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une publication commune d’un réseau de magazines issus de huit pays d’europe ENFANTS D’EUROPE CHILDREN IN EUROPE BAMBINI IN EUROPA INFANCIA EN EUROPA KINDER IN EUROPA BORN I EUROPA INFANCIA A EUROPA KINDEREN IN EUROPA REGGIO EMILIA 40 ans de pédagogie alternative Sur les pas de Loris Malaguzzi N° 6 - février 2004 version française éditée par Revue de la petite enfance et de l’intégration et par l'Obsevatoire de l'enfant pour la Communauté Française de Belgique

n° 6 - Février 2004 Reggio Emilia - Association Le Furet 6.pdf · une ville en pleine évolution ... seulement dans le monde anglo-saxon, mais aussi dans de nombreuses autres régions

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une pub l ica t ion commune d ’un réseau de magaz ines i ssus de hu i t pays d ’europe

ENFANTS D’EUROPE CHILDREN IN EUROPE BAMBINI IN EUROPA INFANCIA EN EUROPA KINDER IN EUROPA BORN I EUROPA INFANCIA A EUROPA KINDEREN IN EUROPA

REGGIO EMILIA40 ans de pédagogie

alternativeSur les pas de Loris Malaguzzi

N° 6 - février 2004

version française éditée par

Revue de la petite enfance et de l’intégration

et par l'Obsevatoire de l'enfant pour la Communauté Française de Belgique

Jan Peeters, Kiddo, Flandre et Pays-BasKiddo est publié huit fois par an et couvre aussi bien les Pays-Bas que la Flandre. Le magazine vise la tranche d’âge de 0 à 12 ans et s’adresse aux praticiens qui travaillent avec les enfants.Visitez le site www.kiddo.net

Irene Balaguer, Infancia, EspagneL’Associació de Mestres Rosa Sensat publie deux magazines différents, Infància et Infancia,

en Catalan et en Espagnol, six fois par an. Tous deux traitent des enfants de 0 à 6 ans et mélangent théorie et pratique. Chaque magazine possède son propre comité de rédaction et s’occupe de régions distinctes

sur les plans géographiques et linguistiques. Visitez le site www.revistainfancia.org

Ferruccio Cremaschi, Bambini, ItalieBambini, destiné aux éducateurs de la petite enfance (0 à 6 ans), s’intéresse à la recherche scientifique et aux bonnes pratiques en matière d’éducation. Il examine en particulier les changements sociaux et culturels en plaçant toujours les besoins des enfants à l’avant-plan.Visitez le site www.bambini.edizionijunior.it

Marie-Nicole Rubio, Le Furet, FrancePublié trois fois par an, Le Furet couvre la tranche d’âge de 0 à 6 ans et

s’adresse aux professionnels de la petite enfance, aux associations et aux responsables des politiques petite enfance en France.

Bronwen Cohen, Children in Scotland, Royaume-UniChildren in Scotland est un mensuel qui propose des articles et des informations fouillées sur des sujets qui touchent les enfants, les jeunes et les familles en Ecosse. Visitez le site www.childreninscotland.org.uk

Perrine Humblet, Grandir à Bruxelles,Communauté française de Belgique

Grandir à Bruxelles est publié par l’Observatoire de l’enfant de la Région de Bruxelles-Capitale. Quatre mille exemplaires sont distribués gratuitement tous les neuf mois.

Visitez le site www.grandirabruxelles.be

Stig Lund, Børn & Unge, DanemarkBørn & Unge est distribué gratuitement aux 50000 membres du BUPL(le syndicat des pédagogues). Il traite de la pratique, de la théorie et des conditionsde travail des éducateurs au Danemark.

COMITÉ DE RÉDACTION

LES AMIS DU FURET6, quai de Paris 67000 Strasbourg

Tél. : + 33 (0) 3 88 21 96 62FAX: + 33 (0) 3 88 22 68 37

E-mail : [email protected] 1163-4383 • février 2004

OBSERVATOIRE DE L’ENFANTRue des Palais, 42 - 1030 Bruxelles

Tél. : + 32 (0) 2 800 83 58FAX : + 32 (0) 2 800 00 01

E-mail : [email protected] internet : www.grandirabruxelles.be

et

V E R S I O N F R A N Ç A I S E É D I T É E PA R L E F U R E T P O U RL A F R A N C E E T PA R L’ O B S E R VAT O I R E D E L’ E N FA N TP O U R L A C O M M U N A U T É F R A N Ç A I S E D E B E L G I Q U EAVEC LE SOUTIEN DE LA FONDATION BERNARD VAN LEER

AV E C L E S O U T I E N D E L A C N A F AVEC LE SOUTIEN DE LA CCF

Enfant d’Europe 2004avancer sur des fils de soie

2qu’est ce que Reggio?PETER MOSS CARLINA RINALDI

4une ville en pleine évolutionAMELIA GAMBETTI INTERROGE SANDRA PICCININI

6une transgression esthétiqueALFREDO HOYUELOS

8loris malaguzzi et la révolution des écoles maternellesENZO CATARSI

10avancer sur des fils de soieINTERVIEW DE LORIS MALAGUZZI PAR CARLO BARSOTTI

16 [HOWARD GARDNER]

18le multiples racines de la connaissanceVEA VECCHI

22 [GUNILLA DAHLBERG]

24la ville: ses images, ses idées, ses théoriesTIZIANA FILIPPINI SIMONA BONILAURI MARA DAVOLI GINO FERRI

27 [JEROME BRUNER]

28réflexions, théories et expériences pour un projet éducatifbasé sur la partecipationPAOLA CAGLIARI ANGELA BAROZZI CLAUDIA GIUDICI

31 [IRENE BALAGUER]

Nos remerciements aux écoles municipales de Reggio Emilia de leur aimable collaboration ;Illustrations (photos et dessins) aux centres municipaux Infant-Toddler et crèches de Reggio Emilia.©2004 Ville de Reggio Emilia.

Pour les photos de Luigi Ghirri © Archivio eredi Luigi Ghirri. Nos remerciements à Paola Ghirri pour son aimable collaboration.

Pour la photo de Martha Rosler © Martha Rosler, 1966-72. Courtesy Gorney Bravin + Lee, New York.

Photo de Luigi GhirriThéâtre municipal 1987 - Reggio Emilia

Enfant d’Europe 2004.........................................................................

Editeurs responsables: Perrine Humblet et Marie Nicole Rubio

Rédacteur en Chef: Peter Moss

Version italienne réalisée par Luisa Carminati,Ilaria Cavallini, avec la collaboration de ClaudiaGiudici et Annamaria Mucchi

Traductions: Jane McCall, Francesca Davoli,Ilaria Cavallini, Danièle Fayer

Graphisme: Ilaria Cavallini, en collaborationavec Isabella Meninno

Imprimé par Litonova, Gorle (BG)

Février 2004

...la raison et le rêve sont choses qui ne vont pas ensemble.Ils lui disent que le cent n’existe pas.Mais l’enfant dis: au contraire le cent existe.

En février prochain, la ville de Reggio fêterale 40è anniversaire de l’inauguration de sonpremier centre municipal de la petiteenfance. Des personnes viendront dumonde entier pour se joindre à la fête. Eneffet, depuis 1964, Reggio est le théâtre del’une des expériences les plus significativesdu monde en matière de petite enfance.Chaque année, des milliers de personnesvisitent la ville pour la découvrir. Depuis1981, l’exposition de la ville de Reggio “Lescent langages des enfants” a parcouru lemonde entier, accompagnée par desorateurs originaires de Reggio, totalisant surles 22 dernières années, 112 apparitionsdans 103 villes réparties dans 23 pays. Des“réseaux Reggio” ont vu le jour dans 13 pays,y compris l’Australie, les Etats-Unis, la Corée,le Royaume-Uni, l’Allemagne, les Pays-Baset les cinq pays nordiques. Le travail réaliséà Reggio a donc eu des résonances nonseulement dans le monde anglo-saxon, maisaussi dans de nombreuses autres régionsd’Europe, ainsi que dans certains paysd’Asie et d’Amérique latine. Mais qu’est-ce que Reggio? Et commentfaut-il interpréter ce rapport que la villeentretient avec tant de monde et tant delieux du monde entier? Ville de quelque 150.000 habitants, Reggiose trouve en Emilie Romagne, une régiondu Nord de l’Italie, l’une des plus richesd’Europe. Sa population a augmenté aucours des dernières années en raison d’unafflux d’immigrés venus du monde entier,contribuant à la création de ce que SandraPiccinini appelle la “nouvelle Reggio”. Laville est ancienne et de taille confortable et,selon les observations de Jérome Bruner,“on y rencontre une forme de courtoisierare, une sorte de précieux respect mutuel”.Reggio, c’est aussi un réseau de 33centres pour jeunes enfants, les uns pourenfants âgés de quelques mois à 3 ans(nidi), d’autres pour enfants âgés de 3 à 6ans (scuole dell’infanzia). Les articlessuivants désigneront respectivement cescentres par les termes de “crèches” et“écoles maternelles”; et sous le termecollectif de “centres de la petite enfance”ou “écoles municipales”. Le réseau a étéconstruit et soutenu par la municipalité; il

est donc le fruit d’un gouvernement localfort et démocratique.Mais il importe avant tout de savoir queReggio est un centre de la pensée et de lapratique pédagogique, pénétré de valeursculturelles, qui a intégré les centres de lapetite enfance dans l’espace social etpolitique. Dans les articles qui suivent, lesauteurs – locaux ou membres des “amis deReggio”, présentent quelques-unes desidées et des pratiques les plus importantesde Reggio à l’heure actuelle. Il est importantde le souligner car Reggio connaît uneévolution et un renouvellement constants, etreconnaît le temps présent commeprovisoire et contestable. Reggio n’est pasun modèle stable dont les résultats sontconnus d’avance, mais un lieu oùquestionnement et incertitude, changement

et innovation sont les bienvenus.Parmi les personnages qui ont le plusinfluencé Reggio se trouve Loris Malaguzzi(1920-1994), grand penseur pédagogue,premier directeur des centres municipauxde la petite enfance. Son influence seretrouve partout à Reggio, y comprisaujourd’hui, 10 ans après sa mort. Elle setraduit par la volonté de franchir lesfrontières de la psychologie et de lapédagogie orthodoxes, le désir de créerdes liens et de découvrir de nouveauxrapports. Elle prône le scepticisme àl’égard des certitudes et de la progressionlinéaire et l’amour de la complexité,l’innovation et la pensée différente. Et enfin,

elle se traduit également, selon la formuled’Alfredo Hoyuelos, par la pédagogie de latransgression, mais aussi de l’espoir et desattentes.Comme point de départ, Malaguzzi avaitposé une question difficile: quelle imageavez-vous de l’enfant? Comme le révèle sonentrevue avec Carlo Barsotti dans cenuméro, sa réponse était claire, optimiste etforte. L’image est celle d’un enfant plein derichesses, “qui possède de nombreusesressources à la naissance et un potentielextraordinaire qui n’a jamais cessé de nousétonner... c’est celle d’un enfant doué pourlequel il nous faut un professeur doué”. Cetenfant, expliquent Paola Cagliari et sescollègues dans leur argumentation, est unconstructeur actif de connaissances. Selonles termes de Vea Vecchi, “il est né commeun tout et l’ensemble de ses sens tendent àse mettre en rapport avec le monde quil’entoure pour le comprendre”. Hélas, tropsouvent nous nous retrouvons “coupés entranches”. Arrivés à l’heure de l’écoleobligatoire, nous risquons d’avoir gaspilléces ressources et ce potentiel, faisant del’enfant riche un enfant pauvre: au lieud’adapter l’enfant à l’école, nous avonsbesoin d’écoles adaptées aux enfants.Des idées d’une grande puissance pointentainsi à l’horizon, non seulement au sujet del’enfant mais aussi au sujet de laconnaissance et de l’apprentissage.L’apprentissage n’est pas la transmissiond’un corps défini de connaissances, queMalaguzzi appelle la “petite” pédagogie.L’apprentissage est constructif; le sujetconstruit sa propre connaissance, maistoujours dans une relation démocratiqueavec les autres et dans un espritd’ouverture vis-à-vis des points de vuedifférents, car la connaissance individuelleest toujours partielle et provisoire. Vu souscet angle, l’apprentissage est un processusde construction, de mise à l’épreuve et dereconstruction de théories, un phénomènequi crée sans cesse de nouvellesconnaissances. Les enseignants comme lesenfants apprennent à tout moment.L’apprentissage lui-même est le sujet d’unerecherche permanente, et doit être renduvisible en tant que tel.

2 Enfant d’Europe

Qu’est ce queReggio?Peter Moss et Carlina Rinaldi

“Dépasser les frontières” - 2004Détail de l’affiche du Congrès international de ReggioEmilia qui célèbre les 40 ans des crèches municipales.

L’une des méthodes pour ce faire est ladocumentation pédagogique, qui consiste àalimenter les processus d’apprentissage demultiples façons de sorte qu’ils puissentêtre partagés, discutés, réfléchis etinterprétés. Telle que la décrit Vea Vecchi, ladocumentation pédagogique est “unesource unique de connaissance... c’est unmatériel précieux pour les enseignants, maisaussi pour les enfants, pour la famille etpour quiconque souhaite approcher lesstratégies de la pensée enfantine”. Dans ceprocessus, un rôle important revient auxpédagogues, aux éducateurs expérimentésqui travaillent chacun avec un nombre réduitde centres afin d’aider à approfondir lacompréhension de l’apprentissage. La fameuse métaphore de Malaguzzi “lescent langages des enfants” a incité la villeReggio à développer des ateliers où deslangages visuels peuvent être utilisés dansle cadre du processus complexe deconstruction de la connaissance. Cesateliers sont “un moyen de bâtir des pontset des rapports entre des expériencesdifférentes”. Ils contribuent à créer desliens, création essentielle à l’approcheadoptée par Reggio en matière d’éducation.Vea Vecchi, l’une des participantes auxateliers, souligne combien les écoles pourenfants plus grands “rejettent ces langagesexpressifs”. Deux mots sont souvent utilisés par Reggiopour décrire son travail pédagogique:écoute et relations, les conditionsessentielles de l’apprentissage. A leur tour,ces mots reflètent des valeurs culturellesprofondément ancrées: la solidarité, ladémocratie et la participation. La‘participation’ fait l’objet de l’article dePaola Cagliari et ses collègues, qui ladécrivent non pas “simplement commel’implication des familles dans la vie del’école”, mais comme “une valeur, un traitd’identité de l’expérience tout entière, uneconception des personnes impliquées dansle processus éducatif et une conception durôle de l’école”. L’individu et le groupe sont,non pas en conflit, mais entièrementcomplémentaires: comme l’observe VeaVecchi “l’apprentissage individuel estétroitement lié à l’apprentissage en groupe

et fonction de ce dernier”. Le dialogue setrouve toujours au coeur de la participation.L’histoire des 40 dernières années deReggio est celle d’un dialogue constant,tant au sein de la ville qu’avec le reste dumonde, un mélange d’éléments locaux etmondiaux. Les relations ne concernent passeulement les enfants, les parents et lesenseignants entre eux. Les rapports entreles centres de la petite enfance, lacommunauté plus large et la ville elle-mêmesont tout aussi importants. L’enfant est uncitoyen actif de la ville, un citoyen modernequi vivra également l’avenir, un citoyen dotéde droits mais aussi constructeur d’uneculture qui contribue activement à la vie dela ville, capable de poser des questions,d’amener des réflexions et de la créativitédans cette vie. Comme le souligne clairement l’article deSimona Bonilaura et ses collègues, la ville –son environnement physique mais aussi laculture dont elle est porteuse – revêt la plushaute importance aux yeux de chaquepersonne impliquée dans les centres de lapetite enfance de Reggio. Comme lesenfants explorent la ville et préparent unguide intitulé Reggio Tutta, la ville devient lesujet même du type de projets quicaractérise si bien Reggio. Répétonstoutefois que le concept de citoyennetén’est pas seulement local, il est aussiglobal. Vous constaterez que nos articlesfont souvent référence à la recherche, carce concept est important pour Reggio.Nous ne faisons pas allusion à la recherchemenée par des spécialistes extérieurs, maisà celle qui s’inscrit dans une pratiquequotidienne, que tout un chacun peut mener– l’enfant chercheur, l’enseignant chercheur,le parent chercheur. La recherche est unehabitude de l’esprit, une attitude, que l’onpeut développer ou négliger. La rechercherépond à la curiosité et au doute. Elleconstruit de nouvelles connaissances,remplace la pensée critique, fait partie de lacitoyenneté et de la démocratie. Commetout à Reggio, la recherche n’est pas uneactivité solitaire, mais un processus derelations et de dialogue.Comment faut-il percevoir Reggio 40 ansaprès? Certainement pas comme un

modèle ou un programme à appliquer demanière uniforme en suivant les instructionssur l’emballage! La pensée et la pratiquepédagogiques de Reggio sont nées d’uncontexte et d’un choix politiques et éthiquesbien particuliers. D’autres peuventnéanmoins s’en inspirer pour élaborer leurtravail et leur pratique propres, non pasdans un processus de reproduction mais deconstruction de quelque chose de neuf.Par-dessus tout, peut-être, à l’heure où laconformité s’impose de plus en plus à lapetite enfance, Reggio donne de l’espoir.L’espoir qu’il est possible de penser et agirdifféremment, de devenir un îlot derésistance et de créer un projet culturellocal qui ait le courage de vivre avecl’incertitude et le changement. A en croire Howard Gardner, les centres dela petite enfance de Reggio “se posent enbrillant testament des possibilitéshumaines”.

Carlina Rinaldi était directrice pédagogiquedes centres municipaux de la petite enfancede Reggio Emilia. Elle est à présentconsultante pédagogique au service desEnfants de Reggio Emilia et professeur àl’Université de Modène et de Reggio Emilia. Pour de plus amples informations, veuillez lacontacter à: [email protected]

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Peinture grand format réalisée par des enfants de 4 et 5 ans,

école maternelle Diana.

Enfant d’Europe 3

G. Une longue aventure unit la ville àl’expérience de ses crèches et de sesécoles maternelles.P. Cette grande aventure d’hommes et defemmes (les protagonistes sont surtout desfemmes) a été possible grâce à un travailintelligent et passionné mené au jour le jour.Une expérience qui, au fil du temps, s’estrenouvelée et a évolué, consciente destransformations sociales et culturelles. Uneaventure qui a accordé une grande attentionaux nouvelles découvertes scientifiquesconcernant les enfants et les théories del’apprentissage. Tout ceci a donné lieu à undialogue ininterrompu entre les enfants, lesécoles et la cité.

Selon Howard Gardner, “le succès leplus important d’une expériencecomme celle de Reggio Emilia est lamise sur pied d’une communautééducative”.Je crois que cela est très vrai. Un autre amiaméricain, Jérome Bruner, a dit “qu’il n’estpas possible de comprendre les écoles deReggio sans connaître la ville et lacommunauté qui a les construites etmaintenues.”

