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Nutr. Clin. M6tabol. (1987) 1, 62-63 EDITORIAL Nutrition et cancer: quelles perspectives ? Le d6veloppement du cancer s'accompagne fr6quem- ment d'une importante alt6ration de l'6tat g6n6ral. I1 est 6tabli, qu'ind6pendamment de la maladie elle-m~me, l'6tat nutritionnel a une valeur pronostique en augmen- tant la morbidit6 et la mortalit6. Cette constatation a conduit de nombreux auteurs ~ r6aliser un support nutri- tionnel chez ces malades (1, 2). Si les conclusions des premieres 6tudes r6trospectives ou prospectives non ran- domis6es 6talent relativement encourageantes, les r6sul- tats des 6tudes randomis6es ult6rieures ont 6t6 plus m6- diocres ne mettant en 6vidence dans la grande majorit6 des cas qu'un b6n6fice nul ou faible. Peut-on esp6rer dans l'avenir des progr6s dans la prise en charge nutritionnelle des malades canc6reux ? Deux voies paraissent int6ressantes dans l'abord des relations nutrition-cancer: la compr6hension des m6canismes intimes de la d6nutrition et la recherche de th6rapeuti- ques nutritionnelles sp6cifiques du cancer. Le cancer induit une modification sp6cifique de la compo- sition corporelle, le retentissement du cancer sur la masse grasse et la masse maigre 6tant diff6rent de celui observ6 dans les d6nutritions d'origine non tumorale (3). En particulier, la diminution de la masse prot6ique se fait pr6f6rentiellement aux d6pens de la masse prot6ique musculaire alors que la masse prot6ique visc6rale est relativement pr6serv6e, voire augment6e. Ceci sugg~re que le processus tumoral induit une situation m6tabo- lique diff6rente de celle observ6e au cours du jefine ou des 6tats de d6nutrition non li6s hun processus n6opla- sique. La recherche des m6canismes physiopathologiques de la d6nutrition du cancer a 6t6 bas6e pour l'essentiel jusqu'~ pr6sent sur l'6valuation du r61e respectif jou6 par les modifications du m6tabolisme prot6ino-6nerg6tique et par la diminution du niveau des apports nutritionnels (4). I1 parait fondamental dans l'avenir de comprendre les m6canismes plus intimes des perturbations m6taboliques observ6es chez le canc6reux et d'entreprendre des 6tudes visant h l'isolement et h la caract6risation des substances responsables de ces perturbations. Les travaux concer- nant la cachectine sont une illustration de cette voie de recherche (5), cette mol6cule semblant jouer un r61e de m6diateur dans la r6action inflammatoire et pouvoir ex- pliquer en partie les modifications du m6tabolisme lipi- dique observ6es chez le canc6reux. Le d6veloppement de mol6cules permettant d'antagoniser de mani~re sp6- cifique les effets de ces m6diateurs pourrait constituer un progr6s significatif dans la prise en charge de ces malades (6). Chez le canc6reux, les th6rapeutiques nutritionnelles classiques ont consist6 ~ augmenter les apports par voie ent6rale ou parent6rale, cette attitude 6tant fond6e sur le r61e primordial accord6 ~ la r6duction des apports nutri- tionnels dans la gen6se de la d6nutrition. Comment expli- quer les r6sultats n6gatifs de la majorit6 des essais sur la nutrition adjuvante des th6rapeutiques anti-canc6reuses : chirurgie, chimioth6rapie ou radioth6rapie ? Deux fac- teurs peuvent ~tre envisag6s: d'une part des biais m6tho- dologiques et d'autre part la signification r6elle de la d6nutrition en pathologie canc6reuse. Les facteurs m6thodologiques tiennent ~ la population 6tudi6e, ~ la technique de nutrition utilis6e et aux crit6res de jugement retenus. Les populations 6tudi6es ont sou- vent un effectif restreint avec un risque B6ta 61ev6 et comprennent des malades avec des localisations tu- morales diverses et surtout un degr6 variable de d6nu- trition. La nutrition artificielle a une dur6e diff6rente d'une 6tude h l'autre, parfois tr~s courte, et surtout le niveau des apports n'est pas adapt6 aux besoins r6els des malades. L'efficacit6 du support nutritionnel est 6valu6e en terme de mortalit6, de morbidit6 et de tol6rance au traitement. Dans la majorit6 des 6tudes ok une diff6rence significative a 6t6 not6e, seule a pu ~tre mise en 6vidence une r6duction de la morbidit6, diminution de l'incidence des abc6s de paroi par exemple, sans modification de la mortalit6. Un tel r6sultat pose le probl~me de l'indication du support nutritionnel en terme de rapport cofit- 62

Nutrition et cancer: quelles perspectives?

