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Frédéric Baudin, Frédéric de Coninck, Daniel Hillion, Monique Holland, Silvia Hyka, Ricardo Lumengo, Franck Meyer, Jacques Neirynck, Christel Lamère Ngnambi Foi, politique et société

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Foi, politique et société Frédéric Baudin, Frédéric de Coninck, Daniel Hillion, Monique Holland, Silvia Hyka, Ricardo Lumengo, Franck Meyer, Jacques Neirynck, Christel Lamère Ngnambi

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Frédéric Baudin, Frédéric de Coninck, Daniel Hillion,Monique Holland, Silvia Hyka, Ricardo Lumengo,

Franck Meyer, Jacques Neirynck, Christel Lamère Ngnambi

Foi, politiqueet société

Table des matières

Notes liminairesPatrick Brunet ................................................................. 11

1. L’individu, la religion et le pouvoir politiqueface à la crise écologiqueFrédéric Baudin ........................................................... 13

2. Etre engagé politiquement, oui mais pour quoi faire?Frédéric de Coninck ......................................................... 47

3. Style de vie simple et engagement sociopolitiqueDaniel Hillion .................................................................. 73

4. Le chrétien engagé – valeurs vécuesSilvia Hyka et Monique Holland ...................................... 105

5. Le chrétien face au défi de l’immigrationRicardo Lumengo ............................................................ 129

6. Etre témoin du Christ en politiqueFranck Meyer .................................................................. 145

7. Le christianisme au défi de la démocratieJacques Neirynck ............................................................ 165

8. L’étoile et le sextant –L’utilité d’une vision biblique pour la sociétéChristel Lamère Ngnambi ............................................... 183

Sauf indications contraires, les textes bibliques sont tirésde la version Segond 21.

Graphisme et composition: www.buzz-identity.com

Coordination et édition: Patrick Brunet

© et édition: Ourania, 2010Case postale 128, CH-1032 Romanel-sur-LausanneE-mail: [email protected]

Internet: http://www.ourania.ch

Imprimé en UEISBN 978-2-940335-29-9

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Le chrétien face au défi de l’immigration

Ricardo Lumengo 1

IntroductionLes progrès techniques actuels dans le domaine de la communication et paradoxalement la recrudescence des conflits internes dans certains pays, ainsi que la poussée de la misère et de la pauvreté sont souvent des facteurs qui contraignent de plus en plus des milliers des personnes à quitter leurs pays d’origine pour aller vivre ailleurs. Cette situation génère une nouvelle forme de rapports sociaux dans les pays hôtes. Selon les pays, on assiste souvent à des rapports très tendus entre les autochtones et les migrants. Sur le plan politique, certains acteurs préconisent des mesures de durcissement, parfois à la limite du respect de la dignité humaine, dans le but de parvenir à stopper le flux migratoire. Cependant, d’autres s’engagent dans la voie du renforcement de la convivialité et du dialogue interculturel en faisant la promotion de l’intégration et de la participation des migrants.

La foi chrétienne offre le fondement du principe selon lequel Dieu a confié à l’être humain la tâche de gérer l’ensemble de la création. De ce fait, il est justifié d’examiner les effets de cette sou-veraineté humaine en ce qui concerne le domaine particulier de la migration.

1 Ricardo Lumengo est Conseiller national, Parti socialiste, Assemblée fédérale suisse.

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des autochtones ne voulait. Il est plutôt désigné comme celui qui vient prendre le pain et l’emploi de l’autochtone. Dans le contexte de la crise et de la conjoncture économique actuelle, il fallait bien trouver un bouc émissaire. Or, en réalité, peu de gens se rendent compte aujourd’hui de quelle manière les secteurs du bâtiment et de la restauration par exemple sont dépendants de l’apport des migrants et quels sacrifices ceux-ci doivent parfois concéder pour pouvoir y travailler.

La migration a commencé de l’Europe vers l’Asie, l’Amérique et l’Afrique sous l’impulsion des explorateurs et des colonisateurs. Après la Deuxième Guerre mondiale et la décolonisation, nous avons assisté aux premiers signes du mouvement migratoire vo-lontaire inverse. En effet, cette migration-là était acceptée car en général il s’agissait des membres des élites dirigeantes qui, dans la plupart des cas, venaient dans le monde occidental pour par-faire une formation, ou bien il s’agissait de représentants diplo-matiques ou encore de travailleurs souhaités et recherchés par les employeurs.