Raconte-nous comment s’estdéveloppée la relation entre lesCrèches et Ecoles MaternellesMunicipales et la ville, et quels sontles problèmes qui se présententaujourd’hui.Il convient de dire que c’est une histoire detravail intense, de joies, de conflits et deperpétuelles discussions. Le mêmeGardner affirme qu’”il ne peut y avoirabsence de conflit dans une ville dynamique”. Reggio Emilia est une ville de 150.000habitants située dans l’une des régions lesplus riches du Nord de l’Italie. Au cours desdernières années, la ville a changé trèsrapidement. La population de Reggioconnaît une constante croissance depuistrente ans, mais au cours des dernièresannées, cette croissance s’estconsidérablement accélérée, avec uneaugmentation de 18.000 habitants.

Les raisons sont principalement liées à troisphénomènes: - l’augmentation du nombre de personnesâgées. En Italie comme en Europe, lalongévité moyenne s’est considérablementélevée- l’augmentation des naissances, ce quireprésente un phénomène unique parrapport aux données nationales et aux citésvoisines- un développement significatif del’immigration, du Sud de l’Italie comme dureste du monde.Je pense qu’il est important d’analyser cesphénomènes de manière plus approfondie.A Reggio, l’augmentation des espérancesde vie implique que quelque 10.000personnes âgées vivent seules. Plus de lamoitié d’entre elles sont des femmes. Latendance a commencé à s’inverser à lamoitié des années ‘80. Auparavant, ReggioEmilia était l’une des villes du Nord del’Italie au taux de natalité le plus bas. Lefaible taux de naissance du début desannées ‘80 explique pourquoi il n’y a pasbeaucoup de jeunes aujourd’hui à ReggioEmilia. Les jeunes de moins de 18 ans nereprésentent que 16% de la population,tandis que les plus de 60 ans représentent26% de la population.Les immigrés représentent 6% de lapopulation reggiane. Ce sont, pour laplupart, des personnes et des famillesjeunes. Ils constituent 11% des citoyensâgés de 25 à 39 ans. Les enfants nés defamilles immigrées représentent 10% de lapopulation âgée de 0 à 4 ans. L’augmentation des naissances et lephénomène migratoire ont contribué à“rajeunir” la ville de Reggio Emilia.

4 Enfant d’Europe

Une ville en pleine évolutionAmelia Gambetti interroge Sandra Piccinini

Ci-dessus: Peinture grand format decoquelicots.Ci-dessous: Moment de détente avant laréalisation des coquelicots, école maternelle Diana.

Population locale, Reggio Emilia, 1970-2002

Reggio Emilia connaît de nombreuxchangements.Pour la première fois, Reggio connaît uneimmigration internationale, l’échange et larencontre avec de nombreux groupes venusde pays différents. A Reggio, il y a plus de100 groupes différents. L’immigration laplus importante est celle du Maroc. Elle adébuté à l’aube des années ‘80 et a étésuivie par l’arrivée d’individus et de famillesvenus de Chine, d’Albanie, du Ghana, deTunisie, d’Egypte et, depuis la moitié desannées ‘90, de l’ex-Union Soviétique, deBosnie, de Serbie et dans une moindremesure, de Pologne également.

On peut parler aujourd’hui d’unenouvelle Reggio...En effet. Je crois que la “nouvelle Reggio”sera davantage visible dans les prochainesannées, y compris en raison de latransformation de certains lieux quideviendront des symboles de cechangement. La plus grande transformationaura lieu au nord de la ville, où se trouvaientautrefois les grandes usines. La municipalitéde Reggio a acheté une vieille fonderiedans cette zone et y a installé le “Centre dela Danse”. Elle a également fait l’acquisition d’unétablissement appartenant à Locatelli, quideviendra un Centre International del’Enfance. Le Centre sera un lieu derecherche internationale sur les thèmes quitraitent de l’élaboration des connaissanceset de l’apprentissage chez les enfants et lesadultes, un espace de rencontre entredifférentes cultures s’interrogeant sur lasignification de l’éducation aujourd’hui. Cesdernières années, de nombreuses villes sesont mises à convertir d’anciens espacesindustriels inutilisés. A Reggio Emilia, nousessayons d’influencer fortement cestransformations urbanistiques, afin que laculture puisse devenir un “moteur” de

développement et de transformation de laville. Les lieux de travail du siècle dernierredeviennent de nouveaux lieux de travail ausein desquels nous pouvons agir et penserensemble.

En quoi croyez-vous que ceschangements influenceront lecaractère de la ville?La ville prend quelques grands risques enfaisant face à ces changements. Lesdécisions à prendre suscitent un grandintérêt. Cette attention se muera-t-elle enpeur, peur de perdre ce que nous avonsacquis?Une ville comme Reggio, à l’économieflorissante et au système social solide,risque de devenir “aisée” et conservatrice.Je crois que notre travail consisteprécisément aujourd’hui à aller à l’encontrede tout mouvement conservateur.

De quoi dépend la réussite de votretravail, selon vous?Je crois qu’il est avant tout nécessaire deprocéder à d’importants investissementsculturels, pour tous les citoyens. Cesdernières années, nous avons intensifié ledéveloppement de l’Université de Reggio.Nous sommes convaincus qu’un citoyenplus cultivé et plus instruit sera d’autantplus capable d’affronter la complexité et leschangements de la société contemporaine. Pour arriver à ce résultat, nous veillons à ceque se développe une relation intense entrel’école et la culture. A cet égard, noussommes en train de mettre sur pied desexpériences intéressantes en organisantdes expositions en collaboration avec lesécoles. Je suis d’avis qu’école et culturesont inséparables. L’école produit uneculture constamment “rénovée” lorsqu’ellefait preuve d’un respect réel envers lesjeunes et les enfants et envers ce quejeunes et enfants sont capables d’apporter

à l’école et à la vie. Pourtant, les jeunes etles enfants sont souvent des sujets nonreconnus. Si la culture se sépare de l’école,il devient impossible, pour la communauté,la ville, de faire face aux grandes innovationset changements sur le plan social, culturel,économique.Nous nous efforçons également demaintenir une forte participation descitoyens dans la vie publique. Nous noustrouvons au coeur de grandestransformations et avons donc besoin deredéfinir nos projets et nos accords avecles citoyens. Nous ne pouvons tenir nosévaluations pour acquises et absolues.Nous sommes conscients qu’il n’existe pasde recettes prédéfinies, qui fonctionnentpour tous. Chaque ville, chaque lieu doittrouver son chemin en fonction des choixdes autres, à travers les échangesd’expériences.Dans un moment comme celui-ci, si pleinde changements et de craintes quant àl’avenir, je crois qu’il importe encore plus desouligner ce que Loris Malaguzzi nousrappelait sans cesse: “les enfants sont dessujets de droit et des constructeurscapables de culture”. Il s’agit là d’une“prémisse essentielle pour élever lacondition de citoyenneté des personnes”.C’est ce que nous essayons de faire àReggio, créer les prémisses d’un avenirmultiethnique, en construisant le nouveausens collectif de la citoyenneté.

Amelia Gambetti est Coordinatrice de Reggio Childrenet Liaison pour la consultation aux é[email protected]

Depuis 1990, Sandra Piccinini est assesseur auxécoles pour la municipalité de Reggio Emilia et depuis1999, assesseur à la culture et aux savoirs. Elle estactuellement présidente de la nouvelle InstitutionScuole e Nidi dell’Infanzia di Reggio Emilia.Pour obtenir des informations:[email protected]

Enfant d’Europe 5

Des enfants visitent le théâtre Arioste, d’après Le rideau édité par Reggio Children.La tour de Reggio, d’après Reggio tutta éditépar Reggio Children.

6 Enfant d’Europe

Loris Malaguzzi est à la fois l’inspirateur etl’un des principaux acteurs de l’aventureéducative de Reggio. Il a consacré toute savie à la construction d’une expérienceéducative de qualité, qui, se basant sur uneécoute attentive, le respect et lareconnaissance des potentialités desenfants, soit capable de légitimer leur droità être éduqué dans des contextes penséset construits de façon à correspondre àleurs capacités. Son travail avec les enfantsprésente deux constantes: la projection et laconfiance dans l’avenir. Une pédagogie dela transgression qui lutte contre l’habitudeet l’ennui et poursuit la transformation del’utopique en possible, et du possible enréel.Loris Malaguzzi est né à Correggio en1920. Pendant plus de cinquante ans, il vit,étudie, projette et réalise des expériencesconcrètes à Reggio Emilia, ville danslaquelle il construit son oeuvre pédagogiqueuniverselle. Si on le connaît surtout pourson oeuvre éducative, il était égalementgrand sportif, metteur en scène de théâtreet journaliste et a dirigé la rédactionreggiane du Progresso d’Italia de 1947 à1951.Jusqu’à sa mort en janvier 1994, Malaguzzia inlassablement continué à travailler àd’innombrables projets, toujours avec le

même objectif: lutter courageusement pourle développement des potentialités de tousles enfants, filles et garçons, les femmes etles hommes, où qu’ils soient. N’hésitonspas à qualifier Loris de personnageincommode, éternellement insatisfait etinfiniment créatif dans sa volonté et sacapacité de transgresser, sur le plan del’esthétique, les limites imposées par laculture et la tradition pédagogiques.L’important, pour lui, était de douter desvérités les plus rigides qui freinent lapossibilité de penser différemment. C’estce que représente le concept, qu’ilaffectionnait tant, de la nouveauté, del’innovation, au sens d’étrangeté et desurprise.

Comme un puzzleL’évolution de sa pensée et de son oeuvreest en grande partie marquée par ses choixprofessionnels et politiques. Sa formationtrahit quelques intérêts intellectuelsparticuliers qui font référence de manièreexplicite ou implicite aux oeuvres de Piaget,Marx, Rousseau, Gramsci, Dewey,Vygotski, Wallon ou aux théories de laGestalt, sans parler de divers romans,poésies et oeuvres littéraires importantes.Mais cette apparente orthodoxiepsychologico-politique initiale s’interrompt

lorsqu’il introduit dans sa formation l’art, lesétudes neurologiques, la biologie, la chimie,les théories des systèmes complexes et toutce qui dépasse le cadre du bagagepédagogique. En analysant sa pensée et son oeuvre, nousavons noté la présence de pédagogues etde psychologues, contemporains et plusanciens. Mentionnons aussi lesphilosophes, les historiens, les artistes, lessociologues, les scientifiques, les linguistes,les poètes et les anthropologues. Parmi denombreux autres noms, nous avons relevéceux de Freinet, Freire, Ferrière, Picasso,Klee, Bateson, Varela, Montalcini, Edelman,Bronfenbrenner, Montessori, Morin,Prigogine, Mead, Peirce, Heidegger, Sartre,Makarenko, etc. Tous semblent trouver unécho dans ses idées et dans ses actions,même si la voix est différente. Sa méthoded’étude s’apparente à la construction d’unpuzzle dont on ne connaît pas l’image finale.De fait, il n’est prisonnier des idées depersonne. Humaniste, il aime puiser à toutesles sources pour constituer son proprecourant. Il actualise et métabolise tous lesauteurs et s’adonne envers eux à unerigoureuse et sacrilège opération de“trahison”.La pédagogie “malaguzzienne” estcomplexe: il se “permet” des interprétations

Une transgression esthétiqueAlfredo Hoyuelos

Travailler avec les enfants, c’estavoir peu de certitudes et de

nombreuses incertitudes; ce quinous sauve, c’est la recherche, le

refus de perdre le langage del’émerveillement qui persiste au

contraire dans les yeux et l’espritdes enfants. Il faut avoir le

courage de réaliser obstinémentdes projets et des choix. Telle est

la tâche de l’école et de l’éducation.

Loris Malaguzzi

Enfant d’Europe 7

suggestives, divergentes et indépendantessur le monde, opposées à l’idée d’uneprogression linéaire et accumulatrice; il faitpreuve de scepticisme vis-à-vis descertitudes passées, présentes et à venir; ilest capable de s’affranchir des canonshégémoniques de la pédagogie et de lapsychologie. La pédagogie de Malaguzzi est aussiesthétique en raison de sa capacité derévélation, capacité de montrer l’essentielsous des angles nouveaux, en rapprochantdes éléments apparemment éloignés.Esthétique aussi par sa propension à setransgresser soi-même sans se trahir, et enmême temps par son attitude vis-à-vis d’unecommunication énigmatique, métaphoriqueet symbolique qui multiplie les images quenous avons du monde et de l’enfance.

Une école transparenteElaborer, enrichir à partir du fruit desobservations faites en travaillant avec lesenfants, est l’une des clés de la pensée deMalaguzzi. Cette pratique recèle non seulement le fondidéologique et éthique du conceptd’éducation et d’école transparentes, maisaussi l’idée esthétique d’offrir une imageadéquate et relationnelle (où la forme estunie au contenu) de l’enfance. Elle dévoileen outre la réflexion politique, selon laquellece que l’école fait doit avoir une visibilitépublique de façon à “ restituer “ à la ville ceque la ville investit en elle.L’exposition sur “ Les cent langages desenfants “ illustre à merveille le sens de ladocumentation. Réalisée en 4 exemplaires,en raison des demandes incessantesd’exposition, et mise à jour en permanence,elle parcourt le monde depuis 20 ans etreprésente la meilleure oeuvre monumentaleécrite par Loris Malaguzzi et les écoles deReggio. Dans le monde de la pédagogie, on affirmeavec naïveté que Malaguzzi a peu écrit, cequi indique à quel point le conceptacadémique de l’écriture est réducteur etrigide. Quand la pédagogie accordera salégitimité aux images (les photographies, legraphique, la vidéo…), et par conséquent aulangage visuel, comme écriture, elle pourrareconnaître et “lire” enfin les nombreuses“encyclopédies pédagogiques” deMalaguzzi et de l’expérience vécue à Reggio.Quelle que soit sa forme, le travail derecherche est en outre un merveilleuxinstrument de dialogue, d’échange, deconfrontation. Pour Malaguzzi, elle offre lapossibilité de discuter et de dialoguer ausujet “de tout avec tout le monde” (leséducateurs, les auxiliaires, les cuisinières,les familles, l’administration et les citoyens).Cet aspect est un trait fort de l’identité duprojet de Reggio.La confrontation par le biais de la recherchedocumentée présuppose en effet lacapacité de discuter de questions réelles,et non pas seulement de théories et de

paroles à propos desquelles, en toutebonne foi, il est facile de s’accorder.

Se sentir à la fois protagoniste etresponsableLa pédagogie “ reggiane “ est participativecar elle croit, comme le lui a enseigné latradition, que le lieu où l’on rencontre ledestin futur et incertain de l’être humain setrouve dans la force de la communauté, làoù participer signifie “ faire partie “, sesentir à la fois protagoniste et responsabledes réalités présentes et futures.Sa pédagogie est relationnelle etsystémique dans la mesure où elle voit lesrapports avant que les sujets se mettent enrelation. Ce système est non seulementouvert à l’environnement qui l’accueille maisest aussi organisé et structuré de manièreflexible et dynamique, de sorte qu’il estcapable de s’autogénérer dans un dialoguepermanent avec le monde. Sa pédagogie est constructive parce qu’ellecroit que le sujet est celui qui construit, - demanière laïque, avec les autres et dans ladémocratie – sa propre culture, sa propreépistémologie, sa propre façon de voir lemonde, sachant pertinemment que cettevision n’est que partielle, ouverte à d’autresregards possibles.

Un avenir incertain, mais plein depossibilitésDans les crèches et les écoles de Reggio,le travail avec les enfants rime avecespérance et foi en l’avenir. Sans avenir, on ne peut nourrir aucuneespérance. Nous parlons d’un avenirincertain, plein de possibilités. C’est ce quel’enfant recherche, ce qu’en définitive, nousdésirons tous: améliorer nos possibilités ensuivant ce “fil d’Ariane” qui nous projette denos racines vers notre devenir. Attente et espérance sont deux conceptsqui s’autodéfinissent. Deux idées, deuximaginaires dont l’éducation du futur peuts’imprégner si, en nous basant sur notreexpérience, nous croyons résolument dansles possibilités ignorées des enfants.

Cet article est tiré des conclusions de la Thèse deDoctorat Européen intitulé “La pensée et l’oeuvrepédagogiques de Loris Malaguzzi et sesrépercussions sur l’éducation de la petite enfance”.Alfredo Hoyuelos est Docteur en science del’éducation auprès de l’Université de Pampelonne. Il travaille également comme responsable d’atelierauprès de services à l’enfance de [email protected]

Ci-contre à gauche: Loris Malaguzzi, Danemark, 1992Photo de Luigi Ghirri, Reggio Emilia, 1985

En dessous: Illustration d’après l’ouvrage Tutto haun’ombra eccetto le formiche (Tout a une ombre sauf

les fourmis), édité par Reggio Children.

Cette page, ci-dessus: Illustration tirée de l’ouvrageTutto ha un’ombra eccetto le formiche (Tout a une

ombre sauf les fourmis), édité par Reggio Children.A droite: Photo de Martha Rosler,

House beautiful: the colony.

Dans le Dictionnaire deWittgenstein, il y a un passageextraordinaire, où il écrit qu’il aconnu une fillette avec laquelle ilavait longuement parlé (et qu’ilconnaissait donc parfaitement bien),jusqu’à ce qu’un jour l’enfant l’aitapproché en lui disant: “Tu sais,j’espère que...”. C’était la première fois qu’elleutilisait le mot “j’espère”, “l’espoir”;et l’auteur écrivait que ce fait l’avaitbouleversé à tout jamais. Quel est lesens profond d’une enfant qui ditpour la première fois “J’espèreque”? A quel moment l’espoirpénètre-t-il comme la lumière dans lavie de l’enfant et pourquoi? Si nousvoyons l’avenir comme mesure,comme ligne, comme espace,comme temps, alors nous nousrendons compte que nous avonstoujours un besoin urgent, un besoinénorme de toutes ces questions.

