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No196 - Lge oral production

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Revue éditée par la FédérationNationale des Orthophonistes2 , rue des Deux-Gares, 75010 PARIS— T é l . : 01 40 35 63 75 —e - m a i l : f n o @ w a n a d o o . f r

Rédaction - Administration :2, rue des Deux-Gares, 75010 PARIS— Té l . : 01 40 34 62 6 5 —

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LANGAGE ORALPRODUCTION

Sommaire Décembre 1998 N° 196

Rééducation Orthophonique, 2, rue des deux gares, 75010 Paris

Ce numéro a été dirigé par Pierre Ferrand, orthophoniste

Paule Aimard, pédopsychiatre, Lyon 3

Justine ou la difficile conquête de l’autonomie et du langage 5Catherine Courrier-Hevia, orthophoniste, Anne Colin-Déat, psychologue, Nancy

1. De l’approche neuropsychologique en généralet du langage oral en particulier 19Dr Jean-Pierre Lasserre, médecin neurologue, Toulouse

2. Etiologies des dysphasies : le point de la question 27Jean-Jacques Deltour, Liège

3. Développement des productions vocales :Evaluation et implications cliniques 43Shirley Vinter, orthophoniste-psychologue, Maître de conférences, H.D.R., Besançon

4. Pour une évaluation intégrative du langage oral 59Jean A. Rondal, Ph.D., Dr.Ling.2, Liège

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1. Etude de cas : Emmanuelle, née le 14 novembre 1969 67Anne-Marie Robert-Jahier, orthophoniste, Châteauroux

2. Qui dit quoi ? Le rôle de la reformulation dans la rééducation du langage oralchez l’enfant de 4 ans 83C. Fouassier, A. Gadois, C. Hénault, D. Morcrette, L. BihourN. Guéret Modesco, orthophonistes, Caen

3. Quand le nombre est parlé avant d’être écrit :acquisition et élaboration de la chaîne numérique verbale 93Alain Ménissier, orthophoniste, Arc-les-Gray

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1. Apports de la pragmatique et de la psychologie du langageà la compréhension des troubles du développement du langage 103Geneviève de Weck, psychologue-logopédiste, Genève

2. Premiers pas dans l’acquisition du lexique 117Dominique Bassano, Directeur de Recherche au CNRS, Paris

3. Et si l’humour c’était sérieux ? 127Marion Fossard, orthophoniste, Toulouse

4. L’oral : une tâche moins discriminante que l’écrit ? 141Karine Duvignau, doctorante deuxième année, Toulouse

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Dans les années soixante, alors que se dessinaient les grandes lignesde l'orthophonie, à la fin d'un trimestre d'enseignement, une étudiante medemanda un rendez-vous. Déroutée par la diversité des matières enseignées,elle ne voyait pas comment faire la synthèse de toutes les disciplines qu'elledécouvrait. Submergée par trop de connaissances qui lui semblaient dispa-rates. Comment trouver là une certaine cohérence ?

Je la retrouvais un peu plus tard comme stagiaire. Elle était restée une« questionneuse », comme on aime à en voir parmi les étudiants, comme onreste soi-même après tant d'années. Sa question s'était simplement déplacée.Elle se demandait alors, vous l'avez deviné, comment faire le lien entre lesconnaissances théoriques fraîchement acquises mais non encore totalementintégrées et ce qu'elle vivait en consultation, la réalité clinique.

Faisons un saut dans le temps. Après tant d'années, l'orthophonie s'esttant enrichie, parfois même tant encombrée que chacun se trouve un jour oul'autre devant ces impératifs : trier, sélectionner, conserver l'essentiel et,quand il le faut, remettre en question. Les demandes de l'étudiante question-neuse sont celles de chacun de nous et demeurent les plus pertinentes.

La mise au point que présente le numéro spécial de cette revue consa-cré aux troubles du langage oral rend particulièrement sensible l'enrichisse-ment qu'a connu l'orthophonie autour de ce groupe clinique qui est aucentre de sa pratique et en partie de sa réflexion. Bien peu des lecteurs d'au-jourd'hui ont eu accès à ce premier document qui fait en quelque sorte figured'acte fondateur dans les travaux de langue française : « Les troubles dulangage de l'enfant », un rapport présenté au Xlle Congrès des Pédiatres delangue française en 1949 : un demi-siècle ! Les noms des signataires sontfamiliers à tous, tant par leurs écrits que par des présentations orales :

C. Launay, S. Borel-Maisonny, J. Duchène, R. Diatkine. Ces initia-teurs ont tracé les premiers cheminements de l'orthophonie ; les mêmes ontoeuvré pour en conduire l'évolution pendant les décennies suivantes.

Autour des troubles du langage de l'enfant s'est constitué depuis cettepériode héroïque un creuset de réflexion, de recherche, d'échange d'idéesd'une richesse exceptionnelle. Parce qu'il s'agit du langage, parce qu'il s'agitde l'enfant, du développement de l'enfant, du premier âge, des questionsrelationnelles de la petite enfance. Des thèmes qui ont été le terrain d'enri-chissements renouvelés, de moments d'essor exceptionnel et parfois de polé-miques sévères. Certaines approches voulaient tout balayer, tout expliquer...

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Nous n'avons jamais perdu de vue, dans les moments de tourmente, qu'enprivilégiant une seule optique, un seul mode d'approche, une seule théorie,on ne pourrait jamais expliquer tout le langage et tout ce qui se passe, bienou mal, à l'âge de son acquisition.

Avec ces apports nouveaux, parfois séduisants, souvent indispen-sables, le territoire clinique des troubles de l'acquisition du langage s'estprécisé, affiné, nous amenant à naviguer entre la tentation de trop délimiteret classer et celle de rester dans le flou. On ne confond plus, par exemple,une séméiologie autistique et les difficultés de communication qui peuventsurvenir chez un enfant déficient auditif, mais l'attention doit rester en éveil,il existe des cas limites ou des formes mixtes.

La parcellisation des connaissances dans tous les champs des scienceshumaines a entraîné, au fil des ans, une hyper-spécialisation, qu'il s'agissede recherche, de soins, de pratique professionnelle. Nombre d'orthophonistesont eu le souci de compléter leur formation, d'ajouter un « plus » à leursconnaissances de base, aboutissant à des spécialisations parfois très « poin-tues », soit par le type de formation (plutôt « psy », plutôt « socio », plutôtlinguistique, etc.), soit par le champ clinique privilégié (surdité de l'enfant,aphasie, dyslexie, etc.).

En même temps l'orthophonie atteignait une certaine maturité, ce quipermettait de prendre du recul, de penser synthèse, de voir les problèmesdans leur ensemble. La richesse actuelle s'enracine dans ce paradoxe : d'unepart une orthophonie en plein essor qui, au fil des ans, s'efforce de faire lasynthèse des nombreuses approches qui gravitent autour du langage, d'autrepart des attitudes thérapeutiques individuelles de plus en plus diversifiées etp e rsonnalisées. Ces apparentes contradictions ne peuvent que conforterchacun dans une attitude qu'il me semble avoir encouragé depuis « la nuitdes temps » : chaque enfant est unique, aucune recette n'est standard, ontravaille au cas par cas. Ce côté « à la carte » de la prise en charge requiertimagination, initiative, ouverture ; une remise en question devant chaquecas. Ces libertés ne vont pas sans quelque revers de médaille : un petit brinde risque et d'incertitude car rien n'est totalement tracé, aucun résultat n'estvraiment prévisible.

Paule AIMARD,Pédopsychiatre104, rue Crillon69006 LYON

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Justine ou la difficile conquêtede l’autonomie et du langage

Catherine Courrier-Hevia, Anne Colin-Déat

RésuméLes troubles de langage oral du jeune enfant, particulièrement lorsqu'ils sont accompagnésde troubles de la communication, nous interrogent sur les origines psychiques du langage. Atravers l'histoire de la rééducation de Justine, nous essaierons de réfléchir à ce qui, au-delàdes acquisitions, opère dans la relation établie avec l'enfant.Mots clés : communication - langage - développement de la personnalité - transfert.

Justine, or the difficult conquest of autonomy and language

AbstractSpeech problems in the young child, especially when accompanied by communication pro-blems, lead us to examine the psychological origins of language. Through the story of Justi-ne's remedial education, we shall attempt to think about what occurs in the relationshipestablished with the child, over and beyond language acquisition.Key Words : communication, language, personality development, transference.

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L es rééducations de retard de langage sont tout à la fois fascinantes et émou-vantes. Fascination de voir le langage s'étayer et se construire peu à peu,émotion de voir l'enfant s'émanciper en s'appropriant ce fantastique outil.

Aux débuts de ma vie professionnelle, j'avais de plus le sentiment quel'ensemble de ce qui se passait dans ces rééducations m'échappait. Que se pas-sait-il entre ces enfants et moi pendant les séances de rééducation, qui permet-tait au langage de se mettre en place, alors que je n'avais pas l'impression de leurapprendre à parler ? Questions naïves d'orthophoniste fraîchement diplômée, quiont trouvé, grâce à la formation continue, quelques réponses dans l'étude dudéveloppement des structures de pensée et dans le domaine de la linguistique.

Cependant, les enfants que nous rencontrons pour des retards de langageont souvent de gros troubles de la communication, même non verbale. Or, cettedimension pragmatique n'est pas vraiment prise en compte ; elle ne fi g u r ed'ailleurs pas dans notre nomenclature. Pourtant, il est évident pour la plupartd'entre nous que la communication est intimement liée au langage et nous y fai-sons presque toujours allusion dans nos bilans. Nous différencions l'enfant qui,malgré un retard dans la construction de son langage, a de bonnes stratégies decommunication non verbale, de celui qui, en deçà de son retard de langage, n'apas mis en place de capacités de communication.

Cela a vraiment été mon sentiment tout au long de la rééducation de Jus-tine. Malgré mes suggestions réitérées, ses parents ont toujours refusé de ren-contrer un psychologue. J'ai accepté de respecter leur choix et d'accéder à leurdemande de rééducation. Mais ce fut un accompagnement éprouvant, car je suistoujours restée préoccupée de ce que cette petite fille me donnait à pressentir deses difficultés à se construire, en dépit de ses progrès rapides et constants sur leplan du langage.

Il m'a semblé intéressant de réfléchir à cette intrication communication/langage, en essayant d'interroger ce qui, au-delà des acquisitions, opère dans la

Anne COLIN-DÉATPsychologue, psychothérapeuteCentre d'Education pour Déficients VisuelsSantifontaine 54000 NancyCentre de Placement Familial54115 Thorey-Lyautey

Catherine COURRIER-HEVIA Orthophoniste6 bis, quai de la Bataille 54000 Nancy

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relation établie avec l'enfant. S'il est évident, pour nous orthophonistes, quecette relation (que l'on peut appeler transfert) est centrale, nous n'avons pas tou-jours dans notre formation les outils théoriques nous permettant de comprendrece qui s'y joue. De plus, ce n'est pas notre rôle que de travailler sur le transfert.

J'ai donc choisi de demander à une psychologue particulièrement sensibili-sée à ces questions, ayant elle-même été orthophoniste par le passé, de faire deshypothèses sur ce qui a pu se jouer pour cette fillette, pendant deux ans et demi derééducation, et lui permettre de faire un long chemin. Elle ne connaît l'enfant qu'àt r avers mes propos, quelques dessins et les notes que j'avais prises à l'époque.

Nous avons choisi de présenter ce récit à deux voix de façon continue etchronologique, en ayant simplement recours à deux typographies différentes.

◆ Justine et sa famille

La première fois que je rencontre Justine, elle est âgée de 3 ans 8 mois.Elle a une grande sœur, de six ans son aînée, et sa maman attend un autreenfant. C'est une petite fille à la fois menue et musclée, noueuse. Tout au longde ces deux années, je ne la verrai pratiquement jamais en robe. Les premierscontacts avec elle sont difficiles et un bilan classique s'avère impossible. Le peuque j'arrive à percevoir de son langage laisse apparaître un jargon importantavec quelques mots signifiants extrêmement déformés. Elle est très inhibée, lit-téralement dans les jupes de sa maman, collée à elle. Pendant de longs moisd'ailleurs, Justine ne pourra pas me dire « bonjour » devant sa maman. Bienqu'elle vienne très volontiers en rééducation, sa façon de répondre à mes saluta-tions consistera longtemps à me tendre un objet (jouet, livre, carte, dessin, etc.)ramené de chez elle et remporté chez elle à la fin de la séance. Il faudra plusd'un an pour qu'elle puisse venir sans objet et parvienne à me saluer.

Dans les jours qui suivent le bilan, le pédiatre prescripteur m'appelle pourme demander mon avis au sujet de cette petite fille et me conseiller une extrêmeprudence. En effet, il m'apprend que la famille, sur ses conseils, avait déjà com-mencé un bilan dans un centre de consultation de la région. Les parents ontentendu parler de psychose, se sont braqués et ont refusé de poursuivre lesinvestigations (ni lors du bilan, ni par la suite, les parents de Justine ne me par-leront de cette expérience). Il me fait part en outre de ses préoccupationsconcernant les symptômes de Justine et me précise qu'il n'a relevé aucune ano-malie neurologique.

La mère de Justine est une femme très douce et gentille, un peu austère ettriste dans son apparence et peu exubérante. Elle appelle sa fille avec un curieux

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diminutif : « Jus », alors qu'elle appelle ses autres enfants par leurs prénoms.Elle est très inquiète, en demande de conseils, et en même temps très défensive,parlant presque en même temps que moi pour ne pas m'entendre. Pendant trèslongtemps, chaque fois que je formulerai une hypothèse ou essaierai de donnerun conseil, la mère de Justine aura cette attitude, me signifiant qu'elle sait déjàou fait déjà tout ça. Ce n'est qu'après quelques mois, lorsque Justine aura com-mencé à faire des progrès et que je serai rassurante et encourageante dans mespropos, que la mère me révélera qu'elle-même a parlé très tardivement et quel'on avait à l'époque suspecté chez elle une surdité profonde.

Dans les premiers temps, je ne rencontre pas le père de Justine. Il est trèspris professionnellement, peu présent, sera même muté dans le Nord un an plustard. Les parents de Justine choisissent alors de préserver sa bonne insertion àl'école et sa rééducation orthophonique (sans prendre ni l'avis de l'institutrice, nile mien) et de ne pas déménager. Le père fera les trajets tous les week-end pourrejoindre sa famille pendant plus de deux ans, avant d'être muté dans le Sud.A ce moment seulement, à la fin du C.P. de Justine, toute la famille déménagera.A plusieurs reprises, lors d'entrevues provoquées avec les deux parents pourfaire le point, le père parlera de son inquiétude pour sa fille, même alors que lesprogrès sont manifestes et importants. Il me confiera bien plus tard avoir étéinquiet au point de penser que sa fille avait un handicap ou un problème mental.

Le suivi s'engage dans un climat de craintes non formulées et de non-ditsde part et d'autre (la suspicion de psychose, de handicap mental, le mutisme dela mère durant sa petite enfance... )

Les parents n'ont pas donné suite aux premières investigations menéespar une équipe pluridisciplinaire, confrontés à quelque chose d'intolérable, àdes hypothèses alarmistes, réellement avancées ou simplement redoutées...

Justine présente le même symptôme que sa mère, mais celle-ci ne peutl'évoquer de prime abord. S'adresser à une orthophoniste plutôt qu'à un psycho-logue permet de faire l'économie d'une confrontation aux conflits non résolusqui se réactualisent, et d'aborder les difficultés de l'enfant sans en interroger lesens.

Dès lors, l'attitude particulière de la maman, qui en permanence sollicitedes conseils et en dénonce l'utilité, apparaît comme une conséquence logique dela situation paradoxale dans laquelle elle se trouve.

Pour ses parents, Justine est « en panne de langage ». Dans un pre m i e rtemps ils font silence et impasse sur l'histoire maternelle, n'évoquent pas davan-t age les troubles relationnels de leur fi l l e, ni les angoisses profondes que celag é n è re ; n'ayant pu trouver à s'engager dans un travail sur les conflits et les fan-tasmes inconscients passés ou actuels qui pourraient participer de ce symptôme

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r é c i d i v i s t e, ils s'orientent vers une rééducation dont il est attendu répara t i o ndans la réalité. Le re c o u rs à une spécialiste, investie de la capacité d'éra d i q u e rou de corriger le défaut de langage, permet à la mère de solliciter une aide poursa fi l l e, tout en maintenant le refoulement quant à ce qui peut soutenir ou auc o n t ra i re inhiber un enfant dans son devenir de sujet parlant. Cependant, àaccréditer plus ou moins consciemment l'idée que l'entrée dans le langage de safille relève d'un savoir faire que certains maîtriseraient et qu'elle ne possédera i tpas, la mère se trouve face à un sentiment d'impuissance et de culpabilité re d o u-blé ; d'où sa résistance à consentir aux re m a rques et conseils de l'orthophoniste.

Le scénario est fréquent et bien connu des orthophonistes, puisque ladéfinition même de leur mode d'intervention y contribue. L'orthophonie se pré-occupe du symptôme ; elle tend généralement à l'aborder dans une approcheglobale du sujet, mais elle ne construit pas sa pratique sur une connaissance etune prise en compte des origines psychiques du langage et des fondements psy-chopathologiques de ses avatars. Elle ne fait pas obstacle aux questionnementspsychologiques quand ils surgissent, mais leur accorde un statut périphérique àson objet. Cette mise à distance de la dynamique psychique qui sous-tend larelation et l'énonciation, au profit d'une approche instrumentale, comporte seslimites ; elle n'en est pas moins efficace et bénéfique dans nombre de situations,fussent-elles très alarmantes, car elle s'offre comme une aire d'investissementsmultiples et ambigus qui favorisent certains réaménagements psychoaffectifsparallèlement au travail de rééducation.

C'est vraisemblablement le cas pour Justine. En dépit des résistancesparentales à envisager les difficultés sous l'angle de la communication, et mal-gré le caractère éprouvant de la séparation, l'enfant s'investit très vite et pro-gresse dans la relation et le travail avec son orthophoniste.

De multiples hypothèses peuvent être formulées quant à ce qui lui permetd'évoluer dans ce cadre : au-delà de ses paradoxes, cette démarche de la mèreauprès d'une professionnelle peut constituer pour la fillette une reconnaissancede sa souffrance et de son droit à l'émancipation. L'orthophoniste peut êtreinvestie comme un auxiliaire paternel ou maternel venant soutenir son devenirde sujet, c'est à dire quelqu'un relayant le père dans sa fonction de tiers, ou lamère dans ses tentatives de le faire valoir.

Justine aurait pu rester piégée sous le poids de la répétition et descraintes la concernant, mais il semble au contraire qu'elle parvienne à s'endémarquer, l'orthophoniste ayant reçu et accepté sa part du fardeau que la pro-blématique familiale faisait supporter à l'enfant. Justine n'est plus seule. Unepremière désintrication de l'histoire respective de la mère et de l'enfant ainsiréalisée, la fillette peut s'employer à de nouvelles expériences.

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◆ La rééducationTrès vite, bien qu'il soit compliqué pour elle de quitter sa mère pour venir

avec moi, Justine investit la rééducation et la personne de l'orthophoniste.A cause de son inhibition et de ces objets qu'elle me tend comme un écran entreelle et moi, je choisis de travailler sur deux plans : d'une part l'axe symboliqueavec des jeux de faire semblant (qui vont être en même temps l'occasion de ver-baliser tout ce qu'on agit ensemble), d'autre part la prise de tours dans la conver-sation et la prise en compte de l'autre dans la communication avec des petitsjeux de mémory (pour l'alternance chacun son tour) ou le jeu de la marchande.

Il est très difficile pour moi de travailler avec elle. Lorsque nous jouons àterre avec des petits bonshommes, Justine vient toujours tout près de moi et sesbonshommes viennent toujours se coller aux miens. Elle a du mal à accepter lescontraintes du type chacun son tour ou à respecter des décisions prises en com-mun quand nous jouons ainsi. La distance est difficile à mettre en place et celaprovoque chez moi une certaine angoisse. Peu de temps après les débuts de larééducation, la maman accouche d'un petit garçon (et je rencontre le père pourla première fois puisque c'est lui qui accompagne Justine aux séances). Il mesemble qu'à partir de ce moment, Justine commence à pouvoir mettre une cer-taine distance physique entre nous. Cependant, quand nous jouons au loto ou aumémory, elle a toujours du mal à accepter la prise de tour. Ses dessins ne sontpas représentatifs, elle barbouille allègrement et jargonne toujours autant.

A la fin de l'année scolaire, (Justine vient alors me voir depuis trois mois,une fois par semaine), je peux lui faire passer de petites épreuves de bilan. Sonsystème phonologique est incomplet (absence de [ch, j, r]), et le retard de paroleest important. Elle commence à se repérer dans le temps, différencie le jour et lanuit, avant et après (et l'exprime dans son langage) mais présente un retard mas-sif dans la compréhension et l'expression des termes relatifs à l'espace. Devantle dessin de trois bonshommes rangés du plus petit au plus grand, quand je luidemande comment est celui-là (en espérant entendre « grand »), elle me dit« c'est Papa, c'est Justine (en montrant le petit) et ma petite sœur (en montrant lemoyen) ». Or elle a une grande sœur et un petit frère...

Par ailleurs, je trouve qu'elle communique beaucoup plus verbalement etcommence à prendre en compte l'autre. Elle m'appelle [kakrin], se met parfois àrire, et accepte quelquefois de me parler devant sa maman. Elle commence àstructurer des phrases, mais avec un débit haché, de fréquentes reprises inspira-toires et des épisodes encore fréquents de simples juxtapositions de mots. Soninstitutrice remarque aussi des progrès en langage et une ouverture face auxautres enfants, mais la décrit comme étant encore souvent dans son monde etpersonnelle avec les jouets.

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Dans les premiers temps, Justine ne peut quitter sa mère et entrer en rela-tion sans un certain rituel, tandis qu'elle n'a pas pleinement accès aux codessymboliques ordinaires qui cadrent les échanges (le bonjour, la prise en comptedes tours de parole). Elle est « inhibée », en retrait, ou « collée » à l'orthopho-niste; il n'y a pas de moyen terme. C'est pourtant dans « cette distance difficile àmettre en place » que pourra se déployer la parole... Parler suppose un décolle-ment, l'aménagement d'un espace entre deux êtres différenciés. Or il semble queJustine se situe encore dans un registre très fusionnel. La construction psy-chique procède d'une succession de pertes et de renoncements ouvrant sur lesymbolique. Les toutes premières opérations de symbolisation pré-langagièresdécrites par Freud visent déjà à surmonter les séparations initiales telles quel'absence du sein ou de la mère.

Durant l'étape préoedipienne qui qualifie la relation première de l'infans( é t y m o l ogiquement celui qui n'est pas parlant) à la mère, celle-ci incarnel'Autre comme lieu du langage dans la mesure où elle parle à son enfant etinterprète ses éprouvés, mais la relation se joue essentiellement dans le mondedes choses et le corps à corps. Au cours de cette phase initiale, l'enfant vit dansl'illusion qu'il constitue l'unique objet du désir maternel et peut le combler.Cette phase de complétude initiale est nécessaire, mais un décollement doit pro-gressivement s'opérer afin que l'enfant ne reste pas captif d'une relation où ildevient la proie des significations de l'autre entièrement suspendu à ce que lepartenaire lui indique. De cette opération de décollement, de séparation, dontnous sentons qu'elle est problématique pour Justine, dépend pour l'enfant lapossibilité de se poser pleinement comme sujet parlant et désirant.

C'est à la faveur d'événements particuliers, tels que la naissance d'unpuîné ou la découverte par l'enfant du plaisir qu'il peut se pro c u rer en dehors dela mère, que s'amorc e ra le phénomène; mais c'est surtout la mise en jeu de lafonction paternelle qui sera déterminante. Le père vient faire intrusion dans ceto rd re imag i n a i re qui régissait la relation mère-enfant pour que s'installe l'ord res y m b o l i q u e ; interdisant l'inceste, à savoir le corps à corps avec la mère, du faitmême que celle-ci est déjà possédée, l'intervention paternelle invite l'enfant à sedésengluer de l'univers des choses pour entrer dans celui des mots. Dans le casde Ju s t i n e, on peut s'interroger sur l'appui que représente le père réel, tétanisépar la crainte du handicap mental. Il s'en remet à d'autres (notamment à l'ortho-phoniste et à l'institutrice), choisissant de priver les siens de sa présence quoti-dienne lorsqu'il est muté, plutôt que de confronter sa fille à d'autres sépara t i o n s .

Le début du suivi coïncide pour Justine avec l'arrivée d'un petit frère. Ilest possible que cette naissance bouleverse l'organisation de la relation mère-enfant et joue un rôle positif pour la fillette, déboutée de la place de benjamine.

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Les processus d'individuation s'en voient stimulés et Justine évolue dansses conduites relationnelles et langagières. Elle commence à prendre l'autre encompte, à mieux tolérer la distance physique et psychique, dans la mesure oùelle-même se différencie davantage.

Cependant le bilan révèle un tableau dysharmonieux et un retard toujoursimportant. Justine s'ouvre timidement ; malgré une amorce de construction syn-taxique, l'élocution reste très contrariée, de même qu'elle est « encore souventdans son monde ».

L'extériorisation par la parole ne va pas de soi ; elle suppose en effet unerelative cohérence interne et la possibilité pour l'enfant de se reconnaître et dese projeter dans une configuration familiale où il se repère. Face au dessin destrois bonshommes (lequel peut suggérer le triangle oedipien ou la fratrie), Jus-tine produit une série qui témoigne de la confusion des places et des rôles danslaquelle elle se trouve encore. Il faudrait pouvoir l'entendre davantage pouravancer des hypothèses sur le type de condensation ou de télescopage qu'elleréalise ainsi; il est probable qu'elle n'ait pas encore intégré la différence desgénérations.

Toujours est-il qu'en l'occurrence, elle n'est pas accessible à la consigneet ne peut se décentrer des identifications imaginaires confuses que sollicite ledessin, pour se prononcer sur la notion de taille relative... L'envahissement fan-tasmatique fait obstruction à la démarche de raisonnement et d'abstraction.

A la rentrée, je retrouve Justine très en forme. La mère me signale quechaque fois qu'ils passent en voiture dans la rue du cabinet, sa fille parle de moi.En plus de ses petits objets, elle commence à ramener des dessins qu'ellem'offre. Les jouets qu'elle ramène sont des bonshommes légos, des petites voi-tures ou des cartes de collection sur les basketteurs.

A la suite du bilan de juin, je décide de travailler désormais les axes sui-vants : la structuration de l'espace et du schéma corporel car elle ne dessine tou-jours pas de bonhomme, l'attention auditive, la syntaxe à l'aide des « Histoires àparler » de Laurence Lentin (1) que je lui prête, la communication en poursui-vant nos jeux de dînette ou de loto.

En essayant de travailler avec elle le schéma corporel (désigner sur elle,moi, une poupée etc.), je me rends compte qu'elle supporte mal de me toucherou que je la touche. Je n'insiste pas. De toutes façons, les activités trop structu-rées (du type attention auditive en jouant avec des instruments de musique) nesont pas possibles. Je crois que ça ne l'intéresse pas, en tout cas c'est un fiascocomplet! Jusqu'à Noël, je navigue donc à vue entre mes projets et les envies de

(1) Lentin L. (1989) - Histoires à parler : série de 18 livrets pour tout-petits, Paris - Istra (Casteilla).

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Justine qui me dit souvent désormais ce qu'elle souhaite faire : « Non, je veuxjouer, moi ». Nous négocions ainsi des compromis.

Elle a peu à peu accepté la présence d'une stagiaire, puis que celle-ci parti-cipe un peu à nos activités. Cependant, elle continue à me tendre un objet en guisede salutations quand je viens la chercher dans la salle d'attente. Je ne supporte pluscet « é c r a n - j o u e t » tendu vers moi quand je l'accueille, car il me semble en décalageavec les aptitudes que Justine a développées sur le plan verbal. En effet, elle est deplus en plus enjouée, nomme la stagiaire par son prénom et raconte de plus en pluspendant les activités que nous faisons. Elle tient donc mieux compte de l'autre maisa encore du mal à ajuster l'alternance chacun son tour. Début novembre, je« c r a q u e » et lui dis que je refuse de travailler avec elle si elle ne me dit pas bonjour.A partir de ce moment, elle me tend son jouet en disant « b o n j o u r » !

Justine a pu nommer l'orthophoniste au cours de leurs échanges, et ellepeut maintenant évoquer sa présence à distance. On assiste à un développementparallèle du transfert engagé et des acquisitions : tandis que la fillette atteste decette intégration psychique de la séparation qui lui permet de reconnaître et demaîtriser l'absence de l'autre par la parole, elle-même commence à pouvoir sedésigner par l'emploi du « Je », et à faire valoir ses propres envies sur un modeverbal : « Je veux jouer ! ».

Cette recherche de distance dans la communication pour laquelle l'ortho-phoniste avait intuitivement opté en vertu de son ressenti au contact de Justine,porte peu à peu ses fruits, relayé par des circonstances familiales qui invitentl'enfant à un certain sevrage.

Justine témoigne en effet de gros progrès dans le processus d'individua-tion. Il semble qu'elle émerge d'une problématique fusionnelle et puisse s'éprou-ver dans une relation duelle entre deux sujets différenciés. Cette évolution estindispensable pour que l'enfant puisse ensuite construire son identifi c a t i o nféminine dans une relation triangulaire et accéder à l'oedipe.

La consolidation du processus de séparation-individuation doit cepen-dant pouvoir s'étayer sur le développement de la maîtrise corporelle. Or, ilsemble que Justine rencontre d'importantes difficultés à ce niveau : le toucherconserve un caractère intrusif, tandis que la structuration chaotique du schémac o r p o rel et l'apparition tardive du bonhomme dans le dessin révèlent uneconstruction très délicate de l'image inconsciente du corps.

Justine toutefois, avance à son rythme, tandis que se négocie au jour lejour l'ajustement respectif de son désir et du projet de l'orthophoniste.

En Janvier, je refais avec elle un petit bilan. Elle a alors 4 ans 6 mois etcontinue de progresser : apparition du dessin du bonhomme, des phonèmes [ch,j] non systématisés, progrès en mémoire verbale, début d'utilisation des pro-

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noms personnels (moi, je, tu, il avec des confusions il/elle). Elle a pris suffisam-ment d'aisance et de distance avec le langage pour pouvoir définir des mots.

Cependant, elle a encore des difficultés avec les contractions (type « dele » pour du), avec les pronoms possessifs (« les petites filles de moi » pour mescopines), elle ne sait pas jouer aux devinettes et le retard concernant les termesrelatifs à l'espace reste massif (alors que pour les termes relatifs au temps elleest très en avance, elle commence à se situer dans les jours de la semaine).

Son institutrice la décrit comme étant assez autoritaire avec les enfants,ayant des difficultés à partager, et signale surtout qu'elle a eu beaucoup de mal àlaisser en classe sa blouse de peinture, comme le veut l'usage dans son école.Elle pleure et veut absolument la ramener chez elle tous les soirs, pendant plu-sieurs mois. Par ailleurs, elle travaille bien et ne pose pas de problèmes particu-liers malgré ses difficultés de langage.

Justine fait donc des progrès réguliers. Elle est devenue très bavarde, ellequi était si inhibée. Mais cette rééducation continue à me préoccuper. En effet,son bavardage est tel que je dois souvent lui demander de se taire pour que nouspuissions travailler. Quel paradoxe! Mais je me rends compte en fait que cebavardage est comme un écran qu'elle place entre nous et qui n'est pas vraimentdestiné à communiquer. Elle ne m'y laisse aucune place.

Le bilan effectué à la fin de son année de moyenne section de maternelle(elle a alors 4 ans 11 mois) confirme que les progrès sont importants : Justineproduit de nombreuses phrases complexes, parvient de plus en plus à décoderl'implicite, parle de ce qu'elle vit à l'école et à la maison, peut me saluer devantsa maman, sait écrire son prénom, commence à sexuer ses bonhommes, à savoircompter et se normalise sur le plan scolaire.

Ses parents sont contents des progrès de leur fille mais le père me fait partde son inquiétude pour la scolarité future car il la trouve encore très en décalagesur la plan verbal, avec les autres enfants de son âge.

Effectivement, malgré tous les progrès accomplis par Justine, son langagegarde un caractère nettement pathologique. Jusqu'au terme de la rééducation, jegarderai d'ailleurs cette impression qu'il faut accompagner et étayer pas à pas lelangage de cette petite fille. L'absence du phonème [r] en finale de mot oudevant une voyelle donne à sa parole un aspect " bébé ". Les difficultés qu'elle aavec les termes relatifs à l'espace (dedans pour dans, dessus pour sur), avec cer-tains déterminants, avec les pronoms possessifs, personnels (confusion il/ellequi demeure), relatifs (difficulté notamment avec le qui relatif) empêchent sasyntaxe de se normaliser tout à fait. Malgré la fluidité verbale qu'elle a désor-mais (presque plus d'inspiration au milieu des phrases), elle a encore desmoments de jargon où le discours retrouve un caractère déstructuré.

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Les progrès langagiers et les dessins de Justine sont autant de témoins desa structuration : à quatre ans et demi, la fillette n'est plus ce gribouillaged'elle-même au sein d'une constellation familiale indéchiffrée ; elle peut mainte-nant se représenter dans une évocation figurative de sa famille, où chacunprend corps dans son statut d'enfant ou sa fonction parentale, de même qu'ellecommence à sexuer ses bonshommes, c'est à dire à entrer dans un registre d'in-vestigation ouvrant sur l'oedipe.

Pourtant, à chaque étape, l'orthophoniste pointe une série de comporte-ments et de difficultés persistantes qui s'érigent comme autant de hiatus, d'élé-ments en discordance avec l'évolution d'ensemble, qui ne laissent pas d'inquié-ter quant à l'assise réelle des acquis et quant à leur qualité d'intégration. Lebesoin de recourir au transport d'objets pour aff ronter certains passage s(comme l'entrée en contact avec l'orthophoniste, le départ de l'école) subsistet o u j o u rs. En écho à cet usage transitionnel et contraphobique de certainsobjets, l'orthophoniste évoque un investissement du langage toujours probléma-tique : une aisance verbale qui ne va pas de soi, « qu'il faut accompagner etétayer pas à pas », qui peut fonctionner à vide (ou plutôt pour elle même), fai-sant barrage à la communication ; comme si la parole d'autrui pouvait encoreintroduire une proximité menaçante, un risque d'engloutissement dans le dis-cours-corps de l'autre... Justine se défend alors en faisant du discours même unrempart, un écran de « bavardage » face à la relation anxiogène.

Cette fragilité s'exprime également dans un registre plus instrumental,par ses difficultés à jouer aux devinettes ; Justine est encore démunie lorsquel'ajustement subtil à l'autre, au savoir, à la part respective de l'explicite et de ladéduction passent par le dialogue verbal. De même que certaines acquisitionssyntaxiques ne trouvent pas à s'intégrer : il s'agit de tous ces petits marqueursrelatifs à l'espace et à la détermination des personnes ; un flou persiste dansl'organisation des représentations psychiques.

Lorsque je retrouve Justine après les vacances d'été, elle a encore fait desprogrès. Cependant, il lui faudra encore toute la dernière année de maternellepour achever la construction de son système phonologique (place du [r] dans laparole, substitutions [ch/s, j/z]), tandis qu'un travail visant à améliorer la syntaxese poursuit (notamment la différenciation il/elle et l'utilisation des pronoms rela-tifs et possessifs). Je l'accompagne ainsi jusqu'à son entrée au C. P. Elle est alorstrès fière de me montrer son livre de lecture et est consciente que nous allonscesser de nous voir car elle n'a plus besoin de moi. La rééducation s'arrête finoctobre. Justine a alors 6 ans 3 mois.

Entre 5 ans et 5 ans et demi, Justine apporte différents dessins qui témoi-gnent de ses préoccupations concernant la différence des sexes et la transmis-

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sion de la vie. (A cette période la mère est sur le point de concevoir son qua-trième enfant). Ces productions ne font pas l'objet de commentaires oud'échanges particuliers, mais ils constituent autant de paroles muettes qui trou-vent un lieu d'adresse en la personne de l'orthophoniste et soutiennent sansdoute Justine dans son investigation. Cette curiosité sexuelle infantile est unephase importante du développement psychoaffectif, car elle conduit à l'oedipe,étape cruciale où l'enfant va chercher à se dégager de la relation d'étroitedépendance à la mère et construire son identité sexuée. Cette longue maturations'initie ordinairement vers l'âge de 3 ans. Justine poursuit donc sa constructionpsychique avec un décalage temporel important.

Ses tentatives d'organisation et d'identification sur le versant oedipiensemblent fragiles. En effet, à 6 ans, la figure de la mère phallique, (la mère toutepuissante des débuts de la vie) reste prévalante dans les productions figurativeset cohabite avec des représentations beaucoup plus régressives, où la structureanatomique des corps est ramenée au simple squelette. Il se peut, compte tenude la problématique de l'enfant, que le déroulement du complexe de castration,cheville majeure de l'oedipe qui doit conduire la fillette à modifier sa relation àla mère, se heurte à la survivance d'angoisses archaïques de perte d'objet.

On peut être tenté de faire un parallèle entre l'apparition tardive de l'oe-dipe et les difficultés persistantes à maîtriser l'usage d'éléments syntaxiques trèsparticuliers, à savoir certains pronoms relatifs, les déterminants il/elle et cer-tains pronoms possessifs. Les premiers rendent compte de ce qui se rapporte àchacun ou de « qui fait quoi », les seconds traitent de la distinctionmasculin/féminin, et les derniers articulent cette identification sexuelle à laquestion « qui a quoi »... Autant de subtilités qui renvoient aux préoccupationsinconscientes contemporaines de l'avènement du conflit oedipien.

L'appropriation laborieuse des termes relatifs à l'espace peut égalementêtre symptomatique d'une difficulté à se positionner , à trouver sa place.

Hormis ces détails, loin d'être anodins mais relativement isolés, Justinefait preuve d'une grande adaptation dans ses conduites sociales et langagières.Cependant, le « sevrage » orthophonique sera long. Jusqu'au bout, l'enfantparaît dépendante du désir de l'orthophoniste ; l'articulation du [r], si longue às'automatiser, semble venir illustrer cette difficulté latente à s'autonomiser.

◆ Après la rééducationDepuis la fin de son C.P., Justine vit avec sa famille dans le sud de la

France. Elle m'a envoyé quelques lettres avec des dessins. Nous nous sommesrevues récemment, à l'occasion d'une visite qu'elle a faite à ses grand-parentsdans la région.

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Elle a alors 8 ans et demi et termine son C.E.2. Elle est enjouée et sou-riante, très contente de me revoir. Nous discutons un peu de sa vie, de l'école, deses loisirs. Elle fait beaucoup de sport et est très bonne en français, sa matièrepréférée à l'école. Elle évoque aussi sa rééducation avec moi, elle se souvientdes petits livres que je lui prêtais.

En discutant avec elle de ses projets, je suis surprise par les métiersqu'elle voudrait faire : maître-nageur, reporter comme Tintin, moniteur d'esca-lade, pêcheur, et plus classiquement pour une fillette institutrice ou cuisinière. Jelui demande alors si elle a envie de se marier et d'avoir des enfants. Elle rit,hésite et me répond qu'elle ne sait pas vraiment si elle en a envie. Sa maman meconfie que, tout en étant rassurée par les résultats scolaires de sa fille, elle est unpeu préoccupée car Justine a très peu d'amis, joue souvent seule à l'école et neramène jamais d'enfants à la maison.

Si l'on en juge par les dessins que Justine envoie à son orthophoniste aucours de sa septième année, l'entrée en période de latence s'opère dans le cadred'un refoulement radical de la sexualité, alors que l'identification sexuelle n'estpas encore très affirmée. Le déclin de l'oedipe signifie non pas l'éradication dudésir en soi, mais le renoncement aux objets parentaux et l'attente d'une satis-faction future en dehors des relations familiales ; elle s'accompagne d'unedésexualisation de la relation tout en invitant l'enfant à se projeter en tantqu'être sexué dans le monde social et dans la culture. Or il semble que pour Jus-tine, le refoulement des conflits affectifs oedipiens non résolus ait pour consé-quence une mise à distance radicale, non pas seulement de tout ce qui touche àla sexualité, mais également de tout ce qui permet au sujet de s'affirmer sociale-ment dans son sexe : ses dessins à 7 ans témoignent d'une activité sublimatoirecentrée sur l'organisation de l'espace et les détails technologiques (représenta-tion asexuée des individus, absence de soin, de couleur et de fioritures quicontrastent avec les dessins de la période précédente). Lorsqu'elle revoit sonorthophoniste à 9 ans, elle réalise un dessin plus coloré et plus vivant dont let h è m e, une scène de plage, sugg è re davantage d'ex p ression pulsionnelle ;cependant nous constatons à nouveau que celle-ci convoque un mouvementd'annulation de toute identification sexuelle : deux personnages jouent au vol-ley, un autre se repose sur le sable, un quatrième se baigne ; ce sont tous « dese n f a n t s » indistinctement représentés de façon sch é m a t i q u e, sauf l'individuétendu sur le sol, « un monsieur » dont Justine a masqué le corps sous une ser-viette. Par ailleurs, interrogée sur ses désirs quant à l'avenir, la fillette sembleéprouver des difficultés à se projeter dans l'évocation du mariage, tandis queses velléités professionnelles et ses goûts sportifs trahissent une forte ambiva-lence à se reconnaître dans son sexe.

