Rpublique doivent tre dfrs aux tribunaux. Enfin, d'unemanire gnrale, aucune libert ne sera laisse aux ennemis de la Rpublique 1.

    Cet expos sur les moyens de raliser les principes communistes est la partie laplus utopique des conceptions de Blanqui sur la rvolution sociale. Il n'envisagepas que le communisme puisse s'tablir rapidement. La disposition prsente desesprits ne l'engage pas l'optimisme mais la prudence.

    Il importe au salut de la rvolution qu'elle sache unir la prudence l'nergie.

    L'attaque contre le principe de la proprit serait aussi inutile que dangereuse

    2

    .Nous savons que le principal soutien du systme social injuste rside, selon la

    conception idaliste de Blanqui, dans l'ignorance. Au-contraire, le communismeest incompatible avec l'ignorance.

    Ignorance et communaut sont incompatibles. Gnralit de l'instructionsans communisme, et communisme sans gnralit de l'instruction, constituentdeux impossibilits gales... Entre ces deux choses, instruction et communisme,le lien est si troit que l'une ne saurait faire sans l'autre, ni un pas en avant, ni un

    pas en arrire. Elles ont constamment march de conserve et de front dansl'humanit et ne se distanceront jamais d'une ligne jusqu' la fin de leur communvoyage 3.

    Ainsi le communisme ne peut entrer dans la vie sans sa compagneindispensable, la culture la plus largement rpandue.

    Il y a de nombreux obstacles sur la route qui mne au communisme.

    L'arme, la magistrature, le christianisme, l'organisation politique, simpleshaies. L'ignorance, bastion formidable. Un jour pour la haie ; pour le bastion,vingt ans 4.

    ... La communaut ne peut tre tablie que sur l'emplacement du bastiondtruit ; [pour cette raison], il n'y faut pas compter pour le lendemain. Lacommunaut s'avancera pas pas, paralllement l'instruction, sa compagne etson guide. Elle sera complte le jour o, grce l'universalit des lumires, pasun seul homme ne pourra tre la dupe d'un autre. Le communisme natrafatalement de l'instruction gnralise et ne peut natre que de l 5.

    1 Critique sociale,t. I, p.205-206, 211.Blanqui a maintes fois insist sur ce point particulier : lalibert bourgeoise est un mensonge.

    2 Ibidem,t. I, p. 208, 211.3 Critique sociale, t. I, p. 177-178.4 Ibidem,t. I, p. 183.5 Ibidem,t. I,p. 183, 185, 187-188.

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    Blanqui esquisse un programme de mesures conomiques prendre

    immdiatement par le gouvernement rvolutionnaire, au lendemain de la victoire.L'tat confisquera les biens de l'glise et des aristocrates chasss.

    Runion au domaine de l'tat de tous les biens meubles et immeubles desglises, communauts et congrgations des deux sexes, ainsi que de leurs prte-noms.

    L'tat tablira son contrle sur les grandes entreprises commerciales etindustrielles. Des accords seront passs avec les chefs des entreprises industrielleset commerciales, accords qui obligeront ceux-ci maintenir provisoirement lestatu quo : en conservant leur personnel et sans changer les salaires. Les chefsd'industrie qui repousseraient ces accords seraient expulss du territoire et onsubstituerait une rgie tout patron expuls pour cause de refus .

    Il s'agit videmment l, en premier lieu, d'une mesure de dfense contre lesractions possibles de la bourgeoisie ( le coup de Jarnac du Capital dans ledomaine conomique). Toutefois cette mesure peut contribuer faire passerultrieurement les grandes entreprises prives dans le domaine de l'tat.

    Pour toutes les autres questions conomiques, y compris les questions desassociations ouvrires et du crdit, Blanqui se borne indiquer la ncessit de convoquer des assembles comptentes qui en discuteront 1 . Mais, pour que lesprincipes de l'association puissent vritablement entrer dans la vie, il estindispensable que les bienfaits de l'association soient comprhensibles aux largesmasses. Par leur politique, les gouvernements, jusqu' notre poque, ont faitobstacle cela ; car ils cherchent maintenir le peuple dans l'ignorance.

    Nanmoins, les bienfaits manifestes de l'association ne tarderont pas

    clater aux yeux de tout le proltariat de l'industrie, ds que le pouvoir travaillera la diffusion des lumires ; et le ralliement peut s'accomplir avec une extrmerapidit 2.

