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8LITTÉRATURE NOMENCULTURE ACTUALITÉ CULTURELLE DE LES FEUILLETS NUMÉRO 8 MAI 2012 GRATUIT Dossier thématique LE FANTÔME PAGE 30 JACQUES AUDIARD PAGE 14

N°8 Les Feuillets de Nomenculture

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N°8 - Juin 2012 Les Feuillets de Nomenculture installent un rapport direct à l'actualité culturelle mensuelle, par des points de vue originaux et personnels.

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8LITTÉRATURE

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NOMENCULTUREACTUALITÉ CULTURELLE

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FEUILLETS

NUMÉRO 8 MAI 2012 GRATUIT

Dossier thématiqueLE FANTÔMEPAGE 30

JACQUES AUDIARD PAGE 14

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IAL Fondateur :

Hubert Camus

Directeur de la publication et Rédacteur en chef : Jean-Baptiste Colas-Gillot

Maquettiste : Coriolan Verchezer

Illustrations (dont la couverture) :Bérangère Pétrault

Responsable Arts Vivants :Laura Madar

Responsable Cinéma :Simon Bracquemart

Comité de rédaction :

Hubert CamusJean-Baptiste Colas-GillotRoxanne ComottiSimon BracquemartMarianne KnechtCamille LafranceAlice LetoulatLaura MadarBérangère Pétrault

ISSN : 2115-7324

Je vous souhaite à toutes et à tous, une nouvelle fois, la bienvenue. Ce numéro de juin est pour moi l’occasion de

vous dire qu’il s’agit là de notre avant-dernier numéro, celui de juillet étant le dernier avant les vacances d’été. L’équipe et moi-même allons marqué une pause bien méritée, pendant laquelle nous allons tout de même réfléchir à un nouveau format pour l’an prochain. Je ne vous en dis pas

plus pour le moment, j’espère simplement que vous serez au rendez-vous : tout sera revu, tant dans la forme que dans le fond.

Le bilan de cette première année est clair : nous avons réussi

à fédérer une équipe autour d’un projet qui n’a eu de cesse d’évoluer. Cependant, nous avons sent i un peu d’essoufflemment, ce à quoi nous remédierons, je vous le garantis !

Pour l’heure, je vous laisse découvrir notre numéro avec comme moments forts la mise à l’honneur du réalisateur Jacques Audiard et notre thématique basée sur les fantômes. Bref, tout un imaginaire !

À très bientôt.

Jean-Baptiste Colas-Gillot

ÉDITORIAL

Nous recherchons de nouveaux rédacteurs. Contactez-nous à

[email protected]

www.nomenculture.fr

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ROMAN

LITTÉRATUREUne femme avec une personne

dedans, Chloé DelaumeLes Mots du spectacle en

politiqueL’Impureté d’Irène, Philippe

MezescazeLes Charmeurs de Pierre, Brigitte

Fontaine

ARTS VIVANTSL’Or, Théâtre de la Bruyère

Les Cancans, au Théâtre 13 Jardin

Hernani, au théâtre de BellevilleTokyo Bar, au théâtre de la

tempête

CINÉMAFILMS

Moonrise Kingdom, Wes Anderson

Tyrannosaur, Paddy ConsidineCoffret DVD World Cinema

FoundationCosmopolis, David Cronenberg

Dark Shadows, Tim BurtonDe Rouille de d’Os, Jacques Audiard

RÉALISATEUR :Jacques Audiard

EXPOSITIONSBeauté Animale, Grand PalaisCirculer... Palais Chaillot

THÉMATIQUE : LES FANTÔMESIntroFilm : Oncle BoonmeeFilm : Les AutresFilm : Les Contes de la lune vague après la pluieLittérature : Le Tour d’écrou

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SOMMAIRE

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Chloé Delaume écrit et vit, et c'est déjà bien. À l'aune de son enfance tragique, où  elle vit son père tuer sa mère et se suicider ensuite. Le poids de ce passé se retrouve dans sa prose romanesque, attachée aux différentes névroses et psychoses qu'ont engendrées le malheur de sa jeunesse.Mais, elle tient debout et écrit. Écrit pour expulser le fiel rempli de son cœur.

Je m'attache à commenter son dernier livre paru aux Éditions du Seuil où elle met en place l'Apocalypse individuellement vécue dune femme qui détruit les valeurs patriarcales et normées par le couple hétérosexuel.Elle imagine donc une apocalypse intérieure et extérieure où la prose se rapproche d'une écriture très poétisé : " Dans leurs bouches et dans leurs cerveaux pelotes de confusion, morsure au fil". Par delà son exercice de déconstruction à l'aide de cette écriture protéiforme, où la prose romanesque s'entrechoque avec le poiétique, c'est bien un roman d'amour que nous livre Chloé Delaume avec "Igor" le mâle "indigéré" et l'idée de la Clef qui traverse tout le livre comme pour nous soumettre, nous lecteur, à sa propre Apocalypse et à sa règle d'abduction hypothétique comme le cas de Delaume devrait s'y soumettre.

L'écriture est un processus d'essoufflement des mots, où les mots avec un point après sont légion. Au delà de ça Chloé Delaume utilise le procédé narratif de l'autofiction où l'héroïne, l'auteur et la narratrice se confondent en une seule personne par qui, et en qui l'histoire romanesque est parcourue. Ce procédé permet à l'ecrivaine de s'engendrer elle même dans le récit tout en gardant bonne distance avec le personnage et permettre un attrait fictionnel qui ravira certainement le lecteur. En somme "Une femme avec personne dedans" est un roman à consommer avec modération, tant il est fourbu de fulgurances et d'excés anecdotiques. À vos librairies !

Antonin Veyrac

Chloé DelaumeUne femme avec une personne dedans

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Dans Les mots du spectacle en politique, deux collectifs se sont proposé un projet ambitieux  : extraire le lien intime qui s’est tissé entre le théâtre et la politique contemporaine. Tout commence avec un avant-propos intitulé La politique, un spectacle  ?, et qui forme un pan entier de l’ouvrage, comme une amorce au «  dictionnaire des idées reçues sur le spectacle  » (p. 18) qui s’en suit. Dans ce dernier, présenté comme subjectif et volontairement incomplet, tous les acteurs politiques actuels (qu’il s’agisse des politiciens eux-mêmes ou des journalistes spécialisés) sont pointés comme mésusant du vocabulaire théâtral. Les auteurs du collectif théâtrocratie nous proposent ainsi une soixantaine d’entrées comme catharsis, cirque, costume, farce, mise en scène, off ou surjouer. Le point positif de ce dictionnaire est que s’il critique la politique en général, c’est fait non seulement avec humour mais surtout sans apparente prise de parti. On a vu beaucoup de livres ces derniers temps critiquer une personne ou un parti, ou à l’inverse en faire l’apologie  ; ce dictionnaire offre une approche originale (le discours théâtral en politique), d’où que viennent les mots employés à mauvais escient.