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Enfin, en dépit d'une excellente adaptation scolaire, subsistent des diffi-cultés relationnelles : Justine n'a pas d'ami(e) et vit dans un relatif isolement. Ilsemble qu'une forte inhibition compromette la structuration de l'estime de soidans les rapports sociaux avec les pairs, si importante à cet âge.

Il est clair, compte tenu du tableau de départ et du niveau final de perfor-mance oral et écrit, que la rééducation a pu largement remplir son office s'agis-sant des acquisitions. Nous avons également constaté en quoi elle a pu parallè-lement soutenir l'enfant dans sa construction psychique ; cependant à cet égarddes inquiétudes persistent, du chemin reste à parcourir qui sera l'enjeu du rema-niement identitaire propre à la puberté.

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De l’approche neuropsychologique en généralet du langage oral en particulier

Docteur J.P. Lasserre

R é s u m é

Un bilan doit être adapté au patient, à sa pathologie. Cette évidence, support d'une concep-tion modulaire du bilan est à l'origine à la fois d'une inflation et d'une hyperspécialisationdes batteries. Il en découle une compartimentation bilan-pathologie avec des traits derefend en fonction de l'âge. Mais ce jeu de l'hyperspécialisation dont on ne saurait nier lesavantages tend quelque part à faire négliger le fonctionnement global. Nos expériences neu-ropsychologiques successives, d'abord en secteur neurologique hospitalier (R), puis dansune clinique de rééducation différenciée dans la prise en charge des traumatisés crâniens(V), enfin en cabinet avec l'opportunité de s'intéresser à la pathologie développementalenous ont convaincu de la nécessité d'une approche de l'individu dans son ensemble.

Mots-clés : référence aux structures cérébrales, approche verticale fonctionnelle, approchehorizontale logique, couple logico-instrumental, particularité du sujet.

A general neuropsychology approach and a specific oral languageapproach

Abstract

An evaluation must be specifically tailored to the patient and his pathology. This obviousassertion, anchored in a modular conceptualization of evaluation, is the source of both infla-tion and hyperspecialization of assessment batteries. This has resulted in a trend towardscompartmentalization of the evaluation of specific pathologies as a function of age. Never-theless, this doubtless useful hyperspecialized approach also creates the risk of neglectingthe global functioning of the patient. Our cumulative neuropsychological experience, initiallyin a neurological hospital setting (R), then in a clinic specialized in the rehabilitation of headinjured patients (V), and finally in private practice dealing with developmental pathologies,convinced us of the necessity of a holistic approach to the patient.

Key Wo r d s : spoken language, cerebral structures, functional vertical approach, logical hori-zontal approach, logical-instrumental pairing, subject's specific characteristics.

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Docteur J.P. LASSERREMédecin neurologueLa Galaxie40, boulevard des Minimes31000 Toulouse

L e cerveau n'est pas aussi spécialisé qu'un ordinateur : un comportementpeut résulter de l'activation d'un module distinct mais est éga l e m e n tdépendant du fonctionnement d'autres modules jouant synergiquement

avec le précédent. L'excès de spécialisation ne correspond donc pas à une réalitécérébrale et prend le risque de passer à côté du retentissement de l'atteinte d'unefonction sur une autre fonction.

Les symptômes résultent de facteurs étiologiques divers et sont appréciésen référence à un modèle cérébral postulé normal et commun à l'espèce. Mais l'ex-pression symptomatique peut être remodelée par des facteurs propres à l'indiv i d u .

A notre point de vue l'approche du langage oral ne peut donc se limiter àl'exploration du seul langage oral, mais doit s'intégrer dans une approche neuro-psychologique plus large. L'interprétation des résultats du bilan devra de plusbénéficier d'une relecture prenant en considération la particularité du sujet caren dernier ressort ce sera moins un langage oral déviant que ce sujet dysfonc-tionnant par son langage qu'il faudra rééduquer. Cramponnés à ces principes debase, nous inspirant des méthodes déjà existantes nous avons progressivementélaboré au fil des années une approche plurifonctionnelle qualitative et semi-quantitative. Cette approche comprend 4 volets (8) :

- elle s'appuie sur la neuropsychologie au sens neurologique ;- elle incorpore certaines des avancées des sciences cognitives ;- elle propose une quantification en référence à l'ontogenèse et à Piaget ;- elle essaye d'apprécier la particularité du sujet.

La neuropsychologie au sens neurologique se définit comme l'étude desfonctions supérieures en référence aux structures cérébrales. Il est vrai que si lescanner et surtout l'IRM fournissent d'intéressants renseignements chez l'IMOC,nous sommes par contre frustrés pour ce qui concerne l'essentiel de nos dyspha-sies développementales dites spécifiques. La tomographie à émission de posi-tons aurait théoriquement les moyens de combler cette lacune mais il n'est pas

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certain qu'elle devienne une technique de routine (5). Dans tous les cas, nousrestent cependant la clinique... et notre connaissance des cadres pathologiques.

Les cognitivistes s'efforcent de décrire les fonctions supérieures commedes programmes informatiques. Ils proposent ainsi des schémas fonctionnelsextrêmement précis. Ceci a indiscutablement fait progresser l'analyse qualita-tive. Ces schémas fonctionnels ont été décrits chez l'adulte. Dans notre expé-rience, moyennant quelques réserves il sont extrapolables à l'enfant y comprispour ce qui concerne la pathologie développementale. Il y a certes des diffé-rences entre l'adulte et l'enfant (l'acquis, le degré de spécialisation, le potentielde reconstruction... ) mais les ressemblances sont encore plus importantes neserait-ce que parce qu'il s'agit du même cerveau, programmé génétiquement,cette programmation génétique s'étendant aux processus de reconstruction.Nous avons accordé notre préférence à des schémas simplifiés rapportés au cer-veau. Ainsi pour ce qui concerne l'instrument langage oral, notre choix s'estporté sur le modèle de Lichteim (12) enrichi de quelques éléments empruntés àLuria (9) (tableau 1 ci-dessous) :

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Très schématiquement, analyseur moteur et auditif gèrent la parole, lesc o r t ex d'association voisins, le langage. Comme les autres instruments le langa g es'inscrit dans des comportements régulés par le lobe frontal (analyse du stimulusverbal et de son contexte, planification d'une réponse comprenant une stratégieavec des aspects tactiques et des aspects logistiques, vérification d'adéquation àchaque étape). Un retard maturatif est à l'origine d'un retard de parole, d'un retardde langage. Il apparaît également intéressant d'apposer sur ce modèle les troublesstructurels de type dysphasique comme ils sont décrits par Gerard (4) :

- la dysphasie phonologicosyntaxique traduit principalement un dysfonc-tionnement de la programmation motrice ;

- le déficit de production phonologique pourrait signifier une claudicationde la base kinesthésique, de l'encodage phonologique ou une pathologie deconduction entre encodage et programmation motrice ;

- les dysphasies réceptives proprement dites suggèrent un dysfonctionne-ment de l'encodage et du décodage. Il nous a même été donné d'observer uneagnosie verbale qui pourrait traduire un trouble un peu plus en amont, au niveaudu décodage auditif ;

- le syndrome sémanticopragmatique désigne d'après Van Hout (13) unepathologie pariétale inférieure (zone pour A. R. Lecours indispensable à la com-préhension et à l'expression d'un langage sémantiquement cohérent), d'aprèsRapin un déficit du contrôle frontal ;

- le syndrome lexicosyntaxique, dominé par le manque du mot, est plusdifficile à « topographier » : le mot se situe en effet à l'interface entre le langageet la mémoire, interface repérée par Ojemann (7) à la périphérie de la zone dulangage.

La référence au schéma présente ainsi l'avantage de donner une unité àl'ensemble de la pathologie développementale, permet de préciser le maillondéfaillant et donc le lieu où devra porter la rééducation, tout au moins les tech-niques de reconstruction.

Surtout, et c'est l'originalité de notre approche, nous proposons à côté del'analyse fonctionnelle une quantification en référence à l'ontogenèse. Nous pen-sons en effet que les fonctions instrumentales s'articulent sur une structure men-tale logique (concept de couple logico-instrumental). Cette structure logiquebénéficie d'une maturation au cours du développement que nous avons choisi desuivre en référence aux travaux de Piaget (1).

Ainsi nous couplons à l'analyse verticale fonctionnelle cognitive une ana-lyse horizontale logique. Ce montage permet de bénéficier des avantages desdeux méthodes tout en en contournant en partie les inconvénients.

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La perspective cognitive d'abord qualitative gagne d'être enrichie d'unedimension quantitative intra et surtout interfonctionnelle étalonnée sur une règledu jeu commune développementale. Ceci permet de comparer les aspects struc-turels intrafonctionnels entre eux, les différentes fonctions entre elles et donc delier les colonnes cognitives. La théorie Piagétienne qui fond les différents instru-ments dans un bloc logique achoppe notamment sur le problème de l'idiotsavant (2) ; l'acceptation du concept de couple logico-instrumental permet deconcevoir l'éventuelle hypertrophie de la partie instrumentale d'un couple etdonc de rattraper Piaget.

Voyons les avantages en matière de pathologie focalisée et notamment dedysphasie. Après avoir écarté un trouble non spécifique, le diagnostic repose surdeux types d'arguments :

- quantitatifs : la démonstration d'un handicap qui à l'inverse du retardsimple de langage se creuse par rapport à la courbe de développement normal(Tableau 2 ci-dessous) :

- a priori qualitatifs avec la mise en évidence de troubles structurels.Gérard (4) en reconnaît six : troubles de l'évocation lexicale, de l'encodage syn-taxique, de la compréhension verbale, hypospontanéité verbale et réduction dela longueur de l'émission vocalique, trouble de l'informativité, dissociationa u t o m a t i c o - volontaire. Au moins, les trois premiers font intervenir des critèresquantitatifs en référence à l'ontogenèse : ainsi à quatre ans plus de deuxréponses manquantes à l'épreuve de dénomination RV équivaut à un manque dumot, un agrammatisme signifie un trouble de l'encodage syntaxique, la non-

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maîtrise des adjectifs spatiaux renvoie à un trouble de la compréhension( Tableau 3 ci-dessous) :

Les avantages sont encore plus nets en matière de pathologie étendue oudiffuse. Au plan qualitatif, il est important de connaître le niveau de maturationde la structure mentale, la capacité opératoire de l'enfant. Au plan quantitatif,l'appréciation de l'atteinte fonctionnelle relative peut aider à repérer une dyspha-sie relative (10) dans le cadre d'une déficience mentale, de distinguer un troublede type aphasique dans le cadre de la régression post-traumatique chez le petitenfant (Tableau 4 ci-dessous) :

Nous essayons enfin d'approcher la particularité du sujet. C'est que l'ex-pression symptomatique est certes dépendante des éléments étiologiques maiss'avère remaniée par différents facteurs :

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- facteurs physiques : ainsi les aspects praxiques bucco-linguo-faciauxpeuvent être limités par un handicap moteur néonatal et sa répercussion (« ondede choc ») sur la coordination des schèmes sensorimoteurs. Un handicap auditifvient retentir sur les fonctions réceptives avec inflexion possible d'un stylecognitif dans le sens de la spatialité. Ceci souligne l'intérêt de définir l'équationphysique individuelle de manière à éventuellement pondérer les résultats del'analyse « psychométrique ».

- facteurs neuropsychologiques : nous n'arrivons pas tous nus sur terremais porteurs d'un certain nombre de traits, de potentialités définis par notremémoire génétique et qui font notre particularité. Egalement notre fenêtre atten-tionnelle est trop limitée pour pouvoir recevoir toutes les informations venuesdu monde extérieur ou intérieur. Il nous faut donc faire un tri et si nous souhai-tons compléter une information, orienter notre fenêtre attentionnelle. Ceci cha-cun le fait à sa manière en fonction de ses gènes, de ses expériences passées, deson affectivité, de son émotivité, de son intelligence, de son style cognitif. Surles bases de notre mémoire génétique, par le regard qu'il porte sur ce monde etsur son action dans ce mode le sujet construit sa personnalité, personnifie sesinstrumentalités, façonne son style. Dans toute cette diversité, il est cependantpossible de repérer des types. Ainsi, Gardner (2) développe le concept des intel-ligences multiples. Il reconnaît différents types d'intelligence : verbale, logico-mathématique, musicale, visuo-spatiale, kinesthésique, inter et intraperson-nelle... Chaque individu possède au plan quantitatif une combinaison variée deces différentes aptitudes. Ainsi notre petit patient déviant sur le versant de son« intelligence » verbale présente-t-il des aptitudes dans d'autres registres ? Ilnous semble capital après avoir fait le diagnostic des points faibles de faire lediagnostic des points forts - là se trouve le niveau où l'enfant peut être gratifié,ce peut être la base de stratégies de suppléance et c'est probablement dans ceregistre que plus tard il s'épanouira.

- facteurs psychologiques : Gazzaniga (3) propose de son observation descallectomisés le concept d'hémisphère gauche interprète : il existerait au niveaude l'hémisphère gauche un système capable d'inférence et qui passerait sontemps à élaborer des théories quant aux raisons de nos comportements, ceci afinde maintenir une impression de cohérence entre tous nos comportementsconscients et... inconscients. Ceci serait à l'origine de nos préjugés, convictions,croyances et de notre comportement de différenciation. Ce comportement dedifférenciation représenterait d'après l'auteur « une caractéristique imprescrip-tible de l'espèce ». Il est important de le reconnaître afin de permettre à l'enfantdans notre face à face interactif de s'épanouir dans le bon sens.

- facteurs inhérents au milieu : Monfort (11) a fort bien souligné chezl'enfant dysphasique l'influence du milieu sur les symptômes et l'intérêt d'inté-

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grer les parents dans l'équipe rééducative. Pour Gazzaniga, l'influence du milieuserait surtout sensible par ses carences.

En synthèse, l'approche neuropsychologique en général et du langage oralen particulier n'est pas aisée dans la mesure où notre objectif étant la prise encharge, il nous faut passer du cerveau conceptuel au cerveau réel (6). Une foisrecueillies les données brutes du bilan, bilan adapté à l'enfant et à ses troubles, ilnous faut activer notre hémisphère gauche interprète. C'est une tâche éminem-ment subjective mais qui est la marque de notre expérience, une démarcheessentielle pour aller à l'encontre de la particularité du sujet, définir un projet deprise en charge personnalisé. Dernier point, cette approche pour ne pas resterartificielle doit s'inscrire dans une perspective écologique. C'est mettre l'accentchez l'enfant sur l'interaction nécessaire avec les parents et l'enseignant, la com-paraison de nos « bilans spécialisés », ceci afin de lancer les bases d'une prise encharge coordonnée. C'est une démarche que l'on pourrait qualifier de neuropsy-cho-écologique.

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bution de l'imagerie fonctionnelle cérébrale. Rev. Neurol, Paris, 192, 4, 249-260 6 - KARLI P (1995). Le cerveau et la liberté. Edition Odile Jacob, 362 pp7 - KERAVEL Y., N'GUYEN J.R., CESARO P. (1985). Vues anatomiques commentées du cortex céré-

bral. EMC Paris, 17001 JIO8 - LASSERRE J.P., LACARRERE-NEYBOURGER C (1995). L'approche RV. Bilans. Ortho édition,

278 pp 9 - LURIA A.C (1978). Les fonctions corticales supérieures de l'homme. Presses Universitaires de

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Etiologie des dysphasies :le point de la question

Jean-Jacques Deltour

RésuméOutre le flou qui règne encore dans la terminologie des troubles du développement du lan-gage et de leur diagnostic, leur étiologie est restée jusqu'il y a peu extrêmement vague hor-mis l'aspect héréditaire (C. Chevrie-Muller et J. Narbona, 1996) qui, selon les études, n'ex-plique que de 20 à 30 % des cas. Une des raisons avancées à cette absence apparented'intérêt est que l'étiologie n'intervient pas dans le plan de rééducation, ce dernier étant axésur les symptômes directs (voies touchées ou préservées) ou associés (motricité, schémacorporel, rythme...).En ce qui concerne le diagnostic toutefois, la présence dans l'anamnèse d'un élément expli-catif s'avère des plus précieux. En outre, sur le plan non plus de la remédiation mais de laprévention, une meilleure connaissance des conditions de développement de la petiteenfance devrait permettre de nets progrès dans les modalités de prise en charge précoce,voire une éradication pure et simple par une médication préventive (Diazépam).Mots clés : langage oral, dysphasie, asphyxie et H.I.V., convulsions fébriles.

The etiology of dysphasia: current state of the issue

AbstractSome confusion still exists regarding the definition and diagnosis of language developmentdisorders, and until recently our knowledge concerning their etiology has been quite limited,with the exception of genetic factors (Chevrie-Muller C. & Narbona J., 1996) which onlyaccount for 20% to 30% of the cases, depending on the studies. One of the reasons sugges-ted for this apparent lack of interest in etiology is that it does not influence the remediationplan which is centered on direct (impaired or intact modalities) or associated symptoms(motor skills, body image, rythm).For diagnostic purposes, however, it is extremely helpful to find elements of explanation inthe patient's history. In addition, when we focus on prevention rather than remediation, itappears that a better understanding of the patient's early development will greatly contri-bute to improved implementation of early intervention strategies, and perhaps to total eradi-cation of the disorder through preventive medication (Diazepam).Key Words : spoken language, dysphasia, anoxia and H.I.V., febrile convulsions.

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Parmi les pathologies susceptibles d'engendrer des troubles graves etdurables du langage, les travaux de recherche menés au service de psy-chométrie de l'Université de Liège depuis vingt ans en relèvent actuelle-

ment deux. Il s'agit d'une part des enfants à très petit poids de naissance (moinsde 1.500 grammes) et d'autre part des convulsions fébriles.

◆ Les accidents cérébraux néo-natauxMalgré les progrès incontestables accomplis en obstétrique et le dévelop-

pement d'une nouvelle discipline : la néonatalogie, le pourcentage de nouveau-nés avec un Apgar (1) inférieur à 7 (et devant donc être réanimés) est actuelle-ment de 14 % et semble ne pas devoir baisser dans les années à venir.

La problématique de l'asphyxie néo-natale, amorcée il y a plus d'un siècle(Little, 1861) a été relancée il y a vingt ans par Towbin suite à l'étude deThompson (1977) menée sur des prématurés. Il s'agit des facteurs associés auxnaissances à risque, soit une hypertension brusque succédant à une hypotension.Parmi ceux-ci, on relève l'acidose (et la tachycardie qu'elle déclenche), la souf-france fœtale (compression prolongée), l'exsanguino-transfusion (ictère) et ladéshydratation (post-matures). Les séquelles observées suite à des problèmes àla naissance ne seraient pas une conséquence directe de l'ischémie due aumanque d'oxygène mais d'hémorragies de capillaires artériels liées aux change-ments brusques de la pression sanguine (effet « coup de bélier »).

Dans l'état actuel des connaissances, on sait que ce sont les nouveau-nés àterme (plus de 2.500 grammes) qui sont les plus sensibles au manque d'oxy-gène, les prématurés, eux, étant plus résistants mais présentant par contre uneplus grande fragilité capillaire les exposant aux hémorragies péri et intra-ventri-

Jean Jacques DELTOURUniversité de LiègeFaculté de Psychologie et des Sciences del'EducationB-33, Sart-TilmanB-4000 Liègee-mail : [email protected]

(1) Indice de vitalité basé sur 5 paramètres cotés 2, 1 ou 0 et réalisé respectivement à 1minute et 5 minutes del’expulsion. Les enfants obtenant 3 ou moins sont en état de mort apparente.

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culaires. De même, une hypoxie de longue durée n'affecte pas les mêmes zonescérébrales qu'une asphyxie totale mais brève. La problématique s'avère doncextrêmement complexe, d'autant plus que les deux pathologies peuvent coexis-ter.

Les deux études princeps menées à l'Université de Liège (M. Blavier,1978 ; C. Hamende, 1982) sur des nouveau-nés à terme et sans autre pathologiequ'une asphyxie d'au moins deux minutes aboutissaient aux mêmesconclusions : une dépression nette et significative (20 points) du quotient intel-lectuel de performance avec des troubles de la structuration spatiale, de lamotricité, de la mémoire et de l'attention / concentration associés alors que lequotient intellectuel verbal (W.P.P.S.I.) n'était pas affecté, du moins dans 90%des cas. En outre, l'ampleur de l'écart V/P (allant de 10 à 40 points de Q.I.) étaitdirectement proportionnelle à la durée d'asphyxie.

Quant aux prématurés, ils constituent 8 à 9 % des naissances (2). Làaussi, on ne peut compter sur une réduction de leur nombre du fait de leur étio-logie multifactorielle et de l'essor de l'ultrasonographie en fin de grossesse (lesdeux tiers des enfants de moins de 1.500 grammes naissent par césarienne).

La première étude sur 70 cas de nouveau-nés de moins de 1.500 grammeset d'une durée de gestation inférieure à 32 semaines fut menée dans un des cinqcentres de néonatalogie de Wallonie (Clinique Saint-Vincent à Rocourt) en1987-1988. Au moment de l'examen psychologique, les enfants étaient âgés de5 à 6 ans et ce dernier comportait le W.P.P.S.I., le T.V.A.P. et l'échelle motrice deMacCarthy. Un groupe-contrôle de 35 sujets lui fut apparié.

Les résultats (Deltour, 1989) étaient conformes à ceux de la littérature del'époque (Calame, 1985 notamment) à savoir que l'échantillon se composait dedeux populations distinctes. L'une de gros cas (Q.I. inférieur à .80) constituée de22 enfants, l'autre, majoritaire (68 %), ressemblant au groupe-contrôle. Mêmeen éliminant le premier groupe des calculs, les moyennes obtenues par les 48sujets considérés comme indemnes étaient encore significativement inférieuresen Q.I.P. (9 points), sur le plan langagier et moteur. Un certain nombre d'enfants(30 % environ) présentaient donc des A.N.D. (Anomalies Neuro-Développe-mentales) relatives soit au langage, soit à la structuration spatiale et à la motri-cité. En outre, on observait 27 % de strabisme contre 0 % dans le groupe-contrôle ; 27 % de gauchers contre 9 % dans le groupe-contrôle et 10 %d'enfants non latéralisés contre 6 %.

(2) Dont 3 % de moins de 1.500 grammes et 1 % de moins de 1.000 grammes.

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L'étude de P. Jacquet (1992) menée quatre ans plus tard au même endroitet avec la même méthodologie sur 55 cas de moins de 1.500 grammes aboutis-sait aux mêmes constatations (diminution significative du Q.I. - 19 % de stra-bisme - 22 % d'enfants non latéralisés) mais avec une diminution nette dunombre de gros cas du fait de l'évolution des techniques (les surfactants notam-ment). La comparaison des enfants de poids inférieur à 1.000 grammes avecl'échantillon révélait des différences de Q.I. de 13 points en verbal et de11 points en performance au W.P.P.S.I. avec une infériorité toute particulière desenfants de moins de 1.000 grammes au T.V.A.P. (moyenne de 5.9 contre 8.5 enDéfinition / de 7 contre 10.7 en Désignation) et en motricité, infériorité liée à lafréquence et à l'ampleur des hémorragies cérébrales. Il importait donc, dans desrecherches ultérieures, de pouvoir préciser ces dernières dont les dossiers denaissance ne relevaient que 8 cas (sur 55), ce qui était peu, leur fréquence étantgénéralement estimée aux alentours de 50 % (Denis et Barnes, 1994).

Depuis l'avènement de l'échographie transfontanellaire (3) au début desannées 1980 fournissant des images plan par plan extrêmement nettes du cer-veau (sauf dans les zones temporales, nous y reviendrons ultérieurement),diverses études ont permis d'objectiver deux types de séquelles chez les préma-turés : les hémorragies péri ou intraventriculaires d'une part, les nécrosesanodiques d'autre part.

En ce qui concerne les premières, quatre stades de gravité progressivesont décrits :

- les hémorragies sous-épendymaires (dites aussi péri-ventriculaires) -stade I ;

- les hémorragies intra-ventriculaires (H.I.V.) sans (stade II) ou avec dila-tation ventriculaire (stade III) ;

- associées avec une ischémie hémorragique cérébrale (stade IV).

Une synthèse de la littérature en ce domaine s'avère particulièrement mal-aisée à la fois du fait de la diversité des âges des sujets au moment de l'examenpsychologique (12, 18, 36 ou 60 mois), des outils psychométriques utilisés (toutspécialement pour l'évaluation du langage) et surtout de la classification deslésions. En effet, cette dernière est essentiellement quantitative (4) sans grand

(3) A ne pas confondre avec les ultrasons utilisés par les gynécologues pour évaluer la croissance intra-utérine.Il s’agit ici d’une sonde posée sur la fontanelle (qui est la dernière suture à s’ossifier aux alentours de 12mois)et donnant des coupes frontales, parasagitales et sagittales. Technique non invasive et à très faible prix derevient, elle peut être renouvelée selon les besoins.

(4) Dans un but évidemment thérapeutique (dérivation des hydrocéphalies qui accompagnent généralement lesstades III et IV) et pour un pronostic de survie.

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souci de localisation. A notre connaissance, une seule étude (Raz et ai., 1995)fait état d'un déclin de l'efficience verbale lorsque les lésions surviennent dansl'hémisphère gauche.

L'étude à la fois la plus récente et la plus précise est celle de Frish etWhyte (1994) menée sur 68 cas d'enfants de moins de 1.000 grammes dont 41présentaient une hémorragie et examinés à l'âge de 6 ans. Elle conclut que l'ex-trême prématurité, en elle-même, ne conduit pas à une infériorité des perfor-mances intellectuelles ou instrumentales. En effet, les 27 cas (sur 68) sanshémorragie ne se différencient en rien du groupe-contrôle apparié. Par contre,des déficits dans la compréhension de phrases et la mémoire de travail sontassociés aux hémorragies de la couche germinale (stade I) ou aux H.I.V. légères(stade II), les H.I.V. de stade III ou IV occasionnant des chutes massives etgénéralisées à tous les domaines du développement.

L'étude menée de 1996 à 1998 à Rocourt (Detaille, 1998) devait clarifiercet aspect des choses en comparant entre eux trois groupes de 20 enfants demoins de 1.500 grammes âgés de 4 à 6 ans : le premier avec des nécroses ano-diques, le deuxième avec des hémorragies, le troisième constitué de prématu-rés i n d e m n e s à l'échographie transfontanellaire et un quatrième (groupe-contrôle) de poids normal et apparié sur le plan socio-économique et culturel.Cette comparaison devait permettre de vérifier que la prématurité, en soi, n'en-traînait pas de déficit du développement intellectuel et instrumental et, éventuel-lement, d'isoler des profils spécifiques.

Les outils psychométriques utilisés étaient le W.P.P.S.I.-R. (1991) pourles composantes cognitives et la Batterie d’évaluation du Langage de Liège(S.E.L.L.) pour les aspects phonologique, morpho-syntaxique et sémantique dulangage en expression et en compréhension (Deltour, 1997).

Il est à noter que pour garantir un maximum d'objectivité, l'étude psycho-logique a été faite en aveugle, c'est-à-dire en ignorant à quel groupe appartenaittel ou tel enfant.

Bien que 56 prématurés (sur 60) aient pu être retrouvés et examinés àdomicile (5), les effectifs respectifs à l'issue de l'étude (qui a duré deux ans)étaient de 9 cas avec nécroses anoxiques (sur 20), 8 cas d'hémorragie (dont deuxde stade III et IV à exclure... ) et 39 indemnes !

Le groupe-contrôle composé de 25 enfants des deux sexes, de poids denaissance normal, sans pathologie, et appartenant majoritairement aux classes

(5) Du fait des refus de certains parents et des déménagements successifs qui caractérisent les jeunes couples,c’est en fait la quasi totalité des naissances « in born » sur deux ans.

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Groupe Anoxiques Hémorrag. Indemnes I Indemnes Ilcontrôle N = 8 (1) N = 6 (2) N = 39 N = 25N = 25

Q.I.V. .110,6 .106,3 .90,8 * .98,6 * .103,2Q.I.P. .107,7 .96,8 * .78,0 * .94,2 * .98,6 *Q.I.T. .109,2 .103,8 .84,3 * .96,3 * .100,8 *

ASPECTPHONOLOGIQUEE.D.P. 4-8/32 28.8 26 20 * 26.8 27.5

ASPECTSMORPHO-SYNTAXIOUESEn expression

-T.C.G. 10.2 9 5 * 7 * 8.2 *En compréhension

-O-52 15.8 13.5 10 * 11.4 * 12.7 *

ASPECTSSEMANTIQUEST.V.A.P. - Déf. 8.9 9.1 5.3 * 7.7 * 8.5

- Dés. 11.7 11.7 6.1 * 10.4 11.3T.R.T. - Util. 9.3 8.3 5.3 * 7.9 * 9.1

- Compr. 12.6 10.1 8.5 * 11.4 12.7

sociales moyennes ou favorisées (comme les trois groupes de prématurés) secaractérisait, du fait de la double sélection opérée, par une efficience intellec-tuelle non pas de 100 comme en population tout-venant, mais respectivement de110 de Q.I.V. et de 107 de Q.I.P. et des notes standard supérieures à 10 aux dif-férents tests de la Batterie d'Evaluation du Langage de Liège.

L'examen du tableau 1 qui reprend les moyennes des différents sous-groupes permet d'évaluer l'ampleur et la significativité (U de Mann-Whitney)des différences par rapport au groupe-contrôle.

En ce qui concerne les a n o x i q u e s, la seule différence signifi c a t iveconcerne le Q.I.P. (- 10 points), la sphère verbale et les différents sous-tests dela B.E.L.L. n'étant pas affectés.

Tableau 1 - Synoptique des moyennes obtenues par les différents sous-groupes au W.P.P.S.I.et aux trois volets de la B.E.L.L. Les différences significatives (P.01) par rapport au groupe-contrôle sont marquées d'une *

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Ces résultats sont congruents avec les données antérieures (Blav i e r,1978 ; Hamende, 1982) qui faisaient état d'une différence moyenne de 20 pointsde Q.I.P. et l'affirmation que les prématurés sont plus résistants à l'asphyxie queles enfants nés à terme.

L'examen du tableau I, figurant en annexe, qui reprend le détail sujet parsujet, permet de constater que 8 sujets sur les 9 présentent la discordance V/Pattendue (et pouvant aller jusqu'à 21 points de Q.I.P.) tandis que le sujet 6 dif-fère totalement non seulement sur le plan du niveau intellectuel (.65 alors quetous les autres sont normaux) mais également sur le plan langagier où l'atteinteest manifeste et généralisée. Ce sujet, suspect de présenter à la fois une anoxieet une hémorragie, a été exclu des calculs.

En ce qui concerne les hémorragiques, les résultats des 6 cas légerscontrastent totalement, tant avec le groupe-contrôle qu'avec les anoxiques. Desdifférences de 20 points tant en Verbal qu'en Performance sont observées demême qu'un abaissement significatif des résultats à tous les tests de langage.

L'examen du tableau II, figurant en annexe et qui reprend les différentsrésultats sujet par sujet (dans la partie gauche pour les six cas légers et dans lapartie droite les deux cas de stades III et IV), permet les constatationssuivantes : parmi les six cas légers, deux sont indemnes de problèmes langagiers(sujets 1 et 6, ce dernier présentant le profil anoxique ; discordance V/P de 27points) ; par contre, les sujets 2 et 5 présentent un retard sévère et les sujets 3 et4 une dysphasie, soit quatre problèmes de langage sur six cas.

Dans les deux cas graves, les déficits sont massifs (.70 de Q.I.V. et .50 deQ.I.P) et généralisés. Les problèmes de langage sont présents dans les deux cas,mais la faiblesse du niveau intellectuel ne permet pas de parler de dysphasie.

Pour ces huit cas, en plus de la fréquence exceptionnelle des problèmes del a n gage (six cas sur huit !), c'est la d é p ression du Q. I . P. qui étonne le plus et nousamène à suspecter des hémorragies bilatérales (dans trois cas sur six des légers etdans les deux cas graves), affectant le fonctionnement des deux hémisphères.

En ce qui concerne les trente-neuf sujets présentés comme indemnes (oudu moins sans signes à l'échographie), les résultats moyens obtenus (GroupeIndemnes I) sont significativement inférieurs (/t/ de Student pour échantillonsindépendants) dans tous les domaines à ceux du groupe contrôle. Cette infério-rité vient d'un certain nombre d'enfants porteurs d'A.N.D. non repérés parl'échographie.

Un examen détaillé des 39 protocoles nous permet d'isoler deux sous-groupes : l'un constitué de dix cas présentant le même profil de déficits que les

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hémorragiques (cf. tableau III en annexe), l'autre composé de quatre cas pré-sentant le profil des anoxiques. Si l'on retire ces quatorze cas de l'échantillon,les résultats (Groupe Indemnes II) deviennent alors nettement plus proches deceux du groupe-contrôle avec toutefois une infériorité (significative à P.01) duQ.I.P. (9 points), du Q.I.T. (8 points) et de la composante morpho-syntaxique dulangage (2 points de notes standard au T.C.G. et 3 points à l'0-52).

S'il peut donc être tenu pour acquis que la prématurité, en soi et avec lestechniques de soins intensifs actuelles, ne constitue pas une source de handi-caps, force est de constater qu'il s'agit de moins de 20 cas sur 56 ainsi qu'entémoigne la proportion étonnante (21 %) d'enfants non-latéralisés dans legroupe Indemnes Il (cf. tableau 2).

Groupe-contrôle Anoxiques Hémorragiques Indemnes I Indemnes II

N=25 % N=9 % N=8 N=39 N=25

Droitiers 22 88 5 55 3 38 24 61 18 72Gauchers 3 12 2 22 4 50 * 4 10 2 8Non latéralisés 0 0 2 22 * 1 12 11 28 * 5 20 *

En ce qui concerne en effet la l a t é r a l i t é, évaluée par la dominancemanuelle, il est à noter que les trois échantillons de prématurés se signalent àl'âge de 5-6 ans par des pourcentages de gauchers et de sujets non encore latéra-lisés qui interpellent.

En comparaison avec le groupe-contrôle (N = 25) qui comporte 88 % dedroitiers et 12 % de gauchers, proportions que l'on retrouve généralement enpopulation tout-venant, les 56 sujets prématurés ne comptent que 32 enfants(soit 57 %) droitiers, mais par contre 10 enfants gauchers (soit 18 %) et surtout14 enfants (soit 25 %) non encore latéralisés.

Sous réserve de la faiblesse numérique des divers sous-groupes (qui, rap-pelons-le, devaient compter 20 sujets), l'examen du tableau 2 ci-dessus faitapparaître que la proportion de gauchers culmine dans le groupe des hémorra-giques (où elle atteint 50 % contre 38 % de droitiers et 12 % de non-latérali-sés). Il convient également de préciser que parmi les 6 cas d'hémorragies destades I et II, les sous-groupes (indemnes / retard de langage / dysphasie) comp-tent chacun un gaucher et un droitier, et dans les 2 cas de stades III et IV, ungaucher et un enfant non encore latéralisé. Cette fréquence particulière des gau-

Tableau 2 - répartition des fréquences dans les différents sous-groupes en fonction de lalatéralisation (l'astérisque indique que le X2 est significatif).

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chers amène à suspecter la présence parmi eux de gauchers « pathologiques »c'est-à-dire de droitiers constitutionnels qui, suite à une hémorragie dans l'hémi-sphère gauche, ont dû se latéraliser à gauche (l'hémisphère droit, indemne, deve-nant dominant).

En ce qui concerne les 10 cas présentant un problème de langage chez les39 indemnes, on relève 60 % de droitiers, 30 % de gauchers et 10 % de non-latéralisés. Pour les 4 cas présentant le même profil que les anoxiques, il y a80 % de droitiers et 20 % de gauchers. Le retrait de ces 14 cas du groupeIndemnes I fait augmenter la proportion de droitiers (72 % contre 61) maislaisse encore 20 % d'enfants non-latéralisés, ce qui est beaucoup.

Pour ce qui est des j u m e a u x e n fin, sur-représentés dans l'eff e c t i f(7 paires pour 42 singles), proportion qui se retrouve dans toutes les études surles prématurés, la comparaison de leurs résultats à ceux des naissances uniquesne révèle aucune différence significative. A ce sujet, un essai de la méthodolo-gie proposée par Dennis et Barnes (1994) comme alternative au schéma Groupeexpérimental / Groupe-contrôle apparié a été envisagé. Cette dernière consiste àcomparer des paires de monozygotes où l'un est indemne et l'autre présente soitune H.I.V. (stade III), soit une H.I.V. + une hydrocéphalie en postulant que celuiqui a développé une H.I.V. aura un Q.I. plus bas que son homologue indemne etque l'hydrocéphalie en plus de l'H.I.V. devrait aussi se solder par une efficienceplus basse. C'est ce qui s'avère dans les deux paires étudiées par ces auteurs :

Sujet indemne x jumeau avec H.I.V. Jumeau avec H.I.V. x H.I.V. + hydrocéphalie

Q.I.V. .120 .75 .75 .67Q.I.P. .105 .69 .93 .88

Notre échantillon comportant 6 couples de dizygotes (fa u x - j u m e a u x )d'une part et le seul couple de monozygotes ayant fait tous les deux une H.I.V.d'autre part, cette voie d'approche s'est hélas avérée impossible.

En conclusion, la présente étude - si elle apporte des éléments neufs etincontestables - pose évidemment plus de questions qu'elle n'apporte deréponses. Parmi ces dernières, nous en relèverons trois :

1. Le petit nombre d'H.I.V. repérées par l'échographie transfontanellaire(8 cas sur 56) d'une part, et la fréquence des problèmes de langage (16 cas soit29 %) et de latéralisation impliquant une localisation en temporal gauche repo-sent la problématique des hémorragies de stades I et II. Considérées commemineures pour le devenir du prématuré (ce qui est vrai par rapport aux dégâtscausés par les stades III et IV), elles semblent de plus passer inaperçues du fait

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de l'opacité des zones temporales. En outre, alors qu'en principe, une rupturede capillaires peut avoir lieu n'importe où, il y a manifestement des zones plusfragiles que d'autres (artère de Sylvius).

2. L'Apgar (qui est supérieur à 4 dans les deux tiers des cas de prématu-rés - respectivement 37 % de 4 à 6 et 26 % à 7 et plus) ne peut être considérécomme un prédicteur d'un développement ultérieur sans problème car à uneminute (et même à cinq), il n'est pas révélateur d'un saignement qui va mettredes heures, voire des jours, à s'amplifier.

En outre, les hémorragies peuvent survenir chez des enfants de poids nor-mal de naissance, spécialement en cas d'hypertension de la mère. Le cas deMeryem (Deltour et Monseur, 1999) qui, avec 3.085 grammes de poids de nais-sance, présente une audi-mutité en témoigne.

3. La dépression du Q.I.P. de 20 points en cas d'H.I.V. et la fréquencedes problèmes moteurs associés (29 % de strabisme) ne permettent pas deposer le diagnostic de dysphasie (qui est un diagnostic par exclusion, Senton,1964) dans près de la moitié des cas de problèmes spécifiques de langage parceque ce dernier n'atteint pas les .85 / .90 requis. De ce fait, ces enfants sont clas-sés comme débiles ou pire, comme arriérés mentaux, ce qui nous pose pro-blème.

◆ Les convulsions fébriles

Connues depuis longtemps (Hippocrate) et spécialement fréquentes (entre3 et 5 % de la population tout-venant), il s'agit d'une pathologie qui touche toutspécialement les enfants âgés de 6 à 36 mois, c'est-à-dire en majorité desenfants qui ne parlent pas encore.

Si l'on n'en meurt pas (contrairement à une croyance répandue), la criseclonique et la révulsion des yeux s'avèrent spécialement impressionnantes pourles parents qui, affolés, conduisent leur enfant, enveloppé d'une couverture, auxurgences où l'on pratique un diagnostic par exclusion. Il s'agit en effet d'éliminerles risques de méningite, de perturbation électrolytique, de spasme du sanglotou d'arrêt respiratoire. Après 48 heures de mise en observation, l'enfant, guéri,rentre chez lui.

Après une pathologisation dans les années 60, venant d'une crainte desrécidives et d'une évolution vers l'épilepsie (d'où les anti-convulsivants commele Phénobarbital), l'attitude thérapeutique s'est totalement modifiée à la fin desannées 70, suite à l'étude du Nelson et Ellenberg (1976, 1978). Cette dernièreportait sur 1.700 cas dont 431 avaient fait l'objet d'un examen psychologique à

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l'âge de 7 ans. Elle concluait à une absence de séquelles liées aux crises elles-mêmes mais également à l'absence de différence entre crises simples et crisescomplexes d'une part, et entre épisode unique et récidive(s) d'autre part.

