16
REVUE LITTÉRAIRE ET CULTURELLE N°8 HIVER 2012/2013 GRATUIT www.NOMENCULTURE.fr ISSN : 2115-7324 THÉORIE P.3 NOUVELLES P.5 POÉSIE P.9 POINT DE VUE P.12 INTERNATIONAL P.14 8 NOMENCULTURE PREMIÈRE ÉDITION

Nomenculture n°8

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Nomenculture - Revue littéraire et culturelle Numéro 8 : Hiver 2012/2013 http://www.nomenculture.fr/accueil

Citation preview

Page 1: Nomenculture n°8

REVUE LITTÉRAIRE ET CULTURELLE

N°8

H

IVER

201

2/20

13

G

RATU

IT

www.NOMENCULTURE.fr

ISSN : 2115-7324

THÉORIEP.3

NOUVELLESP.5

POÉSIEP.9

POINT DE VUEP.12

INTERNATIONALP.148

NOM

ENCU

LTUR

EPR

EMIÈ

RE É

DITI

ON

Page 2: Nomenculture n°8

EDITORIAL

Direction de la publication : Carla Campos Cascales

Comité de rédaction : Hubert CamusDjanane LioubanovMélanie López MaletThomas MilletGuillaume NotteletAlice TixierAntonin Veyrac

Illustrations :Hubert CamusCoriolan Verchezer

Maquette / Site internet :Coriolan Verchezer

Paris, décembre 2012.Tous droits réservés par leurs auteurs.

www.nomenculture.fr

ISSN : 2115-7324

Vous souhaitez nous aider, nous rejoindre, envoyer un texte ? N’hésitez pas à nous

contacter :

[email protected]

« Pourquoi j’écris ?  » s’interrogeait Carla CAMPOS CASCALES à l’ouverture du premier numéro de Nomenculture, marquant ainsi sa première publication. Question difficile, irrésoluble peut-être, et pourtant nous écrivons. Nous écrivons et avons la volonté, indépendante mais comme complémentaire, de permettre à d’autres d’être publiés et lus. C’était notre aspiration en créant cette nouvelle revue, une de plus mais une différente des autres, et cela n’a pas changé. Depuis maintenant deux mois, Carla Campos Cascales dirige la revue Nomenculture  ; c’est à elle que nous devons ce nouveau numéro. La passation de pouvoirs s’est faite dans le secret d’un petit troquet parisien. Dans l’arrière-salle, à l’abri des lumières et des regards, j’ai donné à Carla les lunettes de lecture, le stylo de correction et le baume du plaisir de permettre à des jeunes, comme nous, passionnés de littérature, comme nous, de connaître leur première publication – comme nous il y a peu de temps. C’est un nouveau regard qui s’occupe aujourd’hui de Nomenculture, une acuité différente, une personnalité avec ses enthousiasmes et ses propres projets pour faire évoluer une revue qu’elle a connue dès ses fondations. Je lui souhaite tout le bonheur que j’ai éprouvé ces deux dernières années et vous souhaite autant de bonheur à la lecture des textes qu’elle a soigneusement sélectionnés, pour vous.

Hubert Camus

En cette journée de fin du monde, on ne peut qu’être reconnaissant de pouvoir encore lire ce numéro si on a survécu à l’accablant martellement de superstitions qui tapote notre monde  ! Lecteurs, lectrices, c’est contre les idées reçues, contre la généralité et la facilité que nous choisissons de faire parler les écrivains en germe, depuis presque deux ans. Pour vous ouvrir l’esprit avec autant de subjectivités parlantes, pour vous inspirer avec toutes ces pensées dansantes. Hubert Camus, auteur dévoué, lecteur enthousiaste et directeur sérieux a pris le risque de mettre son enfant entre mes mains pour le faire grandir. Des plumes déjà connues mais surtout de nouveaux auteurs pour autant de découvertes et de surprises, voilà ce avec quoi j’ai décidé de le relayer. Notre mission devrait être de faire de Nomenculture quelque chose de toujours plus profondément exigeant, poussé et littérairement engagé. Je remercie infiniment tous les auteurs qui m’ont livré leur intimité et qui ont voulu faire partie de ce numéro qui est le premier de mon aventure à moi, qui m’ont fait éprouver  mon « bonheur » à moi, celui de toucher à quelque chose comme une confession livrée au monde.En attendant que ce numéro soit à la hauteur de combler le froid et le vide d’un hiver apocalyptique, il ne me reste qu’à vous dire : lisez, écrivez, jouissez et, inspirez-VOUS !

