Marzouki La Mort Apprivoisee

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  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    Moncef MARZOUKI

    La mort apprivoise

    Prface de Michel Jobert

    M r i d i e nVISION GLOBALE

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    R!"A#E

    Cest un mdecin non conformiste qui vous parle. Et non pas cette sorte dhomme qui nie

    par principe et dmolit avec dlectation. Il est seulement lucide et imprudent. Tunisien, ilavait ainsi eu quelque prsomption crire rcemment Arabes, si vous parlie!" #a sa$esse%opulaire prtend que toute vrit nest pas bonne dire". Ce qui si$nifie que la vrit doit&tre dite, mais que le'ercice est prilleu'. ( lindividu de choisir le silence confortable ou lesentiment du devoir.

    )uoi de plus naturel, dire*vous, quun mdecin parle de la mort+ il la combat et la ctoiequotidiennement- i elle habite le coeur des hommes et celui des socits, celles*ci, plus ellesse compliquent et plus elles oublient qua/ant prise sur tout, elles nauront 0amais le derniermot avec elle. Alors lillusion sempare des hommes. #a mort cesse de leur &tre famili1re+elle est partout sur les crans de tlvision, mais ce nest pas la leur, cest celle des autres.

    #e docteur 2arou3i raconte donc ce quest la mort des autres, qui est la ntre. %ar ce livrehumoristique mais $rave, macabre souvent, en tout cas fun1bre, il ne veut pas distribuerlesprance la petite semaine, mais recommander la calme mditation sur le dbut et la finde toute chose. #a littrature est linpuisable rserve o4 la mtaph/sique de la mort a stoc3ses recettes5 la posie arabe autant que les autres. A chacun de dbattre ou daller vers lerien" ou vers lapr1s", ou m&me dadhrer la $lose de ces dlirants culturels que sont lesidolo$ues, tholo$iens et autres nvross de la vrit absolue". #a vieille intuition de la mortrde en chaque coeur, m&me si les hpitau' quipent des services spcialiss avec draperiessomptueuses, colonnes doriques et musiques sraphiques pour faciliter le $rand passa$e verslau*del ou le nant. Comme si lon stait aper6u, ainsi que lcrit 2arou3i, que lhorreurde la mort hospitali1re ne provient pas de la mort elle*m&me mais de nos interventions

    intempestives. #aiss lui*m&me... le corps sabandonne sans trop souffrir".

    7e nose crire sur un tel su0et que lauteur professe un fatalisme souriant. Alors 0e le cite+#horlo$e du temps imparti se dclenche d1s la conception. #e'istence dun $1ne de la mortest plus que probable... tous les &tres vivants sont des $ants du temps puisquils nont fait, travers des milliards dannes, que vivre et se transformer. Ainsi mourir nest pas retourner aunant".

    7e me demande pourquoi 0 8ai accept de prfacer ce livre. 9ien en moi ne maurait port le lire, par hasard oupar $o:t. 2ais la/ant fait, 0e ne saurais le re$retter+ quand monte unev;i' sinc1re, comment ne pas lentendre, sur ce su0et comme sur beaucoup dautres- Cecito/en tunisien, bi*culturel ou bien davanta$e. na pas fini de nous tonner. Il est un $rand

    $ar6on qui sait dire, loin maintenant de la lucidit enfantine+ 2ais vous ne vo/e donc pasque le roi est nu!". Et la dtresse de ses semblables veille miracle, sa secourablecompassion.

    2ichel 7obert

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    Introduction

    %ar mon mtier

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    )ue le lecteur ne stonne donc pas de la forme et du st/le de ce quil va lire. Ce nest quecomme cela que 0ai du plaisir crire, et de toute fa6on ce nest que comme cela que 0e saiscrire.

    oil pour la forme, quen est*il du fond-

    #a mort, 08/ pense, comme tout un chacun, puis trop occup vivre, 0e loublie. 9e*rappel, loccasion du dc1s de la m1re, des $raves br:lures dun ami cher, re*oubli.

    7e sais certes quil faut mourir mais cela me parat narriver quau' autres.

    ( linstar de ce roi de >orv1$e qui, crivant son testament rempla6a quand 0e mourrai"par si 0e meurs", 0 8envisa$e moi aussi ma mort comme une h/poth1se dcole.

    Connaissant de par mon mtier ce qui la prpare, et surtout ceu' qui soccupent de vouspendant cette priode dlicate, 0ai tendance refouler massivement. Il / nanmoins des 0ourso4 la fati$ue qui submer$e rend la perspective de cette cure de repos, m&me ternelle, peu

    dsa$rable, voire ardemment dsire.En somme rien de tr1s ori$inal, ni de spcialement nvrotique ou morbide.En fait, le probl1me sest impos comme ob0et de rfle'ion par la nature m&me de ma

    profession.

    Interne, au contact de mes premiers morts

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    chercher, de rflchir, de fantasmer est venu, et ce sont toutes ces di$ressions qui ontconstitu la trame de ce livre. 7e suis tou0ours aussi $auche et maladroit pour $rer" la mortde mes patients, de mes proches et amis. Toute cette rfle'ion ne sera probablement que dunmai$re secours pour affronter ma propre mort ous ne vivons pas, mais nous nous survivons 0our apr1s 0our. >ous ne mourons pas, maissommes assassins par leDahr1.

    @erni1re e'plication sur une anomalie+ pourquoi un auteur arabe dont lessentiel de seslivres est crit dans sa lan$ue crit*il un livre en fran6ais, destin un public francophone etsurtout tran$er-

    #arabe, 0adis puissante lan$ue de sciences et de culture, est depuis lon$temps et encoreplus actuellement, sous haute surveillance de la part du reli$ieu' et du politique. Aussilcriture libre doit*elle se'iler dans des lieu', voire des lan$ues tran$1res. Cest ainsi que

    08ai d: e'iler" mes crits politiquesG censurs et pour lesquels 0ai comparu plus dune foisdevant la 0ustice de Four$uiba.

    Ce te'te en fran6ais sur la mort est lui aussi un te'te e'il", car il sa$it dune rcrituredun manuscrit en arabe, qui fut lon$temps refus parce que sacril1$e"H.

    En somme ce te'te comme toute la littrature ma$hrbine crite n fran6ais / estentrepos" beaucoup plus qucrit. Il sera donc in 0our ou lautre rapatri". 2ais cest iciquil faut voquer le proverbe quelque chose malheur est bon". #a colonisation a certes

    retard considrablement lmancipation des hommes opprims, mais, sans le vouloir etcomme si ctait par un effet pervers, elle a fait au' coloniss ce somptueu' cadeau quest lamatrise dune lan$ue de plus, et donc dune culture de plus.

    Cest ainsi que les lites des peuples coloniss et tou0ours sous*dvelopps ont pu 0ouir dece considrable privil1$e d&tre #e creuset o4 deu' cultures anta$onistes, par toutes sortesdoprations chimiques" comple'es, crent de nouvelles mani1res de dire et de penser leschoses. )ui plus est, cette lan$ue acquise en 5us, et souvent par un mcanisme nvrotique decompensation, aussi matrise que par ses propritaires l$itimes, va &tre un lien prcieu'entre soi et lautre si diffrent et si semblable. En apparence commune, elle vhicule lessensibilits et les milles nuances ut non*dit culturel propre lcrivain.

    #es mots vont prendre de ce fait un $o:t particulier, qui ne sera point celui du dialo$ueentre le lecteur et lcrivain unis dans la m&me lan$ue et la m&me culture. Ceci va donc

    permettre la rencontre, mais introduire aussi toutes les possibilits de malentendu et deconfusion. #e risque est nanmoins prendre de part t dautre. Car il sa$it dessa/er de

    0eter un pont par dessus un double $ouffre+ lincommunicabilit entre les hommes et les cul*#itres.

    @ans un certain sens, ce livre est un 0eu, o4 le moi*0e 0oue avec ses souvenirs, ses peurs,J Ce mot arabe est intraduisible en fran6ais. #e concept composite quil e'prime comprend tout aussi

    bien le destin, la fatalit, le hasard, le dsordre implacable des choses, ainsi que le non moins implacableordre des vnements.

    G Arabes si vous parliez, dit che #ieu commun, %aris, JKLL, refonte dun livre maintenant autoris+

    #aisse sveiller le pa/s".HIl a t dit en fin de compte en Tunisie sous le titre+Le mdecin et la mort.

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    ses phantasmes et ses utopies. 2ais le 0eu nest pas $ratuit, bien au contraire.

    %ar dessus cette incommunicabilit des &tres et des cultures, on va la rencontre de lautre,dans ce quil a de plus secret, de plus fondamental et de plus universel.

    @ans un livre sur la mort, le messa$e est+ 0e viens vous faire peur etMou vous rassurer car

    08ai besoin de me faire peur etMou de me rassurer. %our cela 0ai besoin de mettre tout 6a ensc1ne, car 0e ne peu' le ressasser indfiniment pour moi tout seul.

    2ais au*del de ce messa$e e'plicite, il / a le messa$e tu, et que tout livre vhicule, quelque soit son su0et ou ses allures+ 7e sais que vous &tes l, 0e vous soup6onne m&me d&tremes semblables, 0e ne suis pas s:r de vous aimer, du moins tous la fois, et cest mon espritqui fonde votre e'istence, foule solitaire de copies conformes."

    #e messa$e peut aussi se lire ainsi+ Cest moi qui suis l*haut le'tr&me $auche de la$rande photo de famille. >oublie pas mon nom. oil ce que 0e pense, ce que 0e sais, cest**dire ce que 0e suis. Etes*vous semblables moi- 2aime*vous- Car cest de vous que 0ai

    besoin pour fonder mon e'istence."

    #e livre tablira ou ntablira pas le contact entre deu' sub0ectivits en drive, enrecherche, en attractionMrpulsion permanentes.

    @ans le silence de la lecture, sapprofondira le malentendu, se'acerbera le re0et, ouquelque chose passera+ la retrouvaille et la reconnaissance du moi*0e comme tant lima$e enmiroir du toi*tu.

    Ainsi pourra soprer ce miracle silencieu' et secret, tou0ours recommenc, o4 deu' &tresse rencontrent, sans savoir quils se sont rencontrs, et que raffermit par cet chan$e

    purement spirituel, transcendant le corps, lespace et le temps, leur appartenance communeau m&me corps de ballet de la tra$i*comdie humaine.

    %uisse ce livre permettre de tels chan$es, car pour bien 0ouer, il faut &tre au moins deu'.

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    REGAR$S I

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    LE MAL MOURIR

    #AE?N#A>TE O9ITO

    #a mort hospitali1re, au0ourdhui, a toutes les caractristiques dune nvrose, la derni1re,;n / voit 0ouer des mcanismes de refoulement, de dn$ation, un rituel obsessionnel,la$ressivit, la subordination, la soumission au mdecins linfantilisme et linfantilisation.

    9ien ne manque donc et surtout pas llment essentiel toute nvrose+ la rsistance uneralit qui est pour le moi lirrparable frustration, lultime chec.

    @ans la mort hospitali1re ce nest pas tant labsence de rituel, pi1ce matresse delancienne fa6on de mourir, qui frappe, mais bien la rsistance tout pressentiment, tant est$rand le refus qui lui est oppos, aussi bien par le malade que par le mdecin.

    ;n ne veut pas savoir, un point cest tout. #chec est occult, ni. ;n fait lautruche etbien s:r, 6a ne marche pas. Ainsi lhomme au seuil de linitiation une phase dcisive de savie se trouve*t*il amput dune partie essentielle de cette e'prience.