Depuis, l'attitude la plus courante des pédiatres est de déclarer l'enfantguéri à la sortie de son hospitalisation mais néanmoins de surveiller les montéesde température lors de pharyngites ou d'otites et de prescrire du Diazépam(Valium) pour couper une éventuelle récidive. Les résultats des études menées àl'Université de Liège depuis quinze ans (Deboutez, 1985) s'inscrivent totalementen faux par rapport à ces conceptions. Comme il s'agit de travaux déjà exposéset publiés (Deltour, 1996 & 1997 ; Ciciani, 1998), nous ne ferons qu'en rappelerles lignes de force et les implications.

Sur le plan méthodologique, il importe de signaler que d'une part, nousprivilégions une approche psychométrique la plus analytique possible, c'est-à-dire avec de nombreux tests administrés à de petits effectifs (N entre 30 et 50)par rapport à une évaluation superficielle (en Q.I.T. par exemple) d'un plusgrand nombre de cas. D'autre part, nous partons des dossiers médicaux d'unecohorte d'enfants hospitalisés pour tel ou tel motif (des convulsions fébriles, parexemple) sur deux années (pour disposer de suffisamment de cas : 160 - 170 enmoyenne) et éliminons les autres pathologies susceptibles de retentir sur ledéveloppement cognitif et instrumental afin de cerner le plus précisément pos-sible l'effet de la variable étudiée. De ce fait, la constitution du groupe-contrôlerevêt une importance toute particulière parce que les points de référence ne sontplus ceux d'une population tout-venant (Q.I. : .100) mais bien d'un sous-groupesélectionné à efficience supérieure à la moyenne, puisque expurgé des autrespathologies et d'origines socioculturelles moyennes ou favorisées.

En ce qui concerne les biais, ce type de méthodologie ne s'applique évi-demment qu'à des enfants hospitalisés ; or, tous ne le sont pas (6) et seule unepartie des cas est retrouvée quatre à cinq ans après l'épisode convulsif du faitdes déménagements successifs (d'où la sélection socio-économique) et des refusd'examen par les parents. A ce titre, il importe de reconnaître que si ces dernierssont parfaitement légitimes, lorsqu'ils se multiplient, ils risquent de fausser tota-lement les résultats. En effet, la plupart du temps, l'enfant est déjà suivi par uneorthophoniste et cette dernière estime (ou du moins ce sont les parents qui ledisent) qu'on l'ennuie déjà assez comme ça... Ce n'est donc pas n'importe quique l'on ne peut examiner.

(6) Il n’existe aucune étude épidémiologique permettant d’évaluer leur prévalence. On sait qu’il y en a (surtoutlors de la 2e ou 3e récidive) mais on ignore leur nombre.

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38

Pour ce qui est des résultats, toutes les études (huit) menées à Liègeconvergent et indiquent que :

1. le groupe des enfants ayant convulsé se caractérise par une discor-dance V / P de 12 points dans le sens d'une infériorité du verbal ;

2. le fait d'avoir pris du Phénobarbital en continu jusqu'à l'âge de cinqans aggrave le tableau en induisant une chute du Q.I.P. de 20 points ;

3. la majorité (90 %) des enfants ayant convulsé en conserve des difficul-tés de discrimination auditive (dysacousie) perceptibles à l'E.D.P. 4-8 (notesstandard de 3 ou 4) dont le tiers (30 %) ne disparaîtront pas avec la maturationliée à l'âge. Ces difficultés, toujours présentes à 8 - 9 ans, constituent un handi-cap manifeste pour l'apprentissage de la lecture. Il est en outre à signalerqu'elles n'ont aucun rapport avec la cause de l'augmentation de température(pharyngite ou otite) comme on serait tenté de le penser. C'est le court-circuitcérébral qui a perturbé l'architecture très complexe des aires associatives (aunombre de 14) responsables de l'intégration auditive.

4. L'étude de F. Ciciani (1997), actuellement dupliquée (Bertrume, 1999)sur un échantillon représentatif des 170 cas d'enfants ayant convulsé et hospita-lisés au C.H.U. de Liège en 1991 - 1992, après retrait de vingt-cinq dossiersmédicaux incomplets et de septante-six cas présentant une autre pathologie telleque prématurité, méningite, épilepsie, déshydratation, asphyxie néo-natale, trau-matisme crânien, ictère important ... donne les résultats suivants.

Sur quarante-neuf cas examinés, cinq enfants (soit 10 %) sont inéva-luables à l'âge de cinq ans du fait de l'ampleur du retard mental . Le fait n'estpas neuf dans la littérature. Arcadi et Chevrié (1976), sur une population dequatre cent deux sujets font mention de 13,8 % d'enfants ayant un quotient intel-lectuel inférieur à .70. Wallace et Cull (1979) en trouvent 8 % sur un échantillonde cent et deux ayant convulsé. Il convient toutefois de signaler qu'il s'agit dansles deux cas de populations non triées préalablement et que ces cinq enfants (demême que les quarante-quatre autres) se caractérisent par un premier développe-ment (station assise, marche...) tout à fait normal.

Les quarante-quatre autres obtiennent un Q.I.V. moyen de .94 et un Q.I.P.moyen de .107 et se répartissent pour moitié entre enfants indemnes et enfants àproblèmes graves de langage dont 25 % de dysphasiques. Réexaminés un an etdemi plus tard, ces problèmes de langage persistent. Il ne s'agit donc pas deretards simples de langage, comme nous l'avons d'abord cru, mais de troublesplus profonds et durables qui semblent se distribuer sur un continuum.

Ni les récidives, ni le type de convulsions (simples ou complexes) ne per-mettent d'isoler les sujets indemnes des autres. Par contre, l ' â g e auquel l'enfa n t

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c o nvulse semble être la variable-clé, tous les dysphasiques (treize) et les cinq groscas ont tous fait un épisode convulsif (première crise ou récidive) e n t re dix-huitet vingt-trois mois alors qu'aucun des trente et un autres (indemnes ou retardsg r aves) ne l'a fait, ce qui défie les probabilités. C'est donc sur cette période d'âgeque devrait porter la prévention (Diazépam dès qu'il y a température).

En conclusion, les études qui viennent d'être passées en revue permettent dec h i ffrer la p r é va l e n c e des troubles sévères du langage d'origine neurologique(hémorragies et convulsions) à minimum deux pour cent de la population tout-venant, chiffre auquel il faut encore ajouter les cas d'origine héréditaire et vrai-semblablement d ' a u t res étiologies plus rares comme les méningites et les ictèresnucléaires. On est donc loin du un pour cent avancé par C. Gérard (1992).

Dans l'état présent des connaissances (Aimard, 1996), les cas de troublesspécifiques du langage d'origine hémorragique se singularisent des sujets quiont convulsé par la présence conjointe de problèmes de latéralisation et demotricité fine qu'on ne retrouve pas chez les seconds. De même et contraire-ment à ceux-ci, le quotient intellectuel de performance est également affecté,ne permettant pas de les différencier des débiles harmoniques ou dysharmo-niques (Zazzo, 1968). Un essai de diagnostic différentiel sur base de résultatscontrastés au Test Des Déterminants (T.D.D.) et à l'échelle d'adaptation pratiquedes E.D.E.I. est actuellement mené.

◆ AnnexesSujet 1 Sujet 2 Sujet 3 Sujet 4 Sujet 5 Sujet 6 Sujet 7 Sujet 8 Sujet 9

Q.I.V. 86 101 103 108 105 65 112 126 112Q.I.P. 85 82 94 100 92 65 91 120 110Q.I.T. 84 - 98 105 99 62 - 126 111ASPECT PHONOLOGIQUE E.D.P. 4-8/ 32 28 29 24 27 24 23 26 21 28ASPECTSMORPHOSYNTAXIOUESEn expression - T.C.G. 5 8 8 9 12 2 10 8 12En compréhension - O-52 7 10 15 10 17 9 16 15 17ASPECTS SEMANTIQUEST.V.A.P. - Déf. 9 11 7 6 12 2 9 9 10

- Dés. 11 11 10 10 13 9 12 13 14T.R.T. - Util. 7 5 5 9 11 2 9 9 12

- Compr. 10 7 10 4 19 3 11 10 16Tableau I - Synoptique des résultats au W. P. P.S.I.-R. et en notes standard (moye n n e10/écart-type 3) à la B.E.L.L. des 9 sujets présentant une nécrose anoxique.

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Sujet 1 Sujet 2 Sujet 3 Sujet 4 Sujet 5 Sujet 6 Sujet 7 Sujet 8Q.I.V. 92 96 82 77 89 109 76 67Q.I.P. 97 76 83 54 76 82 49 53Q.I.T. 93 - 80 - 80 - - 57ASPECT PHONOLOGIQUEE.D.P. 4-8/ 32 30 29 - 18 16 26 26 -ASPECTSMORPHOSYNTAXIOUESEn expression - T.C.G. 8 5 1 1 4 11 4 2En compréhension - O-52 10 17 9 4 5 16 6 4ASPECTS SEMANTIQUEST.V.A.P. - Déf. 8 6 1 3 5 9 4 -

- Dés. 10 11 1 2 2 11 8 3T.R.T - Util. 11 9 1 1 2 8 6 -

- Compr. 13 10 6 1 7 14 8 3

Sujet 1 Sujet 2 Sujet 3 Sujet 4 Sujet 5 Sujet 6 Sujet 7 Sujet 8 Sujet 9 Sujet 10Q.I.V. 98 86 82 79 88 94 65 76 92 91Q.I.P. 111 89 76 68 104 84 77 89 94 91Q.I.T. 105 86 77 72 - 87 69 81 92 89ASPECTPHONOLOGIQUEE.D.P. 4-8/ 32 29 29 24 23 26 28 21 - 26 17ASPECTS MORPHO-SYNTAXIOUESEn expression

- T.C.G. 5 1 3 3 5 5 3 4 5 4En compréhension

- O-52 11 8 8 1 11 10 5 12 9 5ASPECTSSEMANTIQUEST.V.A.P. - Déf. 4 2 4 5 3 7 2 4 4 5

- Dés. 9 9 11 4 9 12 6 7 5 6T.R.T - Util. 6 3 6 3 4 6 6 2 6 3

- Compr. 8 10 9 8 5 14 11 1 10 6

Tableau II - Synoptique des résultats au W.P.P.S.I.-R et en notes standard (moyenne 10 /écart-type 3) à la B.E.L.L. des 8 cas d'hémorragie (les sujets 7 et 8 sont des stades III et IV).

Tableau III - Synoptique des résultats au W.P.P.S.I.-R et en notes standard (moyenne 10 /écart-type 3) à la B.E.L.L. des 10 cas considérés comme indemnes à l'échographie et présen-tant, pour nous, un problème de langage.

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Développement des productions vocales :évaluation et implications cliniques

Shirley Vinter

RésuméCe travail se focalise sur les différents types d'évaluation du développement phonologiquede l'enfant. Il souligne :- l'importance du babillage, événement clé de l'acquisition du langage- l'existence d'une interaction entre les diverses composantes langagières, entre :

. le répertoire consonantique et les premières formes lexicales

. le lexique et la syntaxe

. l'intonation et la syntaxe.Mots clés : développement phonologique, babillage, intonation, syntaxe, évaluation.

The development of vocal production :assessment and clinical implications

AbstractThis study describes different types of assessments of the child's phonological develop-ment. It stresses the following points:- the role of babbling, a key event in the acquisition of language- an interaction between the following language components:

. consonantal repertoire and the first words produced

. vocabulary and syntax

. prosody and syntaxKey Words : phonological development, babbling, intonation, syntax, assessment.

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◆ Introduction

Selon les données de la littérature, des précurseurs de désordres dans ledéveloppement du langage pourraient être détectés au cours de la deuxièmeannée. Cette identification précoce, facilitée par la mise en place de nouvellesméthodes d'observation et d'analyse plus rigoureuses du comportement vocal,est fondamentale car elle permet la mise en place immédiate d'une aide auprèsde l'entourage familial. L'analyse du prélangage peut fournir des indications pré-cieuses sur le devenir langagier de l'enfant (Van Hout 1986).

Deux ans est un « âge clé » dans le développement du langage d'unenfant, même s'il existe des possibilités de récupération qui sont souvent impré-visibles. C'est l'âge idéal pour le dépistage d'un enfant dysphasique (Van Hout1989).

Klees et Szliwowski (1993) notent que les enfants souffrant de dysphasiessévères sont décrits par leurs parents comme des bébés silencieux qui n'ont pasjoué avec les sons comme les autres enfants. Les vocalises de l'enfant autistesont spécifiques d'un individu donné (idiosyncratique), le timbre est atonal,dépourvu de toute variation mélodique (Van Hout 1986). A l'instar de Rondal(1987), nous pensons qu'il n'existe pas de signe pathognomonique du trouble dulangage. Le diagnostic précoce ne peut se faire que sur la base d'un faisceaud'indices.

Nous possédons déjà certaines données intéressantes concernant le déve-loppement du lexique et de la morpho-syntaxe. Pour Rondal (1987), s'agissantdes critères productifs, si l'absence de lexème à 24 mois signale une premièresuspicion sérieuse de retard de langage, l'absence de combinaisons verbales,c'est-à-dire d'énoncés comportant au moins deux lexèmes à 30 mois et au-delà,indique un retard de structuration de l'expression verbale. Pour lui comme pourde nombreux autres auteurs, la longueur moyenne de production ve r b a l e(LMPV), qui est un indice très fiable de maturation syntaxique, permet de repé-

S h i r l ey V I N T E RMaître de Conférences, H.D.R.U n iversité de Franche-ComtéFaculté de Médecine25030 Besançon

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rer toute lenteur anormale dans le développement morpho-syntaxique. Le gainest d'environ 1.25 LMPV par année d'âge.

L'acquisition du lexique par l'enfant a fait l'objet de nombreux travaux ;les premiers mots apparaissent entre le 11e et le 14e mois. Boysson-Bardies(1996) a recensé une production de trente à quarante mots différents lors d'uneséance d'enregistrement chez des enfants entre 15 et 17 mois. Ces donnéesconfirment celles de Nelson et al. (1993) : les enfants âgés de 20 mois possèdentun lexique de 50 mots environ. Selon un rapport de Dale et Thal (1989), l'enfantde deux ans utilise environ trois cents mots formés de substantifs, de verbes etd'adjectifs. A trois ans, il possède un vocabulaire d'environ mille mots et unL.M.E. de 3,1 (Wehrabian 1970).

Mais tous les auteurs soulignent l'importante variabilité du développe-ment du lexique dans les productions des enfants observés. Si un vocabulaireriche à 18 mois ne peut être à lui seul l'indice d'un développement particulière-ment précoce de la syntaxe, en revanche il est bien difficile d'associer de façonclaire un retard du développement lexical d'un enfant à une pathologie.

La compréhension des éléments verbaux paraît être un indice particulière-ment fiable du développement du langage ultérieur. Aussi, conviendrait-il d'ac-corder plus d'importance aux troubles de compréhension décelés dans un bilandu très jeune enfant. Parents et professionnels doivent être très vigilants sur cetaspect du langage. Bien que les données soient très réduites, il ressort des rarestravaux que nous possédons, que l'enfant de douze mois comprend environ unecinquantaine de mots. Nous manquons de données dans ce domaine, il y a cer-tainement là une voie de recherche tout à fait prometteuse.

En même temps, le système phonologique de l'enfant progresse très rapi-dement entre deux et trois ans : augmentation de la production de sons diffé-rents, du type de syllabes, ce qui contribue à une meilleure intelligibilité de saparole. Si, selon certains auteurs, la moitié de ce qu'un enfant produit à 2 ans estcompris par un étranger, 75 % de sa production est comprise à 3 ans. Or, actuel-lement, les mesures du développement phonologique sont réalisées très tardive-ment chez des enfants âgés de 3 à 4 ans. On devrait, dit-on, dépister les enfantsà 3, 6 ans. Selon Chalumeau (1994), l'âge moyen de la première consultation en1992, au Centre d'Action Médico-Sociale Précoce où il travaille est de 3, 9 ans.

Nous allons centrer ce texte sur l'évaluation du système phonologiquede l'enfant et plus particulièrement sur le babillage.

L'intérêt de cette évaluation n'est possible que si l'on considère lebabillage, c'est-à-dire l'utilisation de structures syllabiques de type consonne-voyelle comprenant de vraies consonnes, comme l'événement le plus importantdu développement vocal pré-linguistique.

45

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De nombreux arguments justifient cette option :. il n'y a pas de discontinuité entre les premières productions vocales et lelangage articulé ;

. il existe des interactions entre le développement phonologique, lelexique et la syntaxe ;

. si les modes d'acquisition du langage - au niveau lexical, morphosyn-taxique - sont diverses, si les variations inter individuelles sont impor-tantes, en revanche, les étapes successives qui constituent le dévelop-pement des vocalisations pré linguistiques sont assez stables et ce,quelle que soit la culture ou le milieu environnant. Cette stabilité rendpossible une évaluation.

◆ L'évaluation du babillageParmi les nombreuses méthodes d'évaluation proposées nous évoquerons

celles qui nous paraissent pertinentes et susceptibles de guider les travaux desorthophonistes.

. Les unes sont basées sur la référence à un système d'étapes pour situerun sujet dans son développement ;

. Les autres apprécient les compétences du sujet par la diversité de sonrépertoire phonologique ;

. D'autres enfin portent sur l'évaluation des éléments mélodico-ryth-miques de la parole.

Ces différents systèmes d'évaluation se partagent le domaine actuel de larecherche sur cette question.

Evaluations en référence à un système d'étapes

De nombreuses études utilisent des mesures basées sur les étapes déve-loppementales. Il est possible de comparer des sujets entre eux et d'apprécierpour une étape particulière, les effets d'une précocité ou d'un retard sur le déve-loppement du langage ultérieur.

a - Le développement vocal

Dans la synthèse des différents modèles proposés par la littérature anglo-phone (Stark et al. 1988, Oller et Eilers 1988, Oller et Lynch 1993) ainsi quedans nos travaux, cinq étapes sont relevées (1). Chacune d'elle est définie parl'apparition d'un nouveau type de comportement vocal qui n'a pas forcément la

(1) Pour plus d’informations sur ces différentes étapes, cf Vinter 1994.

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fréquence d'occurrence la plus importante pendant la période considérée et quise mêle aux types de vocalisations des étapes précédentes. Les âges donnés tien-nent compte des différences individuelles, parfois importantes, qui existent entreles enfants (tableau 1).

De la naissanceà 2 mois

Etape de phonation

Vocalisations réflexes cris etsons végétatifs

Apparition de non-crisSons quasi-résonants

De 1 moisà 4 mois

Etape der o u c o u l e m e n t

Sons pleinementr é s o n a n t s

Sons contoïdesEnoncés vo c o ï d e s

De 3 moisà 8 mois

Etape ex p l o r a t o i r eBabillage rudimentaire

Jeu vo c a lP r e m i è r e s

c o m b i n a i s o n s :contoïdes vo c o ï d e s

De 5 moisà 10 mois

Babillage canoniqueSyllabes matures,

c a n o n i q u e s

De 9 moisà 18 mois

Etape intégrativeS t r u c t u r a t i o nm é l o d i q u e

et temporelle

P r e m i e r sé l é m é n t sa r t i c u l é s

Enoncés mixtes

A p r è s18 mois

Combinaisons d’élémentsEntrée dans

la phase syntaxiquedu langa g e

Les âges donnés tiennent compte des différences individuelles parfois importantes qui existent entre lesenfants.

Tableau 1 - Des premiers cris au babillage : les différentes étapes

Les étapes du développement vocal montrent clairement une progressionqui aboutit à la production de sons bien formés, c'est-à-dire de sons qui ressem-blent aux sons de la langue parlée dans l'environnement de l'enfant.

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. L'étape I : étape de phonation (0-2 mois).

. L'étape II : étape du roucoulement (1-4 mois).

. L'étape III : étape exploratoire (3-8 mois).

Grâce au contrôle de sa phonation acquis autour de 5 mois, l'enfant joue àfaire varier les mélodies, les durées, les successions de sons vocaliques [a:ee],[aaï:]... Ces différentes sonorités produites sur différentes mélodies, ces« ga z o u i l l i s » font l'émerveillement des parents. L'enfant semble être bienconscient des effets de ses gazouillis sur son entourage, il commence à en userpour communiquer non seulement ses émotions mais également ses premièresdemandes. Vocaliser, produire des sons est un des premiers comportementsvolontaires et intentionnels de l'enfant.

Vocaliser, jouer de sa voix devient en outre un plaisir pour l'enfant, unplaisir partagé avec sa mère, plaisir à la fois de ce qui est produit par lui maisaussi entendu, c'est-à-dire produit par son entourage (2).

L'enfant va mettre en place une des fonctions essentielles du langage,l'adaptation : adaptation à l'interlocuteur, adaptation à son expressivité, à sesintentions de communication au moyen des variations de sa voix. Il commence àajuster sa voix à son interlocuteur, sa voix est plus aiguë quand il est avec samère que lorsqu'il communique avec son père, prélude de cette fonction essen-tielle du langage : l'adaptation à l'interlocuteur.

Le répertoire phonique s'élargit avec l'apparition de sons consonantiqueslonguement tenus. Vers 6 mois, apparaissent les premières combinaisons desons contoïdes et vocoïdes avec fermeture du tractus vocal que nous avonsappelé « babillage rudimentaire » (3). Il s'agit d'assemblages difficilement seg-mentables en raison d'une articulation assez lâche et de transitions très lentesentre les mouvements de fermeture et d'ouverture du tractus vocal. On voitapparaître des [aw:a], [am:ma], [aßwa], [m:am]... le bébé se familiarise ainsiavec les sons de la langue, leurs transitions, et acquiert une certaine compétencearticulatoire. Il se familiarise avec les routines de la langue et peut ainsi pro-duire des effets sonores très variés. L'enfant est prêt pour le babillage ; « il estdans l'antichambre de la parole » (Boysson-Bardies 1996).

. L'étape IV : étape des syllabes canoniques (5-10 mois). Les enfantscommencent à produire des syllabes bien formées de type CV. Selon Oller, lasyllabe canonique est un assemblage articulatoire qui se compose d'un « noyaud'énergie », l'élément vocalique, et d'au moins « une marge », l'élément conso-

(2) Surtout lorsque l’entourage imite les productions de l’enfant.

(3) Traduction que nous avons faite à partir de la terminologie de Oller (1980) « marginal babble ».

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nantique qui possède les caractéristiques temporelles de la langue cible (4). Lebabillage canonique est redupliqué et diversifié, ex : papipo, tata, ana... Lessuites voyelle-consonne-voyelle sont très fréquentes.

Les vocalisations de l'enfant possèdent les mêmes caractéristiques phona-toires et temporelles que la langue cible. Des énoncés tels que [mama], [papa],[daedae], [ata],... phonétiquement semblables à des mots de la langue cibleapparaissent dans les productions enfantines. Ces productions sont immédiate-ment repérées par les parents. Les parents de tous les niveaux sociaux ont unecapacité extraordinaire à reconnaître le babillage de leur enfant dès son émer-gence (5) (Oller et al. 1994). Ils ont tendance à interpréter ces productionscomme des ébauches des premiers mots, « p a p a », « m a m a n », « t a t a » ,« attends »...

Ces séquences rythmiques formées de syllabes dupliquées amènent lejeune enfant à relier les aspects sensoriels et moteurs de ses vocalisations.

« Le babillage avec des syllabes répétées, reflèterait la formation de« cadres » dans lesquels les différents segments phonétiques seront insérés aufur et à mesure qu'ils deviendront accessibles à l'enfant » (Boysson-Bardies1996).

Le babillage canonique est le point culminant du développement desvocalisations pré linguistiques.

. L'étape V : l'étape intégrative (9-18 mois). Les enfants commencent àproduire des éléments significatifs à l'intérieur d'un babillage reconnus par lesfamiliers mais aussi par les étrangers comme faisant partie de la langue cible.

De nombreuses études anglophones utilisent ces mesures basées sur lesétapes développementales qui permettent de comparer des sujets entre eux et demesurer les effets d'une précocité ou d'un retard pour une étape particulière, surle développement du langage ultérieur. Un obstacle dans le déroulement de cesétapes pourrait indiquer un dysfonctionnement. Des marques de déviance peu-vent apparaître à chaque moment de ce développement mais sont repérables par-ticulièrement à l'étape IV, l'étape du babillage (Menyuk et al. 1986, Stark et al.1988). Les problèmes initiaux du développement phonétique, les retards oudéviances précoces du niveau phonologique pourraient expliquer en partie,selon de nombreux auteurs, les problèmes rencontrés par ces enfants lors de leurconfrontation avec le langage écrit. Les observations permettraient de mieuxcomprendre les problèmes d'apprentissage de la lecture que rencontrent un cer-

(4) Pour plus d’informations cf. Vinter 1994.

(5) Cette capacité à reconnaître le babillage de leur enfant de façon absolument fiable, devrait être utiliséedans le dépistage de la surdité par les médecins.

49

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tain nombre d'enfants qui ont eu une prise en charge orthophonique pour desproblèmes importants de parole et de langage.

Il nous faut donc prendre très au sérieux les retards du développementphonologique des premières années. Les recherches dans ce domaine nous fontcruellement défaut en français.

b - Les différents types d'énoncés

De façon plus succincte et pour les besoins en pathologie Vinter (1994) adistingué trois types d'énoncés correspondant à trois stades du comportementvocal de l'enfant. Nous appelons énoncé, toute suite de sons entre deux pauses(6). Un minimum de 50 énoncés est nécessaire pour réaliser toute évaluation(Rondal 1987, Vinter 1996).

Il convient par ailleurs de rappeler la définition du babillage et de diffé-rencier le babillage canonique du babillage rudimentaire :

. Les « énoncés vocoïdes » ne contiennent que des sons vocaliques (quasiou pleinement résonants). Ils peuvent être composés d'un élément isolé[a] ou d'une combinaison d'éléments [aea]

. Les « énoncés rudimentaires » comportent une ou plusieurs syllabesrudimentaires [awa], [em:a], (ajaja]...

. Les « énoncés canoniques » comportent une ou plusieurs syllabes cano-niques, ex. [apa], [elana], [tebona]

Si un énoncé contient une syllabe rudimentaire et une syllabe canonique[ewapa], nous le considérons comme énoncé canonique.

Nos travaux (Vinter 1994) ont montré la pertinence d'une différenciationentre énoncés vocoïdes, énoncés rudimentaires et énoncés canoniques dansl'identification précoce de la surdité, dans l'évaluation du candidat à l'implanta-tion et dans le développement du langage ultérieur d'enfants présentant unepathologie.

La figure 1 montre l'émergence du babillage dans une population d'en-fants sourds profonds tous appareillés. Nous pouvons constater que la produc-tion de structures syllabiques de type consonne - voyelle est intimement liée àl'importance de la surdité. Les enfants du groupe 1 commencent à babillerautour de 15 mois, ceux du groupe 2, autour de 25 mois et les sujets du groupe 3autour de 30 mois.

Les enfants présentant une surdité profonde supérieure à 110 dB. ne pro-duisent pas de babillage canonique même à 32 mois.

(6) Cette définition pose le problème de la délimitation des pauses, 250 ms pour le parler adulte, 400 ms pourle parler enfantin. L’étude des pauses dans les productions vocales d’enfants présentant une pathologie en estencore à ses balbutiements même dans les travaux anglophones.

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d - La longueur moyenne de production du babillage

L'évaluation du développement vocal par Stoel-Gammon (1989) met enévidence trois étapes pré linguistiques :

. Niveau 1 - Le babillage précanonique : Les énoncés sont essentielle-ment formés de sons vocaliques, de syllabes consonantiques - sons tenus [m :]-ou de syllabes CV dans lesquelles le son consonantique n'est pas une « vraieconsonne » . Il s'agit d'une glottale ou d'une semi-consonne, comme [a(wa], ...

. Niveau 2 - Le babillage canonique redupliqué : Les énoncés sont caractéri-sés par des séquences de CV dans laquelle la consonne est une « vraie consonne » .Les syllabes CV sont redupliquées ou isolées, ex : [mama], [dae], [tada]...

. Niveau 3 - Le babillage canonique diversifié : Les énoncés compren-nent une ou plus d'une syllabe dont les consonnes diffèrent par le lieu et/ou lemode articulatoire ex : [min], [pada]...

On obtient ainsi le « Mean Babbling Level » (MBL) que nous traduironspar la « Longueur Moyenne de Babillage » (LMB) qui est calculée en addition-nant le nombre de productions du niveau 1, le nombre de productions du niveau2 multiplié par deux et le nombre de productions du niveau 3 multiplié par trois.La somme obtenue est divisée par le nombre d'énoncés.

Figure 1 : Emergence du babillage canonique chez des enfants sourds profondsG.1 : perte auditive moyenne : 90 dBG.2 : perte auditive moyenne : 90 - 100 dBG.3 : perte auditive moyenne : 100 - 110 dB

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Le LMB se situe entre 1.0 quand tous les énoncés sont du niveau 1 et 3.0quand ils sont tous du niveau 3.

De nombreux travaux ont montré :. Que le taux de la longueur moyenne de babillage augmente avec l'âge.. Qu'il existe un lien entre la pauvreté des syllabes CV dans la période pré

linguistique et le retard du langage (Stoel-Gammon et al. 1986).

Evaluation du répertoire consonantique produit par le sujet

Les évaluations, proposées par Menyuk et al. (1986), Stoel-Gammon etal. (1986, 1989), et d'autres auteurs, sont basées sur le type de sons produits parl'enfant et la complexité des structures syllabiques.

La revue de trois études américaines différentes réalisée par Locke(1983) indique que douze consonnes [p,t,k,b,d,g,m,n,w,j,h,s] forment 92 à 95%des sons produits par un enfant de 12 mois. Les données suggèrent que, malgrédes variations individuelles, l'utilisation de consonnes supraglottales dive r s i-fiées paraît être un indicateur fiable du développement pré linguistique et lin-guistique. Un répertoire consonantique limité semble être associé à un retarddu développement du langage. A contrario, les sujets qui possèdent le plus desyllabes canoniques composées d'une grande variété de consonnes ont un déve-loppement du langage plus avancé et des habiletés langagières plus importantesque les autres.

Vihman et Greenlee (1987) ont étudié l'utilisation des sons consonan-tiques par les enfants de 12 mois en déterminant le pourcentage des énoncéscontenant de vraies consonnes (les glottales et les semi-consonnes ne sont pascomptées) utilisant la formule : le nombre d'énoncés contenant une vraieconsonne sur le nombre total d'énoncés. Les enfants qui, à 12 mois, avaient leplus haut score, obtenaient les meilleures performances phonologiques à 3 ans.Pour ces auteurs, un taux élevé de vocalisations comprenant de « v r a i e sconsonnes » à 1 an était prédictif du développement phonologique à 3 ans .

Par ailleurs, Thal et al. (1997) ont montré une corrélation entre le nombrede consonnes différentes du répertoire phonétique d'un jeune enfant dans sonbabillage et son inventaire lexical.

L'interaction entre diversité du répertoire consonantique, richesse desstructures syllabiques et développement du lexique est évidente. De nom-breux arguments peuvent étayer cette hypothèse.

Il est certain que :. Plus l'enfant produit des consonnes différentes, plus vite il maîtrisera le

système phonologique de la langue.

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. Il va également être capable de reconnaître et de reproduire avec plusd'aisance les formes phonétiques (c'est-à-dire les mots et les expressions) qu'ilentend autour de lui puisqu'il en possède les schémas articulatoires.

. La mère interprète plus facilement des productions enfantines variéescomposées de consonnes diversifiées que des productions avec un répertoirephonétique stéréotypé, comme c'est souvent le cas des sujets porteurs d'unepathologie. Or, le rôle de l'interprétation maternelle des productions enfantinesdans le développement du langage est bien connu.

Mais nous manquons fortement de données précises et systématiquesconcernant le développement phonologique de l'enfant en langue française (7).

◆ Evaluation des éléments mélodico-rythmiques de la parole

Ce dernier aspect a déjà fait l'objet de nombreuses publications. Nousavons montré le rôle de la mise en place de la structuration mélodique et tempo-relle dans l'accès à la phase syntaxique du langage, c'est-à-dire de ces élémentsprosodiques comme indices prédictifs d'un développement harmonieux du lan-gage (Konopczynski et Vinter 1994, Vinter et al. 1996).

La prosodie, - la mise en place de l'allongement final tout comme l'utilisa-tion de courbes mélodiques -, a une fonction linguistique évidente, aussi bien aun iveau du Proto-Langage, en l'absence de lexique, qu'à l'étape où la couche ve r-bale commence à être présente. Les diverses modalités qui ne peuvent pas encoreêtre exprimées à l'aide du matériau lexical ou syntaxique adéquat, le sont grâce àl'utilisation des paramètres prosodiques qui deviennent de ce fait des marqueurssyntaxiques. Une suite de sons même les plus élémentaires, intonée diff é r e m m e n t ,dans un contexte situationnel bien précis, prend des significations adéquates,interprétables par l'entourage et permet à l'enfant handicapé de s'intégrer dans unschéma conversationnel et de devenir un interlocuteur à part entière. L'enfant peutainsi accomplir des actes de langage différents, captés et reconnus comme tels parl'entourage, uniquement en produisant des suites de sons (Vinter et al. 1996).

Les énoncés où l'enfant combine deux éléments occupent une place privi-légiée dans les recherches en psycholinguistique développementale : ils consti-tuent les premières manifestations de la syntaxe. Certains auteurs attachent uneimportance fondamentale à l'ordre des mots qui serait, selon eux, le premier élé-ment de syntaxe à être utilisé par l'enfant. En fait, l'emplacement des pauses, lesdurées relatives des différents éléments et la courbe intonative structurentl'énoncé autant que l'ordre des mots et peut-être le précèdent.

(7) Cet aspect fait l’objet d’un travail en cours dans notre laboratoire.

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Avant l'apparition d'une syntaxe rudimentaire de base, avant qu'il ne com-mence à produire ses premiers mots, l'enfant se sert de la prosodie pour expri-mer ses intentions à ses interlocuteurs.

◆ Discussion et conclusions

Une bonne connaissance des différentes étapes qui mènent l'enfant despremiers sons aux premiers énoncés est essentielle pour l'identification et l'éva-luation des futures compétences langagières d'un enfant à risque et peut égale-ment servir de base à des programmes d'intervention.

Ces données, quoique préliminaires pour la plupart d'entre elles, souli-gnent l'existence d'une relation entre les structures des syllabes, les types desons produits par l'enfant et l'habileté subséquente à développer un langage ver-bal. Une absence de babillage canonique, des difficultés à émettre des sonsconsonantiques diversifiés paraissent être associées à un retard dans le dévelop-pement du langage et/ou de la communication.

Le babillage canonique est un événement clé dans l'acquisition dulangage.

. D'une part il est une des premières productions structurées de l'enfant etcomporte les « ingrédients » de l'organisation langagière.

. D'autre part, il annonce les premiers mots. C'est dans le stock de sonbabillage que l'enfant puise les sons de son premier langage articulé.

L'ensemble des travaux aussi bien anglophones que francophones, quelque soit le cadre théorique dans lequel ils s'insèrent, souligne l'existence d'uneinteraction entre les diverses composantes langagières :

. Interaction entre le répertoire consonantique produit dans le babillageet les premières formes lexicales

Il est vrai qu'un répertoire consonantique varié entraîne une interprétationbeaucoup plus facile et plus riche de la part de l'entourage et principalement dela mère, donc un lexique précoce plus riche. En poursuivant ce raisonnement, onpeut aller vers la formule, « bon babilleur, lexique riche, bon lecteur ». Le pas aété franchi par certains auteurs anglophones et mériterait sans doute qu'on yréfléchisse.

. Interaction entre lexique et syntaxe. Eve Clark dans un colloque àBesançon (1995) soulignait que :

« sans lexique, il n'y a point de syntaxe. Il faut donc examiner les liensqui existent dans les processus d'acquisition du lexique et de la syntaxe... Lesmots ne s'apprennent pas de façon isolée, mais dans leur cadre syntaxique ».

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. Interaction entre intonation et syntaxe : Les travaux menés à Besançonont montré la mise en place chez le jeune enfant d'un moule prosodique danslequel émergera la première syntaxe. Nous avons mis l'accent en outre sur l'im-portance des pauses, aussi bien chez le jeune enfant qui n'a pas encore déve-loppé de langage articulé que dans les cas de pathologie (Chalumeau 1994, Vin-ter et al. 1996). L'intonation est alors une voie privilégiée pour observer latransition entre phase pré-syntaxique et phase syntaxique dans le cas de produc-tions pathologiques. La prosodie, c'est-à-dire des structures mélodiques et desstructures rythmiques, comme substituts efficaces d'un lexique et d'une syntaxedéfaillants est considérée comme un pivot de l'acquisition du langage, un sup-port primordial de la communication avant le langage articulé. Ces élémentsprosodiques repérés dans les productions enfantines sont des indices prédictifsfiables d'un développement harmonieux du langage. Leur absence pourrait êtrela marque d'une éventuelle déviance.

Les travaux anglophones actuels soulignent tous la robustesse de l'émer-gence du babillage, et sa stabilité, dans les productions enfantines. Il se met enplace même dans les conditions les plus défavorables. Il n'est sensible ni à laprématurité, ni à la déficience intellectuelle, ni au manque de stimulationssociales.

L'acquisition du babillage peut être légèrement retardée chez l'enfant tri-somique. Selon Oller et al.1995, tous les enfants produisent des syllabes cano-niques avant 11 mois, qu'ils soient trisomiques, prématurés, issus de milieuxparticulièrement défavorisés... Seul un problème auditif ou un trouble trèssévère du développement langagier pourrait retarder plus ou moins considéra-blement ou même supprimer l'apparition du babillage canonique.

En 1982, dans le but de réaliser un travail de prévention des troubles dulangage de l'enfant, Coplan et al. avaient montré que 90 % des sujets de :

. 10 mois produisent du babillage monosyllabique

. 10 mois 8 jours produisent du babillage polysyllabique

. 10 mois 1 jour réalisent « mama » « dada » non signifiants

. 14 mois produisent « mama » « dada » signifiants.

Cette idée de solidité, de robustesse, de fiabilité du babillage cano-nique, permet de faire de ce comportement vocal

d'une part,. un des éléments du diagnostic de surdité. C'est également un élément fort intéressant au niveau du pronostic : un

enfant qui produit des structures syllabées au moment du diagnostic doit néces-sairement nous faire penser à une surdité évolutive ou à une surdité acquise.

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C'est donc un enfant qui a déjà bénéficié d'informations acoustiques, le pronos-tic ne peut être que favorable.

. un élément dans l'évaluation du candidat à l'implantation. Un enfant pré-sentant une surdité profonde sans troubles associés qui, après 6, 8 ou 10 moisd'appareillage et d'entraînement auditif ne produit que des énoncés de typesvocoïdes devrait être considéré comme un candidat à l'implantation. Attendre nepeut être que préjudiciable au développement de sa communication et de sonlangage (Holm et al. 1997)

et d'autre part,. un critère - parmi d'autres - de dysfonctionnement du comportement lan-

gagier précoce.Parmi les indices que Aimard et Abadie (1991) donnent d'un déficit de

langage, figure l'absence de [bababa], c'est-à-dire l'absence de syllabes cano-niques après un an.

L ' e n fant qui prolonge son babillage rudimentaire au delà de un an sans letransformer en babillage canonique devrait nous inciter à être plus vigilants (8), ào b s e r ver attentivement l'ensemble de son comportement et éve n t u e l l e m e n t ,comme le proposent Aimard et Abadie, à envisager un accompagnement parental.

Sans affirmer qu'un babillage atypique, au niveau segmental ou supraseg-mental, constitue la cause d'un développement ralenti du langage, - il existed'une part des variations individuelles très importantes d'un sujet à l'autre etd'autre part, des possibilités de récupération qui sont souvent imprévisibles -,nous pensons que ce babillage atypique devrait être un des facteurs susceptiblesd'alerter les praticiens, médecin, orthophoniste, puéricultrice... et parents.

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Pour une évaluation intégrativedu langage oral

Jean A. Rondal

R é s u m éL ' a r t i cle expose quelques-uns des problèmes et limitations majeurs des tests habituels del a n g age en langue française. On insiste ensuite sur l'intérêt qu'il y aurait en matière d'éva-l u ation à combiner l'utilisation de tests formels avec une approche dav a n t age centrée surle sujet individuel au moyen de l'analyse d'échantillons de langage spontané en situat i o nfonctionnelle. Enfin, le statut de l'intuition dans l'interprétation des données évaluatives estd i s c u t é .

Mots clés : évaluation quantitative et qualitative, test, langage spontané, intuition.

Integrated evaluation of oral language

AbstractMajor problems and limitations of standard language tests in French are first examined inthis article. We then stress the importance of combining results from formal testing with amore individually-oriented approach through the analysis of spontaneous speech samplesin functional situations. Fi n a l l y, the role of intuition in the interpretation of the results isd i s c u s s e d .

