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8LITTÉRATURE NUMÉRO 7 MAI 2012 GRATUIT Dossier L’ADOLESCENCE PAGE 20 Théâtre Inconnu à cette adresse PAGE 6 On en parle FRANCIS FORD COPPOLA PAGE 12 NOMENCULTURE ACTUALITÉ CULTURELLE FEUILLETS LES DE

N°7 Les Feuillets de Nomenculture

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N°7 - Mai 2012 Les Feuillets de Nomenculture installent un rapport direct à l'actualité culturelle mensuelle, par des points de vue originaux et personnels.

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8LITTÉRATUREL

NUMÉRO 7 MAI 2012 GRATUIT

DossierL’ADOLESCENCEPAGE 20

Théâtre Inconnu à cette adresse PAGE 6

On en parle FRANCIS FORD COPPOLA PAGE 12

NOMENCULTUREACTUALITÉ CULTURELLE

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Fondateur :

Hubert Camus

Directeur de la publication et Rédacteur en chef :

Jean-Baptiste Colas-Gillot

Maquettiste :

Coriolan Verchezer

Comité de rédaction :

Simon BracquemartCarla Campos CascalesHubert CamusClara ChampionJean-Baptiste Colas-GillotRoxanne ComottiMarianne KnechtAlice LetoulatLaura MadarBérangère PétraultPaul RochotteConstantin de Vergennes

ISSN : 2115-7324

À tout le monde, merci. Je tiens à vous remercier autant que je le peux. Les Feuillets connaissent leur septième

publication en ligne, grâce à une fantastique effeverscence d’idées. Ce mois de mai est le moment pour moi de dresser un bilan. Il n’y a pas que du positif à tirer de notre expérience, évidemment, je veux être objectif. Nous avons fait des erreurs mais n’est-ce pas là l’essence même

de l’art ? Il faut tâter, tenter, essayer, encore et encore ! Nous avons essayé, d’abord, d’organiser nos Feuillets de

manière à ce qu’ils soient non-exhaustifs. Nous avons constaté qu’il était impossible de rendre compte de tout ; c’est un tout simplement trop grand, en soi infini, et il faut

bien sûr se recentrer sur une ligne éditoriale d’exhaustivité. Nous ne traitons finalement que peu de choses, face à ce

tout-culturel énorme, mais au moins, nous tâchons de le faire de notre mieux.

Les Feuillets ont toujours eu pour volonté de donner un point de vue honnête et unique.

Ces deux points sont désormais à privilégier, encore et encore, toujours plus. Nous ne serons plus fébriles à

contourner l’institution qui s’est créée autour de la critique. La critique, en effet, c’est tout un art. Nous ne voulons pas révolutionner un art, non, nous voulons vous proposer un

autre art de la critique. Soyons des je forts et assumés tant que nous défendions un point de vue.

Si vous vous sentez une affinité avec cette conception de la critique d’art, que vous aimez rendre compte

d’actualités cutlurelles qui vous passionnent, vous êtes les bienvenus. Notre équipe a encore beaucoup à

apprendre, certainement, mais nous apprendrons, encore et encore.

Je vous souhaite un mois de mai aussi ensoleillé que notre motivation à vous fournir un septième numéro de qualité – prémice de notre volonté à être de plus en plus original.

Bonne lecture !

Jean-Baptiste Colas-Gillot

ÉDITORIAL

Nous recherchons de nouveaux rédacteurs. Contactez-nous à

[email protected]

www.nomenculture.fr

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LITTÉRATUREMoi, 20 ans, diplômée,

motivée... exploitée !

ARTS VIVANTSLes Amoureux

Inconnu à cette adresse4.48 Psychose

CINÉMAL’Enfant d’en Haut

Aux Yeux de tousAve

Réalisateur à l’honneur : Francis Ford Coppola

TwixtLa Terre outragée

EXPOSITIONSDega et le nu, Musée d’OrsayRochers de lettrés, Musée Guimet

DOSSIER : L’ADOLESCENCEFilm : Mysterious skinFilm : Deep EndLittérature : Soleil Cou CoupéLittérature : Bret Easton EllisFilm : Passe ton bac d’abordArticle : L’Adolescence et la nouvelle vague

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SOMMAIRE

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Yatuu (ou Cyndi Barbero), après un bac en arts appliqués et un BTS en communication visuelle, est fin prête pour entrer dans la vie active. Mais les

agences de publicité chez lesquelles elle postule ne propose que des stages, des emplois déguisés : elle gagne des clopinettes, finit parfois à pas d’heure quand les patrons partent à 17h, travaille le week-end, se fait gentiment exploiter... Le recueil de notes de blog est affectueusement sous-titré : « jeune maso en solde ». Les traits de dessin de l’auteure, clairement influencés par les mangas, s’agitent avec

justesse pour traduire mouvement et comique de situations dans le vécu de cette «  jeune stagiaire toute fraîche travaillant de jour comme de nuit pour un salaire imaginaire  ». Yatuu croque avec humour son expérience d’une réalité assez commune d’une grande partie de jeunes diplômés et met le doigt sur un problème en attente d’être résolu : l’impunité de beaucoup à masquer un véritable emploi

en stage très peu rémunéré à responsabilités égales.

Roxane Comotti

YatuuMoi, 20 ans, diplômée, motivée... exploitée !

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Les AmoureuxMise en scène de Julien Delbès

Un couple rouge passion, une soeur bleue raisonnable, un oncle blanc t c h a t c h e u r , u n e s o u b r e t t e amoureuse de l’amour, quatre autres personnages tenus par un seul acteur multicolore et multisexe, qui réussit à nous décrocher des larmes de rire... Une comédie colorée et hilarante qui promet une heure et demi de bon temps.

Une jeune compagnie composée de jeunes acteurs qui reviennent une nouvelle fois porter le texte de Goldoni, avec un casting légèrement différent. Ces jeunes artistes ont compris ce qu’est le théâtre, ce p o u r q u o i l e s s p e c t a t e u r s s e déplacent : de l’amour, du sexe, des cris, des rires, des pleurs, le tout condensé en un court instant. Les filles se démarquent plus que les garçons par leur voix et présence uniques et drôles. Mention spéciale à Marianne Caillet pour la tenue de son corps et son écoute qui lui confèrent une présence hors norme, et à Adrien Guitton qui tient quatre rôles à lui tout seul et qui assume l’hilarité de toutes les situations dans lesquelles il se trouve. A pleurer de rire.