La période de la guerre froide, avec l’existence d’un monde com-muniste moins attentif aux droits fondamentaux des individus et la résurgence des régimes dictatoriaux en Asie, en Amérique latine et en Afrique, a vu le monde occidental accueillir des milliers de refu-giés quittant involontairement leurs pays.

Cependant, les pays d’Europe ne sont pas les seuls à accueillir les refugiés, des pays d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique doivent également en accueillir. Toutefois, dans le cadre de ce travail, nous avons volontairement choisi de nous limiter à l’immigration vers le monde occidental et particulièrement vers l’Europe, car c’est cette immigration qui en général est décriée et constitue actuellement l’un des principaux enjeux politiques, notamment lors d’élections.

Nous considérons par ailleurs que la foi chrétienne ne se vit pas uniquement dans la prière ou durant le moment de culte, elle de-vrait être présente dans tous les actes et dans tous les domaines de la vie du chrétien. Le chrétien est donc en permanence confronté à la question de la légitimité et de la conformité de son action so-ciale et politique par rapport au but ultime de la création.

L’Evangile et l’exemple de la vie du Christ, l’idée de la justice ainsi que l’amour du prochain figurent parmi les principes qui fondent l’engagement du chrétien dans le cadre du rapport avec l’étranger.

Il s’agit dans les lignes qui suivent d’analyser à la lumière de la foi chrétienne les éléments d’une politique de la migration respon-sable et rationnelle. Nous traiterons ainsi dans un premier temps de la légitimité et de la justification de l’engagement chrétien par rapport à l’immigration, ensuite nous examinerons les fondements de cet engagement en nous appuyant notamment sur certains pas-sages bibliques.

La légitimité d’un engagement chrétien

AperçuIl n’y pas si longtemps, dans certains pays d’Europe inspirés par la tradition judéo-chrétienne, vanter les avantages et les valeurs liés à l’immigration ou à l’accueil des étrangers représentait pour la classe politique un très bon moyen pour obtenir des voies d’électeurs; aujourd’hui c’est tout à fait le contraire qui se manifeste. Pour faire le plein des voix et remporter les élections, rien n’est plus sûr que de stigmatiser les immigrés et les réfugiés. L’immigré en Europe occidentale ou du moins dans l’espace de l’Union Européenne et dans les pays de l’Association Européenne de Libre Echange (AELE) n’est plus celui qui venait pour contribuer à l’épanouissement économique ou faire les travaux qu’aucun

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territoire des personnes de différentes cultures, religions et lan-gues. Cette diversité est une richesse qui pourrait s’illustrer dans la créativité et l’intégrité intellectuelle de la population.

Une politique de migration doit nécessairement tenir compte de la valeur et de la dignité de l’homme en tant que créature suprême. L’immigré ne peut être traité inégalement par rapport aux autres individus. Il appartient à l’Etat de faire admettre à chaque habitant qu’un étranger est aussi titulaire des droits fondamentaux.

La question de savoir si l’étranger doit jouir des droits fonda-mentaux, semblables à ceux garantis par la Convention Euro-péenne des Droits de l’Homme (CEDH) et par de nombreux autres ordres juridiques nationaux auxquels il n’aurait pas droit dans son pays d’origine sera abordée en troisième partie de la section «Les fondements de l’engagement du chrétien».

L’Etat devrait par ailleurs s’occuper de l’insertion des étrangers sur son territoire, ceci dans le double intérêt de celui des étrangers mais aussi du pays hôte lui-même. L’étranger doit nécessairement participer à tous les domaines de la vie sociale, sous réserve d’une participation dans la vie politique, qui est aujourd’hui à la base de nombreuses controverses et est encore considérée comme un domaine en pleine expansion. L’effort d’intégration n’est pas de-mandé seulement aux étrangers; les autochtones constituent des acteurs de l’intégration. Le chrétien a un rôle fondamental à jouer dans ce domaine où il peut manifester son amour du prochain.