    7eune interne, 0e pensais quil fallait dire au' $ens, comme mes confr1res amricains

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    mabandonnes*tu - Appele*moi le patron. 7e ne veu' pas de cette piq:re. Fande di$nares.>on, 0e ne veu' pas man$er. Alle vous faire foutre. %ourquoi me parle*vous sur ce ton-ous ne pouve pas avoir du respect pour mon tat- >e me prene pas la tension. Apr1s tout,quest*CC que 0e men fous. Alle, hop du lest. orte. >on rentre. ous &tes vraiment s:rdu dia$nostic- Et si ctait un 3/ste- 2ais quest*ce que vous en save- Ah vous &tes forts,vous autres mdecins. 7e vais aller en Amrique. #*bas, au moins ils savent. ;ui, seule la

    mdecine doutre*Atlantique pourra me soi$ner. 7e vais mourir.., 0e vais mourir, cest vite dit,et les $urisons spontanes du cancer par la volont, vous nen ave 0amais entendu parler,hein-

    E'plique*moi cette phrase du #arousse mdical+ des mitoses monstrueuses apparaissentau stade I. Cest quoi le stade I- Et pourquoi monstrueuses- Est*ce que 0e suis au stadeI- Et si 08tais au stade III- Est*ce que la radiothrapie a$irait encore sur les divisions de lachromatine nuclique intrac/toplasmonuclaire- #e 2thotra'ate est*il une moutarde

    bloquant la division au niveau du fuseau dans la r$ion quatoriale ou a$it*il sur les phno*m1nes transmembranaires- 2ais Fon @ieu, faites quelque chose! 7ai mal, oh! que 0ai mal!Appele linterne. eilleuse! vous alle venir, oui ou merde- 7e vais crire au directeur. 2aiscest le bordel ce service! %ourquoi linterne de $arde nest pas l, il trousse une infirmi1re-

    9ien! dites*le quil sen fout que 0e cr1ve. @ou' 7sus, pourquoi mas*tu abandonn- 2on@ieu que 0ai mal. @octeur, donne*moi quelque chose de fort. >on, ne parte pas, 0e vousprie reste un peu. 7e me sens de plus en plus faible. %ourquoi nai*0e pas dapptit- @onne*moi des fortifiants. Cest le stade I, hein! ;h! vous save, moi, 0e nai pas peur de la mort,vous pouve me dire toute la vrit. Apr1s tout, il faut mourir un 0our. Au0ourdhui oudemain. 2ais pourquoi ai*0e si mal- Ce sont les mtastases, hein.., 0en ai partout, nest*ce

    pas, nessa/e pas de membobiner. Entre professionnels du menson$e! ous save, mentirpour nous autres pr&tres est une obli$ation, mais pour vous, les mdecins, cest un tic,quelque chose comme un rfle'e.

    9emarque, vous ave bien fait de me dire la vrit moi. Il faut savoir re$arder les chosesen face, quoi quil en co:te. Cest une question de di$nit. 2ais cest quand m&me

    fantastique quon dpense tant dar$ent pour la conqu&te de lespace, et rien pour la luttecontre le cancer. Il faut alerter lopinion. Cest un scandale, 0e dis cela bien s:r pour tous lesautres. Ah! elle est belle la mdecine! @es coba/es voil ce que nous sommes, oui, @octeur,des coba/es. Avoue que vous ne cro/e pas plus vos dro$ues que moi leau bnite.Fnite mon oeil. Et si 0allais #ourdes- ous ricane, 2onsieur lEsprit fort, hein, maiscomment e'plique*vous les $urisons... A?TE>TI)?E que vous &tes bien obli$s dereconnatre- 2on @ieu que 0 8ai mal. ous nave rien de plus fort que le %alfium- #a

    perfusion est finie. )uest*ce que vous mette dans cette satane bouteille- )uelle est matemprature- #a numration formule san$uine est*elle revenue- >e me raconte pasdhistoires. 7e ne suis pas un enfant, vous save. %ourquoi ne me laisse*vous pas mourir, aulieu de vous acharner sur moi- @onne*moi une piq:re de alium. ous parte d0, 0e vousfati$ue, hein- >on, ntei$ne pas. 7e vais lire. 7e nai pas sommeil. ;ui, la sonnette l,

    merci... ous reviendre, nest*ce pas- #a nuit est si lon$ue!"Cela dura trois mois. Ce qui frappait dans son comportement, ctait moins lintensit et la

    profondeur de son an$oisse que la monte pro$ressive de la haine+ haine des mdecinsimpuissants, de la mdecine incapable, de la mort, ce $ouffre noir pr&t len$loutir, de la viequi soudain sest mise se refuser lui, comme un ob0et de lu'e hors de pri'.

    ?n proverbe arabe dit que la sant est une couronne pose sur la t&te des bien*portantsque seuls voient les malades". Cette couronne invisible devait le fasciner, l, pose avecostentation et criminelle inconscience sur la t&te de la fille de salle tranant sa serpilli1re enmau$rant. Elle le rendait littralement fou de ra$e, un peu comme un chiffon rou$e quona$ite sous le ne du taureau, hriss de banderilles, m:ri point pour le coup de sabre del$or$eur. #impasse!

    )uand il est mort, ce fut un soula$ement dans le service, soula$ement teint dironie et dempris. ;h! il avait rat sa sortie, le pauvre pr&tre! ;n avait limpression quil avait t

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    littralement vid de la sc1ne, car il est parti en saccrochant par les on$les et les dents cettevie qui le re0etait dun haussement dpaule.

    7ai souvent repens cette sordide tra$die. on souvenir me revenait de fa6onautomatique, chaque fois que lenvie me dman$eait daller au*del des banalits de ri$ueuravec un malade condamn5 et il continue de constituer un frein, une inhibition insurmontable,

    bien que 0e sache quil est ill$itime de faire dun chec la base dune conduite $nrale.

    Ce qui me frappe au0ourdhui encore, dans cette histoire, cest lnormit de lerreurdinterprtation commise par le patron. Il navait pas pch par manque de tact, mais parmconnaissance dun phnom1ne comple'e, et dont on na pas fini de mesurer lesconsquences+ leffondrement des m/thes e'plicatifs de la mort. Il stait dit quun pr&tre estquelquun qui est arm pour faire face. 2ais le pauvre pr&tre avait la peste, ctait un hommemoderne. nomment un homme moderne peut*il avoir la foi au0ourdhui- #ao Tseu dit quelque

    part dans le Tao-T Kin! )uand la foi nest pas totale, elle nest pas la foi." #homme du2o/en P$e dcrit par Aries lavait, cette foi totale du charbonnier. #e m/the fonctionnait, etla mort tait, si 0e puis dire, normalise et domestique". Cest pourquoi elle navait riendun drame.

    #a Terre plate et carre tait immobile, au centre de l?nivers, les sept sph1res clestestournaient autour delle. #*haut, @ieu avec son bBton surveillait son mchant troupeau. ;nmourait avec cette apprhension que lon ressent au moment de franchir la porte du directeurqui vous a convoqu pour demander compte de vos mauvais tats de service.

    2ais ces fous ont fait tourner la terre, clater les sph1res clestes, ils ont dilacr lesm/thes fondateurs, et ils ont tu @ieu, et ce faisant ils ont tu lesprance.

    Alors mourir est devenu encore plus difficile et plus insupportable que 0amais. Au bord dece trou noir, sans fond, et ne menant nulle part, lesprit frapp de verti$e et de terreur recule,se rebiffe et se dbat dans une panique absurde.

    Cest ainsi que la mort devint sauva$e, et cest parce quelle est devenue insense et follequon la enferme dans les hpitau', ces asiles mourants.

    I# Q A CE?R )?I SIRE>T #E ;#EI#

    #a mort, comme le soleil, ne se re$arde pas en face, dit*on. oire.

    #e bruit de son a$onie courut comme une trane de poudre dans les couloirs de lhpital.Aussitt, le personnel sor$anisa spontanment. #a moiti restant au service attendant son

    tour, pendant que lautre moiti allait au chevet de la$onisant. 2es infirmiers me poussentlittralement dans une voiture qui fonce tombeau ouvert vers la maison dAbdel, infirmier*chef de la consultation. Infirmiers, mdecins, fille de salle, tous en blouse blanche, nousserpentons en une lar$e procession travers les ruelles de la mdina de Tunis.

    >ous dbouchons, foule $rave et atterre, dans la cour intrieure de la maison. #a m1renous introduit tous dans la petite chambre du mourant5 nous le reconnaissons peine+ visa$ed0 cadavrique, noirci par la c/anose... )uelques rBles schappent encore de sa poitrine.%uis, brusquement, il cesse de respirer. 9fle'e professionnel idiot+ 0e prends le pouls, 0e metsloreille sur la poitrine, et 0annonce un peu doctement la formule rituelle+ )ue @ieu ait pitide son Bme."

    #a m1re pousse un lon$ hululement qui me surprend. Cest quun lon$ s0our hors du pa/sma habitu au' motions contenues. Elle seffondre, vanouie, dans les diaines de brastendus avec sollicitude.

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    Frusquement, quelquun fend la foule des blouses blanches en poussant des cris et des0urons. Cest le fr1re qui veut se 0eter sur le cadavre... %ourquoi faire- ;n ne le saura 0amais.Il est matris, ca0ol, tran hors de la pi1ce et... calm.

    Fientt, la maison retentit de cris de douleur, pousss par les femmes parentes, amies etvoisines. acr tintamarre.

    7e suis frapp par cette motion e'traordinaire et, surtout, par lintensit de son parta$e.Tout le monde pleure. 7e me sens un peu $auche, dplac, de ne pas / aller de ma proprelarme. 7e pleurerais bien un petit coup moi aussi. Il / a tellement de choses en moi, et autourde moi, qui mriteraient un $icle de larmes, mais 0e ne sais plus+ trop dsaccultur, et aussitrop content de laubaine. Felle occasion pour une observation anthropolo$ique. 7avaistotalement oubli les rites de la mort de che moi.

    ?n instant, 0e son$e la mort hospitali1re en ;ccident. @ans cette ambiance, un peuh/strique mais chaude, latrocit de la mort l*bas me frappe encore davanta$e. Ici, on nemeurt pas recroquevill sur soi, sous la lumi1re triste des couloirs bru/ants, les visa$es quonvoit penchs sur soi ne sont pas ceu' des professionnels blass et indiffrents, mais ceu' des

    siens, d$oulinant de larmes, parta$eant avec celui qui va &tre initi, sa peur et sa peine. Ici,la mort, comme la vie, est encore une e'prience commune, o4 lhomme nest 0amaisabandonn la solitude. #a maison re$or$e de monde. #es voisins prvenus affluent. Chaquefemme / va de sa petite crise de nerfs. #es hommes pleurent di$nement, en silence. Ilssoufflent tr1s fort dans leurs mouchoirs. #es rles sont bien respects.

    oil le p1re+ soutenu par une foule damis. ;n lassoit dans un fauteuil. >ous lentourons,nous lembrassons, en marmonnant des mots de condolances. ?n coll1$ue apporte unecouverture, un autre verre deau. #homme retient peine ses larmes.

    Saites taire ces femmes. Cest un blasph1me contre @ieu. Il la cr, il la rappel. Fnisoit le ei$neur. Fnit soit*il mille fois.

    Il nous a donn tellement de choses. )ue sa volont soit faite... ; louan$e @ieu!...#ouan$e!"

    7e son$e+ l les m/thes marchent encore. Curieu'! 2oi, le @ieu en question, 0e lui auraisplutt fait une sc1ne de mna$e, demand des comptes. 2/st1re de la foi+ supr&me force-upr&me niaiserie- )ui sait-

    7e revois brusquement le visa$e bleu*noir dAbdel, et 0e me sens pris la $or$e par unsentiment dadmiration. @ire que 0e suis pass ct de lui tous ces mois sans savoir, sans medouter de latroce cauchemar quil vivait. Il faut dire que nous navions pas t tr1s amis. #esconceptions radicalement diffrentes de lor$anisation du travail avaient multipli les

    frictions entre nous. Ce nest donc pas moi quil aurait prvenu, alors quil ne souffla mot deson calvaire personne.

    2ais rien ne se cache tr1s lon$temps. )uelques*un de ses amis surent tr1s tt quil avait uncancer du lar/n', et quil avait dcid de ne pas se battre. Il devait savoir le $enre demutilations chirur$icales quentranent les tentatives de'r1se... et leur chec plus oumoins lon$ terme.

