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13 ARTISTE, « VOYANT », ENFANT « De là le rapprochement de l’homme aujourd’hui avec l’artiste. En effet ce dernier est celui qui sublime, qui adapte la réalité à ses désirs grâce à sa création. Il travaille pour sa propre vie, agit sur le monde en interrogeant ses habitants à son propos. Quelque part il œuvre pour l’humanité et c’est en cela que l’on peut dire qu’artiste n’est pas un emploi comme un autre voire un emploi tout court. » 1 « Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. » 2 . Quand Rimbaud écrit cette phrase en 1871, il parle du poète. Néanmoins je pense que cela s’adresse également à l’artiste. Ce dernier est un « poète plasticien », un « poète matériel ». L’artiste doit (s’) oublier le temps d’écouter le monde sensible. Il doit redevenir enfant, « L’enfant [ qui ] voit tout en nouveauté ; [ qui ] est toujours ivre. » 3 . L’enfant voit les choses matériellement, il n’est pas corrompu par le langage. Quoiqu’on y fasse le langage est limité. Certains comme l’écrivain polonais Witold Gombrowicz ont déjà abandonné l’illusion d’un langage spontané « … je ne crois à aucun langage spontané et naturel de l’homme, je crois que l’homme est toujours déformé, que toute forme est limitation et mensonge. Il peut (l’homme) comprendre que ce qu’il dit ne l’exprime pas entièrement et prendre ses distances envers la Forme (et la 1 Bourgin Emma, L’Immatériel ou l’avènement de « l’Homme – Éponge », 2009 2 Lettre dite du « voyant », Arthur Rimbaud, 1871 3 Œuvres complètes de Charles Baudelaire, Charles Baudelaire, Calmann Lévy, 1885 (III. L’Art romantique, pp. 58-67)

Mémoire (part 2)

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savoir une valeur symbolique et une réalité paradoxale séparant l’individu de sa nature, de son environnement sensible. Néanmoins je veux croire en la capacité de l’homme à agir avec ce nouveau phénomène, à l’utiliser dans le but d’une harmonie avec le monde sensible. Je pense que l’immatériel ne doit pas être une barrière au développement de l’homme, il se doit d’y participer. L’art en a ouvert la voie, à chacun de poursuivre sa quête du monde, à chacun de devenir « Homme-Éponge ».

ARTISTE, « VOYANT », ENFANT

« De là le rapprochement de l’homme aujourd’hui avec l’artiste. En effet ce dernier est celui qui sublime, qui adapte la réalité à ses

désirs grâce à sa création. Il travaille pour sa propre vie, agit sur le monde en interrogeant ses habitants à son propos. Quelque part il œuvre pour l’humanité et c’est en cela que l’on peut dire qu’artiste

n’est pas un emploi comme un autre voire un emploi tout court. »1

« Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le Poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie; il cherche lui-même, il épuise en lui tous les poisons, pour n'en garder que les quintessences. »2. Quand Rimbaud écrit cette phrase en 1871, il parle du poète. Néanmoins je pense que cela s’adresse également à l’artiste. Ce dernier est un « poète plasticien », un « poète matériel ». L’artiste doit (s’) oublier le temps d’écouter le monde sensible. Il doit redevenir enfant, « L’enfant [qui] voit tout en

nouveauté ; [qui] est toujours ivre. » 3 . L’enfant voit les choses matériellement, il n’est pas corrompu par le langage. Quoiqu’on y fasse le langage est limité. Certains comme l’écrivain polonais Witold Gombrowicz ont déjà abandonné l’illusion d’un langage spontané « … je ne crois à aucun langage spontané et naturel de l’homme, je crois que l’homme est toujours déformé, que toute forme est limitation et mensonge. Il peut (l’homme) comprendre que ce qu’il dit ne l’exprime pas entièrement et prendre ses distances envers la Forme (et la

                                                                                                               1 Bourgin Emma, L’Immatériel ou l’avènement de « l’Homme – Éponge », 2009

2 Lettre dite du « voyant », Arthur Rimbaud, 1871 3 Œuvres complètes de Charles Baudelaire, Charles Baudelaire, Calmann Lévy, 1885 (III. L’Art romantique, pp. 58-67)  

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culture). Mais rien de plus. » 1 . Comme l’a démontré le linguiste Martinet 2 , le langage est « articulation », articulation d’unités abstraites (les lettres) qui, assemblées d’une certaine façon font sens et forment ce que Rousseau appelle les « idées générales »3. Ces dernières sont à mon sens beaucoup trop synthétiques et sont une barrière à l’imagination.

« … la rêverie chez l’enfant est une rêverie matérialiste. L’enfant est un matérialiste-né »4

Contrairement à l’adulte, l’enfant pense concret. Pour reprendre

l’exemple de l’arbre de Rousseau, quand l’on montre un arbre à un enfant, l’enfant voit l’arbre tel qu’il est, dans sa particularité. Il ne le compare pas à un autre. Il ne connaît pas le mot « arbre », peu importe que cet arbre soit un chêne et qu’il en ait peut-être vu d’autres auparavant. Pour l’enfant cet arbre est incomparable, il va constater que l’une de ses branches est cassée, que la plus haute est couronnée d’un nid … Ce chêne ne ressemble à aucun autre. Et l’artiste doit regarder chaque élément du monde sensible comme ce chêne, avec ce regard matériel sans cesse renouvelé. « Que bien peindre est difficile ! Comment aller sans ambages vers la nature ? Voyez, de cet arbre à nous il y a un espace, une atmosphère, je vous l’accorde ; mais c’est ensuite ce tronc, palpable, résistant, ce corps… Voir comme celui qui vient de naître !... »5.

                                                                                                               1 Dubuffet Jean et Gombrowicz Witold, Correspondance, Gallimard, 1995, p.25 2 Martinet André, Eléments de linguistique générale, A.Colin 1970 3 Rousseau Jean-Jacques, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755, p. 90 4 Bachelard Gaston, L’eau et les rêves, essai sur l’imagination de la matière, 1943, p.16

5 Entretien de 1902 in Entretiens avec Cézanne, Paris, Macula, 1978, p.22

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ARTISTE, «VOYANT», ENFANT -> PLANCHE 2

1. Yves Klein, Le Saut dans le vide , 5, rue Gentil-Bernard, Fontenay-aux-Roses, octobre 1960Action artistique d’Yves KleinTitre de l’œuvre d’Yves Klein d’après son journal Dimanche 27 novembre 1960 :« Un homme dans l’espace ! Le peintre de l’espace se jette dans le vide ! », 1960© Adagp, Paris 20072. Paul Verlaine, Rimbaud à la pipe, 1872, portrait après-coup qui figure en frontispice de l’édition des Poésies complètes chez l’éditeur Vanier

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