Dans un troisième temps est proposée la courte pièce Roms et Juliette, du groupe Petrol*. Qu’on me permette d’être plus critique à son sujet. Quoique bien écrite et non dénuée d’intérêt en plusieurs endroits, la figure du Président de la République – on ne peut s’empêcher de penser à Nicolas Sarkozy, on l’a tellement vu simplifié, raccourci et rendu grotesque contre raison  – est infantilisée et la politique ridiculisée. Ce qui tranche avec la volonté affichée des deux premières parties de montrer quelques uns des travers actuels sans jugement porté sur une mouvance en particulier. Le Président de la pièce est grotesque, prétentieux, obnubilé par des caméras, bègue et incapable de se concentrer.

Hubert Camus

Collectif ThéâtrocratieLes Mots du spectacle en politique

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Philippe MezescazeL’Impureté d’Irène

On ne sait pas si L’impureté d’Irène parle d’un enfant, de sa mère ou d’un marin amoureux. Il parle, il écrit sans doute les trois.

Irène  : une mère pratiquement inconnue, mais tellement aimée  ! On croit peut-être que le récit va nous découvrir ce personnage : c’est faux, si la pureté c’est la clarté, la transparence, oui, c’est vrai, Irène est impure. Le flou vagabonde sur ce personnage dont on veut connaître les raisons (de quoi ?), le traumatisme qui l’a rendue comme cela. Ce qui fait que tout ce qui est trop vrai, trop fort, la terrifie.Nous, lecteur, on a l’impression d’être ce voyageur polonais qui débarque dans la vie de ce couple mère-fils, qui les interrompt, qui goûte à cet amour simple comme l’enfance et s’y attache follement. Mais le lecteur, Ladis -le beau marin-, ont peu de place dans ce secret. Nous resterons sur notre envie, nous ne connaîtrons que les détails essentiels, ce qui nous donnera envie de continuer, d’imaginer, comme le fait la tête toute fraîche d’un enfant de sept ans.C’est une histoire courte, quelques jours à peine, suffisant pour concentrer le tout de l’histoire, la grande, celle qui marque les personnages à jamais. C’est doux comme la brise de la mer dont rêve cet enfant, c’est extrêmement dur comme le mystère impénétrable de cette femme d’eau froide et fer qui est avec lui.On se demande qui élève qui, qui apprend à qui la vie : c’est la folie de la mère qui rend plus adulte l’enfant ou c’est la vision gamine de celui-ci qui infantilise sa mère ?

Cette apologie de l’enfance porte le nom de l’Éducation  : Émile, petit enfant clairvoyant, qui semble se bâtir tout seul, est aussi bâti par une écriture qui soigne merveilleusement l’extérieur des choses, l’aspect. Comme les pieds d’Irène, magnifiquement portés par de sexys talons-aiguille qui rehaussent toute sa figure, tout en lui détruisant les pieds, l’écriture de ce récit est une chanson qui emporte, tout en recouvrant une douleur amère, déconcertante.Au sein d’une triple histoire d’amour qui devient par moments gênante, l’incompréhension nous reste, comme le goût fantaisiste d’une histoire sans fin. La vérité ne semble pas importer, ce n’est pas l’information, les réponses qu’on recherche, on survole une histoire d’enfants.

Carla Campos Cascales

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source : wikicommons

Nul reste inculte au nom de Brigitte Fontaine, et pourtant peu connaissent ses œuvres littéraires. Comptant à son actif une bonne quinzaine de publications, la chanteuse fantastique a sorti chez Flammarion son dernier ouvrage.

« Les Charmeurs de pierres » nous compte une histoire d'amour et d'aventure entre une belle et jeune fée verte Bedjaïa et son troll d'Ivor. Vraisemblablement aussi vive et passionnée que le couple qu'elle décrit, Brigitte Fontaine nous entraîne dans leur intimité sur fond de conte celtico-érotique. Le lecteur avisé tombera dans cette romance avec la joie et la naïveté qui va si bien aux amoureux.

Marianne Knecht

Brigitte FontaineLes Charmeurs de Pierre

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En art comme dans la vie, je suis très exigeant et ai la critique difficile. C’est mon caractère mais l’éloge, quand il existe, n’en est que plus flatteur. En sortant de la représentation de L’or au Théâtre La Bruyère (75009), j’ai eu envie d’être dithyrambique.

Nous sommes en 1834 : Suter, un Suisse du canton de Bâle, quitte à 31 ans femme et enfants en arnaquant au passage tous ceux qu’il peut. Son premier objectif  : traverser l’Atlantique. Mais une fois installé, alors qu’il discute avec tous les navigateurs de passage, il ne résiste pas à l’appel de «  l’Ouest  ». Bravant tous les dangers, les cherchant presque, il fera partie des rares à atteindre la Californie. Suter a besoin d’aller toujours plus loin, géographiquement comme personnellement. Petit à petit, «  le travail acharné vainc tout », il devient le plus grand propriétaire de ce futur Etat  ; jusqu’à 1848 et le début de la ruée vers l’or, qui signera sa ruine et le pillage de ses terres et travaux. Ce sera le début pour lui d’un nouveau combat, puisqu’on suit son histoire de 1834 à 1880.

Pour être précis, cette pièce relève plus d’une récitation mise en scène que du théâtre « pur  ». Mais le texte est l’œuvre d’un génie et orfèvre des mots  : Blaise Cendrars. Le comédien (Xavier SIMONIN) et le joueur d’harmonica (Jean-Jacques MILTEAU) sont si formidables que lorsqu’ils agissent tous les deux ensemble, on ne sait plus qui écouter. La vraie pépite est dans leurs rôles, pour lesquels ils se donnent entièrement et qui souffle tous les spectateurs. Pendant 1h40, Xavier Simonin nous narre l’histoire de ce singulier suisse aventurier, avec ses travers mais sa passion et sa beauté. Histoire ponctuée de passages musicaux et parfois presque chantés. L’or, joué en prolongations, sera représenté jusqu’au 23 juin 2012.

Hubert Camus

L’or, d’après Blaise CendrarsThéâtre La Bruyère, 5 rue La Bruyère, 75009. Tél. : 01 48 74 76 99.Mise en scène et jeu : Xavier Simonin. Musique : Jean-Jacques MilteauDimanche à 16h et lundi à 20h30.