Loris Malaguzzi

Loris Malaguzzi est sans aucun doute unefigure de proue dans le monde actuel de lapédagogie italienne et internationale. Pour analyser son oeuvre, il convient de lareplacer dans le contexte historique desservices à l’enfance en Italie: naissancedes premières “salles de garde” au débutdu 19è siècle, dont le seul souci –purement philanthropique – est d’assurerun lieu sûr à l’enfant pendant que lesparents travaillent. Les premières écolesmaternelles créées par Ferrante Aporti(1791–1858) représentent un progrèscertain, car Aporti souligne que ces lieuxd’accueil doivent également se charger despremiers apprentissages des enfants.L’expérience des Jardins d’enfantsfroebéliens est tout aussi importante. Ils serépandent en Italie de Nord dans les deuxdernières décennies du 19è siècle etcontribuent à valoriser le rôle du jeu dans lacroissance des petits.Toutefois, ce sont les projets éducatifs dessoeurs Rosa et Carolina Agazzi et MariaMontessori à la fin du 19è, qui laisserontdes traces au siècle suivant. Les premièresréalisent leur expérience à l’Institut deMompiano, près de Brescia, où ellesélaborent leur propre méthode éducative.La dimension religieuse y est essentielle,ainsi que la vie familiale, qui préside auxactivités de l’école maternelle. En effet, lesenfants font à l’école ce qu’ils doivent faireà la maison: mettre la table, faire leurménage personnel, maintenir les locaux enordre, etc. La méthode de Fröbel laisse enhéritage la conception spontanéiste del’éducation et l’importance du jeu. RosaAgazzi (1866–1951) critique la rigidité deFröbel et n’accepte pas le principe des“dons” standardisés. Plutôt, elle élabore laproposition originale de créer un “musée

des babioles”, constitué de tout le matérieloccasionnellement apporté par les enfantsà l’école (1).A la même époque, Maria Montessori(1870–1952) effectue d’intéressantesexpériences. Son travail initial consiste àdévelopper des initiatives avec des enfantssouffrant de handicaps. Elle crée lesMaisons des Enfants (dont la première àRome en 1907) et propose ensuite untravail largement basé sur les expériencessensorielles et sur l’auto-éducation, àl’appui notamment de matériel structuréoriginal et stimulant. La méthode deMontessori éprouve toutefois des difficultésà s’affirmer en raison de ses racinesscientifiques et des sympathies laïques etsocialistes initiales. En revanche, le projetdes soeurs Agazzi réussit à s’imposerparce qu’il est modérément innovateur, nedemande pas de matériel coûteux etn’exige pas de longue préparation de lapart des institutrices. Ce succès s’expliqueégalement par le désintérêt du régimefasciste vis-à-vis des institutions infantiles etensuite par le fait que le parti de la majoritérelative d’orientation catholique qui gère leMinistère de l’Instruction publique, se sentrassuré par un projet éducatif simple etapprécié des nombreuses écolesmaternelles privées, gérées par descongrégations religieuses (2). Ce n’est qu’entre les années soixante etsoixante-dix que l’on assiste à un regaind’intérêt pour les institutions infantiles. Leboom économique et l’augmentation del’emploi féminin, les grandes migrations descampagnes vers les villes et du Sud vers leNord (qui marquent la disparition du réseaud’aide familiale et du voisinage), ontamplifié la demande de “lieux” destinés auxenfants. De plus, on assiste à une prise de

conscience accrue des droits sociaux et àune demande de participation de l’Etat qui,jusque là, avait totalement abandonnél’assistance des enfants aux congrégationsreligieuses catholiques. Une loi de 1968 (3)

instaure l’école maternelle publique et en1971, on obtient enfin la création de lacrèche. Par ailleurs, il est significatif deconstater que les municipalités“démocratiques”de l’Emilie Romagne, enparticulier, ont précédé l’intervention del’Etat et commencé à instaurer des écolesmaternelles municipales au cours desannées soixante, et, avec une implicationplus grande encore au cours des annéessuivantes (4).

Le rapport entre l’école et la sociétéLa municipalité de Reggio Emilia est leprécurseur de cette campagne et décidede construire les quatre premières écolesmaternelles le 19 avril 1962. Ainsi s’ouvrela première école maternelle de ReggioEmilia, en novembre 1963 (5).L’oeuvre et la réflexion de Loris Malaguzzis’inscrivent dans un contexte departicipation aux luttes du mouvementdémocratique et progressiste et d’initiativesqui relèvent de la pédagogie coopérative.C’est Malaguzzi lui-même qui constate parailleurs que sa formation et, en particulier,son souci du rapport entre école et société,se fonde tant sur son expérience politiqueque sur le fait d’avoir vécu avec d’autresdes moments particuliers comme ceux dela guerre et de l’immédiat après-guerre.L’ensemble de l’expérience des écolesmaternelles municipales de l’EmilieRomagne est fortement influencée par cetesprit “civil”, qui associe réellement lescitoyens à la gestion de la “chosepublique”. Les écoles municipales sontparticulièrement présentes dans les grandscentres, ce qui témoigne de la sensibilitépolitique des administrations de gauche etcorrespond à la présence de structures decoordination technique qui permettent auxinstitutions scolaires de se doter d’uneorganisation valable sur le planpédagogique et de répondre à leursbesoins sociaux et culturels (6).

Le projet de “gestion sociale”Les écoles maternelles municipales se fontconnaître par ailleurs, au cours des années

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Loris Malaguzzi et la revolutiondes écoles maternellesEnzo Catarsi

A gauche: ColloqueInternational “Chi sono iodunque?” (Qui suis-jealors?), Reggio Emilia1990.Intervenants: P.Freire,D.Hawkins, M.Lodi, L. Malaguzzi, R.Massa,S.Mantovani, P.Moss,A.Munari, T.Musatti.

Ci-dessus: Carte deReggio Emilia, d’aprèsl’ouvrage Reggio tutta,édité par Reggio Children.

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soixante-dix, en raison de la qualité de leurprojet pédagogique, qui tend àcontextualiser le processus éducatif et à luidonner une dimension historique enimpliquant dans sa gestion, non seulementles enseignants, mais aussi les familles etla communauté sociale au sens large. Telleest la perspective de ce qu’on appelle la“gestion sociale”, dont le sens culturel etpolitique est exposé avec une grande clartélors d’un séminaire d’études qui s’estdéroulé en 1971 à Reggio Emilia. Laparticipation des parents à la vie de l’écolematernelle s’inscrit dans le processus pluslarge de décentralisation et dedémocratisation de l’Etat, dont l’expressionla plus significative est l’institution deconseils de quartier et par conséquent deComités École-Société “. Dans ce contexte, Loris Malaguzzi note quel’école maternelle se caractérise par unrapport juste et correct avec la société etsa culture: “Nulle autre école ne déforme nine viole sa nature autant que l’écolematernelle, lorsqu’elle ne se rattache pas àla famille, aux coutumes, à la culture, auxproblèmes locaux et qu’elle s’empêche enquelque sorte de dialoguer librement etdémocratiquement avec l’environnementdans laquelle elle naît” (7). L’écolematernelle est donc considérée comme unagent important d’une “grande stratégiecivile”, qui vise à rendre la société auxenfants. Elle doit, dès lors, clairement fairecomprendre que l’organisation même d’uneville, que ce soit sur le plan régulateur,celui du commerce ou de la viabilité, doitêtre orientée vers la satisfaction desbesoins de ses citoyens les plus jeunes.“Les Comités École-Société et leursexpériences ne sont pas des instancesajoutées, mais intégrées et essentielles àcette école que nous essayons dedévelopper” (8). L’école maternelle estcomprise comme l’un des moteurs de latransformation sociale la plus complète,précisément parce qu’elle peut rendre lesparents et les citoyens conscients du rôleactif qu’ils peuvent jouer dans lechangement. Dans les conclusions du grand congrès de1971, Malaguzzi affirme que “la vraiequestion est de requalifier les valeurs quipeuvent se retrouver dans une interrelationjuste et réaliste entre le discourspédagogique et le discours social, et d’endépasser la séparation historique, qui nedoit rien au hasard”.

Caractère social et subjectif duprocessus éducatifLa réflexion de Malaguzzi ne prendpourtant pas en compte que la dimensionsociale du processus éducatif, elle estaussi très claire sur le rôle fondamental quel’enfant y joue et les stimulations qu’il yreçoit. Il souligne, en effet, depuis la fin des

années soixante, la nécessité de“réhabiliter” l’enfant, afin de reconnaître etvaloriser ses capacités et ses potentialités.En dégageant, dans la psychologie dePiaget, les éléments utiles à l’élaborationd’une pédagogie progressiste de l’enfance,il souligne aussi la nécessité de récupérerl’enfant dans son intégralité et écrit à cepropos: “Cela signifiera lui rendre ce quenous lui devons. Il ne s’agit pas seulementd’une dette envers son intelligence; c’estbien plus que cela: la restitution de sarecomposition, de son intégralité humaine”(9). Ces paroles recèlent sans aucun doute unsouci nouveau et original envers lasubjectivité et la spécificité de l’enfant,envers le caractère unique de la naturehumaine. Le plus grand mérite de cepédagogue de Reggio est d’ailleursprécisément celui d’avoir mis en évidenceles capacités de l’enfant, capacités qui nepeuvent se développer et s’enrichir qu’àtravers un rapport fécond avecl’environnement et la société au sein delaquelle l’enfant naît et grandit.

Notes(1) L’intérêt pour l’utilisation de matériels non structurésa continué de marquer la réflexion pédagogique etnous la retrouvons récemment dans la propositiond’Elinor Golfdschmied: “le panier aux trésors”.(2) Aujourd’hui encore, les écoles montessoriennesoccupent une présence marginale en Italie (uneFondation appelée Oeuvre nationale Montessori) pourle développement de l’étude de la penséemontessorienne et pour la divulgation de la méthode,une revue pour éducatrices éditée par l’Oeuvre etintitulée – Vita dell’Infanzia – (Vie de l’enfance), et unCentre d’Etudes qui organise des Masters biennaux àl’intention des pédagogues désireux d’ouvrir desécoles montessoriennes). En revanche, l’actionéducative de la grande majorité des écoles – surtoutcelles de l’Etat – s’inspire de la méthodologie dessoeurs Agazzi.(3) Les forces catholiques se sont farouchementopposées à l’institution de l’école publique. Lapremière proposition de loi, présentée en 1964, futrefusée et provoqua une crise politique si grave qu’ellecausa la chute du gouvernement. (4) L’école municipale n’a jamais été reconnue parl’Etat. Les actes législatifs distinguent seulementl’école de l’Etat de l’école paritaire. Les écoles desmunicipalités font partie de la catégorie des écolesparitaires au même titre que toutes les autres écolesprivées, et ce, en raison des statistiques et descontributions financières de la part de l’Etat. A l’heureactuelle, la gestion de l’école maternelle revient à 59% à l’Etat, à 19% aux municipalités et à 25% auxprivés. Cf. E. Catarsi, “L’asilo e la scuola dell’infanzia:Storia della scuola materna e dei suoi programmidall’ottocento ai giorni nostri”. (Les Ècoles maternelles:histoire de l’école et de ses programmes du 19èsiècle à nos jours, Florence, La Nuova Italia, 1994).(5) Cf. M. Mazzaperlini, “Storia delle scuole maternereggiane. Origini e sviluppi dell’educazione prescolarea Reggio Emilia” (Histoire des écoles maternelles àReggio. Origines et développement de l’éducationpréscolaire à Reggio Emilia), Reggio Emilia Futurgraf,1997, pp. 219 et 228.(6) Dans ce contexte, rappelons l’action de BrunoCiari, un instituteur qui a introduit la pensée de C.Freinet en Italie, chargé par la municipalité de Bolognede lancer l’expérience des l’écoles maternelle etinitiateur du système métropolitain bolognais d’écolesbasé sur la pédagogie active et la coopération.

(7) L. Malaguzzi “Una nuova sperimentazione”, (Unenouvelle expérimentation) in L. Malaguzzi, “Esperienzeper una nuova scuola dell’infanzia”, (Expériences pourune nouvelle école maternelle) Rome, Editori Riuniti,1971, p. 178.(8) ib., p. 177.(9) L. Malaguzzi, “L’utilisation pédagogique de lapensée de Jean Piaget”, in Riforma della Scuola, 12,1966, p. 28. Cfr. également L. Malaguzzi, “Una scuoladiversa per un bambino diverso” (Une école différentepour un enfant différent), in Infanzia, 10, avril 1975,pp. 3-4.

Enzo Catarsi est Professeur de Pédagogie Générale àl’Université de [email protected]

Signatures de parents, 1963. Détail d’une lettreadressée à la préfecture pour la création de écolesmaternelles municipales.Archives du Centre Municipal de Documentation,Reggio Emilia.

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Ce texte de Loris Malaguzzi est apparu sousla forme d’une interview réalisée en 1993par Carlo Barsotti – réalisateur suédoisd’origine italienne – dans le cadre de sonfilm “L’uomo di Reggio”. Cette interview est l’une des dernières deMalaguzzi, présentée ici dans une versiontranscrite et partiellement réadaptée etdevant donc être lue comme s’il s’agissaitd’une véritable traduction d’une langue àl’autre, c’est-à-dire, comme le sont toutesles traductions, une espèce de gentille“trahison”.Sa force réside dans le caractèreextraordinaire du récit et dans la possibilitéde retracer, à travers ses paroles et sonpoint de vue, la vision, les pensées, lesémotions du professeur Malaguzzi, l’histoireet les valeurs de l’expérience de Reggio.L’interview met en évidence la fraîcheurd’une pensée qui non seulement n’a rienperdu de son actualité, mais qui est aussicapable de se projeter dans l’avenir, unepensée dont la force peut encore setraduire par de nombreuses mises enpratiques, qui, si elles sont différentes decelle de Reggio, sont également capablesde replacer au centre du discourspédagogique, les enfants et les adultes quitravaillent au sein de l’école.

Nous tenons particulièrement à remercierCarlo Barsotti de sa gentillesse.

Le texte est transcrit par Ilaria Cavallini.

AVANCER SUR DES FILS DE SOIE ---------------INTERVIEW DE LORIS MALAGUZZI PAR CARLO BARSOTTI Tirée du film “L’uomo di Reggio” de Carlo Barsotti

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B. Raconte-nous comment acommencé ton expérience, lacréation d’écoles maternellesmunicipales?M. Le début de l’histoire coïncide avecl’épilogue de la guerre. C’étaient des temps durs, pétris de grandsespoirs. On reconstruisait les maisons, lesfamilles et les âmes. Il régnait une grandeenvie de reconstruire ce qui avait étédétruit, et surtout un sentiment depuissance que l’on éprouve au sortir d’uneterrible catastrophe: on se sent fort, ons’est forcément endurci.On a le sentiment que tout est possible,que l’on peut tout affronter.C’est dans ce contexte, dirais-je, que naîtl’épisode de Villa Cella, qui est l’origine denotre histoire. Une intuition, une solidedétermination de la part des femmes,conjuguée à la solidarité d’un petit bourgde paysans, d’ouvriers, agricoles etindustriels. Ce sont eux qui, entre 1945 et1947, érigent l’école de Villa Cella. Ilsveulent une école pour leurs enfants, pourles dédommager et c’est ici que l’histoirecommence. J’avais pour bagage trois ou quatre annéesd’enseignement comme instituteur deprimaire et je m’en étais toujours sorti enprenant les enfants pour guides. C’étaientles enfants qui m’enseignaient ce que jepouvais leur enseigner, et tel fut monchemin. Un chemin que j’ai parcourupendant longtemps et auquel je suisdemeuré fidèle. Avec le recul, je constatequ’aujourd’hui encore, le rôle des enfantscomme guides, comme incitants, commeprotagonistes et coprotagonistes del’expérience éducative, est resté une valeurà laquelle nous croyons. Cette pédagogie était spéciale, elle n’étaitécrite dans aucun livre; c’était unephilosophie populaire aux nombreuxaspects anarchisants sur le plan del’organisation de l’école, ses horaires, lerespect de ceux-ci. Nous vivions dans un monde encoreplongé dans une phase de reconstruction,dans un grand désordre en dépit d’unerecherche obstinée d’ordre.C’était en quelque sorte une pédagogie quidevait naître, si nous avions de la chance,de la rencontre des choses, desdemandes, des désirs, de notre capacité

de parler, d’écouter surtout et decomprendre les situations avant même d’enavoir prononcé les mots.C’était une pédagogie en recherche d’elle-même à travers les paroles et les besoins,les gestes, le désordre et l’anxiété desenfants et il en fut ainsi pendant longtemps. C’étaient des temps difficiles, y compris enraison des difficultés de créer une écolelaïque à l’époque. Toutes les institutionsétaient religieuses et cela durait depuis unsiècle. Une forme nouvelle d’expérience etde culture faisait son entrée et portait enelle une nouvelle image de l’enfance. Unegrande méfiance nous entourait, tout lemonde attendait que nous commettionsdes erreurs. Entre-temps, ces “ petitesécoles “ autogérées se multipliaient dans lesillage de Villa Cella, elles étaient huit puisneuf.

Parle-moi des femmes en particulier,elles qui furent tes premièrescollaboratrices…Je crois qu’il y a une autre caractéristiquequi vaut la peine d’être rappelée: je diraisque c’était une pédagogie explicitementféminine. L’initiative était celle de femmes dont laconscience avait mûri au fil des atrocitésde la guerre et à travers la lutte delibération, la lutte partisane. Et puis, il y avait sans doute à l’arrière-planle vieux discours socialiste. Lesconvergences étaient probablementnombreuses. Sans cesse plus robuste etplus forte, l’organisation des femmes étaitune force qui pénétrait tous les canaux dela société civile et de la société politique. D’une part, elles aspiraient à une familledifférente, au droit de travailler, de seréaliser, d’atteindre en quelque sortel’égalité avec les hommes. Et d’autre part,il y avait tout le grand univers des femmes,qui avait toujours été celui des enfants.Sans les femmes, une telle expérienceprivilégiée, autogérée n’aurait nonseulement jamais vu le jour, mais n’auraitpas non plus survécu.

En 1963, vous ouvrez les premièresécoles municipales... Oui. En 1963, la commune remportefinalement sa bataille et commence à gérerles premières institutions infantiles. Ce fut

Cettepédagogieétait spéciale,elle n’étaitécrite dansaucun livre...

Ci-dessus: Manifestation de femme, 1963.Archives du centre municipal de documentation,Reggio Emilia.Ci-dessous: Carlo Barsotti en compagnie de LorisMalaguzzi lors du tournage de “L’uomo di Reggio”(L’homme de Reggio), 1993, Reggio Emilia.

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Atelier, la école maternelle VillettaEn-bas: Illustration tirée de “Théâtralité”, une publication de lacrèche Bellelli.

une étape fondamentale, nécessaire pourla construction d’un lieu où l’on vitensemble du matin au soir. Au moment d’ouvrir, nous savions tous qu’ilne fallait pas se tromper. Avec lespremières institutrices, nous avions déjàcommencé à faire le tour de l’Italie, à larecherche de suggestions, observantd’autres expériences, le peu qui existait.Nous avons commencé à lire des livres, àdécouvrir les expériences éducatives quiavaient surgi entre-temps, qui naissaient àpeine ou avaient déjà un riche passé et ce,dans tous les pays d’Europe et dans lespays anglo-saxons. Nous avons commencé à élargir etdévelopper notre vocabulaire, composéd’expériences, de mots, de possibilités, deperspectives, d’initiatives. Tout ceci nous a donné la force decommencer à mettre de l’ordre dans leschoses. Nos objectifs se sont rapprochéset se sont enrichis en cours de route. De plus, une réflexion cyclique, chaquesemaine ou tous les dix jours, surl’expérience, ses difficultés et sesréussites, nous a fait adopter uncomportement extrêmement intéressant vis-à-vis de la culture pédagogique. Ce comportement est resté l’un de nospoints forts jusqu’à ce jour. En très peu detemps, nous avons réussi à élaborer unprojet culturel. Nous sommes devenuscapables de donner des conférences, deparler aux gens. Nous avons approfondinotre réflexion sur le plan des assimilationset des différenciations culturelles. Nous sommes allés à Genève (1) et avonsrécolté une grande quantité de suggestionset d’idées. Ces échanges nous ont permisde commencer à comprendre, à penser etréfléchir à partir de ceux qui, plus quenous, avaient intégré théorie et pratique.

