Mon projet pour l'école - Arnaud Montebourg

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Unir les acteurs, changer l’écoleParents, élèves, professeurs, personnels d’encadrement, tous se heurtent au système scolaire tel qu’il est : ses injustices, ses inégalités, sa trop faible capacité à faire réussir nos enfants. Il ne s’agit pas de désigner des coupables et des responsables, mais seulement de dresser le constat suivant : chacun, dans son rôle et là où il est, essaye de faire de son mieux dans le système scolaire tel qu’il est. Pourtant, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Si l’on ajoute l’échec scolaire encore massif, la forte reproduction sociale, l’angoisse des parents, l’absence d’espoir de beaucoup d’élèves – notamment dans les quartiers populaires – ou la mélancolie des professeurs, force est de constater que peu de gens tirent leur épingle du jeu. Finalement, tous sont devenus, au fil du temps, les otages d’un système scolaire qui ne remplit plus les attentes légitimes de la société. Bien sûr, il y a derrière ces difficultés une question de moyens, mais il y a aussi une question de système et de philosophie : quel est notre projet de société ? Quelle mission assigne-t-on à notre école ?Parents que l’on veut dresser contre les professeurs, enseignants que l’on oppose entre eux, élèves de quartiers différents que le système pousse à la confrontation, vous êtes tous reliés par un fil invisible : le besoin de la transformation de l’école. Mon projet pour l’école vous est destiné. La société française a besoin d’un système scolaire plus juste et plus performant, qui donne à chacun accès à la réussite, qui élargit notre élite et qui construit une culture commune à tous. Mon projet pour l’école est frappé au coin de ces ambitions. Il fixe le cap et décrit, en 32 propositions, les moyens d’y parvenirL’école réinventée est ainsi un élément du nouveau modèle social proposé par Arnaud Montebourg et doit prendre place à côté d’une nouvelle politique pour la jeunesse, d’une autre politique des villes ou d’une reconfiguration de la formation professionnelle ; autant de pierres qu'il faudra assembler dans le même édifice.L’école est un point commun entre les FrançaisTous, nous avons été élèves et portons avec nous nos bons et moins bons souvenirs. Beaucoup sont actuellement des parents ou grands-parents associés de près ou de loin à la scolarité de leurs enfants, des devoirs aux rencontres parents – professeurs. Sans oublier le million de Français qui travaille dans le système scolaire et relève tous les jours les défis si primordiaux de l’éducation de nos enfants, dans les conditions que nous connaissons, ni les entreprises qui ont besoin de futurs salariés compétents, capables de suivre ou anticiper le progrès technique. Bref, de l'ouvrier au cadre supérieur, en passant par l’entrepreneur ou le petit commerçant, tous, sans exception, sont convaincus que les savoirs sont essentiels à l’élévation de l’individu. L’école est ainsi le creuset de notre nation, celui où se bâtit une certaine idée de l'homme-citoyen, où se construit une culture commune, où l’on découvre la différence.De vrais enjeuxDes questions lourdes sont posées aux futurs dirigeants de la France : comment enseigner ? Quelle pédagogie utiliser ? Faut-il aller vers des classes de niveau ? La concurrence entre établissements est-elle un progrès ? Quel rôle pour les familles ? Le collège unique est-il une bonne chose ? Qu’en est-il du métier d’enseignant à notre époque ? Et combien tout cela coûte-t-il ? La candidature d’Arnaud Montebourg est une candidature de contenu, qui s’attaque aux vrais problèmes de la société. Durant le mois qui vient, on nous trouvera des sujets de diversion, qui médiatiques, qui privés. Nous avons décidé d’affirmer ensemble « pas cette fois-ci ». Cette fois-ci nous parlerons des vrais sujets : de démondialisation, du capitalisme coopératif, de la reprise en main du système bancaire, ou de la construction d’une école juste et performante.

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Remerciements

Je tiens remercier toute l'quipe qui a travaill de prs ou de loin l'laboration de ce texte depuis plus d'un an. Parents, enseignants, chefs d'tablissements, inspecteurs gnraux, experts de lducation, certains syndiqus et d'autres pas, certains membres du parti socialiste et d'autres venant dhorizons diffrents, se sont rgulirement runis pour formuler des propositions et construire avec moi ce projet pour lcole qui sera lune des pices matresses de la nouvelle France. Tous n'ont pas souhait que je les remercie nominativement car leur situation professionnelle ne leur permet pas d'tre cits. Je leur adresse ma gratitude. Je tiens remercier Jean-Pierre Obin, inspecteur gnral honoraire de lEducation nationale, qui m'a fait l'honneur de prfacer ce texte. Jadresse aussi mes remerciements Nathalie Mons, sociologue et matre de confrence, que nous avons auditionne et qui nous a clairs sur les tudes comparatives internationales ; Jean-Louis Auduc, ancien directeur adjoint de l'IUFM de Crteil, auteur de plusieurs ouvrages sur les

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systmes ducatifs ; Jean-Marie Panazol comme Marie-Chantal Genemaux, ancienne principale de collge et charge de mission politiques ducatives la Ligue de lenseignement. Je remercie galement Ismal Ferhat, Sbastien Bracciali et Fadi Kassem, professeurs agrgs, ainsi que Thierry Laigle, professeur des coles, Malika Ahmane, tudiante, Maurice Ronai, sociologue expert des questions numriques, Julien Dourgnon, responsable des experts de ma campagne ou Viviane Becourt, mre clibataire attentive l'ducation de sa fille, qui ont rflchi, relu et conseill. Merci aussi Bertrand Monthubert, secrtaire national du Parti socialiste, universitaire et ancien prsident de Sauvons la recherche , pour ses conseils et sa relecture critique. Jadresse enfin mes remerciements Franois-Xavier Petit, professeur agrg, pour mavoir accompagn dans lcriture. Et tout particulirement Maya Akkari, professeur certifi de mathmatiques qui a coordonn lensemble des travaux. Ce texte est le fruit de lexprience quotidienne de tous les acteurs de lducation, quils soient professeurs, lves, personnels dencadrement ou parents comme moi. Il a t mri dans une pratique et une exprience ; il sest nourri dannes de vcu pour dresser un constat, formuler des propositions et dgager les

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moyens de mettre en uvre lcole de la nouvelle France. Cest faire l uvre de rassemblement autour dun projet commun toute la socit, imagin avec ceux qui sont tous les jours au contact de lcole et de notre jeunesse.5

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Prface

Jean-Pierre Obin Inspecteur gnral honoraire de lEducation nationale

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Education : nolibralisme ou Rpublique

Lun des mrites dArnaud Montebourg est de prendre au srieux lhgmonie mondiale, installe depuis une trentaine dannes, de lidologie nolibrale. Ce nest sans doute pas l, en effet, un phnomne mineur ou passager, mais plutt le tmoin dune volution profonde de nos socits, dont il faut bien saisir les causes afin den mieux combattre les effets ; et den tirer srieusement - surtout si lon se prsente la magistrature suprme - les consquences politiques. Le succs des ides nolibrales nest en effet pas d lexistence de grands penseurs ou limpact dune thorie puissante, mais plus simplement son adquation une situation historique objective :

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la nouvelle re ouverte dans les socits occidentales par leffondrement de toutes les formes de lautorit, quelles soient religieuses ou politiques. Le dernier des pisodes et pas le moindre ! en a t la dfaite de ce que Raymond Aron a appel les religions sculires et Hannah Arendt le totalitarisme. Leffondrement de lidologie communiste marque sans doute la disparition dfinitive dans notre civilisation de tout principe dautorit lgitime dans le domaine politique ; ce dont tmoigne Claude Lefort lorsquil dcrit limpossibilit sen remettre dornavant un garant reconnu par tous : la nature, la raison, Dieu, lHistoire. Mme lidologie du progrs, de la foi en lavenir, sest retourne : aujourdhui la science et la technique napparaissent plus comme des sources despoir dune possible matrise des forces de la nature, mais comme des motifs de crainte dune apocalypse par la destruction de la nature. Si lidologie nolibrale apparat parfaitement adapte un monde dont tout principe dautorit a disparu, cest quelle est fonde sur un principe oppos lautorit, celui de lautonomie totale de lindividu, un individu isol, dfini simplement par ses droits, ses aspirations et ses intrts. Pour le nolibralisme, seuls existent en effet des individus, lis en droit par nulle autre obligation que librement consentie, cest--dire contractuelle. Mais du coup toute dimension historique

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est dnie lhumanit, et sont rejets le pass (la tradition) ou lavenir (le projet) comme principes lgitimes dorganisation collective. Ne reste pour les nolibraux que lvidence du prsent et la seule rgulation possible des intrts et des aspirations des individus par le march. Rien, issu du pass ou contenu dans une vision de lavenir, qui ne doive contrarier cette singulire croyance que les individus sont uniquement guids par leurs intrts et leurs aspirations. Tout principe dunit sociale ayant disparu, Dieu, la Tradition, la Rpublique, la Morale, le Parti et lavenir radieux, le Progrs, tout cela ayant t balay, mis bas, dconstruit , restent, triomphants, lindividu, ses droits et le march. Dans cette vision, le rle de lEtat minimal - se borne donc strictement la protection des droits individuels et des mcanismes du march. Cest l sans doute la raison du succs de la notion de socit civile , une reprsentation de la socit conue comme un ensemble de regroupements dindividus, librement fonds sur le partage didentits ou dintrts, et sur leur libre jeu. Le corporatisme, qui ne voit pas plus loin que ses intrts particuliers, saccommode en dfinitive fort bien de cette idologie. Dans ce contexte, les proccupations des hommes politiques tendent davantage reflter la diversit de la socit civile, plutt que de donner une

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orientation la nation. On accorde dsormais plus dimportance la forme, ce quon appelle la gouvernance, quau fond, ce quon nomme encore le gouvernement. Les partis, par les candidats quils prsentent aux lections notamment, sefforcent davantage de reprsenter cette diversit, dtre son miroir, que dentraner la socit vers un but ou de la transformer. Quant lducation, que devient-elle dans ce nouveau contexte idologique ? Pour fonctionner, lidologie nolibrale ne sappuie pas que sur le droit et lconomie mais table aussi sur lducation. Education librale et conomie librale partagent en effet le mme grand principe, le rejet des attaches collectives et de toute forme dautorit, et notamment le rejet du politique comme instance de normativit ou de rgulation collective. Economie librale et ducation librale vont de pair et se confortent. Il faut y tre attentif : on ne peut, comme certains, aimer lune et dtester lautre, et repousser lune sans rejeter lautre. Car cest lenfant dli de toute attache collective, duqu dans la lgitimit absolue de ses choix individuels, auto-construit , qui, devenu adulte, peut croire se raliser en contractant librement pour accomplir ses aspirations et dfendre ses intrts. Pour les nolibraux, la vie consiste la fois se raliser soimme, do lducation lauto-construction de soi et la

