Musique et son: les enjeux de l'ère numérique

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Création musicale, recherche, archivage, transmission

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  • &culturere c h e rc h en9 1 - 9 2j u i l l e t - a o t - s e p t e m b re - o c t o b re 2002

    Musique et son:les enjeux de

    l re n u m ri q u eCration musicale, recherche,

    archivage, transmission

  • Prospective La numrisation du son par Bernard Stiegler p. 3

    Les axes de recherche du GMEMpar Laurent Pottier p. 6

    La numrisation au CIRM par Carl Faia p. 7

    Les reprsentations numriques de la musique par Hugues Vinet p. 7

    Le point de vue du GRM par Daniel Teruggi p. 8

    L'criture musicale l're du numrique par Fabien Lvy p. 9

    Numrisation et archivage N o u veaux supports et musique en ligne

    par Michel Fingerhut p. 10

    La numrisation: un atout pour la conservation et la mise en valeur du patrimoine sonorepar Alain Maulny p. 11

    Les collections de phonogrammes par Marie-France Calas p. 12

    De la galette de cire au "streaming audio" par Jean-Michel Rodes p. 14

    Indexation, analyse L'enjeu des nouvelles technologies pour

    l'indexation des documents musicauxpar Elisabeth Giuliani p. 15

    Numriser sans perte par Alain Caro u p. 17

    Nouveaux enjeux de l'analyse musicaleinformatique par Grard Assayag p. 18

    Transmission et exploitation Diffusion lectronique de la musique

    et indexation: volution des standards et enjeux pour l'industrie musicale par Vincent Puig p. 18

    Illustrations p. 21

    Programmes europens p. 21

    Instituts de rechercheeuropens p. 22

    CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 20022

    SO M M A I R E

    Lionello Spada.Un concert. Muse du Louvre.

  • La providence ne nous aura pas protgs, nous lesdescendants de Bartok, du flau des industries de lamusique et ce flau nous apporta cependant aussi devritables bienfaits.

    Quant ses maux, peut-tre le temps est-il venu de nous protgernous-mmes, comme Bartok ne lexcluait absolument pas, etcomme Adorno nous y invite en indiquant que cette question estinscrite dans une conjonction des phnomnes techno-industrielset artistiques qui constitue un procs historique et qui estparfaitement politique.La question politique est aussi, aujourdhui plus que jamais, unequestion esthtique - de manire essentielle - et ces questions sontconjointes dans et par linterrogation sur lvolution technolo-gique de lhumanit.

    Mon propos ne sera pas technophile : cette pithte a-t-elle unsens ? Que peut bien vouloirdire aimer la technique ?Quelque chose comme aimer lesoleil ou le vent ? Sans doutepas ou ce serait un propos depote ou dartiste, comme onput le voir chez les futuristes.Thoriquement, la formulationest un peu courte. Quant la technophobie qui croit sop-poser ce quelle peroitcomme une misre, elle est lesymptme invers et compen-satoire dune sorte de dsespoirh i s t o r i q u e - cest dire detragique refus de son temps. Soutenir cela ne dfend en riende voir aussi dans la techno-logie lorgane et le vecteur dundevenir quil peut tre tout fait lgitime de dnoncer et decombattre. Mais dnonciationet combat nont de sens quenvisager et faire clore dautres possibilits dans le devenir, enscrutant au plus prs la vaste conjonction de phnomnes au seinde laquelle Adorno inscrit la question du musical.

    Aujourdhui, dans ltat prsent de la technologie, se joue lapossibilit : soit de dtendre le joug de ce flau des oreilles (et des yeux) quecraint Bartok en 1937, et dont il ne peut mme pas imaginerquelles proportions aura pris la ralisation de ses craintes, enfero les industries culturelles dominent tout, dictent leurs lois etleurs jugements tous, ralisant un point inimaginable ce queGramsci appela lhgmonie culturelle ; soit que cette hgmonie se dploie un point encore beaucoupplus inconceva ble et catastrophique, et que le devenir technolo-

    gique savre dcidment tre la pire confi rmation de ce qui nauraalors t quun commencement de la fin - faute dune p e n s e,dune v o l o n t et dune i nventivit s u ffisantes pour sy opposer. Aujourdhui est lpoque de la technologie numrique, qui estune poque de la reproductibilit machinique. Celle-ci commenceavec ce que Bartok nomme la musique mcanique, qui est enralit lectro-mcanique : elle relve de lre analogique de lareproductibilit. Celle-ci rendit possible cette nouveaut inoue p a rlaquelle linterprtation dune musique devenait pour la premirefois rptable lidentique. Mais elle fut aussi la fabrication duneo reille prive dyeux pour lire la partition, comme de mains pourla jouer, d s h a b i t u a n t ses auditeurs de toute pratique musicale :

    Lextension de lusage de la radio et du gramophone serait trs prjudiciablesi,au lieu den veiller le dsir, elle dshabituait les gens dune pratique musi-cale active. Pour ceux qui disent : Pourquoi me fatiguer apprendre lamusique, alors que jai l des machines qui mettent ma disposition nimporte

    quel moment ? , pour ceux-l laradio est assurment dommageable.Ils ne savent pas quel point leffet

    de la musique est diffrent sur celuiqui connat les partitions et sait lesjouer lui-mme , si maladroitementque ce soit. Ce serait comme siquelquun disait : Po u rq u o iapprendre lire, alors que jenten-drai de toute faon les nouvelles dujour la radio ! .1

    Ds la fin du XIXe sicle, leprsident de la Commissionde rnovation de lenseigne-ment de la musique, tentantde mesurer les consquencesde linvention toute rcentedu phonographe, sexclamaitainsi :

    Tout un chacun pourra , ds qu'ils e ra en possession d'un de ces appa-re i l s , e n t e n d re sans pralabl e. On pourra , grce de tels appa-re i l s , se donner sans aucune tudedes jouissances pro fo n d e s .2

    Pourtant, Ross Russsel souligna aussi que cest avec son phono-graphe que Charlie Parker forma son oreille au jeu de LesterYoung et inventa le jazz moderne. De lenregistrement est aussine la musique concrte, et celle de Stockhausen, qui note qu

    il y a eu des poques dans lesquelles lexercice de lart dcouter tait rserv certains hommes qui seuls pouvaient sy entraner avec constance, car ilstaient les seuls avoir accs aux excutions musicales. Mais aujourdhui Dieu soit lou - il en va autrement. Chacun, sil veut, peut aller au concert,couter la radio,il peut sacheter ou emprunter de bons disques ; il peut semunir dun casque et couter la musique sans limites et aussi souvent quil lesouhaite jusque dans ses dtails les plus fins.Cest pourquoi on devrait admettre que lart dcouter se dveloppe de plusen plus.3

    3

    Le mal serait, toutefois, que la musique mcanique inonde luniversau dtriment de la musique vivante, exactement comme les produitsde lindustrie lont fait au dtriment de lartisanat manuel. Je conclurai avec cette supplique : que la providence protge nos descendants de ce flau. Bartok, 1937

    Derrire les inventions technique-industrielles et les inventions artistiques, cest le mme procs historique qui est luvre, la mme force productive des hommes ; voil pourquoi les deux phnomnes sont conjoints.

    Adorno, 1969

    CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 2002

    Prospective

    Nicolas Tournier. Le Concert. Muse du Louvre.

    La numrisation du son

  • ture la naissance de ce qui deviendra la musique occidentalesavante en insistant sur le rle de lil, scalpel du clerc :

    La musique occidentale nest parvenue se concevoir comme un acte originalde cration qu partir du moment o elle a soumis loreille lemprise duregard. Lil introduit loreille dans lespace des oprations et des fonc-tions. Ltalement des sons, leur seule projection sur une surface planeconstitue en soi une nouveaut radicale. Car la pense musicale change alorsde registre et de rgime. Lcriture permet de crer un monde qui ne doitplus rien au conformisme ni la spontanit. Par le truchement de lil,scalpel du clerc, la musique sest donc dpouille de sa contingence. Ellerpudie un pass millnaire qui reposait sur la continuit du geste vocal, surlinfinie varit de ses inflexions,de ses mlismes,de ses enluminures.9

    A d o rno voit dans le disque lui-mme un nouveau mode dcritureet dans cette mesure une possibilit plus analytique dcoute. Ava n tB a rtok et comme lui (1937), il commence par dnoncer le gr a m o-phone et le disque comme instruments dune coute illusoire(1934). Mais cest pour y trouve r, comme Bartok, un momentdialectique demble assimil une nouvelle forme dcrituremusicale dont il formulera pleinement la ncessit en 1969.

    Des origines du phonographe jusquau procd lectrique (qui peut trs bientre apparent,pour le meilleur et pour le pire, ce quest le procd photo -graphique de lagrandissement), les disques ne sont rien que des photogra-phies acoustiques,celles que le chien reconnat en frtillant de joie. Le motplatte ( le mot peut dsigner aussi bien le disque que la plaque photogra-phique ) signifie le modle bidimensionnel dune ralit qui peut tre multi-plie loisir, tre dplace dans lespace et dans le temps,et change commeune marchandise. Elle doit pour cela sacrifier sa troisime dimension : sahauteur et son abyssale profondeur.10

    Et pourtant, cette bidimensionnalit est proche de celle en quoiconsista aussi lcriture qui rendit possible la musique savante,que Adorno veut ici dfendre en montrant que le disque est aussiune nouvelle criture :

    En ce que la musique, par le disque, se trouve retire la production vi vanteet lexigence dune pratique artistique, en ce quelle se trouve donc fige, ellerveille en elle, en se figeant,cette vie qui,autrement,passe et schappe Salgitimit [du disque] prcisment,grce la rification quil opre, tient cequil fait rapparatre une relation immmoriale , perdue et pourtant authen -tifie :la relation de la musique et de lcriture. La musique, prcdemmenttransmise par lcriture, dun coup se transforme elle-mme en criture. Siles notes ntaient jusqualors que les purs et simples signes de la musique, prsent,grce aux sillons des disques,la musique se rapproche de faon dci-sive de son vritable caractre dcriture.11

    Lcriture tait dj reproductibilit ; le disque en inaugure unnouveau rgime - et une autre poque de la musique du mmecoup. En 1969, Adorno prcisera que

    lobjectivation,cest dire la concentration sur la musique en tant que vri-table objet de lopra, permet de se brancher sur une perception qui est delordre de la lecture, comme lorsquon sabsorbe dans un texte. La possibi-lit de faire rejouer tout ou partie des enregistrements longue dure favoriseune intimit que nautorise pratiquement pas le rituel de la reprsentation.12

    Autrement dit, cest la rptition de la reproduction analogiquequi permet la scrutation analytique. Que peut-on en conclure pource qui concerne la reproductibilit numrique ? Fabien Lvyintroduit ici mme cette question en ces termes:

    Laspect gra p h m o l ogique de lcriture mu s i c a l e, la notation en hauteurs fi xes eten rythmes sur une port e, a assez peu chang en occident du XIVe sicle aumilieu du XXe s i c l e. Avec lapparition du nu m r i q u e, des prcurs e u rs tel queRisset ou Chowning ont pu crer des uvres de synthse, c e rtes au dbut un peud m o n s t ra t ives mais o une gra m m a t o l ogie entirement contrle permettaitdimaginer consciemment de nouvelles catgories cog n i t ives inoues. L re dunu m r i q u e, en discrtisant les donnes au-del de ce quoffre la partition deGuido dAre z z o ,o u v rait enfin la possibilit de composer le sonore .

