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« POUR QUE LE PROCÈS SE TIENNE ET SE TERMINE » Rapport du Comité d’examen sur la gestion des mégaprocès Présidé par M e Michel Bouchard, Ad. E. Présenté à la Ministre de la Justice du Québec et à la Directrice des poursuites criminelles et pénales du Québec Québec, le 19 octobre 2016

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« POUR QUE LE PROCÈS SE TIENNE ET SE TERMINE »

Rapport du Comité d’examen sur

la gestion des mégaprocès

Présidé par M e Michel Bouchard, Ad. E.

Présenté à la Ministre de la Justice du Québec et à la

Directrice des poursuites criminelles et pénales du Québec

Québec, le 19 octobre 2016

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Québec, le 19 octobre 2016 Me Stéphanie Vallée Ministre de la Justice du Québec Édifice Louis-Philippe-Pigeon 1200, route de l’Église, 9e étage Québec (Québec) G1V 4M1 Me Annick Murphy, Ad. E. Directrice des poursuites criminelles et pénales du Québec Directeur des poursuites criminelles et pénales Complexe Jules-Dallaire, tour 1, bureau 500 2828, boulevard Laurier Québec (Québec) G1V 0B9 Madame la Ministre, Madame la Directrice, Il me fait plaisir de déposer le rapport du Comité d’examen sur la gestion des mégaprocès dont vous m’avez confié la présidence le 16 octobre 2015. Le Comité a débuté ses travaux le 18 janvier 2016 et a rencontré 92 personnes provenant de 17 ministères ou organismes impliqués dans le déroulement des procès longs et complexes, en plus d’avoir tenu 35 rencontres de travail, sans compter les nombreuses heures de travail consacrées individuellement par chacun des membres faisant partie du Comité. Le rapport contient 51 recommandations s’adressant à plusieurs partenaires dans l’administration de la justice. Le titre du rapport « Pour que le procès se tienne et se termine » reflète les principaux constats que le Comité a dégagés de ses travaux et qui ont trait aux sérieux problèmes auxquels le système de justice en matière criminelle et pénale est confronté à l’égard du déroulement laborieux des procès longs et complexes et des fréquents risques d’avortements dont ils sont l’objet. Au nom des membres du Comité, je tiens à vous remercier de la confiance que vous nous avez témoignée en nous confiant ce mandat dont l’objet est une source de préoccupations importantes pour les citoyens du Québec. Veuillez agréer, Madame la Ministre, Madame la Directrice, l’expression de mes sentiments les meilleurs. (Original signé) Me Michel Bouchard, Ad. E. Président du Comité

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« POUR QUE LE PROCÈS SE TIENNE ET SE TERMINE » RAPPORT DU COMITÉ D’EXAMEN SUR LA GESTION DES MÉGAPROCÈS

TABLE DES MATIÈRES

LES MANDATS ET LA DÉMARCHE EMPRUNTÉE PAR LE COMITÉ ......................................................... 1 PRÉAMBULE .................................................................................................................................. 5 1 - LA PREMIÈRE MESURE À PRENDRE ............................................................................................ 7 2 - LA DISPONIBILITÉ DES PARTICIPANTS AU PROCESSUS D ’UN MÉGAPROCÈS ................................ 13 3 - L’ASSISTANCE APPORTÉE À L ’ENQUÊTE POLICIÈRE .................................................................. 17 4 - LA SPÉCIFICITÉ DES ENQUÊTES POLICIÈRES DE GRANDE ENV ERGURE ....................................... 21

4.1 - Le profil des enquêteurs ............................................................................................... 22 4.2 - La formation des enquêteurs ........................................................................................ 22 4.3 - Le plan d’enquête et le précis des faits ........................................................................ 24

5 - LA GESTION DES ÉTAPES ANTÉRIEURES AU DÉPÔT DES DÉNON CIATIONS ................................... 27

5.1 - Le gestionnaire de poursuite ........................................................................................ 29 5.2 - Le protocole de poursuite ............................................................................................. 32 5.3 - Les enjeux des perquisitions informatiques ................................................................. 34 5.4 - Les mandats autorisant l’interception de communications privées .............................. 40

5.4.1 - L’implication du gestionnaire de la poursuite ............................................................... 40 5.4.2 - Les communications privées interceptées et le privilège du secret professionnel ............ 42

6 - LE RECOURS AUX COLLABORATEURS DE JUSTICE .................................................................... 45

6.1 - Le cheminement de la réflexion québécoise dans le recours aux collaborateurs de justice ............................................................................................................................ 46

6.2 - La participation d’un tiers au processus de signature du contrat de collaboration ...... 53 6.3 - L’article 94 de la Loi sur l’administration publique ........................................................ 54

7 - LE TRAITEMENT DE LA PREUVE ACCUMULÉE LORS DE L ’ENQUÊTE POLICIÈRE ............................. 57

7.1 - Le classement et l’analyse de la preuve ...................................................................... 58 7.2 - Le caviardage de la preuve .......................................................................................... 61 7.3 - Le travail préparatoire à la divulgation de la preuve..................................................... 62 7.4 - La forme de la divulgation ............................................................................................ 66

8 - LE DÉPÔT DES DÉNONCIATIONS ............................................................................................... 69

8.1 - Le responsable de la poursuite .................................................................................... 69 8.2 - L’encadrement et la composition de l’équipe de poursuite .......................................... 73 8.3 - Les modes de présentation de la preuve au juge et aux jurés ..................................... 74

9 - LA DÉCISION DE POURSUIVRE .................................................................................................. 77

9.1 - Le rapport d’enquête .................................................................................................... 79 9.2 - Le plan de poursuite ..................................................................................................... 80

10 - LE NOMBRE D’ACCUSÉS ET LE CHOIX DES ACCUSATIONS ........................................................ 83

10.1 - Les produits de la criminalité ...................................................................................... 86 10.2 - La concertation nécessaire des forces de répression

et des organismes de régulation ................................................................................ 89 10.3 - La confiscation civile des produits et instruments d’activités illégales ....................... 89 10.4 - L’enquête préliminaire ................................................................................................ 93

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11 - LE PROCESSUS JUDICIAIRE APPLIQUÉ AUX MÉGAPROCÈS ....................................................... 97

11.1 - Le lieu du procès ........................................................................................................ 97 11.2 - La conduite du procès .............................................................................................. 101 11.3 - Le profil recherché chez le juge assigné à un mégaprocès ..................................... 103 11.4 - Le juge de gestion .................................................................................................... 104 11.5 - Le recours à la facilitation pénale ............................................................................. 106 11.6 - L’article 551.3(1) du Code criminel et le protocole anglais ...................................... 108 11.7 - La contestation des requêtes préliminaires .............................................................. 112 11.8 - Le comportement des plaideurs lors des audiences et les plaintes en déontologie 115 11.9 - Le soutien à fournir au juge du procès ..................................................................... 118

12 - LA CONTRIBUTION DES JURÉS ............................................................................................. 123

12.1 - Le rôle du jury ........................................................................................................... 125 12.2 - Les conditions d’exercice de la fonction de juré ....................................................... 129 12.3 - Les accommodements à être accordés aux jurés .................................................... 132 12.4 - Le devoir des officiers de justice envers les jurés .................................................... 133

13 - LE DROIT AU PROCÈS.......................................................................................................... 141

13.1 - L’avocat de la défense impliqué dans un mégaprocès ............................................ 141 13.2 - L’aide juridique au Québec ....................................................................................... 143 13.3 - L’aide juridique appliquée aux mégaprocès ailleurs qu’au Québec ......................... 145 13.4 - Le processus de délivrance des mandats d’aide juridique ....................................... 147

RÉSUMÉ DU RAPPORT ET RECOMMANDATIONS ............................................................................ 149 BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................................... 169

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LES MANDATS ET LA DÉMARCHE EMPRUNTÉE PAR LE COMITÉ Le 16 octobre 2015, la Directrice des poursuites criminelles et pénales du Québec a formé un Comité d’examen (Comité) ayant comme mandat d’entreprendre une réflexion exhaustive sur la gestion des mégaprocès par la poursuite. En même temps, le Comité a reçu de la Ministre de la Justice du Québec le mandat de formuler des recommandations ayant trait à la planification des ressources judiciaires afin d’assurer la tenue des mégaprocès dans un délai raisonnable. Le Comité, dont la présidence m’a été confiée, s’est vu demander de prendre en considération la pratique et l’expérience de la conduite des mégaprocès par la poursuite au Québec mais aussi par les autres poursuivants au Canada, voire même dans les juridictions étrangères. Les autres intervenants du système judiciaire impliqués dans la gestion des enquêtes d’envergure et des mégaprocès ont également été invités à collaborer à ses travaux. Dans la conduite de cet examen, j’ai pu bénéficier d’une collaboration exceptionnelle des autres membres du Comité :

• Me Joanne Marceau, procureure au Bureau du service juridique du Directeur des poursuites criminelles et pénales;

• Me Stéphane Rochette, juriste à la Direction du droit administratif et des affaires

juridiques du ministère de la Justice du Québec;

• Me Jean-Sébastien Lalonde, recherchiste au Bureau du service juridique du Directeur des poursuites criminelles et pénales.1

Le soutien technique aux travaux du Comité a été assuré avec une grande efficacité par madame Hélène Doyon. Le Comité a fait appel également à la collaboration de procureurs de la poursuite expérimentés en fonction des besoins identifiés en cours de mandat. À compter de janvier 2016, le Comité a tenu plus de 33 réunions de travail en plus de rencontrer près de 92 personnes associées au déroulement d’enquêtes policières d’envergure ou de mégaprocès dont des poursuivants, des avocats de la défense, des représentants de la magistrature siégeant à la Cour d’appel, à la Cour supérieure et à la Cour du Québec, des représentants du Barreau du Québec (Barreau) et de l’Association québécoise des avocats et avocates de la défense, le Bureau du syndic du Barreau, des représentants de la Direction générale des services de justice du ministère de la Justice, des représentants du ministère de la Sécurité publique, les principaux corps de police au Québec, à savoir la Sûreté du Québec, le Service de police de la Ville de Montréal, le Service de police de la Ville de Québec, ainsi que certains partenaires institutionnels tels

1 La participation de ces personnes aux travaux du Comité n’engage en rien les organisations auxquelles elles appartiennent.

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que l’Unité permanente anticorruption, l’Autorité des marchés financiers, l’Agence du revenu du Québec, la Commission des services juridiques, le Service des poursuites pénales du Canada, des techniciens judiciaires ainsi que des policiers, des avocats et des juges à la retraite. Nous adressons à toutes ces personnes nos remerciements pour la disponibilité et l’aide apportées aux travaux du Comité. Nous avons orienté notre examen sur les aspects nous apparaissant les plus susceptibles de recevoir une considération rapide de la part des différents intervenants concernés. C’est pourquoi très peu de recommandations formulées dans ce rapport nécessitent une intervention législative de la part des autorités gouvernementales bien que les réflexions et les travaux auxquels nous invitons les partenaires dans l’administration de la justice criminelle à s’associer pourraient éventuellement devoir nécessiter des modifications législatives ou réglementaires au Code criminel2 ou à certaines lois du Québec. L’examen effectué tient compte des difficultés rencontrées par la poursuite dans la conduite de plusieurs dossiers d’envergure, dont l’enquête policière baptisée SharQc, afin d’en tirer les leçons utiles à la gestion future des mégaprocès. Le mandat du Comité ne portait pas cependant sur l’identification de responsables potentiels des échecs constatés. Notre examen s’est concentré sur ce qui peut être amélioré ou ce à quoi il faut mettre un terme. Le Comité a lu avec beaucoup d’intérêt et s’est également inspiré des travaux et examens effectués jusqu’à maintenant par différents comités ou organisations qui se sont penchés sur le phénomène des procès longs et complexes. Une abondante littérature a effectivement été produite au cours des dix dernières années sur cette question. Nous avons choisi de ne pas reproduire dans notre rapport les propositions ou recommandations formulées dans ces ouvrages car nous estimons que celles-ci font partie de la toile de fond englobant les idées et opinions exprimées par le Comité. Le rapport que nous déposons doit donc être perçu comme un complément à ceux déjà produits, notamment par les commissaires Patrick J. LeSage et Michael Code en novembre 20083 et le commissaire John C. Major, ex-juge de la Cour suprême, en 20104. Il en va de même pour les rapports produits par le Barreau du Québec en 20035

2 L.R.C. (1985), c. C-46 [Code criminel]. 3 Ontario, Patrick J. LeSage, Michael Code, Rapport sur l’examen de la procédure relative aux affaires criminelles complexes, ministère du Procureur général de l’Ontario, novembre 2008, 216 p. [LeSage et Code]. 4 Canada, Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India, Le vol 182 d’Air India: Une tragédie canadienne, Rapport final, volume 3, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2010, 388 p. [Commission d’enquête – Air India].

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et 20046 et le Comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice7 en 2005 portant également sur les causes criminelles complexes. Un nombre important d’ouvrages et d’articles ont également alimenté notre réflexion et animé nos discussions. Nous n’avons énuméré dans la bibliographie accompagnant le texte du rapport que ceux que nous citons. Comme il nous l’a été demandé dans le mandat confié par la Directrice des poursuites criminelles et pénales et la Ministre de la Justice, les travaux du Comité ont porté principalement sur :

• l’organisation du travail au sein des équipes de poursuite; • l’organisation du travail au sein des équipes d’enquête policière; • l’organisation du travail entre les policiers et le poursuivant; • les conditions dans lesquelles les autres intervenants au système de justice sont

appelés à s’acquitter de leur mandat; • la gestion d’instance; • la représentation des accusés aux frais de l’État.

Le rapport ne se veut pas un manuel d’opérations policières ou un ouvrage de doctrine sur la procédure criminelle, mais un document destiné à guider les intervenants déjà rompus aux techniques d’enquête ou possédant les connaissances juridiques nécessaires à l’exercice de leurs fonctions. Les membres du Comité n’ont pas la certitude en déposant le résultat de leurs travaux d’avoir répertorié toutes les embûches associées à la tenue des affaires longues et complexes, ni la prétention d’avoir identifié toutes les solutions à mettre en place pour en rendre dorénavant le déroulement facile. Nous croyons fermement toutefois que ce rapport devrait faire partie des premières lectures auxquelles devrait se prêter la personne à qui on vient de confier un rôle dans une enquête d’envergure ou un procès long et complexe. Me Michel Bouchard, Ad. E. Président du Comité

5 Québec, Comité ad hoc du comité en droit criminel sur les mégaprocès, Rapport préliminaire, Barreau du Québec, Octobre 2003, 13 p. 6 Québec, Comité ad hoc du Comité en droit criminel sur les mégaprocès, Rapport Final, Barreau du Québec, février 2004, 29 p. [Comité du Barreau]. 7 Canada, Comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice, Rapport final sur les méga-procès du Comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice aux sous-ministres F.-P.-T. responsables de la justice, Ottawa, ministère de la Justice, janvier 2005, 13 p. [CDEAJ].

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PRÉAMBULE Il existe, en réalité, peu de raisons qui font qu’une affaire criminelle portée à l’attention du tribunal se voit qualifiée de cause longue et complexe ou de mégaprocès. Une cause longue et complexe fait suite le plus souvent à un travail d’enquête policière échelonné sur une longue période de temps et qui se traduit par l’accumulation d’une preuve volumineuse, souvent complexe, parfois sans pertinence à plusieurs égards en ce qui a trait à la commission de crimes, mais toujours difficile à assimiler par le juge et les jurés, sans oublier les procureurs au dossier qu’ils soient en poursuite ou en défense. Une procédure judiciaire criminelle peut aussi se transformer en procès long et complexe parce qu’elle est la conséquence d’une analyse déficiente de la preuve par les enquêteurs et le poursuivant et, d’une préparation inadéquate parce qu’ils auront, entre autres, mal évalué l’impact d’une décision peu réfléchie de déposer des dénonciations alors que le dossier n’était pas en état d’être présenté à la cour. On peut certes être justifié d’argumenter que bien d’autres facteurs peuvent être responsables d’un déroulement long et laborieux d’une affaire criminelle pendante devant la cour, comme par exemple, un trop grand nombre d’accusés ou de chefs d’accusation, la présentation et l’audition de trop de requêtes préliminaires futiles et inutiles, l’absence d’admissions sur des questions de peu d’importance ou à l’égard desquelles la force probante ne fait aucun doute, une gestion déficiente du temps consacré aux auditions devant la cour, une attitude contraire à la déontologie de la part des procureurs, qu’ils agissent en poursuite ou en défense, créant ainsi des débats acrimonieux et inutiles, des délais trop longs dans la divulgation de la preuve occasionnés par un manque de ressources, le recours trop fréquent à des experts incapables de livrer le résultat de leurs analyses dans les délais fixés en raison d’un manque de disponibilité, une utilisation abusive par certains avocats de la défense du système d’aide juridique mis en place par l’État pour assurer la défense des accusés incapables de défrayer les coûts d’un représentant légal. Toutefois, ces autres causes, ou le recours à des stratégies visant à ralentir le processus ou prolonger inutilement les débats, auront peu de chance de réussir si la préparation du dossier avant le dépôt des accusations a été effectuée adéquatement. Saisir la cour d’un dossier long et complexe, en raison principalement de l’accumulation d’une preuve abondante et probante grâce aux moyens technologiques modernes accessibles aux enquêteurs de police, et, estimer que l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité constituera la seule avenue ouverte à l’accusé devant le poids de cette preuve accablante, mais complexe, s’avère généralement un exercice hautement périlleux pour la poursuite. Le défi qui se dresse devant le Directeur des poursuites criminelles et pénales dans la gestion des dossiers longs et complexes nous apparaît de deux ordres. Il doit, d’une part, faire en sorte qu’un procès émanant d’une enquête longue et complexe demeure gérable tout au long du processus judiciaire et il doit, d’autre part,

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prendre les mesures pour éviter que les autres types d’enquêtes ne se transforment en procès longs et complexes en raison d’une évaluation et d’une préparation insuffisantes de la part de ses représentants. Lorsque l’une ou l’autre de ces situations se présentent lors de l’analyse des dossiers de police par le poursuivant, la responsabilité de s’assurer que les actions nécessaires ont été prises afin d’éviter que le système de justice ne soit paralysé incombe, au premier chef, au procureur de la poursuite à qui a été confié le pouvoir discrétionnaire de déposer les accusations criminelles. Pour lui permettre d’exercer adéquatement cette fonction comportant des difficultés opérationnelles importantes, le poursuivant doit cependant recevoir de l’organisation à laquelle il appartient le soutien technique nécessaire à l’accomplissement de cette lourde tâche. Même si le législateur a créé la fonction de Directeur des poursuites criminelles et pénales pour diriger au nom de l’État les poursuites judiciaires en ces matières, la Ministre de la Justice et Procureure générale demeure responsable de l’administration de la justice au Québec. Elle exerce ses responsabilités en ce domaine pour et au nom de l’État. Il est essentiel que l’État dispose d’un système de justice fonctionnel, non seulement à l’égard de l’organisation et du maintien de tribunaux efficaces mais aussi à l’égard des personnes chargées d’en assurer le fonctionnement. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales doit être en mesure de sensibiliser les autorités gouvernementales, représentées par la Ministre de la Justice, à l’importance d’accorder au système de justice et à ses acteurs, au premier chef au responsable des poursuites criminelles et pénales, les ressources humaines et financières que requièrent les batailles judiciaires longues et complexes livrées à la criminalité organisée.

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1 - LA PREMIÈRE MESURE À PRENDRE Alors que le Comité procédait à l’examen exhaustif de la gestion des mégaprocès conformément au mandat qui lui a été confié par le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec, la Cour suprême du Canada a rendu le 8 juillet 2016 un arrêt8 qui vient fixer un nouveau cadre d’analyse et d’application de l’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés9 qui garantit à tout inculpé le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Le jugement, très critique à l’égard du système de justice qui, selon la Cour, a entretenu ces dernières années une culture de complaisance à l’égard des délais, envoie un signal très clair à l’ensemble des participants à ce système que sont l’avocat de la poursuite, l’avocat de la défense, les tribunaux, les législatures provinciales, le Parlement du Canada, les services d’aide juridique et les gouvernements. Tous se voient assigner des devoirs pour corriger la situation afin de « […] permettre [ainsi] aux tribunaux de maintenir la confiance du public en rendant justice en temps utile […] »10. Le Comité est convaincu que ce message historique de la plus haute cour du pays, adressé à l’ensemble des intervenants au processus judiciaire en matière criminelle, a peu de chance de permettre l’atteinte de l’objectif recherché si ces intervenants essaient, chacun de leur côté, sans consultation véritable, et sous le couvert de leur autonomie et de la préservation de leur champ de compétence, d’appliquer les mesures que la Cour suprême leur demande d’apporter à leurs pratiques respectives. En 1992, s’est tenu le seul véritable Sommet de la justice qu’ait connu le Québec et dont le thème était « La Justice : une responsabilité à partager »11. Ce Sommet, organisé à l’initiative du Ministre de la Justice du Québec de l’époque, Me Gil Rémillard, avait essentiellement pour objectif de sensibiliser les intervenants en matière d’administration de la justice à la nécessité de développer une collaboration plus étroite et plus ouverte dans les efforts consentis par chacun des partenaires afin d’améliorer le traitement des dossiers judiciaires et l’aide à apporter aux justiciables. Comme l’a souligné Me Rémillard, dans la page de présentation des Actes du Sommet :

« […] les changements qui s’imposent dans l’administration de la justice ne peuvent se limiter à des lois, règlements ou politiques. Bien au contraire, ils doivent découler d’un nouvel état d’esprit qui ne peut naître que d’une responsabilité partagée au sein d’une action concertée.

8 R. c. Jordan, 2016 CSC 27. 9 Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)] [Charte canadienne]. 10 R. c. Jordan, préc., note 8, paragr. 141. 11 Québec, Sommet de la Justice 1992, La Justice : une responsabilité à partager : Les Actes du Sommet de la Justice tenu à Québec du 17 au 21 février 1992, ministère de la Justice 1993, 752 p. [le Sommet].

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La justice représente plus que jamais une responsabilité à partager et le gouvernement ne peut être seul à l’assumer. Il a certes le rôle de veiller à la mise en œuvre et au soutien des politiques importantes et des institutions fondamentales, mais, pour permettre à ces politiques et à ces institutions d’être efficaces, l’ensemble des intervenants doivent être mis à contribution, puisqu’il est plus que jamais évident que l’État ne peut résoudre seul les problèmes touchant la justice au Québec. Cela n’équivaut pas à un constat d’impuissance ou de faillite du système; il s’agit tout simplement de reconnaître, avec réalisme, que l’injection de nouvelles ressources et la création de nouveaux programmes ne réussiront jamais à combler toutes les attentes et à produire tous les effets escomptés. L’État doit pouvoir compter sur la complémentarité des actions et des initiatives des divers intervenants pour faire en sorte que la justice, dans tous ses aspects, soit conforme aux réalités de notre Société. »12

Il nous faut malheureusement constater, près de 25 années plus tard, que l’objectif visé par ce Sommet à l’époque est loin d’être complètement atteint. Malgré les suivis législatifs et les mécanismes mis en œuvre à la suite de ce Sommet, les délais d’audience ne cessent de grimper dans plusieurs districts, les coûts ne régressent pas et le déroulement des audiences ne se simplifie pas. Bien plus, depuis sa tenue, le phénomène des mégaprocès, peu présent à l’époque, est devenu la manifestation ultime du dérèglement de notre système judiciaire en matière criminelle. Les dénouements qu’ont connu certaines affaires judiciaires très médiatisées ont affaibli la confiance que notre société place dans la capacité de nos institutions de faire respecter les lois, de préserver l’ordre public et de freiner l’expansion de la criminalité organisée. La population est en mesure de comprendre la nécessité de conserver, bien ancré dans nos valeurs, le respect des principes associés au déroulement des affaires criminelles que sont la présomption d’innocence, la preuve hors de tout doute raisonnable, l’indépendance rattachée au statut de juge, le droit à une défense pleine et entière pour toutes les personnes accusées d’un délit, le pouvoir discrétionnaire dévolu à la fonction de poursuivant et la non-ingérence dans la conduite des enquêtes policières. La population ne peut tolérer cependant que l’exercice inconsidéré ou arbitraire de ces pouvoirs ou l’invocation sans compromis de ces principes fassent obstacle à la tenue de procès justes et équitables, non seulement au bénéfice des accusés mais aussi de la société en général. Bien que l’administration de la justice soit l’affaire de tous et chacun des membres qui composent la communauté juridique, il se trouvera toujours des récalcitrants ou des

12 Id., p. 4.

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opportunistes parmi eux qui agiront contrairement aux règles de conduite édictées par leur ordre professionnel ou leur organisation et qui mineront ainsi par leurs agissements, la confiance que la population persiste tant bien que mal à accorder à son système de justice et à ses acteurs. Il s’avère en conséquence de la plus grande importance que les dirigeants des ordres professionnels et des forces de répression, de même que les autorités judiciaires et gouvernementales chargées par la loi d’administrer la justice et de pourvoir à son financement, dictent de façon responsable à leurs membres ou représentants les comportements auxquels ils désirent les voir se conformer. Ce faisant, ils doivent toutefois, non seulement être préoccupés par les correctifs à apporter dans leurs modes opérationnels ou façons de faire mais, surtout, être sensibilisés et attentifs aux impacts que de tels correctifs sont susceptibles de créer chez les autres organisations participant à l’administration de la justice. C’est pourquoi il apparaît incontournable pour le Comité que ces dirigeants et ces responsables acceptent d’échanger librement et en dehors des canaux officiels de communication délimitant leur autonomie et leur indépendance sans pour autant renoncer au principe de la séparation des pouvoirs. Agir de façon autonome et indépendante peut fort bien s’accommoder d’une ouverture à la communication et à la coordination. Il est primordial qu’un forum élargi de discussions soit créé pour que ces responsables puissent exposer aux autres les problématiques auxquelles leurs organisations respectives sont confrontées dans l’exécution de leur mandat, plus particulièrement à l’égard du déroulement des procès longs et complexes. De l’avis du Comité, il s’agit de la première mesure à prendre par tous les participants au système de justice s’ils espèrent réellement apporter de véritables solutions à la problématique entourant le déroulement des mégaprocès. Un exercice semblable est présentement en cours, à l’initiative de la Ministre de la Justice du Québec, afin d’identifier les solutions aux problèmes occasionnés par l’augmentation croissante des délais de fixation des dossiers et de convenir ensemble d’un plan d’action concret visant à réduire les délais en matière criminelle. La Ministre assistée des hauts fonctionnaires de son ministère a ainsi convié la magistrature, le Directeur des poursuites criminelles et pénales, les avocats de la défense, le Barreau du Québec et la Commission des services juridiques au sein de la Table Justice-Québec. D’autres responsables et d’autres organisations doivent se joindre à ce forum et l’objectif initial de sa création doit être revu à la lumière des constats effectués à l’égard du déroulement de certaines affaires longues et complexes et suite au message envoyé par la Cour suprême du Canada voulant que « […] tous les participants au système de justice doivent travailler de concert pour accélérer le déroulement des procès. »13. Une véritable communication, franche, ordonnée et permanente doit s’établir entre les partenaires que sont le Barreau et les associations d’avocats de la défense, la

13 R. c. Jordan, préc., note 8, paragr. 116.

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magistrature, les ministères de la Justice et de la Sécurité publique, les directeurs des poursuites criminelles et pénales du Canada et du Québec, les principaux corps de police présents sur le territoire ainsi que les organismes de régulation et de contrôle que sont l’Agence du revenu du Québec, l’Autorité des marchés financiers, l’Unité permanente anticorruption, sans oublier la Commission des services juridiques, afin de permettre à chacune de ces entités d’échanger sur les difficultés et les contraintes qu’ils éprouvent dans l’exécution du rôle qui leur est attribué dans le déroulement des mégaprocès ou autres procédures associées à l’administration de la justice en matière criminelle et pénale. Il nous faut reconnaître que les rôles traditionnels confiés à ces partenaires et les façons de faire auxquelles ils ont eu recours jusqu’à maintenant n’ont pas toujours été en mesure de leur permettre de suivre le rythme imposé par les nouvelles technologies rendues accessibles à certaines de ces organisations. L’exécution de leurs mandats respectifs ne peut plus s’accomplir en silo sous prétexte que leur autonomie et leur indépendance doivent prévaloir au détriment d’une plus grande collaboration qui risquerait de fragiliser le principe de la séparation des pouvoirs. Un forum pancanadien regroupant les principaux responsables de l’administration de la justice et dont l’objectif était d’améliorer le fonctionnement et l’efficacité du système judiciaire en matière criminelle a été créé en 2003. L’un des premiers mandats confiés au Comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice, regroupant des sous-ministres de la Justice, des juges en chef, des représentants du Barreau du Québec et de l’Association du Barreau canadien, auxquels se sont joints par la suite des représentants des forces policières, a été d’examiner les problèmes entourant le déroulement des mégaprocès. Ce comité toujours existant a produit des recommandations14 qui ont été à l’origine des modifications15 apportées au Code criminel en 2011, et visant à fournir aux acteurs du système « les outils nécessaires pour contribuer à simplifier les affaires majeures et complexes »16. Manifestement, ces modifications, bien que pertinentes, n’ont pas fait disparaître tous les écueils auxquels le déroulement des affaires longues et complexes sont exposées. Au surplus, la pratique en matière d’administration de la justice criminelle, bien que gouvernée principalement par des règles en vigueur d’un océan à l’autre, peut varier dans son application puisque l’administration de la justice relève des provinces. Le rôle des intervenants peut donc changer en fonction de l’endroit où se tient le procès. Il peut s’avérer nécessaire que des adaptations au niveau local fassent l’objet de discussion et d’engagements formels de la part des responsables de chacune des organisations.

14 CDEAJ, préc., note 7. 15 Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès), L.C. 2011, c. 16 (projet de loi no C-2 sanctionné le 26 juin 2011). 16 Bureau du ministre de la Justice et procureur général du Canada, communiqué, « Le projet de loi sur les “Mégaprocès” reçoit la sanction royale » (27 juin 2011).

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La création d’un forum élargi des partenaires de justice n’a pas pour finalité d’écarter ou de diminuer l’autonomie de chacun. Il n’a pas pour objectif non plus de soumettre le processus judiciaire en matière de mégaprocès au respect de règles qui auraient été adoptées lors de ces rencontres à la majorité des interlocuteurs. Des échanges francs, respectueux des mandats de chacun, dénués de corporatisme, visant à l’identification des vraies causes à l’origine des difficultés associées au déroulement des mégaprocès et surtout, axés sur la recherche de solutions ou de modifications de comportements chez les partenaires, permettraient l’instauration d’un changement de culture, seul vrai remède au mal qui affecte actuellement le processus judiciaire en matière criminelle. La Ministre de la Justice et Procureure générale, responsable au premier chef de l’administration de la justice au Québec, devrait favoriser la création d’un forum de discussion regroupant les premiers dirigeants des organismes associés au déroulement des affaires criminelles et elle devrait assumer le leadership de sa mise en place et de son fonctionnement permanent. RECOMMANDATIONS : 1o– Que la Ministre de la Justice et Procureure génér ale du Québec invite les principaux partenaires dans l’administration de la justice à participer à la création d’un forum permanent de discussion dont le premier mandat serait d’identifier les changements à apporter aux interventions de chacun dans le processus judiciaire en matière criminelle spécialement dans la gestion des mégaprocès. 2o– Que les plus hauts dirigeants de ces organisation s invitées à ce forum de discussion se réservent la responsabilité personnel le de participer à ces rencontres et s’engagent à en assurer le suivi aupr ès de leur organisation respective. 3o– Qu’un secrétariat permanent soit affecté au bon f onctionnement de ce forum afin d’en assumer la coordination et s’assurer du s uivi des mesures retenues et des engagements pris par les participants lors des rencontres.

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2 - LA DISPONIBILITÉ DES PARTICIPANTS AU PROCESSUS D ’UN MÉGAPROCÈS La tenue d’un procès long et complexe est généralement précédée d’une enquête policière échelonnée sur plusieurs mois ou années, menée par des enquêteurs dont la charge de travail a été organisée de manière à les rendre disponibles à temps plein pour amasser et classer la volumineuse preuve qui servira éventuellement au soutien des accusations. Cette disponibilité exceptionnelle dont font preuve les policiers à ce stade d’une opération d’envergure, considérée comme prioritaire par le corps de police concerné, se maintient tout au long de la période nécessaire à l’accumulation de la preuve qui permettra au poursuivant de décider des accusations à être portées. Malheureusement, cette très grande disponibilité des policiers enquêteurs rendue possible par le dégagement de sommes importantes prélevées sur les budgets des forces de répression prend fin trop souvent peu de temps après le dépôt des accusations ou à la fin des audiences devant la cour portant sur les remises en liberté ou sur la détention des accusés. Pour des raisons de commodités administratives importantes aux yeux des autorités policières concernées, le procureur de la poursuite se voit alors trop souvent obligé de composer, au cours de la période préparatoire à la tenue du procès, avec l’absence fréquente des enquêteurs responsables de la coordination des opérations policières à l’origine du dépôt des accusations. Un procureur d’expérience, qui avait collaboré pendant plusieurs mois avec un important groupe d’enquêteurs rendus disponibles exclusivement pour participer à une opération visant une organisation criminelle très structurée, s’est retrouvé fin seul, selon son expression, dans un vaste bureau ayant servi de quartier général des opérations d’enquête, peu de temps après les arrestations des têtes dirigeantes du réseau criminel visé par l’enquête, en raison d’un changement d’orientation dans les priorités d’enquête du corps de police responsable des assignations des enquêteurs. Un autre poursuivant, à qui plusieurs procès d’envergure ont été confiés dans le passé, a résumé au Comité son sentiment face à ces situations vécues par les procureurs de la poursuite chargés de donner suite aux travaux d’enquêtes majeures conduites par les forces policières :

« On dirait que la passion s’éteint quand les accusations sont portées. »

Il faut reconnaître qu’une fois les arrestations et les perquisitions effectuées, l’activité policière à l’égard des cibles d’une enquête connaît une baisse importante de régime, amenant ainsi les autorités administratives des corps de police à considérer la possibilité de confier aux enquêteurs, soudainement rendus plus disponibles, d’autres tâches jugées prioritaires pour l’organisation. Il faut savoir aussi que les semaines ou les mois qui suivront les arrestations et les comparutions des accusés devant la cour seront généralement consacrés à des échanges d’information et de documents entre le poursuivant et les avocats de la

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défense, ou à l’audition de plusieurs requêtes préliminaires ne nécessitant pas constamment la présence des enquêteurs auprès des avocats chargés de la poursuite. La tentation est donc très forte pour les autorités policières de profiter de cette relative disponibilité d’enquêteurs chevronnés pour les affecter à d’autres enquêtes importantes qui sont en attente d’un responsable. Dans certaines organisations chargées de la détection de crimes sur l’ensemble du territoire, la nécessité de procéder à des réaffectations de personnel ou à des promotions, souvent dans d’autres régions que celles du dépôt des accusations, ajoute au problème de manque de disponibilité du personnel policier avec lequel la poursuite a collaboré au cours des mois précédents. Or, bien que la présence physique de ces enquêteurs ne soit pas nécessaire quotidiennement auprès du procureur chargé de préparer le dossier en vue du procès, leur disponibilité pour le guider à travers la preuve accumulée ou pour procéder à des vérifications ou compléments d’enquête n’en demeure pas moins importante. Le juge Peter Cory, écrivant au nom de la Cour suprême du Canada, en a aussi fourni une raison tout aussi importante en s’exprimant de la façon suivante dans l’arrêt R. c. Storrey17 :

« […] Le rôle de la police consiste essentiellement à faire enquête sur les crimes. C’est là une fonction qu’elle peut et devrait continuer à exercer après avoir effectué une arrestation légale. La continuation de l’enquête profitera à la société dans son ensemble et souvent aussi à la personne arrêtée. En effet, il est dans l’intérêt de la personne innocente arrêtée que l’enquête se poursuive afin que son innocence à l’égard des accusations puisse être établie dans les plus brefs délais. »

De l’avis de plusieurs procureurs de la poursuite rencontrés au cours de nos travaux, le soutien juridique qu’ils ont fourni pendant l’enquête policière devrait naturellement être suivi d’un soutien policier durant les procédures, ce qui n’est pas toujours le cas. Il va de soi cependant que si le dossier constitué par la collaboration des enquêteurs et des poursuivants s’avère complet et que la preuve accumulée est divulguable dès le moment où les accusés sont appelés à comparaître, cette disponibilité souhaitée des enquêteurs après la comparution et jusqu’à la conclusion des procédures judiciaires pourra s’avérer moins onéreuse pour l’organisation policière responsable de l’enquête. Pour qu’il en soit ainsi, le travail d’analyse et de caviardage de la preuve devra, comme nous le verrons dans le chapitre 7 consacré à la gestion de la preuve, avoir été effectué au préalable. En ce qui a trait aux procureurs de la poursuite chargés de la conduite du dossier, une semblable disponibilité doit également se manifester tout au long du processus judiciaire.

17 [1990] 1 R.C.S. 241, p. 254.

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L’affectation des poursuivants à un dossier long et complexe se doit d’être exclusive à cette affaire et elle constitue le pivot d’une démarche continue à laquelle devront d’ailleurs accepter de s’engager les principaux acteurs de la poursuite dans le « protocole » dont il sera question au chapitre 5. D’où l’importance que revêt la sélection des procureurs à qui on confiera la responsabilité de traduire en un procès gérable le fruit de la longue et coûteuse enquête policière. Comme nous le verrons à la section 8.1 consacrée au choix du responsable de la poursuite, la disponibilité du plaideur, qui peut avoir été l’un des critères retenus dans le processus d’affectation d’un dossier, se doit d’être non seulement immédiate dès le début de l’opération policière mais également constante et assurée pour toute la durée des procédures judiciaires qui seront engagées par la suite. Puisque les causes des délais à la tenue d’un procès long et complexe sont diverses, il faut s’assurer que ceux-ci ne soient pas le fait d’une incapacité du poursuivant à se rendre disponible aux dates fixées par le tribunal pour l’audition des requêtes préliminaires ou du procès. Une des principales responsabilités du « gestionnaire de poursuite » dont il sera question à la section 5.1 sera donc de s’assurer que les procureurs désignés pour agir comme poursuivants seront en mesure de s’acquitter de leurs tâches tout au long du processus judiciaire, quelle qu’en soit la durée. À titre illustratif, un procureur chevronné, possédant l’expérience et le savoir-faire pour mener un procès long et complexe, ne devrait pas se voir confier le rôle de plaideur principal dans un tel projet si sa date de prise de retraite risque de survenir avant la fin prévisible du processus judiciaire lié à une opération policière. On peut penser que cela va de soi, mais une situation de cette nature a été portée à la connaissance du Comité lors des rencontres tenues avec les participants au système de justice. Dans le cas qui nous a été rapporté, l’impact de la prise de retraite du procureur, peu de temps avant le dépôt des accusations, aurait pu cependant être beaucoup moindre si on lui avait confié la responsabilité de certaines tâches importantes liées à l’examen ou au caviardage de la preuve, à sa divulgation ou aux conseils apportés aux enquêteurs, plutôt que de le placer en charge de la conduite des procédures devant le tribunal. Pour plusieurs intervenants agissant à titre de juges, enquêteurs ou avocats de la défense, le « roulement » important parmi les procureurs de la poursuite constitue un problème qui surgit trop souvent dans le déroulement des procès longs et complexes. Dans un seul dossier en particulier, le Comité a pu constater que quatorze membres de l’équipe de poursuite se sont succédé durant les trois années consacrées à la tenue du procès. C’est pourquoi le Comité est d’avis qu’un procureur de la poursuite qui se voit pressenti pour agir comme plaideur principal dans ce type de procès devrait obligatoirement

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dénoncer à ses supérieurs les circonstances prévisibles qui pourraient l’empêcher de remplir son mandat jusqu’à la fin du processus auquel il se voit demander de participer. Dans la même logique, les gestionnaires de la poursuite doivent éviter d’assigner d’autres dossiers aux plaideurs principaux déjà impliqués dans une cause longue et complexe, et accepter la nécessité de devoir désigner plus d’un plaideur chevronné pour pallier au départ involontaire du plaideur principal. En ce qui a trait à la magistrature, bien que l’affectation des juges relève de la seule compétence des autorités administratives du tribunal, il s’avère essentiel que la responsabilité de la conduite d’un procès, qui de façon prévisible comblera une portion importante du calendrier judiciaire, ne soit pas confiée à un juge sur la seule base de sa disponibilité ponctuelle au moment où il doit être procédé à cette désignation. Nous verrons à la section 11.3 consacrée au profil du juge appelé à agir dans un procès long et complexe que sa disponibilité à prendre un tel dossier ne doit être qu’un facteur parmi d’autres à considérer avant de lui confier ce mandat. Ce choix doit aussi être effectué en prenant en considération les projets ou les orientations de carrière que pourrait entretenir le juge pressenti pour cette tâche. Au même titre que l’accession à la magistrature d’un avocat déjà impliqué dans un long procès, la nomination du juge en charge d’une telle affaire à une cour supérieure ou d’appel est susceptible de causer un tort important au déroulement du procès et risque certainement de porter ombrage à la pertinence d’une telle nomination. Finalement, l’implication des juges de la Cour du Québec dans la gestion d’un dossier long et complexe, notamment lors des audiences liées à la tenue de l’enquête préliminaire, doit le moins possible être entravée par une pratique en cours à ce tribunal, qui voit leurs assignations être partagées dans plus d’une région administrative, rendant ainsi leurs présences sporadiques dans les districts où ils sont assignés à l’audition d’une affaire qui risque de nécessiter plusieurs jours ou semaines d’audience. Le report des audiences à des dates souvent très éloignées, en fonction du calendrier des affectations, empêche le déroulement continu de celles-ci, une caractéristique importante d’une affaire qui se transforme alors en un procès long et complexe. RECOMMANDATION : 4o– Que les autorités responsables de l’affectation d ’un participant à un dossier qui vraisemblablement nécessitera une longue périod e de temps avant sa conclusion devant le tribunal s’assurent de la disp onibilité de ce participant tout au long du processus judiciaire et qu’elles exigent des autres partenaires impliqués dans ce type de dossier un engagement sem blable en ce qui concerne les personnes qu’elles seront elles aussi appelées à désigner pour en assurer le bon déroulement.

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3 - L’ASSISTANCE APPORTÉE À L ’ENQUÊTE POLICIÈRE De nombreux rapports ou études portant sur la problématique des procès longs et complexes et sur les améliorations à apporter en vue d’en simplifier le déroulement font état de l’importance d’instaurer, dès le début de l’enquête policière, un climat de collaboration étroite entre les enquêteurs et la poursuite :

« Dans le contexte des affaires complexes de grande envergure, la collaboration étroite entre la police et la Couronne à l’étape antérieure au dépôt d’accusations se justifie bien au-delà des avis juridiques fournis sur les techniques d’enquête comme les mandats de perquisition, dispositifs d’écoute clandestine, agents d’infiltration […]. La Couronne a plutôt besoin d’engager très tôt le dialogue avec la police, sur la portée de l’enquête, ses objectifs et la thèse qu’elle entend établir. En d’autres termes, dans ces affaires de très grande envergure, la police a besoin d’une opinion préalable à l’accusation pour discerner la tournure éventuelle d’une poursuite réalisable, si elle doit avoir lieu à la fin de l’enquête. Il ne sert à rien pour la police de poursuivre une enquête confuse et éparpillée, comportant des centaines d’objectifs, si elle mène à une cause qui ne peut pas être instruite en raison du trop grand nombre d’accusés et de problèmes de divulgation insurmontables. [Note de bas de page omise] »18

Idéalement, la poursuite se devrait d’avoir le contrôle du déroulement du procès à venir bien avant que celui-ci ne s’enclenche. Pour ce faire, la communication doit s’établir dès le début de l’enquête entre les acteurs chargés de l’enquête et de la poursuite :

« […] Il n’est tout simplement pas réaliste, à l’ère moderne, de s’attendre à ce que la police et la Couronne travaillent dans un environnement cloisonné, comme c’était le cas à une certaine époque. »19

Cette question a fait l’objet d’importants commentaires par le juge James L. Brunton dans une décision20 portant sur une requête en arrêt des procédures où la défense invoquait que la poursuite avait adopté la théorie des policiers avant même d’analyser la preuve. Se référant au Rapport sur l’examen de la procédure relative aux affaires criminelles complexes21, au rapport final du Comité ad hoc du comité en droit criminel sur les mégaprocès22 du Barreau du Québec et au Rapport sur la prévention des erreurs

18 LeSage et Code, préc., note 3, p. 32. 19 Id., p. 30. 20 Auclair c. La Reine, 2011 QCCS 2661 [Auclair CS], conf. par R. c. Auclair, 2013 QCCA 671 [Auclair CA], conf. par R. c. Auclair, 2014 CSC 6 [Auclair CSC]. 21 LeSage et Code, préc., note 3, p. 25 et suiv. 22 Comité du Barreau, préc., note 6, p. 12 et suiv.

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judiciaires23, le juge Brunton a répondu au grief de la défense en jugeant qu’il y avait absence de preuve pouvant supporter l’inférence que les procureurs de la poursuite aient pu abandonner leur rôle traditionnel dans l’aide apportée aux policiers :

« [67] On se plaint de l’étroite collaboration entre policiers et procureurs, allant même jusqu’à partager les mêmes locaux pendant des mois avant les arrestations. La preuve a certainement démontré que c’était vrai, mais la Cour conclut que cette réalité était compréhensible compte tenu de l’ampleur du dossier. Les différentes études qui ont été produites par les requérants sont unanimes pour reconnaître que lorsqu’il est question de mégaenquêtes-mégaprocès, il est essentiel qu’il y ait une complicité accrue entre les enquêteurs et les procureurs. [Note de bas de page omise] »24

Le rôle de l’équipe de poursuite peut être particulièrement important à ce stade du dossier dans plusieurs situations telles que :

- le soutien dans la rédaction du précis d’enquête; - le conseil en ce qui a trait à la rédaction des affidavits au soutien d’une demande

à être adressée au juge de paix; - la préparation des témoins dits « spéciaux »25.

Une procureure d’expérience a commenté cet aspect du rôle joué par le poursuivant lors de l’enquête en ces termes :

« On ne doit pas chercher à les orienter dans leur enquête, sauf pour prévenir, par exemple, une saisie illégale. Notre préoccupation, c’est d’obtenir une preuve dont on pourra se servir devant le tribunal. »

Pour plusieurs procureurs de la poursuite ayant déjà conduit des procès longs et complexes, il est important pour le poursuivant d’être impliqué pendant l’enquête policière car il est très difficile de prendre charge d’un dossier seulement à l’étape des procédures judiciaires, d’autant plus que cette implication débute souvent au moment des perquisitions lorsque des objections à la saisie de documents qualifiés de « protégés » sont soulevées par les avocats du saisi ou que les médias demandent l’accès aux affidavits soumis au soutien des demandes de perquisition. Une enquête policière de longue haleine doit déboucher sur un procès qui doit demeurer gérable, ce qui nécessite que l’orientation de cette enquête soit discutée avec les autorités poursuivantes afin d’assurer la « viabilité judiciaire » de tout le processus.

23 Canada, Groupe de travail du Comité FPT des chefs des poursuites pénales, Rapport sur la prévention des erreurs judiciaires, Ottawa, ministère de la Justice, septembre 2004, 170 p. 24 Auclair CS, préc., note 20. 25 Voir Canada, Services des poursuites pénales du Canada, Guide du Service des poursuites pénales du Canada, ligne directrice 2.7 Le lien entre le procureur de la couronne et les organismes d’enquête, Ottawa, procureur général, septembre 2014, p. 10 (p. 117 du document PDF) [Guide du SPPC].