    Cette voi' nasonne, peine audible, que 0avais mise, quelques 0ours avant son dc1s, surle compte dune banale lar/n$ite, ctait donc 6a. Car Abdel travailla 0usqu la limite de sesforces, cachant son mal du mieu' quil pouvait. 7essa/e dima$iner son e'prience durantces fatidiques derniers mois. Comment a*t*il su - @habitude on biaise avec ce $enre

    dinformations, surtout quand il sa$it dun membre de la profession.;h! il a d: vite comprendre, lair soudain $entil et intress du mdecin. %uis, la

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    proposition dune biopsie

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    prvisible."

    Eh bien, 2onsieur R, avec un coeur pareil, vous pourrie refaire votre service militaire.

    VAh @octeur, la $uerre... vous ntie pas encore n. %uis vous save 0e ne fume pasmoi...

    V 2ais papa, puisquil te le dit, le @octeur, que ton $enou est bon.

    V 2aman, arr&te demb&ter le @octeur avec tes histoires de bonne femme...

    V ;h... mais dis... toi! ... Tene asse/e*vous l... vous prendre bien un peu de tarte, elleest e'cellente.., vous n&tes pas press, nest*ce pas-"

    7e massois, un peu $&n. 2aman", petite femme rondelette et follement s/mpathique,sactive autour de moi. Cest vrai quelleest e'cellente la tarte au' fraises. %apa" bavarde comme un politicien, volubile etintarissable. %auvre homme, il na pas d: parler depuis une semaine.

    ei$neur quils doivent &tre seuls, et tristes d&tre si vieu'.

    Coup doeil circulaire, embrassant la petite pi1ce. Tout est briqu. %as un poil de dsordre.Il / a des fleurs, des photos au mur, beaucoup de photos. #homme 0eune, en tenue militaire,la belle marie. #enfant absent, les fesses de bb, la communion solennelle. Il / a un vieu'

    piano qui na 0amais servi, et cet horrible chien qui narr&te pas de me renifler depuis ledbut... sur la commode un volumineu' poste de T..S. un peu bancal. #e tapis est un peuterne. #e rideau' sont tr1s beau'+ brods la main 0e parie, la nappe aussi est tr1s belle. Il nemanquerait plus que 0e la tache. #e reste de la maison est de la m&me veine. #e $rand lit estde bois. #a vieille armoire est vraiment vieille. #e crucifi' est de st/le pompier, la cuisine estchaude et impeccable. Toute une vie est l.

    2al$r lintimit et la chaleur du dcor, il / a comme une an$oisse qui flotte dans lair, lamienne et la leur. 7e devine leur dtresse, ltendue de leur solitude, ils savent quils sont d0hors course, que le tout est dattendre di$nement le 0our o4 tout va basculer.

    En les quittant 0e me remplis encore une fois les /eu' de tous les dtails de la maison et0ai envie de leur dire+

    2oure donc che vous, entours de tous ces ob0ets familiers qui ont quelque chose devous. >e vene donc pas mourir lhpital, si vous savie comme cest laid." Ce qui matou0ours frapp dans la mort hospitali1re, cest 0ustement le caract1re sinistre et inhumain dudcor.

    @ans la plus $laciale des solitudes, les petits vieu' ont encore un lien ph/sique avec lemonde, par lintermdiaire de tous ces ob0ets qui les entourent, char$s de la s1ve dessouvenirs heureu'. Ce lien avec la di$nit se brise et tout bascule le 0our o4 ils sontembarqus dans lambulance, pour aller se soi$ner" lhpital, en fait pour aller e'plorerles coins et les recoins de limpasse.

    )uelques mois plus tard, lhpital, 0e reconnus tout de suite 2aman". #a derni1re tapeest donc en$a$e.

    Elle est mise dautorit par linfirmi1re la chambre H, car il / a d0 deu' vieilles dans lem&me cas. ?n travail $roup est tou0ours plus facile et cest tou0ours mieu' que la K o4 ellessont di'. #tat de choc pass, 2aman" ouvre les /eu' et enre$istre, pro$ressivement, les

    caractristiques de son nouvel espace. Elle a le lit pr1s de la fen&tre. #a chambre est tr1stroite, le lit aussi. #e plafond est haut et $ris. #es rideau' sont ternes et quelconques...

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    >ulle dcoration sur les murs. #a nuit, le corridor est clair, et sa lumi1re sinsinuepartout dans la chambre triste o4 la voisine fait un cauchemar. %uis, il / a le bruit, cemalfique bruit encore plus an'io$1ne que le silence.

    ?n coup sec, la porte souvre pour laisser le passa$e la meute des blouses blanches. Il / a

    le patron, le chef de clinique, linterne, les e'ternes, les l1ves infirmi1res, les3insithrapeutes. #e patron continue sur sa lance, avec le chef de clinique+

    Alors, 0e leur ai dit, moi, quil tait scandaleu' que la commission consultative accepte cechanta$e. Ce nest pas parce que ces messieurs veulent un poste en surnombre pour leur

    poulain que nous allons les laisser faire. ous comprene, il na aucune qualificationsrieuse.., mais aucune"

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    on la sentait lointaine, d0 partante. Elle le savait probablement et, qui sait, peut*&tre quellese moquait de notre aveu$lement.

    ?n 0our, 0ai vu le pr&tre entrer subrepticement dans sa chambre. Cet hommeparticuli1rement discret, que 0avais tr1s lon$temps pris pour le coiffeur, essa/ait de se faireencore plus discret. Il se savait tolr, peut*&tre un peu mpris, en tout cas, peu pris au

    srieu', par le personnel+ en souffrait*il- 7e nen sais rien, 0e ne lui ai 0amais vraiment parl.>ous nous disions bon0ours dans le couloir, et chacun vaquait ses occupations, pris au pi1$ede son statut et de son rle.

    Il tait le reprsentant, un peu le vesti$e dune certaine conception de la mort qui avaitcess davoir cours, et ceci il le savait. Alors il faisait semblant et nous tous avec lui, parcourtoisie. Inutile de dire quau $rand 0amais, il ne nous aurait dran$s lors dune oprationde ranimation. %ourtant, il aurait d:. )uand on rflchit au processus du mal mourir danslequel 2aman" avait t happe, on trouve certes cette solitude et ce sentiment de dchoiren devenant vieu', mais cest surtout lidolo$ie sociale qui diri$e le fonctionnement de lamachinerie hospitali1re qui est en cause. Il / a pour commencer cette n$ation de la mort, quifausse et empoisonne tout.

    #a perspective de mourir lhpital est ma$iquement occulte. Tout le monde se met de lapartie pour nier lvidence. #es rles sont parta$s, mais le choeur essa/e de chanter lunisson et le malade lui*m&me se comporte souvent comme sil tait l pour une cure, un

    bilan, une rvision $nrale.

    #a famille, quand il lui arrive d&tre l, le pousse dans cette voie et le mdecin ne fait querenchrir. Ainsi, la mort est nie dans lendroit o4 elle est le plus che elle. #a fonction demourir de lhpital est refoule avec une telle vidente mauvaise foi, une telle maladresse,quon en rirait, si le su0et pr&tait rire. lhpital on parle de la maladie et du malade, mais onne parle pas au malade.

    #e chan$ement de dcor brutal, lment principal du mal mourir hospitalier, nest donc passeulement dordre ph/sique, mais surtout dordre ps/cholo$ique. Frusquement, vous &tesconfronts des $ens au comportement et au lan$a$e incomprhensibles. ous &tes obli$sde vous habituer des diaines de nouveau' visa$es. I@es $ens sont bien intentionns, maisils se dfendent contre leur propre an$oisse en affectant lindiffrence et lamour du travail

    bien fait. #eur $entillesse est, souvent, de commande car personne nest en mesure daimertous ses prochains, en tout cas pas tous la fois. Aussi le dialo$ue qui peut sen$a$e entrevous et eu' est*il tou0ours rduit sa plus simple e'pression.

    Xa va au0ourdhui-"( cette in0onction que vous lance le mdecin, linfirmi1re, le 3insithrapeute, vous ne

    pouve rpondre que oui. #une de mes amies mdecin hospitalise me disait ressentir cettephrase comme un ordre+ dites oui sinon vous &tes un mauvais malade...un in$rat... unrouspteur... un h/strique. 2ais 2aman" ne peut m&me pas le dire ce ouD si $ratifiant,

    prisonni1re quelle est de son aphasie.

    on calvaire dura deu' mois en tout. #ever tt. #e couloir e'plose de tous les bruits.Thermom1tre. Toilette... 2anipulation par des mains fbriles, et impatientes.., le drapmouill. #e bilan+ dans celui*ci, la recherche de la s/philis, faite s/stmatiquement depuis HYans, et on continue. %ersonne ne sait plus pourquoi. #a veine est difficile trouver,quimporte... ;n recommencera. 2aman" devait connatre par la suite de multiples autresstress de ce $enre. %etite infection du poumon, re*transport, re*radio, re*attente... Embolie

    pulmonaire minime, ambulance, lon$ues heures dattente sur un brancard au servicespcialis... In0ection, manipulation*clichs, retour au service. @ouleurs thoraciques et trou*

    bles du r/thme cardiaque+ lectrocardia$ramme 0ournalier. 2ultiples prises de san$.%erfusion quotidienne. 2ise en place dun cathter veineu', rveil la nuit pour la derni1re

    in0ection.., et 0en passe.%ro$ressivement, 0e lai vue se murer, se recroqueviller sur sa souffrance. Elle

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    sabandonnait sans protestation toutes les manipulations dont son corps tait lob0et, maison la sentait lointaine, d0 partante. Elle le savait probablement et, qui sait, peut*&tre quellese moquait de notre aveu$lement.

    ?n 0our, 08ai vu le pr&tre entrer subrepticement dans sa chambre. Cet hommeparticuli1rement discret, que 0avais tr1s lon$temps pris pour le coiffeur, essa/ait de se faire

    encore plus discret. Il se savait tolr, peut*&tre un peu mpris, en tout cas, peu pris ausrieu', par le personnel+ en souffrait*il- 7e nen sais rien, 0e ne lui ai 0amais vraiment parl.>ous nous disions bon0ours dans le couloir, et chacun vaquait ses occupations, pris au pi1$ede son statut et de son rle.

    Il tait le reprsentant, un peu le vesti$e dune certaine conception de la mort qui avaitcess davoir cours, et ceci il le savait. Alors il faisait semblant et nous tous avec lui, parcourtoisie. Inutile de dire quau $rand 0amais, il ne nous aurait dran$s lors dune oprationde ranimation. %ourtant, il aurait d:. )uand on rflchit au processus du mal mourir danslequel 2aman" avait t happe, on trouve certes cette solitude et ce sentiment de dchoiren devenant vieu', mais cest surtout lidolo$ie sociale qui diri$e le fonctionnement de lamachinerie hospitali1re qui est en cause. Il / a pour commencer cette n$ation de la mort, qui

    fausse et empoisonne tout.#a perspective de mourir lhpital est ma$iquement occulte. Tout le monde se met de la

    partie pour nier lvidence. #es rles sont parta$s, mais le choeur essa/e de chanter lunisson et le malade lui*m&me se comporte souvent comme sil tait l pour une cure, un

    bilan, une rvision $nrale.

    #a famille, quand il lui arrive d&tre l, le pousse dans cette voie et le mdecin ne fait querenchrir. Ainsi, la mort est nie dans lendroit o4 elle est le plus che elle. #a fonction demourir de lhpital est refoule avec une telle vidente mauvaise foi, une telle maladresse,quon en rirait, si le su0et pr&tait rire.

    #homme va donc mourir non seulement en cachette, mais presque par infraction.