Quelle forme l’approche del’éducation de l’enfance a-t-elle prisdans les années qui ont suivi?N’oublions pas que l’éducation desenfants, prise au sens véritable du terme,était un fait absolument nouveau. Face àelle, non seulement la formation desenseignants présentait des lacunes enmatière de connaissance et d’instruction,mais aussi, les familles ignoraienttotalement la possibilité de s’instruire. Il me semble que nous avons aussitôtcommencé à organiser des expositions enville. C’était un spectacle tout à faitnouveau et original pour les gens quicommençaient à voir que les enfantspouvaient travailler, raisonner, produire.C’était du jamais vu.A ce stade, nous étions devenus unmodèle qui dépassait les frontières de laville, de la province. Les invités et lesvisites se faisaient de plus en plusnombreuses. Dans les années 1970, les écoles étant

désormais connues, nous étions prêts àorganiser des congrès nationaux, lespremiers congrès nationaux laïcs. Nous en avons organisé un à Modène surle thème de la gestion sociale et laparticipation des familles. Ce dernier sujetest important pour nous. S’il était à l’originele fruit d’une intuition, il est toujours restéune valeur incontournable à nos yeux.Un an après, nous organisions un congrèsnational à Reggio. Au lieu d’une centainede personnes que nous attendions, nousnous sommes retrouvés le matin à 970 etavons dû déménager tout le congrès dansle grand théâtre municipal, où noussommes restés trois jours à discuterensemble. La soif de connaissances nouvelles étaitgrande, tous voulaient explorer,comprendre. C’était comme un grandmarché aux idées. Nous avons aussitôtédité un livre sur ces journées. Ce fut l’undes premiers livres laïcs italiens qui traitaitde l’éducation des enfants tout en seprofilant comme un événement historique,politique et culturel, une innovation en cequi concerne les matières et les thèmesscolaires, les compétences et les désirsdes enseignants.Une chose compta beaucoup pour nous: lalecture de nombreux auteurs, des auteursqui nous deviendront chers. Bien desimages qui nous restent encoreaujourd’hui sont nées dans les premièresdécennies de ce siècle. Elles sont liées àdes pédagogues originaires surtoutd’Europe centrale: Ferrière, Bovet puisPiaget, Decroly, Susan Isacc, puis, nousarrivant des Etats-Unis, Dewey et tous seslivres, suivi de Bruner. Nous étions riches,nous disposions de tous les instrumentsnécessaires pour améliorer, développer etrenforcer la culture. Les livres, lesexpériences, tout y était et nous avions lapossibilité de procéder à des échanges. En ces années de grande croissanceculturelle, nous avons fait deux rencontresexceptionnelles: Bruno Ciari et GianniRodari. Ciari travaillait à Certaldo en Toscane. Ilétait instituteur d’école primaire, uninstituteur particulier. En 1965, il fut appeléà Bologne pour coordonner et rénovertoutes les activités relatives à l’éducationdes enfants et il amenait avec lui sa grandematurité, sa vaste expérience didactique.Notre amitié est devenue très solide, nousavons organisé ensemble des congrès etde nombreuses rencontres;malheureusement, nous avions peu detemps devant nous, car Ciari est décédéen 1970. Il s’en est allé au moment où lespossibilités de développement et derecherche dans notre travail étaient à leurcomble.Gianni Rodari était écrivain, poète,philosophe, politicien et journaliste. Aveclui, nous avons conclu un grand pacte

12 Enfant d’Europe

...relier la recherche

Atelier peinture ouvert aux parents, 1964.Archives du centre municipal de documentation,Reggio Emilia.

Enfant d’Europe 13

d’alliance. Il avait souvent envie de venirnous voir, jusqu’à ce qu’en 1972, ildébarque à Reggio, avec toute sa“paperasse” et son livre écrit à la machine,intitulé La grammaire de la fantaisie, quideviendra par la suite un grand classiquede la pédagogie et de la créativité. Il l’ad’ailleurs dédié à Reggio Emilia.A l’époque, nous étions nombreux. Il nouslisait ses pages, nous exposait sesconcepts et en discutait avec lesinstituteurs, les enseignants des écolessecondaires, des écoles supérieures, avecles parents. Ce fut un fantastique “forum”de discussion. Mais la mort le guettait luiaussi et il nous a quittés au début desannées 1980. Toute notre histoire est en quelque sortetraversée de grands personnages. Nous avons eu la chance de les rencontrer,de pouvoir les croiser sur notre route, etsurtout de les connaître personnellement.Avec Bronfenbrenner, Hawkins, Freire,Gardner, nous avons eu l’occasion deréfléchir et discuter de questionsimportantes. Nous avons rencontré lesmeilleurs représentants et travailleurs dumonde pédagogique italien. Nous noussommes opposés à eux, mais toujoursdans le plus grand respect. Toutes cesrencontres ont affiné nos idées et nous ontpermis de les assembler afin de construireun projet doté, en quelque sorte, d’unedéfinition organique.Nous étions désormais en mesure deréunir les expériences partielles, lesintuitions et les idées et d’arriver àconstruire un projet plus complexe avecquelques points forts, quelques pivots surlesquels faire tourner l’ensemble du“mécanisme”, un projet à la fois théoriqueet opérationnel.

Quelles sont les caractéristiques duprojet pédagogique?Notre premier souci a précisément étéd’être capables de lier le plus possiblesquelques principes théoriques à uneorganisation susceptible de faciliter leurmise en pratique. Nous nous sommes ainsidonné les moyens et la responsabilité detoujours tenter de relier la recherche et lesvaleurs théoriques à l’expérience pratique.De là notre souci de la valeur représentéepar l’environnement, son organisation, laqualité de l’espace. C’est aussi l’origined’une attitude empreinte de grandeur,d’ouverture vis-à-vis de la recherchepermanente, une attitude qui nous incluenttous de la même manière, avec la même

intensité et qui devienne surtout le mode detravail des enseignants. L’un de nos points forts a toujours été departir d’une déclaration explicite et trèsouverte concernant l’image de l’enfant (2). Notre image de l’enfant est forte etoptimiste, c’est un enfant qui naît doté denombreuses ressources et de potentialitésextraordinaires, qui n’en finissent pas denous étonner. Un enfant doué de lacapacité de construire lui-même sespensées, ses idées, ses questions et sestentatives d’y donner réponse. Unecapacité très élevée de dialoguer avecl’adulte, d’observer les choses et lesreconstruire entièrement, un enfant douéqui devrait avoir un instituteur doué. Hélas, la maîtresse douée n’était pas là etelle n’est toujours pas là. La maîtresse nedeviendra douée que si elle travailleensemble avec les enfants et les adultes,construit, se trompe, corrige, revoit,réfléchit sur le travail effectué. La culturede nos enseignants ne se compose passeulement de savoir et de recherche, jecrois qu’elle s’exprime plutôt par un style,un comportement vis-à-vis de l’intelligence,de l’imagination, du besoin d’affectivité etde sécurité de l’enfant. Je crois que cetteculture est essentiellement une sorte deressource pour les enseignants, unecapacité de résistance, de se passionnerpour le travail qu’ils font, un renforcementde cette curiosité permanente quireprésente pour les institutrices, une sorted’” assurance “ sur leur propre vieprofessionnelle. “Les cent langages des enfants” est unemétaphore qui nous appartient. “Laura et lamontre” sont des images qui, en quelquesorte, laissent entrevoir à quel point denombreux canaux et parcours à tous lesniveaux, intérieurs et extérieurs à lapersonnalité des enfants, sont inconnus etdoivent encore être découverts. Dès lors, notre critique s’adresse à une“petite” pédagogie, trop étroite, à peinevariable, qui prétend se transmettre auxenfants à travers les enseignants. Nousessayons au contraire d’améliorer enpermanence la qualité de l’expérience, desdivers points de vue, parmi lesquels celuide l’enfant et de nous-mêmes face auxchoses et aux processus. Le terrain derencontre entre nous et les enfantss’élargit, ainsi que la possibilitéd’embrasser une part de vie etd’expérience culturelle plus vaste. Ainsi,nous avons pu libérer les institutionsrelatives à l’enfance d’une identité

et les valeurs théoriques à l’expérience pratique.

“Laura et la montre”, Laura à10 moispar la crèche Arcobaleno, 1982.Archives du centre municipal dedocumentation, Reggio Emilia.

organisme qui soit capable d’entretenir etrenforcer les relations avec d’autres pays. Tout ceci nous prouve qu’il n’est paserroné de prendre pour point de départune vision optimiste de l’enfant, si cettevision aboutit à une amélioration de laqualité de notre travail et des niveaux deconscience des enseignants. Cette imagede l’enfance dénonce le gaspillage auquelse livre le monde, les puissancesoccidentales, envers les enfants: ungaspillage d’intelligence, de capacités,des ressources que possèdent lesenfants, avec toutes les conséquences quien découlent.Ce flux continu de demandesprouve en quelque sorte à quel point lemonde qui évolue dans le secteur del’éducation infantile est pauvre, a besoind’aide et de ressources nouvelles. Cesecteur est incapable de proposer unepédagogie nouvelle, différente, quireconnaisse les droits des enfants. Parconséquent, Reggio devient un exempleréel et concret d’une expérience rêvée,imaginée et désirée un peu partout.Notre succès se compose de nombreuxingrédients, dont nous devons une partie ànous-même et à la chance, et dont l’autrepart est le fruit d’une situation de criseressentie dans plusieurs pays du monde.

Tu disais donc, Loris, que dès la finde la guerre, les femmes ont joué unrôle important. Il me semblequ’aujourd’hui encore, la majoritédes enseignants sont des femmes.Qu’en penses-tu?Une grande armée de femmes exerce lemétier d’enseigner dans le monde entier.Le problème que tu évoques est réel et sepose dans un monde déjà construit, avecses normes, ses lois, ses différences etses limites. Nous sommes clairement confrontés à unphénomène qui ne connaît actuellementque peu d’alternatives. La grande alternative aura lieu le jour oùl’on accordera tellement d’importance àl’éducation des enfants – autant qu’auxautres âges de la vie – qu’il sera permisd’en confier le métier au monde masculin.Le jour où les hommes et les femmestravailleront ensemble à l’éducation desenfants sera un grand jour. Il signifiera quenous avons fait un grand bond en avant,sur le plan de la reconnaissance nonseulement des droits des enfants, maisaussi de leurs besoins et de leurs désirs.Notre expérience est une anomalie, uneirrégularité, une sorte de violence infligéeà l’histoire. Elle demande bien plus deforce que n’importe quel autre métier, plusd’obstination, plus de capacité à demeureren contact avec les événements culturelset non culturels qui se développent ici etailleurs. Elle requiert une vision plusgrande et une capacité de mettre enrelation et de rapprocher tout ce qui

minoritaire, d’une condition subalterne quila persécute encore, non seulement ici,mais dans le monde entier. Nous n’avonspas encore assisté à un dépassement clairdes niveaux d’assistance et de garde,dépassement qui devrait pourtant être fortet conscient. C’est en grande partie ce que nousessayons de faire, ce à quoi noustravaillons, ce qui, de temps à autre, nousa récompensés, nous et les enfants. Cetterecherche permanente nous prédispose àune curiosité intense envers desévénements qui n’arrivent pas ailleurs.Ceci nous pousse à adopter une cultureplus large, non pas exclusivementpédagogique, mais qui puisse engloberaussi la psychologie, la sociologie, laphilosophie, l’art et la science, la littérature,l’architecture, etc. Je dirais que l’école,ainsi que les hommes et les femmes quitravaillent dans ce domaine, pourraient dèslors bénéficier d’une marge de manoeuvreplus importante.

On peut dire que le succèsinternational a commencé avecl’exposition de Stockholm en 1980.Quelle en a été la signification?Le succès a grandi progressivement àpartir des années 1980. Nous sommestrès reconnaissants à la Suède d’avoir faitpreuve d’un extrême intérêt dès le départ.Les expositions qui ont commencé dansnotre ville tournent à présent depuis plusd’une dizaine d’années. Elles ont traversétoutes les contrées européennes. Desgouvernements, des ministères del’instruction, de l’éducation ont invitél’exposition européenne. Il a fallu créer une deuxième expositionpour nous rendre également dans d’autrescontinents, notamment en Amérique, oùelle continue de tourner après sept ans,dans les universités, les musées, lesinstitutions publiques, les galeries privées.Aujourd’hui, le continent américain compteparmi les plus curieux et les plus désireuxd’établir des rapports avec nous. Mais lesdemandes proviennent égalementd’ailleurs. C’est de tout cela que nous tironsaujourd’hui de nombreuses satisfactions.En revanche, la dimension de notreresponsabilité s’en trouveconsidérablement élargie. Notre ville estperpétuellement envahie de délégationsvenues des quatre coins du globe. Leproblème est de savoir comment faire faceà cette dimension désormais gigantesque.Nous devons réfléchir à uneréorganisation, une restructurationorganisationnelle de nos services qui nouspermettent de rencontrer ce nombrecroissant de demandes. Nous songeons àcréer une organisation (3) supplémentairequi se consacrerait uniquement à lagestion quotidienne des services. Un autre

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Jeux d’eau à l’espace de loisir les oiseaux. D’aprèsl’ouvrage Fontaines, édité par Reggio Children.

Exposition “Si notre regard se porte au-delà du mur”,Stockholm1981.Exposition “Enfants de Reggio Emilia”, MuséeStedelijk, Amsterdam 1998.

semble au contraire séparé, éloigné,distant. Il est clair que les changementsrapides actuellement à l’oeuvre dans lemonde entier, épuisent plus rapidementtout ce que l’on fait et ce que l’on découvreet il faut être capable de puiser sans cessedans ses ressources, dans les stimuli quis’offrent à nous. Ce monde est encoreplein de déséquilibres, de différences, delatences, de défauts, de violences réellesqui, ce n’est pas un hasard, se perpétuentsur les sections les plus faibles de lasociété: les enfants, les femmes, lespersonnes âgées. Prenons ensemble l’enfant et la femme etnous comprenons que tous les problèmessont là. Il faut les tirer de là, car c’est làque se trouvent les problèmes d’une vie encommun particulièrement injuste et violente.

Nous nous connaissons depuis 1980.Tu me connais et moi, je vous connaistoi et ton caractère. Tu n’es pas unepersonne facile, comment t’es-tutrouvé dans la collaboration avec lesautres?Il est impossible d’imaginer un travail d’unetelle dimension sans écarts. Des écarts decomportement, de conduite, detempérament. Nous parlons de plusieursdécennies de travail tendu, animé d’uneforte volonté d’arriver. Je suis très tenace,très obstiné, j’ai une volonté de fer. Je neveux jamais perdre les batailles, je veux lesgagner toutes et dois emmener avec moitous ceux qui pensent comme moi, mieuxque moi, autrement que moi. Moncaractère n’est sans doute pas toujoursfacile, mais j’ai de l’ambition, je vise haut, jene tolère pas la médiocrité. J’ai une grandeaversion pour la médiocrité, celle de mesproches me fait beaucoup souffrir. Lanégligence, l’à-peu-près, sont des chosesque je ne peux supporter. Une expérience

comme la nôtre doit se prouver à elle-même qu’elle existe. Nous recevons desconfirmations de l’extérieur, mais avant tout,nous avons besoin de confirmer le travailque nous faisons à travers les résultats quenous obtenons. Cette image de l’enfantdemande que nous nous y consacrions.Je pense que toutes les femmes qui onttravaillé à une expérience de ce genre ousont passées par-là, ont toujours craint lepiège de la décadence, de la perte de leurrôle, de leur autocontrôle, de leurs forceset leurs énergies. N’oublions pas que lemonde et la société telle qu’elle estorganisée, l’économie, les politiques, lespréjugés des gens, constituent une sorted’alliance qui n’est pas favorable à uneopération comme celle-ci. On pourrait croire que notre histoire atraversé les ans et les saisons sansentraves, parce que nous n’aimons pasnous souvenir des autres choses, ni lesavoir dans les pieds.Quiconque voit les choses de l’extérieur,belles et ordonnées, peut croire en uneéternelle force de projection, capable degarantir l’état des choses. Pourtant, desexpériences aussi anormales que la nôtre,avancent toujours sur des fils de soie. Sil’un d’eux se rompt, il y a forcémentquelque chose qui tombe, quelque chosequi s’écroule.

Peux-tu pour conclure, nous direquelles sont les espérances, à lalumière de l’avenir proche. Commentvois-tu l’avenir proche del’expérience?Si l’ensemble de la pédagogie prenait leparti de la recherche, elle gagnerait desespaces de liberté, de réflexion, dedécouverte de choses dont elle nesoupçonnait même pas l’existence. Il mesemble que la recherche renvoie à une

dimension plus humaine, plus disposée àapprofondir le sens et la signification deschoses, des événements, des rapports, desrelations humaines, surtout.Nous éprouvons une forte émotion à vivre àune époque où, au-delà d’une prétenduereconnaissance de l’enfance, on nouspropose une série d’images d’enfantsprivés de leurs réelles capacités,disponibilités, ressources. Ces dernierstemps, d’autres images apparaissent, plusdangereuses encore, qui présententl’enfant non seulement comme fragile,délicat, impuissant et passif, mais aussicomme vivant dans un état de souffrancepermanent, voire même qui grandit àtravers cette souffrance, apprend etdécouvre à travers elle. Notre réponse setrouve à l’exact opposé, elle est empreinted’un grand optimisme. Nous connaissonsbien les limites de l’optimisme, mais noussavons parfaitement ce que l’optimismepeut apporter.Nous sommes favorables à une image d’unenfant extrêmement disponible,puissamment équipé depuis la naissance,riche de ressources, de capacités et dequalités qui nous poussent à définirautrement la démocratie. Je croisqu’aujourd’hui cela implique de rendre ausujet une importance centrale au sein de lasociété, valoriser la capacité et la volontédes individus à agir et être reconnuscomme des acteurs libres et responsables.

Notes(1) L’école de Genève voit le jour au sein de l’Institutdes Sciences de l’Education de l’Université deGenève, fondé par E. Claparède et dirigé ensuite parPiaget. Cette école constitue une référence importantepour les études d’épistémologie génétique. (2) Nous entendons ici par image de l’enfant, unevision et une interprétation de l’enfant et de l’enfance.(3) L’organisation évoquée ici par Loris Malaguzzi estReggio Children, fondée en 1994.