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Le poursuivant est alors en mesure de se familiariser avec le modus operandi des activités criminelles enquêtées et de préparer la théorie de la cause qui sera à la base des accusations éventuelles à être déposées. Il existe toutefois une ligne à ne pas franchir dans cette collaboration souhaitée des deux partenaires qui verrait le représentant de la poursuite perdre l’objectivité qu’il lui faut conserver à l’égard de la preuve accumulée par les policiers et en venir à assumer un rôle d’enquêteur. Le poursuivant n’a pas à participer aux réunions opérationnelles ou à assister aux rencontres qui se tiennent avec les informateurs ou les agents civils d’infiltration pendant le déroulement de l’enquête. Certains intervenants rencontrés ont soulevé des situations dans lesquelles les rôles de chacun n’auraient pas été correctement définis. Les enquêteurs doivent faire confiance aux poursuivants en ce qui a trait aux questions juridiques que peuvent faire naître les méthodes d’enquête, mais il n’appartient pas aux procureurs de la poursuite de cibler ou de diriger le plan d’enquête. Dans l’assistance qu’il est amené à apporter à l’enquêteur, il est permis au poursuivant de l’aider à identifier les failles juridiques du dossier, mais il ne doit pas participer à la collecte de l’information ou se charger de compléter la preuve au soutien de l’accusation. Il revient à l’enquêteur seul d’identifier les cibles de l’enquête et de décider des moyens auxquels il devra recourir pour la mener à terme. Mais, il serait mal avisé de ne pas chercher à obtenir l’avis de la poursuite, ou de rejeter ses conseils sans motif sérieux car une fois l’enquête criminelle complétée, il revient au procureur de la poursuite de décider des suites à lui donner. RECOMMANDATIONS : 5o– Que le Bureau de la grande criminalité et des aff aires spéciales du Directeur des poursuites criminelles et pénales soit saisi de l’existence de tout processus d’enquête criminelle ou pénale entrepris par les fo rces policières ou les organismes de régulation dès que ces derniers const atent que cette opération présente les caractéristiques normalement associées aux enquêtes à l’origine d’un procès long et complexe. 6o– Que le Bureau de la grande criminalité et des aff aires spéciales du Directeur des poursuites criminelles et pénales fournisse aux responsables de ces enquêtes d’envergure le support et le conseil jurid iques de façon à collaborer au déroulement ordonné et efficient des opérations pol icières menées lors de ces enquêtes en vue notamment d’aider à l’orientation d e l’enquête et faciliter l’admissibilité en preuve des informations ainsi re cueillies.

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4 - LA SPÉCIFICITÉ DES ENQUÊTES POLICIÈRES DE GRANDE ENV ERGURE En agissant à titre de participants à une enquête qui mènera de toute évidence à un procès long et complexe, les policiers entrent en possession d’une masse importante d’informations qui devra faire l’objet d’un traitement particulier de la part de l’équipe d’enquêteurs. Le plus souvent, ce type d’enquête débute par une phase de renseignements ou de dénonciations qui doivent être validés auprès de diverses sources de façon à en vérifier la fiabilité avant de décider de l’orientation à donner à l’enquête. La pratique développée par les différents corps de police au Québec laisse apparaître un manque d’uniformité dans la façon de présenter les résultats des enquêtes longues et complexes aux responsables des poursuites. Ces disparités dans la confection des rapports d’enquête rendent souvent difficile la bonne compréhension du dossier par les autorités poursuivantes et éventuellement par le fait même par le juge du procès ou les membres du jury. Un grand nombre de procureurs de la poursuite interrogés sur le contenu des rapports d’enquête policière ont rapporté avoir dû refaire des tableaux de preuve alors que ce travail relève de la responsabilité des enquêteurs au dossier. L’analyse de l’importante quantité de preuve propre aux enquêtes de longue haleine s’avère très souvent déficiente sinon carrément absente. Certains procureurs de la poursuite ont même été amenés à compléter ou, parfois, à rédiger eux-mêmes les précis des faits qui devraient accompagner la masse d’information portée à leur connaissance. Comme les enquêtes policières d’envergure s’échelonnent généralement sur plusieurs mois, voire plusieurs années, il est essentiel que la preuve documentaire recueillie soit présentée au poursuivant de manière ordonnée, compréhensible et surtout uniforme de façon à assurer la transition entre les moyens d’enquête utilisés et la stratégie de poursuite à établir. Il s’avère extrêmement improductif que les enquêteurs de police consacrent de longues périodes à la cueillette d’informations que le poursuivant ne pourra utiliser à moins d’être astreint à en refaire l’analyse, ce qui retarde de façon importante les décisions relatives au dépôt des dénonciations, alors que ce travail relève au premier chef des enquêteurs. Lorsqu’un corps de police ou une entité chargée du respect de la loi se lance dans l’examen d’activités criminelles commises à grande échelle, il leur faut absolument désigner un gestionnaire responsable de cette enquête, possédant une expérience reconnue en matière d’enquêtes majeures. Ce responsable de l’enquête , ou enquêteur principal, ne doit pas seulement être responsable de la désignation des enquêteurs qui se joindront à l’équipe, mais surtout, il doit se voir confier la responsabilité d’établir la stratégie d’enquête.

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Il devra aussi recevoir le mandat de collaborer avec le poursuivant dans l’élaboration à partir de la preuve, de la théorie de la cause à être éventuellement soumise au tribunal. 4.1 - Le profil des enquêteurs Le responsable de l’enquête doit obligatoirement être assisté d’enquêteurs chevronnés à qui les moyens techniques requis par l’ampleur de l’enquête à effectuer seront fournis. Ces enquêteurs doivent, de façon impérative, adhérer à la stratégie d’enquête arrêtée par ce gestionnaire de l’enquête. Tous les intervenants ayant vécu l’expérience des procédures judiciaires longues et complexes nous ont confirmé que pour mener à terme une enquête majeure et la traduire en une procédure judiciaire dont on pourra connaître l’issue dans un délai raisonnable, il est nécessaire que ses acteurs possèdent une expertise pointue en classement de la preuve documentaire et qu’ils aient accès aux outils permettant de la colliger, de l’analyser et de la présenter de façon compréhensible aux poursuivants, aux avocats de la défense ainsi qu’au tribunal. Le classement de cette preuve doit s’opérer dès le début de l’enquête et être confié à un gestionnaire de la preuve qui veillera au fur et à mesure à en assurer la conservation et à procéder à l’identification des informations bénéficiant d’une protection ou d’un privilège de confidentialité. Il sera aussi chargé de préparer la communication au poursuivant, selon un mode de présentation uniforme de toutes les informations en sa possession ou dont il connaît l’existence et à l’égard desquelles la divulgation s’avère obligatoire conformément aux règles de droit établies par les tribunaux. Finalement, des analystes de la preuve doivent être affectés au traitement des informations recueillies afin d’aider le poursuivant à déterminer l’identité des personnes à accuser et les dénonciations auxquelles celles-ci devront répondre devant le tribunal. 4.2 - La formation des enquêteurs Une enquête majeure s’avère avant tout un travail d’équipe. Les enquêteurs seront inévitablement amenés à échanger des informations entre eux, mais ils seront également appelés à partager celles-ci avec des intervenants externes, que ce soit des procureurs de la poursuite ou des partenaires associés à d’autres organismes de répression ou de régulation. Le responsable de l’enquête doit être en mesure de susciter l’adhésion de tous les enquêteurs appelés à l’assister et être capable de convaincre ceux à qui seront assignées des tâches moins glorifiantes de l’importance de préparer la preuve accumulée en vue de sa divulgation. Ce rôle présuppose non seulement de bonnes connaissances dans la gestion des personnes mais aussi, des habiletés reconnues en matière de gestion de projets.

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Comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, il est essentiel que la théorie de la cause soit exposée de façon claire afin d’en faciliter la compréhension par ceux qui auront à décider du verdict. Même s’ils n’agissent pas tous comme gestionnaires de la preuve au sein de l’équipe, tous les enquêteurs doivent être en mesure de comprendre, de classer dans un mode de présentation uniforme et d’analyser les preuves colligées afin de relier les auteurs des crimes à la commission des infractions. Ils doivent, en conséquence, être formés sur la façon de rédiger les rapports d’enquête de manière à exposer clairement les liens entre la preuve recueillie et les cibles de l’enquête. En outre, tous les policiers impliqués dans une enquête majeure doivent connaître les règles et les directives applicables à l’exécution de leurs fonctions ainsi que les éléments essentiels au type de délits sur lesquels ils enquêtent. Plusieurs poursuivants ont rapporté au Comité que beaucoup trop de policiers n’ont pas une connaissance minimale des règles de preuve applicables en matière criminelle. Il incombe au responsable de l’enquête de s’assurer que tous ses collaborateurs possèdent les connaissances suffisantes afin d’éviter les comportements susceptibles d’être jugés répréhensibles et qui pourraient compromettre l’issue du procès, alors que des efforts importants au niveau des ressources financières, matérielles et humaines auront été investis pour démanteler une organisation criminelle. C’est pourquoi le Comité est d’avis que les intervenants à une enquête majeure doivent recevoir une formation spécifique sur la façon de s’acquitter de leur mission dans la conduite des enquêtes d’envergure. Cette formation doit être dispensée en priorité à tous les enquêteurs assignés aux escouades chargées d’enquêter les crimes de corruption ainsi que les crimes perpétrés par les membres des organisations criminelles structurées. Elle doit viser, notamment, à les former sur les règles générales applicables en matière criminelle, mais surtout, à leur inculquer les notions de base relatives au traitement et à la gestion de la preuve documentaire, celle obtenue grâce aux moyens technologiques modernes tels que la surveillance électronique et la saisie des serveurs informatiques, la preuve nécessaire au soutien des accusations de fraude de grande envergure, afin de les rendre aptes à en faire un classement ordonné et compréhensible pour ceux qui seront chargés de mener les poursuites et ceux qui auront la tâche d’en évaluer la force probante. Une formation particulière axée sur la gestion de la preuve permettrait notamment d’intéresser à cette tâche importante de l’enquête majeure les policiers qui portent plus d’intérêt à l’analyse de la preuve qu’à sa collecte. Comme nous l’avons souligné au début de ce chapitre, le travail d’équipe qui caractérise le déroulement d’une enquête policière longue et complexe amène inévitablement ses acteurs à échanger avec des intervenants externes au corps d’enquête.

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Le Comité est d’avis qu’il serait extrêmement bénéfique aux autorités policières et au Directeur des poursuites criminelles et pénales d’organiser des formations conjointes sur le droit substantif et sur la présentation technique de la preuve, au cours desquelles les enquêteurs, les poursuivants, les analystes civils et les autres spécialistes (tels que vérificateurs fiscaux, juricomptables) seraient amenés à échanger sur leurs besoins, leurs connaissances, leur expertise et leurs contraintes. Cela les amènerait, entre autres, à comprendre le langage des autres partenaires ainsi que les méthodes d’enquête auxquelles ils ont recours. De tels échanges permettraient aussi une meilleure compréhension des rôles de chacun et amèneraient une connaissance plus pointue des difficultés auxquelles chacun est confronté. Bien qu’il ne soit pas absolument nécessaire que tous les membres d’une équipe d’enquêteurs aient reçu une formation spécialisée en droit criminel ou en procédure pénale, il pourrait être avantageux pour les organismes de répression et de régulation de favoriser le perfectionnement des connaissances en droit parmi leur personnel d’enquêteurs, en vue de recruter des responsables à qui pourrait être confiée la gestion des enquêtes d’importance menées contre la grande criminalité et dont le déclenchement prélève sur les fonds publics des sommes importantes à l’égard desquelles la population est en droit d’obtenir une reddition de comptes. 4.3 - Le plan d’enquête et le précis des faits Plusieurs poursuivants ayant été impliqués dans le cheminement de procédures criminelles longues et complexes ont rapporté au Comité que trop souvent les responsables des enquêtes éprouvent des difficultés à faire la synthèse des informations recueillies rendant ainsi difficile l’identification des projets de dénonciations en vue de les soumettre à l’appréciation des procureurs de la poursuite. Ces lacunes les amènent à se perdre dans une trop volumineuse documentation difficile à gérer et à analyser, rendant ainsi problématique la présentation d’une preuve structurée devant le tribunal. La raison principale de cet important obstacle au déroulement normal du procès provient de l’absence d’un véritable plan d’enquête ou de failles importantes dans son élaboration. Le responsable de l’enquête, à titre d’enquêteur principal, doit, dès l’amorce d’une enquête qui s’annonce longue et complexe, travailler à l’élaboration d’une vision stratégique qui permettra la confection d’un véritable plan d’enquête qui, à son tour, permettra l’établissement d’un véritable plan de poursuite. Aidé des membres de son équipe, à qui auront été confié des tâches spécifiques telles que le classement, l’analyse et la préparation de la divulgation de la preuve, il lui appartient de planifier les différentes phases de l’enquête.

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Il lui faudra ensuite présenter dès le début des opérations ce plan au poursuivant à qui aura été confié le rôle de gestionnaire de la poursuite, afin de permettre à ce dernier d’en évaluer les conséquences sur les ressources disponibles au sein du Directeur des poursuites criminelles et pénales. La confection d’un véritable plan d’enquête permet de donner une orientation à celle-ci et il cible les objectifs identifiés grâce à la réflexion stratégique effectuée en début de processus. Il préserve les enquêteurs de la tentation de ratisser trop large, d’enquêter dans trop de directions, de cibler trop de suspects, d’accumuler une preuve trop volumineuse, de saisir des serveurs informatiques dont la consultation ultérieure en vue de rechercher des éléments de preuve risque de s’avérer impossible, d’ouvrir trop de volets à l’enquête initiale, bref, de donner naissance à une enquête policière dont le suivi judiciaire sera trop difficile ou impossible à effectuer. Le responsable de l’enquête doit constamment s’assurer que l’enquête demeure à l’intérieur des limites fixées au début des opérations et qu’elle ne dévie pas, sauf circonstances particulières, des objectifs identifiés au moment de son déclenchement. Il s’avère de la plus haute importance d’imposer des limites à l’enquête policière si on veut s’assurer que le processus judiciaire qui en découlera puisse être mené à terme. Le responsable de l’enquête doit constamment garder à l’esprit que le procès ne constitue pas un événement isolé et indépendant en soi, mais qu’il incarne une suite logique à l’enquête policière. Celle-ci doit, dès son déclenchement, être orientée en fonction de la tenue éventuelle d’un procès et la stratégie adoptée pour la mener doit obligatoirement avoir été conçue, réfléchie et retenue en vue de rendre possibles son déroulement et sa conclusion à la suite d’un verdict prononcé par le juge ou le jury. Si, de l’avis du poursuivant, les ressources judiciaires ne sont pas disponibles pour traiter l’information susceptible d’être recueillie, l’orientation de l’enquête doit être revue et modifiée en conséquence. Certains poursuivants ont vanté devant le Comité les dossiers d’enquête menés par la Gendarmerie royale du Canada, estimant qu’ils constituaient des modèles de clarté et de précision, puisqu’on y retrouve bien expliquée la théorie de la cause ainsi que tous les éléments de preuve, de même que les informations complètes nécessaires à la prise de décision éclairée par le procureur de la poursuite. Les procureurs, à qui ces dossiers ont été présentés, avaient le sentiment, lors de la prise de connaissance des informations colligées dans ces rapports, de lire un roman dont il est possible de parcourir les hyperliens menant aux déclarations des témoins et aux autres éléments de preuve recensés. Les propos recueillis des poursuivants assignés à des mégaprocès se résument en peu de lignes en ce qui a trait à leurs attentes à l’égard des résultats de l’enquête policière qui se termine.

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Dans la demande d’intenter les procédures qui leur est présentée, ils souhaitent retrouver une identification détaillée des personnes visées par l’enquête, les chefs d’accusation suggérés par les responsables de l’enquête, un résumé compréhensible de la théorie policière élaborée ainsi qu’une analyse exhaustive de la preuve recueillie. Le précis des faits soumis par le responsable de l’enquête doit, en conséquence, être constitué d’un résumé succinct expliquant le modus operandi des activités criminelles enquêtées et des références à la preuve recueillie au soutien des accusations projetées. RECOMMANDATIONS : 7o– Que l’École nationale de police élabore, en colla boration avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales, une formation sp écifique destinée aux responsables des enquêtes portant sur la criminalit é organisée de façon à développer chez ces policiers l’expertise nécessair e sur les techniques de gestion de la preuve et sur les exigences légales entourant son admissibilité en preuve. 8o– Que des séminaires de formation sur les rôles et responsabilités des partenaires dans la gestion des enquêtes d’envergur e et des procès longs et complexes soient organisées conjointement par le mi nistère de la Sécurité publique et le Directeur des poursuites criminelles et pénales afin de favoriser une meilleure compréhension entre eux des besoins et co ntraintes auxquels ils sont confrontés dans l’exécution de leur mandat respecti f.

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5 - LA GESTION DES ÉTAPES ANTÉRIEURES AU DÉPÔT DES DÉNON CIATIONS Les tribunaux québécois appelés à se prononcer sur les questions juridiques soulevées dans les requêtes préliminaires ayant précédé le début du procès, suite à l’opération baptisée SharQc, ont dégagé des constats dévastateurs sur la manière dont la poursuite s’est acquittée de ses responsabilités en ce qui a trait à la préparation et au déroulement de cette affaire. Dans les décisions rendues par la Cour supérieure du Québec ou la Cour d’appel du Québec dans ce dossier, les juges ont critiqué sévèrement le comportement de la couronne face à l’important défi que comportait la mise en accusation de plus de 150 personnes regroupées dans un seul acte d’accusation. Dès 2011, le juge Brunton constatait « l’absence d’indication que [la poursuite] a sérieusement considéré l’impact et la gestion de l’A.D.D. sur l’administration de la justice avant de le présenter ou depuis »26. Le juge François Doyon de la Cour d’appel du Québec confirmait lui aussi que :

« [98] […] la poursuite [n’a fait] état d’aucun plan arrêté pour permettre de tenir ce procès dans des conditions acceptables. »27

Quant à la juge en chef de la Cour suprême, elle écrivait :

« [2] D’ailleurs, la poursuite n’avait conçu aucun plan réaliste pour que ces accusations donnent lieu à un procès et que celui-ci se déroule dans un délai raisonnable »28

Ainsi, lorsque le juge Brunton a évalué le dossier en 2015, il a réitéré ce qu’il avait retenu dès 2011 :

« [34] Comme la Cour l’a fait remarquer dans son jugement du 31 mai 2011, rien n’indique que [le poursuivant] a sérieusement considéré l’impact et la gestion de ce dossier avant de porter les accusations, ou depuis ce moment. »29

Au surplus, il a ajouté que :

« [36] […] La gestion de ce dossier démontre que [le poursuivant] a sérieusement sous-estimé la quantité de preuve qui devait être communiquée, que l’équipe [du poursuivant] ne maîtrisait pas, au début, la preuve qu’elle avait en main, qu’il y a eu un manque de leadership pour gérer les demandes de communication de

26 Auclair CS, préc., note 20, paragr.143. 27 Auclair CA, préc., note 20. 28 Auclair CSC, préc., note 20. 29 Beaulieu c. La Reine, C.S. Montréal (Ch. crim.), no 500-01-094385-132, 13 février 2015, j. Brunton.

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preuve ou les ordonnances de communication de preuve rendues par la Cour. »30

D’autres commentaires tirés de ces décisions font état d’un manque de préparation et de vision du poursuivant au moment de procéder au dépôt des accusations, allant même jusqu’à préciser que le laxisme de la couronne a contribué à ajouter au travail déjà volumineux devant être accompli par les avocats des défendeurs et par la cour pour s’approprier la connaissance de ce dossier31. Les difficultés éprouvées par le poursuivant dans la gestion d’une affaire complexe ont aussi fait l’objet de commentaires et de plans d’action ailleurs qu’au Québec. Dans son rapport déposé en 2010 portant sur l’attentat perpétré contre le vol 182 d’Air India, le commissaire Major cite l’analyse contenue au rapport déposé par les deux principaux plaideurs ayant agi comme poursuivant et avocat de la défense dans ce qui est encore considéré comme l’un des plus longs et plus dispendieux procès de l’histoire canadienne :

« [TRADUCTION] [...] un mégadossier devrait être considéré non seulement comme une poursuite, mais également comme un projet administratif d’envergure. »32

Dans la même veine, la Solicitor General de l’Angleterre et du Pays de Galles s’est adressé en 2005 aux membres du parlement à la suite de l’abandon par la poursuite des procédures dans une affaire de fraude très médiatisée, en raison des délais trop importants survenus au cours du procès. À cette occasion, elle a précisé que sur les 140 journées d’audience prévues pour se tenir devant jury, seulement 13 de ces journées ont vu les jurés être présents, en cour, en raison de la longueur des arguments juridiques débattus en leur absence. En vue d’éviter la répétition d’un semblable fiasco judiciaire décrié par une large partie de la population, la Solicitor General informa les députés que :

« I agreed with the DPP last year the need for more control and robust management of large cases. The DPP has responded by developing a system, which will see a case management panel, chaired by the DPP, to consider the management of very large cases. The panel will consider issues such as the selection of charges, the number of defendants, likely number and length of trials and selection of trial advocates. It will also monitor progress of the case and key case management decisions during its life [...]. [...] This will involve the DPP in more direct and substantial control over such cases. […] »33

30 Id. 31 Auclair CA, préc., note 20, paragr. 98 (j. Doyon); Beaulieu c. La Reine, préc., note 29, paragr. 53. 32 Commission d’enquête – Air India, préc., note 4, vol. 3 (Relation entre le renseignement et la preuve et particularités des poursuites antiterroristes), p. 316, citant Robert H. Wright, Michael Code, Air India Trial : Lessons Learned, Part I, p. 2.

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Les ressources humaines, matérielles et financières importantes consacrées par les forces policières à la lutte au crime organisé et le lourd fardeau de travail transféré au système de justice par la conclusion de ces enquêtes militent en faveur de l’instauration de véritables plans de gestion et de contrôle des affaires longues et complexes. Le Service des poursuites pénales du Canada s’est d’ailleurs doté d’une ligne directrice devant encadrer la gestion des causes majeures34. L’objet de cette ligne directrice :

« [...] sert principalement d’outil de gestion des risques juridiques, financiers et stratégiques liés aux causes majeures. Elle garantit ainsi une approche uniforme qui aide le directeur des poursuites pénales (DPP) à s’acquitter de sa responsabilité en matière de poursuites en formulant des recommandations précises sur la façon de gérer des causes majeures particulières. »35

Il s’avère essentiel que le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec adopte une véritable politique intégrée de gestion des causes longues et complexes à l’image des structures dont se sont dotées les organisations semblables au Canada et au Royaume-Uni. Le déroulement des procédures criminelles, anormalement longues et impliquant plusieurs accusés ou de nombreux chefs d’accusation, ne peut s’inspirer des performances offertes par les participants à une interprétation libre telle que nous y a habitué la Ligue nationale d’improvisation36. Par l’ajout37 au Code criminel en 2011 de dispositions prévoyant la désignation par le juge en chef d’un juge de gestion, particulièrement lorsqu’une affaire s’annonce longue et complexe, le législateur a reconnu que certaines affaires nécessitent un traitement différent de celui accordé à la très grande majorité des dossiers déposés devant les cours criminelles. Les autorités responsables des poursuites criminelles au Québec doivent emboîter le pas, en instaurant un mode de gestion particulier dans le traitement des dossiers complexes dont ils sont saisis par les forces de l’ordre. 5.1 - Le gestionnaire de poursuite La coordination des ressources financières, matérielles et humaines consacrées au déploiement d’une stratégie partenariale, destinée à mettre un frein aux activités illicites d’une ou de plusieurs personnes en vue de les conduire devant le tribunal criminel pour

33 R-U, HC, Written Ministerial Statements, vol. 432, part 60, col. 78WS (23 mars 2005) (Ms Harriet Harman). 34 Guide du SPPC, préc., note 25, ligne directrice 3.1 La gestion des causes majeures, p. 165 du document PDF. 35 Id., p. 3 (p. 167 du document PDF). 36 Institut théâtrale québécoise fondée en 1977. 37 Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès), préc., note 15.

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y répondre de leurs actes, incombe au poursuivant en vertu du chapitre II de la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales38. Parmi toutes les responsabilités associées à l’exercice de son mandat de diriger au nom de l’État les poursuites criminelles au Québec, il doit, au premier chef s’assurer que les :

« [81] [...] [mesures ont] été prises par l’État pour permettre la tenue des procès dans des conditions raisonnables. »39

Pour se décharger de ce mandat dont la réalisation est essentielle au maintien de la confiance de la population envers notre système de justice criminelle, il lui faut pouvoir s’appuyer sur une structure souple, efficace et acceptée par tous les partenaires avec qui il lui faut s’associer pour mener à terme la procédure judiciaire initiée par le travail d’enquête des forces de police. Bien que la ligne directrice du Service des poursuites pénales du Canada portant sur la gestion des causes majeures40 puisse fournir beaucoup d’informations utiles pour assurer le déroulement ordonné d’un procès long et complexe, le Comité préconise une approche plus centrée sur la nécessité d’inculquer une plus grande implication des gestionnaires dans la préparation et le déroulement d’une affaire longue et complexe, tout en maintenant l’autonomie dont doivent continuer de bénéficier les plaideurs dans les décisions de poursuivre et de mener une poursuite. Le Comité est d’avis qu’un gestionnaire de la poursuite doit se voir confier par le Directeur des poursuites criminelles et pénales la responsabilité de s’assurer, sous la supervision de ce dernier, qu’une enquête policière d’envergure pourra se conclure par un verdict prononcé à la suite de la tenue d’un procès dont la durée et les difficultés inhérentes associées à son déroulement auront fait l’objet d’une appréciation réaliste et préalable au dépôt des accusations, après considération des risques juridiques et financiers associés à cette démarche judiciaire. Pour s’assurer de l’atteinte de cet objectif de voir les procédures se conclure par l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité par l’accusé ou par un verdict du juge ou du jury, le gestionnaire de poursuite devra obtenir la collaboration constante de tous les participants à l’enquête policière, devenue à la suite des arrestations, un processus judiciaire mené par la poursuite. Il lui faudra, avant tout, agir en étroite communication, non seulement avec le responsable de l’enquête chargé du dossier, mais aussi avec les supérieurs de ce dernier. La magistrature et les responsables des services de justice devront reconnaître en lui le responsable de la logistique du procès. À l’occasion, il jugera nécessaire de saisir le Directeur des poursuites criminelles et pénales de difficultés particulières rencontrées dans l’accomplissement de son mandat

38 RLRQ, c. D-9.1.1. 39 Auclair CA, préc., note 20 (j. Doyon). 40 Guide du SPPC, préc., note 25.

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afin que ce dernier évalue l’opportunité d’intervenir auprès des autres entités gouvernementales (ministères, agences, services de police, organismes chargés de l’affectation et du contrôle des dépenses) pour que le procès se déroule dans des conditions propices à sa conclusion dans des délais raisonnables. La responsabilité du dossier devra lui être confiée au tout début de l’enquête policière, idéalement à l’étape d’une demande visant l’obtention d’une autorisation d’intercepter les communications privées des cibles de l’enquête, lorsque ce moyen d’enquête est recherché par le corps de police. Son implication, dès le départ, comme mandataire de l’écoute électronique, pourra lui permettre de s’approprier rapidement une bonne connaissance de l’ampleur prévisible de cette enquête et des résultats escomptés, lui facilitant ainsi l’évaluation des risques juridiques et financiers associés à ce type de poursuite. Il sera chargé d’identifier, à la lumière des renseignements que lui fourniront l’enquête policière et l’affidavit au soutien de la demande d’autorisation d’écoute électronique, le profil du plaideur à qui sera confiée la responsabilité de juger de la force probante de la preuve recueillie et de la pertinence de déposer les accusations. Il devra s’assurer que le plaideur choisi est entouré d’une équipe de juristes et de techniciens capables de soutenir la cadence et la complexité du processus judiciaire enclenché par la décision de poursuivre. Dans les affaires spécialement complexes, et dont la durée s’annonce particulièrement longue, malgré la préparation importante qu’on entend y apporter, la désignation d’un deuxième plaideur principal, capable de prendre la relève du responsable de la poursuite en cas d’imprévus, s’avère une mesure essentielle. Une fois cette équipe en place, il devra maintenir une communication constante avec celle-ci à l’aide de rencontres d’information visant à évaluer la progression de l’affaire et à procéder aux ajustements nécessaires, tant au niveau des responsabilités confiées qu’à l’égard de la stratégie arrêtée au départ de l’opération. Si, selon son appréciation, les ressources nécessaires au soutien de l’enquête policière ou du procès à tenir ne sont pas disponibles, il lui incombera d’expliquer aux partenaires les raisons justifiant que l’enquête soit revue et modifiée en conséquence. Dans l’élaboration d’une stratégie visant à assurer la gestion d’une enquête policière longue et d’un procès complexe, il n’est pas suffisant d’adopter un plan d’enquête et de poursuite uniquement axé sur la cueillette de la preuve. Les personnes chargées d’une affaire qui, manifestement, nécessitera la tenue d’un long procès ont l’obligation de prendre en considération la capacité du système judiciaire à mener à terme cette opération. Pour le poursuivant en particulier, une absence de préoccupation à cet égard constitue un manquement à son devoir d’officier de justice. L’importance du rôle à être joué par le gestionnaire de poursuite et la nature des décisions parfois difficiles qu’il lui faudra faire accepter par les partenaires au dossier, nécessitent que son statut au sein de l’organisation responsable des poursuites soit celui d’un procureur en chef ou d’un procureur en chef adjoint possédant l’autorité et les

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qualités requises pour s’assurer que la prise de décisions justes soit comprise et respectée de tous. Pour l’aider dans l’accomplissement de son rôle de coordination et de gestion d’un procès long et complexe, le gestionnaire de poursuite devra pouvoir compter sur l’appui de la haute direction de toutes les entités partenaires dans le projet d’enquête et de poursuite que sont les forces de l’ordre et le Directeur des poursuites criminelles et pénales. Concrètement, ce gestionnaire doit être en mesure, lorsque cela sera nécessaire, de référer les partenaires aux engagements pris de part et d’autre lorsque la décision fut prise de s’engager dans une opération d’une telle envergure. 5.2 - Le protocole de poursuite Puisqu’un mégaprocès, comme l’ont décrit les principaux plaideurs dans l’affaire d’Air India, revêt toutes les caractéristiques d’un projet administratif d’envergure41, il s’avère primordial que sa mise en œuvre soit précédée d’un engagement clair et contraignant de tous les partenaires à ce qu’il soit conduit selon les paramètres dégagés et acceptés au départ par tous. Tout projet de quelque nature que ce soit nécessitant l’injection de fonds importants doit faire l’objet d’un plan d’affaires avec des objectifs précis et après considération des risques associés à son développement. Les partenaires d’un tel projet doivent obligatoirement y définir les besoins nécessaires à sa réalisation ainsi que les limites de leur engagement. La décision de s’engager dans un processus d’enquête et de poursuite, qui obligera l’État à y injecter des sommes importantes totalisant souvent plusieurs millions de dollars, doit nécessairement être précédée de la signature d’un protocole de réalisation par l’ensemble des partenaires. L’expérience éprouvée par ceux et celles qui ont eu à agir dans un mégaprocès les amène à plaider fortement en faveur d’une collaboration étroite de tous les acteurs dès le début du processus d’enquête. Des règles d’engagement doivent être élaborées dans un contrat de réalisation afin d’établir une compréhension commune de tous les partenaires au projet d’enquête et de poursuite dans lequel ils sont disposés à s’engager. L’établissement d’un tel protocole permet notamment de faire ressortir les points forts et les difficultés liées à la réalisation du projet. Les règles doivent préciser le comportement attendu de chacun des partenaires ainsi que les obligations auxquelles ils devront se conformer.

41 Supra, note 32.

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Le protocole de poursuite devra prévoir, de manière non exhaustive, les éléments suivants :

• Le partage des coûts et des responsabilités qui auront été négociés et conclus dès le début du processus;

• L’identité des ressources humaines qu’entendent consacrer de part et

d’autre les partenaires à la réalisation du projet ainsi que les mesures envisagées pour assurer leur disponibilité et au besoin leur relève pour la durée totale de l’affaire;

• Le partage spécifique des responsabilités en matière de divulgation de la

preuve; • Le niveau décisionnel auquel les responsables devront soumettre

l’arbitrage de tout différend pouvant surgir en cours de réalisation; • Les délais de livraison des rapports d’enquête, précis des faits, résumés

de preuve ou de toute documentation nécessaire à la divulgation de la preuve ou à la tenue du procès;

• L’énumération des expertises requises pour supporter la preuve à être

présentée par la poursuite ainsi que l’entité responsable d’en défrayer les coûts;

• Un échéancier de rencontres des partenaires en vue de procéder à des

évaluations périodiques de la progression du dossier ainsi qu’à la résolution des difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés.

Le protocole de poursuite doit, au surplus, reconnaître de façon explicite que la décision de déposer des dénonciations devant la cour, le moment pour procéder à un tel dépôt, ainsi que le nombre et l’identité des personnes concernées par celles-ci relèvent de la seule autorité du poursuivant après consultation des responsables de l’enquête. Finalement, il doit être compris à la lecture du protocole que toute demande adressée à un juge visant la délivrance d’un mandat de perquisition doit, au préalable, avoir fait l’objet après discussion entre l’enquêteur et le plaideur chargé du dossier d’une autorisation par ce dernier, puisque la délivrance d’un mandat de perquisition dans une enquête longue et complexe entraîne habituellement le poursuivant dans un débat juridique qui risque également d’être long et complexe. En vertu des règles actuelles42 énoncées au Code criminel canadien, l’obtention d’un mandat de perquisition autorisant un policier à pénétrer et fouiller un lieu où il croit pour des motifs raisonnables que s’y trouve une preuve liée à la commission d’un crime n’est généralement précédée d’aucune autre formalité que celle de la production d’un affidavit du policier au soutien des prétentions demandant au juge de paix de délivrer le mandat.

42 Article 487 et suiv.

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Ainsi, lorsqu’une telle demande concerne la fouille d’un domicile ou d’un bâtiment occupé ou utilisé par une personne soupçonnée d’avoir commis un crime, la recherche d’éléments de preuve à ces endroits, sur la base de la délivrance du mandat, ne risque pas de soulever un débat très long devant la cour si les motifs contenus à l’affidavit ont été exposés clairement, surtout si la personne concernée par la perquisition n’a pas agi dans un contexte de criminalité organisée. Par ailleurs, le Code criminel et certaines lois connexes prévoient des situations où la nécessité de procéder à la délivrance d’une autorisation de fouille et de saisie doit, au préalable, être portée à la connaissance du procureur général afin d’obtenir son autorisation ou celle de son représentant avant de s’adresser au juge de paix. Bien que la perquisition à être effectuée dans les locaux d’une entreprise ne fasse pas partie des situations où le consentement du procureur général soit requis avant de s’adresser au juge de paix, il est devenu de plus en plus fréquent d’assister à des débats juridiques extrêmement longs et complexes lorsque la délivrance d’un mandat de perquisition concerne la fouille d’un serveur informatique d’une entreprise ou d’une organisation43. Des contestations soulevant des questions de privilège freinent alors sérieusement, et pour de longues périodes, la progression de l’enquête policière et la procédure criminelle actuellement prévue pour le traitement des requêtes de type Lavallee44 n’est pas adaptée à ce genre de contestation. Pour ces raisons, il s’avère essentiel qu’en cette matière, la demande d’autorisation visant la perquisition de locaux administratifs fasse d’abord l’objet d’une présentation aux conseillers juridiques affectés à une enquête policière pour que ces derniers se prononcent sur sa pertinence et sa portée. 5.3 - Les enjeux des perquisitions informatiques Il n’y a pas si longtemps, on considérait le papier comme le support naturel de presque toutes les informations prenant la forme d’un écrit. Aujourd’hui, le support numérique est la norme. La plupart des écrits, en particulier dans les organisations, sont conçus directement à l’aide d’un ordinateur : terminal, ordinateur de table, ordinateur portable, tablette électronique, téléphone intelligent, etc. Le support numérique constitue alors, pour ainsi dire, l’original de l’écrit, la « meilleure preuve ». On le dit « dématérialisé » ou « virtuel » parce que la nature du support (la mémoire d’un appareil électronique) réduit au maximum les contraintes matérielles, spatiales et temporelles45.

43 Voir R. c. Construction De Castel inc., 2014 QCCA 1125. 44 Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, 2002 CSC 61 [Arrêt Lavallee]. 45 L’information est gardée en mémoire sous forme d’une suite de « 1 » et de « 0 » (le fichier) dont un ordinateur peut extraire les données intelligibles et qu’il peut traiter, copier et échanger à volonté, pourvu que l’utilisateur dispose des bons algorithmes et, le cas échéant, d’une clé de cryptage.

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Si le support numérique, en quelques années à peine, a supplanté le papier, c’est qu’il permet aux organisations de sauvegarder des informations presque sans contrainte de volume et de temps. Dans un environnement numérique, les écrits ne seront imprimés qu’au besoin, en théorie, mais l’expérience montre que les organisations ne parviennent pas toujours à réduire le volume de papier consommé par leurs imprimantes, même si elles s’y efforcent. La consommation résiduelle de papier, à vrai dire, est un symptôme que le passage au support numérique modifie profondément les méthodes de travail à tous les échelons. Le but poursuivi par l’organisation qui implante une technologie informatique n’est pas, en soi, de remplacer le papier. L’organisation veut d’abord que le passage au numérique lui apporte un gain de productivité. À l’aide de la technologie, on s’attend à pouvoir faire des choses qu’on pensait auparavant, sans jeu de mots, impossibles sur papier. En général, les méthodes nouvelles de travail qu’entraîne le passage au numérique amènent le personnel à produire, traiter et échanger beaucoup plus d’écrits qu’autrefois. Il arrive souvent que les différentes versions d’un écrit, tout au cours du travail, circulent abondamment et à tous les paliers hiérarchiques. Les fichiers se multiplient et s’accumulent. Les organisations tendent à les sauvegarder quasi indéfiniment dans les dossiers, les boîtes aux lettres, les banques de données, etc. qui occupent la mémoire des multiples appareils laissés à l’usage du personnel ou dans la mémoire, gigantesque, de serveurs locaux ou délocalisés (le « nuage »). Les technologies permettront de retrouver, avec une efficacité parfois surprenante, diverses informations témoignant de la vie de l’organisation de façon beaucoup plus simple, complète et rigoureuse que le support papier. En somme, à partir d’innombrables fichiers numériques et des « métadonnées » qui s’y cachent, il est aujourd’hui possible d’envisager de reconstituer le détail de la vie d’une organisation avec une efficacité sans précédent. Il est inévitable que les enquêteurs s’intéressent à cette masse de preuves, et qu’ils demandent des mandats de perquisition pour y avoir accès. Ils y seront amenés toujours davantage, n’en doutons pas. Les enquêteurs le seront d’autant plus que la technologie leur apporte, à eux aussi, des gains de productivité de nature à permettre aux corps de police et aux organismes de réglementation (l’Agence du revenu du Québec, l’Autorité des marchés financiers, le Directeur général des élections, etc.) de planifier des enquêtes beaucoup plus ambitieuses. Il n’y a pas de limite théorique au nombre d’enquêteurs que ces organisations peuvent affecter à une enquête de grande envergure. La technologie donne aux équipes d’enquêteurs spécialisés la capacité de recueillir des millions et des millions de fichiers, nécessitant souvent des téraoctets de stockage (10 exposant 12 octets). Un jour ou l’autre, la masse d’information recueillie à l’enquête devra traverser, en temps utile et sans retard, le « goulot d’étranglement » logistique et juridique que représentent, à l’étape des procédures judiciaires, la divulgation de la preuve et le procès. Il est inhérent à la procédure criminelle et pénale que le volume de preuve divulgué à chaque accusé et à son avocat, en vertu de l’arrêt Stinchcombe46, soit accessible à l’entendement humain. De même, il est inhérent à la fonction de juger d’être exercée

46 R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326.

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personnellement, de sorte que le volume de preuve à instruire au procès doit rester accessible à l’entendement humain. Les mégaprocès n’y dérogent pas. En fait, le Comité n’a pas manqué de constater que le « goulot d’étranglement » logistique et juridique que représente la nécessité de divulguer et d’instruire un volume gigantesque de la preuve accumulée constitue le principal risque de fin prématurée des procédures longues et complexes, avant que le système de justice arrive au verdict. Pour s’en persuader, rappelons ce passage de l’arrêt Auclair, où la Cour d’appel donne une idée du volume de preuve dépassant l’entendement que le Directeur des poursuites criminelles et pénales devait parvenir à divulguer aux quelques 150 défendeurs accusés dans la foulée du projet SharQc :

« [7] [...] Ces accusations couvrent une période de près de 20 ans et sont le résultat de plus 70 enquêtes policières, le tout d’une ampleur sans précédent(4) [Le juge de première instance fait état de 4 341 666 fichiers, 3 097 649 pages PDF, 24 446 fichiers audiovisuels, 2 300 000 résumés de conversations interceptées électroniquement]. Selon le témoignage non contredit d’un des intimés, il faudrait, au rythme de 24 heures par jour, 7 jours par semaine, plus de 7 ans pour prendre connaissance de cette preuve. Si toutes les pièces devaient être imprimées, elles constitueraient une colonne s’élevant à 145 km, l’équivalent de 371 Empire State Buildings. [...] »47

S’il est inévitable que les enquêteurs sollicitent de plus en plus des mandats de perquisition visant à accéder à la mémoire des serveurs d’une organisation et des ordinateurs de son personnel, le Comité a déjà souligné dans ce chapitre l’importance que de tels mandats soient conçus avec le plus grand soin, de concert avec le poursuivant, de manière autant que possible à cibler les fichiers à saisir et à en restreindre le volume. Mais, ce n’est pas suffisant. L’intérêt de l’administration de la justice exige une meilleure intégration du processus de délivrance des mandats de perquisition informatique et du processus technique d’extraction des fichiers à saisir. Il faut être conscient qu’un accès par les enquêteurs aux informations conservées sur un support numérique est souvent indispensable pour prouver certaines activités illégales. Pensons à la « cybercriminalité » ou aux infractions de nature économique, par exemple, la fraude et toutes ses variantes en matière fiscale ou dans la réglementation des marchés financiers et des marchés publics. Pensons aux enquêtes de l’Agence du revenu du Québec et de l’Autorité des marchés financiers, sans oublier les escouades économiques des corps de police. Le Comité retient en outre que les enquêteurs de l’Unité permanente anticorruption, peut-être les plus actifs au Canada dans la lutte à la collusion et à corruption, sont régulièrement autorisés par les juges de paix à procéder à des perquisitions visant la mémoire des serveurs d’entreprises, de sociétés professionnelles ou d’organismes publics.

47 Auclair CA, préc., note 20 (j. Doyon).

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Pourvu qu’on cherche à saisir des papiers, la procédure que les enquêteurs doivent suivre pour obtenir un mandat de perquisition existe depuis longtemps, et elle est assez bien rodée. Il s’agit alors de prévoir une perquisition dans le lieu physique précis où l’on pourrait découvrir sur place les papiers (par exemple, dans un tiroir ou quelque part dans les dossiers d’un classeur). Il va sans dire que le système de justice a l’habitude du papier. Les enquêteurs examinent les lieux, ouvrent les tiroirs, mais on ne s’attend bien sûr pas à ce qu’ils saisissent tous les classeurs, avec tous les papiers qui se trouvent. On s’attend à ce que les enquêteurs soient en mesure, sur place, de tamiser les papiers à saisir. Quand le détenteur d’un document prétend que le secret professionnel de l’avocat empêche les enquêteurs de saisir un écrit, ce dernier sera isolé des autres. Au besoin, un syndic adjoint du Barreau du Québec ou de la Chambre des notaires peut même se rendre sur les lieux, en particulier pour assurer une représentation adéquate des intérêts des clients d’un professionnel du droit dont les enquêteurs s’apprêtent à saisir, en vertu du mandat, certains dossiers. Les enquêteurs, sans prendre connaissance du détail des écrits en cause, les placeront dans une enveloppe scellée, jusqu’à ce que la Cour supérieure, dans le cadre d’une requête de type Lavallee48, détermine si un privilège s’oppose réellement à la saisie. En 2002, dans l’arrêt Lavallee49, la Cour suprême a déclaré le caractère inopérant de l’article 488.1 du Code criminel, se contentant d’énoncer, dans l’attente d’une nouvelle législation fédérale, quelques « lignes directrices » sur la façon de respecter le secret professionnel quand une perquisition a lieu dans le cabinet d’un avocat. À ce jour, douze ans après cet arrêt, le Parlement du Canada n’a encore adopté aucune loi nouvelle pour remplacer ces lignes directrices par une procédure plus élaborée. L’expérience montre en outre que la technologie complique les choses. D’une part, nous l’avons évoqué, le passage au support numérique tend en général à augmenter le volume d’écrits produits et échangés par le personnel d’une organisation à tous les paliers hiérarchiques. La technologie tendra naturellement à augmenter le volume d’écrits où le secret professionnel de l’avocat pourrait être invoqué (certaines personnes, par exemple, ont pris l’habitude de faire suivre à leur avocat, en « copie conforme », leur courrier électronique). D’autre part, nous l’avons également évoqué, le recours généralisé aux technologies de l’information permet aux enquêteurs d’espérer obtenir des mandats de perquisition très ambitieux de manière à reconstituer le détail, ou à tout le moins une trace, de presque toutes les activités d’une organisation ou des utilisateurs d’un appareil électronique, y compris des activités suspectes. Certains ont fait remarquer au Comité qu’une partie de la difficulté d’adapter le processus de perquisition au support numérique est d’ordre conceptuel. La saisie d’un disque dur n’est pas analogue à la saisie, par exemple, d’une arme de poing. La

48 Cette requête est présentée conformément « aux lignes directrices » établies par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lavallee, préc., note 44, paragr. 49. 49 Id.

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mémoire du disque dur s’apparente davantage au lieu, virtuel plutôt que physique, visé par le mandat de perquisition. Dans cette perspective, la perquisition n’est pas achevée par la prise de possession du disque dur. En réalité, la perquisition commence quand des techniciens parviennent à accéder à la mémoire du disque dur, et à explorer ce lieu virtuel pour y retrouver, un peu comme s’il explorait une salle où il y a des classeurs, les fichiers que l’objet du mandat de perquisition autorise les enquêteurs à saisir. En l’absence d’une législation valide, rien n’édicte ce que l’autorité saisissante doit faire si elle tombe sur des documents privilégiés lors de l’exécution d’un mandat de perquisition. En vertu des lignes directrices de l’arrêt Lavallee50, la Cour supérieure qui agit comme arbitre ultime favorise la conclusion d’un protocole de protection du secret professionnel entre l’autorité saisissante et celui qui soulève le privilège générique découlant du secret professionnel. Ainsi, lorsque des clients ou des avocats soulèvent le privilège générique découlant du secret professionnel, le syndic du Barreau peut être amené à se présenter sur les lieux de la perquisition. Lorsqu’il s’agit de la perquisition d’un disque dur, on s’assure que ce qui est saisi est copié sur support informatique et placé sous scellé entre les mains du shérif. Une requête pour accéder aux biens saisis doit alors être déposée par l’organisme responsable de l’enquête et les parties vont chercher à conclure un protocole de protection qu’ils déposeront devant la Cour supérieure. Cette dernière, en vertu de son pouvoir général de surveillance, peut valider les gestes des parties en s’assurant que le secret professionnel est préservé. Il faut convenir qu’en l’absence d’amendement législatif, la procédure actuelle s’avère lourde, couteuse et retarde de façon significative les enquêtes criminelles en cours. Seul un agent de la paix peut agir selon un mandat de perquisition émis en vertu du paragraphe 487(1) du Code criminel. Ce mandat de perquisition est émis par un juge de la Cour du Québec ou par un juge de paix magistrat. Au Québec, où l’Unité permanente anticorruption, en particulier, obtient régulièrement des mandats de perquisition informatique, il revient à la Cour supérieure de compléter au fil du temps, cas par cas, les quelques lignes directrices avancées dans l’arrêt Lavallee51. Des cas récents font ressortir les difficultés d’ordre pratique soulevées, dans ce contexte, par le secret professionnel de l’avocat. La Cour supérieure prévoit la négociation systématique d’un « protocole » entre les responsables de l’enquête et l’organisation touchée par le mandat de perquisition informatique. Ce protocole, favorisé par la Cour supérieure, prévoit la désignation, ad hoc, du « technicien » (par exemple, un technicien du module technologique de la SQ, pourvu qu’il n’ait aucun lien avec l’enquête), d’un « avocat indépendant », d’un « arbitre » et, au besoin, d’un « ami de la cour » (amicus curiae). Les parties au protocole peuvent convenir des délais impartis à ces personnes et des différents serments qu’elles devront prêter.