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pdagogie de lauto-construction des savoirs, et raliser ses aspirations, do lconomie de la libert absolue dentreprendre et de consommer. La mise en uvre de ce projet rencontre cependant de nombreux obstacles. Dabord elle soppose la tradition franaise dune ducation nationale , dune cole publique davantage tourne vers ldification et la consolidation dune nation - ellemme conue comme fondement de la cohsion sociale - que destine rpondre aux seules ambitions des individus et des familles. Ensuite ce projet se heurte aux apories quil engendre : latomisation sociale et lapologie de la libert individuelle ne font pas bon mnage avec lide mme dcole et avec les contraintes de toute vie scolaire ; lanomie sociale et morale des jeunes, et le dveloppement de la violence qui en rsulte, provoquent en retour une nouvelle demande dautorit, de rglementation et de protection de la part des parents, et notamment de ceux des classes populaires ; le dveloppement des affirmations identitaires et des revendications religieuses a pour effet un renouveau de lexigence laque lcole. De ces contradictions, merge progressivement lide que lcole doit (re)devenir linstitution fondatrice du vivre ensemble, quelle doit bien sr transmettre des connaissances, mais aussi former des comptences cognitives et sociales, faire partager des valeurs

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politiques et morales, promouvoir des attitudes civiques, duquer des comportements responsables. Les tenants de lducation librale se heurtent galement un obstacle difficilement surmontable : lexistence du savoir comme principe universel dautorit. Le savoir nest en effet pas libral et ne peut pas le devenir. Aussi est-il faux de dire, voire de professer comme on lentend souvent, que chaque lve construit son savoir. Le savoir nous surplombe : deux et deux font quatre, cest ainsi, il nexiste aucune libert par rapport cette vrit, et mme le professeur ne peut sen affranchir ! Ce surplomb du savoir, ce principe dautorit incontournable est videmment insupportable lindividu nolibral et sa qute radicale dautonomie. Do le succs, dans les milieux fortement marqus par lindividualisme, du constructivisme ducatif : comme lon doit bien admettre que le but des apprentissages est commun, que le savoir ne vaut que sil est le mme pour tous, on argumente quheureusement, le chemin pour y parvenir est quant lui individuel. Lenseignement, les parcours scolaires, la pdagogie doivent donc tre individualiss, et lducation tre libralise. Mais qui profite alors le libralisme scolaire ? Toujours aux mmes. En voici trois illustrations. La carte scolaire pour commencer. Voil une contrainte impose par lEtat aux parents, certes avec

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beaucoup de drogations, jusquen 2007, et que Nicolas Sarkozy a dcid de lever, leur disant en quelque sorte : lcole est obligatoire, mais vous pouvez choisir la vtre. On en voit maintenant le rsultat, sur le terrain et au travers des tudes qui commencent tre publies : le dveloppement dune sgrgation croissante entre les tablissements, au dtriment des rsultats de la grande majorit des lves et en particulier des plus fragiles. Lorientation pour continuer, seconde occasion de choix scolaire pour les lves et les familles. Une recherche montre quun cart de 57 points spare, lentre au lyce, les chances des enfants douvriers de ceux de cadres dtre orients vers des tudes longues. Mais la grande dcouverte est que sur les 37 points de discrimination dus au parcours scolaire au collge, la moiti est imputable lorientation et lautre moiti aux performances. Ou encore : notes identiques, les lves ne sont pas du tout orients de la mme manire ! Dautres recherches corroborent ce rsultat : chaque fois quil y a choix dorientation, doption, dtablissement, quil y a libert de choisir, ce sont toujours les mmes qui en profitent, qui font les bons choix : ceux bien sr qui possdent lambition, linformation et les rseaux. Troisime illustration pour finir : lindividualisation des parcours et la dstructuration du groupe-classe qui en rsulte au lyce

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(et mme au collge) par le jeu des options et des diffrents dispositifs daide et de soutien. Les principaux des collges de ZEP le savent bien : la multiplication des dispositifs qui font clater les groupes-classes dstabilisent les lves les plus fragiles ; ce sont ceux-l qui ptissent le plus de lmiettement des structures denseignement, et de ne pas disposer de la structuration et de la contrainte rassurantes, comme lcole primaire, dun groupe permanent et dun tout petit nombre dintervenants. Dune certaine manire, par son laisser faire, par sa dvotion au mythe de la singularit cognitive de chaque lve et, partant, par sa soumission aux dynamiques sociales sgrgatives, la pdagogie librale peut tre vue comme la ngation-mme de toute pdagogie. Mais sa nocivit ninvalide nullement labsolue ncessit de lentreprise pdagogique qui, au cur de lacte denseignement et dducation, sattache mettre progressivement les savoirs la porte des lves ; et doit sefforcer aussi de contrecarrer les dynamiques mortifres de lentre-soi et de lindividualisme. Pdagogies du projet, de la coopration, de lentre-aide, monitorat et enseignement mutuel, travaux de groupe, mthodes actives autant de courants et de dispositifs ports par certains enseignants et chefs dtablissement, et qui peuvent placer la solidarit au cur de la classe, tirer

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vers le haut les plus faibles en sappuyant sur les plus forts, et donner du sens et de lefficacit au combat pour la mixit scolaire et sociale des tablissements et des classes qui doit tre celui de tout gouvernement de gauche. Marcel Gauchet le prophtisait en 1985 : Au bout de la pdagogie librale il y a lcole de lingalit crivait-il. Nous y sommes ! Comment ne pas voir que la libralisation des choix scolaires est devenue, aujourdhui en France, lun des points dapplication les plus stratgiques de lidologie nolibrale ; et le combat intress de ceux quelle favorise ? Cest prcisment contre cela que slve le projet dArnaud Montebourg, en rintroduisant les ides de choix collectifs, de volont politique, dintrt gnral, de Bien commun, de justice sociale, de lacit, bref de Rpublique, au cur dune nouvelle politique ducative de gauche dans lEducation nationale.

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Jean-Pierre Obin Inspecteur gnral honoraire de lEducation nationale

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Sommaire3 6 Remerciements Prface de Jean-Pierre Obin17

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Avant-propos : Lcole de tous les jours Le trait dunion entre tous les Franais Les pices dun nouveau modle social franais Nous avons russi la massification, il faut dsormais russir la dmocratisation Mon projet pour lcole et ses deux adversaires Justice et performance Lcole de tous les jours Une nouvelle ambition scolaire Un systme la drive et des gens courageux Un hritage de rformes manques ou inacheves L'cole est un lieu de reproduction sociale et de sgrgation Douloureux divorce entre la socit et son cole L'ducation n'est plus vraiment ni gratuite, ni nationale Face au dsengagement de ltat, la dbrouille des familles

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L'ducation est considre comme une charge et non un investissement Notre systme scolaire malmne ses enseignants, au dtriment de tous et notamment des lves Une cole qui ne tient pas compte des rythmes biologiques des lves Des contenus disciplinaires plthoriques et qui ne sont pas toujours en phase avec le monde daujourdhui Mes propositions pour transformer lcole Unifier et diffrencier Unifier le systme scolaire : lcole commune et le lyce polyvalent Crer les conditions de lgalit : une nouvelle carte scolaire Changer la classe : organiser la pdagogie diffrencie dans un systme unifi Transformer la condition enseignante : Formation, carrires : de nouvelles perspectives Changer jusquaux cadres de lEducation nationale Autour de lcole Le pari de lcole numrique Combien tout cela cote-t-il ? La priorit doit tre donne lcole commune Conclusion Propositions

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Avant-propos Lcole de tous les joursLe trait dunion entre tous les FranaisLcole est un point commun entre les Franais. Tous, nous avons t lves et portons avec nous nos bons et moins bons souvenirs. Beaucoup sont actuellement des parents ou grands-parents associs de prs ou de loin la scolarit de leurs enfants, des devoirs aux rencontres parents professeurs. Sans oublier le million de Franais qui travaille dans le systme scolaire et relve tous les jours les dfis si primordiaux de lducation de nos enfants, dans les conditions que nous connaissons, ni les entreprises qui ont besoin de futurs salaris comptents, capables de suivre ou anticiper le progrs technique. Bref, de l'ouvrier au cadre suprieur, en passant par lentrepreneur ou le petit commerant, tous, sans exception, sont convaincus que les savoirs sont essentiels llvation de lindividu. Lcole est ainsi le creuset de notre nation, celui o se btit une certaine ide de l'homme-citoyen, o se construit une culture commune, o lon dcouvre la diffrence. Cest le lieu19

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o se transmet le patrimoine dune socit, de gnration en gnration, o les enfants sveillent, apprennent, conquirent pas aprs pas lautonomie des adultes quils sont appels devenir. Car smanciper, ce nest pas uniquement avoir un bon diplme pour avoir un bon emploi, cest aussi et surtout pouvoir se dpasser, se confronter la diffrence, se librer de ce qui nous enchane parfois et peut dterminer notre parcours de vie : milieu social, quil soit modeste ou bourgeois ; genre, quon soit fille ou garon ; sexualit ; histoire familiale ou territoire. Lcole est tout cela la fois, autant que le lieu o les lves choisissent une orientation professionnelle. Lcole tient ainsi dans sa main la formation des professionnels de demain dont le niveau de comptence, quel que soit le domaine, dtermine la prosprit de notre conomie. Elle porte en mme temps la construction dindividus libres de leurs jugements, par lacquisition des savoirs et lapprhension de la complexit du monde. Pourquoi opposer ces deux missions ? La socit attend de son cole quelle les mne de front.

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Les pices dun nouveau modle social franaisLes espoirs, tensions et maux de la socit ne sarrtent pas son portail, surtout dans nos dmocraties modernes traverses par des mdias qui modifient et multiplient les canaux du savoir, autant quils plongent les jeunes dans limmdiatet de la consommation et lassouvissement instantan des dsirs ; dmocraties places sous lassaut du marketing et de la marchandisation des rapports sociaux ; dmocraties qui doivent faire vivre ensemble des gens dorigines diverses et des revendications identitaires loin dtre illgitimes ; dmocraties dchires par le chmage, le travail prcaire aux horaires improbables et les ingalits toujours si criantes. Il nous faut en prendre la mesure. Depuis les grandes rformes scolaires de Napolon, de Jules Ferry et de Ren Haby (collge dit unique ), lcole a parcouru un chemin immense. Personne ne peut nier la monte du niveau des qualifications mais celles-l ont correspondu la multiplication et la diversification des problmes culturels et sociaux. Aujourdhui, lenjeu nest pas de revenir en arrire, mais au contraire de franchir un nouveau cap, construire lcole dun sicle nouveau, celle qui rduit les ingalits et sadapte la socit

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numrique, ou plutt forme des jeunes citoyens capables de se mouvoir, dexercer leur esprit critique, de smanciper personnellement, de russir professionnellement et de travailler collectivement. Des questions lourdes sont poses aux futurs dirigeants de la France : comment enseigner ? Quelle pdagogie utiliser ? Faut-il aller vers des classes de niveau ? La concurrence entre tablissements est-elle un progrs ? Quel rle pour les familles ? Le collge unique est-il une bonne chose ? Quen est-il du mtier denseignant notre poque ? Et combien tout cela cote-t-il ? Vis--vis de lcole, nos attentes sont grandes. A juste titre. Mais elle ne peut pas tre juge seule responsable de lchec scolaire de certains lves, encore trop nombreux, et de la stagnation ducative depuis 1995. Certes, linstruction-transmission des savoirs et des savoir-faire, l'approfondissement des connaissances- de chaque enfant et de chaque jeune est sous son entire responsabilit, et dans ce domaine notre systme ducatif doit encore beaucoup progresser, mais lducation -comportement, citoyennet, valeurs- est laffaire de tous et la responsabilit en est partage : familles, cole, collectivits locales, entreprises, mdias et associations dducation populaire Le poids de la rduction des ingalits ne doit donc pas peser uniquement sur ses

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paules, mais lcole rinvente que je propose doit en prendre toute sa part. Lcole rinvente est ainsi un lment du nouveau modle social que je propose et qui doit prendre place ct dune nouvelle politique pour la jeunesse, dune autre politique des villes ou dune reconfiguration de la formation professionnelle ; autant de pierres qu'il faudra assembler dans le mme difice.