    Aujourdhui, ce nest plus seulement la science du folklore quiest appele vo l u e r, comme Bartok en vit la possibilit dans ledisque. Cest la science de la musique en gnral, son intelli-gence globale, pour sa composition comme pour son coute, quia t et sera plus encore demain transforme par la numrisation.Pour prciser ce point, il convient de reconstituer rapidement

    Quant Gould, il vit dans lenregistrement lavnement dunecoute libre du concert, dune affection bourgeoise dont ilntait ses yeux quun rituel fermant les oreilles de ses audi-teurs. Et comme Malraux vit dans la photographie une impri-merie des arts plastiques, la constitution dune consciencehistorique de la musique fut indubitablement rendue possible parlindustrie du disque.

    Ainsi, la phonographie permit la fois un accs plus large desoreilles aux formes les plus varies de musiques, y compris lespires, et une amputation de ces oreilles, prives dyeux pour lireles partitions et voir lexcution de la musique, tout autant que demains pour mettre en uvre la motricit qui seule permet, peut-tre, une relle intriorisation du phnomne musical. Cest cettedsinstrumentation des oreilles qui rendit possible une musiquedont la production pouvait ds lors tre organise de faon tota-lement industrielle, cest--dire mdiatise par des machinessparant producteurs dun ct, consommateurs de lautre.

    Tandis que le phonographe se dveloppe, apparat lcole deVienne. Peter Szendy remarque que

    Berg attribue la paresse de la conscience auditive le fait quelle estdevenue incapable denregistrer une bonne cinquantaine daccords enquelques secondes .Or, sil est bien vrai que ladite conscience savre souventdfectueuse en tant quappareil enregistreur, jy vois quant moi notrechance: la chance de nos prothses, prcisment ; la chance que nos instru-ments dauditeurs puissent, la faveur de notre lenteur, nous permettre unesorte dauscultation des uvres,dans un tempo certes un peu grave ou pesant,mais dautant plus pensant.4

    Ainsi, la dsinstrumentation des oreilles serait le prix payerpour la mise en oeuvre dune autre organologie de lcoute :prcisment, celle dune coute analytique. Or, la possibilit analytique est pour Schnberg la condition de la musique dart , par distinction de la musique populaire :

    Chaque ide doit tre prsente de faon que la capacit de comprhension delauditeur soit mme de suivre. On obtient, sur la base des lois de lacomprhensibilit,la diffrence entre musique populaire et musique dart.5

    Bartok voyait dj dans le phonographe une possibilit nouvellepour lanalyse (moment dialectique de son raisonnement) et enparticulier, pour les musiques qui ne sont pas notes :

    Je laffirme sans hsiter, la science du fo l k l o re musical doit son dve l o p p e m e n tactuel Edison. L a u t re grand ava n t a ge des enre g i s t re m e n t s , cest quave cune vitesse de rotation diminue de moiti nous pouvons les couter et lestudier dans un tempo trs lent, comme si nous analysions un objet la loupe.6

    Javais moi-mme montr7 que cest ainsi que travaillait Parkerapprenant la musique (en ralentissant le plateau de son gramo-phone), mais utilisant aussi lappareil enregistreur pour crire samusique, cest dire pour la graver non pas sur une partition,mais dans des sillons. Au moins dans le jazz, la cration seraittransforme par les conditions de lcoute, qui se rvlerait, travers les techniques de reproduction, initiale dans le processusdvolution de la cration. Cest en fait ce que montre HuguesDufourt notant que, les clercs du Moyen Age croyant

    recueillir pieusement le rpertoire du chant sacr, laide dimages de lammoire, les musiciens mdivaux se sont aperus quils avaient, leur insu,dclench un mcanisme captieux qui devait, terme, les entraner lalimite du pays fertile ,mais rprhensible, de la subtilit maligne et de lin-gniosit pure.8

    La reproduction conditionne toujours dj la production. Elle nesuit pas la production : elle la prcde tandis que se succdentdes rgimes de reproductibilits, commencer par linstrumentde musique, prothse qui vise la possibilit de reproduire les sonsde linstrument de manire stable et prvisible conformment ce qui pourra tre not lorsquapparatra le solfge. Quant au solfiage, Dufourt a fortement insist sur la singularitde ce qui advient au plan de la notation comme artifice dcri-

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    lhistoire rcente de cette nouvelle poque de la reproductibilit.

    L i n f o rmatique musicale sest initialement dveloppe pour laproduction de sons synthtiques, qui nexistaient pas autrement quepar le calcul binaire. Ne reproduisant pas des sons naturels (produi-sant des sons synthtiques), lordinateur est pourtant dj et essen-tiellement une machine de reproduction : cest un systme demmoires (vive et morte, de calcul et de stockage) qui opre sur deslignes dlments binaires, et qui, parce quil stabilise un signal,autorise des calculs sur ce signal prcisment parce quil est repro-d u c t i ble et peut ainsi tre soumis des rgles de rcriture.Max Mathews met au point les premiers gnrateurs synthtiquesde sons en 1957. Ce mouvement se poursuivra en France, nota-blement lIrcam, tandis que des travaux comparables sontmens dans le domaine des images, en particulier lINA. Au cours des vingt dernires annes, de nombreuses innovationstechnologiques ont permis le dveloppement dune lectroniqueentirement numrique qui nest plus proprement informatique,et dont la premire question nest plus la synthse. Un appareilnumrique nest pas un ordinateur, et tout appareil lectroniqueest ou devient aujourdhui numrique. Du mme coup, la distinc-tion entre supports analogiques dun ct et informatiques delautre est, prsent, tout fait dpasse. Cette volution sen-tame au cours des annes 80 avec l'apparition de la micro-infor-matique, de la norme MIDI, des premiers log i c i e l sd'chantillonnage du son, des "botes rythmes" et autres luthe-ries lectroniques dun march de plus en plus ouvert au grandpublic, et enfin et surtout avec le disque compact.1992 est l'anne o le rseau Internet, rendu possible par la normeTCP-IP, devient accessible de vastes publics. Cette dcenniesera caractrise par la combinaison de MIDI, de TCP-IP et desnormes de compression MPEG, MP3, ainsi que du format hyper-mdia XML. Avec la numrisation gnralise du signal, unnouveau systme technique se met en place, intgr et interop-rable, affectant la musique sous toutes ses formes, et o se dve-loppent aussi bien le home studio et une lutherie trs diversifie

    que de nouveaux modes d'accs la musique qui dstabilisent long terme le march du disque, et font aussi apparatre denouveaux modes dcoute - dont le sampling est un cas original.

    Tout comme le disque le fit en son temps, le numrique inaugureune poque de lcoute aujourdhui encore trs embryonnaire queGould anticipe ds 1966 :

    Aussi limit soit-il,la manipulation des cadrans et des boutons est un acte d'in-terprtation.Il y a quarante ans,tout ce que l'auditeur pouvait faire consistait mettre en marche ou teindre son tourne-disque - et ventuellement, s'iltait trs perfectionn, en ajuster un tout petit peu le volume. Aujourd'hui,la diversit des contrles qui sont sa disposition ncessite de sa part unecapacit de jugement analytique. Encore ces contrles ne sont-ils que desdispositifs de rglage trs primitifs en comparaison des possibilits de partici-pation qui seront offertes l'auditeur lorsque les actuelles techniques trssophistiques de laboratoire seront intgres aux appareils domestiques.13

    Cette nouvelle coute, cest aussi la possibilit d'accder en ligne des fonds musicaux, ce qui affectera terme la radiodiffusiondans son ensemble, et de mettre en uvre des technologies derequte par les contenus, applicables aux fonds musicaux, maisaussi des technologies de reprsentation musicale, dimageriemusicale, dannotation des sons, etc. Initialement consacre lasynthse des sons, linformatique musicale, avec le traitement dusignal et lintelligence artificielle, a donc permis lessor de tech-nologies danalyse applicables aux sons acoustiques, notammentinstrumentaux et vocaux, ainsi quaux supports nots et videm-ment aux sons synthtiques eux-mmes.

    Si le phonographe avait amput loreille de ses yeux pour lire lamusique et de ses mains pour la jouer, lanalyse numrique, commele fit en son temps la partition de Guido dArezzo, permet unen o u velle projection graphique du temps musical, une nouve l l eo b j e c t ivation du son qui devient autrement reprsentable et mani-p u l a ble et par l autrement discern a ble, installant une poqueindite de lanalyse musicale qui concerne autant les musiciens etles musicologues que les amateurs de musique en gnral : lana-lyse, comme discernement, est un moment du jugement esthtiquequi peut devenir accessible tous. La musique phonographie, pour laquelle loreille tendait deve n i raveugle, laisse la place des technologies dimagerie et de repr-sentations musicales numriques dont les systmes de descriptionet dindexation des sons musicaux sont des lments qui transfor-meront en profondeur les conditions daccs la musique.

    Cest surtout la comprhension de la musique polyphonique qui ptit de latransmission radiophonique, moins que lauditeur ne lise en mme temps lapartition.Cest pourquoi,dun point de vue esthtique plus lev,la diffusionradiophonique de la musique nest encore quun succdan musical qui dumoins jusqu prsent - ne peut en aucune manire remplacer lcoute surplace de la musique vivante. 14

    La diffusion lectronique de la musique ne remplacera jamais lcoute sur place de la musique viva n t e , parce quelle est uneautre forme dcoute, tout comme la lecture et lexcution quatre mains dune symphonie transpose forment un lmentde comprhension (et de plaisir raff in) qui ne remplacera cert e sjamais son excution orchestrale. Mais la diffusion de lamusique par les technologies numriques peut lavenir trss e n s i blement faire voluer la situation radiophonique que dcritB a rtok. Car limagerie musicale permet non seulement que lauditeur lise en mme temps la part i t i o n , mais que cettep a rtition soit scrute et analyse ch ro n og raphiquement, que desf o rmes en soient ex t r aites et projetes, tandis que le son, diffus aum oyen de systmes multi-canaux, spatialis domicile par le h o m et h e a t e r, devient rptable et apprciable loisir dans des conditionsde trs haute fi d l i t .

    Autrement dit, de nouveaux modes de diffusion sont possibles tirant un parti proprement musical dune radio augmente, dunehyper-radio qui pourrait rpondre au souci de Bartok:

    Studio de cration l'Ircam.

    CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 2002

  • Pour ceux qui assistent rgulirement aux concerts, pour ceux qui ne renon-cent pas la pratique musicale active, pour ceux qui sont conscients des dfi-ciences de la diffusion ra d i o p h o n i q u e, pour ceux qui les compensentventuellement en lisant en mme temps quils coutent la partition deluvre diffuse, pour tous ceux-l la radio peut tre trs instructive, car elleleur donne une certaine image de ce qui se passe en des lieux inaccessibles.Mais,en ce qui concerne son effet bnfique sur les masses,jusqu prsent jene suis pas trs confiant.

    Pierre Boulez, qui rappelait rcemment que pour Stravinsky, oncoute la musique avec les yeux, remarquait (en le dplorant) :on apprend crire, lire, mais on napprend pas couter ou regarder. Il ne fait pas de doute quune politique hardie lafois dducation et de cration peut changer cette situation etque l est le rle en premier lieu des pouvoirs et institutionspublics au moment o la technologie ouvre lvidence despossibles tout fait indits et inous.

    S y l vain Auroux a montr1 5 que lvolution technique de lcriture,comme processus de gr a m m a t i s a t i o n de la parole par sa reproduc-tibilit alphabtique, prcde la thorie du langage, puisquelle la rendp o s s i bl e, et rend par l mme possible une nouvelle faon de parl e r,tandis quune illusion rtrospective donne croire que ce sont lesthories du langage qui ont permis les avances techniques de lcri-ture et donc sa naissance. On doit supposer de mme que la transformation gr a m m a t i q u e(Auroux) prpare une rvolution gr a m m a t o l ogique (Lvy/Derr i d a )aussi bien dans le domaine de lcriture musicale que dans celui del a n a lyse et la thorie musicales. Sparer ces deux questions serait

    De par son appellation mme Groupe de musique ex p -rimentale de Marseille, le Gmem a une vocation ex p -rimentale. La recherche musicale y a toujours t lie des problmatiques de cration. Le Gmem accueille

    depuis toujours des compositeurs en rsidence avec la volont demettre leur disposition des outils adapts leur demande. Il sestrgulirement donn les moyens dtre la pointe de la technolog i e ,notamment avec des recherches, des exprimentations et des cra-tions ralises autour du Synclav i e r, de lenvironnement SYTER et,plus rcemment, en dveloppant ses propres logiciels. Depuis 1997, le dpartement recherche a une activit perma-nente, rpartie autour des trois axes de la recherche musicale1 :recherche technologique, cration exprimentale et rflexionanalytique sur le sens et la porte de son entreprise. Le principal axe de recherche au Gmem concerne la spatialisationdu son, problmatique rcurrente chez les compositeurs duGmem (compositeurs permanents ou en rsidence) qui consiste utiliser lespace comme un paramtre musical. Nos travaux ontpermis la mise au point dun spatialisateur multi-sources, multi-haut-parleurs, Holo-Spat, muni daccs temps-rel (permettant despatialiser 16 sources sur 16 haut-parleurs) et dun diteurgraphique de trajectoires de spatialisation, Holo-Edit, pour lecontrle de la diffusion. Ces outils sont constamment tests et mis jour loccasion de pices ralises dans nos studios.Le contrle temps-rel par le geste des musiques lectroacous-tiques a galement toujours t une des grandes proccupationsau Gmem2. Des dveloppements y sont rgulirement effectusen liaison avec des productions musicales et artistiques (lectro-nique industrielle avec La Fe Electrique (1992), tapis de TGV

    avec Franois Parra (1998), captation vido avec la PercussionVirtuelle (1999). Jusqu ces dernires annes, la synthse sonore tait assez peuutilise au Gmem, le Gmem tant plutt issu originellement delcole concrte. Cela dit, les limites des techniques de traitement,en particulier du point de vue de la mallabilit des sons, ainsi quele dveloppement et la dive r s i fication des techniques de synthsequi permettent daborder le domaine des sons complexes tendent crer une demande de la part des compositeurs dans ce domaine.Un nouveau projet de recherche vient dtre lanc au Gmem pourexplorer le domaine de la synthse de m i c r o - s o n s3 .Enfin, la musique lectroacoustique est une musique rcente qui,si elle souvre vers des horizons illimits, manque fortement depoints de repre. Il nous parat important de documenter et dana-lyser les uvres produites dans ce domaine4 afin de laisser unetrace sur un savoir-faire et de contribuer jeter les bases dunenouvelle musicologie.

    LAURENT POTTIERCharg de recherche

    GMEM15 rue de Cassis - 13008 Marseille

    1. Cf. Franois Delalande, dans Recherche Musicale au GRM, quadruplenumro de la Revue Musicale, 394-395-396-397, Paris, p. 11.

    2. En particulier avec le colloque organis en 1997 au Gmem : LesNouveaux Gestes de la Musique, ayant donn lieu la parution dunouvrage du mme nom aux ditions Parenthses, Marseille, 2000.

    3. Cf. Curtis Roads, Microsound, Cambridge, MIT Press, 2002.4. Le contrle de la synthse sonore informatique, thse de doctorat enMusique et Musicologie du XXe sicle, EHESS, 2001.

    le fait dune courte vue - mme si les deux voies de la crationet de lanalyse peuvent investiguer de faons distinctes la situa-tion nouvelle. En toute logique, il devrait savrer aprs coup queces deux voies se rejoignent pour linvention dune autre poquedu musical.

    BERNARD STIEGLERDirecteur de l'Ircam

    1. Bartok, Musique mcanique, in Instruments, Cahiers de lIrcam, p. 372. Cit par Stourdz, Pour une poigne d'lectrons , p. 19, Fayard3. Cit par Peter Szendy dans Cahiers de lIrcam,, op. cit, p. 42

    [P. Szendy souligne].4. P. Szendy, Lcoute, p. 37 [PS souligne].5. Idib, p. 32-336. Bartok, op. cit, p. 33-347. B. Stiegler, Programmes de limprobable, courts-circuits de linou ,Inharmoniques, n1, Ircam/Christian Bourgois8. Hugues Dufourt, Lartifice dcriture dans la musique occidentale ,

    Critique, , p. 4669. Ibid, pp. 465-466.10. Adorno, La forme du disque , Instruments, op. cit, pp. 143-14411. Ibid. p. 14612. Ibid. p. 15113. Glenn Gould, Ides (1966) paru dans Le dernier puritain, Fayard,

    1983, page 8814. Bartok, op. cit, p. 3515. Sylvain Auroux, La rvolution technologique de la grammatisation ,

    Mardaga, 1993

    CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 20026

    Les axes de recherche du Groupe de musiqueexprimentale de Marseille (GMEM)

  • Q ue faire des archives existantes sauvegardes sur dessupports obsoltes ? Pour les anciens comme pour lesnouveaux supports, o doit-on les ranger pour lesprserver correctement ? Une fois toutes les archives

    numrises, comment pourra-t-on y accder facilement ?Il est urgent de faire le transfert des anciennes archives actuelle-ment sur des supports obsoltes et fragiles (Umatic, Betamax,VHS, bande magntique et disquette), ou sur des plates-formesinformatiques propritaires et dpasses comme le Dawn et le Studer . Pour raliser correctement ce travail, il est obligatoirede faire appel aux experts : les ingnieurs du son, les composi-teurs et ventuellement les musicologues. Il faut assurer desconditions optimales de transfert pour ne pas perdre la qualit del'uvre originale. Il faut s'efforcer de respecter le souhait originaldu compositeur dont la prsence ou l'avis doit tre sollicit, le caschant un musicologue pourra donner ses conseils. Le catalo-gage et la numrisation des notices et autres documents peuventse faire en parallle. Les transferts doivent se faire en plusieursexemplaires sur les supports actuels (CD ou DVD) et en deuxformes: les supports destins l'coute et les supports destins l'ventuel transfert vers des supports encore plus performants. Latechnique de l'audionumrique est en train de s'amliorer : nousavons la possibilit de faire des enregistrements plus performantspour mieux reprsenter le son d'origine, mais ces techniques nesont pas encore trs rpandues parmi le grand public.

    Ce travail de transfert va apporter encore plus d'encombrement. Ilfaut valuer le besoin de garder toutes les archives. Peut-onmettre au rebut les originaux sur supports anciens et obsoltes ?Il est certain que toute bande magntique doit tre place dans unenvironnement stable pour assurer la prennit du support. Une fois les archives numrises, catalogues et centralises,comment peut-on y accder facilement ? Pour les centres de cra-tion, les doubles de toutes les archives peuvent rester sur site.L'encombrement engendr par un CD ou un DVD est bienmoindre que celui des anciens supports.

    Il est vident que nous ne sommes pas loin de pouvoir exploiter lesa r c h ives numrises. Nous sommes en possession d'une richesseculturelle pas encore suffisamment exploite. Avec les nouvelles tech-n o l ogies, l'Internet haut dbit et les serveurs ddis, on peut imaginerun accs plus ouve rt et enrichissant. Le modle de la Mdiathque del'IRCAM est suivre dans ce domaine : un accs facile aux archive ssonores, visuelles et documentaires par le biais de serveurs inform a-tiques. Nanmoins, il faut aborder la question de l'accs par le gr a n dp u blic et rsoudre les questions poses par les droits d'auteur afin derentabiliser l'investissement fait chaque anne dans la cration.

    CARL FAIAResponsable en technique et informatique musicale

    CIRM 33 avenue Jean Mdecin -06000 Nice

    La numrisation au Centre national de cration musicale (CIRM)

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    Le systme technologique actuel de diffusion de lamusique repose sur un codage des informations sonoressous la forme de signaux audionumriques. Ce type dereprsentation, parmi dautres, vise avant tout la repro-

    duction aussi fidle que possible, travers un systme de diffu-sion standard (strophonie), dun enregistrement sonore, assortide possibilits de contrle limites : coute, arrt, commande duvolume sonore, etc. Les recherches pluridisciplinaires menes lIrcam systmatisent cette problmatique de reprsentation desphnomnes musicaux en articulant diffrents points de vue asso-cis aux domaines scientifiques concerns. Ainsi, ltude desphnomnes acoustiques donne lieu la ralisation de modlesnumriques de production (synthse sonore par modlisationphysique) et de diffusion (spatialisation et rverbration artifi-cielle) des sons. Les procds de simulation qui en rsultenttendent tendre considrablement la notion de lutherie en auto-risant la modlisation de structures physiques, ou instrumentset salles virtuels sans limitation de complexit. Dautre part, laformalisation informatique des structures musicales, issues desthories de la musique, aboutit llaboration de reprsentationssymboliques combinant diffrentes grandeurs sous forme discr-tise: hauteurs, dures et structures rythmiques, intensits, etc.Cette approche est propice llaboration de matriaux musi-caux, disponibles sous forme de notation, partir de procdsalgorithmiques dits de composition assiste par ordinateur . Aces trois niveaux de reprsentation (physique, audionumrique etsymbolique) de la musique sajoute celui de bases de connais-

    CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 2002

    Les reprsentations numriques de la musique

    Nicolas Colombel. Sainte-Ccile. Rouen, Muse des Beaux Arts.