    7usqu la derni1re minute, on essa/era dentretenir lillusion de la $urison, comme si lamort ntait pas en fin de compte une tape ph/siolo$ique et banale de l&tre vivant, et pourcause+ dans loptique hdoniste et matrialiste de la culture, la mort est lchec le plusultra". Elle est donc refouler. Cette supercherie drisoire a un pri' e'orbitant+ la souffrancesouvent inutile, souffrance sans recours, car, quand les malades disent dun ton suppliant+2ais laisse*moi mourir @octeur!", on rpond par une au$mentation de la dose desantidpresseurs. #e mdecin lui*m&me est pris dans un 0eu qui le dpasse, et qui lui estsouvent impos par la m/tholo$ie ambiante+ sauver, traiter, vaincre la mort, etc. #ide quecette conception puisse &tre aberrante, que la mort est peut*&tre un accomplissement,neffleure pas lesprit de beaucoup de ranimateurs dont le dvouement et la comptencemont souvent rempli dtonnement.

    @ans lent&tement que montre le mdecin combattre linluctable, il n/ a pas que ledsir de la prouesse technique, de le'primentation et de la recherche, il / a quelque chosede plus subtil.

    #e savoir mdical est au0ourdhui un savoir clat, vaste, parcellaire, spcialis,saccumulant une vitesse fantastique. Il est impossible matriser par un simple mortel.Alors une sourde inquitude sempare du praticien devant le mourant.

    Et si quelquun, quelque part savait, et si dans la derni1re publication..." Ceci faitquau0ourdhui, lon ne soit plus autoris mourir dans le C? avant quun conclave despcialistes nait dcid de fermer le dossier.

    @ans ce cas, le mdecin peut se dchar$er de son sentiment dchec, mais il se trouveimpliqu par la mdecine qui se voit dfie, 0e dirais dsavoue, dmentie, dconsidre par

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    la mort.

    ;r, dans la m/tholo$ie contemporaine, on nest pas loin de'i$er rparation de Cet chec.@ans le'primentation, aussi bien surlanimal que sur lhomme, ce nest pas seulement la victoire sur les innombrables petites et$randes mis1res du corps qui est vise, mais lultime consquence du savoir mdical+ la

    victoire sur la mort.

    %rtention certes soi$neusement refoule comme tant prmature, mais sous*0acente ettenace. Il nest pas tonnant que le mdecin, bafou en tant que personne dpositaire dunsavoir tou0ours en retard sur lvolution foudro/ante des ides et des techniques, mais aussi

    porte*drapeau dune science au' horions illimits bien quencore balbutiante, sacharne. Acet acharnement, il n/ a pas de contrepoids. #a famille brille le plus souvent pas sonabsence5 rduite sa plus simple e'pression par lclatement du $roupe quelle constituait enmilieu a$raire, elle a peu de chose apporter au mourant, trop contente de se dchar$er surles techniciens qui savent, eu'".

    Elle va trouver dans cet alibi de quoi calmer son an$oisse et sa culpabilit.

    %oint de rituel, de crmonie dinitiation, de chaleureuse affection et affliction $uidant lemourant sur la voie difficile, mais un simulacre dassistance ps/cholo$ique, un abandonquasi total une machine indiffrente et comple'e qui fonctionne tout aussi bien pour lemalade que par la maladie.

    Alors, braves $ens, alle lhpital pour vous soi$ner, vous / rencontrere des mdecinscomptents et humains, des infirmi1res $entilles et a$rables, des machines impressionnantes

    parfois utiles. 2ais, quand lheure de la mort sonnera, moi qui connais les arcanes de lacuisine, qui ai vu prparer la soupe, et qui ai vu parfois cracher dedans, 0e vous donne unconseil dami+ 9entre vite che vous, chaque fois que cest possible. #a mdecine n8em*

    p&che pas de mourir, mais emp&che de bien mourir.

    Saites*vous aider pour traverser le $u par quelques amis et parents. Feaucoup nedemanderont qu le faire. otre mdecin de famille vous aidera supporter une douleur tropforte ou une an$oisse trop pnible. 9emplisse*vous les /eu' de vos ob0etsfamiliers, des visa$es des &tres chers, et laisse*vous aller. 2ourir pour mourir, autant le fairecorrectement si ce nest avec l$ance.

    #AIT E>TE I>TE92I>AF#E

    %avillon ainte*2arie. pital ps/chiatrique . 2on premier rfle'e en arrivant au servicefut de me dire+ @ieu, toute une anne passer dans cet endroit."

    #e service est constitu au re*de*chausse dune norme pi1ce, qui voque un hall de$are, et dun premier ta$e minable. En bas, ils

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    mouvement r/thmique tr1s soutenu+ dbiles autistiques profondes, donc rien en tirer. Auloin, dans un coin, taciturnes, perdues dans leurs r&ves, deu' 0eunes filles peu en$a$eantes,des schiophr1nes probablement.

    @eu' vraies malades sur un service de plus de cinquante lits. Cest mai$re. #es salaudsils mont eu, au moment du parta$e des services ils mont affect au dpotoir de lhpital."

    #infirmi1re, assise au milieu des malades, sarrache son >ous @eu'", baisse le son dela radio hurlant des slo$ans publicitaires et vient maccueillir.

    @un $este lar$e, elle me montre les horribles vieilles.

    oil! ( ainte*2arie, il n/ a que des dmentes sniles, dailleurs cest la ma0orit danstous les services. ous naure pas $rand*chose faire."

    Effectivement, 0e nai pas eu $rand*chose faire cette anne*l, alors 0e me suis mis observer le fonctionnement du mouroir.

    Cela commence, en $nral, par la mort du $rand*p1re". 7usque*l les choses nallaient

    pas trop mal. #e vieu' couple stait fait la solitude interrompue intervalles r$uliers parla visite du mdecin de famille, voire par les rares apparitions du fils, de la fille et des petits*enfants. %uis vient le tournant fatidique. #a mort du pp", cest la rupture du dernierquilibre instable. #es choses vont, d1s lors, irrmdiablement basculer dans labme.

    Comment $rand*m1re tu ne vas pas rester toute seule, ton B$e, tu n/ penses pas-"

    #a $rand*m1re va parfois rsister. Elle tiendra, comme la petite ch1vre de monsieure$uin, vaillante, t&tue, mais livrant une bataille perdue davance. #a solitude devenueimpossible supporter, elle c1de, oui elle ira lhospice. e pose alors le probl1me de savoiro4 la mettre. #es maisons bien", cest cher, cest parfois loin, et cest souvent encombr,alors reste la solution de lhpital. #e mdecin de famille qui connat la vieille depuis si

    lon$temps, prfrerait, lui, la mettre lhospice de la petite ville. Il l/ aura dailleursenvo/e lune ou lautre fois pour une bronchite qui trane, ou un ulc1re variqueu'. 2ais lavieille, de plus en plus coince, dprime, dambule la nuit, fait des bouffes da$itations dues lan$oisse. Et puis, on la retrouve un 0our tranant dans les couloirs de lhospice, en col1re,et disant des mots incomprhensibles.

    @octeur, 2me R a refus de prendre les bons comprims que vous lui ave prescrits etpuis elle mouille son lit tous les soirs, @octeur, vous vous rende compte, elle est si a$ite, etelle dit quelle veut se tuer. ;n ne peut plus la $arder, @octeur. Il faut lenvo/er lasile. Aumoins, l*bas, cest ferm."

    Alors, le docteur rdi$e une lettre du $enre+ ... vous envoie 2me R, dmence snileprobable... pour traitement tiolo$ique, confraternellement..." Et voil 2me R assise dumatin au soir, hbte par laloperidol du 0our et la >oinan du soir.

    #e chemin qui m1ne ainte*2arie peut &tre moins tortueu'. A un moment donn, lavieille dcroche". Elle ne dort plus la nuit, elle sa$ite le 0our, elle 0ure comme un charretier.Elle, qui tait ai polie, confond prsent le diable et le bon @ieu, ne reconnat plus les siens,montre ses fesses monsieur le cur. Alors on linterne, sans autres formes de proc1s. Ici, ladmence snile nest pas le dia$nostic un peu pouss pour liquider la vieille, mais une ralit.#a $rand*m1re a un cerveau en passoire, avec plein dendroits o4 les neurones ont fait la

    belle.

    Et puis, il / a celles qui disent un 0our leur mdecin+ @octeur, 0e nen peu' plus de vivreseule. o/e mon mna$e, comme il est peu soi$n

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    seule inscription que toute petite vieille rentrant l*dedans aurait pu / lire+ ; toi qui pn1tresen ces lieu', perds tout espoir." Car cest bien de cela quil sa$it+ de la mort de lesprance,de lchec consomm. )uand la vieille rentre, quelque chose en elle sait quelle nenressortira que les pieds devant. Elle nest pas l pour se soi$ner, mais pour attendre la mort, etcelle*ci est tr1s lon$ue venir, non pas en terme chronolo$ique abstrait, mais en temps vcu.

    #eves tt, pei$nes, laves, $aves

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    Chaque fois que 0essaie dima$iner le'prience" de ces femmes, attendant la mort dansces dortoirs lu$ubres remplis dodeur de pisse, 0e me lance moi*m&me, comme pour calmerma propre an$oisse+ Elles sont trop amoches pour se rendre compte, elles ne savent pas.Elles ne ressentent rien de ce que tu leur attribues et puis, il / a le >oinan, et toutes lesautres bonnes choses." 2ais 0e ne suis qu moiti convaincu. ?ne an$oisse, m&me rabote

    au' neuroleptiques, est tou0ours une an$oisse, et un cerveau atrophi trou comme unfroma$e de $ru/1re a tou0ours asse de neurones pour e'primenter cette cruaut insipide desderniers 0ours, lhorreur froide, torpide, distille petites lampes, la nause doucereuse etcoeurante, le dsespoir absolu de la marche ine'orable dune vie qui nest plus que la mortsans linceul.

    @e ainte*2arie, 0e ne devais $arder que cette pouvantable vision dun carr de vieilleso4 celles qui sont bala/es par la mort comme si elles taient un tas dimmondices sontremplaces priodiquement par la machine faire des vieilles de plus en plus vieilles, et de

    plus en plus seules.Et cette vision devint pour moi le s/mbole de lchec, lchec du mdecin, de la mdecine,

    de lhomme.

    #E @E9>I[9E 2I>?TE

    Coup de fil affol dune vieille amie.

    /lvie a fait une tentative de suicide

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    meilleures volonts se lassent.

    2ais il / a les autres+ la minorit, celle qui affronte vraiment la mort visa$e dcouvert.%our une fois, les rles sont intervertis. Cest lhomme qui va la chercher, prendre lesdevants, faire les avances, dcider. ( la place de la mort, 0e naurais pas aim, 0aurais m&metemp&t.

    ous ne pouve pas faire la queue comme tout le monde! Cest moi qui dcide du lieu, dela date, et des modalits. ous tie prvu dans mes re$istres comme un accident de voituredans di' ans, vous dran$e tous mes plans. >on, mais o4 va*t*on comme 6a, i lordre deschoses est continuellement viol-"

    Il est vrai quun certain ordre naturel des choses est viol dans le suicide, et cest cedsordre introduit par le suicid qui a t tou0ours condamn par les moralistes et lestholo$iens de tous cts. Comme la vie, la mort, pour eu', est une dcision qui rel1ve desautorits suprieures, et lon nusurpe pas de telles prro$atives. 2ais le suicid a pris sesaises avec la hirarchie, et cette an$oisse, qui doit &tre la sienne face la mort, est le pri'dune libert enfin acheve. ;n ne se laisse plus leurrer, on ne veut plus marcher au'

    soporifiques de lesprance. ;n abandonne. Et ce faisant on crache dans la soupe. #e suicidenest pas seulement un dfi, un dsaveu, mais la plus $rande marque du non savoir*vivre.Ici, cest toute la cration et ses obscurs desseins qui est prise partie dans un acc1s de ra$edestructrice.

    otre vie sacre et prcieuse, vous pouve vous la mettre o4 0e pense, et votre mortpouvantail, voil ce que 0en fais."

