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Olivier DEMAZET NATURES VIVES (Poèmes et Textes naturels) Préface de Jean Darwel

Olivier Demazet Natures vives

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Recueil de poésie consacrée à la thématique de la Nature

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Olivier DEMAZET

NATURES VIVES

(Poèmes et Textes naturels)

Préface de Jean Darwel

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NATURES VIVES

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Olivier DEMAZET

NATURES VIVES

(Poèmes et textes naturels)

1985

Préface de Jean Darwel

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Déjà publiés :

Pages anthologiques dans divers ouvrages spécialisés (1963-1984)

Foi d’Animal (Paragraphes littéraires. Paris 1978)

Histoire de dire (Aquitaine - Expansion Bordeaux 1982)

Silhouettes (I.M.F.) Productions (St-Estève 1984)

« Car le mot, que l’on sache, est un être vivant »

(Victor Hugo).

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PRÉFACE

Parmi tant d’autres, une harpe ! Parmi tant de poètes, un

poète qui leur ressemble par son credo, sa marche et ses rêves !

Une harpe pourtant bien personnelle, un poète aussi qui

n’emprunte qu’à son coeur, s’éloigne du copiste, nourrit son art

avec ses visions, la sève de ses heures et sait donner à son verbe,

un relief attirant jusqu’à l’atteinte de l’envoûtement. Olivier

Demazet est un félibre, je dirai aussi, un véritable imagier. Dans

ce « Vent d’Autan », nous découvrons en lui, un traducteur né de

ce monde naturel dans tout l’insoupçonné de sa vie qui ressemble

tant à la nôtre. Avec plaisir nous le saluons ici, au levant de sa

route où s’inscrivent certains, tous les signes d’une future et

éclatante moisson.

(1966)

Olivier DEMAZET. Une longue expérience poétique. Un

aède authentique cultivant tout à tour, ici une prose

primesautière, notation d’une allure vive et désinvolte, de bonne

charpente rythmique, sous des touches d’âme très sensibles ; là

des cadences émotives et graves sous les souffles de la foi, la

morsure de toute souffrance ou les secrets de l’au-delà. Poète

aussi du monde animalier où s’exerce avec un rare bonheur et les

sels de l’humour, sa lyre imagière et combien musicale, solfiant

la vie de tout un bestiaire en des pièces fugitives dont chacune est

un véritable régal pour l’esprit.

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Chez lui point de relents de décompositions, d’exhalaisons

sulfureuses, de recherches abstraites ni de vernis masquant

souvent chez certains le vide de la pensée, mais un langage

humain, naturel avec une part de fantaisie, des passages d’ombre

quand la douleur du monde jette son cri, des appels alors que

s’ancre dans l’âme le pourquoi de la vie. Un langage aussi

imprimant sur l’étoffe du poème, les jeux du Rêve et le signe de

ceux vivant du pain de la nature, peintres d’un vol d’oiseaux,

sachant nous conduire dans ces jardins de la tendresse où

s’épanouissent pour se donner à l’enfant, à l’épouse comme à

l’homme des terres sans pitié, des floraisons de joies et des

matins d’espoir. Olivier Demazet est de ces Justes, et tous ses

chants le disent.

J. D.

Le Courrier des Marches 1981

Jean Darwel

Poète, Lauréat de l’Académie Française

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SI J’ÉTAIS A LA PLACE DE LA LUNE

... Ces poèmes qui sont un peu écrits dans l’esprit de « Si j’étais à la

place de la lune » ...

(Maurice Carème, prince en poésie, dédicace de « La lanterne magique »

(Octobre 1965).

Si j’étais à la place

De la lune

Je jouerais au trapèze

avec la petite ourse

Je verrais les amants

Enlacer les étoiles

Les petites chats goulus

Téter la voie lactée

Et l’étoile du Nord

Enluminer Noël.

Si j’étais à la place

De la lune

Dans la bleuté j’irais

De la verdure, rouler

A l’herbe blé dirais

Ne pousse pas si vite

De la place à chacun

En ce monde il y a.

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Si j’étais à la place

De la lune

Vite mer percherais

Sur les toits de velours

De ma ronde pâleur

La clarté chanterais

AU rythme ronronnant

Des baladins qui rêvent.

Si j’étais à la place

de la lune

Un moineau deviendrais

Sautillant ça et là

A l’écart des sapins

Qui à grands coups de nuit

Perceraient ma figure

En feraient des quartiers.

Si j’étais à la place

De la lune

De l’écureuil ferais

Le lutin des futaies

D’une auréole irais

Coiffer le sanglier

Qui sans défense aurait

Belle allure en saint homme.

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Si j’étais à la place

De la lune

La coquette ferais

De les eaux du miroir

Après un petit brin

De toilette discrète

Servirais les poissons

Sur un plateau doré

Aux mendiants de la rive

Avec des croissants frais.

Si j’étais à la place

De la lune

Les chiens de soir verrais

Hurler la joie, la vie

Sans réveiller le coq

De l’église pointue

Je crierais à la nuit

Balayée par les phares.

Si j’étais à la place

De la lune

Le peuplier mettrais

Dans l’encre de la nuit

Pour écrire partout

Dans les bois, dans les champs,

Les montagnes, la mer,

L’amour, la joie qui chante.

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Si j’étais à la place

De la lune

Au soleil, aux nuages

De souligner dirais

Tout ça d’un arc en ciel

Pour que je dorme enfin

Tranquille en attendant

Venir la nuit prochaine.

Si j’étais à la place

De la lune

La brume de l’aurore

De buvard servirait,

Les fleurs des champs feraient

Sonner le rossignol

Pour éveiller l’enfant

Qui jase et puis sourit.

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L’AUTOMNE GÉANT

« Arbres et forêts, vous connaissez mon âme

(Victor Hugo)

Les arbres pleurent

des feuilles multicolores

Le vent siffle

des airs multisonores

La pluie enflamme

des luminosités multiformes

L’automne à pas lents mutile

les dernières vérités du multiple été

L’automne géant offre

au viol de l’hiver impudique

les arbres multipolaires

et la nature qui se meurt, grise, multipare

Le printemps amoureux ressèmera

la verte vie, jeune et multipliée.

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LE GIVRE

« C’est une triste chose de penser que la nature parle et que le genre

humain ne l’écoute pas »

(Victor Hugo)

Émoustillée de bise

qui la mord et l’aiguise,

la campagne s’est mise en un beau trente et un,

rutilante en cristal opalin,

car Phébus, de sa grisaille rase,

se promène en gibus de topaze

et passe en grande revue d’honneur

ses sujets scintillants en tenue de rigueur

Haies et buissons, arbres et arbustes,

prés, champs et labours frustres,

fils de fer barbelés,

grillages, fils d’électricité,

antennes, clochetons, tortures ...

Plus aucune verdure.

Tout l’Univers de blancheur s’enivre,

de la tête au pied vêtu de givre.

L’uniforme est parfait de dentelles, festons,

initiales brodées, décorations, boutons.

Des cyprès argentés par-ci par là s’amusent,

moustachus ou barbus, à faire quelques ruses.

Des peupliers aussi, déplumés, crânement,

frétillent leur tête luisante d’ornements.

