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JOURNAL INTIA Ruminations Dostélectorak par Creta Hofmann Nemlroff X • Je suis en train de boucler mes ba- gages, en partance pour Terre-Neuve où je dois donner une conférence sur les fem- mes et la santé. C'est alors que je reçois un coup de fil de l'association néo-démocrate de ma circonscription: on aimerait que je sois candidate aux prochaines élections provinciales. Comme je n'ai pas milité dans le parti depuis vingt ans, je suis même étonnée qu'ils sachent que je vote NPD! J'accepte de passer les rencontrer chez l'un d'entre eux, juste en bas de la rue, là où s'établira le quartier général de la campagne. Ils me sont tous étrangers, ces universi- taires si bien élevés. Le climat est à la gen- tillesse, mais il y a parmi eux un organisa- teur professionnel du parti, à l'allure de jeune loup. Il sourit sans arrêt. Les assu- rances qu'ils me donnent ne me convain- quent pas que ma candidature sera pure- ment nominale, même si le NPD ne peut pas, après tout, l'emporter dans West- mount. Je leur dis que je vais y réfléchir, et que je dois en discuter avec ma famille et avec mes collègues du cégep où je dirige un programme. À vrai dire, je ne suis pas très enthousiaste et, alors qu'un avion après l'autre m'entraîne vers l'Est et Gander, l'élection prend les proportions d'une tête d'épingle à l'horizon. JLJ. • J'explique à ma famille que j'ai déchiré mon bulletin de vote aux derniè- res élections provinciales, parce qu'aucun candidat ne convenait à l'honnête socia- liste que je suis. «Si moi, je me présente, je pourrai au moins voter pour quelqu'un!», leur dis-je. «Vas-y!», répon- LA VIE EN ROSE dent les enfants; mon mari regrette qu'une soudaine surcharge de travail lui laisse peu de temps pour m'aider. La plupart de mes collègues sont des hommes... des sportifs vieillissants qui adorent raconter leur partie de base-bail hebdomadaire aux réunions du départe- ment. Je leur explique que je ne serai qu'une candidate nominale, qu'on exigera peu de moi. Cela ne devrait donc pas nuire a mon travail. Ma voix sonne faux, mes gestes sont trop mesurés. Les sportifs s'enflamment: «Vas-y à fond de train!, hurlent-ils en choeur. Tu ne vas pas te contenter d'être nominale. Il faut que tu te battes, que tu les écrases!» Et je me bats, en effet... contre eux. Je ne veux pas vieillir comme eux, dis-je, pensant méchamment à leurs touffes de poil, à leurs muscles boursouflés. Je cla- que la porte de mon bureau. Un peu plus tard, J.-le-philosophe entre pour causer. «Comment peux-tu espérer que les gens te donnent temps et argent si tu n'es pas dé- cidée à gagner la lutte?», me demande-t-il. Il parle maintenant un langage que je comprends: je l'écoute et je vois qu'il a raison. Assise dans mon bureau, j'essaie de prendre ma décision. Une petite cassette se déroule dans ma tête: «Si ce n'est pas moi, alors qui? Si ce n'est pas maintenant, quand?» J'appelle le parti et leur annonce que je le ferai. Je sais que je suis en train de sacrifier le luxe de ma virginité politi- que, de mon autonomie féministe, de mon 38 je-m'en-foutisme vis-à-vis de toutes les institutions politiques. C'est la première fois depuis 1970 que je m'engage politiquement dans une cause qui ne soit pas exclusivement féministe. Cela peut expliquer mon détachement: je réagis comme à distance, comme une per- sonne prise d'un gros rhume de cerveau. Cela ne me ressemble pas: je suis habituel- lement passionnée par les causes auxquel- les j'adhère. Peut-être - je médite en re- gardant par la fenêtre le morne Montréal de novembre - est-ce parce que je n'ai ja- mais cru aux institutions masculines de- puis que j'ai compris qu'il valait mieux s'en exclure. L'idée que ce n'est pas un engagement à vie me réconforte, cepen- dant: cela durera à peine plus d'un mois. III Ce n'est pas la première fois qu'on me propose une fonction publique. Jusqu'à maintenant j'ai refusé, par crainte d'obtenir le poste et d'avoir ensuite à en- durer la monotonie et la rigidité du «mon- de des hommes». Par ailleurs, aucun des candidats que j'ai appuyés n'a jamais été élu. Parfois, je me suis laissée aller à ima- giner une campagne entièrement menée par des féministes: ça, ce serait intéres- sant! Comme je suis «la nouvelle», c'est l'or-j ganisation locale qui me fournit le person- \ nel de la campagne: un agent, un organi-^ sateur, un responsable des bureaux de j scrutin. Il s'avère que ce sont des hommes c avril 1986

par Creta Hofmann Nemlroff - CDÉACF

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Page 1: par Creta Hofmann Nemlroff - CDÉACF