Carla Campos Cascales

Page 3: Nomenculture n°8

Il y a quelques mois, Simon Intando publiait un article très intéressant sur la 3D1, dans lequel il avait écrit que cette technique «  déçoit le cinéphile averti et attentif [qu’il est]  », de par l’utilisation qu’en font les producteurs. Dans son article consacré principalement à l’aspect artistique de cette technologie, il s’intéressait également au rapport entre art et attraction et concluait en rappelant qu’ «  à leur apparition, le son et la couleur étaient eux aussi des outils de grand spectacle destinés au cinéma ''grand public''.  » Son article m’avait passionné pour plusieurs raisons  : d’abord sa connaissance du sujet cinématographique, ensuite son acuité, enfin la lecture que j’avais faite quelques jours plus tôt d’un texte de Marcel Pagnol dans lequel ce dernier transmettait l’avis de ceux qui ne croyaient pas en l’avenir du son hors de l’attraction. J’avais demandé à Simon Intando de retravailler son article pour qu’il insiste davantage sur ce point mais dans le contexte de la 3D, tant je trouvais le sujet passionnant. Depuis que j’ai lu cet article je veux écrire celui-ci, qui touche à un autre rapport entre le public et le film.

Je me souviens des premières consoles de salon  : du bras, on imitait ou suivait le geste ou le mouvement qu’on voulait produire dans le jeu  ; bien sûr, tourner la manette de la première Playstation ou la Gameboy elle-même comme un volant n’était d’aucune utilité. Je me souviens des premiers films en 3D auxquels j’ai assistés, et le comportement de certains spectateurs n’a pas encore eu le temps de changer, par la force de l’habitude  : nous sommes encore plusieurs, parfois, à avoir un mouvement de recul ou à tendre la main, selon les situations, devant une projection en trois dimensions.

On se moque des premiers spectateurs des frères Lumière, terrifiés de voir un train leur foncer dessus  ; pourtant on n’est pas loin d’eux quand on a l’impression, ne serait-ce qu’un instant, qu’on peut toucher ou saisir cet objet semblant sortir de l’écran. L’illusion référentielle s’est modifiée mais n’a pas disparu. On se moque aujourd’hui, bien facilement, de ces premiers spectateurs du cinématographe ; mais n’en doutons pas  : dans peu de temps on se moquera de nous, nous qui ne voyions dans la 3D qu’un artifice de parc d’attraction ou qui croyions pouvoir toucher le film. Jusqu’à ce que le cinéma apprenne à solliciter cet autre de nos sens ? ◼

1Simon  Intando,  Pour  une  autre  3D,  Nomenculture  n°3  p.14,  automne  2011,  septembre  2011