Key Wo r d s : quantitative and qualitative evaluation, test, spontaneous speech, intuition.

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I l est frappant de constater combien, malgré la multiplication des tests etépreuves de langage et celle des formations dans les disciplines et scienceslangagières, l'évaluation de cette fonction, journalière au point d'apparaître

parfois comme simple, voire banale, reste le plus souvent rigide et comparti-mentée. J'ai analysé ailleurs avec beaucoup d'attention l'arsenal des principauxtests de langage disponibles en langue française (Rondal, 1997). Il ressort decette analyse, à côté d'un certain nombre de considérations techniques, qu'iln'est pas nécessaire de reprendre ici, que de nombreux tests sont peu satisfai-sants particulièrement du point de vue de la couverture linguistique assurée. Leproblème est à ce point sérieux qu'on est en droit de mettre en doute, dans ungrand nombre de cas, la validité interne, c'est-à-dire l'adéquation entre les itemset l'organisation du test et la fonction, sous-fonction, ou composante langagièreque le test est sensé évaluer; sans même envisager l'hiatus parfois flagrant exis-tant entre l'intitulé des tests et leurs contenus effectifs, laissant à penser à l'utili-sateur non ou peu averti qu'il ou qu'elle dispose de mesures plus représentativesque ce n'est le cas en réalité ; sans envisager ici non plus l'absence quasi géné-rale de validation théorique des instruments d'évaluation du langage en languefrançaise (c'est-à-dire, la non-spécification d'un modèle théorique lui-mêmeacceptable se trouvant à la base du test et ayant présidé à son élaboration) ; cevide n'étant que le pendant théorique du manque de connaissances linguistiques(et psycholinguistiques) évident chez de nombreux constructeurs de tests quiexplique également (sans les justifier) les graves imperfections que l'on trouvedans la plupart des épreuves en question.

On est souvent en droit également de mettre en doute une autre impor-tante dimension métrique des tests de langage en langue française. Il s'agit deleur sensibilité relative. La sensibilité d'un test concerne son pouvoir discrimina-tif ou classificatoire. Par pouvoir discriminatif (et non discriminatoire), il fautentendre la capacité d'une épreuve de différencier effectivement et le plus fine-ment possible des sujets qui sont effectivement différents (sinon il s'agit d'une

Jean A. RONDAL Ph.D., Dr.Ling.2 Chaire de PsycholinguistiqueUniversité de Liège B-32, SART TILMAN B-4000 LIEGE

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discrimination arbitraire) quant à l'aptitude mesurée. Il existe, certes, une rela-tion inverse, et facile à comprendre, entre la sensibilité d'un test (qu'il s'agisseou non de langage) et l'étendue du champ mesurable et/ou eff e c t ive m e n tmesuré. Plus vaste est la gamme des aptitudes que doit mesurer un test et moinsce test est, toutes choses étant égales par ailleurs, sensible à l'intérieur de cettegamme. En principe, plus les items (valides) d'un test sont nombreux et diversi-fiés, et plus la probabilité est élevée que ce test puisse faire apparaître et préciserdes différences objectives entre les sujets, et donc plus il est sensible.

A ce point de vue, la fâcheuse tendance de nombreux constructeurs detests de langage de réduire l'évaluation à quelques dizaines d'items, est désas-treuse. Les justifications parfois avancées, en termes de rapidité procédurale, devendabilité, etc., ne peuvent satisfaire. Il ne se saurait trouver aucune justifica-tion acceptable pour une pratique aboutissant à tronquer l'évaluation du langage,la privant de sensibilité intéressante et réduisant sa capacité prédictive. Commej'y ai insisté ailleurs (Rondal, 1997), mais il n'est sans doute pas inutile d'y reve-nir de temps à autre car l'incompréhension peut être profonde, un examen suffi-samment complet du langage, même en laissant de côté les aspects métalinguis-tiques, ne peut être correctement mené en quelques dizaines de minutes. Lelangage est un objet de grande complexité. Il est multicomponentiel, multifonc-tionnel, et peut impliquer plusieurs modalités (sensorielles-motrices). La fonc-tion langagière est sans conteste la plus complexe qui soit et celle qui nous dis-tingue largement des autres espèces animales. Sa facilité et sa simplicité sont detrompeuses apparences largement liées au fait que la plupart des mécanismeslangagiers sont automatisés (au moins chez l'adulte) et largement inconscients(« encapsulés ») selon l'expression « parlante » du philosophe américain du lan-gage Fodor (1983). Les constructeurs de tests qui prétendent mesurer le langageen quelques minutes soit sont de mauvaise foi et davantage mus par des impéra-tifs commerciaux que scientifiques, soit ignorent ce qu'est réellement la fonctionlangagière. Il est clair qu'on doit nécessairement consacrer plusieurs heures à unexamen formel relativement complet du langage chez une personne. Certes, par-fois la demande est suffisamment claire et le problème suffisamment précisd'entrée de jeu (une difficulté articulatoire, un retard lexical, un problème mor-pho-syntaxique particulier, etc.) pour qu'on puisse légitimement restreindre lechamp d'évaluation et procéder à un examen plus rapide.

◆ Au-delà des tests de langage

Le propos central du présent article se rapporte plutôt à la suggestion dePierre Ferrand d'explorer quelque peu les modalités d'une approche évaluative

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du langage qui combinerait les nécessaires quantifications avec une appréciation« plus clinique et plus intuitive, mais aussi nécessaire ».

Il est évident, ou au moins cela devrait être le cas, qu'un test de langageou une batterie d'épreuves langagières (au-delà des limitations et imperfectionsactuelles, transitoires, il faut l'espérer) peuvent fournir des indications utilesmais nécessairement partielles sur le fonctionnement mesuré. De même, et toutaussi nécessairement, l'application d'une batterie ou d'un test de langage consti-tue une épreuve artificielle. Une telle application fournit un éclairage utile etvalable (si l'épreuve utilisée est valide), mais inévitablement limité et qui doitêtre correctement interprété. C'est là qu'interviennent la formation, l'expérienceprofessionnelle, les connaissances techniques, et l'intuition de l'éva l u a t e u r.L'idée, malheureusement répandue, selon laquelle un test se suffirait à lui-mêmeet pourrait être utilisé dans une sorte d'absolu interprétatif, est fausse et dange-reuse. Je reviendrai plus loin sur la notion « d'intuition de l'évaluateur ». Cettenotion a sa place dans la démarche interprétative, et une place de choix, indubi-tablement. Mais il convient qu'elle satisfasse à certaines conditions.

Au-delà de l'application d'un test ou d'une batterie de tests et en combi-naison avec cette démarche, il y a les ressources interprétatives fournies parl'anamnèse du cas, à condition qu'elle soit suffisamment fournie et systématique.

Cependant, l'élargissement le plus intéressant de l'examen du langage au-delà de l'utilisation des tests formels, à mon opinion, fait intervenir l'analyse dulangage spontané. Il s'agit de démystifier quelque peu cette analyse, car de nom-breux professionnels et cliniciens du langage n'ont ni les idées claires, ni tou-jours les idées justes sur ce sujet.

◆ L'analyse du langage spontanéPar langage spontané, j'entends le langage produit par une personne en

situation naturelle (ou suffisamment proche). Ce langage peut être recueilli,transcrit, et analysé selon divers dispositifs et mesures que j'ai exposés en détaildans un ouvrage précédent (Rondal, 1997). L'analyse du langage spontané doitêtre vue comme complémentaire de l'utilisation des tests. Cette complémentaritén'est pas bien comprise, en général. Certains tendent à opposer les deuxapproches. Bien que l'idée d'utiliser le langage spontané pour évaluer le déve-loppement et le fonctionnement langagier soit loin d'être neuve, puisqu'ontrouve déjà des recueils sélectifs de mots, expressions, et séries d'énoncés pro-duits par de jeunes enfants dans la littérature spécialisée de la dernière partie du19e siècle, c'est aux développements de la psycholinguistique au cours des der-nières décennies qu'on doit l'essentiel des techniques d'analyse du langage pro-duit en situations naturelles. Cette réalité nourrit peut être l'idée (fausse) selon

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laquelle il s'agit d'un domaine particulier, étranger à l'approche évaluative etrééducative qui a cours en clinique langagière.

On notera en passant que l'intérêt pour le langage spontané et les pre-mières études le concernant ont précédé notablement la mise au point des testsde langage. Ceux-ci apparaissent « en force » (si on peut dire) dans les annéescinquante et soixante, peut-être sous l'influence des études factorielles du fonc-tionnement mental, lesquelles mirent en évidence la nécessité de dépasser lestests globaux au profit d'une mesure des fonctions et aptitudes mentales particu-lières (numérique, verbale, mnésique, etc.).

Les techniques psycholinguistiques sont évidemment à la disposition descliniciens dans les cas où un examen langagier approfondi est souhaité quant àla façon dont un sujet construit ses énoncés et organise sa production langagière.En toute rigueur, le langage spontané ne peut être utilisé pour évaluer la com-préhension, faute de confondre dans la même démarche évaluative, capacitéréceptive et capacité productive, ce qui n'est certes pas souhaitable. A stricte-ment parler, l'étude du langage spontané est par exigence méthodologique res-treinte au volet productif. Cependant, dans une démarche clinique, plus opportu-niste par nécessité qu'une recherche strictement contrôlée, il est possible etlégitime de se faire une première idée de la capacité réceptive d'un sujet à tra-vers une conversation ou un échange langagier enregistré ; cette premièreimpression pouvant utilement guider un examen subséquent, s'il y a lieu, plusformel de la compréhension.

Dans la même ligne, je pense que le clinicien du langage à grand intérêt,de façon à élargir sa démarche et à la rendre écologiquement davantage valide, àrecourir, en complément de son analyse formelle ou, mieux encore, antérieure-ment à celle-ci, à des enregistrements de langage spontané, lesquels peuvent êtrefournis par le sujet consultant ou sa famille (avec un minimum d'indicationsquant à la façon de procéder pour obtenir un échantillon d'une dizaine deminutes suffisamment représentatif des comportements verbaux de l'intéressé).Il suffit souvent de réécouter attentivement un enregistrement ainsi réalisé pourse rendre immédiatement compte des principaux problèmes affectant la perfor-mance langagière d'un sujet. Au-delà, des analyses plus poussées et diversesquantifications sont possibles, et elles peuvent être très utiles le cas échéant;mais elles exigent souvent un temps supplémentaire et peuvent faire appel à unetechnicité plus grande et à des connaissances particulières. On doit regretter, àl'heure actuelle, le manque de disponibilité des indications développementales,notamment, en provenance des travaux de psycholinguistique, qui permettraientau clinicien de situer rapidement et facilement les résultats de son analyse indi-viduelle par rapport à des données normatives. De telles données ex i s t e n t

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concernant le langage spontané, son développement chez l'enfant normal, et sesatteintes dans les principales pathologies et retards développementaux. Cer-taines synthèses empiriques sont disponibles (cf. Rondal, 1997). Mais il fautreconnaître que c'est encore insuffisant pour constituer une base clinique aisé-ment accessible. Il serait indiqué que psycholinguistes et cliniciens du langagepuissent collaborer à la mise au point d'étalonnages substantiels de façon àmieux assister le clinicien dans sa démarche interprétative. Un examen mêmeindividuel ne peut jamais se passer d'une référenciation « aux autres compa-rables » que cela se fasse explicitement ou implicitement.

◆ Quid de l'intuition clinique ?J'ai fait allusion dans ce qui précède à l'intuition du clinicien. Quel est le

statut technique de cette notion? A en croire nombre d'expérimentateurs, l'intui-tion clinique a peu de valeur et constitue souvent un biais qu'il conviendrait decontrôler objectivement et même peut-être d'éviter. Il est vrai que certains clini-ciens paraissent effectivement donner à l'intuition une sorte de statut absolu et apriori, qui en fait une cible aisée pour la critique (je ne donnerai pas d'exemplessur ce point, ni ne ferai de référence nominale, mais ils sont aisément trouvablesparticulièrement dans la littérature de vulgarisation).

L'intuition clinique, à l'instar des langues d'Esope, peut être la meilleureet la pire des choses. Faut-il pour autant « jeter l'enfant avec l'eau du bain » ? Jene le pense pas.

L'intuition fait partie de la démarche clinique, comme elle est partie inté-grante de la démarche expérimentale, à titre d'hypothèse de départ et de guidedans l'interprétation des résultats.

Dans les deux démarches (clinique et expérimentale) et dans les deux casenvisagés (hypothèse de départ et interprétation), on doit maintenir une relationétroite entre intuition et données disponibles. L'intuition ou l'hypothèse dedépart doit être confrontée avec les données recueillies ensuite et son statut devérité ou d'erreur ainsi établi empiriquement. A défaut, il s'agit d'une tautologieépistémologique : si l'intuition n'est pas évaluée objectivement d'une manièresuffisamment ouverte, elle ne peut que se confirmer elle-même. Similairement,la proposition hypothétique ou intuitive doit être falsifiable, au sens de Popper(1956), c'est-à-dire qu'on doit pouvoir spécifier les conditions sous lesquelles laproposition ou l'ensemble de propositions en question est invalidée par les faits.A défaut, on se trouve de nouveau dans une situation tautologique. En effet, iln'existe alors aucune possibilité d'invalider l'intuition, laquelle peut se présenteralors comme une certitude et même se constituer en dogme. La même situationprévaut en ce qui concerne l'interprétation des données recueillies. Celle-ci n'a

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rien de mécanique. Qu'il s'agisse de recherche expérimentale ou de cliniqueindividuelle, pour continuer avec le parallèle entamé précédemment, l'interpré-tation fait normalement une part à l'intuition. La tâche consiste à assembler lespièces du puzzle relatives au cas ou au problème étudié, à intégrer en un toutinterprétatif cohérent les éléments pertinents et, d'une certaine manière mais quidoit rester rationnelle, informée, et falsifiable, à dépasser les données immé-diates au profit d'une tentative d'explication (celle-ci pouvant évidemment sefaire à différents niveaux et en plusieurs temps).

On le voit l'intuition à sa place, et une place de choix, dans les procédurescliniques (et expérimentales), mais il importe qu'elle soit raisonnée et informée.

D'où peut venir ce type de garantie sur la valeur de l'intuition clinique?Des connaissances individuelles, d'une information parfaitement à jour surl'évolution des connaissances professionnelles, de la formation de base et conti-nue, d'un travail assidu, de l'intelligence des personnes, mais en aucun cas, àmon opinion, d'une sorte de magie individuelle qui serait la propriété constitu-tionnelle de certains professionnels favorisés par la nature (des mages).

A l'aune conceptuelle définie dans ce qui précède, l'opposition souvententretenue (traditionnellement mais aussi contemporainement) entre approchesquantitative et qualitative en orthophonie, comme en psychologie ou en méde-cine paraît bien artificielle, et elle l'est certainement. L'opposition quantitatif-qualitatif est ancienne. On peut rappeler l'assertion de Guillaume (1942) : « Laquantité est toujours la quantification d'une certaine qualité » (p. 315). Ellelaisse à penser que l'opposition en question ressortit à un faux problème. Lesfaux problèmes ont parfois une existence plus longue que les vrais. Uneapproche dite qualitative (à mon avis erronément) en orthophonie (comme enpsychologie) est loin d'être aisée à cerner tant les définitions qu'en donnent lesprotagonistes sont disparates (cf. Potter, 1996, pour la psychologie ; je neconnais pas de texte correspondant en ce qui concerne l'orthophonie). Cetteorientation qualitative, parfois qualifiée de « phénoménologique », paraît sou-vent privilégier une interprétation globalisante des problèmes (« le tout étantsupérieur à la somme des parties »), les analyses de contenu, les significationsles plus personnelles voire idiosyncratiques se rapportant aux choses, aux per-sonnes, et aux situations, ainsi que des analyses du vécu individuel.

En réalité, les objets d'études parfois revendiqués par les orientations qua-litatives sont parfaitement passibles de quantifications et d'analyses objectives.Par exemple, les significations linguistiques, celles que nous attachons auxvocables que nous utilisons dans nos langues sont quantifiables comme l'ontmontré depuis longtemps les analyses spécialisées. Elles ne se ramènent pas àune série de notions qualitativement distinctes d'une personne à l'autre. Par

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REFERENCESFODOR, J. (1983). The modularity of mind. Cambridge, Massachusetts: Massachusetts Institute of Tech-

nology Press.GUILLAUME, P. (1942). Introduction à la psychologie. Paris : Vrin.POPPER, K. (1956). Misère de l'historicisme. Paris : Plon.POTTER, T. (1996). An analysis of thinking and research about qualitative methods. Hillsdale, New Jer-

sey : Erlbaum.RONDAL, J. A. (1997). L'évaluation du langage. Hayen (Sprimont, Liège) : Mardaga.

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ailleurs, si par « approche qualitative », les qualitativistes entendent faire valoirqu'ils s'attaquent à des problèmes complexes, divers, insuffisamment connus,etc., bref à des problèmes qui en sont encore à un stade initial d'étude et d'expli-cation - ce qui n'a rien de surprenant dans le vaste domaine des disciplinesencore jeunes comme la psychologie et l'orthophonie, où de nombreuses ques-tions restent non seulement sans réponse mais même sans étude systématique -,il n'est nul besoin d'entrer en opposition avec l'approche objective et métrique,habituelle et productive en science, pour indiquer qu'on va, par nécessité empi-rique et logique, se contenter au début - et peut-être pendant longtemps - d'uneapproche plus descriptive ; l'induction, la généralisation de lois et la recherched'explications devant bien normalement attendre un stade plus avancé du pro-grès des connaissances.

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Etude de cas :Emmanuelle née le 14 novembre 1969

Anne-Marie Robert-Jahier

R é s u m éEn orthophonie, l'étude de cas uniques est fréquente lors de l'élaboration de mémoires defin d'études mais reste peu exploitée à des fins thérapeutiques. Emmanuelle représente lepremier cas de dysphasie de développement que j'ai rencontré dans ma pratique quoti-dienne et qui a fortement influencé toutes mes approches rééducatives ultérieures.

Les bilans successifs d'Emmanuelle ont permis l'élaboration progressive de projets théra-peutiques orthophoniques s'adaptant à la fois aux besoins de l'enfant, aux conditions parti-culières d'un contexte provincial et aux désirs des parents.

Mots clés : langage oral, praxie, compréhension du langage, expression du langage, fonc-tionnement cognitif, conscience phonologique, évaluation des aptitudes, langage écrit.

A Case study: Emmanuelle, born on November 14, 1969

AbstractThe single case study approach is often used when writing theses for the speech and lan-guage therapy degree, but it is rarely used for therapeutic purposes. Emmanuelle is the firstcase of developmental dysphasia I encountered in my daily practice and it strongly influen-ced the remedial approach I used thereafter. Through successive evaluations of Emma-nuelle, I was able to gradually develop a speech and language treatment plan which waswell-suited to the needs of the child, to the particular context of a provincial town, and to thewishes of the parents.

Key Wo r d s : oral language, praxis, receptive language skills, expressive language skills,cognitive functioning, phonological awareness, evaluation of skills, written expression.

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E n orthophonie, l'étude de cas uniques est fréquente lors de l'élaborationde mémoires de fin d'études mais reste peu exploitée à des fins thérapeu-tiques. Emmanuelle représente le premier cas de dysphasie de dévelop-

pement que j'ai rencontré dans ma pratique quotidienne et qui a fortementinfluencé toutes mes approches rééducatives ultérieures.

C'était en Mai 1975 ; les notions de troubles spécifiques du développe-ment du langage, de dépistage et d'éducation précoce étaient quasiment incon-nues. Alors que faire face à une enfant de 5 ans 6 mois sans communication ver-bale si ce n'est se tourner vers des chercheurs pour étayer avec leur aide unerééducation efficace. Les bilans successifs d'Emmanuelle réalisés par le DocteurClaude Chevrie-Muller au laboratoire de langage de la Salpêtrière à Paris ontpermis l'élaboration progressive de projets thérapeutiques orthophoniquess'adaptant à la fois aux besoins de l'enfant, aux conditions particulières d'uncontexte provincial et aux désirs des parents.

◆ Eléments d'anamnèse (Mai 1975)- Famille :

* Père : vétérinaire (gaucher).* Mère : professeur de mathématiques (droitière).* Fratrie : une sœur née en 1965 et un frère né en 1971.

- Antécédents néo-nataux et médicaux :* Grossesse normale* Naissance à terme mais accouchement long et difficile.* Cri non immédiat mais aucune réanimation, ni hospitalisation en

pédiatrie.* A 6 mois, crises convulsives hyperthermiques ayant engendré une

hémiplégie gauche prédominante au membre supérieur. Traitementanti-comitial par Gardénal jusqu'à 5 ans. Les EEG pratiqués aucours de cette période ont tous été normaux.

Anne-Marie ROBERT-JAHIEROrthophoniste5, rue de Mousseaux36000 Châteauroux

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- Développement au cours de l'enfance :* Retard du développement psychomoteur : marche à 17 mois mais

chutes fréquentes jusqu'à 2 ans.* Importante parésie bucco-faciale : a mangé « mixé » jusqu'à 3 ans.

Bave beaucoup.* N'a jamais babillé. Aucun langage jusqu'à ce jour, mais a un com-

portement de communication adapté.

- Scolarité :Est scolarisée à temps plein en grande section de maternelle dansl'école de son village. Ses parents souhaitent que cette intégration enmilieu scolaire normal puisse continuer. Aime aller à l'école, n'y pré-sente aucune difficulté massive de comportement, participe dans lalimite de ses moyens tant moteurs que verbaux aux activités propo-sées.

- Prise en charge :Emmanuelle bénéficie depuis l'âge de 4 ans d'une prise en charge enpsychomotricité au sein d'un C.M.P.P. pour retard dans l'acquisitionde la motricité fine et de la coordination visuo-motrice. Aucunerééducation orthophonique n'a été proposée car il faut attendre quel'enfant ait envie de parler !

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Bilan orthophoniquePraxies bucco-faciales

* Parésie bucco-faciale avec paralysie quasi-totalede la langue.

* Bavage constant* Mouvements vélaires très limités (ne sait pas

souffler)

Articulation* Aucune consonne* Quelques sons vocaliques nasalisés (a, on, eu)

ParoleNéant tant en spontané qu'en répété.

Langage ExpressionUtilise sa voix en montrant ce qu'elle désire, mais

c'est un son guttural sans apparition d'éléments proso-diques.

Quelques discrètes mimiques faciales et corporelleslaissent transparaître ses sentiments. Il n'existe aucuncomportement de repli ou de refus.

Langage Compréhension* Quelques images de mots simples peuvent être

désignées.* Incompréhension de la notion de verbe.* Réagit de façon adaptée aux contours intonatifs

du discours de son interlocuteur (compliments, interdits,demandes...)

Capacités non-verbales* Schéma corporel acquis.* Dessin du bonhomme correct mais retard grapho-

moteur.

Plan thérapeutique1) Travailler les praxies bucco-faciales pour enri-

chir l'éventail phonémique.2) Travailler le rythme pour aborder la parole.3) Travailler prioritairement la compréhension du

l a n gage pour enrichir le stock lexical et dissocieracteur/action.Le problème majeur qui se pose est sur quoi baser oureposer sa rééducation puisqu'il n'existe quasiment rienet que le bain de langage quotidien n'a pas suffi à fairenaître la communication verbale. Des données multi-sensorielles vont être nécessaires:

- La voie auditive n'est guère fiable mais ne serapas à négliger.

- La voie kinesthésique va permettre de compenserles déficits de la voie auditive.

- La voie visuelle va devenir primordiale: dessins,symboles, langage écrit, lecture labiale...

- La voie corporelle suppléera, au début, au déficitde la compréhension verbale par l'intermédiaire du mimeet du « faire semblant » et pourra être le support pri-maire du rythme nécessaire à la parole.

D'autre part, pour utiliser ces voies de « c o m p e n s a t i o n »que l'enfant n'a pas développées spontanément, il estnécessaire de s'assurer qu'elle peut les « d o m i n e r » cogni-t ivement en enrichissant ses procédures de reconnaissancedu monde env i r o n n a n t : faire découvrir sur un mode non-verbal la comparaison (similitudes/ différences), manipu-ler des symboles, aborder les catégorisations par des tris,stimuler l'attention et l'observation, développer le repéragespatial et la visuo-construction,... en bref, hy p e r- s t i m u l e rtoutes les fonctions cognitives annexes au langage m a i sfonctionnelles chez cette enfant pour qu'elles concourent àl'apparition de la ve r b a l i s a t i o n .

MAI 19755 ans 6 mois

Grande Section de maternelleBilan initial

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Bilan orthophoniquePraxies bucco-faciales

* Lèvres : étirement +approchement +mordre la lèvre inférieure +

* Langue : protraction +* Souffle : +* Déglutition : tète et bave

Articulation répétée* Acquisition des P/T/F/L/M/N

B et D sont assourdis* Voyelles : A/EU/IN/AN

Parole* Spontanée : mots de une syllabe (roue) ou de

deux syllabes répétées (bébé, mémé).* Répétition : « ana » = banane

« afon » = avion

Langage* Expression : que des mots isolés* Compréhension : stock lexical très réduit (36/100

à l'item «désignation » du test de Madame Chevrie, soit3 D.S. en dessous de la moyenne de 6 ans)

Spatialisation* Copie la croix et le rond* Echec à la copie du carré

CONCLUSIONDeux composantes dans les difficultés :

- une difficulté motrice liée très certainement à unsyndrome pseudo-bulbaire.

- une difficulté de langage *au niveau de l'expression (parole et structure de laphrase)*au niveau de la compréhension : ne comprend pas l'as-sociation de deux mots (sujet + verbe)

Plan thérapeutique1) Travail des praxies bucco-faciales pour enrichir

l'éventail phonémique.2) Abord de la parole sous un angle un peu diffé-

rent : comme Emmanuelle ne réussit pas à évoquer la 2e

syllabe d'un mot, travailler sur des listes de mots bisylla -biques où l'on donne la 1 re syllabe et elle devra trouver laseconde.

3) Eveil à la conscience phonémique en effectuantdes tris de mots en images après avoir respecté une pro-gression rigoureuse permettant à l'enfant de se construiredes repères multisensoriels :

* Partir d'oppositions de phonèmes (plutôt que d'oppo-ser « A » à « pas A », opposer A/O par exemple) pourfaire découvrir à l'enfant les traits pertinents de chaquephonème.

* Tr availler l'opposition choisie en « phonèmes isolés »( d evant une glace si nécessaire) pour que l'enfant prenneconscience de la lecture labiale, des praxies nécessaires àl'émission de ces sons, trouver un dessin symbolisantchaque phonème pour faciliter l'évocation et s'aider desgestes Borel si besoin.

* Constituer un tableau d'opposition phonémiqueregroupant les moyens mnémotechniques d'évocation.

*Faire reconnaître le son isolé, le son dans une syllabesimple en position initiale, finale puis médiane. Faire demême avec des mots proposés par l'orthophoniste etenfin, proposer le tri d'images.

4) Langage : priorité à la compréhension de deuxmots consécutifs (sujet + verbe) sous forme de désigna-tions de dessins où des sujets différents effectuent lamême action, puis où un même sujet effectue des actionsdifférentes, et enfin en mélangeant sujets et actions. Unefois la compréhension acquise, travailler la même struc-ture syntaxique en expression pour tenter de systémati-ser l'évocation. Enfin, laisser libre cours à l'imaginationde l'enfant en lui proposant un support visuel symboli-sant la structure S+V.Plus tard, enrichissement de la phrase en abordant lastructure SVO, en sui vant la même progression que pré-cédemment.

5) Lecture : le C.P. débutant en Septembre 1976,multiplier les exercices de pré-apprentissage et débuterun apprentissage précoce de la lecture avec une méthodesyllabique qui créera un renforcement des acquis articu-latoires.

13 NOVEMBRE 19756 ans

maintien en Grande Section de maternellePremier bilan au Laboratoire de Langage de la Salpêtrière

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Bilan orthophoniquePraxies bucco-faciales

* peu d'évolution, bave moins.

Articulation répétée* Acquisition des K/G/S/L/R* Réussite à la sonorisation en exercices des

B/D/G/V* Voyelles : opposition orale/nasale bien meilleure.

Acquisition des o/é/è. Début du OU en exercice.

Parole* En répétition de mots, tous les phonèmes acquis

en articulation sont utilisés.* En spontané : difficultés d'évocation.

Apparition de mots simples de deux syllabes (lapin,auto, garçon). Echec aux mots de trois syllabes.

Langage* En expression, association de deux ou trois mots

sans lien syntaxique (garçon court un chien). Beaucoupde latence entre chaque mot.Apparition de syntagmes figés et d'automatismes ver-baux.

* En compréhension : progression dans la compré-hension du vocabulaire (72/100 au test de désignation deChevrie). Compréhension des questions où? avec quoi?comment? Qui?

Mémoire verbale immédiateRetient 3 chiffres. Echec aux séries de 4 (niveau infé-

rieur à 4 ans et demi).

Langage écritL'acquisition de la lecture se fait au rythme du C.P..

Réussite aux auto-dictées scolaires. Confusions de sonsen dictée de syllabes (orale/nasale: p/m, t/n).

CONCLUSION* L'articulation s'étant précisée, d'autres progrès peu-

vent être espérés.* L'acquisition de la lecture semblant se faire norma-

lement, s'en servir de compensation à l'évocation oraledes mots. Multiplier, dans la maison, les lieux où l'enfantpuisse s'exprimer par écrit ou par dessins.

* La mémoire verbale n'est pas bonne.

Plan thérapeutique1) Poursuivre l'enrichissement de l'éventail pho-

némique et aborder l'articulation des groupes conso-nantiques liquides.

2) En parole, obtenir l'évocation de mots de 3 syl-labes ----> travailler la reproduction de rythmes, la répé -tition de chiffres; reconnaître le nombre de syllabes d'unmot et le rythmer tout en l'émettant. Travailler les finalesfaibles des mots.

3) En langage, obtenir des phrases plus longuesmais surtout mieux structurées syntaxiquement.

* Travailler l'emploi systématique des détermi-nants.

* Tr availler l'emploi des p r é p o s i t i o n s p o u rintroduire l'utilisation des compléments circonstancielsdans la phrase.Les circonstants les plus faciles à intégrer au départ sontceux de lieu, car ils peuvent se visualiser et apparaissenttôt dans le développement cognitif de l'enfant. Ils peu-vent également être mimés par déplacement, être oppo-sés (sur/sous, dans/à côté..) et être symbolisés pour faci-liter leur évocation dans la phrase, d'abord S + V + CCirc, puis S + V + O + C Circ.

* Ce travail sur les circonstants devra égalementpermettre d'enrichir la compréhension de nouve l l e squestions : avec qui?/ avec quoi?/ pour quoi faire?/ pour-quoi?

4) En langage écrit,* S'en servir comme biais à un meilleur stockage

mnésique du vocabulaire.* Travailler systématiquement la compréhension

du mot écrit par correspondance à l'image.* Commencer à structurer la phrase écrite.* Continuer les exercices de conscience phoné-

mique pour éviter les confusions de sons en orthographe.

21 DECEMBRE 19767 ans 1 mois

Cours PréparatoireDeuxième bilan au Laboratoire de Langage de la Salpêtrière

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22 NOVEMBRE 19778 ans

Cours Elémentaire 1re annéeTroisième bilan au Laboratoire de Langage de la Salpêtrière

Bilan orthophoniqueArticulation

* Acquisition de KR/GR dans lesquels s'interposeun E muet.

Parole* La dénomination pose toujours autant de difficul-

tés d'évocation qui est nettement facilitée par l'ébauchelabiale.

* Apparition de mots de 3 syllabes qui sont néan-moins incorrectes (ex : « baranon » pour « parapluie »)

Expression verbale* Sur images, on obtient de courtes

phrases (4 à 5 mots) très dysgrammatiques (ex: « l echien tomber garçon » pour « le chien a fait tomber legarçon »)

* En langage spontané, utilise « m o i » pour « j e », nerespecte pas l'ordre des mots, utilise toujours « n o n » pourla négation (maman café non).

Compréhension verbalePremière passation du test de Laura Lee.

* Réussite à des items « diffi-ciles » : où? qui? pré -sent/passé composé; présent/futur immédiat.

* Echec à des items tels que il/elle, le/les, sur/sousqui semblent liés à un trouble auditivo-gnosique.

CONCLUSIONBien meilleure compréhension verbale (qui permet

la scolarisation). Enorme trouble d'évocation tant auniveau du mot (évocation de la séquence phonémique)que de la phrase (évocation de la succession des motsdans la phrase).

Scolarité- Difficultés croissantes en langage écrit- Auto-dictées parfaites (respect de la morphosyntaxe etde l'orthographe)- Dictée : confusions de sons, mots manquants ou indé-codables.- Expression écrite spontanée où l'ordre SVC est res-pecté (mais les articles sont absents, la place des adjec-tifs incorrecte, les « fautes » multiples)- Calcul : bien

Plan thérapeutique1) En plus de toutes les méthodes de visualisation

de la langue utilisées jusqu'à ce jour, Mme Chevrie sug-gère de faire un essai d'amplification auditive (basée surl'hypothèse de Tardieu qui dit que lorsqu'on a des diffi-cultés d'intégration, on a besoin de plus d'informations)pour les dictées et pour le travail du timbre des voyelleset les mots des paires minimales (pain/bain/main/;sur/sous...).

2) Favoriser encore davantage des procédés d'acqui-sition d'ordre visuel pour que l'acquisition du lexique sefasse par la forme graphique des mots (multiplier leslieux où l'on peut écrire à la maison et ne pas se limiteraux substantifs). Tr availler les mots par famille (à boire,boire, a bu, boisson...).

3) Travailler de façon systématique les difficultésde compréhension dévoilées au test de Laura Lee.

4) Souhait d'évaluer les capacités non-verbales del'enfant.

Résultats* Les essais d'amplification au phonoaudioscope

n'apportent pas l'aide attendue. L'enfant fait autant d'er-reurs de discrimination avec ou sans amplification. Elleaccepte difficilement le casque. En outre, ces exercicesne se réalisant qu'en rééducation, la transposition dans lemilieu scolaire où elle en aurait le plus besoin est irréali-sable sur le plan pratique. Les exercices d'éveil à laconscience phonologique se poursuivent donc sous l'an-cienne forme, en constatant que les réussites sont essen-tiellement favorisées par un ralentissement du débit ver-bal qui laisse le temps à Emmanuelle d'affiner sadiscrimination auditivo-perceptive (Lafon).

* Le travail sur les familles de mots est très diffi c i l eet rebute l'enfant en raison d'un temps de latence tropimportant qui laisse l'enfant et l'orthophoniste insatisfa i t s .C'est là où chacun a pris conscience que sans aucunevisualisation, ni support tangible, l'élaboration et l'enri-chissement du langage sont quasiment impossibles. Cettedémarche est sans doute trop prématurée du fait de lapauvreté du stock lexical mais elle a le mérite de fa i r eprendre conscience à l'enfant que chaque nouveau motpeut être comparé à un mot déjà connu, ce qui crée unm oyen mnémotechnique supplémentaire. La propositionde faire ce même travail à l'écrit est beaucoup mieuxacceptée (la barrière de l'inintelligibilité du discours oralest tombée).

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2 JANVIER 19799 ans 1 mois

Cours Elémentaire 2e annéeQuatrième bilan au Laboratoire de Langage de la Salpêtrière

Bilan orthophonique

Motricité bucco-pharyngée* Lèvres : click possible, échec à étirer/ arrondir,

arrondissement avec protraction limitée.* Langue : seule la protraction est obtenue* Voile : déperdition nasale sur A, I, CH, T et

même au sifflet.* Joues : ne peut les gonfler.* Maxillaires : peut mordre la lèvre inférieure mais

pas la lèvre supérieure.* Déglutition se faisant après plusieurs protractions

de langue, sans contraction des masseters. Bavage moinsimportant.

Articulation* Absence des CH/J assimilés à S/Z* Acquisition des groupes consonantiques en L et R

sans interposition d'un E muet.* Voyelles: le I est un peu mieux timbré, les U et

OU sont assimilés à ON. La différenciation orale/nasaleest acquise.

Parole* Acquisition de toutes les finales faibles des mots

de 2 syllabes (fromage, cravate,...)* La répétition de mots de 3 syllabes est possible

mais avec encore des déformations.

Langage* Récit spontané sur images sans avoir à poser de

questions - phrases de 6 mots - sans conjugaison duverbe mais apparition des articles et des prépositions.Aucun pronom.

* Nette amélioration de la compréhension surimages (75/100 au test de Chevrie-Muller).

CONCLUSION* Progression régulière dans l'acquisition des phonèmesmais stagnation des praxies buccales.* Meilleures possibilités d'évocation et de groupementdes mots* Trouble massif de la communication avec vocabulairetrès restreint. La rééducation du langage lui-même restel'objectif principal.* Faire une évaluation des aptitudes non-verbales.

ScolaritéClasse de 30 élèves où Emmanuelle est moins bien sti-mulée. Suit plus difficilement malgré le soutien d'uneheure par jour par son ancienne institutrice. Agramma-tisme à l'écrit.

Plan thérapeutique1) Poursuivre le travail des praxies bucco-faciales,

de façon très systématique.2) Enrichissement du stock lexical en s'aidant de la

mémoire visuelle et de l'écrit (auto-dictées, dénominationé c r i t e . . . )

3) Langage : travail axé sur l'utilisation du verbe etdes pronoms personnels* Abord des flexions temporelles simples (passé / pré-sent / futur)* Emploi du pronom personnel sujet : d'abord en lesopposant deux à deux (je/tu, il/ elle, il/ils...) pour qu'ilssoient bien différenciés cognitivement, ne pas hésiter àutiliser des gestes pour faciliter leur évocation (moi,je.../ toi, tu ... en pointant du doigt), systématiser laredondance entre nom sujet et pronom sujet (la fille, ellecourt; les enfants, ils mangent; maman et moi, nous par-tons...). Transposer ces concepts à l'écrit tant en compré-hension qu'en expression et les généraliser aux animauxet aux objets.* Abord des déterminants possessifs et démonstratifs.

Evaluation des aptitudesnon-verbales - Juin 1979

* WISC Performance : 90 (avec une mauvaise note auxassemblages d'objets)

* BENDER : inter quantile inférieur dans le groupe de 6ans.

* COLUMBIA : 67 ----> A.M. de 7 ans 8 mois pour âgeréel de 9 ans 7 mois.

* P.M. 47 : entre les centiles 10 et 30 de son grouped'âge ----> 80 < Q.I. < 90.Au total, le raisonnement est certainement au niveau dela moyenne pour son âge mais Emmanuelle est pénaliséepar des difficultés d'organisation spatiale dans lesépreuves graphiques ou de manipulation (à mettre enrapport avec les séquelles de l'hémiparésie gauche ?)

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4 DECEMBRE 197910 ans

redoublement du CE2 + CM1 pour l'éveilCinquième bilan au Laboratoire de Langage de la Salpêtrière

Bilan orthophoniqueMotricité bucco-facialePas d'évolution. La déperdition nasale s'accentue lors desdifficultés praxiques articulatoires.

ArticulationI / U / OU toujours mal timbrés. CH/J toujours assi-

milés à S/Z. Assourdissement des consonnes sonores.

ParoleL'évocation articulatoire des mots de 3 syllabes et

plus est plus précise. Acquisition de 3 consonnes succes-sives (« arbre » par exemple).

Langage* En expression, le récit sur images s'enrichit

sémantiquement (augmentation du nombre d'idées évo-quées). Les réponses aux questions se structurent(emploi de « parce que », « avec »...). L'agrammatismepersiste dans l'emploi des verbes (suppression de lacopule « est », verbe à une forme infinitive ou participepassé sans auxiliaire, ou « nominale » (« promenade »pour « se promène »), ou « adjectivale » (« endormi »pour «dort»). Aucune phrase complexe. Progrès dans lemaniement des articles (genre, nombre, défini/indéfini)et des prépositions (avec, pour..). Tout ce qui est excep-tion pose encore problème (l', au, du..)L'épreuve « Expression » du test de Laura Lee met enévidence:- la perte des oppositions flexionnelles en fi n a l e(dort/dorment, gros/grosse).- l'absence d'opposition son / leur- l'absence d'opposition passé / présent.- la bonne reproduction de la forme passive ( mais éli-sion du « est »), du genre et du nombre pour l'article etle pronom, de la forme pronominale.- la distinction des formes interrogatives (où? qui? est-ceque?) même si la suite de la phrase est incorrecte.

* En compréhension, au test de Lee, progrès netspar rapport à 1977 : compréhension de toutes les opposi-tions genre/nombre pour les déterminants, les pronomset les verbes.

Expression écriteRécit sur images par écrit où l'on retrouve quasi-

ment les mêmes difficultés qu'en oral.

Comportement en rééducationToujours 3 séances hebdomadaires. Emmanuelle a

e nvie de raconter. Elle s'exprime par phrases où lesverbes ne sont toujours pas conjugués. L'évocation lexi-cale est meilleure.