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Nous avons russi la massification, il faut dsormais russir la dmocratisationEn un mot, si lon regarde par-dessus notre paule, notre systme scolaire a russi la massification, permettant laccs linstruction tous les enfants, mais il a rat la dmocratisation, c'est--dire lgal accs la russite scolaire entre les enfants de tous milieux. Voil lenjeu. Si tous les enfants vont lcole (massification), il faut dsormais leur donner un gal accs toutes les filires de lenseignement suprieur sans exception (dmocratisation). Il sagit de justice sociale, mais galement de lavenir de la France qui doit largir son lite et vaincre lchec scolaire.

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Actuellement, lorsquun lve sort dun collge du quartier populaire Saint Charles Nice, il na pas le mme bagage scolaire que lorsquil sort dun collge du centre de la ville de Nantes. L est un des nuds du mal scolaire franais. Comment voulez-vous demander aux familles davoir une attitude rpublicaine si, lorsquelles inscrivent leurs enfants dans lcole dun quartier populaire, ils en sortent avec un niveau scolaire moindre que sil avait t scolaris dans un tablissement dun quartier moins dfavoris ? Que voulez-vous dire certains de nos jeunes des quartiers populaires qui disent avoir la rage lorsque, excellents lves de leur collge de secteur, ils se retrouvent la queue du peloton dans le grand lyce du dpartement et quils narrivent pas raliser leur envie lgitime dintgrer les filires prestigieuses ? Leurs parents navaient pas les codes et les informations ncessaires pour se mouvoir dans un systme opaque. Pour que nos principes dgalit et de fraternit ne soient pas que des paroles en lair, aussi creuses que discrdites, il faut que lducation Nationale garantisse sur tout le territoire, dans tous les tablissements, dans toutes les classes, une gale qualit daccs aux savoirs et aux comptences. Mais cela ne se fera pas sans une approche diffrencie des lves et sans pdagogies coopratives et il nous faudra y mettre les moyens pour garantir la cohabitation de ces

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approches avec limpratif de mixit. Il nous faudra certainement augmenter le budget allou linstruction de nos enfants, mais il sera galement ncessaire de dfinir des priorits, notamment en faveur de lenseignement de base qui va de la maternelle la fin de la troisime. Tout le monde ne fera pas Polytechnique, mais laccs la russite doit tre dmocratis. La France a besoin dune lite largie, forte, renouvele, utile notre pays et non compose presquexclusivement de ceux qui ont les codes du systme et les gardent jalousement pour eux. La rponse que nous proposons est lgal accs la russite. Cest une grande tche, un grand et difficile projet de socit. Comme tous les grands desseins, il appelle lui une socit qui ne peut se satisfaire de ltat de son cole et qui a dcid de se remonter les manches pour la faire changer. Car des rustines et des rformettes ny suffiront pas. Cette grande transformation, tous les acteurs lattendent : lves, parents, professeurs, c'est--dire tous ceux qui font de leur mieux tous les jours et qui se dsesprent de se heurter aux murs dun systme bien souvent absurde, opaque ou paralys. Finalement tous sont des hommes et des femmes de bonne volont relis par la mme chane. Il faut dsormais les rassembler et les unir autour dun projet de transformation qui va bien

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au-del des moyens. Pour ma part, je conois le rle du politique comme celui dun inventeur de la vie future. Ces propositions sen veulent la mise en pratique.

Mon projet pour lcole et ses deux adversairesDans ce grand effort pour tracer un chemin vers la russite, quelle quelle soit, pour chacun, nous nous opposerons deux autres projets. Celui de Nicolas Sarkozy qui vise un systme de dtection et de slection parfois efficace pour une infime minorit de meilleurs extraite des ghettos scolaires, mais abandonnant tous les autres leurs sorts dirrmdiables perdants. Pire, cette politique dissimule derrire de rares trajectoires brillantes de quelques uns les bataillons laisss en rase campagne de lchec scolaire. Lautre projet que nous repousserons est celui du nivellement par le bas, celui dans lequel, au nom dune conception absurde de lgalit on pourchasse lexcellence pour uniformiser la mdiocrit. Nous portons au contraire deux ambitions, celle dun gal accs la russite et celle dun accompagnement des lves pour quils aillent plus loin que ce quils avaient pu imaginer. A celui qui obtient 6 sur 20, nous devons tre capables de dire : On va travailler ensemble pour que

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tu aies 11. Et de l nous irons plus loin ; A celui qui veux tre cuisinier, nous allons dire : ne vise pas un CAP, va jusquau bac professionnel et de l, vise la licence professionnelle. Nous allons ty aider . Ni choix de quelques meilleurs, ni alignement sur les plus faibles, mais lexcellence pour tous et quelle quelle soit. Et ce nest pas quun slogan facile qui revient chaque lection, car nous avancerons tout au long de ce texte des solutions concrtes et des moyens matriels. Le dfi est aussi grand que damener les petits paysans lcole de la Rpublique, la fin du XIXe sicle, ou 80% dune classe dge au bac dans la seconde moiti du XXe. Cest pourtant le nouvel enjeu de notre socit.

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Justice et performanceCe projet peut tenir en deux mots : justice et performance. Cest la justice qui assure la plus grande performance du systme ; une relle performance qui se mesure lchelle de la socit pas de quelques filires dexcellence et dispositifs discriminants qui servent de cache-misre ; une galit relle qui permet chacun de se raliser et daller le plus loin possible. Justice et performance, cest lobjectif crois, la liaison intime quil faut concrtiser, lalchimie nouvelle qui

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impose de revoir tout le systme. Bref, cest lunion sacre pour une cole qui reprend sa place dans notre socit, et qui doit de nouveau oser et porter loptimisme. La justice est la condition de sa performance.28

Parents soucieux, professeurs dsesprs, lves dboussols, personnels rsigns, mais aussi grandsparents inquiets du sort de leurs petits enfants, diplms-chmeurs qui ne voient pas la fin de la galre ou jeunes sortant chaque anne du systme scolaire sans diplme, ce projet est pour vous tous, vous qui vous heurtez au mme mur dun systme en roue libre, vous que lon veut opposer les uns aux autres mais qui tes pourtant relis par un fil invisible : le besoin de la transformation de lcole. Isolment, l o vous tes, vous vous battez pour amliorer les choses : parent qui essaye daider les devoirs de son enfant ; professeur qui va au-del de son travail parce que des lves ont besoin de lui Vous tes des tincelles despoir qui, mises ensemble, peuvent accoucher de la grande transformation de notre systme scolaire. Vous tes tous ces gens dont je vais dcrire les trajectoires, les difficults et les espoirs. Ces histoires sont les vtres, ce projet doit le devenir.

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Lcole de tous les joursLcole est le quotidien de millions de Franais, jeunes ou moins jeunes. Elle est le lieu de formidables histoires, mais aussi de trs lourds bien trop lourds problmes. Prenons Jennifer. Jennifer a un pre chaudronnier. Enfant, il lemmenait parfois dans latelier, le mercredi aprs-midi, pendant que ses amies allaient la danse. Mais Jennifer na jamais eu envie de porter un tutu. Ce nest pas cela, tre une fille aujourdhui. Etre une fille, cest faire ce que lon aime. Et ce quaime Jennifer, cest voir le mtal changer de couleur sous la flamme du chalumeau. Cest la premire chose qui la fascine dans latelier de son pre situ dans une zone industrielle de Mulhouse. Quand il sest agi de choisir une orientation, Jennifer na pas hsit. Elle voulait travailler le mtal. En plus son pre lui a dit quelle trouverait facilement un emploi. Elle a donc choisi de faire un bac pro industriel. Toutes ses amies sont parties dans un lyce gnral. Il a fallu sen sparer. Jennifer la mal vcu. Elle na plus limpression de vivre la mme vie quelles et les liens se sont distendus. Dans son lyce professionnel, Jennifer nest pas trs heureuse. Elle est la seule fille dans sa classe. Du coup, elle na plus

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beaucoup damis et se dit quen lyce gnral elle aurait rencontr des gens diffrents, dhorizons divers. Elle se sent vraiment seule. Les garons de sa classe ne sont pas l par choix, mprisent la filire industrielle, du coup sont souvent absents et lambiance est mauvaise. Ils voulaient faire compta ou vente, du business , disent-ils. Mais ils navaient pas le niveau, alors on les a mis l. Parfois, elle essaye encore de les convaincre dtre fiers de leur filire et leur dit quils gagneront plus que ses copines qui veulent faire une fac de psycho. Mais ils ne la croient pas. Il faut dire que leur lyce ghetto nincite pas avoir confiance en lavenir et nouvre pas de perspectives. Aprs le lyce que ferontils ? Pas de BTS lhorizon. Rien du tout. Ils nont mme pas ide de ce quil peut y avoir aprs. Comme dans leur tablissement, il ny a quune filire professionnelle industrielle, impossible dimaginer lavenir. Ils sont comme enferms. Plus a va et plus Jennifer a limpression de ne pas tre sa place. Au fur et mesure, porter tout cela sur ses paules est devenu trop lourd. Ses professeurs laident beaucoup, mais elle sent dans leurs regards quils se demandent ce quelle est venue faire l. Fatigue de se battre, elle a demand sa rorientation. Ironie de lhistoire, elle qui voulait tre chaudronnire ira faire de la vente et ses camarades de classe qui en rvaient resteront dans la chaudronnerie.