TH

ÉO

RIE

P.3La 3D au bout des doigts Par Hubert Camus

Page 4: Nomenculture n°8

À la limite de l’aube, un état transitoire éloigne les rues de leurs habitudes, le grotesque et l’absurdité s’infiltrent le long des trottoirs, fleuves discrets de folie qui traînent avec eux les excès de la nuit. Comme elle est longue en hiver, elle ôte au temps tout pouvoir  : on se réveille comme on s’est endormi, dans l’obscurité la plus anesthésiante. Cela ne la concerne pourtant absolument pas, elle, car c’est la nuit qu’elle paie ses factures, qu’elle fait de son mieux, qu’elle contribue à l’ordre du monde  : elle a donc droit à la contemplation des dernières minutes nocturnes qui agonisent sous la poussée du jour inéluctable, qui se saoulent encore un peu dans l’ombre, juste encore un peu, la dernière pour la route. Paris tangue dangereusement à certaines heures, la Seine la soulève, elle valse, et devient une embarcation ivre. Elle se frotte les yeux avec lenteur, poussant fort dans les orbites. Ses yeux humectent le dépôt de khôl qui lui entoure les paupières, comme la marée vient lécher les côtes et repousse les saletés qui ne lui appartiennent pas. Devant elle, une passagère n’a pas l’air d’aller bien, ses hanches moulées oscillent dangereusement d’un côté à l’autre, son dos se courbe vers l’avant, puis rapidement se recule en un souci d’équilibre. Quand on n’a pas l’habitude, on découvre le départ de Paris le long de la Seine pour le pays mystérieux des rêves et des illusions solitaires et éthyliques. Un vélo passe, valsant, véloce par instants, enivré par l’importance que lui donne une route vide : enfin toute la voie à lui, enfin l’étendue de son circuit n’a plus à être rectiligne. Son conducteur n’est pas tout à fait d’accord, et tient son chapeau d’une main, l’autre tentant de maîtriser sa monture avec la maladresse suffisante pour aller envahir le trottoir et se heurter contre la vitrine d’un magasin de poêles. Une meute isolée de véhicules rugit et vient surveiller son territoire, laissant derrière elle de longues traces rouges, persistantes et floues dans la brume subtile. La jeune demoiselle marche encore, je ne vous détaille pas le nom des ponts qu’elle traverse, car elle les connaît si bien qu’elle ne les regarde plus, je me permets donc de respecter ses choix. Par souci de précision, je veux bien vous dire par contre qu’elle est brune, et chante merveilleusement bien dans un bar du septième arrondissement les samedi soir, puis prend toujours les quais pour rentrer chez elle. Le côté qui n’est pas le plus près de la rivière, souvent.

P.4

N

OU

VE

LL

E Paris sombre Par Melanie Lopez Malet

Page 5: Nomenculture n°8

La routine a cela de bon qu’elle permet d’aller au-delà de l’évident, et creuse dans la pensée des routes inattendues, quand elle ne tente pas de repérer les différences que chaque jour peut offrir. Il y a un bruit ce soir, un bruit de pas. Ils se multiplient, gagnent en intensité, et du coin de la rue perpendiculaire la plus proche devant elle, surgissent quatre garçons qu’on aurait pris pour des hommes tapant le sol de leurs souliers vernis. Voici le premier qui s’élance, tenant un sac en papier au dessus de sa tête comme un flambeau volé, éclatant l’air de son rire franc, la chemise à moitié sortie du pantalon. Les autres on la veste qui vole et les pieds agiles, ils ahanent en riant à moitié : l’un a le nez retroussé, décidé à voler la précieuse cargaison, l’autre court en regardant les autres, derrière et devant lui, un grand sourire extatique aux lèvres, un sourire de chien heureux et fidèle, le dernier court pour ne pas être seul, rouge et épuisé. Ils passent près de la brune comme un courant de parfum masculin, et elle en rit. Leurs pas s’éloignent, et lorsqu’ils ne sont à peine qu’un bourdonnement léger et lointain, un bruit apparaît soudain plus évident. Des chaussures claquent la pierre, à un pas régulier que les autres avaient caché dans leur chaotique apparition. Elle n’y prêta pas attention  : le retour de soirée est un rituel auquel on a tous droit. Au bout de vingt minutes de marche supplémentaires, pourtant, elle accélère la marche, les pas aussi. Elle met ses écouteurs pour égarer ses sens, pour se submerger en un autre univers sonore, et court. ◼

NO

UV

EL

LE

P.5

Page 6: Nomenculture n°8

P.6

N

OU

VE

LL

ERoute vitale

Par Hubert Camus

Une route. Longue. Très longue. Devant moi. Elle va loin. Très loin. Elle se perd à l’horizon. En bordure, des arbres. Autour, des champs. Devant comme derrière moi, cette route, longue, goudronnée. Je ne peux pas retourner sur mes pas. Je suis fatigué. Je dois continuer. Dans quoi me suis-je embarqué ?