Pour l’immigré, cette insertion passe par l’apprentissage de la langue nationale et l’adoption des us et coutumes du pays hôte. De plus, il est fondamental que l’étranger respecte les autorités et les lois du pays d’accueil. L’Etat, de son côté, doit créer des possi-bilités pour permettre la rencontre et le dialogue entre étrangers et autochtones. D’autant plus que dans le monde occidental les possibilités de rencontres et de contacts spontanés sont très rares, mis à part, et encore, le rapport de voisinage étroit ou les contacts dans les lieux du travail ou dans les institutions d’enseignement.

Justification de l’engagement chrétienLe phénomène migratoire est lié à l’histoire de l’humanité et des civilisations. De nombreux pays et sociétés se sont battus et développés grâce à l’apport de l’immigration dans sa forme la plus simple, sans parler de l’esclavage et de la colonisation. Bien entendu, nous vivons aujourd’hui dans une autre ère. Chaque Etat est responsable en premier lieu de la sécurité et du bien être de sa population, et il revient à tous les Etats de faire en sorte que cette responsabilité s’applique. Toutefois, cela ne constitue pas une raison de stigmatiser les étrangers surtout lorsque ceux-ci ont contribué à l’épanouissement économique du pays hôte.

Il convient de prévoir une politique raisonnable et responsa-ble qui contribuerait en même temps au maintien dans la société de bons rapports entre étrangers et nationaux, au lieu de choi-sir la voix simple et dangereuse qui consiste à désigner l’étranger comme bouc émissaire et cause de tous les maux. Une telle politi-que responsable n’a rien en commun avec le laxisme ou le laisser-faire. L’Etat et les autorités doivent faire usage de la loi et de leur pouvoir dans les limites de leurs compétences. Les instruments de protection, de prévention, d’intervention et de répression doivent être utilisés selon les circonstances et de manière adéquate, sans verser dans l’extrémisme d’un côté comme de l’autre. Il convient ici de souligner qu’il est concevable et admissible qu’un Etat soit, sous certaines conditions, particulièrement exigeant vis-à-vis des étrangers en ce qui concerne, par exemple, le respect de l’ordre ju-ridique, ou encore que dépende de lui l’octroi ou le retrait d’une autorisation de séjour, de conditions ou de charges particulières.

Ceci devrait également être le point de vue du chrétien, car une telle politique ne peut qu’être en conformité avec le dessein du créateur et rattachée à l’idéal de la justice sociale. La force d’un Etat ne réside ni dans l’exclusion ni dans la discrimination, mais plutôt dans la capacité de réunir et de faire coexister sur un même

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cela est précisé dans les règlements d’application du Frontex et du Rabit. Théoriquement, les accords de Schengen-Dublin devraient avoir notamment pour rôle de créer des systèmes de stockage d’informations communes et d’intensifier le transfert d’informa-tions entre les Etats afin de combattre la criminalité.

En réalité, il s’agit plutôt de renfermer l’Europe. L’efficacité de la lutte contre la vraie criminalité est souvent remise en question. Schengen-Dublin n’est qu’un instrument parmi d’autres de la lutte contre l’immigration dite clandestine ou illégale. Par ailleurs, le droit d’asile est clairement bafoué précisément en ce qui concerne la restriction de la possibilité de choix du pays d’asile.

Il y a véritablement lieu d’établir une coopération internationale soucieuse de la défense et de la protection des droits humains. Au lieu de barricader les frontières, les efforts entre les Etats de-vraient davantage être orientés vers la lutte contre les véritables causes de l’immigration, en renforçant la coopération et l’aide au développement international et en intensifiant les efforts de pro-motion de la paix. La famine, la pauvreté, la malnutrition et les instabilités économiques et politiques sont autant de causes qui contraignent les populations à se déplacer sous forme d’immigra-tion volontaire ou involontaire. Faire face à ces défis, c’est s’enga-ger sur la voie de l’extension de la justice sociale vers des pays loin-tains et faire preuve de solidarité vis-à-vis des populations qui sont dans le besoin.