Il me semble que la recherche renvoie à unedimension plus humaine.

Rideau de scène du théâtre d’Arioste àReggio Emilia. Réalisé par des enfants de 5 et

6 ans de la crèche Diana. Une copie à l’exposition Italie et Japon

“Design as a way of life” Yokohama, 2001.

C’est bien connu, le succès a des milliersde parents alors que l’échec est orphelin.Tous s’accordent à dire que les crèches etles écoles maternelles de la municipalité deReggio Emilia sont une réussite sansprécédent. Honorées à juste titre dans lemonde entier, elles ont attiré des milliers devisiteurs et plusieurs dizaines d’écoles ontété créées à leur image. En parlant ainsides écoles de Reggio, il importe pourtantde rappeler que la plupart des expériencesen matière d’éducation échouent sanslaisser de traces (c’est pourquoi on dit quel’échec est orphelin) et que même lesexpériences couronnées d’un certainsuccès ne durent pas longtemps et/ouéchouent lorsqu’elles essaient d’influencerles institutions éducatives ailleurs. Dès lors, la série d’écoles initiée par LorisMalaguzzi et ses proches collaborateurs, ily a quarante ans, est importante pourrépondre à la question de savoir ce qui faitla réussite d’une expérience éducative,comment la reproduire, et, question plustroublante, pourquoi la volonté d’instituerde telles écoles ne se manifeste que chezune faible minorité de la populationmondiale.Certes, les circonstances initiales danslesquelles s’inscrivent les efforts de Reggion’étaient pas favorables. Malaguzzi rentrait dans une région d’Italiequi avait été dévastée par la guerre, quin’avait que peu à offrir et dont une partiede la population était fortementdémoralisée. Les films néoréalistes italiensque les Américains aisés se précipitaientpour aller voir à la fin des années 1940décrivaient une grisaille quotidienne qui nepermettait pas de deviner les possibilitésde créer de nouvelles écolesrévolutionnaires.Tout effort couronné de succès dépend dela convergence d’un certain nombred’éléments séparés. A la lecture des faits,notamment l’interview de Malaguzzi quifigure dans ce numéro, ces éléments sontparmi d’autres: l’idéalisme pratique deMalaguzzi (ou sa pratique idéaliste); latradition des écoles innovantes dans leNord de l’Italie et d’autres parties d’Europecentrale et occidentale; un groupe de

jeunes éducateurs, presque toutes desfemmes, attirées par la vision d’un typed’éducation nouveau; la volonté du conseilmunicipal de Reggio d’investirgénéreusement dans ces écoles à longterme ainsi que certaines coutumes etattitudes propres au bon catholicisme, quiont longtemps marqué cette région dumonde; la prospérité croissante de l’Italiedu Nord. Il existe sans doute de nombreuxautres facteurs, les uns faciles à identifieret d’autres perdus pour l’histoire ou lamythologie.Il serait très instructif de savoir ce qui apermis la réussite de l’expérience deReggio. Etaient-ce, du côté positif, lespremières marques d’intérêt internationaldes années 1970, le lancement, à la mêmeépoque, de magazines influents; l’aidestratégique de personnalités telles queBruno Ciari et Gianni Rodari; l’électiond’un maire, d’un assesseur ou d’un conseilmunicipal particuliers? Il serait tout aussi intéressant de spécifierce qui n’a pas marché ou qui aurait pu maltourner – la perte d’un allié stratégique, unecritique persistante de la part du publicenvers certaines personnalités ou politiques,une poussée en faveur de l’introductionformelle d’un programme dans les écolesmaternelles à l’échelle de l’Etat – pour nenommer que quelques pièges?Mon collègue David Perkins a proposé uneformule pour réussir une innovation enmatière d’éducation. Il pose en principe lanécessité de trois sortes de visionnaires:un visionnaire théorique, qui développe lesidées-clés, à savoir les programmesscolaires, la pédagogie, la mission, lesvaleurs; un visionnaire pratique, qui donnevie à ces idées “sur le terrain”; et unvisionnaire politique, qui fournit lesressources et la protection nécessairespour que les autres visionnaires puissentpoursuivre leur travail. Pour autant que jesache, Loris Malaguzzi était avant tout unvisionnaire théorique. Toutefois, les écoles n’auraient pas été unsuccès s’il n’avait pas été parmi lesprincipaux contributeurs aux pratiques quifonctionnent et s’il n’avait pas été capabled’attirer et retenir des collaborateursdésireux de pratiquer (et de théoriser) aveclui. De plus, s’il se plaisait à contrer les

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Howard Gardner est Professeur dePsychologie Cognitive et Éducation à laHarvard Graduate School of Education.Pour plus d’information contactez [email protected]

institutions politiques et, à dire vrai, à défiertoute forme d’institution, j’imagine qu’ilsavait comment s’y prendre pour aligner lesforces politiques nécessaires à la réussitedes expériences de Reggio. Bien entendu, je n’ai pas encore cité laraison la plus importante de la réussite desécoles de Reggio: la vision, comme laréalité, est particulièrement impressionnante.Les écoles sont belles à voir et offrent unmagnifique sens de l’espace et desmatériaux. Les pédagogues, lesresponsables d’ateliers et les enseignantsjouissent de nombreuses possibilités dedéveloppement professionnel, ils excellentdans leur travail et font preuve, envers leurtâche, d’une vocation sans borne, quasimonastique. Les parents et la communautéenvironnante offrent régulièrement unsoutien tangible ainsi qu’une critiqueconstructive. Les idées et les pratiques quiont été développées – apprentissage engroupe, documentation, projets à longterme, intégration au sein de lacommunauté, pour n’en citer que quelques-unes – sont de véritables innovations quifonctionnent réellement.Mais par-dessus tout, l’élément le plusimportant est la façon vaste et inspirante deconcevoir les enfants comme de jeunesesprits engagés, explorateurs, capables des’atteler à des questions et des sujetsdurant plusieurs semaines, de travailleravec des pairs aussi bien que des adultes,ravis de pouvoir s’exprimer à traversplusieurs langages, d’en créer de nouveaux

et d’appréhender et pénétrer les modesd’expression façonnés par leurcompagnons d’âge. Je crois que cetteconception est l’héritage le plus importantde Loris Malaguzzi. C’est certainement lapremière chose qui m’ait amené à Reggioau début des années 1980, m’a inspiré denombreux voyages mémorables depuis, eta déplacé de nombreux autres visiteurségalement. J’ai pourtant l’intime conviction que cettevision n’était pas celle du seul LorisMalaguzzi. Le même sentiment desolidarité, de collaboration, d’inventionmutuelle qui caractérise les écolesactuelles – leurs enseignants comme leursélèves – a probablement caractérisél’expérience éducative de Reggio dès lespremiers jours. Je suis certain queMalaguzzi pouvait parfois être difficile,borné – il l’admet d’ailleurs lui-même. Lefait que les écoles aient grandi et prospéréau fils des décennies depuis sa mortdémontre à la fois sa capacité à créer uneinstitution qui lui survivrait et les donsénormes de ses collègues les plusproches.Pourquoi, ne puis-je m’empêcher dedemander, alors que les éducateursinformés sont si nombreux à chanter leslouanges des écoles de Reggio, lesexemples de ces écoles sont-ils si raresdans le reste du monde? Pourquoi, aux Etats-Unis, ne réclame-t-onpas à cor et à cri un “Programme HeadStart Reggio”? Pourquoi n’exige-t-on pas

que “Leave No Child outside of a ReggioSchool”? Il ne fait aucun doute que cesécoles sont difficiles à mettre en place,demandent un important capital financier etun capital humain encore plus grand pourles maintenir. Mais je crains qu’il existe une raison plusfondamentale. Si la vision des enfants et dela nature humaine incarnée par les écolesde Reggio est correcte à n’en pas douter,elle peut également s’avérer menaçante.Elle implique que l’on fasse confiance auxenfants, confiance aux enseignants,confiance au pouvoir de l’imagination. Ellesignifie abandonner une approche de la viequi est purement instrumentale, purementfinancière, purement darwinienne si l’onveut, en faveur d’une autre qui reconnaîtles droits des enfants et les obligations del’humanité. Cette vision généreuse de la naturehumaine est demeurée minoritaire dans lemonde jusqu’à ce jour et si l’on en trouveaujourd’hui des manifestations enScandinavie, en Ecosse et dans certainspays d’Amérique latine, ce n’estcertainement pas la tendance en Amérique,en Angleterre ou dans la plupart du monde“développé” et “en voie dedéveloppement”. Pour l’heure, les écolesReggio se contentent de prouver leurexistence, plutôt que d’être le précurseurd’un avènement destiné à prendre corpsdans le monde entier. Mais elles sont plusque cela: elles sont le brillant testamentdes possibilités humaines.

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En Bas, de gauche à droite:Enfants qui s’amusent avec la lumière.Découverte ludique de l’ordinateur.Découverte ludique du téléphone.Illustrations de la école maternelle Diana.

Ci-dessus, de gauche à droite:Enfants à la Villa Cella 1948.Rencontre de parents 1970.Construction de l’école de Villa Cella 1946/47.Illustrations provenant des Archives du Centremunicipal de Documentation, Reggio Emilia.

18 Enfant d’Europe

Rationalité et imagination, connaissance etémotions: non seulement il existe desthéories autorisées qui reconnaissent lanécessaire relation entre ces processus,mais aussi, je constate tous les jours dansmon travail à quel point ces concepts sontintimement liés entre eux dans les penséeset les jeux des enfants et dans leur façond’aborder les problèmes. L’inséparabilité de ces éléments me paraitsi évidente, que je trouve quasimentsuperflu d’appuyer une approche éducativequi la comprenne et la défende.Si j’écris néanmoins à ce sujet, c’est que jesuis convaincue que lorsqu’il s’agit depasser des formulations théoriques à lapratique éducative, il se passe quelquechose qui déforme les pensées et les actes.Nous voyons chaque jour à l’oeuvre uneconnaissance qui divise, classe, sépare ets’éreinte ensuite à créer des connexions(sans toutefois le vouloir vraiment) entre lesdiverses disciplines.Edgar Morin a raison lorsqu’il affirme que leproblème n’est pas tant d’ouvrir lesfrontières des diverses disciplines que celuid’éviter que ces frontières ne se forment (1).A la naissance, nous sommes un tout etl’ensemble de nos sens tend à se mettre enrelation avec l’entourage pour le

comprendre. Mais très vite, nous sommes“coupés en tranches”. C’est ainsi que LorisMalaguzzi exprimait l’état de séparation denotre culture, l’obligation de parcourirséparément les chemins de laconnaissance. La culture et la sociétéactuelles accentuent sans cesse ce“saucissonnage” en favorisant desspécialisations de plus en plus sectorielles.Nous devons réfléchir sérieusement à laquantité de dégâts individuels et sociauxproduite par une éducation et une culturequi séparent au lieu de favoriser un travailsur les connexions. On connaît bien,désormais, l’extrême plasticité du cerveau,et l’on sait aussi à quel point l’expérienceinfluence la formation de sa structure.Etre conscients de cela devrait nous inciterà faire preuve d’une véritable responsabilitéenvers les enfants. En effet, nous sommesnombreux à penser que la façon la plusvraie et la plus radicale d’affronter lesnombreuses distorsions de notre sociétéconsiste à accorder de l’attention àl’éducation, y réfléchir et faire des choixconscients.A quel point un excès de catégories crée-t-ilune pensée qui privilégie uniquement lesdifférences au détriment de la recherche desimilitudes et de connexions? A quel point

Les multiples racines de la connaissance Vea Vecchi

Enfant d’Europe 19

une école qui décontextualise les objets etles situations, confondant ainsi l’informationet la connaissance (qui ne s’obtient qu’enorganisant et établissant des liens entre lesparties) apprend-t-elle à penser parfragments séparés?A quel point la négation des émotionscomme partie intégrante des processusd’apprentissage et d’éducation déforme-t-elle le processus global de laconnaissance?On peut poser à l’infini ce genre dequestions et souligner combien notreculture scolastique est hiérarchique etdiscriminatoire envers les langages (2), lesprocessus d’enseignement-apprentissage etl’approche générale des enfants et desjeunes vis-à-vis de l’exploration, lacompréhension et la construction de laréalité. Dans l’un de ses livres, Gregory Bateson,partisan de la réunion de toutes les choses,réfléchit à l’importance d’une approcheesthétique pour connecter entre eux leséléments de la réalité. Citant une questionqu’il posait à des élèves d’une école d’art, ilexplique son propos d’une affirmation quej’ai toujours trouvé très belle:“... par esthétique, j’entends: sensible à lastructure qui relie” (3).Je crois que pour se définir comme telle, lapensée artistique doit nécessairements’inscrire dans une relation intense,empathique envers les choses. Il ne faitaucun doute que cette approche aide àsonder et révéler les structures cachées dela réalité, à dresser des cartes qui unissentles processus logiques et les processusémotionnels, les techniques et lesexpressions. Il s’agit là d’un excellentparcours d’apprentissage.Outre l’introduction de nombreux matériels,de diverses techniques et de la penséesimultanée des mains et du cerveau, c’estprincipalement sur la base de cette idéeque nous avons introduit l’atelier, animé parune personne de formation artistique,dansles écoles maternelles de Reggio Emilia à lafin des années 1960. Conscients de la discrimination pratiquée

par notre culture scolastique vis-à-vis deslangages définis comme expressifs (visuel,musical, poétique, corporel, alors qu’enréalité, tous les langages possèdent leurpropre capacité expressive), nous avonsintroduit l’atelier comme une garantie, pourdéfendre la complexité des processus deconnaissance. Notre intention était d’utiliserl’imagination comme élément unificateur desdiverses activités et de considérerl’esthétique de la connaissance (Malaguzziparle de “vibration esthétique”) comme “unepoussée qui plonge ses racines en nous etnous amène à choisir parmi des modèlesd’action, de pensée, d’imaginaire” (4).L’atelier des écoles reggianes a choisi lelangage visuel non pas comme unediscipline séparée et réservéeexclusivement à quelques activitéstraditionnellement liées à ce langage(dessin, sculpture, peinture) mais commeun outil pour bâtir des ponts et des relationsentre les expériences et les langagesdifférents.Nous savons bien que tout langage, s’il doitêtre parlé et manié avec compétence,nécessite un apprentissage spécifique etapprofondi. Nous sommes d’avis que cetélément est très important et ne doit pasêtre perdu de vue. Toutefois, nous sommeségalement convaincus que pour êtrevéritablement cultivé et prêt à se mettre enrelation avec d’autres langages, un langagea besoin de se nourrir de ces derniers et dedialoguer avec eux. Nous sommes toutaussi convaincus que la fonctionnalité nepeut être séparée de l’expressivité: enréduisant sa diversité et ses composants,on appauvrit le langage et amenuise sacapacité d’évoluer.

C’est parce que nous sommes clairementconscients de la complexité de la trame quiunit toutes les choses que nous revoyonsrégulièrement d’un oeil critiquel’organisation de notre travail et la modifionsautant que possible afin qu’elle puisserester en phase et entretenir une relationvivante avec les théories et la didactique quiconstituent les racines de notre oeuvre.

La même analyse critique s’applique àl’environnement scolaire, que nous avonstoujours considéré comme un élémentimportant, faisant partie intégrante del’éducation.Ce souci particulier de l’espaceet de sa valeur éducative, a conduit à larédaction du livre Bambini, spazi, relazioni(Enfants, espaces, relations) (5), recherched’un environnement adapté à l’enfance,conduite avec des architectes de l’écolepost-universitaire Domus Academy deMilan.Cet échange entre des culturesprofessionnelles différentes me paraîtrévélateur d’une approche évolutive vis-à-visd’un thème important qui, à travers ledialogue entre compétences différentes, aaffronté de nombreux problèmes au départde plusieurs points de vue différents.C’est la même approche qui a servi deguide ces dernières années à ReggioChildren pour coordonner des projets deformation des pédagogues et desresponsables d’atelier et de promotion del’entreprise féminine et qui guideraégalement les initiatives futures. Notre proposition ne se résume pas àrassembler une série d’experts en diversesdisciplines. Nous confirmons au contrairenotre souci de privilégier des enseignants etdes professionnels capables d’uneapproche transversale vis-à-vis desdifférents langages, et notre souci dedévelopper les connexions, tout en essayantde faire évoluer nos théories pédagogiqueset nos projets didactiques.On ne peut comprendre le rôle joué parl’atelier au sein des crèches et des écolesmaternelles de Reggio que si l’on estconvaincu que:- les racines qui génèrent la connaissancesont multiples - le processus d’apprentissage n’est paslinéaire- la réalité possède de nombreux points devue- toutes les choses “dansent” ensemble.Il serait trop naïf de penser qu’il suffitd’engager un responsable d’atelier au seind’une communauté scolaire pour modifier

Ci-contre, en bas: “Petits chevaux”, série de photos retraçant laconception de chevaux d’argile.École maternelle Diana.

Sur cette page: Des enfants de 4 et 5 ans présententles motifs qu’ils ont réalisés sur le rideau de la scènede théâtre, photographies numériques prises par lesenfants, École maternelle Diana.

Ci-contre, de gauche à droite: Enfants et jeux de lumières.Enquête mathématique autour du zéro.Peinture grand format de l’Atelier.

réellement le processus éducatif; lechangement doit commencer aux racines,avec une pédagogie et un atelier quitravaillent main dans la main aux connexionsdes langages.L’un des principaux instruments de cetentrelacement est le grand travail quotidiend’observation et de documentation visuelledes processus à l’oeuvre chez les enfantsdans les crèches et écoles maternelles. Cetravail nous a permis de recueillir unegrande quantité de matériel à analyser,interpréter et discuter. Lorsque nousparlons de rendre les processus visibles,nous sommes conscients des difficultés(certains parlent même d’impossibilité),mais les fragments que nous récoltons sonttellement précieux et le travail de réflexiondes enseignants est si important, que nouspouvons considérer ce travail dedocumentation comme la source la plusextraordinaire de connaissance etd’évolution de notre métier.Le matériel, en effet, est précieux nonseulement pour les enseignants, mais aussipour les enfants, les familles et pourquiconque souhaite se rapprocher desstratégies de la pensée enfantine.Au cours des récentes recherches menéesen collaboration avec le groupe dechercheurs du Project Zero de l’universitéde Harvard Making learning visible (6), nousavons approfondi un aspect de ce travail ettenté de clarifier et rendre visiblesl’entrelacement et la relation qui unissentl’apprentissage individuel à celui du groupe,les avantages qu’en retire l’apprentissageindividuel et la façon dont l’apprentissagedes individus et celui du groupe onttendance à emprunter des chemins

multiples et entrecroisés.Pour conclure ces brèves réflexions, jeprésenterai deux exemples, tirés desarchives du travail de documentation.J’invite le lecteur à considérer et interpréterces épisodes comme un témoignage desthéories exposées jusqu’ici, et les images(une petite sélection d’une documentationplus large) non pas comme un commentairede l’écrit mais comme un choix decommunication qui mêle entre eux deuxlangages: l’écrit et le visuel.