Le soleil de juin –  sommes-nous seulement en juin ? – frappe contre mon crâne. J’ai soif, je suis fatigué. Quand tout cela finira-t-il ? Pas une voiture ne passe, pas un homme, pas une bête. Où suis-je ? Suis-je encore en mon pays ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Je n’ai jamais vraiment su. La route est dure sous mes pas. Elle est sèche et mes semelles y claquent. C’est douloureux. J’ai mal aux pieds, aux jambes, au dos. Je suis fatigué. Et ce soleil... Mon sac sur le dos me semble peser une tonne. Pourtant, il est presque vide. Dedans des livres. Mes livres fétiches. Ceux sans lesquels je n’aurais pas pu partir. Je, promeneur solitaire, ne rêve plus depuis longtemps. Depuis combien de temps n’ai-je pas mangé, ni bu ? Au moins deux jours. Et pourtant je marche. Deux jours que je n’ai croisé pour toute civilisation que quelques voitures, filant sur l’asphalte. Qu’y a-t-il d’autre ? Des carnets, et mon stylo. Mes carnets dans lesquels je consignais mon voyage. Les villes par lesquelles je suis passé, les gens que j’ai rencontrés. Plusieurs mois que je n’ai pas écrit. Pour dire quoi ? Que je suis las, perdu, presque mort ?

Quelle heure est-il  ? Certainement midi  ; le soleil est au zénith. Comme j’ai chaud... comme j’ai faim... comme j’ai soif... Quand tout cela s’arrêtera-t-il ? Pourquoi ai-je eu cette idée folle ? Je voulais y être. J’y suis, maintenant. Je voudrais ne pas y être. Tout m’est souffrance. Pourtant je sais pêcher, chasser, cueillir, cuisiner ce que je trouve. Ces derniers jours, je ne trouve rien. Parfois, telle une bête sauvage je dois fouiller dans des poubelles, espérant y trouver de la nourriture. Autrefois, les gens m’accueillaient sourire aux lèvres. Aujourd’hui, on me regarde en coin. Quand un enfant me pointe du doigt, sa mère le tire près de lui et lui dit de ne pas me regarder. Quand je passe la main sur mon visage, je sens que ma barbe a poussé. Je suis un voyageur  ! Je suis parti jeune inconscient, naïf et presque heureux. Je croyais avoir une vie merveilleuse, et voulais la transcender par mon voyage. Je voulais parcourir tout mon pays à pied. Je voulais voir les territoires et les gens de mon pays, que je n’aurais jamais connu autrement. Projet qui m’a lancé dans les méandres où je gis. J’ai quitté ma ville, ai dormi chez les gens qui m’accueillaient. J’avais de l’argent, des vivres et mon idéal encore en tête. Ma route était d’abord voie rapide. Elle est lentement devenue départementale et est maintenant chemin caillouteux, piégé. J’ai mal. Je veux rentrer chez moi. J’avais envie de connaître mon pays. J’avais tout préparé. Sur ma petite carte, j’ai tracé mon trajet. J’ai parcouru beaucoup de kilomètres, mais je ne sais pas du tout où je suis.