    Notons que Blanqui fait ici des ouvriers de l'industrie une catgorie spciale,plus rceptive aux ides d'association. Il considre qu'il sera plus difficile d'attirer l'association la paysannerie qui est beaucoup plus ignorante et qui est fortementattache son lopin de terre. Il recommande de considrer avec circonspection,avec une grande prudence, les intrts et les dispositions de la paysannerie, que les

    mots de partage et de communaut effrayent encore. Il comprendl'importance de la paysannerie pour le succs de la cause de la rvolution. Il fautexpliquer aux paysans que la rvolution ne portera pas atteinte la proprit petiteet moyenne, que les arrts du pouvoir rvolutionnaire

    1 Critique sociale, t. I, p. 204.2 Ibidem, t. I, p. 209.

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    respecteront les petits et moyens propritaires, et il faut dclarer nettement que

    nul ne pourra tre forc de s'adjoindre avec son champ une associationquelconque, et que, s'il y entre, ce sera toujours de sa pleine et libre volont 1.

    Dans l'ensemble, les conceptions de Blanqui sur la priode transitoireconduisant du rgime actuel au communisme ou l'association intgrale restent trs naves et trs vagues. On dcouvre chez lui des positions quitmoignent de sa capacit d'apprcier sainement les rapports rels de forces,pendant la priode de lutte directe pour l'dification du communisme (sabotagepossible des chefs d'entreprise, dispositions d'esprit de la paysannerie). Mais cespositions se noient dans des considrations sur l'instruction, considre comme lacondition pralable essentielle la transformation sociale, tenue pour la force quiconduit automatiquement au triomphe du communisme. Engels a trs justementindiqu que, chez Blanqui, il n'y avait pas au fond de propositions pratiquesdtermines de rorganisation sociale 2 .

    Il considre que toutes les tentatives pour reprsenter l'avenir du rgimecommuniste sont incertaines et inutiles. Il se moque des adversaires ducommunisme qui exigent aussitt qu'on leur dise qui, en rgime communiste, videra le pot de chambre ?

    Il expose ainsi ses vues :

    Occupons-nous d'aujourd'hui. Demain ne nous appartient pas, ne nousregarde pas. Notre seul devoir est de lui prparer de bons matriaux pour sontravail d'organisation. Le reste n'est plus de notre comptence 3.

    Il essaie de fonder en thorie son refus de discuter les problmes de la socitfuture. Il affirme que l'ordre existant est comme une barrire qui nous cache

    l'avenir, que son influence couvre l'avenir d'une brume impntrable. Tant que lemoment de la mort et de la renaissance de la socit n'est pas venu, les vues quel'on peut avoir sur l'avenir ne sont que des obscurits.

    peine des pressentiments, des chappes de vue, un coup d'il fugitif etvague sont-ils possibles au plus clairvoyant. La Rvolution seule, en dblayant leterrain, claircira l'horizon, lvera peu peu les voiles, ouvrira les routes ou

    plutt les sentiers multiples qui conduisent vers l'ordre nouveau 4.

    Seule la mort du vieux monde librera les lments dont la combinaison devraorganiser l'ordre nouveau. Aucun effort de pense ne pourrait anticiper sur cette

    1 Critique sociale, t. I, p. 209-211.2 MARX-ENGELS : uvres, t. XV, p. 225. dition russe.3 Critique sociale, t. I, p. 196.4 Critique sociale,t. II, p. 115-116.

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    libration qui ne peut se raliser qu' un moment dtermin. Pour cette raison,selon Blanqui, la question sociale ne pourra faire l'objet d'un examen srieux, qu'

    partir du moment o la question politique aura t pleinement rsolue.

    Blanqui garde une attitude ironique l'gard des discussions entre les diversescoles socialistes sur l'avenir de la socit. Elles

    se disputent avec acharnement au bord d'un fleuve pour dcider si l'autre rive estun champ de mais ou un champ de bl. Elles s'enttent rsoudre la questionavant de franchir l'obstacle. Eh ! passons d'abord ! Nous verrons l-bas !1

    * * *

    Blanqui est l'un des reprsentants les plus intressants du communismeutopique prmarxiste franais et du mouvement rvolutionnaire franais. Toute savie a t consacre la lutte rvolutionnaire au nom du communisme. Il a pass denombreuses annes de sa vie en prison, sous la monarchie de Juillet, sous lesecond Empire, sous la troisime Rpublique. Mais il n'a pas su donner unfondement matrialiste et scientifique l'inluctabilit du communisme. Il n'a passu se librer des vieilles ides de conjuration en ce qui concerne le processus de larvolution. Il n'a su ni comprendre ni apprcier l'importance historique de la luttede classe mene par le proltariat. Dans ses conceptions sur le dveloppement dela socit, il ne s'est pas dgag des traditions idalistes qu'il avait reues del'poque des lumires , du XVIIIe sicle. Dans ses op