JOURNAL INTIARuminations Dostélectorakpar Creta Hofmann Nemlroff

X • Je suis en train de boucler mes ba-gages, en partance pour Terre-Neuve oùje dois donner une conférence sur les fem-mes et la santé. C'est alors que je reçois uncoup de fil de l'association néo-démocratede ma circonscription: on aimerait que jesois candidate aux prochaines électionsprovinciales. Comme je n'ai pas militédans le parti depuis vingt ans, je suismême étonnée qu'ils sachent que je voteNPD! J'accepte de passer les rencontrerchez l'un d'entre eux, juste en bas de larue, là où s'établira le quartier général dela campagne.

Ils me sont tous étrangers, ces universi-taires si bien élevés. Le climat est à la gen-tillesse, mais il y a parmi eux un organisa-teur professionnel du parti, à l'allure dejeune loup. Il sourit sans arrêt. Les assu-rances qu'ils me donnent ne me convain-quent pas que ma candidature sera pure-ment nominale, même si le NPD ne peutpas, après tout, l'emporter dans West-mount.

Je leur dis que je vais y réfléchir, et queje dois en discuter avec ma famille et avecmes collègues du cégep où je dirige unprogramme. À vrai dire, je ne suis pas trèsenthousiaste et, alors qu'un avion aprèsl'autre m'entraîne vers l'Est et Gander,l'élection prend les proportions d'une têted'épingle à l'horizon.

JLJ. • J'explique à ma famille que j'aidéchiré mon bulletin de vote aux derniè-res élections provinciales, parce qu'aucuncandidat ne convenait à l'honnête socia-liste que je suis. «Si moi, je me présente,je pourrai au moins voter pourquelqu'un!», leur dis-je. «Vas-y!», répon-

LA VIE EN ROSE

dent les enfants; mon mari regrette qu'unesoudaine surcharge de travail lui laisse peude temps pour m'aider.

La plupart de mes collègues sont deshommes... des sportifs vieillissants quiadorent raconter leur partie de base-bailhebdomadaire aux réunions du départe-ment. Je leur explique que je ne seraiqu'une candidate nominale, qu'on exigerapeu de moi. Cela ne devrait donc pas nuirea mon travail. Ma voix sonne faux, mesgestes sont trop mesurés. Les sportifss'enflamment: «Vas-y à fond de train!,hurlent-ils en choeur. Tu ne vas pas tecontenter d'être nominale. Il faut que tu tebattes, que tu les écrases!»

Et je me bats, en effet... contre eux. Jene veux pas vieillir comme eux, dis-je,pensant méchamment à leurs touffes depoil, à leurs muscles boursouflés. Je cla-que la porte de mon bureau. Un peu plustard, J.-le-philosophe entre pour causer.«Comment peux-tu espérer que les gens tedonnent temps et argent si tu n'es pas dé-cidée à gagner la lutte?», me demande-t-il.Il parle maintenant un langage que jecomprends: je l'écoute et je vois qu'il araison.

Assise dans mon bureau, j'essaie deprendre ma décision. Une petite cassettese déroule dans ma tête: «Si ce n'est pasmoi, alors qui? Si ce n'est pas maintenant,quand?» J'appelle le parti et leur annonceque je le ferai. Je sais que je suis en trainde sacrifier le luxe de ma virginité politi-que, de mon autonomie féministe, de mon

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je-m'en-foutisme vis-à-vis de toutes lesinstitutions politiques.

C'est la première fois depuis 1970 que jem'engage politiquement dans une causequi ne soit pas exclusivement féministe.Cela peut expliquer mon détachement: jeréagis comme à distance, comme une per-sonne prise d'un gros rhume de cerveau.Cela ne me ressemble pas: je suis habituel-lement passionnée par les causes auxquel-les j'adhère. Peut-être - je médite en re-gardant par la fenêtre le morne Montréalde novembre - est-ce parce que je n'ai ja-mais cru aux institutions masculines de-puis que j'ai compris qu'il valait mieuxs'en exclure. L'idée que ce n'est pas unengagement à vie me réconforte, cepen-dant: cela durera à peine plus d'un mois.