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Un platane au pied lourd sort l’épée pour le duel

avec celui d’en face

or un bref sourd rappel

battu d’un coup d vent, réchauffé, sans réplique,

par ce Roi en sueur et au rire cynique,

ramène ces robots bien vite à la raison,

tombant un pâmoison, morfondus et en larmes,

remettant bas les armes.

Les voilà humiliés,

dénudés,

spoliés.

Puis, caresse espérée,

la brume au crépuscule étend déjà ses voiles

pour repeindre demain une aussi belle toile.

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MORTE SAISON

« Puisqu’ils ont semé du vent, ils moissonneront la tempête »

(Ancien Testament)

On ne parle plus de la pluie

et du printemps.

On ne peut plus être et avoir été.

C’est l’automne,

la saison où les têtes tombent.

morte-saison.

Ciel ! Quel hiver !

TOUT

- Qu’avez-vous ?

- Rien du tout.

- Que voulez-vous ?.

- Tout et tout

- Voici des clous.

- Je m’en fous !

- Où allez-vous ?

- au trou

- Comment iriez-vous ?

- avec vous.

L’amour ? Une forêt de chênes, de bouleaux et de charmes.

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VENT D’AUTAN

« Je chante parce que l’orage n’est pas assez fort pour couvrir mon

chant ».

(Aragon)

Aujourd’hui c’est, hélas ! piètre fin de l’automne,

Voici le jour qui lasse et la mort qui résonne.

Le soleil était beau. Il a pris son manteau :

C’est l’heure du rabot. C’est l’heure du fléau.

La nature endormie voudrait mettre pantoufles.

Le vent d’autan l’excite à en perdre le souffle.

Le peuplier essuie le ciel de son plumeau.

Le sapin chante en vert à grand coups de pinceau.

L’acacia de sa griffe déchire la rafale.

Le bouleau est tout blanc de colère, il en râle.

Le platane éperdu noyé de tourbillons

Appelle à son secours car il est en haillons.

Le tilleul bras ballants revient de l’exercice.

Le marronnier en crois a les branches qui crissent,

Le feuillage éteint siffle un macabre ballet,

Une valse hystérique sur un rythme endiablé.

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Un tango langoureux avant les funérailles.

Une musique avide arrache les entrailles.

Feuilles vertes de peur cachées dans les fossés,

Feuille accrochée aux brins en un dernier lacet.

La serre du jardin n’est plus même un refuge.

Tout s’était allongé, attendant le déluge.

Feuilles sèches crispées d’un dernier soubresaut,

Dahlias échevelés, herbe verte, roseaux.

La rose d’Inde orange et toute repentante

Brille avec la pivoine encor bien florissante.

Le chrysanthème ouvert se repose et attend

De fleurir en beauté ce moment de tourment.

L’automne époumoné s’égosille et s’arrête.

Le silence descend sur la furie discrète.

Le ciel sue, crache, pleure, il éclate en sanglots.

La nature affalée boit son chagrin dans l’eau.

Le chant du coq ce soir sonnera fort sans doute,

Le chien au regard blanc hurlera la déroute.

Le chat noir secouera sa patte de dédain.

Le moineau sautillant sortira plaisantin.

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AVALANCHE

« Comment, cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève comme

aujourd’hui, et que tout est gâché ? ... »

(Electre-Giraudoux)

Une avalanche

de glace-neige

bondit et rebondit

en un clin de sourire

à tombeaux ouverts

sur des visages ouverts

sur le pain de la chance

sous les nuages qui ventent

au moment du redoux

juste avant les temps doux

dans le chalet de jeunesse

jeunesse de l’alpin silence.

SOURCES

L’eau source de vie

le feu source de vie

l’air source de vie

l’or source de mort

l’homme source de vie

l’homme source de mort

s’il dévie

s’il n’en démord

s’il se prend pour un dieu

maître des cieux.

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LA ZONE

« Le progrès humain se mesure la condescendance des sages pour

des rêveries des fous. »

(Jean-Jaurès

Pendant que tu vis

hors de la zone,

la mort s’abat sur l’Amazone,

des chefs terrifient sur le trône,

des chefs spéculent sur les faunes,

des gens pullulent dans la zone

la Terre s’abîme en la zone,

Pendant que tu vis,

ne cours t’asphyxier dans la zone

OMBRES

Des ombres étranges

Planent sur les ondes

des plafonds du village

sur les rides de la nuit

La peur s’allume sur les coeurs empoignés

Les âmes perdues se noient

dans le sourire des étoiles.

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TOURAINE

« Ils chantent à longue voix nourrie et pure le paysage de l’atelier

immense du soleil, atelier qui a la nuit pour toiture et l’homme

comme exploit décevant et merveilleux ».

(René Char)

Touraine,

ma Touraine lointaine,

ma contrée soudaine ...

Mes souvenirs défoncent la chaleur fertile

de l’enfance vivante.

Il n’est pas de chiendent avide qui l’étouffe,

de courtilières qui l’enserrent, qui la coupent,

et d’aveugles taupes qui la creusent en cavernes.

Il n’est pas de pluies torrentielles

qui éparpillent l’enfance continuelle.

les roses roses sans épine me dévorent

de senteurs en couleurs.

Des coccinelles en promenade s’effleurent.

Un chat noir blanc me vole,

il miaule, dégringole.

Un faisan d’or s’envole.

Quelques filets de pluie me dorlotent

dans leurs mailles d’argent.

Une poussée juvénile de mousserons des prés

picote mes joues.

La prairie verte mouillée se travestit,

de primevères, de pensées de mes pensées.

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Les nuages hydrophiles pomponnent le ciel bleu.

L’équidistance mauve orange

du crépuscule et de l’aurore,

adoucit tous les angles vifs d’aujourd’hui.

Elles se retrempent mes paroles

parmi la sonorité sonore

et la sensibilité sensée

de l’équilibre d’une source pure.

Scintillent à Vouvray les dorures transparentes

qui clapotissent le demi-cristal.

Je gratte le tuffeau de mon adolescence,

De la poussière blanche,

il repousse des Cheverny, des Chenonceau,

des petits lionceaux présentés en écrins,

des Chaumont suspendus au plafond du ciel,

sur la table d la Loire,

le long du mur de la forêt.

Les levées grises serpentent ma fuite

vers les grèves feuillues aux sables de miel

devenues des îles de salut.

Je me mire dans les manoirs.

Une somnolence incisive, précise

se régale du Chant des cigales provençales

que sont les Tourangeaux ;

du rire bien en clair,

de l’élégance bien en chair

que sont les tourangelles.

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Touraine émoustillante,

raisonnable gaîté,

fraîcheur croustillante.

France des jardins

où toujours fleurissent

Rabelais, Descartes,

Ronsard et Vigny,

Courteline et Balzac.

France d’Anatole France

et de Mado Robin.

Il coule de mes lèvres

la rivière d’azur

de tes printemps intérieurs,

de tes paroles estivales

J’abrite mes trésors chaleureux

au fond des troglodytes,

m’enracine dans une télépathie onirique

de soyeuse perpétuité

sans fissure d’espace temporel.

M’auréole ma tourangelle Loire.