Page 7: Nomenculture n°8

NO

UV

EL

LE

P.7

Si j’étais resté chez moi, j’aurais certainement une amie et des copains. J’en ai, mais je les ai quittés. J’aurais un appartement, une petite vie tranquille. Mais tout ce que j’ai vécu me serait resté inconnu. Je serais toujours aussi naïf face à la vie. Ma vie actuelle, je l’ai gagnée par mes efforts. Mais après tant d’efforts, je suis exténué. Quelle sera ma prochaine étape ? Que vais-je faire aujourd’hui ? Comme hier, la veille et tous les jours précédents  : marcher. J’aime toujours marcher, j’aime toujours me reposer à l’ombre d’un arbre et y cueillir un fruit en m’en allant. Mais j’aspire à un peu de repos. J’aime toujours voir le soleil se coucher sur l’horizon, derrière les champs de tournesol. C’est si beau. En restant dans ma mégalopole, je n’aurais jamais connu cela. Si c’était à refaire, je n’hésiterais pas une seconde pour recommencer. Des mois que je suis parti. Combien, exactement ? Impossible de le savoir. Aujourd’hui, je peux dire connaître mon pays mieux que tout autre. Il m’a fait rêver, souffrir, vivre...

Pendant mes mois de marche j’ai usé mes semelles sur du goudron, de la terre, de la boue, du sable, des chemins montagneux, des plaines et j’en passe. Mes pieds ont foulé tant de sols, tant d’histoires qui ont fondé la mienne. Jusqu’où mon histoire ira-t-elle ? Combien de kilomètres, encore ? Combien de gens rencontrés ? L’avenir, s’il vient, nous le dira. Le soleil me brûle. Je n’en peux plus. Parfois, l’ennui me prend. Parfois, toutes les routes me semblent être mêmes, mon voyage me semble être vain. Mais je ne sais pas où je suis, je ne peux pas rentrer chez moi et ce voyage je l’ai voulu, désiré, choisi. Si je revenais dessus, je me remettrais moi-même en cause. Je me relève. Tout droit. Je n’ai pas le choix. Je n’ai nulle autre part où aller. Une route. Longue. Très longue. Devant moi. Elle va loin. Très loin. Elle se perd à l’horizon. Cette route est ma vie. Je ne peux pas me retourner, car il n’y a plus rien. La route est comme déroulée devant moi. Elle semble dégagée, mais il y aura des cailloux dans ma vie. Elle se perd loin mais après tout, la seule chose à faire est d’avancer. ◼

Page 8: Nomenculture n°8

P.8

N

OU

VE

LL

EIntrospection lointaine d’un autre monde

Par Djanane Lioubanov

Il fallait bien commencer à un moment. Maintenant. Pourquoi, nul ne le sait, pas même moi, ce moment c’est maintenant, demain, ou des mois auparavant. Ce qui importe c’est ce moment, ce maintenant, ce moment que j’ai entrepris de transformer en maintenant.

Je ne sais pas manier les mots, l’idée même d’écrire m’apparait tout à coup comme prétentieuse, évidemment, car il faut savoir les manier ces mots pour écrire, non ? Tant pis, j’aime mieux dire.

Quoi qu’il en soit, il ne s’agit pas de moi, mais plutôt de lui, il est là et maintenant, couché sur le lit de sa chambre. On l’aperçoit de dos. Oui, toujours de dos, d’ailleurs on ne le verra jamais autrement, il ne se peut pas. De dos et en manteau, oui c’est aussi comme cela qu’on le verra, toujours, de dos, avec son long manteau noir, et ses chaussures, noires. Il lit, et de temps en temps, il attrape un stylo, et note sur un morceau de feuille blanche de longues phrases. Ces phrases, on ne les lira jamais, elles sont insaisissables, comme lui. De cet être, se dégage quelque chose de fantastique, pourtant «  il » est mortel, il est le genre d’être que l’on aime croire être un immortel, quelqu’un, ou quelque chose de puissant, quelqu’un d’autre, un esprit magique, impalpable, totalement abstrait. Du moins, c’est ce qu’il est, dans la réalité de ce récit, son récit.

Lui donner un nom, impossible, trop commun. Nous l’appellerons «  il  », pourtant ce n’est pas ce qu’il est, il est un « je », un autre « je » mais il l’est.