50 Id. 51 Id.

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Aux termes du protocole, le technicien doit procéder, dans le délai imparti, à la cueillette sur place des fichiers visés par le mandat de perquisition et à différentes manipulations de ces fichiers, sans jamais accéder à leur contenu. Il s’agit de classer les fichiers, de les formater et d’ajouter un moteur de recherche par mot-clé. Il faut également isoler les fichiers où le secret professionnel de l’avocat est invoqué dans un disque séparé, destiné à un « arbitre ». Le technicien pourra isoler les autres fichiers dans un disque séparé et les remettre dès que possible aux enquêteurs. L’avocat indépendant est chargé de surveiller le technicien, notamment pour s’assurer qu’il n’accède jamais au contenu des fichiers. Quant à l’arbitre, il est chargé d’entendre les intéressés, d’accéder au besoin au contenu des fichiers où le privilège est invoqué et d’isoler dans un disque séparé destiné à la Cour supérieure tous les fichiers où un différend subsiste quant au privilège. Cette description illustre cependant la lourdeur de la procédure élaborée. L’obligation de négocier et de convenir d’un protocole est susceptible d’entraîner des délais difficiles à justifier dans le cours d’une enquête de police. Tout différend sur les clauses du protocole doit être déféré à la Cour supérieure, ce qui est également susceptible d’entraîner des délais. Le choix du technicien est laissé aux parties au protocole, ce qui est peu commode, alors que les exigences de la conduite efficace d’une perquisition se prêtent mal, en théorie, à une procédure consensuelle. Selon le Comité, les rôles respectifs de l’avocat indépendant et de l’arbitre pourraient être fusionnés, sans compter que le protocole n’a pas à attribuer à cet arbitre un véritable pouvoir décisionnel. Tout fichier où subsiste un différend sur le privilège, après son intervention, doit être soumis à la Cour supérieure, qui le tranchera à la suite d’un examen de novo. Le Comité estime que la lourdeur de toute cette procédure est évitable, dans la mesure où elle résulte, pour l’essentiel, d’un manque de ressources spécialisées au sein même du système de justice. Autrement dit, c’est le manque d’officiers relevant directement du tribunal et ayant une expertise suffisante dans le domaine des technologies de l’information qui contraint les parties à désigner des tiers ad hoc pour agir comme « avocat indépendant » et « arbitre ». Ce mode de désignation ad hoc ne favorise pas le développement de leur expérience et de leur expertise technique. De l’avis du Comité, il serait plus commode que les fonctions actuellement dévolues à l’avocat indépendant et à l’arbitre soient confiées nommément au juge de paix magistrat spécialisé ayant procédé à l’examen et à la délivrance du mandat de perquisition. Le nombre et la grande complexité des enjeux soulevés par les mandats de perquisition informatique commandent que leur délivrance relève d’un groupe spécialisé de juges de paix magistrats52, ayant l’expérience et l’expertise technique nécessaires. Le Comité estime que la Loi sur les tribunaux judiciaires53 pourrait être modifiée en vue de permettre à ces juges de paix magistrats de superviser étroitement le processus d’extraction des fichiers à saisir. Il s’agit de veiller à la célérité, à la rigueur et à

52 Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, c. T-16, art. 161 et suiv. 53 Id, art. 169.

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l’exhaustivité de ce processus. Il s’agit également de veiller, dès la saisie, que les techniciens responsables d’extraire les fichiers visés par le mandat les reproduisent sur le disque remis aux enquêteurs, dans un format numérique qui garantit leur intégrité et de nature, éventuellement, à favoriser leur analyse efficace et rapide par les acteurs du système de justice, notamment les procureurs du Directeur des poursuites criminelles et pénales, d’éventuels accusés et leurs avocats. Actuellement, les juges de paix magistrats exercent exclusivement leurs fonctions auprès de la Cour du Québec54. Il y aurait donc lieu d’habiliter expressément ces personnes à agir, aux fins spécifiques de superviser le processus d’extraction des fichiers saisis lors d’une perquisition informatique, en qualité de « fonctionnaire du tribunal » au sens des dispositions du Code criminel qui habilitent la Cour supérieure du Québec à établir ses règles de procédure. À cette fin spécifique, ces personnes relèveraient de la Cour supérieure. En conséquence, il y aurait lieu de modifier les Règles de procédure de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle (2002)55. 5.4 - Les mandats autorisant l’interception de comm unications privées La très grande majorité des enquêtes policières d’envergure menées à l’encontre des activités illégales de la criminalité organisée tablent sur l’interception des communications échangées entre les complices pour rassembler les preuves susceptibles de conduire à un verdict de culpabilité. L’obtention des autorisations judiciaires permettant l’interception de ces communications constitue souvent l’une des premières démarches effectuées par l’équipe des enquêteurs lorsqu’ils ont des motifs raisonnables de croire que les personnes dont on veut intercepter les communications privées commettent des infractions criminelles dont il sera difficile de faire la preuve sans avoir recours à ce moyen d’enquête. Avant de pouvoir procéder aux interceptions, les enquêteurs doivent obligatoirement convaincre le Procureur général du Québec ou son mandataire de présenter une demande à un juge en vue de l’obtention d’une autorisation d’interception. Il s’agit de l’un des rares cas où les forces policières doivent obtenir le consentement d’une tierce personne avant de recourir à un moyen d’enquête qu’elles estiment nécessaire à l’obtention de preuves de la commission d’une infraction. 5.4.1 - L’implication du gestionnaire de la poursui te L’interception de communications privées sur une période pouvant aller jusqu’à plusieurs mois est évidemment de nature à permettre la cueillette d’informations non seulement pertinentes pour l’enquête en cours mais également et surtout, de fournir un volume impressionnant de communications dont il faudra par la suite faire l’analyse en vue de leur divulgation et éventuellement, de leur dépôt en preuve lors des procédures judiciaires.

54 Id. 55 TR/2002-46, (2002) Gaz. Can. II, 496; Code criminel, L.R.C. (1985), c. C-46, art. 482.

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Ce moyen d’enquête permet souvent également de relier à la commission des infractions des personnes dont on ne connaissait pas la participation au moment où l’enquête s’est enclenchée. Le Comité est d’avis que c’est principalement en raison de ces deux résultats découlant des interceptions de communications privées qu’il s’avère essentiel et nécessaire que l’examen des motifs au support de la demande policière en vue d’obtenir une autorisation d’interception soit confié exclusivement aux gestionnaires de poursuite, afin de mieux encadrer cette stratégie d’enquête et éventuellement, mieux cibler les personnes qui auront à répondre de leurs actes devant le tribunal. Le fait pour le gestionnaire de poursuite d’agir comme mandataire en vertu de l’article 186 du Code criminel lui permet de prendre connaissance très tôt dans le processus de l’enquête policière des objectifs de celle-ci et de son état d’avancement. N’ayant pas à agir par la suite comme premier responsable du dépôt des dénonciations, il lui sera possible d’afficher une plus grande objectivité à l’égard des cibles de l’enquête et de l’ampleur qu’il sera possible de lui laisser prendre. Son implication à ce stade précoce de l’opération policière est de nature à favoriser un meilleur encadrement de celle-ci, ce qui ne peut manquer de contribuer à la prise de décisions plus éclairées sur le nombre des personnes à traduire en cour et sur les accusations à déposer contre elles. Sa connaissance approfondie de l’enquête policière en cours lui permet aussi de mieux évaluer les ressources qui seront nécessaires au soutien de celle-ci. Au moment de la production de ce rapport, plus de 60 poursuivants du Québec sont désignés pour agir comme mandataires aux fins des demandes à adresser au juge en vue de procéder à des interceptions de communications privées. Plusieurs intervenants rencontrés nous ont déclaré que ce nombre est trop élevé et qu’il nuit à l’uniformité dans l’examen des demandes policières et aux décisions qui en découlent. Les exigences formulées par les différents mandataires, en ce qui a trait à la rédaction et au contenu des affidavits, varient de façon importante d’un mandataire à l’autre et suscitent beaucoup d’incompréhension parmi les intervenants associés au processus d’obtention des autorisations. Le Comité estime lui aussi que le nombre de mandataires devrait être ramené à des proportions moindres. En comparaison, notons que le Service des poursuites pénales du Canada en compte quatorze pour tout le territoire québécois. On a de plus informé le Comité que le dépôt des rapports annuels sur cette technique d’enquête policière accuse un retard important ce qui, à notre avis, empêche une évaluation adéquate du recours à ce moyen d’enquête. Nous partageons les préoccupations entretenues par la Directrice des poursuites criminelles et pénales à l’égard de la situation et nous endossons sa décision d’avoir formé un comité interne à qui a été confié le mandat de fournir des orientations en vue de procéder à une réforme du système régissant la désignation et le rôle confié aux mandataires. Il s’agit là, à notre avis, d’une excellente occasion de préciser le rôle du gestionnaire de la poursuite lorsqu’il agit comme mandataire. Les personnes désignées à ce titre occupent une place importante dans tout le processus judiciaire associé au déroulement des mégaenquêtes et par le fait même, des mégaprocès.

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Nous avons déjà fait état dans ce rapport de la nécessité pour les poursuivants de percevoir les enquêtes policières d’envergure non seulement comme une éventuelle poursuite criminelle qui pourrait s’avérer intéressante bien que difficile à diriger, mais d’abord comme un projet administratif d’importance. Or, le maître d’œuvre d’un tel projet se doit de posséder les aptitudes et les connaissances qu’exige la coordination des projets d’envergure. Les connaissances juridiques, bien que primordiales dans l’exécution d’une telle tâche, ne suffisent pas lorsqu’il s’agit d’assumer la responsabilité stratégique et financière du déroulement d’un mégaprocès. Le Comité juge nécessaire et essentiel que les gestionnaires de la poursuite au sein du Directeur des poursuites criminelles et pénales soient formés à la gestion administrative des ressources de toute provenance affectées au déroulement des procès longs et complexes. Le Comité préconise donc l’élaboration au sein de l’organisation d’un programme de formation destiné aux gestionnaires de poursuite afin que ces derniers acquièrent et maintiennent une expertise en administration de grands projets de cette nature afin d’améliorer leur capacité de gestion à cet égard. La mise sur pied d’un tel programme pourrait bénéficier de la collaboration de l’École nationale d’administration publique qui a déjà contribué à l’amélioration des processus au sein de la poursuite provinciale. Le Comité est convaincu que bien des délais et des coûts pourraient être retranchés dans le déroulement actuel des mégaprocès si les gestionnaires de poursuite étaient mieux préparés administrativement pour en faire la supervision de manière ordonnée et efficiente. 5.4.2 - Les communications privées interceptées et le privilège du secret professionnel Selon le paragraphe 186(2) du Code criminel, un juge ne peut autoriser l’interception de communications privées au bureau ou à la résidence d’un avocat ou d’un notaire que dans les cas où il existe des motifs raisonnables de croire que « l’avocat, un autre avocat qui exerce le droit avec lui, un de ses employés, un employé de cet autre avocat ou une personne qui habite sa résidence a participé à une infraction ou s’apprête à le faire ». Ce critère est beaucoup plus exigeant que celui normalement prévu pour d’autres sujets visés par une demande d’autorisation. Ainsi, suivant le paragraphe 186(3) du Code criminel, s’il accorde l’autorisation d’interception, le juge devra inclure les modalités « qu’il estime opportunes pour protéger les communications sous le sceau du secret professionnel entre l’avocat et son client ». Parmi ces modalités, il est presque toujours prévu à l’autorisation délivrée que soient bloquées et mises sous scellés les communications auxquelles un avocat ou notaire est partie, sans qu’elles fassent l’objet d’une écoute par les préposés à l’interception ou les enquêteurs et sans qu’en soit divulgués l’existence et le contenu, avant qu’elles soient amenées au juge pour qu’il évalue si ces conversations sont couvertes par la règle du secret professionnel entre l’avocat et son client.

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La Cour d’appel du Québec56 a validé cette façon de faire en reconnaissant que cette procédure préserve le secret professionnel et le droit à la confidentialité des communications. Même si la demande d’autorisation d’interception des communications privées ne visait pas au départ celles d’un avocat ou d’un notaire, les policiers vont procéder de la même façon si une communication de ces personnes fait l’objet d’une interception involontaire. Les intervenants familiers avec cette procédure en dénoncent la lourdeur en raison des délais qu’elle occasionne dans le processus d’enquête puisque les juges de la Cour du Québec doivent souvent consacrer beaucoup de temps à l’examen de ces conversations, tâche qui vient s’ajouter au fardeau de travail qui leur est déjà assigné. Certaines situations du genre auraient nécessité jusqu’à un an avant que les policiers ne soient informés du statut décidé à l’égard de conversations interceptées entre un professionnel du droit et d’autres personnes ciblées ou non par l’autorisation. Le Comité considère qu’il serait judicieux et efficient d’appliquer à ce processus d’examen la même procédure qu’il préconise à l’égard de l’examen des fichiers informatiques ayant fait l’objet d’une saisie en vertu d’un mandat de perquisition, et qui verrait les juges de paix magistrats être mis à contribution comme il est suggéré au point 5.3 - du présent rapport pour les perquisitions et saisies des serveurs informatiques. RECOMMANDATIONS : 9o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales adopte une politique intégrée de gestion des causes longues et complexes qui verrait, notamment, un gestionnaire de la poursuite se voir confier la coo rdination de toutes les opérations liées à l’examen de la preuve, au dépôt des dénonciations et au déroulement du processus judiciaire entourant la te nue d’un mégaprocès. 10o– Que les poursuites judiciaires engagées par le Di recteur des poursuites criminelles et pénales à la suite d’une enquête pol icière d’envergure s’inscrivent dans le cadre d’un protocole de poursuite auquel to us les partenaires impliqués auront souscrit avant le dépôt des dénonciations et dans lequel ils y auront défini les besoins nécessaires à la conduite des procédure s jusqu’à leur conclusion ainsi que les limites de leur engagement. 11o– Que le protocole de poursuite énonce clairement q ue la décision de déposer des dénonciations devant la cour ainsi que le momen t de procéder à un tel dépôt, de même que les personnes visées par ces dénonciati ons relèvent de la seule autorité du poursuivant après consultation des resp onsables de l’enquête. 12o– Que toutes les demandes visant à la délivrance d’ un mandat de perquisition dans le cadre d’une enquête policière d’envergure f assent l’objet de discussions entre le poursuivant et les enquêteurs préalablemen t à leur présentation devant le juge de paix.

56 Pasquin c. La Reine, 2014 QCCA 186.

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13o– Que soit confiée aux juges de paix magistrats dan s le cadre des perquisitions de serveurs informatiques, la tâche de superviser l ’ensemble du processus visant à extraire l’information contenue aux fichiers info rmatiques lorsqu’est soulevée par le saisi une objection à l’accès à cette inform ation fondée sur un privilège reconnu par la règle de droit. 14o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales revoit la politique de désignation des mandataires chargés de procéder à l ’examen des affidavits fournis par les policiers au soutien de l’obtention d’une autorisation judiciaire d’interception de communications privées en vue, no tamment, d’en confier la responsabilité exclusive aux gestionnaires de la po ursuite. 15o– Que l’examen des communications privées intercept ées qui sont susceptibles d’être protégées en raison du privilèg e du secret professionnel existant entre l’avocat ou le notaire et son client soit confié aux juges de paix magistrats de la manière suggérée par le Comité à l a recommandation 13 o du rapport. 16o– Que les gestionnaires de la poursuite nommés par le Directeur des poursuites criminelles et pénales soient formés à l a gestion administrative des ressources humaines, financières et matérielles aff ectées au déroulement des procès longs et complexes et que le programme de ce tte formation soit développé en collaboration avec l’École nationale d’administr ation publique.

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6 - LE RECOURS AUX COLLABORATEURS DE JUSTICE Il arrive qu’un poursuivant, au premier chef le Directeur des poursuites criminelles et pénales, décide d’offrir des mesures de protection et divers avantages à un individu qui s’engage à collaborer à une enquête de police et à témoigner en cas de poursuite contre des complices ou des individus côtoyés au sein d’une organisation ayant comme objectif la poursuite d’activités illégales. La jurisprudence canadienne tout comme le corpus législatif57 au Canada et au Québec reconnaissent la nécessité pour l’État de recourir à des individus qui fournissent volontairement des renseignements ou de l’aide dans le processus d’enquête policière. Dans l’arrêt Kirzner c. La Reine58, la Cour suprême du Canada explique que :

« Le mode de dépistage des actes criminels réels ou soupçonnés, et de leurs auteurs, varie nécessairement avec le genre de crime. [...]. Lorsqu’il s’agit de crimes «consensuels», c’est-à-dire de crimes impliquant des personnes consentantes, comme dans le cas de la prostitution, des paris illégaux et de la drogue, les méthodes ordinaires ne suffisent plus. Les participants, qu’ils s’estiment lésés ou non, ne portent pas plainte et ne cherchent pas à obtenir le secours de la police; c’est justement ce qu’ils veulent éviter. Si la police veut réprimer ces infractions que l’opinion publique désapprouve et qui sont d’ailleurs punies dans notre droit, elle doit prendre des initiatives. [...] Les agents secrets et les indicateurs sont indispensables au dépistage et à la prévention des crimes consensuels; sinon il faudrait attendre la plainte d’une «victime» ou essayer d’appréhender les auteurs en flagrant délit, ce qui est pratiquement impossible. Ces méthodes n’impliquent pas le recours à des procédés douteux qui porteraient atteinte à l’intégrité du processus judiciaire. On ne peut à ce titre faire objection à l’utilisation d’imposteurs qui fournissent à d’autres l’occasion de réaliser leur projet de commettre une infraction consensuelle. Dans tous ces cas, le contrevenant ne peut invoquer aucune circonstance atténuante pour se disculper en partie, empêcher l’utilisation de certaines preuves ou réduire sa peine après sa condamnation. [Notre soulignement] »

57 En 1996, le législateur fédéral a adopté la Loi sur le programme de protection des témoins, L.C. 1996, c. 15, dont l’objet, énoncé à son article 3 ainsi que dans le titre au long, consiste à « promouvoir le respect de la loi, la sécurité et la défense nationale ainsi que la sécurité publique en facilitant la protection des personnes [...] » qui « [...] fournissent des renseignements ou de l’aide ». Au Québec, le législateur définit, à l’annexe G de la Loi sur la police, c. P-13.1, les services offerts par les différents corps de police selon 6 niveaux; les niveaux 5 (municipalités dont la population à desservir est de plus d’un million d’habitants) et 6 (Sûreté du Québec) comprennent la protection des témoins sous le titre « Services de soutien ». 58 [1978] 2 R.C.S. 487, 493. Le juge en chef Laskin écrit des motifs concordants auxquels souscrivent les juges Spence, Dickson et Estey.

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Le corps de police qui enquête sur un crime peut déployer diverses techniques d’enquête pour colliger la preuve disponible dont le recours à des témoins ou des collaborateurs de justice. Si cette technique d’enquête policière comporte des aspects qui doivent demeurer secrets, comme les mesures de protection prises pour assurer la sécurité d’un témoin ou de sa famille59, d’autres aspects de la relation entre l’État et le témoin devront être communiqués à l’accusé afin de démontrer l’équité du processus judiciaire. La transparence de la relation entre l’État et le témoin est essentielle, d’une part, pour assurer l’indépendance entre les divers intervenants, enquêteurs, service de protection des témoins, procureurs aux poursuites criminelles et pénales, agissant avec le témoin et, de l’autre, pour garantir l’absence d’une influence directe ou indirecte par l’État sur le témoignage ou la collaboration du témoin à l’enquête policière. L’expérience encore récente vécue par certains acteurs du système de justice ayant eu recours aux services de collaborateurs ou de complices pour appuyer la thèse de la poursuite dans certains dossiers ayant fait l’objet d’une forte médiatisation, amène à penser que, malgré tous les rapports et études réalisés au Québec portant sur le phénomène des délateurs ou repentis, il est encore nécessaire de mieux encadrer les actions des enquêteurs et des poursuivants en cette matière. 6.1 - Le cheminement de la réflexion québécoise dan s le recours aux collaborateurs de justice Au Québec, le sujet délicat du recours au témoin délateur ou au complice d’un crime par la poursuite a fait couler beaucoup d’encre et engendré plusieurs débats tant judiciaires que médiatiques depuis le début des années 1990. Rapport Guérin En 1990, le ministère de la Justice et le ministère de la Sécurité publique du Québec ont confié au Groupe de travail sur l’administration de la justice en matière criminelle (Groupe de travail) le mandat d’étudier, notamment, la question du témoin délateur. Un des volets du mandat concernait :

« Le recours aux témoins délateurs lors de poursuites judiciaires et la négociation d’ententes avec ces derniers; le rôle des divers intervenants, la nature des privilèges dont ils peuvent bénéficier, ainsi que l’encadrement et la protection sur lesquels ils peuvent généralement compter aussitôt qu’ils acceptent de collaborer. »60

Le Groupe de travail a produit en décembre 1991 un document connu aujourd’hui comme le rapport Guérin. Le délateur y est défini comme « toute personne qui a

59 En raison du geste dénonciateur, un témoin peut devenir la cible de représailles des criminels ou de son entourage. L’État doit alors assurer la sécurité de ces témoins afin de préserver la preuve jusqu’au procès, mais aussi de maintenir la confiance du public dans l’utilisation de cette méthode d’enquête. 60 Québec, Groupe de travail sur l’administration de la justice en matière criminelle, Rapport - L’administration de la justice en matière criminelle, partie 2 : « Le délateur », ministère de la Justice, ministère de la Sécurité publique, 1991, 158 p., pp. 65-102 [rapport Guérin].

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commis, a participé à un crime, ou a fait partie d’un groupe à activités criminelles et qui, moyennant certains avantages, accepte de témoigner »61. Le Groupe de travail conclut que le recours à des témoins délateurs « n’est pas mauvais en soi »62. Toutefois, si cette méthode d’enquête policière s’avère nécessaire dans la répression de la criminalité au Québec63, elle présente plusieurs difficultés64. Citant des extraits d’un texte inédit préparé par le président de la Commission de réforme du droit du Canada, Me Gilles Létourneau, le Groupe de travail aborde certains enjeux économique, juridique et moral que pose pour l’État l’utilisation des délateurs. Au plan économique, le président mentionne les coûts importants liés aux mesures de protection d’un délateur, comme le changement d’identité ou la délocalisation dans une autre ville sans oublier les procédures pour garantir la confidentialité des actions prises par l’État. En outre, il rappelle qu’en échange de la collaboration du témoin à l’enquête ou de son témoignage au procès, l’entente avec l’État peut prévoir une compensation monétaire ou une immunité de poursuite. Aux niveaux juridique et moral, le Groupe de travail écrit :

« [...] il va de soi que le témoin n’est pas un citoyen guidé par sa conscience sociale et hanté par le remords ou le repentir. Il collaborera seulement dans la mesure où il en tirera des avantages. L’utilisation de son témoignage est lourde de conséquences pour le procès lui-même, dans sa recherche de la vérité et, partant, pour l’accusé, pour les policiers enquêteurs, les représentants du Ministère public et enfin pour le témoin délateur lui-même. Tirant avantage de son témoignage, le délateur peut se livrer à une véritable surenchère et même se parjurer. »65

Au plan juridique, le président précise que « le recours au témoin délateur pose des problèmes non pas d’admissibilité de preuve, mais de valeur probante »66. En se basant sur les expériences québécoise et américaine, le Groupe de travail a identifié certains problèmes liés à la relation entre le délateur et les intervenants du système judiciaire et formulé plusieurs recommandations dont celle de créer un comité contrôleur responsable de négocier un contrat avec le témoin et d’en assurer le respect durant les étapes judiciaires. Rapport sur l’utilisation des témoins repentis en 1 998 Au mois de juin 2000, les ministères québécois de la Justice et de la Sécurité publique ont déposé à l’Assemblée nationale un document intitulé Rapport sur l’utilisation des témoins repentis en 199867. Ce document s’avère une consolidation des renseignements colligés par la Sûreté du Québec dans le cadre de l’utilisation des témoins repentis au Québec de 1992 à 1998. En outre, il répond à la critique formulée dans le rapport

61 Id., p. 65. 62 Id., p. 68. 63 Id., p. 67. 64 Id., p. 68. 65 Id., p. 69. 66 Id. 67 Québec, Ministère de la Justice, Ministère de la Sécurité publique, Rapport sur l’utilisation des témoins repentis en 1998, juin 2000, 37 p. [rapport sur les témoins repentis].

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présenté à la fin des années 1998 par la Commission d’enquête chargée de faire enquête sur la Sûreté du Québec68 (Commission Poitras). Le rapport avait pour but de rendre publics certains renseignements concernant l’utilisation par l’État de témoins repentis. Parce que le recours à ces témoins constitue une technique d’enquête policière pour laquelle il existe un privilège en droit qui accorde un caractère confidentiel à l’information obtenue et en raison également de l’importance de protéger l’identité du témoin, de ses proches et de sa famille, les renseignements fournis dans le rapport sur les témoins repentis figurent davantage sous la forme de statistiques accompagnées d’un tableau fournissant entre autres le nombre de repentis ayant signé un contrat en 1998 et les retombées de leur collaboration. Rapport Boisvert En janvier 2004, le ministère de la Sécurité publique confie à Me Anne-Marie Boisvert le mandat « de procéder à une étude des divers modèles de protection des collaborateurs de justice, particulièrement en ce qui concerne les conditions de détention, les changements d’identité et les autres mesures de protection »69. Cette étude, à laquelle ont collaboré des représentants des ministères québécois de la Sécurité publique et de la Justice, la Sûreté du Québec et le Service de police de la Ville de Montréal et pour laquelle près de 30 organismes, nationaux et internationaux, ont été rencontrés, avait également pour objet de :

« [...] proposer un modèle de fonctionnement approprié au contexte québécois [...] en suggérant [...] des mesures administratives ou des modifications législatives sectorielles destinées à accroître le degré de protection accordé aux collaborateurs de la justice. »70

Dans son rapport, à l’instar du rapport Guérin71, Me Boisvert souligne la confusion existant entre les différents termes utilisés pour référer aux témoins qui collaborent avec le système de justice. L’auteure établit une distinction entre un indicateur de police72 (informateur), un « agent civil d’infiltration »73 (agent source) et un « témoin

68 Québec, Commission d’enquête chargée de faire enquête sur la Sûreté du Québec, Pour une police au service de l’intégrité et de la justice : Rapport de la Commission d’enquête chargée de faire enquête sur la Sûreté du Québec, Gouvernement du Québec 1998, Laurence A. Poitras, 1734 p., vol. 2, p. 1285, recommandation no 73 [CESQ]. 69 Québec, Anne-Marie Boisvert, La protection des collaborateurs de la justice : éléments de mise à jour de la politique québécoise, rapport final présenté au ministère de la Sécurité publique, juin 2005, 55 p., p. 3 [rapport Boisvert]. 70 Id. 71 Rapport Guérin, préc., note 60, p. 65. 72 Rapport Boisvert, préc., note 69, p. 4; dans le rapport, ce mot désigne « [...] la personne, criminalisée ou non, qui transmet des renseignements à la police sur une base régulière ou ponctuelle, à titre gratuit ou contre rémunération. L’informateur de police agit avec la promesse que son identité ne sera pas divulguée. ». 73 Id.; dans le rapport Boisvert, ce terme désigne « [...] la personne, criminalisée ou non, qui est prête, moyennant certains avantages, à agir comme agent d’infiltration pour fournir de l’information à la police ou pour lui permettre de recueillir des preuves de la commission de crimes. L’agent civil d’infiltration est supervisé par un policier enquêteur, appelé “contrôleur”, qui dirige ou contrôle les activités d’infiltration du civil. ».

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repenti »74 (délateur). Elle introduit l’expression « collaborateurs de justice » qui n’est pas encore usuelle au Québec au moment de la rédaction du rapport, mais est utilisée couramment en Europe. Il s’avère important de souligner le sens attribué par l’auteure à cette expression dans son rapport puisqu’elle est, aujourd’hui, employée dans un sens plus restreint. Le rapport Boisvert utilise cette expression pour désigner :

« [...] les informateurs de police dont l’identité est exceptionnellement dévoilée, les agents civils d’infiltration, les témoins repentis et les témoins spéciaux de même que leurs proches et les membres de leurs familles qui risquent de voir leur vie ou leur sécurité mise en danger à la suite de la collaboration de l’un d’entre eux avec le système de justice à titre de témoin ou autrement. »75

Comme son mandat l’indique clairement, Me Boisvert a procédé à l’examen des systèmes de protection des témoins collaborateurs de justice existant ailleurs dans le monde en soulignant les similitudes et les différences avec le système québécois. L’analyse de comparaison l’amène à conclure que le Québec a développé, depuis 1990, un système de protection des témoins qui « se compare avantageusement », pour reprendre ses termes, à ce qui a été élaboré par les autres États et qui, malgré certaines erreurs commises, « va en général bien »76. Cependant, en s’intéressant à certaines des conclusions et aux principales recommandations formulées dans le rapport Guérin et en étudiant l’évolution du recours par l’État québécois aux témoins collaborateurs de justice, Me Boisvert est d’avis que des améliorations demeurent nécessaires :

« S’il faut constater que le gouvernement du Québec a investi de nombreux efforts depuis le rapport Guérin pour encadrer le recours aux témoins repentis et assurer une meilleure transparence en ce qui concerne leur recrutement et la période précédant leur témoignage, un certain travail reste à faire en ce qui concerne la gestion et la protection de ces collaborateurs de la justice après leur témoignage. »77

Dans son rapport, Me Boisvert formule 32 recommandations dont plusieurs seront mises en œuvre au cours des années suivant son dépôt. Sans passer en revue chacune de ces recommandations, nous nous attardons à deux d’entre elles en raison de leur pertinence avec la problématique mentionnée au début du présent chapitre.

74 Id.; l’auteure réfère à la définition du terme « délateur » formulé dans le rapport Guérin, soit d’une personne qui « [...] a commis un crime, y a participé ou a fait partie d’un groupe à activités criminelles et qui, moyennant certains avantages, accepte de témoigner », rapport Guérin, préc., note 60, p. 69. 75 Id., p. 7. 76 Id., p. 16. 77 Id., p. 18.

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Création d’un bureau chargé de la coordination et du suivi de la protection des collaborateurs de justice Rappelant qu’en 1990, le rapport Guérin recommandait la création d’un comité contrôleur chargé de négocier le contrat avec le témoin et d’en assurer le suivi, Me Boisvert soulève le fait que ce comité, composé de représentants du poursuivant, du ministère de la Sécurité publique, des services correctionnels et de la police, s’est toujours constitué de manière ad hoc pour la négociation de chaque contrat et que son existence ponctuelle cadre mal avec un organisme chargé d’assurer le suivi d’une entente78. L’auteure aborde également la problématique de l’indépendance entre l’enquête policière et le système de protection des témoins79. À l’instar de l’affirmation des auteurs du Rapport sur l’utilisation des témoins repentis en 199880, les avantages consentis à un témoin ne visent pas à le récompenser ou à le rétribuer pour le témoignage rendu à la cour ou la collaboration offerte lors de l’enquête, mais bien à garantir sa sécurité avant, pendant et après les procédures judiciaires de même qu’à favoriser sa réinsertion sociale. En vue de départager clairement les activités liées à la protection du témoin de celles de l’enquête policière, Me Boisvert recommande donc que :

« [...] le ministère de la Justice devrait créer un bureau chargé de la coordination et du suivi de la protection des collaborateurs de la justice de même que des demandes de changement d’identité […]. Ce bureau devrait être composé de quelques fonctionnaires indépendants de la poursuite et des enquêtes. »81 « [...] il faudrait [...] régulièrement rappeler aux enquêteurs qui travaillent avec des collaborateurs de la justice les directives visant à indiquer que les conditions relatives à la protection des témoins repentis relèvent de l’unité de protection des témoins et non des unités d’enquête. Des sessions de formation destinées expressément à leur expliquer l’importance fondamentale de la séparation nette entre l’enquête et la protection devraient être régulièrement organisées. [...]. »82

Or, en 2006 et en 2007, les services correctionnels du Québec et le ministère de la Sécurité publique se sont retirés du comité contrôleur qui avait été mis en place sur la base d’une recommandation formulée dans le rapport Guérin. La responsabilité de négocier et d’assurer le suivi d’un contrat avec un collaborateur a été confiée au Directeur des poursuites criminelles et pénales même si les services de protection des témoins de la Sûreté du Québec et du Service de police de la Ville de Montréal continuent à jouer un rôle dans la mise en œuvre des mesures de protection destinées à garantir la sécurité du témoin, de ses proches et de sa famille.

78 Id., p. 18. 79 Id., p. 22-24. 80 Rapport sur les témoins repentis, préc., note 67, p. 20-21. 81 Rapport Boisvert, préc., note 69, p. 21. 82 Id., annexe I, p. 44.

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Une directive encadre très étroitement la négociation et la conclusion d’une entente ou contrat de collaboration par le Directeur des poursuites criminelles et pénales, plus précisément par le « comité de contrôle » mandaté à cette fin83. La directive désigne par l’expression « témoin collaborateur de justice », l’individu qui en raison de son témoignage reçoit certains avantages ou bénéfices de mesures de protection. L’entente doit dresser par écrit la liste des mesures de protection et des avantages consentis. Au procès, le ministère public devra la produire en preuve, pour éviter de prêter flanc aux spéculations vu le caractère plus ou moins intéressé du témoignage à être rendu84. L’écrit sera communiqué à la défense, sous réserve du caviardage du détail des mesures de protection dont une divulgation serait de nature à mettre en péril la sécurité du témoin ou de ses proches. Un enquêteur de police, notons-le, n’est pas autorisé à offrir ce type d’entente. De même, il est strictement interdit au poursuivant assigné à l’affaire d’en discuter avec le témoin qu’on envisage de recruter comme témoin collaborateur. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales confie au comité de contrôle le mandat exclusif de négocier une entente et, le cas échéant, de la conclure au nom de l’État. Avant les négociations, le poursuivant assigné au dossier, son supérieur immédiat et le directeur des poursuites criminelles et pénales, en personne, et, en dernier ressort le comité de contrôle, devront toutefois avoir mis en balance de nombreux facteurs contextuels pouvant affecter la crédibilité du témoin collaborateur ou la force probante de son témoignage, la nécessité de l’obtenir et en dernière analyse, le bénéfice que peut en retirer la société. Pour le Directeur des poursuites criminelles et pénales, consentir des avantages participe de son « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite » dont l’exercice impose d’emblée la déférence85. En fait, presque toutes les ententes seront conçues sur le même modèle. On parle même d’un contrat d’adhésion. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales accepte d’en négocier et conclure avec parcimonie, selon la procédure et dans les circonstances extraordinaires décrites à la directive. Aide d’un conseiller juridique pour la signature du contrat Bien qu’un contrat intervienne entre le comité contrôleur, indépendant de l’enquête policière et de la poursuite, et le témoin collaborateur, Me Boisvert souligne dans son rapport que cela n’a pas empêché la survenance de problèmes liés aux mesures de sécurité comme les difficultés rencontrées par le changement de l’identité du témoin ou 83 Directeur des poursuites criminelles et pénales, Collaborateur de justice, directive COL-1, 19 décembre 2013. 84 Thresh c. La Reine, J.E. 2003-1729, 17 CR (6th) 326, [2003] J.Q. no 11326 (CA) (QL); demande d’autorisation d’appel rejetée sans motifs à no 29940, 11 décembre 2003 (jj. Binnie, Iacobucci, Arbour). 85 Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65.

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lors de sa relocalisation dans une autre ville ou pays. Elle formule en conséquence la recommandation suivante :

« Dans une perspective de prévention des litiges et comme il se fait dans de nombreuses juridictions, le collaborateur de la justice devrait continuer, comme cela se fait actuellement, de se voir systématiquement offrir l’aide d’un conseiller juridique au moment de signer le protocole d’adhésion au programme de protection des témoins. »86

Malgré la mise en œuvre de recommandations formulées dans les rapports Guérin et Boisvert ainsi que par le développement des meilleures pratiques, le recours aux témoins collaborateurs de justice ainsi qu’aux agents civils d’infiltration et son impact sur la transparence de l’enquête policière et des procédures judiciaires intentées par la poursuite figurent encore parmi les causes qui peuvent transformer un procès en une « affaire » pouvant faire mal paraître le système de justice. Néanmoins, le recours à ces témoins se révèle inévitable pour colliger la preuve de crimes perpétrés dans des milieux fermés (comme le trafic de stupéfiants, la contrebande de tabac, la prostitution juvénile) au sein desquels règne souvent la loi du silence. La présence d’une clause soulignant le caractère exhaustif des avantages consentis dans le contrat ne garantit pas que le témoin ne va pas soulever, lors de son témoignage à la cour ou après la fin du processus judiciaire, l’existence d’une promesse faite par les enquêteurs, mais non consignée dans l’entente, d’où l’importance de sensibiliser, par la formation, les enquêteurs à ce que leurs activités se limitent, en présence du témoin, à l’enquête ou à la préparation de son témoignage au procès. En aucun temps, ces enquêteurs ne doivent être associés aux discussions tenues avec le témoin concernant des avantages qui lui seront accordés ou la protection dont il pourra bénéficier. Il peut toutefois arriver que la compréhension du témoin soit erronée quant aux avantages consentis dans le contrat ou que le témoin tente, en soulevant l’existence d’une promesse qui ne lui a jamais été faite, d’améliorer ses conditions de détention ou les avantages prévus dans le contrat. Comment l’État peut-il s’assurer que le témoin a compris toutes les clauses du contrat et les effets qui en découleront tout au long du déroulement des procédures judiciaires et même après que le procès soit terminé? Comment l’État peut-il s’assurer que ce témoin ne peut espérer se voir réaliser une promesse occulte qui lui aurait été faite?87

86 Rapport Boisvert, préc., note 69, annexe I, p. 45. 87 Cela fait d’ailleurs l’objet d’une clause dans le contrat où le témoin confirme avoir reçu l’offre, par l’État, de pouvoir recourir aux services d’un avocat.

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6.2 - La participation d’un tiers au processus de s ignature du contrat de collaboration L’État offre au témoin de recourir aux services d’un conseiller juridique en tout temps lors de la négociation ou de la signature du contrat. En pratique, très peu de personnes offrant leurs services à titre de collaborateur y ont recours dans leur négociation des conditions entourant leur participation à l’enquête policière ou au procès. En plus de s’expliquer, premièrement, par le fait que l’initiative de collaboration provient le plus souvent du témoin, il faut comprendre aussi qu’il se crée rapidement entre le collaborateur et l’enquêteur de police une relation de confiance qui amène le témoin à ne pas accorder la même importance à chacune des clauses du contrat ainsi qu’à leurs effets postérieurs à sa signature. Le Comité est d’avis que le décideur au procès, juge ou jury, doit absolument être rassuré, non seulement sur les motivations ayant poussé le témoin à collaborer et sur la véracité de son témoignage mais aussi, et avant tout, sur les avantages dont il s’attend à bénéficier en retour. Or, le rôle de l’avocat de la défense, en cette matière, consiste essentiellement à soulever un doute dans l’esprit du décideur en ce qui a trait à la complète révélation de tout ce qui peut faire partie de l’entente entre l’État et le témoin. Il est essentiel, pour la poursuite, de faire la démonstration que si des avantages autres que ceux énumérés au contrat ont été promis au collaborateur, ou même seulement évoqués devant lui lors des différentes rencontres auxquelles il aura participé avec les représentants de l’État, ce dernier ne peut raisonnablement espérer pouvoir en bénéficier parce qu’il en aura été informé de façon très explicite par une personne dont la neutralité ne peut être mise en doute. Ce tiers, dont l’absence de liens quelconques avec l’une ou l’autre des parties au contrat de collaboration s’avère une condition essentielle à sa participation au processus de signature d’un contrat de cette nature, serait amené à jouer un rôle fondamental dans la stratégie du poursuivant visant à convaincre le décideur que tout ce qui a été promis au collaborateur a été porté à son attention lors du procès. Au Québec, le notaire est perçu, avec raison, comme un conseiller juridique dont la neutralité n’est jamais remise en question. Son rôle est notamment de s’assurer que les signataires d’un contrat ont une compréhension totale et commune de chacune des clauses qui y sont énumérées. Le Comité considère que l’intervention d’un conseiller juridique possédant une formation notariale dans le processus de signature d’un contrat entre l’État et un collaborateur de justice serait de nature à fournir les garanties que ce dernier a reçu toutes les informations et surtout, tous les avertissements en ce qui a trait à la nullité des promesses non révélées au contrat. Précisons d’emblée que ce conseiller juridique ne doit en aucune façon avoir été partie à la négociation des clauses du contrat.

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Il ne doit pas non plus être amené à conseiller le témoin collaborateur sur la suffisance des avantages consentis en échange de sa participation au processus judiciaire. Il ne doit, en aucun temps, être amené à rencontrer l’une ou l’autre des parties au contrat pendant le processus de négociation. Son intervention doit se limiter à informer objectivement le collaborateur sur la signification juridique des clauses contenues au contrat et sur les conséquences d’un non-respect de celles-ci par l’une ou l’autre des parties. Il lui reviendra enfin de s’assurer, en raison des explications et avertissements qu’il aura été amené à fournir lors de la rencontre de signature avec le collaborateur, que celui-ci ne peut espérer se voir accorder un avantage ou faveur ou traitement non mentionné au document signé en sa présence. Ce tiers indépendant, en raison de sa participation au processus de signature du contrat, doit s’attendre à recevoir une assignation à témoigner lors du procès auquel le collaborateur aura accepté de participer. 6.3 - L’article 94 de la Loi sur l’administration p ublique Le mandat du Comité étant prospectif, il ne s’agit pas de commenter l’expérience passée en ce qui a trait au recours à des collaborateurs de justice. Quant à la ligne de conduite que le Directeur des poursuites criminelles et pénales devrait adopter dans le futur, on ne voit pas trop ce qu’il y aurait à ajouter au principe, déjà bien établi, que sa discrétion de conclure une entente avec un témoin collaborateur devra être exercée cas par cas, avec l’approche prudente et stratégique inhérente aux fonctions du poursuivant, au regard de l’ensemble des circonstances. Le Comité résistera donc à la tentation d’énoncer in abstracto une recommandation voulant que le Directeur des poursuites criminelles et pénales, dans la conduite de mégaprocès, cesse désormais de recourir au témoignage de malfaiteurs repentis, ou encore, qu’il s’efforce d’y recourir davantage. Le Comité se contentera de rappeler que la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (Commission Charbonneau), en 2015, souligne que le recours aux témoins collaborateurs pouvait s’avérer « névralgique » dans la lutte à la corruption et à la collusion :

« Le recours à des témoins collaborateurs est névralgique dans les enquêtes et les poursuites en matière de corruption et de collusion. Afin de surmonter les difficultés occasionnées par le grand nombre d’intervenants potentiels et les intérêts de chacun lors des discussions préliminaires avec un témoin collaborateur potentiel, il est approprié d’attribuer au DPCP les pouvoirs de décision nécessaires pour mener rondement ces discussions et

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dénouer les impasses dans l’intérêt supérieur de la justice et de la société. »88

La Commission Charbonneau cite l’exemple du Bureau de la concurrence du Canada qui administre depuis 2000 des « programmes d’immunité et de clémence » au bénéfice des employés, dirigeants, administrateurs et actionnaires de l’entreprise qui est la première, au nombre des entreprises complices, à dénoncer une infraction à la Loi sur la concurrence89. Or, selon la Commission Charbonneau, le recours aux témoins collaborateurs, dans le cas des infractions au Code criminel en matière de corruption et de collusion90, est plus difficile, « puisque plusieurs conséquences juridiques importantes de ces infractions criminelles ne relèvent pas de l’autorité du Directeur des poursuites criminelles et pénales, notamment sur les plans fiscal, disciplinaire et administratif, sans compter de possibles poursuites civiles. »91. C’est pourquoi la recommandation numéro 9 de la Commission Charbonneau veut que le Directeur des poursuites criminelles et pénales soit habilité à prévoir, dans le cadre d’une entente avec un témoin collaborateur, l’arrêt de procédures disciplinaires ou civiles formées par une autorité publique ainsi que l’arrêt de « toute réclamation fiscale québécoise »92. La difficulté particulière aux réclamations fiscales, que plusieurs ont d’ailleurs exposée au Comité pendant ses travaux, c’est que l’Agence du revenu du Québec a le réflexe de cotiser sur les revenus illicites qu’un témoin collaborateur avoue avoir gagnés93. Il faut comprendre que la directive COL-1 du Directeur des poursuites criminelles et pénales prévoit qu’un témoin collaborateur doive « reconnaître sa responsabilité criminelle » et s’engager à l’entente à plaider coupable aux infractions déterminées par le poursuivant. Partant, le témoin collaborateur doit avouer les revenus tirés d’activités illégales. La chose revient à reconnaître des dettes fiscales envers l’État. Selon la Commission Charbonneau, cela risque d’amener certains témoins clés à refuser de collaborer avec la justice, « ce qui alourdit le travail d’enquête et risque de produire des résultats plus maigres à des coûts plus élevés »94. Le Comité partage cette crainte. Comment alors éteindre la dette fiscale du témoin collaborateur ? Rien ne s’oppose à ce que le poursuivant consente, dans l’entente, au paiement de dettes fiscales envers l’État. Il s’agit tout bonnement d’un avantage pécuniaire. En principe, chacun peut payer la créance d’autrui, même un tiers par rapport à l’obligation en cause95.

88 Québec, Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, Rapport final de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, Gouvernement du Québec 2015, France Charbonneau, tome 3, p. 113 [CEIC].

89 L.R.C. (1985), c. C-34, art. 45 et suiv. 90 L.R.C. (1985), c. C-46, art. 119 et suiv. 91 CEIC, préc., note 88, p. 112. 92 Id., p. 113. 93 Id. 94 Id. 95 Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991, art. 1555 (Code civil).

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Toutefois, cet avantage pécuniaire équivaut pour l’État à payer, à même les deniers publics, des dettes dont il est lui-même créancier. L’argent est puisé dans les crédits alloués annuellement au Directeur des poursuites criminelles et pénales, pour être aussitôt versé au fonds consolidé du revenu. Le Code civil prévoit un autre moyen que le paiement pour éteindre une dette. Il autorise le créancier à consentir à la « remise » de la dette96. Rien n’interdit à l’État québécois, en théorie, de remettre une dette fiscale, quand cela paraît « avantageux pour le bien public ». Toutefois, l’article 94 de la Loi sur l’administration fiscale97 prévoit que ce pouvoir appartient au « gouvernement » et que son exercice devra prendre la forme d’un « arrêté spécial », autrement dit d’un décret adopté par le Conseil exécutif du Québec et signé par le lieutenant-gouverneur98. La modalité d’un décret n’est guère commode. C’est pourquoi la Commission Charbonneau recommande une dérogation à l’article 94, de manière à habiliter le Directeur des poursuites criminelles et pénales à prévoir, à l’entente, un « arrêt » de la réclamation de l’Agence du revenu du Québec, ce qui revient à l’autoriser, de son propre chef, à remettre les dettes fiscales du témoin collaborateur. Le Comité endosse pleinement cette recommandation. Le Ministre de la Sécurité publique a d’ailleurs présenté un projet de loi99 à l’Assemblée nationale, actuellement à l’étude, visant à mettre en œuvre cette recommandation de la Commission Charbonneau. RECOMMANDATIONS : 17o– Qu’un conseiller juridique possédant une formatio n notariale intervienne au moment de la passation d’un contrat entre l’État et un collaborateur de justice afin de fournir les garanties que ce dernier a reçu tout es les informations relatives à ce contrat et tous les avertissements en ce qui a trai t à la nullité des promesses non dévoilées au contrat qui auraient pu lui être faite s dans le processus de négociation entourant son offre de collaboration. 18o– Que soit apportée une modification à l’article 94 de la Loi sur l’administration publique donnant suite à la recommandation formulée par la Commission Charbonneau visant à habiliter le Directeur des pou rsuites criminelles et pénales à autoriser la remise des dettes fiscales d’un collab orateur de justice en contrepartie de sa participation au processus judic iaire engagé par la poursuite dans les affaires longues et complexes.

96 Id., art. 1687. 97 RLRQ, c. A-6.002. 98 Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16, art. 61, paragr. 12. 99 Loi visant à accroître la compétence et l’indépendance du commissaire à la lutte contre la corruption et du Bureau des enquêtes indépendantes ainsi que le pouvoir du directeur des poursuites criminelles et pénales d’accorder certains avantages à des témoins collaborateurs, projet de loi no 107 (présentation – 8 juin 2016), 1re sess., 41e légis. (Qc), art. 40.

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7 - LE TRAITEMENT DE LA PREUVE ACCUMULÉE LORS DE L ’ENQUÊTE POLICIÈRE Une enquête criminelle qui s’échelonne sur une longue période fournit évidemment aux autorités policières un volume fort important de renseignements de toute sorte et de diverses provenances, et le traitement de cette information, s’il n’est pas effectué correctement, va inévitablement affecter le déroulement des procédures judiciaires à venir. Or, l’ensemble des intervenants rencontrés par le Comité est unanime à exposer qu’il existe de graves lacunes en ce qui a trait à la gestion de la preuve accumulée et à sa divulgation à la partie défenderesse. Les poursuivants déplorent qu’il leur soit très souvent difficile de traiter en temps utile le volume de renseignements qui leur est transmis et qui constitue le résultat de plusieurs mois d’enquêtes. Ils éprouvent particulièrement de grandes difficultés à relier l’information aux individus concernés par celle-ci, ce qui rend la rédaction des chefs d’accusation problématique. Or, bien que le recensement de cette information relève du travail de l’enquêteur, c’est au poursuivant qu’incombe la responsabilité d’évaluer la pertinence des renseignements recueillis et de divulguer à la défense l’ensemble de la preuve pertinente en possession des enquêteurs. Les travaux de la Commission Poitras, présidée par l’ancien juge en chef de la Cour supérieure du Québec Lawrence Poitras, ont fait état en 1998 de lacunes importantes dans la confection des dossiers d’enquête policière et des problèmes éprouvés par les procureurs de la poursuite dans l’examen de ces rapports de police. La Commission Poitras avait notamment recommandé que :

« [...] chaque dossier d’enquête contienne un inventaire qui fasse voir dans l’ordre chronologique où elles furent constituées, versées puis utilisées dans une autre affaire, les pièces versées au dossier [...]. »100

Pour la Commission Poitras, il était essentiel que le corps de police s’assure de la constitution et de la conservation d’un dossier d’enquête, mais surtout, il lui apparaissait tout aussi sinon plus important de documenter la preuve recueillie et d’en faire une véritable gestion avant sa présentation devant la cour. Nos rencontres avec les procureurs de la poursuite nous amènent à conclure que près de vingt ans plus tard, les dossiers d’enquête d’envergure constitués par la Sûreté du Québec demeurent toujours difficiles à examiner et à comprendre. Des efforts d’amélioration du contenu ont certes été accomplis, notamment à l’égard de l’ordonnancement chronologique des constats effectués, mais la compréhension de l’ensemble des informations consignées au rapport demeure nébuleuse pour les personnes appelées à le consulter.