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REFUGE

« Quittez le long espoir et les vastes pensées »

(La Fontaine)

Quand l’incendie éclate au château

Je me réfugie à l’écurie

Quand l’incendie arrive à l’écurie

Je me réfugie sous les gros arbres

Que la foudre tombe sur les arbres

Je me réfugie vite sous-terre.

DROIT DE RÉPONSE

J’utilise mon droit de réponse

à votre annonce :

Si le Pérou m’intéresse ?

Y partir par les Bahamas ?

Pour moins cher encore

et par jet, par-dessus le marché ?

Autrement dit,

entre nous soit-dit

si le verrou de détresse

saute avec vos ananas

pour chercher des trésors

je me jette sur la place du marché !

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« Et si vous aviez le temps pour naître en cet instant »

(Saint-John Perse)

COMME LA TERRE

La vie est chère comme la terre nourricière

qui vous nourrit un temps peu long

La vie est chère comme la terre nécessaire

où l’on construit bien des maisons

La vie est chère comme la terre qui enterre

celui qui dort bien des saisons

SOLEIL

O mon Soleil du monde

qui miroite les ondes,

fais fondre la banquise,

tais l’océan en crise,

nivelle la tempête,

bois les torrents des crêtes,

étrangle le tonnerre,

étouffe les cratères,

retiens les flots en crue,

ragaillardis nos rues ! ...

Arrête l’avalanche !

Raccroche-nous aux branches !

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« Je me sens lourd de trésors inutiles comme d’une musique qui ne

seraient jamais comprise »

(Saint Exupéry)

L’INDISCERNABLE

La poésie est un message

qui ne prend jamais d’âge,

la poésie qui souffle

la chaleur et la vie,

Mais si des fauteurs l’emmitouflent

du manteau de la nuit,

c’est l’obscur froid, l’indiscernable,

frimas impénétrable,

Les mendiants de poèmes

iront aux sources qu’ils aiment.

MAI

Mai quarante

Mai cinquante-huit

Mai soixante-huit

Jolis mois de mai.

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« Mon âme est une infante en robe de parade »

(Albert Samain)

LE SIGNE DE LA VIERGE

En ces temps,

sous le signe de la Vierge,

il n’y a plus de vierges.

Mais pourtant,

une vierge très vierge

écoutait une cassette vierge

dans une forêt vierge

et priait Marie-Vierge

de ne plus rester vierge.

Elle alluma un cierge

qui l’enlumina,

qui l’illumina.

Ainsi, depuis ce temps,

forcément excitant,

rougit la vigne vierge,

sous les fils de la vierge.

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« Un monde uni ou le néant »

(Einstein)

LES CRIS

Vive la Corse

crie un Corse

Tous les Corses applaudissent

Vive le Pays Basque

crie un Basque

Tous les Basques applaudissent

Vive la Bretagne

crie un Breton

Tous les Bretons applaudissent

Vive l’Occitanie

crie un Occitan

Tous les Occitans applaudissent

Vivent les Antilles

crie un Antillais

Tous les Antillais applaudissent

Vive la France

crie un Français

Tous les Français l’avilissent.

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« Les gens intelligents s’adaptent à la nature, les imbéciles

cherchent à adapter la nature à eux-mêmes. C’est pourquoi ce qu’on

appelle le progrès, est l’oeuvre des imbéciles ».

(G.B. Shaw)

LA CHUTE DE L’ARBRE

On abat les charmes les châtaigniers les chênes

On abat les bouleaux les marronniers les frênes

On abat les ormeaux les acacias les hêtres

On abat les sapins les peupliers les aulnes.

à grand coups d’éclats de voix

à grand coups de portefeuilles

à grand coups de bourreaux-guillotines

à grand coups de bruits pour rien

Pour les fabriques standards bénéfiques

de plateaux à fruits de sciures

de meubles, sans menton, ni front

d’agglomérats en portes d’immeubles cimentés

pour les fabriques de papier-torchon

de papier-journal où s’étalent

chiens crevés, sinistres nouvelles

petites annonces insignes publicités futiles ...

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Écoutez la stridente hargneuse des scies mécaniques

mordantes, cisaillantes, hurlantes, rouspétantes

Écoutez les chahuts impassibles des bulldozers

défoulant leur puissance de bêtise acharnée

Ils destinent un sort final tragique

à la forêt ogivale du délice estival

morte pour le carnaval des robots et des hommes

évanouis de nature écoeurés de verdure

Écoutez la peur de détresse de la forêt pudique

qu’on assassine qui hurle à la mort

qui bute son âme magique

sur les engins des croque-mort

Au nom d’une planète d’or

au nom d’une terre promise

il n’y aura plus rien dehors

mais que la terre incise

Le crime sylvestre condamne l’homme à la truelle

pour construire des massifs de béton surarmé

des paysages aux visages décharnés

des clairières-verrières, cercueils des bourreaux

des bois aux arbres de fer au arbres d’acier

des futaies rectilignes aux troncs de rectangle

des taillis zingués aux tôles aveuglantes

des baliveaux en sordides tours marchandes

Page 29: Olivier Demazet Natures vives

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On dénude sans pudeur la nature

de sa cape de vie verte et d’ampleur élancée

On habille sans couleur la nature

des treillis du désert, des feuilles de la déchéance

En veine d’autoroutes déplatanisées et de

grandes surfaces déshumanisées

on saigne les artères on se

désaltère de sang

De vastes plaies sombres grises enveniment

la planète écorchée, la planète asséchée

L’aubier n’y est plus le coeur n’y est plus

Un chêne qui tombe c’est la tombe qui enchaîne

Les cimes qu’on décime c’est l’Astre qui s’abîme ...

Mais si les repousses crient vengeance sur le béton qui fond ?

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« Fuyons l’orage. Voici venir le temps de vivre

Voici venir le temps d’aimer

Une île une île qu’il nous reste à bâtir ... »

(Jacques Brel)

IL N’Y A PLUS ...

Le soleil s’est éteint, il n’y a plus de chaleur solaire

Les mines sont épuisées, il n’y a plus de chaleur minérale

La forêt est abattue, il n’y a plus de chaleur végétale

L’animal est détruit, il n’y a plus de chaleur animale

L’homme s’est tu, il n’y a plus de chaleur humaine.

CHOUX

O mon Léon, mon chou, mon mignon

O ma Léone, ma fleur, cicérone

O mon chou, O ma fleur, O chou-fleur

STATIONS

O nature sans verdure !

O pollution à profusion !

Des industriels

créent des stations d’épuration

et des demoiselles

créent des stations d’épilation.

Apologie de la nature,

écologie sans rature ...

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« L’idée n’est pas au ciel de l’abstraction, mais plutôt, elle monte

des terres et des travaux ».

(Alain)

SÉCHERESSE

L’incendie solaire assoiffe la terre

Le paysan voudrait

traire les mamelles du ciel

qui vitalise la turgescence nourricière

pour offrir la vie verte

aux animaux du monde

pour offrir la vie blonde

à tous les blés du monde

pour offrir la vie rose

à tous les gens du monde

UN PISSENLIT

Un pissenlit

pisse au lit

Il achète trois noix

et devient pisse-froid.