Les personnes ont une dimension (7)

Francesca (5 ans et demi) a choisi dedessiner une table et des personnesassises autour. Elle commence parreprésenter deux personnes de profil (c’est,en acte, une évidente rotation conceptuelleet formelle qui évoluera à travers le tempset les occasions), puis un personnage vu dederrière et à la fin, elle dessine la tête de lapersonne vue de face [dessin 1].Elle s’arrête et commente à voix haute“Mais, cette personne est suspendue enl’air!”. Elle réfléchit un instant puis se lève,appuie la feuille à l’envers contre la vitre dela fenêtre et au dos, à contre-jour, ellecomplète le dernier personnage à peinecommencé [d.2].Après avoir décidé de la position de la lignedu sol, ancrant ainsi le personnage au sol,Francesca retourne à sa place, retourne lafeuille et ne calque du personnage que lapartie visible au-dessus du plan de la table[d.3].Environ une semaine plus tard, nousproposons à nouveau la copie d’aprèsnature d’une table avec des personnesassises autour.

Francesca réalise un dessin (dont je montreun détail) [d.4] qui présente un problèmeanalogue: une main apparaît comme isoléedans l’espace. Lorsque je demande:“Pourquoi as-tu laissé un espace vide entrela main et le corps?” Francesca me regarded’un air quelque peu compatissant et merépond: “Je ne pouvais pas voir le bras,donc je ne l’ai pas dessiné, mais le bras estlà et j’ai dû lui laisser de la place, sinon,comment veux-tu qu’il s’y trouve?”.J’ai retrouvé ce type de solution, avec descommentaires analogues, chez d’autresenfants, dans des contextes différents quiprésentaient néanmoins le même problème.Trop souvent, à l’école, le dessin est sous-estimé, ses possibilités sont négligées. Dèslors, il est rare qu’il puisse complètementévoluer en tant que langage. Pourtant, ledessin est un instrument d’une précisionextraordinaire pour sonder et interroger laréalité et l’interpréter.Si, au lieu de considérer uniquement lerésultat final d’un dessin, nous apprenions àen révéler le processus, nouscomprendrions aisément que la partielogique et la partie expressive coexistent,que les deux s’entrelacent et participent àl’invention créative.

Science ou magie? (8)

Nous faisons souvent le choix pédagogiqued’aborder un sujet de plusieurs points devue et à l’aide de plusieurs langages, carnous croyons que cette approche aboutit àune connaissance plus profonde du sujet oudu contexte examiné.Nous confions à trois enfants âgés de 5 et6 ans, un bol de verre, une cruche d’eau,une pile et un miroir et leur lançons un défi:

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...nous comprendrions aisément que la partie logique et la partie expressivecoexistent...

Sur cette page: “Personnes assises à table”Francesca 5.3 ans, processus de lareprésentation graphique. École maternelle Diana.

Ci-contre: Découverte d’un arc-en-ciel. École maternelle Diana. 1

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est-il possible de créer un arc-en-ciel àl’aide de ces objets?Les enfants commencent à expérimenter etcombiner les éléments de différentesfaçons. Les essais sont nombreux,l’obstination est intense, le résultat estpassionnant.Au cours de la recherche, les enfantsdécouvrent qu’en plongeant le miroir dansle bol rempli d’eau à un angle adéquat, ilsobtiennent la réfraction de la lumière, l’arc-en-ciel, qui se reflète sur toutes lessurfaces.Une forte intuition les pousse ensuite àremplacer la lumière de la pile par celle dusoleil et ils s’enthousiasment à l’idée decréer des arcs-en-ciel à l’extérieur, sur lesmurs, les arbres. Ils commencent à formulerdes hypothèses théoriques sur la formationdu phénomène physique. Ils conçoivent unegrande installation capable de créer desarcs-en-ciel sur la base de leursdécouvertes et des règles qu’ils ontdevinées grâce à leur capacité de visionnerune réalité possible. Ils lancent: “Arc-en-ciélisons le monde”. Dans l’euphorie de larecherche, on ajoute aux premiers éléments- le soleil, l’eau, le miroir -, un petit cartonblanc et une paille. L’arc-en-ciel se reflètesur le petit carton blanc. En soufflantdoucement dans la paille plongée dansl’eau au rythme d’une musique, lesmouvements de la surface de l’eau fontdanser l’arc-en-ciel de manière surprenante,créant des lignes courbes et des picschromatiques.Magie, science, esthétique, physique etimagination, hasard et répétitions et biend’autres choses encore voyagent,étroitement enlacés, faisant d’unphénomène physique, trop souvent livré auxenfants comme un simple exercice déjàrésolu, un parcours à explorer et découvrir,plein de curiosités, d’émotions et de beauté.Les technologies informatiques ont amené

une logique et une fantaisie, une explorationet des imaginaires partiellement différents.Elles ont surtout agrandi les possibilitésdans quelques domaines et modifié letemps nécessaire à l’élaboration.La rapidité avec laquelle les enfants peuventvarier formes, dimensions, couleurs desimages qu’ils ont eux-mêmes scannées etdont ils sont presque toujours les auteurs,la possibilité de les superposer, déplacer,composer de tant de manières différentes,de garder les différentes étapes enmémoire, comptent probablement parmi lesaspects qui modifient le plus la constructiondes processus traditionnels de l’image.L’introduction de ces nouveaux moyensd’expression confirment, eux aussi,l’importance d’une approche qui travaillesur les connexions tout en orientant lesinstruments et la matière utilisés dans unedirection créative. Nous abandonnons vite les programmesconçus pour les enfants, car ils sontpresque tous structurés à l’aide deprocédures simplifiées qui exigent peu etoffrent peu à leur intelligence. C’est avanttout en observant et enrichissant lesstratégies utilisées par les enfants pourapprendre les programmes d’adultes (PhotoShop, Page Maker, etc.) que nous avons puformuler des propositions permettant auxenfants de développer leur créativité.Je lance une invitation intéressante (et quasiindispensable) aux enseignants. Je les inviteà observer et analyser les processusréalisés à l’aide d’instruments traditionnelset informatiques, afin de les comparer etcomprendre comment et combien lesprocessus d’apprentissage se modifientmutuellement.Les recherches réalisées jusqu’ici sur desthèmes et des projets divers sont trèsintéressantes. Elles méritent d’êtrepoursuivies en s’appuyant sur l’imagination,la logique, les sens, les images mentales,

les constructions métaphoriques. Lesrapports à la réalité doivent être mis à joursur la base des possibilités et desprocessus que les nouveaux instrumentspermettent ou ne permettent pas.Ce qui importe, c’est de continuer à utilisersimultanément les instruments anciens etnouveaux, de les mettre en relation, de faireen sorte qu’ensemble, les enfants et lesenseignants conservent une attitude derecherche et de curiosité.

Notes(1) Edgar Morin, La testa ben fatta (La tête bien faite),Milano, Raffaello Cortina, 2000, pag. 20.(2) Par langages, on entend les divers champs dusavoir.(3) Gregory Bateson, Mente e natura (La nature et lapensée), Milano, Adelphi, 1984, pag. 22.(4) Par C. Edwards, L. Gandini, G. Forman, I cento linguaggi dei bambini. L’approccio di ReggioEmilia alla educazione dell’infanzia (Les centlangages des enfants. L’approche adoptée par ReggioEmilia envers l’éducation des enfants), Bergamo,Junior, 1995, pag. 81.(5) Par G. Ceppi, M. Zini, Bambini, spazi, relazioni.Metaprogetto di ambiente per l’infanzia (Enfants,espaces, relations. Pour une culture del’environnement de l’enfance), Reggio Emilia, ReggioChildren, 1998.(6) Project Zero e Reggio Children, Making LearningVisible: Children as Individual and Group Learners,Reggio Emilia, Reggio Children, 2001.(7) Archives de l’école maternelle municipale Diana,par Laura Rubizzi et Vea Vecchi, 1996.(8) “Scienza o magia?” (Science ou magie?) Cahierde recherche et d’étude - Archives de l’écolematernelle municipale Diana. Par Marina Castagnetti etVea Vecchi, 1993.

Vea Vecchi est responsable d’atelier et Consultanteauprès de Reggio [email protected]

C’est en 1981 que la Suède découvre letravail de Reggio Emilia, à traversl’exposition “Les cent langages desenfants”, organisée au musée d’artmoderne de Stockholm. Nombre d’entrenous pensions à l’époque qu’il s’agissaitd’art infantile et non de pédagogie au senslarge du terme. Cette confusion était due àla beauté et à la sophistication du travail.Maintes lectures approfondies et deuxdécennies de visites d’étude à ReggioEmilia nous ont aidés à mieux comprendrele contexte général. Au début nouscomprenions leur pratique comme similaireà la nôtre, en Suède, mais tout simplementmeilleure. Lorsque nous parlions de leurexpérience, nous utilisions des termescomme “la centralité de l’enfant” et“programme émergeant”. Aujourd’hui, notre compréhension a franchiune étape de plus. Nous avons comprisque Reggio Emilia a construit un espacepédagogique nouveau et différent. Unespace relationnel, dans lequel la créationde connexions est le souci principal. Unespace qui célèbre la complexité desprocessus de la pensée en explorant denouvelles relations avec l’art, le dessin,l’architecture, la science, la philosophie.L’école devient un environnement riched’informations, où non seulement la paroleécrite est valorisée, mais aussi, les imageset les sens élargissent la signification del’apprentissage. Les langages du son, del’odeur, de la lumière et du toucherrenforcent la perception de la connexionentre toutes choses (abordé dans lapublication de 1998 de Reggio ChildrenEnfants, espaces, relations).

La grande séparationPour construire un espace relationnel, lespédagogues de Reggio Emilia ont franchiles frontières entre la raison et l’intuition, lacognition et l’émotion, le corps et l’esprit, lalogique et l’imagination – ces mêmesfrontières qui caractérisent la penséeoccidentale depuis le siècle des lumières.Ces dichotomies gouvernent notre vision dumonde et nos actions. Elles établissent unordre hiérarchique parmi les choses, créentun monde de séparation, de catégories, dedivisions entre les disciplines. Comme lesuggère Vea Vecchi dans son article, leproblème, selon Edgar Morin, n’est pas tantd’ouvrir les frontières entre les différentesdisciplines que de veiller à ce que cesfrontières ne soient jamais créées. Les théories de l’éducation soulignent deplus en plus à quel point il est important derelier des sphères autrefois perçues commeséparées. Dans la réalité toutefois,l’éducation encourage la séparation plutôtque les connexions. C’est la raison pourlaquelle nos écoles n’arrivent pas à doternos enfants et nos jeunes des outilsnécessaires pour donner un sens à leur viequotidienne. Vea Vecchi prétend qu’il nesuffit pas d’amener un atelierista dans la

classe pour modifier la pensée et lesactions éducatives traditionnelles. Lechangement, selon elle, proviendra d’unethéorie de l’apprentissage et d’un atelier oùl’on travaille à la connexion entre les centlangages dont nous disposons. Je suis sûreque beaucoup d’écoles s’inspirant deReggio Emilia ont péniblement prisconscience de cette réalité lorsqu’elles ontengagé un artiste ou un professeur d’art nepartageant pas la vision d’un enfantcompétent, ni une conception nouvelle de laconnaissance et de l’apprentissage. C’est ici que Reggio a réussi à dépasser lediscours sur l’art pour arriver au discourssur l’apprentissage. Pour cela, elle a dûfranchir des frontières et canaliser l’intérêtvers les connexions et les processus, plutôtque vers les résultats et les produits dutravail des enfants. Il ne s’agit pas pourautant de dévaloriser les résultats duprocessus créatif et artistique, mais plutôtd’en prendre davantage conscience et lerendre visible en le documentant. Il s’agit enoutre de reconnaître que la valeur de ce quise déroule au sein de l’atelier ne se mesurepas seulement en termes de ce que nousaccrochons au mur, ce que nous encadronsou exposons.

Logique et devenir nouveauxEn règle générale, la science de l’éducationcherche à réduire la complexité, alors queReggio Emilia se risque à l’explorer et àmultiplier les connexions qu’elle renferme.Dans le monde des cent langages- unemétaphore utilisée à Reggio pour désignerles multiples sources de la connaissance -les relations et les connexions semblentrevêtir une signification nouvelle et proposerune nouvelle logique, très différente de lalogique traditionnelle que l’on retrouve dansla notion de linéarité. Une logique selonlaquelle, nous dit Vea Vecchi, les racines dela connaissance sont multiples, leprocessus d’apprentissage n’est paslinéaire, la réalité présente de nombreuxavantages, et les choses “dansentensemble”. Cette logique va à l’encontre del’idée répandue de la multidisciplinarité, quiconsiste à faire appel à des professionnelsde disciplines différentes.Pour Gilles Deleuze, philosophe français, lapensée est avant tout expérimentation, et nepeut être comprise qu’au travers desconnexions qu’elle suscite. Les connexionsne sont pas nécessairement données,l’individu doit les fabriquer ou les vivre et cefaisant, apprendre. Les enseignants et leschercheurs qui parviennent à s’impliquerdans cette expérimentation, apprendrontque le fait de créer davantage deconnexions donne lieu à une intensité horsdu commun. Une intensité qui souvent,nous bouleverse car elle nous met enprésence de quelque chose qui ne cadrepas avec nos visions et noscompréhensions habituelles des enfants etde la pédagogie. C’est ce que Gilles

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Gunilla Dahlberg est Professeurd’Éducation à l’Institut d’Éducation deStockholm.Pour plus d’information contactez:[email protected]

Deleuze appelle le “devenir”, et ce queLoris Malaguzzi entendait par “vibrationesthétique”. Cette traversée expérimentaledes frontières implique une sorte deconfiance – confiance en un aboutissement,bien que l’on ne sache pas encore bienlequel. Pour Deleuze, cette confiance dans le faitque quelque chose d’inattendu, desurprenant, de provocant, pourrait découlerdes connexions que l’on crée, revenait àcroire dans le monde. Pour Malaguzzi, c’était comme sauver lemonde: comme il nous l’a dit lors d’unséminaire à l’Institut de l’Éducation deStockholm en 1993, “J’ai sauvé monmonde et j’ai toujours essayé de lechanger”. Cette phrase peut sembler naïveet optimiste, mais à mes yeux, elle dénoteune forme de réalisme, une croyance en denouvelles rencontres, forces, pensées quine sont pas encore contenues nirépertoriées dans nos programmes et nosméthodes. Cette croyance implique davantage deresponsabilité éthique et politique, unvibrant accueil de l’inconnu, que l’inconnusoit un autre type de pensée ou un autreêtre humain. Elle est une forme d’éthiqueaffirmative qui défie la certitude cartésienne,naît dans l’art de l’écoute et communique unmessage de bienvenue et d’hospitalité.

Palette de couleurs utilisée lors de la réalisation demotifs sur le rideau du théâtre Arioste, d’après Le rideau, édité par Reggio Children.

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Si la ville fait l’objet d’une étudeapprofondie, c’est davantage en raison deson actualité et de son émergenceculturelle plutôt que d’heureusesconvergences locales.Reggio Emilia est une ville qui, grâce à sesdimensions, a pu entretenir pendantlongtemps un lien important entre sesinstitutions et la communauté, mais qui, bienavant encore, s’est appuyée sur desépisodes de solidarité et de participationpour créer une expérience éducative pourles plus petits.La volonté de relier la ville, l’éducation etles enfants est un trait originel etintrinsèquement lié aux événements locaux.La ville n’aurait toutefois pas manqué decharme car elle est tout à la fois ordinaire,quotidienne, inévitable et difficile.Le projet de recherche n’est autre que laversion revue et mise à jour d’un parcoursmis au point en 1982 par Loris Malaguzzi etqui concerne toutes les écoles maternelles.L’ensemble du travail se développe en deuxphases.La première, une enquête cognitive verbale,donne aux enfants la possibilité de raconterla ville selon ce qu’ils en pensent, la façondont ils l’habitent et l’interprètent. L’héroïnedu récit, qui prendra la forme d’uneconversation, n’est autre que la ville en tantcontexte général et plus particulièrement, laville dans laquelle vivent les enfants: ReggioEmilia.La seconde phase, plus spécifique etdiversifiée est confiée à un groupe plusrestreint d’écoles et consiste à repérer desprojets et des approfondissements quiaboutiront à un Guide de la Ville de Reggio réalisé par des enfants et intitulé:Reggio tutta.

Au cours de la première phase, pourorganiser le matériel récolté au fil desconversations avec les enfants, noussommes passés par un premier niveau delecture. Nous nous sommes servis dequelques noyaux thématiques pourconstituer des catégories destinées àclasser le matériel verbal, pour accéderensuite à un second niveau de lecture. Cedernier repère, par le biais del’interprétation, de nouveaux noyauxsémantiques ou relatifs au sens. Il s’agit deschémas conceptuels qui ne coïncident pasnécessairement avec les expressionslinguistiques. Ces cartes se dessinent au travers desparoles des enfants, d’images multiples,partielles, autobiographiques et imaginaires.Ainsi dotée d’une moindre matérialité, laville est pratiquement impossible àcirconscrire en une image univoque. C’estcomme s’il existait plusieurs villes dans laville (implosion), comme si la villeappartenait au monde, relevait d’unecosmogonie plus complexe (explosion). Lesimages que les enfants savent construire etexprimer sont des sens possibles. Plutôt

que de limiter la modernité de la ville à uneidée bien précise et articulée, ils lui rendent,en dépit des nombreuses approximations,toute sa vitalité et son énergie. Ces sens, dont nous n’avons perçu qu’unepartie, peuvent être utilisés comme desoptiques de lecture pour interpréter la ville.En voici quelques-uns.