100 CESQ, préc., note 68, vol. II, p. 1077.

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Même si la preuve à charge retenue à l’égard d’un individu ne représente qu’un faible pourcentage de l’ensemble de la preuve recueillie dans le cadre d’une longue enquête, l’obligation constitutionnelle du poursuivant ne se limite pas à la divulgation de cette preuve mais elle s’étend à toute la preuve pertinente recueillie par les enquêteurs. La jurisprudence récente au Canada en matière criminelle exige également du poursuivant qu’il divulgue aussi la liste des éléments de preuve ne faisant pas partie de la divulgation en précisant le motif au soutien de cette non-divulgation, soit l’existence d’un privilège ou la non-pertinence de l’information en possession de la poursuite. La gestion déficiente d’une preuve volumineuse portant sur des activités criminelles impliquant, à différents niveaux, plusieurs individus peut devenir un obstacle d’ordre juridique et opérationnel à la tenue d’un procès juste et équitable. Elle est souvent la source de délais importants dans le déroulement du processus judiciaire. Et en l’absence d’une véritable gestion, l’analyse de cette preuve s’avère souvent impossible par le procureur chargé de décider des suites à donner à cette enquête. Il s’avère primordial que la preuve transmise au poursuivant soit, au préalable, classée à l’aide d’un outil informatique par le corps policier responsable de l’enquête. Le mode de classement utilisé doit aussi tenir compte de la nécessité que la preuve soit compréhensible pour tous les acteurs du système qui auront à la considérer à un stade ou l’autre du processus, de l’autorisation des dénonciations jusqu’au verdict à être rendu par le juge ou les jurés. 7.1 - Le classement et l’analyse de la preuve Il revient à l’équipe d’enquêteurs de mettre de l’ordre dans l’information accumulée au cours d’une enquête qui s’échelonne sur une longue période. Le message transmis par les tribunaux est d’une clarté sans équivoque. Les organismes d’enquête devront améliorer de façon importante leur capacité à traiter l’information et à la rendre compréhensible aux acteurs du système sans quoi, les procédures judiciaires découlant des enquêtes majeures sont destinées à connaître un dénouement de nature à miner la confiance de la population à l’égard de ce système. Les pratiques de gestion de la preuve en matière d’enquêtes majeures doivent, notamment, être uniformisées afin de faciliter l’étude et le traitement des dossiers par les poursuivants. La gestion de quantités impressionnantes d’informations de toutes sortes constitue leur plus grand défi de l’aveu même de certains enquêteurs d’expérience bien au fait de l’importance de rendre compréhensible le résultat de leurs efforts visant à démanteler les organisations criminelles. Toutefois, cette préoccupation ne semble pas partagée de tous. Selon un bon nombre de poursuivants appelés à commenter ce volet du travail policier, la gestion de la preuve ne constitue pas une priorité pour les policiers. Un procureur d’expérience résume en ces termes les raisons d’une telle attitude :

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« Les enquêteurs ne veulent pas faire ce travail. Ils veulent aller sur le terrain. »

Or, les enquêteurs doivent nécessairement organiser la preuve recueillie, la classer et présenter de façon uniforme tous les éléments à établir devant le tribunal. Ce travail doit s’effectuer dès le début de l’enquête, avant même que le poursuivant ne soit sollicité pour examiner le résultat de celle-ci. Compte tenu du roulement important du personnel constaté tant au sein de la poursuite qu’à celui des corps de police, il est essentiel d’avoir recours à des outils qui permettent de conserver les informations obtenues grâce à l’analyse et à l’organisation de la preuve recueillie effectuée par chacun des enquêteurs ayant fait partie de l’équipe, à un moment ou l’autre, pour éviter de perdre le fruit de ce travail ou d’avoir à le reprendre, ou pire encore, d’avoir à expliquer les raisons de l’omission de divulgation d’une preuve pertinente « oubliée » dans une boîte de documents sous la garde d’un enquêteur affecté à d’autres tâches101. La responsabilité de s’assurer que le travail effectué sera consigné et accessible aux autres membres de l’équipe incombe évidemment à l’enquêteur principal qui agit comme responsable de l’enquête. Il lui faut s’assurer que la méthode de classement de la preuve sera utilisée par tous les membres de l’équipe d’enquête et qu’elle sera compréhensible pour l’ensemble des personnes appelées à en faire l’examen. À cet effet, le recours à des outils informatiques permettant de documenter le travail des différents enquêteurs et de servir de « mémoire » du dossier est essentiel. Cette « mémoire » doit notamment, contenir les procès-verbaux des rencontres d’équipe, le suivi des décisions prises, la liste de répartition des tâches communes, les échéanciers critiques le tout, dans une arborescence de classement informatique cohérent et intuitif. Le Comité a pu constater lors de ses travaux, que certains membres du Directeur des poursuites criminelles et pénales sont à développer un « Tableau de la gestion de la preuve » visant à mettre de l’ordre dans la quantité souvent phénoménale de preuves portées à leur attention. Ce tableau permet de regrouper de façon logique la preuve sous chaque chef d’accusation et facilite sa compréhension à l’égard de chacun des suspects visés par l’enquête. Le recours à de tels outils informatiques de classement de la preuve est sans doute utile dans tous les dossiers d’enquête, mais il devient absolument essentiel dans le traitement de l’information concernant la criminalité organisée. Le Comité a été informé que les autorités responsables des poursuites criminelles et pénales ont reçu une présentation de l’outil développé par ses employés.

101 R. v. Chan, 2003 ABQB 759, paragr. 636.

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Le Comité juge primordial que les travaux visant à doter l’organisation d’outils de classement de la preuve soient non seulement encouragés mais qu’une priorité organisationnelle soit accordée à ces travaux. Actuellement, chaque corps policier102 possédant les ressources pour s’engager dans une enquête majeure, emploie un logiciel informatique qui lui est propre pour transmettre au poursuivant la preuve recueillie dans un format qui diffère d’un corps à l’autre. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales ne possède pas de licence pour la version intégrale de ces logiciels103. Cela signifie que le poursuivant ne peut ajouter ou supprimer un renseignement ou encore modifier la manière d’organiser ou de présenter la preuve qui est consignée au document à moins que celui-ci ne soit compatible avec un logiciel en possession du poursuivant. Pour effectuer la gestion de la preuve qui lui est transmise par le corps de police, l’équipe de procureurs et de techniciens du Directeur des poursuites criminelles et pénales doit d’abord transférer celle-ci à partir du document reçu de l’enquêteur dans un autre fichier dont la poursuite possède le logiciel de traitement de l’information. Or, tout ministère ou organisme gouvernemental à qui la loi accorde le mandat de procéder à l’inscription et à la conservation d’informations possède le pouvoir d’exiger que les renseignements portés à sa connaissance soient consignés dans un formulaire dont il rend l’utilisation obligatoire. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales a la responsabilité de déposer les accusations criminelles et pénales sur le territoire du Québec104. Le Comité est d’avis qu’il revient au Directeur des poursuites criminelles et pénales de choisir les logiciels de traitement de l’information ainsi que le format des fichiers dans lesquels les documents lui sont communiqués à la suite d’une enquête policière. Cette exigence préalable à l’examen par le poursuivant des résultats d’une enquête d’envergure devrait, selon le Comité, faire partie des règles d’engagement contenues au protocole de poursuite convenu entre le corps de police et la poursuite.

102 Soit la Sûreté du Québec, le Service de police de la Ville de Montréal, le Service de police de la Ville de Québec, la Gendarmerie royale du Canada. 103 Les corps de police remettent cependant une version « visionneuse » du logiciel utilisé qui permet au poursuivant d’afficher et d’imprimer le contenu d’un document sans toutefois que le logiciel soit installé sur son poste informatique. 104 Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales, préc., note 38, art. 1.

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7.2 - Le caviardage de la preuve L’obligation imposée au poursuivant de divulguer la preuve pertinente en sa possession ou en possession des enquêteurs est assujettie à la reconnaissance de certains privilèges et à certaines règles en matière de confidentialité. Doivent notamment être protégés tout renseignement permettant de connaître ou de déduire l’identité d’un informateur de police ou tout renseignement pouvant révéler l’existence des enquêtes en cours ou les moyens utilisés par les policiers pour obtenir la preuve de la commission d’un crime. Il est du devoir des enquêteurs et de la poursuite de protéger les renseignements dont la communication risque de révéler l’identité d’une source d’information au risque de compromettre sa sécurité physique ou celle de ses proches105. À l’exception de leur identité, les coordonnées des témoins civils et celles des victimes doivent être soustraites de la divulgation ainsi que tout renseignement bénéficiant d’un privilège ou d’une interdiction de communication en vertu de la Loi sur la preuve au Canada106 ou de la common law. Or, certaines personnes rencontrées lors de nos travaux ont souligné qu’un bon nombre de policiers ne comprennent pas les règles gouvernant le caviardage de la preuve, certains d’entre eux estimant même que cette opération ne relève pas de leurs obligations et qu’il appartient au poursuivant de s’en charger. Pourtant, en raison de leur connaissance pointue de la preuve et de ses sources, les enquêteurs se trouvent dans une position privilégiée pour évaluer correctement la nature des informations recueillies. Bien plus, dans certaines situations, eux seuls sont en mesure de déterminer si la divulgation d’une information risque de compromettre la sécurité d’une personne ayant collaboré à leur enquête. Le caviardage des informations sensibles ou protégées en vertu de la législation doit obligatoirement faire partie des tâches assignées aux enquêteurs et il s’avère de la plus grande importance que les policiers affectés à cette fonction aient reçu la formation appropriée pour s’en acquitter. Ce travail doit aussi débuter dès l’obtention des premières informations et être confié au gestionnaire de la preuve, sous la supervision du responsable de l’enquête, afin d’en assurer la cohérence et éviter la répétition d’incidents de la nature de celui rapporté au Comité où une information sensible ayant fait l’objet de caviardage fut malencontreusement communiquée à la défense parce qu’elle se retrouvait dans un autre document dont le caviardage n’avait pas été correctement effectué. Une méthode fort appréciée des procureurs de la poursuite est celle qui voit les informations sensibles être surlignées ou ombragées par le gestionnaire de la preuve ou

105 Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43, paragr. 23. 106 L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 37.

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la personne à qui cette tâche a été confiée afin d’informer le poursuivant du caractère particulier de l’information. Ce dernier peut alors procéder à l’examen plus poussé de la preuve surlignée afin de déterminer la nature du renseignement et prendre une décision sur la nécessité de procéder à sa divulgation ou de lui faire bénéficier du privilège de confidentialité. En ce qui concerne la preuve recueillie grâce à l’interception des communications privées des cibles de l’enquête, ce travail de caviardage doit s’effectuer au fur et à mesure de son acquisition, tout au long de la période couverte par le mandat d’autorisation, afin que l’opération soit complètement réalisée au moment où la poursuite doit se décharger de son obligation de divulgation, ce qui, comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, devrait s’effectuer très rapidement après les arrestations ou au moment du dépôt des dénonciations. Tous les procureurs de la poursuite rencontrés nous ont confirmé que le caviardage s’avère un aspect crucial dans la longue liste des éléments à considérer en vue d’assurer la réussite d’un procès long et complexe, en raison de la quantité importante de preuve devant faire l’objet d’une divulgation et des impacts que cela peut comporter en ce qui a trait à la sécurité physique des témoins ou des collaborateurs. En cette matière, le droit à l’erreur peut difficilement servir d’excuse. 7.3 - Le travail préparatoire à la divulgation de l a preuve L’ampleur et la complexité de la preuve recueillie à l’égard des agissements de plusieurs personnes suspectées de crimes, dont les ramifications sont souvent multiples, posent des défis importants aux responsables des poursuites judiciaires. Toutes les personnes consultées ont de façon unanime reconnu que la capacité du poursuivant à respecter son obligation de communication est largement tributaire de l’obligation qu’ont les organismes d’enquête à partager avec lui les renseignements obtenus. Or, selon plusieurs procureurs de la poursuite, les policiers éprouvent généralement des difficultés importantes à s’acquitter de leur obligation à cet égard, en raison principalement de leur méconnaissance du concept de la pertinence rattaché à la preuve devant faire l’objet de divulgation. Le Comité a pu constater que cette méconnaissance est aussi le lot, parfois, de certains procureurs inexpérimentés à qui est confiée la conduite de procès importants. Malheureusement, un poursuivant qui, de bonne foi, estime avoir divulgué l’ensemble de la preuve pertinente en sa possession, peut se voir reprocher de ne pas avoir porté à la connaissance de la partie défenderesse des éléments pertinents soulevant ainsi des doutes sur sa capacité à conduire le procès, ou pire encore, sur son intégrité. Lorsqu’une telle situation se produit, il s’avère alors presque impossible pour ce poursuivant de regagner la confiance des autres acteurs du procès.

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De l’avis d’un poursuivant possédant une vaste expérience des procès longs et complexes :

« Le juge doit constamment sentir que le ministère public donne l’heure juste. »

Le poursuivant a l’obligation continue de divulguer à l’accusé tous les renseignements pertinents en sa possession ou sous son contrôle conformément à l’article 7 de la Charte canadienne, lequel consacre le droit de l’accusé à une défense pleine et entière à titre de principe de justice fondamentale107. Le corollaire de cette obligation constitutionnelle du poursuivant est le devoir constitutionnel des corps de police de lui communiquer tous les renseignements pertinents se rapportant à l’enquête menée sur l’accusé. Il s’agit d’une des obligations les plus importantes du système de justice pénale et l’omission de respecter le droit de l’accusé d’entrer, dans des délais raisonnables, en possession de toute la preuve pertinente accumulée par les policiers peut mener à l’arrêt pur et simple des procédures. Ainsi, lorsque la divulgation est désorganisée et incomplète, la défense fait des demandes de divulgation et présente des contestations ce qui cause des retards dans le déroulement des procédures108. Le poursuivant a la discrétion de ne divulguer que ce qui est pertinent mais il est soumis à l’autorité des tribunaux. De fait, si la défense estime qu’un renseignement est pertinent, elle peut demander à la Cour supérieure du Québec ou au juge du procès de réviser la décision du procureur de ne pas divulguer un renseignement.

« There is little downside to over-disclosure. At worst, it creates more paper to photocopy and distribute. At best, it could prevent a wrongful conviction. »109

Plusieurs procureurs et policiers d’expérience ont déploré l’absence de pratique uniforme et le fait qu’il n’existe pas de véritables protocoles entre les organismes policiers et la poursuite. Il en existe un entre la Sûreté du Québec et le Directeur des poursuites criminelles et pénales, mais il est visiblement désuet, datant de 1994, avant l’ère moderne informatique et il ne couvre pas les relations avec les autres organismes d’enquête. Des travaux ont été entrepris il y a quelques années pour la conclusion d’un protocole entre le Directeur des poursuites criminelles et pénales et tous les corps de police, mais il semble bien que le partage des coûts afférents à la divulgation ait fait échec à un règlement à cet égard. Il apparaît essentiel que les discussions soient reprises à cet égard pour qu’on puisse s’assurer que toutes les parties comprennent leurs obligations et leur rôle. 107 Voir plus loin à la section consacrée à la poursuite et particulièrement l’arrêt R. c. Stinchcombe, préc., note 46. 108 LeSage et Code, préc., note 3, p. 25 et 26 109 Steven Penney, Vincenzo Rondinelli, James Stribopoulos, Criminal Procedure in Canada, Markham (Ont.), LexisNexis, 2011, s. 7.11, p. 421.

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Comme nous le verrons plus loin, pour qu’une affaire soit menée à terme, il est nécessaire que le dossier de poursuite soit bien organisé et complet dès le dépôt des dénonciations de façon à ce que les documents et la preuve pertinente soient fournis à la défense en temps utile. L’identification de la preuve et l’évaluation de sa pertinence doivent se faire suffisamment tôt dans le processus et doivent débuter au cours de l’enquête, et ce, même si dans certaines enquêtes longues et complexes, les procureurs chargés de la poursuite sont amenés à conseiller les policiers. En ce faisant, ils n’ont pas toujours la connaissance présumée de toute la preuve et les renseignements ne sont pas nécessairement en leur possession. Les policiers devraient fournir aux procureurs un inventaire clair qui leur permet de comprendre en quoi ces policiers estiment que la preuve est pertinente. Une divulgation ordonnée s’ensuit et permet de guider la défense sur les éléments particuliers. Plusieurs procureurs d’expérience ont soulevé qu’une divulgation correctement préparée permettra d’enligner correctement toutes les étapes préliminaires aux procès et peut même permettre dans certains cas de procéder en rencontres de facilitation :

« But organized and timely disclosure has significant positive trickle-down effects, not the least of which is cost-saving: bail is facilitated and can take place earlier, pleas happen at the outset and thereby render the case more manageable, preliminary inquiries may be waived (if they are not required to “discover” the case), etc. In the end, if the cost is not reduced, it is simply redistributed elsewhere. But overall, it shouldn’t be costing more to the system and the cost is better allocated when it is invested at the outset. »110

L’envergure de la preuve qui devra être divulguée rend nécessaire la préparation de la divulgation au stade de l’enquête. L’organisation de la preuve et l’identification de la divulgation doivent devenir une fonction essentielle de l’enquête. Puisque c’est le policier qui collige les renseignements pertinents pendant l’enquête, il est en mesure d’en dresser la liste très tôt dans le processus et d’en identifier la pertinence. Dès le début de l’enquête, les policiers devraient tenir un registre de la preuve divulguable. Pour réaliser cette obligation, les policiers doivent bien comprendre les règles de la pertinence. Ce ne sont pas eux qui décident ultimement de cette pertinence, mais ils sont en mesure d’identifier les éléments essentiels permettant aux procureurs de faire correctement ce travail. À l’obligation policière de colliger tous les renseignements pertinents et de les transmettre à la poursuite, se superpose une obligation de rendre cette preuve « intelligible ». Il n’est pas acceptable qu’un procureur autorise des dénonciations sans connaître et comprendre la preuve recueillie par les policiers. Ces derniers doivent donc la présenter dans un format convivial et il pourrait être utile qu’ils en exposent la teneur,

110 Christine Mainville, « Report on the CIAJ’s Complex Criminal Trials Roundtable », 2015 62 C.L.Q. 340, p. 9.

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prévoient un résumé des interrogatoires ou des conversations interceptées pertinentes, surtout si elles sont volumineuses. Ils devront aussi indiquer si les éléments de preuve apparaissent pertinents ou privilégiés. Puisque le procureur a une obligation de divulgation face à la défense, il doit pouvoir lui divulguer un dossier ordonné présentant la preuve dans un format convivial, évitant de submerger celle-ci de renseignements inutiles, et correctement caviardée si elle est couverte par un privilège. Le policier devra l’aider à remplir son obligation. Le Barreau reconnaissait l’étendue de l’obligation en 2004 en estimant qu’elle consistait à fournir à la défense une preuve qui se trouve « dans un état qui rend la communication intelligible et que des moteurs de recherche adéquats soient disponibles pour permettre le repérage des informations nécessaires parmi les milliers de renseignements accumulés pendant plusieurs années d’enquêtes. »111. Une autre difficulté soulevée tient à la complexification de la jurisprudence des dernières années et à une difficulté à se mettre à jour à cet égard. La divulgation de preuve est devenue complexe, particulièrement puisque l’arrêt McNeil112 force le poursuivant à s’enquérir des éléments de preuve qui apparaissaient il y a quelques années non pertinents et qui à l’occasion sont détenus par des tiers. Il est de plus en plus fréquent de faire face à des requêtes de type O’Connor113. Il subsiste encore, tant chez les policiers que chez les procureurs, une confusion entre la preuve pertinente et la preuve à charge. Des procureurs ont rapporté des difficultés liées aux enquêtes parallèles visant les mêmes accusés et les mêmes témoins lorsque plusieurs corps de police ou organismes d’enquêtes sont impliqués. Les policiers ont du mal à faire la part des choses et n’informent pas toujours les procureurs de l’existence d’éléments de preuve pertinents, ce qui soulève des situations embarrassantes devant le tribunal, notamment lorsque plusieurs enquêtes sont menées de front et ont des ramifications entre elles. Les policiers n’ont pas toujours le réflexe de partager l’information qu’ils recueillent et qui est pertinente aux enquêtes de leurs collègues. Or, l’obligation de divulgation vise les fruits de l’enquête, soit tous les renseignements pertinents que le procureur ou l’enquêteur ont en leur possession et qui se rapportent à l’enquête visant un accusé. Pour établir le critère de pertinence, le procureur doit déterminer si le renseignement peut être d’une certaine utilité pour la défense et il doit divulguer à l’accusé tous les renseignements pertinents qu’ils soient favorables ou non, sauf s’il s’agit d’une preuve qui échappe au contrôle de la poursuite, qui est manifestement sans pertinence ou qui fait l’objet d’un privilège114.

111 Comité du Barreau, préc., note 6, p. 13; voir R. v. Chan, préc., note 101, paragr. 23-25 et 54; R. c. Taillefer; R. c. Duguay, 2003 CSC 70, paragr. 59. 112 R. c. McNeil, 2009 CSC 3. 113 Inspirée de l’arrêt R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, cette procédure est décrite dans l’arrêt R. c. McNeil, préc., note 112, paragr. 27, comme permettant à la défense d’obtenir des renseignements détenus par un tiers. 114 R. c. McNeil, préc., note 112, paragr. 18.

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7.4 - La forme de la divulgation L’article 603 du Code criminel porte sur ce que doit contenir la preuve communiquée mais pas sur la forme qu’elle doit prendre ou la manière dont elle doit être faite. L’article 603 prévoit qu’un accusé a le droit, après qu’il a été renvoyé pour subir son procès à l’égard d’un acte criminel, d’examiner sa déclaration, la preuve et les pièces, et de recevoir, sur paiement d’une taxe, une copie de l’acte d’accusation, de sa déclaration et de la preuve. Le paragraphe 603(2) indique aussi que le procès ne peut être remis pour permettre à l’accusé d’obtenir des copies de la preuve, à moins que le tribunal ne soit convaincu que le défaut de l’accusé de les obtenir avant le procès n’est pas attribuable à un manque de diligence de sa part. Ces dispositions législatives au sujet de la communication de la preuve ont largement été supplantées par la jurisprudence qui confirme le droit constitutionnel dont jouit l’accusé d’obtenir la communication de tous les renseignements pertinents comme faisant partie du droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière. En 1991, la Cour suprême du Canada a confirmé, dans l’arrêt Stinchcombe115, que le droit de l’accusé à la communication de tous les renseignements pertinents en la possession de la poursuite ou sous son contrôle faisait partie du droit de l’accusé de présenter une défense pleine et entière. En outre, l’arrêt McNeil116, a aussi établi que la poursuite a également l’obligation positive de faire les démarches raisonnables auprès d’autres ministères ou organismes du gouvernement qui pourraient logiquement être en possession de renseignements pertinents. Le poursuivant ne peut refuser de communiquer des renseignements que s’ils sont privilégiés ou qu’ils n’ont manifestement rien à voir avec l’enquête ou la poursuite. En matière de communication de la preuve en général, les tribunaux ont confirmé que le moment où celle-ci doit être faite et la méthode retenue pour le faire relèvent du pouvoir discrétionnaire du poursuivant. Toutefois, l’exercice de ce pouvoir peut faire l’objet d’un examen judiciaire. La poursuite ou la défense peuvent demander des directives sur des questions relatives à la communication de la preuve au juge du procès ou à un juge d’une cour supérieure si le litige se présente avant que l’accusé n’ait choisi son mode de procès. Or, le fait que seuls un juge de cour supérieure ou le juge du procès puissent se pencher sur des questions de divulgation s’avère la cause principale de retards dans la divulgation de la preuve. Cet aspect sera traité plus longuement dans le chapitre 11 consacré au processus judiciaire. Compte tenu des positions contradictoires soulevées dans la jurisprudence en regard de l’étendue des obligations de la poursuite à l’égard de la divulgation, il pourrait s’avérer judicieux d’inclure au Code criminel un énoncé de principe selon lequel le choix du mode (sur support électronique ou sur papier) et du format de la communication de la preuve (la nature du support électronique utilisé, qu’il s’agisse d’un CD, d’une clé USB ou d’un accès à distance par Internet, ainsi que le logiciel utilisé pour classifier la preuve et effectuer des recherches au sein de cette classification) relève de la discrétion du poursuivant.

115 R. c. Stinchcombe, préc., note 46, p. 333, 335, 338 et suiv. 116 R. c. McNeil, préc., note 112, paragr. 48 et suiv.

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Mais, avant tout, il s’avère essentiel que l’accusé et son défenseur puissent bénéficier d’une divulgation compréhensible et gérable. En raison du fort volume d’informations susceptibles d’être transmises dans le cadre d’un procès d’envergure exceptionnelle, il serait profitable pour la défense de pouvoir bénéficier d’une présentation générale de la preuve devant servir au soutien de l’accusation. Le Comité est d’avis que le déroulement du procès pourrait gagner en efficacité si le poursuivant et l’enquêteur principal étaient amenés à offrir aux avocats de la défense l’occasion d’assister à une séance d’information au cours de laquelle seraient présentés la théorie de la cause, les grandes lignes de la preuve au soutien de l’accusation, ainsi que les outils informatiques mis à la disposition de la défense pour en faire la consultation. Cette séance à huis clos, reprenant les objectifs recherchés par les séances de conférence préparatoire, permettrait à la défense de se familiariser plus rapidement avec le contenu des documents ou supports informatiques fournis par la poursuite pour s’acquitter de son obligation de divulgation. Elle permettrait également à la poursuite de connaître les besoins exprimés par la défense en dehors du cadre formel des séances de cour, favorisant ainsi le dialogue et les admissions sur certains éléments de la preuve. RECOMMANDATIONS : 19o– Qu’une priorité organisationnelle soit accordée p ar le Directeur des poursuites criminelles et pénales aux travaux déjà initiés visant à doter l’organisation d’outils de classement de l’informat ion accumulée par les enquêteurs de police et transmise au poursuivant da ns les situations d’enquêtes majeures pouvant conduire à la tenue d’un mégaprocè s. 20o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales rende obligatoire, pour toutes les forces policières ou autres organismes c hargés de la répression de la criminalité organisée, le recours à des logiciels p articuliers de traitement de l’information ainsi qu’aux formats de fichiers spéc ifiques à ces programmes informatiques dans la communication qui lui est fai te de la preuve ou autre information devant servir à la prise de décision su r les suites à donner aux enquêtes d’envergure, et que cette exigence fasse p artie des règles d’engagement contenues au protocole de poursuite intervenu entre le corps de police et le poursuivant. 21o– Qu’une séance d’information soit offerte conjoint ement par le poursuivant et l’enquêteur principal aux avocats représentant les personnes accusées le plus tôt possible après les arrestations et la comparution d e leurs clients et au cours de laquelle seraient, notamment, présentés la théorie de la cause du poursuivant, les grandes lignes de la preuve au soutien des accusati ons ainsi que les outils informatiques mis à leur disposition par la poursui te pour en faire la consultation.

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8 - LE DÉPÔT DES DÉNONCIATIONS Le poursuivant bénéficie, dans l’exécution de ses fonctions de responsable de la poursuite dirigée contre les auteurs d’actes criminels, d’une autonomie professionnelle qui trouve son équivalent dans très peu d’autres professions. Afin de le protéger de toute ingérence ou pression indue pouvant affecter la prise de décisions dans l’exécution de son mandat, il lui faut être en mesure de conduire une affaire criminelle en faisant appel à ses capacités d’analyse et de jugement libérées de toute influence extérieure. Bien qu’il lui soit possible, et même fortement recommandé dans certaines situations, de solliciter l’avis de toute personne en mesure de l’aider dans ses prises de décision, celles-ci doivent reposer sur des motifs qu’il aura lui-même dégagés après analyse de la preuve qui lui aura été soumise.

« La préautorisation des poursuites par le procureur du Québec permet certainement d’éviter l’introduction dans le système de justice criminelle d’accusations mal fondées, qui sont souvent sources de contestations ou d’ajournements entraînant ainsi des délais supplémentaires dans le déroulement du processus judiciaire. Il est permis ainsi de croire que l’analyse du dossier d’enquête policière par le procureur avant le dépôt d’une accusation facilite sa tâche. Mais cette fonction que le procureur québécois assume fait reposer sur celui-ci un fardeau supplémentaire non négligeable. En effet, il lui faut s’assurer que le dépôt de l’accusation est précédé d’un examen rigoureux de la preuve, ce qui nécessite souvent des heures de lecture et des rencontres avec les témoins et les enquêteurs au dossier. C’est surtout à l’égard de cette tâche que dans l’arrêt Boucher cité plus haut, on y décrit la fonction de poursuivant en ces termes : “[...] dans la vie civile, aucun autre rôle ne comporte une plus grande responsabilité personnelle. »117

8.1 - Le responsable de la poursuite Cette responsabilité rattachée au rôle du poursuivant revêt un caractère encore plus exceptionnel lorsqu’elle est associée à l’examen de la preuve recueillie lors d’une enquête policière de grande envergure. Pour ces raisons, il apparaît de la plus haute importance pour le Comité que la désignation d’un responsable de la poursuite dans un mégaprocès soit précédée d’une réflexion sérieuse de la part des gestionnaires chargés de coordonner le travail des poursuivants au sein du Directeur des poursuites criminelles et pénales.

117 Québec, Comité de la rémunération des procureurs aux poursuites criminelles et pénales, Rapport sur la rémunération et certaines conditions de travail des procureurs aux poursuites criminelles et pénales, par Michel Bouchard, septembre 2015, 126 p., p. 68. L’arrêt cité est rapporté à : Boucher v. The Queen, [1955] S.C.R. 16.

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La décision d’engager le système de justice dans une procédure criminelle qui exigera nécessairement une contribution exceptionnelle de ses différents acteurs ne peut être laissée à l’appréciation d’une personne ne possédant pas toutes les qualités et les habiletés requises pour, non seulement analyser le bien-fondé des motifs au soutien de la demande d’intenter les procédures présentées par les enquêteurs de police, mais surtout, évaluer avec justesse l’ampleur du processus à mettre en branle, ainsi que les risques associés à son déroulement. La principale préoccupation que devrait donc entretenir le gestionnaire de la poursuite dans cet exercice de désignation d’un responsable de la poursuite n’est pas tant celle de choisir pour diriger la poursuite un plaideur désireux d’assumer la responsabilité d’un procès important, mais de placer à la tête de l’équipe de poursuite chargée de mener une affaire longue et complexe une personne capable de prévoir les difficultés liées à la conduite d’une affaire complexe et d’en évaluer les risques, en tablant non seulement sur son désir de faire l’étalage de ses connaissances des règles de droit et de la jurisprudence, ou de ses talents d’orateur, mais avant tout, de faire la démonstration de qualités ou de traits de personnalité dont, entre autres, une capacité exceptionnelle à travailler en équipe. Cette responsabilité incombant au gestionnaire de la poursuite de procéder au choix du poursuivant exclut évidemment toute désignation d’un responsable de la poursuite sur la seule base d’un système prévoyant qu’un procureur possédant de longs états de service peut se voir confier la conduite d’un long procès en raison de sa disponibilité au moment où il est nécessaire pour l’organisation de procéder à cette affectation. Après avoir rencontré en entrevue un nombre élevé d’intervenants associés au déroulement de procès longs et complexes, que ce soit à titre de poursuivant, d’enquêteur, de juge ou d’avocat de la défense, les membres du Comité sont d’avis que la sélection d’un responsable de la poursuite dans une affaire qualifiée de mégaprocès, constitue la décision la plus importante pour une organisation dont la responsabilité première consiste à s’assurer que le système de justice sera en mesure de s’acquitter de sa mission à l’égard de toute poursuite qu’elle entend soumettre à son analyse. C’est pourquoi, lorsqu’il lui faut confier la responsabilité d’examiner les résultats d’une enquête policière qui, vraisemblablement, nécessitera la tenue d’un procès long et complexe, le Directeur des poursuites criminelles et pénales doit s’assurer de retrouver chez le ou la candidate pressentie les qualités et aptitudes ci-après décrites :

• Une expérience reconnue dans la conduite de procès avec jury et une connaissance poussée des défis que présente ce type de procès;

• Un jugement sûr doublé d’une bonne connaissance des règles de droit,

notamment la Loi sur la preuve au Canada118; • Une personnalité capable de faire preuve de leadership, de faire confiance à ses

collaborateurs, de partager ses connaissances avec eux, de déléguer les

118 Préc., note 106.

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différentes tâches qu’implique un procès d’envergure, tout en étant soucieux de ne pas s’arroger le rôle de « vedette »;

• Être en mesure de comprendre le rôle qui revient aux avocats de la défense

dans un procès criminel et établir une relation de confiance avec eux; • Une capacité hors du commun de travailler de longues heures, de s’approprier

une preuve volumineuse et complexe et d’être en mesure de la présenter de façon compréhensible avec logique et de manière intéressante devant le tribunal;

• Une aisance ou une volonté réelle d’apprendre à utiliser les nouveaux moyens

de communication de la preuve que sont capables de procurer les outils informatiques;

• Une saine ambition de mener le dossier à terme, ce qui implique notamment qu’il

est en mesure de résister à la tentation de régler le dossier à rabais pour le seul motif que son déroulement nécessitera un trop lourd fardeau de travail;

• Une grande capacité à supporter les attaques personnelles ainsi que la pression

susceptible d’être exercée par les autres participants au système, incluant celle en provenance de la couverture médiatique de l’affaire qu’on lui aura confiée;

• Et surtout, faire preuve d’une bonne assurance dans la conduite du dossier sans

toutefois verser dans l’arrogance, ce qui risquerait de lui faire perdre de vue les enjeux et les difficultés inhérentes à ce type de dossier.

Dans le rapport qu’ils ont produit suite au déroulement du procès intenté contre les personnes suspectées d’avoir organisé l’attentat contre le vol 182 d’Air India, les auteurs Wright et Code, impliqués au premier chef à titre de procureur et de défenseur lors du procès, sont d’avis que la poursuite dans ce genre de dossier doit être menée par un procureur d’expérience possédant des qualités de meneur et capable de composer avec des contraintes administratives :

« [Traduction] La divulgation, l’admission de faits, les requêtes relatives à la procédure et aux preuves et l’établissement d’un échéancier, en particulier, feront constamment l’objet de discussions, pendant plusieurs années, à mesure que l’affaire progresse. Le ministère public doit tenir les rênes en cette matière, puisqu’il lui revient de faire avancer la cause. Pour que ces discussions soient fructueuses, le procureur en chef doit aussi être un négociateur habile et pragmatique qui ne s’acharne pas pour compter le moindre point et qui ne se laisse pas décourager par les manquements des avocats de la défense. […] Si le moindre point secondaire doit être débattu, le “mégaprocès” n’aboutira jamais. »119

119 Commission d’enquête Air-India, préc., note, 4, citant R. H. Wright et M. Code, Air India Trial : Lessons Learned, Part II, p. 2.

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Tout en étant pleinement d’accord avec ces propos, le Comité estime également que le responsable de la poursuite, bien que doté d’une grande autonomie dans l’exercice de ses fonctions, doit aussi posséder au plus haut point une compréhension totale du rôle particulier qu’il est amené à jouer dans le système de justice. Dans le feu de l’action, et tout au long du processus qui exigera de sa part une maîtrise constante de ses émotions face à l’adversité et aux frustrations dont il pourra être l’objet, il devra se rappeler que dans notre système pénal, le poursuivant doit conserver une objectivité réelle et apparente face aux accusations portées et évacuer toute notion à l’effet que le verdict de culpabilité doit être la seule fin recherchée par le dépôt des accusations. Un procureur de la défense, rencontré en entrevue, nous a fourni les commentaires suivants :

« Le pire pour la défense, c’est de faire face à un avocat de la poursuite compétent, honnête et transparent ».

Un juge ayant eu à présider des causes longues et complexes n’a éprouvé aucune hésitation à affirmer aux membres du Comité que le rôle le plus important dans le déroulement d’un procès long et complexe est celui confié au poursuivant dont on s’attend qu’il ait une connaissance parfaite du dossier. Pour beaucoup de représentants de la défense cependant, une problématique particulière se manifeste trop souvent dans les affaires qu’ils ont à traiter avec les représentants de la poursuite. On leur reproche de ne pas être capables de négocier les aspects importants d’un dossier en raison d’un manque d’autonomie dans la conduite du procès. Des remarques semblables ont été recueillies auprès des représentants des forces de police. Le Comité est d’avis que ces commentaires doivent être sérieusement pris en considération par les autorités responsables des poursuites car ils ont aussi été fournis par les représentants de la magistrature que nous avons été amenés à rencontrer. Ce qui irrite particulièrement le juge présidant une affaire longue et complexe, c’est d’avoir à suspendre l’audition d’une requête ou d’un témoignage en raison de l’incapacité du poursuivant à prendre position à l’égard d’une demande formulée par la défense ou le tribunal. Parce que le déroulement d’un procès long et complexe implique une gestion particulière de la façon dont il est mené, il est nécessaire que la direction administrative conserve, malgré l’autonomie du procureur de la poursuite dans la conduite de l’affaire, une responsabilité à l’égard des décisions à prendre et de la stratégie à adopter, ce qui implique de la part du procureur de la poursuite qu’il lui faudra à l’occasion, accepter d’aller dans une direction à laquelle il ne souscrivait pas au départ de l’affaire. Un procureur de la poursuite possédant l’expérience dans la conduite d’affaires complexes est en mesure de comprendre et d’accepter de telles situations. Mais ses

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supérieurs doivent l’aider à composer avec les « rebondissements » qui peuvent surgir à tout moment durant le déroulement de l’affaire. Une plus grande implication du gestionnaire de la poursuite dans le déroulement et la progression de l’affaire, et sa connaissance plus importante des particularités du dossier, devraient faire en sorte que ces reproches formulés à l’égard de l’attitude du procureur de la poursuite face aux décisions à prendre en cours de procès devraient diminuer en importance. 8.2 - L’encadrement et la composition de l’équipe d e poursuite Puisqu’il peut s’avérer difficile de retrouver réunies chez un seul individu toutes ces qualités et aptitudes recherchées d’un responsable de la poursuite, la composition de l’équipe qui le supportera dans sa tâche devra nécessairement tenir compte des forces et des faiblesses constatées chez le plaideur principal. D’où l’importance pour le gestionnaire de la poursuite chargé d’identifier le poursuivant capable de diriger la poursuite qualifiée de majeure, de s’assurer que ce plaideur sera entouré de collègues capables d’afficher certaines des qualités moins développées chez ce dernier de façon à ce que tous les membres de l’équipe contribuent, en fonction de leur expertise ou de leurs connaissances particulières, au succès de la poursuite qui sera engagée. Idéalement, dans les cas exceptionnels où le procès s’annonce particulièrement long malgré l’importance accordée à sa préparation, l’équipe de poursuite devrait pouvoir compter sur un deuxième plaideur chevronné, dans l’éventualité où le premier responsable de la poursuite ne serait pas en mesure, pour toutes sortes de raisons, de compléter le mandat qu’on lui aura confié. Outre le gestionnaire de poursuite dont le rôle principal consiste, une fois l’équipe en place, à s’assurer que la préparation du procès ainsi que son déroulement ne seront pas entravés par des questions de nature administrative ou des problèmes de logistique, l’encadrement du responsable de la poursuite ou plaideur principal devra comprendre un ou des procureurs capables d’analyser la preuve recueillie et d’en communiquer la teneur de façon compréhensible et ordonnée, sous la supervision du responsable de la poursuite. L’équipe doit aussi comprendre un procureur d’expérience qui prendra charge principalement de la gestion de la preuve et qui devra être particulièrement au fait des obligations qui incombent au poursuivant en cette matière. Une expertise particulière en matière de règles de la preuve doit constituer un critère de sélection incontournable relativement à ce choix. La quantité souvent phénoménale de preuves dans ce type de dossiers commande qu’une personne de l’équipe possède une connaissance pointue du dossier de police. C’est donc ce procureur qui doit être désigné pour s’occuper de la préparation de la preuve à divulguer et du suivi des demandes formulées à cet égard par les avocats de la défense. Il doit être en mesure de trancher sur la preuve à être divulguée et sur celle qui doit faire l’objet d’un caviardage. Il s’assure également du classement de l’information

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obtenue et colligée par les enquêteurs. Il doit obligatoirement œuvrer en étroite collaboration avec le responsable de la poursuite et l’informer de toutes les décisions importantes concernant la divulgation de la preuve. L’équipe des poursuivants doit aussi comprendre des procureurs qui agiront comme recherchistes et qui auront le mandat de représenter la poursuite devant le tribunal lors de l’audition des requêtes portant sur des points de droit dont ils auront assuré le travail de préparation, afin d’éviter que le responsable de la poursuite ne soit distrait de sa tâche de plaideur principal et de responsable de la stratégie de poursuite. Un technicien juridique devra obligatoirement être mis à contribution dans l’équipe de poursuite aux fins de permettre la mise en forme et l’accès par voie électronique à la volumineuse preuve recueillie, de façon à la rendre accessible à tous les participants au processus judiciaire. Ce technicien est membre à part entière de l’équipe et accompagnera le plaideur tout au long du procès. Une telle énumération de ressources professionnelles et techniques que l’organisation responsable des poursuites criminelles se doit d’ajouter à son personnel chargé de la conduite d’un mégaprocès peut sembler à contre-courant des politiques habituellement observées par les autorités gouvernementales à l’égard des ressources consenties aux différents ministères et organismes dans l’accomplissement de leur mission. Le Comité est bien conscient que la capacité financière de nos gouvernements n’est pas illimitée. Mais puisque l’État a fait de la lutte au crime organisé une priorité, en raison notamment des impacts que cette forme de criminalité fait subir à l’économie, il lui faut, en toute logique, s’assurer que les sommes importantes investies à ce chapitre sont distribuées également, sinon prioritairement, à l’entité responsable de traduire les criminels devant la justice. 8.3 - Les modes de présentation de la preuve au jug e et aux jurés La responsabilité de présenter une preuve volumineuse et complexe lors d’un procès devant juge seul ou avec jury représente un défi important pour tout poursuivant à qui on a confié la conduite d’un mégaprocès. La preuve recueillie lors d’une enquête policière d’envergure peut être constituée de plusieurs types de documents (notes des enquêteurs, rapports d’expertise, déclarations de témoins, documents écrits ou sur supports informatiques saisis lors d’une perquisition, transcriptions de conversations téléphoniques ou autrement interceptées, etc.) et conservés sur supports ou dans des formats divers. Non seulement ce poursuivant doit-il s’assurer que cette preuve sera intelligible pour le décideur mais il doit aussi s’assurer qu’elle sera présentée dans un délai raisonnable conformément aux droits reconnus à l’accusé par l’alinéa 11b) de la Charte canadienne. Dans le cadre du déroulement d’un long procès, le temps nécessaire à la présentation de la preuve peut devenir un obstacle important à la bonne compréhension du juge ou des jurés. Parmi les personnes rencontrées par le Comité au cours de ses travaux,

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certaines d’entre elles ont soutenu que la durée d’un procès devant un juge et un jury ne devrait pas dépasser six mois. Loin de prétendre qu’un jury constitué de « citoyens ordinaires » ne peut être en mesure de rendre un verdict raisonnable passé un certain délai depuis le début du procès, le Comité ne peut sous-estimer l’effort intellectuel que requiert un tel exercice : assimiler beaucoup d’information, comprendre chacun des renseignements fournis, analyser l’ensemble de la preuve en regard des infractions reprochées et en fonction de la participation de chacun des accusés à la commission de celles-ci, retenir les directives du juge prononcées plusieurs semaines ou mois après que les événements aient été portés à la connaissance des jurés, être à l’écoute lors du délibéré des impressions produites par la preuve chez chacun des jurés, etc. Au cours de ses travaux, le Comité a pu bénéficier d’une présentation offerte par des membres de l’équipe du Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales sur les moyens technologiques utilisés par la poursuite pour s’acquitter de son fardeau de preuve dans le cadre de deux procès se qualifiant comme longs et complexes. Cette présentation a convaincu les membres du Comité de la nécessité de recourir aux technologies de l’information pour orchestrer la présentation d’une preuve volumineuse et complexe lors d’un procès. Le recours à ces modes de présentation de la preuve est devenu une condition essentielle à l’atteinte de l’objectif que doit viser le poursuivant, à savoir être en mesure de rendre la preuve intelligible pour le juge et les jurés. Bien que l’élaboration des documents servant à la présentation de la preuve en salle de cour ainsi que la manipulation du matériel technologique nécessaire à celle-ci soient effectuées par du personnel technique qualifié, il demeure important que leur travail soit supervisé par un poursuivant, de préférence le responsable de la gestion de la preuve au sein de l’équipe de poursuite. Ce dernier doit notamment veiller à ce que les renseignements présentés au juge et au jury ne soient pas protégés par un privilège ou autrement inadmissibles en preuve. Au surplus, le travail que nécessite l’élaboration de ces modes de présentation de la preuve ne peut justifier le retard à apporter à débuter le procès ou à en freiner le déroulement. C’est pourquoi cette préparation se doit d’être planifiée à l’avance, bien avant la date prévue pour le procès. RECOMMANDATIONS : 22o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales confie à un gestionnaire de la poursuite la responsabilité de l a constitution d’une équipe de poursuite lorsque l’enquête policière dont il est s aisi revêt les caractéristiques d’une affaire longue et complexe. 23o– Que la constitution de l’équipe de poursuite s’ar ticule autour d’un responsable de la poursuite choisi en raison des qu alités et des aptitudes le

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qualifiant pour mener à terme les procédures judici aires susceptibles d’être engagées suite à l’examen des preuves accumulées lo rs de l’enquête policière. 24o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales s’assure que l’équipe de poursuite puisse bénéficier dans l’examen et la présentation devant le tribunal de la preuve qui lui est soumise des facilités que peuvent procurer les outils rendus disponibles par le développement des technol ogies de l’information et que tous les membres de cette équipe soient formés à le ur utilisation afin de rendre la preuve intelligible à tous les acteurs impliqués da ns le processus judiciaire auquel l’enquête policière aura donné naissance. 25o– Que les autorités gouvernementales responsables d e la distribution des crédits aux ministères et organismes reconnaissent l’importance de fournir au Directeur des poursuites criminelles et pénales les ressources nécessaires à l’accomplissement de la mission que lui confie l’Ét at de s’assurer que la lutte menée à la criminalité organisée sera conduite de f açon efficace jusqu’à la fin du processus judiciaire enclenché par les arrestations des auteurs de ces crimes.