    7ima$ine lespace clos, les ponts coups, la porte cadenasse, le temps plein o4 lesminutes nont 0amais t aussi intenses. @sespoir, rvolte, an$oisse froide, dfi obstin,mpris, $o:t amer de la revanche, bravade, protestation ultime,... ivresse de la libert enfinretrouve. Et puis, lacte... linstant o4 tout bascule.

    #e coup de pied quon balance la chaise, ltran$lement, les pieds qui cherchent parrfle'e le plan solide..., peut*&tre un dernier re$ret..., un appel au secours... non, 0e nai pasvoulu 6a..., trop tard..., les convulsions, lhorreur..., les tn1bres. #a lutte frntique du corpsrendu ses rfle'es primitifs..., le relBchement, le noir..., la fin du cauchemar- 2ais est*ce lleur e'prience- )ui me le dira-

    En pressant le pas vers le service de ranimation, 0e me demandais ai /lvie pourraitmintroduire dans lunivers sub0ectif des derni1res minutes. #, dans son lit, le visa$e contrele mur, elle avait lvidence dautres envies.

    Il faut dire sa dchar$e que lendroit nest pas un lieu o4 on raconte une telle e'prience.@ans le couloir service surchar$, o4 les lits en surnombre sont pousss contre le mur, pourne laisser quun troit passa$e au personnel, on pouvait mesurer dans le bruit, la hBte, lahar$ne, lindiffrence, ce que son rveil a d: avoir de choquant, de traumatisant, et de

    profondment humiliant. Au' deu' e'trmits du spectre du suicide, il / a le plon$eon des3ami3aes et les trois comprims de barbituriques avals par la vendeuse du %risunic. Et lesuicide de /lvie tait de ce dernier t/pe+ quelque chose comme un ptard mouill. Aussilinterne me dit*il, cachant peine son mpris+ ;h, trois fois rien. T.@.. de t/pe Q

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    aller 0usquau sacrifice supr&me, rien ne sera plus comme avant... Enfin, la vraie vie...

    2ais non, ces maudites choses ne se passent 0amais comme elles devraient. Tu es l, dansce couloir encombr, tu nas m&me pas eu un lit dans une chambre, tu tes rveille danslindiffrence, le sarcasme, et le mpris. T.@..... Q, >atrmie, crase san$uine- p acide...oil tous les mots que lu as entendus 0usque*l, et les &tres chers viendront*ils- 9ien nest

    moins s:r. @e toutes les fa6ons, ce serait bien tonnant que tu aies envie de les voir. Ce nesont pas ton humiliation ou leur $&ne qui faciliteront ce dialo$ue ternellement report.

    7e nai rien dit de cela /lvie. 7e lui cri aurais dit de ces choses pourtant, mais 0e nai pasos5 barra$e des rles et des statuts- %udeur- %lant l pr1s de son lit, 0 8ai eu un instant de

    panique, que pouvais*0e donc lui dire- Alors, 0e me suis dcid+ Commen6ons par piocherdans le stoc3 banalits."

    Fon0our 2ademoiselle, comment vous sente*vous- >e vous inquite pas, 6a va aller."Elle tira la couverture sur elle dun $este sec, et me tourna le dos. 7e me suis enfui, presquesoula$.

    #E C;2FAT @O9I;I9E

    #a concier$e hurle au tlphone, affole+

    2ais o4 tie*vous pass- Il / a une ur$ence en ranimation... et 0e vous cherche depuisdi' minutes", et elle a0oute dun air entendu+ Cest la m1re du professeur \, vous save..."

    7e me suis donc diri$ vers le service, sans hBte e'cessive. 2me la m1re du %rofesseur \est tendue sur un lit, une perfusion d0 installe, et la manipulatrice enroulant le trac deIE.C.N.

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    cherche en toute hBte la bote dDntubation. @1s quelle me met le iar/n$oscope entre lesmains, 0e c1de ma place un e'terne, ravi de laubaine.

    as*/ doucement, des coups secs, mais pas trop fort, et surtout pas trop vite."

    %uis 0attaque la partie la plus e'crable du travail. 7e mets ma main dans la bouche de la

    vieille, 0arrache le dentier, re0ette sa t&te cri arri1re, et introduis le lar/n$oscope. Cest pleinde scrtions, 0e ne vois rien, un coup daspirateur, et cest d0 plus prsentable. 7e mets lapointe de linstrument sous la lan$ue, 0e tire fort vers le haut, cri essa/ant dapercevoir le bonorifice, o4 0e dois introduire ma sonde. ?n coup, deu' coups, rien, 0e bute tou0ours. Il fautabsolument passer dans la trache pour insuffler lair. ?ne de mes amies avait pratiqu laveille un massa$e cardiaque de deu' heures avec une sonde dintubation dans.., loesopha$e.on presti$e cri prit un sacr coup, et cest elle qui, pendant le reste de son sta$e, fut au'ordres des infirmi1res.

    Enfin, 0e trouve lorifice trachal. #a sonde est cri place. ;n branche le ballondinsufflation et 0e vrifie que 6a $ar$ouille bien dans les poumons, et non dans lestomac.

    7e tavais bien dit d/ aller doucement, viens me remplacer au ballon. 7e donne quatrecoups, et t% insuffles. Il faut quon tienne bien le r/thme ]MJ."

    toDque, 0e me remets sur les $enou', 0e replace mes mains lune par*dessus lautre sur lesternum, et 0e commence masser.

    Il / a des tas de l$endes qui courent, dans les mess dinternes, ur les ranimationshroDques.

    Trois heures mon vieu', que 0ai mass, @epuis plus de probl1mes pour mes ci$ares."

    %ersonnellement sur au moins cent cas, 0e nai tir daffaire quune ieille femmeincrevable dont la pompe aspirante et refoulante, Comme dit mon livre danatomie, avait

    redmarr au boutde quelques minutes de massa$e, telle ensei$ne que 0e me lon$temps demande si 0e n 8avaispas mass ce 0our*l un c^ur marchait

    Tou0ours est*il que 0e me uis mis masser ce coeur, comme autres, cri me disant+ celame fera au moins des biceps." () minutes plus tard, le coeur refusait tou0ours de se mettre autravail puise, 0e c1de ma place un autre e'terne qui ron$eait son frein depuis le dbut.

    #e 0eune homme, fort comme un taureau, attaque sans mna$ement. Crac, crac.., $rosmurmure dans la foule. 7e fais le calcul dans ma t&te+ trois Ctes au minimum sont casses. 7etemp1re s ardeur et le met au ballon. * chaque coup sur le sternum, la ? de 2me \ sesoul1ve et heurte violemment la planche. 7e me d que si 0amais elle C rveille, elle va avoirdrlement mal au crBne #a foule commence trouver le spectacle franchement ennu/eu' etles bavarda$es samplifient

    @is, 7uliette, tu as t au+oeuf #es tartes flambes / sont vachement bien.

    ;ui, mais cest tou0ours plein de Foches. Si$ure*toi que la derni1re fois, 08ai d: attendredebout une demiheure, tu te rends compte! Et puis les vins... %ardon."

    Surieu', 0e demande que tous Ceu' dont la prsence nest pas ncessaire prennent le lar$e.ilence $&n dans la foule. A 1$vidence, le massa$e e'terne du coeur ne marche pas. Il fautessa/er une stimulation interne. #infirmi1re me passe un $ros trocart que 0e plante dans lethora'. #es $ants striles mis, 08introduis dans le coeur un tu/au tr1s fin branch sur unstimulateur. #infirmi1re r1$le la frquence, et 08envoie le courant. 7e me remets masser, en

    attendant quon prpare une serin$ue avec un puissant stimulant de la contraction cardiaque+le calcium.

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    7e plon$e la lon$ue ai$uille dans le coeur, le produit est in0ect. 7e me dis+ i avec 6a,$rand*m1re tu ne te rveilles pas, 08arr&te."

    Elle ne sest pas rveille, et 0ai arr&t.#e corps flasque et bleu de la vieille fut hiss sur le lit. ;n ramassa son dentier. ;n

    dbrancha les tu/au' et les fils, en bons ouvriers ran$eant leurs outils de travail apr1s unelon$ue 0ourne #es bavarda$es reprirent. ?n e'terne attentionn eut lide de recouvrir lecorps nu tout en discutant du pri' des pol/copis devenus inabordables. ?n coup de pied surla pdale servant de frein au lit, et celui*ci fut pouss par une infirmi1re vers un coin, enattendant le transfert la mor$ue.

    Tout cela stait pass au vu et au su de presque vin$t malades dont certains faisaientsemblant d&tre absorbs par la lecture de leur 0ournal.

    #es filles de salle qui ron$eaient leur frein purent enfin distribuer les repas, mais 0e doutefort que beaucoup eurent de lapptit ce 0our*l.

    )?A>@ CET #A?T9E 2;I )?I 2E?9T

    2adame W avait "# ans et elle tait e'tr&mement belle. ;h, rien de tape**l^il seulementla beaut que donne la $rBce, le port altier et le sourire radieu' qui embellit et illuminelittralement certains &tres.

    7e la vo/ais revenir r$uli1rement au service pour ses perfusions dantimitotiques ], et 0elobservais mourir un peu plus chaque fois.

    Tout avait commenc un an auparavant+ un cancer de lutrus est dcouvert et opr dansles meilleures conditions. #e traitement est complt par une radiothrapie )uelques mois

    plus tard, elle arrive pour lapremi1re fois au service pour une altration $nrale de son tat.

    ?n clich du thora' montre des mtastases hilaires importantes. 7e me mis alors le clichsous les bras, et 0e suis all voir un ami au Centre de cancrolo$ie. ?ne sauce" comple'e dedivers produits et dcide en commun, mais il mavertit+ cest cuit. 9evenu au service, 0e luiannonce, faussement en0ou+ trois fois rien.

    ?ne perfusion dantibiotiques maintenant, renouvele toutes les si' semaines. on souriree'traordinaire illumina son visa$e, et toute sa mimique, un peu ironique, semblait dire+2erci de si bien mentir."

    Elle nous quitta une premi1re fois apr1s une srie de perfusions, pas trop mal en point.

    i' semaines plus tard, elle revint pour une seconde srie, tou0ours calme, di$ne, et aussibelle. Elle diri$eait la Cit universitaire, o4 0avais t rsident quelques annes auparavant,et nous connaissions tous les deu' un certain nombre de faits picaresques sur les cits.

    ous vous rappele 2adame, 2ai ZL, ctait vraiment formidable+ la foire, la f&te, puisrecevoir des filles pour la premi1re fois dans nos chambres. ;n vous a un peu forc la main,vous navie pas lair dapprcier."

    2adame W

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    Et on riait, et on parlait vite, et fort, de quelques souvenirs et de quelques connaissancescommunes, pour ne pas avoir parler du 2thotr'ate coulant dans ses veines. A la troisi1mehospitalisation, elle me parut lasse. )uelque chose en elle paraissait bris, ses cheveu' taientencore plus blancs, mais son sourire tait tout aussi lumineu'. Elle 0ouait le 0eu fond.

    ;ui, 0e suis l pour me $urir. ;ui, vous ave raison. ;ui, les e'amens de contrle sont

    bons... ;ui, tout va sarran$er." ( lvidence, elle avait compris mon dsarroi, monimpuissance. Elle stait faite lide de sa mort toute proche, et ctait moi quelle devaitconsoler. Otran$e retournement des rles et des situations. ?n 0our, 0e lai trouve

    particuli1rement essouffle, assise sur le bord du lit, cherchant lair. ?n coup de stthoscope,et 0e compris que le dernier acte allait bientt se 0ouer. Elle avait une pleursie mtastatiquehmorra$ique que 0e me suis puis vider par des ponctions rptes, aussi douloureusesquinefficaces, car le liquide se reformait sans cesse, lasph/'iant pro$resses ctes durant desheures, sans se dpartir de cette di$nit quitait che elle comme une seconde nature, et elle seffor6ait de sourire. Elle savait.., depuis ledbut.