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    sance, en particulier sous forme de rseaux smantiques, rendantcompte de diffrentes catgories de description des sons, si tantest que celles-ci peuvent tre explicites et faire consensus dansdes contextes suffisamment larges. Cette dernire approche faitlobjet de projets exploratoires coordonns par lIrcam auxchelles nationale (financ par le programme Riam Ecrins) eteuropenne (projet Cuidado, financ par la Commission euro-penne), visant raliser des applications de navigation et derecherche par contenu musical et sonore dans de grandes bases dedonnes d e n r eg i s t r e m e n t s .La gnralisation en cours des technologies numriques, tant t r avers les mdias de diffusion que les terminaux daccs, perm e td e nvisager la ralisation dapplications nouvelles, tirant parti de

    ces diffrentes formes de reprsentation dans leur complmenta-rit, et concernant la fois la production, la diffusion et laccsinteractif des contenus musicaux structurs. Les principauxve rrous scientifiques restant leve r, qui questionnent les fonde-ments de nos connaissances actuelles, portent en particulier surl t a blissement de correspondances entre ces diffrents nive a u x :modlisation de linterprtation (passage du symbolique ausignal), extraction automatique de structures musicales part i rd e n r egistrements (passage du signal au symbolique), caractri-sation des sons (passage du signal des descriptions de hautn ive a u ) .

    HUGUES VINETDirecteur scientifique de lIrcam

    l'cart entre le son enregistr et le son acoustique est notable, etceci en termes de dfinition et prsence, notamment ds que lessons subissent des traitements. Inversement la synthse a permisdes simulations et innovations notables mais reste une certainedistance du ralisme du son acoustique. Des systmes dorganisation et classement efficaces ; il estclair qu'une taxonomie gnrale des sons est impossible tantdonn le caractre polysmique du son, mais des outils d'assis-tance et d'organisation des musiques et des sons, bass sur desapproches ontologiques, deviennent indispensables vue l'aug-mentation exponentielle des masses de documents grer entermes de production. Des travaux d'analyse et exploration des fonds ; la musiqueest plus accessible que jamais, mais l'tude des musiques restemajoritairement articule sur l'criture, tant donn le manqued'outils de structuration et reprsentation des contenus. Ce quiexclut lanalyse de la plus grande partie des musiques composes

    aujourd'hui. Une approche smiologique dela musique ; nous rvons d'outilstoujours plus perfectionns pournous assister dans l'analyse, lac l a s s i fication et l'indexation dessons et musiques, mais nousd evons pour cela comprendre laperception et l'mergence du senslors de l'coute.

    Voici les questions essentiellesqui nous attendent paralllementaux problmes immdiats lis la conservation et survie desdocuments, en d'autres termescomment garantir le transfert aufutur de l'immense quantit demusiques que nos cultures sonten train de crer. Comment lesstocker, comment les retrouver,comment les reconnatre ?

    DANIEL TERUGGIDirecteur du GRM

    Directeur de la Recherche l'INAResponsable de l'Atelier

    musiques et environnement technologiques Paris I

    Le point de vue du Groupe de recherche musicale (GRM)

    Le son aura t un domaine pionnier dans le passage aunumrique. Aprs 30 ans de recherches et d'exprimen-tations, une relative stabilit s'est tablie au niveau desmthodes, des outils de production et des formats. Par

    ailleurs, la musique produite avec des moyens technologiques at intgre dans le monde musical et n'apparat plus comme lersultat d'exprimentations hasardeuses, mais comme undomaine de production affirm et en continuelle expansion. La stabilit technologique est rgulirement perturbe par l'vo-lution des usages lis une diffusion toujours croissante de latechnologie et l'augmentation rgulire des capacits de traite-ment et de stockage tout en gardant une continuit dans les modesopratoires.Dans une perspective future, quelques ncessits et tendancesapparaissent dans des domaines assez diffrents : Un son plus proche de la ralit acoustique; malgr la qualitdes systmes d'enregistrement et traitement de la chane sonore,

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    Lcriture musicale lre du numrique

    Studio de cration l'Ircam

    Parce que la musique est lart de composer le temps, etparce que la capacit de la mmoire auditive est inf-rieure celles des mmoires visuelle et tactile, lecompositeur a gnralement recours, pour composer,

    des moyens extrieurs qui rduisent la complexit de la chanedinformation sonore : doigts particuliers, paroles, pas de danse,graphiques, criture, thorisation. L e t h n o m u s i c o l ogue MarcChemillier a ainsi montr que les combinaisons des doigts desharpistes Nzakara leur permettent, en labsence dcriture, deplus facilement structurer leurs motifs mlodico-rythmiques. Demme, Guido dArezzo et Francon de Cologne laborent au XIe

    et XIIIe sicles des moyens efficaces de transcription et repro-duction du sonore, la notation des inflexions vocales en hauteurset dures discrtes sur une porte. Ceci permettra ensuite auxcompositeurs de lArs Nova la conception ds le XIVe sicle detechniques combinatoires sur les signes rythmiques et dehauteurs: rtrogrades, canons, symtries, augmentations. Pardfinition, le compositeur compose. Il est donc cet artisansaccaparant un moyen de graphmologie du sonore (cest--direune fonction de transcription) pour le transformer en outil gram-matologique (cest--dire en travail prospectif sur lcriture) auservice de sa relecture oblique de lart. On constate alors que, duXIVe au XXe sicle, laspect graphmologique de lcriture arelativement peu chang en Occident malgr une volution desstyles ingale dans les autres cultures. La musique occidentalesest en effet longtemps intresse obtenir le son le plus harmo-nique, entretenu, sans souffle ni bruit, et sest donc largementcontente dune criture qui rduit un son complexe et transitoire une fondamentale frquence fixe et une dure. Notons aussique les deux poques extrmes, le XIVe sicle avec lArs Nova etlArs Subtilior, et la deuxime moiti du XXe sicle avec le sria-lisme gnralis, se sont particulirement concentres sur les jeuxcombinatoires sur ces signes, parfois en contradiction avec le senset la perception.

    En 1948, lorsque Pierre Schaeffer sapproprie les moyens dereproduction sonore (phonographe, bande magntique, radio)pour en faire un outil de composition, il redfinit en fait le champdu musical au-del des sons harmoniques et abstraits utiliss dans

    la musique occidentale. Cependant, malgr la cration duvresfascinantes et inoues, les technologies de transcription analo-gique noffrent pas cette poque doutils symboliques et visuelsefficaces permettant de dpasser une recherche grammatologiquepurement intuitive. Avec lapparition du numrique, des prcur-seurs comme Risset ou Chowning conoivent des uvres desynthse o une grammatologie plus contrle permet dimagineret dexpliciter de nouvelles catgories cognitives du sonore (cequon appelle des paradoxes , bien que de telles ralits, o parexemple lvolution spectrale dun son diffre de celle du fonda-mental, existent dj dans certains rpertoires dAfrique etdAsie). Dans le mme temps, avec la crise du structuralismemusical et le retour des considrations sur le phnomne acous-tique, des compositeurs de musique crite comme Sciarrino,Lachenmann, Grisey ou Murail, tentent de dtourner la graph-mologie traditionnelle et de transcrire sur une partition classique,parfois aprs calcul sur ordinateur, la nature complexe et transi-toire des sons, soit en utilisant les instruments classiques commegnrateurs de sons bruits, soit en considrant la note commeune composante partielle dun tout fusionn et inharmonique.Cependant, si les musiques dites concrtes et concrtesi n s t ru m e n t a l e s permettent de crer de nouveaux agr ga t s

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  • CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 2002

    G R M t o o l s , ) et des possibilits desynchronisation de cette part i t i o nnumrique avec des sources acous-tiques et mcaniques. Cette inter-face gr a p h m o l ogique doit off r i rsimultanment des mta-outilsgr a m m a t o l ogiques gnraux ete rgonomiques, en particulier despossibilits de calculs symboliquessur les sons similaires ceux que lecompositeur effectue sur les cat-gories classiques de hauteur et dedure (Open Music, CommonM u s i c , . . .), ainsi que des possibilitsdcouter en temps-rel les rsultatsde ces calculs (Max, Superc o l l i d e r) .Ces mta-outils dcriture num-rique pourraient enfin saccompa-

    gner de librairies daide la composition (outil de simulationpsychoacoustique, oprations logiques sur la ralit acoustiquedu son). Ceci reprsente pour de nombreux compositeurs leprochain enjeu de lre numrique, qui permettra cert a i n e m e n tlapparition dun nouveau type duvres, et rconciliera jamais lart dagencer les sons et linve n t ivit de la composi-tion symbolique.

    FABIEN LVYCompositeur

    La Mdiathque de l'Ircam vise mettre la dispositiondu public des fonds consacrs principalement lamusique contemporaine et aux sciences et techniquesconnexes. L'environnement - physique, informatique

    est destin fournir un accs simultan et intgr des docu-ments de nature diverse : monographies, priodiques, partitionssur support papier et en accs libre; archives d'enregistrementsindits, disques compacts du commerce, cdroms, films, basesde donnes documentaires, documents multimdia (analy s e smusicales, objets pdagogiques, sites Internet)... disponibles surdes postes de consultation banaliss.La mise disposition du public des archives indites et des autresdocuments musicaux a pu se faire dans le cadre d'accords tablisavec la Spedidam et la Sacem, et avec la mise en place de mca-nismes assurant que : ces documents ne seraient accessibles qu' l'intrieur de laMdiathque ; les lecteurs n'auraient pas accs leur support physique (disque,bande...) et ne pourraient en effectuer des enregistrements.Ces exigences ont contribu aux choix techniques de numrisa-tion de tous les contenus autres que ceux sur support papier, et dedveloppement d'un systme original ( l'poque : 1995) de diffu-sion de disques compacts partir de jukeboxes relis unserveur central.Le systme documentaire conu l'Ircam en 1995 (et dvelopprgulirement depuis) avait pour but de satisfaire aux exigencessuivantes : La mise en place d'un catalogue aux normes professionnelles,

    permettant la localisation, la consultation et le prt des ouvragesphysiques, mais aussi l'accs aux documents numriques. Lechoix s'est fix sur Unimarc pour les notices, avec l'utilisation duchamp adquat2 pour tablir un lien vers la version numrique dudocument. La numrisation des archives sonores de l'Ircam en vue de leurconservation et de leur diffusion en ligne, avec une qualit derestitution optimale. Ces documents sont d'abord numriss (outranscods) sur deux disques compacts hybrides destins laconservation, et comprenant l'enregistrement au format CD (noncompress) ainsi que des mtadonnes documentaires3. Pour lamise en ligne, les contenus audio sont compresss4 et leurs mta-donnes injectes dans les bases servant les rfrencer. Un accs simple et intgr tous les lments du systme docu-mentaire notices, textes, enregistrements, films, cdroms,bases de donnes5... et permettant de passer facilement d'unlment un autre qui lui correspond. Le choix s'est port sur lestechnologies du Web, avec pour corrlat une ouverture aussigrande que possible de ce systme en interne dans laMdiathque et sur l'Internet, tout en garantissant le respect desconditions d'accs aux contenus. Elles sont compltes par desinterfaces intuitives de consultation du multimdia et spcialisespour la musique, telles un lecteur de disques compacts virtuelaffichant la structure des uvres. La scurisation des postes de consultation et des contenusnumriss. Le premier de ces objectifs a t atteint par le dve-loppement d'une version poste public du navigateur, n'offrantque des possibilits de navigation contrle, autant sur le site que

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    sonores, elles nont peut-tre pasencore totalement explicit leursoutils et thories pour combiner cessons autrement que par lintuition.A linverse, la dmarche plus cart-sienne des musiques dites spec-trales et des musiques de synthsenumrique a certes permis lexpli-citation de nouvelles grammatolo-gies, mais doit se contenter, enlabsence doutils inform a t i q u e sergonomiques, dun travail sur lesmatriaux assez fastidieux, parfoisun peu dmonstratif, et portant surdes catgories, somme-toute, clas-siques (frquences fixes, tempsdiscrtis,).