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9 - LA DÉCISION DE POURSUIVRE Il est de la plus grande importance pour l’intérêt public que les dénonciations menant à l’arrestation de personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves, surtout lorsque ces infractions sont le fait d’une organisation criminelle structurée, connaissent un dénouement prononcé par un juge ou un jury, à l’issue d’un procès tenu dans des délais raisonnables, et non une fin abrupte découlant d’une déclaration d’arrêt des procédures suite au constat d’une impossibilité de mener à terme les procédures engagées. L’issue qu’ont connu certaines poursuites criminelles d’envergure, tant au Québec120 qu’ailleurs au pays121, en raison de l’impossibilité pour la poursuite de s’acquitter de son fardeau de prouver la culpabilité des accusés dans un délai raisonnable, même si elle disposait d’une preuve probante mais malheureusement jugée non admissible en raison d’un manquement à ses devoirs de poursuivant, justifie que l’on reconsidère les critères auxquels celui-ci s’est traditionnellement référé dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de porter des accusations. S’engager dans un procès, qui manifestement exigera un effort exceptionnel de la part de ses participants, requiert de la part du poursuivant public la considération d’autres critères qui vont au-delà de la seule évaluation de la force probante de la preuve accumulée par les enquêteurs de police ou autres agents de l’État. Comme l’a souligné le juge Brunton dans l’affaire Auclair :

« [60] Le directeur [des poursuites criminelles et pénales] a une responsabilité accrue lorsqu’il songe à donner naissance à un méga-procès. [...]. [61] Les décisions doivent être prises à la suite d’une évaluation réaliste de la capacité du système judiciaire à gérer les causes. »122

Les « Orientations et mesures du ministre de la Justice 123 » adressées au Directeur des poursuites criminelles et pénales, en vertu de la loi, ainsi que les directives que ce dernier a signifié aux procureurs chargés de le représenter devant les tribunaux, contiennent des éléments de réflexion très utiles pour le poursuivant lorsqu’il doit procéder à l’examen des résultats de l’enquête policière en vue de décider de l’opportunité de déposer des dénonciations contre les personnes ayant fait l’objet d’une enquête criminelle. Le paragraphe 2 des « Orientations et mesures du ministre de la Justice 124 », formule un rappel significatif sur le sérieux qui doit accompagner la réflexion antérieure à la prise de décision en ce qui a trait aux suites à donner à de telles enquêtes policières :

120 Berger c. La Reine, C.S. Montréal (Ch. crim.), no 500-01-094385-132, 9 octobre 2015, j. Brunton. 121 R. v. Chan, préc., note 101. 122 Auclair CS, préc., note 20. 123 RLRQ, c. M-19, r. 1. Ce règlement est pris en vertu de la Loi sur le ministère de la Justice, RLRQ, c. M-19, et de la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales, préc., note 38. 124 Id.

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« La décision d’autoriser une poursuite ou de déposer un acte d’accusation est de loin la plus importante que prend le poursuivant car une mauvaise décision à cette étape peut miner la confiance du public dans le système de justice pénale et être lourde de conséquences pour les personnes en cause. Après s’être assuré qu’il existe une infraction en droit et qu’il peut légalement en faire la preuve, le poursuivant doit porter des accusations, à moins qu’il ne juge inopportun de le faire dans l’intérêt public, soit en raison des circonstances particulières du dossier, soit en raison de l’application de programmes sur le traitement non judiciaire des infractions. »

Au même effet, la Directive ACC-3125, applicable aux poursuivants publics du Québec, et traitant des critères relatifs à l’opportunité de poursuivre, énonce les facteurs à considérer lorsqu’il s’agit de prendre une décision à cet égard :

« Lorsque le procureur considère que la preuve est suffisante pour intenter une poursuite, il doit autoriser le dépôt de la dénonciation ou déposer l’accusation à moins qu’il juge inopportun de le faire dans l’intérêt public, soit :

a) en considération des facteurs énumérés au paragraphe 10;

b) en raison de l’application du programme de

traitement non judiciaire de certaines infractions criminelles commises par des adultes. »

Le paragraphe b) de cette directive ne s’applique évidemment pas aux situations ayant fait l’objet d’une enquête criminelle d’envergure. En ce qui a trait aux facteurs énumérés au paragraphe 10 auxquels la directive renvoie le décideur, ceux-ci sont peu d’utilité dans l’examen que doit effectuer le poursuivant avant de s’engager dans une démarche judiciaire qui risque de s’avérer longue et complexe.

125 Directeur des poursuites criminelles et pénales, Accusation – Poursuite des procédures, directive ACC-3, 31 mars 2009.

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9.1 - Le rapport d’enquête Avant de procéder à l’autorisation d’une dénonciation, le procureur de la poursuite devrait s’assurer que le rapport d’enquête qui lui a été soumis soit complet et fasse état de la manière dont les éléments de preuve ont été obtenus. Le rapport d’enquête doit notamment contenir les éléments suivants :

• la demande d’intenter les procédures; • les antécédents judiciaires des personnes visées par la dénonciation; • la liste complète des témoins avec leurs coordonnées; • le précis des faits préparé par l’enquêteur principal, souvent désigné comme le

« précis de police »; • les déclarations des témoins, sans autre renseignement nominatif que leurs

prénom et nom; • les circonstances entourant l’obtention des déclarations fournies par les

personnes suspectes; • les notes personnelles de tous les policiers impliqués dans l’enquête; • la copie de toute dénonciation à l’appui d’une autorisation judiciaire délivrée en

cours d’enquête ou de tout consentement obtenu d’un agent civil d’infiltration ou autre collaborateur;

• la liste des pièces à conviction; • les rapports d’expertise.

L’obtention de toutes les informations, précis ou documents décrits plus haut ne s’avère cependant pas suffisante pour permettre au poursuivant d’être convaincu de pouvoir établir la culpabilité du prévenu. Il doit de plus éviter d’autoriser une dénonciation et souvent même résister aux pressions qui lui sont adressées à cet égard s’il n’est pas en mesure de procéder à la divulgation de la preuve dès les premières journées suivant l’arrestation et la comparution de l’accusé, ce qui implique que, conformément aux exigences énoncées dans le protocole de poursuite dont il est fait état au chapitre 5 portant sur la gestion des étapes antérieures au dépôt des dénonciations, le caviardage de la preuve devant être soustraite de la divulgation est complété.

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9.2 - Le plan de poursuite Dans les cas d’enquêtes longues et complexes, un plan de poursuite initial doit être élaboré par le responsable de la poursuite dès qu’il est possible de connaître les renseignements essentiels de l’enquête. Le gestionnaire de poursuite doit être tenu au courant de l’état du dossier et plusieurs séances de discussions devraient être organisées par lui avant l’autorisation initiale. Le plan discuté avec l’équipe de poursuite devrait être régulièrement mis à jour et actualisé à mesure que progresse l’enquête et que de nouveaux renseignements sont disponibles. Ce plan de match que l’équipe de poursuite devra s’assurer de compléter avant d’autoriser les dénonciations permettra de mener le dossier à terme. L’idée d’un plan de poursuite compris et entériné par les membres de l’équipe permet aussi de décider d’une stratégie de poursuite bien conçue, orientée, mûrie et tenant compte des ressources nécessaires pour mener le dossier. Le Comité a été fortement impressionné par le modèle de plan de poursuite que le Service fédéral des poursuites lui a présenté lors d’une rencontre avec certains de ses dirigeants126. Le Comité est d’avis que le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec devrait s’inspirer largement des orientations et principes contenus dans ce modèle, tout en l’adaptant à la réalité québécoise. Nous ne sommes pas d’opinion cependant qu’il soit nécessaire de retenir la pratique fédérale qui prévoit qu’une présentation du plan de poursuite et de la stratégie qui en découle soit faite à un Comité regroupant des gestionnaires du réseau de poursuite. Une telle présentation doit toutefois être prévue avec le gestionnaire de la poursuite désigné en début de processus avant qu’une décision finale ne soit arrêtée en ce qui a trait au dépôt des dénonciations. RECOMMANDATIONS : 26o– Que dans les cas d’enquêtes policières et de proc ès longs et complexes, un plan de poursuite soit élaboré par le responsable d e la poursuite le plus tôt possible dans le processus d’examen des preuves tra nsmises au poursuivant et que le gestionnaire de la poursuite soit chargé d’e n superviser la préparation et le suivi. 27o– Que la Ministre de la Justice adresse au Directeu r des poursuites criminelles et pénales une orientation en vertu de l’article 22 de la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales et de l’article 3 c.1) de la Loi sur le ministère de la Justice invitant le poursuivant chargé de l’examen de la preuve recueillie lors d’une enquête policière d’envergure à ne pas autori ser le dépôt des dénonciations

126 Guide du SPPC, préc., note 25, ligne directrice 3.1 La gestion des causes majeures, p. 165 du document PDF.

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lorsque le rapport d’enquête policière ne contient pas tous les éléments exigés par le Directeur des poursuites criminelles et péna les au protocole de poursuite. 28o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales apporte des modifications à la directive ACC-3 traitant de la « Décision du procureur » afin qu’au chapitre des critères relatifs à la suffisanc e de la preuve, il soit précisé que le dossier doit être complet pour que le procureur autorise le dépôt d’une dénonciation et qu’au chapitre des critères relatif s à l’opportunité de poursuivre, il soit écrit que la faisabilité du procès, notamment la gestion des risques juridiques, financiers et stratégiques de l’affaire , doit être prise en compte avant que le procureur autorise le dépôt d’une dénonciati on.

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10 - LE NOMBRE D’ACCUSÉS ET LE CHOIX DES ACCUSATIONS Presque tous les juges et les avocats agissant en défense rencontrés en entrevue et ayant fait l’expérience d’un long procès nous ont rapporté que le nombre trop élevé de personnes accusées et la « surmultiplication » des chefs d’accusation, incluant le recours parfois abusif par la poursuite aux articles du Code criminel portant sur la criminalité organisée, constituaient une part importante des difficultés liées au déroulement d’un mégaprocès. Des suggestions quant au nombre maximal de personnes qui devraient être accusées dans ce type de procédure ont également été avancées par nos interlocuteurs, les chiffres pouvant varier, mais ils ne dépassaient jamais la demi-douzaine. Ces propositions en ce qui a trait à la réduction importante du nombre d’accusés que comportent généralement les procédures intentées à l’encontre des activités du crime organisé rejoignent, entre autres, celles préconisées par plusieurs juges qui à travers le Canada ont mené des mégaprocès. Certains ont même suggéré que le juge appelé à présider un mégaprocès puisse disposer d’un pouvoir de décider du nombre maximal d’accusés qui pourront être regroupés dans un même procès. Que ce soit à la lecture des différents rapports de même nature traitant des procès longs et complexes, ou à la suite de ses rencontres avec les différents intervenants qui déplorent le trop grand nombre de personnes regroupées dans un même procès, le Comité n’a pas pu bénéficier de conseils ou suggestions particulièrement utiles sur la façon dont devraient être traitées les personnes suspectées d’actes criminels graves et qui ne feraient pas face à la justice criminelle malgré leur participation aux infractions reprochées aux « malheureux élus », rassemblés dans une même procédure dont on aura voulu limiter le nombre d’accusés et les chefs d’accusation. Le Comité ne formule aucun reproche à leur endroit. Cette question relève de la responsabilité du poursuivant et c’est à lui que revient la tâche de concilier les intérêts supérieurs de la justice et la capacité du système judiciaire à traiter le résultat des enquêtes policières de grande envergure. Le juge Brunton a bien résumé le problème dont on attend une solution de la part du poursuivant lorsqu’il rendit sa décision dans le procès découlant de l’opération SharQc :

[60] […] Le Directeur a une responsabilité accrue lorsqu’il songe à donner naissance à un mégaprocès. Dans une société idéale, elle aurait les ressources nécessaires pour enquêter sur chaque crime, appréhender chaque contrevenant et traduire cette personne en justice pour qu’elle subisse un procès équitable. Nous ne vivons pas dans une société idéale. Ceux qui sont responsables de l’administration de la justice pénale doivent faire

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des choix – quoi enquêter, qui poursuivre et pour quels crimes. »127

Les points de vue obtenus des personnes rencontrées portant sur cette épineuse question de la limitation du nombre de personnes à inclure dans un acte d’accusation varient évidemment en fonction du rôle joué par les différents acteurs du système de justice. Selon plusieurs enquêteurs de police affectés à la lutte au crime organisé, cibler et mettre en accusation un nombre restreint de personnes affiliées à un réseau criminel s’avère improductif. Selon eux, le réseau enquêté pourra se reconstituer plus rapidement si l’ensemble de ses membres ne font pas l’objet de poursuites. Ils sont d’avis qu’il est nécessaire d’éradiquer l’organisation si on veut lutter efficacement contre l’expansion du crime organisé. Selon les avocats de la défense rencontrés, bien que le nombre d’accusés puisse constituer un réel problème dans le déroulement d’un procès, c’est principalement à l’égard du nombre de chefs d’accusation et de l’imprécision rattachée à leur rédaction que les poursuivants doivent apporter des correctifs. De plus, ils déclarent éprouver de graves problèmes à concilier les intérêts souvent divergents entretenus par les trop nombreux accusés réunis dans un même acte d’accusation. Il suffit qu’un seul des accusés se refuse à procéder à des admissions pour que tout le processus soit enrayé. On reproche également aux procureurs de la poursuite le recours trop fréquent et souvent jugé inutile au dépôt d’accusations portant sur la criminalité organisée128, ce qui aurait pour effet de rendre difficile la négociation d’ententes visant à éviter la tenue des procès. Selon ces avocats de la défense, l’utilisation des dispositions du Code criminel visant la criminalité organisée serait plus fréquente au Québec qu’ailleurs au Canada. Pour plusieurs des juges rencontrés dans le cadre des travaux du Comité, le ministère public semble incapable de faire les choix difficiles qui permettraient de rationaliser le procès, en ce qui concerne le nombre d’accusés et de chefs d’accusation. Signe des temps peut-être, ou changement d’attitude découlant des dénouements malheureux et coûteux qu’ont connu certaines enquêtes d’importance, de hauts dirigeants des forces policières possédant une expérience reconnue dans l’organisation et le déroulement d’enquêtes majeures nous ont confié qu’une enquête policière ne doit pas prétendre pouvoir toucher tous les membres d’une organisation criminelle et que l’objectif d’une telle opération ne doit pas absolument et uniquement être de l’abattre d’un seul coup. Selon ces dirigeants, « il arrive un point dans l’enquête où il faut savoir y mettre fin, alors qu’on pourrait continuer plus longtemps ».

127 Auclair CS, préc., note 20. 128 Art. 467.11-467.13 du Code criminel.

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Malgré la pertinence des propos recueillis parmi nos interlocuteurs, il faut réaliser que diminuer de façon importante le nombre de personnes qui pourraient faire l’objet d’accusations criminelles ne conduira pas nécessairement à une simplification du processus. La poursuite devra quand même procéder à la divulgation de toute la preuve pertinente accumulée lors de l’enquête et l’administration de cette preuve amènera nécessairement la révélation d’actes criminels perpétrés par l’ensemble des participants, y compris ceux ne faisant pas partie de la poursuite, spécialement lorsque l’acte d’accusation comprend des chefs de complot. La durée du procès ne s’en trouvera pas automatiquement diminuée en longueur, ni la complexité de l’affaire, uniquement parce qu’on aura restreint le nombre des accusés. Des informations entachant la réputation des personnes qui n’auront pas fait l’objet d’accusations pourraient être rendues publiques lors des audiences du procès. Ces personnes pourront-elles prétendre à un droit de répliquer aux témoignages qui pourraient leur être dommageables comme cela s’avère fréquent lors du déroulement des enquêtes publiques ordonnées par l’État? La poursuite sera-t-elle fortement incitée à justifier publiquement ses décisions de ne pas avoir inclus ces personnes dans les dénonciations portées et à en fournir les raisons afin de dissiper tout doute quant à ses motivations? Sera-t-elle forcée de le faire afin de contrer les allégations d’utilisation arbitraire de son pouvoir discrétionnaire de poursuite, ce qui pourrait être perçu comme discriminatoire. Si la décision de la poursuite est à l’effet de procéder dans plusieurs procès séparés regroupant moins d’accusés, il lui faudra dans l’élaboration de cette stratégie, tenir compte des enseignements de la Cour suprême du Canada qui vient de reformuler les principes gouvernant l’examen des délais à procéder au déroulement des procès129. Il est certain en effet que la disponibilité des témoins, spécialement celle des enquêteurs principaux, sera rendue plus difficile si on a choisi d’initier plusieurs procédures relativement aux mêmes accusations, ce qui rend problématique la tenue simultanée de ces procès visant les mêmes faits. Ces délais risquent donc d’être imputés au poursuivant. La possibilité d’assister à des verdicts différents ne sera pas de nature non plus à rehausser la confiance de la population envers le système de justice. Il est certain que le devoir de la poursuite ne peut se limiter à porter des accusations à partir des éléments de preuve disponibles et admissibles. Son devoir s’étend aussi à l’obligation de s’assurer que cette poursuite pourra se dérouler dans des conditions acceptables et qu’elle pourra également être menée à terme.

129 R. c. Jordan, préc., note 8.

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C’est pourquoi, s’il s’avère impossible pour le poursuivant, à la suite de l’examen de cette preuve, de mettre en accusation tous les présumés auteurs des crimes constatés, en raison de l’ampleur démesurée qu’une telle poursuite risque de générer, compte tenu des ressources accordées au système de justice, son devoir lui commande de prendre en considération les chances de mener à terme le procès regroupant uniquement les auteurs les plus responsables et les plus impliqués dans les opérations criminelles menées par l’ensemble des complices ou des participants à la commission des crimes dévoilés par l’enquête criminelle. Agir autrement, ou sans préoccupation à l’égard du résultat potentiel qu’entraînerait la mise en accusation de l’ensemble des personnes suspectées, fait peser sur l’administration de la justice et ceux qui en sont responsables (ministères, magistrature, avocats, services correctionnels, Commission des services juridiques, citoyens appelés comme jurés) un fardeau beaucoup trop lourd de nature à faire mal paraître le système de justice, entraînant ainsi une perte de confiance de la population envers ses acteurs, sans oublier les coûts importants qu’une telle attitude irresponsable impose à l’État. À cet égard, le Comité a pu apprécier le bien-fondé de la ligne directrice 3.1 émise par le Service des poursuites pénales du Canada, particulièrement au paragraphe 3.5 traitant de la gestion des accusations :

« […] Lors de l’examen des accusations dans le contexte des causes majeures, il faut porter une attention vigilante aux choix difficiles qui doivent être faits, et le procureur de la Couronne doit examiner le dossier de manière objective pour déterminer si l’intérêt public serait mieux servi par la tenue d’une poursuite […]. […] […] lorsqu’on évalue le facteur de “l’intérêt public” dans la décision de poursuivre, il faut tenir compte de ce qui est stratégiquement possible. Le fait que de nombreuses accusations répondent au critère fondé sur la “probabilité raisonnable de condamnation” ne signifie pas nécessairement que toutes les infractions commises par tous les accusés doivent faire l’objet de poursuites; des choix difficiles doivent être faits. »130

Heureusement, d’autres possibilités s’ouvrent au poursuivant dans sa quête d’obtenir une forme de réparation aux dommages causés à la société par les responsables de la commission de crimes graves. 10.1 - Les produits de la criminalité La population entretient un intérêt certain à ce que les têtes dirigeantes d’une organisation criminelle soient poursuivies pour les infractions criminelles graves perpétrées, spécialement lorsque ces crimes touchent à la santé physique et

130 Guide du SPPC, préc., note 25, p. 6 (p. 170 du document PDF).

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psychologique de la population en raison du commerce de la drogue ou à la santé financière des personnes et de nos institutions en raison des infractions à caractère économique. Il en va cependant autrement des personnes dont l’implication dans les crimes commis est à l’autre extrémité du spectre : les accuser conjointement avec leurs complices aurait vraisemblablement pour effet d’alourdir le processus judiciaire et mettre ainsi en péril l’obligation de l’État de garantir un procès juste et équitable dans un délai raisonnable. L’accusation criminelle ne constitue pas le seul véhicule judiciaire visant à pénaliser la commission d’actes criminels. Comme la finalité d’une activité criminelle consiste habituellement à procurer à son auteur un avantage matériel, comme c’est le cas pour les crimes à caractère économique, le trafic de stupéfiants, ou la contrebande de produits du tabac, il peut être aussi profitable pour la société que l’État procède à la confiscation des biens infractionnels ainsi que des profits réalisés grâce au crime. Il s’avère très important pour l’État d’apporter une attention particulière à la recherche et à la confiscation des biens obtenus grâce à la commission de crimes ou achetés grâce aux profits générés par ces activités criminelles tout comme des biens utilisés pour commettre des infractions. Non seulement la confiscation de ces biens permet à l’État de récupérer des sommes d’argent importantes pouvant ensuite être utilisées pour financer le coût des enquêtes policières d’envergure, mais elle s’avère une stratégie très efficace visant à réduire la capacité des organisations criminelles à financer leurs activités illégales. Le blocage et la récupération des produits de la criminalité requièrent toutefois la création et le maintien d’une équipe spécialisée capable de gérer les différentes étapes des procédures judiciaires visant la confiscation de ces biens. Avant de pouvoir s’approprier les sommes d’argent découlant de la confiscation de ces biens, il faut être en mesure de procéder au travail juridique qu’exigent la présentation des ordonnances de blocage, l’entreposage des biens saisis et leur vente en justice dans des délais rapides en raison de la dépréciation de leur valeur monétaire. La gestion des immeubles, spécialement ceux destinés à la location, présente également des défis administratifs. Afin de pouvoir s’attaquer efficacement aux produits de la criminalité, le Directeur des poursuites criminelles et pénales doit pouvoir compter sur des ressources humaines et matérielles réunies au sein d’une unité spécialisée, dédiée à cette mission. Cette équipe ne peut être composée uniquement de procureurs aux poursuites criminelles et pénales. D’autres types d’expertise sont nécessaires pour effectuer la gestion des biens depuis leur saisie ou blocage jusqu’à la fin des procédures judiciaires que nécessitent leur vente en justice et la récupération des sommes que procure cette vente.

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Différemment du travail du procureur chargé des poursuites des infractions dites substantives, l’avocat qui agit dans un dossier de confiscation de biens infractionnels ou de produits de la criminalité doit posséder non seulement une expertise en droit criminel mais également des connaissances en matière de droit civil contractuel (vente à tempérament, location de biens, etc.), en inscription des droits personnels et réels mobiliers, en rang de créances portant sur les biens immobiliers, et dont on doit faire l’examen dans le registre foncier du Québec131 et le Registre des droits personnels et réels mobiliers132. Une formation notariale est souvent requise pour s’assurer d’une connaissance adéquate des liens auxquels sont soumis les biens saisis. Une véritable structure administrative est nécessaire pour garantir la conservation des biens dans des conditions raisonnables et pour assurer une gestion efficace de tout le processus visant à permettre à l’État de récupérer ces sommes souvent importantes. L’équipe doit aussi être en mesure de compter sur des techniciens en droit et en administration, de même que sur des personnes spécialisées en technologies informatiques, car les biens sont souvent transigés via des comptes bancaires. La confiscation des produits de la criminalité doit donc demeurer une considération importante dans la mission globale du Directeur des poursuites criminelles et pénales, et il doit consacrer à ce volet de son mandat les ressources humaines et matérielles nécessaires à son exécution. Avant 2015, un bureau était responsable de la confiscation des biens infractionnels et des produits de la criminalité au sein du Directeur des poursuites criminelles et pénales. À la suite de la réorganisation administrative effectuée en septembre 2015, le Bureau de lutte aux produits de la criminalité, responsable jusque-là de la confiscation des biens infractionnels et des produits de la criminalité, a été aboli tout comme les deux bureaux de lutte au crime organisé et de lutte à la corruption et à la malversation pour être unifiés dans un même bureau désigné comme le Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales. De l’avis du Comité, une telle restructuration s’imposait. Le Comité a toutefois été informé que ce bureau unifié sera responsable des questions touchant les produits de la criminalité et les biens infractionnels uniquement pour les dossiers touchant à la grande criminalité. Quant aux autres dossiers d’enquête qui comporteront des aspects touchant à des biens infractionnels ou à des produits de la criminalité, ils seront pris en charge par les bureaux régionaux sous la supervision d’une petite unité hébergée à la direction centrale. Sans prétendre remettre en question cette décision, le Comité s’interroge toutefois sur la capacité et surtout l’intérêt que pourront entretenir les bureaux régionaux en ce qui a trait à la gestion efficace et effective des dossiers des produits de la criminalité, dans un

131 Règlement sur la publicité foncière, RLRQ, c. CCQ, r. 6. 132 Règlement sur le registre des droits personnels et réels mobiliers, RLRQ, c. CCQ, r. 8.

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contexte où les poursuivants régionaux, souvent débordés par le volume de dossiers, pourraient vouloir prioriser le traitement des infractions substantives au détriment des dossiers de confiscation des biens criminellement obtenus. 10.2 - La concertation nécessaire des forces de rép ression et des organismes de régulation D’autres mesures, non liées à l’utilisation des dispositions du Code criminel sont possibles pour justifier la décision de ne pas poursuivre certains auteurs d’actes criminels en raison des choix rendus nécessaires pour assurer le dénouement d’une procédure judiciaire dans des délais acceptables. Les agences du revenu du Québec et du Canada disposent des moyens efficaces et rapides d’utilisation pour freiner l’expansion de la fraude fiscale et les activités des organisations criminelles. Bien que le Comité ait été en mesure de constater que les communications entre ces organismes et les forces de police soient déjà très actives, il lui apparaît que des liens plus formalisés entre les différents acteurs que sont le poursuivant, les corps de police, les Agences du revenu et les autres organismes de régulation pourraient déboucher sur des actions répressives plus efficaces de la part de toutes ces organisations en vue de mener une lutte organisée et globale envers les organisations criminelles. Des actions concertées pouvant être identifiées et retenues lors de rencontres statutaires entre tous ces organismes. Des ordres du jour prévoyant des sujets de discussion bien documentés pourraient permettre une prise de décision plus éclairée et plus rapide de la part des poursuivants lorsqu’ils ont à décider de l’identité des personnes qui seront accusées et celles contre qui des mesures à caractère économique seulement seront prises. 10.3 - La confiscation civile des produits et instr uments d’activités illégales La Loi sur la confiscation, l’administration et l’affectation des produits et instruments d’activités illégales133 crée aussi un recours civil permettant au procureur général de confisquer les biens associés à la criminalité, et ce, sans qu’il ne soit nécessaire d’obtenir une condamnation criminelle de leur propriétaire. Cette législation permet en outre à titre de mesure conservatoire, d’obtenir d’un juge la permission de saisir avant jugement les biens dont on recherche la confiscation134. La Cour d’appel du Québec, dans un jugement de 2012, dans lequel elle discute des rôles respectifs du Directeur des poursuites criminelles et pénales et du procureur général, a qualifié cette procédure civile d’exceptionnelle, puisqu’elle permet la

133 RLRQ, c. C-52.2 (Loi sur la confiscation). Soulignons que la Cour suprême a validé ce type de loi dans l’arrêt Chatterjee c. Ontario (Procureur général), 2009 CSC 19. 134 Québec (Procureur général) c. 9148-5847 Québec inc., 2012 QCCA 1362, paragr. 7.

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dépossession des véritables propriétaires, une fois la démonstration faite que les biens ont été acquis d’une manière interdite par la Loi sur la confiscation :

« [57] L’art. 4 de la Loi permet de demander la confiscation de “tout bien” qui provient d’activités illégales. Peuvent donc être confisqués des biens immeubles, des biens meubles, tangibles ou non, dont des sommes d’argent. On ne peut sérieusement prétendre que seuls des billets peuvent être saisis, mais non les comptes de banque. Dans ce dernier cas, le bien confisqué est en réalité la créance de la personne visée contre une banque. [58] Les biens seront, une fois confisqués, remis au DPCP (art. 16 Loi) qui les administrera pour le compte du procureur général. [59] La mise en vigueur de la Loi se fait par une action en justice devant la cour civile compétente (art. 4 Loi) en fonction de la valeur totale des biens dont le procureur général recherche la confiscation. Il s’ensuit un procès civil où le procureur général devra établir, selon la balance des probabilités, l’origine illégale des biens dont il demande la confiscation. »135

Contrairement à la confiscation des produits de la criminalité dont nous avons traité précédemment dans ce chapitre, il n’est pas nécessaire de démontrer que le bien visé est un bien infractionnel ou un produit de la criminalité au sens du Code criminel136. Il faut seulement établir que le bien provient d’activités illégales ou a été utilisé dans l’exercice de telles activités. Pour l’application de Loi sur la confiscation, sont considérées des activités illégales les activités visées par le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances137. Sont également définies comme activités illégales, les activités visées par une série de lois qui sont listées en annexe de la Loi sur la confiscation138. Le procureur général n’aura pas à prouver « hors de tout doute raisonnable » l’existence des activités illégales ni leur lien avec le bien ou avec le défendeur comme cela doit se faire en matière criminelle. La norme civile, celle de la « prépondérance des probabilités », exige seulement la preuve que l’existence d’un fait est plus probable que son inexistence139.

135 Id. 136 Art. 462.3 et suiv. du Code criminel. 137 L.C. 1996, c. 19. 138 Loi sur le bâtiment, c. B-1.1; Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune, c. C-61.1; Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques, c. I-8.1; Loi sur les produits alimentaires, c. P-29; Loi sur la protection du consommateur, c. P-40.1 (mais uniquement en ce qui concerne les infractions relatives aux contrats de crédit et aux contrats conclus par un commerçant itinérant); Loi sur la qualité de l’environnement, c. Q-2 (mais uniquement en ce qui concerne les infractions prévues aux articles 115.31 et 115.32); Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, c. R-20; Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance, c. S-4.1.1 (mais uniquement en ce qui concerne les infractions prévues aux articles 108.1 et 108.2 de cette loi); Loi sur les valeurs mobilières, c. V-1.1; Loi sur les radiocommunications, L.R.C. 1985, c. R-2; Loi sur le tabac, L.C. 1997, c. 13.

139 Code civil du Québec, préc., note 95, art. 2804.

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D’ailleurs, le sort de cette instance civile ne dépend pas du sort de poursuites criminelles ou pénales. L’instance civile pourra cheminer indépendamment. Actuellement, le procureur aux poursuites criminelles et pénales qui n’est pas en mesure d’obtenir la confiscation sous l’empire du Code criminel réfère le dossier au procureur général civil afin qu’il étudie de son côté si une récupération d’actifs en vertu de la loi civile est possible. Par contre, contrairement au régime institué en vertu du Code criminel, le gouvernement n’a pas encore édicté de décret de partage140. Le Comité considère que la confiscation des biens provenant d’activités illégales ou utilisés dans l’exercice de telles activités doit, lors d’une enquête d’envergure, être systématiquement envisagée en parallèle aux poursuites criminelles ou pénales. Cette mesure doit être planifiée avec le plus grand soin, et ce, le plus rapidement possible, en principe avant l’autorisation des poursuites et en étroite collaboration avec les corps de police qui participent aux opérations. Il pourrait être requis que les enquêteurs et les poursuivants collaborent étroitement avec les organismes de régulation susceptibles d’avoir un intérêt dans l’enquête et à qui une législation attribue parfois d’importants pouvoirs pour saisir, bloquer ou confisquer des biens liés à des activités illégales. C’est le cas, notamment, de l’Agence du revenu du Québec141 et de l’Autorité des marchés financiers. Le Comité estime qu’il pourrait parfois s’avérer plus opportun de réfléchir à des alternatives ou à des compléments aux accusations criminelles, soit pour assurer la mise en œuvre des mesures de saisie ou de blocage de biens ou même aux fins des poursuites pénales ou civiles. Dans certains domaines, les corps de police et les procureurs du Directeur des poursuites criminelles et pénales pourraient profiter davantage de l’expertise et de l’expérience de spécialistes, notamment pour la lutte à la fraude, à la collusion ou aux autres formes de criminalité économique. Le Comité croit que pour agir contre la criminalité organisée, il faut assurer la meilleure coordination possible entre les différents corps de police, les organismes de régulation et les différents poursuivants. Cela permettrait de mieux cibler les accusations principales à autoriser et de mettre en place des actions parallèles contre certains accusés. Même si la preuve nécessaire pour obtenir une confiscation civile n’est pas « hors de tout doute raisonnable », le fait de la recueillir et de l’analyser peut s’avérer une lourde tâche et les démarches à entreprendre pour y parvenir peuvent s’avérer complexes. Certaines personnes interrogées nous ont fait part de leurs préoccupations, estimant

140 Programme de financement issu du partage des produits de la criminalité tel qu’édicté par le décret n° 349-99 (1999, G.O. 2, 1300) concernant le partage du produit des biens visés à l’article 32.19 de la Loi sur le ministère de la Justice et modifié par le décret n° 1223-2000 (2000, G.O. 2, 6864), par le décret n° 462-2001 (2001, G.O. 2, 2990) et par le décret n° 376-2005 (2005, G.O. 2, 1776). 141 Revenu Québec a conclu avec les organismes policiers une entente sur le partage des sommes perçues à la suite d’enquête policière ce qui facilite l’action immédiate et la sanction des activités illégales.

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que les responsables des enquêtes et des poursuites minimisaient l’impact d’une confiscation sur une personne ou une organisation criminelle. Les enquêteurs auraient naturellement tendance à préférer obtenir un emprisonnement contre un accusé plutôt que de chercher à atteindre son patrimoine acquis illégalement. Les poursuivants, peu à l’aise avec le contentieux civil, seraient plus enclins à concéder la levée d’une saisie ou d’une ordonnance de blocage en échange d’un plaidoyer de culpabilité plutôt que de réfléchir aux opportunités de référer le dossier au procureur général. Le Comité est convaincu que « l’argent est le nerf de la guerre » et que la confiscation civile peut dans certains cas, s’avérer cruciale, non seulement pour dissuader et réprimer efficacement des activités illégales, mais aussi pour assurer un financement adéquat des opérations de répression des activités illégales, de l’aide à leurs victimes et aux organismes communautaires voués à leur prévention. Le Comité déplore en conséquence que le gouvernement n’ait pas adopté de décret en vertu de la Loi sur la confiscation. Il lui semble logique de croire que si les corps de police avaient un incitatif à agir en cette matière, il serait plus facile d’obtenir des informations qui permettent d’utiliser les dispositions civiles. Il apparaît crucial que la planification des mesures de confiscation civile fasse partie intégrante de la stratégie des enquêtes et des poursuites. La confiscation civile de biens doit être envisagée comme un moyen à part entière d’atteindre les organisations criminelles. Elle peut même servir à atteindre certaines personnes qu’il n’est pas opportun, pour diverses raisons, de joindre aux coaccusés d’un mégaprocès. Par voie de conséquence, les ressources humaines ayant toute l’expertise requise doivent aussi être affectées à la confiscation civile. Nous avons déjà fait état dans ce chapitre que la responsabilité des mesures de confiscation relève désormais des procureurs responsables de chaque dossier. Même si le nouveau Service de la gestion des biens, relevant directement de la Directrice, conseille les procureurs, le Comité demeure soucieux du danger qu’à long terme, cela entraîne un certain désintérêt ou une perte d’expertise. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales ne doit négliger aucun effort pour l’éviter. Il ne devra pas hésiter, au besoin, à réaménager sa structure. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales devrait s’assurer qu’une réflexion sérieuse à l’égard des autres mesures pouvant être utilisées en lieu et place de la mise en accusation aura été effectuée par les poursuivants chargés de l’examen d’un dossier long et complexe, avant qu’une décision finale ne soit prise sur le nombre et l’identité des personnes contre qui s’engagera cette poursuite. Un rapport précisant les raisons qui justifiaient le poursuivant de ne pas accuser les personnes à l’égard de qui la preuve disponible et admissible aurait permis le dépôt d’accusations devrait également être consigné au dossier afin de permettre au Directeur des poursuites criminelles et pénales de décider de l’orientation à donner aux réactions de son organisation face aux critiques ou questionnements que pourraient soulever les décisions de ne pas poursuivre certaines personnes reliées à la commission d’infraction.

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Ce rapport devrait idéalement avoir été approuvé par le gestionnaire de poursuite. 10.4 - L’enquête préliminaire En 2002, le législateur fédéral a choisi de ne pas abolir l’enquête préliminaire comme le réclamaient plusieurs membres de la communauté juridique qui remettaient en cause son utilité142. Cependant, le législateur a signifié aux participants au système de justice criminelle son intention de rationaliser le processus de l’enquête préliminaire en fonction de sa finalité première afin de promouvoir une gestion efficace de son déroulement tout comme de la décision de demander ou non la tenue d’une telle procédure. L’expression de cette intention se retrouve notamment aux articles 535, 536, 536.3 et 536.4 du Code criminel. Ainsi, depuis l’entrée en vigueur le 1er juin 2004 du projet de loi C-15A143, la tenue d’une enquête préliminaire n’est plus une procédure obligatoire et elle est restreinte aux cas où une personne est accusée d’un acte criminel144. En introduisant l’article 536.3 du Code criminel, le législateur a créé une obligation de divulgation pour la partie qui demande la tenue d’une enquête préliminaire, qu’il s’agisse du poursuivant ou de l’accusé représenté par un avocat. Le poursuivant ou l’accusé, le cas échéant, doit divulguer à la cour et à l’autre partie, l’identité des témoins qu’il veut entendre ainsi que les points à aborder durant les témoignages. En outre, en édictant l’article 536.4 du Code criminel, le législateur a prévu un « forum » pour aider les parties à désigner les témoins à entendre et à cerner les points à traiter durant les témoignages. À l’alinéa 536.4(1)c) de cette disposition, le législateur précise que cette audience de « focalisation »145 peut être ordonnée, à la demande de l’une des parties ou d’office par le juge, « en vue de les encourager à examiner toute question qui favoriserait une enquête rapide et équitable. ». Force est de constater que le législateur cherche, à travers le libellé de la loi, à indiquer que cette procédure ne doit pas porter sur toute la preuve contenue au dossier mais doit être circonscrite aux points en litige identifiés par l’une ou l’autre des parties. D’ailleurs,

142 Déjà en 1974, la Commission de réforme du droit du Canada recommandait son abolition; voir Canada, Commission de réforme du droit du Canada, La Communication de la preuve, Document de travail no 4, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux 1974, 49 p., p. 28-29 (p. 32-33 du document PDF). Après que la Cour suprême du Canada ait rendu jugement en 1991 dans l’arrêt R. c. Stinchcombe, préc., note 46, dans lequel elle élevait, à titre de droit constitutionnel, la divulgation complète de la preuve pertinente à tout individu accusé d’une infraction criminelle ou pénale, plusieurs tribunaux se sont ajoutés à la cohorte des tenants pour l’abolition de l’enquête préliminaire. À la fin de la décennie des années 1990, plusieurs provinces ont demandé au législateur fédéral de modifier le Code criminel afin de supprimer cette procédure du processus judiciaire. Cependant, face à ce mouvement provenant de diverses institutions juridiques, une opposition très forte à l’abolition de l’enquête préliminaire s’est constituée par les avocats de défense et leurs associations dont la Criminal Lawyers’ Association; voir David M. Paciocco, A Voyage into Discovery : Examining the Precarious Condition of the Preliminary Inquiry, 48 CLQ 151. 143 Sanctionné le 4 juin 2002, ce projet de loi deviendra la Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois, L.C. 2002, c. 13. 144 Code criminel, art. 535, 536. 145 Pour paraphraser l’expression utilisée par le juge Rosborough de la Cour provinciale de l’Alberta dans l’affaire R. v. Stinert, 2015 ABPC 4, paragr. 45.

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déjà en 2001, la Cour suprême du Canada affirme que l’enquête préliminaire ne doit pas se substituer au procès; la plus haute cour du pays définit la finalité de cette procédure de la manière suivante :

« [30] La fonction principale du juge qui préside une enquête préliminaire est de déterminer si le ministère public dispose d’une preuve suffisante pour justifier le renvoi de l’accusé pour qu’il subisse son procès : par. 548(1) du Code criminel; Caccamo c. La Reine, [1976] 1 R.C.S. 786. L’enquête préliminaire n’est pas un procès. Il s’agit plutôt d’une procédure préalable au procès visant à filtrer les dossiers faibles ne justifiant pas la tenue d’un procès. Son objet dominant est “d’empêcher l’accusé de subir un procès public inutile, voire abusif, lorsque la poursuite ne possède aucun élément de preuve justifiant la continuation de l’instance” : Skogman c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 93, p. 105. Le juge évalue la preuve admissible pour décider si elle suffisante pour justifier le renvoi de l’accusé à procès. [Notre soulignement] »146

Ces remarques s’avèrent d’autant plus pertinentes en matière de procès longs et complexes en raison du volume et de la diversité de la preuve accumulée durant l’enquête policière, sans compter le défi que représente la tenue d’un mégaprocès pour chacun des participants à une affaire criminelle au lendemain du jugement rendu dans l’arrêt Jordan147. Il s’avère dorénavant impensable de laisser une affaire criminelle s’éterniser pendant plusieurs mois en raison d’une demande formulée par une partie de faire entendre des témoins en enquête préliminaire. Le nouveau cadre d’analyse instauré pour déterminer s’il y a eu violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable vient remettre à l’avant-scène le débat sur le maintien ou l’abolition pure et simple de cette étape dans la procédure criminelle canadienne. Le Comité n’entend pas faire des recommandations spécifiques à ce sujet mais il est d’avis que la poursuite devra dorénavant adopter une attitude particulièrement vigilante lors du processus servant au tribunal à déterminer la nécessité de tenir une enquête préliminaire suite au dépôt d’une dénonciation. La volonté d’une des parties au processus judiciaire de faire entendre, en vertu des articles 535 et suivants du Code criminel, un ou des témoins lors d’une enquête préliminaire relève évidemment de la stratégie qu’elle entend adopter à l’égard du processus qui s’enclenche et ne peut faire l’objet d’une appréciation extérieure en l’absence de toute l’information en possession du requérant. Mais parce que le poursuivant se voit imputable au premier chef des délais associés au déroulement d’une affaire criminelle pendante devant le tribunal, il lui faut impérativement être en mesure de proposer des alternatives à la tenue d’une enquête

146 R. c. Hynes, 2001 CSC 82. 147 R. c. Jordan, précité, note 8.

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préliminaire lorsque la défense entend s’adresser au tribunal pour obtenir la permission de faire entendre des témoins par le biais de cette procédure. D’autant plus que le Comité a été informé qu’il arrive régulièrement qu’une enquête préliminaire se déroule sur plusieurs termes en raison des assignations particulières des juges de la Cour du Québec. Le recours aux dispositions du paragraphe 536.4(1) s’avère le moyen tout indiqué pour y parvenir et devrait en conséquence faire partie de la stratégie de la poursuite pour minimiser les délais antérieurs à la tenue du procès. En corollaire, lorsque le responsable de la poursuite envisage de recourir aux dispositions du Code criminel en vue de faire entendre des témoins dans le cadre d’une enquête préliminaire, une évaluation judicieuse de cette question doit être effectuée, idéalement avec le gestionnaire de la poursuite, avant de conclure à la nécessité d’emprunter cette voie. Il faut éviter à tout prix que l’enquête préliminaire ne se transforme elle aussi en mégaenquête. RECOMMANDATIONS : 29o– Que lorsque le responsable de la poursuite qui, a près examen de la preuve qui lui a été soumise, considère qu’il s’avère impo ssible de mettre en accusation tous les présumés auteurs des crimes révélés par un e enquête d’envergure, en raison de l’ampleur démesurée qu’elle risque de gén érer pour le système judiciaire, soumette au gestionnaire de la poursuit e les motifs justifiant sa décision de limiter le dépôt des dénonciations à l’ égard des auteurs les plus responsables et les plus impliqués dans les opérati ons criminelles enquêtées par les forces de répression et les organismes de régul ation. 30o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales maintienne et développe sa capacité organisationnelle de lutte au x produits de la criminalité en renforçant sa structure administrative de façon à a ssurer une gestion efficace des biens saisis et confisqués en raison de leur acquis ition par le biais d’opérations criminelles. 31o– Que la confiscation des biens provenant d’activit és illégales selon les dispositions contenues à la Loi sur la confiscation , l’administration et l’affectation des produits et instruments d’activités illégales s oit systématiquement envisagée par le Directeur des poursuites criminelles et péna les en parallèle ou en lieu et place aux poursuites criminelles et pénales. 32o– Que la Ministre de la Justice propose l’adoption d’un décret de partage conformément à l’article 25 de cette Loi.

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33o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales assume le leadership d’une plus grande concertation entre tous les parte naires chargés de la répression des crimes et du respect de la réglement ation gouvernementale afin de mener une lutte organisée, efficace et globale aux organisations criminelles et favoriser le déroulement ordonné des procédures jud iciaires.

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11 - LE PROCESSUS JUDICIAIRE APPLIQUÉ AUX MÉGAPROCÈS Les enquêtes policières de grande envergure prélèvent un lourd tribut sur les fonds accordés aux forces de répression pour lutter contre l’expansion du crime organisé. Mais ces enquêtes longues et coûteuses, ainsi que les procédures judiciaires qui en découlent, exercent également une forte pression sur notre système de justice, mal préparé pour procéder à l’examen des résultats de ces enquêtes et qui a tardé à apporter les correctifs qu’il lui faudra nécessairement considérer comme incontournables, tant en ce qui a trait à la procédure criminelle qu’à l’égard de la logistique devant supporter le déroulement de ces procès particuliers. Ce constat a été clairement établi par le juge Brunton, en juin 2011, lorsqu’en rendant sa décision relativement à la libération de 31 accusés arrêtés dans le cadre de l’opération SharQc, il a reconnu qu’en matière de mégaprocès, le poursuivant et le juge présidant le procès doivent se sentir investis d’une responsabilité plus grande que pour un procès ordinaire :

« [61] Les décisions doivent être prises à la suite d’une évaluation réaliste de la capacité du système judiciaire à gérer les causes. Un simple exemple : dans le district judiciaire de Montréal et ses environs, il y a deux salles d’audience pouvant recevoir un grand nombre d’accusés lorsque des questions de sécurité sont en jeu. Il n’y en a pas trois ou quatre, il n’y en a que deux. Dans sa planification des poursuites, le Directeur doit prendre en considération ce simple fait. S’il engage l’administration de la justice dans un mégaprocès nécessitant trois ou quatre salles d’audience, tel que précédemment décrit, pour le mener à terme dans un temps raisonnable, il y a un problème. »148

11.1 - Le lieu du procès Afin d’apporter des mesures d’amélioration au déroulement des procès longs et complexes, mesures réclamées depuis le début des années 2000 par l’ensemble de la communauté juridique canadienne, la Chambre des communes a adopté en 2011 la Loi sur la tenue de procès criminels équitables et efficaces149. Ces modifications apportées au Code criminel répondaient en partie aux souhaits formulés par le Comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice chargé de conseiller le ministère de la Justice du Canada sur les moyens d’augmenter l’efficacité du processus judiciaire, ainsi qu’au plan d’action de la commission d’enquête sur l’affaire Air India déposé le 7 décembre 2010. Ils visaient particulièrement le processus entourant la tenue des mégaprocès en accordant aux tribunaux certains pouvoirs additionnels afin de leur permettre d’assurer plus efficacement la gestion de ce type d’instance.

148 Auclair c. La Reine, préc., note 20. 149 Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès), préc., note 15.

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Le Comité traitera plus en profondeur de ces modifications à la section 11.4 de ce rapport consacrée à la gestion du procès par le juge. Sensiblement à la même époque, le ministère de la Justice du Québec a entrepris des travaux afin de mettre à la disposition de l’appareil judiciaire un nombre minimal de salles d’audience mieux adaptées à la tenue de mégaprocès dont la fréquence ne cessait d’augmenter. Ces réaménagements de salles effectués au Palais de justice de Montréal ont permis, notamment, la tenue de procès pouvant compter jusqu’à quatorze jurés. On a également adapté les locaux pour permettre d’accueillir jusqu’à 25 accusés dans une même salle d’audience, et fournir les aménagements technologiques et le niveau de sécurité requis pour ce type de procès. Ces travaux ont certainement amélioré le déroulement des audiences dans ce district le plus important du territoire québécois. Toutefois, l’existence au Québec de 36 districts judiciaires150 et d’autant de chefs-lieux rend possible, en principe, la tenue de mégaprocès dans n’importe lequel de ces chefs-lieux. Mentionnons, en comparaison, que la province voisine de l’Ontario ne comprend que huit régions judiciaires151. Rappelons également qu’une règle de common law prévoit que les procédures criminelles visant un individu doivent, en principe, se dérouler à proximité du lieu où l’infraction a été commise, en tout ou en partie, ce qui peut créer une situation très problématique en ce qui a trait à la capacité de plusieurs districts judiciaires à accueillir ce type de procès. Au surplus, l’article 470 du Code criminel prévoit que toute cour supérieure de juridiction criminelle, ainsi que toute cour de juridiction criminelle (ce qui inclut la Cour du Québec) sont compétentes pour juger un accusé lorsque celui-ci est trouvé, arrêté ou sous garde dans la juridiction territoriale de ce tribunal. Il appartient alors au poursuivant, en principe, de choisir le lieu du dépôt des dénonciations. Un procureur d’expérience nous a candidement déclaré sa préférence pour déposer les accusations dans le lieu de la commission des infractions, afin notamment de satisfaire la population locale qui veut être certaine que les crimes ne demeureront pas impunis si un transfert de district est ordonné. D’autres poursuivants nous ont aussi affirmé qu’à leur avis, des peines plus sévères sont plus fréquentes lorsque les procès se tiennent à l’extérieur des grands centres. Toutefois, il est presque certain qu’un procès de longue durée va créer, dans un district moins populeux, un engorgement des salles d’audience nécessairement peu

150 Loi sur la division territoriale, RLRQ, c. D-11, paragr. 1(2). 151 Règlement 186 : désignation des régions, R.R.O. 1990, pris en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43, paragr. 79.1 (1)(2).