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Sylviane lve seule son fils Kevin. Elle est assistante sociale et habite un quartier populaire de la priphrie de Lyon et ses amis et ses voisins sont dorigines multiples. Comme elle, ils ont du mal joindre les deux bouts. Sylviane scolarise son enfant dans lcole du quartier, mais rapidement, elle sest rendu compte que le niveau denseignement et dexigences scolaires y est moindre qu lcole de sa nice qui, elle, habite en centre ville. Au dbut, elle essayait de l'aider la maison pour rattraper le niveau , mais ds que Kvin est arriv en CE1, ce ne fut plus possible pour elle. Rentre gnralement 18h30 la maison, entre la prparation du dner, le bain, le linge, le rangement, il ne lui restait plus beaucoup de temps pour faire du travail en plus avec lui. Le week-end, souvent elle prenait des petits boulots d'appoint pour finir le mois, il fallait faire les courses, le mnage. Sylviane a donc dcid de mettre Kvin dans le priv pour quil soit mieux encadr, pensait-elle, mme si cela reprsentait pour elle un cot financier et un temps de trajet bien suprieur. Certaines de ses voisines payent des cours particuliers, elle a aussi essay les cours particuliers. Ctait hors de prix et le rsultat pas trs bon. Elle a enchan les professeurs , sans tre convaincue. Au bout du sixime, elle a enfin trouv un tudiant avec qui Kvin progressait. Mais il a d arrter trop rapidement pour

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faire son stage de fin dtudes. Du coup, Sylviane na pas vu le bnfice. Peut-tre que a la rassurait ? Que faire quand on veut aider son enfant et que lon nest pas soi-mme capable de laider en calcul mental ? Quant lcole prive, avec un peu de recul, Sylviane ne voit plus les avantages. Kevin a eu quelques difficults sadapter, son niveau ntait pas assez bon selon le directeur et on lui a bien fait comprendre que sil ne redressait pas la barre il devrait quitter ltablissement. Depuis, Kvin a souvent mal au ventre le matin en allant au collge. Et il a dsormais le temps davoir mal au ventre, car le collge priv se trouve 45 minutes de chez lui. Le bus scolaire ne ly amne pas. Sylviane ne peut pas le faire, elle commence son travail la mme heure. Jennifer ne connat pas Sylviane. Pourtant, elles partagent le mme dsarroi. Toutes deux ont voulu faire du mieux quelles pouvaient, mais se sont retrouves dans un systme qui ne leur a offert aucune solution. Elles pourraient croiser Maria qui, dans son rle, affronte exactement les mmes difficults. Maria est adjointe au chef d'tablissement d'un lyce de banlieue parisienne. Depuis trois semaines, branle-bas de combat au lyce. Suite la dfection d'un professeur de mathmatiques, elle doit chercher un

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remplaant. Le collgue a craqu. Aprs cinq mois denseignement, il sest dit que les lves taient trop durs et que ce mtier ntait pas celui quil avait choisi. Faire la police toute la journe, ce nest pas pour moi , disait-il dans la salle des profs. L'Acadmie ayant puis ds le mois de dcembre ses ressources humaines en termes de remplaants, Maria reoit aujourd'hui des CV et des lettres de motivation provenant de candidats ayant vu une annonce au Ple emploi recherche professeur de mathmatiques. 18 heures de cours par semaine . En rdigeant l'annonce, Maria s'est dit que c'tait assez incroyable d'tre oblig d'en arriver l. Mais que faire ? Il faut bien assurer des cours des lves qui passent le bac la fin de l'anne. Avec un peu de chance, se dit Maria, un tudiant consciencieux rpondra l'annonce. Pour valuer les CV qu'elle a reus, Maria demande Antoine, jeune professeur certifi de mathmatiques s'il pense qu'un niveau bac + 2 est suffisant pour enseigner des lves de Terminale Scientifique et Terminale Economique et Sociale. Antoine, mi cynique mi dsabus lui demande s'il n'a pas un autre CV examiner. Le proviseur voque alors un candidat qui dtaille un nombre impressionnant de formations... sans aucun diplme pour les sanctionner. Il sera choisi, par dfaut. Il fera deux semaines de cours avant de renoncer. Et Maria

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examinera d'autres CV, et Antoine sourira de nouveau... Anne est professeur de franais dans un collge des Yvelines. Originaire des Ctes d'Armor, elle a t affecte en Seine-Saint-Denis aprs sa russite au concours. Elle avait 24 ans. Pendant des annes, elle a souhait retourner dans son dpartement d'origine, mais faute d'anciennet, elle s'est finalement rabattue sur la banlieue ouest parisienne. Elle y a gagn en tranquillit dans l'exercice de son mtier : lorsqu'elle demande le silence, les lves obissent et tous sont attentifs et fournissent le travail qu'elle demande. Elle est un professeur apprci de ses lves, de ses collgues, bien not par son Proviseur et son Inspecteur. Elle a achet, avec son mari, une petite maison pas trs loin de la bretelle d'autoroute qui leur permet d'aller voir la famille en Bretagne, un week-end sur deux, pour que les enfants connaissent leurs racines. Une fois par semaine, elle djeune avec Ingrid, son amie d'enfance qui a choisi une autre voie professionnelle. Ingrid voque ses dplacements l'tranger pour des sminaires, son salaire, dsormais trois fois suprieur celui d'Anne alors quelle tait moins qualifie, sa possibilit d'ouvrir une succursale de la compagnie Toulouse ou peut-tre Prague, Prague est une ville magnifique, tu sais ? . Anne

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garde le silence lors de ces changes et tente de trouver un autre sujet de conversation. Elle aimerait bien voluer , mais part passer automatiquement un chelon 120 euros par mois tout les trois ans... que faire ? Elle ne culpabilise mme plus lorsque son inspecteur voque le renouvellement permanent des bons professeurs et l'impossibilit, pour eux, de se lasser de leur mtier. Non, mme ceci ne l'atteint plus, la lassitude l'a progressivement emport. Que faire ? Attendre la retraite ? Mme son rve de Ctes d'Armor s'est vanoui... Maintenant qu'ils ont construit leur vie ici... repartir, draciner les enfants ? Non, ce n'est pas srieux... Alors que lui reste-t-il ? Devenir chef d'Etablissement ? Et devoir vendre sa maison pour rsider, peut-tre, dans un logement de fonction inconfortable d'un tablissement sensible dont ses enfants auront peur de sortir ? Non plus... Alors, se rsigner attendre la retraite en se disant qu'elle a beaucoup de chance d'avoir tout a ? Non, sincrement, lui demande Ingrid, si tu tais ma place, tu prfrerais quoi ? Toulouse ou Prague avec le salaire d'expat ? . Ahmed est professeur de Physique-Chimie depuis cinq ans. Certes, il a eu la chance darriver dans le mtier avant la rforme de la mastrisation et dtre un peu form avant de se retrouver en

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responsabilit face lves, mais il ne peut pas sempcher davoir un got amer dans la bouche. Ses nouveaux collgues, ceux qui viennent dtre, comme ils le disent eux mme, catapults devant les lves lui envient le peu de formation quil a eu lIUFM, mme si elle tait loin dtre satisfaisante. Ahmed vient de Toulouse, la ville rose. Mais comme la plupart des jeunes enseignants, il a t affect pour son premier poste sur un tablissement dit difficile de la banlieue parisienne. Les frais de transports pour retourner dans le Sud sont prohibitifs, alors il ne voit plus Karine, sa fiance, que deux week-ends par mois. 1 300 km aller-retour. On partage les frais de train, avec labonnement, cest grable. En semaine, il y a le tlphone, avec lillimit, a permet de tenir. La solitude est grande face ce mtier qui ne correspond pas tout fait ce quil imaginait. Ahmed est fils de mdecin, petit-frre de deux ingnieurs, il a toujours excell dans les matires scientifiques. Aprs deux ans de prpa scientifique, il a t admis dans des coles dingnieur mais il a prfr lenseignement lingnierie et sest dirig vers la fac. Affect dans lacadmie de Crteil comme beaucoup de jeunes, il a dcouvert un monde quil ne connaissait pas. La misre, la vraie, celle de la France den-bas , celle qui fait ses courses dans des discounts alimentaires dont rien que le nom fait peur , celle qui est zro au 15 du

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mois, celle qui a trois heures de transports en commun par jour et des horaires dcals. Et puis les gosses. Je nimaginais pas a. Je viens dun milieu dor, mon pre dispose dun bureau, de bibliothques, il y avait des livres partout dans la maison, la tl, ctait de temps en temps, pour regarder un reportage ou un film quon choisissait sur un programme . Ses lves sont diffrents, les familles, ici sont touches de plein fouet par le chmage de masse et le travail prcaire. Les divorces sont nombreux, le manque dargent naide pas les couples tenir. Les parents font ce quils peuvent, mais cest vite vu. Les gosses sont la drive. On ne vient pas du mme monde . La pauvret de ses lves, parfois mme la misre, Ahmed narrivait pas les oublier, il ny tait pas prpar. Et puis, il ne savait pas quoi faire. Quand un lve na pas fait ses exercices car llectricit a t coupe la maison la veille, que faire ? Le punir ? Lexcuser ? Que dire cette lve de troisime qui arrive tous les matins en retard parce quelle travaille le soir ? Comment faire de lcole un lieu o chacun peut mettre un peu de ct ses problmes personnels ? Au dbut, il tait exigeant avec les lves, mais trs vite son chef dtablissement lui a demand dlever ses notes. Vous allez me mettre le feu la classe, et puis les parents vont fuir. Nous nous devons de les rassurer lui dit-il. Mais rassurer qui ? Les lves ne croient mme pas en eux. Alors, la

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physique-chimie leur parat des annes-lumire de leurs proccupations. Franchement, je nai pas sign pour a. Je veux transmettre une discipline qui me plat, qui me passionne, faire rflchir les gosses sur je sais pas la naissance de lunivers ou le mouvement des molcules dans un verre deau mais l quoi je sers, au fond ? , se dit Ahmed. Il se sent trs seul. Depuis sa titularisation il na jamais t inspect. Ses collgues sont tous plus jeunes les uns que les autres, les chefs dtablissements sont, quant eux, jeunes dans la fonction car personne ne veut de ces postes l. Cependant, il ne veut pas baisser les bras. Cherchant des solutions, Ahmed sest tourn vers les mouvements pdagogiques, il a repris des tudes universitaires en sciences de lducation, dcidant ainsi de sauto-former. Depuis, a va mieux dans ses cours. Il comprend mieux la situation sociale de ses lves et leur rapport aux savoirs acadmiques, comme ce qui peut faire malentendus entre eux et lui. Il ne les juge pas, mais ne baisse pas la garde au niveau des exigences. Mais, quand il voit autour de lui tous ses collgues dprims et malheureux de ne pouvoir faire russir leurs lves, il en veut au systme qui les a tous bien insuffisamment forms.

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Maria, Sylviane, Jennifer, Anne, Ahmed aucun dentre eux na dmrit. Tous ont essay de faire de leur mieux dans le systme scolaire tel quil est. Ils ont cru dans ce systme, mais celui-ci na pas cru en eux, ne les a pas aid russir, sen sortir ou smanciper. Tous en sont devenus les otages. Cest ce systme quil faut changer.