CONCLUSION - Progrès notables qui doivent pouvoir se pour-

suivre.- Les difficultés de langage écrit prouvent qu'Em-

manuelle passe par l'oralisation avant d'écrire. Il n'y apas d'accès direct entre les images et l'écrit.

Plan thérapeutique1) Nécessité de continuer à développer la mémoire

visuelle, l'évocation visuelle en évitant de passer par laforme auditive :

* donner des images et les mots écrits corres-pondants sans oraliser

* cacher les mots et demander d'écrire le nomde l'imageFavoriser ce travail sur les mots de 3 syllabes et plus etsur les mots « rares ».

2) Travailler en langage oral et écrit* l'ordre d'énoncé des mots dans la phrase en

passant par la schématisation visuelle de structures deplus en plus élaborées.

* l'opposition son / leur* l'opposition passé / présent / futur en partant

d avantage du vécu de l'enfant qui doit recréer sespropres « histoires séquentielles » à partir d'actionsqu'elle exécute elle-même. (parcours « moteur » dans lebureau par exemple, puis successions d'actions de sa viequotidienne). Ensuite, proposer la même tâche en pre-nant des sujets de son entourage proche, et enfin généra-liser à l'imaginaire, plutôt le sien que celui imposé parles histoires toutes faites.

* les questions : est-ce-que? qui-est-ce? qu'est-ceque c'est?

* les constructions infinitives avec faire, laisser,pouvoir, falloir, vouloir...

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16 DECEMBRE 198011 ans 1 mois

Cours Moyen 1ère annéeSixième bilan au Laboratoire de Langage de la Salpêtrière

Bilan orthophonique

Motricité bucco-pharyngée* La motricité labiale est meilleure : ébauche de

l'arrondi, étirement possible dans le sourire.* Langue / joues : pas de changement.* Voile : déperdition nasale persistante.

La stagnation des acquis confirme le diagnostic de syn-drome pseudo-bulbaire probablement cortical.

Bilan phonétique Aucun changement depuis décembre 79.

Parole * En spontané, de nombreux mots restent inintelli-

gibles pour l'examinateur.* Toutes les finales des mots de 3 syllabes et plus

sont évoquées correctement.

Langage* En expression sur images, la syntaxe est mainte-

nant correcte, mais reste simple et limitée. Il existe unegêne importante à l'évocation des mots qui ralentit lerécit (phrases tronquées).Le versant « E x p r e s s i o n » du test de Lee met en évi-dence l'usage constant de la copule « e s t », la maîtrisedu verbe, l'acquisition de l'opposition présent / passé,l'opposition son / leur. Il persiste toujours des diffi c u l-tés pour les flexions de genre et de nombres, pourl'ordre des mots et pour la formulation de certainesi n t e r r o ga t i o n s .

* En compréhension, au test de Lee, un seul échecpersiste sur la valeur fonctionnelle de l'ordre des mots (la maman montre le bébé au chat / la maman montre lechat au bébé).

Langage écritDes possibilités d'expression écrite apparaissent (produc-tion de petits récits sous forme de successions de phrasessimples mais correctes).Des difficultés d'évocation de lachaîne des graphèmes persistent.

Evolution de la rééducationToujours 3 séances hebdomadaires mais fatigue liée

aux trajets car Emmanuelle a déménagé à 35 km ducabinet. L'intelligibilité de la parole reste insuffisante.

CONCLUSIONDes progrès notables dans la construction des

phrases, le langage « t é l é g r a p h i q u e » disparaissant.L'évocation lexicale reste un problème majeur où l'écritne semble pas apporter l'aide souhaitée.

Plan thérapeutique

1) Maintenir les acquis praxiques et articulatoire set essayer d'améliorer l'opposition sourde / sonore en cou-plant un vibrateur à la visualisation au phonoaudioscope.Attention à la lassitude de l'enfant compte tenu de sonâ g e .

2) Continuer l'évocation verbale à travers l'écritpour multiplier les canaux mnésiques.

3) Favoriser l ' e x p ression écrite sous toutes sesformes (courrier, cahier de vie, liste de courses, lieux oùs'exprimer par écrit à la maison...)

4) Enrichir l'expression orale : maintenant que lastructure simple du langage est dominée, il faut passeraux structures complexes: conjonctives, relatives, inter-rogatives, pronoms compléments... en travaillant parallè-lement l'oral et l'écrit.

Ce plan thérapeutique n'a rien d'innovant dans soncontenu rééducatif. En revanche, Emmanuelle est à unstade où elle doit commencer à pouvoir quitter progres-sivement la symbolisation visuelle des structures syn-taxiques proposée en rééducation pour passer à unereprésentation mentale de ces structures. Cette évolutionva requérir de sa part l'acceptation d'un travail plus régu-lier et systématique d'automatisations de structures lin-guistiques sur la base d'exercices structuraux transforma-tionnels visant à lui faire découvrir implicitement lamorpho-syntaxe complexe.

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1er DECEMBRE 198213 ans 1 mois

redoublement du Cours Moyen 2e annéeSeptième bilan au Laboratoire de Langage de la Salpêtrière

Bilan orthophoniquePraxies et Articulation

Stagnation des acquis, ce qui est déjà positif car iln'y a pas de détérioration. L'intelligibilité est médiocre.

LangageLes épreuves de l'E.E.L. de Madame Chevrie étant

saturées , on propose les items « r é f é r e n t s » e t« flexions » du test de langage de Caracosta. A l'emploides référents, la note situe Emmanuelle dans la zone desenfants de 8 ans. Pour les flexions, on se trouve à lalimite inférieure de 8 ans.

L'analyse qualitative est importante : la manipula-tion des pronoms sujets et compléments semble aisée.Bonne utilisation des adjectifs possessifs mais échec auxpronoms possessifs. Au niveau flexionnel, aucun pro-blème pour les articles élidés. Grande difficulté dans lac o n j u gaison des verbes irréguliers et la concordancetemporelle. Des réussites sont obtenues en explicitant letemps employé et quand on demande l'automatisme dela conjugaison. Echec au conditionnel et au subjonctif.

Evolution de la rééducationToujours 3 séances hebdomadaires. La rééducation

se calque de plus en plus sur les exigences scolaires etsur les échecs constatés à l'école.

ScolaritéRedouble le CM2. Dans les cahiers, on constate en

rédaction des phrases de réalisation assez élaborée maisavec des échecs pour l'évocation de la séquence phoné-tique des verbes (irréguliers en particulier).

Pour l'entrée en 6ème, les parents commencent à« se battre » pour la création d'une 6ème d'adaptation aucollège de leur ville.

CONCLUSIONCertaines acquisitions morpho- syntaxiques (les plus

simples et les plus fréquentes) sont bien intériorisées. On peut obtenir une auto-correction en utilisant une

réflexion sur la langue.

Plan thérapeutique

1) maintenir les acquis praxiques et articula-toires.

2) Entreprendre un travail de réflexion sur lal a n g u e en utilisant les apprentissages grammaticauxscolaires bien automatisés et en faisant une analyse sousforme de « grammaire de la langue » puisqu'il n'y a paspossibilité d'apprentissage intuitif ou implicite.

3) Au niveau des verbes, apprendre les formes irré-gulières et expliquer en les visualisant les situations tem-porelles auxquelles répondent les formes des ve r b e s(point dans le temps, aspect répétitif ou non, événementcertain/ incertain...). Différencier simultanéité / successi -vité. Aborder la concordance des temps.

Ce plan thérapeutique repose essentiellement surl'analyse des erreurs et des échecs de l'enfant qu'il fautreprendre un à un pour obtenir une amélioration progres-s ive de son expression. Pour ce type de travail, lesépreuves du test de Langage de Madame Sadek sontd'une aide précieuse. D'autre part, l'introduction de l'in-formatique en rééducation (à l'époque, c'étaient les bal-butiements !!) a ouvert de nouveaux horizons grâce autraitement de textes.

La rééducation s'est poursuivie ainsi jusqu'en Juin 1985.

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◆ De 1985 à 1993

Juin 1985Arrêt de la prise en charge orthophonique à mon cabinet. Depuis 84, le

rythme hebdomadaire des séances était passé à deux (parfois une), essentielle-ment à cause du travail scolaire où Emmanuelle s'investissait énormément avecl'aide de ses parents et à cause de l'éloignement (elle était lasse des trajets).

Septembre 1985Poursuite de la rééducation orthophonique chez un collègue sur le lieu d'habita-

tion d'Emmanuelle au rythme d'une séance hebdomadaire pendant deux ans env i r o n .

Juin 1988 - 18 ans 7 moisObtention du Brevet des collèges dans le cycle scolaire normal avec un

tiers temps supplémentaire pour la passation des épreuves.

Juin 1989Termine sa 1 re année de C.A.P. Employé des services Administratifs et Com-

merciaux.Bilan en Neuropédiatrie à Tours (Docteur Billard) soulignant la nécessité

de reprendre la rééducation orthophonique à cause d'une dysorthographie àdominante phonétique et phonologique.

Juillet 1989Bilan orthophonique à mon cabinet

* Maintien des acquis articulatoires* Dysorthographie phonétique* Test de Caracosta : mêmes résultats qu'en 82 à l'item des flex i o n s .

Aucune acquisition nouvelle sur le plan syntaxique, mais utilise la recherchegrammaticale comme aide à l'évocation.

* Nombreux échecs au test de sensibilité à la pragmatique.Reprise de la rééducation en 12 séances « i n t e n s ive s » (pendant les

grandes vacances)* Emmanuelle ne veut pas faire d'orthographe.....* Travail du langage en oral et en écrit : automatisation de l'emploi du sub-

jonctif à partir d'exercices structuraux ; abord de la différenciation but / consé-quence ; emploi des conjonctions.

Il aurait été souhaitable de poursuivre cette rééducation mais Emmanuelle s'yest fermement opposée.

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Juillet 1990 - 20 ans 7 moisObtention du C.A.P. Employé des services Administratifs et Commerc i a u x .Les conditions de passation sont aménagées : tiers temps supplémentaire pour

les épreuves écrites et présence de l'orthophoniste pour les épreuves orales (anglais).

Juillet 1991Termine sa 1 re année de B.E.P. Administration Commerciale et Comptabilité.

Juillet 1992 - 22 ans 7 moisObtention du B.E.P. Administration Commerciale et Comptabilité.Parallèlement, préparation au BAC professionnel bureautique, comptabilité

et gestion administrative qu'elle poursuivra sur l'année scolaire 92/93.

Juillet 1993Echec au BAC professionnel.

Octobre 1993Contrat C.E.S. à la bibliothèque municipale, à mi-temps. Situation qui per-

dure jusqu'à ce jour, Emmanuelle bénéficiant également d'une aide financière dela COTOREP.

Octobre 1993 - Bilan orthophonique à ma demande- Maintien des acquis articulatoires et praxiques ; CH/J restent assimilés à

S/Z. Les consonnes voisées ont tendance à être désonorisées. Les I/U/OU sonttoujours mal timbrés en raison d'une déperdition nasale importante.

- Test de Caracosta : mêmes résultats globaux qu'en 1982 à l'item desflexions, mais Emmanuelle n'utilise plus l'aide de la recherche grammaticale. Lesubjonctif est automatisé alors que le conditionnel n'est pas maîtrisé. Bonnemaîtrise de tous les référents.

- Langage sur images : phrases correctes de 10 à 15 mots contenant desexpansions circonstancielles, relatives et conjonctives. Toujours une gêne dansl'évocation lexicale qui tronque la phrase ébauchée et oblige Emmanuelle àrestructurer une autre proposition en utilisant des circonlocutions sémantiques.

- Test d'évocation lexicale (2 minutes par épreuve)Fluidité orale libre : 22 motsFluidité orale sémantique : * Animaux : 12 noms

* Vêtements : 13 nomsFluidité orale formelle : * « P » : 7 mots

* « L » : 4 motsFluidité par imagerie mentale : * Supermarché : 16 mots

* Fête de Noël : 7 mots

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Ces résultats sont à peu près équivalents à ceux d'enfants du C.P.- Orthographe : toujours autant de difficultés au niveau phonétique (pour les

syllabes sans signification particulièrement). Sous dictée, Emmanuelle trans-forme le texte dans son propre langage (ce qui prouve que l'écrit passe toujourspar l'oralisation).

Globalement, depuis 1982, c'est à dire depuis l'âge de 13 ans, il n'y a pratique-ment pas de progression dans l'aspect flexionnel du langage alors que lesconcepts référentiels sont automatisés. Le stock lexical s'est enrichi d'un vo c a bu-laire technique mais les difficultés d'accès au lexique perdurent. Des conduites decompensation à ce déficit sont apparues spontanément (circonlocutions).

◆ ConclusionQuels sont les enseignements théoriques mais surtout cliniques, thérapeu-

tiques et pragmatiques à tirer d'une telle étude de cas?

Sur le plan théorique, tout concourait à laisser penser qu'il existait bien uneatteinte neurologique centrale acquise de l'hémisphère droit et pourtant cetteenfant ne parlait pas. On pourrait donc se poser la question du rôle de l'hémi-sphère droit dans l'apparition du langage.

Sur le plan clinique et thérapeutique, cette étude permet de mettre en lumièredes principes de base que les orthophonistes se doivent de faire comprendre,admettre et/ou reconnaître par le milieu médical, scolaire et familial. Les ortho-phonistes prodiguent des SOINS. La rééducation d'un enfant dysphasique estune thérapeutique de longue haleine échelonnée sur de nombreuses années(environ de 6 à 15 ans suivant les cas) nécessitant :

* Une prise en charge orthophonique- p r é c o c e : à l'aube de l'an 2000, il n'est plus tolérable de voir arriver dans nos

consultations des enfants de 4 ou 5 ans sans langage ou presque, sous prétexte quele médecin ou l'institutrice ont dit que « ça allait venir tout seul ». Les orthopho-nistes sont habilités au dépistage et à l'éducation précoce des troubles du langa g eet doivent pouvoir pleinement jouer ce rôle préventif et épidémiologique.

- intensive : deux à trois séances hebdomadaires minimum, des soins spora-diques étant totalement inefficaces.

- régulière : la continuation de la rééducation étant indispensable pendant lamajeure partie des vacances scolaires.

- s t r u c t u r é e : c'est à dire pré-définie par des objectifs précis. Nous ne pou-vons pas nous contenter d'un contenu rééducatif psychorelationnel informelpour faire progresser ce type de troubles linguistiques structurels dont les

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retentissements influent inévitablement sur l'évolution cognitive globale del ' e n fant. Nous nous devons d'imaginer des procédures spécifiques d'apprentis-sage en stimulant les fonctionnalités efficientes pour atteindre par « d ' a u t r e sc h e m i n s » un développement neuro-linguistique forcément différent de l'enfa n tn o r m a l .

- évaluée : les résultats de notre thérapeutique doivent être périodiquementévalués (de préférence par un autre thérapeute) pour objectiver l'efficacité dutraitement, en redéfinir les axes prioritaires, voire remettre en cause notre moded'approche rééducative. Nous devons nous méfier du « ron-ron » thérapeutiquedans lequel nous risquons de nous installer. Il y va de notre responsabilité pro-fessionnelle et de l'avenir psycho-social de l'enfant.

* L'adhésion des parents aux projets thérapeutiques de leur enfant et leurparticipation au traitement : la présence d'un des parents en rééducation estsouhaitable pour qu'ils puissent apprendre à adapter leur comportement de com-munication avec leur enfant et reprendre quotidiennement à la maison en inté-grant de façon plus informelle et plus naturelle les notions travaillées lors desséances. Cette démarche me paraît indispensable pour que les parents se sententimpliqués, « utiles », rassurés et puissent se déculpabiliser de l'échec communi-cationnel antérieur dont ils se croient parfois responsables. Même si leur enfantne peut apprendre à parler sans l'aide de spécialistes, nous avons l'obligation derestaurer ou plutôt de faire naître leur rôle d'interlocuteurs privilégiés auprès deleur enfant en les guidant et les soutenant.

* La collaboration avec le milieu scolaire : dans le cas d'Emmanuelle, sesparents avaient souhaité une scolarisation en milieu scolaire normal puisque leurenfant avait des potentialités intellectuelles normales. Cela nous a forcémentamenés à participer activement à son intégration scolaire, en veillant prioritaire-ment à ce que l'enseignant soit « volontaire » pour l'accueillir. Nous n'avonsjamais « imposé » Emmanuelle et avons toujours cherché à dialoguer avec lespersonnels de l'Education Nationale (enseignants, psychologues scolaires,réseaux d'aide, inspecteur..) pour trouver les meilleurs aménagements possibles(quitte à changer l'enfant d'école si cela s'avérait nécessaire).

La province, qui se trouve éloignée de toute structure spécialisée, permetsouvent des intégrations très réussies, dans de petites classes à plusieurs niveauxoù l'enfant peut suivre un enseignement « à la carte » en fonction de sesconnaissances et performances dans chaque matière.

Cela implique de la part du milieu scolaire:- une grande souplesse dans l'enseignement- une adaptation de la pédagogie

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REFERENCES

CARACOSTA H., PITERMAN-SCOATARIN S., VAN WAEYENBERGHE M., ZIVY J. (1975) - Test deLangage, E.A.P. - Issy -les -Moulineaux

CHEVRIE-MULLER C., SIMON A-M., DECANTE P. (1981) Epreuves d'Evaluation du Langa g e ,E.C.P.A. - Paris

SADEK-KHALIL D. (1972) - Un test de Langage, Delachaux et Niestlé - Neuchâtel.WEIL-MALPERN F., CHEVRIE-MULLER C., SIMON A-M., GUIDET C. (1983) - Evaluation des apti-

tudes syntaxiques chez l'enfant (N.S.S.T. de L. LEE), E.A.P. - Issy-les-Moulineaux.

- une tolérance du retard scolaire (l'âge de l'enfant ne doit pas entrer enligne de compte ; la preuve en est : Emmanuelle a eu son brevet des collèges à18 ans 1/2!)

- une compréhension de l'esprit de complémentarité qui doit s'instaurerentre la pédagogie traditionnelle et les techniques spécialisées que nous utili-sons.

- une importante disponibilité vis à vis de l'enfant, des parents et des théra-peutes.

- une acceptation de la « différence ».

Si l'ensemble de ces conditions requises est mis en place, nous pouvons avoirla certitude que ce contexte sera favorable à l'élaboration progressive d'une com-munication verbale la meilleure possible. Mais ce n'est qu'à ce prix que notreintervention thérapeutique peut être efficace.

Sur le plan pragmatique enfin, « l'aventure » de la rééducation des enfantsdysphasiques nous apprend à nous, orthophonistes, à nous remettre en cause, àne jamais « baisser les bras », à avoir conscience des limites de nos connais-sances, à ne pas restreindre notre rôle à celui de « thérapeute du langa g eenfermé dans son secret professionnel » mais au contraire à devenir un inter-prète temporaire et un médiateur privilégié de notre patient vis à vis de safamille, de l'école, de la société en général, tant qu'il n'a pas encore les capacitésde le faire lui-même.

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Qui dit quoi ?Le rôle de la reformulation dans la rééducationdu langage oral chez l’enfant de 4 ans

C. Fouassier, A. Gadois, C. Hénault, D. Morcrette, L. Bihour, N. Guéret

R é s u m éL'étude de la comparaison interindividuelle des comportements langagiers présente l'intérêtde mettre l'accent sur la pratique rééducative d'une part et l'évaluation rapide du staded'évolution de l'enfant pendant sa rééducation d'autre part.

La collaboration psychologues/orthophonistes a permis une étude qualitative et quantitativedes corpus recueillis par les orthophonistes en situation de rééducation et par une étudianteen maîtrise de psychologie du développement cognitif auprès d'enfants âgés de 4 ans à 5ans 6 mois, au cours d'un jeu formalisé, induisant des attitudes de reformulations para-phrastiques.

Mots clés : langage oral, reformulation, paraphrase, échanges dialogiques.

Who says that? The role of rephrasing in the remediation of four year-old children’s oral language

AbstractIt is valuable to compare the language behaviors of different children since it highlights thepractice of remediation and provides a brief evaluation of the child's progress during therapyas well.

The collaborative work of psychologists and speech and language therapists permitted thequantitative and qualitative study of narratives produced by 4 to 5 1/2 year-old childrenduring therapy with a speech and language specialist and with a master's level psychologystudent specialized in cognitive development, in a standardized play situation which inducedparaphrastic reformulations.

Key Wo r d s : spoken language, reformulation, paraphrase, dialogical exchange.

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C ette étude a pu être réalisée à l'université de Caen, dans le groupe psy-choneurologique de recherche sous la direction du Professeur JeanVivier (1), à l’aide de la grille d’analyse des discours qu’il a élaborée et

qu’il a mise à la disposition du groupe.

◆ Cadre de travail

L’interaction langagière est une composante primordiale de la rééduca-tion, comme elle l’est dans le développement du langage de l’enfant. Si nousconnaissons, par expérience clinique, l’efficacité de la reformulation en réédu-cation, nous savons peu comment la diade enfant/orthophoniste l’utilise enrééducation ou comment l'enfant s'appuie sur ce procédé pour progresser, etcomment il s'approprie les structures langagières proposées par l'orthophoniste.L'incitation à la reformulation est-elle une stratégie rééducative ? La capacité del'enfant à utiliser la reformulation peut-elle être considérée comme un pronosticd'évolution ?

Le dialogue, la reformulation, la paraphrase.

L'importance du dialogue dans le développement du langage est souli-gnée par de nombreux auteurs ; « apprendre à parler et à comprendre, c'estapprendre bien autre chose que du lexique et des structures grammaticales : engros, c'est apprendre les différents types d'enchaînement des énoncés sur le dis-cours de l'autre ou sur mon propre discours (...), c'est savoir alternativement

C. FOUASSIER, A. GADOIS, C. HÉNAULT, D. MORCRETTE, L. BIHOUR, orthophonistesN. GUÉRET, psychologueModescoM. R. S. H. - Université de CAENEsplanade de la Paix - 14032 CAEN

(1) VIVIER J. 1992 Explanations strategies for a construction task among 8-year-old subjects. Cahiers de Psy-chologie Cognitive 12,4, 389-414

VIVIER J. 1998 pour une psychologie du dialogue homme-machine. In G. Sabah, J. Vivier, A. Vilnat,J.M. Pierrel, L. Romry, A. Nicolle (Eds.) Machine, langage et dialogue. Paris : L'Harmattan.

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répondre, raconter, argumenter, comparer... (2) ». Bruner (3) note la précocité del’apparition de cette interaction.

François définit plusieurs types de discours dépendant de la relation quiunit les partenaires dans le dialogue :

- les discours de dominance : l'un des partenaires de l'interaction imposeles thèmes de discussion, ces discours sont le plus souvent des discours adulte-enfant ;

- les discours de coopération homogène : les sujets introduisent tour àtour un thème de discussion que chacun modifie ;

- les discours conflictuels : les sujets confrontent leurs points de vue.

Parmi les situations dialogiques, nous nous sommes donc plus particuliè-rement intéressés à la seule reformulation au cours du jeu. Toutefois, il faut dis-tinguer les répétitions complètes qui consistent en une reprise exacte d'unénoncé précédemment émis et les reformulations paraphrastiques qui impliquentdes modifications de la formulation initiale. Plus précisément l'essence desreformulations paraphrastiques n'est pas constituée par la pure identité decontenu mais par des glissements de sens et des changements de thématisationqui accompagnent les paraphrases.

Grille d'analyse

La grille d'analyse des discours a été élaborée par Jean Vivier en 1990.Elle avait pour premier objectif d'étudier d'un point de vue psycholinguistiqueles productions langagières des interlocuteurs et la manière dont ils parviennentà s'entendre pour effectuer une tâche.

Cette grille est construite pour répondre à deux types de questions :« quel type d'acte est repris ? » et « de qui est l'acte repris ? ». Elle est orga n i-sée avec trois niveaux de profondeur : les fonctions, les descriptions, lesindices. Les paraphrases se situent au niveau des descriptions et elles sontdécrites sous quatre formes : l'ajout spécifié, la substitution, l'omission et lapermutation (4).

Pour l’observation des corpus au cours du jeu, cette grille a été simplifiéemais garde son objectif d’origine.

(2) FRANCOIS F. (1984). Conduites linguistiques chez le jeune enfant. PUF.

(3) BRUNER J. (1987). Comment les enfants apprennent à parler. RETZ.

(4) CLARK H.H. (1996) Using Langage Cambridge : Cambridge University Press.

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Présentation du jeu

Nous avons choisi un jeu de parcours pour placer l’enfant et l’orthopho-niste en situation de dialogue les incitant à produire des énoncés adéquats, àcompléter les dires de l’autre et ceci avec l’emploi de reformulations.

Ce jeu de parcours est réalisé à partir d’un jeu Nathan « Parlons avecPloum », d'où sont extraites 17 images. Ces images ont été sélectionnées pour laclarté de la situation, leur familiarité et leur contenu émotionnel. Elles représen-tent des situations simples vécues par tous les enfants, souvent source de plaisirou de déplaisir et n'offrant pas d'ambiguïté quant au contenu. De plus, le gra-phisme est convivial et les couleurs attrayantes.

Ces images sont disposées sur le sol ou sur une table en forme de « par-cours » (soit en cercle soit en « route ») .

Les deux interlocuteurs (l'adulte et l'enfant) sont munis d'un dé à 6 facesoù le un et le deux sont inscrits en lieu et place du cinq et du six, c'est-à-dire endouble.

Chacun leur tour les joueurs lancent le dé et avancent d'autant de casesqu'il est indiqué sur le dé. Lorsque le pion est positionné sur l'image, il faut ladécrire, raconter ou commenter ce que l'on y voit.

Le départ se donne au gré de l'enfant. La passation dure une dizaine deminutes (on s'arrête quand l'enfant se lasse).

On enregistre l'ensemble du jeu (dialogues et manipulation du dé et despions).

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◆ Description de la reformulation paraphrastique Le point de départ de notre travail se situe au niveau de la pratique réédu-

cative. Trois exemples vont permettre d'illustrer les différentes reformulations et

les attitudes des enfants :

Aurélien, 5 ans, en rééducation depuis un an pour une dysphasie phono-logique-syntaxique. L'analyse des corpus enregistrés au cours du jeu permettentde souligner quatre caractéristiques des reformulations :

a) Les reformulations de l'orthophoniste accompagnent chaque formula-tion de l'enfant :

E 31 (5) : i sou pâque c’est son nivèsai, les boujiesO 32 : il souffle les bougies, c’est son anniversaire

b) Aurélien, lui, reprend les formulations de l’orthophoniste lorsqu’il doitdécrire une image déjà rencontrée au cours du jeu : il comprend la façon de faireet commence à l’utiliser,

soit immédiatement après :O23 : Ploum lit un livre avec son papaE 25 : Papa i fait un liz avè... i lit avè son papa ;

soit plus tard :O 5 : Qu'est-ce que tu vois ? ... Ploum... E 5 : lit...

(5) E : enfantO : orthophoniste

Les tours de parole, qui sont les productions ayant un impact sur les productions suivantes, sont numérotésdans leur ordre d’apparition. Ainsi « E 31 » signifie que c’est la trente et unième fois que l'enfant prend laparole au cours du jeu et « O 32 » que c'est le trente deuxième tour de parole de l'orthophoniste

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O 6 : Ploum lit un livre avec son papa.E 25 : papa i fait un liz avè... i lit avè son papa.

Cette reprise des termes choisis par l'orthophoniste objective le maintienen mémoire des structures lexico-syntaxiques proposées.

c) On observe enfin que la reformulation permet à l'enfant d'expliciter sapensée :

O 32 : il fait du vélo avec son lapin, il a un beau vélo vertE 32 : moi, je vas dire une mibyletteO 33 : toi tu vas dire une mibylette, eh bien moi je vais dire un véloE 33 : une mibylette, ya des mumières là-dssus !

d) Ces différentes reformulations apparaissent notamment lorsque le jeutombe sur l'image suivante :

E 11 : il va à l'école paque son papa i l'emmèneO 12 : Il va à l'école et son papa l'emmèneE 12 : en voiture (Aurélien explicite sa pensée)O 13 : dans sa belle voiture rouge. Ploum va à l'école avec son papa quil'emmène dans sa belle voiture rouge.O 28 : Ploum va à l'école avec son papa qui conduit la belle voiturerouge. (l'orthophoniste cherche à complexifier la phrase) :E 28 : (Aurélien tombe sur cette image tout de suite après) : i va à l'école,i prend la voiture pour aller à l'école avec son papa.Et il ajoute : Ya bien russi ! (j'ai bien réussi !)

Sébastien, 5 ans, est en rééducation pour un retard de parole et de lan-gage.

a) L'orthophoniste a la même attitude de reformulation, mais doit souventrelancer cet enfant peu bavard par des questions, des exclamations .

O 19 : Qu'est-ce qu'il fait ?E 19 : i conduit la voituO 20 : Il conduit la voiture avec son papaE 20 : ouais.

b) Toutefois cela n'empêche pas Sébastien d'intégrer la forme lexico-syn-taxique utilisée par l'orthophoniste :

O 23 : Oh ! Qu'est-ce qu'il fait ?E 23 : i zoue au ballonO24 : avec qui, il joue au ballon ?E 24 : avè... avè... tous les deuxO 25 : avec sa petite sœur ; il joue au ballon avec sa petite sœur.

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E 25 : ouaisO 68 : Qu'est-ce qu'il fait ?E 68 : i zoue au ballon avè sa petite sœuO 69 : il joue au ballonE 69 (qui ne retient que l'expansion) : avè sa petite soeu

François, 4 ans 8 mois, débute une rééducation pour un retard importantde parole et de langage.

L'attitude de l'orthophoniste reste la même, et François qui est spontané-ment sensible à ce type d'échanges verbaux, s'en empare comme un moyen d'ex-pression privilégié et l'utilise aussi aisément que l'adulte.

L'abondance des processus de reformulation permet une analyse qualita-tive plus détaillée :

E 09 : il fait du vélo avè son petit lapinO 10 : oui, il fait du vélo avec son petit lapin (reformulation par répétitionpour accord) ; où est-ce qu'il est, son petit lapin ?E 10 : il est ici, pi...et pi le lapin, i va redaler (reformulation par une para-phrase implicite, à visée explicative)O 11 : c'est Ploum qui pédale et le petit lapin est... (paraphrase par ajout àvisée explicative et corrective)E 11 : il est assis, pi, i va le teni, i va pas tomber (paraphrase implicitepar ajout, à visée explicative)O 12 : d'accord, il est assis derrière (paraphrase par ajout à visée correc-tive, explicative et d'accord)E 12 : oui, il va le teni, pi, pu qui va tomber (paraphrase par ajout à viséeexplicative)O 13 : c'est ça, il tient Ploum. (paraphrase par substitution à visée correc-tive, explicative et récapitulative)

ou encore :E 38 : Ploum i fait des gateaux, Ploum.O 40 : et il fait ça (geste) il va tournerE 39 : oui, il va touner (paraphrase par omission)O 41 : il va mélanger (paraphrase par substitution)E 40 : oui, i va mélanzé pi, des œufs, des socolats, et pi, pi...pi... (soupirs,tensions) et pi da pa (paraphrase par ajout)O 42 : ça fait de la pâte (paraphrase par omission, à visée corrective etrécapitulative)E 41 : oui, da pâte et pi i met dans l'eau... (paraphrase par ajout et omis-sion)

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◆ Synthèse des premiers résultatsTous les enfants de notre population (6) utilisent essentiellement la refor-

mulation paraphrastique de préférence à la répétition. Cette reformulation faitsuite à une production de l’adulte.

La différence entre les enfants présentant une pathologie du langage etceux n'en présentant aucune, se manifeste par le fait que les enfants sans patho-logie reformulent après toute production de l'adulte (question d'incitation ouparaphrase) alors que les enfants présentant une pathologie ne reformulentqu'après une paraphrase de l'adulte.

Ce constat permettrait de supposer que ces derniers s'approprient ce modedialogique qui leur convient, dans la mesure où il leur permet de créer leurpropre énoncé, tout en surmontant les difficultés qu'ils éprouvent à formuler uneproduction initiale et tout en ayant la possibilité de développer leur pensée.

On observe ainsi :- que les paraphrases par ajout sont massivement employées par tous les

enfants quelles que soient leurs capacités à communiquer. Ces ajouts peuventtraduire un désir d'individualisation, un souci d'expliciter une pensée en s'ap-puyant sur la production de l'adulte.

- que les paraphrases par omissions ont une fréquence comparable auxparaphrases par substitutions chez les enfants avec troubles du langage

- alors qu'elles sont nettement moins utilisées chez les enfants sanstrouble du langage au profit des paraphrases par substitution.

Si la répétition est très peu employée par les 2 groupes, elle l'est davan-tage par les enfants avec trouble du langage.

(6) Tous ces chiffres restent à relativiser, car ils ne concernent que 5 enfants (et trois passations par enfant)avec des troubles du langage et 5 enfants sans troubles du langage. La poursuite actuelle de cette étude se faitsur une population beaucoup plus importante.

Enfants avec troubles du langage

par.par ajout

paraphrasespar. par

omissionpar. par

substitution70 % 14 % 16 % 6,4 %

Enfants sans troubles du langage 76 % 6 % 18 % 1 %

répétition

◆ Réflexion sur la pratique rééducativeLes échanges dialogiques et narratifs sont pour l'enfant une base solide

pour s'approprier le langage de l'adulte.

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Pour cela, l'utilisation de la reformulation par l'adulte est un modèle quiconvient bien à l'enfant qui souffre de troubles du langage. Celui-ci s'en empared'autant plus volontiers qu'il est conscient de son trouble et désireux de devenirplus autonome dans son besoin de s'exprimer. C'est le cas d'Aurélien. François,incapable de s'exprimer en situation naturelle, s'est emparé de cet outil dès lespremières phases du jeu. Quant à Sébastien, bien qu'apparemment peu engagédans ce jeu, il finit par utiliser l'expansion proposée par l'orthophoniste plusieurstours de parole plus tard.

◆ ConclusionLa reformulation semble être une stratégie adaptée à la rééducation :- elle est volontiers adoptée par les enfants avec un trouble du langage,- elle leur permet de s'approprier des formulations qu'ils n'utilisaient pas,- elle fonctionne en situation immédiate ou différée.

L'utilisation de la reformulation suscite de nombreuses questions :- la capacité de l'enfant à utiliser la reformulation de l'adulte pour une

reformulation personnelle varie-t-elle en fonction du type de trouble ?- les possibilités d'utiliser la reformulation se situent-elle hors de sa situa-

tion rééducative ?- peut-elle être un facteur de pronostic de l'évolution du langage ?

Ce premier travail a permis de créer un cadre d'étude de la reformulationen rééducation. La poursuite de ce travail (mémoire d'orthophonie en cours,poursuite du travail du groupe de recherche des orthophonistes, éventualité d'unDESS de psychologie...) devrait permettre de confirmer la validité de ce procédérééducatif et peut-être d'en faire un outil de l'évaluation de l'évolution de cer-taines rééducations.

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Quand le nombre est parlé avant d’être écrit :acquisition et élaboration de la chaînenumérique verbale

Alain Ménissier

R é s u m éAvant de dresser l'inventaire des erreurs rencontrées dans la maîtrise de la chaîne numé-rique verbale, celle-ci est différenciée du comptage et du dénombrement. L'acquisition etles niveaux d'élaboration de la suite numérique permettent d'autre part de proposer un pro-tocole d'évaluation sous le double aspect production verbale et détection d'erreurs.Mots clés : langage oral, chaîne numérique verbale, comptage, dénombrement.

When numbers are spoken before they are written :learning and production of the verbal sequencing of numbers

AbstractBefore reviewing errors in the process of mastering the verbal sequence of numbers, it isimportant to distinguish this process from counting and numbering. In addition, the acquisi-tion and production of number sequences can contribute to the development of an evalua-tion protocol which assesses both dimensions of verbal production and error detection.Key Wo r d s : spoken language, verbal sequencing of numbers, counting, numbering.

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L ongtemps ignorés par les chercheurs en psychologie, le comptage, ledénombrement et l'acquisition de la chaîne numérique verbale apparais-sent aujourd'hui comme des précurseurs cognitifs et linguistiques des

futures capacités arithmétiques de l'enfant. Ainsi, lorsqu'on examine les pra-tiques spontanées de comptage, on s'est aperçu que dès deux ans et demi, troisans, l'enfant disposait progressivement des composantes nécessaires à l'acquisi-tion des premiers concepts numériques.

Les enfants ne semblent construire ni une pratique du nombre, ni unenotion définie du nombre. Bien au contraire, l'enfant élabore des notions et despratiques multiples et aucune activité en soi ne saurait réduire et synthétiser cetted iversité. L'enfant reste donc activement impliqué dans la construction de sesconnaissances numériques et il semble bien qu'un aspect essentiel de l'apprentis-sage des mathématiques se constitue avant l'entrée au cours préparatoire. Le déve-loppement du comptage en est un bon exemple. Son apprentissage est graduel etsuggère une lente progression entre deux et huit ans. Si nous abordons l'étude ducomptage sous l'angle des savo i r- faire et de la connaissance de ses principes, nousnous trouvons en présence de trois points de vue. Certains auteurs (Briars et Sie-gler 1984, Siegler et Shrager 1984) postulent que les enfants apprennent de fa ç o nmécanique divers comportements de comptage, par imitation et renforcement. Al'opposé, Gelman (Gelman et Meck 1986) pense que la compréhension de certainsprincipes de comptage précède le savo i r- faire. La connaissance des principes gui-derait le développement des habiletés et serait donc première.

Une approche intermédiaire, de type « interactionniste » (Baroody etGinsburg 1986) considère le développement du comptage comme une activitémentale plus complexe que ne le proposent les deux premiers points de vue : ledéveloppement des habiletés et celui de la connaissance des principes évolue-raient en interaction.

Les enfants peuvent commencer par construire certaines habiletés (oucertaines de ces composantes) par imitation ou par renforcement : ils savent très

Alain MÉNISSIEROrthophoniste1, place Aragon70100 Arc-les-Gray

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précocement qu'il existe des « mots pour compter » (mots-nombres) et il est rarequ'ils emploient d'autres termes que les formes canoniques du lexique numé-rique. Un-deux, un-deux-trois peuvent être appris par cœur (et les parents jouentun rôle non négligeable dans le plaisir à entendre leur enfant compter!) mais unapprentissage routinier ne mènera jamais bien loin sans développement parallèleet progressif des structures mentales sous-jacentes au comptage : on admettracependant que des structures incomplètes suffisent à diriger l'acquisition de cer-taines habiletés (Baroody 1991).

◆ La chaîne numérique verbaleLes mots représentant les nombres vont constituer la chaîne numérique

verbale. Peu à peu, l'enfant élabore un domaine lexical numérique relativementautonome ; ses diverses activités lui permettront d'autre part d'utiliser ce lexiquespécifique aussi bien en compréhension qu'en production. Mais comment l'en-fant parvient-il à maîtriser et à utiliser correctement cette chaîne numérique ver-bale ? Les mots-nombres ne sont pas toujours liés à une activité de dénombre-ment et sont souvent énumérés comme une litanie, un comptage à vide. C'estl'époque où les parents disent : « mon enfant sait compter » car ils lui ont apprisà réciter le début de la chaîne.

Les jeunes enfants utilisent les mots-nombres dans différents contex t e s(Fuson, 1988). Lorsque le mot-nombre fait référence à la totalité d'un ensembled'éléments discrets, le contexte est cardinal : le mot indique de combien d'élé-ments l'ensemble se compose. Si le mot-nombre donne la position relative d'unélément au sein d'une collection, le contexte est ordinal : avant quatre ans,quatre ans et demi, l'enfant compte par numérotage, sans pouvoir extraire le der-nier mot-nombre prononcé. Aucun mot ne représente une quantité à lui tout seul,le dernier mot n'ayant pas plus de valeur que les autres ; même en demandantplusieurs fois à l'enfant de compter, nous obtenons toujours la même réponse :

- un-deux-trois-quatre.- Oui, mais dis-moi combien il y a de cailloux?- Un-deux-trois-quatre.- Alors, ça fait combien en tout?- Un-deux-trois-quatre.

L'enfant nous montre seulement qu'il « sait compter », mais cette suitenumérique n'est pas une représentation numérique. Par contre, lorsque le mot-nombre réfère à une quantité continue, nous sommes dans un contexte demesure : quel âge as-tu? J'ai 4 ans. Et l'enfant montre 4 doigts pour sur-indi-quer le contexte de mesure de cette situation. Ces trois premiers contextes déter-

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minent une base pour accéder aux futurs faits arithmétiques et mathématiques.Deux autres contextes permettent de garantir l'emploi du mot juste dans l'utilisa-tion des trois premiers contextes : le contexte de dénombrement où les mots-nombres sont mis en correspondance terme à terme avec les éléments d'une col-lection. Pour dénombrer correctement, l'enfant doit faire face à une triple tâche :

- il doit connaître la suite numérique verbale dans son ordre défini etconventionnel,

- il doit considérer un à un les objets, en les pointant (du doigt ou duregard) sans en oublier ni en n'en recomptant aucun.