LA VILLE DECHIFFRABLELes édifices de la ville – les maisons –constituent sans doute son trait distinctif,mais il n’est pas le seul. Il y a aussi laperception de sa densité, de sa multitude etde ses dimensions.La densité, ou l’intensité de la ville,s’applique à son territoire bâti mais aussi àd’autres éléments de mobilité quis’adressent non seulement à uneperception visuelle mais aussi à des sensplus diffus et intégrés. Ces élémentsmobiles sont les gens, la confusion, letrafic, la plénitude: la ville est comme un grand magasin, leplus grand qui soit, où l’on peutrencontrer une foultitude de gens et dechoses. Les typologies architectoniques de la villesont bien définies car elles se différencientde celles d’autres lieux, où, dans certainscas, il est impossible d’habiter: pour moi, les maisons sont toutesattachées... à la campagne, il y a moinsde maisons et elles sont toutesdétachées... La ville se fait de moins en moins génériqueet de plus en plus spécifique, car lesenfants procèdent par différences etressemblances avec les autres habitats:ville-village, ville-Pôle Nord, ville-Pôle Sud,ville-campagne. La dimension et la densitédeviennent alors des éléments décisifs etforts d’identification de la ville: ...là où il n’y a pas de ville, il y a peu demaisons, peut-être même pas du tout,comme au Pôle Nord où il fait si froid etsans doute que là, ils ne construisent pasde ville quand il fait froid...Dans la recherche de cette identité relative,le regard des enfants semble à la fois selocaliser (focalisation sur la ville) et sedélocaliser dans un glissement apparent.Dans ces passages, la ville devient presqueplus opaque, comme si les enfants l’avaientperdue de vue.Les enfants font la différence entre habitatnaturel et artificiel, entre état naturel etmodifié: la ville est un environnementartificiel par opposition à naturel.La ville ne naît pas, elle est construite; ellene meurt pas mais elle peut être détruite.L’état naturel ne coïncide plus avec lacampagne, qui historiquement, avaitreprésenté l’autre pôle d’une oppositionlargement utilisée en sociologie pourdistinguer l’environnement urbain et nonurbain. A Reggio, on trouvait autrefois àfaible distance, un paysage très différent.Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il suffit de

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penser à l’axe de la via Emilia, où lesintervalles entre une ville et l’autre ontdésormais disparu.L’opposition ville/campagne semble en effetavoir perdu de son évidence, y compris auxyeux des enfants, parce que l’expansion dela ville (au sens du lieu bâti) a dilué etraréfié cette opposition en homogénéisantles décors:il y a des hommes qui sont des paysans etqui habitent près d’une maison... mais ilsvoient quand même un peu de la ville... Puisque cette opposition n’est pas aussinette, les enfants évoquent d’autresenvironnements, ils élargissent le champ dela confrontation et semblent devoir parfoispousser leur exploration très loin. Enpassant ainsi d’autres habitats en revue,sur la base soit d’une expériencedirectement vécue soit d’informations etapprentissages indirects, les enfantsqualifient la non-ville. La non-ville est: unbois, une montagne, un désert, une jungle,un petit village:en ville, il n’y a pas d’animaux, ce sont leshommes qui y vivent. Le kangourou vit enAfrique... la jungle est un pays tellementplein de plantes qu’on y trouve desanimaux qui y vivent...Quoi qu’il en soit, ce jeu de rapports aboutità l’identification de nouveaux traitsdistinctifs qui font de la ville unenvironnement domestiqué, une synthèseentre nature et artifice. Les enfants sedélocalisent et se décentrent pour pouvoirensuite tenter une description synthétiqueet provisoire de la ville: la ville, c’est là où l’on peut construire desmaisons... il y a le chat, le chien, lagrenouille... les rats, les fourmis, lespoissons dans les fontaines. A lacampagne, il y a des vaches, despaysans...En ville, il y a des gens, mais iln’y a qu’un chat et un chien et c’est tout.Et puis, on y trouve quand même un petitbout d’herbe et des arbres qui ne piquentpas...La spécificité de la ville est progressivementobtenue, au fil d’une même conversation,car c’est le temps et la confrontation quipermet aux enfants d’ajuster de plus enplus leurs définitions, qui se font moinsgénériques, moins abstraites et moinscondensées. On pourrait dire que la villeest déchiffrable mais “irréductible”.

LES VILLES CONTINUESIl semblerait que la ville soit un continuumde villes qui se succèdent mutuellement etc’est un peu comme si une ville enparticulier ne possédait pas de lieuexactement défini et délimité, sa propre etunique corporéité vectorielle ethiérarchique:une ville commence là où une autres’arrête, et ainsi de suite...Non seulement la ville est continuum devilles mais elle est aussi l’idée même de la

ville qui semble s’étendre à l’infini de façonà ce que la dimension ne doive passeulement s’interpréter en termes degrandeur (grande, grosse, nombreuse...)mais aussi d’expansion diluée et raréfiée(dans le sens horizontal), comme nous ledisions plus haut, imprenable. Comme si laville se multipliait en dehors d’elle-mêmemais aussi à l’intérieur d’elle-même: il y a denombreuses villes dans la ville.Le caractère physique de la ville n’est passeulement établi par des signes extérieurs(éléments urbains), mais aussi par desréférences à des expériences significatives.Dès lors, la ville est également un objetautobiographique: la ville commence par l’endroit où elle setermine, quand quelqu’un y entre, ellecommence, mais lorsqu’il en sort, la villese termine...

LA VILLE COMME OBJETAUTOBIOGRAPHIQUELes enfants semblent avoir besoin de seréférer à des espaces qui, en vertu derelations significatives, se transforment enlieux où ils ont vécu des expériences, où ilsont pu laisser une trace.Cette fois encore, la ville est racontée àtravers des images partielles,autobiographiques, qui correspondent àdes lieux chargés de sens, comme la ville-magasins, la ville-campagne, et l’utilisationd’une expression récurrente: ma ville....mais à la ville-campagne, il y a des lions,même que ma maman m’a un jour assissur une statue lion... mais la ville-magasinsvend des tricots et aussi des bonbons... etpuis elle vend aussi des pets-de-nonne etdes pâtes et puis encore d’autresbonbons encore meilleurs!

LA VILLE COMME LIEUD’INFORMATIONSLes images de la ville élaborées par lesenfants sont empruntées au système desmédias et sont fortement codifiées, si bienque nombre d’entre elles puisent à mêmel’imaginaire. La ville devient l’occasiond’élaborer des cosmogonies qui, de touteévidence, ne découlent pas d’expériencesdirectes:...dans le ciel... au-dessus du ciel, j’ai vuune petite maison et quelqu’un monterdessus, là-haut, dans le ciel ! puis, il estallé encore plus haut, dans l’univers, quiveut dire planète... ça veut dire... l’univers,c’est l’espace, alors il est arrivé au-dessusde l’espace, puis il a mis un petit drapeauet il s’est envolé... non, mais au-dessus del’espace, c’est encore le soir... au-dessusde la ville, il y a le ciel, et au milieu... il y ad’abord le ciel, puis l’espace, puis aprèsl’univers...

LE CARACTERE NATUREL DE LA VILLELa ville est construite par les hommes. Onpeut habiter ailleurs qu’en ville, mais la ville

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Texte et images tirés du livre Reggio tutta. Un guide de la ville réalisé par les enfants© 2000 Ville de Reggio, Service Education, crèches et écoles maternelles, édité par Reggio Children.S.Bonilauri, pédagogue [email protected]. Filippini, responsable de la coordination pédagogique [email protected], responsable d’atelier à l’école maternelle Neruda [email protected], enseignant à l’école maternelle Neruda.Scuole e Nidi d’Infanzia – Istituzione del Comune di Reggio Emilia.

26 Enfant d’Europe

a ceci de particulier qu’elle semble être lelieu idéal pour la réalisation de l’individu. La ville est en quelque sortel’environnement naturel de l’homme parcequ’elle répond aux besoins les plus naturelset les plus élémentaires de la survie:s’abriter, manger, dormir, marcher....sinon, où les gens iraient habiter?! Etcomment feraient-ils?! et commentferaient-ils des enfants?! ...la ville sert à seprotéger de tout ce qui arrive... parcequ’elles sont très importantes, le chef dumonde l’a décidé! si nous ne le faisionspas, nous ne vivrions pas, si les villes nenaissaient pas, les enfants ne naîtraientpas, et les mamans non plus ne naîtraientpas! Tout serait vide, il y aurait de l’eaupartout...Le caractère indispensable et nécessairede la ville est aussi lié à des besoins plusévolués de rencontre, de communication,de plaisir esthétique et de plaisir ludique.Les paroles des enfants n’ont rien d’anti-urbanistique, ils sont incapables d’imaginerquelque chose qu’ils n’aiment pas,d’imaginer que la ville pourrait êtredifférente: ...elle est utile parce que quand unepersonne a envie de dire bonjour, elle ledit... on peut dire bonjour à quelqu’und’autre... en ville, on se marie, parce qu’ily a beaucoup d’églises. En ville, onrencontre des gens, on fait des rencontresd’amour, d’amitié... A la campagne, on nefait que travailler et il y a des moustiques...

REGGIOTUTTALe guide de la ville réalisé par des enfantsLa séduisante idée de demander auxenfants de devenir les interprètes et lesnarrateurs de leur propre ville, en leurproposant de réaliser un guide de ReggioEmilia, découle naturellement de l’enquêteintitulée “Idées, hypothèses et théories desenfants sur la ville”.L’entreprise n’est pas simple: l’expériencede la ville plonge ses racines dans unetrame complexe de références étroitementliées, où les relations et les vécus donnentcorps à des connaissances, à des récits etdes évocations empreintes d’une forteconnotation autobiographique. Pour les enfants qui, au cours de l’enquête,sont appelés à faire des recherches autourdes images de la ville, en discuter lesdéfinitions possibles, les origines, lesformes et les limites, cela revient à parlerimplicitement de leur propre ville, même sicelle-ci reste vague, en toile de fond. Leregard sur Reggio et les récits qu’en fontles enfants changent lorsque, avec eux,nous pénétrons au coeur du projetd’élaboration du guide: assumer le rôled’interprètes de la ville en accueillant lapensée de l’autre, avec ses désirs, sesbesoins, ses attentes possibles a pour effetimmédiat de déplacer le point de vue, de semettre à la place de l’autre. A marcher ainsià côté d’un visiteur imaginaire, un portraitde la ville se dessine peu à peu: une texturedense faite d’histoires et de parcourscroisés qui conservent tout le caractèresubjectif des regards et des vécus desnarrateurs. Un portrait qu’il est difficiled’enfermer dans les pages d’un livre parceque, au fil du dialogue des enfants, chaquefragment d’histoire en appelle d’autres quirefont surface dans les souvenirspersonnels: les images se multiplient,s’entrelacent, se composent et serecomposent, dessinant de la ville demultiples identités qui renferment ladimension du temps, de l’espace et de lavie quotidienne.

...les villes ont une formecroisée: elle sont ainsi faitespour qu’on puisse aller ici, là, enhaut, en bas.

1 Enfant d’Europe Enfant d’Europe 27

Les petites villes offrent un attrait particulier.Elles ne sont ni chaotiques comme lesgrandes villes, ni suffocantes comme lespetits villages. Elles suscitent l’imagination,l’énergie, l’esprit de communauté. A monarrivée à Reggio Emilia, où j’étais invitépour découvrir les crèches les pluscélèbres du monde, je m’attendais à unmiracle “ de petite ville “, mais je n’étaiscertes pas préparé à ce que j’ai vu.En réalité, j’avais entendu parler de Reggiobien des années auparavant, dans lesannées soixante-dix. J’étais alors professeuren développement à l’Université d’Oxford(le légendaire “Yankee” d’Oxford) etdirigeais un programme de recherche envue d’améliorer les écoles maternellesd’Angleterre, ce qui m’avait amené àpasser l’Europe au crible, à la recherche debons exemples. Mais même la brève visiteque j’avais rendue aux excellentes écolesmaternelles italiennes de l’époque nem’avait pas préparé à Reggio. Ce n’était pas seulement le fait que lesservices à la petite enfance étaientmeilleurs que tout ce que j’avais vuauparavant. Je m’attendais à quelque chosede ce genre et j’avais aussi entendumaintes fois chanter ces louanges lors decongrès internationaux sur la petiteenfance. Ce qui m’a frappé à ReggioEmilia, c’est l’intensité avec laquellel’imagination y est cultivée, ce qui renforcele sens du possible chez les enfants. Cetteréalité exprimait quelque chose deprofondément ancré dans la ville elle-même, quelque chose de très “reggiano”.En effet, quiconque se rend à Reggio yrencontre une forme de courtoisie rare, unesorte de précieux respect mutuel. Ce typede courtoisie se gère sans doute plusfacilement dans une petite ville: il reflètepeut-être la prééminence de cette ville dansle champ des services sociaux. Quellequ’en soit l’origine, il s’agit d’une qualitéintrinsèque à ce lieu. J’aimerais pouvoirm’expliquer.Cultiver l’imagination est primordial, mais ilne suffit pas de lire des contes de fées.C’est l’imagination qui nous protège del’évidence et la banalité, des aspectsordinaires de la vie. L’imaginationtransforme les faits en conjecture. Même

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Jérome Bruner est Professeur à laFaculté Juridique de l’Université de New York.Depuis 1998, il est citoyen d’honneur deReggio Emilia.

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une ombre projetée sur le sol n’est pas rienqu’une ombre, c’est un mystère. Essayezd’en dessiner une et vous comprendrez. Un jour, dans une école maternellemunicipale de Reggio, j’observais desenfants de quatre ans et l’enseignant entrain de projeter des ombres et s’efforcerde les dessiner. La concentration étaittotale mais plus surprenantes encore étaientles idées librement échangées, les avis surce qui rendait les ombres si bizarres, cequi les rapetissait ou les amplifiait ou,comme l’a demandé un enfant: “commentse fait-il qu’une ombre soit à l’envers?”.L’enseignant faisait preuve d’autant derespect que s’il avait affaire à des lauréatsde Prix Nobel. Tout le monde pensait à voixhaute: “Que veux-tu dire par à l’envers?” ademandé un autre enfant.Il ne s’agissait pas ici d’imaginationsindividuelles travaillant séparément. Nousétions collectivement impliqués dans cequ’il y a probablement de plus humain chezles hommes, ce que les psychologues etles experts en primates se plaisentaujourd’hui à appeler “l’intersubjectivité” àsavoir le fait d’arriver à une compréhensionréciproque de ce que l’autre a en tête.C’est peut-être là l’extrêmeépanouissement de notre évolution en tantqu’humanoïdes, ce sans quoi notre culturehumaine n’aurait pas pu se développer, etsans quoi toutes nos tentativesintentionnelles d’enseigner quelque choseéchoueraient.Cultiver cette qualité nécessite uneatmosphère de respect et de soutienréciproques, le genre de respect quidistingue les écoles qui réussissent,comme les établissements préscolairesmunicipaux de Reggio Emilia.

Texte extrait du quotidien “La Repubblica”, avec son aimable autorisation.“Un Yankee parmi les mille voix de l’enfance”,14 janvier 1996.

Ci-dessus: La carte de Emilia Romagna.Reggio tutta. Un guide de la ville réalisé par lesenfants, édité par Reggio Children.

Ci-dessous: Photo de Luigi Ghirri,La maison de Ludovico Ariosto, poète (1474-1553), 1985 Reggio Emilia.

Enfant d’Europe 228 Enfant d’Europe

Les écoles italiennes utilisent généralementle terme de “ participation “ pour désigner larelation école-famille, même si ce termeunique englobe des théories, desexpériences et des projets très différents.L’expérience vécue en Reggio Emiliareprésente l’une des multiples facettes de laparticipation.Participatif par définition, le projet éducatifdes crèches et écoles maternellesmunicipales de Reggio Emilia conçoit laparticipation de tous – enfants, enseignants,parents – comme l’essence même de sonsens éducatif. Ce sens éducatif réside dansl’échange, le dialogue entre personnesdifférentes, la construction commune et lacommunication considérée comme unevaleur. La séparation ou l’opposition cèdentla place à une rencontre qui favorise ledialogue entre les différences (rôles, idées,cultures différents) et à des négociations quivisent une construction commune. Lescompétences des uns n’existent pas audétriment des compétences des autres. On reconnaît les aptitudes de chacun –enfants, enseignants, parents – à prendre

une part active dans la relation éducative età apporter des savoirs complémentaires etnécessaires les uns aux autres.Selon Carlina Rinaldi, “la participation estune stratégie éducative qui caractérise lefait d’être et faire l’école. La participationdes enfants, des familles, des enseignantsne signifie plus seulement “prendre part” àquelque chose, mais plutôt en “être part”,c’est-à-dire être l’essence, la substanced’une identité commune, d’un nous auquelnous donnons vie en participant.Ainsi notre expérience a-t-elle fusionnél’éducation et la participation: le quoi(l’éducation) et le comment (la participation)deviennent la forme et la substance d’unseul et même processus de construction” (1)

“Pour moi, la participation est unerecherche de croissance à travers desmoments de réflexion commune, desoccasions d’échange, une réflexionélargie.”Extrait du Procès-Verbal du ConseilInfanzia Città (2), SCI Anna Frank

Que ceux qui se lancentdans un projet songent àdes actions susceptibles

de transformer dessituations existantes en

situations désirées. Loris Malaguzzi

Réflexions, théories et expériences pour un projetéducatif basé sur la participationPaola Cagliari, Angela Barozzi et Claudia Giudici

1 Enfant d’Europe Enfant d’Europe 29

Dans le contexte de l’expérience éducativede Reggio Emilia, participation ne rime passeulement avec implication des famillesdans la vie de l’école, mais aussi avecvaleur, trait d’identité de l’expérience toutentière, façon de concevoir les sujets del’éducation et le rôle de l’école.Avant même les parents, ce sont les enfantsqui sont les sujets de la participation, lesconstructeurs actifs de leur apprentissage,les producteurs de points de vue originauxsur le monde. Ces points de vue, mis endialogue avec ceux d’autres enfants,peuvent se transformer en une culture del’enfance qui trouve sa place au sein mêmede l’école et du tissu social. Tout ceci n’estpossible que si l’école assume pleinement lavaleur et la pratique de la participation.

“Les écoles doivent être conçues nonpas comme des corps séparés de leurcontexte, mais comme desinstruments profondément intégrésaux familles et au territoire auxquels ilsse rapportent.”Luciano (citoyen)

Les sujets de la participation sont lesopérateurs de l’école et en particulier lesenseignants, qui ne se contentent pasd’exécuter des programmes fixés pard’autres, mais participent à la constructiondes processus de connaissance de chaqueenfant, du groupe d’enfants ainsi que duleur, qui est le fait d’apprendre à enseigner.Tout ceci passe par une écoute et unerecherche partagées collectivement par toutle groupe de travail. La participation sefonde sur l’idée que la réalité n’est pasobjective, que la culture est un produitsocial en constante évolution, que chaquesujet est porteur d’un savoir partiel et quepour construire un projet éducatif, les pointsde vue de tous, mis en dialogue dans uncadre de valeurs partagées, sont importantset pertinents. Telles sont les idéesfondatrices de la participation, mais aussi,nous le croyons, le principe même de ladémocratie.Si elle se veut participative, l’école doitouvrir des espaces, des lieux et desmoments dans lesquels tous les sujets,enfants, enseignants, parents, puissentdécouvrir la possibilité de s’exprimer etd’être écoutés. Il s’agit là d’une premièreétape nécessaire, certes adoptée par denombreuses écoles en Italie, mais qui serévèle insuffisante si nous voulons que laparticipation joue un véritable rôle actif etdémocratique dans la construction du projetéducatif au sein de l’école et de lacommunauté. En effet, chacun, enfant ou adulte, possèdesa propre manière de participer, c’est-à-direde prendre une part active, parce que lessubjectivités sont différentes.Participer est un verbe que l’on peutconjuguer au singulier ou au pluriel. Chacun

peut participer en tant qu’individu, apportersa propre contribution et recueillirindividuellement les informations et lescontributions des autres. La participationindividuelle est, et reste toujours, l’un desaspects de la participation de chacun. En cesens, elle prend une dimension différente sil’école se propose comme une communautéreliée à l’entité plus large qu’est la ville, sielle s’inscrit dans un projet plus ample.De plus, pour être de réels lieuxd’éducation, la crèche et l’école doiventnécessairement suivre de près lesproblématiques sociales et culturelles, lesidées, les contextes et les styles de vie enperpétuelle évolution. Elles pourront ainsifournir une lecture, une interprétation et uneversion actualisées des pratiques et desvaleurs ainsi que des propositionsculturelles et politiques, tout en continuant àposer un regard “cohérent sur les grandesorientations, les valeurs tournées versl’avenir et la spécificité de l’action éducativeau quotidien” (3).