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Une nouvelle ambition scolaireA vous tous, je veux dire que lcole doit avoir avec tous une gale exigence, garantir chacun un gal traitement. Elle doit prendre en compte les particularits des individus, mais leur apprendre travailler ensemble, senrichir mutuellement. Elle sera garante de lquilibre entre intrts individuels et collectifs. Cest ainsi que nous restaurerons la confiance des familles dans la capacit de notre systme lever leurs enfants et que lcole retrouvera son autorit car elle en aura alors la lgitimit. Elle sera performante car juste. Il nous sera en consquent possible, aprs lavoir massifi, de la dmocratiser : aprs un gal accs lcole, un gal accs la russite. Mon

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projet pour lcole concerne tous, ceux qui sont en difficult, bien sr, et quil faut aider, mais aussi ceux qui russissent et que lon doit amener encore plus loin. Voila le cap, il faut dsormais dire comment on latteint. Les ides et les rves ne suffisent pas : passons la comprhension des maux de notre cole, puis viendront les solutions concrtes.40

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Un systme la drive et des gens courageux41

Un hritage de rformes manques ou inachevesNotre systme scolaire mrite mieux que des remarques lemporte-pice telles que le niveau baisse , les professeurs sont fainants , les parents sont dmissionnaires et de mon temps, ctait vraiment mieux . Il convient au contraire den faire un examen critique et rigoureux, pour comprendre ce qui marche ou ne marche pas et ce qui ne fonctionne plus. Entrons donc dans le vif du sujet. Si lcole sous Nicolas Sarkozy vit un profond malaise et que le taux dlves en grande difficult scolaire a augment de 4,8%1 que les ingalits daccs la russite se sont encore plus accrues faisant de la France le pays dEurope o les enfants des familles les moins aises russissent le moins bien, le mal scolaire1

Pisa 2006-2009

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est bien antrieur. Il convient de ne pas dissimuler quune part de cet hritage provient de rformes mal engages aussi bien par la droite que par la gauche au pouvoir. Cest l une vrit que nous devons aux Franais.42

Les annes 70. La rforme Haby du collge (1975) : une rforme non aboutie Ren Haby, ministre de l'Education Nationale sous la prsidence Giscard d'Estaing, a souhait faire pour les lves de 12-15 ans ce qua fait Jules Ferry pour ceux de 6-11 ans, cest--dire leur donner un gal accs tous les savoirs. Aprs lcole pour tous , le collge pour tous , celui qui doit permettre, en thorie, une majorit dlves, quelle que soit leur histoire familiale, de russir. Concrtement, il sagissait alors de fusionner le primaire suprieur (les Collges dEnseignement Gnral (CEG), qui rassemblaient une majorit dlves, issus des classes moyennes et populaires) et le premier cycle de lancien lyce, litiste et malthusien (les Collge dEnseignement secondaire). Ainsi constitu en un bloc cohrent et commun, le collge

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unifi pouvait tre dcroch du lyce gnral, exclusivement tourn vers les tudes longues et litistes. Il sagissait aussi dassurer pour les lves les plus fragiles un passage plus progressif entre un instituteur polyvalent et plusieurs professeurs spcialistes dune seule discipline, entre des savoirs dits fondamentaux et des savoirs plus culturels. Le dbat sur cette question, ouvert par le Plan Langevin-Wallon en 1948, sest jou entre les deux grands syndicats de gauche. La position majoritaire fut alors la suivante : les savoirs universitaires sont suprieurs une autre forme de lgitimit professionnelle. Le professeur est un savant : historien, physicien, philosophe avant dtre un pdagogue et un praticien de lenseignement et de lducation. Avec le recul, on saperoit que cette rforme est alle rebours des ambitions lgitimes dune socit aspirant une culture commune plus troite et une hausse des niveaux de savoir. Fonctionnant sur le mode du lyce, le collge favorise une minorit dlves issus le plus souvent des familles aises et ne permet pas de rsorber lchec scolaire et dlargir llite. Llve dit moyen , comme celui qui est plus en difficult, sera tir vers le bas par ce systme au lieu de ltre vers le haut. De plus, le collge, prsent comme unique , ne la jamais t en ralit. Avec ce collge unique , le tronc commun de la scolarit obligatoire

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qui concerne les enfants de 6 15 ans a t morcel entre le primaire et ce mme collge qui est en fait un pr-lyce . Dans un tel systme, les lves sont invits choisir rapidement des filires induites par les diffrentes options et autres parcours dits personnaliss ou individualiss qui ont t mis en place diverses poques aussi bien par des gouvernements de droite que de gauche (SEGPA, choix de langues, classes horaires amnags, classes de quatrimes techno, classes de quatrime daide et de soutien, Dcouvertes Professionnelles 3 heures et 6 heures, etc.). Cette orientation la carte a massivement exclu les lves des familles les moins favorises, qui sont souvent les moins au fait des mandres du systme, des filires prestigieuses. En effet, les tudes sont unanimes : les systmes ducatifs les plus efficaces et les plus galitaires dans le monde gardent tous les lves ensemble jusqu lge de quinze ans 2. Plus on recule lge de la fin de la scolarit obligatoire, plus on unifie le tronc commun de la scolarit obligatoire, et plus un systme est performant. Lchec scolaire diminue et un plus grand nombre dlves obtient de hautes qualifications.Franois Dubet, entretien donn Sciences Humaines, http://www.educationetdevenir.fr/spip.php?article470. Franois Dubet sappuie sur les exemples scandinaves et canadiens pour tayer sa thse. Voir aussi Nathalie Mons, Les nouvelles politiques ducatives. La France faitelle les bons choix, Paris, PUF, 2007.2

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Face lchec constat du collge faussement unique, daucuns se sont engags dans la spcialisation et la multiplication des dispositifs hors normes, renforant toujours un peu plus la diffrenciation des parcours, et ont fait du collge unique le bouc missaire de rformes non abouties. Cest exactement linverse qui me parat convenir : se donner les moyens dune scolarit vraiment unifie en amont du lyce, qui est le lieu du choix. On fait porter au collge dit unique la responsabilit des checs de notre systme, on cherche le modifier, alors que le vritable problme est son inexistence mme, puisqu'il s'agit en vrit d'une sorte de lyce miniature qui trie et classe les lves.

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Je m'appelle Pascal, j'ai 22 ans et viens d'entrer la fac. Mon pre est manutentionnaire et ma mre est caissire. Au dpart, ma mre faisait ce boulot juste pour gagner un peu d'argent pour payer ses tudes. Mais elle est tombe amoureuse de mon pre et trs vite enceinte de moi. Alors, elle a arrt ses tudes et continu tre caissire. Mes parents m'ont scolaris dans l'cole du quartier. J'tais bon lve et mes parents suivaient rigoureusement ma scolarit, mais je ne savais pas qu'il fallait tre dans le bahut du quartier chic, faire de l'allemand, du russe et du latin pour tre dans les bonnes classes et tous ces trucs. On faisait confiance au systme. On a eu tort. Tout a, c'est maintenant que je le sais. Et je peux vous dire que mon

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gamin, quand j'en aurai un, il fera tout : latin, grec, chinois, japonais s'il le faut. Parce que moi, mme si j'tais l'poque bon lve, trs bon mme, quand je suis arriv en classe de seconde dans le bon bahut du dpartement, patatras ! Chute libre ! Je navais que des mauvaises notes, mes parents me grondaient parce qu'ils pensaient que je ne travaillais pas. Mais ctait en fait trop dur. Je n'avais pas appris beaucoup travailler dans mon collge, mes nouveaux camarades avaient fait tellement plus de choses et puis je n'tais pas habitu tre le plus mauvais. En plus, mes profs de collge n'avaient jamais le temps de s'occuper de moi tant les autres avaient plus de problmes. Dans ce lyce, j'ai donc dcroch, quitt l'cole, tran. Jai mme rompu avec mes parents car ils ne comprenaient pas. Heureusement que j'ai rencontr une amie qui m'a aid, soutenu. L'anne dernire j'ai pass mon bac en candidat libre et je l'ai eu. Du premier coup ! J'entre en fac. Mais quel gchis. Quand je pense que j'ai perdu quatre ans. Tout cela parce que le niveau de mon collge n'tait pas bon. J'en veux vraiment au systme et mes profs de m'avoir menti en me mettant des bonnes notes alors que je ne les mritais pas. J'aurais plus travaill ! C'est dur le travail, et puis a s'apprend .

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Les annes 80.Une autre difficult provient du cloisonnement effectu par les lois de dcentralisation.

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On a choisi lpoque de contenter chaque collectivit afin de dsarmer les oppositions. Les coles primaires sont donc restes dans le giron des communes, les collges ont t confis aux dpartements, les lyces aux rgions et les universits sont restes la charge de lEtat. Maintenant quil sagirait de trouver un chef de file, des responsabilits communes, une comptence densemble, tout le moins pour lcole du Socle commun, les consquences de ces dcisions sautent aux yeux. On a constitu l un blocage supplmentaire dans un systme qui nen manque pourtant pas ; chacun se crispe aujourdhui sur ses prrogatives, fait valoir son exprience et les investissements consentis, et risque demain de refuser de lcher sa part de responsabilit. Il faudra clarifier, casser les cloisons et choisir. Les annes 90. Echec de la fusion entre les enseignements technologique et professionnel et revalorisation des carrires sans contrepartie Ces deux enseignements nont certes pas la mme histoire, mais ils dlivrent depuis 1985 des diplmes de mme niveau : bac professionnel dun

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ct et bac technologique de lautre. Tout militait pour ce rapprochement lorsque le gouvernement revalorisa les carrires en simplifiant la hirarchie des corps enseignants ; en particulier lintrt vident des lves des classes populaires, toujours victimes des cloisonnements qui les enferment prcocement dans un destin prmatur. Tout, sauf les crispations de corps enseignants rivs leurs identits professionnelles et de syndicats excessivement camps sur leurs pr-carrs. Enfin, la revalorisation du mtier denseignant sest faite en 1990 sans vritable contrepartie. La rforme comportait en principe deux volets lis : selon le mot dordre dalors de la FEN, revaloriser les carrires et travailler autrement . Le Premier ministre Michel Rocard avait demand au ministre de lEducation nationale dengager avec les syndicats des ngociations sur cette base. Leffort consentir par la nation pour ses enseignants devait tre porteuse des volutions souhaitables du mtier, mais la revalorisation sest faite sans contrepartie sur lexercice du mtier. Les milliards de francs qui ont ainsi t engags nont pas chang grand-chose pour les lves.