Enfin, il doit coordonner ces deux habiletés pour effectuer un bon tracémental de cette activité. Ainsi pour dénombrer, il faut pouvoir égrener une suitede dénominations verbales. Ce contexte de séquence ordonnée nécessite l'ap-prentissage de la chaîne numérique verbale, à travers une pratique culturelledont l'enjeu dépasse souvent la simple représentation des quantités : ne dit-onpas que plus l'enfant sait compter loin, et plus il devient grand !

◆ Acquisition de la chaîne numérique verbaleSi nous demandons à l'enfant de nous « montrer jusqu'où il sait compter »

et si nous réitérons plusieurs fois cette demande, nous obtiendrons un ensemblede productions qui se décomposera approximativement en trois parties (suivantla classification de Fuson, 1982). Voici, en illustration, les suites numériquesproduites par Julien (5 ans,10 mois).

partie stable partie stable partie non stableet conventionnelle non conventionnelle non conventionnelle

1,2,3,4,5,6,7,8,9,10,11,12, 14, 17, 18, 21, 23, 25, 27, 21, 231,2,3,4,5,6,7,8,9,10,11,12, 14, 17, 18, 21, 25, 22, 27, 28, 181,2,3,4,5,6,7,8,9,10,11,12, 14, 17, 18, 21, 25, 28, 21, 25, 17,

1°) Une partie stable et conventionnelle

- conventionnelle car l'enfant énumère correctement le début de la suitedes nombres,

- stable, car cette suite se retrouve à chaque essai de l'enfant. Julien réitèreà chaque fois les mots-nombres de un à douze.

2°) Une partie stable et non conventionnelle

L'enfant énonce à chaque essai la même suite de mots-nombres mais soitl'ordre de quelques nombres n'est pas respecté, soit il manque des éléments :dans les séries de Julien, il manque treize, quinze, seize, dix-neuf. La séquence

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est partiellement mémorisée, puisque dix-sept est omis lors du troisième essai. Ilfaudra encore beaucoup de pratique à Julien pour augmenter son stock lexicalnumérique et pour mémoriser la suite correcte que sont les mots-nombres en« ze », dits nombres particuliers (de onze à seize).

3°) Une partie ni stable ni conventionnelleJulien sait que la suite des nombres ne s'arrête pas à ce qu'il maîtrise. Il

connaît d'autres mots-nombres mais leur production reste instable et sans tou-jours respecter l'ordre conventionnel. D'autre part, Julien n'a pas encore saisi lesrègles linguistiques qui sous-tendent la production des dénominations verbales.Une fois assimilées, ces règles lui permettront de diminuer son effort demémoire et de lui alléger la tâche ; Julien reste loin de cette maîtrise, car pourcompter, il lui faut à chaque fois partir du début : un-deux-trois-quatre... et s'ilest arrêté en chemin, il ne sait pas repartir de cet endroit : Julien recommencesystématiquement à partir de un.

◆ Niveaux d'élaboration de la chaîne numérique verbaleA partir de nombreuses observations, Fuson et ses collaborateurs (1988)

distinguent quatre niveaux d'élaboration de la chaîne numérique :

1°) le niveau du chapeletA ce niveau, l'enfant apprend la suite numérique comme une enfilade de

sons, une totalité unique du type un-deux-trois-quatre-cinq. Il ne semble pascomprendre qu'un son isolé, par exemple quatre, possède une signification arith-métique. Même si cette récitation se fait en présence d'objets à dénombrer, l'en-fant produit deux actes juxtaposés mais non encore coordonnés. Les petitesquantités sont d'ailleurs appréhendées comme des configurations perceptives(par subitizing qui est une perception immédiate de la numérosité).

2°) le niveau de la chaîne insécableLes mots sont maintenant individualisés (du type un / deux / trois /

quatre) mais la caractéristique de cette étape est l'incapacité à compter à partird'un nombre quelconque. L'enfant doit repartir de un comme le fait Julien.Néanmoins, il développe l'habileté de « compter jusqu'à un nombre donné »(vers quatre ans) ; il peut résoudre une tâche comme « donner le nombre quivient juste après », parfois même « le mot qui vient juste avant ». Cette phasedépend surtout des pratiques de l'enfant et de sa maîtrise plus ou moins grandeet elle peut se développer jusqu'à cinq-six ans selon les enfants. En résumé, lemot-nombre signifie maintenant le comptage par opposition au niveau chapeletoù le mot-nombre signifiait la configuration.

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3°) Le niveau de la chaîne sécable

L ' e n fant peut compter à partir de n'importe quel nombre, quel que soit lepoint arbitraire de départ. Deux nouvelles habiletés se mettent en place : « c o m p t e rà partir de » et « compter d'un nombre à un autre ». Le comptage à rebours dev i e n tpossible, si, bien sûr, celui-ci est pratiqué ; on remarque cependant peu d'automati-sation surtout lorsqu'on dépasse dix. Ce niveau se caractérise par le déve l o p p e m e n tde la f l e x i b i l i t é dans l'emploi de la suite numérique : le nombre prend le statut desymbole dans une série progressivement arithmétisée car il détermine de plus enplus finement les relations ordinales entre les éléments de cette série.

4°) Le niveau de la chaîne terminale

Les mots-nombres sont totalement individualisés ; ils ne sont plus seule-ment énumérés mais il devient possible de les dénombrer. L'enfant peut désormais« compter n à partir d'un nombre donné » et « compter de x à y pour trouver n »(dire combien il y a entre x et y). Cela implique de coordonner l'habileté d'énumé-rer la suite numérique tout en conservant en mémoire à court terme les nombresdéjà émis. L'enfant peut à ce moment résoudre des tâches nécessitant des procé-dures d'addition ou de soustraction (sur des petites quantités). Le nombre acquiertun sens mathématique et la chaîne prend un c a r a c t è re bidire c t i o n n e l, avec unetrès forte automatisation de l'accès et de la récupération, notamment dans le comp-tage vers l'avant. La chaîne numérique verbale est totalement mobilisable, par sespropriétés d'emboîtement, de sériation, de cardinalité et d'unicité ; l'enfant a main-tenant acquis un sous-système linguistique bien délimité.

◆ Quelques obstacles et imprévus dans le comptage

Apprendre trop précocement la seule chaîne numérique verbale comporteplus de risques que d'avantages. Sa seule maîtrise conduit à un comptage-numé-rotage qui gêne la transition vers le dénombrement de quantités. Un enfant saitcompter lorsqu'il sait mettre en correspondance terme à terme la série des mots-nombres avec les objets à dénombrer.

Les erreurs faites par les enfants restent liées à la façon dont ils se repré-sentent mentalement la suite des nombres et leurs relations. Une autre sourced'erreurs provient de la difficulté de mémorisation des mots-nombres. Si l'en-fant apprend par cœur les premiers nombres, il ne peut le faire pour l'ensemblede la série. Malgré un lexique limité et une absence d'ambiguïté sémantique,l'enfant devra découvrir les règles syntaxiques qui régissent la formation desnombres. Dans notre langue, la mémorisation est nécessaire pour les nombresjusqu'à seize car il n'y a pas de régularités permettant d'inférer une règle quel-

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conque. La suite des unités et des nombres particuliers (les nombres en ze)apparaissent comme une l e x i c a l i s a t i o n directe sans montrer clairement unestructure morphosyntaxique (ze étant la trace de zehn, système à base 10 quis'est morphologisé, survivance d'un bricolage entre langue saxonne et languelatine). Il n'est pas étonnant de constater que les nombres particuliers occasion-nent les erreurs les plus fréquentes. Au delà de 17, l'enfant découvre la structurerécurrente des mots-nombres et devra s'approprier les lois de composition syn-taxique, soit selon une somme (comme vingt-cinq (20+5), cent quarante trois(100+40+3), mille cent sept (1000+100+7)...), soit selon un produit (quatre-vingts (4x20), deux cents (2x100)...). Ces deux formes pourront se combinerdans de nombreux cas tels trois cent vingt ou quatre vingt trois. Une difficultéapparaîtra dans le maintien de cette unité phonologique et dans la segmentationà effectuer pour appréhender la structure de ces nombres : 83, est-ce quatre-vingt / trois? ou quatre / vingt trois?

Dans la période de trois à six ans, on observe un certain nombre d'erreurslors de comptages. Liées à une maîtrise insuffisante de la suite numérique, ellesengendrent en cascade des erreurs sur le dénombrement ou dans la comparaisonde quantités proches.

1°) Les omissions

Celles-ci portent sur l'oubli d'un mot ou sur quelques mots. Dans le casdes plus grands nombres, elles peuvent affecter une dizaine complète lorsquel'enfant a incorrectement installé la série des décades (...28,29,40,41...). Audébut de la séquence numérique, les omissions se rencontrent dans le passageentre la partie stable conventionnelle et les parties non conventionnelles. Il suffitque l'enfant ait établi une relation entre deux nombres non consécutifs pourqu'un ou plusieurs mots-nombres soient oubliés : Julien semble avoir concaténé12 et 14 en oubliant 13, de même pour 18 et 21. Une omission fréquente portesur le dernier mot d'une décade (mot se terminant par 9) lorsque l'enfant focaliseson attention sur la dizaine à venir (...27,28,30,31...).

2°) Les répétitions

Elles sont surtout présentes dans la partie non stable et non conve n t i o n n e l l e .L'enfant arrive à la fin de ce qu'il connaît, tout en sachant que la suite des

nombres se continue. Malgré sa connaissance de quelques nombres supérieurs,il reprendra à un endroit antérieur de la séquence, voire chez le jeune enfant audébut de la chaîne. De même, lorsqu'une relation incorrecte s'est installée entredeux nombres, l'enfant répétera plus facilement le premier nombre (Julienrépète ainsi les nombres 18 et 21).

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3°) Les inversions

Celles-ci sont moins fréquentes et affectent surtout les passages« délicats » : la série des particuliers (treize et seize) ou la fin d'une décade avecla récupération en mémoire des dizaines suivantes (…28, 29, 40, 41, …, 49, 30,31, …). Il peut s'agir d'une plus ou moins grande focalisation de l'attention surl'aspect rituel de la chaîne : soit l'enfant veut montrer qu'il connaît bien la comp-tine numérique et il se précipite, soit cette récitation est laborieuse et l'enfant nepeut gérer les différentes relations unissant les mots-nombres entre eux..

4°) Les erreurs de dénombrement

Comme nous l'avons vu précédemment, l'enfant doit coordonner deuxhabiletés pour dénombrer correctement : incrémenter la série des nombres touten pointant simultanément (en correspondance terme à terme) les objets àdénombrer. Le dénombrement sera incorrect en cas de moindre maîtrise de lachaîne numérique (du fait des oublis, des répétitions et des inversions) ou en casde mauvaise coordination des principes :

- de correspondance terme à terme. Soit l'enfant pointe correctement lesobjets mais juxtapose mal les mots-nombres et c'est bien souvent une troprapide récitation des mots-nombres qui est à la base de l'erreur (niveau chape-let), soit des éléments à dénombrer sont oubliés ou recomptés deux fois.

- de cardinalité. L'enfant doit pouvoir extraire le dernier mot-nombre pourdésigner le cardinal de la collection quantifiée.

◆ Evaluation de la maîtrise de la chaîne numérique verbalePour conclure, nous proposons un protocole permettant d'évaluer les

niveaux d'acquisition et d'élaboration de la chaîne numérique verbale et dudénombrement. Suivant les méthodes expérimentales développées par la psy-chologie cognitive, nous différencierons ce que l'enfant peut produire de ce qu'ilpeut comprendre (détection d'erreurs) : le clinicien, par le biais d'une figurine(ou d'une marionnette), effectuera des tâches d'énumération et de dénombrementen commettant des erreurs. L'enfant devra accepter ou rejeter ce que dit ou faitla figurine.

1 - La chaîne numérique verbale

a) production

Pour évaluer l'acquisition et déterminer les différentes parties de la suite,demander à l'enfant de compter le plus loin possible (« jusqu'où il sait comp-ter »).

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101

Reformuler la même question afin d'obtenir au moins deux énoncés de laséquence.

Les niveaux d'élaboration seront déterminés à partir des tâches suivantes.- compter jusqu'à 9 : l'enfant devra garder en mémoire le but à atteindre et

ne pas le dépasser.- compter à partir de 3.- compter de 4 à 9.- compter à rebours à partir de 9.

b) détection

Lorsque l'enfant échoue en production, les épreuves de détection permet-tent d'évaluer s'il parvient à différencier les traits essentiels à un comptage exact.

- demander d'accepter ou de rejeter ce qu'énonce la figurine (le cliniciencomptera en commettant des erreurs et des pseudo-erreurs) :

- des omissions : un, deux, quatre, cinq, six...- des répétitions : un, deux, trois, trois, quatre, cinq...- des inversions : un, deux, trois, cinq, quatre, six...- des ajouts : un, deux, trois, pez, quatre, cinq...

2) La correspondance terme à terme

Il s'agit de vérifier le principe de bijection entre les mots-nombres et lesobjets à dénombrer.

a) production

- L'enfant doit compter une douzaine d'éléments hétérogènes (par laforme, la taille et la couleur). Si cette tâche est réussie, on peut penser que l'en-fant applique le principe d'abstraction puisque l'hétérogénéité des objets n'aaucune incidence sur le dénombrement. En cas d'échec, proposer à l'enfant unensemble homogène ( des cailloux, des jetons...).

- Cette épreuve est proposée une seconde fois en changeant la dispositiondes éléments (inversion, espacement et rapprochement). On vérifie l'applicationdu principe de non-pertinence de l'ordre : l'ordre choisi n'affecte pas le résul-tat du comptage. On demandera avant toute réalisation si l'on obtiendra le mêmerésultat qu'auparavant.

b) détection

- le comptage des objets est effectué par la figurine. Celle-ci ne respectepas la correspondance terme à terme (prendre 6 objets).

- elle oublie un mot : en pointant correctement 6 éléments, la figurine n'encompte que cinq.

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- elle omet de pointer un objet (elle n'en compte que cinq).- elle ajoute un mot-nombre au démarrage (à vide) : elle est déjà à deux

quand elle pointe le premier objet.- elle effectue un double comptage : au troisième objet correspondent les

mots trois/quatre.- elle effectue une direction inverse au sens précédemment utilisé ou elle

commence par le milieu.- elle effectue un double pointage et compte deux fois le même objet.

(Ne pas oublier d'intercaler un comptage standard correct).

3) La cardinalité

a) production

Après avoir compté la collection d'objets, on pose la question :- « combien y en a-t-il en tout ? » L'enfant doit donner le dernier mot-

nombre individualisé.

b) détection

La figurine compte une fois correctement mais donne un autre mot que le der-nier mot-nombre (« un, deux, trois, quatre, cinq, six. Il y a cinq cailloux en tout » ) .

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Apports de la pragmatique et de la psychologiedu langage à la compréhension des troublesdu développement du langage

Geneviève de Weck

R é s u m é

Après un rappel des définitions courantes des troubles du développement du langage, l'ar-ticle est centré sur les travaux récents issus de la pragmatique et de la psychologie du lan-gage qui permettent d'élargir le champ de compréhension de ces troubles et d'en montrerl'hétérogénéité. D'autres aspects des capacités langagières des enfants sont ainsi mis enévidence et de nouvelles distinctions sont proposées. D'une part, les troubles pragmatiquessont distingués des troubles linguistiques, et leurs relations discutées. D'autre part, en réfé-rence aux différents niveaux de production du discours, la question de la variabilité descapacités et des troubles des enfants, en fonction de la diversité des situations d'interaction,est posée.

Mots clés : troubles du développement du langage, pragmatique, discours, interaction.

AbstractAfter a summary of the definitions of the developmental language disorders, this paperfocuses on the recent studies based on pragmatics and psychology of language. These stu-dies broaden the description and the understanding of these disorders and show their hete-rogeneity. Other aspects of children's language capacities are discussed and new distinc-tions are proposed. First, the pragmatic disorders and the linguistic ones are distinguishedfrom each others; their relationships are reviewed. Second, in reference to the differentlevels of discourse production, the question of the variations of children's capacities anddisorders according to the diversity of interactions is discussed.

Key Wo r d s : developmental language disorders, pragmatics, discourse, interaction.

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L es troubles du développement du langage (TDL par la suite) englobent unensemble de perturbations langagières qui se manifestent chez des enfa n t sd'âge préscolaire et qui peuvent persister bien au-delà du début de la sco-

larité primaire. Ils se caractérisent par un décalage temporel et/ou par desdéviances par rapport au développement normal des capacités langagières. Ils ontreçu diverses dénominations, les plus courantes en français étant « r e t a r d(simple) de langa g e » et « d y s p h a s i e ». Ces termes sont utilisés tour à tourcomme expression générique ou particulière. Dans le premier cas, ils désignentl'ensemble des troubles développementaux du langage oral considérés commes p é c i fiques chez les enfants (à l'exclusion parfois des troubles de parole). Dans lesecond cas, chaque terme se rapporte à un des sous-ensembles (ou syndromes) deces troubles, l'accent étant alors mis plutôt sur la dimension de retard ou dedéviance. Mais quelle que soit l'étendue donnée à ces termes, la définition la pluscourante qui est donnée de ces troubles est une définition dite par exclusion. Ils'agit « d'un déficit durable des performances verbales, significatif en regard desnormes établies pour l'âge. Cette condition n'est pas liée à un déficit auditif, à unemalformation des organes phonatoires, à une insuffisance intellectuelle, à unelésion cérébrale acquise au cours de l'enfance, à un trouble envahissant du déve-loppement, à une carence aff e c t ive ou éducative » (Gérard, 1991, p.11).

Dans cette définition, on tente de circonscrire des troubles du langage spéci-fiques, c'est-à-dire qui ne sont pas secondaires à un trouble majeur qui en seraitalors la cause. Par ailleurs, leur caractère durable atteste leur gravité et laisse entre-voir les conséquences possibles de ces troubles sur les apprentissages scolaires etg r a p h o - l exiques en particulier (Aram & Nation, 1980; Aram, Ekelman & Nation,1984). Il reste alors à défi n i r, aspect central pour l'orthophonie / logopédie, ce quel'on entend par « d é ficit des performances ve r b a l e s ». C'est ce que nous nous pro-posons de discuter dans la suite de cet article, en adoptant différents points de vueissus de la linguistique et de la psychologie du langage qui permettront de montrerl'hétérogénéité de ces troubles. Nous partirons des descriptions structurales clas-

Geneviève de WECKPsychologue - LogopédisteProfesseur associé d'orthophonieUER d'orthophonie - Université de Neuchâtelet chargée de cours en logopédieà l'Université de Genève1, esp. Louis Agassiz, CH - 2000 Neuchâteltel: (032) 720.82.35/36e-mail: [email protected]

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siques, et encore actuelles, pour aborder ensuite et plus longuement la façon dontd'une part la pragmatique et d'autre part la psychologie du langage interactionistec o n t r i buent à renouveler la compréhension des TDL. Pour chaque perspective, uned é finition (1) sera donnée avec ses implications au niveau de la caractérisation dud é veloppement des capacités langagières, étant entendu que les TDL ne peuve n têtre décrits qu'en fonction des connaissances relatives au déve l o p p e m e n t .

◆ Descriptions structuralesDans une perspective structurale, la langue est conçue comme un système

indépendant des conditions de production (2) ; de ce fait elle ne prend en consi-dération que la dimension représentative du langage, c'est-à-dire la relationsignifiant - signifié. Par ailleurs, trois niveaux sont distingués, celui du pho-nème, du mot et de la phrase, cette dernière constituant l'unité maximale. Cesniveaux permettent de définir trois systèmes (au sens Saussurien du terme).

Sur le plan du développement du langage, il s'agit pour les enfants d'ac-quérir le système phonologique de leur langue, ainsi que les systèmes lexical etsyntaxique. La détermination d'éventuels TDL s'effectue pour l'essentiel aumoyen de tests de langage, comprenant différentes sous-épreuves qui reprennentces trois niveaux, du point de vue de la compréhension et de la production. Onteste alors les connaissances des enfants relatives à la langue (ou maîtrise ducode), et non son utilisation. Celle-ci est parfois prise en considération dans ceque beaucoup de cliniciens appellent le « langage spontané ». Nous ne revien-drons pas ici sur les limites, que nous avons discutées ailleurs (de Weck, 1989 et1996), d'une évaluation des capacités langagières centrée sur un usage quasiexclusif des tests de langage opposés à ce langage dit spontané.

Du point de vue de la symptomatologie des TDL, plusieurs syndromesont été distingués, qui mettent en évidence les graves déficits des enfants sur lesplans lexical, syntaxique et parfois phonologique. Les premières descriptions,bien connues dans les pays francophones, sont dues à l'équipe d'Ajuriaguerra etde ses collaborateurs (1958, 1963 et 1965 ; pour une synthèse, voir de Weck,1996). Ces travaux ont permis d'opposer trois syndromes du point de vue de leurdegré de gravité : le retard (simple) de langage, la dysphasie et l'audi-mutité.Actuellement, cette classification est encore largement utilisée par les orthopho-nistes-logopédistes.

(1) Faute de place, les définitions proposées sont inévitablement rapides, au risque d’être parfois un peu sché-matiques. Pour les lecteurs qui souhaiteraient prolonger cette réflexion, des références sont données pourchaque perspective.

(2) Rappelons que Saussure (1916/19-76) rejetait dans la parole toutes les variations du système liées auxconditions de production.

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Par ailleurs, plus récemment, l'hétérogénéité des TDL a été mise en évi-dence par plusieurs auteurs issus de la neuropsychologie (3). Les classifi c a t i o n sles plus connues sont celles de Rapin et Allen (Allen, 1989; Rapin & Allen, 1983- 1996 pour la traduction française - et 1988) d'une part et celle de Gérard (1991)d'autre part. Elles ont en commun de distinguer plusieurs syndromes (5 à 7 selonles cas) non plus en fonction de leur degré de gravité, mais selon le(s) nive a u ( x )perturbé(s). Ces classifications relèvent pour l'essentiel d'une analyse structurale,comme en témoignent par exemple la dénomination de « syndrome phonolo-g i q u e - s y n t a x i q u e », ainsi que les propositions d'évaluation. Toutefois, cesauteurs, surtout Rapin et Allen, ne limitent pas leur inve s t i gation à cette dimen-sion. Ils entrent aussi en matière sur l'utilisation du langage en proposant des syn-dromes (sémantique-pragmatique, syntaxique-pragmatique) qui rendent comptedes difficultés de certains enfants à participer de façon adéquate à des interac-tions verbales. C'est cette dimension que nous allons développer maintenant.

◆ Perspective pragmatiqueLa pragmatique, domaine relativement récent de la linguistique, est née

des insuffisances de l'analyse formelle de la compréhension et de la productiondu langage constatées par de nombreux linguistes et psycholinguistes. Lagrande absente des études structuralistes était la situation de communication,dont on sait à l'heure actuelle combien elle conditionne les modes de compré-hension et de production langagières des locuteurs. Il s'agit donc d'étudier lesmodes d'utilisation du langage pour communiquer dans le cadre d'interactions etde prendre comme unité d'analyse non plus des mots ou des phrases isolés, maisdes énoncés réellement produits organisés en dialogues ou en discours. Plus pré-cisément, « l'aspect pragmatique du langage concerne les caractéristiques de sonutilisation (motivations psychologiques des locuteurs, réactions des interlocu-teurs, types socialisés de discours, objets de discours, etc.) par opposition à l'as-pect syntaxique (propriétés formelles des constructions linguistiques) et séman-tique (relation entre les entités linguistiques et le monde) » (Dubois & al., 1973,p.388). Du point de vue du locuteur, il s'agit de la capacité « à effectuer deschoix contextuellement appropriés de contenu, de forme et de fonction »(Hupet, 1996, p.62). Les études concernant l'utilisation du langage ont ainsi per-mis de montrer qu'elle est régie par un certain nombre de régularités qui permet-tent à la communication entre individus de généralement bien fonctionner etd'être l'objet de réparations lorsqu'il y a un défaut dans l'interaction.

(3) Nous n’entrons pas en matière sur la dimension neuropsychologique qui sert de cadre explicatif destroubles, dans la mesure où c’est la caractérisation linguistique qui nous intéresse ici.

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Cette capacité doit s'acquérir au même titre que la dimension purementlinguistique. Les enfants doivent en effet apprendre notamment à communiquerleurs intentions, à gérer une conversation, à traiter l'implicite, à se construire desreprésentations des situations de communication afin d'utiliser les unités linguis-tiques à leur disposition de façon appropriée, etc. Tous ces aspects sont actuelle-ment reconnus comme fondamentaux - voire prioritaires - dans le développe-ment des capacités langagières (4).

En ce qui concerne les troubles, il s'agit de savoir si des enfants peuventprésenter des difficultés dans ce domaine, qui seraient également qualifiables entermes de retard et/ou de déviance par rapport au développement normal. Lesétudes consacrées à cette dimension de la pathologie langagière chez les enfantssont assez récentes (les premières études datent du début des années 80) et com-mencent à pouvoir faire l'objet de synthèses (McTear et Conti-Ramsden, 1992 ;Hupet, 1996). Elles ont permis de mettre en évidence les difficultés que certainspeuvent avoir lors de l'utilisation de la langue dans le cadre de conversations.Ainsi, on a montré que des enfants ne parviennent pas bien à gérer une conver-sation, et notamment à prendre et à céder leur tour de parole, à produire desénoncés adaptés à leur interlocuteur, à établir, prolonger un thème partagé ou àen négocier un changement. Par ailleurs, répondre de façon appropriée à diverstypes de questions peut aussi poser problème ; dans le cas notamment desdemandes de clarification / confirmation, qui reflètent une panne conversation-nelle momentanée, des réponses sans lien avec la question posée peuvent êtrefournies. C'est ainsi que certains enfants sont considérés comme des partenairesconversationnels peu actifs et habiles.

Du point de vue méthodologique, mis à part quelques études de cas(Blank, Gessner & Esposito, 1979 ; McTear, 1996), dans la plupart des travauxdes enfants dysphasiques ont été comparés à des enfants sans troubles ; des dif-ficultés du type de celles qui viennent d'être citées ont été mises en évidencechez les premiers. « Cette approche suppose généralement, voire postule expli-citement (...) que la relative incompétence communicative de ces enfa n t sdécoule de leurs difficultés de langage » (Hupet, 1996, p.65). Ce mode de com-paraison a été critiqué par McTear et Conti-Ramsden (op.cit.), car il introduit unbiais important dans l'étude de ce domaine, dans la mesure où il exclut, sur leplan théorique comme sur les plans expérimentaux et cliniques, que des troublespragmatiques puissent s'observer indépendamment d'autres troubles du langage.Or il n'est pas prouvé que cette hypothèse soit à exclure.

(4) Faute de place, nous ne pouvons détailler ces aspects développementaux. Pour des synthèses, nous ren-voyons le lecteur à Bernicot (1992), Costermans & Hupet (1987), François (1993), McTear (1985).

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De manière générale, le débat est encore largement ouvert sur les rela-tions entre les capacités linguistiques et les capacités pragmatiques. Ces deuxtypes de capacités sont-elles indépendantes les unes des autres, ou au contraireinterdépendantes? Dans le deuxième cas, dans quel sens va cette interdépen-dance? Actuellement, plusieurs hypothèses concurrentes (Hupet, 1996) ont étéformulées, rendant compte chacune d'un certain nombre de résultats. L'hypo-thèse la plus étudiée, qui découle de l'aspect méthodologique précédemmentévoqué, postule que les capacités vs troubles pragmatiques sont dépendants descapacités vs troubles linguistiques. Illustrons cette première hypothèse par unexemple très représentatif.

Brinton et Fujiki (1982) ont étudié la capacité d'enfants de 5-6 ans à répa-rer des pannes conversationnelles, c'est-à-dire à dépasser une difficulté localedans la gestion de la conversation, lorsqu'ils interagissent avec un autre enfantdu même âge. Les enfants sont placés par dyade dans une situation de jeu libreoù ils sont filmés et enregistrés. Des dyades d'enfants dysphasiques (ayant unretard de développement d'au moins un an) sont comparées à des dyadescontrôle de même âge chronologique. Les auteurs analysent les réponses dese n fants à trois actes de langage (questions fermées, questions ouve r t e s ,demandes de clarification / confirmation). Les réponses sont considéréescomme adaptées lorsqu'elles fournissent l'information demandée, quelle que soitleur forme syntaxique ; elles sont inadaptées si la réponse est sans lien avec laquestion posée ; l'absence de réponse (question ignorée) est également qualifiéed'inappropriée, en vertu de la contrainte conversationnelle qui oblige l'interlocu-teur à manifester qu'il a compris qu'on lui pose une question, même s'il ne sou-haite pas y répondre. Les résultats ont montré d'une part que les enfants dyspha-siques se posent moins de questions que les enfants sans troubles, ce qui laissesupposer que ces derniers sont davantage en interaction avec leur partenaire queles enfants dysphasiques. D'autre part, les enfants dysphasiques donnent beau-coup plus de réponses inappropriées (61 % du total des réponses), consistantsurtout en réponses sans lien avec la question (37 % du total des réponses), queles enfants contrôle (17 % du total des réponses) qui ont alors plutôt tendance àignorer la question (15 % du total des réponses).

Dans la mesure où les enfants dysphasiques obtiennent souvent des résul-tats inférieurs aux enfants sans troubles de même âge, on en déduit que les diffi-cultés linguistiques ont un effet négatif sur le développement des capacités prag-matiques. Mais comme le suggèrent McTear et Conti-Ramsden (1992), on nepeut exclure que les enfants dysphasiques soient peu actifs sur le plan pragma-tique pour éviter de faire état de leurs difficultés de compréhension et de pro-duction langagières et non à cause d'une réelle incapacité communicationnelle.

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Leur attitude serait alors plutôt une conséquence d'échecs conversationnels anté-rieurs, ceux-ci les poussant à adopter une stratégie particulière. Plusieurs auteursont parlé à ce propos d'hypothèse métapragmatique (Donahue, 1987).

De fait, si les capacités linguistiques déterminent les capacités pragma-tiques, les enfants dysphasiques doivent être comparables à des enfants, forcé-ment plus jeunes, qui présentent un niveau de langage (du point de vue de lastructure) semblable au leur (même âge linguistique). Des comparaisons intéres-santes ont été effectuées dans ce sens, dont les résultats, bien que pouvantparaître contradictoires au premier abord, montrent que les capacités linguis-tiques et les capacités pragmatiques constituent vraisemblablement deuxdomaines distincts du développement linguistique. Cette seconde hy p o t h è s epostule donc une indépendance entre les deux types de capacités. Trois ordresde faits vont dans ce sens.

D'une part, des travaux montrent que des enfants dysphasiques présententdes capacités pragmatiques inférieures à celles d'enfants normaux de même âgelinguistique (plus jeunes) d'une part et à celles d'enfants normaux de même âgechronologique d'autre part. Dans une autre étude, Brinton, Fujiki et Sonnenberg(1988) ont procédé à ce type de comparaisons dans une situation où les enfantsavaient à répondre à une succession de trois demandes de clarification. Ils ontconstaté que les deux groupes d'enfants normaux produisent très peu deréponses inappropriées, et beaucoup moins que les enfants dysphasiques. Ils enconcluent que les difficultés langagières ne peuvent expliquer à elles seules lesd i fficultés pragmatiques, puisqu'ils observent une nette différence entre desenfants qui ont un niveau de développement linguistique comparable (les dys-phasiques et leurs pairs de même niveau linguistique). Ils en viennent alors àpostuler que chez certains dysphasiques un trouble pragmatique s'ajoute autrouble linguistique. Cette interprétation « est particulièrement soutenue par desétudes ayant montré que certains enfants sont pragmatiquement déficients dansdes tâches que leur compétence syntaxique et sémantique aurait normalementdû leur permettre d'accomplir sans problème » (Hupet, 1996, p.78).

D'autre part, des troubles linguistiques n'entraînent pas automatique-ment des troubles pragmatiques. En effet, certains enfants dysphasiques mani-festent des capacités pragmatiques supérieures à celles d'enfants sans troublesde même âge linguistique. On peut alors penser que leurs capacités pragma-tiques sont en avance par rapport à leurs capacités linguistiques. Ceci a étémis en évidence par différents auteurs, dans des situations de communicationréférentielle notamment, où les enfants dysphasiques se représentent avec plusde précision que leurs pairs de même niveau linguistique les besoins de leurinterlocuteur (Fey & Leonard, 1983 ; Meline, 1986). Ils arrivent aussi mieux à

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comprendre la nécessité de clarifier leur propos (Donahue, 1987). L'interpré-tation qui est faite de tels résultats, qui contredisent parfois les données citéesplus haut, tient compte du fait que les enfants dysphasiques sont généralementplus âgés que leurs pairs sans troubles de même niveau linguistique. Ainsi, ilsauraient une expérience plus grande des interactions verbales qui les ren-draient plus performants malgré des difficultés sur les plans lexical et morpho-s y n t a x i q u e .

Enfin, le troisième ensemble d'observations fait état d'enfants qui présen-tent des troubles pragmatiques en l'absence de troubles linguistiques. L'étude decas de Blank, Gessner et Esposito (1979) ou celle de McTear (1996) sont à cetégard illustratives. Elles décrivent chacune le comportement verbal d'un enfantqui utilise le langage de façon étrange, inadaptée. Chez Blank et al., il s'agitd'une analyse de conversations entre un garçon de 3 ans et ses parents pendantdes sessions de jeu où l'enfant répond souvent de manière inadaptée aux com-mentaires et aux demandes de ses parents. S'il prend son tour de parole, sesénoncés correctement formés ne sont souvent pas en relation de dépendancesémantique avec les énoncés précédents de ses parents. McTear, pour sa part,donne l'exemple d'un garçon de 10 ans qui aime bien converser avec des adultesmais qui a des difficultés à le faire. En effet, ses interventions sont souvent inap-propriées. Par exemple, il a tendance à répondre à la signification littérale d'unequestion plutôt qu'à son intention sous-jacente (exemple : il répond « oui » à unequestion du type « Peux-tu me parler de tes programmes TV préférés ? »).D'autre part, il utilise peu l'ellipse, de sorte que dans ses réponses il répète unegrande partie de l'énoncé précédent de son interlocuteur (exemple : à une ques-tion du type « Est-ce que tu joues avec X après l'école ? », il répond « oui, jejoue avec lui après l'école »). Ce type d'exemples, qui se multiplient au coursd'une conversation, se combinent avec des répétitions de ses propres énoncés ;l'apport d'informations nouvelles, nécessaire à l'avancement du dialogue, estalors faible. En conséquence, dans ce type d'interactions, la gestion de laconversation est surtout assumée par l'interlocuteur (dans les deux exemples, lesparents et l'examinateur) qui tente de maintenir une certaine cohérence entre lestours de parole et de faire avancer le dialogue.

En conclusion à cette partie sur la perspective pragmatique, on constateque les recherches dans ce domaine confirment la possibilité de troubles prag-matiques chez des enfants d'âge préscolaire et scolaire. La question des rela-tions entre les aspects linguistiques et pragmatiques, comme nous avons tentéde l'illustrer, reste encore ouverte. Bien des données toutefois vont dans le sensd'une certaine indépendance dans le développement de ces deux ordres dec a p a c i t é s .

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◆ Perspective discursive interactionisteUne approche discursive présente à la fois des caractéristiques communes

et des spécificités par rapport à une approche pragmatique, de sorte qu'il est par-fois difficile de distinguer ces deux perspectives, et ce d'autant plus que tous lesauteurs ne sont pas unanimes dans leurs définitions de la pragmatique et du dis-cours (voir Mentis & Thompson, 1991, pour une telle discussion). Les aspectscommuns résident dans la prise en compte des conditions de production verbaleet de leurs répercussions au niveau de l'utilisation du langage. Par contre, dansune perspective discursive, l'unité d'analyse est le discours ou texte (5), c'est-à-dire un ensemble organisé d'énoncés adapté à la situation de communication.Dans toute société, il existe des variations attestées dans les discours produits,de sorte que différents genres de textes sont distingués qui font l'objet d'analysesdans le cadre de la linguistique textuelle (Adam, 1992, par exemple) ou de lapsychologie du langage interactioniste (Bronckart et coll., 1985 ; Bronckart,1996). Les plus fréquemment étudiés sont la narration et le récit d'expériencespersonnelles ; la description, le discours informatif et l'argumentation le sontbeaucoup moins. Par ailleurs, tout discours peut être produit par plusieurs locu-teurs dans un dialogue (polygestion) ou par un seul locuteur (monogestion).Cela a comme conséquence que le dialogue n'est pas considéré comme uneentité homogène, et que différents genres de dialogues sont distingués selon legenre de discours dont ils relèvent, contrairement à la perspective pragmatiquequi traite des aspects généraux et communs à la gestion de tout dialogue quelqu'il soit, comme on l'a vu précédemment.

Dans une telle perspective, on considère que les enfants ont à acquérir lesdifférents genres de discours en vigueur dans la société dans leurs modalitésorale comme écrite, de sorte que l'acquisition des capacités langagières s'effec-tue encore pendant toute la période scolaire. La majorité des travaux a concernéla production de textes monogérés oraux et surtout écrits (pour une synthèsevoir Fayol, 1997 ; Coirier, Gaonac'h & Passerault, 1996).

En ce qui concerne les troubles discursifs chez les enfants, les travaux sontencore relativement rares en comparaison des autres perspectives. Comme dansle domaine de l'acquisition, ils ont essentiellement porté sur la narration (Craig,1 9 9 1 ; Merritt & Liles, 1987) et la description d'événements quotidiens (Duchan,1991). Ils mettent en évidence les difficultés d'enfants dysphasiques, comparés àdes enfants sans troubles, à produire un discours cohérent pour l'interlocuteur.Dans le domaine de la narration, par exemple, cela se manifeste par un plus

(5) Dans une perspective discursive, le texte « t ex t e » n’est pas réservé à des productions écrites ; il renvoie à toutesproductions orales et écrites. Pour une distinction entre texte et discours, nous renvoyons à Bronckart (1996).

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grand degré d'incomplétude du discours, composé de peu d'énoncés, et présen-tant des ruptures. Par ailleurs, les relations de cohésion sont souvent incomplètes,voire erronées (Liles, 1996). Ces études permettent aussi d'objectiver le caractèredurable des troubles du développement du langage, puisque dans plusieursrecherches ce sont des enfants jusqu'à 10 ans qui présentent ces diffi c u l t é s .

Dans une perspective interactioniste, inspirée des travaux de Vygotski(1934/1985), l'appropriation des genres de discours se réalise dans le cadre d'in-teractions avec des locuteurs plus habiles, c'est-à-dire d'abord dans le dialogue.Or encore plus rares sont les travaux qui abordent le développement des capaci-tés langagières comme les troubles du point de vue de la polygestion. C'est ceque nous avons réalisé avec des collègues dans une étude (6) portant sur plu-sieurs genres de discours. Elle s'inscrit dans le cadre de la psychologie du lan-gage interactioniste qui tente de formuler des hypothèses d'une part sur le diversniveaux de capacités langagières impliquées dans la production des genres dediscours actualisés dans de multiples interactions sociales (Bronckart et coll.,1985 ; Bronckart, 1996), et d'autre part sur le développement de ces capacités(de Weck, 1991 ; Dolz, Pasquier & Bronckart, 1993 ; Schneuwly, 1988).

Des enfants de 4 à 6 ans, avec et sans TDL, ont produit quatre genres dedialogues dans quatre situations d'interaction différentes : une narration (racon-ter le conte de Blanche-Neige), un récit d'expériences personnelles dialogué, undialogue injonctif (donner des indications pour construire un bricolage) et undialogue de jeu symbolique (avec un matériel relatif à la ferme). Ces produc-tions ont été analysées en fonction des niveaux de fonctionnement définis par lapsychologie du langage; il s'agit des niveaux suivants, du plus global au pluslocal respectivement : la gestion générale du discours comprenant la relation dutexte au contexte (ou ancrage) ainsi que le caractère poly- ou monogéré (cf.supra), la planification ou organisation des diverses parties d'un discours, la tex-tualisation ou mise en mot dont les aspects les plus importants sont la cohésionet la connexion. Les comparaisons de ces genres et des deux types d'enfantsdevaient permettre d'aborder deux hypothèses générales : d'une part celle de lavariation des capacités vs des difficultés en fonction des genres, et d'autre partcelle des troubles discursifs chez les enfants dysphasiques.

De manière générale, les résultats suivants ont été observés (pour plus d'in-formations, voir de Weck, 1997a et b ; von Ins & de Weck, 1997). Les enfa n t savec TDL présentent certaines capacités langagières malgré leurs difficultés évi-dentes. Ces capacités se manifestent notamment dans l'emploi local de certainesunités linguistiques, comme par exemple les connecteurs qui, lorsqu'ils sont utili-sés par les dysphasiques, le sont de la même façon que par les enfants contrôle.Par ailleurs, il est important de relever leur capacité à participer à des dialogues,

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même s'ils n'en assurent qu'une faible part. Dans ce sens, la narration et le récitd ' expériences personnelles se sont révélés les situations les plus difficiles pour lesdysphasiques, dans la mesure où ils nécessitent l'évocation de référents absents etla création d'une origine temporelle. Par contre, leur participation aux dialoguesinjonctifs et de jeu symbolique est apparue plus aisée ; cela est à mettre en rela-tion avec le fait que ces genres de dialogues sont fortement ancrés dans la situa-tion matérielle de production, de sorte que les unités linguistiques peuvent êtred avantage utilisées de façon deictique. Ces différences montrent que ces enfa n t ssont malgré tout sensibles, comme les enfants contrôle, aux variations des condi-tions de production. Cet aspect a toute son importance sur le plan clinique.

