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Poésie Louise Labé
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FRAN 4001
Introduction à la littérature
FRAN 4001
Louise Labé – (1525 – 1566)
Sonnets - 1555
II
O beaux yeux bruns, ô regards détournés,
O chauds soupirs, ô larmes épandues,
O noires nuits vainement attendues,
O jours luisants vainement retournez :
O tristes pleins1, ô désirs obstinez,
O tems perdu, ô peines dépendues2,
O mile morts en mile rets3 tendues,
O pires maux contre moi destinez.
O ris, ô front, cheveux, bras, mains et doits :
O lut plaintif, viole, archet et vois :
Tant de flambeaux pour ardre une femelle!
De toi me plein, que tant de feux portant,
En tant d'endroits d'iceux4 mon coeur tâtant,
N'en est sur toi volé quelque étincelle.
VII
On voit mourir toute chose animée,
Lors que du corps l'âme subtile part :
Je suis le corps, toi la meilleure part :
Où es tu donc, ô âme bien aimée?
Ne me laissez par si long temps pâmée,
Pour me sauver après viendrais trop tard.
Las, ne mets point ton corps en ce hasard :
Rends lui sa part et moitié estimée.
1 Plaintes
2 Qui dependent de, qui sont la conséquence
3 Pièges
4 Par ces feux (flames) tâtant mon coeur
Mais fais, Ami, que ne soit dangereuse
Cette rencontre et revue amoureuse,
L'accompagnant, non de sévérité,
Non de rigueur : mais de grâce amiable,
Qui doucement me rende ta beauté,
Jadis cruelle, à présent favorable.
VIII
Je vis, je meurs : je me brûle et me noie.
J'ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m'est et trop molle et trop dure.
J'ai grands ennuis entremêlez de joie :
Tout à un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief5 tourment j'endure :
Mon bien s'en va, et à jamais il dure :
Tout en un coup je seiche et je verdoie.
Ainsi Amour inconstamment me mène :
Et quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.
Puis quand je crois ma joie être certaine,
Et être au haut de mon désiré heur6,
Il me remet en mon premier malheur.
XIII
Oh si j'étais en ce beau sein ravie7
De celui là pour lequel vois mourant :
Si avec lui vivre le demeurant8
De mes cours jours ne m'empêchait envie :
Si m'acollant9 me disait : chère Amie,
Contentons nous l'un l'autre, s'assurant
5 Grave, pénible
6 Bonheur
7 Emporté sur la poitrine
8 Le reste de
9 M’enlaçant
Que ja10
tempête, Euripe11
, ne Courant
Ne nous pourra disjoindre en notre vie :
Si de mes bras le tenant acollé,
Comme du Lierre est l'arbre encercelé12
,
La mort venait, de mon aise envieuse :
Lors que souef13
plus il me baiserait14
,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse.
XVIII
Baise m'encor, rebaise moi et baise :
Donne m'en un de tes plus savoureux,
Donne m'en un de tes plus amoureux :
Je t'en rendrai quatre plus chauds que braise.
Las, te pleins tu ? ça que ce mal j'apaise,
En t'en donnant dix autres doucereux.
Ainsi mêlant nos baisers tant heureux
Jouissons nous l'un de l'autre à notre aise.
Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soi et son ami vivra.
Permets m'Amour penser quelque folie :
Toujours suis mal, vivant discrètement,
Et ne me puis donner contentement,
Si hors de moi ne fais quelque saillie15
.
10
Désormais 11
Nom d’un détroit grec, passage étroit et dangereux 12
Enfermé dans un cercle. 13
Suave 14
Embrasserait 15
impulsion, élan
Épître dédicatoire des Œuvres de Louise Labé
Préface: A Mademoiselle Clémence de Bourges Lyonnoise
A M.C.D.B.L.
Etant le temps venu, Mademoiselle, que les sévères lois des hommes n'empêchent plus
les femmes de s'appliquer aux sciences et disciplines : il me semble que celles qui ont la
commodité, doivent employer cette honnête liberté que notre sexe a autrefois tant désirée,
à icelles apprendre : et montrer aux hommes le tort qu'ils nous faisaient en nous privant
du bien et de l'honneur qui nous en pouvait venir : Et si quelqu’une parvient en tel degré,
que de pouvoir mettre ses conceptions par écrit, le faire soigneusement et non dédaigner
la gloire, et s'en parer plutôt que de chaînes, anneaux, et somptueux habits : lesquels ne
pouvons vraiment estimer nôtres, que par usage. Mais l'honneur que la science nous
procurera, sera entièrement notre : et ne nous pourra être ôté, ne par finesse de larron, ne
force d'ennemis, ne longueur du temps. Si j'eusse été tant favorisée des Cieux, que d'avoir
l'esprit grand assez pour comprendre ce dont il a eu envie, je servirais en cet endroit plus
d'exemple que d'admonition. Mais ayant passé partie de ma jeunesse à l'exercice de la
Musique, et ce qui m'a resté de tems l'ayant trouvé court pour la rudesse de mon
entendement, et ne pouvant de moi-même, satisfaire au bon vouloir que je porte à notre
sexe, de le voir non en beauté seulement, mais en science et vertu passer ou égaler les
hommes : je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses Dames d'élever un peu
leurs esprits par-dessus leurs quenouilles et fuseaux, et s'employer à faire entendre au
monde que si nous ne sommes faites pour commander, si ne devons nous être dédaignées
pour compagnes tant en affaires domestiques que publiques, de ceux qui gouvernent et se
font obéir. Et outre la réputation que notre sexe en recevra, nous aurons valu au public,
que les hommes mettront plus de peine et d'étude aux sciences vertueuses, de peur qu'ils
n'aient honte de voir précéder celles, desquelles ils ont prétendu être toujours supérieurs
quasi en tout. Pour ce, nous faut il animer l'une l'autre à si louable entreprise …
Dieu vous maintienne en santé.
De Lion,
ce 24 juillet 1555. Votre humble Amie, Louïze Labé.
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