Bref. Il est toujours là, couché sur le dos, impénétrable, son corps flou se noie dans l’espace, une lumière traverse ses paupières, le voilà l’instant, le moment. Il devient saisissable, dans notre imagination, certes, mais nous l’avons choisi, alors nous y allons. Cela peut être effrayant.

Nous ? bien sûr, le «  je  » est perdu dans l’infinité d’un espace, perdu, lui aussi. Désormais ce sera « nous », et puis, il faut aller au-delà du mot, le mot est concret, physiquement reproductible, on le touche, on l’écrit, on le matérialise, ici, à travers cette brume nocturne, celle du rêve, nous n’avons plus besoin de mot.

Le rêve est un voyage initiatique, il nous apprend tellement. Partons à sa recherche, les yeux clos, les yeux grands ouverts, le «  je » est de retour, le nous s’y retrouve et j’ai espoir. ◼

Page 9: Nomenculture n°8

POÉSIE Thomas Millet

Nous étions làLoin de tout

À faire des larcinsNous étions là

Loin des malsainsEntre roses et choux

A faire les malins.

Une belle après-midi

Des oiseaux dans le cielUne fille joue à la marelle

Un meurtre au coin de la vie.

PO

ÉS

IE P.9

Enfance

Tranquillité

Page 10: Nomenculture n°8

Assertion sans exemplesLe mot creux

Saturne de ses cheveuxPourrissant la terreOù est endormiUn conifère

Et dans ce bac là, James Bond couleur blanche, yeux bleus, Il brise la surface de mon appart', Il me cloue comme un mouchoir usagé, Il me fait dormir toute la journée.

J'ai honte de mon retard

........et là, dans le bac, la mort en papier...............

P.10

N

OU

VE

LL

E POÉSIE Penrose (Antonin Veyrac)

Sans titre

Page 11: Nomenculture n°8

Sans titre

Tourner autourD'une couleur,

Arrêté au carrefourDe la douleur.Frisant l'émotionA fleur de peauDouce sensation

Voix de griots.Tourner autourD'un pot sans fond,Toucher le veloursLe velouté de sa peau.

Le reflet naissant,Brillant de mille feuxA l'orée de son frontAu coin de ses cheveux.

Mort, je suis mort

Dans l'attenteD'un seul regard.D'une attention

Portée au hasard.Femme, tu es le seulRemède à ma douleur,Femme de couleur.Femme, tu es la seule

Source de ma douleur,Femme de couleur.

PO

INT

DE

VU

E P.11

POÉSIE Guillaume Nottelet

Page 12: Nomenculture n°8

Le blog Les Boloss des Belles Lettres, nous démontre que contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, la relation entre la littérature et la jeunesse n’est pas morte. Ce site est une compilation de résumés des grands classiques de la l ittérature mondiale rédigés dans la langue de la rue. Celle qu’emploient les «  boloss  » terme péjoratif signifiant bêtise et maladresse comique. Face au succès grandissant, une médiatisation progressive et plus de 638

« j’aime » sur Facebook, nous devons enterrer la hache de guerre entre les Anciens et les Modernes. Mis sous presse belge à la fin de l’année (édition onlit), nous avons interrogé un des collaborateurs de ce site, Valetudinaire de son vrai nom Quentin Leclerc, étudiant en troisième année de Licence de Lettres modernes à l’Université de Rennes.

Votre blog existe depuis seulement le mois de septembre. Comment vous ait venue cette idée ?

J’avais déjà créé une revue littéraire Auguste en ligne, aujourd’hui disparue. Mais là, j’avais envie de faire quelque chose de plus léger et surtout de plus drôle. J’ai tout de suite parlé à Michel Pimpant (traducteur et co auteur des Boloss des Belles Lettres ndlr) de mon projet de résumé de mastodontes de la littérature française en trois ou quatre paragraphes. C’est quelque chose de très superficiel qui joue avec les clichés des œuvres. Il s’agit de décomplexer l’image pompeuse des œuvres classiques. Si après on donne envie de lire c’est tant mieux, mais ce n’est pas notre premier objectif.