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Les annes 2000. Les ambitions teintes de la dmocratisation, ou lgalit abandonne en rase campagne par la droite Aprs le calamiteux pisode Allgre, qui a vu un ministre de gauche vouloir rformer au forceps le systme ducatif en dsignant un bouc-missaire lopinion (le mammouth ), puis en instrumentalisant les lves (lopration Quels savoirs dans les lyces ), le ministre Jack Lang a repris a minima la rforme du lyce en y introduisant quelques innovations pdagogiques comme les Travaux personnels encadrs (TPE). La droite, revenue au pouvoir, na eu ensuite de cesse, par toute une srie dinitiatives touchant le collge et le lyce, de mettre en uvre par petites touches une filiarisation des enseignements secondaires et une diffrenciation entre tablissements (libralisation de la carte scolaire), visant concilier lexistence dun enseignement de masse et les aspirations des classes suprieures un enseignement dexcellence. Toute ambition de dmocratisation , de rduction par lcole de lingalit des destins sociaux, de volont de faire russir les enfants des classes populaires a t oublie ; de mme qua t abandonne lide de rapprocher lcole et le collge49

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dans une conception unifie dune cole obligatoire de 3 16 ans, se donnant pour ambition de dvelopper une vritable ducation nationale pour tous les enfants, cest--dire une cole plus juste et plus efficace au service dune socit plus unie et plus fraternelle. Cest cette mme logique de llitisme oligarchique qui est encore luvre dans la suppression de toute formation professionnelle et le retour de la formation des enseignants du Secondaire rduite sa partie acadmique dans le giron de lUniversit.

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L'cole est un lieu de reproduction sociale et de sgrgationLa dmocratisation na pas suivi la massification de la fin du XXe sicle. En effet, tout enfant a actuellement accs lcole, mais tous les lves nont pas un gal accs la russite scolaire et aux filires dexcellence, que ce soit dans lenseignement technologique, professionnel ou gnral. Il est anormal que dans un pays aussi avanc que le ntre nous assistions un phnomne de reproduction sociale lcole aussi important : environ 80 % des lves laurats du baccalaurat gnral et technologique sont issus de milieux familiaux favoriss et 80 % de ceux qui

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sont orients vers lenseignement professionnel le sont de milieux familiaux dfavoriss. Notre pays est un de ceux de lOCDE qui corrige le moins les ingalits sociales de dpart. Pourtant, les pays les moins ingalitaires, sont galement les plus performants : ils ont moins dlves en chec scolaire et plus dlves en russite scolaire que nous. Les tudes internationales ont montr que les systmes qui liminent le moins sont galement ceux qui ont llite la plus fournie. Et cest bien l lenjeu majeur de notre systme scolaire : largir le champ de lexcellence. Notre pays a besoin de dcideurs conomiques et politiques, de chercheurs, dinnovateurs, de cratifs la liste serait trop longue car elle concerne tous les domaines. La France a besoin dune large excellence et non dune petite lite rabougrie qui nest l que par reproduction sociale et parce quelle sait faire fonctionner le systme son profit. Un systme qui fonctionne par liminations successives Dabord, notre modle ducatif fonctionne par liminations successives, vritable machine sparer, classer, fabriquer la sgrgation. Le processus de slection dbute nettement trop tt, et le redoublement, malgr toutes les tudes nationales et

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internationales qui en montrent l'inefficacit et le cot, est pratiqu ds les premires annes de la scolarit. Ensuite, les passages de la maternelle lcole primaire, de celle-ci au collge et de ce dernier au lyce ne sont pas accompagns et sont autant de ruptures slectives, tant au niveau des contenus disciplinaires que des mthodes dapprentissages, essentiellement pour les enfants des familles modestes. Et plus les familles sont dfavorises, plus elles ont des difficults pour accompagner leurs enfants lors de ces ruptures quelles nidentifient dailleurs pas comme telles. Le jugement scolaire tant souvent dfinitif, car les programmes sont chargs, lanne scolaire courte et que les enseignants sont obligs davancer, peu denfants et de jeunes ont loccasion de se rattraper.Juliette tait une assez bonne lve lcole primaire. Aux valuations de CM2, elle a eu environ 75 % de russite. Arrive en classe de 6me, plus rien ne va comme avant. Elle est dans la lune, na jamais le bon cahier, le professeur de franais lui demande un classeur, mais elle narrive pas sorganiser. Le collge est grand, les lves sont nombreux, les rcrations sont trop courtes et il faut courir dun cours un autre, dune salle une autre ; chaque professeur a sa mthode de travail, ses codes, son langage. Parfois, elle a une aprs-midi entire de libre, et elle ne sait pas quoi en faire. Rsultat, Juliette est perdue Peu peu ses moyennes baissent. Ses parents ne comprennent pas. Ils pensent que cest la faute la pr-adolescence, que Juliette

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fait semblant doublier de noter tous ses devoirs dans le cahier de texte, de confondre le livre de franais et dhistoire, dgarer son rapporteur et darriver aprs lheure au cours suivant la rcration. Juliette finit en classe de 3me avec peine la moyenne et nest pas oriente selon ses dsirs. Pourtant, en primaire, Juliette tait une bonne lve

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Enfin, cette sgrgation scolaire et sociale est renforce par un systme organis en filires caches ds le collge faussement unique, par le jeu de la libralisation de la carte scolaire, des options et notamment du choix des langues. Ainsi les familles les plus averties qui connaissent le systme scolaire savent quil faut encourager son enfant choisir lallemand en premire langue et faire du latin en 5me. Elles inscrivent parfois leurs enfants ds leur plus jeune ge des cours de musique ou de danse afin que ceux-ci soient plus tard dans des classes horaires amnags, qui sont souvent des classes o le niveau scolaire est lev. Entre les SEGPA3, les classes bi-langues, les classes horaires amnags, les classes double niveau qui sont parfois utilises en primaire pour faire des classes de niveau, notre systme scolaire prsente uneAu collge, les sections d'enseignement gnral et professionnel adapt (SEGPA) accueillent des lves prsentant des difficults d'apprentissage importantes et durables.3

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hirarchie parfaitement identifie des initis et totalement illisible pour les autres familles.Franois est scolaris dans le collge de son quartier qui est en zone rurbaine. Ses parents travaillent et gagnent bien leur vie. Son pre est cadre moyen dans une grande entreprise de btiment, sa mre est coiffeuse. tant de niveau scolaire moyen, Franois nest jamais dans les bonnes classes. lentre au collge, ses parents, ne connaissant pas bien le systme, ne demandent pas ce quil soit dans la classe bi-langue du collge. En 6me il ne choisit pas lAllemand comme seconde langue et en 5me il ne veut pas faire de latin. Il est donc encore et toujours dans des classes moyennes et, arriv en seconde, il plonge. Bien que Franois soit un jeune homme srieux qui na pas de problme social, il peine en math et en franais. Ne parlons pas des sciences physiques. Alors quil se rvait ingnieur, il est orient vers une section qui ne correspondait pas ses dsirs. Bien que la France manque dingnieurs, son systme ducatif a t incapable daider Franois le devenir.

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Lindividualisation des choix et des parcours fragilise la cohsion sociale La droite, fidle en cela aux attentes scolaires des couches les plus favorises de la population (comme dune partie des couches les moins favorises qui croient quen jouant le jeu des autres, elles se

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sortiront de leur condition, alors quen ralit elles ne peuvent pas rivaliser en ltat actuel) met progressivement en uvre des politiques visant lindividualisation (cest--dire la libralisation) des choix et des parcours scolaires. Ces politiques sont profondment nfastes aux lves issus des classes populaires et plus largement lunit nationale. Dune part on sait que les choix scolaires et les paliers dorientation sont toujours socialement discriminants, et que leur multiplication avantage systmatiquement les familles qui possdent les codes et les cls de ces choix. Dautre part lclatement auquel aboutit cette cole la carte met mal toute ide de culture commune et altre ainsi le soclemme de lunit nationale. Enfin, au collge notamment, lclatement du groupe-classe en une multitude de structures pdagogiques ou ducatives fragilise les lves, des quartiers populaires notamment, qui ont le plus besoin de stabilit et de scurit dans la structure scolaire.

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Le douloureux divorce entre la socit et son cole

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Lintrt de nos enfants nest plus au centre du systme Des parents qui publient une annonce dans Le Parisien pour trouver des profs remplaants au collge de leur fille il y a quelques semaines, un proviseur qui scrute les annonces du Boncoin.fr la recherche d'un prof d'italien Ces cas ont dfray la chronique ces derniers mois. Ils sont des symptmes parmi dautres du divorce de la socit avec son cole. Une cole que ses plus hauts responsables ont laisse la drive et qui entame toujours un peu plus la confiance des familles.Fatou est la maman de Ramta qui a 4 ans et qui est en grande section de maternelle. Fatou est ne et a grandi au Mali. Elle a quelque chose qui lui tient plus cur que tout le reste : tout faire pour que sa fille russisse l o elle a chou : avoir un bac gnral et choisir un mtier qui lui plat. Pourquoi pas infirmire, rve secrtement Fatou. Mais elle est inquite. Ramta a eu en dbut d'anne un jeune enseignant. Deux semaines aprs la rentre, il na plus t prsent que le lundi et le mardi car le rectorat laffectait le reste du temps sur un poste de SEGPA. Un jeune titulaire est alors intervenu sur les deux autres jours. Rapidement, le premier a t en stage, puis le second malade. Il sest dit dans lcole quil dprimait car il ne savait plus comment faire, lui qui venait juste dtre titularis. Aprs quelques semaines de stabilit retrouve, le second matre a t en formation danglais, tous les jeudis pendant un mois. A chaque fois, il a t remplac, mais, pendant un mois,

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Ramta a eu un matre le lundi et le mardi, une animatrice de centre ar le mercredi, une remplaante le jeudi et un autre matre le vendredi. Les changements rpts ont perturbs la classe, elle est devenue difficile tenir. Au retour des vacances dhiver, le premier matre a fait ses adieux la classe, il venait dtre affect plein temps en SEGPA. Une autre personne est venue le remplacer. Au mois de mars, Fatou sest encore plus inquite. Ramta rgressait : Elle n'arrive mme plus reconnatre l'tiquette du jour ditelle. Mais surtout, Ramta ne veut plus aller l'cole et elle s'est remise faire pipi au lit. Tous les matins, en emmenant sa fille lcole, Fatou se demandait qui elle allait trouver pour accueillir les enfants. Son rve de voir un jour sa fille travailler dans le mdical allait-il pouvoir se raliser, ou serait-il bris ds la maternelle ? Prisonnire des coles des quartiers populaires, de la surreprsentation des jeunes enseignants, du turn-over incessant dans un ministre qui ne sait pas grer ses ressources humaines dans lintrt des lves, intrt qui devrait pourtant tre la raison dexister de lEducation nationale, Fatou avait la rage de ne rien pouvoir faire pour sa fille.