    Fientt, 0e ne lui dis plus rien, tellement il devenait vident quil valait mieu' se taire. #e

    soir de sa mort, 0e me suis dbrouill pour &tre de $arde. 7e suis all la voir GJ heures. Elletait assise dans son lit, les embouts do'/$1ne dans les narines. 7e fis semblant de vrifier ledbit, douvrir la perfusion pour quelle coule plus vite, et 0e pris sa tension. Elle me re$ardaavec s/mpathie, et une lueur dironie brilla dans ses /eu'. 7e savais quelle ne passerait pas lanuit. Elle le savait probablement aussi. 7e tournais autour de son lit, ne sachant quoi faire, niquoi dire. Elle me sourit pour la derni1re fois.

    2ais vous passe toute votre vie dans ce service, vous nalle pas vous reposer!"

    7e ne voulais pas quelle parle. Elle avait besoin de toutes ses forces pour respirer. 7e luidis bonsoir, arran$eai maladroitement son oreiller et refermai doucement la porte, en medisant que les mailles du filet se rtrcissaient comme une peau de cha$rin, et que bientt le

    poisson serait pris.@ans la chambre de $arde. #a $lace me renvoie mes traits tirs et mon air pas bien du tout.

    ?n instant 0e suis frapp, sub0u$u, par ce visa$e qui est le mien, et que 0e ne re$arde 0amais.?n souvenir clair traverse mon esprit+ les schiophr1nes passent des heures se re$arderdans le miroir. oudain, mon visa$e vieillit dun coup. 7e suis couch dans mon lit, mon lit demort. 7e suis vieu'. i vieu', si char$ du poids des ans, du poids des checs, mon corpsdcharn est si faible, si fati$u. Cest une nuit comme celle*ci, une nuit dhpital...interminable, blafarde. >uit dinsomnie et de cauchemars veills. Fip... Fip... Fip... Fip...Fip... Cest le bruit des mes e'tras/stoles, 0e mcoute mourir. #a chambre est illumine parles vo/ants des machines, surveillant mon coeur, ma respiration, que sais*0e encore. 7allumela veilleuse parce que 0ai de plus en plus de difficult trouver lair. 7e sonne, ouvre lafen&tre, sil vous plat, 2ademoiselle. #a fille a lair si 0eune, si indiffrente, si absorbe dansses... soucis. 7e me sens si seul, si abandonn par @ieu et les hommes, le drap est mouill,cest ma sueur. 2ais o4 sont*ils donc- )ue font*ils donc...-

    Fip... Fip... acre machine. Toute la soire compter mes e'tras/stoles. i lune delletombe sur une onde T, 0e vais fibriller, et tout sera fini. #an$oisse $onfle, comme une maremonstrueuse, 0e secoue ma t&te devant la $lace, 0e mets ma t&te sous le robinet, et leau.$lace me rafrachit un instant. Enfin quoi, cest elle qui meurt ce soir... pas moi. 7e retournemasseoir sur le bord du lit, et 0e fi'e lon$uement le tlphone. 7avais demand quon me

    prvienne de sa mort. #e tlphone est silencieu'. Il / a peu dob0ets que 0e dteste comme letlphone, et 0e son$e cette histoire de 2ar3 T_ain o4, le 0our du 7u$ement dernier, @ieu

    pardonne au' mcrants, au' pcheurs, au' voleurs denfants, comble de son amour et de sasollicitude les fraudeurs, les hommes politiques et les militaires, passe lpon$e sur les fautesdortho$raphe et les autres, mais se montre intraitable et ine'orable sur la damnation de

    linventeur du tlphone.

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    #e souvenir ne marrache quun rictus.

    Frusquement, 0e mempare de lcouteur et 0e compose le numro du service...Interminable sonnerie... 7aspire pniblement par la bouche $rande ouverte, comme un

    poisson hors de leau. 2audites veilleuses. Elles sont peut*&tre en train de tourner un malade,de brancher une perfusion, mais pour mon esprit tourment, elle ne peuvent que 0acasser la

    cuisine devant un bol de caf fumant. Enfin quelquun dcroche+

    Ici linterne de $arde, comment va 2me W-V Elle est morte, il / a une demi*heure.

    V 7e viens."

    7e remets ma blouse, et 0e retraverse linterminable couloir vide et illumin. 9a$eusement,0 8appuie sur tous les interrupteurs. #a nuit un couloir doit &tre sombre et cette mauditelumi1re vive sinsinue travers les fentes, inondant les chambres des malades. Arriv au

    bureau, 0e remplis hBtivement le certificat de dc1s

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    moribonde, condamne encombrer le service... puiser inutilement les uns et les autres.@iab1te... insuline.., coma. #e dia$nostic tait clair+ coma h/po$l/cmique. ;r, ceci se traite.@u coup, 0oublie le mess, ma faim, mon irritation davoir t happ la porte de service.#e'citation me $a$ne. i cest vraiment le dia$nostic, on va pouvoir tirer la vieille daffaire.%eu importe lB$e, et au diable les considrations bidon" sur le droit la mort...

    7e me sens comme un 0eune chien qui lon a 0et un 0ouet qui risque d&tre amusant.

    #a $rand*m1re est e'amine, la recherche de tous les si$nes confirmant lh/poth1se5 elleest dans un coma profond, elle a d0 un pied dans lau*del. Il faut donc faire vite. 7e meretourne vers linfirmi1re+

    %rleve du san$ pour une $l/cmie, et branche un flacon de $lucose HY `."Elle se'cute avec la mauvaise $rBce du fonctionnaire coinc par le patron pour un travail

    supplmentaire lheure dun rende*vous.

    Elle narrive pas trouver la veine, et se fait un malin plaisir de me passer lai$uille.

    Cest elle qui pique tous les 0ours, cest elle qui a le'prience mais 0e suis le mdecin, et0e suis sens mieu' faire. @o4 le petit sourire narquois, quelles ont toutes cette occasion.%etite revanche sur la hirarchie.

    7e prends lai$uille comme on rel1ve un di... 7e palpe le pli du coude, lavant*bras,0e'plore le dos de la main. 9ien que de la vilaine $raisse, et pas la moindre petite veine...

    #a vieille ronfle de plus en plus fort. Cest mauvais si$ne. Il faut se presser. 7e me dcideenfin piquer, un peu laveu$lette. 9at, 0e retire lai$uille, et 0e repique en plein dans laveine! ?n coup de chance. 7e devine la$acement de linfirmi1re, mais 0ai lhabitude dutriomphe modeste.

    oil lchantillon pour la $l/cmie. Alle*/, branche le $lucos."#e prcieu' liquide coule dans la veine. )ue va*t*il se passer-

    >ous fi'ons la malade, avec une intensit telle quon en oublie le va*et*vient habituel dansla salle de'amen. #es si$nes damlioration sont tr1s rapides dans ce $enre de coma trait.#a voil qui bou$e une paupi1re, alors que le flacon est moiti plein. 7e crois dabordanticiper sur mes dsirs. 2ais elle bou$e les deu maintenant, puis un peu la 0ambe. Ellelaisse chapper une sorte de $ro$nement, hoche la t&te, entrouvre les /eu'. #infirmi1reremplace le flacon vide, ouvre la perfusion $rand dbit, et se met secouer la $rand*m1re,avec une 0oie peine contenue.

    2adame, 6a va-"

    Trop obnubile pour rpondre, elle nous 0ette un re$ard vide. #important, cest quellere$arde. Entre le dbut de la perfusion et le rveil, il ne sest pass que trois minutes.

    Elle a du mal rpondre au' questions, mais au bout de la cinqui1me minute, elle sassoitlentement et pniblement, tout tonne d&tre l. #es e'ternes re$ardent et une lueurdadmiration brille dans leurs /eu'. Xa cest de la mdecine comme ils lont tou0ours r&vesur les bancs de la facult.

    7e'amine hBtivement la vieille pour massurer que lpisode na pas laiss de $ravessquelles neurolo$iques... 9ien.

    #e deu'i1me flacon vide, la $rand*m1re peut parler et elle raconte dune voi' pBteuse

    laventure, classique. Trop vieille, trop seule, trop peu dapptit, mais trop discipline pouroublier ses mdicaments, dont lin0ection sacro*sainte dinsuline. 7e la re$arde, merveill+ l,

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    assise en train de me parler, ressuscite, et 0e me sens dbordant de s/mpathie et daffectionpour la vieille. %our un peu, 0e lembrasserais, mais cela ne se fait pas, du moins ici.

    Ce soir*l, 0e me suis senti bien, et la $arde sest bien passe. #es infirmi1res et lese'ternes ont t tr1s cooprants, un petit air de complicit amicale nous a envelopps toute lasoire.

    Ce $enre dvnement leur avait rendu, comme moi, notre foi, souvent vacillante dans lemtier.

    Apr1s tout, ces hpitau' tant dcris, cette mdecine sur laquelle les idolo$ues tirent boulets rou$es

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    %ourquoi lappelle*t*on ainsi-

    V @epuis le temps quon entend les mdecins rpter vie v$tative, vie v$tative, alorsvous comprene! "

    7e me mets le'aminer sous toutes les coutures cherchant lescarre, la phlbite,

    lencombrement tracho*bronchique, mesurant le r/thme respiratoire, le pouls, la tensionartrielle. 7e $ratte la plante des pieds. 7e tape les rfle'es et 0e me plon$e dans une profondemditation savante sur le tau' des lectrol/tes quil faut prescrire.

    7e sens limpatience de linfirmi1re $randir. %ourtant, ce nest pas lheure du caf. Il fautdire quoutre le dsir de bien dmarrer mon sta$e, et de les frapper tous de limmensit demon savoir et de la finesse et du srieu' de mon travail, 0tais en proie un nouvel acc1s dephilosophite".

    ei$neur @ieu! Trois mois de coma- )uest*ce donc cet esp1ce de no mans land entre lavie et la mort- Et sil sentait quelque chose au fond de lui*m&me- Et sil vivait un lon$cauchemar, un r&ve hideu' et interminable- Et si son silence ntait quapparent et que le

    coma nabolissait pas la conscience comme on le raconte dans les livres, mais seulement sesmodalits de'pression- Et si toute son Bme prisonni1re et aphone" me criait, maintenantprise dun espoir fou+ Nentil @octeur, piti pour moi... dbranche ce respirateur... les portesde la vie se sont refermes derri1re moi, et 0e ne trouverai dapaisement que dans la mort.#ib1re*moi de ce cauchemar. 7ai si peur, 0e suis si an$oiss. 7e ten prie, $entil @octeur."

    #infirmi1re fit interfrence, interrompant ce dialo$ue entre moi et mes phantasmes, quisait, peut*&tre entre lui et moi.

    )uest*ce que 0e marque-

    V ?n litre et demi $lucos "4, trois $rammes de >aCI, un $ramme de \CI, deu'$rammes de Totapen."

    En sortant de la chambre, sa voi'", celle de ma conscience, peu importe, rsonnait dansmes oreilles.

    alaud! "

    2ais pourquoi m 8a*t*il" trait de salaud- Et si 0avais arrach ce tube- Au nom de quoiaurais*0e pu me 0ustifier- Est*ce que 0e ne me serais pas accus de lavoir tu- Et sil avaitrellement une chance dmer$er de son trou noir pour renatre la lumi1re-

    7e devais dcouvrir durant les mois suivants que cette interro$ation tait au centre dundbat houleu' relanc larrive de tout novice+ interne, e'terne, l1ve infirmi1re, puis laroutine aidant, elle retombait dans loubli.

    7e pris lhabitude mon tour de refouler la question, et de faire comme si 0e navais pas

    dautre choi' que de continuer la ranimation. >ous attendions tous Nodot. 2on temps deprsence au lit no L diminua tr1s rapidement. Fientt, 0e ne marr&tais m&me plus.

    Tou0ours pareil-

    V ;ui 2onsieur.

    V Continue la m&me sauce."