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E L’OrMis en scène par Xavier Simonin, au Théâtre de la Bruyère, Paris

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Checchina, jeune demoiselle innocente, est amoureuse de Beppo. Beppo, jeune homme respectueux de ses origines, est amoureux de Checchina. Ils vont se marier et nagent tous deux dans le bonheur. Sauf que tout va un peu trop bien pour que le reste de Venise et ses ruelles se tiennent à carreaux et laissent tranquilles nos deux tourtereaux. Et quand les cancans font leur apparition dans la vie de jeunes gens sans défense, ils font de sacrés dégâts...

Goldoni signe ici une cruelle comédie irrésistiblement drôle, soutenue par une mise en scène du même type. La scène est mouvante, avec trois façades qui constituent tantôt les ruelles vénitiennes, tantôt l’intérieur des maisons de nos protagonistes. Les cancans, personnage principal de cette pièce, se faufile entre les maisons, et prend de plus en plus d’ampleur jusqu’à ce qu’il atterrisse dans l’oreille de la personne concernée. Le texte est hilarant, mais ne cache pas l’omniprésence des castes, la peur de la précarité, et la cruauté des rapports humains. L’innocence même comprend alors qu’il ne suffit pas d’être, il faut encore paraitre.

Les personnages hauts en couleurs réussissent à tenir les rôles ambivalents créés par Goldoni, largement aidés par cette mise en scène explosive à base de chant, danse et folie comme on aime. Une Stéphanie Vicat désopilante et toute en justesse, et un Stéphane Olivié Bisson à hurler de rire. Les comédiens transpirent la joie de jouer, et la transmettent aux spectateurs qui l’accueille à bras grands ouverts.

Laura Madar

Jusqu’au 10 juin.

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Source : Wikicommons

Les CancansMis en scène par Stéphane Cottin au Théâtre 13 Jardin, Paris

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Avant d’aller voir Hernani au théâtre de Belleville, prévoyez un dîner ou un goûter consistant (la pièce se joue à 21h du mercredi au samedi et à 17h le dimanche) : le passage sur scène d’un poulet rôti aux effluves délicats risque de vous dévoyer du texte de Victor Hugo.

Ce texte, ou plutôt ce monument, il fallait oser s’y attaquer. Lorsqu’on voit entrer sur scène de jeunes comédiens, on peut prendre peur. Ils sauront pourtant brillamment interpréter les alexandrins de ce drame où ils sont trois hommes pour une femme, tres para una. L’histoire, on la connait (dans le cas contraire, foncez chez votre libraire) ; intéressons-nous donc plutôt à la mise en scène, car elle mérite qu’on s’y arrête.

Qu’on ne s’attende pas, dans ce théâtre aux raisonnables mais modestes dimensions, à un drame classique, brillant et éclatant. En 1830, Hugo (qui avait écrit sa pièce en sachant qu’elle ne pourrait pas être représentée en intégralité) avait convoqué ses amis pour faire la claque. Elle n’est aujourd’hui plus nécessaire, et nous avons pu voir le texte en entier, sur scène. On ne s’offusque plus de voir un roi caché dans un placard, on ne se scandaliserait pas devant lui lorsqu’il se couche, non sans érotisme, sur le tombeau de Charlemagne (tombeau qui était à la scène précédente le placard déjà nommé, cette fois placé gisant). Il fallait cependant se placer dans la continuité du scandale, au moins en partie  : le roi d’Espagne, nonobstant sa voix grave de jeune homme, pousse parfois des cris aussi naïfs qu’aigus. Les comédiens sont en costumes anciens mais colorés et presque bon marché. L’usage de la vidéo projetée, très controversé, reste maîtrisé et sans excès. Le premier passage musical, très bruyant, reste étonnant et peut déconcerter, de même que les quelques secondes de slam/rap.

Au sortir de la salle, les réactions sont mitigées : certains sont déçus et s’attendaient au drame romantique hugolien par excellence, tandis que d’autres sont satisfaits d’un spectacle qui brise les codes traditionnels. Une chose est sûre et unanimement partagée  : Hugo a choqué à son époque avec Hernani, et la mise en scène de Margaux Eskenazi en fait de même.

Hubert Camus

Hernani, de Victor HugoMise en scène  : Margaux Eskenazi. Avec Sylvie Beurtheret, Laurent Deve, Laure Grandbesançon, Thomas Moreno et Jean Pavageau. Production  : La Compagnie Nova.Théâtre de Belleville, 94 rue du Fauvourg du Temple, 75011 Paris. 01 48 06 72 34Jusqu’au 3 juin.P.

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RE Hernani

Mis en scène par Maurgaux Eskenazi, au théâtre de Belleville, Paris

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Mark, art i s te dont la carr ière représente une grande réussite, reste incompris de tous dans sa recherche du sublime, qui se révèle en fait être grotesque. Incompris de ses fans, de ses amis, de sa femme, il souhaite «seulement» trouver LA possibilité de laisser sa marque dans ce monde qui lui est finalement inconnu. Cette vaine quête le mènera à la folie la plus totale, durant ce dernier voyage, à Tokyo. Il se retrouve avec sa femme, Miriam, dans un bar hôtel. Lui ne peut pas sortir de sa chambre tellement il est aliéné par le désir de créer. Elle n’en peut plus, se rend compte que le temps de la vénération de l’artiste est révolu et apaise sa soif de vengeance en charmant le premier venu.

L’adaptation de Jean-Marie Besset est en fait une longue descente dans les entrailles des Enfers. La descente de l’un, suivi coûte que coûte par l’autre, car s’i ls ne peuvent vivre ensemble, ils ne peuvent pas non plus vivre séparés. Le très lent voyage vers la mort. Le dernier voyage d’un couple qui ne se supporte plus et qui se rend insupportable pour le spectateur qui se demande quand cette insoutenable ambiance prendra fin. Cette lenteur, l’ambiance zen du bar, associés au texte douloureux de Tennessee Williams font prendre à cette pièce toute sa dimension effroyable.

Un rythme aussi lent, un texte aussi dur, une mise en scène aussi minimaliste, auraient nécessité des acteurs compétents, sachant tenir ces rôles tragiquement subtils de bout en bout. Malgré des passages poignants qui hérissent chaque poil, comme la scène de fin, tragique, soutenue par du David Bowie bienvenu, on ne peut s’empêcher de remarquer des erreurs de texte, l’indécision des propos qui n’est pas jouée par les comédiens, et même parfois un jeu qui n’est pas juste. Ainsi, le texte n’est pas entendu à sa juste valeur, ce qui est dommage. Le message de Tokyo Bar en reste heureusement intacte : l’art est un simulacre de vie, et chaque artiste en use à la folie.