Les fondements de l’engagement chrétien

RemarquesLes valeurs tirées de l’Evangile offrent au chrétien une multitude de références sur les principes qui peuvent être à la base de son action sur le terrain du phénomène migratoire. Toutefois, ces

Dans le dialogue interculturel ou interreligieux, l’amorce du contact s’établit sous le signe de l’égalité et du respect réciproque. L’autre est considéré comme un semblable et un interlocuteur avec lequel on se met au même niveau.

La foi et le salut chrétien ne peuvent être vécus par une per-sonne toute seule ou par une élite qui exclut intentionnellement les autres personnes. Cette foi a besoin d’être partagée pour être intègre, efficace, et pour pouvoir transmettre pleinement le mes-sage de Jésus-Christ. Cette qualité de la foi devrait donc inciter les chrétiens à s’impliquer dans le contact et la rencontre avec les immigrés. Selon nous, le sens ancien et traditionnel de la mission qui consiste à annoncer et enseigner l’Evangile aux peuples étran-gers des autres pays ou continents doit changer. Il doit être élargi auprès de ceux qui vivent parmi nous, dans notre ville, dans notre quartier, dans notre famille...

Conséquences de la globalisation comme problème spécifiqueLe désir d’accroître les liens d’interdépendance entre hommes et femmes au niveau international et dans tous les secteurs représente un intérêt incontestable pour chaque Etat. Toutefois, cette globalisation des rapports ne peut être soutenable que lorsqu’elle respecte les exigences fondamentales de la solidarité, qui se traduit pour les chrétiens par l’amour du prochain. Ces liens d’interdépendance et de coopération entre les Etats ne peuvent être utilisés pour exclure les Etats défavorisés ou les populations vivant dans la pauvreté.

L’Union Européenne a développé une politique de migration commune avec ses Etats membres avec l’établissement des ac-cords de Schengen-Dublin. Ces accords ont pour but de créer un espace commun sans frontière, c’est-à-dire en éliminant des frontiè-res internes et en développant les frontières extérieures, tel que

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Tous les êtres humains sont créés à l’image de Dieu, leur dignité doit être protégéeNous retrouvons ce principe chrétien dans les passages bibliques suivants: Le livre de la Genèse 1.26, l’Epître de Paul aux Colossiens 1.15 et suivants, l’Epître de Paul aux Galates 3.26-4.7. Il est donc contraire à la dignité humaine de désigner les étrangers a priori comme des êtres suspects ou comme une catégorie de personnes prédestinées à la criminalité. Or, la plupart des législations sont édictées sous le signe particulier d’une intensification du contrôle étatique vis-à-vis des étrangers.

En Suisse, par exemple, les conditions de retrait du permis de sé-jour sont très draconiennes. Un étranger peut se voir retirer son permis de séjour et être renvoyé vers son pays d’origine dans le cas où il se retrouverait sans travail ou en invalidité. On estime dans un cas pareil que le but du séjour est devenu inexistant. Cette situation réduit l’étranger au statut de simple main-d’œuvre. La si-tuation des personnes mariées à des Suisses ou Suissesses, ou des personnes titulaires d’un permis d’établissement est particulière-ment délicate. En effet, lorsqu’un couple divorce avant le délai de cinq ans depuis la conclusion du mariage, la personne étrangère, dont l’autorisation du séjour dépendait de la conclusion du ma-riage, doit être renvoyée hors de la Suisse, car dans ce cas le but du séjour est également considéré comme éteint. Dans un tel cadre, l’étranger est soumis à des pressions et des chantages insupporta-bles et se trouve parfois dans l’incapacité d’entreprendre quoi que ce soit au risque de se voir menacé par le divorce et la perte de son permis de séjour.

Par ailleurs, il est également envisagé en Suisse qu’une per-sonne titulaire d’une autorisation d’établissement puisse se voir retirer son autorisation en cas d’intégration insuffisante. La diffi-culté ici réside dans le fait que les autorités compétentes ne dispo-sent d’aucun critère précis pour déterminer le niveau d’intégration

valeurs ne constituent pas une catégorie à part ou purement théorique. Les fondements tirés de l’Evangile sont caractérisés par leur universalité et ont comme but, entre autres, d’orienter l’action de l’individu vers le bien. Les valeurs chrétiennes sur la politique migratoire ont une portée pratique et concrète et sont identiques aux principes universels devant être appliqués dans la vie politique, dès lors que nous admettons la légitimité de ces derniers.