La mise en scène, qui perd quelques fois le spectateurs avec le trop plein d’agitation sur scène, reste hilarante, judicieuse et originale et réussie avec brio à servir le texte très cocasse de Goldoni. Le décor, la musique, la lumière bleue, blanche ou rouge, selon la situation... Un vrai bon moment dont on ne se lasse pas.

Laura Madar

Les Amoureux, Carlo Goldoni, mis en scène par Julien Delbès, Compagnie AlacompoteDu 29 février au 31 mai 2012, les mercredis et jeudisAu Théâtre de l’Aktéon, Paris

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E Inconnu à cette adressed’après Kressman Taylor, mise en scène par

Maud Ferrer et Pierre SallustrauInconnu à cette adresse, nouvelle épistolaire publiée en 1938, en

avance sur son temps, qui a connu un succès international immédiat.

Deux amis, associés dans une

galerie d’art, l’un est juif et habite aux Etats Unis, l’autre habite en Allemagne. Au fil des lettres et de la montée du nazisme, leur amitié est compromise puis détruite, pour

enfin faire basculer leur vie dans l ’horreur. Leur dest in d’amis s’individualise au rythme d’une tragédie mondiale, en posant la question du fondement de la

condition humaine, remise en cause par la force de conviction d’une idéologie.

De plus en plus adapté au théâtre

ces dernières années, Inconnu à cette adresse est passée dans le

théâtre de ma ville. Je me suis enfin décidée à aller voir ce que pouvais donner ce texte, ces lettres, si bouleversantes, sur les planches. Merci à l’art et au théâtre d’obéir au devoir de mémoire.

Lu ou entendu, le texte vous rentre par les yeux, habite tous vos pores, direction vos tripes, et s’y installe jusqu’au point final ou à la sortie du théâtre. Cet Inconnu à cette adresse est porté par un décor minimaliste qui permet de mieux voir ces deux acteurs qui se doivent de tenir sur leurs épaules un texte si fort. Il faut être courageux et avoir un vrai corps pour y arriver. Je lève mon chapeau et salut bien bas Alain Tardif qui a tenu le rôle de l’Allemand, de bout en bout, avec l’atrocité des propos qu’il tient. Une prestation qui me sert la gorge encore aujourd’hui.

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L’évolution du personnage complexe du juif, joué par Pierre Sallustreau, se ressent dans le corps même de l’acteur. Sa respiration et son écoute incertaines du début mettent en exergue sa naïveté et sa confiance sincère et totale envers son ami, tandis que son visage et son corps se durcissent avec le temps, les lettres, les mots de celui qu’il croyait son ami.

La mise en scène est forte et intéressante. Décor minimaliste représentant une galerie d’art, ou un gentil salon, mais interaction des deux acteurs dans l’univers de l’autre, pour se rappeler tantôt de jolis souvenirs d’amitié, tantôt pour achever le

traitre, la victime. Ce choix de mise en scène sert l’ambivalence évidente des deux protagonistes. N’y a-t-il qu’une seule victime ? Qu’un seul bourreau ? Qui est qui ?

Le final, l’achèvement, éclate par un jeu de lumière horriblement sublime qui met

un terme à toute discussion. Puis noir total. Inconnu à cette adresse.

Laura Madar

En tournée 2012Mai : Seine et Marne et EssonneJuillet : Festival d’Avignon

Octobre: Haut de Seine

10 janvier au 10 février au Théâtre Douze de Paris

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Il ne fait nul doute que mettre en scène l’ultime œuvre de la virtuose Kane est

une entreprise risquée. Ce, pour deux raisons : en premier lieu, qui connaît l’œuvre condensée de la géniale britannique morte à vingt-huit ans, et plus avant, qui l’aime ? Ensuite, comment adapter Sarah Kane, comment amener le texte à la scène sans le dénaturer, le calomnier, le profaner d’une certaine façon ? Certains universitaires auront mis en garde contre la déification de «  Sainte-Sarah  »  ; et

cependant, c’est sur l’autel de Kane que l’on prend le risque de sacrifier quelque chose, tant la pureté presque plastique du texte, entre un autoportrait de F. Bacon et une Ophélie noyée peinte par Millais, s’avère dangereusement sobre.

4.48 Psychose de Sarah Kane, mise en scène de Paul-Frédéric Manolis

Bérangère Pétrault

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C’est la sobriété, la retenue et la mélancolie inextinguible du ton de 4.48 Psychose qu’aura sacrifiées la mise en scène de Paul-Frédéric Manolis. Proposant une lecture à revers du discours même de l’auteur, son postulat est celui de l’hystérie, du vociféré, du bégayé la bave aux lèvres. Si on salue la prestation - de sprinteuse plus que de marathonienne - de Milène Tournier, c’est plus pour la performance mémorielle et physique que l’interprétation qui confond saccade et précipitation. Manolis pourtant n’est pas passé, et c’est encore plus rageant, tout à fait à côté du texte ; son interprétation -en tant que comédien cette fois -, du Médecin de la pièce se place dans une vraie justesse. Jean-Gabriel Manolis, danseur butoh, le corps talqué les muscles tendus, n’est peut-être pas indispensable, mais reste une présence intéressante et visuellement très belle.

« Une femme psychotique » ; c’est folle et rien d’autre que la femme de 4.48 peut être ici, échevelée, vulgaire, étalée, spasmodique, vulve ouverte – allons-y  ! Qu’est-ce-là, sinon une vue médiévale de la sorcière avec balai, démons et rire sardonique ? Pourquoi le quart de la pièce où il est de fait question de bouffées délirantes, de mystique, du chaos de la pensée et de la langue engloutit-il tout le reste, c'est-à-dire le cri originel de Kane, la supplication, «  Love Me or Kill Me  » comme l’a si bien écrit G.Saunders* ? Et quand je dis cri, ce n’est pas l’hystérie de la hyène; quand Kane écrit « psychose » après 4h48, c’est parce qu’elle n’écrit pas uniquement « psychose  ». C’est parce que 4.48 traite de folie et de mort, mais avec une lucidité bien vive.

*Love Me or Kill Me: Sarah Kane and the Theatre of Extremes, de Graham Saunders, édition française 2004.

Bérangère Pétrault

4.48 Psychose, de Sarah Kane. Mise en scène de Paul-Frédéric Manolis, avec Milène Tournier, Jean-Gabriel Manolis et Paul-Frédéric Manolis.