Laura Madar

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Tokyo BarDe Tennessee Williams, mis en scène par Gilbert Désveaux

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Moonrise KingdomRéalisé par Wes Anderson

Quelle belle ouverture du festival de Cannes que celle de la projection du dernier film de Wes Anderson  ! Le réalisateur de « Fantastic Mister Fox », «  La vie aquatique  » et «  La famille TenneSuivantebaum  » reste fidèle à ses fans, nous offrant un nouveau cocktail explosif plein d'humour, d'amour et d'humour encore.

Comme à son habitude Anderson s'entoure des meilleures et nous livre un casting délicieux  : Bill Muray, Tilda Swinton, B ruce Wi l l i s , F rances McDormand et Jason Schwartzman auxquels il faut ajouter les jeunes Jared Gilman et Kara Hayward. Jared Gilman interprète le rôle principal du jeune Sam, scout en fugue par amour pour Suzy  ; l'occasion pour nous de découvrir une v ra ie bou i l l e de c inéma accompagnée d'un jeu juste et drôle, qu'on espère retrouver.

© Tobis Film

Moonrise Kingdom raconte la fugue de ce couple d'adolescents ''difficiles'', partis à la recherche de leur terre promise sur les pas des anciens indiens. Cette phrase seule promet bien des péripéties et toutes seront honorées ; les deux fugueurs provoquant une réelle tempête sur la petite île de New Penzance Island pourtant bien tranquille.

Marianne Knecht

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ensées comme des plans au ralenti d’un final de combat de boxe, les premières séquences du dernier film de Paddy Considine mettent, à proprement parler, au tapis. C'est-à-dire que les âmes sensibles doivent à ce moment-là déserter leurs fauteuils. Je suis une âme sensible, et une amie des animaux, voilà, j’ai failli quitter mon fauteuil, c’est mon côté Brigitte Bardot, la blondeur et la gloire passées en moins. Je ne suis pas vraiment humaniste, ni un modèle de vertu philanthropique, mais a priori le sort de mes congénères humains m’intéresse – c’est la raison pour laquelle je suis restée dans mon fauteuil, et que je suis ressortie sonnée mais très heureuse d’avoir vu cette pépite du cinéma indé. Joseph, seul au monde dans son îlot pavillonnaire miteux, veuf, tourmenté, avec un chien, puis sans chien, avec la lie de l’humanité pour voisinage – exception faite d’un môme appelé Samuel. Joseph percute violemment la vie d’Hannah, grenouille de bénitier un peu nœud-nœud mais tout à fait sympathique. Hannah, sous ses abords de ravie de la crèche toujours prête à aider son prochain, subit en réalité l’enfer conjugal : à première vue, tous les paramètres sont réunis pour que le  « film social » se déroule dans toute sa splendeur pathétique.

C’est sans compter l’acuité d’un réalisateur rare et touché par la grâce, qui refuse de tourner caméra à l’épaule, rejetant les « codes  » dudit cinéma «  socio-réaliste  » qui affectionnent le bancal et l’approximatif, les effets de flous et le bricolage factice. Paddy Considine déclare prendre le parti du cinéma, du vrai, avec des plans-séquences vraiment réussis, caméra fixe  ; et il relève allègrement le pari. Sous des abords glauques, sado-masos, un peu crus, le scénario développe pudiquement et avec une étonnante finesse le panorama des vies de paumés ordinaires, de martyrs qui se taisent et se cachent, de salauds sans rédemption et de saint(e)s déchu(e)s. Porté de bout en bout par un Peter Mullan parfait, brutal et maladroit, rejoint rapidement par l’actrice Olivia Colman en plein naufrage, Tyrannosaur échappe à tout cliché manichéen, à toute complaisance et à la tentation d’un happy-end trop facile. Violence et misère, fers de lance du long-métrage, sont développées sans faux-semblants mais sans gratuité cependant ; et le grand mérite du film est bel et bien de montrer combien le jugement moral est délicat à porter : ni tous salauds, ni tous béats, les personnages dont Tyrannosaur livre un pan de vie offrent une certaine image – vraiment attachante – de ce qu’est la complexité des affects. A voir, et revoir, le grand cinéma étant trop rare pour être manqué…sans compter, pour notre plus grand soulagement, qu’aucun animal n’a été maltraité pour les besoins du film.

Bérangère Pétrault

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TyrannosaurRéalisé par Paddy Considine

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Pas étonnant que la World Cinema Foundation fut créée par Martin Scorcese. C’est en 2007 que le cinéphile averti qu’il est fonde à l’occasion du festival de Cannes cette fondation internationale destinée à aider les pays émergents à préserver leur patrimoine cinématographique. Quelques films restaurés et ressuscités, dans quelques festivals, plus tard, Carlotta nous fait aujourd’hui un beau cadeau en les éditants en DVD pour le public cinéphile français. Si ce coffret est présenté dans les pages de Nomenculture aujourd’hui, c’est qu’il présente une chance inouïe de renouer avec des cinématographies inconnues, oubliées et délaissées au fil des années.

Dans le coffret, quatre films, quatre beaux films ressortis pour notre plus grand plaisir des caves des cinémathèques ou encore de collections personnelles, restaurés avec amour. L’amour du septième art, et surtout l’amour de la diversité. Ces trésors cachés remis au gout du

jour sont mexicains (Les révoltés d’Alvarado, réalisé en 1934 par Emilio Gomez Muriel et Fred Zinneman), kazakhs (La flute de roseau, réalisé en 1989 par Ermek Shinarbaev), marocains (Transes, réalisé en 1981 par Ahmed El Maanouni) et sénégalais (Touki Bouki, réalisé en 1973 par Djibril Diop Mambety)... Autant de cinématographies et de cinéastes perdus dans la cohue des dizaines de milliers d’oeuvres cinématographiques qui aujourd’hui forment le patrimoine mondial du cinéma.

Les remettre sur le devant c’est la volonté d’un grand amoureux du cinéma qui avait déjà contribué à la réhabilitation de grandes oeuvres et de grands cinéastes tels qu’Abel Gance et son Napoléon, ou encore Mikhaïl Kalatozov et son somptueux Soy Cuba. Ce travail de mémoire, Scorcese avec sa fondation, nous en rappelle son importance et son statut de devoir. Il faut redonner le crédit artistique que ces oeuvres oubliées méritent aujourd’hui, rappeler le travail de réalisateurs qui se sont battus contre les conventions et pour la production de films qui méritent aujourd’hui d’être reconnus pour leur modernité, leur virtuosité. Regarder le cinéma du monde, c’est aussi découvrir que celui-ci est un immense patchwork homogène (ou non) composés de centaines de cultures différentes, et non inégales. Chacune à le droit d’être appréhender et d’être reconnue à sa juste valeur, c’est un bel exemple d’ouverture sur le monde que nous donne aujourd’hui Carlotta en éditant ces DVDs.