La question de l’immigration et du rapport avec l’étranger a tou-jours été une préoccupation de l’Eglise au cours de l’histoire. Mal-gré les changements de circonstances (intensité des persécutions, changements de motivations et d’intérêts), les principes de l’Eglise sont restés les mêmes; ce qui est signe de leur immuabilité et de leur universalité.

Nous nous limiterons à présent, aux fins de ce travail, à analyser l’application de certains fondements bibliques dans le cadre res-treint de la politique migratoire suisse. Ce choix n’est pas fortuit. Tout en faisant partie des pays les plus riches de l’Europe, la Suisse est absente de l’Union Européenne. Elle mène donc une politique migratoire à part et s’aligne à l’Europe au cas par cas par le biais d’accords bilatéraux, comme c’est le cas par exemple avec les ac-cords sur la libre circulation des personnes et le traité de Schen-gen-Dublin. Enfin, grâce à sa stabilité politique, sociale et économi-que, la Suisse est considérée comme une destination idéale pour les migrants, alors que parallèlement se développe de plus en plus une attitude hostile envers les étrangers au sein d’une grande par-tie de la population. Cette hostilité explique d’ailleurs pourquoi une formation politique ayant utilisé la haine et la peur de l’étran-ger comme cheval de bataille ait récolté un succès électoral histo-rique. Mis à part ces particularités, il convient de souligner que la problématique de l’immigration en Suisse reste comparable à celle observée dans les autres pays de l’Union Européenne et cette ana-lyse peut ainsi à juste titre être étendue à ces pays.

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pourquoi l’étranger devrait être en principe titulaire de tous les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de chaque Etat.

Le fait qu’un étranger puisse prétendre bénéficier de ses droits fondamentaux et de la même protection au même titre qu’un na-tional n’est donc ni un luxe ni un traitement de faveur. Ces droits sont valables pour chaque être humain. Le fait que certains immi-grés proviennent d’Etats où règnent la guerre civile, la corruption ou la dictature ne doit pas constituer un motif pour les priver de ces droits fondamentaux.

Les droits politiques, en particulier le droit de vote, constituent une particularité. On admet que ces droits soient réservés aux seuls nationaux, car par principe, la citoyenneté formalise le lien existant entre un individu et une collectivité publique déterminée. Toutefois, il est injustifié de renier le droit de vote à de nombreux immigrants bien intégrés et vivant depuis plusieurs années dans une localité précise.

Cela est d’autant plus injustifié lorsqu’il s’agit de résultats de consultations populaires concernant la vie de chaque jour comme par exemple la décision de construire une route ou une école ou dans le cas d’une subdivision territoriale bien restreinte (une com-mune, un arrondissement ou un quartier).

De manière générale, la communauté internationale reconnaît que dans plusieurs pays, notamment les pays en développement, le respect des droits humains est bafoué. Toutefois, il convient qu’elle mène un effort conjugué, responsable, raisonnable et sur-tout conforme aux principes chrétiens de la non-violence, sous l’égide de l’ONU ou des autres organisations régionales, afin de faire entendre raison aux Etats qui méprisent les droits fondamen-taux des individus sur leur territoire. Le droit à une procédure judi-ciaire et administrative équitable doit être reconnu aux immigrés, notamment aux réfugiés et aux requérants d’asile, mais aussi aux immigrés en situation irrégulière dans le cadre d’une procédure

d’une personne étrangère. De fait, cette absence de critère précis pousse le plus souvent les autorités à être plus exigeantes vis-à-vis des étrangers que vis-à-vis des nationaux.