    %lus ce corps dcharn minterpellait, plus 0e menfermais dans un refus bou$on derflchir.

    Cest pas mes oi$nons. 7ai d0 asse de probl1mes comme 6a et puis pourquoi dois*0e,moi, dcider- #e patron na qu ordonner de ne plus le perfuser. Il serait bien capable de me

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    faire un scandale, si 0e ne demande pas les contrles san$uins r$uliers. Tou0ours entrelenclume et le marteau. @e toutes les fa6ons, il est inconscient, impossible quil souffre,impossible quil r&ve. Tu confonds coma et mutisme a3intique. #, oui, ils sentent, ilssouffrent, mais pas dans le coma. Cest crit dans tous les livres.@brancher- Tu te rends compte des consquences. %assible des tribunau' que lu serais monvieu'. 7e vois d0 le titre du 0ournal local+ @es mdecins a/ant le t/pe nord*africain pris en

    fla$rant dlit deuthanasie. #es portefeuilles des victimes nont pas t retrouvs."

    i' mois pass1rent, et 0e mappr&tais chan$er de service. Ce fut mon tour de passer lesmalades mon successeur. Au lit L, 0e fis une halte br1ve.

    Xa cest plante verte" un coma dpass sur hmatome e'tradural. Il est l depuis plusdun an. Tu noteras quil est en bon tat, pas une escarre. Alors, tu ne $ueuleras pas trop avecles infirmi1res. Elles sont impeccables."

    #e coll1$ue affol+

    2ais quest*ce que lu veu' que 0en fasse-

    V Eh bien, cest simple. Tu larroses tous les matins au $lucose. En $nral, il lui faut aumoins deu' litres avec les in$rdients classiques+ chlorure de sodium, deu' $rammes,chlorure de potassium, un $ramme. Tu peu' a0outer des vitamines et des protines, il aime 6a.ecoue bien fort le mlan$e afin que 6a ne fasse pas de $rumeau' dans la tubulure. >oublie

    pas aussi de tirer les rideau', pour quil prenne le soleil.

    V Et apr1s-

    V Tu attends. i 0amais, il bour$eonne, et sil lui pousse des fleurs, lu me fais si$ne. ;nrdi$era la publication ensemble, pour leLancet ou lee5-%nland.3

    C;9% E> CA9%IE

    2adame C tant morte, sans avouer" de quoi, il fut dcid de lautopsier.

    Et cest ainsi que 0e me suis retrouv de nouveau linstitut danatomo*patholo$ie, larecherche de son corps, et du m/st1reque fut sa maladie. #endroit est certainement un des lieu' les plus e'traordinaires delhpital. ( force de le voir, 0avais fini par oublier sa sin$ularit, mais il marrivait parfois dele re$arder comme la premi1re fois, lors de mon premier sta$e de'ternat+incrdule, les /eu' e'orbits.

    #institut, comme par hasard, si1$e dans une de ces bBtisses toutes en colonnades et encouleurs sombres. 2ais cest lodeur qui vous met tout de suite dans lambiance. Impossible tiqueter, elle est faite dun mlan$e de formol et dalcool, sur un fond parfaitementcoeurant dodeur de viande humaine.

    7appelais la salle dautopsie le dpe6oir+ norme bBtisse carre o4 les corps blesss etventrs sont ali$ns sur des paillasses blanches et froides.

    En face, sur des petites tables sont disposs les or$anes prlevs d$oulinant dsan$.

    >ulle an$oisse, nulle atmosph1re particuli1re, mais lambiance dune salle de travailbanale.

    7e reconnais le corps de 2me C sur la table n Y H. Elle nest pas encore faite". Cest unechance. 7e vais pouvoir tout faire vrifier et discuter avec le prosecteur, qui se trouve &tre

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    un ami et dont le rpertoire ne sest pas beaucoup renouvel depuis la derni1re fois.

    V Encore toi, mais quest*ce que tu as encore fait, mais quest*ce que tu peu' bien leurfaire tous-

    V Abr1$e et ouvre*moi 6a en vitesse, que 0 8aille prendre mon caf." 7e fis mine de lui

    raconter lhistoire clinique tout cri lobservant travailler.

    #e cadavre de 2me C $isait nu sur la paillasse, une tiquette avec le numro enrouleautour de la cheville droite. Elle na pas lair bien. )uelque chose comme un ultime coup devieu' est pass sur elle. #a peau bl&me est presque translucide, le corps flasque, $lac,ase'u se donne dans toute son horrible banalit, dans son chec le plus absolu.7ai du mal ima$iner ce corps chaud, souffrant, $missant de plaisir, enfantant..., vivant.

    Cest d0 une chose si peu plaisante voir.

    ?n $rand coup de couteau fend de haut en bas labdomen. Au niveau du thora', quelquescoups de tenailles, elles ctes sont sectionnes. #e sternum est fendu en deu'. #e prosecteur

    passe la main $ante dans les entrailles. Il coupe lar$es coups de couteau, enl1ve, tout en

    bavardant, les visc1res quil dispose un un dans des rcipients prpars. Il fait drouler lesintestins elles ouvre. Xa ne sent pas tr1s bon, peu importe. 7e re$arde en carquillant les /eu' la recherche dune $rosse lsion. 9ien. #e coeur est arrach son tour, coup en deu', puiscest le lourdes poumons5 le lar/n', le phar/n', la lan$ue sont arrachs dun bloc enintroduisant la main partir du thora' dans la $or$e, et en tirant bien fort. in$t minutes plustard, tout tait dehors.

    V @is donc, ce nest pas vident, ta malade, il n/ a pas de cancer visible, mais on verra la coupe. Xa te suffit comme 6a-

    V 9e$arde le cerveau, elle avait fini par prsenter des troubles confusionnels, 0e me

    demande si elle na pas mtastas l*haut."?n coup de bistouri circulaire rapide, un scalpel racleur introduit entre le cuir chevelu de

    la calotte crBnienne et il ne resta plus qu passer une scie lectrique dcoupant los commedu vul$aire bois.

    #es mnin$es arraches sans mna$ement dvoil1rent un cerveau racorni, $ris*0aunBtre,qui est arrach son tour dun coup sec cri tirant bien fort vers le haut et 0et n$li$emmentsur la paillasse. Il navait pas lair tr1s fier le plus $rand dfi la biolo$ie moderne", lecentre de calcul le plus fantastique"...

    V @cidment, 0e ne vois rien, mais on va faire des coupes, pour le patron."

    2on ami dbite le corps en petits morceau', avec un plaisir non cach.V re$arde, l, sur la muqueuse de lintestin, ce 0oli chou*fleur... cest ton cancer."

    7e plon$e mon ne dans lintestin ouvert. Il / a en effet un bour$eon pas plus $rand quun$rain de caf. Ctait donc 6a! Ah mon @ieu, que nous sommes peu de chose", comme aimerpter mon concier$e.

    ;ne heures. #e patron arrive pour linspection des tripes. Trop tard pour mclipser. #aversion anapath" de la visite est souvent asse drle, et 0e dcide de rester.

    #e professeur arrive tou0ours cri fin de matine, quand les prosecteurs ont tout arrach,tout dcoup en fines tranches bien poses dans des seau' ou des bassines ran$es par ordresur des paillasses propres.

    ( chaque paillasse sa$$lutine un $roupe de blouses blanches, $nralement linterne et sa

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    cour de'ternes, attendant, va$uement inquiets, le verdict du matre. #homme titillecrmonieusement le tas de ro$nons.

    %rene le compte rendu", lance*t*il lun de ses assistants.

    2me C nY HZ. ervice R... Cancer OI@E>T

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    spcialiste de tous les archt/pes et de toutes les sc1nes primordiales, ne pouvait manquer dedcrire cette sc1ne*l, puisquelle est sans doute au centre de bien des an$oisses et de biendes phantasmes. @ansLes fr6res Karamazov, Wossima, le saint homme, est hiss sur lestrade.Tous les moinillons du monast1re, toutes les dames de la socit et les petites vieilles du

    peuple sa$itent. #ui... il ne sentira pas... s:r, cest moi qui vous le dis."

    #incorruptibilit des corps des 0ustes ne constituait pas un do$me de lorthodo'ie, maisune simple cro/ance." imple cro/ance! peut*&tre, mais si ncessaire lide de 0ustice, etdun @ieu p1re sv1re certes, mais 0uste et misricordieu'. Aliocha

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    ob0ets tant aims par le dfunt puissent laider dans sa traverse. ommes rationnels duRRC si1cle, ils voient mal le mort $ri$noter des chips ou du pop*corn, le temps darriver la concier$erie cleste, tenue par saint %ierre. Alors ils nen mettent pas. >on, ilsembaument simplement pour des raisons sceptico*esthtiques, pour que le dfunt puisse&tre prsentable sa derni1re rception mondaine, et quaucune odeur malencontreuse nevienne $&ner la s/mpathique runion des parents et des amis. >aDf Aliocha, lu voulais que

    nous ne sentions pas, par la $rBce de @ieu, alors que nous pouvons ne pas sentir par cellede la technique. 2ais cabochard comme lu es, 0e sais que lu nen aurais pas voulu de cettesolution. >emp&che, 6a me plairait bien, moi, daller parfum ma derni1re demeure, etque mon corps ne soit pas mis en pi1ces trop vite.

    En pi1ces, embaum ou br:l, il faut donc enfouir ce corps inerte, et le plus tt possible.2ais il faut dabord passer par les formalits. 2oi qui ai assist tant de veilles fun1bres,en pensant mon plannin$ de la semaine, 0e vois" ce que cela pourrait donner, le soir demon transfert dans le paralllpip1de en mchant bois, tout embaum selon les nouvellestechniques importes dO$/pte via l;ccident.

    Ah! quil tait un bon $ars! quil tait fin! et si modeste!" # 0e tique, 0e naime pas

    quon dise de moi que 0e suis modeste, 0e nai 0amais t s:r que cest l une qualit. Enfinbref... vo/ons la suite.

    Ah! quil tait $entil, serviable, le coeur tou0ours sur la main."

    ;h! quil tait plein de vitalit, et quelle intelli$ence!"7voque un proverbe de che nous+ vivant on lui refusa 0usquau' ppins du raisin, mort

    on lui mit toute la $rappe dans la bouche."

    ;h! et si fid1le dans ladversit! ?n homme honn&te quoi, et dun tel coura$e devant lavie."

    Toi, ma vieille, tri mens comme lu respires. Coura$eu' moi! Enfin peut*&tre que 0e ltaissans le savoir.

    Ah! sa pauvre pouse! maintenant si seule! quel choc pour elle, i $entille, si fra$ile, sis/mpathique."

    Eh! oh!, cest moi le mort ou elle- oule*vous bien revenir au su0et et puis cette chipie si$entille.. tri parles!

    ;ui, il tait tout pour elle, cest quelle pouvait compter sur lui, et il savait / faire lebou$re."

    Fon, cest d0 beaucoup mieu'.

    ;ui, lui au moins il courait pas le 0upon, comme suive mon re$ard."

    # ma cocotte tu nen sais rien...

    Ah! vous les femmes, avec vos histoires! ous, votre probl1me cest lamour ad vitam7ternam, la continuit quoi. 2ais nous on est pour le chan$ement. Cest pas de notre faute,on est fait comme 6a.

    V ;ui ben moi avec le I@A, 0e trouve que la fidlit 6a a du bon.

    V Ah, ces histoires de I@A, moi 0e vous dis que cest de la propa$ande. i on dit quil /a cent morts de la route, tout le monde sen fout, mais si on dit quil / a..." )uoi- cest d0

    termin avec moi-... Encore...

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    ;ui ben moi, 0e te dis que la petite femme, roule comme elle est, elle tranera paslon$temps avant de se trouver un petit ami. @0 quavec qui vous save, elle sentendait

    plutt bien m&me du vivant du cher disparu.#, 0ai envie de sentir tr1s fort, mais philosophe

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    services des centres hospitaliers o4 0 8ai e'erc, il ma t donn de frquenter beaucoup deces hommes au'quels on sadresse par crit en usant de la formule classique 2on Cher2atre". #a plupart ne mtaient pas chers, et 0e les considrais encore moins comme desmatres.