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nombreuses, souvent partagées entre la Cour du Québec et la Cour supérieure du Québec, et mal équipées pour recevoir un nombre important d’accusés pendant une longue période de temps, sans oublier les mesures de sécurité qui risquent de ne pas répondre aux normes exigées en pareil cas. À une certaine époque, le ministère de la Justice du Québec a envisagé la possibilité de modifier la Loi sur les tribunaux judiciaires152, afin de regrouper les 36 districts judiciaires existants en un nombre plus restreint tout en leur octroyant une compétence exclusive et non concurrente pour la tenue des mégaprocès, ce qui aurait permis, en raison des économies ainsi réalisées, de les doter des infrastructures et des aménagements aptes à satisfaire le déroulement de ce type de dossiers. On décida finalement de procéder à l’aménagement de certains palais de justice, de façon permanente ou ponctuelle selon l’endroit concerné, afin de permettre, le cas échéant, la tenue de procès longs et complexes dans le maximum d’endroits possibles. Comme il revient au poursuivant, en vertu des règles de droit, de décider de l’endroit où les dénonciations seront déposées, il lui faut donc procéder à l’évaluation de la capacité de cet endroit à recevoir le procès envisagé et, pour ce faire, il doit mettre en balance les droits des accusés et les ressources matérielles et humaines disponibles dans le district concerné. Il apparaît au Comité que cette décision, en ce qui a trait au lieu du procès, devrait appartenir en dernier ressort aux autorités judiciaires à qui la loi a confié la gestion des procès longs et complexes. L’endroit où doit se tenir un mégaprocès devrait faire partie des considérations auxquelles le juge de gestion, désigné par le juge en chef en vertu des modifications apportées au Code criminel en 2011, doit faire porter sa réflexion en vue d’assurer le déroulement normal d’un processus judiciaire particulier. Après avoir permis aux parties ainsi qu’à la Direction générale des services de justice d’exprimer leur point de vue sur cette question, il lui sera possible de décider de l’endroit le plus adapté à recevoir une affaire d’importance considérée comme particulière par le juge en chef au point de désigner un juge de gestion afin d’en assurer le bon déroulement. La décision que le juge de gestion devra rendre à cet égard sera évidemment plus facile à prendre si l’administration gouvernementale s’est montrée réceptive aux besoins exprimés par les responsables de l’administration de la justice, en ce qui a trait à la nécessité de combler les lacunes engendrées par la multiplication des longs procès constatée depuis les deux dernières décennies. Nos rencontres avec les représentants des forces de police nous permettent d’affirmer que le nombre de longs procès, de plus en plus complexes, n’est pas près de chuter. Ce pouvoir de décider du lieu du procès devrait s’ajouter à ceux déjà énumérés à l’article 551.3 du Code criminel. En corollaire, lorsque viendra le moment de décider de

152 Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès), préc., note 15.

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cette question, il faudra obligatoirement, pour le juge de gestion, prendre en considération les besoins en hébergement d’un nombre important d’accusés, souvent détenus, et les besoins en sécurité accrue que requiert le déroulement d’une affaire pouvant s’échelonner sur une très longue période de temps. C’est pourquoi la décision que les représentants du système de justice ont à prendre à l’égard du lieu d’un long procès doit nécessairement être précédée d’une consultation auprès des services correctionnels avant que ne soit arrêtée cette décision qui risque de causer des problèmes de logistique et de sécurité importants pour les autorités responsables de l’incarcération d’individus souvent considérés à haut risque. À cet effet, le Comité se permet de reproduire les propos de son président formulés dans le Rapport d’enquête administrative concernant l’évasion par hélicoptère de l’Établissement de détention de Québec le 7 juin 2014153 :

« Les règles applicables aux lieux des procès ont été élaborées à une époque où les moyens de transport et la disponibilité des personnes appelées à contribuer à l’administration de la justice étaient limités. Le souci de rendre une justice publique commandait également que les procès se tiennent dans la communauté où les actes criminels ont été commis. Le lieu du procès devenait donc un facteur important afin de s’assurer d’une justice rapide et publique. Avec l’avènement des enquêtes policières de grande envergure, il est devenu difficile de respecter la règle générale voulant que le processus judiciaire se tienne dans la communauté où l’acte criminel aurait été commis en raison souvent de l’absence des infrastructures capables d’y accueillir de tels procès. Il en va de même pour certains établissements de détention à qui on demande de se charger de la garde des accusés durant toute la durée de procès, parfois très longs, et pendant la période souvent plus longue encore qui précède leur tenue. Une réflexion s’impose dès maintenant sur l’ensemble des difficultés que font naître, au sein des services correctionnels, les décisions prises par les autres partenaires du système de justice, sans que l’administration carcérale n’ait été amenée à livrer son point de vue. Cette réflexion devrait être initiée en collaboration avec les services judiciaires du ministère de la Justice et le bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales en vue de développer un argumentaire pouvant éventuellement convaincre les autorités fédérales de la nécessité d’assouplir les règles actuelles sur le transfert des dossiers dans un district judiciaire

153 Québec, Michel Bouchard, Rapport d’enquête administrative concernant l’évasion par hélicoptère de l’Établissement de détention de Québec le 7 juin 2014, ministère de la Sécurité publique, août 2014, 76 p., p. 75.

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lorsque les établissements de détention de ces districts sont en mesure d’accueillir les prévenus impliqués dans de longues procédures judiciaires. Pour reprendre le cri du cœur d’une directrice d’établissement de détention “… les partenaires du système de justice devraient être à l’écoute des problèmes auxquels sont confrontés le personnel des centres de détention”. »

Comme le soulignait récemment la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Jordan154, tous les participants au système de justice doivent travailler de concert pour accélérer le déroulement des procès. 11.2 - La conduite du procès

« C’est souvent l’efficacité de l’encadrement du processus par le juge qui fait la différence. »

Cette remarque a été formulée au Comité par un poursuivant d’expérience ayant à son actif plusieurs dossiers longs et complexes. Elle vient s’ajouter à d’autres commentaires formulés par des procureurs de la poursuite qui ont aussi fait l’expérience de ce type de dossiers :

« Le vrai problème, c’est que les juges n’exercent pas leurs pouvoirs de rejeter les requêtes inutiles à leur face même […] ils ont le pouvoir, mais ils ne l’exercent pas. » « D’un côté, on voit bien que les juges semblent peu enclins à exercer leurs pouvoirs de gestion pour limiter les requêtes de la défense au prétexte de l’équité du procès. Mais cela joue des deux côtés. On a parfois du mal du côté de la couronne à accepter que le pouvoir de gestion du juge lui permette aussi de réexaminer la stratégie de la poursuite. » « Il faut ramener le décorum dans les cours de justice. » « Idéalement, il faudrait permettre la gestion à l’étape de l’enquête préliminaire et désigner le juge beaucoup plus tôt. » « Il devrait y avoir des juges « dédiés » à ce genre de dossier. Si les juges ne faisaient que ce genre de dossier, ils en viendraient à en comprendre la dynamique. »

L’ensemble de ces commentaires semble vouloir faire porter la responsabilité du déroulement d’un procès long et complexe uniquement sur celui à qui on en a confié la conduite. Ces remarques trouvent une certaine justification dans les propos tenus par

154 R. c. Jordan, préc., note 8, paragr. 5.

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les juges du Québec appelés à se prononcer à l’occasion des différentes procédures ayant donné suite à l’enquête baptisée SharQc par les forces policières. De l’avis du juge Brunton, « […] le ou la juge présidant un mégaprocès doit jouer un rôle clé dans sa gestion. »155. La Cour d’appel abonde dans le même sens :

« [8] Le juge de première instance a été désigné pour gérer ce dossier. Il a constaté l’existence d’embûches hors du commun et de nombreuses lacunes, notamment dans la divulgation de la preuve et son accès. Devant l’amoncellement de difficultés, il a pris les choses en main, comme c’est son devoir. […]. »156

De l’avis de la Cour suprême du Canada, l’étendue de ces pouvoirs dans certaines circonstances, peut déborder du cadre normalement observé par les juges en ce qui a trait à la conduite du procès par la poursuite :

« [1] […] Toutefois, nous tenons aussi à souligner la nature extraordinaire et unique des circonstances auxquelles le juge Brunton, de la Cour supérieure, était confronté à la suite des procédures engagées contre les accusés par le ministère public. [2] Les effets cumulatifs de ces circonstances justifiaient l’intervention importante de ce dernier dans des matières généralement laissées à la discrétion de la poursuite dans ce cas-ci, le choix des accusations qui procéderaient et la détermination de leur ordre de priorité […] [3] […] le juge Brunton n’a pas erré dans l’exercice de sa discrétion dans ce dossier. Cette discrétion a été exercée dans le but de protéger les droits des accusés garantis par la Charte, ainsi que dans l’intérêt du public à éviter l’effondrement complet de la poursuite par la création de délais déraisonnables. »157

À la suite des rencontres qu’il a tenues avec plusieurs intervenants ayant eu à agir dans plusieurs mégaprocès, le Comité est amené à conclure que l’ensemble des correctifs qui doivent être apportés par chacun des acteurs dans leur attitude à adopter à l’égard des procès longs et complexes a peu de chance d’améliorer de façon significative le déroulement de ceux-ci, en l’absence d’une gestion véritable et efficace de la part du juge assigné à la conduite du dossier. Il nous apparaît toutefois que ce serait faire fausse route que de prêcher pour une augmentation significative des pouvoirs déjà accordés aux tribunaux en estimant qu’il s’agit là du seul remède dont le système de justice a besoin pour régler les problèmes associés au déroulement des procès longs et complexes.

155 Auclair CS, préc., note 20, paragr. 62. 156 Auclair CA, préc., note 20 (j. Doyon). 157 Auclair CSC, préc., note 20.

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Les pouvoirs nécessaires à la gestion de ce type de dossier leur sont essentiellement déjà accordés. Encore faut-il que les juges soient enclins à les utiliser sans craindre de se voir ramenés à l’ordre par les tribunaux d’appel. Mais le recours par les juges aux pouvoirs dont ils disposent déjà dans la conduite d’un mégaprocès n’est pas une garantie de succès. Le Comité estime que le juge appelé à diriger un procès long et complexe doit avant tout posséder les qualités et aptitudes particulières requises pour ce genre d’exercice. 11.3 - Le profil recherché chez le juge assigné à u n mégaprocès Aux chapitres 4 et 5 de ce rapport, le Comité a formulé plusieurs remarques à l’égard des qualités et aptitudes que les autorités policières et le Directeur des poursuites criminelles et pénales devaient rechercher chez les personnes à qui on désirait confier la responsabilité d’une enquête majeure ou d’un procès long et complexe. Bien que le Comité soit conscient que les juges sont nommés à ce poste en raison des qualités qui leur sont reconnues et qui les rendent aptes à exercer cette fonction, nous estimons que la conduite d’un mégaprocès ne doit pas être confiée à un ou une juge uniquement en raison de sa disponibilité à en prendre la direction. Les autorités administratives des tribunaux doivent accorder la même importance au profil du membre de la cour pressenti pour agir dans ce type de dossier que celle que doivent aussi accorder les autres entités administratives responsables des enquêtes et des poursuites. Tout en reconnaissant le pouvoir exclusif des autorités administratives d’une cour de décider de l’affectation de ses membres, nous estimons que les propos formulés par le commissaire Major, dans son rapport158 sur la tragédie du vol 182 d’Air India, s’avèrent de la plus grande pertinence lorsqu’il s’agit de procéder à la désignation du juge qui, une fois nommé, devra s’assurer que le procès se déroulera dans des conditions acceptables, malgré les impairs ou les lacunes dont ont pu ou pourront se rendre responsables certains des participants à ce processus. Le Comité endosse entièrement les recommandations formulées par l’auteur de ce rapport sur la tragédie du vol d’Air India, même si elles ont été fournies à l’égard de la conduite d’un procès en matière de terrorisme. Ces remarques s’appliquent tout autant à l’égard du déroulement des affaires criminelles qui résultent d’enquêtes majeures :

« Afin d’accroître les chances que les procès antiterroristes débouchent sur un verdict, on peut apporter de nombreux changements à la procédure, mais c’est le juge qui est au cœur de l’instruction. Il est donc essentiel de nommer un juge compétent et expérimenté, un magistrat qui s’y entend en droit pénal, qui comprend le principe de l’indépendance de la magistrature, qui a la santé et qui est prêt à s’engager dans une procédure qui pourrait s’étendre sur une très longue période.

158 Commission d’enquête Air-India, préc., note 4.

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[…] Pendant le procès, le juge ne doit pas hésiter à tempérer les avocats et à ramener au pas tout avocat qui, par exemple, présenterait des requêtes dilatoires, déposerait des masses de preuves non pertinentes et inutiles ou abuserait du contre-interrogatoire. Cependant, ce pouvoir du juge à l’égard des excès des parties au processus ne l’autorise pas à prendre part au débat, ce qui n’est pas permis, au contraire de l’obligation qu’a le juge de garantir la tenue d’un procès équitable. Le juge devrait être nommé au tout début de la procédure afin qu’il puisse dès le départ participer à la gestion du procès. En ce qui a trait au terrorisme, le juge nommé sans tarder peut prendre en main le processus préalable au procès et établir des règles pour éviter les écueils. S’il est nommé dès le début, le juge s’investira davantage dans l’affaire. Il pourra établir des procédures, et surtout, montrer dire (sic) clairement aux avocats qu’il s’attend à ce qu’ils fassent preuve de professionnalisme. »159

Dans leur rapport concernant leur participation respective à titre de poursuivant et d’avocat de la défense dans cette même affaire, les auteurs Wright et Code, énumèrent les qualités que doit posséder le juge à qui est confié un mégaprocès :

« [Traduction] Le juge du procès doit être vif d’esprit, chevronné, équitable et patient. Il doit pouvoir être attentif pendant de longs moments. […] Comme il est généralement impossible de reprendre les mégaprocès, il est d’autant plus important de choisir un juge qui ne fera pas d’erreur donnant lieu à cassation. C’est donc dire qu’il faut le choisir parmi les plus perspicaces, les plus justes et les plus expérimentés. Par ailleurs, en raison de la longueur excessive de ces causes, vous devez opter pour un juge qui fera preuve de persévérance et n’essaiera pas d’avoir la mainmise sur le procès, qui traînera inévitablement en longueur. »160

11.4 - Le juge de gestion Les pouvoirs de gestion d’un juge à l’égard du déroulement des procédures entourant la tenue d’un procès ont été reconnus par les tribunaux supérieurs depuis un certain temps. En 2003, la Cour d’appel de l’Ontario est venue expliquer l’étendue de ces pouvoirs :

159 Id., vol. 3, pp. 317-319. 160 Id., citant R. H. Wright et M. Code, Air India Trial : Lessons Learned, Part II, p. 1.

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« [40] […] it is no longer possible to view the trial judge as little more than a referee who must sit passively while counsel call the case in any fashion they please. […] the power is founded on the court's inherent jurisdiction to control its own process. [41] […] Even a statutory court, such as the Provincial Offences Court, has the implied power to control its own process. […] […] [43] […] In my view, the trial judge must have the power to control the procedure in his or her court to ensure that the trial is run effectively. Sometimes, the exercise of this power may mean that the trial judge will require counsel to proceed in a different manner than counsel desired. »161

Dans l’affaire Sipes162, la Cour suprême de la Colombie-Britannique précise que ce pouvoir n’a pas seulement pour objectif d’assurer la tenue d’un procès juste et équitable mais aussi l’efficacité du processus judiciaire. Dans la même veine, l’étendue de ce pouvoir de gestion fait l’objet d’une description exhaustive de la part du juge Marc Rosenberg de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Felderhof163, avec laquelle, de l’avis du Comité, toutes les parties à un processus judiciaire devrait être familières, puisqu’une meilleure connaissance de ces pouvoirs est de nature à permettre aux participants de mieux comprendre les attentes que peuvent entretenir les tribunaux à l’égard de la préparation qu’ils doivent apporter à la présentation de leur stratégie ou de leurs arguments juridiques. Il nous apparaît important de reproduire les propos du juge Rosenberg car ils répondent aux préoccupations entretenues par plusieurs poursuivants dont les commentaires ont été reproduits à la section 11.2 du présent chapitre :

« [57] I think something should be said about the trial management power. It is neither necessary nor possible to exhaustively define its content or its limits. But it at least includes the power to place reasonable limits on oral submissions, to direct that submissions be made in writing, to require an offer of proof before embarking on a lengthy voir dire, to defer rulings, to direct the manner in which a voir dire is conducted, especially whether to do so on the basis of testimony or in some other form, and exceptionally to direct the order in which evidence is called. […] »164

Si le poursuivant est bien au fait de l’étendue et des limites des pouvoirs accordés au juge du procès ou du juge de gestion, il lui appartient, en conséquence, de non

161 R. v. Felderhof, 2003 CanLII 37346 (Ont. CA). 162 R. v. Sipes, 2008 BCSC 1257, paragr. 20. 163 R. v. Felderhof, préc., note 161. 164 Id.

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seulement se gouverner de façon à ne pas contraindre ce juge à user de ces pouvoirs à l’encontre de ses actions à titre de poursuivant, mais aussi de signaler à ce juge les comportements, attitudes ou stratégies dilatoires ou futiles adoptées par la partie adverse qu’il considère de nature à freiner la progression normale de l’affaire en cours. Certains juges rencontrés dans le cadre de ces travaux ont soulevé l’inertie de certains poursuivants à l’égard de manœuvres dilatoires évidentes de l’avocat chargé de la défense d’un client impliqué dans un mégaprocès. Avec raison, ces juges ont justifié leur réticence à intervenir auprès de l’avocat de la défense qui use de techniques dilatoires puisque ce rôle d’intervention revient d’abord dans notre système de débat contradictoire au poursuivant. Autant le juge Rosenberg avait raison d’écrire dans l’arrêt Felderhof165 que le juge ne doit plus être perçu comme un simple arbitre passif devant l’ingéniosité démontrée par certains procureurs agissant en poursuite ou en défense, autant le poursuivant se doit de signaler au juge du procès ou au juge de gestion les écarts de conduite ou les manœuvres douteuses utilisées par la partie adverse. 11.5 - Le recours à la facilitation pénale Les juges et les avocats, en poursuite comme en défense, ayant partagé avec le Comité leur expérience de la facilitation pénale ont tous loué cette démarche. Suivant l’exemple de la médiation civile, cette approche innovatrice est intégrée au traitement des infractions pénales et criminelles depuis 2004 par les règles de pratique et de procédure des tribunaux du Québec166 puisque la facilitation n’existe pas spécifiquement au Code criminel. La Cour supérieure contrairement à la Cour d’appel et à la Cour du Québec n’a pas de cadre réglementaire. Les juges utilisent régulièrement mais informellement le processus et y appliquent les mêmes principes et les mêmes approches que celles utilisées devant les autres tribunaux. La médiation judiciaire ne sert pas à remplacer la négociation traditionnelle en matière criminelle qui conduit souvent à un règlement du dossier et à des suggestions communes quant à l’imposition de la peine. La « conférence de facilitation » est un processus volontaire et confidentiel, où les avocats ont recours aux bons offices d’un juge pour les aider à mieux communiquer ainsi qu’à explorer ensemble comment parvenir à une entente sur le fond ou, à tout le moins, comment simplifier les débats et abréger les procédures167. Le travail du juge de facilitation s’apparente, mais seulement à certains égards, au travail du juge décideur (le juge du procès ou un juge de gestion) présidant une « conférence de gestion » ou encore une « audience préparatoire ». Toutefois, ces dernières démarches, par leur trait dominant, participent de l’exercice par le juge 165 Id. 166 Règlement de la Cour du Québec, RLRQ, c. C–25.01, r. 9, art. 116; Règles de la Cour d’appel du Québec en matière criminelle, TR/2006–142, art. 1 (« conférence de facilitation pénale ») et art. 61 et suiv. 167 Règlement de la Cour du Québec, préc., note 166, art. 116; Règles de la Cour d’appel du Québec en matière criminelle, préc., note 166 (« conférence de facilitation pénale ») et art. 61 et suiv.

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décideur des pouvoirs qui lui sont reconnus par la loi et la jurisprudence pour gérer le plus équitablement et le plus efficacement possible le déroulement de l’instance, pour favoriser l’économie des ressources du tribunal et des parties et, en général, dans l’intérêt d’une saine administration de la justice. La conférence de gestion ou l’audience préparatoire seront principalement l’occasion pour les avocats d’explorer comment simplifier les débats et abréger les procédures168, ce qui pourrait les amener, accessoirement pour ainsi dire, à négocier une entente sur le plaidoyer. Quoi qu’il en soit, si les avocats n’arrivent pas à s’entendre sur les moyens de simplifier et d’abréger les procédures, le juge du procès (ou le juge de gestion) sera habilité à délimiter les débats et à trancher un différend procédural. Il pourrait leur imposer la feuille de route qui les conduira, en principe, jusqu’au procès. Quant à la facilitation pénale, elle participe plutôt, par son trait dominant, des négociations entre avocats. Cela aura pour inconvénient que le juge appelé à présider une conférence de facilitation n’aura pour ainsi dire aucun pouvoir décisionnel. Par contre, la facilitation offre des avantages qui lui sont propres, de sorte qu’elle reste une démarche pertinente quand elle est conduite en parallèle à l’exercice, par un juge décideur, de ses pouvoirs de gestion de l’instance. En fait, le Comité estime que la facilitation pourrait même s’avérer d’autant plus utile aux parties que le travail du juge décideur assurant la gestion de l’instance est efficace. La totale confidentialité du processus, qui assure aux échanges leur franchise et leur sérénité, est un avantage. Ajoutons que le juge qui préside la conférence de facilitation ne pourra, par la suite, agir au procès ou en gestion de l’instance. Ce juge pourra donc s’activer à aider les avocats, affranchi de toute obligation de réserve qui découlerait du risque d’avoir un jour à exercer d’autres fonctions judiciaires dans ce dossier. Il pourra se concentrer sur sa « mission de conciliation », désormais reconnue comme une mission à part entière des juges, qui complète leurs fonctions plus traditionnelles. Par analogie, cette mission est désormais nommément reconnue en matière civile169. Le fait que le juge appelé à présider une conférence de facilitation n’ait aucun pouvoir décisionnel a aussi ses bons côtés. L’idée, c’est justement d’amener les avocats à trouver eux-mêmes la solution à leur différend, de sorte que le juge décideur, autant que possible, n’ait qu’à en vérifier l’acceptabilité plutôt qu’à leur imposer sa propre solution. Toutes les personnes ayant partagé leur réflexion à ce sujet avec le Comité estiment que la facilitation peut aplanir certains malentendus, dans un contexte où la courtoisie dans les rapports entre avocats semble se dégrader ces dernières années ce dont nous parlerons à la section 11.8. L’attitude des poursuivants doit être exemplaire. À de rares exceptions près, les procureurs responsables des dossiers longs et complexes ne devraient pas refuser de s’engager dans une démarche de facilitation. Ils devraient même s’y montrer proactifs. 168 Art. 536.4, 551.1 et 625.1(2) du Code criminel; Règlement de la Cour du Québec, préc., note 166, art. 113–115; Règles de procédure de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle (2002), préc., note 55, art. 39 et suiv.; Règles de la Cour d’appel du Québec en matière criminelle, préc., note 166, art. 64 et 65. 169 Code de procédure civile, RLRQ, c. C–25.01, art. 9 al. 2 et 3.

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Le lecteur aura peut-être remarqué que la facilitation pénale s’apparente quelque peu à la « conférence de règlement à l’amiable » prévue au Code de procédure civile170. Elle y est analogue, pourvu qu’on se souvienne qu’on admet plus facilement que les parties à un litige privé renoncent à des droits pour « acheter la paix », selon l’expression consacrée par l’usage en matière civile. Or, dans le contexte d’une poursuite criminelle ou pénale, il serait impensable qu’un accusé, pour « acheter la paix », soit amené à reconnaître sa culpabilité ou sa responsabilité à une infraction qu’il n’aurait pas commise. Il importe, en conséquence, de mieux adapter à cet aspect de la procédure criminelle et pénale le formulaire que les parties devront signer pour démontrer aux autorités administratives de la Cour du Québec leur volonté à s’engager dans une démarche de facilitation. Le libellé ne devrait pas laisser sous-entendre que l’accusé serait prêt à reconnaître sa culpabilité à tout le moins sur certains chefs. Un autre moyen d’y arriver consisterait à reconnaître expressément, dans les formulaires et les règlements de procédure, que la facilitation ne sert pas seulement à parvenir à une entente sur le fond. Leur libellé devrait prévoir que les parties peuvent aussi vouloir s’engager dans cette démarche pour trouver comment simplifier les débats et abréger les procédures. 11.6 - L’article 551.3(1) du Code criminel et le pr otocole anglais Dans un excellent article171 traitant des modifications apportées au Code criminel en 2011 par la Loi sur la tenue de procès criminels équitables et efficaces172, Me Anouk Desaulniers, maintenant juge à la Cour du Québec, résume de façon exhaustive et compréhensible les dispositions qui accordent au juge responsable de la gestion de l’instance des pouvoirs additionnels qui sont de nature, selon les propos émis dans le communiqué de presse publié par le Ministre de la Justice du Canada le jour où la législation a obtenu la sanction royale, « à fournir les outils nécessaires pour contribuer à simplifier les affaires majeures et complexes, de manière à ce qu’il y ait moins de délais, de risques d’annulation du procès ou de coûts pour les contribuables. »173 Ces nouveaux pouvoirs s’ajoutent et ne viennent donc pas remplacer ceux reconnus par nos tribunaux dans la jurisprudence citée plus haut. Bien que ces dispositions soient entrées en vigueur depuis près de 5 ans, force est de constater que les juges se sont jusqu’à maintenant montrés lents à faire appel aux mesures qui y sont énumérées. Il est permis de croire cependant que les tribunaux québécois vont adopter à l’avenir une attitude plus proactive dans la gestion des procès longs et complexes.

170 Id., art. 161 et suiv. 171 Anouk Desaulniers, « Un survol de la Loi sur la tenue de procès criminels équitables et efficaces », dans S.F.P.B.Q., vol. 347, Développements récents en droit criminel (2012), Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 25. 172 Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès), préc., note 15. 173 Bureau du ministre de la Justice et procureur général du Canada, communiqué, préc., note 16.

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Dans un dossier particulièrement interminable au cours duquel les requêtes préliminaires, entre autres en divulgation de la preuve, se sont succédé au cours d’une période totalisant une dizaine d’années en raison, notamment, d’une ordonnance de nouveau procès, le juge Guy Cournoyer de la Cour supérieure du Québec dresse un portrait révélateur de la situation ayant prévalue jusqu’à maintenant en ce qui a trait aux difficultés éprouvées par notre système de justice criminelle à composer avec les multiples causes de délais associés au déroulement de certains procès. Dans sa décision174, le juge Cournoyer constate le retard apporté en droit criminel canadien à adopter des façons de faire susceptibles de raccourcir ces délais, par exemple, le recours par le tribunal à la fixation d’échéanciers de présentation de la preuve ou d’argumentaires juridiques, comme c’est déjà la pratique en droit civil. Il considère que le temps est maintenant venu pour les juges de recourir à ces pratiques de gestion qui amènent le juge du procès à prendre les choses en main et assumer le leadership de la cadence du déroulement des affaires criminelles, particulièrement celles dont la durée prévisible dépasse de beaucoup ce qui est normalement observé en la matière. Après avoir rappelé les principes dégagés dans notre jurisprudence ainsi que la pratique en vigueur en droit américain, le juge Cournoyer cite en exemple le protocole175 établi en Angleterre en mars 2005 par Lord Woolf, le Lord Chief Justice of England and Wales portant sur la gestion des causes de fraude majeure et autres affaires criminelles complexes. En déposant ce protocole ainsi que les nouvelles règles de pratique en découlant lors d’une session176 spéciale de la Cour d’appel, chambre criminelle, Lord Woolf rappela aux partenaires réunis pour l’occasion le parcours qu’emprunta la réflexion de la communauté juridique dans son ensemble pour convenir d’une nouvelle façon d’opérer en matière criminelle dans le Royaume-Uni afin de s’adapter à la réalité du 21e siècle. Suite au rapport du Lord Justice Auld déposé en octobre 2001 intitulé The Review of the Criminal Courts177, Lord Woolf précise que la mise en œuvre de ces recommandations :

« […] has required a vast amount of effort and co-operation from all those engaged in the criminal justice system, including the Department for Constitutional Affairs, the Home Office, the Attorney General’s Office, the Crown Prosecution Service, practitioners from both sides of the profession and all those who are concerned with the welfare of victims and witnesses of crime.

174 R. v. Bordo, 2016 QCCS 477, paragr. 132 et suiv. 175 Id., paragr. 166; R-U, Court of Appeal, Criminal Division, Control and Management of Heavy Fraud and other Complex Criminal Cases—a Protocol issued by the Lord Chief Justice of England and Wales, [2005] All ER (D) 386 (Mar), Lord Woolf CJ, 22 mars 2005. 176 R-U, Court of Appeal, Criminal Division, Protocol for the control and management of heavy fraud and complex criminal cases, Transcript of proceedings: 22 March 2005, Lord Woolf CJ [Lord Woolf CJ, Protocol]. 177 R-U, Lord Auld LJ, Lord Chancellor's Department Review of the criminal courts of England and Wales : Report. Londres, Her Majesty’s Stationery Office, Septembre 2001.

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Co-operation between these agencies and the bodies and individuals representing them has taken place on an unprecedented scale.[…] »178

Un comité sur les règles de procédure sur lequel siégeaient des représentants de toutes les organisations mentionnées plus haut fut formé législativement en 2003 pour revoir les règles de pratique en vigueur et en proposer de nouvelles afin de poser le premier jalon d’un véritable code de procédure criminelle. Il nous apparaît pertinent de reprendre les propos tenus par le Lord Chief Justice lors du dépôt du protocole et des nouvelles règles de pratique :

« […] Most importantly, they promote a culture change in criminal case management. They introduce new rules, written in plain English, that give courts explicit powers and responsibilities to manage cases actively, and to reduce the numbers of ineffective hearings that cause avoidable distress to witnesses and inconvenience and expense to everyone. »179

Signalant que les lacunes importantes observées dans la gestion des dossiers avaient contribué aux problèmes importants vécus par l’ensemble du système de justice criminelle en Angleterre, affectant surtout la conduite des dossiers longs et complexes, Lord Woolf se fit le porte-parole de l’ensemble des partenaires en déclarant que bien que ces types de dossiers ne représentent qu’une petite minorité de tous les dossiers soumis aux tribunaux, ils sont responsables dans beaucoup de cas de la baisse de confiance de la population envers le système de justice. Le Lord Chief Justice précise de plus dans son adresse de présentation que le protocole est conçu principalement pour servir dans les procès avec jury, de façon à permettre aux jurés de comprendre et de retenir la preuve qui leur est soumise, car « s’ils en sont incapables, le procès ne peut être juste et équitable ni pour la poursuite ni pour la défense »180. Un des principes directeurs de ce protocole énonce que la meilleure approche à adopter à l’égard d’un procès qui s’annonce long consiste à en confier la gestion permanente à un juge d’expérience qui aura été désigné et libéré de ses autres tâches pour gérer l’affaire. Ce juge se doit ensuite d’exercer un contrôle ferme de la conduite du procès à toutes ces étapes, ce qui implique qu’il doit posséder une connaissance étendue des faits ayant donné naissance à la poursuite ainsi que de la preuve susceptible d’être amenée par chacune des parties au dossier. Le souci principal que doit entretenir le tribunal concerne la durée maximale que pourrait nécessiter l’affaire, laquelle doit être fixée à trois mois tout en concédant que le double de ce temps pourrait être justifié dans des cas très exceptionnels.

178 Lord Woolf CJ, Protocol, préc., note 176, p. 1 et 2 du document PDF. 179 Id., p. 2 du document PDF. 180 Id., p. 4 du document PDF (Traduction libre).

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Pour y parvenir, le juge est invité, notamment, à :

• Fixer la date du procès très tôt en début de gestion du processus; • S’assurer que la divulgation a été faite complètement et de façon

compréhensible pour la défense; • Annoncer des dates butoirs pour la présentation des requêtes préliminaires dont

la durée maximale aura été fixée; • S’assurer que toutes les requêtes susceptibles de retarder le cours de l’affaire

auront été entendues avant le début des auditions des témoins; • Convoquer très rapidement les parties à une première séance de gestion au

cours de laquelle ils sont invités à présenter un exposé de leur position respective et préciser la stratégie qu’ils entendent adopter;

• Aménager un agenda de rencontres régulières où des procès-verbaux sont

produits afin de rappeler aux parties les engagements pris lors de ces rencontres;

• Susciter chez les parties un véritable esprit de collaboration en leur demandant

de se rencontrer afin de convenir des admissions à produire au dossier et identifier les points de divergence afin de faire progresser le dossier plus rapidement;

• Obliger les parties à dévoiler rapidement leurs intentions en ce qui a trait à la

présentation de preuves par expert. Le protocole ne se limite donc pas à faire état de la manière dont le juge de gestion doit se comporter pour assumer ce rôle mais il incite également toutes les parties à s’associer à un véritable effort visant à simplifier et diminuer la durée des procédures. Pour parvenir à ce résultat, le protocole encourage le juge à exercer un contrôle serré sur la durée des contre-interrogatoires et sur la cadence de l’affaire en général. On y sensibilise les parties à l’importance d’accorder une préoccupation particulière à la façon dont les témoins sont appelés à apporter leur contribution au processus judiciaire, notamment, en ce qui a trait au moment de leur présence en cour et à la durée de celle-ci. On rappelle que les jurés doivent être tenus régulièrement au courant de la progression de l’affaire et que doivent être mis à leur disposition les outils technologiques capables de leur faciliter l’assimilation et la bonne compréhension de la preuve qui leur est soumise. Le protocole précise enfin que sa facture peut être appelée à évoluer et que si des façons de faire ou des pratiques s’avèrent efficaces, elles pourront être intégrées au document produit par le Lord Chief Justice.

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Le Comité considère que rien dans nos règles de droit ou dans notre courant jurisprudentiel n’empêchait le juge, avant l’entrée en vigueur des dispositions relatives à la gestion du procès énumérées au paragraphe 551.3(1) du Code criminel, de jouer un rôle proactif dans le déroulement d’une affaire criminelle, dans le respect du droit d’un accusé à une défense pleine et entière. Les modifications181 apportées par le législateur fédéral en 2011 sont venues confirmer et préciser le pouvoir déjà détenu par le juge du procès de diriger et orchestrer le déroulement d’une affaire criminelle. Depuis l’arrêt Jordan182 prononcée par la Cour suprême du Canada le 8 juillet 2016, on doit plutôt maintenant parler d’un devoir qui incombe dorénavant au juge de gestion de s’assurer que toutes les mesures nécessaires ont été prises par l’ensemble des intervenants au processus judiciaire pour, non seulement garantir à l’accusé la tenue d’un procès juste et équitable, mais également démontrer à la population qu’elle peut avoir confiance dans le système de justice car les procès, quelle que soit leur complexité, peuvent aussi être tenus dans un délai raisonnable. Dans le chapitre premier de ce rapport traitant de la mise sur pied d’un forum de discussions des partenaires de justice, le Comité invite les divers intervenants du système de justice à se réunir régulièrement afin d’échanger sur les problématiques auxquelles le système de justice est confronté. À la première rencontre à laquelle seraient amenés à participer les partenaires de justice, dans l’éventualité espérée qu’un tel forum soit créé, le Comité suggère d’inscrire à l’ordre du jour de cette rencontre le projet d’élaboration d’un protocole inspiré de l’expérience anglaise que tous les participants s’engageraient à respecter parce qu’ils auront apporté des modifications les uns à leurs règles de pratique ou leur code de déontologie, les autres à leurs manuels de directives ou d’opérations. 11.7 - La contestation des requêtes préliminaires Le phénomène des mégaprocès est particulièrement caractérisé par la présentation et l’audition d’un nombre important de requêtes préliminaires introduites par les avocats des accusés et visant le plus souvent à obtenir une ordonnance d’arrêt des procédures en raison d’un manquement invoqué à l’obligation qui est faite au poursuivant de divulguer l’ensemble de la preuve en sa possession ou encore, en raison des délais déraisonnables encourus depuis le déclenchement du processus judiciaire. Les autres motifs les plus souvent soulevés au soutien de ces requêtes ont trait à des allégations d’abus de procédures, à des contraventions aux garanties juridiques inscrites dans la Charte canadienne, à des contestations de perquisitions qualifiées d’abusives ou à des objections au dépôt en preuve de communications privées interceptées en raison de leur obtention sur la foi d’affidavits que l’on prétend être incomplets ou mensongers.

181 Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès), préc., note 15. 182 R. c. Jordan, préc., note 8.

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Certains avocats de la défense ne se cachent pas de préconiser le recours à des stratégies visant à tout prix à empêcher la tenue du procès en raison de la preuve souvent accablante recueillie grâce aux importants moyens d’enquête utilisés par les forces policières. Les poursuivants appelés à commenter cette pratique de plus en plus développée reprochent aux avocats de la défense ayant recours à cette stratégie de se contenter le plus souvent de reproduire presque textuellement des requêtes ayant déjà fait l’objet d’une présentation antérieure à l’occasion d’autres procédures ou encore, de s’associer sans véritable motif à des requêtes présentées par des coaccusés. Selon eux, les juges appelés à entendre ces requêtes sont peu enclins à exercer leurs pouvoirs de gestion pour en limiter la fréquence ou la durée, préférant accorder la prépondérance dans leur analyse au respect du principe de l’équité du procès et du droit à une défense pleine et entière. Or, de l’aveu même d’une procureure d’expérience rencontrée en entrevue, il est rare de voir une requête en rejet être présentée par la poursuite à l’encontre de ce type de requête préliminaire. Comme l’a souligné la juge en chef de la Cour suprême du Canada, madame Beverly McLachlin :

« [28] […] Un procès équitable ne doit toutefois pas être confondu avec un procès parfait, ni avec le procès le plus avantageux possible du point de vue de l’accusé. Comme je l’ai dit dans R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, par. 193, “[l]e procès équitable tient compte non seulement du point de vue de l’accusé, mais également des limites pratiques du système de justice et des intérêts légitimes des autres personnes concernées […]. »183

Compte tenu du caractère parfois dilatoire de certaines de ces requêtes qui contribuent à la longueur du processus judiciaire, il devient impératif pour la poursuite d’agir de manière proactive afin de convaincre le tribunal de recourir à son pouvoir inhérent de gérer l’instance de façon à forcer la présentation de ces requêtes à l’intérieur de limites de temps ou de délais de présentation comme l’a exposé le juge Cournoyer de la Cour supérieure dans l’affaire Bordo184. Il s’avère également pertinent de rappeler les principes énoncés par la Cour d’appel de l’Ontario en 2003 lorsqu’elle a résumé l’étendue du pouvoir de gestion du juge du procès :

« [57] I think something should be said about the trial management power. It is neither necessary nor possible to exhaustively define its content or its limits. But it at least includes the power to place reasonable limits on oral submissions, to

183 R. c. Find, 2001 CSC 32. 184 R. v. Bordo, préc., note 174.

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direct that submissions be made in writing, to require an offer of proof before embarking on a lengthy voir dire, to defer rulings, to direct the manner in which a voir dire is conducted, especially whether to do so on the basis of testimony or in some other form, and exceptionally to direct the order in which evidence is called. The latter power is one that must be exercised sparingly because the trial judge does not know counsel’s brief. However, a judge would not commit jurisdictional error in exercising that power unless the effect of the ruling was to unfairly or irreparably damage the prosecution. […]. »185

Le Comité est d’opinion qu’il est de la plus grande importance pour la poursuite de contribuer davantage à une meilleure gestion dans la disposition de ces requêtes en faisant valoir les arguments susceptibles d’amener le juge à exiger une plus grande rigueur dans la présentation et le déroulement des audiences consacrées à l’examen de celles-ci. Depuis l’arrêt Jordan186, les délais dans le déroulement des procès représentent le plus grand défi avec lequel le poursuivant sera dorénavant appelé à composer. C’est donc avec satisfaction que le Comité a appris la décision des autorités responsables des poursuites criminelles et pénales d’élaborer un projet de coordination des contestations des requêtes préliminaires dont l’objectif principal est de recentrer le débat sur la culpabilité ou non de l’accusé et de réduire en conséquence de façon importante les pertes de temps judiciaires causées par le manque de préparation ou le caractère frivole de ces requêtes. Une meilleure coordination des contestations opposées à ces requêtes devrait permettre d’éviter à la poursuite de soutenir des positions incompatibles à l’intérieur du même service de poursuite et de faciliter le travail de préparation des contestations de ces requêtes en arrêt des procédures. Le Bureau de la grande criminalité et des affaires spéciales s’est vu confier le mandat de réaliser ce projet. L’équipe formée à cette fin devra identifier les meilleures façons de contrer certaines requêtes préliminaires en développant des argumentaires susceptibles d’amener le juge à disposer rapidement de celles-ci. Il est permis de penser qu’une attention particulière sera apportée par ce comité interne au Directeur des poursuites criminelles et pénales à la création d’un registre de procédures préliminaires dans lequel les poursuivants pourront puiser pour présenter des positions juridiques cohérentes et uniformes dans l’ensemble du réseau des poursuivants.

185 R. v. Felderhof, préc., note 161. 186 R. c. Jordan, préc., note 8.

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11.8 - Le comportement des plaideurs lors des audie nces et les plaintes en déontologie On assiste, beaucoup l’ont déploré, à un certain étiolement du décorum qui devrait régner en salle d’audience entre membres du Barreau. Dans un seul dossier dont la longueur et la complexité ont particulièrement attiré l’attention du public dans les derniers mois, pas moins de quatorze plaintes en déontologie ont été déposées par des membres du Barreau à l’endroit de confrères ou consœurs occupant pour la partie adverse. Dès les premières rencontres des membres du Comité avec les représentants de la poursuite, il s’est avéré évident que les relations tendues et parfois agressives entretenues par les avocats ou avocates représentant la poursuite ou la défense dans les procès d’envergure constituaient un problème important auquel des mesures correctrices doivent être apportées. Selon certains avocats d’expérience œuvrant en défense, le phénomène des attaques personnelles entre avocats qui sont courantes, semble-t-il, en matière civile a tendance à se répandre de plus en plus en matière criminelle. Les représentants du Bureau du syndic du Barreau rencontrés confirment cette tendance. Ils en trouvent en partie une explication dans les enjeux importants que soulèvent les poursuites criminelles, auxquelles s’ajoutent de plus en plus des mesures à caractère financier initiées par les agences du revenu du Canada et du Québec, ce qui fait reposer sur les épaules des avocats de la défense une pression additionnelle. Ces mêmes représentants du Bureau du syndic constatent également un niveau de méfiance grandissant entre les procureurs de la poursuite et ceux œuvrant en défense. Des propos semblables nous ont été formulés par certains des juges rencontrés. Une représentante de la poursuite amenée à intervenir sporadiquement dans les dossiers longs et complexes pour débattre des requêtes préliminaires à l’égard desquelles son expertise est requise, constate cette dynamique particulière entourant le déroulement des longs procès. Lorsqu’elle intervient alors que le processus est en cours depuis un certain temps, il lui est fréquent de constater que les relations entre confrères et consœurs sont déjà très tendues. Elle estime que, puisqu’elle « est nouvelle au dossier, cela aide à assainir quelque peu l’atmosphère ». Le Comité a pu recueillir à l’égard de ces situations tendues les points de vue des représentants des deux groupes appelés à s’affronter dans le déroulement des mégaprocès. Selon certains avocats de la poursuite, la stratégie employée par certains avocats de la défense consiste d’abord à recourir à une certaine forme d’intimidation à l’égard du poursuivant. Puis, on utilise la flatterie si le premier moyen ne donne pas de résultat. Enfin, en dernier recours, il n’est pas rare de voir la défense faire usage de menaces de poursuite au civil si les deux premiers moyens se sont avérés inefficaces.

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Un procureur de la poursuite expérimenté estime quant à lui que la stratégie de la défense est simple, suite au constat qu’aucun moyen de défense n’est possible : « on étire le dossier au maximum dans l’espoir qu’il déraille sur quelque chose ». Un autre nous a rappelé la décision récente d’un juge qui a été amené à se récuser d’un dossier en raison du comportement inapproprié de certains avocats de la défense à son endroit. « On s’attaque d’abord à la couronne et quand ça ne fonctionne pas, on s’attaque au juge ». Du côté des avocats de la défense, on attribue surtout au manque d’expérience de plusieurs poursuivants et à l’insécurité qu’ils éprouvent dans la conduite d’affaires importantes auxquelles ils sont mal préparés, les rapports difficiles qui existent entre les procureurs de la poursuite et les avocats agissant en défense dans les dossiers longs et complexes. On reproche aussi aux poursuivants de trop souvent « en faire une affaire personnelle » qui les poussent à refuser de se prêter à de véritables négociations. Les avocats de la défense estiment que l’absence de mentorat et de véritable coaching au Directeur des poursuites criminelles et pénales contribuent au développement d’une culture chez les poursuivants qui les induit dans l’idée qu’ils n’ont pas à justifier leurs décisions en raison de l’immunité dont ils sont investis. Il ne revient pas aux membres du Comité, dans le cadre de ce mandat, de décider où se situent les torts. Toute partie, même la partie adverse, a droit à la loyauté et au dévouement de l’avocat qui la représente devant le tribunal. Tout avocat qui agit dans l’intérêt de la partie qu’il représente comprendra que l’avocat de la partie adverse a le devoir d’agir de même. Certains avocats semblent craindre de « fraterniser avec l’ennemi », alors qu’une attitude respectueuse envers la personne, qui est sa consœur ou son confrère représentant la partie adverse, témoigne non seulement d’un certain savoir-vivre, mais aussi du principe qu’un avocat ne doit jamais laisser son bon jugement être dominé par l’antipathie, la rivalité ou le ressentiment. Il doit d’abord s’efforcer de comprendre plutôt que d’attaquer les motivations de l’avocat de la partie adverse. Il doit aussi mieux comprendre comment les juges, depuis leur tribune, voient les choses. Nous sommes d’avis toutefois que sur le plan humain, le travail effectué par les avocats dans le cadre d’un procès long et complexe, qu’ils agissent en poursuite ou en défense, s’avère extrêmement difficile et exigeant. Un ex-enquêteur de police nous a avoué qu’en raison du climat d’intimidation qui règne dans certains dossiers touchant le crime organisé, certains officiers de police ou même procureurs de la poursuite ne désirent plus être impliqués dans ces affaires en raison de la crainte qu’ils ressentent. Plusieurs procureurs de la poursuite nous ont confirmé avoir eu recours au « Programme d’aide aux employés », en raison de leur participation à ce type de dossiers.