    Cest pourquoi, lheure o les machines numriques sont deplus en plus rapides, beaucoup de compositeurs de lcritcomme de la musique lectroacoustique rvent de nouve a u xoutils dcriture numrique du sonore. Au niveau gr a p h m o l o-gique, lide serait peut-tre de raliser une plate-forme num-rique gnralise qui runisse la fois des possibilits de c o n c a t n a t i o n ve rticale et horizontale du son (logiciels detype D i p h o n e, P ro t o o l s,...), des possibilits danaly s e - r e s y n-thse et de transformation (A c o u s m og ra p h e, Au d i o s c u l p t ,

    Numrisation et archivage

    Nouveaux supports et musique en ligne1

    Composition assiste par ordinateur

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    Activit pdagogique l'Ircam

    vers l'Internet, et ne permettant pas d'enregis-trer, d'envoyer ou de traiter autrement quelquedocument que ce soit. L'accs aux contenuseux-mmes est strictement rgi.

    La disponibilit de ces fonds numriss a faci-lit la ralisation de documents drivs, tels quedes analyses musicologiques hypermdias int-grant texte et extraits d'archives, des objetsmultimdia prsentant une uvre sous forme del'coute d'un enregistrement de concertsynchronis au suivi de sa partition et enrichi dedocumentation complmentaire (par exempleun enregistrement du compositeur parlant de lagense de son uvre), des sites Web pdago-giques, etc.La mise en uvre initiale de ce dispositif, samaintenance et son volution, ainsi que la rali-sation de la chane de numrisation requirentde nombreuses comptences, mtiers pour laplupart prsents l'Ircam de par la nature mmede l'institut : informatique, bibliothconomie,ingnierie du son, droit (externe l'Ircam)...Cette activit ncessite une veille constante sur les normes et lesprotocoles documentaires et multimdia dans le domaine desNTIC et plus particulirement dans celui des bibliothques musi-cales numriques, et permet de tester leur adquation pour l'vo-lution du systme et de ses diverses composantes, de la qualitdes contenus et des services d'accs : nouvelles normes de mta-donnes6, nouveaux codages de contenus7, systmes documen-taires intgrant les fonctions bibliothconomique etdocumentaire, combinant des mtadonnes de nature diffrente,permettant de grer des documents primaires, secondaires ettertiaires, d'y effectuer des recherches par contenus, de les ruti-liser et les annoter, offrant une meilleure interoprabilit8 avecd'autres systmes distants, etc.Ces activits ont trouv leur aboutissement dans l'organisation dela troisime dition de la confrence internationale ISMIR( I n t e rnational Conference on Music Information Retrieva l )consacre la recherche d'informations musicales domainepluridisciplinaire par excellence qui se tiendra Paris enoctobre 20029.

    MICHEL FINGERHUTDirecteur de la Mdiathque

    Ircam - Centre Pompidou

    1. Ce texte a t prsent la journe dtude du 20 juin 2002 sur le thme Bibliothques et musique organis par lABF, et est reproduit ici avecson autorisation

    2. 626 dans Unimarc 2, puis 856 dans la version suivante .3. Le format des mtadonnes, invent en 1995, est propritaire, et dcrit

    non seulement le contenu, mais les lments d'archive (bande d'origine,techniciens ayant fait l'enregistrement, la numrisation...).

    4. Au format MPEG-1 Layer 2, 384 Kb/s. Ce mode a t choisi la suite detests perceptifs comparatifs sur un chantillon des uvres compresser.

    5. Notamment une base de donnes documentaires sur les compositeurscontemporains et leurs uvres. Limpossibilit de raliser lpoque(autant pour des raisons de temps que de budget) une base uniqueintgrant les aspects bibliothconomiques et documentaires, a t palliepar leur intgration au niveau de linterface Web.

    6. Intgration de modles hirarchiques et orients objet bass sur lesFRBR; schmas intermdiaires entre MARC et Dublin Core tel MODS ;indexation automatique en MPEG-7

    7. Avec lapparition rgulire de nouveaux codecs.8. Utilisation des dveloppements de type OAI (Open Archive Initiative) ;

    ZING (Z39.50 International Next Generation) ; des systmes dediffusion de contenus tels que Wedelmusic ; des concepts et outils de Websmantique ; etc.

    9. Pour plus dinformations, consultez le site Internet http://ismir2002.ircam.fr/

    La numrisation : un atout pour la conservation et la mise en valeur du patrimoine sonore

    Dans le cadre du plan national de numrisation, leMinistre de la culture et de la communication asouhait agir en faveur des archives sonores. A traversdeux de ses institutions, la Bibliothque nationale de

    France et lInstitut national de l'audiovisuel, des sommes impor-tantes ont t consacres la recherche, la prservation, et lanumrisation des phonogrammes.

    Au ministre mme, le plan de numrisation financ sur descrdits centraux grs par la Mission de la recherche et de latechnologie a inscrit, depuis 1999, les fonds sonores dans lesappels projets mettant ainsi les technologies de linformation etde la communication au service des archives sonores.

    CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 2002

    http://ismir2002.ircam.fr/

  • Linvention, en 1877, de la possibilit de fixer les sonsa reprsent une des merveilles les plus grandes quelhomme ait pu concevoir et raliser 2. Comme laphotographie qui la prcde, la phonographie, en

    ses dbuts, est limite par les possibilits techniques qui dnatu-rent lobjet quelle est cense reproduire. Lenregistrement acous-tique dforme la voix et relgue lenregistrement des usagesludiques (sonorisation des poupes, machines sous) ou domes-tiques (dictaphones). Dans les annes 20, llectrification trans-forme la qualit de la gravure et de sa restitution. La radio en estla premire bnficiaire et marque ainsi de sa voix le monde nais-sant de la communication. Lhistoire du son jusquau numriqueest lie lvolution des techniques animes dun double but :fidlit de la reproduction et amplification de la diffusion. Lescollections de phonogrammes en tmoignent.

    Ds 1896, des chercheurs (anthropologues, ethnomusicologues,linguistes) fixent sur des cylindres la dimension sonore de leurs

    collectes. Leurs enregistrements, mouvants et fragiles, consti-tuent les incunables du son. Dans le mme temps, lindustrie dudisque sorganise et en 1900 on dnombre dj cinq multinatio-nales lassaut dun march mondial. Les plus anciens docu-ments de la radio publique datent de 1933.

    Aujourdhui le domaine phonographique, large et trs diversifi,peut se subdiviser de faon trs schmatique en 3 grands secteurs :ldition, la radio, les phonogrammes collects. Ldition phonographique bnficie, ds la loi du 19 mai 1925,du dispositif rglementaire du dpt lgal que la cration, en1938, de la Phonothque Nationale permettra enfin dappliquer.Parmi les 900 000 phonogrammes conservs par la BNF (qui aenglob la Phonothque nationale en 1977), les trois quartsconcernent ldition (dpt lgal et acquisitions rtrospectives). Ace titre, les trs nombreuses ditions (loi de 1985 qui cre undomaine public des phonogrammes) et rditions darchivesmusicales et parles sont prserves. Elles ne peuvent toutefois se

    Les collections de phonogrammes1

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    A ce jour, plus de 2000 heures darchives sonores ont t num-rises. Elles proviennent du Centre de recherche bretonne etceltique (fonds Donatien Laurent portant sur des enreg i s t r e-ments de littrature orale et de chants effectus par cet ethno-l ogue entre les annes 60 95), de la phonothque de la Maisonm d i t e rranenne des Sciences de lHomme (histoire orale,d i a l e c t o l ogie, ethnologie et ethnomusicologie raliss la f i ndes annes 60), du Muse national des arts et traditions popu-laires (enqutes de terrain menes depuis 1939, fonds musi-caux, chansons et rpertoires instrumentaux, fonds de parole etenqutes sonores), du Centre des archives contemporaines(fonds provenant du comit dhistoire de la scurit sociale,enqute de 75 79 auprs des personnes ayant particip lamise en place de la scurit sociale dans limmdiat aprsg u e rr e ) .

    ALAIN MAULNYConservateur du patrimoine

    Mission de la recherche et de la technologie

    Aprs avoir valoris limage et lcrit, la numrisation de cesenregistrements est indispensable compte tenu de la fragilit dessupports analogiques. Tout en assurant leur conservation, lestechniques de numrisation permettront un accs plus ais desphonogrammes indits, soit en salle de lecture, soit sur Internetpar la mise en ligne dchantillons significatifs.

    La Mission de la recherche et de la technologie a confi lexcution dece programme aux ateliers de la Rgie industrielle des tabl i s s e m e n t spnitentiaires, le suivi technique et artistique tant assur par L e smusiques de la Boulangre, organisation dirige par Nicolas Fr i z e .

    Il doit saccompagner dun travail danalyse documentaire pour lamise en place de systmes d'information. dans le domaine sonore,lEtat doit veiller llaboration et la diffusion de codes de don-t o l ogie scientifique et technique, de normes et de standards dedescription comme pour limage et lcrit, afin de permettre leschanges de donnes entre les diffrentes structures concern e s .

    CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 2002

    Place Denfert-Rochereau: musicien ambulant. Paris 1944

  • substituer aux diffrentes sources originales dont elles sontissues. En 1974, les missions de radio produites par le service publicde lORTF, qui vient dtre dissous, sont confies lINA. Aux600 000 heures de radio dont hrite lINA, la nouvelle loi sur ledpt lgal du 20 juin 1992, ajoute la captation systmatique desradios publiques. Depuis cette anne, titre ex p r i m e n t a l ,lInathque, enregistre en direct lexhaustivit des chanes natio-nales et de faon slective les radios de la bande FM, lexcep-tion des radios associatives. Le troisime domaine, vaste, contrast et pluridisciplinaire,recouvre des enregistrements raliss depuis 1900 et issus desecteurs trs divers. On a beaucoup enregistr partir des annes1960 grce aux nouvelles commodits techniques. Deux inven-tions trs diffrentes affranchissent le collecteur du poids, de les-pace et de la dure : lenregistreur analogique cassette cr parPhilips en 1963 et la qualit professionnelle obtenue avec lin -vention, en 1951, par lingnieur suisse Stefan Kudelski, dupremier magntophone professionnel Nagra I.