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PARIS DESSERT

Un solitaire en déprime m’a dit qu’une nuit, il était en quête de figures

humaines et de chaleur humaine. Il avait tenté une sortie dans Paris.

Mais il se heurta tout de suite au vide humide, obscur et puant de son

quartier. Paris désert, Paris mort, Paris Silence. Panne électrique ?

Grève électrique ? Attente pesante d’une fin atomique ?

Lumières axiales éteintes. Vitrines aveugles. Portes de prison -

Avenues de cimetières. La lune et les étoiles intimidées se noyaient

dans un charivari de nuages bleu-marine. La ville sépulcrale n’était

troublée par aucun flâneur, aucun fêtard, aucune voiture.

Seul, de temps en temps, un vent insolent tentait de lui donner quelque

vie.

Par hasard un taxi fonçait dans la nuit. Le promeneur de l’ennui le

héla.

Sans succès. Un chiffonnier fouillait une poubelle à tâtons, un

clochard assis

écorchait un mégot. L’homme sans but leur demanda l’heure, sans

obtenir de réponse. Le prenait-on pour un fou ?

La déprime voûtée opprimait cet être perdu en plein monde. Il

comptait ses pas retenait son souffle, tâtait les murs.

Les arbres encagés des boulevards se sauvaient.

Les immeubles chauves des rues profondes défilaient, immobiles. Et

toujours ces relents de la journée nauséabonde ...

Paris grouille, Paris fourmille, Paris circule, Paris hurle, Paris

s’amuse ... paraît-il.

Mais Paris dort, Paris meurt ... Dans la tête d’un solitaire, malade de

la peste moderne.

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« Auprès de mon arbre, je vivais heureux »

(G. Brassens)

HISTOIRE DE PINS

Je n’ai plus d’essence

pourtant je résine bien

dit le pin

Tu n’as plus de sens

partout tu lésines bien

dit l’autre pin

Tu perds le sens du pain

bon sang de bon sang

prenons le train

AVEC DES FLEURS

Allez-vous donc saisir ?

Voici la fin des fleurs.

Et pour vous faire plaisir

Je vous le dis

avec des fleurs

achetées à crédit.

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« Bonheur, je ne t’ai reconnu qu’au bruit que tu fis en partant ».

(Radiguet)

LES DES

Errare humanum est

L’usine se dessine, la cime se décime

La racine se déracine, la plume se déplume

La mode se démode, la forme se déforme

La terre se déterre, le déchet se dessèche

Les dés en sont jetés. Alea jacta est !

LE PAYSAN NAÏF

Le paysan naïf s’en va cueillir

des champignons en regardant l’avion

qui lance des champignons.

Le paysan naïf s’est fait cueillir

par un champignon lancé de l’avion

en ramassant des champignons

AU CIEL

- Au ciel, tu me le rendras

- Sous quel ciel ?

- Au Septième

- Prenons l’ascenseur

- Et pourquoi ?

- Pour l’amour du ciel !

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« On est seul aussi chez les hommes »

(Saint-Exupéry)

EST-CE QUE ...

Est-ce que

la tour est pointue, la maison carrée

le château fortifié, le domaine clôturé,

la plage réservée, la forêt interdite,

la pelouse défendue, la mentalité fermée ?

Est-ce que

La Terre est ronde,

le monde est monde ?

ROSE

Rose merveille, du destin

tu pleures fanée de chagrin

J’aimais ta corolle toujours

qui s’offrait au jardin d’amour

Sans pétale de roses

que mon coeur est morose !

LES SANGLES

Les sangles longues

des violongues

percent l’haleine

de puanteur

tout l’automne

Page 36: Olivier Demazet Natures vives

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à Clément Benoît (1906-1980)

« Je ne sais pas pourquoi la route qui me pousse vers la cité a

l’odeur froide des déroutes ».

(Jacques Brel)

LE CYCLISTE

A ma Dame Nature

Je fais belle figure.

Je suis gai comme un roi.

Mon vélo fait la loi

Dans toutes les campagnes,

Dans toutes les montagnes.

Les oiseaux je regarde,

Ca et là je musarde,

Et jamais ne me fâche.

Au bord du clair ruisseau,

Je bois et fais des sauts.

Je prends mon casse-croûte,

La pomme mange toute,

Puis à la belle étoile,

Je me sens loin des toiles,

Loin des bruits de la ville,

De la vie qui fourmille.

Le matin, je prends l’air,

Et sans plus de mystère,

Avec Petite Reine

Mon sang court dans mes veines

Vers Toulouse et Izards (1),

A mon gré au hasard,

Des chansons plein la tête

Et le coeur tout en fête.

Je retire mon chandail

Et retourne au travail.

Page 37: Olivier Demazet Natures vives

37

« Rien n’est plus vain que de faire les forts devant l’univers - Méfie-

toi des règles de fer, elles sont trop droites ».

(H. Petit)

CA FILE

Un coureur file plus vite

qu’un marcheur

Un cycliste file plus vite

qu’un coureur

Un automobiliste file plus vite

qu’un cycliste

Un aviateur file plus vite

qu’un automobiliste

Un astronaute file plus vite

qu’un aviateur

La lumière file plus vite

qu’un astronaute

Sans lumière

On ne filera pas si vite.

Page 38: Olivier Demazet Natures vives

38

« Un affreux soleil noir d’où rayonne la nuit »

(Victor Hugo)

BRUME SUR LE LAC

Vogue la barque nocturne

au clair du brouillard lunaire

Environnement aveugle

Ensevelissement assourdi

dans la pénombre cotonneuse

Imaginations fantastiques

Hallucinations délirantes

Malaise horrible

Frissons d’épouvante

AVENTURE AFFOLANTE

Râles de peur.

Des puissances obscures

le happent

au fond des noirceurs aquatiques

du lac impavide.

Page 39: Olivier Demazet Natures vives

39

« Les montagnes toujours ont fait la guerre aux plaines »

(Victor Hugo)

LE CANIGOU

Le Canigou fut une immense vague

d’une mer en tempête.

Survint la période glaciaire où il fit

très très froid : plusieurs degrés en-dessous.

La vague s’est glacée, pétrifiée,

Un chien de mer la recouvrit

de pierres et en fit une montagne.

La preuve : regardez le sommet.

Vous y verrez encore la glace.

Il y aurait même la pierre

Saint-Martin du Canigou

ROYAUMES

Au royaume des aveugles, c’est le monde du noir,

Au royaume des sourds, c’est le monde du vide,

Au royaume des voyants, c’est un tout autre monde,

Un monde aveuglant, assourdissant.

Page 40: Olivier Demazet Natures vives

40

OU VA-T-ELLE ?

Où va-t-elle cette fillette

Aussi belle qu’une violette ?

Cueillir une fleur de bonheur

Qui va s’ouvrir dans son coeur

Respirer la vie sans arrêt

Sous les cimes de la forêt.

Se rafraîchir à sa guise

A la fraîche source des bises,

Chercher une joie sans crainte

Dans les caresses les étreintes.

Vite courir avec ardeur

Sourire enfin à la douceur.

Va vite, va vite Fillette

Aussi belle qu’une violette !