Théâtre Le Proscenium (Paris) du 28 mars au 15 avril

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Mission : Impossible - Le Protocole fantômeL’Enfant d’en HautRéalisé par Ursula Meier

Ursula Meier suit les pas des frères Dardenne dans le drame social français. Les maîtres sont tranquilles sur leur piédestal, la réalisatrice n'innove pas dans le genre. Néanmoins, elle nous livre un film doux et sensible sur l'enfance et la famille, qui a su charmer Berlin (Mention spéciale du Jury). Elle nous raconte l'histoire touchante d'un adolescent livré à lui-même dans la campagne Suisse. Pour vivre et faire vivre sa sœur aînée, il revend des skis et autres accessoires de sport d'hiver volés en haut des pistes. Là haut, il envie ces jeunes touristes profitant naïvement de la neige en famille, alors qu'en bas sa mère ne l'assume pas et le néglige. Les séquences passent entre ses péripéties de voleur et ses déceptions à l'égard de cette sœur le laissant pour des hommes. Simon a quitté bien vite le monde de l'enfance ( l'a-t-il seulement connu ? ) pour les responsabilités d'un adulte. Mais quel avenir lui réserve la vente de ski le long des nationales  ? Voici une des questions posées par Ursula Meier, parmi moult interrogations sur le cadre familial et social.

Marianne Knecht

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Aux Yeux de tousRéalisé par Cédric Jimenez

Voilà la petite curiosité du cinéma français du moment. «  Aux yeux de tous  » retrace l'investigation d'un internaute suite à un attentat meurtrier dans la gare de Lyon parisienne. Un sujet ancré dans l'actualité, après les drames du mois passé. Drôle de coïncidence, dans la fiction aussi le crime profite à la politique au pouvoir. Insécurité et corruption font bon ménage. Politique mise à part, le film offre un intéressant point de vue sur le flux d'images fourni par le net. Notre internaute roi de la toile accède à la moindre webcam ou vidéo de surveillance, tel un Big Brother détective. L'image du film est ainsi principalement celle de ces vidéos pixelisées, dans lesquelles il zoom et panote à sa guise. Dans la tête de Big Brother on comprend le pouvoir de l'image mais aussi ses limites. Tout voir en live c'est fantastique, mais devant son ord inateur comment ag i r  ? Interviennent alors des questionnements sur l'intimité, la culpabilité et le devoir.Passé la confusion d'un début baigné dans le flux d'images, le spectateur prend pleinement part à cette intrigue tristement réaliste.

Marianne KnechtBérangère Pétrault

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Avé est un film sur le mouvement, les quêtes parallèles de Kamen et Avé. Deux personnages pour un road movie. La base est simpliste, mais Bojanov signe avec

intelligence un film remarquable par la force tranquille et douce qui anime ce mouvement perpétuel de ces deux âmes errantes. Kamen doit se rendre à l’enterrement d’un de ses amis qui vient de se suicider, Avé est lancée au hasard sur les traces de son frère toxicomane. L’histoire est simple, et la beauté d’Avé, ne se situe pas dans la construction d’un récit, mais bel et bien dans la complexité des

rapports entre les personnages, dans la complexité de leur portrait. C’est ce qui fonde la personnalité de ce petit film non sans charme.

Il est fort intéressant de voir que Avé développe dans la relation entre Kamen et Avé une sorte de parenthèse dans laquelle évoluent les deux personnages,

radicalement différents mais qui apprendront petit à petit les faiblesses de chacun, et qui apprendront alors à se dompter et à s’aimer. D’un côté, un jeune homme renfermé sur lui même, observateur et peu bavard, fixant ses deux yeux bleus livides sur le monde qui l’entoure. De l’autre côté, une jeune fille bavarde et drôle, cherchant dans le mensonge constant une réponse à ses questions et inquiétudes.

Le charme d’Avé réside dans la subtilité du traitement du road-movie fait par Bojanov. Les personnages ne fuient pas, ils redécouvrent et se découvrent aussi eux même. Leurs buts respectifs ne sont que des leurres, seulement des prétextes à fuir permettant aux deux protagonistes de se lier doucement jusqu’à s’aimer le temps d’une nuit. Avé porte le nom de la fille, car mentant sans cesse, c’est elle qui met en

exergue le propos profond du film. Car au fond, ce qu’il nous montre, c’est la manière qu’ont deux adolescents de choisir une liberté loin du monde adulte et de ses responsabilités, éprouvant un malaise quant au fait de s’y confronter. Partir, c’est créer son propre imaginaire, créer sa propre réalité, et construire son histoire soi-même, sans pressions sociales ou familiales. Celles-ci vont rattraper les personnages,

et notamment Avé, la plus libre des deux (jouée par la belle, charmante et géniale Anjela Nedyalkova), c’est ce qui rend le geste encore plus beau. Celui des personnages, celui du film.

Simon Bracquemart

AveRéalisé par Konstantin BojanovC

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F r a n c i s F o r d C o p p o l a e s t certainement l’un des plus grand réalisateur contemporain. Pionnier du Nouvel Hollywood qui amena le cinéma d’auteur au sein des grands studios américain, Il commença sa carrière sous la houlette du grand découvreur de talent que fut Roger Corman, producteur emblématique de série B américain. Il fut le premier à d o n n e r l e u r s c h a n c e s à d e s réalisateurs tels que Coppola, mais a u s s i M a r t i n S c o r c e s e , P e t e r Bogdanovich, Monte Hellman, Ron Howard, ou encore James Cameron.

Francis Ford Coppola fût l’une des têtes pensantes du mouvement artistique contestataire mené par les jeunes réalisateurs américains de la fin des années 60’ pour lesquels la liberté de créer fût certainement la plus importante des frondes lancées contre le système Hollywoodien des années 40 et 50.

F r a n c i s F o r d C o p p o l a e s t u n combattant qui n’a eu de cesse de batailler pour sa légitimité artistique. Les échecs furent nombreux, notamment lorsqu’il créa American Zoetrope avec George Lucas, studio indépendant qui avait l’ambition de rivaliser avec les géants d’Hollywood. L’échec fut alors cuisant dès le premier film produit, THX 1138, qui l’obligea à accepter, en 1972, un film de commande jusque là refusé par tout le gratin californien : Le Parrain. Le succès qui s’ensuivit n’est plus à rappeler.

Coppola est un artiste, au sens propre du terme. Pour un réalisateur de cet acabit, cela nous parait évident à nous autres européens descendants des nouvelles vagues françaises, italiennes... Mais cela ne l’est pas au États-Unis. La liberté artistique est certainement ce qui définit le plus Coppola qui a toujours cherché (spécifiquement avec American Zoetrope) une alternative industrielle possible face aux géants d’Hollywood, clamant avec conviction qu’un réel artiste et un artiste qui n’obéit à personne si ce n’est à lui-même. Certes ses films sont souvent des échecs commerciaux, mais ce combat mené, Coppola l’a gagné dans la reconnaissance de ses pairs et des cinéphiles du monde entier, dans la reconnaissance par ceux qui considère le cinéma comme un art et non une simple industrie du divertissement.