III Ce n'est pas la première foisqu'on me propose une fonction publique.Jusqu'à maintenant j'ai refusé, par crainted'obtenir le poste et d'avoir ensuite à en-durer la monotonie et la rigidité du «mon-de des hommes». Par ailleurs, aucun descandidats que j'ai appuyés n'a jamais étéélu. Parfois, je me suis laissée aller à ima-giner une campagne entièrement menéepar des féministes: ça, ce serait intéres-sant!

Comme je suis «la nouvelle», c'est l'or-jganisation locale qui me fournit le person- \nel de la campagne: un agent, un organi-^sateur, un responsable des bureaux de jscrutin. Il s'avère que ce sont des hommes c

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E ET POLITIQUEs d'une candidate sceptique

issus du même département d'université,bien informés et très éloquents, mais sansaucun charme.

Nous discutons d'argent, de budget, dedépliants et de tactiques. Je présente uneliste de donateurs éventuels et je serai sur-prise de voir qui, de fait, donnera. (J'enra-ge encore quand je pense à G., riche à cra-quer, qui refuse de contribuer, elle dont lepère s'est tué à organiser des syndicatsdans les années 30 et 40...) Pour moi, celadeviendra un leitmotiv de la campagne:sur qui peut-on vraiment compter et pourquoi? Et à quel point connaît-on réelle-ment qui l'on croit connaître? Constatsdangereux et douloureux, qui m'aident àcomprendre la carapace d'indifférence despoliticiens. Je ne ferai pas violence à maconviction que les sentiments dépassentles faits: je choisis de souffrir.

Comme il n'y a qu'une autre femme,plutôt timide, à faire partie du noyau del'équipe, je me sens frustrée du sentimentde partage que j'ai trouvé dans les groupesféministes. Les hommes ont l'air constam-ment exténués et déprimés, quasi condi-tionnés à la défaite. À la longue, leur man-que de conviction m'affectera davantageque ne le ferait l'opportunisme politique leplus crasse de nos adversaires. Je me sen-tirai obligée de m'apitoyer avec eux sur lepeu de temps laissé à la campagne parleurs emplois (que je sais moins exigeantsque le mien), je ferai semblant de ne pasentendre leurs commentaires, selon les-

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quels leurs femmes n'apprécient pas qu'ilspassent autant de temps en dehors de lamaison. J'enrage intérieurement à les voirutiliser ces excuses pour faire appel à laféministe en moi. De plus, nous avionsconvenu de nous rencontrer chaque se-maine pour faire le point sur notre straté-gie et ces rencontres ne se matérialisentpas. J'en viendrai à regretter de ne pasm'être opposée plus vigoureusement àleur immobilisme, qui fragmente la cam-pagne et la prive de sa dynamique. Ce nesera pas une campagne drôle, avec cettebande; j'en viendrai à les qualifier toutbas, peu charitablement, de poules mouil-lées.

¥\7M. est mon organisateur. Au fur

et à mesure de la campagne, j'apprendraià apprécier ce timide inquiet - qui estaussi gentil, renseigné et bien organisé. Ilnote tout, méticuleusement, dans son ca-hier à anneaux alors que je me fie aux pe-tits papiers griffonnés qui gonflent monagenda. En roulant d'un endroit à un au-tre, nous nous découvrons des goûts com-muns. Durant la campagne, je me rappro-che de lui plus que de n'importe qui d'au-tre dans ma vie quotidienne; nos rapportscesseront brusquement au lendemain desélections du 2 décembre.

Notre première visite est au quartiergénéral du NPD, rue Saint-Denis. Mondépliant est censé être déjà imprimé mais,comme je le craignais, tout le matériel ap-

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porté à l'imprimerie la semaine dernièrepar M. a été égaré. Je fais une scène (mijo-tée d'avance, au cas où...) à P., l'organisa-teur en chef, un vieux routier aux lèvresminces. Je veux qu'il sache que j'attendsdes services du quartier général. Nousnous chamaillons et nous disputons; M.nous observe, l'air désapprobateur.Adroitement, j'amène P. à adopter uncomportement sexiste, dont je l'accuse en-suite; ainsi, j'ai le dernier mot de ce matchverbal, en plus de promesses d'efficacité etde quelques grognements que j'ignore.(La nuit de l'élection, P. se pencheramême pour me donner une bise de félici-tations!)