Sur la boite du coffret, en tout petit, est inscrit ‘‘vol.1’’, ce qui est une bien belle promesse pour le futur.

Simon Bracquemart

Coffret DVD « World Cinema Foundation »Réalisé par Martin Scorsese

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A p r è s A d a n g e r o u s method, on était en droit de désirer un retour au fameux style qui fait un bon C r o n e n b e r g . C e t t e tentative quasi historique basée sur la psychanalyse n’était pas mauvaise mais s o y o n s h o n n ê t e s , e l l e manquait de saveur. Cette année, à Cannes pour la sé lect ion of f ic ie l le , un nouveau film vient s’ajouter à la longue discographie du réalisateur : Cosmopolis. Après avoir regardé les teasers, de la bande-annonce en veux-tu en voilà, le temps est venu de le voir vraiment. Je n’étais pas convaincu par le premier rôle, ce qui me semblait de prime abord légitime. Mais finalement, j’ai laissé sa chance à Pattinson. Je ne le regrette pas : le jeune premier, plein aux as, bien coiffé et un peu crispé lui collait à la peau et réellement, en cela, on ne peut que lui imaginer une bonne carrière loin des carcans prépubères.

Bien que ce rôle soit une réussite, ce que l’on peut déjà discuter, tout le film est pour moi un raté. Je me suis rarement ennuyé à ce point au cinéma. Je regrette de ne pas être sorti. Le film est complètement vide, il n’y a aucun rythme, aucune cadence et des éléments de rupture qui arrivent comme un cheveu sur la soupe. L’ambiance dysphorique de l’extérieure n’est restranscrite environ qu’une minute tandis qu’on est enfermés dans la limousine pendant plus d’une heure. Le huis clos était un sujet intéressant, bien sûr, mais il n’en a rien fait non plus. Faire apparaître Juliette Binoche dans une scène où elle est un objet sexuel, ce n’est pas heureux. La critique du capitalisme rentre d’une oreille et ressort de l’autre, ou bien elle n’existe même pas. Elle est ridicule et tellement mise à l’écart qu’on lui préfère des dialogues pseudo-intellectuels ou du moins conceptualisant des futilités – futilités qui ne m’auraient même pas intéressé dans la salle d’attente d’un cabinet de dentiste. Le paroxysme du n’importe quoi, de l’horreur – comprenez “navet” – et du mauvais goût réside dans les nombreux références à l’univers scatologique. Avoir comme leitmotiv “votre prostate est asymétrique” aurait pu être la touche Cronenberg si ce n’était pas que de la provocation vulgaire et risible. J’ai beaucoup ri, gêné, d’un rire nerveux, trouvant tout ridicule ou exagéré pour rien.

Je décerne à Cronenberg la palme du film qui aurait mieux fait de ne jamais exister.

Jean-Baptiste Colas-Gillot

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CosmopolisRéalisé par David Cronenberg

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ES Dark Shadows

Réalisé par Tim BurtonEn fervante admiratrice du cinéma de Tim Burton, il fallait à tout prix que j'aille voir son dernier long métrage au cinéma : Dark Shadows. Il y reprend le thème de la série du même nom de Dan Curtis. C'est ainsi que Johnny Depp incarne le rôle de Barnabas Collins, un vampire maudit par la sorcière Angélique Bouchard.

Pour être honnête, après le fiasco d'Alice aux pays des merveilles, j'espèrais que Burton revienne à la raison. Ma déception fut donc plus grande encore. Seth Grahame-Smith, le scénariste, a tenté de condenser une série entière dans un seul film. Résultat ? La découverte d'un loup-garou cinq minutes avant la fin. Quel intérêt ? Aucun. Durant tout le film, Carolyn n'est qu'une adolescente rebelle comme tant d'autre et soudainement, on la voit avec des poils et des pattes de lapin sans que cela ne choque personne. Quant à la bande originale que j'aime beaucoup, personnellement, elle pourrait tout à fait correspondre à l'univers de Burton. Effectivement, la musique des années 70 contient un grain de folie et d'insouciance que le réalisateur aime généralement utiliser pour alléger le drame de ses scénarios, comme dans Charlie et la chocolaterie, par exemple. Cependant, dans Dark Shadows, cet univers enfantin n'est qu'à moitié exploité à travers des hippies défoncés et une orpheline au visage angélique, qu'on oublie régulièrement au cours du film. Le pire dans ce long métrage ? Le personnage d'Angie. Je conçois facilement que de coucher avec des super pouvoirs peut être bestial et sauvage. Mais dans ce contexte là, même Twilight fut meilleur. En effet, une scène de cinq minutes montrant un vampire et une sorcière en train de tout casser par une soit disante passion vieille de deux cents ans n'est ni humouristique ni romantique ni excitante. Ecourté à trente secondes, elle ne nous aurait au moins pas marqué. Dans le même genre, un plan de cinq minutes montrant, une fois de plus, la sorcière se briser comme une poupée de porcelaine : ennui profond. En résumé, Dark Shadows : un film à voir parce que c'est du Burton mais à ne jamais revoir. Espérons qu'il abandonne l'idée d'en faire une suite.

Annaël Le Ny

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Avec De rouille et d’os, le cinéaste français signe un beau film, un mélodrame. Comme à son habitude Audiard filme l’histoire de personnages blessés dans leurs corps et dans leur amour propre, qui en se battant réussissent difficilement à prendre en main leur destin. Cette histoire d’amour entre Ali, jeune père sans le sou qui part avec son fils chez sa soeur à Antibe, et Stéphanie, jeune dresseuse d’orque au marineland qui perdra ses jambes lors d’un show qui tournera mal, est remarquablement bien filmée et mise en scène par le réalisateur. Il trouve dans ce sujet le combat mené par les personnages contre leur nature blessée et handicapée qui restera peut être le point central de ses histoires d’amour puisque Carla Behm, la secrétaire de son premier mélo, Sur mes lèvres, était elle aussi handicapée, sourde. Le couple est remarquablement bien joué et bien dirigé, campé par le génial Mathias Schoenaerts ( remarqué dans Bullhead ) et la magnifique Marion Cotillard.