Francis Ford CoppolaRéalisateur américain

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Et si quatre de ses films sont reconnu par le plus grand nombre (La trilogie du Parrain et Apocalypse Now), nombreux sont les autres (parmi la vingtaine réalisée) qui connurent un succès critique considérable. Francis Ford Coppola, c’est 3 oscars du meilleur scénario, 2 du meilleur film, 1 du meilleur réalisateur, 2 palmes d’or au festival de Cannes, 2 coquilles d’or au festival de San Sebastian. Beaucoup de réalisateurs rêvent d’une telle carrière, très peu l’ont.

Le temps a passé depuis les deux premiers Parrain, depuis Conversation secrète, réalisés à l’aube des 70’. Et ce temps qui passe, Coppola en a toujours eu conscience, questionnant sans cesse la place de ses personnages dans sa mouvance, jouant avec son dysfonctionnement. Et ce tout en prenant conscience de l’évolution temporelle de sa carrière personnelle, cherchant à chaque nouveau film, une nouvelle écriture cinématographique, innovant toujours sa façon de travailler. Ce travail là, toujours en constante évolution, est possible aussi car il a su s’entourer. Walter Murch a très certainement pesé dans l’efficacité des films du réalisateur. De formation sonore, il fit d’abord les montages sons de Coppola. Grand novateur en la matière, c’est lui qui créera le métier de ‘‘sound designer’’ en travaillant par exemple sur ‘‘Conversation secrète’’ en 1974, pour lequel le travail sonore fut fantastique et si novateur à cette époque. Il est aussi l’un des monteurs du titanesque Apocalypse Now, qui totalisa 250 heures de pellicule, soit plusieurs milliers de kilomètres de longueur.

Aujourd’hui, Coppola nous prouve encore avec ferveur qu’il est toujours capable d’innovation. Trois films, trois chef-d’oeuvres (L’homme sans âge, Tetro, TWIXT) qui prouvent non seulement le génie du réalisateur mais aussi sa grande sagesse à faire aujourd’hui des films auto-produits comme à ses débuts en retrouvant ainsi une nouvelle jeunesse qui nous promet, je l’espère, de nouveaux bijoux cinématographiques. Francis Ford Coppola, lui qui s’est toujours considéré comme un réalisateur ‘‘sur le déclin’’, nous donne aujourd’hui un bel exemple de renaissance et une leçon d’humilité, éprouvant et clamant toujours sa liberté totale d’artiste, s’entourant à nouveau de techniciens talentueux et jeunes, faisant preuve d’une grande modernité cinématographique (tournage en numérique).

Le temps a passé, les films ont changé, mais le génie est resté.

Simon Bracquemart

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Réalisé par Francis Ford Coppola

En ce moi d’avril 2012, Francis Ford Coppola a fêté ses 73 printemps. La sagesse de

ce troisième film indépendant, après les beaux ‘‘L’Homme sans âge’’ (2007) et ‘‘Tetro’’ (2009), s’explique donc logiquement. Ce qu’il y a de plus surprenant, c’est la jeunesse et la candeur du film, hommage à la série B gothique de Roger Corman, père spirituel de la série B américaine et producteur du premier film de Coppola, ‘‘Dementia 13’’.

‘‘TWIXT’’, c’est l’histoire d’Hall Baltimore ( Val Kilmer ), écrivain raté qui lors d’une dédicace à Swan Valley se voit proposer par le sheriff de la bourgade d’écrire un nouveau roman. Il acceptera après un rêve dans lequel il rencontre une étrange jeune fille, V, et Edgar Allan Poe. Au fur et à mesure des rêves successifs, il construit

son roman, et reconstruit sa propre histoire.

Bérangère Pétrault

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Là où le film est extrêmement vif et jeune, c’est dans son genre, le film d’horreur, le thriller, revisité avec humour et conscience des nouveaux outils

cinématographiques. L’utilisation du numérique notamment pour les nuits américaines qui constituent l’ambiance des rêves de Baltimore est brillante, cette esthétique propice à une plongée totale dans cet univers fantastique dans lequel les morts se réveillent et délivrent leurs secrets. ‘‘TWIXT’’ est un flot d’âmes tourmentées dans lequel Coppola inscrit avec brio son alter ego romancier. Et

c’est là que réside toute la sagesse du film. Dans cette propension qu’a le réalisateur de poser un regard nouveau sur lui même, sur ses blessures profondes. Voir Hall Baltimore se débattre avec sa culpabilité quant à la mort accidentelle de sa fille, c’est voir Francis Ford Coppola faire le deuil de son fils Gio, lui aussi décédé dans un accident de bateau.

‘‘TWIXT’’ est un film exceptionnellement mature qui pose sans cesse la question du temps qui passe et de son incidence sur notre réalité, brouillant sans cesse le niveau de réalisme de l’action confondant les temporalités différentes du passé et du présent, du rêve et de la réalité, du romanesque et du biographique. Nos rêves

sont-ils des miroirs éclatés de notre réalité ? Nos fantasmes sont ils des bases réalistes à des oeuvres artistiques? Francis Ford Coppola y a déjà répondu pour lui même et pousse le spectateur à se les poser et à poser ce regard auto-critique sur soi-même.

À la question : Coppola est-il un grand artiste et un grand réalisateur ? La réponse est sans aucun doute : Oui !

Simon Bracquemart

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Réalisé par Michale BoganimLes photos de bébés difformes, les images d'une vil le de Pripiat déserte, tout est réuni pour que, dans l'inconscient collectif, la terre de Tchernobyl soit une terre à fuir. Et pourtant...

Michale Bogamin s'intéresse, à travers ce récit, au paradoxe de Tchernobyl. Car, lorsque qu'éclate l'incendie du 26 avril 1986 naît une Z o n e , u n n o m a n ' s l a n d hypnotisant, tant la réalité semble bousculée. L'incendie en question se déclenche alors qu'a lieu le mariage d'Anya (Olga Kurylenko). Son mari est immédiatement réquisitionné pour se rendre sur-place, où il sera mortellement irradié. Le spectateur la retrouve quelques années plus tard, en tant que guide touristique, faisant visiter les vestiges de la désormais ville fantôme.