Page 41: Olivier Demazet Natures vives

41

« Et l’école du monde, en l’air dont il faut vivre,

Instruit mieux, à mon gré, que ne fait aucun livre ».

(Molière)

MONTAGNE D’ARIÈGE

La perle de cette journée d’été fut, sans conteste, l’escalade

vers Larcat, sous un soleil tamisé. Un vent léger faisait bruire la

chevelure des acacias accrochés aux pentes. Les champs de céréales

dessinaient des îles d’or sur la verdure de la montagne basse et de la

vallée.

La montée se fit à bonne allure, mais nous nous égarâmes dans

un petit labyrinthe de sentiers, nous aboutimes dans un champ de

luzerne, puis dans une vigne. La gentillesse d’un paysan nous

dépanna. En cours de route, cueillette de quelques fleurs rares et de

pierres dignes, coup d’œil sur les rochers.

Brève halte, pour une vision panoramique de la vallée : le

village d’Aston et son clocher faisant l’appel de ses maisons aux toits

roses, l’usine hydro-électrique nous semblaient de mignonnes

miniatures. Les véhicules roulant sur la route en lacets ressemblaient

à des modestes jouets d’enfants. Absorbés par la puissance

monstrueuse et charmeuse d la montagne, nous avions l’impression

très nette d’être des surhommes, fiers de notre pouvoir de considérer

les choses et la vie d’en-bas, émus de l’amitié portée à la nature.

Larcat enfin ! Trois kilomètres avalés depuis le départ. Un bref

arrêt devant le parvis de la petite église dont les cloches nous

rappelaient chaque demi-heure une présence humaine coincée dans

l’immensité rugueuse et verte. Une visite à la fontaine, où nous

succédâmes aux chèvres et à un cheval, pour désaltérer nos gosiers

asséchés par l’effort. Une conversation avec un brave vieillard

rocailleux, pour nous apprendre que Larcat vivait de quatre-vingt dix

vieilles âmes attachées à leurs monts et vallées de naissance.

C’était en juillet 1960 ... Depuis ?

Page 42: Olivier Demazet Natures vives

42

« La rose naît du mal qu’a le rosier, mais elle est la rose ».

(Aragon)

LE VIEUX CHÊNE

Le vieux chêne s’est fait

sur le monde défait.

Le vieux chêne abattu,

le monde s’en est tu.

AIR

L’air à Fabas a tout prévu

pour vos voyages à Bec-sur-Mer.

De l’air !

pour vos voyages à Sec-sous-Terre.

De l’air !

CAP

Cap sur le Soleil,

Maroc et Sud Marocain !

Tape sur la bouteille,

mon roc, mon duc, mon coquin !

Page 43: Olivier Demazet Natures vives

43

« J’ai juré de vous émouvoir de colère ou d’amitié, qu’importe ! »

(G. Bernanos)

CE N’EST PAS POUR DIRE

Ce n’est pas pour dire j’ai envie de rire

Toute la planète vit

sous le gris du printemps, sous la neige d’été,

sous le bleu de l’automne, le soleil de l’hiver,

dans les forêts de blé et les champs de forêt,

les villages surpeuplés, les villes désertes,

dans les fleurs de béton, les laves de bitume,

dans les rivières qui s’enrhument, le vent qui fume.

La liberté existerait en prison,

la nature serait une prison,

Nous n’avons plus d’amis, mais bien peu d’ennemis.

Les riches aident les pauvres en vendant leurs vieilleries,

tout en faisant bon marché de leurs armes,

Mais la guerre prépare la paix, paraît-il.

L’argent ne compte plus pour quiconque,

sauf pour ceux qui en ont.

Tout le monde ne mange pas sa faim

chez les crève-la-faim, les trotte-misère.

Page 44: Olivier Demazet Natures vives

44

Mais le pétrole s’épuise. La pollution pue.

Voyages sans retour - Mais futile angoisse.

Les paysages gris se lunifient en attendant

que des engins de mort statuent sur leur sort ...

Pourquoi donc ces mimiques

de croque-mort nus, statufiés ?

Ce n’est pas pour dire, j’ai envie de rire.

L’HIVER

Se lève un pont-levis

sur les secrets de vie

C’est le gel à pierre fendre

Tous les glaçons s’amusent

à s’agripper se pendre

La neige roucoule en muse

sur les bêtes amies

sur les hameaux enfouis

Page 45: Olivier Demazet Natures vives

45

« La même génération a vu disparaître le feu, la voile, le cheval,

c’est-à-dire une immense partie de la vie de l’humanité »

(H. Petit)

VIEILLE MAISON

Vieille maison de paysan

aux vagues de pierres

à blanche permanence

aux canaux de toit bossu

aux tuiles moussus

aux noueuses poutres patinées

de vie arborescente

aux dalles de terre fumées

usées par les sabots des aïeux

aux façades présentes

embrasées de vigne-vierge rouillée

enlacées de lierre secret

Vieille maison de paysan

comme tu recultives

ta jeunesse séculaire

ta rusticité intime

ton âme terrienne

sous la truelle et la cisaille

des artisans de la campagne

Page 46: Olivier Demazet Natures vives

46

« Et la fête dura tant qu’le beau temps

Mais vint l’automne et la foudre »

(G. Brassens)

IL PARAIT

Il paraît que les vacances sont moins chères

avec des vols spéciaux

Il paraît que la bectance est moins chère

avec des oignons spéciaux

Il paraît que la jouissance est moins chère

avec des moyens spéciaux

Il paraît que la souffrance est moins chère

avec des services spéciaux.

CIEL D’ÉTÉ

Une dentelle sylvestre

noire verte grise

ourle le ciel absent

festonne la plaine

napperonne les blés mûrs

dépelotonne au passage

le coton flou des nuages

blancs, qui se défilent

qui s’étagent

se dévident

Page 47: Olivier Demazet Natures vives

47

« Devant une flamme, dès qu’on rêve, ce que l’on perçoit n’est rien

au regard de ce qu’on imagine »

(G. Rachelard)

LA FOUDRE

Le vent hurle,

le sable nuage,

des torrents pleuvent

sur la glèbe accueillante.

Les éclats de tempête brutalisent

le miroir de la route.

Le giron de la plaine reçoit les ruisseaux fous.

Les blés titubent et se couchent, enivrés.

Les arbres blessés claquent des branches

tirent avec furie sur leurs racines,

comme pour prendre la fuite.

Les fleurs des champs, têtes baissées,

pleurent doucement de honte

d’avoir perdu leur beauté.

Les herbes tremblent fébrilement,

toute plante se plie et supplie.

Les troupeaux s’électrisent

et se paralysent

dès le coup de foudre,

par peur d’un retour de flamme.

Page 48: Olivier Demazet Natures vives

48

« Il faut croire au progrès? Et c’est peut-être une de nos dernières

naïvetés »

(J.P. Sartre)

LES USINES

Pour faire passer le courant, il existe

des usines à bois, des usines à charbon,

des usines à mazout, des usines à vapeur,

des usines à terre, des usines à mer,

des usines à soleil, des usines à hommes,

des usines à atomes crochus.