Avec De rouille et d’os, Audiard signe une oeuvre organique dans laquelle l’union de ses deux personnages ne passe pas seulement au travers d’un scénario remarquablement bien écrit ou encore par deux acteurs très bon mais aussi par cette manière qu’il a de coller aux corps de ceux-ci, de coller à leurs visages, leurs mouvements. La plus marquante est peut être la plus emblématique, celle qui constitue l’affiche : Stéphanie les jambes coupées, portée sur le dos par Ali. ‘‘Une sorte de centaure’’, comme aime dire Jacques Audiard, qui résume bien les forces qui constituent ce couple. Le physique d’Ali fait revivre Stéphanie, il la porte, l’amène se baigner ; les relations sexuelles qu’il a avec elle l’aide à se reconstruire et lui donne une dimension érotique qu’elle pensait avoir perdu ; les combats clandestins qu’il mène, usant de sa force physique lui offre un nouveau travail et une nouvelle légitimité, celle de lui organiser les combat. Stéphanie, elle, n’a plus ses jambes, mais la tête bien faite et a cette ouverture d’esprit qu’il faut pour comprendre l’homme rustre ‘‘handicapé des mots’’ (selon les propres dire du réalisateur) qu’est Ali. Les deux ont besoin l’un de l’autre et avancent l’un à côté de l’autre.

Audiard est définitivement un artiste humaniste sans borne qui montre encore ici de l’amour pour ses personnages blessés par la vie mais qui trouvent toujours la force de continuer à vivre, toujours avec intelligence en trouvant la manière d’utiliser leurs défauts et handicaps à leur profit. Le cinéma de Jacques Audiard est un cinéma de la transcendance.

Simon Bracquemart

De Rouille et d’OsRéalisé par Jacques Audiard

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CINÉMA DES CABOSSÉS

© Pathé Distribution

« C’est pas dur de marcher, il suffit de mettre un pied devant l’autre », dit Simon

( joué par Jean Yanne ) dans Regarde les hommes tomber sorti en 1994. C’est le premier film de Jacques Audiard, et cette petite phrase de feu Jean Yanne résume presque toute la cinématographie du fils de Michel Audiard, lui aussi scénariste de formation. Dans tous ces films Audiard a toujours eut à coeur de suivre à la trace les destins compliqués de personnages qui, non sans mal, surmonte sans cesse leurs

handicaps. Marcher est simple, avancer l’est moins. Le cinéma de Jacques Audiard c’est un cinéma des petites gens, des personnages imparfaits, de héros médiocres, qui n’ont de cesse de se battre et de surmonter les épreuves pour survivre réussir ce qu’ils entreprennent.

Le scénario ne fait pas un film en soi, et Audiard l’a comprit en développant une mise en scène toujours très organique, avec une caméra très mobile collant les personnages dans leurs mouvements, dans leur mal-être, répondant ainsi à la proximité voulu dès le scénario. Le montage privilégie souvent des instants de flottements répondant non plus à un déroulement chronologique du récit mais à la

transcription fidèle de l’état intérieur des personnages. Chez Audiard, très peu d’insert, très peu de plan ‘‘nature’’, mais toujours ces plans proches des personnages, en longue focale, le plan flou, toujours cette attention portée à leurs réactions, leurs actions, leurs faits et gestes, et la perception qu’ils ont du monde qui les entourent, qu’ils observent avec attention et analysent souvent avec justesse.

Jacques AudiardRéalisateur Français

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P.19Souvent l’univers criminel et masculin sert de toile de fond à ces histoires de destins compliqués. L’homme dans ses faiblesses est toujours un personnage qui permet

au cinéaste de mettre en exergue ces combats si rudes menés par les personnages contre leurs natures violentes et sous-douées. C’est ceci qui fait que les scénarios du réalisateur français sont si humanistes et donc si réalistes et si beaux. C’est cette façon de présenter des personnages réalistes et ordinaires en apparences, qui trouvent toujours leurs forces en apprenant à user de leurs

faiblesses et à les transformer en force, qui est la nature même du cinéma de Jacques Audiard, cherchant toujours à extirper ainsi ses héros de leur ordinaire, réussissant sans cesse à nous les rendre extraordinaires.

Cette faculté de jugement et d’appréhension est peut être la plus forte chez

Malick El Djebena, le héros prisonnier de Un prophète, qui, au fur et à mesure que le film avance, apprend, regarde et se fait un nom dans la prison et dans le milieu criminel parisien, prenant tout le temps les bonnes décisions, tenant sans cesse sons destin fermement. Sa faiblesse à lui est de ne rien être du tout en entrant en détention. C’est là qu’Un prophète se démarque des autres oeuvres d’Audiard,

qui avait alors non pas fondé un récit sur des faiblesses combattues et un destin réinventé, mais sur une destinée fondée à partir de rien si ce n’est le lieu de vie du personnage, la prison et le monde criminel. Un grand film d’apprentissage.

Jacques Audiard est aussi un maitre incontestable de la direction d’acteur

qui a toujours offert à ceux ci des rôles uniques et forts. Les six films de Audiard jusqu’à maintenant, c’est 23 césars remportés dont 7 par ses acteurs. C’est dire la reconnaissance qu’a sut gagner le réalisateur auprès de ses pairs. Celle qui n’est apportée qu’aux seuls grands artistes, les plus exigeants, ceux qui ont toujours eut le soucis de perfection.

Voilà 18 ans que l’on voit ces hommes tomber, les mots sur les lèvres, les mains tendues au dessus d’un clavier de piano... 18 de grand art et de grand cinéma français. Jacques Audiard n’a certainement pas fini de nous transporter et de nous surprendre!

Simon Bracquemart

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Quel usager du métro parisien n’a pas rencontré sur son chemin l’affiche à la monumentale tête d’orang-outan en marbre noir de François Pompon, mascotte de l’exposition consacrée au règne animal au Grand Palais ?

Choisissant pour seul sujet les bêtes à poils, à plumes, à écailles et antennes, coquilles et carapaces, le Grand Palais adopte un parti-pris radical. En effet, l’animal n’est jamais agrément du sujet humain au sein des quelques cent vingt œuvres des peintres et naturalistes allant de la Renaissance à nos jours, mais sujet premier, tantôt célébré pour lui-même, tantôt subi à un jeu anthropomorphique. Tout au long d’un parcours pédagogique, judicieusement pensé, accessible à tous et jamais ennuyeux, toiles, gravures, sculptures et dessins questionnent le

rapport étroit qu’entretiennent art et science, observation et jugement d’ordre esthétique voire – et c’est parfois surprenant – moral. Ainsi le chat décrit par le naturaliste Buffon, au XVIIIe siècle, est doué d’une « malice innée, [d’un] caractère faux, [d’un] naturel pervers »  ; sous le pinceau du peintre Bachelier, contemporain du naturaliste, le même animal devient un superbe angora turc guettant un papillon.

Le commissaire d’exposition Emmanuel Héran aura en effet choisi une approche évolutive de la place des animaux comme sujets d’art  : après avoir brossé les premiers répertoires des animaux minutieusement décrits, vu comment la découverte du Nouveau Monde et de sa faune s’inscrit dans la représentation artistique, et vu également comment l’homme, peintre ou biologiste, a très tôt tenté d’influer sur la nature de l’animal, il est question des préjugés moraux et esthétiques mis en évidence par l’art. Ainsi, pourquoi le crapaud, l’araignée n’intègreraient-ils pas l’espace muséal, avec la tendresse complice de Picasso, Louise Bourgeois ?