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Pourtant, l'cole est toujours considre comme le point de dpart indispensable et unique d'une russite sociale et professionnelle. Cest une belle croyance qui honore chacun dentre nous et que je crois foncirement juste, mais le devoir incombe aux responsables politiques de faire que cette croyance et cet espoir se vrifient dans les faits. Or ce nest plus le cas ou bien trop peu le cas. Cest pourquoi la crise de l'cole est une rupture du pacte de confiance qui la liait

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la socit. Les comportements hostiles ou de dfiance son gard se multiplient. Parents, professeurs, lves, grands-parents, proviseurs, tous le disent : soit la machine ne fonctionne pas, soit elle est tellement tourne sur ellemme quelle en oublie lessentiel : la russite de nos enfants. Alors, ici et l, on trouvera toujours des belles histoires, mais le constat global nest pas satisfaisant. La faute des uns ou la faute des autres ? Il ne sagit pas de se faire ici le juge dernier des torts de tels ou tels, mais plutt de montrer que tous, leur niveau, sont otages dun systme en roue libre et que tous ont intrt sa transformation. Et pendant que les otages que sont les parents et les professeurs saffrontent, le systme qui les emprisonne perdure scandaleusement. Par consquent, le projet pour une nouvelle cole, que je dtaillerai au fil de ces pages, est dabord un projet de redfinition des objectifs que notre socit assigne son cole, c'est--dire lgal accs la russite, pour que chacun soit nouveau sr que travailler dur amne quelque chose (notamment pour les jeunes des classes moyennes et populaires qui doutent de ne pas avoir une meilleure situation que celle de leurs parents) a, cest pour Pascal, Juliette et tous les autres ; que travailler dur permet datteindre les

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objectifs que lon sest assign. Ca cest pour Franois et que, sur le chemin de lcole, on trouvera des professionnels conforts qui nous aideront atteindre nos buts et faisant aussi de nous des citoyens libres et responsables Ca cest pour Fatou et Ramta. Pour tous, relever ce dfi, cest relever la tte, retrouver le sens de son mtier denseignant ou retrouver la confiance pour les parents et les lves. Cest non seulement un projet utile pour les lves, mais cest aussi un projet pour rendre heureux les professionnels de lenseignement, ceux qui aiment leur mtier et qui ont aujourdhui du vague lme. Cest surtout un grand projet dune socit remise en mouvement. Lcole est-elle toujours un lieu de promesse et despoir ? Un parcours scolaire ou universitaire russi n'est plus l'assurance d'une russite sociale et professionnelle. Cest la nouvelle donne de notre socit trangle par le chmage et le travail pauvre. Si le diplme reste la meilleure garantie de linsertion

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sociale4, le lien entre diplme et insertion sociale russie s'estompe et le doute s'installe. La dqualification de beaucoup de diplmes lembauche dveloppe chez certains de nos concitoyens, le plus souvent les plus mal informs et les plus fragiles socialement, lide que les tudes ne servent rien. Un nombre de plus en plus important de jeunes issus de milieux modestes peroit clairement les travers du fonctionnement du systme ducatif litiste et le processus de slection par lchec. L'cole nest plus un lieu de protection, dmancipation et despoir. Nous ne pouvons laccepter plus longtemps.Ramalajit est une jeune Franaise de parents francoindiens. En fin de 3me, elle souhaite sorienter vers la filire esthtique . Sauf que son professeur principal, en toute bonne foi, et pensant bien faire, lui conseille vivement daller vers les mtiers de laide la personne car, dit-il, cela correspond davantage aux souhaits de sa famille pour laquelle les mtiers mdicaux sont plus adapts aux jeunes filles honntes et il y a dans ces mtiers une demande forte. Ramalajit souhaitait donc smanciper en tant que femme, mais lcole elle, pensait savoir mieux quelle-mme ce qui lui convenait, sans se donner la peine de fournir, au contraire, Ramalajit les moyens de son libre-arbitre.Par exemple, trois ans aprs la sortie du systme ducatif, le taux de chmage est de 40% pour les sorties en fin de collge contre 7 % pour les titulaires dun BTS4

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Un nombre insuffisant de diplms au regard des aspirations sociales et des besoins dune conomie comptitive Pour certains jeunes, gnralement issus des catgories sociales les plus favorises, le systme ducatif, au travers notamment des classes prparatoires aux grandes coles, remplit parfaitement son rle. Mais pour un plus grand nombre il trie, exclut et traumatise. Cette vision malthusienne est entretenue par la droite comme par la gauche, au nom de lindividualisme dun ct et de llitisme rpublicain de lautre. Ce systme si spcifique la France conduit, comme la dmontr Bourdieu dans La noblesse dtat, un phnomne de reproduction sociale codifie. Environ un cinquime des lves issus dun milieu social dfavoris obtiennent un bac gnral contre quatre cinquimes pour les lves des familles favorises et inversement pour lorientation vers la voie professionnelle. Nos objectifs de 80 % dune gnration atteignant le niveau du bac5 et de 50 % de diplms de lenseignement suprieur6 sont loin dtre atteints, nous rgressons mme (la proportion globale des bacheliers

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Loi dorientation 1989 Engagement europen de Lisbonne

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gnraux et technologiques par gnration est passe de 54.8 % en 1995, 51.4 % en 2009, 51,2 % en 2010). Lcole a besoin dun nouveau souffle, la socit a besoin dune nouvelle cole.62

L'ducation n'est plus vraiment ni gratuite, ni nationaleL'tat se dsengage et transfre la charge aux familles et surtout aux collectivits locales Si l'cole est formellement gratuite, l'enseignement, au sens large, l'est de moins en moins. Les frais annexes sont de plus en plus lourds dans le budget des familles et les bourses insuffisantes. Les ingalits d'accs la culture, aux voyages ou aux ressources numriques, et laccompagnement scolaire (aide aux devoirs) sont ainsi renforces. Le recours gnralis des substituts ou des complments scolaires (cours particuliers, ouvrages parascolaires...) sest dvelopp. Sur fond d'angoisse parentale, se dveloppe un march coteux, tant pour les parents que pour la collectivit. Laide aux devoirs et

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lapprofondissement des apprentissages est ingalement pris en charge par les familles ou les collectivits. L'inutile mise en concurrence des tablissements augmente le cot de la scolarit en raison par exemple de la surenchre sur les voyages scolaires ou les projets ducatifs caractre culturel. Le recours la cooprative dans les coles maternelles pour financer les projets de classes entrane des ingalits territoriales insupportables, les coles ntant pas galement dotes par les familles. Les collectivits territoriales doivent assumer de plus en plus de charges, en raison notamment des dernires lois de dcentralisation de 2004, avec des ressources trs disparates et sans vritable prquation entre collectivits riches et collectivits pauvres. Multiplication des comportements consumristes La consquence du dsengagement de ltat, du manque de clart dans la rpartition des tches, est que lcole est de plus en plus considre comme un service marchand et le consumrisme scolaire se dveloppe. L'entre rcente en Bourse d'Acadomia en est le plus grossier symbole. La forte inquitude des parents face lavenir et la comptition scolaire exacerbe les prcipite dans les

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bras de nouveaux fournisseurs de services . La libralisation de lducation, fortement subventionne par ltat, grce aux dductions fiscales ou au taux de TVA favorable, que ce soit au travers du soutien scolaire7, des ouvrages para scolaires ou des cours particuliers, renforce les ingalits malgr les efforts considrables raliss par certaines familles dfavorises. En relation avec la baisse des budgets publics, tout est runi pour que le rle de lEducation nationale se rduise lavenir la fourniture dun SMIC scolaire, les complments forte valeur ajoute tant offerts au secteur priv marchand L'cole prive apparat comme un refuge. Grce sa capacit, suppose mais jamais dmontre, mieux prendre en compte les attentes des parents, offrir des mthodes pdagogiques mieux adaptes notre temps, elle attire toutes les catgories sociales mais la mixit sociale ou dorigine culturelle y est de fait moins forte que dans le secteur public. Quant lpanouissement individuel, il est devenu le matre mot, aux dpens du vivre ensemble . De plus, cet individualisme et cet entre soi ne favorisent pas linventivit et la crativit dont la diversit et le travail collectif sont le moteur. Parents,Les Franais dboursent chaque anne 2,2 milliards deuros en soutien scolaire et les dductions fiscales reprsentent un manque gagner de 300 millions deuros pour lEtat.7

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rflchissez, nous avons le monde entier chez nous, nest-ce pas une formidable chance pour nos enfants ? Certains dentre vous ont dailleurs pris conscience de cela lorsque le petit voisin de classe de vos enfants en CE1 ou en 6e a t expuls parce quil navait pas de papiers. Dans ce cas, on se dit que la diffrence avec son propre enfant est aussi fine quune carte didentit et pourtant, a vaut un charter pour Bamako.

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Face au dsengagement de ltat, la dbrouille des famillesNotre modle ducatif manque donc de lisibilit pour les familles les moins averties8 (classes profils, options, redoublement, ), ne prend pas en compte la diversit des lves dans la gestion quotidienne des classes, est stigmatisant pour les moins en russite et stressant pour les plus performants. Il est profondment ingalitaire. Dune commune une autre, parfois dune rue une autre, dun tablissement un autre, dune classe une autre, un lve naura pas le droit la mme qualit doffre ducative. Il ne sera pas face aux mmes exigences,

Agns Van Zanten, Choisir son cole, stratgies familiales et mdiations locales, Paris, PUF, 2009.8

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au mme curriculum, la mme mulation, des enseignants ayant la mme exprience. Comment, alors, reprocher aux familles de vouloir pour leurs enfants ce quelles considrent comme tant les meilleures coles ou les meilleures classes ou encore les enseignants les plus expriments ? Elles fuient, dans le 66 systme comme il est fait actuellement, les classes et les tablissements quelles qualifient de ghetto. Tant que lon gardera un systme organis en filires et litiste pour une minorit et tant que le systme ne mettra pas en place de dispositifs de gestion de lhtrognit, aucune amlioration nest prvoir. La droite a fait le choix de ne rien amliorer. Le redoublement est la seule alternative pour un lve en difficult scolaire, les filires, jeux des options, classes profil et classes de niveau dans le second degr, continuent de bnficier aux mmes familles. La droite accentue encore les ingalits et la concurrence entre tablissements en drgulant la carte scolaire. Elle organise envers les lves en difficult scolaire la politique de saupoudrage, en mettant en place une ou deux heures daccompagnement personnalis ou individualis ici ou la : 2h/semaine/lve en lyce ; rien au collge ; 2h/semaine au primaire. Cela reprsente pour un lve en difficult environ 1/12e de son temps scolaire. Une goutte deau dans un ocan, dautant que bien souvent ces heures seffectuent en classe entire ! Elle oppose les enfants des milieux dfavoriss qui sen sortent (les mritants) aux

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autres, quelle enfonce. Pour les lves moyens, en effet, rien nest prvu pour les pousser vers le haut, ils se maintiennent ou rejoignent progressivement la cohorte des lves en difficult. Globalement, le dsinvestissement se mesure par la part du PIB consacre lEducation nationale : 7,6% en 1997, 6,6% en 2008. 67 Les consquences de cela est une baisse globale de nos rsultats nationaux aux valuations PISA 9, un accroissement des ingalits et du dterminisme social. Le pourcentage dlves en russite lge de quinze ans a augment de 1% entre 2006 et 2010, alors que celui de ceux qui sont le plus en difficult a augment de 4,8