Le rythme de la première partie, impeccable, fait s'entremêler le

destin de plusieurs habitants jusqu'à l'exode forcé qui les vit quitter la ville de Pripiat. Le style adopté, neutre, se focalise sur la terrible gestion civile de la catastrophe, engendrée par l'incapacité des autorités soviétiques à se rendre compte de son ampleur réelle. De longs plans montrent toute une population trempée par la pluie radioactive, sans le savoir. L'impression de déconnexion entre la réalité et le microcosme de Pripiat lors de cette première partie fait écho à la suite du film et est essentielle à sa compréhension. Car elle est la source de la fascination qu'exerce cette désormais terre outragée. Malgré la radioactivité, la surveillance militaire et l'absence de vie, le destin de plusieurs personnages s'y recroisent. Si chacun ont une raison pour se rendre sur place, tous cherchent à comprendre ce qui est arrivé, en sachant que jamais ils n'y arriveront. Se livrant à une perpétuelle fuite en avant, il s'agit de retrouver sa mémoire et son identité. Pour l'une, il s'agira de retrouver sa maison d'enfance et de discuter avec son voisin. Pour l'autre, retrouver des traces de son père disparus au moment de la catastrophe.

Bogamin a su capter le sentiment d'irréel, qui fait que tout se dérègle une fois la zone pénétrée. Tandis que le temps se suspend, Pripiat restant figée en 1986, les personnages se transforment en fantômes. Car le 26 avril 1986, leur coeur, leur mémoire et leur identité sont eux aussi devenus une zone, vestige de que ils ont été.

Constantin de Vergennes

Bérangère Pétrault

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Sur le seuil

A l'occasion de l'inauguration d'un train à grande vitesse reliant les deux extrémités de l'île de Kyushu, Kore-eda est retourné à la thématique familiale qui lui a valu ses meilleurs films (Nobody knows, Still walking). Deux frères, séparés après le divorce de leurs parents et vivant à chaque extrémité de l'île, rêvent d'être réunis. Une rumeur magique leur en donne l'occasion : au moment où les deux premiers trains de la nouvelle ligne se croiseront, les souhaits seront réalisés.

La première partie du film prend l'allure d'une chronique douceâtre. Ce (long) début prend s o n t e m p s p o u r n o u s p r é s e n t e r l e s personnages, les l ieux, et la tonalité, ouvertement légère. I wish fait sourire par la notation de menus détails du quotidien. Mais cette première partie tire en longueur, et peine à se débarrasser de son caractère ''pré-générique''. Le montage alterné entre les deux frères est trop démonstratif, tout les oppose de façon très (trop) appuyée.

On comprend mieux cette opposition entre les deux frères une fois que le récit se tourne vers le magique. La démonstration devient intéressante quand cette différence touche aussi leur rapport à la famille. Le montage alterné devient plus subtil, pour souligner la progressive conjonction de leurs rêves avant les retrouvailles effectives. Les enfants fugueurs nous entraînent dans un monde magique et simplement heureux dans lequel les souhaits peuvent être réalisés.

Comme dans les contes, ce genre d'aventure enfantine débouche sur un nouvel état – celui d'adulte. Bâti à hauteur d'enfants, le film interroge la place qui leur est réservée. L'un d'eux ne cesse de répéter qu'on ''s'habitue'' à tout ; le frère aîné ''ne comprend pas'', comme si l'acceptation ou l'incompréhension étaient les seules places que peut occuper un enfant dans un monde d'adultes.

La grande innocence de ces enfants fait barrage à une noirceur toujours présente. Les enfants opposent à l'horreur de la vie d'adultes (chômage, jeu, abandon) une croyance inébranlable en l'avenir et en la perfectibilité des êtres. La leçon de vie dispensée par ce petit film agréable vaut autant pour eux que pour nous. L'entrée dans le monde adulte ne génère pas de rupture ni de conflit : multipliant les figures du seuil (portes vitrées, passages ferrés, montage alterné), I wish fait état d'une rencontre apaisée avec le monde.

Alice Letoulat

I WishRéalisé par Hirokazu Kore-Eda

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C’est excitant à voir, on s’approche du détail, on peut voir comment Degas a voulu rendre tel vagin de prostituée, telle cuisse de paysanne, tel sexe d’homme,

étonnamment long, surdimensionné. C’est gros, gras, attirant, mais les dessins sont trop petits et il faut se battre avec la fourmilière de gens qui inonde l’endroit. Non, décidément ils ne devraient pas laisser rentrer tout ce monde dans ce trou. D’autre part, on se lasse vite de tous ces dessins qui se ressemblent, mais il est quand même intéressant de comprendre l’apprentissage du dessin, puisque ce sont des essais,

différentes poses sont données à une même femme, ici on voit les nus des femmes après l’amour dans le bordel, là-bas les nus de femmes dans la nature ou encore des nus «  difformes  », corps incompréhensibles, résultat du détournement du désir en délire. Les explications ne manquent pas, on suit l’évolution de Degas, et cela est d’autant plus intéressant qu’on nous donne des touches d’autres peintres, ici et là,

oui, Degas et le nu ce n’est pas que les nus de Degas, c’est Degas, et la culture du nu au XIXe siècle. Découverte fantastique d’un corps avant prohibé, qu’on dévoile trop sincèrement, imaginez les yeux de l’époque face à ces poils, à ce manque de gêne : un scandale !