    Chercheurs, associations, collectionneurs, archivistes, musiciens,amateurs produisent des tmoignages, rcits de vie, interv i ewe s ,musiques dont ils conservent les supports par de vers eux, ycompris lorsque la ralisation a t mene sur crdits publics. Endehors du secteur commercial de ldition phonographique et de laradio, lEtat sest dsintress du domaine sonore, aggr avant ainsila double marginalisation que le son subit dans notre socit, aur egard de lcrit mais aussi de laudiovisuel. Rappelons que ladimension sonore de lenvironnement nest pas encore prise encompte en France par lInventaire du Patrimoine pourtant lanc en1964. Ainsi lassociation des chasseurs de sons poursuit depuis1949 sa patiente collecte de rarets ; des acousticiens, musiciensont su, de faon crative, mthodique, scientifique se substitueraux pouvoirs publics dfaillants dans certains domaines commel c o l ogie sonore. Les collections de musique lectroacoustique,p h o n ogrammes de cration particulirement fragiles, ont t,comme de trs nombreuses collections, finances par des subve n-tions dEtat. Pour certaines dentre elles, faute dune politiqued e n s e m ble et de moyens, l avenir nest pas toujours assur. Les pouvoirs publics dcident de confier partir des annes 1980, des associations rgionales (Poitou-Charentes, Bretagne) lacollecte de la mmoire des traditions musicales et orales. Bienimplantes sur le terrain et intgres la vie locale, leur rle esti m p o rtant. Leur capacit sorganiser en rseau (FA M D T,Fdration des associations de musiques et de danses tradition-nelles) leur permet daborder le catalogage du sonore3 et derpondre aux demandes de formation des associations. Quatre deces associations bnficient de crdits de la BNF dans le cadredun Ple associ sur loralit. Elles ne peuvent toutefois se substi-tuer la puissance publique en ce qui concerne la dfinition dunepolitique densemble et la mise en place dinfrastructures lourdeset prennes (conservation, cadre juridique de la va l o r i s a t i o n ) .

    Les collections historiques sont prserves dans les institutions( B N F, Muse de lHomme, Muse national des arts et traditionspopulaires surtout). Mais nombre de phonogrammes dans lesassociations, les muses, les universits et laboratoires derecherche, reste, faute dinfrastructures, aux mains de leurs collec-teurs privs. Souvent dnomms a r c h ives sonores, archive so r a l e s , ces enregistrements de tmoignages, enqutes, rcits dev i e4, enrichis par le travail de trs nombreux Comits dhistoire,font lobjet de versements dans des structures darchives, sans relplan densemble. Cet abus de langage dnonc ds 1980 par lesa r c h ivistes eux-mmes5, ainsi quune approche thmatique parcontenu, ne contribuent pas la clarification dun domaine enqute didentit, et nuisent considrablement une vision den-s e m ble du domaine sonore auquel ils appartiennent. De trsnombreux services crs autour de la Mmoire sont aujour-dhui confis des titulaires demplois-jeunes sans form a t i o n .

    En revanche, crs ou rassembls autour de thmatiques fortes, lesfonds sonores prennent une cohrence incontestable (on peut citerle Centre des archives du travail Roubaix, certains musesspcialiss par exemple autour de la Mine, de la Viscose). Let r avail sur la Mmoire des restaurateurs dobjets dart auquellInstitut national du Patrimoine participe est un programme euro-pen. Cette tendance actuelle ne fera que saccentuer lave n i r.

    Aujourdhui, la technologie numrique rvolutionne le domainesonore et constitue un espoir pour la connaissance et la valorisa-tion des phonogrammes collects. L i n d exation fine peutpermettre de feuilleter le son, rendant laccs plus ais et favo-risant enfin la cration dun appareil mthodologique propre auchamp sonore. LInternet facilite la constitution dun Cataloguecollectif des collections et sources sonores (musique, paroles,sons)6. Deux exemples parmi dautres mritent dtre cits : Au Canada, le partenariat entre la Bibliothque nationale duCanada, le Muse des civilisations de Hull et les Archives natio-nales du Canada sur le thme de la chanson populaire, a permisla ralisation dun catalogue collectif volutif de trs grandequalit. Lenregistrement sonore est au cur du dispositif. Lajuxtaposition des diffrentes sources dinformation permet unenrichissement du document dont la qualit sonore de restitutionest trs bonne. [ h t t p : / / w w w 2 . n l c - b n c . c a / gr a m o p h o n e / s r c / a b o u t _ f . h t m ] Sur un autre thme, celui de ldition, la BNF projette de crerun nouveau Ple associ. Cette initiative permettrait denrichirloffre publique de ltablissement en finanant le catalogage etla numrisation des 78 tours et de disques microsillons de laMdiathque musicale de Paris et de Radio-France, complmen-taires de ceux de la BNF.

    En modifiant le rapport aux documents7, en largissant consid-rablement la demande des publics, la technique numrique offreaux collections phonographiques une chance nouvelle de recon-naissance, celle de simposer comme un domaine singulier etriche de cration.La professionnalisation lgard du sonore dveloppe par lesecteur institutionnel (BNF, INA, Ircam) ne doit pas masquer laralit trs diversifie des situations.

    13CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 2002

    Station de radio associative.

  • De la galette de cireau streaming audio

    Le son ouvre la voie

    Le son a toujours t lavant-garde, dfricheur desroutes quemprunte ensuite laudiovisuel. Dabordparce que les dbits sont trs infrieurs limageanime - plus de cent fois entre la radio et la tlvision.

    Ensuite parce quil y a toujours eu aussi une sorte daffinitprofonde entre la musique et la mathmatique. Et puis le son aune sorte de puret, il est totalement temporel, na pas de sens s'ilne s'inscrit pas sur le fil dune dure, il ne peut pas exister dansun instant que lon voudrait prolonger. Ceci pour dire les effortstoujours remis sur le mtier de spatialisation du message sonore,de reprsentation synoptique auquel la combinatoire informa-tique a apport de puissants outils.Mais pour l'archiviste, la numrisation c'est surtout une port ee n t r o u ve rte vers une possible prennisation du signal. On a tous eul ' exprience du cercle sans issue de la duplication de l'analog i q u e(la photocopie en est un bon exemple): chaque nouvelle gnra-tion les traits s'emptent, le bruit monte, l'nergie de l'original estp r ogr e s s ivement enfouie par une sorte d'entropie de la copie. Lenumrique en regard offre la promesse d'un cycle sans perte, dumoins si l'on vite les conversions. Et puis l'analogique c'est du temps rel selon un talon qui est laperception humaine, ce qui n'est pas trs performant. Ceci ve u tdire, quand on travaille sur un fonds ouve rt, qu' chaque cycle ilfaut reprendre l'ensemble des cycles prcdents selon une progr e s-sion gomtrique. Le numrique, surtout si l'on parle de fi c h i e r snumriques, permet de travailler des vitesses de transfert trsinfrieures et qui progressent au rythme de la technolog i e : aujour-d'hui on peut recopier 24 heures de radio en moins de 10 minutes.La conservation de l'audiovisuel, apparue trs rapidement, enmoins d'un sicle, aurait t une entreprise insense sans l'ouver-ture technologique de la numrisation.

    A l'INA l'aventure de la numrisation a emprunt deux voies diffrentes

    L'Institut national de laudiovisuel (INA), d'une part, a hritdes fonds trs importants, plus de 650 000 heures, produitsdepuis les dbuts du vingtime sicle par les socits publ i q u e sde radiodiffusion. Il en existe des traces en fait depuis 1933. Ap a rtir de 2000, un important eff o rt a t entrepris, c'est le plan

    de sauvegarde et de numrisation, afin de numriser plusieursdizaines de milliers d'heures par an tant pour la radio que pourla tlvision. Les programmes sont numriss selon plusieursf o rm a t s : CD audio, f ichiers numriques linaires chan-tillonns en 24 bits 48 Khz, fichiers numriques compresss 256 Kbits/s. Ces formats couvrent les diffrents usages (conser-vation, exploitation on line et o ff line , consultation o nl i n e ) et adapts aux diffrents contenus (programmes des t o c k : concerts, dramatiques, crations radiophoniques; mis-sions de flux : journaux parls, magazines en studio...). Lesfichiers sont stocks sur cassettes informatiques DTF 2 de 200g i gaoctets, elles-mmes insres dans de grandes units de stoc-kage de masse robotises. Les fichiers pour consultation sontstocks sur disques durs autorisant un accs rapide.

    D'autre part l'INA gre le dpt lgal de la radio tlvision. Ds1994, les programmes de radio ont t enregistrs en numriquecompress (96 Kbits/s ou 192 Kbits/s selon les chanes) etstocks sur CD-Worm. Aujourd'hui ce sont 19 chanes de radioqui sont ainsi captes et enregistres 24h/24 : les 5 chanes natio-nales de Radio-France, Radio France Internationale, les 3 stationsgnralistes prives et les 8 grands rseaux thmatiques natio-naux, soit prs de 150 000 heures de radio par an. Ces fonds sontconsultables l'Inathque de France, centre de consultation del'INA install la Bibliothque Franois Mitterrand. Mais, l'en-semble de ce qui est dit ne serait pas complet sans signaler laquestion centrale de la documentation qui est le vritable levierinformant cet ocan sonore. Une fois franchie l'indispensablefrontire de l'indexation, le numrique offre ensuite le confortd'un accs instantan, et les outils interfaant l'accs au signal eten construisant la spatialisation.

    Son sur InternetE n fin l'INA se proccupe depuis trois ans d'un archiva g ed'Internet, sous la forme d'un dpt lgal des sites, et plus parti-culirement des services et sites de radio ou de tlvision surInternet.Internet a renvoy vers une prhistoire du numrique toute lesconsidrations qui prcdent: avant, le numrique tait une tech-nologie, Internet en a fait un usage total, un systme technique au

    14 CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 2002

    Il y a un long chemin parcourir pour transformer quelques unesp a rmi les milliers dheures enregistres en vritables collectionsp h o n ographiques. Il revient LEtat et aux collectivits publ i q u e sdouvrir le chantier et de rappeler fortement que, comme tout patri-moine, le sonore a des exigences et des critres de slection. Ladimension sonore est laffaire de tous. Les nouveaux usages des plusjeunes, dgags da priori, constituent une sollicitation dynamique.

    MARIE-FRANCE CALASConservateur gnral du patrimoine

    Mission de la recherche et de la technologie

    1. Collection est pris dans son acceptation la plus large au-del des clivages professionnels pour dsigner un ensemble dobjets, desources runis et conservs de faon prenne dans une perspective demise disposition.