L’essor des parcs zoologiques aura contribué à affiner la connaissance et le traitement artistique des animaux, ainsi qu’à les protéger dans une certaine mesure ; en ce sens, l’exposition du Grand Palais serait le parfait parc zoologique, célébrant l’animal, ressuscitant les espèces disparues, informant les plus jeunes et épatant les plus grands avec une chauve-souris faite de matériaux composites suspendue au dessus des grandioses escaliers du bâtiment.

Exaltation de la beauté animale, l’exposition est aussi une mise en garde, une réflexion inquiète et un hommage délicieusement esthétique à une faune surprenante ; en s’achevant avec le gigantesque Ours blanc de Pompon (petit frère de l’orang-outan de l’affiche), la Beauté Animale rappelle qu’elle est, elle aussi, menacée. Mon petit cœur d’amie des animaux en est encore tout palpitant.

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N Beauté AnimaleAu Grand Palais, Paris

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L'exposition se construit autour d'un intéressant parcours suivant la chronologie des déplacements humains et leurs évolutions. L'installation est ludique et séduit tandis

que l'important travail photographique nous immerge aisément. On gagne ainsi facilement la même curiosité que les enfants devant les vieux bus et métro. A côté, des recherches mettent en lumière le développement de nos villes familières autour de l'arrivée des gares et des infrastructures nouvelles. Puis on découvre la vision qu'avaient dans le passé les ingénieurs et artistes sur les villes modernes  ; toutes ces

« Metropolis » qui ne sont jamais sorties de terre ( à notre grand bonheur ).

On nous propose alors une pause dans le parcours  ; le temps d'extraits de films ou d'un regard dans des revues spécialisées. Chacun à son rythme et à ses occupations. Les petits ont même droit à des Legos pour construire leurs propres villes, attisant ainsi

la jalousie des plus grands ( certains y succombent ).

Vient ensuite le Future  ! Mais future proche voire présent. L'installation se concentre alors sur l'architecture des villes modernes et les infrastructures répondant aux déplacements humains. Cela ne tarit pas d'intérêt ni de projets ambitieux, mais les

amateurs de vaisseaux et véhicules futuristes resteront sur leur faim.

Marianne Knecht

Circuler - Quand nos mouvements façonnent les villesÀ la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, Palais de Chaillot, Paris

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Les Fantômes, entre visible et invisible

Quand on parle de “fantômes”, tout le monde pense aux personnages vêtus de drap avec deux trous pour les yeux. Ce qui ressort de cette caricature est la visibilité du fantôme. Nous nous sommes certes penchés sur l’étude thématique des fantômes mais nous avons voulu davantage traiter des fantômes comme êtres de chair ou du moins comme des êtres pouvant s’incorporer dans un plan humain.

Généralement, au lieu d’un drap, ils sont entourés d’un voile de mystère qui les rend énigmatiques, ambigus. Ce sont des personnages qui véhiculent une angoisse, une peur ou même qui suscitent un envoûtement sur les autres personnages. Ils ne sont pas nécessairement reconnaissables mais on ressent assez rapidement à leur contact un malaise. Ils ne paraissent pas évoluer sur un même plan, dans une même condition.

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Ce qui est remarquable, particulièrement au cinéma, c’est que l’on ne perçoit pas immédiatement le malaise. On peut passer naturellement une scène en se rendant compte, quelques scènes plus tard, avec du recul que l’on vient de manquer quelque chose, un je-ne-sais-quoi qui bloque le mécanisme de la compréhension.

Un fantôme n’est jamais complètement invisible ni visible non plus. On a beau le voir, un question subsiste : les autres peuvent-ils le voir aussi ? Ne sommes-nous pas victimes d’une hallucination ? Ce sont autant d’interrogations que l’on doit mener dans la peau des personnages en lisant un livre ou en regardant un film.

Les fantômes représentent tantôt un rêve tantôt un cauchemar mais ils peuvent tout aussi bien s’inscrire dans un champ tout à fait prosaïque. Ce qui est sûr c’est qu’ils matérialisent une angoisse passée. Ils cristallisent ce qui a été, ce qui n’était pas, ce qui ne sera pas, ce qui ne sera plus.

Les fantômes métaphoriques ou allégoriques sont souvent les plus beaux souvenirs d’une absence déchirante.

Jean-Baptiste Colas-Gillot

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Bérangère Pétrault

Fantômes thaï

Grande surprise que cette Palme d'Or, remise à Joe – surnom affectueux décerné au cinéaste – pour Oncle Boonmee, alors que le film n'avait même pas de distributeur en France. Surprise ? Pas tant que ça si on se rappelle que c'est Tim Burton, spécialiste ès monstres et revenants en tous genres, qui la lui a décernée.

Bien entendu, il n'est pas question d'analyser ici la signification culturelle des fantômes dans le monde asiatique. Remarquons seulement la récurrence des revenants et autres réincarnations, notamment dans Oncle Boonmee, dont le titre complet signale, déjà, l'importance de ces « vies antérieures ». Le film s'ouvre d'ailleurs sur un carton annonciateur : « devant la jungle, les montagnes et les vallées, mes vies passées comme un animal et d'autres êtres se tenaient devant moi ».

Les apparitions fantomatiques auxquelles assiste Boonmee sont visuellement très variées : sa femme décédée lui revient en surimpression, son fils disparu se manifeste sous la forme d'un grand singe noir aux yeux rouges, et lui-même est confronté à ses propres « vies antérieures » : boeuf majestueux, dédoublement...

La beauté visuelle de ces revenants – et du film – nous fait découvrir un univers à la fois déroutant et familier, un monde à la fois inquiétant et apaisant. Nulle terreur dans l'apparition des fantômes : ils annoncent en même temps qu'ils préparent à la mort de Boonmee.

Chronique d'une mort annoncée, Oncle Boonmee ne devient pourtant jamais désespéré : les fantômes, l'esprit des lieux et des choses, sont là pour témoigner de l'éternel retour vital. L'agonie de Boonmee, guidé par l'un de ces esprits, s'effectue par un cheminement originel jusqu'aux tréfonds d'une grotte aux allures d'utérus matriciel. Vivre, mourir, et revenir : les fantômes d'Oncle Boonmee témoignent d'un retour nécessaire aux origines, et d'une magie des choses indéniable, et belle.