Au quartier général du NPD, je prendsviscéralement conscience, pour la pre-mière fois, de l'existence d'une organisa-tion importante qui dépasse ma seule cir-conscription. Je peux pressentir les allian-ces, les hiérarchies formelles et informel-les, le calcul et le règlement des dûs, lesaccords clairs ou tacites. L'endroit est in-contestablement mâle, bien que le NPDsoit le parti qui offre le meilleur program-me aux femmes.

Pendant toute la campagne, je me senti-rai prise au piège dans cette galerie mascu-line, à tenter maladroitement de fairejouer les leviers d'une machine que je neconnais pas, afin de porter des coups quime répugnent et qui font partie d'un jeuque je ne valorise pas réellement. Plu-sieurs des femmes que je rencontre au par-ti ne sont pas très au courant des questionstouchant les femmes. Le féminisme n'alaissé que des traces superficielles. Je mesens étrangère aux jeux de la galerie,même si j'essaie de jeter un pont entre l'in-

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frastructure du parti et moi. Ce n'est pasle moment de réfléchir; c'est le moment dese lancer dans la mêlée et de jouer des cou-des pour arracher des voix. Je travaille àfabriquer en moi l'enthousiasme nécessai-re; je dois au moins simuler ma passionhabituelle.

J'entreprends d'étudier les statistiquespertinentes pour soutenir l'argumentationdu parti. Je suis partagée entre l'ébahisse-ment et la colère: la pauvreté, le chômageet l'exploitation éhontée des deniers pu-blics par la minorité au pouvoir sont enco-re plus considérables que je ne l'avais ima-giné. Ces constations me rapprochent enquelque sorte de mes consoeurs et confrè-res aux rassemblements et aux assembléesdu parti. Le contact physique d'autres in-dividus engagés, rien de tel pour raviverl'espoir et l'énergie! Je suis même fière,moi aussi, des talents oratoires du prési-dent et du chef du parti.

T • Je ne vis plus dans un quartier;je vis dans une circonscription. En la tra-versant en voiture, j'observe avidement etpossessivement les passant-e-s: voteront-ils, voteront-elles pour moi?

À ma grande surprise, je prends plaisirà me poster à la sortie des trois Steinbergde ma circonscription pour rencontrer lesélectrices et les électeurs. Un jour, ma fillem'accompagne avec un équipement vidéo.Les gens se précipitent vers moi, espérantpasser à la télévision. D'autres, que jeconnais à peine, viennent m'embrasser.D'autres encore, qui selon moi aimeraientmieux mourir que voter NPD, me remer-cient de leur offrir une alternative. Des en-seignant-e-s péquistes et d'autres em-ployé-e-s du secteur public sont recon-naissants d'avoir un autre choix, après lesdécrets de 1983. Je visite des centres d'ac-cueil pour personnes âgées et je constateleur crainte de perdre leurs pensions. Unsoir, je visite un couvent où les soeursvieillissantes m'accueillent avec des bruis-sements polis et indéchiffrables. J'en sorssans avoir la moindre idée de leur inten-tion de vote.

Une nuit, je participe à une annoncetélévisée avec le chef du parti et un autrecandidat. Nous sommes enregistrés tarden soirée, en vue du temps d'antenne ac-cordé gratuitement par Radio-Canada auxcandidats «marginaux». Comme j'ai étéinvitée souvent à la radio et à la télévisionau cours des années, je ne suis pas nerveu-se. J'essaie de me convaincre que c'estmaintenant le moment ou jamais de fairetout ce que je peux pour le parti. Cepen-dant, tout ce que j'arrive à faire c'est affi-cher une indifférence bienveillante et unintérêt de romancière, en observant lescandidats du Parti conservateur et del'Union nationale se faire enduire de fondde teint dans les entrailles de Radio-Cana-

JOURNAL INTIME ET POLITIQUE

da. Je n'ai pas assez d'ardeur pour domi-ner mon ennui total devant les nombreu-ses reprises, l'attente interminable; maperformance est honnête mais manqued'inspiration. Je ne me reconnais pas com-plètement à l'écran, même si c'est un por-trait juste de mon état d'esprit.