DÉPLUMEUR

Automne souffleur déplumeur

Les arbres pleurent tristes larmes

sur un tapis multicouleurs

où le vent balaie son vacarme.

PÉTROLE

Le pétrole s’épuisera

bien un jour

sous la terre

sous la mer

Le pétrole s’écoulera

bien un jour

sur la terre

sur la mer.

Page 49: Olivier Demazet Natures vives

49

« Conquérir la nature, lui arracher ses secrets, s’en servir au profit

de l’humanité » ...

(Claude Bernard)

DOUCEURS

Qu’il est doux d’entendre

les jets osés des moteurs !

On en pleure à se fendre

et la tête et le coeur.

Qu’il est doux de humer

les odeurs excitantes

des autos tant aimées !

Caresses enivrantes !

Qu’il est doux de sentir

les cheminées d’usines !

Panaches à ravir

O parfums de benzine !

Qu’il est doux d’assister

à la construction grise,

béton vite à couler

dans le record qui brise !

Page 50: Olivier Demazet Natures vives

50

Qu’il est doux de scruter

un immeuble un building :

O blancheur de la craie

qui noircit le standing !

Qu’il est doux de jouir

d’une sortie d’école

et d’usine où se mire

la balade frivole !

Qu’il est doux d’admirer

l’allure régulière

des tracteurs sur les raies

de la plaine si fière !

Qu’il est doux de passer

l’océan de nos plages,

Solitude qui sait

vivre en foule et bien sage !

Qu’il est doux d’écouter

le mur du son qui claque,

le son des murs crouler

dans le sang, dans les flaques !

Page 51: Olivier Demazet Natures vives

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« Il y a la poésie du soleil et celle de la brume, de l’espoir et du

regret, la poésie de la découverte et celle de l’habitude, de la mort et

la vie, du bonheur et du malheur »

(G. Pompidou)

LA TOUR ET LE VOILIER

Ma solitude est une tour d’ivoire

Où je suis triste prisonnier sans gloire.

J’essaie pourtant tous les jours d’en sortir,

Pour voir le visage de l’avenir.

Mais les hautes cimes transpercent mes yeux

Et les lourdes nuées écrasent les cieux.

Mon élan se brise sur la muraille,

Mon bel espoir se meurt dans la grisaille

O joli voilier de l’onde timide !

O jolie fille et tes doux yeux limpides !

Page 52: Olivier Demazet Natures vives

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« Mon corps n’en fait qu’à sa tête »

(Marcel Achard)

LE SOUFFLEUR

Automne omnicolore en feuilles

qui tapissent le sol d’écueils ...

Rideaux de squelettes charmeurs :

quel bel ennui pour le souffleur !

A VENDRE

Maison à vendre Voiture à vendre

Terrain à vendre Cheptel à vendre

Primeurs à vendre Fruits mûrs à vendre

Eau claire à vendre Air pur à vendre

Caveaux à vendre Commerce à vendre

Femmes à vendre Âmes à vendre

Vie sûre à vendre Mort dure à vendre

APRÈS

- Après ce bon vin d’Alsace,

tu prends de la race

- Que veux-tu que ça me fasse ?

Tu me glaces.

Page 53: Olivier Demazet Natures vives

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« Se dépouiller, c’est vivre. Chaque moment emporte des pétales de

vie ».

(V.G. Calderon, Pérou)

SÉISME

L’ogre simiesque des abysses sismiques

émerge des gouffres sinistres,

par moqueuses escalades fuséines

et s’attaque par saccades carnavalesques

à l’échelle humaine de Richter,

Qu’il brise en charpies ridicules.

Il s’abat, se cramponne et se vautre

sur le Pérou du péril fou.

Fauve qui égorge sa faim, il tranche,

retranche sa terrestre proie fascinée.

S’empiffre des monts en croûtes doubles.

Déchire en obscures dentelles les plaines fendues.

Dessoiffe son avide cynisme.

Court tarir rivières et puits.

Inonde de boue nauséabonde les lacs.

Aspire l’eau dans le fracas

des claquements de sa langue et de ses dents.

Assaisonne son progrom de ripailles

à la sauce piquante humaine.

Prend son dessert d’enfants à la sauce sanguine.

Page 54: Olivier Demazet Natures vives

54

Le monstre orgiaque,

tel une hyène pleine de haine,

enfouit ses minables reliefs squelettiques

pour les renflouer, et qui sait, pour les flairer plus tard.

Seules pauvres traces gisantes :

Terre et pierres entassées, éparpillées, émiettées,

villages et villes en ruines de soupe fumante,

paysage d’abomination nagasakardes

de dégoûtation excrémentielle ...

Et le séisme épuisé de goinfrerie,

pris de tremblement de terre hoqueteux,

encore suspendu au fléau de ses menaces,

s’estompe vers l’océan sauvage,

s’engloutit pour la sieste assouvie.

Son regard fulgurant s’éteint

comme un feu qui couve sans artifice.

Les hurles du cataclysme se sont tues ...

C’est le silence, la nuit, le désespoir

sur le Pérou sans Pérou.

Défaite la vie

Après le cric-crac des mortes secondes

grêlant sur les cicatrices panoramiques

d’un Désunivers violé.

Page 55: Olivier Demazet Natures vives

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« Aimiez-vous la muscade ? On en a mis partout »

(Boileau)

REMONTEZ !

Remontez le temps

à partir de huit mille francs

Les circuits d’Afrique

vous conduiront

au coeur du dépaysement

A plusieurs siècles de vos préoccupations quotidiennes.

Remontez le courant

à partir du mi-versant

Les biscuits du risque

vous briseront

le coeur de désenchantement

en plusieurs pièces de déveines sensations éoliennes.

LA FLÛTE

Les notes fluettes

de la flûte

glissent fines

sur les vitres

qui transpirent de plaisir

Page 56: Olivier Demazet Natures vives

56

« Où il y a beauté, il y a pitié, pour la simple raison que la beauté

doit mourir ».

(W. Nabokov)

UNE ROSE DE SONGE

Si j’étais une rose rouge longue

les gens me sentiraient

les gens m’admireraient

les gens me garderaient

dans un bain de cristal

On me contemplerait de loin

en me touchant des yeux

pour ne point flétrir

ma beauté ma fragilité

ma délicatesse, mon allégresse

Faner serait flagornerie

Mourir ferait peur à la vie

Et pourtant, par un triste matin

mes pétales pleureraient ma peine

et affligeraient ma tige en son cœur

Alors on me remplacerait

par une rose rouge longue

pour que refleurissent les songes

de tous les soliflores.

Page 57: Olivier Demazet Natures vives

57

« Jeunesse ne vient au monde

Elle est constamment de ce monde »

(Paul Eluard)

LA CHANSON DU CANIGOU

On s’amuse comme de vrais fous

Sous les cimes du grand Canigou

On joue à de belles amusettes

Sous les cimes du grand caniguette

Canigou Canigou Caniguette.

On revoit la chèvre et le gros loup

Sous les cimes du grand Canigou

Canigou Canigou Canigou

A bas le loup vive la chevrette

Sous les cimes du grand Caniguette

Canigou Canigou Canigou

On se raconte des historiettes

Sous les cimes du grand Caniguette

Canigou Canigou Canigou

Main dans la main on cueille le houx

Sous les cimes du Grand Canigou

Canigou Canigou Canigou

On joue à de belles amusettes

Canigou Canigou Caniguette.