Carla Campos Cascales

Degas et le nuAu Musée d’Orsay, Paris

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Chez mes grands-parents se trouve une lampe atypique. Mon grand-père est un homme qui déniche une farandole de chose et arrive à leur trouver une utilité. C'est ce qui se produisit pour le morceau de vigne qui orne à présent leur vaisselier. Une fois positionné sur ses pattes, ce simple fragment de bois à pris l'allure d'un lapin redressé sur son séant. L'informe vigne a su alors fait parler notre imaginaire.C'est à partir de là que j'ose avancer l'hypothèse, quoique plus que véridique, suivante : les intellectuels chinois ont pris exemple sur mon grand-père une bonne vingtaine de siècles auparavant. Jalousie à part, il faut avouer que nul n'égal leur art de mettre en valeur la beauté du minéral brut et froid, ou du vieux bois mort, s'en est subjuguant. Ces pierres, symbole puissant de la Terre, ont pu parvenir jusque nous, occidentaux précurseurs du futur, tout comme mon aïeul, et cette chance nous est permise grâce à l'exposition "Rochers des lettrés, Itinéraires de l'Art en Chine" au musée GUIMET. La visite est simple, fluide, le vide est exploité correctement, imitant l'espace puriste des maisons asiatiques ; les roches dont les noms évoquent la poésie, "racines de nuages", ou encore "os de la terre" ont chacun leur moment de gloire auprès des visiteurs. L'esprit se promène de pierre en pierre, de bois en bois, trouvant parfois un oiseau posé sur une branche, ou l'écume d'une vague qui vient mourir dans une crique, et puis soudain sur une pierre déception, nous ne voyons rien, mais notre voisin lui ressent autre chose, c'est la magie de l'imagination qui laisse place à l'invention, dans une liberté totale. Cependant, un point négatif serait à relever : il y règne comme une atmosphère de suffisance, l'exposition venant d'une collection privée, nous avons le sentiment que le propr iétaire se pavane tout au long de notre voyage poétique et minéral...dommage ; car cela brouille quelque peu la simplicité et l'éclat que diffusent les intellectuels et lettrés chinois, aux yeux rappelant le fruit de l'amandier, à travers la douce chaleur de la pierre froide.

至哀莫大於心死

Roxanne Comotti

Rochers de lettrés - Initéraires de l’art en ChineMusée Guimet, Paris

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CE L’ADOLESCENCE

L’adolescence est une problématique qui a toujours fasciné les philosophes, les psychanalystes, les artistes en général. Il est difficile de borner temporellement l’adolescence dans une tranche d’âge fixe et unique. S’il fallait tout de même essayer, nous dirions que l’adolescence se situe entre 12-13 ans à 17-18 ans.

Ce brouillage temporel émane d’une image de l’entre-deux. L’adolescence suit l’enfance et précède le stade adulte. Bien sûr, il faut accepter ce schéma tout en lui reconnaissant des nuances nécessaires. Dans tous les cas, l’adolescent est un être en construction. Il cherche à s’inscrire dans la société, à trouver sa place, à trouver son image, une image, à rechercher ou à rejeter ses possibilités d’avenir, etc. C’est un être bouillonnant, parfois instable et même inconstant.

Dans l’art, c’est certainement cette énergie, cette instabilité et cette inconstance qui sont les plus recherchées pour mettre en scène l’adolescence. Ainsi nous pouvons retrouver le topos de la quête initiatique mettant l’accent sur l’élévation possible des adolescents. La crise identitaire est également un des topoï de l’art concernant l’adolescence.

L’adolescent intéresse tant par son statut transitoire entre deux âges que par les représentations que cet entre-deux suppose.

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Ah, j’étais peut-être trop jeune quand j’ai vu ce film ! Il m’a fallu le voir de nombreuses autres fois pour le saisir, l’envisager. À chaque fois, je l’ai découvert sous l’angle d’une beauté cruelle. C’est un film saisissant, lacérant les émotions du spectateur et mettant en place une noirceur artistique incomparable.

Mysterious skin c’est un film du fantasque Gregg Araki, adapté du livre XXX écrit par XXX. Ce réalisateur s’est beaucoup intéressé à la problématique adolescente et à la vision de l’écrivain qu’il a choisi d’adapter. Dans ce film-là, en tout cas, il retrace la coïncidence du livre par rapport à deux tensions : l’homosexualité et la crise identitaire des deux héros adolescents.

Neil McCormick et Brian Lackey évoluent parallèlement dans le film avec une courbe se rejoignant en un point précis, celui de leur passé commun. Leur expérience traumatique fait d’eux des jumeaux séparés qui se cherchent, dans les deux sens du verbe. D’une part, ils sont dans un état transitoire qui les fait douter, s’interroger et se demander “mais qui je suis ?”. D’autre part, ils veulent se rencontrer, se retrouver.

Neil semble être un adolescent insouciant, profitant de sa jeunesse et de son physique avantageux pour séduire. Il choisit de se prostituer sans toutefois qu’il y trouve un réel plaisir. Sa prostitution est un des indices de son mal-être caché. Il a un rapport problématique à la sexualité. Il n’a que faire des convenances et assume totalement son homosexualité. Son mal-être réside dans l’analogie qu’il fait entre ses relations sexuelles et son passé traumatique.

Brian est aussi victime d’un mal-être. Le sien est toutefois plus extériorisé, ne serait-ce que par ses saignements de nez récurrents. Il est beaucoup plus perdu que Neil car il en vient même à se demander si la cause de ses trous de mémoire, obcurcissant son passé, ne viennent pas d’un enlèvement par les extraterrestres.

Tout le film réside entre l’ambivalence et l’union des deux adolescents. Ces deux héros sont malmenés par leur passé. Brian ne peut encore pas s’en souvenir tandis que Neil, lui, a les clefs de cette pièce si sombre, où la douleur est carressante.

Jean-Baptiste Colas-Gillot

Film - Mysterious SkinRéalisé par Greg Araki (2004)

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CE Film - Deep End

Réalisé par Jerzy Skolimowski (1970)

Mike a quinze ans, il a quitté l'école à Noël et travaille aux bains publics. Sur ses 10£ de la semaine, il en doit 7 à ses parents  ; les 3£ restants sont pour les hot dogs. Les pourboires des dondons londoniennes permettent quelques extrats.

Dur dur d'être un ado  ; pas encore homme mais plus enfant. Une fois sorti de la classe, ses petites camarades ne l'intéressent plus, ce qu'il veut maintenant c'est sa collègue Susan. Comparées à la belle rousse, elles paraissent bien communes. Mais trop jeune pour elle, Susan le mène en bateau. Préférant la maturité du prof de sport, elle abat un nouveau symbole de son enfance. Après la maman devenue bécasse, le professeur couche dans les draps convoités. Mike qui aimait la tendresse des bras maternels, repousse désormais les étreintes des clientes vieillissantes attirées par la chaire fraîche. Difficile d'accepter sa sexualité lorsqu'on est tiraillé de partout. Laissant l'enfant derrière lui, il prend les devants pour l'objet de ses convoitises. Si il doit faire face aux autres prétendants, il doit aussi apprendre à dompter Susan. Loin du modèle des collégiennes, elle le balade de fantasme en fantasme.

Ressorti dans les salles en juillet 2011 (et depuis, très facile à trouver en DVD), Deep End sorti initialement en décembre 1971 n'a pas pris une ride. Les dernières images restent imprimées à la rétine telles un fantasme intemporel de formes, de corps et de couleurs, marques respectives des films cultes du swinging London (cf Blow Up d' Antonioni). Il en est de même pour le portrait de adolescence. Le personnage de Mike peut être inséré dans les films contemporains sans mal, tant ses états d'âme reflètent le malaise lié au passage à l'âge adulte.