Alice Letoulat

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S Oncle BoonmeeRéalisé par Apichatpong Weerasethakul (2010)

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Il m’était difficile d’écrire cet avis sans dévoiler tout o u p a r t i e d u f i l m d’Amenábar. J’ai fait au mieux mais je ne garantis pas que vous deviniez le twist du film. Car oui, l’un des principaux intérêts des A u t r e s e s t d ’ o f f r i r u n rebond i s sement p lu tô t cohérent et surprenant.

Tout le film évolue dans un huis clos par fait  : une g r a n d e m a i s o n o ù l a lumière ne rentre pas car l’enfant cadet est atteint d ’ u n e m a l a d i e r a r e l’enfermant dans l’ombre. P e u à p e u , l ’ h é r o ï n e , incarnée par Nicole Kidman, sent une présence ou du moins décèle des éléments étranges dans sa maison. Toute une tension s’instaure grâce à des effets de film d’horreur. Tout un jeu de suspense se construit en crescendo tantôt grâce à une latence qui glace le sang du spectateur, tantôt à cause d’un invisible inquiétant. Cet invisible qui s’insinue dans l’esprit du spectateur tout autant que dans celle des personnages devient palpable : il s’agit là d’une histoire de fantômes. Des ombres, des spectres, des bruits étranges développent le champ du surnaturel sans jamais qu’un fil ne se fasse trop apparent.

Les fantômes cristallisent l’angoisse d’un passé à tel point que leur vision démultiplie la vieillesse de la maison. Tout est poussière, toile d’araignée, vieux mobilier et odeur sinistre. Finalement, tout ce qui paraît surnaturel devient aussitôt supradiégétique puisque le spectateur comprend peu à peu qu’un mécanisme bloque le rouage.

Et la fin apporte une réponse à nos questions, nos doutes et nos angoisses avec brio.

Jean-Baptiste Colas-Gillot

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Les AutresFilm d’Alenjandro Amenabar (2001)

Source : Wikicommons

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S Le Tour d’écrouRoman d’Henry James (1898)

« Ce n'est pas le doute, c'est la certitude qui rend fou »

F. Nietzsche

Difficile d'évoquer un ouvrage fantastique sans en gâter le plaisir... On risque toujours de trop en dire en voulant donner envie de le lire. Cependant, le risque de spoil, comme on dit, est moindre avec Le Tour d'écrou : fort heureusement, l'intrigue ne repose pas sur une révélation qui mettrait un point final aux interrogations du lecteur. Bien au contraire...

Au cours d'une soirée mondaine, un homme lit le journal d'une gouvernante qui, encore jeune, fut chargée, par leur oncle, de l'éducation de deux enfants orphelins, enfants fascinants autant que mystérieux. Au sein de l'immense demeure anglaise où vivent les enfants, la jeune éducatrice est témoin de l'apparition d'un homme et d'une femme : le précédent valet et l'ancienne gouvernante, autrefois amants, désormais morts...

L'intrigue est typique du fantastique : les revenants n'en sont, finalement, qu'une énième manifestation. Mais leur présence ravive des problèmes jusque là volontairement ignorés par la gouvernante, à commencer par la véritable nature des enfants. Bien entendu, le lecteur s'interroge sur la véracité des visions de la gouvernante : voit-elle vraiment ce qu'elle est convaincue de voir ?

Car la gouvernante, elle, ne doute jamais de la présence réelle des revenants. Elle est préoccupée par ce que sait chacun, et notamment les enfants : savent-ils que les revenants sont là ? Savent-ils que je sais que les fantômes sont là ? Dois-je faire savoir aux enfants que je sais qu'ils savent que les revenants sont là ?

Tous ces emboîtements recoupent aussi la question du doute qui submerge chacun des protagonistes : que savons-nous du monde, en dehors de ce que nous en partageons avec les autres ? La vérité d'un récit, d'une vision, et même du langage, ne tient en fait qu'à ce que chacun juge bon de révéler.

Responsables de ces perturbations, les fantômes sont doublement mauvais : venus, selon la gouvernante, pour entraîner les enfants vers le mal, ils entraînent avec eux notre crédit littéraire : nous n'aurons pas de réponse à nos questions. La fin du récit est aussi brutale que douce en était l'introduction. Une frustration narrative qui n'aura de cesse de vous hanter...

Alice Letoulat

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Parler d’un film japonais de 1953 qui est de surcroît un classique n’est pas chose évidente. La principale barrière qui semble nous être opposée est l ’univers or iental développé dans le film. Pourtant, en s’intéressant de près à l’auteur, on se rend compte qu’ i l pu i se son inspiration dans un double-univers : à la fois oriental et occidental. Ses Contes s’inspirent tout d’abord du célèbre Ueda Akinari ayant écrit les Contes de pluie et de lune. Le titre est proche de celui de Mizoguchi autant que quelques éléments de la diégèse : histoire, personnages, etc. Mais ce n’est pas tout : Mizoguchi s’inspire également d’un auteur f rançais et pas des moindres puisqu’il s’agit de Maupassant.

C’est un film à plusieurs vecteurs qui se construit autour d’un réalisme français ponctué de touches fantastiques, d’un théâtre du Nô omniprésent dans l’esthétique, d’une confrontation des personnages stéréotypique du Japon, des émotions transcrites de l’oeuvre d’Akinari. Bref, c’est un long-métrage pluriculturel qui ne cesse de nous surprendre.

Sa problématique majeure s’oriente autour de la question du visible et de l’invisible. La caméra se veut naturaliste tout en laissant échapper quelques détails surnaturels pour les spectateurs. Celui qui lit le film découvre ainsi des éléments de dissonance, par le biais de la musique, nous menant souvent sur une voie différente de l’action en tant que telle. Ainsi, on découvre que Wakasa, une des antoganistes principales, est une femme plus qu’énigmatique. Le traitement de l’image s’attarde sur son apparence avec lenteur quand tout le reste plonge dans l’effervescence. Elle apporte la contradiction et à la fois, attire irrémédiablement le personnage principal, Genjuro. Ce dernier est envoûté par Wakasa et la scène de leur rencontre se lit comme un coup de foudre épiphanique ou l’insinuation du surnaturel. Wakasa est la femme adorée ou le fantôme dangereux aux yeux de Genjuro. Pour le spectateur, elle n’est jamais entièrement ni l’un ni l’autre puisqu’elle captive l’oeil de son spectre.

Jean-Baptiste Colas-Gillot

Les Contes de la lune vague après la pluieFilm de Kenji Mizoguchi (1953)

Source : Wikicommons

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NOMENCULTUREACTUALITÉ CULTURELLE

Retrouvez le prochain numéro des Feuillets de Nomenculture le 1er Juillet 2012, dont le dossier portera sur : le Syndrome de Stockholm.

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