Une personne intégrée est celle qui se conforme à mener un train de vie similaire à celui du citoyen autochtone moyen. Tel est le cas d’une personne étrangère qui, d’une manière générale, participe à la vie sociale, a la volonté d’apprendre la langue par-lée dans sa région, se soucie d’avoir une indépendance financière par le fruit d’un travail, respecte les us et coutumes, la loi et l’ordre juridique du pays hôte. Exiger plus de l’étranger équivaudrait à ten-dre vers l’assimilation et non à l’intégration. L’intégration donne la possibilité à l’étranger de conserver son identité culturelle tout en adoptant ou en ajoutant celle du pays hôte. Ceci constitue une ri-chesse pour l’étranger lui-même, qui se voit ainsi confirmé dans sa personne et dans sa dignité, mais aussi pour le pays hôte qui peut ensuite bénéficier de l’apport culturel et intellectuel de l’étranger intégré.

Les préjugés négatifs à l’égard des étrangers nous font souvent oublier que ces personnes sont nos alter ego, qu’elles ont des va-leurs culturelles et historiques, qu’elles proviennent parfois de pays dotés de richesses naturelles importantes. Pour favoriser le rapprochement entre la population étrangère et la population autochtone, un effort de sensibilisation et d’information auprès des autochtones doit être mené sous l’égide des pouvoirs publics.

Les droits fondamentaux sont les mêmes pour tout le mondeCe principe retrouve ses fondements bibliques dans les passages suivants: Le livre du Deutéronome 5.12-15, L’évangile de Matthieu 7.12,L’épître de Jacques 2.1-6. L’universalité des droits fondamentaux interpelle le chrétien et lui rappelle que les êtres humains ont tous un seul et même Créateur et qu’ils ont tous été créés à son image. C’est

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Le principe de la discrimination positive souvent appliqué à juste titre en faveur des femmes devrait être élargi aux personnes étran-gères pour les aider à participer dans les différents domaines de la vie sociale. Il convient par conséquent de promouvoir l’intégra-tion des immigrants dans les divers corps de métiers. Le fait qu’il y ait des personnes d’origine étrangère par exemple dans la police, parmi les gardes frontières, au barreau, dans le corps médical ou enseignant augmente la confiance des autochtones envers les im-migrants et ces différents métiers, ainsi que leur efficacité. Dans cette perspective, il est donc admissible d’appliquer le principe selon lequel en cas de poste vacant et à compétence égale une attention particulière devrait être accordée aux candidatures des personnes d’origine étrangère.

L’Etat doit aspirer à entretenir la paix sur fond de justice se traduisant par l’intégrité et la réciprocité au sein de la sociétéCe principe est illustré notamment dans les passages suivants: Esaïe 32.17, Psaume 85.11-14, Evangile de Luc 1.68-79. Une éthique sociale d’inspiration chrétienne ne peut être concevable dans un Etat qui se détournerait du but d’établir et de maintenir une société responsable et paisible. Une société paisible est celle qui encourage la coexistence, le dialogue et le respect réciproque entre les habitants, quelles que soient leurs origines, au lieu de privilégier l’expulsion des personnes étrangères à tout prix. Cependant, une intégration réussie dans un pays au sein duquel les étrangers participent effectivement à la vie sociale, ne peut être accompagnée de discrimination ou de xénophobie. Tant que la personne étrangère se sent non acceptée dans son pays hôte, en l’occurrence parce qu’elle se sent victime de discrimination raciale ou autre, on ne peut se permettre de parler d’une intégration

tendant à la régularisation de leur situation. L’exigence par la loi suisse d’une pièce d’identité comme condition d’entrée à une de-mande d’asile est une violation du droit d’asile et un mépris de la situation des personnes persécutées. L’immigré a également droit à la protection et au respect de sa famille, c’est pourquoi il est légi-time qu’il prétende au droit au regroupement familial.

Les personnes socialement défavorisées et les minorités méritent notre solidaritéLes bases bibliques de cette importante règle d’action se situent dans les passages suivants: l’Evangile de Matthieu 25.31 et suivants, l’Evangile de Luc 1.46-55 et 4.14-21, le livre d’Esaïe 61.1-4. Ces passages bibliques ont tous en commun le fait qu’ils invitent implicitement le chrétien à faire preuve d’amour envers son prochain et en particulier envers la personne étrangère, cet autre venu de loin. L’amour de son prochain invite notamment le chrétien à être tolérant et à rechercher le dialogue avec les personnes appartenant à des religions différentes de la religion chrétienne, telles que l’islam et le bouddhisme.