Marianne Knecht

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Écrire sur l’adolescence, moment charnière de l’existence s’il en est, n’est pas un exercice facile. La première question à se poser est sans doute  : «  comment  ?  » Faut-il recourir au narrateur extérieur, qui permet un détachement tant sur le fond que sur la forme ? Ou peut-on se risquer à la première personne, au «  je  » toujours mouvant, incertain, indéfinissable et indomptable de la puberté au risque de mal saisir son caractère, qui se cherche lui-même ? Bénédicte Heim, dans son premier roman (Soleil cou coupé, première édition Baleine/Seuil, 2001), réussit un tour de force  : rédiger ce qui ressemble au journal intime d’une adolescente, sans fard mais sans niaiserie. Le talent de l’écrivain rejoint la spontanéité de l’adolescence tout au long du récit, et pourtant Bénédicte Heim s’est imposé des contraintes très difficiles.

Car non seulement ce roman parle d’adolescence à la première personne, ce qui implique la préhension d’un style littéraire particulier, mais en plus de la découverte de l’amour et de l’homosexualité. À 14 ans, la jeune héroïne tombe amoureuse de son ancienne prof d’anglais, une femme de 32 ans. Un amour qui ne sera pas prétexte à un manifeste contre l’homophobie mais plutôt pour l’amour, quitte à ce qu’il soit passionné, passionnel et auto-destructeur. L’amour vaut bien cela, surtout quand il nous tombe dessus alors qu’on en ignorait tout.

Soleil cou coupé est un roman que j’ai découvert par hasard, comme une rencontre amoureuse. On ne s’y attend pas et on le subit avec passion quel qu’en soit le prix. L’amour qui y est décrit est si puissant, touchant, émouvant, qu’il serait vain – en plus d’être inutile : les mots de Bénédicte Heim se suffisent à eux-mêmes – que je tente de les exprimer à mon tour. Que je me contente de dire que l’auteur a saisi toutes les subtilités de la passion, de la sensibilité et de l’amour, exacerbés à quatorze ans et sans pour autant jamais tomber dans aucune facilité.

Hubert Camus

Soleil cou coupé, roman de Bénédicte Heim, Les Contrebandiers éditeurs, 240 pages. Du même auteur : Tu ne mourras pas, Le livre d’Ysé, Nues.

Littérature - Soleil Cou CoupéDe Bénédicte Heim

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CE Bret Easton Ellis

Auteur américainCertains, quand ils ne tentaient pas de les surinterpréter, ont reproché aux romans de Bret

Easton Ellis leur superficialité, voire une certaine vacuité. Autant reprocher à Beckett son

absurdité. Absurde. Le vide est au cœur de l'écriture d'Ellis, c'est son sujet même. Ce vide de

l'existence adolescente, la désorientation complète, le trop-plein de pulsions, de désirs, de

frustrations, qui explose, et puis rien. C'est dans ce rien qui suit la « crise » de l'adolescence

que se situent les deux premiers romans d'Ellis, Moins que zéro et Les Lois de l'attraction. C'est

en quelque sorte l'après-naufrage du Holden Caulfield de L'Attrape-coeurs, si celui-ci avait

grandi dans les années 80, la décennie de la consommation par-dessus tout, du culturisme

et des UV. Les personnages d'Ellis incarnent une jeunesse dorée perdue, qui ne croit en rien

et se contente de suivre, ou de faire semblant de suivre. La rébellion de ces adolescents se

résume à la prise de drogues en tous genres et à des pratiques sexuelles très libertines.

Aucune conviction ne les agite, surtout pas politique, ils se contentent d'exister à moitié,

comme des « zombies » (c'est le titre d'un recueil de nouvelles que l'auteur publie en 1994).

Ellis considère ses six romans comme des « autobiographies émotives ». Il se défend de tout

moralisme et s'il admet que l'on peut lire ses livres comme des critiques de la société

américaine, il considère que c'est avant tout lui-même le sujet principal. Sa vision de la

littérature est finalement assez romantique : écrire est un acte nécessaire, salutaire. Ce sont

ses propres névroses que l'auteur couche sur le papier, afin de les transformer, de les mettre

à distance et peut-être ainsi d'y échapper. Il écrit Moins que zéro à 21 ans, Les Lois de

l'attraction à 23. Ces adolescents qu'il décrit, qui sniffent et copulent, c'est lui. Devenu

adulte, il écrit ensuite American psycho, qualifié de «  roman le plus violent de la littérature

américaine  ». L'âge adulte n'est pas l'apaisement attendu, bien au contraire. Si

l'adolescence est néant, il est fureur et psychose en réponse.

Le style de Bret Easton Ellis est réputé pour sa froideur absolue, son minimalisme behavioriste.

A la lecture de Moins que zéro, on s'ennuie souvent. Il maltraite le lecteur, casse ses

habitudes, pour le forcer à penser par lui-même, sans lui donner d'interprétations toutes

faites. Les romans d'Ellis se résument à des actions vaines  : pas de psychologie, pas

d'analyse, seulement des gestes, des faits pris tels quels, qui ne débouchent sur rien.

L'adolescence est ce vide, qui n'a jamais été aussi palpable.

Paul Rochotte

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L'Enfance nue, premier long-métrage de Maurice Pialat, traitait de l'entrée dans l'adolescence. Passe ton bac d'abord s'intéresse à la fin de celle-ci. Les

personnages, tous issus de la même bande d'amis, ont 19 ans, ils sont au seuil de l'âge adulte. Ils habitent Lens, dans le Nord. Certains sèchent l'école, d'autres ont déjà arrêté. Certains multiplient les conquêtes amoureuses, d'autres se marient. C'est d'ailleurs sur les préparatifs d'un mariage que se clôt le film, par un brusque cut. « Je crois que tout le monde sera content. Voilà  », conclut la mère d’Élisabeth. De leur

côté, Bernard et Patrick s'en vont pour Paris chercher du travail. Agnès pense quitter son emploi de caissière et commence à douter de son amour pour Rocky, avec lequel elle s'est mariée trois mois auparavant. L'avenir est très incertain et peu réjouissant.