En quoi selon vous, le style de la rue est-t-il drôle ?

Le comique vient de l’intervention d’un registre dit « populaire » dans un univers soutenu, du décalage provoqué par la mixité de certaines images. Comme pour Madame Bovary, cela fait rire tous le monde de la décrire en Lou Boutin et en Polo Lacoste. Mais c’est aussi un jeu sur les mots  ; le lexique dit « de la rue », aujourd’hui tout le monde le parle, l’utilise et en abuse. Les expressions populaires sonnent bien. Attention il ne suffit pas de mettre des « lol » partout. P.

12

P

OIN

T D

E V

UE Entretien avec un sous-doué des Belles lettres :

Quentin Leclerc Par Alice Tixier

Page 13: Nomenculture n°8

C’est un travail stylistique à la Raymond Queneau. On aurait pu en effet le décliner sous la forme bourgeoise ou même en wallon  ! On a choisi le style de la rue parce qu’on y était plus familier.

Le blog est alimenté par deux « boloss », vous et Michel Pimpant. Pourquoi avoir choisi de travailler en binôme ?

A deux, la stimulation intellectuelle est plus forte. Sur internet c’est dur de tenir le rythme, il ne faut pas se lasser et lasser. C’est aussi plus facile de se répartir les résumés. Ils ne sont pas écrits à quatre mains mais on se tient au courant sur les choix des œuvres. Il y a même parfois des disputes ! Comme pour A la Recherche du temps Perdu. Mais bon, finalement je l’ai laissé le faire. Et puis comme nous n’avons pas le même âge, j’ai vingt ans et Michel en a trente, il y a des références différentes. On reconnaît bien nos résumés. Je participe à 70% au site et Michel Pimpant à 30%.

Vous vous attaquez a des œuvres très diverses de Rabelais à Flaubert en passant par Marivaux. Comment les œuvres sont choisies ?

Premièrement, il faut qu’elles soient lues par au moins l’un d’entre nous, c’est par honnêteté intellectuelle. Ensuite il faut choisir une œuvre connue pour toucher un public large. On essaye de suivre le programme du bac de français. Et puis, il y a certains romans pour lesquels l’exercice de style ne s’y prête pas, comme les œuvres du XXème siècle de Perec ou de Duras par exemple.

Grâce au blog il y a un échange facilité avec les lecteurs, quels sont les retours qui vous parviennent ?  

Majoritairement nos critiques sont bonnes, nous avons beaucoup d’encouragements. Et pas seulement d’étudiants en lettres/romanes. On dépasse le cadre des 18-24 ans. Par contre, on nous accuse également de plagiat. En effet Kamel Toe postait des vidéos mettant en scène un jeune de banlieue qui parle de littérature. Michel et moi avions vu tout de suite des rapprochements dans nos deux démarches. Mais il y a toutefois une différence ; nous sommes dans le texte brut alors que Kamel Toe c’était une vraie performance d’acteur.

Avez-vous de nouveaux projets ?

À part la publication qui n’était pas une fin en soi mais juste un plus. Je songe à travailler sur des biographies approximatives d’auteurs avec aussi un jeu sur les mots. Mais pour l’instant il n’y a rien d’abouti, on se laisse porter. ◼

h=p://bolossdesbellesle=res.tumblr.com

PO

INT

DE

VU

E P

.13

Page 14: Nomenculture n°8

C’est en voyage qu’on se rend le plus compte de l’importance de savoir parler une langue partagée par la majorité du globe, en l’occurrence

l’anglais, même si chaque pays a « son » anglais. En Inde et en Thaïlande, rien à faire : je suis conscient de ma difficulté à maîtriser cette langue mais les indiens et les thaïlandais sont sûrs d’être bilingues et ne font ainsi aucun effort. Une difficulté s’ajoute : est-ce un effet de la volonté ou non mais ils parlent vite en voulant dissimuler leurs erreurs langagières… ce qui les rend

encore plus difficiles à comprendre. Au Cambodge, c’est avec quelques sourires et signes de la main que nous nous sommes fait comprendre la plupart du temps.