“Selon moi, il importe que chacun ait lapossibilité de participer comme il lesent.”Tiziana (parent)

Cet objectif ne peut être atteint que si lacrèche et l’école adoptent la pratique et lavaleur de la participation et se définissentcomme des lieux sociaux et politiques etdonc éducatifs au sens plein du terme. Il nes’agit pas là d’une qualité “naturelle”,intrinsèque au fait d’être une école, il s’agitplutôt d’un choix philosophique de valeursqui a toujours été le propre de l’expérienceéducative en Reggio Emilia, tant sur le plandidactique que sur celui de la formation desenseignants et de la participation.Mais les parents ont-ils la compétencenécessaire pour participer? Habituellement, l’école ne les estime pascompétents, d’une part parce qu’elle atendance à ne pas se considérer commelieu social et politique et ne reconnaît doncpas leur compétence de citoyens et d’autrepart, parce qu’elle limite son intervention àl’enseignement des contenus disciplinaireset n’attribue par conséquent de l’importancequ’aux seules compétences spécialisées,que les parents ne possèdent généralementpas. Mais qu’est-ce que la compétence? Il s’agit d’une part d’un crédit que l’écoledoit accorder aux parents, tout comme auxenfants et aux enseignants. Un crédit quireflète un choix de valeur et lareconnaissance d’un droit, en tant quecitoyen, à intervenir dans la réalité socialequi nous concerne tous. Les parents sontdonc compétents dans la mesure où ils sontporteurs et constructeurs de vécus, depoints de vues, d’interprétations, d’idées quis’articulent en théories implicites etexplicites et qui découlent de leurexpérience de parents et de citoyens.

“Pour le parent, la participation estl’occasion de mieux connaître les

processus qui mènent vers certainschoix. Elle aide à comprendre

certaines positions mais aussi àprendre part à un processus

dynamique et complexe commel’éducation, que l’on ne peut diviseren unités distinctes et définies, qui

n’admet pas de solutions decontinuité mais implique au contraire

un lien actif et fort entre la famille,l’école et la ville tout entière.”

Giovanna (parent)

Ci-contre: Remida Day, une journée de recyclagecréatif. Brocante d’objets ménagers, Place San

Prospero, Reggio EmiliaSur cette page, de haut en bas:

Entretiens individuels avant d’intégrer la crèche. Conseil Infanzia Città.

Dans les cuisines de la crèche.Fête dans les jardins.

Enfant d’Europe 230 Enfant d’Europe

D’autre part, la compétence est unphénomène qui s’alimente et s’enrichit àtravers les processus de participation.Les situations illustrées par les photos decet article indiquent quelques modespossibles de participation des familles.Mais elles ne parlent pas de toute lacomplexité ni de toute la variété dessituations, des moments, des processusd’apprentissage et des stratégies quidonnent forme à l’expérience participative.Même si on le voulait et s’il était possiblede dresser une liste exhaustive de tous lesévénements participatifs, cela ne suffiraitpas à rendre au lecteur le sens plein de laparticipation des parents. La participation,en effet, n’est ni un modèle reproductible nisurtout un ensemble séquentield’événements. Il s’agit d’une expérience etd’un processus dont les contenus et lesstratégies entretiennent un rapportréciproque et interdépendant, créant desparcours toujours nouveaux (uniques etoriginaux). Ces parcours se construisent enfonction de l’identité de chacun de leursacteurs et des groupes auxquels ceux-ci sejoignent.A travers le dialogue, le groupe se construitune identité capable d’accueillir lessubjectivités de ses membres, c’est-à-direleurs idées, leurs pensées, leurs attentes,leurs propositions, leurs désirs et leursdroits. Mais en même temps, il dépasseces subjectivités en cherchant et repérantles propositions susceptibles de provoquerla rencontre des idées, des pensées, desattentes, des désirs, des droits individuels,sous des formes qui permettent à chacunde se reconnaître et de sentir sonappartenance. Nous avons tenté de construire l’idée de laparticipation comme étant une recherchesituée entre l’individu et la communauté, unlieu de création en commun du changementet d’une culture nouvelle, une culturegénérée par des processus importants dela démocratie.

“Nous pouvons tous, à notre échelle,contribuer à diffuser dans notre ville,une culture toujours plus attentive auxexigences de l’homme en tantqu’individu dès la plus tendreenfance; qui trouve son fondementdans le dialogue, la confrontation,l’acceptation de la diversité et leprofond respect de la vie.”Silvana et Andrea (parents)

“Eduquer signifie accepter des’impliquer, savoir écouter les autres,se mettre en rapport et accueillir lefruit des idées de personnes quipensent autremen.” Luisa (parent)

Notes(1) Carlina Rinaldi, Le domande dell’educare oggi (Les questions posées par l’éducation aujourd’hui)Editions Centre de Documentation et de RechercheEducative - Comune di Reggio Emilia.(2) Les Conseils Infanzia Città sont les organes degestion sociale et de participation des Nidi e Scuoledell’Infanzia (crèches et écoles maternelles) de larégion de Reggio Emilia. Les Conseils sont composésde l’ensemble du personnel de chacune desinstitutions et de parents et citoyens librement élus.(3) Daniela Lanzi et Ivana Soncini, Le domandedell’educare oggi, rapport interne.Editions Centre de Documentation et de RechercheEducative, Comune di Reggio Emilia.

Une partie de cet article et des illustrations est tiréedu livre Making Learning Visible: Children as individualand group learners, édité par Reggio Children.

Les phrases sont tirées de la Carta dei ConsigliInfanzia Città (La Charte des Conseils d’InfanziaCittà) publiée par le Centre de Documentation et deRecherche Educative - Comune di Reggio Emilia..

P.Cagliari, responsable de la coordinationpédagogique [email protected] -A.Barozzi, pédagogue [email protected] -C.Giudici, pédagogue [email protected] e Scuole d’Infanzia – Istituzione del Comune diReggio Emilia.

Couverture du magazine la mongolfiera.La lettre d’information des Conseils Infanzia Città des

structures municipales d’accueil Petite Enfance,Reggio Emilia.

Ci-dessus: Vote du Conseil Infanzia Città.Ci-dessus à partir de la gauche: Fournitures prévues pour une réunion avec des parentsRéunion d’un Conseil Infanzia Città.Fête dans les jardins.

1 Enfant d’Europe

Il y environ vingt ans, je visitais pour lapremière fois les écoles municipales deReggio avec un groupe d’enseignants demon pays. Chaque école avait désigné une personnedifférente pour nous accompagner et nousservir de guide durant nos visites. Je mesouviens que l’un de mes collègues avaitété très impressionné par la personne quiescortait son groupe. Elle répondait avecenthousiasme à toutes les questions demes collègues au sujet des compétencesdes enfants et du projet pédagogique del’école. Ce n’est qu’à la fin qu’il compritque son guide n’était pas une enseignante,mais la mère de l’un des enfants de l’école.Sa surprise et sa découverte ont soulevé denombreuses questions à propos de notrepropre expérience, que nous comparions àcelle de la ville que nous étions en train devisiter. Certains se demandaient commentles écoles faisaient pour travailler avec lesfamilles et créer chez elles une réactionaussi positive, aussi riche de connaissance“professionnelle”. D’autres ont voulu savoir quelle avait été laformation des parents? Qui les avaitformés? Quand, à quel moment? Qui avaitpayé leur formation? Que font les écoles,comment s’y prennent-elles pour impliquerainsi les familles? Comment obtiennent-elles un tel engagement? Quels sont leseffets de l’implication des parents surl’éducation des enfants? Cette implicationest-elle un élément essentiel du projet deReggio? Un troisième groupe a posé d’autresquestions. Que nous manque-t-il? Oùéchouons-nous? Que devrions-nous faireen Catalogne pour que les parentsconnaissent mieux nos écoles et ce nous yfaisons, tout comme à Reggio?Le groupe qui visitait Reggio il y a vingt

ans était très hétérogène. Soulignons queles questions les plus intéressantes, cellesqui sous-tendaient une réflexion sur notrepropre expérience dans le but de la faireavancer, étaient posées par desenseignants qui travaillaient dans desécoles auxquelles les familles participaient,des écoles ouvertes qui dialoguaient avecles familles et leurs communautés, desécoles qui appliquaient dans la pratique une

gestion hautement démocratique. Lesprofessionnels qui travaillaient dans cesécoles étaient précisément ceux qui avaientle plus de questions à poser à propos de lasituation à Reggio. Mais pour l’ensemble dece groupe de visiteurs, les écoles deReggio étaient une provocation, uneexpérience qui ne laissait personneindifférent.J’ai toujours été attirée par la forme et lecontenu de la pédagogie de Reggio, ainsique les idées et les actions de LorisMalaguzzi. Ce dernier a développé unepédagogie qui ne préjuge pas descapacités des enfants et créé des écolesqui sont devenues de véritables laboratoiresd’une éducation capable d’aller plus loin etde contribuer au changement social. Deson point de vue, la gestion sociale et laparticipation étaient des éléments essentielssitués au coeur d’un mouvement pour uneécole démocratique et une éducationnouvelle, au service d’un enfant riche etpuissant, un enfant qui doit être renduvisible.Dans le projet de Reggio, la participation – lavie démocratique de chaque école – signifieque l’on inclut la vie réelle au sein del’école, à tel point que le projet éducatif esten réalité construit en fonction de vie de lacommunauté scolaire. Toutes les écolesévoluent différemment, chacune étantunique dans le processus de constructionde ses connaissances et son identité. Nous savons tous que la participation – ausens vrai du terme, c’est-à-dire ladémocratie à l’école – implique le besoin,l’engagement, la volonté et la possibilité dechanger. Parce que la participation est unchangement, elle est une sorte de garantiepour l’évolution, la transformation. Laparticipation est une dynamique vivante quine tolère pas la répétition, évite la routine. Ils’agit d’une réflexion partagée, une manièreéthique de comprendre et concevoirl’éducation. Par conséquent,– comme nous le confirmel’article de Paola Cagliari, Angela Barozzi etClaudia Giudici – la participation faitaujourd’hui partie intégrante de la pédagogiedes écoles municipales des Reggio. Elle estintrinsèquement liée à la vie des tout jeunesenfants au sein des écoles de cette ville.A certains égards, la situation de Reggio

Enfant d’Europe 31

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Irene Balaguer est rédactrice dumagazine Infancia et membre del’Associació de Mestres Rosa Sensat.Pour de plus amples informations, veuillezcontacter: [email protected]

Enfant d’Europe 2

De la gauche vers ladroite:Remida Day 2002,Brocante d’objetsménagers, Place SanProspero.Matières en dialogue,Place Prampolini.Reggio Emilia.

est exceptionnelle, comme l’est, parexemple, la possibilité de compter sur uneéquipe professionnelle forte vouant uneconfiance absolue à la forme et au contenude son travail. Les membres de l’équipesont en outre formés à la théorie comme àla pratique et ont travaillé ensemble, defaçon systématique pendant de nombreusesannées. Bien sûr, certaines caractéristiquesde la pédagogie reggiane sont uniques,impossibles à copier, et il se peut que leursuccès soit dû en grande partie à cetteparticularité. Il est tout simplementimpossible de copier Reggio, sous peine detomber dans la superficialité.Lors de cette première visite d’il y a vingtans, nous avons remarqué que certainsenseignants de notre groupe envisageaientde copier, cherchaient des recettes, dessolutions magiques et tape-à-l’œil. Ilspensaient par exemple qu’il suffisaitd’accrocher des diapositives aux fenêtresde leurs écoles, ou de simuler laparticipation des parents pour utiliser lapédagogie de Reggio. A mon avis, cecomportement indiquait uniquement qu’ilsn’avaient pas compris ce qui étaitréellement à l’oeuvre à Reggio.Mais le groupe comptait également despersonnes qui travaillaient avec Reggiod’une autre manière. Ils essayaient dejuxtaposer les deux expériences, la leur etcelle de Reggio, afin de pouvoir analyser,découvrir les oppositions, les similitudes et

les différences entre les deux situationsainsi que les raisons de leur existence. Ilsessayaient ainsi d’élaborer et réélaborerleur propre situation dans un processuscontinu d’action et de pensée.Aujourd’hui, vingt ans après, il est possibled’identifier, dans le cadre de l’expérience etde la pratique de Reggio, plusieurs aspectscaractéristiques de la dimension politiquede son projet pédagogique:- un progrès par rapport à la vision

traditionnelle de l’éducation, qui mène versle changement social, l’accomplissementd’un nouveau modèle qui considère laparticipation, la démocratie et le dialoguecomme des éléments centraux duchangement des sociétés et des écoles, quisont unies dans un rapport de perpétuelleperméabilité et construction commune- un progrès par rapport à la vision

traditionnelle du professionnel qui seraitquelqu’un qui possède la connaissance etl’enseigne par transmission; l’incertitudecomme modèle d’action et de réflexion, laprise en considération des demandesémanant autant de l’intérieur que del’extérieur des écoles.Ces deux nouvelles dimensions: laparticipation et l’incertitude, contribuent àl’irréversibilité du travail pédagogique deReggio. Non seulement il s’agit d’un projetcommun, mais dans lequel aussi, chacuns’attend être à surpris, jour après jour, parl’acteur principal du projet: l’enfant. Un

enfant actif, principal moteur duchangement réel, un enfant toujourscapable de construire, comme le décrit lemagnifique livre Consiglieria, publié parReggio Children. Dans ce livre, des enfantsplus grands, de 5 et 6 ans, expliquent leurexpérience scolaire à des plus petits, lafaçon dont ils ont vécu à l’école, dont ilsl’ont partagée et comment ils ont contribuéà la construire:

“Nous suivons les règles de l’école, celles quiexistaient déjà et aussi celles que nous avonscréées. Nous avons parlé de règles, noussavons qu’elles peuvent être inventées, etnous avons parlé des choses les plusimportantes pour établir une règle: en discuter avec des amis, avec nos parents,nos instituteurs, etc.Nous pouvons tous élaborer de nouvellesrègles, même si nous n’en avons jamaisentendu parler auparavant. Nous, les enfants,pouvons également inventer de nouvellesrègles. Pour changer une règle établie, il estimportant d’interroger les autres, d’en parler,car changer une règle tout seul ne marchepas. Les autres ne seront pas conscients duchangement de la règle. Et s’ils neconnaissent pas les nouvelles règles,comment peuvent-ils les respecter?”

Participation? Démocratie? Une nouvelle façon de comprendre la vie et,au sein même de celle-ci, l’éducation. S’agit-il du grand défi?

32 Enfant d’Europe

Illustrations deConsiglieria (Conseils),édité par ReggioChildren.

Petite Enfance, Intégration et Parentalité

Prendre en compte à la fois des problématiques de la prime enfance et de la famille dans ses rapports avec lasociété, LE FURET s’attache à favoriser l’amélioration des pratiques d’accueil des professionnels en directiondes publics qui vivent des situations d’exclusion et de discrimination.Son originalité réside dans son ancrage toujours très important dans les réalités du travail social et proche des préoccupations des professionnels de la Petite Enfance.Le Comité de Rédaction se compose de personnes venant d’horizons divers qui ont comme point communune réflexion sur la Petite enfance. La diversité des personnes permet des approches variées tantsociologiques, que psychologiques, qu’ethnologiques, que pédagogiques, que médicales qui se croisent ets’enrichissent mutuellement dans un débat constamment entretenu.

Anciens numéros du FURET encore disponibles:

N° 15 Intégration et handicap • N°16 Pédagogies innovantes • N°22 Les voies du langage • N°24 Santé et PetiteEnfance • N°25 Des espaces à grandir • N°29 L’exclusion: une menace pour la petite enfance • N°30 Être etdevenir père • N° 31 Séparations, recherche de sens • N° 33 La croisée des générations • N° 34 Jeux, reflets desociétés • N°36 Enfants d’ailleurs, actions solidaires • N°37 Pages d’éveil • N°38 Résiliences en questions • N°39Du langage à la parole • N°40 Se construire par l’image • N°41 Adulte et enfant, nouvelles donnes? • N°42 LaFête: lien familial, lien social

Thématiques 2004:

N°43 L’enfant malade • N°44 Les professions de la Petite Enfance • N°45 Espaces et lieux de vie des enfants

Anciens numéros d’ENFANTS D’EUROPE encore disponibles:

N°1 Écouter l’Enfant • N°2 Célébrer la diversité • N°3 Des parents impliqués dans l’accueil de leurs enfants • N°4 l’accueil des enfants d’âge scolaire • N° 5 Les services d’accueil de la Petite Enfance. Reconnaissance etdiversification des professionnels

Thématiques 2004:

N°7 Les droits de l'enfant

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l’observatoire de l’enfant

est un programme d’action de la Région de Bruxelles-Capitale qui concerne la politique de l’enfance, et enparticulier la politique d’accueil de l’enfant. Il s’adresse aux professionnels et aux pouvoirs publics et met àleur disposition des connaissances, des services, des informations, les résultats de ses recherches et desrecommandations qui peuvent faire progresser les réflexions et débats. Ce programme accorde une placeimportante à la recherche et la recherche-action. Il vise à établir des liens forts entre recherches, politiques etmise en œuvre sur le terrain par l’adoption de pratiques de recherches souples et dynamiques menées en partenariat avec les différents acteurs politiques,administratifs ou avec les professionnels et les usagers. Celles-ci se complètent par une stratégie de communication systématique des résultats : GRANDIR À BRUXELLES est la publication qui sert à diffuser ces derniers auprès des principaux acteurs du secteur. Ce numéro est à chaque fois complété parun numéro d’ENFANTS D’EUROPE qui ouvre de nouveaux champs de réflexion à ses lecteurs.

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Enfants d’Europe est une publication éditée conjointement par un réseau de revues de huit pays d’Europe.Enfants d’Europe concerne les services destinés aux enfants âgés de 0 à 10 ans et à leur famille. Bienque la plupart des contributions émanent des pays participants, Enfants d’Europe n’en demeure pasmoins ouvert à toutes les régions d’Europe.

Grandir à Bruxelles et Le Furet, revues éditrices d’Enfants d’Europe en Communauté françaisede Belgique et en France se sont entendues pour coproduire la version française de ce numéro.