    2. Ren Dumesnil, La musique enregistre in : Musique et musiciens , Paris, pp 92-98

    3. Guide danalyse documentaire du son indit par Bndicte Bonnemason,

    Vronique Ginouvs, Vronique Prennou et co-dit par Modal(FAMDT: Fdration des associations des musiques et dansestraditionnelles) et LAFAS (Association franaise des dtenteurs dedocuments audiovisuels et sonores), La Falourdire, 2001

    4. Voir le trs important ouvrage que Florence Descamps a consacr la mthode de constitution et dexploitation des archives oralesLhistorien, larchiviste et le magntophone. De la constitution de la source orale son exploitation, Paris, Comit pour lHistoireconomique et financire de la France,2001.864p.

    5. Anne Protin-Dumon, LAudiovisuel, nouveau territoire de laconservation,La Gazette des Archives n 109, Paris, 2e trimestre 1980

    6. Aujourdhui il nexiste que des Rpertoires partiels qui signalent plus des phonothques que des documents. Les archivistes, en collaborationavec le Service historique de lArme de Terre et lInstitut des Archivessonores, cr par deux collectionneurs, ont lanc en 1998 une enqutesur les sources audiovisuelles parles dans le domaine des sciencessociales qui doit donner lieu un Guide en trois volumes.

    7. A cet gard, voir lenqute du PNER sur les usages du systmedocumentaire lInathque, FMSH, Paris 2002.http://www.pner.org/html/activduprog/ZeEtudes/Partie.asp

    http://www1.msh-paris.fr:8099/html/activduprog/ZeEtudes/

  • CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 2002

    raient retirer un bnfice considrable des redfinitions radicalesqui affectent le traitement bibliographique : la maille des objetsdinformation manipuls, les liens entre donnes, le rapport desdonnes primaires et secondairesMais les nouveaux modles, tels les FRBR, reproduisentcertains des schmas livresques de leurs ans (ISBD parexemple). Dans le monde des bibliothques, en effet, lindexationdocumentaire a longtemps associ contenu et prsentation mat-rielle (support) mais dissoci laccs linformation de la consul-tation du document lui-mme. La problmatique des mtadonnesprend acte de la fin de ces frontires et appelle une nouvelle orga-nisation dobjets dinformation clats. Les bibliothques musi-cales, aprs avoir travaill ladaptation des normes et de formatsb i bl i ographiques aux notions musicales (titres uniform e sduvre, distribution dexcution, matires musicales),doivent sengager aujourdhui dans les rflexions nationales etinternationales sur la modlisation des concepts ou des processus,la structuration des donnes et le balisage des documents et lesoutils d'interoprabilit.

    La remise en cause est plus radicale encore si lon accepte den-visager, au cur des contenus, non plus le texte et les signeslinguistiques, mais dautres codes (la notation musicale) et lesobjets sensibles eux-mmes, images et sons. Il sagit, pour traiterdu second type daccs linformation musicale, dutiliser etdinterprter les balisages inscrits avec les formes numriquesde la notation musicale ou de la fixation phonographique et defaciliter le reprage, dans une partition ou un flux de sons, dunesquence, dun lment.Une rflexion plus prospective est donc amorce pour laborerdes outils logiciels permettant dun ct la segmentation automa-tique et paramtrable dun ou plusieurs programmes sonores ensimultan et offrant, dun autre ct, des modes graphiques detranscription visuelle des donnes sonores. Ainsi la comparaisonet lanalyse denregistrements disposeraient-elles doutils inter-actifs et de reprsentations mesurables.En regard, les nouvelles technologies affectent aussi le contenumusical ou, du moins, son apprhension. Ils permettent queconvergent des modes de consultation jusque-l fondamentale-ment trangers : la lecture synchronique de la partition et la

    15

    Indexation, analyse

    Lenjeu des nouvelles technologiespour lindexation des documents musicaux

    sens de Simondon. Mais on ne peut comprendre l'usage sociald'Internet sans prendre en compte ces affinits de la musique aveclordinateur ds les premiers temps de la micro-informatique:l'chantillonage ( sampling ), la norme MIDI, la numrisationont trs tt ouvert la voie une osmose trs forte. AujourdhuiInternet est une immense bibliothque sonore au service dunecrativit du collage, du fragment, de la citation avec ce que celacomporte desprit libertaire en matire d' accs libre cessources, de possibilits de reprendre dans une rappropriationcontinue toute la musique du monde. Avec ce que cela comporteaussi de large diffusion de lacte cratif personnel beaucoup plusrpandu pour la musique que pour la vido, parce que les fron-

    tires y sont plus poreuses entre lartiste en herbe et le groupemusical au fate de la gloire.Sur Internet, la musique a t le lieu de conflagration entre l'es-prit libertaire issu du "home studio", du logiciel libre et les majorsde l'industrie du disque qui voyaient seffondrer leur dispositifconomique de remonte de valeur. Confrontation aussi avec lesartistes confirms qui ne voient plus de moyens de vivre de leurcration avec des sites comme Napster, Gnutella et bien dautres.Confrontation enfin avec les lgislations nationales et les prin-cipes de territorialits face un media aussi nomadisant.

    JEAN-MICHEL RODESDirecteur de lInathque de France

    En se gnralisant, les technologies numriques interf-rent largement sur les aspects intellectuels et physiquesde laccs aux documents musicaux. Elles rapprochentles rfrences des collections distantes de celles des

    documents consultables sur place; elles associent tous les mdias,accessibles eux-mmes sur de multiples supports ou distance ;elles confondent les donnes elles-mmes et les informationscomplmentaires qui en assurent linterprtation (biographies,chronologies, analyses duvres) ainsi que les mtadonnesqui permettent dy accder et de les mettre en perspective.

    A quoi veut-on accder ?Dans un contenu musical, les lments auxquels il est pertinentdaccder sont multiples en nombre et divers en nature.Les documents proposent une multiplicit de genres musicaux,de prsentations et de supports; les utilisateurs prsentent unedisparit d'usages et de niveaux d'expertise. En outre, le domaineet le niveau de l'information musicale recherche varient, selon lecontexte, le rpertoire, l'uvre ou le matriau.Les documents se rapportant de la musique tant multiformes etlinformation musicale elle-mme complexe, les critres din-dexation ncessaires pour y accder sont divers. Certains (lescritres dits signaltiques) sont extraits du document lui-mme etplus ou moins reformuls : le nom des auteurs ou des interprtes,le titre des uvres, lanne ou le lieu de la publication. Dautres(les critres analytiques, les critres systmatiques) proviennentd'une dduction ou d'une analyse des informations contenues : lesformes, les thmes, les fonctions, exprimes au moyen de nomen-clatures ou thesaurus. Ces donnes secondes, passent par uneformulation linguistique : un vocabulaire, une syntaxe et unesmantique.Il est dautres types daccs qui se rfrent directement desparamtres musicaux : timbres, hauteurs, dures, contours mlo-diques. Ces donnes empruntent aux divers modes de formalisa-tion de la musique : la notation ou la fixation des sons.

    Comment peut-on y accder ?Les accs qui passent par une formulation de mode linguistiquerecourent aux outils dindexation traditionnels de la documen-tation, aujourd'hui touchs par les profondes mutations. Ils pour-

  • prise en compte temporelle de lenregistrement. De nouveauxchamps dtude pourront se dvelopper et des domaines musi-caux trouver leur valeur pistmologique : tous ceux lis lin-terprtation et lcoute, notamment.

    Quels outils promouvoir ?Pour la production des informations documentaires, l'utilisationdes schmas de mtadonnes s'impose. Comme jadis, avec lesformats de description bibliographique, il en existe de gnrauxaux divers types de mdias et de contenus (tel le "Dublin Core")qu'il convient d'enrichir en informations indispensables pouraccder des donnes musicales : l'instrumentation, l'inter-prtation et sa fixation. Dans les schmas de structuration etd'encodage des lments d'information qui sont en cours d'mer-gence (MPEG 7, XML), les besoins de l'information musicaledoivent galement tre dfinis. En matire d'outils d'accs, il faut ajouter aux outils de recherchetraditionnels (fichiers d'autorit, index ou thesaurus), des outilsplus libres permettant le feuilletage et, surtout, des instru-ments adapts au contenu musical (segmentation, montage,reconnaissance et extraction automatique d'lments musicauxs i g n i fiants partir de partitions ou d'enregistrements). Lessystmes d'information doivent assurer la complmentarit et lasolidarit, entre les donnes indexes et les donnes indexantes.Pour ce faire doivent tre tendues aux informations musicales,

    les normes de structuration des documents (SDML ou Niff pourla musique note) ou de stratgie de recherche (sur le modle deTREC). Les interfaces de consultation doivent s'enrichir d'outilsadapts permettant la synchronisation et la comparaison : l'imagede la partition et le flux de l'enregistrement, la reprsentationgraphique du son, etc.E n fin, autre actif porter la gnralisation des technolog i e snumriques, l'interoprabilit, doit atteindre galement les sourcesde donnes musicales et, notamment, permettre un travail communentre les producteurs de l'information (auteurs, producteurs,diteurs) et les documentalistes. Elle est aussi fonde sur l'adop-tion de normes partages : des identifiants (ISMN, ISRC, ISWC)pour pister les objets musicaux changs ; des protocoles d'inter-connexion des systmes (Z 3950).Cette panoplie d'outils d'indexation et de recherche n'offrira un rels e rvice standard aux usagers des lieux ou sites de documentationmusicale qu'aprs que la technologie numrique aura investi nonseulement le traitement bibl i ographique et la production des donnessecondaires (c'est largement le cas aujourd'hui) et, surtout, quand ellegrera plus largement l'information musicale elle-mme, directe-ment produite sous forme numrique ou transfre la faveur dep r ogrammes de prservation ou de mise en va l e u r.