Page 58: Olivier Demazet Natures vives

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« Parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps

Le beau temps me dégoûte et m’fait grincer les dents

Le bel azur me met en rage »

(G. Brassens)

L’ORAGE

Fièvres heures de braise, la nature nous pèse :

glèbe entière suante atmosphère buvante.

Toute plante s’affale et attend la rafale,

les bêtes bavent, tiquent, les mouches les piquent.

Le chien dort. La volaille presse la mitraille,

le coq se croit crûment encor le commandant.

Le ciel a sali son visage d’épais sombres nuages,

il pleut, le ciel se fige un coup de vent voltige.

Un brusque éclair sillonne un ciel qui tourbillonne

C’est le tonnerre il roule en ce monde qui croule.

Journée de déluge, chacun cherche un refuge,

l’orage écarlate ronchonne crie éclate.

La pluie verse, s’affole en ruisseaux et rigoles.

Des cordons, de l’étang, vers le ciel rugissant,

se dressent s’élancent : fluides fulgurances !

Ces gouttes sur le Loir bondissent sur la moire.

Le vent gonfle ruse, sur la plaine s’amuse

à voir les blés couchés, les bleuets ébréchés.

Page 59: Olivier Demazet Natures vives

59

La traînée de feu gronde une gerbe en flamme inonde,

la foudre au loin descend sur une ferme en sang,

Puis ... c’est le silence sur le village en transes

Des fraîcheurs sereines

parfument la Touraine,

La colombe roucoule,

les bêtes vont en foule,

l’arc-en-ciel rayonne d’un sourire en couronne,

console la nature

de ses peines si dures ...

Le monde est épatant à vivre par beau temps.

TOURNANTES

Les Baléares :

une plaque tournante au soleil,

Le bas des arts :

une flaque tournante sans oseille,

Page 60: Olivier Demazet Natures vives

60

« Surpris au large par un mauvais coup de vent, alors qu’il barrait

un dériveur léger, il avait réussi à calmer la mer en lui donnant du

bromure »

(Jacques Sternberg)

O PLUIE CHARMANTE

O pluie charmante,

ma chère amante !

Tu m’as fait quitter la rocaille

du Midi hostile à tes mailles,

Tu me fais vivre en Arcachon

des fols jours si folichons !

Ma chère amante,

O pluie charmante,

Tu sembles boire l’océan

où tremble de froid mon séant.

Tu me picotes sur la plage

illusion de mon corps en nage !

O pluie charmante,

ma chère amante !

Ce cher soleil mouillé de haine,

tu le condamnes à verveine.

Tu me laisses chaud dans ma couche,

O écossaise o triste douche !

Ma chère amante,

o pluie charmante !

tu éclates la nuit d’orage

sur ma penaude envie de rage,

Assouvis ma soif de vengeance !

Emballe mes chères vacances !

Page 61: Olivier Demazet Natures vives

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J’AIME

J’aime le pain j’aime le vin

j’aime le ciel j’aime le miel

j’aime mon père j’aime ma mère

j’aime la bonne chère

j’aime les belles chairs

j’aime l’air j’aime la mer

j’aime les bois j’aime leurs lois

j’aime les bêtes j’aime les fêtes

je ne veux point que soit défait

tout ce que le Bon Dieu a fait

ÉCLAIR

Le brun des embruns

inonde la blonde

dans une source claire

de son amour-éclair.

Page 62: Olivier Demazet Natures vives

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« Stupeur sacrée ! la preuve se fait par les abîmes ».

(Victor Hugo)

PRINTEMPS PASCAL

Renaît la nature hivernale au printemps,

comme resurgit l’Humanité Pascale

de ses immortelles cendres,

après ce ras de marée cyclonique

qui a balayé et arasé les massifs de turpitudes,

asséché les fleuves de cruauté,

abattu les fabriques d’or et d’argent,

enterré les maisons hantées,

écrasé toute animalité sismique ...

Lunatique planète lunaire aux sables de neige !

Existerait-il un monde si calme, si clair,

après la tempête des instincts sauvages ?

Serait-ce une mortelle turbulence

qui plane sur la terre

en un vol de colombes transparentes ?

D’où vient cette douce brise

qui souffle, telle une âme,

sur ce désert de silence ?

D’où vient cette lumière galactéenne

qui éclaire en bleu, jaune ou rose

l’astre humain comme un globe ogival ?

D’où surgit cette lumière manichéenne

qui ressourcerait un soleil tout jeune ?

Un soleil ne se vautrant plus

sur le rayonnement des cœurs.

On dirait une revenue de la vie !

Page 63: Olivier Demazet Natures vives

63

Des voix lointaines murmurent,

puis s’exhalent des vulcanités profondes.

Des chants de l’unisson se fredonnent

dans les failles du cataclysme,

puis jaillissent, clairs et purs

comme une symphonie de joie mondiale ...

Domine en épicentre un cri triomphal :

concerto vocal qui s’organise ...

Une forêt de mains champignonne

et ondule à la tige des bras,

au moindre bruissement du vent :

on dirait une immensité de blé

qui sonnerait déjà l’heure de l’été.

Sur toute la vastité superficielle,

bourgeonne une foule de têtes

qui fleurissent vite en visages

enluminés d’espoirs blonds.

Les yeux émus écoutent ces feux d’artifice.

Émergent soudain les corps

qui poussent, qui s’élèvent,

tels des glaïeuls semés de la veille.

Les têtes contemplent et rient.

Les bouches s’adressent des baisers, des paroles.

Les mains se tendent par poignées.

Les corps oscillent, les jambes s’élancent.

On s’embrasse, on chante, on s’enlace, on danse,

en un choeur innombrable ...

Page 64: Olivier Demazet Natures vives

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Naissance de l’Homme et de la Femme.

Renaissance de l’Enfant.

On cherche le Bourreau, assassin de l’humanité,

mais auteur du Renouveau.

Il n’y a plus de bourreau, il n’y a plus d’assassin !

Le Bourreau s’angelise, après avoir tué

les eaux crématoires, les torturatoires,

les fours à baignoires,

les boîtes de conserves et de concentration,

les nerfs de la guerre et la guerre des nerfs.

L’Humanité pactise et se pascalise

dans une forêt de gui et une marée de roses.

La Paix d’Amour nous est donnée

d’un Printemps tout neuf.

Sonnez pascalines clarines !

Rythmez vos hymnes à la joie !

Chantez l’Amour sur l’Univers

qui s’arborise vers le Ciel !

Égrenez l’Éther de la Vie !

Saupoudrez de Paix notre Terre !

Page 65: Olivier Demazet Natures vives

65

« Il faut oublier. Tout peut s’oublier

Qui s’enfuit déjà Oublier le temps.

Des malentendus Et le temps perdu »

(Jacques Brel)

DAHLIAS ROSE

La rose serait la plus belle des fleurs.

Le dahlias serait la plus lourde des fleurs.