Je consacre plus d'énergie à ma chroni-que électorale hebdomadaire pour le West-mount Examiner. Je ne lésine pas sur le tra-vail même si je soupçonne le journal d'ap-puyer le député sortant, malgré l'impartia-lité qu'il affiche. La suite me prouvera quej'avais raison.

Je rencontre ce député sortant lors d'undébat public opposant les candidat-e-s.C'est un type rougeaud, un peu apoplecti-que... un fort en gueule. Son discoursconsiste essentiellement en papotage à ca-ractère fiscal agrémenté d'allusions à peinevoilées au portefeuille ministériel qu'il es-père obtenir. Sa vie dans l'arène politiquesemble l'avoir habitué à avaler sa lèvre in-férieure et à tourner vers son auditoire unbuste raidi comme une carapace. Je me re-trouve à sympathiser avec la candidatepéquiste, une infirmière charmante qui acréé une association de femmes haïtien-nes. J'aimerais en savoir plus long mais cen'est pas le moment. J'essaie plutôt de l'ai-der à comprendre les questions qu'on luipose en anglais, eubliant tout à fait quenous sommes des adversaires. Quinze ansde militantisme dans le mouvement desfemmes ne m'ont guère préparée à rivali-ser ouvertement avec des femmes.

Ma meilleure amie dit à notre collecteurde fonds ne pas vouloir contribuer à macampagne; cela me pèsera lourdementpendant tout le mois. Ce n'est qu'à la veil-le des élections que nous en discutons àfond, comme les femmes savent le faire, etque nous nous réconcilions. Elle verse unecotisation de son plein gré et je me sensbeaucoup mieux. Une autre amie confec-tionne une bannière pour notre quartiergénéral. Malgré tout cela, il y a des mo-ments où je me sens totalement seule «aufront», avec mon sourire comme seule etfragile protection.

Je reçois également des appels télépho-niques: Madame P., éternelle candidatedans Westmount, m'appelle à mon travailet m'abreuve d'épithètes antisémites dontla violence me hante pendant des jours; jen'ai rien entendu de tel depuis mon enfan-ce. Un lobby du tabac, très actif, fait pres-sion sur moi et n'apprécie guère ma réac-tion, pas plus que ma position sur l'avorte-ment ne plaît aux gens qui me la deman-dent.

«Tout cela finira bientôt», me dis-je cer-tains soirs pour me consoler, quand je mesens débordée par la combinaison del'élection et de mon travail. J'ai peur quele personnage public ne prenne le dessussur la personne que je suis vraiment... deperdre mon authenticité. De devenir «unedes leurs».

Je m'encourage en pensant aux bonscôtés: je n'ai pris aucun retard dans montravail à la New School. Un de mes étu-diants en «Interventions publiques» a ac-quis suffisamment d'assurance pour seprésenter lui-même comme candidatNPD. Une économiste bien connue, queje n'ai jamais rencontrée mais dont j'ap-précie la compétence, a contribué géné-reusement à ma campagne... et elle n'ha-bite même pas dans ma circonscription.Malgré ses empêchements, mon mari adistribué des centaines de dépliants, seulou avec nos enfants.

Y ! • Avec étonnement, je découvreque le sentiment d'être en campagne secompare beaucoup à celui d'être en grève:anxiété quant aux résultats, hantise devoir son existence validée ou non par lesmédias. (Les journaux semblent détermi-nés à ignorer le NPD, prétendant que lesdeux grands partis offrent des options vé-ritablement différentes, alors que Johnsonlui-même qualifie leurs différences de«nuances».) Le temps semble tout à faitmort entre les apparitions publiques, lesréunions et le travail électoral (comme ill'est lors d'une grève, entre le piquetage etles réunions). Je n'aime pas beaucoupcette impression de vivre en attente et jem'ennuie de la passion que nous inspire larage de souffrir directement de l'injustice.Une circonscription est une entité incon-nue; je comprends mieux les liens implici-tes de mon entourage professionnel.

Le jour des élections est tout le contrai-re d'un apogée; je vais travailler l'avant-midi et je vote dans l'après-midi. Mon fils,secrétaire d'un bureau de scrutin sur leshauteurs de Westmount, me raconteraplus tard avoir eu le coeur serré toute lajournée en observant les gens qui venaient!voter. Il avait raison: je n'ai obtenu quelsept votes à son bureau de scrutin.