Ces jeunes que filme Pialat ne sont pas des comédiens professionnels (hormis Philippe Marlaud et Sabine Haudepin qui interprètent le couple Philippe-Élisabeth), et ils sont sans doute confrontés dans leur vie aux situations du film. Le cinéaste les saisit dans toute leur vérité, il garde même leurs bafouillages, leurs hésitations. C'est une des marques de fabrique du style réaliste de Pialat  : la mise en valeur de

l'imprévu et de l'accident, aussi bien concernant le jeu des acteurs que par exemple les travellings cahotants et les faux raccords. C'est la réalité du tournage qui apparaît sous nos yeux, et celle-ci est bien plus vive et puissante que tout autre pseudo-réalisme cinématographique. La fabuleuse scène de dispute entre Elisabeth et sa mère est ainsi exemplaire de cette démarche  : les deux comédiennes

semblent improviser, elles bégayent, butent, et d'un coup surjouent, basculent dans l'excès. La caméra enregistre cela en un seul plan, à l'épaule, elle suit simplement la scène sans dramatiser, et c'est d'une intensité incomparable.

Via une approche assez sociologique proche du documentaire caractéristique de

sa première période (disons jusqu'à Loulou en 1980), Pialat décrit la désillusion et le désemparement d'une jeunesse frustrée par l'école et confrontée au chômage ou aux emplois précaires. Les personnages de Passe ton bac d'abord finissent par tomber dans une certaine routine et un manque d'ambition qu'ils reprochaient à leurs parents. Mais face à ce déterminisme social, le film oppose un magnifique

humanisme. Pialat aime réellement ses personnages, il décrit ces classes populaires dont il est issu avec une grande tendresse, mais sans aucune complaisance misérabiliste.

Paul Rochotte

Film - Passe ton bac d’abordDe Maurice Pialat (1979)

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CE L’Adolescence et la nouvelle vague

« L'adolescence ne laisse un bon souvenir qu'aux adultes ayant mauvaise mémoire » François Truffaut

Commençons par un rappel instructif : le terme « Nouvelle Vague », apparu sous la plume de Françoise Giroud en 1957, qualifie d'abord une nouvelle jeunesse aux aspirations bien différentes de leurs aînés, et qui se constitue en ''génération''.

A l'époque, on est considéré comme mineur jusqu'à vingt-et-un ans. Les ados de la fin des années 50 ne sont même pas reconnus comme un groupe social à part, ou bien ils sont très déconsidérés. C'est justement au tournant des années 60 que la jeunesse acquiert une place de plus en plus prépondérante dans le champ social de la France. Il n'en faut pas plus aux cinéastes de la Nouvelle Vague, eux-mêmes très jeunes, pour s'emparer du sujet : la jeunesse devient l'argument central de ces films originaux dont la forme aussi renouvelle le cinéma.

* « Tous les garçons et les filles de mon âge... »

Au coeur des films de la Nouvelle Vague, il y a l'amour : les relations sentimentales sont placées au premier plan d'intrigues où il s'agit toujours de parvenir à dialoguer avec le sexe opposé. Couples, trios, groupes : les jeunes convolent à toutes les sauces jusqu'à la vingtaine passée (Michel et Patricia dans A bout de souffle, Jean-Luc Godard ; Jules, Jim et Catherine dans Jules et Jim, François Truffaut ; les imbrications amoureuses des Demoiselles de Rochefort, Jacques Demy). Les cinéastes font preuve de lucidité en mettant en scène la difficulté du contact entre filles et garçons, à une époque où l'accord des parents est nécessaire, et que le mariage constitue une nécessité. Les cinéastes de la Nouvelle Vague ont toutefois perçu la modernité de la jeune fille des années 60, de plus en plus manifeste : la jeune fille de la Nouvelle Vague est indépendante – ce n'est plus la Muse dont rêvent les artistes – et elle sait être cruelle, plus particulièrement chez Godard (Patricia dans A bout de Souffle, Marianne dans Pierrot le Fou...).

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« On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans... »

Si l'adolescence est souvent qualifiée de ''crise'', ce n'est pas vraiment le cas dans les films de la Nouvelle Vague. La jeunesse s'y affiche souvent comme l'âge de tous les possibles, et c'est d'une façon légère (ou faussement légère) qu'elle est abordée. Les cinéastes de la Nouvelle Vague ont à coeur de donner à voir, enfin, les goûts et habitudes de cette jeunesse qui se réunit dans les cafés autour d'un juke-box diffusant du rock américain, ou qui danse le cha-cha dans une paillote méditerranéenne (Adieu Philippine, Jacques Rozier). C'est aussi une jeunesse qui va au cinéma : d'Antoine Doinel (Les quatre-cents coups, Truffaut) à Paul (Masculin-Féminin, Jean-Luc Godard) – tous deux joués par Jean-Pierre Léaud, le visage de la jeunesse des années 60 – les personnages passent leur temps dans les salles obscures.

Une jeunesse rebelle

Mais la gravité n'est jamais loin. Avec les films de la Nouvelle Vague, nous n'assistons pas à un cinéma de psychologie adolescente : pas de remise en cause de soi ni de questionnement existentiel. La gravité est portée par une classe d'âge plutôt que par des individus : la jeunesse solaire d'Adieu Philippine vit son dernier été avant le départ en Algérie, les sorties au cinéma du petit Doinel le font échapper un peu à l'enfer de la maltraitance (le film lança un débat sur la question après sa sortie). De plus, chacun de ces personnages est mû par un important sentiment de rébellion : de la fugue nihiliste de Doinel au rejet du monde par Ferdinand (Pierrot le Fou, Godard) et jusqu'à l'engagement politique terroriste (La Chinoise, Godard), les personnages suivent le même trajet que le mouvement, qui s'individualise et s'engage, pour certains, vers le cinéma de protestation. Le portrait tissé par la Nouvelle Vague de la jeunesse des années 60 se veut fidèle à une société en pleine ébullition.

*Les personnages entrent dans la vie d'adulte de façon fracassante (guerre d'Algérie, engagement politique) ou s'y refusent en mourant. La plupart, cependant, se conforme progressivement aux standards sociaux : ils deviennent « les enfants de Marx et de Coca-Cola » (Masculin-Féminin), ou rejoignent le Domicile conjugal (F. Truffaut). L'âge des possibles est déjà achevé.

Mais une part de jeunesse demeure : à sujet neuf, esthétique neuve pourrait-on dire. Ces films ont su renouveler le cinéma pour lui donner la même actualité que son sujet. Qui plus est, ils ont donné ses lettres de noblesse à un genre désormais reconnu : le film-de-jeunes.

Alice Letoulat

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NOMENCULTURE

Retrouvez le prochain numéro des Feuillets de Nomenculture le 1er Juin 2012, dont le Dossier portera sur les fantômes.

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