Pourtant je préfère le dahlias généreux

ce soleil sans mystère ni foyer épineux

TOUT LE MONDE

Le ciel n’est pas bleu pour tout le mode

Le soleil ne brille p as pour tout le monde

Le vent ne souffle pas pour tout le monde

L’eau ne coule pas pour tout le monde

Le dernier instant seul passe pour tout le monde

DÉFINITIF

Le mètre carré à Billancourt

ne bouge pas d’un pouce.

Plusieurs mil francs. Ferme et définitif.

Les petites carrées à Clignancourt

ne poussent pas des bouges.

Eau, gaz absent. Ferme-là ! C’est définitif.

Page 66: Olivier Demazet Natures vives

66

« Il est affreux de revenir, dans les couleurs de l’avenir, à tout ce

qu’on a détesté dans le passé »

(Jean Rostand)

ÉTRANGLEMENTS

Étranglements de gosses

Cruels moments atroces

folle désaffection

Étranglements de femmes

dans une rue infâme

après une correction

Étranglements de chats

que l’enfant ensacha

pour la vivisection

Étranglements de rues

par une foule accrue

en surexcitation

Étranglements du monde

qui a fait d’une ronde

une révolution

Étranglements d’esprits

par simple parti-pris

d’abjecte suggestion

Étranglements du temps

c’est un simple accident

de la circulation

Page 67: Olivier Demazet Natures vives

67

« Tuer est la loi parce que la nature aime l’éternelle jeunesse. Elle

semble crier par tous ses actes inconscients : Vite, vite, vite ! Plus

elle détruit, plus elle se renouvelle »

(Guy de Maupassant)

BRETAGNE

Océan diabolique,

Tu joues à qui perd gagne

Contre cette Bretagne

Ton épouse mystique.

Quand la marée est haute,

Quand la marée est basse,

Et toujours tu harasses

et effrites la Côte.

Ou bien tu noies la roche

Sous les flots de ton flux,

ou bien sous le reflux,

Tu rabotes accroches.

Tes vagues de velours

lèchent traîtreusement,

Cynisme d’un amant

des granitiques jours !

Tes écumes brutales

ont des gestes de pieuvre.

O bavantes manoeuvres !

Pupilles infernales !

Page 68: Olivier Demazet Natures vives

68

Découpe donc ciselle,

creuse de trous sauvages.

Va ! Assouvis ta rage

sur la rive rebelle !

Jette tes coquillages,

Algues et goémons,

Carcasses de poissons,

bateaux sur le rivage !

Sème tes récifs !

Sein, Ouessant l’Ile-Belle

Sont des fleurs immortelles

sur ton corps incisif.

La Terre prend ton sable

et colmate les brèches,

Sa force est toujours fraîche

et sa vie imprenable !

Regarde ta victoire !

Quiberon puis Bréhat

sont devenus les bras

du continent le soir.

La Bretagne grandit

tout en cassant ses dents

et tes excès violents

font qu’elle rajeunit.

Page 69: Olivier Demazet Natures vives

69

« Il faut que j’entoure d’une palissade mes paroles et ma doctrine

pour empêcher les porcs d’un pénétrer »

(Nietzsche)

ANNONCE

Il est annoncé pour vos voyages d’affaires :

ne faites plus figure de touristes.

Je suis enfoncé dans un village pur d’air,

fais de caricatures de touristes.

VILLAGE DE VIE

Vie germinale Années puériles

Village natal Berceau de famille

Vie terminale Années d’argile

Village fatal Caveau de famille

LA NATURE

Certains se beurrent

avec la nature

D’autres dans la nature déposent

leurs papiers à beurre

Chacun fait son beurre

A chacun sa nature

Page 70: Olivier Demazet Natures vives

70

« L’homme se découvre quand il se découvre avec l’objet »

(Saint-John Perse)

LE CHÂTEAU D’EAU

Elle se dresse en sourdine lointaine,

Cette tour soudaine

à large tête d’angle,

coiffée d’un chapeau rond pointu.

Elle surgit des épaules étirées

de la forêt bleue,

guirlande pour la poitrine offerte

de la plaine verte,

Elle quitte l’étui des ténèbres

pour poignarder le coeur

ignifère du ciel,

où une boule en sang,

rompue par le fil net horizontal,

signe une traînée rouge

auréolée d’une plaie vive.

Une plaie pudique s’irradie,

se nuage de dentelle-gaze.

La nature aplanie

par le silence gris

de la nocturne absence

crie sa douleur alourdie

Page 71: Olivier Demazet Natures vives

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aux clochettes rosées crépusculaires,

fines fleurs tranquillisantes,

à l’envol des corneilles

qui s’affalent sur l’angélus émietté.

Le clocher de l’église

bistourise les blessures célestes,

oublie le château d’eau ...

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« La vie devient bonheur lorsqu’un homme existe

Comme un monde que personne, jamais, ne répètera dans l’infini

des temps »

(Professeur Paul Grassé)

RIPOSTE

On transporte

par camions

des roses ions

à nos portes

On dispose

des nations

par fission

des ions de roses

Qu’on riposte

aux souillons

par les ions

qui accostent

qu’on riposte

ou sinon ...

les avions

d’holocauste !

Page 73: Olivier Demazet Natures vives

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« Il est assez puni par son sort rigoureux ;

Et c’est être innocent que d’être malheureux »

(La Fontaine)

PIQUE-NIQUE

Après-midi d’été sur la rive du fleuve endormi,

à l’ombre des saules-rieurs.

Partie de pêche en silence enthousiaste.

La père, professeur de pêche.

La mère, spectatrice de pêche,

Le frère, élève de pêche.

Le benjamin, préparateur en vers à pêche,

en mouches à vers, en vers-sauterelles ...

Pique-nique du midi :

Tomates en rondelles à l’ail.

Tranches de saucisson à l’ail.

Jambon du pays de l’ail.

Thon au naturel ou sardines à l’huile.

Fromage aux fines herbes et à l’ail.

Pain de campagne à odeur d’ail.

Pommes-reinettes- Pets de nonnes.

Sieste verte sous les ramures frôlées par le vent

du soleil, Repos et rêverie,

les yeux plongés dans le ciel ourlé de bleu ...

Soudain, un ordre humide et vaseux

jaillissant de la litière paternelle !

- « Si nous remontions en ligne ! ... »

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Chacun, vers la rive, s’élance,

vers l’onde qui l’appelle, s’élance.

On arme les lignes. On lance les lignes,

On se tait. On observe - On se regarde,

C’est le silence. C’est le brouillard,

en attendant l’éclair du bouchon.

On se concentre. On s’impatiente.

On invective. On relance.

La ligne résiste. Le frère insiste ...

Serait-ce enfin une prise ? La prise,

qui, derrière lui, hurle sur la berge ?

Hélas, non ! Catastrophe des rêves tombés à l’eau :

le nombril du benjamin carapaçonné,

adroitement hameçonné.

Piqueniqué par l’hameçon, Benjamin se panique.

Fin d’après-midi d’un saule.

Le père s’applique, à son fils explique

et le nombril lui dépique.

Le frère les lignes démêle et du nez pique;

Des piques, la mère lance contre l’hameçon

du pique-nique.

Une pêche sans hameçons et sans façons,

elle exige ...