    ELIZABETH GIULIANIAdjointe au directeur du dpartement de laudiovisuel

    de la Bibliothque nationale de France

    CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 200216

    Dublin Core. Norme dfinissantun ensemble minimum d'lmentsd'information caractrisant les ressourcesdu Web et permettant d y accderfacilement. Ce schma est n au cours d une runion, tenue Dublin (Ohio),en 1995, l'initiative conjointe dOnlineComputer Library Center Incorporated(OCLC) et du NCSA [National Center for Supercomputing Applications].FRBR. Functional Requirements for Bibliographic Records.Spcifications fonctionnelles des noticesbibliographiques. Modle conceptuel dedonnes labor par un groupe dexpertsde lIFLA (Fdration internationale desassociations de bibliothcaires et des bibliothques) de 1992 1997. ISBD. International StandardBibliographic Description.Cadre gnral dfini par l'IFLA, partir de 1977, pour la descriptionbibliographique de tous les mdiasdisponibles dans les bibliothques.La musique imprime ("Printed Music")et les enregistrements sonores (unepartie des "Non Book Materials") ont faitl'objet d'une dclinaison particulire.ISMN. International standard musicnumber (ISO 10957 ). Identifie toutesles ditions de musique imprime quellesquen soient la prsentation (partition,parties, notation lectronique) ou

    les modalits de diffusion (location,vente, hors commerce) ISRC. International standard recordcode (ISO 3901). Identifie les fixationsde musique enregistre.ISWC. International standard [musical]work code (ISO 15707). Identifie lesuvres musicales.MPEG. Moving Picture Experts Group(ISO/IEC JTC1 WG29). Groupe de travailcommun l'ISO (InternationalOrganization for Standardization) et l'IEC (International ElectrotechnicalCommission), charg de dvelopper desstandards pour lencodage numrique dessignaux audio et vido. Constitu en1988, le groupe a entrepris un travail sur"Multimedia Content DescriptionInterface" (MPEG 7), achev en 2001.Niff. Notation Interchange File Format.Standard dencodage numrique (modle binaire) de la notation musicale,fruit dune collaboration entre de grandsproducteurs de logiciels musicaux etdexperts de la notation/reprsentationmusicale. Dvelopp hors des cadre sno r ma t i f s, il est nanmo i ns un standa rdouvert qui permet lint e ro p rabilit ent rep ro g ra m mes mu s icaux implants sur des systmes diffre nt s. S D M L . S ta n d a rd Music DescriptionL a n g u a g e. Langage de reprsentation dela notation musicale seule ou associe

    du texte, des graphiques et tout type dinformation, notammentmultimdia. La norme SMDL, entrepriseen juillet 1995, a encore un statut dedocument de travail (ISO/IEC DIS10743), en attente dun complmentqui la rende compatible avec larchi-tecture XML.TREC. Text Retrieval Conference.Groupe d'aide la recherche en matirede gnie linguistique, co-pilot depuis1992 par le National Institute ofStandards and Technology (NIST) et le Defense Advanced Research ProjectsAgency (DARPA).XML. eXtensible Markup Language.Schma de balisage, spcifi en 1998 par le W3C (World Wide Web Consortium),pouvant s'appliquer tout typed'information, qui prcise commentdfinir la structure des donnes dansun document.Z 3950. (ISO 23950). Norme deRecherche automatique dinformation qui dfinit un protocole d'interrogationde bases de donnes bibliographiques,documentaires ou autres, suivant unmode client-serveur. Elle s'appuie elle-mme sur les normes de communicationTCP/IP et se trouve de ce fait adapte Internet. Lagence de maintenance etautorit denregistrement est situe la Library of Congress.

    Glossaire

  • 17

    Raisons dun (non-)choix

    On connat la rvolution qua introduite le numriquedans le domaine du transfert de supports : alors que lesprocds traditionnels nous vouaient une irr m -d i a ble dperdition qualitative de copie en copie, il

    d evenait dsormais possible de rgnrer indfiniment une infor-mation sans perte. Les doutes lis la qualit des supports denre-gistrement ont t pour une part levs au fil du temps et desrecherches au cours des annes 90, mais labandon dfinitif de labande analogique par les archives sonores aura t en dfi n i t iveautant le fruit de la ncessit que du choix. En effet, les magnto-phones professionnels sont vous la disparition moyen term e .La fin dune marque de rfrence comme Studer a fait date en2001. Les appareils restants doivent tre dsormais consacrs larelecture des millions dheures denregistrements qui restent numriser dans le monde avant lextinction complte de cette tech-n o l ogie. Aujourdhui, la sauvegarde des supports non prenness i d e n t i fie leur numrisation dans des conditions prcises.

    Du support en pril au support optiqueLanc en 1999, le plan de sauvegarde du dpartement de laudio-visuel de la Bibliothque nationale de France (BnF) a pos enpriorit le transfert exhaustifdes cylindres phonogr a-phiques (6000 documents),des disques gravure directe(9000 documents), des filsmagntiques et des bandesproduites dans le cadre de laPhonothque nationale ouissues de dons (12000 docu-ments) : tous supports enpril du fait de leur dgrada-tion et/ou de lobsolescencetechnique menaante dumatriel de lecture. A lop-pos, les centaines demilliers de disques 78 tourset microsillons peuvent treconsidrs, notre chellede temps, comme dessupports prennes requrant seulement des conditionsde prservation optimales.Ici comme ailleurs, le CD-R a t lu comme support de conser-vation transitoire des documents transfrs, dans lattente dunegestion sur support de masse. La qualit moyenne de ce support ,en devenant un produit de consommation courante, sest nota-blement dgrade au cours des annes rcentes. Il est dautantplus vital, pour linstitution qui lutilise des fins de conserva-tion, dadopter une marque fi a ble, de contrler la qualit auquotidien et de surveiller le vieillissement au fil du temps. Unchantillon des CD-R employs par les studios de la BnF et parses prestataires ex t e rnes est soumis lanalyseur de CD1 troisstades : Les supports vierges, fournis par lots de fabrication homo-gnes, sont valids rception : un chantillon est gr av en tota-lit et contrl. En cas de dfaut, le fabricant serait contact. Un contrle qualit est effectu en sortie de chane sur un chan-tillon de la production. Les CD-R de plus de 3 ans font lobjet dun chantillonnage par lotde fabrication et contrls pour suivre leur vieillissement. Des docu-ments prsentant des taux derreur proches des seuils de perte seraientrgnrs sur des supports neufs.

    Chaque document est gr av en deux exemplaires, lun pour la consul-tation (conserv sur le site de Tolbiac), lautre titre de m a s t e rauquel on recourra en cas de perte ou de dgradation du premier( c o n s e rv sur le site de Bussy-Saint-Georges). Les CD-R sontprotgs de la lumire dans des botes de regroupement opaques etc o n s e rvs en atmosphre contrle : la prservation des supports fa i tp a rtie intgrante de la bonne gestion de larchive numrique. Cestdans le mme souci que lon se garde dcrire ou dimprimer desi n f o rmations sur la couche suprieure du disque. Celui-ci est identifi et rattach son botier par son numro de srie de fabrication unique.

    Authenticit et restaurationLa rcente mise jour par lAssociation internationale desa r c h ives sonores (IASA) de son code de dontologie des transfert sa grandement voir avec le dveloppement de nouveaux outils derestauration et darchivage dans le contexte numrique. Pa rmi sesprincipes fondamentaux figure limpratif de conserver une copiedite d r o i t e , cest--dire o le rapport des frquences na pas tm o d i fi ( q u a l i s a t i o n) et o aucun dbruitage na encore te ffectu. Le bruit doit tre considr comme partie intgrante dudocument dans son tat premier. Ce principe est mis en applicationde faon systmatique la BnF : chaque document transfrer estlu dans les meilleures conditions possibles, numris et inscrit sur

    s u p p o rt avant toute c o rr e c-tion du signal.Les restaurations destines rendre lcoute plus aisesont en effet tributaires lafois de la culture auditive deleur temps et des perfor-mances des outils existants.On peut esprer que lesoutils de restauration dufutur permettent un traite-ment plus respectueuxencore que ceux daujour-dhui de lhistoricit mat-rielle du document : sispectaculaires que soient lesperformances des systmesactuels dans lliminationdes bruits, ils ne savent pasencore faire la part desb ruits caractristiques de

    dfauts dorigine du document analogique. Distinguer le stade dut r a n s f e rt et celui de la restauration autorisera les auditeurs del avenir repartir dun document authentique. Sans doute les phonothques ont-elles un rle particulirementimportant jouer dans la dfense de la notion d authenticit applique au patrimoine sonore. La dfiance envers les falsifica-tions permises par le numrique, innocentes ou non, nest pasaussi vive pour le son que pour limage anime. Des logicielsperformants et faciles daccs se rpandent pourtant et contri-buent la prolifration potentielle de versions modernises austatut peu clair. Ainsi, des mtadonnes documentant le statutexact des documents numriques et leur mode de productionsont-elles indispensables pour permettre aux institutions patrimo-niales de garantir la valeur dhistoricit par-del lvanouisse-ment des originaux.

    ALAIN CAROUBibliothque nationale de France,

    Dpartement de laudiovisuel

    1. Il sagit dun appareil fournissant des donnes ch i ffres sur les pro -prits optiques du CD, les taux derre u rs rencontrs, la rgularit de lag ra v u re, etc.

    CULTURE ET RECHERCHE n 91 - 92 juillet - aot - septembre - octobre 2002

    Numriser sans perte

    UNESCO/C.A. Arnaldo Thimphu, 1989

  • La musicologie et l'analyse musicale ont subi un certainnombre dvolutions remarquables au cours du XXe

    sicle, accompagnes et souvent suscites par les grandsmouvements dides en sciences naturelles et humaines.

    On peut brivement en mentionner les plus saillantes : intgrationde la psychologie gestaltiste, analyse gntique de luvre, djpropose par Schenker qui innove en outre par sa pdagogiegraphique, concepts de symtrie dchelle, la mode depuis lesfractales, mais dj introduites comme outils danalyse parLorenz au dbut du sicle, retour des fondements acoustiquesavec Hindemith, cole de la variation motivique de Schoenberg Rti. Les bouleversements daprs guerre acclrent encore cettet r a n s f o rm a t i o n : la contamination mthodologique du champmusical par la linguistique triomphante se poursuit et aboutira austructuralisme et la smiologie musicale avec Ruwet et Nattiez;la thorie de linformation suscite les travaux de Meyer etNarmour sur lattente musicale et limplication-ralisation ; leBourbakisme et la thorie des groupes influencent les travaux deBabbit, Forte, Lewin, et, jusqu aujourdhui ceux dun Mazzolasur la thorie des catgories; le succs de Chomsky impulse unensemble important de recherches sur les grammaires formelleset les thories gnratives (Lerdahl et Jackendoff) culminant aucongrs de Modne au dbut des annes 80 ; enfin, ds les annes40, lordinateur ouvre un niveau massif les portes de lexplo-ration combinatoire, stochastique, syntaxique, informationnelle,

    Par une curieuse conjonction de facteurs technologiqueset socio-conomiques, la musique est aujourdhui lapremire industrie culturelle en nombre de fichierschangs sur Internet (3 millions de fichiers MP3 par

    jour) et parmi les premires en chiffre daffaires (47 milliards dedollars prvus pour 2004 selon une tude du Yankee Group).Pourtant, comme le soulignait encore rcemment David Bowiedans le New York Times, la musique sera de plus en plus consi-dre comme un fluide gratuit, renforant en cela la valeur desoutils pour y accder et modifiant les mcanismes pour rmu-nrer la cration.

    Lenjeu industriel et culturel Dun point de vue technologique, le dveloppement dInternet etdes systmes de partage de fichiers1, le succs du MP3 (15millions de baladeurs installs aux Etats Unis en 2003 selonForrester) et linfluence des standards en gnral modifientconsidrablement ce quil est convenu dappeler la diffusion lec-

    tronique de la musique. Mais comme dans toute problmatiqueconfrontant art et science, on ne peut dissocier linstrument ducontenu, lvolution technologique et lvo