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Nutr. Clin. M6tabol. (1987) 1, 62-63

EDITORIAL

Nutrition et cancer: quelles perspectives ?

Le d6veloppement du cancer s'accompagne fr6quem- ment d'une importante alt6ration de l'6tat g6n6ral. I1 est 6tabli, qu'ind6pendamment de la maladie elle-m~me, l'6tat nutritionnel a une valeur pronostique en augmen- tant la morbidit6 et la mortalit6. Cette constatation a conduit de nombreux auteurs ~ r6aliser un support nutri- tionnel chez ces malades (1, 2). Si les conclusions des premieres 6tudes r6trospectives ou prospectives non ran- domis6es 6talent relativement encourageantes, les r6sul- tats des 6tudes randomis6es ult6rieures ont 6t6 plus m6- diocres ne mettant en 6vidence dans la grande majorit6 des cas qu'un b6n6fice nul ou faible. Peut-on esp6rer dans l'avenir des progr6s dans la prise en charge nutritionnelle des malades canc6reux ? Deux voies paraissent int6ressantes dans l 'abord des relations nutrition-cancer: la compr6hension des m6canismes intimes de la d6nutrition et la recherche de th6rapeuti- ques nutritionnelles sp6cifiques du cancer. Le cancer induit une modification sp6cifique de la compo- sition corporelle, le retentissement du cancer sur la masse grasse et la masse maigre 6tant diff6rent de celui observ6 dans les d6nutritions d'origine non tumorale (3). En particulier, la diminution de la masse prot6ique se fait pr6f6rentiellement aux d6pens de la masse prot6ique musculaire alors que la masse prot6ique visc6rale est relativement pr6serv6e, voire augment6e. Ceci sugg~re que le processus tumoral induit une situation m6tabo- lique diff6rente de celle observ6e au cours du jefine ou des 6tats de d6nutrition non li6s hun processus n6opla- sique. La recherche des m6canismes physiopathologiques de la d6nutrition du cancer a 6t6 bas6e pour l'essentiel jusqu'~ pr6sent sur l'6valuation du r61e respectif jou6 par les modifications du m6tabolisme prot6ino-6nerg6tique et par la diminution du niveau des apports nutritionnels (4). I1 parait fondamental dans l'avenir de comprendre les m6canismes plus intimes des perturbations m6taboliques observ6es chez le canc6reux et d'entreprendre des 6tudes visant h l'isolement et h la caract6risation des substances

responsables de ces perturbations. Les travaux concer- nant la cachectine sont une illustration de cette voie de recherche (5), cette mol6cule semblant jouer un r61e de m6diateur dans la r6action inflammatoire et pouvoir ex- pliquer en partie les modifications du m6tabolisme lipi- dique observ6es chez le canc6reux. Le d6veloppement de mol6cules permettant d'antagoniser de mani~re sp6- cifique les effets de ces m6diateurs pourrait constituer un progr6s significatif dans la prise en charge de ces malades (6). Chez le canc6reux, les th6rapeutiques nutritionnelles classiques ont consist6 ~ augmenter les apports par voie ent6rale ou parent6rale, cette attitude 6tant fond6e sur le r61e primordial accord6 ~ la r6duction des apports nutri- tionnels dans la gen6se de la d6nutrition. Comment expli- quer les r6sultats n6gatifs de la majorit6 des essais sur la nutrition adjuvante des th6rapeutiques anti-canc6reuses : chirurgie, chimioth6rapie ou radioth6rapie ? Deux fac- teurs peuvent ~tre envisag6s: d'une part des biais m6tho- dologiques et d'autre part la signification r6elle de la d6nutrition en pathologie canc6reuse. Les facteurs m6thodologiques tiennent ~ la population 6tudi6e, ~ la technique de nutrition utilis6e et aux crit6res de jugement retenus. Les populations 6tudi6es ont sou- vent un effectif restreint avec un risque B6ta 61ev6 et comprennent des malades avec des localisations tu- morales diverses et surtout un degr6 variable de d6nu- trition. La nutrition artificielle a une dur6e diff6rente d'une 6tude h l'autre, parfois tr~s courte, et surtout le niveau des apports n'est pas adapt6 aux besoins r6els des malades. L'efficacit6 du support nutritionnel est 6valu6e en terme de mortalit6, de morbidit6 et de tol6rance au traitement. Dans la majorit6 des 6tudes ok une diff6rence significative a 6t6 not6e, seule a pu ~tre mise en 6vidence une r6duction de la morbidit6, diminution de l'incidence des abc6s de paroi par exemple, sans modification de la mortalit6. Un tel r6sultat pose le probl~me de l'indication du support nutritionnel en terme de rapport cofit-