Le soir, au quartier général, nous sur-<3veillons les résultats à la télévision. Je suis^jdéçue de finir en troisième place avec£

LA VIE EN ROSE 4 0 avril 1986

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8,2 % seulement du suffrage, soit presque2 000 voix. Ce n'est qu'en arrivant à la ré-ception postélectorale du NPD que je merends compte que j'ai relativement bienréussi: la moyenne provinciale du parti estde 3,2 %; je me suis classée deuxième àMontréal et troisième au Québec.

Cette nuit-là, je parle avec des gens quiont travaillé dur pour de piètres résultats,dans des circonscriptions peuplées d'ou-vriers. Un homme, exsangue de fatigue etde désenchantement, me dis: «Commentles gens peuvent-ils voter contre leurs pro-pres intérêts?» Je me demande si certainsélecteurs et électrices de Westmountm'auraient appuyée comme ils l'ont faits'ils avaient cru que j'avais une chance del'emporter. Cela aurait pu s'avérer contreleurs intérêts aussi.

Cette nuit-là, trop excitée pour m'en-dormir, je repense aux embrassades et auxfélicitations qui ont accompagné mon dé-part de la réception, aux quartiers géné-raux de Sainte-Marie. Je m'inquiète déjà:ces sentiments chaleureux nous mèneront-ils loin, une fois que la poussière sera re-tombée? Quel sera le taux d'usure? Com-ment nous situerons-nous, tous, au pro-chain congrès du parti? Le NPD-Québecpeut-il en arriver, sur la question nationa-le, à une position acceptable pour la majo-rité?

VII Des ami-e-s et des étrangèr-e-s m'ont félicitée par lettres, au téléphoneet en personne, pour ma «respectable per-formance». J'ai moi aussi le sentimentd'avoir bien combattu. J'ai essayé de pas-ser outre à mon scepticisme et d'y aller àfond de train, de viser haut; si je n'ai pasatteint le sommet, ce n'est pas fauted'avoir tenté d'essayer.

À la première réunion postélectorale dunoyau de mon équipe, félicitations mu-tuelles, regrets, critiques et vagues projetsd'avenir s'entrecroisent. Les gens sem-blent s'attendre à ce que je prenne la di-rection; ils me disent qu'ils sont brûlés ou,dans le meilleur des cas, prêts à s'extraire1

régulièrement une petite dose de partici-pation. On me demande si je me présente-rais de nouveau.

Je parcours la salle des yeux, en cher-chant ce que j'ai appris de l'exercice. J'aiconstaté que je peux, avec un engagementémotionnel plutôt minimal, m'intégrer àl'arène politique... mais au dépens de monintégrité, dans la mesure où j'ai dû accep-ter des choses que je ne tolérerais pas dansla «vraie vie». Afin de préserver la bonnemarche de la campagne, j'ai évité le genrede confrontation qui peut déclencher desréactions viscéralement violentes dansl'arène de la politique... des sexes! Je n'ai

pas envie d'investir autant de passion etd'énergie avec ce groupe de personnes,alors je lance, en boutade: «J'aimerai?mieux écrire des romans!»

«Comme tout le monde ici, non?», ré-torque pieusement J., le responsable desbureaux de vote, en reluquant discrète-ment sa montre. Irritée par son attitude, jedois néanmoins me boucher les oreillespour ne plus entendre le chant de la sirè-ne: «Si je ne le fais pas, qui le fera?» Laprochaine élection est encore loin. En fa-bulant un peu, je peux espérer que la ré-volution féministe aura alors infiltré le mo-dus operandi de la politique. Je ne peux pascompter là-dessus, mais juste au cas où, jevais commencer à dresser superstitieuse-ment ma liste de conditions et d'exigencesà présenter aux «gars».

Mes comptes sont à jour: j'ai payé mesdettes mais il faudra, la prochaine fois,pour me faire bouger, qu'on me promettede péter le feu! K(

TRADUCTION:CONSTANCE ROY,

FRANÇOISE GUÉNETTE

Greta Hofmann Nemiroff, directrice du NewSchool Dawson Collège, à Montréal, candidatenéo-démocrate aux dernières élections provincia-les, est aussi écrivaine.

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