Quant aux difficultés, les résultats obtenus permettent de préciser certainsaspects décrits par d'autres perspectives, comme la passivité des enfants dyspha-siques. D'une certaine façon, nous l'avons retrouvée dans leur difficulté à parti-ciper à certains genres de dialogue. Mais les données concernant la planificationont permis de mieux comprendre cette passiv i t é ; leur faible participationsemble en partie liée à leurs difficultés à planifier un discours, et ce d'autant plusquand il s'agit d'une organisation conventionnelle à propos d'événementsabsents, fortement structurée comme dans la narration. Par contre, dans le dia-logue injonctif, ils sont parvenus à adopter une organisation des topics relative-ment semblable à celle des enfants témoins. Cela s'explique d'une part parce queles sujets peuvent se référer à des éléments présents dans la situation de produc-tion, et d'autre part par le fait que les topics sont non hiérarchisés (les indica-tions sur le bricolage n'ont pas besoin d'être données dans un ordre particulier).Au niveau de la textualisation, enfin, des difficultés ont été observées notam-ment dans la cohésion des narrations (de Weck, 1998) ; elles peuvent égalementêtre mises en relation avec les difficultés de planification, mais également avecles troubles généralement décrits au niveau de la construction locale des énon-cés. Le fait que dans la narration les éléments à évoquer sont absents, et sontdonc d'autant plus difficiles à introduire et à réévoquer de manière non ambiguë,explique vraisemblablement que les difficultés de cohésion aient été plus impor-tantes dans ces dialogues que dans d'autres.

◆ Conclusion

Dans cet article, nous avons tenté de montrer que les perspectives prag-matique et discursive permettent d'avancer dans la compréhension des troublesdu développement du langage, en en montrant davantage encore son hétérogé-néité. Elles permettent en effet de décrire d'autres aspects fondamentaux descapacités langagières qui sont à prendre en considération si l'on souhaite amener

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les enfants présentant des TDL à développer un meilleur fonctionnement langa-gier. Plusieurs implications cliniques sont à évoquer rapidement pour terminer(voir aussi Craig, 1991).

D'une part, la prise en considération de la dimension pragmatique - etde ses éventuels troubles - doit faire prendre conscience aux cliniciens desrelations étroites qui existent entre la structure et l'utilisation de la langue. End'autres termes, la structure n'est rien sans l'utilisation. Comme le montrentcertains auteurs (Hupet, 1996 ; Montfort & Júarez Sánchez, 1997, parexemple), la dimension fonctionnelle doit être privilégiée, dans la mesure oùl'acquisition d'une structure formelle (les formes interroga t ives par exe m p l e )n'est pas suffisante ; encore faut-il que l'enfant sache s'en servir. Il est doncs o u vent nécessaire d'expliciter les conditions d'emploi des formes dans diff é-rents dialogues.

D'autre part, la mise en évidence de troubles pragmatiques remet en causela distinction entre troubles du langage et troubles de la communication, les pre-miers étant généralement conçus dans leur dimension structurale uniquement, etles seconds étant souvent mis en relation avec des troubles de la personnalité, etplus généralement des troubles affectifs plus ou moins graves. L'élargissementde la définition des TDL proposé montre bien qu'une partie des troubles dits decommunication consistent en fait en des troubles pragmatiques. Il reste alors àles distinguer des troubles graves de la personnalité (psychose, autisme) quicomprennent effectivement une grave perturbation de la communication. Sansrésoudre à ce stade cette question complexe, nous aimerions mentionner la pro-position de Bishop (1989) qui suggère, en s'appuyant sur des données cliniques,un continuum entre différentes formes de troubles qui concernent l'utilisation dulangage.

Enfin, la perspective discursive met en évidence que tous les dialogues neprésentent pas le même degré de facilité vs difficulté pour les enfants, de sorteque l'analyse doit tenir compte de cette donnée en analysant la participation d'unenfant à différents genres de dialogues et non pas seulement dans un échantillonde langage dit « spontané » (de Weck, 1996). Dans cette perspective, différentsniveaux de fonctionnement sont définis qui constituent autant d'aspects descapacités langagières à évaluer et à développer chez les enfants afin qu'ils par-viennent à des productions discursives adaptées.

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Premiers pas dans l’acquisition du lexique

Dominique Bassano

R é s u m é

Cet article présente une synthèse de travaux internationaux portant sur le développement dulexique (ou vocabulaire) chez l'enfant avant trois ans. Après avoir indiqué les principalesméthodes d'investigation utilisées dans l'étude du « développement lexical précoce », nousexaminons quelques-unes des questions centrales qui y sont traitées : caractérisation del'accroissement quantitatif du lexique et décalage entre compréhension et production,caractérisation des changements qualitatifs et structuration du lexique, évaluation de lavariabilité interindividuelle affectant ces processus. Ces analyses devraient apporter des élé-ments de réflexion sur la normalité/anormalité dans le développement lexical précoce et surles facteurs de ce développement.

Mots clés : langage oral, lexique précoce, développement, variabilité.

First steps in lexicon development

AbstractThis article provides an overview of the international literature on lexical development (i.e.vocabulary) in children before the age of three. After presenting the major assessmentmethods used in the study of early lexical development, we examined some of the centralissues which they address: quantitative lexical expansion and the discrepancy betweenword comprehension and word production; qualitative developmental changes in lexicalstructure and an evaluation of the impact of between-subject variability on these processes.These analyses should contribute to a better understanding of normality/abnormality and thefactors involved in early lexical development.

Key Wo r d s : spoken language, early lexicon, development, variability

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Vers l'âge de 4 ou 5 ans, un enfant qui se trouve dans des conditions nor-males de développement a acquis l'essentiel du système linguistique desa langue maternelle, sans que cela signifie, bien entendu, que le déve-

loppement du langage soit achevé : il maîtrise les principaux aspects de la pho-nologie, connaît le sens et les conditions d'emploi de très nombreux mots et uti-lise correctement la plupart des règles morphologiques et syntaxiques de basede sa langue. Parmi les processus qui participent à l'élaboration du système lin-guistique, l'acquisition du stock des mots de la langue - le lexique - est l'un desplus fondamentaux et originaires. Bien que l'acquisition du lexique s'étende surde nombreuses années, les trois premières années de vie de l'enfant représententla période cruciale de sa constitution. Nous présentons dans cet article quelquesphénomènes qui caractérisent le développement lexical à ses premières étapes -ce qu'on appelle souvent « le développement lexical précoce » -, domaine qui afait l'objet d'un assez grand nombre de recherches outre-Atlantique mais auquelon commence tout juste à s'intéresser en France.

◆ Les méthodes d'investigation du développement lexical précoce

Les recherches récentes mettent en œuvre deux principaux types deméthodes, à nos yeux complémentaires. L'une est une méthode de recueil desrapports des parents, dont une forme aboutie est, pour l'anglais, le document misau point par des chercheurs américains, le MacArthur Communicative Develop-ment Inv e n t o r i e s, dit CDI (Fenson, Dale, Reznick, Thal, Bates, Hartung,Pethick, & Reilly 1993). Le CDI se présente comme un questionnaire standard,comportant par exemple des listes pré-établies de mots dans lesquelles lesparents cochent ceux qu'ils jugent compris et/ou produits par leur enfant. Cetteméthode a les avantages et les inconvénients d'un questionnaire : elle permet detester de très larges échantillons de sujets et constitue donc un bon instrumentnormatif, mais a des limites évidentes au plan de la fiabilité (elle tend globale-

Dominique BASSANODirecteur de Recherche au CNRSLaboratoire Cognition et DéveloppementCNRS - Université Paris VInstitut de Psychologie, LaboratoireCognition et Développement28, rue Serpente, 75006, Parise-mail:[email protected]

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ment à surestimer les capacités langagières des enfants), de la complétude et dela finesse des données. L'indice quantitatif global auquel elle donne accès pourmesurer le développement lexical est celui de la taille du « lexique théorique »de l'enfant, soit le nombre de mots jugés possédés à un âge donné. Elle donneaussi accès à des informations quantitatives sur les différents types de mots pos-sédés, ceux du moins qui ont été mentionnés dans la liste. Le CDI - dans sa ver-sion anglaise ou dans des versions adaptées à d'autres langues - a été utilisénotamment par Bates et ses collègues pour étudier le développement du vocabu-laire chez des enfants anglophones, mais aussi italophones et hispanophones.

L'autre méthode - à la base de nombreuses recherches et qui est celle quenous avons nous-mêmes utilisée jusqu'à présent - est l'étude de la productionnaturelle, qui repose sur l'enregistrement en vidéo et la transcription intégrale etinformatisée de sessions durant lesquelles l'enfant est en interaction avec sonentourage et donc en situation « naturelle » de production (cf. MacWhinney,1995 pour une standardisation de ces procédures). Cette méthode consiste doncà constituer des corpus, soit longitudinaux - on suit un même enfant au coursd'une longue période de temps -, soit transversaux - on étudie un certain nombred'enfants à certains moments privilégiés du développement. Elle a évidemmentl'inconvénient d'être coûteuse et limitée à la production, mais présente de grandsavantages quant à la richesse des informations recueillies. Les indices quantita-tifs globaux de mesure du développement lexical auxquels elle donne accès sontdes indices de productivité lexicale, de diversité lexicale, de longueur des énon-cés produits par l'enfant à un âge donné. Les informations qualitatives sont mul-tiples, puisqu'on peut voir, non seulement de quelle nature sont les mots réelle-ment produits, mais aussi sous quelle forme et dans quel contexte ils sontproduits.

◆ Le développement quantitatif du lexique :accroissement et décalage entre compréhension et production

Le vocabulaire de l'enfant à la fin de la troisième année est, certes, d'uneétendue encore fort modeste par rapport aux dix mille mots de l'enfant de sixans et aux cinquante mille mots ou plus de l'adulte moyen. Mais il est le résultatd'un processus d'accroissement remarquable, que nous décrirons brièvement enmettant l'accent sur un phénomène connu et bien étayé, le décalage entre com-préhension et production. Ce décalage entre les deux modalités, qui traversedivers secteurs du développement langagier, est particulièrement manifeste dansle lexique : la production de mots, versant le plus visible de la capacité langa-gière, est en retard sur la compréhension. En effet, on admet généralement que

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l ' e n fant donne des signes de compréhension des mots - avec ce que celaimplique de capacité de représentation - vers 8-10 mois, lorsque il commence àrépondre à des demandes, alors que la production ne débute généralement pasavant 11-13 mois, avec l'émission des premiers mots conventionnels. Le déca-lage entre les capacités de compréhension et de production de mots se maintientassez longtemps, si l'on en croit les travaux qui ont étudié conjointement lesdeux modalités (Barrett 1995 ; Bates, Dale, & Thal 1995 ; Benedict 1979 ; Fen-son, Dale, Reznick, Bates, Thal, & Pethick 1994). Ainsi, l'étude normative quiévalue la taille du vocabulaire d'un échantillon de plus de 1800 enfants anglo-phones américains échelonnés en âge entre huit et trente mois et testés aumoyen du CDI (Fenson et al. 1994 ; Bates et al. 1995) indique que, à 16 mois,les petits américains comprennent en moyenne près de deux cents mots, et enproduisent en moyenne une soixantaine. Au-delà de cet âge, il devient difficiled'évaluer l'ampleur du vocabulaire de compréhension. Pour le vocabulaire deproduction, la même étude fait état d'une maîtrise de plus de 300 mots enmoyenne à 24 mois, et de plus de 500 à 30 mois. Généralement, l'accroissementdu lexique de production ne s'effectue pas de façon régulière. Des études longi-tudinales ont montré que le stock du vo c a bulaire de production augmented'abord très lentement, pour connaître souvent aux environs de 18-20 mois unebrusque accélération de son rythme d'augmentation. Ce phénomène, désignésous le nom « d'explosion du vocabulaire » semble être la manifestation d'unsaut qualitatif où l'enfant découvre que toute chose a un nom (Clark, 1993 ;Goldfield & Reznick, 1990), et montre que le développement ne se fait pas tou-jours de façon linéaire.

Si le décalage - parfois considéré comme une « dissociation » - entrecompréhension et production dans le lexique précoce est bien attesté, le phéno-mène reste cependant difficile à expliquer. Sans aller jusqu'à supposer l'exis-tence de deux lexiques constitués de représentations séparées, l'un de compré-hension et l'autre de production, on peut faire l'hypothèse que les voies d'accès àces deux registres sont distinctes. La compréhension lexicale, qui reflète ce quel'enfant sait sur le langage, et la production lexicale, qui reflète ce qu'il fait dulangage, seraient ainsi des processus de nature différente, impliquant des méca-nismes cognitifs en partie distincts et sans doute médiatisés par des systèmesneuronaux eux-mêmes en partie distincts. La compréhension lexicale précocesemble d'ailleurs plus étroitement corrélée à d'autres activités cognitives et sym-boliques générales et à la production gestuelle qu'elle ne l'est à la production desmots (Bates et al. 1995). En somme, la compréhension lexicale précoce assistéepar les indices contextuels et pragmatiques habituels, relèverait d'une activitémentale globale impliquant probablement les deux hémisphères cérébraux, alors

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que la production lexicale précoce serait une activité plus analytique et linguis-tique, impliquant plus strictement l'hémisphère gauche, celui du langage.

◆ Le développement qualitatif du lexique : structuration autour desclasses de mots

La question s'est évidemment posée de déterminer la nature des mots queles jeunes enfants produisent et de définir s'il existe des tendances fondamen-tales caractérisant le développement qualitatif du lexique. Un résultat à notreavis central se dégageant des recherches sur la production lexicale est que c'estfondamentalement au cours de la 3e année que s'opère la structuration dulexique. Ce phénomène de structuration est manifeste si l'on examine les chan-gements opérés dans la composition du vocabulaire produit par les enfantsdurant les premières années. Ainsi, l'étude à grande échelle réalisée par Bates etses collègues sur la base des données du CDI (Bates, Marchman, Thal, Fenson,Dale, Reznick, Reilly, & Hartung 1994) montre que le lexique des enfantsanglophones américains, quand ceux-ci possèdent une centaine de mots (autourde18-20 mois), est principalement constitué de noms (près de 60 %), en particu-lier de noms d'objets, et que la proportion de noms diminue ensuite. La produc-tion de verbes et d'adjectifs (les prédicats) est minime au même âge, mais aug-mente progressivement, tandis que la production de mots grammaticaux,presque inexistante pendant longtemps, ne devient notable (15 %) qu'après2 ans, lorsque le vocabulaire a atteint le seuil de 400 mots. Cette évolution a étédécrite comme un processus de recomposition du vocabulaire en trois vaguessuccessives, reflétant un déplacement de l'émergence des éléments référentiels -les noms - vers celle des éléments prédicatifs - les verbes -, et enfin vers celledes éléments grammaticaux. Des études menées, en parallèle avec celle sur l'an-glais et avec des versions adaptées du CDI, sur le développement lexical pré-coce des enfants hispanophones mexicains d'une part (Jackson-Maldonado,Thal, Marchman, Bates & Gutierrez-Clellen, 1993) et italophones d'autre part(Caselli, Bates, Casadio, Fenson, Fenson, Sanderl, & Weir, 1995), ont fait appa-raître des tendances générales de développement analogues, avec en particulierune prédominance initiale des noms sur les verbes et la confirmation d'une évo-lution du lexique allant de la référence vers la prédication, puis vers la gram-maire.

Les recherches que nous menons sur le développement du lexique desenfants français et qui sont fondées, quant à elles, sur l'étude de la productionnaturelle (Bassano, 1998; 1999 ; Bassano, Maillochon, & Eme 1998) font aussiapparaître des évolutions allant globalement dans ce sens. Les mots qui consti-

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tuent le lexique des productions des enfants français à 20 mois sont en majoritédes noms (pour près d'un tiers) et des éléments linguistiques élémentaires,comme les interjections ou les formules routinières (pour un tiers), bien qu'ontrouve déjà des mots grammaticaux et des verbes et adjectifs en quantité nonnégligeable. En revanche, à 30 mois, ce sont les mots grammaticaux - tels quepronoms, articles, adjectifs possessifs, etc.- qui prédominent dans le lexique(pour plus de 35 %), suivis par les prédicats. Ces changements font ainsi appa-raître que, vers 2 ans 1/2, la structuration du lexique s'est effectuée, et qu'elles'est effectuée autour du développement de deux catégories d'éléments, les élé-ments prédicatifs - les verbes essentiellement - d'une part, et les éléments gram-maticaux d'autre part. On ne saurait donc trop insister sur le contraste considé-rable qui oppose le langage entre 20 et 30 mois, et sur le fait que cette périoded'âge est la période clef qui voit se réaliser la structuration du potentiel lexical,et, de ce fait, la structuration de la langue elle-même.

Cependant, si de nettes régularités de développement semblent se déga g e rde l'ensemble de ces recherches portant sur plusieurs langues indo-européennes,certaines différences notables apparaissent aussi, qui suggèrent que les propriétésstructurelles de la langue que l'enfant apprend, et sans doute les habitudes cultu-relles des locuteurs, peuvent avoir des incidences sur le développement dul exique. En effet, la comparaison de nos résultats avec ceux de l'anglais indiquepar exemple qu'au début du langage la proportion de noms est moins élevée et laproportion de verbes plus élevée chez les enfants français que chez les enfa n t sanglophones américains (Bassano 1998 ; cf. aussi Boysson-Bardies 1996). Defaçon plus frappante encore, le développement des mots grammaticaux chez lese n fants français connaît un essor remarquable, sans commune mesure avec celuiétabli pour l'acquisition de l'anglais, reflétant la richesse et la fréquence d'usagede l'éventail des mots grammaticaux en français. Par ailleurs, le débat sur le rôlede l'input linguistique dans le développement des classes de mots s'est dernière-ment beaucoup enrichi grâce à des études de production naturelle portant sur l'ac-quisition de langues comme le coréen, le japonais ou le chinois, structurellementtrès différentes de l'anglais, et qui remettent en question l'idée d'une unive r s e l l eprédominance initiale des noms sur les verbes (cf. Gopnick & Choi 1995).

◆ Les différences individuelles dans le développement du lexique

Le constat de ce qu'on appelle la « variabilité interindividuelle » conduitaussi à nuancer la vision par trop universaliste du développement lexical. Ondésigne sous ce terme le fait que, de façon normale, il existe entre un enfant etun autre, apprenant la même langue, de manifestes différences dans le processus

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d'acquisition. La variabilité interindividuelle est observable dans dive r sdomaines du développement langagier, mais c'est dans le lexique qu'elle a été leplus anciennement et le plus précisément mise en évidence. Elle concerned'abord le rythme d'acquisition, se manifestant dans l'ampleur des variations quiaffectent le nombre de mots compris ou produits par différents enfants à unmême âge. Les résultats de l'étude normative du CDI (Bates et al. 1995 ; Fensonet al. 1994) font apparaître qu'il existe de considérables variations dans lapériode d'âge considérée. Ils indiquent par exemple que, à 16 mois, les 10 % lesplus avancés des enfants comprendraient près de 300 mots, et les 10 % lesmoins avancés nettement moins de 100 mots. La variabilité dans le vocabulairede production devient importante à partir de 13 mois, de sorte qu'à 24 mois les10 % les plus avancés de l'échantillon produisent plus de 500 mots et les 10 %les moins avancés moins de 100 mots.

Des différences apparaissent aussi dans ce qu'on a appelé le style de l'ac-quisition, la variabilité « stylistique » se manifestant dans la manière dont lesenfants entrent dans le langage et dont s'effectue le développement de leurlexique. Il y a longtemps que des études anglo-saxonnes (Bates, Bretherton, &Snyder 1988 ; Bloom, Lightbown, & Hood 1975 ; Nelson, 1973 ; 1981) ont sou-ligné qu'à côté des enfants de type « référentiel », dont le vocabulaire initial estconstitué par une très grande majorité de noms, il existe aussi des enfants dits« expressifs », dont le lexique, plus varié, comporte une moindre part de nomset plus de prédicats, de formules ou de déictiques. Plus récemment, on a tenté demesurer la variabilité précoce et d'analyser son évolution (Bates et al., 1994 ;Bassano et al., 1998). Il se dégage que les différences entre enfants dans la com-position du lexique sont importantes au début du développement lexical, avant2 ans, mais qu'entre 2 et 3 ans ces différences « stylistiques » s'atténuent, enmême temps que s'opère la nécessaire structuration du lexique. Cela ne signifiepas pour autant que les différences de style disparaissent chez les enfants de3 ans, mais plutôt qu'elles vont se manifester dans un autre domaine du dévelop-pement langagier.

L'analyse des différences individuelles, tout particulièrement telle qu'ellea pu être menée dans l'étude à grande échelle du CDI (Bates et al. 1995 ; Fensonet al. 1994), présente de multiples intérêts. Au plan de la recherche, elle setrouve au cœur de l'investigation des facteurs du développement. Ainsi, l'am-pleur considérable de la variation observée dans le rythme d'acquisition dulexique précoce défie l'idée d'un bioprogramme universel, mais en même tempsles facteurs environnementaux classiques, de leur côté, ne se révèlent respon-sables que d'une modeste part de la variance. Les variables démographiques tra-ditionnelles telles que le sexe, la classe sociale et l'ordre de naissance n'ont que

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de relativement faibles effets. Parmi ces variables, le sexe (combinaison de fac-teurs biologiques et culturels) est celle qui produit les effets les plus consistants,à l'avantage des filles, plus précoces dans les habiletés langagières. En revanche,l'effet de la classe sociale se révèle extrêmement faible et même souvent nonsignificatif dans cette tranche d'âge, ce qui n'exclut pas qu'il soit plus importantdans la suite du développement.

Au plan clinique, d'autre part, l'analyse des différences individuelles per-met de définir les frontières entre développement normal et anormal et fournitainsi des instruments pour une détection précoce des troubles du langage. L'am-pleur de la variation constatée dans le développement normal invite à relativisercertaines des inquiétudes des parents qui trouvent peut-être que leur enfant neparle pas assez ou assez tôt.

◆ Remarques sur les retards de production et compréhensionlexicales

Dans le prolongement de ce qui précède, nous ferons quelques remarquessur les retards de langage observés chez les très jeunes enfants dans le cadre deces études. Ce n'est que récemment que certains chercheurs ont fait porter leurattention sur les enfants appelés « parleurs tardifs » (« late talke rs »), qui présen-tent des retards dans l'émergence et le développement du langage expressif. Mal-gré quelques dive rgences, la majorité des études fait état d'une persistance duretard qui se maintient un à deux ans au moins après sa détection pour une bonnepartie de ces enfants (autour de la moitié), tandis que pour l'autre partie, les per-formances langagières rejoignent le niveau moyen (Rescorla & Schwartz 1990 ;Thal, Tobias & Morrison 1991). Dans l'étude de Bates et al. (1995) fondée sur leCDI, les « late talke rs » sont définis comme les enfants situés dans les 10% infé-rieurs de l'échantillon au regard du nombre de mots produits. Parmi ces enfa n t s ,ceux qui avaient aussi un retard de compréhension lors de l'évaluation initiale ontcontinué à présenter un an plus tard des retards de production (vo c a bulaire etMLU), tandis que ceux qui avaient un niveau de compréhension normal ont pré-senté un niveau de production normal un an plus tard. Les enfants en retard pourla production et dans la norme pour la compréhension représenteraient ainsi sim-plement des cas extrêmes de dissociation entre compréhension et production.L'enseignement à tirer de ces observations est que le développement du vo c a bu-laire au plan de la production, versant le plus visible et le plus aisément acces-sible, n'est pas forcément l'indicateur le plus pertinent pour juger et prédire led é veloppement d'un enfant, et qu'il faut être encore plus attentif aux difficultés decompréhension des très jeunes enfants qu'à leurs difficultés de production.

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◆ ConclusionPour conclure, nous évoquerons une question centrale mais sur laquelle

on manque encore de réponses, celle des facteurs du développement lexical pré-coce. La plupart des chercheurs travaillent avec l'idée que le développement lan-gagier est le résultat des interactions entre facteurs maturationnels, sous contrôlegénétique, et facteurs environnementaux, où l'apprentissage, l'expérience, la sti-mulation par l'entourage jouent un grand rôle. Les progrès récents des neuros-ciences commencent à apporter des éléments sur les facteurs biologiques, sug-gérant par exemple, comme on l'a vu, que des systèmes neuronaux partiellementdistincts pourraient être à la base de la compréhension et de la production lexi-cales, ou du traitement des noms et de celui des verbes, mais beaucoup derecherches restent encore à mener. Il reste beaucoup à faire aussi pour préciserles mécanismes cognitifs sous-jacents au développement lexical, déterminer lerôle de certains facteurs environnementaux, comme l'input parental, et détermi-ner les implications que les performances lexicales précoces pourraient avoir surle développement langagier ultérieur.

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Et si l’humour c’était sérieux ?

Marion Fossard

R é s u m éL'étude rapportée ici montre que la compréhension d'incongruité humoristique à partir d'unmatériel imagé n'est pas chose facile pour des enfants ayant un retard de langage. Au tra-vers de leurs verbalisations, ces enfants nous livrent quelques clés sur les raisons de leurincompréhension, sur les difficultés qu'ils ont à se situer sur le plan de la fantaisie d'hu-mour.

Finalement, utiliser « l'outil-humour » dans une perspective d'évaluation des troubles - voirede rééducation - pourrait s'avérer riche de promesses.Mots clés : enfant, retard de langage, compréhension, dessin humoristique.

What if humor were serious business?

AbstractThe present study shows that the understanding of humor incongruity arising from a picto-rial document does not come easily for children with delayed language skills. These chil-dren's verbalizations give us clues as to the reasons for their lack of understanding and theirdifficulty grasping concepts of imaginary humor. In conclusion, the use of humor as a« tool » to assess language deficiencies, or even for remediation purposes, could be quitepromising.

Key Wo r d s : children, language delay, comprehension, humorous picture.

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L 'intérêt porté au phénomène humoristique dans une disciplinecomme l'orthophonie semble - au volume des travaux qui y sontconsacrés - assez peu important. Pourtant, on a peine à croire qu'il

s'agisse d'un réel désintérêt. Disons plutôt que l'humour est frappé d'unecertaine réserve.

A cela, rien d'étonnant, car à parcourir les auteurs qui s'y sont intéressés,l'exercice s'avère ardu tant le concept d'humour est difficile à saisir... et à définir:

S'agit-il de « gaieté qui se dissimule sous un air sérieux, et qui est pleined'ironie, d'imprévu » comme le suggère le Larousse ?

Ou plutôt de « sérieux qui se dissimulerait sous un air de gaieté, d'ironie,d'imprévu » comme le souligne Jean Bergeret (1973) ?

Pas si évident, en effet ! Et cette simple permutation de termes montretoute l'ambiguïté à circonscrire le concept d'humour, toute sa complexité aussi,qui fait que si on apprécie le phénomène, on se trouve vite confronté à des diffi-cultés dès qu'on veut l'analyser.

Mais, s'il est vrai que pour étudier l'humour, point ne faut s'arrêter au plai-sir immédiat qu'il dispense, ce petit renoncement pourrait trouver sa récompensedans les horizons qu'une telle étude pourrait offrir sur les ressorts et les subtili-tés du fonctionnement cognitif, langagier, voire affectif de l'enfant, et notam-ment de l'enfant ayant un retard de langage.

◆ Vers une définition de l'humourSi l'objet a bien un nom - celui d'humour -, définir précisément le

concept qui s'y rattache n'est pas chose aisée. Aussi, faute de pouvoir embras-ser la globalité du phénomène, il faut se résoudre à l'attaquer selon un point devue, forcément décisoire. L'angle d'attaque ici retenu, est celui de l'incon-g r u i t é .

Marion FOSSARD OrthophonisteMaison de la rechercheUniversité Toulouse- le MirailLaboratoire Jacques Lordat5, allées Antonio Machado31058 Toulouse Cedex.e-mail : [email protected]

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La notion d'incongruité renvoie à l'idée de désaccord, de contradiction.L'incongruité signifie donc la présence quasi-simultanée d'éléments jugésincompatibles ou contradictoires. Jugés, en effet, car l'incongruité n'est pas unenotion objective (l'incongru en soi n'existe pas) et en désignant « le non- res-pect des rapports habituels entre les choses » (Bariaud, 1983), elle renvoie à unmode de pensée, à un fonctionnement cognitif du sujet qui soudain va êtrepiégé.

Déroutante par définition, l'incongruité ne peut toutefois se définir quepar rapport à une norme, un « attendu par tous » ; et c'est en s'opposant à cefa m i l i e r, à cet « a t t e n d u », qu'elle dévoile un nouveau champ de« p o s s i b l e s », lequel n'a d'existence qu'au plan de la fantaisie, de l'imagi-n a i r e .

Combinant effet de surprise et conflit de cognition, brouillant les proces-sus inférentiels que le sujet vient à peine de mettre en œuvre, l'humour se loge-rait là : dans l'interstice laissé par des attentes suscitées qui non seulement nesont pas confirmées, mais qui de plus, se trouvent contrariées... avec au bout duchemin, la délivrance d'un sens. Car, cette « coïncidence » fait sens, elle n'estpas due au hasard, elle signifie autre chose.

L'humour supposerait donc la conscience d'une incongruité, c'est-à-dired'une discordance par rapport aux normes - admises par tous - du réel.

Il faut donc que l'enfant organise progressivement le réel dans ses sché-mas mentaux, et c'est seulement lorsqu'il dispose de schémas bien établis qu'ilpeut percevoir la divergence, l'incompatibilité, c'est-à-dire apprécier les événe-ments incongrus (et non pas seulement nouveaux ou inattendus). La perceptiondes incongruités est ainsi tributaire des acquisitions cognitives, elle est à conce-voir du point de vue du sujet, mais elle prend aussi valeur en fonction ducontexte et de la situation.

◆ Comprendre l'humour : une affaire de maîtrise

La maîtrise cognitive

L'humour - et la compréhension de l'humour - est une expérience cogni-tive, en ce sens qu'il nécessite des connaissances, des concepts, une certainemaîtrise du réel.

En effet, l'incongru n'existe pas en soi. Il n'existe que par rapport à unattendu qui s'est constitué lors des expériences antérieures : ce qui un jour étaitnouveau (on n'avait pas d'attentes particulières), peut plus tard paraître incongrulorsque se sont constituées les représentations de l'événement dans son allurehabituelle, normale. Les progrès du développement cognitif, s'ils font décroître

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au fur et à mesure de l'intégration les occasions de rencontre du nouveau, aug-mentent en revanche celles de reconnaissance de l'incongru car les référentielssont de plus en plus nombreux par rapport auxquels peut s'exprimer la diver-gence.

Ces acquis, qui se stratifieront tout au long de l'enfance et de l'adoles-cence, constituent la base indispensable de l'humour. Parmi ces acquis, ces sché-mas cognitifs (sur lesquels porteront les distorsions qui les définissent), il y aceux qui sont de l'ordre des connaissances spécifiques : représentation de l'envi-ronnement dans ses apparences concrètes et ses fonctionnements, normessociales... ; et ceux qui sont structuration même de la pensée : représentationssymboliques, formation de concepts, opérations logiques, règles linguistiques(Bariaud, 1983).

Mais ces acquis, s'ils sont certes indispensables pour percevoir l'incon-gruité, ne suffisent pas pour en rire. Il faut non seulement la percevo i r, mais lad o m i n e r, la comprendre, l'intégrer... lui donner sens. Et l'enfant saisissant l'in-congruité mais aussi ce qui la justifie, pourrait ne pas toujours s'en amuser.C a r, si comprendre est au fondement de tout, il faut aussi adhérer aff e c t ive-ment au sens que l'on saisit. C'est pourquoi si le « processus de résolution »paraît fondamental dans la réaction d'humour, il ne l'est pas tant comme réus-site (découverte d'un sens), que comme délivrance d'un certain sens qui pourinduire l'amusement doit s'accorder aux valeurs du sujet (ni neutres, ni char-gées d'angoisse).

La maîtrise affective

Parmi les représentations intégrées par l'enfant, certaines sont fortementinvesties de valeur affective : par exemple, le concept de sa propre identitésexuelle. Ainsi, apprécier l'humour - ou le pratiquer soi-même - sur pareillesthématiques, exige de l'enfant qu'il ait constitué un concept stable et solide de sapropre identité sexuelle ; que la maîtrise donc, soit à la fois cognitive (conceptétabli) et émotionnelle (trouble surmonté) sinon, l'enfant n'aura pas ce degréd'autonomie que nécessite l'humour.

Ce dernier point semble important à prendre en compte : « le rire n'a pasde plus grand ennemi que l'émotion » disait Bergson (1900), et le degré d'impli-cation de soi doit être réduit. Ainsi, selon la maîtrise affective que possède l'en-fant, telle situation incongrue - dont l'intention est bien de faire rire, commec'est le cas des dessins humoristiques - pourrait être ressentie très négativement(l'enfant se met à la place du personnage, s'identifie à lui) ou au contrairecomme comique (l'enfant prend d'emblée ses distances, il rit même de ne pasressembler au personnage).

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La maîtrise langagière

Dire ce qui est drôle dans un dessin humoristique, expliquer ce que l'on aretenu d'amusant, n'est pas toujours chose facile pour un enfant, qui plus est ave cun retard de langage. Un des enjeux du dessin humoristique, est que, donnésfrontalement sur l'image, les signes sont reçus dans le « d é s o r d r e », sans véritablecontinuum discursif. Il incombe donc à chacun de réordonner, de « n a r r a t iv i s e r »tous ces signes pour retrouver l'intention de l'auteur et rendre le comique eff e c t i f .

Or, en demandant à l'enfant de verbaliser ce qu'il a saisi du dessin, en ins-taurant un échange, une situation de dialogue, il nous est permis de dégager,dans sa dynamique, la démarche de l'enfant : en quelque sorte, les stratégiesqu'il met en œuvre. Et sous l'apparence (maîtrisée ou non) du discours de l'en-fant, peut être mise en évidence la démarche cognitive (tâtonnante ou non) utili-sée. En somme, portée par le langage, apparaît une certaine logique du discours.

Ainsi, au travers de ses verbalisations, l'enfant dévoile un peu de sadémarche, nous permettant de mieux appréhender d'une part, les ressorts néces-saires pour comprendre une incongruité humoristique, mais aussi quelles sontles entraves - dont on verra qu'elles peuvent être de nature différente - à la com-préhension.

Présentation de l'étude entreprise

L'objectif de cette étude est d'évaluer comment l'enfant ayant un retard delangage appréhende l'incongruité d'humour.

Plus spécifiquement : est-ce qu'un enfant qui a un retard de langage,éprouve davantage de difficultés à saisir, ou du moins à exprimer une incon-gruité d'humour sur un dessin humoristique qu'un enfant sans trouble dulangage ?

Deux groupes d'enfants, âgés de 9 à 10 ans, ont participé à l'expérience : - un groupe « témoin » composé d'enfants scolarisés en CM1, sans pro-

blème de langage ; - et un groupe « test », composé d'enfants suivis en rééducation ortho-

phonique pour retard de langage.Le matériel est composé de dessins humoristiques présentant des événe-

ments, objets ou situations incongrues à déceler. Ces dessins, tous choisis dansle dispositif d'expérience mis en œuvre par F. Bariaud (1983), sont sans légendeet ont l'avantage de ne pas faire intervenir de décodage verbal dans la compré-hension de l'incongruité. Il y a 11 dessins en tout, dont un qui ne présente pasd'incongruité humoristique (dessin « neutre »).

Exemple de dessins retenus : (voir annexe : dessin du « taureau », dessindu « ski », dessin du « cheval »).

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- Les résultats

Dans le cadre de cet article, nous ne présentons que quelques résultatsparmi les principaux obtenus.

Compréhension et appréciation de l'incongruité humoristique

- > Compréhension de l'incongruité (réussie ou échouée) pour les deuxpopulations (% calculés sur l'ensemble des réactions obtenues)

Le dessin du « Ski » : Chas ADDAMS, The New Yorker Magazine, Inc., 1940, 1968.Le dessin du « Taureau » : ALDEBERT, The New Yorker Magazine, Inc., 1940, 1968.Le dessin du « Cheval » : BARBE, Les chefs-d'œuvre du dessin d'humour. Anthologie Pla-nète, 1968.

Dessin du “Taureau” Dessin du “Ski”

Dessin du “Cheval”

compréhension réussie compréhension échouéeGroupe témoin 73,3 % 28,7 %Groupe test 48,7 % 51,3 %

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Au vu de ce tableau, on s'aperçoit que le groupe témoin (sans trouble dulangage) saisit très largement l'incongruité humoristique contenue dans les des-sins (73,3 %) ; alors qu'au sein du groupe test (avec trouble du langage), lamajorité des enfants a échoué à la saisie de l'incongruité (51,3 % de compréhen-sion échouée).

Pourtant, pour les enfants du groupe test, une compréhension échouéen'indique pas forcément une appréciation négative du dessin, au contraire :

* Rapport compréhension / appréciation pour les deux populations(% calculés sur l'ensemble des réactions obtenues)

COMPRÉHENSION + COMPRÉHENSION –appréciation + appréciation – appréciation + appréciation –

Groupe témoinGroupe test

61,3 % 12,6 % 10,6 % 16,6 %38,6 % 10,6 % 26,6 % 24,6 %

D'après ce tableau, on observe d'une part, que si la réaction dite d'humour(compréhension réussie associée à une appréciation de drôlerie) est la réactionla plus souvent produite par les deux groupes, elle l'est toutefois dans des rap-ports différents ; et d'autre part, que la modalité correspondant à une compré-hension échouée associée à une appréciation positive (de drôlerie) est produitepresque trois fois plus souvent par le groupe test que par le groupe témoin.

Le test statistique de Mantel et Haenszel, qui a été effectué pour comparerles réactions des deux groupes d'enfants concernant la saisie de l'incongruitéhumoristique, a donné un odds ratio ajusté (qui peut être compris comme le rap-port des chances de reconnaître les traits d'humour entre les deux groupes d'en-fants) égal à 3,6 - pour un intervalle de confiance à 95%- .

Ceci signifie qu'il existe presque quatre fois plus de chances de saisir l'in-congruité humoristique d'un dessin lorsqu'on est un enfant du groupe témoinque quand on est un enfant issu du groupe test.

Les résultats obtenus montrent donc que les enfants présentant des diffi-cultés langagières ont plus de mal que les autres à saisir l'humour du dessin, oudu moins à l'exprimer.

Ne rit pas qui veut, donc... et notamment les enfants en difficultés avec lelangage.

Pour autant, il ne faudrait pas en conclure qu'ils ont moins d'humour queles autres, loin de là. Mais dans la tâche qui leur était proposée : saisir uneincongruité humoristique sur un dessin, et lui donner sens, ils ont plus souventéchoué que les autres, et ce pour des raisons que nous allons analyser mainte-nant.

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◆ Analyse et commentaires

C'est tout un art, l'art de penser autrement que d'habitude ! De partir enquête de l'incongru, de rompre avec les normes. C'est pourquoi, avant d'analyserles difficultés rencontrées par les enfants du groupe test, il paraît utile de préci-ser les facteurs intervenant dans la réaction d'humour, tels qu'ils sont ressortisd'une analyse de contenus des réponses associant une compréhension réussie etune appréciation positive.

La réaction d'humour

Définie par les deux composantes : compréhension réussie / appréciationpositive, la réaction d'humour implique plus précisément :

- de saisir l'incongruité humoristique sur un plan de fantaisie,- d'adhérer au sens sous-jacent qu'on lui attribue.Et comme on a pu le constater à la lecture des tableaux ci-dessus, dès

lors que la compréhension est réussie, elle est très fortement corrélée à uneappréciation positive pour les deux groupes. Autrement dit, quand ils ontcompris, les enfants du groupe test apprécient l'incongruité humoristiquedans des proportions quasi équivalentes à celles du groupe témoin, ce quisemble indiquer que la différence d'apparition des réactions d'humour entreles deux groupes est, en grande part, liée à un défaut de compréhension del ' i n c o n g r u i t é .

Comprendre est au fondement de tout et, dans la compréhension de l'in-congruité, la question de l'appréciation de celle-ci sur le plan particulier duludique, de la fantaisie, est fondamentale.

La réaction d'humour demanderait ainsi une acceptation de l'humour surun plan de fantaisie, ce qui se traduit par le maintien du percept incongru et parl'amusement qu'il provoque.