PISA est une enqute mene tous les trois ans auprs de jeunes de 15 ans dans les 34 pays membres de lOCDE et dans de nombreux pays partenaires. Elle value lacquisition de savoirs et savoirfaire essentiels la vie quotidienne au terme de la scolarit obligatoire. Les tests portent sur la lecture, la culture mathmatique et la culture scientifique et se prsentent sous la forme dun questionnaire de fond. Les premires collectes de donnes ont eu lieu en 2000, les suivantes en 2003, en 2006 et en 2009. La prochaine collecte est prvue pour 2012. Plutt que la matrise dun programme scolaire prcis, PISA teste laptitude des lves appliquer les connaissances acquises lcole aux situations de la vie relle. Les facteurs conditionnant leurs performances ainsi que leur potentiel pour lapprentissage tout au long de la vie font galement lobjet dune analyse. Grce un questionnaire complt par les proviseurs, PISA prend galement en compte les particularits dorganisation des coles. Dans chacun des pays participants, entre 4 500 et 10 000 lves remplissent le questionnaire de fond pour chaque valuation. Par ailleurs, les lves slectionns dans chaque pays doivent passer des tests crits. Llaboration du test est ralise par une quipe internationale.9

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points10 pour passer 20% du total des lves. Ce chiffre est insupportable. Il exprime bien la politique de la droite qui sort quelques uns de leurs ghettos, les montre comme des btes prodigieuses, pour mieux plonger les autres. Notre pays est devenu, dans le monde dvelopp, un des pays o la corrlation entre les rsultats des lves et leur 68 origine sociale est dsormais la plus forte.

L'ducation est considre comme une charge et non un investissementUn systme uniquement pilot partir des indicateurs budgtaires Contrairement d'autres pays, la France pratique une politique de suppression massive de postes (80 000 dj supprims) par application du principe de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, de diminution drastique des dpenses de formation de tous les personnels, y compris enseignants, de recherches d'conomies dans tous lesPISA 2009-2010 http://www.oecd.org/document/24/0,3746,en_32252351_32235731_ 38378840_1_1_1_1,00.html10

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domaines, sans souci vritable des rsultats et des risques court et moyen terme. Sous couvert d'autonomie pdagogique et d'exprimentation, l'objet mme de l'cole (l'ducation et la formation) n'est plus vritablement pilot. La dimension pdagogique est dsormais absente de la stratgie politique mise en uvre actuellement. Lide trs nolibrale que lconomie est la rgulatrice du politique est ainsi cyniquement applique : puisque lEducation nationale est rpute non rformable, il suffit de la soumettre la concurrence du priv et aux effets de la crise pour que, linstar de lentreprise, elle innove, se rforme de lintrieur , ou bien disparaisse. Seuls les critres budgtaires et la recherche systmatique d'conomies, dans le droit fil de la RGPP (rvision gnrale des politiques publiques ou plus exactement rduction gnralise de la prsence publique ) permettent de caractriser la cohrence des dcisions gouvernementales prises en matire d'ducation. Une universit dconsidre Fortement concurrence par les grandes coles et malgr d'incontestables comptences scientifiques,

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l'universit reoit en L1 et L2 les recals des classes prparatoires, des IUT, des STS. Un nombre important d'tudiants fait ce choix par dfaut. La France est un des rares pays occidentaux dpenser moins pour un tudiant l'universit que pour un collgien ou un lycen alors mme quelle ne forme pas assez dingnieurs, de mdecins ou de mathmaticiens. L'allongement des tudes suprieures (en vingt ans, nous sommes passs de 15 40 % de diplms bac +2 minimum), n'a pas rduit le chmage des jeunes. Enfin, 40 % des tudiants de premire anne n'ont pas un niveau jug suffisant pour passer en seconde anne. Beaucoup de libraux ont lintelligence stratgique dagir en fonction des intrts de leurs pays, les ntres en sont des annes-lumire et ne comprennent rien dautre que la colonne dpenses . Notre cole et notre Nation mritent dcidment mieux.

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Notre systme scolaire malmne ses enseignants, au dtriment de tous et notamment des lves

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Des enseignants lucides et qualifis mais dsarms face la complexit croissante de leur mission et sans rels outils pour faire russir tous leurs lves Premiers observateurs des ingalits sociales vcues par beaucoup de leurs lves, les enseignants prouvent de plus en plus un profond malaise. La nation ne leur ayant jamais vraiment donn les moyens de la dmocratisation scolaire, ils sont tents parfois de baisser les bras. Des programmes trs chargs, qu'ils peinent boucler, et qui changent constamment ; trs peu d'heures de ddoublement au primaire et au collge, ce qui les met d'ailleurs souvent en concurrence les uns avec les autres dans le secondaire, des rformes, qui se succdent sans cohrence, sans sattaquer aux vraies difficults, sans pdagogie, sans formation dsormais et sans accompagnement, ont gnr chez eux une mfiance systmatique vis--vis delles. Cette mfiance est galement un signe de dcouragement et d'un fatalisme quil faut interprter et prendre en compte. Dautant que les enseignants sont investis d'une responsabilit trs large d'ducation qui salourdit rgulirement (socialisation ; ducation la sant, au dveloppement durable, la sexualit ; prventions diverses, etc.) Mais ils sont aussi chargs d'assurer le tri , ds les plus petites classes, entre71

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ceux qui pourront un jour caresser l'espoir d'atteindre les plus prestigieuses coles et ceux qui formeront les bataillons des filires considres comme de relgation . Des enseignants confronts des demandes de plus en plus nombreuses et contradictoires Les enseignants sont galement confronts des demandes contradictoires : entre les directives du ministre et des directions de son ministre, et les mises en uvre par les recteurs ; entre les deux inspections gnrales (lune pdagogique, lautre administrative) ; et parfois entre le chef dtablissement et linspecteur pdagogique. La mise en uvre du socle commun de connaissances et de comptences, non souhaite par linspection pdagogique, encourage par ladministrative en tant le meilleur exemple. Des enseignants mal recruts, insuffisamment forms et peu accompagns Les personnels de lducation nationale vivent dans un monde paradoxal. Constitu pour lessentiel de cadres ayant fait des tudes universitaires exigeantes72

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et ayant russi des concours trs slectifs, le ministre le plus riche en matire grise de toute la sphre publique souffre dun manque crucial de soutien, daccompagnement, de formation et de principes de bonne gestion de ce formidable potentiel intellectuel. Et si la libert pdagogique de lenseignant est reconnue par la loi, elle se traduit dans les faits trs souvent par un vritable isolement du professeur dans sa classe, l o pourtant tout se passe et tout se joue pour la russite des lves. Alors que la formation des enseignants franais tait jusquici surtout acadmique et sa part de professionnalisation rduite la portion congrue (une partie de la seconde anne dIUFM, dispense par des formateurs eux-mmes parfois peu forms en ce domaine), la droite a radicalis cette situation en supprimant toute formation professionnelle de la formation initiale. Professeur, un mtier qui ne sapprend plus Nous avons donc des enseignants trs qualifis au niveau disciplinaire, mais isols, trs peu outills pour la gestion de lhtrognit et la prise en charge des lves en difficult, et disposant de rares perspectives de carrire.

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Que faire avec un lve qui vient darriver en France, qui arrive dans une classe en cours danne et qui ne parle pas franais ? Comment grer des situations conflictuelles dans une classe ? Comment comprendre les attentes des lves ? Quelle posture adopter par rapport aux problmes extrieurs la classe ? Pourquoi Agathe progresse-t-elle en franais et pas en histoire ? Comment faire pour composer ses groupes de besoin ? Quels changes avec les collgues ? Pourquoi est-ce que Liem connat par cur sa table de multiplication mais fait des erreurs de calcul basiques lorsqu'elle rsout un problme en mathmatiques ? Toutes ces questions se posent tous les enseignants, au moins au dbut de leur carrire. Car on peut tre excellent physicien, historien, littraire cela ne fait pas automatiquement un bon professeur. Face leurs classes, les uns sen sortiront peut-tre, grce un collgue ou un talent personnel, grce des lectures ou tout autre chose. Dautres ne sen sortiront pas. Certains commettront des erreurs les premires annes puis samlioreront. Certes, mais peut-on accepter ainsi le sacrifice de plusieurs promotions ? Que dirait la socit si les pompiers ntaient pas forms pour leur mtier ? Ils apprendront le massage cardiaque sur le tas, tant pis pour les premiers masss qui nauront pas survcu. Cet incroyable gchis est

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inacceptable et doit cesser : tre enseignant ne sinvente pas mais sapprend. Et puis les annes passent, les lves se succdent, mais les cours se reproduisent ou voluent un peu dans un primtre restreint. On ne rinvente pas la division ou lhistoire grecque, on peut cependant en adapter lexplication. Une certaine routine peut alors apparatre chez certains professeurs. Dautres, faute de pouvoir entretenir leur niveau, vivent une forme de dclassement intellectuel, au point que certains professeurs de collge, mme agrgs, ne se sentent plus capables de postuler en lyce. Bien sr, on connat tous des professeurs qui, aprs 30 ans de carrire, ont toujours la mme fracheur. Mais le fait est que les professeurs sont de plus en plus nombreux souffrir dune absence de perspective de carrire. Car quelle est en effet lvolution possible : du collge au lyce ? De la banlieue au centre-ville ? De professeur chef dtablissement, moyennant un changement de mtier ? Il est donc urgent de penser les carrires des enseignants en plus dune rinvention complte de leurs formations initiale et continue et ce non pas dans le seul intrt des professeurs, mais surtout de tous nos enfants.

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Des personnels dencadrement mal slectionns et qui nont pas les moyens daccompagner les professeursVoil quatre ans que Jeanne est une inspectrice territoriale . Dans le jargon de lEducation Nationale, on dit quelle appartient au corps des IA-IPR . La fonction lavait toujours intresse, et ce ds les premires valuations quelle avait connues de la part dautres IA-IPR. Brillant professeur dAnglais, elle avait toujours considr que son agrgation dcroche 23 ans ntait quun point de dpart. Son doctorat de littrature amricaine (sur Fitzgerald et Dos Passos) compltait un beau cursus. Ses fonctions reconduites chaque anne de conseiller pdagogique pour les stagiaires entrant dans le mtier lui permettaient de sinvestir dans la formation mais galement de dvelopper une rflexion sur ses propres pratiques. Deux enfants plus tard, elle mit le souhait de devenir IAIPR afin de pouvoir apporter aux autres professeurs son expertise pdagogique. Elle se rvait en train daider des collgues en difficults, venant les inspecter gratuitement, sans no-note la clef , venant parfois plusieurs fois par an voir un mme enseignant, lui prodiguant des conseils et jaugeant les progrs