S’engager pour la justice sociale devrait se traduire précisément dans le sens d’accorder les mêmes conditions à chaque personne sans distinction de sexe, de race, d’origine ou de religion. La pro-motion des minorités, notamment des étrangers, se justifie par le souci de recréer l’équilibre social souvent gêné par la mauvaise conjoncture économique et d’autres facteurs sociopolitiques et historiques.

Les minorités ont donc besoin d’être soutenues, et une atten-tion particulière doit leur être accordée pour qu’elles puissent se retrouver au même niveau que la majorité.

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souvent liée à des facteurs économiques et sociopolitiques qui rendent cette peur beaucoup plus redoutable encore.

La suprématie de la loi et le respect de l’Etat ainsi que celui des institutions met le chrétien devant un dilemme quant il s’agit de faire le choix entre le respect de l’ordre juridique et le respect des principes bibliques. Toutefois, dans les démocraties occidentales, le chrétien est rarement soumis à de telles épreuves par rapport à d’autres Etats. Néanmoins, c’est précisément dans le domaine du droit et de la politique des étrangers que l’on trouve le plus de risques de dérapage à l’arbitraire et de violation des droits fonda-mentaux que dans d’autres. Ainsi le chrétien doit en principe obéir et se soumettre à la loi, mais si ces lois deviennent injustes et into-lérantes, et surtout incohérentes avec la Parole de Dieu, il est justi-fié que le chrétien s’y oppose, mais tout en étant près cependant àen assumer les conséquences (voir Le livre des Actes des apôtres 5.29).

BibliographieSchweizerischer Evangelischer Kirchenbund SEK, Migrationspoli-tische Leitlinien, Bern, 1996.

Schweizerischer Evangelischer Kirchenbund SEK, Fokus 4, Migra-tionspolitik, Sans-Papiers und Ausschaffungen, Bern, 2005.

Wochenzeitung WOZ, 21, Schengen (numéro spécial), April, 2005.

Service migrations des Eglises réformées, Berne-Jura-Soleure, Politique migratoire: un credo, Berne, 2006.

Wochenzeitung WOZ, 4, Für eine andere Migrationspolitik (dossier spécial), September, 2008.

réussie, même si paradoxalement la personne étrangère a atteint une réussite professionnelle remarquable.

En revanche, un Etat s’écarte de cette finalité lorsqu’il édicte des règles de droit dans le but de créer un statut particulier pour les personnes illégales (personnes sans papiers) sans envisager la pos-sibilité de régulariser la situation des personnes qui vivaient dans l’illégalité avant l’entrée en vigueur des normes juridiques en ques-tion. Une telle finalité marquée par l’exemple de la vie et du com-portement de Jésus-Christ serait bafouée, lorsque l’Etat prévoit des mesures de contrainte avec de longues périodes de détention (parfois allant jusqu’à deux ans, comme c’est le cas en Suisse) dans le but d’enjoindre la personne étrangère en situation irrégulière de séjour de partir, cela sans avoir une réelle certitude sur les condi-tions de sécurité et de respect des droits fondamentaux des indivi-dus dans le pays où elle sera expulsée.

L’expulsion d’un étranger fait état d’une inégalité de traitement, c’est pourquoi cette mesure ne peut être envisageable que comme la dernière des solutions «ultima ratio». Dans tous les cas, le niveau d’intégration et la gravité de l’acte répréhensible justifiant le renvoi doit être pris en considération. Par ailleurs, l’expulsion des mineurs est contraire aux droits et à la protection de l’enfant; encore plus inconcevable est l’éventualité d’expulser les parents d’un mineur à cause des actes commis par leur enfant, car il s’agit là d’une vérita-ble atteinte au principe de la responsabilité pénale.

ConclusionLe phénomène migratoire reste un défi auquel tous les Etats sont confrontés, et ce depuis longue date et vraisemblablement pour longtemps encore. Cela a marqué également l’histoire de l’Eglise dès ses débuts comme en témoignent les récits bibliques en général et la vie du Christ en particulier. La peur de l’autre ou de ce qui est différent, attitude humaine normale peut-être, est le plus