Voici quelques exemples de réaction d'humour relevées :Pour le dessin du taureau :- Hélène (9 ans 10 mois) - groupe témoin - : « Ce qui est drôle, c'est qu'il

monte à l'arbre, et il est en train de dire : va voir celle-là, c'est plusintéressant ! »

- Nazih (9 ans 2 mois) - groupe test - : « C'est rigolo. C'est que le taureau,il veut combattre celui-là. Celui-là, il dit : va chez elle ! »

Pour le dessin du ski :- Bertrand (9ans 4 mois) - groupe témoin - : « Ben, ce qu'il y a de bien,

c'est que... euh, y'a un monsieur qui passe, euh... en ski, et y'a les traces du skiqui passent sur les bords de l'arbre, et il se l'ait pas pris ».

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Difficultés à exprimer l'incongruité d'humour

Les résultats obtenus ont montré que les échecs de compréhension étaientbien plus importants dans le groupe des enfants ayant un retard de langage, quedans le groupe des enfants témoins. L'analyse qui va suivre sera donc centréesur les productions des enfants du groupe test.

En effet, plus de la moitié des enfants de ce groupe n'a pas compris l'in-congruité humoristique (51,3 %). Pour autant, cette incompréhension n'a pas faitsuite de façon tranchée, à une appréciation négative ; au contraire, elle est mêmeun peu plus souvent associée à une appréciation positive (26,6 %). Ce décalage,surprenant au premier abord, trouve une explication dans les réponses apportéespar les enfants.

Ainsi, l'explication de Héloïse (9 ans 11 mois), pour le dessin du taureau :« C'est drôle, parce que ... c'est une vache, et puis lui, il est monté à l'arbre, etpuis la dame, elle est en train de ramasser des fleurs ».

Ou celle de Nathalie (10 ans), dont l'appréciation positive au dessin ducheval ne tient qu'à un indice : « sa drôle de tête ».

Suggérée par leurs verbalisations, l'appréciation positive semble ne tenirqu'à la perception des indices graphiques contenus dans les dessins. Ces indices,sortes d'éléments graphiques, entrent dans la composition de l'incongruité, maisne la constituent pas en elle-même. Ils ne sont présents que pour diriger l'atten-tion du sujet sur l'incongruité dite « centrale ».

Or, pour ces enfants, seule la détection de ces indices a suffi pour provo-quer l'amusement. Pourtant, comprendre l'incongruité exigeait de la part de l'en-fant qu'il se détache des indices concrets, élémentaires, directement perceptibleset de leur signification isolée, pour les mettre en relation afin de concevoir lasituation qui était suggérée. Manifestement, cette démarche n'était pas évidente,surtout pour les enfants du groupe test, qui souvent, sont restés à un niveau des-criptif, se contentant de décrire les différents éléments composant la scène, sansles organiser en une situation d'ensemble.

Cependant, aidés par les sollicitations de l'adulte dont le but est d'amenerl'enfant sur la voie de l'incongruité, ils ont pu retrouver « l'élément manquant ».A l'éparpillement initial des données, s'est ensuite instauré un lien unificateurleur permettant d'accéder au sens humoristique du dessin.

Ainsi, Héloïse (suite de la verbalisation énoncée plus haut) :

- sollicitation : « Et qu'est-ce qu'il fait le monsieur ? »

- réponse : « ... Ah, il montre d'aller vers elle ! qu'il aille voir elle. Après,il pourra descendre ! ».

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Difficultés à voir l'incongruité humoristique

Les difficultés que nous allons maintenant considérer apparaissent d'unautre ordre, car en effet, l'enfant ne parait pas en mesure de les dépasser.

Dans la plupart des dessins présentés, l'humour réside dans le fait quel'incongruité puisse exister - aux yeux de l'enfant - sur un autre plan que celui dela réalité. Ainsi, dans le dessin du ski ou dans celui du cheval, les faits ne peu-vent se produire réellement, et l'incongruité pour être comprise (et appréciée)doit exister sur un autre plan que celui du réel. C'est-à-dire qu'elle doit existersur le plan de la fantaisie, de l'imaginaire.

Or, certains échecs semblent dus au fait que l'enfant ne peut se situer par-delà de ce qu'il connaît du réel, et en adoptant une conduite réaliste, l'enfant nonseulement supprime tout effet humoristique, mais en plus, en se figeant danscette attitude, il bloque par là-même tout processus de compréhension.

-> L'attitude réaliste comme réponse à une instabilité des schémas de référenceLes incongruités, par nature, nécessitent d'avoir intégré les représenta-

tions sur lesquelles porte l'humour du dessin. Or, dans certaines réponses, l'en-fant semble ne pas avoir intégré les données du réel sur lesquelles portent la« disjonction ». L'incompréhension réside alors banalement dans la non posses-sion -ou dans l'instabilité- des prérequis cognitifs sollicités par le stimulus.

Ainsi, devant le dessin du cheval, Nazih (9 ans 2 mois) reste circonspect :« Je vois pas ce qu'il y a de drôle » ; et lorsqu'on en vient à lui demander si lestraces qu'il voit sont celles d'un cheval, il nous répond : « ... ben, non... je pensepas », et finalement il « rectifie » la divergence ressentie par la réinjection deslois du réel, en concluant que : « C'est pas drôle, parce qu'il sort de l'eau, et ilfait des traces de pieds ».

On voit bien là, dans la juxtaposition des deux images : 1) je sors del'eau ; 2) ça fait des marques sur le sable, que les schémas de référence (repré-sentation des pas humains et chevalins), mal établis et flous, empêchent l'enfantd'accéder à la compréhension de l'incongruité. Son système référentiel n'étantpas assez organisé et stable, l'enfant ne peut pas voir le trait d'humour qui finale-ment... se perd entre les dunes !

-> L'attitude réaliste comme réponse à une réduction de l'incompatibilité

Dans ce type de comportement, apparaît le besoin de congruence commedéterminant de l'attitude réaliste. Ce besoin semble avoir deux facettes : l'unequi correspondrait à une difficulté cognitive à concevoir « l'impossible », l'autre,plus colorée émotionnellement, correspondrait à une attitude défensive que l'en-fant adopte pour se protéger d'une évocation pénible. Constatant l'impossibilitéde fait, l'enfant, au lieu de la saisir en tant que fantaisie d'humour, se met à

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rechercher une explication dont le but est de réinsérer l'événement dans l'ordredu possible.

Ainsi, dans un dessin comme celui du ski, la représentation de l'impos-sible s'appuie sur un autre ordre de la réalité, plus psychologique, d'un certainmode de rapport au monde et à soi-même. C'est-à-dire qu'en détruisant l'impos-sible (un homme qui traverse un arbre), l'enfant du même coup, détruit ce qui luiest suggéré à travers lui, et notamment l'impact négatif de ce sens (parmi lequelon trouve entre autres significations, l'idée de mort, l'angoisse de morcelle-ment...).

Par exemple, Blandine (9ans 2mois), qui ne trouve pas drôle le dessin duski :

(d'abord, ne s'intéresse pas aux traces) : « Ils sont au ski, c'est tout »(on l'aide : « et qu'est-ce que c'est, ça ? ») : « C'est des traces »(« et elles sont pas un peu bizarres ? ») : « Oui, ils font ça... il se cogne

contre l'arbre. Il se cogne...et après, il tombe »(« et pourtant, il continue là ?! ») : « Eh ben... peut-être que l'arbre, il s'est

cassé... peut-être, il a fait un trou ».Au travers cet exemple, on voit qu'en ramenant l'événement à quelque

chose de plausible, l'enfant ôte, du même coup, toute qualité humoristique audessin. La démarche qu'il adopte apparaît non seulement comme une réductionde distance - l'enfant recherche la congruence au lieu de maintenir la divergence- mais comme une réduction de plans : en effet, la situation humoristiqueimplique un changement de registre - passer du réel à l'imaginaire - et dans lecomportement réaliste, ce changement ne se fait pas. Dès lors, les sollicitations,dont le but est d'amener l'enfant à quitter le mode réaliste pour celui de l'imagi-naire, ne remplissent plus leur fonction : au contraire, devant l'incongru qu'onlui suggère, l'enfant objecte sa démarche réaliste, allant même jusqu'à unereconstruction de vraisemblance, conformément à ce qu'il connait du réel.

Difficultés à se désolidariser mentalement des normes de la réalité ; diffi-cultés donc, à avoir ce petit pas distancié, si nécessaire à l'humour.

◆ Conclusion Essayer d'entrevoir, au-delà de la réaction d'humour, les processus et les

facteurs qui sous-tendent la compréhension d'incongruités humoristiques arévélé toute l'importance, dans une telle tâche, du fonctionnement cognitif. Et siles enfants ayant des difficultés langagières ont échoué plus massivement queles autres, c'est peut-être parce que les troubles du langage ne leur ont pas per-mis - ou du moins, leur ont moins facilité - les déplacements et les idéalisationsque nécessite la compréhension d'une incongruité humoristique. Bloqués dans

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l'élargissement du champ symbolique, ils n'ont pas pu envisager « tous les pos-sibles » leur permettant de maîtriser les conflits, de passer d'un plan à un autre.

Ces résultats nous invitent donc à réfléchir d'une part, sur la démarche àadopter quand l'orthophoniste prend en charge un enfant ; démarche qui, noussemble-t-il, doit tendre vers la remédiation d'un fonctionnement cognitif et lan-gagier, et d'autre part, sur l'intérêt qu'il y aurait à intégrer une épreuve type« compréhension d'incongruités humoristiques » au sein d'un examen d'apti-tudes à l'acquisition du langage oral ou écrit.

Car, en dévoilant la face cachée des choses, c'est nous-mêmes que l'hu-mour dévoile. Il a donc valeur d'indice, et peut donner des directions, des orien-tations pour construire un projet rééducatif, et cela parce qu'il donne à voir : surl'expression de la pensée et sur les stratégies utilisées, sur la perception du réelet sur le raisonnement logique (réversibilité - reconstruction - anticipation), surla compréhension et au-delà sur l'accueil d'idées et de faits nouveaux, sur l'ac-ceptation de la rupture entre prévision et échéance...

La « pensée » humoristique, en effet, ne s'oppose pas aux autres formesde pensée. L'humour s'appuie sur le réel, il y puise son art ; mais c'est pourmieux s'en évader, ou pour mieux en saisir la logique ! Ainsi, à travers l'étonne-ment qu'il provoque, l'humour est l'occasion d'une investigation cognitive, d'uneouverture sur un nouveau champ d'action, une possibilité offerte à l'enfant de nepas s'enfermer dans des structures de pensée trop rigides. Il favorise une certainesouplesse mentale, invite l'enfant à se « décentrer », à prendre du recul, à jugerplutôt que subir.

Certes, l'humour dans un bilan ou dans une rééducation orthophoniquen'est pas une fin en soi et l'objectif d'une rééducation a pour nom Langage, enaucun cas humour ! Peut-être plus simplement, s'agit-il de considérer l'humourcomme un support intéressant, qui au-delà de son aspect ludique, engage l'en-fant dans sa personnalité entière.

Source de plaisir, de créativité, de convivialité, l'humour possède ces ver-tus nobles et rares. Souvent léger mais jamais futile... Et si l'humour, c'étaitsérieux ?

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L’oral : une tâche moins discriminanteque l’écrit ?

Karine Duvignau

R é s u m éLorsque l'on observe des performances écrites et des performances orales obtenues dansune tâche similaire on pourrait s'attendre à ce que l'oral, du fait de sa plus fréquente pra-tique, soit une épreuve moins discriminante que l'écrit, c'est à dire une épreuve où les diffi-cultés des sujets sont moindres. Dans cet article, nous dégageons des éléments qui justi-fient ce point de vue. Pour cela, nous nous appuyons sur les résultats issus d'une étude dudiscours narratif sur images produit par des enfants de 9-10 ans à l'écrit et à l'oral. Il s'agit,à partir d'une analyse et d'une confrontation des résultats écrits et oraux de faire apparaîtreque l'oral constitue une épreuve pour laquelle les sujets éprouvent moins de difficultés qu'àl'écrit. Néanmoins, nous relativisons cette conclusion en mettant à jour le fait que les diffi-cultés éprouvées par certains sujets, non seulement à l'écrit, mais aussi à l'oral, permettentde confirmer la valeur prédictive d'un test de dépistage précoce (TDP 81) des difficultés lan-gagières chez l'enfant.Mots clés : discours narratif, écrit, oral, prévention des troubles du langage, enfant.

Oral performance : a task which has less discriminative power thanwritten performance?

AbstractWhen examining written and oral performance obtained from children on the same type oftasks, one may expect better scores in oral production than written production, as the for-mer is more frequently used than the latter; in other words, oral performance may have lessdiscriminative power than written production. In this article, we tried to verify this notion bystudying the oral and written narrative discourse produced by 9 and 10 year-old children inresponse to pictures. Through a comparative analysis of written and oral results, we attemp-ted to demonstrate that oral tests reveal less language problems than written tests. Howe-ver, we tempered this conclusion by showing that the written as well as oral difficulties evi-denced by some children confirm the predictive power of the TDP 81 test, an earlyscreening test of language problems in children.Key Wo r d s : narrative discourse, written performance, oral performance, prevention of lan-guage disorders, children.

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C e travail se situe à l'intersection de deux domaines : la linguistique et l'or-thophonie. En effet, il met en oeuvre la terminologie et les outils d'analysede la linguistique au sein d'une recherche orthophonique lancée en 1981 ;

recherche qui a abouti sur la mise au point d'un Test de Dépistage Précoce desd i fficultés langagières de l'enfant (TDP 81). Cet outil, conçu par un orthophoniste(Pierre Ferrand) en collaboration avec un neuropsycholinguiste (Jean-Luc Nes-poulous), a été élaboré pour permettre l'évaluation des compétences linguistiquesde l'enfant mais aussi le repérage précoce de ses difficultés afin d'y pallier le plustôt possible. De 1982 à 1984, ce test est mis en application auprès de 1349e n fants dont l'âge est compris entre 4 et 5 ans. Il comportait plusieurs épreuve squi étaient soumises aux enfants afin de tester leurs aptitudes dans quatredomaines (Instrumental / Articulation / Parole / Langage). Les résultats obtenusont permis d'opérer un classement de ces enfants en 4 groupes de niveaux :

Groupe I = enfant sans difficultésGroupe II = enfant nécessitant une surveillance éducativeGroupe III = enfant nécessitant une surveillance éducative orthophoniqueGroupe IV = enfant en échec et relevant d'une prise en charge thérapeu-tique immédiate.Au terme de cette application du TDP 81, il s'avérait indispensable de

vérifier sa crédibilité en cherchant à vérifier sa valeur prédictive. Pour cela, ilétait donc nécessaire de retester les mêmes enfants, plusieurs années après afinde vérifier si, globalement, ceux d'entre eux qui éprouvaient des difficultés lan-gagières très marquées à l'âge de 4/5 ans (sujets du groupe IV), seraient encoreen très grande difficulté à un âge plus élevé (1). C'est dans cette perspectivequ'en 1989, 150 de ces enfants, alors âgés de 9/10 ans, ont subi un test decontrôle et passé une épreuve écrite et orale de discours narratif sur images.

Karine DUVIGNAUDoctorante deuxième annéeSciences du LangageLaboratoire Jacques LordatUniversité Toulouse Le-MirailEquipe :Acquisition du langage chez l'enfantDirection : Jean-Luc Nespoulous /Claudine Garcia-Debanc

1) L'étude du devenu des enfants testés par le TDP 81 a fait l'objet de nombreux mémoires d'orthophonie (àToulouse et à Lille).

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◆ Présentation et objectif de l'étudeDans cet article, nous présentons les résultats des 150 enfants à l'épreuve

écrite et orale de discours narratif sur images, résultats que nous avons obtenusen analysant leurs productions, au moyen d'une grille d'analyse quantitative (2).Celle-ci se limite à considérer des critères quantitatifs qui, observables à l'oral età l'écrit, permettent de comparer avec pertinence ces deux épreuves. Néanmoins,le souci de procéder, ultérieurement, à une étude des paramètres relevant spéci-fiquement de la tâche orale nous a conduit à élaborer une grille qualitative del'oral que nous proposons au terme de cet article.

La grille d'analyse quantitative a permis de prendre en compte, à l'écritcomme à l'oral, les paramètres suivants :

- nombre d'énoncés- nombre d'unités lexicales- nombre de phrases- nombre d'Expansions Sans Prédicatoïde (3)- nombre d'Expansions Avec Prédicatoïde (4)- nombre de connecteurs de phrases- nombre de morphèmes - nombre de léxèmes

Notre objectif est de montrer, à partir de résultats issus de l'analyse del'écrit et de l'oral, que si la tâche orale se révèle être, globalement, une épreuveplus facile pour les 150 enfants, elle n'en reste pas moins discriminante pour lesenfants qui appartenaient au groupe IV à l'âge de 4-5 ans. Pour atteindre cetobjectif :

1- nous procèdons à une confrontation des performances des 150 enfantsà l'écrit et à l'oral ;

2- nous examinons les performances des enfants qui appartenaient augroupe de niveau I et IV et montrons que les résultats des enfants du groupe IVà l'épreuve orale valident la pertinence du TDP 81 qui est également mise à jourpar les résultats de l'écrit.

(2) Cette grille d'analyse (GNF 90) a été conçue et mise au point par Pierre Ferrand (cf bibliographie Ferrand1990).

(3) Ce sont des expansions du verbe noyau qui ne comportent pas de prédicat verbal. On en rencontre deuxtypes :- Sans morphème fonctionnel --> « Ils mangent des gâteaux »- Avec morphème fonctionnel --> « Ils mangent des gâteaux dans la cuisine ».

(4) Ce sont des expansions du verbe noyau qui comportent un prédicat verbal --> « Ils partent acheter desgâteaux ».

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1. L'oral : une tâche moins discriminante que l'écrit

1.1 Confrontation des résultats écrits et oraux par enfant

Schéma 1 : Courbe des performances des 150 enfants à l’écrit

Schéma 2 : Courbe des performances des 150 enfants à l’oral

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Ces deux schémas permettent de visualiser les performances des 150enfants à l'écrit et à l'oral. Les courbes vont, de gauche à droite, de la plus« mauvaise » performance à la « meilleure ». Les sujets qui sont dans la partiegrisée sont les sujets dont la note est comprise dans l'écart type (moyenne del'écart par rapport à la moyenne générale).

1.2 Analyse globale : l'oral est moins discriminant que l'écrit

La confrontation des deux courbes des performances des 150 enfants per-met d'observer que la tâche orale constitue une épreuve où les sujets ont globa-lement plus de facilité qu'à l'écrit. En effet, tous les enfants améliorent leurs per-formances à l'oral et surtout ceux qui sont le plus en difficulté à l'écrit (enfantsqui appartenaient au groupe III et IV lors de la passation du TDP 81). Ce phéno-mène s'explique par le fait que les enfants pratiquent beaucoup plus le discoursoral que le discours écrit. En effet, les enfants de 9/10 ans parlent tous en dehorsde l'école alors que la majorité d'entre eux ne pratique la langue écrite qu'au seinde l'école.

On peut donc considérer que l'épreuve de discours narratif écrit constitueune épreuve plus sélective et plus discriminante que l'épreuve de discours narra-tif oral :

a) nous sommes en présence de très mauvais scores dans l'épreuve écrite(15 performances sont nettement en-dessous de l'écart type), alors qu'à l'oral, onne rencontre pas de scores nettement au-dessous de l'écart type : seulement 8enfants ont des résultats juste en-dessous de l'écart type.

b) 28 enfants obtiennent, à l'oral, des résultats au-dessus de l'écart type(soit deux fois plus qu'à l'écrit - 13 enfants-)

Ces différentes observations nous permettent d'avancer la conclusion sui-vante : la tâche écrite creuserait les différences de niveaux entre les enfants alorsque la tâche orale les atténuerait. Néanmoins, nous voudrions dégager un pointde réflexion qui relativise ce constat. Les enfants qui présentent de très gravesdifficultés à l'oral sont des sujets immédiatement repérés que l'on ne rencontrepas dans l'enceinte de l'école (enfants autistes, enfants dont l'état physiologiqueentraîne des troubles du langage importants ...) alors que le fait de détenir detrès graves difficultés à l'écrit semble ne pas faire autant obstacle à la scolarisa-tion d'un enfant. Aussi, lorsque l'on travaille à partir de sujets scolarisés, il fauts'attendre à ne pas constater à l'oral le degré de difficultés que l'on peut rencon-trer à l'écrit (5) : les sujets qui détiennent de très graves difficultés à l'oral sontpeut-être non-scolarisés.

(5) La plus basse performance de nos sujets à l'oral se positionne au point - 5 (schéma 2) alors qu'à l'écrit elledescend jusqu'au point - 20 (schéma 1).

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2. L'oral, une épreuve aussi discriminante que l'écrit : double validation du TDP 81

Cependant, certains sujets présentent des difficultés importantes non seu-lement à l'écrit mais aussi à l'oral :

2.1 Confrontation des résultats écrits et oraux des groupes I et IV

Schéma 3 : Confrontation des groupes I et IV à l’écrit

Schéma 4 : Confrontation des groupes I et IV à l’oral

Ces deux graphiques permettent de visualiser et de confronter, d'un seultenant, les résultats obtenus, à l'écrit et à l'oral, par les enfants qui avaient étéclassés dans les groupes de niveaux I (peu de difficultés) et IV (beaucoup de dif-ficultés) au terme du TDP 81.

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2.2 Validation de la valeur prédictive du TDP 81 à partir des résultats de l'écritmais aussi de l'oral

L'hypothèse théorique qui constitue les fondements du TDP 81 consiste àconsidérer qu'un enfant qui éprouve des difficultés vers 4/5 ans sera encore endifficulté à un âge plus avancé, d'où l'intérêt de repérer le plus tôt possible sesproblèmes langagiers. Or, les analyses des résultats écrits et oraux (schémas 3et 4) des enfants du groupe I et du groupe IV permettent de confirmer double-ment la valeur prédictive du TDP 81. En effet :

a) en ce qui concerne la tâche écrite de discours narratif sur images,- les enfants dont le TDP 81 avait relevé le bon niveau de performance à

l'âge de 4/5 ans (enfants du groupe I), obtiennent globalement, 5 ans plus tard,de bons résultats à l'épreuve de discours narratif écrit (schéma 3),

- les enfants dont le TDP 81 avait souligné les grandes difficultés lors-qu'ils avaient 4/5 ans (enfants du groupe IV) présentent globalement, à l'âge de9/10 ans, soit 5 ans plus tard, des déficiences langagières très importantes àl'écrit (schéma 3).

b) en ce qui concerne la tâche orale de discours narratif sur images, - le groupe I reste, à l'oral, un groupe qui ne présente pas de difficultés

majeures (schéma 4),- par contre, même si le groupe IV obtient des résultats meilleurs qu'à

l'écrit, il reste néanmoins un groupe qui présente des difficultés importantes àl'oral (schéma 4)

Ainsi, la tâche orale de discours narratif sur images constitue une épreuvediscriminante qui permet de re-marquer globalement les difficultés des enfantsqui présentaient déjà des résultats insatisfaisants à l'âge de 4/5 ans. De ce fait,on peut considérer que le TDP 81 constitue un outil de dépistage précoce desdifficultés langagières de l'enfant : les enfants dont il repère les difficultés à l'âgede 4/5 ans, éprouvent encore des difficultés à l'âge de 9/10 ans à l'écrit maisaussi à l'oral.

◆ Conclusion

Bilan général

Au terme de ce travail, nous nous retrouvons alarmés : si l'on considèreque le langage est un facteur important d'insertion sociale, nous pouvons êtrealertés par les résultats obtenus lors des analyses des corpus écrits et des corpusoraux de 150 enfants. En effet, confirmant la valeur prédictive d'un test de dépis-tage précoce des difficultés langagières de l'enfant (TDP 81), ces résultats révè-

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lent que parmi les enfants qui éprouvent de grandes difficultés à l'âge de 4/5 a n s ,une grande majorité d'entre eux pourront présenter, à l'âge de 9/10 ans, des diffi-cultés importantes dans le domaine du langage écrit mais aussi dans le domainedu langage oral. Or, l'apprentissage de l'écrit ne s'effectuant, en général, qu'ausein de l'école alors que la pratique du langage oral se fait le plus souvent auf oy e r ; le fait que ces enfants éprouvent des difficultés dans ces deux domainess i g n i fierait que l'apprentissage du langage écrit dont ces enfants disposent àl'école n'est pas suffisant et que d'autre part ils ne bénéficient pas de conditionsoptimales à l'extérieur de l'école pour pallier leurs difficultés à l'oral et à l'écrit.C'est pourquoi le recours à l'orthophonie pour aider ces enfants semble approprié.

Perspective : l'analyse qualitative des corpus oraux

L'outil que nous avons utilisé pour analyser les productions écrites etorales des enfants faisait uniquement ressortir des données quantitatives. Eneffet, il ne pouvait rendre compte à la fois de données quantitatives et de don-nées qualitatives sans complexifier, du même coup, son utilisation. Pourtant, ilserait intéressant de procéder à l'analyse de ces mêmes productions en tenantcompte de paramètres d'ordre qualitatif. En effet, cela permettrait d'observer s'ilexiste des corrélations entre les performances quantitatives et qualitatives desenfants à l'écrit et à l'oral. Dans cette perspective de travail, nous avons participé(6) à la mise au point d'une grille d'analyse qualitative de l'oral (7) qui, outre desparamètres observables également à l'écrit, prend en compte des critères spéci-fiques à l'épreuve orale (aspects prosodiques). Cette grille comporte les4 niveaux d'analyses suivants :

- analyse des aspects discursifs (énoncé inaugural et/ou de synthèse, discours direct, type d'approchedes images...)

- analyse des outils métalinguistiques(autocorrection, humour, modalisation)

- analyse des outils linguistiques(temps utilisés, nombre d'arguments du verbe, pertinence séman-tique...)

- analyse des aspects prosodiques(répétitions, processus préparatoires, articulation, ponctuation orale)

(6) En collaboration avec Pierre Ferrand, Jean-Luc Nespoulous, Thierry Barnabé, Marie-Pierre Munoz etValérie Sanchou.

(7) Cette grille, dont l'utilisation a été proposée par Pierre Ferrand à un nombre conséquent d'orthophonistes,est en cours d'expérimentation.

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De plus, elle est dotée d'une colonne « observations » qui permet d'affinerl'analyse des productions par l'ajout de remarques. Nous avons éga l e m e n tessayé d'assurer une lecture facile des valeurs : une majorité de croix à droiteindique de bonnes performances (Valeur = 2) tandis que la présence d'une majo-rité de croix à gauche témoigne des nombreuses difficultés de l'enfant et révèlela pauvreté de ses productions (V = 0). Lorsque la performance de l'enfantprend une valeur intermédiaire (V = 1), la croix se place dans la colonne dumilieu. Ce système de notation permet d'avoir une idée du niveau de l'enfant à laseule vue de la grille puisqu'il suffit de regarder l'emplacement de la majoritédes croix issues de l'analyse.

Présentation de la grille d'analyse qualitative de l'oral

Grille d’analyse qualitative de l’oralcorpus :groupe :

paramètres

discours direct

énoncé inauguralet/ou

de synthèse

approche des imagesautocorrectionhumour et/oumodalisation

la construction« en train de »

redoublement del’actualisateur sujet

temps de la narrationvalence du verbe

sémantiquerépétitionsprocessus

préparatoiresarticulationponctuation

orale

valeurs0 1 2

observations

aspectsdiscursifs

outilsméta-

linguistiques

outilslinguistiques

aspectsprosodiques

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150

Signification des valeurs de la grille d’analyse qualitative

Grille d’analyse qualitative de l’oralcorpus :groupe :

paramètres

discours direct

énoncé inauguralet/ou

de synthèse

approche des imagesautocorrectionhumour et/oumodalisation

la construction« en train de »

redoublement del’actualisateur sujet

temps de la narration

valence du verbe

sémantique

répétitionsprocessus

préparatoires

articulation

ponctuationorale

signification des valeurs0 1 2

absence présence

absence présence

ostensive successive narrativeabsence présence

absence présence

absence présence

absence présence

un seultemps

plusieurstemps

pastoujoursrespectée

respectée

souventincorrecte

parfoisincorrecte

correcte

présence absence

absence présence

beaucoupde

difficultés

peude

difficultés

pasde

difficultés

pausesnon

respectées

pastoujours

respectées

pausesrespectées

aspectsdiscursifs

outilsméta-

linguistiques

outilslinguistiques

aspectsprosodiques

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151

REFERENCES

FERRAND P.- 1982,"Test de Dépistage Précoce des troubles instrumentaux, de l'articulation, de la paroleet du langage, chez l'enfant de 3,5 ans à 5,5 ans". Edition EAP, Issy les Moulineaux.

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153

◆ AC QUISITION ET DÉVELOPPEMENT DES CAPAC I T É SL A N G AGIÈRES DE L’ E N FA N T ( 1 )Références préparées par Shirley Vinter

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1) Nous avons choisi de limiter la bibliographie aux publications francophones qui, dans les dernières années,sont nombreuses et de haut niveau ; trop nombreuses pour les citer toutes, nous n'avons conservé que lesouvrages les plus importants depuis 1990.

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KONOPCZYNSKI G. & VINTER S. (eds) (1995) : Le développement langa-gier : une prédiction précoce est-elle possible ? L'Ortho-Édition.

LENTIN L. (1998) : A p p re n d re à penser, parler, lire, écrire. Pa r i s : E.S.F. Editeur.

LESTAGE A. (1990) : Apprendre à parler, c'est apprendre à communiquer.Paris : Nathan, Education Enfantine.

MARCOS H. (1998) : De la communication prélinguistique au langage :Formes et fonctions. L'Harmattan .

MEHLER J., DUPOUX E. (1990) : Naître humain, Paris : Odile Jacob.

MORO C., SCHNEUWLY B. & BROSSARD M. (1997) : Outils et signes :perspectives actuelles de la théorie de Vygotski. Bern : Peter Lang.

MOSCATO M. & PIERAUT-LE BONNIEC G. (éds.) (1993) : Le langage:construction et réalisation. Publications de l'Université de Rouen N°98.

PERREGAUX C. (1994) : Les Enfants à deux voix. Berlin : Peter Lang.

RONDAL J. (1986 2e édit.) : Langage et éducation. Bruxelles : Mardaga.

RONDAL J. (1997) : L'évaluation du langage. Bruxelles: Mardaga.

SADEK-KHALIL D. (1982-1991) : Quatre libres cours sur le langage. Edi-tions du Papyrus.

SADEK-KHALIL D. (1997) : Apport de la linguistique à la pédagogie etapport de la pédagogie à la linguistique. Éditions du Papyrus.

STERN D. (1977) : Mère-enfant. Les premières relations, Liège : Pierre Mar-daga.

STRATEN A. Van Der (1991) : Premiers gestes, premiers mots, Paris : Païdos-Le Centurion.

VINTER S. (1995) : L'émergence du langage. In M. GLAUMAUD-CARRÉet M.

MANUELIAN-RAVET : Le Bébé et les apprentissages. SYROS, 117-130.

VINTER S. (1997) : Du son au signe linguistique. Les Cahiers de l'audition.10, 3, 6-14.

VYGOSTKI L. (1997, Trad. française F. Sève) : Pensée et langage. La Dispute.

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156

◆ PÉRIODIQUES : NUMEROS SPECIAUX

Les orthophonistes ayant facilement accès à Rééducation Orthophonique et àGlossa, nous n'avons pas indiqué les nombreuses références des textes concer-nant l'acquisition du langage publiées dans ces deux revues. Il est intéressant deconsulter également le Bulletin d'Audiophonologie, Enfance et le Bulletin dePsychologie.

- Les Cahiers du Creslef (1995) : Développement du langage : Acquisition,Détérioration. G. Konopczynski (éd.) N° 39-40, 1/2. Besançon.

- CALAP (1994) : Les Faits Intonatifs dans l'Acquisition et la Pathologie duLangage, N° 11. Paris : Université René Descartes.

- Annales Littéraires de Franche-Comté N° 631. (1995) Actes du ColloqueInternational sur l'Acquisition de la Syntaxe en Langue Maternelle et enlangue Etrangère (éd.C. Martinot).

- TRANEL (1996) : Discours Oraux - Discours Ecrits : Quelles relations ? 1996N° 25.

- Langue Française (1998) N° 118 Mai : Acquisition du français. (éd. C. Marti-not). Larousse.

- Confrontations Orthophoniques de Franche-Comté N°2 : Influence du sys-tème théorique de Gustave Guillaume sur la rééducation du langage :Autour des travaux de Denise Sadek-Khalil (éds. S. Vinter & P. Chalu-meau) (à paraître 1998).

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APPEL A COMMUNICATION

La prochaine journée des

Entretiens d’Orthophonie de Bichatse déroulera le

25 septembre 1999

Elle aura pour thème central :

ATTENTION - PERCEPTIONLa journée comportera des communications, des films vidéo et destables rondes.

Les propositions de communication doivent être envoyées en un exem-plaire, avant le 15 janvier 1999 impérativement, au secrétariat généraldes Journées d’Orthophonie, à :

Marie-Pierre Thibault1, Parc de la Londe

76130 Mont Saint Aignan

Elles consisteront en un résumé explicite de la communication envisa-gée. Il est demandé aux auteurs de joindre leurs coordonnées postales etélectroniques complètes ainsi que les éléments d’information utilesrelatifs à leur curriculum vitæ.

Le comité de lecture se réunira fin janvier pour retenir le programmedéfinitif parmi les sujets proposés.

Les auteurs retenus devront faire parvenir leur texte définitif dans lesdélais impartis. Des consignes de présentation seront précisées ultérieu-rement.

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NOTES

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NOTES

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Aucun article ou résumé publié dans cette revue ne peut être reproduit sous forme d’imprimé, photocopie,microfilm ou par tout autre procédé sans l’autorisation expresse des auteurs et de l’éditeur.

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DERNIERS NUMÉROS PA RU SN °1 91 : Aspects pragmatiques de la modification des rôles discursifs dans une psychothérapie d’enfant (retard de

parole et de langage ( M . C .P O U D E R ). — Evaluation du langage spontané de l’enfant ( M .M O N F O R T ) . —A propos du niveau de langage de 16 élèves de SEGPA (A. GIROLAMI-BOULINIER, L. GINESY). — D upréfixe RE comme paradigme du changement ( A . MÉNISSIER). — Evolutions du bilan de langage de l’adulteâgé ( C h . REMOND-BESUCHET) — Evaluation des troubles du langage en phase initiale de l’aphasie(TRAN THI MAI) — Evaluation et validation de la rééducation en aphasiologie ( C . VAILLANDET). —L a main droite de l’hémiplégique âgé et l’écriture ( G .E N O S ) .

N °1 92 : LANGAGE ÉCRIT - R e n c o n t r e avec Rémi et Romain (M. TO U Z I N). — Données Actuelles : Le cerveaudu dyslexique ( M . HABIB) - Apport de la neuropsychologie cognitive à la pratique orthophonique( S . VALDOIS) - Reconnaissance visuelle de mots et dyslexies de l’enfant (S. CASALIS) - Acquisition de lalecture (et de l’écriture) dans les systèmes d’écriture alphabétique (L. SPRENGER-CHAROLLES) -Métaphonologie, acquisition du langage écrit et problèmes connexes (J. ALEGRIA) - Impuissance apprise etd y s l e x i e (F. NOUGARO, L. VERA) — Examens & Interventions : Influences croisées de la stratégie « p h é-n i c i e n n e » induite et des défaillances de la mémoire de travail chez un enfant dyslexique-dysorthographique( M . PLAZA).- Etude de cas : Yann (S. LA R G E R) — Perspectives : (E. LEDERLÉ).

N °1 93 : I . M . O . C . - R e n c o n t r e ( B .W A H L ) — Données Actuelles : Infirmités Motrices d’Origine Cérébrale -Généralités ( F .R E V O L ) - Paroles d’enfants IMC ( F . DE BARBOT) - L’enfant porteur d’un handicap sévèreet sa famille ( M . MARTINET, J.M. B L A N C ) - Déficits visuo-spatiaux et dyspraxies : une entrave aux appren-tissages (M. MAZEAU) - Etude du développement intellectuel et du langage chez 34 enfants présentant unehémiplégie cérébrale congénitale (S. GONZALEZ, F. COMBE, A. RITZ, A.S. EYRAUD, C. E B E R H A R D T ,C . B E R A R D ) - Evaluation médicale des IMC lourdement handicapés par leur dysarthrie ou leur absenced’expression orale (pour raison mécanique) (D. TRUSCELLI) - Bilan de langage et diagnostics chez lesenfants infirmes moteurs cérébraux ( M . H .M A R C H A N D ) - Les conditions neuromotrices de l’apprentissagede la parole chez l’IMOC (A. LESPARGOT) - Des moyens différents pour communiquer et développer le lan-gage ( M . H .M A R C H A N D ) — Examens & Interventions : L’évolution des conduites de communication chezun enfant polyhandicapé ( A .T O S C A N E L L I - R O U A U L T ) - Les troubles de la motricité bucco-faciale del’enfant IMC ( D . C R U N E L L E ) - La rééducation des troubles de la déglutition des enfants et adolescentsI.M.O.C. ( C . S E N E Z ) - Les systèmes de communication alternative chez l’enfant IMC ( M . M O N F O R T ,A . J U A R E Z - S À N C H E Z ) — Perspectives : Facilitation à la mise en place de tableaux ou d’aides techniquesde communication (E. CATAIX-NÈGRE) - Etude de cas : Romain - Quel cheminement pour une synthèsev o c a l e ? ( J .C H A I L L E Y ) - O.E.A./A.T.C. (Outil d’Evaluation Adapté) (Téléthèses) - Evaluation préalable à lamise en place d’une aide technique à la communication ( A . D’ALBOY, V. CHATAING).

N °1 94 : LES PATHOLOGIES VOCALES CHEZ L’ENFANT - L’enfant, sa demande et sa motivation -R e n c o n t r e ( C .K L E I N - D A L L A N T ) — Données Actuelles : L e s dysphonies de l’enfant : aspects cliniques etthérapeutiques ( G . CORNUT, A. TROLLIET-CORNUT) - L’évolution de l’appareil phonatoire et la voix etl ’ e n f a n t ( V . WOIZARD, J. PERCODANI, E. SERRANO, J.J. PESSEY) - Particularités du travail vocal enr é é d u c a t i o n ( B . AMY DE LA BRETÈQUE) - Qualité de voix chez l’enfant et facteurs sociaux / environne-m e n t a u x ( P . H . DEJONCKERE) - Pour une logique dans la démarche rééducative de la dysphonie de l’enfant(M.C. PFAUWADEL) - Le chant chez l’enfant et ses difficultés ( J . SARFATI) - Dysphonie de l’enfant : rela-tions entre professeur de formation musicale et phoniatre ( M . LECOQ) — Examens et interventions :Expérience clinique de la rééducation vocale de l’enfant ( F . MARQUIS) - Le profil vocal et son adaptationchez l’enfant (F. DEJONG-ESTIENNE) - L’enfant et sa voix. Comment les réconcilier. Le but, les étapes et lesmoyens qui font la trame d’une rééducation ( F . DEJONG-ESTIENNE) - Relaxer l’enfant ou détendre sa voix ?( C .K L E I N - D A L L A N T ) - Voix et oralité chez l’enfant dysphonique ( C .T H I B A U L T ) - Rééducation vocale del ’ e n f a n t : écoute ce qui est ( P . L U P U ) - Bertrand, l’histoire d’une mue faussée. Utilisation de la méthode desmouvements minimaux associée à cette rééducaation ( M .H A B I F ) - Apports de la sophrologie en rééducationvocale de la dysphonie de l’enfant hypertonique ( E . DE MONTAUZAN) — Perspectives : Que deviennent lesdysphonies de l’enfant à l’âge adulte ? ( D . HEUILLET-MARTIN, C. SEYOT) - Questionnaire ( C .K L E I N -D A L L A N T ) - Questions et réponses ( J . A B I T B O L ) .

N °1 95 : LES MALADIES NEURO-D É G É N É RATIVES - La prise en charge orthophonique des maladiesneurologiques - Rencontre (F. MARTIN) — Données Actuelles : Plasticité du système nerveux : chances deréhabilitation (N. ANNUNCIATO) - Importance des facteurs neurotrophiques dans la régénération du sys-tème nerveux (N. ANNUNCIATO) - Les maladies neurologiques chroniques dégénératives et la réadaptation( C . HAMONET) - Les troubles de la déglutition dans la maladie de Parkinson (B. ROUBEAU) - F o n c t i o n scognitives et sclérose latérale amyotrophique (S.L.A.) (J. MÉTELLUS) — Examens et interventions : L amaladie de Steele-Richardson-Olszewski : diagnostics différentiels et rééducation orthophonique ( I . E Y O U M ,S. DEFIVES-MASSON) - Un cas particulier de chorée : l’hémiballisme (N. COHEN, I. EYOUM) - S c l é r o s een plaques : examen de la dysarthrie (G. COUTURE, A. VERMES) - L’orthophonie dans la SLA : un accom-p a g n e m e n t ? (S. BRIHAYE) — Perspectives : La communication après l’aphémie (S. BRIHAYE) - Aides tech-niques (A. VETRO, M. VETRO)