La Malaisie est encore un cas à part. Nous étions dans un autobus

avec ma mère, revenant d’une petite ville et rentrant à notre hôtel. C’était, il faut le préciser, un bus local à un ringgit (environ 25 centimes d’euro) le trajet  : comme dans les pays cités plus haut, les fenêtres ouvertes font office de climatisation. Les suspensions sont peu efficaces et très bruyantes. Il s’agit en somme d’un énorme camion en mauvais état

mais c’est typique, et cela fait partie du charme de ces voyages. Dans ce bus, donc, un homme derrière nous m’apostrophe et commence à me parler – en anglais. Il me demande d’où nous venons, a du mal à situer la France, nous demande si nous avons des euro à lui montrer  : il n’en a jamais vu. Comme il voit que j’ai du mal à le comprendre et à m’exprimer

alors que son anglais est très bon, il m’interroge  : « vous n’apprenez pas l’anglais, en France ? » Je lui explique rapidement notre fonctionnement ; que nous avons un enseignement d’anglais mais qu’il est marginal. Il me répond qu’en Malaisie, l’anglais est plus qu’obligatoire : dès l’enfance, de nombreux enseignements puis tous, sont dispensés dans cette langue.

Nous comprenons mieux, alors, pourquoi l’anglais est si pratiqué ici. D’ailleurs, de nombreux jeunes malais, quoiqu’entre eux, parlent en anglais. Au restaurant aussi, beaucoup passent leur commande dans cette langue. Je m’interroge alors  : le fait de leur inculquer l’anglais si

jeunes et si intensément n’a-t-il que des avantages ?

P.14

IN

TE

RN

AT

ION

AL L’apprentissage de l’Anglais en Malaisie

Par Hubert Camus

Page 15: Nomenculture n°8

INT

ER

NA

TIO

NA

P.15

Du côté positif, il y a le fait que les malais peuvent faire des échanges commerciaux et culturels sans difficulté avec le reste du monde. Mais le

risque n’est-il pas, en ayant une école anglophone, de perdre définitivement la langue malaise  ? En France, de nombreux patois subsistaient encore au début du XXème siècle  : il a fallu attendre la radiophonie pour qu’ « un  » français voie enfin le jour et soit mieux fixé. Mais au milieu du siècle encore, il existait de nombreux analphabètes dans

les milieux ruraux. Aujourd’hui, tout cela semble marginalisé et le français est globalement maîtrisé par notre population. Je ne vais pas remonter au XVIIIème siècle et au français parlé dans toutes les Cours d’Europe mais je vais revenir à un temps récent : il y a quelques dizaines d’années à peine, les politiques se sont rendus compte de la perte culturelle suscitée par la

disparition bonne et simple des patois  : on peut les faire coexister avec le français. La Malaisie en est-elle dans son mouvement d’union de la nation autour d’une seule langue ? Il faut dire que leur histoire est toute autre de la nôtre : ce pays a connu au fil des siècles de multiples colonies et donc autant de langues différentes. Aujourd’hui, un véritable melting-pot fait la

population  : il y a presque autant de malais que d’indiens et de chinois. Leur culture est donc la diversité. J’ignore tout de la politique malaise, mais ce pays doit faire attention à ne pas perdre la richesse de son passé au profit d’une langue pratique car communément partagée dans le monde. ◼

Page 16: Nomenculture n°8

NOM

ENCULTURE

PROCHAINE PUBLICATION : 21 MARS 2013

D’ici-là, n’hésitez pas à envoyer vos textes à [email protected]

www.nomenculture.frISSN : 2115-7324

ÉDITO

THÉORIE

NOUVELLES

POÉSIE

POINT DE VUE

INTERNATIONAL

P.2

P.3

P.4

P.9

P.11

P.14