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b6ndfice (7). I1 faut souligner que de mani6re pa radoxa le , les 6tudes de composi t ion corporel le en cours de renutr i- t ion chez le canc6reux n 'on t pas permis en g6n6ral de constater la correct ion des per turbat ions no tamment au niveau du compar t iment protdique (8, 9). Ces facteurs m6thodologiques ne paraissent pas pouvoi r expliquer ~ eux seuls la n6gativit6 des r6sultats publi6s et de mani6re plus fondamenta le c 'es t la signification de la d6nutr i t ion li6e au cancer qui doi t 6tre envisag6e. La d6nutr i t ion n 'es t pas isol6e mais s ' int6gre dans un processus complexe au sein duquel elle n ' es t qu 'un sympt6me parmi d 'autres . I1 est vra isemblable que le mauvais pronost ic des malades les plus d6nutris est moins li6 h l ' a t te in te de leur 6tat nutr i t ionnel qu 'au d6veloppe- ment plus impor tan t du processus n6oplasique (10). Dans cette hypoth6se, le suppor t nutr i t ionnel ne peu t avoir qu 'un effet limit6 sur le pronostic. En fonction de ces r6sultats, il parai t n6cessaire de revoir la place de la nutr i t ion dans la strat6gie th6rapeut ique anti-canc6reuse. Actue l lement , la nutr i t ion est consi- d6r6e par rappor t h la chirurgie, la chimioth6rapie et la radioth6rapie comme un t ra i tement compl6menta i re et non pas comme un t ra i tement adjuvant , c 'es t ~ dire ~ susceptible de renforcer leur action ~. I1 peut cependan t s 'agir d 'un appoint th6rapeut ique essentiel et il n 'es t pas question de remet t re en cause l ' indicat ion d 'un suppor t nutr i t ionnel chez un malade ayant un appor t par voie o r a l e i m p o s s i b l e ou insuf f i san t , en p 6 r i o d e p6r i - op6ratoire pa r exemple. Dans l 'avenir , il semble souhai- table de passer d 'un ~ support nutr i t ionnel >~ h une ~ th6ra- peut ique nutr i t ionnel le~, la nutr i t ion devant 6tre consi- d6r6e comme un v6ritable t ra i tement anti-canc6reux fai- sant par t ie du protocole th6rapeut ique ant i - tumoral . I1 s 'agit d 'une voie de recherche potent ie l lement tr~s int6- ressante visant dans le cadre de la relat ion h6te / tumeur agir de mani6re la plus s61ective possible sur le m6tabo- lisme tumora l par une modula t ion des apports nutri- tionnels. Plusieurs t ravaux exp6rimentaux ont d6jh mis en 6vidence des effets sur la croissance tumora le et sur la r6ponse au t rai t~ment d 'appor t s nutr i t ionnels artificielle- ment carenc6s en acides amin6s, m6thionine, ph6nyla- lanine, tyrosine (11-13). D e m6me, la manipula t ion du rappor t glucido-l ipidique semble pouvoir influencer le m6tabol isme tumoral . Plus r6cemment a 6t6 sugg6r6 l ' int6r6t d 'une nutr i t ion s6quentielle pour potent ia l i ser l 'effet d 'une chimioth6rapie sp6cifique du cycle (14). Des t ravaux ult6rieurs devront confirmer si les r6sultats p romet teurs obtenus chez l 'animal peuvent 6tre appli- qu6s ~ l ' homme.

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E R I C L E R E B O U R S

Groupe de Biochimie et de physiopathologie Digest ive et Nutri t ionnelle .

H6pi ta l Charles Nicolle, 1, rue de Germon t , 76031 R O U E N Cedex.

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