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Ces dossiers s’avèrent à ce point exigeants pour certains d’entre eux qu’il leur a fallu obtenir un soutien psychologique pendant et après leur implication dans un mégaprocès. C’est pourquoi il s’avère important pour plusieurs d’entre eux de savoir qu’ils peuvent compter sur l’organisation pour les soutenir dans l’exécution de ces mandats. On déplore également, chez plusieurs poursuivants, l’attentisme dont ferait preuve le syndic du Barreau lorsque des comportements contraires à la déontologie sont portés à son attention. On voudrait voir les plaintes faire l’objet de considération plus rapidement au lieu de se faire dire par le Bureau du syndic que l’affaire sera traitée à la fin des procédures. Les procureurs de la poursuite nous déclarent être particulièrement affectés lorsque leur intégrité est mise en doute lors d’allégations formulées dans les requêtes préliminaires touchant notamment à la divulgation de la preuve. Or, l’avocat, comme tout autre citoyen a droit à la sauvegarde de son honneur et de sa réputation en vertu de l’article 4 de la Charte québécoise des droits et libertés. Traitant de l’inconduite professionnelle des avocats dans le cadre des procès longs et complexes, les commissaires LeSage et Code s’expriment ainsi dans leur « Rapport sur l’examen de la procédure relative aux affaires criminelles complexes »187 :

« Bien que rares, les cas d’inconduite professionnelle en salle d’audience sont probablement plus fréquents dans les procès longs et complexes. En effet, l’avocat qui œuvre dans ces causes subit une pression intense durant une longue période et ses relations avec la partie adverse sont continuellement mises à l’épreuve au cours de cette période prolongée. Il est facile de pardonner à un adversaire pour quelques erreurs commises dans le cadre d’un court procès. Il est beaucoup plus difficile d’entretenir des relations respectueuses avec un adversaire au cours d’un très long procès, en particulier un adversaire que l’on en est venu à ne pas aimer ou que l’on perçoit comme incompétent. »

Or, comme le signalait le juge Rosenberg dans l’arrêt Felderhof :

« [84] […] Unfair and demeaning comments by counsel in the course of submissions to a court do not simply impact on the other counsel. Such conduct diminishes the public’s respect for the Court and for the administration of criminal justice and thereby undermines the legitimacy of the results of the adjudication. »188

Les membres du Comité sont conscients que l’inconduite d’une partie dans le déroulement d’un mégaprocès peut difficilement faire l’objet d’une sanction immédiate

187 LeSage et Code, préc., note 3, p. 161. 188 R. v. Felderhof, préc., note 161.

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par le syndic du Barreau sans que ne soit affecté le déroulement du processus judiciaire. Hormis les cas flagrants où il est possible et fortement souhaitable que le juge du procès intervienne sur le champ pour freiner une conduite répréhensible, il nous apparaît important pour le bon déroulement d’une affaire que le bureau du syndic saisi d’une plainte puisse informer l’avocat visé que celle-ci sera traitée rapidement et non pas uniquement à l’issue du procès. Le processus de traitement d’une plainte en déontologie est un exercice déjà assez long qu’il ne peut souffrir d’un délai supplémentaire uniquement parce que la conduite reprochée s’est manifestée au cours d’un mégaprocès. Il se trouvera certainement des moments propices durant la longue période de temps au cours de laquelle l’affaire sera entendue pour permettre au plaignant et à l’avocat faisant l’objet d’une allégation de conduite répréhensible de se faire entendre sans que le déroulement du procès n’en soit affecté. En ce qui a trait aux allégations touchant à l’honnêteté et à l’intégrité d’une partie, il est de la plus haute importance que celles-ci soient traitées sans délai. On ne peut laisser planer un doute sur l’honnêteté d’un officier de justice impliqué dans une affaire importante sans qu’une considération rapide ne soit apportée à ce type de plainte ou d’allégation. À cet égard, le Comité considère très judicieuse la suggestion formulée par une représentante de la poursuite qui propose que l’on apporte une modification au Code de déontologie des avocats189 qui obligerait le membre du Barreau qui désire soulever la question de l’intégrité d’un confrère ou d’une consœur à formuler par écrit les motifs à la base de ses allégations et produire, sous scellés, à l’attention du tribunal, le document en expliquant les raisons. Ces allégations, dont la teneur aura été transmise en copie à l’avocat visé, seraient par la suite examinées à huis clos par le juge chargé de l’affaire, qui serait invité à rendre une ordonnance de non-publication jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à cet égard. Une telle procédure ferait en sorte de préserver la réputation du plaideur visé par la procédure jusqu’à ce que l’affaire ait été décidée par le juge. 11.9 - Le soutien à fournir au juge du procès

« Tous les juges, même les plus aguerris, ressentent le besoin d’être soutenus. »

Cette affirmation nous a été livrée en entrevue par un juge que l’on peut certainement qualifier d’être lui-même des plus aguerris.

189 RLRQ, C. B-1, r. 3.1.

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Le Comité a largement insisté dans ce rapport sur les moyens dont devraient pouvoir disposer les enquêteurs de police et les poursuivants pour qu’ils puissent s’acquitter efficacement de leurs responsabilités respectives dans la conduite des enquêtes ou des procédures judiciaires associées au déroulement des mégaprocès. En plus de formuler des recommandations portant sur la nécessité de former des équipes d’enquêteurs et de poursuivants en vue d’améliorer le traitement de la preuve accumulée lors de l’enquête policière, le Comité préconise que les membres formant ces équipes se voient assigner des rôles spécifiques de nature à favoriser l’acquisition et le maintien de connaissances particulières de façon à ce que chaque volet important du déroulement d’une affaire longue et complexe reçoive une attention et une préparation ne laissant aucune place à l’improvisation ou aux rebondissements qu’ont connus certaines affaires récentes. Or, le fonctionnement de nos cours de justice n’offre pas le bénéfice, dans l’état actuel des choses, d’une équipe de juristes qualifiés ou de techniciens capables d’assister les juges dans la conduite et la gestion d’un dossier, même long et complexe, ou qui pourrait les conseiller et les soutenir dans la prise de décisions à l’égard des multiples requêtes ou objections dont ils peuvent être saisis pendant le processus judiciaire dont la durée peut s’étendre sur plusieurs mois ou même années. Pourtant, aucun principe sacro-saint rattaché à nos règles de droit ou de procédure n’interdit aux juges de recevoir une assistance analogue à celle que le Comité recommande d’apporter au responsable de l’enquête ou au responsable de la poursuite. Le caractère particulier du rôle traditionnellement confié aux juges dans la conduite des affaires criminelles ne saurait faire obstacle à l’octroi d’un meilleur soutien aux juges assignés à la gestion d’une affaire dont la longueur et la complexité constituent un défi tout aussi important pour eux que pour les policiers, les avocats ou les jurés. Notre intention n’est pas de suggérer l’introduction dans notre procédure criminelle régissant la conduite d’un mégaprocès d’un processus de décision qui ferait appel au consensus ou à la collégialité pour décider des questions liées à l’admissibilité en preuve de certains éléments révélés par l’enquête policière ni de recommander la constitution de bancs décisionnels formés d’un juge et d’assesseurs pour décider, en première instance, du verdict à prononcer relativement à un dossier. Le Comité recommande plutôt que soit offerte aux juges affectés à la conduite de mégaprocès la possibilité de s’adjoindre des personnes qualifiées et expérimentées, juristes ou techniciens juridiques, pour qu’elles puissent l’assister dans l’accomplissement de la tâche souvent colossale générée par la gestion des affaires longues et complexes. Curieusement, la plupart des juges rencontrés par le Comité se sont montrés relativement réservés dans leurs propos touchant au soutien qu’ils pourraient espérer recevoir dans l’exécution de leur mandat. Peu d’entre eux ont formulé des remarques précises sur cet aspect du rôle que pourraient jouer des assistants de justice et ceux qui l’ont fait semblaient peu convaincus que cela puisse se réaliser dans un avenir rapproché.

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Le Comité ne peut les blâmer d’être résignés à se satisfaire du soutien minimal qui leur est actuellement consenti en ressources humaines et le président de ce Comité est bien placé pour se rappeler des réponses qui ont été fournies à l’égard de leurs demandes traditionnelles d’être mieux nantis en recherchistes et employés de soutien. Nous sommes d’avis cependant que les recommandations formulées dans ce rapport se rapportant aux équipes que doivent constituer les policiers et les poursuivants pour la conduite des mégaprocès risquent, si elles sont mises en œuvre, de ne pas produire les résultats escomptés en l’absence d’un soutien semblable à consentir aux juges chargés de diriger ces procédures. Dans un rapport de mission de réflexion confié en 2012 par le garde des Sceaux et Ministre de la Justice de France à l’Institut des hautes études sur la Justice portant sur l’évolution de l’office du juge et son périmètre d’intervention, les auteurs du rapport recommandent, notamment, que les juges puissent bénéficier de l’assistance de personnes qualifiées pour les aider dans l’accomplissement de leurs fonctions :

« Une autre manière d’améliorer la qualité de la justice est d’entourer le juge d’une équipe qui le soulage de la constitution et de la mise en forme des jugements, qui l’aide dans ses décisions et qui lui fournisse un point de vue général sur la jurisprudence. […] […] […] Dans de nombreux pays européens, les juges travaillent avec des assistants ce qui leur permet de réserver du temps pour la responsabilité qui leur revient, c’est-à-dire la décision. […] […] Pour les dossiers complexes qui seraient identifiés dès le départ de l’instruction civile ou pénale, il s’agirait d’une véritable aide technique permettant d’identifier les questions importantes, de sérier les difficultés juridiques ou autres durant le temps de l’instruction, de faire des notes de synthèse, d’assister pleinement le juge comme le font les jeunes avocats collaborateurs dans les cabinets d’avocats. […] »190

Le Comité est d’opinion que nous en sommes là! Laisser une personne seule, diriger en solitaire un mégaprocès, aussi qualifiée ou expérimentée qu’elle puisse être, ne peut fournir la garantie que l’affaire connaîtra le dénouement espéré parce qu’on aura eu recours uniquement aux méthodes et aux mesures préconisées par l’ensemble des auteurs des rapports et études portant sur la gestion des causes longues et complexes.

190 France, Institut des hautes études sur la justice, La prudence et l’autorité - L’office du juge au XXIe siècle, Rapport de la mission de réflexion confiée par la ministre de la Justice, garde des Sceaux, Christiane Taubira, Paris, mai 2013, 218 p., p. 81-83.

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L’ensemble des mesures recommandées dans le présent rapport sont complémentaires les unes des autres. Chacun des acteurs principaux du système de justice doit être en mesure de suivre la cadence imposée par les autres. Le soutien à apporter aux juges est indissociable de celui à apporter aux autres partenaires. C’est pourquoi il s’avère de la plus haute importance que le système judiciaire dans son ensemble soit en mesure de répondre aux défis logistiques et opérationnels découlant de la lutte menée par les policiers à la criminalité organisée et que tant les tribunaux que les responsables des poursuites se voient dotés des budgets et des ressources humaines et informatiques adéquates afin de les assister dans la gestion de ces dossiers. En outre, il nous faut réaliser que la nécessité de fournir un soutien semblable aux juges, prioritairement dans la gestion des mégaprocès, ne constitue pas une démarcation si prononcée de la façon de travailler de nos juges des cours d’appel. La plus haute cour de notre pays accorde déjà aux neuf juges qui la composent la possibilité de pouvoir compter sur des clercs qui les assistent dans le travail d’analyse des dossiers qui leur sont soumis et dans celui préparatoire au prononcé des jugements. Des juristes expérimentés leur sont également fournis pour les aider à circonscrire les principaux points en litige. Permettre aux juges de gestion et aux juges des procès de pouvoir bénéficier de l’appui et de l’assistance de juristes qualifiés et dédiés à leur mission de venir en aide aux juges impliqués dans la conduite d’affaires complexes ne peut que contribuer à améliorer la gestion de ces dossiers et par le fait même, en diminuer la durée. Le Comité estime en outre que l’assistance de ces juristes et techniciens juridiques pourrait être davantage significative si certains d’entre eux, sinon tous, possédaient des compétences particulières dans l’utilisation des technologies de l’information. RECOMMANDATIONS : 34o– Que la Cour du Québec revoie le libellé du formul aire invitant les parties à recourir à la conférence de facilitation en matière criminelle et pénale de manière à ne pas laisser sous-entendre que l’accusé est dispo sé à reconnaître sa culpabilité en acceptant de participer à cet exercice. 35o– Que la Ministre de la Justice fasse des représent ations auprès de son homologue fédéral afin que l’article 551.3 du Code criminel soit modifié afin de conférer au juge de gestion le pouvoir de désigner le district où se tiendra le procès lorsque l’affaire à être entendue présente l es caractéristiques d’un procès long et complexe. 36o– Que cette désignation par le juge de gestion soit précédée d’une consultation avec les responsables au sein du ministère de la Sé curité publique chargés d’assurer la détention des personnes devant subir c e procès et du ministère de la Justice responsable du soutien logistique à apporte r à celui-ci.

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37o– Que la Ministre de la Justice fasse des représent ations auprès de son homologue fédéral afin que l’article 551.3 du Code criminel soit modifié pour autoriser le juge de gestion à utiliser les pouvoir s conférés par les dispositions de cet article même si aucun acte d’accusation n’a enc ore été déposé par le poursuivant. 38o– Que les autorités administratives des tribunaux c hargées de l’affectation des juges accordent une attention particulière aux reco mmandations formulées par les auteurs des rapports produits à la suite de l’e xamen de la tragédie du vol 182 d’Air India en ce qui a trait au profil recherché c hez un juge à qui on désire confier la conduite d’un procès long et complexe. 39o– Qu’à l’occasion de la tenue d’une première rencon tre du forum de discussion, dont la création est fortement suggérée par le Comité à la recommandation 1 o du présent rapport, soit inscrit à l’ordre du jour un projet d’élaboration d’un protocole de gestion des causes longues et complexes s’inspirant de celui mis en œuvre en 2005 au Royaum e-Uni par les partenaires impliqués dans l’administration de la justice crimi nelle. 40o– Que le Bureau du syndic du Barreau du Québec sais i d’une plainte à l’égard du comportement qu’aurait affiché un membre de cett e profession lors d’une audience ou dans le cadre du déroulement d’une affa ire pendante devant le tribunal procède au traitement de cette plainte san s délai et s’assure que les parties impliquées prendront les dispositions pour que leur participation à l’examen de celle-ci n’entrave pas le déroulement d es procédures en cours. 41o– Que le Code de déontologie des avocats soit modif ié pour prévoir que, dans le cas où un membre de la profession entend souleve r dans le cadre d’une procédure pendante devant la cour la question de l’ intégrité d’un autre membre du Barreau du Québec, les motifs à la base de ses prét entions soient obligatoirement formulés par écrit et produits sous scellés à l’att ention du tribunal qui verra à prononcer une ordonnance de non-publication concern ant cette requête jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à son égard. 42o– Que les juges appelés à siéger dans les affaires longues et complexes puissent recevoir le soutien d’une équipe formée de juristes et de techniciens qualifiés de façon à leur permettre entre autres de se concentrer sur les principaux points en litige et de rendre les décisi ons attendues d’eux dans des délais acceptables.

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12 - LA CONTRIBUTION DES JURÉS La longueur et la complexité du processus judiciaire appliqué au déroulement des procès intentés contre la criminalité organisée ont amené certains interlocuteurs rencontrés par le Comité à afficher leur préférence pour l’abandon du procès avec jury dans cette catégorie de dossiers. D’entrée de jeu, le Comité estime qu’il ne relève pas de son mandat de recommander l’abolition ou le maintien du procès avec jury dans les affaires longues et complexes ne serait-ce qu’en raison des enjeux entourant de possibles amendements législatifs susceptibles de soulever des débats houleux, comme c’est le cas chaque fois que cette question est abordée. Dans un excellent article portant sur le souhait formulé par d’aucuns préconisant la mise à l’écart du jury dans les procès de longue durée, Me Jean-Claude Hébert, dans la conclusion de son analyse, pose la question et y répond ainsi :

« […] Lors de procès complexes ou de longue durée, impliquant notamment des organisations criminelles ou terroristes, le législateur pourrait-il limiter le droit au procès par jury et faire valider judiciairement cette restriction à l’alinéa 11f) de la Charte canadienne? […] […] La Constitution, c’est concrètement la jurisprudence constitutionnelle. Or, l’enseignement de la plus haute cour du pays ou l’assise juridique et constitutionnelle de l’institution du jury représente actuellement un obstacle de taille pour le gouvernement fédéral. On l’a vu précédemment, la mise à l’écart du procès par jury ne pourrait se justifier que par de solides considérations relatives à la représentativité et la compétence du jury. Au regard des données et connaissances actuelles, dans l’un et l’autre cas, la démonstration serait extrêmement ardue. […] »191

Le Comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice s’est penché sur la question des procès avec jury et un sous-comité, présidé par le Québec, a été créé à cette fin. Une consultation a été entreprise auprès des juges, des poursuivants et des avocats de la défense192. Les difficultés particulières rencontrées par les jurés dans le déroulement des affaires longues et complexes ont évidemment fait l’objet de considérations par le sous-comité.

191 Jean-Claude Hébert : « Le jury, un canard boiteux? », (2003) 63 R. du B. 311, 358 et 359 [Hébert]. 192 Voir Canada, Comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice, Rapport sur la réforme du jury, Ottawa, ministère de la Justice, mai 2009, 45 p.

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Dans son rapport, le sous-comité n’a pas recommandé l’abolition du jury dans les affaires complexes ou son remplacement par un panel composé d’un juge et d’assesseurs193. Ce faisant, il a possiblement été influencé par les expériences qu’ont connues l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni dans leurs démarches respectives de retirer certains types d’actes criminels de la liste des crimes pouvant être jugés par un juge et un jury. Dans le contexte particulier des violences et des attentats survenus en Irlande du Nord, le législateur a aboli en 1973 le droit au procès avec jury dans certaines causes liées au terrorisme en raison essentiellement du danger auquel pouvaient être exposés les jurés appelés à siéger dans ce type de dossiers194. Des modifications à cette législation ont toutefois été apportées en 2006 et on est revenu à la situation antérieure à 1973 dans les affaires de terrorisme sauf lorsque le Director of public prosecution considère que la justice serait mieux servie par la tenue d’un procès sans juré195. Les dispositions prévoyant la possibilité de tenir un procès sans jury doivent cependant faire l’objet d’un réexamen après une certaine période et un tel exercice est prévu pour 2017. Au Royaume-Uni, un examen exhaustif effectué par le Lord Justice Auld196 en 2001 du fonctionnement de la justice criminelle a amené le gouvernement à faire adopter en 2003 des dispositions législatives prévoyant la tenue du procès devant un juge sans jury lorsque l’affaire laisse croire à un risque d’intimidation envers les membres du jury197. Le législateur anglais n’a pas suivi la volonté du gouvernement qui désirait voir une telle disposition s’appliquer également dans les cas de dossiers longs et complexes. Le projet de loi ayant rencontré une résistance féroce, le gouvernement a dû se plier à l’exigence d’obtenir une résolution des deux Chambres avant que les amendements n’aient force de loi. La Chambre des Lords s’étant opposé à l’adoption de la résolution de mise en vigueur, on assiste donc au statu quo depuis 2007 malgré le dépôt d’un projet de loi par le gouvernement visant à abolir l’exigence d’une résolution des deux Chambres avant l’entrée en vigueur des modifications prévoyant l’absence d’un jury dans certaines affaires comportant un risque pour les jurés. Ce qu’il faut retenir des tentatives laborieuses du gouvernement du Royaume-Uni de restreindre le procès avec jury et de l’expérience vécue en Irlande du Nord depuis 1973, c’est que cette volonté de ne pas permettre la tenue d’un procès devant jury ne découle pas d’une méfiance entretenue à l’égard de la capacité des citoyens choisis comme jurés à comprendre les tenants et aboutissants de l’affaire à laquelle on leur demande d’apporter leur contribution.

193 Id., p. 5. 194 Voir Northern Ireland (Emergency Provisions) Act 1973, 1973, c. 53. 195 Voir An Act to make provision about justice and security in Northern Ireland, 2007, c. 6. 196 Lord Woolf CJ, Protocol, préc., note 177. 197 Voir An Act to make provision about criminal justice (including the powers and duties of the police) and about dealing with offenders; to amend the law relating to jury service; to amend Chapter 1 of Part 1 of the Crime and Disorder Act 1998 and Part 5 of the Police Act 1997; to make provision about civil proceedings brought by offenders; and for connected purposes (Criminal Justice Act 2003), 2003 c. 44.

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Notons également que les études et rapports consultés portant sur le phénomène des mégaprocès n’ont pas identifié d’emblée l’abandon des procès devant jury comme pouvant constituer une solution aux problèmes associés au déroulement des affaires longues et complexes. Le rapport dressé en 2008 par les commissaires LeSage et Code, traitant de la procédure relative aux affaires criminelles complexes, ne formule aucune recommandation en ce qui a trait aux jurés et à leur implication dans ces affaires198. En ce qui a trait au rapport du commissaire Major sur le vol 187 d’Air India, ce dernier, loin de recommander l’abandon du procès devant jury dans les affaires de terrorisme, préconise au contraire l’addition de ce type d’offense criminelle à la liste des infractions qui, en vertu de l’article 469 du Code criminel, devraient être traitées devant jury à moins que le poursuivant ne consente à un procès devant juge seul en application du paragraphe 473(1) du Code criminel199. 12.1 - Le rôle du jury L’impression souvent répandue à l’effet que les causes longues et complexes soient hors de portée de la compréhension des citoyens formant un jury doit, selon le Comité, être fortement nuancée. Il est certain que le profil habituellement recherché chez les candidats jurés, à savoir l’absence d’idée préconçue sur l’affaire à juger ainsi que leur relative disponibilité à effectuer leur devoir de citoyens peuvent s’avérer des qualités ou aptitudes insuffisantes pour s’acquitter d’un mandat aussi éprouvant. Les officiers de justice, au cours de l’exercice visant à sélectionner les membres du jury, doivent aussi dans la mesure du possible s’assurer que le candidat ou la candidate interrogée est pourvu d’un sens commun capable de lui permettre de comprendre la preuve et de faire le lien avec les accusations portées contre l’accusé. Mais il est impossible en raison du processus sommaire de sélection emprunté par le système de justice de choisir les jurés les plus aptes à comprendre la preuve parmi les candidats sélectionnés au hasard. Le Comité estime toutefois que cela n’est pas vraiment nécessaire bien que souhaitable lorsque la preuve qui leur sera présentée s’avère complexe. Il incombe au poursuivant et à l’avocat de la défense de rendre leur preuve compréhensible pour le citoyen ordinaire chargé de rendre un verdict. Il revient au juge de diriger le jury sur les règles de droit applicables. Comme le soulignait Me Hébert dans l’analyse précitée :

« Une gestion efficace du procès en général et de l’administration de la preuve en particulier peut grandement

198 LeSage et Code, préc., note 3. 199 Commission d’enquête Air-India, préc., note 4, p. 372.

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faciliter la compréhension des jurés. En soi, la durée du procès n’est pas un facteur d’incompréhension. »200

Dans ce qui est considéré jusqu’à maintenant comme le plus long procès à s’être tenu au Royaume-Uni201, une affaire complexe de corruption dont l’audition a débuté en juin 2003 et qui s’est terminée par un arrêt des procédures 21 mois plus tard, certains des membres du jury appelés à commenter leur contribution à ce processus particulièrement long et laborieux ont déclaré publiquement que les difficultés rencontrées par le jury dans cette affaire ne tenaient pas à une incompréhension de ce qui leur était présenté en preuve mais à la façon dont l’ensemble du processus a été géré. Alors que le jury ne comptait plus que dix membres en raison de la libération antérieure de deux jurés pour des raisons personnelles, la juge chargée de l’affaire s’est vue dans l’obligation de mettre fin aux procédures lorsqu’un troisième juré a débuté une « grève », se déclarant incapable de continuer à agir en raison d’importantes difficultés financières. Les impressions recueillies de deux des jurés à l’égard de leur implication dans ce dossier sont particulièrement révélatrices des problèmes auxquels le système de justice devra apporter des correctifs s’il veut s’assurer de la collaboration future des citoyens à l’administration de la justice criminelle, particulièrement dans les causes longues :

« [Traduction libre] Ce fut un cauchemar […] […] Nous avons passé 21 mois assis au tribunal, mais le plus souvent dans le sous-sol du tribunal à attendre pendant que les avocats passaient des heures, parfois des journées, à échanger des arguments juridiques que nous n’avions pas le droit d’entendre.[…] […] Le plus souvent, on nous renvoyait chez nous mais nous devions nous rapporter chaque après-midi pour savoir si nous devions revenir en cour le jour suivant. […] […] Nous étions là pour accomplir notre devoir de citoyen, et c’est ce que nous faisions […] mais à la fin, on nous en demandait beaucoup trop. […] […] J’ai dû reporter mon mariage car on m’avait dit que le procès durerait 18 mois. On m’a demandé de « réarranger » mes dates à une autre reprise car le procès ne se terminerait pas à la date prévue. […] […] J’ai dû emprunter pour payer mes factures. […] J’ai manqué des opportunités d’avancement à mon travail. […]

200 Hébert, préc., note 191, p. 350; notes de bas de page omises. 201 Voir R-U, Sally Lloyd-Bostock, Report on interviews with jurors in the Jubilee line case, commissioned by Her Majesty’s Crown Prosecution Service Inspectorate and Department of Constitutional Affairs, Birmingham University, Octobre 2005, 22 p.

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[…] Deux ans d’absence, c’est trop pour rester familier avec le développement technologique d’une entreprise. […] […] Nous étions des victimes. Les autres participants au procès ont conservé leur emploi et leur possibilité d’avancement dans leur carrière […] c’est injuste. […] […] J’ai fait part aux autorités de la cour des problèmes financiers auxquels je faisais face en raison de ma participation comme juré. Comme je portais des vêtements convenables, on m’a répondu que je n’avais pas l’air de quelqu’un en difficulté financière. […] Soixante millions de livres sterling ont été dépensés en vain pour la tenue de ce procès, mais c’est comme si le jury était à blâmer. […] Je veux juste raconter l’histoire de ce procès du point de vue des jurés parce qu’on n’a pas demandé à être placé dans cette situation. […] »202

Au Québec, il faut reconnaître qu’un volet important du déroulement d’un procès avec jurés a trait aux précautions nécessaires qui doivent être prises à l’égard du maintien de l’objectivité et de la disponibilité des membres du jury tout au long du processus, ce qui s’avère un fardeau supplémentaire sur les épaules du juge appelé à présider un mégaprocès. Comme nous l’a souligné un magistrat en entrevue « […] L’obsession du juge, c’est le bien-être du jury. » Au Canada, la règle du secret des délibérations203 empêche les jurés de divulguer tout renseignement en lien avec leurs discussions. Nous disposons donc de peu d’informations sur l’expérience vécue par les jurés et aucune sur l’expérience vécue dans un mégaprocès. Le Comité a néanmoins pris connaissance du récit de deux journalistes qui ont été choisis à des occasions différentes pour agir comme jurés et qui ont relaté leur expérience dans leur journal respectif204. À cet égard, le Comité relève certains de leurs propos même si leur expérience s’est faite dans des procès ordinaires :

« Certains de mes camarades du jury pleuraient de découragement, d’autres jubilaient d’avoir été recrutés. » « Au quotidien, le travail d’un jury est réglé, comme une horloge suisse. »

202 Extraits de commentaires tirés de deux articles du journal The Telegraph : Caroline Davies, « Marathon trial cost juror her wedding and a job », Telegraph Media Group Limited, 25 mars 2015; Adam Lusher, « No regrets : The juror accused of precipitating the collapse of the £60m Jubilee Line fraud trial by going on strike’ », Telegraph Media Group Limited, 27 mars 2015. 203 Art. 649 du Code criminel; R. c. Pan; R. c. Sawyer, 2001 CSC 42. 204 Hugo Dumas, « Moi, juré no 4 », La Presse, 20 octobre 2015 [Dumas]; Jamie O’Meara, « A sobering, exhilarating civic duty », The Gazette, 27 avril 2013 [O’Meara].

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« C’est un superbe exercice de patience, d’humilité, de stratégie et de rigueur. »205

« I felt like I was the one who has been relieved of his freedom who’d been handed a sentence. »206

Jusqu’à maintenant, il nous faut constater que les seules solutions imaginées par le législateur pour contrer les dangers de ne pouvoir compter sur un nombre minimal de jurés nécessaires pour rendre un verdict se sont limitées à prévoir la désignation de jurés suppléants, capables de remplacer au besoin ceux « morts au combat ». Le Comité considère que tous les responsables de l’administration de la justice doivent être davantage sensibles aux sérieux problèmes liés à la vie familiale et professionnelle avec lesquels sont amenées à composer beaucoup de personnes « choisies au hasard » pour collaborer pendant plusieurs mois, voire quelques années, au déroulement de certains procès. Bien peu de personnes provenant des milieux juridique, judiciaire, politique ou gouvernemental accepteraient de voir leur vie ou leur carrière être mise en veilleuse pendant plusieurs mois, non pas parce qu’elles auraient commis une faute, mais parce qu’on veut qu’elles décident si d’autres personnes en ont commis une. Cette situation ne risque pas de se présenter à elles car elles sont exemptées d’agir comme jurées207. Une nette amélioration dans l’approche initiale empruntée par le système de justice lorsqu’il désire s’adjoindre les services de certains membres de la société en vue de les faire collaborer à l’administration de la justice pourrait, dans un premier temps, s’articuler autour d’une démarche plus conviviale que seraient amenés à adopter les responsables chargés de réunir à la demande du tribunal un nombre suffisant de candidats ou candidates parmi lesquels seront sélectionnés les jurés. La documentation utilisée par les services de justice pour informer le citoyen que sa collaboration est requise par le système de justice ne peut manquer de susciter chez son destinataire un sentiment d’insécurité ainsi que des questionnements importants. À commencer par le formulaire SJ-243 : « Sommation aux jurés », bureau du shérif :

« Vous êtes sommé de comparaître devant la Cour supérieure, chambre criminelle du district de […] au palais de justice de […] le […], salle […] à […], pour servir en qualité de juré, pendant le terme des assises. »

Pour le citoyen ordinaire, une « sommation à comparaître » pour servir pendant le « terme des assises » peut entraîner un questionnement certain et beaucoup d’anxiété.

205 Dumas, préc., note 204. 206 O’Meara, préc., note 204. 207 Loi sur les jurés, RLRQ, c. J-2.

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Suivent ensuite les articles de la Loi sur les jurés208 résumant les inhabiletés et exemptions à agir comme juré, à la suite desquelles, il est précisé, en lettres majuscules, qu’il est recommandé au candidat juré régi par une convention collective de prendre connaissance des clauses applicables de sa convention. Le pamphlet explicatif produit par le ministère de la Justice qui accompagne la sommation du shérif, bien qu’instructif, souligne que la personne pénalisée par son employeur pour la seule raison qu’elle a accompli son devoir de juré peut porter plainte devant Tribunal administratif du travail ou exercer un recours pour être dédommagée. Le pamphlet ne manque pas de préciser cependant que l’employeur n’est pas obligé de payer le salaire de la personne qui doit s’absenter parce qu’elle a été convoquée comme candidate jurée ou parce qu’elle a agi comme jurée, à moins qu’un tel paiement soit prévu dans une convention collective ou un autre contrat de travail. Si le destinataire de cette convocation en prend connaissance en dehors des heures normales d’ouverture des bureaux au palais de justice et qu’il lui est impossible d’obtenir des explications supplémentaires parce qu’il n’est pas apparenté ou ami avec quelqu’un capable de lui expliquer le jargon juridique et les implications d’une telle convocation, il est fort probable qu’il soit envahi par une inquiétude et un inconfort qu’il lui sera impossible d’évacuer de ses pensées parfois pendant plusieurs jours. On peut imaginer l’état d’esprit de ces personnes lorsqu’elles seront avisées qu’elles ont été choisies pour servir comme jurées pendant une période qui peut se prolonger plusieurs mois. En juin 1998, le ministère de la Justice du Québec, la magistrature et le Barreau ont signé une déclaration conjointe de principe visant à améliorer le traitement accordé aux témoins. Cette déclaration réaffirme « la primauté de la personne dans l’administration de la justice et elle insiste sur le rôle essentiel des témoins dans le processus judiciaire, de même que la nécessité de leur assurer le respect, l’information et l’attention auxquels ils ont droit. »209. Près de 20 ans plus tard, on a toujours omis de joindre les candidats jurés et les jurés choisis aux personnes dont on reconnaît dans cette déclaration de principe l’importance et le rôle essentiel dans le processus judiciaire et la nécessité de leur assurer le respect, l’information et l’attention auxquels ils ont droit. 12.2 - Les conditions d’exercice de la fonction de juré Le droit d’être jugé par un juge et un jury au Canada a été instauré par l’adoption du Code criminel en 1892210.

208 Id. 209 Québec, ministère de la Justice, Plan stratégique 2001-2004, Gouvernement du Québec 2001, 74 p., p. 16. 210 Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29.

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Le rôle confié aux jurés et les conditions d’exercice dans lesquelles ils sont appelés à agir ont évolué depuis la création de l’institution, et il est manifeste que le législateur de l’époque ne pouvait imaginer qu’un jour, les citoyens sommés d’agir comme jurés seraient amenés à devoir s’exécuter pour une période de beaucoup supérieure à quelques jours. La réalité d’aujourd’hui ne peut nous laisser indifférents face au défi et aux contraintes que l’on impose à ces citoyens. Si, comme le croient les membres du Comité, l’abolition du jury n’est ni envisageable ni souhaitable, il faut impérativement que les responsables de l’administration de la justice revoient les conditions dans lesquelles les jurés sont appelés à collaborer pendant une longue période. Mais avant tout, pour être certain que les mesures correctrices visant à améliorer le statut des jurés soient applicables, il faut dans un premier temps s’assurer que le personnel des services de justice chargé de gérer le quotidien des candidats jurés et des jurés sélectionnés soit en mesure de s’acquitter de cette mission. Or, le Comité a été à même de constater que le personnel affecté à cette tâche est souvent forcé de recourir à des actions proches « du miracle » pour assurer minimalement le support auquel sont en droit de s’attendre les jurés. Avant même que le premier juré soit sélectionné, le travail que doit accomplir le bureau du shérif s’avère colossal. Actuellement, aucune procédure particulière ou ajout de personnel supplémentaire n’est prévu lorsque le procès à tenir se qualifie comme mégaprocès. Cela ajoute à la pression qui s’exerce sur les services de justice et, dans le cadre d’une procédure d’envergure, le droit à l’erreur n’existe pas. À titre illustratif, une sélection d’un tableau de jurés en 2012 a nécessité 23 journées d’audience pour procéder à l’examen de 20 425 candidats convoqués. Trois mois de préparation ont précédé cette opération. Or, environ 40 à 45 pourcent des personnes convoquées font une demande d’exemption ou de report de convocation au shérif, à laquelle un traitement individuel doit être apporté. Ce travail doit s’effectuer en même temps que celui généré par les autres procès programmés dans les quinze districts auxquels le personnel de la région de Montréal est affecté. Une fois le jury constitué, le personnel du bureau du shérif se doit d’être attentif et disponible aux besoins variés que les jurés portent à leur attention puisque la disponibilité qu’on demande à ces personnes les empêche régulièrement de s’occuper des tâches familiales usuelles. Le Comité a été informé qu’une séance d’information est donnée par le bureau du shérif lorsque les jurés sont sélectionnés pour former le jury. À cette occasion, les jurés

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apprennent le montant de l’indemnité211 qui leur est versée ainsi que les considérations fiscales et le shérif leur indique spécifiquement que son rôle est d’assurer leur bien-être (sommes allouées, nourriture, service psychologique, frais de gardiennage, etc). Il les informe que la personne habilitée à les orienter sur les questions de droit demeure le juge. Normalement, le shérif prendra des décisions conformément aux règles établies mais toute demande spéciale de congés, de vacances ou de frais hors de l’ordinaire sera décidée par le juge. Le Comité a été informé que tous les procès ont amené les juges à prononcer des ordonnances particulières212. Elles sont décidées au cas par cas. Le Comité reprend ici les commentaires d’une personne chargée de venir en aide aux jurés :

« En ce qui a trait au bien-être du jury, il faut toujours trouver une solution car le juge ne veut pas de jurés qui ne soient pas motivés. Un jury peut demander des services de gardiennage pour les enfants ou même les animaux. Ces demandes sont adressées au juge et le juge se montre toujours d’accord parce qu’il veut garder son jury. »

Le Comité ne peut concevoir que les membres des services de justice chargés d’assurer la disponibilité des jurés puissent encore longtemps suffire à la tâche importante qu’exige le maintien des services adéquats aux personnes à qui est confiée la responsabilité de décider de l’issue des procédures judiciaires intentées contre la criminalité organisée. En raison notamment des coûts déjà importants assumés par l’État pour amener les fautifs à répondre de leurs actions criminelles, le risque de voir un de ces procès avorter comme ce fut le cas en 2005 dans l’affaire de corruption alléguée au Royaume-Uni ne doit pas être perçue comme une probabilité éloignée. En outre, le soutien des personnes à qui est confiée l’importante responsabilité de décider de l’innocence ou de la culpabilité des personnes accusées ne s’impose pas uniquement en raison des coûts importants assumés par l’État pour lutter contre le crime organisé. La contribution qu’on exige de ces personnes justifie amplement qu’on leur facilite la tâche et qu’on les libère en partie des obligations auxquelles elles doivent faire face pendant la durée de cette contribution. Les sommes nécessaires au maintien de services essentiels en support aux jurés doivent faire partie des préoccupations entourant le déroulement des mégaprocès.

211 Pendant la durée du procès, le juré touche une indemnité de 103 $ pour chaque journée ou partie d’audition ou de délibération lorsqu’il reste confiné à l’endroit désignée par le shérif. Cette indemnité est fixée à 160 $ à compter du 57ième jour depuis la formation du jury. 212 La plupart des juges procèdent ainsi pour fournir aux jurés des avantages particuliers ou une rémunération pour vacances.

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12.3 - Les accommodements à être accordés aux jurés Le Comité a fait part au début de ce chapitre de sa perception relative à la documentation remise aux candidats jurés lorsqu’ils sont sommés de répondre à la convocation qui leur est signifiée à l’effet de se mettre à la disposition du système de justice. Il nous apparaît qu’une révision importante du contenu de cette information devrait être effectuée afin, notamment, de dédramatiser l’annonce qui est faite au citoyen de sa sélection au hasard à être un candidat juré :

• Des efforts significatifs devraient être fournis par l’appareil étatique pour permettre aux personnes qui reçoivent une telle convocation d’obtenir rapidement plus d’information sur ce qui leur est demandé et sur les options qui leur sont ouvertes si elles estiment que leur sélection ne peut être envisagée soit en vertu d’une exemption légale ou en vertu d’une inhabileté à siéger comme jurées, ou de toute autre raison pouvant être jugée valable;

• Une ligne téléphonique « 7 jours/semaine » devrait être rendue disponible aux

destinataires de ces convocations afin de leur permettre de recevoir rapidement toute l’information dont ils ont besoin.

Le Comité estime que lorsque les personnes ont été choisies pour agir comme jurées, des aménagements seraient aussi nécessaires :

• Les services de justice devraient revoir la politique actuelle entourant les communications entre le bureau du shérif et l’employeur de la personne sélectionnée pour agir comme jurée. Une communication officielle devrait émaner du bureau du shérif informant l’employeur des obligations auxquelles doit se conformer le juré et les recours qui lui sont ouverts au cas de congédiement en raison de sa sélection à titre de juré;

• L’État devrait fournir gratuitement au juré le conseil juridique nécessaire au

respect de ses droits ainsi qu’une assistance juridique lorsqu’un recours judiciaire s’avère nécessaire afin de faire respecter ses droits;

• Une réflexion devrait être initiée par le ministère de la Justice en vue d’identifier

les accommodements et les indemnités appropriées qui devraient être accordés aux jurés appelés à siéger dans un procès dont la longueur s’avère plus importante que celle normalement observée dans la majorité des procès avec jury;

• Un service « d’intendance » devrait être créé au sein des services de justice qui

serait chargé de pourvoir aux besoins de toute nature auxquels le juré ne peut raisonnablement subvenir en raison de son assignation à ce titre;

• Les personnes ayant été amenées à agir comme jurées devraient être invitées à

fournir leurs commentaires sur le soutien qui leur aura été accordé pendant leur affectation comme jurées. Le formulaire prévu à cette fin devrait préciser que le juré n’est pas autorisé à violer le secret du délibéré et le formulaire une fois complété devrait être transmis sous scellé au juge ayant présidé le procès afin

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qu’il puisse s’assurer qu’il ne contient pas d’information susceptible de violer la confidentialité des délibérations. Les informations ainsi obtenues permettraient au bureau du shérif d’être mieux préparé dans le futur aux demandes pouvant être formulées par les membres du jury.

12.4 - Le devoir des officiers de justice envers le s jurés Alors qu’il était appelé à agir comme juge de gestion dans une affaire extrêmement complexe de fraude ayant débuté plus de 36 mois auparavant par le dépôt de dénonciations comportant 36 chefs d’accusation portés contre quatre individus, le juge Fraser Martin de la Cour supérieure n’a pu s’empêcher, dans son jugement rejetant des requêtes en arrêt des procédures, de dénoncer de façon très explicite le peu d’intérêt manifesté jusqu’à ce moment par les parties au dossier en vue de faciliter la compréhension par les jurés de la quantité importante de preuve qu’ils auraient à apprécier lors du procès à se tenir. Ses propos, loin de refléter une simple manifestation d’impatience d’un juge confronté à un défi de gestion dont il appréhendait l’ampleur, se révèlent plutôt comme un important signal de réveil adressé aux intervenants impliqués dans les procès longs et complexes. Le Comité estime pertinent de reproduire certains extraits de cette décision qui illustre la nécessité de revoir nos façons de faire dans les procès tenus avec jury, particulièrement lors des mégaprocès :

« [33] Worse still counsel for the prosecution had very little conception of how this matter should be presented to a jury. Charts and explanatory jury aids will be indispensable as, above all, will be a clear and succinct narrative of what the litigation is all about and what comprise the salient points in issue. No thought had been given to any of these factors nor had any discussion taken place between prosecution and defence counsel as to how this might be accomplished. [34] Mesmerized as they are with thousands of pages of paper counsel appear to have given no thought to the fact that the jury will require to be furnished with a simple and understandable factual framework setting out the circumstances giving rise to these charges. While much of that background may not be contested there will need to be agreement between the parties as to how this can be best accomplished. [35] The question of a Trial book had apparently been raised by Vauclair J. but no schedule had been set for the production of such a document. The prosecution sat on its hands. Counsel were content to remain in their respective trenches sniping at each other across the divide of the courtroom. […]

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[37] Shortly stated the Trial book is an excellent working tool for both judge and counsel but is not, at least in its present form, designed it to be handed to a jury in order to guide them in the difficult task which they face. [38] In a case of this complexity there is much that can be admitted. […] [39] In the same fashion there ought to be common ground between the parties as to how the intricacies of share values, foreign exchange contracts, securities, hedge funds, investment vehicles, corporate documents, offshore investments and commercial paper can be explained to the 14 citizens who will have to sit through months of testimony, forensic accounting reports and documentation shown on monitors as the prosecution makes its case. […] [44] There would for example be no barrier to adopting the technique routinely employed in England of outlining to the jury in detail (I stress the words "in detail") the Director’s case. It includes listing the essential elements which the prosecution must establish and further informs the jury as to which of these essential elements are contested and which are not. Those which are not contested would be the subject of admissions. Whether one day or even several are dedicated to the presentation of such an outline it matters little because it would save weeks of court time. This is a technique that we have stubbornly refused to employ since time immemorial here in Québec, and as far as I know in the rest of the country. I would respectfully suggest that we can no longer afford to ignore the possibilities which it offers. [45] […] As officers of the court defence counsel also have a duty in this regard. In matters of this complexity it is no longer acceptable to simply sit back and be content to throw a "spanner in the works" at every opportunity. […] [251] I hope that counsel may profit from this analysis to assemble jointly a comprehensive narrative to be presented to the jury in order to furnish them with a framework within which they can appreciate the testimony of the various witnesses. It should also set out for them with as much specificity as possible the questions that they will have to decide. »213

213 Weinberg v. The Queen, 2014 QCCS 6820.

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Le souhait formulé par le juge Martin dans ce dernier paragraphe ne doit pas être perçu comme entrant en conflit avec le principe voulant que l’accusé n’ait pas à contribuer à faire la preuve de sa culpabilité. Certains peuvent être amenés à croire, lorsqu’un jury se retire pour le délibéré sans avoir une compréhension adéquate de la preuve déposée durant le procès, qu’une telle situation profite à la défense, ce qui est loin d’être assuré. Comme l’a souligné l’ex-juge en chef de la Cour suprême, monsieur Antonio Lamer : « Ni le ministère public ni l’accusé n’ont intérêt à ce que la confusion soit semée dans l’esprit des membres du jury. En réalité, la justice en souffre. »214. La nécessité pour toutes les parties de contribuer à la bonne compréhension de l’affaire par les jurés ne constitue pas plus pour l’avocat de la défense un manquement à ses devoirs envers son client215. Au contraire, en agissant de manière à permettre aux jurés de se retrouver dans l’amoncellement de preuves portées à leur attention, les avocats des deux parties se conforment aux exigences formulées dans le Code de déontologie des avocats qui leur demande d’être « […] au service de la justice et d’offrir leur collaboration à une saine administration de la justice et au soutien de l’autorité des tribunaux »216. Une personne inculpée risque de voir son droit d’être jugée ans un délai raisonnable être compromis lorsque le procès s’éternise en raison des délais occasionnés par le volume de preuve à être déposé sans que des efforts soient fournis pour en faciliter la production et la compréhension. Au surplus, la tenue d’un procès public et équitable au sens de la Charte canadienne, c’est-à-dire dans le respect des droits de chacun, y compris celui des jurés et de la société qu’ils représentent, est certainement mise en péril s’ils sont laissés à eux-mêmes dans l’accomplissement de leur mandat de décider de la culpabilité d’un accusé. L’énormité de la tâche qui se dresse devant les intervenants dans le déroulement des mégaprocès a été bien décrite par le juge Doyon de la Cour d’appel du Québec lorsqu’il a rendu la décision au nom de la cour dans l’appel logé par la poursuite à l’encontre de l’arrêt des procédures prononcé par la Cour supérieure dans l’affaire R c. Auclair :

« [46] Tous en conviendront : les mégaprocès sont parfois inévitables. Même s’ils ont leur part d’inconvénients et qu’ils causent d’énormes maux de tête aux tribunaux et aux parties, il ne faut pas en condamner l’utilisation sans exception. […]. Bref, les tribunaux doivent demeurer à l’affût. D’une part, ils doivent s’assurer que les mégaprocès ne sont pas utilisés à mauvais escient par le poursuivant pour créer un écran de fumée ou que les accusés n’usent pas de manœuvres dans le seul but de faire dérailler le processus. D’autre part, ils doivent faire en sorte que les droits de chacun, tant ceux de la poursuite que ceux de la défense, sont respectés étant entendu que le procès idéal

214 R. c. Jacquard, [1997] 1 R.C.S. 314, paragr. 1. 215 voir le Code de déontologie des avocats, préc., note 189, chapitre II, articles 20 à 26. 216 Id., au préambule.

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n’existe pas. Par contre, ils doivent aussi tout faire pour que la criminalité organisée passe à procès et pour ce faire, ils ne doivent pas hésiter à utiliser leur pouvoir de gestion, en rendant les ordonnances nécessaires à la bonne marche des procédures. Dans ce contexte, l’aide des avocats des deux parties, notamment pour identifier les solutions appropriées n’est assurément pas à dédaigner. Au contraire, elle doit être encouragée comme l’écrit le juge Hill :

The success of a judicial pre-trial depends in large measures on the cooperative attitude, preparation and commitment of the parties and the court to tackling all relevant issues. »217

Il nous faut cependant constater que les tribunaux canadiens se sont montrés jusqu’à maintenant assez timides dans les invitations lancées aux parties de mettre à la disposition du tribunal et des jurés des « outils » permettant de mieux assimiler le volume de preuve déposé lors de certains procès. Pourtant, il y a déjà près de 40 ans, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique218 a été amenée à se prononcer sur le droit que prétendait posséder la poursuite de remettre aux jurés pour qu’ils s’en servent lors du délibéré une chronologie écrite des dates et des événements mis en preuve dans une affaire complexe de complot impliquant neuf accusés. Dans ce procès échelonné sur plus de sept mois, 185 témoins avaient été entendus et 316 exhibits déposés en preuve. Signe révélateur que la procédure criminelle dans notre pays peine à suivre le rythme des développements que connaît notre société, le juge de première instance s’est senti obligé de préciser en donnant raison à la poursuite que : « […] dans notre province, on permet aux jurés de prendre des notes durant le déroulement du procès »219. La Cour d’appel confirma la décision du juge de première instance en ces termes : « In a long and complex trial of this nature, the members of the jury were entitled to anything which would assist them in dealing with the evidence reasonably, intelligently and expeditiously »220. Quelques années plus tard, cette même cour d’appel est venue confirmer le droit aux parties de remettre aux jurés un résumé de la preuve pour qu’ils s’en servent durant le délibéré. Notre cour d’appel, bien que d’accord avec le dépôt d’un document de cette nature, estime cependant que : « […] cette pratique ne soit pas nécessairement conseillée,

217 R. c. Auclair, préc., note 27. Nous mentionnons que le juge Doyon, dans une note de bas de page que nous n’avons pas reproduite, cite l’arrêt R. v. Felderhof, préc., note 161, quant au pouvoir de gestion du juge. La citation du juge Hill réfère au document suivant : Casey Hill, The Duty to Manage a Criminal Trial, avril 2012, Institut national de la magistrature, p. 1 à 3. 218 R. v. Bengert, 53 C.C.C. (2d) 481 (BCCA), [1980] B.C.J. No. 721 (QL). 219 R. v. Bengert, Robertson & al. (No. 13), 48 C.C.C. (2d) 314 (BCSC), [1979] B.C.J. No. 2050 (QL), paragr. 10 (Traduction libre). 220 R. v. Bengert, préc., note 218, paragr. 160.