    2arc \lein, lui, tait dune tout autre race. Il tait lun des rares spcimens dune esp1ce

    rarissime, et 0e le considrais vritablement comme mon matre.Ce vieu' mot, dmod et un tantinet ridicule, prenait toute sa valeur quand on le luiappliquait. Il ntait pas seulement un savant" de $rand talent un biolo$iste de $rande classemais il tait surtout, et sans aucune ostentation, un e'emple moral. on immense culturenavait d$al que son immense bont. Cest dailleurs cette immense culture qui mattira audpart. es cours de biolo$ie et de $ntique taient un r$al, le clou de la semaine. 7eminstallais dans lamphithBtre, au' premi1res lo$es, comme on sinstalle pour un festin, et

    0assistais pendant une heure, sub0u$u non seulement par le'pos de faits scientifiques

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    @port dans les camps nais pour appartenance une race interdite, il fut le spectateurhorrifi de ces e'primentations sauva$es, essorant lhomme de sa dimension sub0ective, lelivrant au' pires e'actions dune mdecine dmente et strile, prtendant trouver dans soncorps dshumanis le secret dun $rand nombre de maladies. Ce fut moins le su0et qui mint*ressa que le plaisir que 0 8aurais travailler avec un tel directeur de th1se.

    7e m/ suis mis avec enthousiasme et durant des mois 0e trouvais tou0ours un bon prte'tepour aller le voir, et il me recevait avec bonhomie et $entillesse, et avec cette chaleurhumaine dont il dbordait, et qui lilluminait littralement.

    En $nral, 0e navais qu me caler dans mon fauteuil, essa/er de le coincer dans monchamp visuel, $&n par les piles de livres

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    etc., avec la plus parfaite indiffrence, quand ce ntait pas avec un sourire satisfait et unerfle'ion du $enre quil cr1ve". #eur mort ne me touchait pas, dans la mesure o4 leur vieme paraissait de peu dintr&t. Avec le dc1s de 2arc \lein, 0e devais ressentir tr1sdouloureusement lune des dimensions tra$iques de la mort+ labsurdit de la fin dune vieaccomplie. 2alrau' faisait remarquer que cest au moment o4 il est enfin m:r, que lhommese trouve pr1s de la mort. Cest l le comble de labsurdit, le vrai scandale!

    2arc \lein tait ] ans un homme accompli, m:ri par le temps et le'prience, plein decette s1ve faite de science, de sa$esse et de bont. 9ien de cela ne lui fut donn au dpart. Ilavait tout simplement, lui, tenu les promesses que la vie lui avait faites. Aussi, sa fin tait*elleune trahison.

    7ai vcu sa mort comme un scandale, car elle $aspillait une richesse incomparablepniblement amasse. Cet homme pouvait donner encore pendant des annes beaucoup lavie et au' vivants. il tait comme ces ch&nes quon abat" dans une for&t pas mal dboise.

    7ai mis du temps me faire cette perte, et cest tou0ours par rapport elle que 0e meheurte la difficult de trouver un sens, assi$ner un rle, une finalit, une 0ustification lamort en $nral. )uon casse un pot de chambre, 0e veu' bien, mais donner un coup de pied

    dans un prcieu' vase de Chine, quel crime contre le bon $o:t et le bon sens.2ais 2arc \lein est au moins assur dune chose. Il survivra tr1s lon$temps dans le

    souvenir de ses innombrables l1ves. on portrait, qui 0e lance dner$iques alut %atron"quand 0e suis de bonne humeur, ne doit pas trner seulement sur mon bureau. %our nous tous,qui avons eu lhonneur d&tre ses l1ves, il nest pas pr1s de mourir.

    Au0ourdhui encore, 0adopte dans mes cours, presque mon insu, sa techniquedensei$nement, et quelquefois ses tics, non par mimtisme servile mais par ce processusspontan dimitation qui fait que lenfant apprend marcher et parler. Il marrive parfois deme rendre compte quel point 0e peu' &tre habit" par lui, et 0e mamuse, quand 0e mesurprends en train de traner sur les B, moi lAfricain, la mani1re dun certain petit*fils de

    boulan$er alsacien, qui fut mon matre.

    #A?T9E ;#;CA?TE

    #a facult mit au pro$ramme de nos sta$es pratiques la visite de labattoir municipal, pournous sensibiliser au' probl1mes de lh/$i1ne des viandes. 7/ suis all sans enthousiasme et

    0en suis revenu boulevers.

    ( la descente du car, un vtrinaire dili$ent nous accueille pour la visite des lieu'.Et bien voil... on va si vous le voule bien suivre tout le circuit, depuis lanimal sur

    pieds 0usqu la con$lati;ns et on verra, tout le lon$, les probl1mes sanitaires."

    #a 0o/euse quipe sbranle, premier arr&t+ la $are. #, les vaches arrivent dans les_a$ons entasses les unes sur les autres dans le plus petit espace possible.

    #a porte souvre, elles sont pousses sans mna$ement dans un lon$ couloir qui sent labouse, la sueur et la peur. 7e les re$arde fascin, ali$nes, elles avancent la queue ici leuvers le boucher.

    Intuitivement, 0ai tou0ours su que ces animau' quon dit b&tes et sauva$es sont lesrameau' du m&me arbre sacr de la vie, dont nous ne sommes, nousm&mes, quune branche.%lus tard, 0ai su aussi que ces soitdisant b&tes sont des &tres comple'es, souffrant et aimant,et que laisses ellesm&mes dans leur milieu propret elles savent faire preuve

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    prisonniers de $uerre" victimes de leur crasante dfaite devant le plus $rand prdateur de laplan1te.

    Au oo, ltal du boucher, ou au laboratoire, ils e'primentent dans leur chair la loi

    dairain de la force triomphante ltat pur.

    7e me suis donc mis re$arder ces vaches avan6ant vers la mort comme 0aurais re$ardune file de prisonniers allant au peloton de'cution.

    %endant ce temps, dans le $roupe, on parlait brucellose, vaccin, technique de con$lation,staph/locoque, etc.

    Au fond du couloir, la porte battante o4 sarr&te la vie. Ait fuT et mesure que les animau'sen approchait, on les entend renBcler. Alors, les coups des ouvriers redoublent. #animal aenfin le museau coll contre la porte, 0e sais quil sait, quils ont tous peur. ;nt*ils peurcomme moi, les tripes noues, le c^ur battant la chamade... la $or$e s1che, limpressiondabandon, de solitude et dindi$nit- #a porte souvre+ au suivant. Cest lemoment. >ous traversons nous aussi par une porte latrale, et cest une vision de cauchemar.

    #animal fait face au boucher+ un $rand $aillard, la ci$arette au bec et les bottes dans le san$.Celui*ci pose une esp1ce de pistolet entre les cornes de la vache, un bruit sec, et la b&teseffondre, foudro/e. Est*elle morte- 7en doute. Immdiatement, une 0olie fille botte et$ante, quon sattendrait plutt voir dans un ma$asin de fleurs, accroche la patte delanimal vanoui une chane, et appuie sur un bouton. oil la b&te suspendue dans lair, lat&te un m1tre du sol. #e malabar donne un $rand coup de couteau, fend le corps de haut en

    bas et sectionne la t&te. Au fait, que ressent le $uillotin 0uste au moment o4 le couperettranche et spare la t&te du corps, car il doit sentir encore quelque chose, ne f:t*ce quunefraction de seconde-

    #a t&te coupe, roulant sur le sol, est encore vivante. #e cerveau a enre$istr le choc, ladouleur et ltran$e sensation

  • 7/25/2019 Marzouki La Mort Apprivoisee

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    subsister un 0our.

    #autre soir, la tlvision a montr lune de ces sc1nes de mort et dhorre?r, dont elleraffole.

    ?n sin$e court, comme il na 0amais couru, et comme il ne courra 0amais plus. il pousse

    des 6ris stridents qui en disent lon$ sur sa terreur. @erri1re lui, le $upard ne cesse de $a$nerdu terrain. es bonds souples et son corps tout en muscle sont la beaut m&me. Tout en luirespire la puissance, la s:ret, la dtermination. #e sin$e rattrap est de plus en plus terroris,il tente de se rfu$ier dans un arbre rabou$ri et l, se fait coincer.

    #a masse puissance du carnassier sabat sur lui5 alors, il fait face la mort en poussant descris encore plus terrifis, et a$ite minablement ses pattes avant dans un $este drisoire demenace. 2ais les 0eu' sont faits. #e sin$e est pris la $or$e par les puissantes mBchoires. ;nvoit son petit corps chtif frtiller, se convulser, tandis que les crocs tranquillement dchirentla chair vivante et souffrante. Au loin, les charo$nards attendent.

    #a mort a souvent ce ct pi1$e, trappe, o4 tous les &tres vivants finissent tou0ours par &tre

    en$loutis. Elle reste dans lensemble cruelle, mais encore relativement innocente dans la librenature.Avec lhomme, un chelon est franchi par la mise au point de la mort horrible, celle quil peutsubir, celle quil peut infli$er.

    Aussi est*elle devenue lun des lieu' de prdilection o4 le mal apparat dans toute salaideur.

    @ans lensemble, on ne peut pas dire que marBtre nature se soucie beaucoup de la fa6ondont nous laissons la place. Toutes les techniques lui sont bonnes et elle ne se refuse rien+chasse, $uerre, meurtre faim torture. A chaque &tre un prdateur, et chaque vivant, o4 quilsoit, vit dans la peur de se voir subtiliser dans la douleur cette prcieuse vie qui de toutes les

    fa6ons schappe un peu plus chaque moment du temps qui passe. Aussi peut*on sedemander compte tenu des conditions quelle nous impose, si cette nature na pas un ctsadique, comme certains ont un $rand ne.

    #e mourir de lanimal est*il plus horrible que celui de lhomme- 9ien de moins s:r, et il /a tellement de preuves et de'emples. @ans une de ses nouvelles, @ostoDevs3i racontecomment un 9usse samusait chasser lenfant comme dautres le renard.

    ;n dpose un $osse nu dans les fourrs, on lui crie de courir, on le laisse aller dans le bois,on attend, puis on lBche les chiens, et on $alope. #enfant court, perdu de panique. Il esttalonn par la meute, le sei$neur rit au' clats, en le cherchant travers les ronces. Epuis,le $osse sassoit et pleure, terroris, en sentourant le corps de ses bras mai$richons. %uisles chiens le dnichent et sautent sur lui, alors il tend ses bras, dans un rfle'e de dfense.#es chiens le prennent la $or$e, sarrachent les lambeau' de sa chair, lapent $oul:ment lesan$ chaud mlan$ de sueur et de larmes.

    ( la douleur de la vie succ1de presque ine'orablement la douleur de la mort. #e mal vivreet le mal mourir semblent &tre les deu' faces de la m&me maldiction suspendue sur la t&tede tout vivant la mani1re dune pe de @amocl1s. 2ais une pe qui finit tou0ours partrancher.Ce soir*l, dans la cuisine si douillette, qui nous prot$eait du monde e'trieur, la

    mani1re dune matrice, vivants et labri

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    Fien que ntant plus tout fait des adolescents, nous commen6Bmes par nous en prendre cet ternel souffre*douleur de lhomme+ @ieu en personne.

    2ais que diable, lui dis*0e,

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    REGAR$S II

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    #ER%O9IE>CE ET #E 2I##E %A>TA2E

    #E %ECT9E @E %AI;>

    )ue peut prouver un homme, que sent*il, que pense*t*il, que vit*il, bref, quelle est sone'prience sub0ective avant de mourir- Cette question tout homme se lest pose, au moinsune fois dans sa vie.

    En essa/ant de reconstituer cette e'prience, on voit le probl1me se dplacer et stendreau' sentiments, au' passions et au' phant