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surtout pour un procès de courte durée où les faits et témoignages sont bien présents dans l’esprit des jurés […] »221. Le Comité s’étonne d’une telle réserve si on considère que tant la poursuite que la défense sont régulièrement en possession de résumés de preuve qui leur permettent de bien comprendre l’affaire et de retenir le maximum d’informations nécessaires à l’exécution de leur mandat, que le procès soit de courte ou de longue durée. À notre avis, nos tribunaux doivent se montrer plus ouverts à l’introduction dans notre procédure criminelle d’outils capables de faciliter la tâche des jurés. Le juge du procès est particulièrement habilité, en raison de son expérience et de ses connaissances des règles de preuve à « filtrer » ces outils de facilitation à la compréhension des jurés, d’autant plus qu’il aura invité au préalable les parties à fournir leurs commentaires à l’égard des documents dont on envisage de permettre l’utilisation par les jurés, exercice auquel ils doivent se prêter en raison de leur obligation déontologique de collaborer à une saine administration de la justice. Toute cette question de l’aide pouvant être fournie aux jurés a fait l’objet d’une analyse exhaustive par le juge Cary Boswell de la Cour supérieure de l’Ontario le 30 octobre 2014 dans l’affaire R. v. Pan. Dans sa décision, le juge Boswell résume ainsi la problématique à laquelle il apporte certains éléments de réponse :

« [2] […] The bigger picture, however, is about how changes in technology, in the nature of evidence gathering and presentation, and the trial process itself have impacted upon the tasks that juries are now routinely being asked to undertake. It is also about the nature and measure of assistance that we, as judges and lawyers, should be offering to juries to assist them with tasks of ever-increasing mass and complexity. »222

Après s’être livré à une revue jurisprudentielle de l’état du droit canadien sur l’aide à la compréhension de la preuve par le jury, le juge en conclut que les opinions sont divisées sur cette question et que le juge du procès jouit d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard dont la portée demeure imprécise223. Selon lui, les progrès rapides effectués dans le développement des technologies sont la source de l’abondance et de la complexité des preuves maintenant soumises à l’examen du jury. Face à cette situation, il est d’avis que le système de justice doit accepter d’apporter les changements nécessaires afin de permettre aux jurés de traiter de façon efficace ce volume de preuve. Résumé simplement, il estime que si la technologie a créé un problème pour le déroulement des procès, il lui revient d’en fournir la solution. Face au danger que ces nouveaux modes de présentation de la preuve peuvent représenter à l’égard de l’équité du procès ou de l’avantage indu que le recours à ces techniques peut conférer à la thèse du poursuivant, le juge Boswell est d’avis que les

221 Seck c. La Reine, 2007 QCCA 1089, paragr. 32. 222 R. v. Pan, 2014 ONSC 6055. 223 Id., paragr. 62

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mises en garde et les directives du juge adressées aux jurés constituent une réponse à ces préoccupations. Le Comité quant à lui est d’avis que le principe qui attribue aux avocats de la poursuite et de la défense le statut d’officier de justice doit pouvoir s’exprimer de façon concrète dans le comportement qu’on peut espérer les voir adopter à l’égard des difficultés de compréhension de l’abondante information qu’on oblige les jurés à considérer dans la recherche d’un verdict juste et équitable. Puisque le juge appelé à présider un procès avec jury a déjà comme devoir de s’assurer que les jurés ne seront pas influencés par des éléments étrangers à la preuve déposée au procès, il doit également faire en sorte qu’ils seront en mesure de comprendre cette preuve et de décider en toute connaissance de cause. Un devoir semblable doit caractériser la contribution des autres officiers de justice que sont le poursuivant et l’avocat de la défense. Le Code de déontologie des avocats224 qui, dans sa rédaction actuelle, se limite, dans sa section V traitant des devoirs des avocats à l’égard des membres d’un tableau de jurés, à leur interdire toute forme de communication qui enfreindrait le secret du délibéré doit être revu. Cette section devrait prévoir de façon spécifique que les officiers de justice ont le devoir de faciliter la compréhension par les jurés de la preuve qu’ils portent à leur attention et qu’ils ont aussi le devoir de favoriser le recours aux moyens technologiques ou autres susceptibles de leur faciliter cette compréhension. RECOMMANDATIONS : 43o– Que le ministère de la Justice procède à une révi sion des formulaires, des assignations et de la documentation transmise aux p ersonnes appelées comme candidats à la fonction de juré afin de la rendre p lus conviviale et moins préoccupante pour les personnes à qui ils sont déli vrés. 44o– Que le ministère de la Justice procède à l’examen de la charge de travail actuellement assignée au personnel du bureau du shé rif afin de permettre à ces employés de fournir un soutien adéquat aux candidat s jurés ainsi qu’aux personnes qui ont été choisies pour agir comme juré es. 45o– Que le ministère de la Justice mette sur pied un service d’information personnalisé à la disposition des candidats à la fo nction de juré leur permettant d’obtenir toute l’information dont ils ont besoin d ès la réception de la sommation qui leur est faite, et ce, même en dehors des journ ées ouvrables.

224 Préc., note 189.

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46o– Que le ministère de la Justice fournisse gratuite ment à la personne choisie pour agir comme jurée le conseil juridique nécessai re au respect de ses droits à titre d’employé ainsi qu’une assistance juridique l orsqu’un recours judiciaire s’avère nécessaire afin de faire respecter ces droi ts. 47o– Que la compensation versée aux jurés fasse l’obje t d’une augmentation tenant compte des impacts que l’accomplissement de ce devoir peut avoir sur leur vie familiale et professionnelle lorsque la durée p révisible de leur assignation est supérieure à trois mois. 48o– Qu’un formulaire destiné à recueillir les comment aires et suggestions des personnes ayant agi comme jurées lors d’un procès, soit mis, par la Direction générale des services de justice, à la disposition de ces derniers à la fin du processus judiciaire auquel ils auront été amenés à collaborer et que les mesures nécessaires à la préservation de la confidentialité du délibéré soient associées au traitement des informations ainsi recueillies. 49o– Que le Code de déontologie des avocats soit revu pour prévoir de façon spécifique que les avocats impliqués dans le déroul ement d’un procès avec jury ont le devoir de faciliter le déroulement du proces sus judiciaire en apportant leur concours aux mesures à mettre en place pour que le procès se déroule dans des délais raisonnables et de collaborer à l’identifica tion et à l’implantation de mesures susceptibles de faciliter la compréhension de la preuve présentée aux jurés.

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13 - LE DROIT AU PROCÈS Le principe de notre système de justice qui consacre le droit à un procès juste et équitable n’a pas été inscrit dans les fondements de notre société au seul bénéfice des personnes accusées d’un crime. Les raisons de la tenue d’un procès en matière criminelle tiennent principalement, il est vrai, à l’obligation faite à l’État d’empêcher la condamnation d’une personne sans que la preuve de sa culpabilité, hors de tout doute raisonnable, n’ait été établie lors d’un procès public. Ce droit appartient à tous les accusés, sans égard à leur situation financière. Encore faut-il qu’un tel procès puisse se tenir, et surtout se conclure. Ce droit appartient aussi à la société qui doit être rassurée à l’effet que le crime ne demeurera pas impuni seulement en raison d’une impossibilité à tenir le procès dans un délai raisonnable. Aucun de ces droits n’est prépondérant à l’égard de l’autre. 13.1 - L’avocat de la défense impliqué dans un méga procès Dans son rapport sur la tragédie d’Air India, le commissaire Major rappelle que 37 avocats ont été impliqués dans le déroulement de ce procès sur une période de 19 mois ainsi que pendant le processus préalable au procès qui a duré presque trois ans225. Les auteurs Wright et Code ont expliqué dans leur propre rapport la dynamique qui a prévalu pendant le déroulement de ce mégaprocès :

« [Traduction] Le partenariat administratif exceptionnellement harmonieux entre le ministère public et la défense a permis une énorme économie de temps et d’argent. À la fin de l’étape des conclusions finales, le juge du procès a déclaré que n’eût été ce partenariat entre le ministère public et la défense, et les innovations technologiques très efficaces offertes par les services judiciaires et le personnel d’autres organismes, le procès aurait été deux fois plus long. »226

Le Comité s’est permis dans ce rapport de faire connaître son avis sur le profil recherché que devraient afficher les avocats de la poursuite impliqués dans le déroulement des affaires longues et complexes. Ce volet de notre démarche avait évidemment pour but de fournir à la Directrice des poursuites criminelles et pénales des éléments de réponse à certaines des préoccupations qui l’ont incitée à confier à ce comité le mandat d’examiner, entre autres, le comportement du poursuivant dans la conduite d’une affaire longue et complexe.

225 Commission d’enquête Air-India, vol. 3, p. 324. 226 Id., citant R. H. Wright, M. Code, Air India Trial : Lessons Learned, part. I, p. 3.

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S’agissant de l’attitude que devrait adopter l’avocat de la défense impliqué dans ce type de dossiers, le Comité estime que son analyse et les recommandations qui en découlent doivent trouver leur raison d’être dans le mandat qui lui a été confié par la Ministre de la Justice à l’effet de lui formuler des recommandations ayant trait à la planification des ressources judiciaires afin d’assurer la tenue des mégaprocès dans un délai raisonnable. Toutes les études et les rapports portant sur le phénomène des mégaprocès ont insisté sur l’importance de confier à des juristes compétents, courtois et consciencieux le mandat d’agir en poursuite ou en défense dans ces dossiers. En ce qui concerne le poursuivant, nous avons déjà mentionné qu’il revient au gestionnaire de la poursuite de s’acquitter de cette importante responsabilité et les conséquences d’un mauvais choix peuvent être désastreuses pour le déroulement du procès. En ce qui a trait au choix de l’avocat de la défense, la dynamique est souvent toute autre. L’accusé qui doit comparaître dans les heures qui suivent son arrestation pour un crime grave est certainement désireux de confier sa défense à un avocat dont la compétence ne fait aucun doute, mais il lui faut aussi être en mesure de rencontrer les honoraires exigés par cet avocat. Même si au Québec les tarifs de l’aide juridique révisés en 2010 afin de permettre à des avocats d’expérience d’accepter ce type de mandat ont permis à des accusés sans revenus suffisants de pouvoir bénéficier des services d’un avocat compétent pour les représenter dans une affaire longue et complexe, il nous faut constater que trop d’avocats inexpérimentés se voient choisis par des accusés parce que les avocats qualifiés acceptant habituellement les tarifs consentis par la Commission des services juridiques ne sont pas toujours disponibles ou parce qu’ils sont peu enclins à s’impliquer dans une affaire qui risque de les monopoliser pour plusieurs mois. Il ne faut pas non plus oublier que le bassin d’avocats de la défense possédant l’expérience pertinente pour agir dans un mégaprocès connaît aussi ses limites. Si l’opération policière a permis le dépôt de dénonciations contre des dizaines d’accusés, la possibilité pour toutes ces personnes de pouvoir s’adjoindre un défenseur vraiment apte à les représenter dans les circonstances peut s’avérer un exercice difficile. La disponibilité devient alors un critère de sélection qui prévaut au détriment de la compétence, surtout lorsque la nécessité d’être représenté devant la cour devient une urgence pour l’accusé. Une fois choisi, l’avocat qui occupera en défense dans un dossier long et complexe ne sera redevable à personne d’autre que son client, ce qui n’est pas toujours de nature à pleinement rassurer les autres participants au déroulement de cette affaire. Or, un avocat inexpérimenté, sans obligation de se rapporter à un gestionnaire ou à un supérieur hiérarchique dans l’accomplissement de son mandat peut s’avérer un obstacle important à la tenue d’un procès dans un délai raisonnable, surtout si le dossier de la

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poursuite souffre d’un manque de préparation ou de l’absence d’un véritable plan de poursuite. Dans ces circonstances, comment peut-on s’assurer que la performance qu’affichera l’avocat agissant en défense dans une affaire longue et complexe rencontrera les attentes légitimes du système de justice exprimées par l’ensemble des intervenants que nous avons rencontré en entrevue ainsi que celles exprimées par les auteurs des études et rapports portant sur les mégaprocès en ce qui a trait aux qualités particulières recherchées chez tous les acteurs impliqués dans ce genre de dossiers? Le Comité a pu constater que la Commission des services juridiques apporte une attention particulière à la façon dont les avocats bénéficiaires d’un mandat d’aide juridique délivré en vertu du chapitre III de la loi s’acquittent de ce mandat. Mais elle le fait dans la mesure des moyens de contrôle dont elle dispose. Or, l’effet combiné des articles 61.1 et 83.6 de la Loi sur l’aide juridique et sur la prestation de certains autres services juridiques227 permet à tout avocat de la pratique privée d’occuper en défense dans une affaire longue et complexe lorsque le bénéficiaire de l’aide juridique s’est vu accorder par la Commission des services juridiques le droit de choisir l’avocat de son choix si ce dernier accepte les honoraires prévus au tarif en pareil cas. Aucune autre considération en ce qui a trait aux qualifications de cet avocat n’est apportée par la Commission des services juridiques outre celle de s’assurer que ce dernier est membre en règle du Barreau du Québec. 13.2 - L’aide juridique au Québec Un très grand nombre d’acteurs du système de justice que nous avons rencontrés, qu’ils soient policiers, poursuivants, juges ou avocats pratiquant en défense, nous ont affirmé, souvent sans que la question n’ait été abordée par le Comité, qu’un des problèmes importants entourant le déroulement des mégaprocès avait trait à l’octroi et à la gestion de l’aide juridique accordée à certaines personnes impliquées dans un processus judiciaire long et complexe. Bien que le Comité ait compris que son mandat ne porte pas sur les réformes qui pourraient être apportées au régime actuel de l’aide juridique dispensée au Québec, il estime que garder sous silence les commentaires recueillis lors de ses travaux ne servirait pas les objectifs qu’avaient en tête ses mandants, particulièrement la Ministre de la Justice qui nous a demandé de lui formuler des recommandations au regard de la planification des ressources judiciaires nécessaires, afin d’assurer la tenue des mégaprocès dans un délai raisonnable. Précisons d’emblée que le Comité considère que les modifications apportées à la Loi sur l’aide juridique par le législateur en 2010 prévoyant un régime particulier pour les causes longues et complexes en matière criminelle et pénale lui apparaissent toujours constituer

227 RLRQ, c. A-14 (Loi sur l’aide juridique).

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un mécanisme valable pour permettre à l’État de s’acquitter de son obligation à cet égard. Les intervenants appelés à nous fournir leurs commentaires sur la Loi sur l’aide juridique nous ont identifié unanimement l’application qui est faite de son chapitre III comme le principal vecteur des difficultés rencontrées par les participants à un mégaprocès. On se plaint, notamment, des délais encourus pour l’obtention d’un mandat délivré en vertu de ce chapitre, du manque d’expérience de certains défenseurs à qui un tel mandat est octroyé, de la présentation de trop nombreuses requêtes qui ne visent pas à trancher les véritables points en litige et de l’absence de rémunération pour les personnes appelées à collaborer avec l’avocat détenant le mandat tels que des assistants juridiques, des recherchistes ou techniciens juridiques. Certains voient même dans l’octroi d’un mandat délivré en vertu du chapitre III le signal qu’un long processus vient de s’enclencher quelle que soit la complexité de l’affaire à juger. Des avocats de la défense possédant une bonne expérience des mégaprocès impliquant plusieurs accusés défendus par autant d’avocats se plaignent aussi d’avoir à agir très souvent comme avocats-conseils auprès des avocats moins expérimentés qui se retrouveraient régulièrement dans l’embarras si les « séniors » ne venaient pas à leur rescousse. Or, tous les avocats agissant en vertu d’un mandat délivré en vertu du chapitre III peuvent réclamer des honoraires identiques sans égard à leurs années d’expérience dans la pratique du droit, contrairement à ce qui est prévu au tarif consenti par l’État aux avocats de la pratique privée à qui un contrat de services juridiques est octroyé. Il faut aussi comprendre que dans les procès longs et complexes, il est observé par plusieurs témoins privilégiés du déroulement de ce type de dossiers que certains avocats de la défense et leurs clients n’ont pas toujours intérêt à ce que les procédures se déroulent rondement car le paiement des honoraires consentis par l’État est assuré et que la détention préventive pendant la durée des procédures sera considérée pour le double du temps effectué dans l’éventualité d’un verdict de culpabilité. Un tarif différent devrait être accordé en fonction de l’expérience plaident certains membres du Barreau ayant vécu l’expérience difficile de participer à des procès où les consensus entre les avocats de la défense s’avèrent particulièrement laborieux à dégager à l’égard de la stratégie à adopter prolongeant ainsi la durée des procédures. Depuis l’arrêt Jordan228, il faudra dorénavant ajouter à ces considérations que les délais pour la tenue du procès sont devenus un argument supplémentaire à faire valoir en défense pour obtenir une réparation de la part du tribunal pouvant conduire à un arrêt des procédures. Or, c’est précisément pour s’attaquer, entre autres, à l’accumulation des délais relevant trop souvent du recours à des procédés douteux que les modifications apportées en

228 R. c. Jordan, préc., note 8.

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2010 à la Loi sur l’aide juridique ont été apportées. Il nous faut constater qu’un certain travail reste à effectuer pour obtenir pleinement les résultats escomptés par cette réforme. 13.3 - L’aide juridique appliquée aux mégaprocès ai lleurs qu’au Québec Le Comité s’est intéressé à la façon dont certaines autres juridictions canadiennes réussissent à concilier le droit des personnes affichant des revenus modestes à une défense pleine et entière et le droit de l’État de s’assurer que les sommes consacrées à l’aide juridique sont utilisées conformément à l’esprit de la loi. L’aide juridique en Ontario (AJO) est une société autonome à but non lucratif financée par l’État et imputable devant celui-ci. Elle est chargée d’administrer le régime provincial d’aide juridique et de faciliter l’accès à la justice pour les particuliers à faible revenu en fournissant uniformément des services d’aide juridique de haute qualité d’une manière efficiente et efficace par rapport au coût. Le certificat d’aide juridique délivré aux personnes qui sont admissibles garantit à l’avocat du secteur privé qu’il sera payé pour des services de représentation pendant un nombre d’heures déterminé. Il existe au système ontarien trois niveaux de facturation selon le nombre d’années d’expérience de l’avocat. Pour pouvoir accepter un certificat d’aide juridique, un avocat doit être préalablement inscrit sur l’une des trois listes d’avocats établies par l’AJO en matière criminelle soit, la Liste du droit criminel, la Liste des affaires criminelles extrêmement sérieuses et la Liste des avocats admissibles au tarif pour causes complexes. Chacune des listes comporte ses exigences. L’avocat doit attester qu’il est un spécialiste en droit criminel selon les critères et barèmes prévus au formulaire d’inscription. Après l’étude du dossier, une rencontre informelle est tenue entre le directeur général de l’organisme et l’avocat pour décider du sort à accorder à la demande d’inscription sur la liste. L’inscription à la Liste des affaires criminelles extrêmement sérieuses exige que les avocats remplissent des conditions plus élevées quant à leur expérience et leurs habiletés professionnelles. Pour être admissible à cette liste, l’avocat doit notamment posséder au moins cinq années d’expérience professionnelle consacrée exclusivement au droit criminel. Afin d’offrir un tarif de rémunération plus élevé pour le travail effectué dans le cadre de causes criminelles complexes, l’AJO a élaboré, après consultation avec la « Criminal Lawyer’s Association », la Politique sur le tarif des causes complexes et mis en place la Liste des avocats admissibles au tarif pour causes complexes. En date de juillet 2012, les avocats inscrits sur cette liste pratiquaient le droit depuis en moyenne 25 ans et 70 % d’entre eux ont mené plus de dix procès pour meurtre. Pour être admissible sur cette liste, l’avocat doit d’abord être inscrit sur les deux autres listes

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mentionnées plus haut et fournir à l’AJO les renseignements sur son expérience professionnelle, sa réputation, la dimension éthique de sa pratique et de sa relation passée avec l’AJO. Si sa candidature est acceptée, l’avocat sera admissible au tarif pour causes complexes pour une durée de quatre ans après quoi il devra présenter une demande de renouvellement de son inscription. Mais cette inscription ne suffit pas qu’il soit rémunéré selon le tarif des causes complexes. Deux autres conditions sont requises : la cause de son client doit être acceptée au programme de gestion des causes majeures et le budget de la cause doit avoir été approuvé. Plusieurs types de renseignements portant sur la cause à défendre doivent aussi être fournis sur le formulaire d’admissibilité au tarif de causes complexes (nombre d’heures de préparation alloué, durée prévue de l’instance, forces et faiblesses du dossier de la défense, le rapport de la conférence préparatoire, etc.). Selon les renseignements figurant sur son site Web, l’AJO consacre en moyenne un budget annuel de 23 millions de dollars au programme de gestion des causes majeures. Bien que les causes majeures ne représentent que 2 % des certificats délivrés en droit criminel, ces causes totalisent 25 % des coûts consacrés aux certificats d’aide juridique annuellement. La façon adoptée en Colombie-Britannique pour fournir l’aide juridique dans les dossiers longs et complexes et en contrôler les coûts emprunte une avenue différente. La Legal Services Society (la Société) est un organisme à but non lucratif dont le mandat consiste à offrir des services d’aide juridique aux personnes percevant des revenus modestes. En 2001, en raison de l’augmentation des procès criminels longs et complexes, la Société a mis en place un programme désigné sous l’expression « Criminal Case Management » (C.C.M.). Ce système prévoit trois catégories de causes criminelles, soit A, B et C. Chacune des catégories possède sa propre enveloppe budgétaire évitant ainsi que les mégaprocès absorbent l’ensemble des fonds disponibles en matière d’aide juridique. Le programme C.C.M. vise les catégories B et C. La catégorie B concerne les procès criminels dont les coûts dépassent ou dépasseront 75 000 $, mais inférieurs à 175 000 $. Un contrôle est exercé par la Société sur le choix des procédures et la stratégie adoptée par l’avocat ayant accepté le contrat d’aide juridique. Les coûts des dossiers de cette catégorie (environ 1,4 million de dollars annuellement) sont payés à même les fonds octroyés à la Société. Pour les dossiers dont les coûts sont estimés à plus de 175 000 $, la Société signe une entente spécifique avec le gouvernement provincial dans laquelle ce dernier s’engage à rembourser en totalité les coûts du procès. De son côté, la Société s’engage à effectuer un contrôle sévère de tout le dossier.

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Le budget accordé pour ce type de dossiers est alloué selon les étapes du procès : comparution et requête pour mise en liberté provisoire, enquête préliminaire, requêtes préliminaires présentées avant le procès, procès, détermination de la peine, appel. Cette procédure permet la tenue d’un dialogue permanent entre la Société et l’avocat durant tout le processus judiciaire. En outre, l’avocat doit transmettre chaque mois un rapport détaillé des coûts et débours à la Société. La Société, selon les propos émis par un représentant de celle-ci lors d’un entretien avec le Comité se considère comme un arbitre impartial entre l’État et l’accusé, puisque le droit à l’aide juridique appartient à ce dernier et non à son avocat. Le système implanté, selon ce représentant, permet d’éviter l’accumulation des délais judiciaires dans la fourniture des services offerts dans les mégaprocès. Bien que le système établi en Colombie-Britannique confère à la Société le pouvoir de décider à qui la défense d’un accusé dans un mégaprocès peut être confiée, celle-ci n’exige pas que les avocats soient inscrits sur une liste d’aptitude. On considère que le système établi tablant sur une approche de contrôle des coûts permet de s’assurer que les défenseurs s’acquitteront de leur mandat de façon professionnelle et dans le respect de leur code de déontologie. Signalons enfin que les avocats bénéficiant de cette structure de rémunération spécifique aux causes longues et complexes ont l’obligation de rencontrer les responsables de la Société à tous les trois mois pour faire état de la progression du dossier et pour revoir les budgets à leur disposition. Aucun budget n’est alloué pour plus de trois mois et aucun report des sommes non utilisées dans le trimestre écoulé n’est permis. Cela permet à la Société de s’assurer que le dossier est mené correctement et qu’une véritable reddition de comptes est effectuée par l’avocat représentant l’accusé. 13.4 - Le processus de délivrance des mandats d’aid e juridique À la lumière de l’expérience vécue depuis maintenant plus de cinq années, le Comité est d’avis que l’octroi des certificats d’aide juridique et le contrôle de leur exécution en matière de procès longs et complexes doit faire l’objet d’un examen. Cet exercice devrait s’effectuer en collaboration avec le Barreau et les autres acteurs dans le déroulement des mégaprocès que sont la poursuite et la magistrature. Le Comité considère que le Barreau, en raison de sa mission de protection du public et de surveillance de l’exercice de la profession, doit endosser une plus grande part de responsabilité dans l’identification et l’implantation de mesures pouvant faciliter l’accès à la justice pour les particuliers ayant des revenus modestes tout en assurant la fourniture de services juridiques de haute qualité de manière efficiente et efficace compte tenu des sommes consacrées par l’État à la tenue des mégaprocès. Le point de vue du poursuivant et de la magistrature devrait aussi être pris en considération lors de cet examen en ce qui a trait aux étapes du processus judiciaire qui requièrent une préparation particulière de la part des plaideurs et qui devraient faire l’objet d’une reconnaissance spécifique dans l’élaboration du tarif.

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La Commission des services juridiques devrait finalement être amenée, lors de cette révision, à identifier les mesures devant être mises en place pour lui permettre d’effectuer un véritable contrôle des procédures facturées par les avocats bénéficiant d’un certificat d’aide juridique dans les affaires longues et complexes. Le processus de négociation du prochain tarif d’aide juridique en matière criminelle qui vient de s’enclencher entre l’État et les avocats de la pratique privée nous apparaît l’occasion idéale pour procéder au réexamen du chapitre III de la loi. RECOMMANDATIONS : 50o– Que le chapitre III de la Loi sur l’aide juridiqu e et sur la prestation de certains autres services juridiques prévoyant les conditions de délivrance des certificats d’aide juridique aux avocats de la pratique privée appelés à représenter un accusé impliqué dans un mégaprocès fasse l’objet d’une éva luation par le ministère de la Justice en collaboration avec les autres partenaire s dans l’administration de la justice à la lumière de l’expérience vécue depuis s on instauration en vue de définir les qualifications professionnelles requise s des avocats et avocates désirant se voir octroyer un tel certificat. 51o– Que la Commission des services juridiques procède en collaboration avec les autres partenaires dans l’administration de la justice à un examen des moyens propres à assurer un véritable contrôle et un suivi efficace de l’exécution des mandats d’aide juridique délivrés aux avocats de la pratique privée à l’occasion de la tenue d’un mégaprocès.

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RÉSUMÉ DU RAPPORT ET RECOMMANDATIONS PRÉAMBULE Le Directeur des poursuites criminelles et pénales a la responsabilité première, dans la gestion des dossiers longs et complexes, de faire en sorte qu’un procès émanant d’une enquête longue et complexe demeure gérable tout au long du processus judiciaire. Par ailleurs, il doit prendre les mesures pour éviter que les autres types d’enquêtes ne se transforment en procès longs et complexes en raison d’une évaluation et d’une préparation insuffisantes de la part de ses représentants. Lorsque l’une ou l’autre de ces situations se présentent lors de l’analyse des dossiers de police par le poursuivant, la responsabilité de s’assurer que les actions nécessaires ont été prises afin d’éviter que le système de justice ne soit paralysé incombe, au premier chef, au procureur de la poursuite à qui a été confié le pouvoir discrétionnaire de déposer les accusations criminelles. LA PREMIÈRE MESURE À PRENDRE Les dénouements qu’ont connu certaines affaires judiciaires très médiatisées ont affaibli la confiance que notre société place dans la capacité de nos institutions de faire respecter les lois, de préserver l’ordre public et de freiner l’expansion de la criminalité organisée. Il est important que les dirigeants des ordres professionnels et des forces de répression, de même que les autorités judiciaires et gouvernementales chargées par la loi d’administrer la justice et de pourvoir à son financement, dictent de façon responsable à leurs membres ou représentants les comportements auxquels ils désirent les voir se conformer. Ils doivent accepter d’échanger librement et en dehors des canaux officiels de communication délimitant leur autonomie et leur indépendance sans pour autant renoncer au principe de la séparation des pouvoirs. La première mesure à implanter est la constitution d’un forum élargi de discussions permettant à ces responsables d’exposer aux autres les problématiques auxquelles leurs organisations respectives sont confrontées dans l’exécution de leur mandat, plus particulièrement à l’égard du déroulement des procès longs et complexes. Des échanges francs, respectueux des mandats de chacun, dénués de corporatisme, visant à l’identification des vraies causes à l’origine des difficultés associées au déroulement des mégaprocès et surtout, axés sur la recherche de solutions ou de modifications de comportements chez les partenaires, permettraient l’instauration d’un changement de culture, seul vrai remède au mal qui affecte actuellement le processus judiciaire en matière criminelle. LA DISPONIBILITÉ DES PARTICIPANTS AU PROCESSUS DES M ÉGAPROCÈS La tenue d’un procès long et complexe est généralement précédée d’une enquête policière échelonnée sur plusieurs mois ou années, menée par des enquêteurs dont la charge de travail a été organisée de manière à les rendre disponibles à temps plein pour

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amasser et classer la volumineuse preuve qui servira éventuellement au soutien des accusations. Malheureusement, cette très grande disponibilité des policiers enquêteurs rendue possible par le dégagement de sommes importantes prélevées sur les budgets des forces de répression prend fin trop souvent peu de temps après le dépôt des accusations ou à la fin des audiences devant la cour portant sur les remises en liberté ou sur la détention des accusés. En outre, le soutien juridique fourni par les procureurs de la poursuite pendant l’enquête policière devrait naturellement être suivi d’un soutien policier durant les procédures. Les procureurs de la poursuite chargés de la conduite du dossier devront eux aussi afficher une disponibilité tout au long du processus judiciaire. L’affectation des poursuivants à un dossier long et complexe se doit d’être exclusive à cette affaire. L’implication des juges dans la gestion d’un dossier long et complexe doit le moins possible être entravée par une pratique en cours qui voit leurs assignations être partagées dans plus d’une région administrative, rendant ainsi leurs présences sporadiques dans les districts où ils sont assignés à l’audition d’une affaire qui risque de nécessiter plusieurs jours ou semaines d’audience. Le report des audiences à des dates très éloignées, en fonction du calendrier des affectations empêche le déroulement continu de celles-ci, une caractéristique importante d’une affaire qui se transforme alors en un procès long et complexe. L’ASSISTANCE APPORTÉE À L ’ENQUÊTE POLICIÈRE Une enquête policière de longue haleine doit déboucher sur un procès qui doit demeurer gérable, ce qui nécessite que l’orientation de cette enquête soit discutée avec les autorités poursuivantes afin d’assurer la « viabilité judiciaire » de tout le processus. Idéalement, la poursuite doit avoir le contrôle du déroulement du procès à venir bien avant que celui-ci ne s’enclenche. La communication doit donc s’établir dès le début de l’enquête entre les acteurs chargés de l’enquête et de la poursuite. Le procureur ne doit pas chercher à les orienter dans leur enquête mais doit toujours se préoccuper d’obtenir une preuve dont on pourra se servir devant le tribunal. C’est à l’enquêteur seul d’identifier les cibles de l’enquête et de décider des moyens auxquels il doit recourir pour la mener à terme. Mais puisqu’il revient au procureur de la poursuite de décider des suites à lui donner, il serait mal avisé de ne pas chercher à obtenir son avis ou de rejeter ses conseils sans motif sérieux. LA SPÉCIFICITÉ DES ENQUÊTES POLICIÈRES DE GRANDE ENV ERGURE La pratique développée par les différents corps de police au Québec laisse apparaître un manque d’uniformité dans la façon de présenter les résultats des enquêtes longues et complexes aux responsables des poursuites.

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L’analyse de l’importante quantité de preuve propre aux enquêtes de longue haleine s’avère très souvent déficiente sinon carrément absente. Lorsqu’un corps de police ou une entité chargée du respect de la loi se lance dans l’examen d’activités criminelles commises à grande échelle, il leur faut absolument désigner un gestionnaire responsable de cette enquête, possédant une expérience reconnue en matière d’enquêtes majeures. Le responsable de l’enquête doit constamment garder à l’esprit que le procès ne constitue pas un événement isolé et indépendant en soi, mais qu’il incarne une suite logique à l’enquête policière. Celle-ci doit, dès son déclenchement, être orientée en fonction de la tenue éventuelle d’un procès et la stratégie adoptée pour la mener doit obligatoirement avoir été conçue, réfléchie et retenue en vue de rendre possibles son déroulement et sa conclusion à la suite d’un verdict prononcé par le juge ou le jury. LA GESTION DES ÉTAPES ANTÉRIEURES AU DÉPÔT DES DÉNON CIATIONS Il s’avère essentiel que le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec adopte une véritable politique intégrée de gestion des causes longues et complexes à l’image des structures dont se sont dotées les organisations semblables au Canada et au Royaume-Uni. Les ressources humaines, matérielles et financières importantes consacrées par les forces policières à la lutte au crime organisé et le lourd fardeau de travail transféré au système de justice par la conclusion de ces enquêtes militent en faveur de l’instauration de véritables plans de gestion et de contrôle des affaires longues et complexes. Ainsi, pour s’acquitter efficacement de leurs responsabilités respectives dans la conduite des enquêtes ou des procédures judiciaires associées au déroulement des mégaprocès, les enquêteurs de police et les poursuivants doivent disposer de moyens adaptés et suffisants. Tous les membres formant ces équipes doivent se voir assigner des rôles spécifiques de nature à favoriser l’acquisition et le maintien de connaissances particulières, de façon à ce que chaque volet important du déroulement d’une affaire longue et complexe reçoive une attention et une préparation ne laissant aucune place à l’improvisation ou aux rebondissements qu’ont connus certaines affaires récentes. Le Directeur des poursuites criminelles et pénales doit nommer un gestionnaire de la poursuite qui a la responsabilité de s’assurer qu’une enquête policière d’envergure peut se conclure par un verdict prononcé à la suite de la tenue d’un procès. Il doit procéder à une appréciation réaliste et préalable au dépôt des accusations dont la durée et les difficultés inhérentes associées à son déroulement et prendre en considération les risques juridiques et financiers associés à cette démarche judiciaire. Il doit aussi s’assurer de l’atteinte de cet objectif de voir les procédures se conclure par l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité par l’accusé ou par un verdict du juge ou du jury et, pour ce faire, il doit solliciter la collaboration constante de tous les participants à l’enquête policière, devenue à la suite des arrestations, un processus judiciaire mené par la poursuite. Afin d’assurer la complémentarité des actions de tous les participants c’est au gestionnaire de la poursuite, soutenu et supervisé par le Directeur des poursuites

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criminelles et pénales, qu’il incombe de négocier et de conclure avec tous les participants au processus un protocole de poursuite qui prévoit, de manière non exhaustive, les éléments suivants :

• L’identité des ressources humaines qu’entendent consacrer de part et d’autre les partenaires à la réalisation du projet ainsi que les mesures envisagées pour assurer leur disponibilité et au besoin leur relève pour la durée totale de l’affaire;

• Le partage des coûts et des responsabilités qui auront été négociés et

conclus dès le début du processus; • Le niveau décisionnel auquel les responsables devront soumettre

l’arbitrage de tout différend pouvant surgir en cours de réalisation; • Les délais de livraison des rapports d’enquête, précis des faits, résumés

de preuve ou de toute documentation nécessaire à la divulgation de la preuve ou à la tenue du procès;

• Un échéancier de rencontres des partenaires en vue de procéder à des

évaluations périodiques de la progression du dossier ainsi qu’à la résolution des difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés.

Le protocole de poursuite doit, au surplus, reconnaître de façon explicite que la décision de déposer des dénonciations devant la cour, le moment pour procéder à un tel dépôt, ainsi que le nombre et l’identité des personnes concernées par celles-ci relèvent de la seule autorité du poursuivant après consultation des responsables de l’enquête. Il est nécessaire et essentiel que les gestionnaires de la poursuite au sein du Directeur des poursuites criminelles et pénales soient formés à la gestion administrative des ressources de toute provenance affectées au déroulement des procès longs et complexes. Des délais et des coûts pourraient être retranchés dans le déroulement actuel des mégaprocès si les gestionnaires de poursuite étaient mieux préparés administrativement pour en faire la supervision de manière ordonnée et efficiente. Les méthodes nouvelles de travail permettent aux organisations de sauvegarder des informations presque sans contrainte de volume et de temps. Le passage au numérique amène le personnel des entreprises à produire, traiter et échanger beaucoup plus d’écrits qu’autrefois. En somme, à partir d’innombrables fichiers numériques et des « métadonnées » qui s’y cachent, il est aujourd’hui possible d’envisager de reconstituer le détail de la vie d’une organisation avec une efficacité sans précédent. Il est inévitable que les enquêteurs de police s’intéressent à cette masse de preuves et qu’ils demandent des mandats de perquisition pour y avoir accès. La technologie mène aujourd’hui à des gains de productivité de nature à permettre aux corps de police et aux organismes de régulation de planifier des enquêtes beaucoup plus ambitieuses. Un jour ou l’autre, la masse d’informations recueillie par les enquêtes devra traverser le goulot d’étranglement logistique et juridique que représentent à l’étape des procédures

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judiciaires la divulgation de la preuve et le procès. Ce passage obligé constitue le principal risque de fin prématurée des procédures longues et complexes avant que le système de justice puisse arriver à un verdict. La procédure criminelle particulièrement en ce qui a trait aux mégaprocès doit être révisée afin que le volume de preuve à instruire demeure accessible à l’entendement humain. LE RECOURS AUX COLLABORATEURS DE JUSTICE L’expérience encore récente vécue par certains acteurs du système de justice ayant eu recours aux services de collaborateurs ou de complices pour appuyer la thèse de la poursuite dans certains dossiers ayant fait l’objet d’une forte médiatisation, amène à penser que, malgré tous les rapports et études réalisés au Québec portant sur le phénomène des délateurs ou repentis, il est encore nécessaire de mieux encadrer les actions des enquêteurs et des poursuivants en cette matière. Le décideur au procès, juge ou jury, doit absolument être rassuré, non seulement sur les motivations ayant poussé le témoin à collaborer et sur la véracité de son témoignage mais aussi, et avant tout, sur les avantages dont il s’attend à bénéficier en retour. Il est essentiel, pour la poursuite, de faire la démonstration que si des avantages autres que ceux énumérés au contrat ont été promis au collaborateur, ou même seulement évoqués devant lui lors des différentes rencontres auxquelles il aura participé avec les représentants de l’État, ce dernier ne peut raisonnablement espérer pouvoir en bénéficier parce qu’il en aura été informé de façon très explicite par une personne dont la neutralité ne peut être mise en doute. L’intervention d’un conseiller juridique possédant une formation notariale dans le processus de signature d’un contrat entre l’État et un collaborateur de justice serait de nature à fournir les garanties que ce dernier a reçu toutes les informations et surtout, tous les avertissements en ce qui a trait à la nullité des promesses non révélées au contrat. LE TRAITEMENT DE LA PREUVE ACCUMULÉE LORS DE L ’ENQUÊTE POLICIÈRE La gestion déficiente d’une preuve volumineuse portant sur des activités criminelles impliquant, à différents niveaux, plusieurs individus peut devenir un obstacle d’ordre juridique et opérationnel à la tenue d’un procès juste et équitable. Elle est souvent la source de délais importants dans le déroulement du processus judiciaire. Et en l’absence d’une véritable gestion, l’analyse de cette preuve s’avère souvent impossible par le procureur chargé de décider des suites à donner à cette enquête. Le message transmis par les tribunaux est d’une clarté sans équivoque. Les organismes d’enquête devront améliorer de façon importante leur capacité à traiter l’information et à la rendre compréhensible aux acteurs du système sans quoi, les procédures judiciaires découlant des enquêtes majeures sont destinées à connaître un dénouement de nature à miner la confiance de la population à l’égard de ce système.

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En raison du fort volume d’informations susceptibles d’être transmises dans le cadre d’un procès d’envergure exceptionnelle, il serait profitable pour la défense de pouvoir bénéficier d’une présentation générale de la preuve devant servir au soutien de l’accusation. Le déroulement du procès pourrait gagner en efficacité si le poursuivant et l’enquêteur principal étaient amenés à offrir aux avocats de la défense l’occasion d’assister à une séance d’information au cours de laquelle seraient présentés la théorie de la cause, les grandes lignes de la preuve au soutien de l’accusation, ainsi que les outils informatiques mis à la disposition de la défense pour en faire la consultation. Cette séance à huis clos, reprenant les objectifs recherchés par les séances de conférence préparatoire, permettrait à la défense de se familiariser plus rapidement avec le contenu des documents ou supports informatiques fournis par la poursuite pour s’acquitter de son obligation de divulgation. Elle permettrait également à la poursuite de connaître les besoins exprimés par la défense en dehors du cadre formel des séances de cour, favorisant ainsi le dialogue et les admissions sur certains éléments de la preuve. LE DÉPÔT DES DÉNONCIATIONS La décision d’engager le système de justice dans une procédure criminelle qui exige nécessairement une contribution exceptionnelle de ses différents acteurs ne peut être laissée à l’appréciation d’une personne ne possédant pas toutes les qualités et les habiletés requises pour, non seulement analyser le bien-fondé des motifs au soutien de la demande d’intenter les procédures présentées par les enquêteurs de police, mais surtout, évaluer avec justesse l’ampleur du processus à mettre en branle, ainsi que les risques associés à son déroulement. Pour ces raisons, il apparaît de la plus haute importance pour le Comité que la désignation d’un responsable de la poursuite dans un mégaprocès soit précédée d’une réflexion sérieuse de la part des gestionnaires chargés de coordonner le travail des poursuivants au sein du Directeur des poursuites criminelles et pénales. Parce que le déroulement d’un procès long et complexe implique une gestion particulière, il est nécessaire que la direction administrative conserve, malgré l’autonomie du procureur de la poursuite dans la conduite de l’affaire, une responsabilité à l’égard des décisions à prendre et de la stratégie à adopter, ce qui implique de la part du procureur de la poursuite qu’il lui faudra à l’occasion, accepter d’aller dans une direction à laquelle il ne souscrivait pas au départ de l’affaire. LA DÉCISION DE POURSUIVRE Il est de la plus grande importance pour l’intérêt public que les dénonciations menant à l’arrestation de personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes graves, surtout lorsque ces infractions sont le fait d’une organisation criminelle structurée, connaissent un dénouement prononcé par un juge ou un jury, à l’issue d’un procès tenu dans des

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délais raisonnables, et non une fin abrupte découlant d’une déclaration d’arrêt des procédures suite au constat d’une impossibilité de mener à terme les procédures engagées. L’issue qu’ont connu certaines poursuites criminelles d’envergure, tant au Québec qu’ailleurs au pays, en raison de l’impossibilité pour la poursuite de s’acquitter de son fardeau de prouver la culpabilité des accusés dans un délai raisonnable, même si elle disposait d’une preuve probante mais malheureusement jugée non admissible en raison d’un manquement à ses devoirs de poursuivant, justifie que l’on reconsidère les critères auxquels celui-ci s’est traditionnellement référé dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de porter des accusations. S’engager dans un procès, qui manifestement exigera un effort exceptionnel de la part de ses participants, requiert de la part du poursuivant public la considération d’autres critères qui vont au-delà de la seule évaluation de la force probante de la preuve accumulée par les enquêteurs de police ou autres agents de l’État. Avant de procéder à l’autorisation d’une dénonciation, le procureur de la poursuite devrait s’assurer que le rapport d’enquête qui lui a été soumis soit complet et fasse état de la manière dont les éléments de preuve ont été obtenus. Dans les cas d’enquêtes longues et complexes, un plan de poursuite initial doit être élaboré par le responsable de la poursuite dès qu’il est possible de connaître les renseignements essentiels de l’enquête. Le gestionnaire de poursuite doit être tenu au courant de l’état du dossier et plusieurs séances de discussions devraient être organisées par lui avant l’autorisation initiale. Le plan discuté avec l’équipe de poursuite devrait être régulièrement mis à jour et actualisé à mesure que progresse l’enquête et que de nouveaux renseignements sont disponibles. LE NOMBRE D’ACCUSÉS ET LE CHOIX DES ACCUSATIONS Presque tous les juges et les avocats agissant en défense rencontrés en entrevue et ayant fait l’expérience d’un long procès nous ont rapporté que le nombre trop élevé de personnes accusées et la « surmultiplication » des chefs d’accusation, incluant le recours parfois abusif par la poursuite aux articles du Code criminel portant sur la criminalité organisée, constituaient une part importante des difficultés liées au déroulement d’un mégaprocès. Il est certain que le devoir de la poursuite ne peut se limiter à porter des accusations à partir des éléments de preuve disponibles et admissibles. Son devoir s’étend aussi à l’obligation de s’assurer que cette poursuite pourra se dérouler dans des conditions acceptables et qu’elle pourra également être menée à terme. Par ailleurs, s’il s’avère impossible pour le poursuivant, à la suite de l’examen de cette preuve, de mettre en accusation tous les présumés auteurs des crimes constatés, en raison de l’ampleur démesurée qu’une telle poursuite risque de générer, compte tenu des ressources accordées au système de justice, son devoir lui commande de prendre en considération les chances de mener à terme le procès regroupant uniquement les auteurs les plus responsables et les plus impliqués dans les opérations criminelles

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menées par l’ensemble des complices ou des participants à la commission des crimes dévoilés par l’enquête criminelle. D’autres possibilités s’offrent au poursuivant dans sa quête d’obtenir une forme de réparation aux dommages causés à la société par les responsables de la commission de crimes graves, notamment la confiscation de biens obtenus grâce à la commission de crimes ou achetés avec des profits générés par ces activités criminelles. Le blocage et la création de produits de la criminalité requièrent toutefois la création et le maintien d’une équipe spécialisée capable de gérer les différentes étapes des procédures judiciaires visant la confiscation de ces biens. Les Agences du revenu du Québec et du Canada disposent aussi de moyens efficaces et rapides d’utilisation pour freiner l’expansion de la fraude fiscale et les activités des organisations criminelles. Des actions concertées peuvent être identifiées et retenues avec les organismes partenaires. Les poursuivants pourront décider de l’identité des personnes qui seront accusées et celles contre qui des mesures à caractère économique pourraient être prises. LE PROCESSUS JUDICIAIRE APPLIQUÉ AUX MÉGAPROCÈS L’ensemble des correctifs qui doivent être apportés par chacun des acteurs dans leur attitude à adopter à l’égard des procès longs et complexes a peu de chance d’améliorer de façon significative le déroulement de ceux-ci, en l’absence d’une gestion véritable et efficace de la part du juge assigné à la conduite du dossier. À cet égard, le législateur fédéral a instauré des mesures d’amélioration au déroulement des procès longs et complexes en accordant des pouvoirs supplémentaires aux tribunaux afin de leur permettre d’assurer plus efficacement la gestion de ce type d’instance. Bien que ces dispositions soient entrées en vigueur depuis près de 5 ans, force est de constater que les juges se sont jusqu’à maintenant montrés lents à faire appel aux mesures qui y sont énumérées. Le temps est maintenant venu pour les juges de recourir à ces pratiques de gestion qui amènent le juge du procès à prendre les choses en main et assumer le leadership de la cadence du déroulement des affaires criminelles, particulièrement celles dont la durée prévisible dépasse de beaucoup ce qui est normalement observé en la matière. L’endroit où doit se tenir un mégaprocès devrait faire partie des considérations auxquelles le juge de gestion pourrait faire porter sa réflexion en vue d’assurer le déroulement normal d’un processus judiciaire particulier. Il peut permettre aux parties, aux services correctionnels, ainsi qu’à la Direction générale des services de justice du ministère de la Justice d’exprimer leur point de vue sur cette question mais c’est à lui que devrait être confié le pouvoir de décider de l’endroit le plus adapté à recevoir une affaire d’importance. Le Comité estime, à la lumière de l’expérience anglaise, qu’il pourrait être utile que les parties concluent des protocoles qu’ils s’engageraient à respecter afin de raccourcir les délais, prévoir la fixation d’échéanciers de présentation de la preuve ou d’argumentaires juridiques, comme c’est déjà la pratique en droit civil.

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Même si les juges sont nommés à ce poste en raison des qualités qui leur sont reconnues et qui les rendent aptes à exercer cette fonction, la conduite d’un mégaprocès ne doit pas être confiée à un ou une juge uniquement en raison de sa disponibilité à en prendre la direction. Les autorités administratives des tribunaux doivent accorder la même importance au profil du membre de la cour pressenti pour agir dans ce type de dossier que celle que doivent aussi accorder les autres entités administratives responsables des enquêtes et des poursuites à l’égard de leur représentant respectif. Pour l’aider dans sa tâche, le Comité recommande que soit offerte aux juges affectés à la conduite de mégaprocès la possibilité de s’adjoindre des personnes qualifiées et expérimentées, juristes ou techniciens juridiques, pour qu’elles puissent l’assister dans l’accomplissement de la tâche souvent colossale générée par la gestion des affaires longues et complexes. L’ensemble des mesures recommandées dans le présent rapport sont complémentaires les unes des autres. Chacun des acteurs principaux du système de justice doit être en mesure de suivre la cadence imposée par les autres. Le soutien à apporter aux juges est indissociable de celui à apporter aux autres partenaires. C’est pourquoi il s’avère de la plus haute importance que le système judiciaire dans son ensemble soit en mesure de répondre aux défis logistiques et opérationnels découlant de la lutte menée par les policiers à la criminalité organisée et que tant les tribunaux que les responsables des poursuites se voient dotés des budgets et des ressources humaines et informatiques adéquates afin de les assister dans la gestion de ces dossiers. Le Comité a constaté que les relations tendues et parfois agressives entretenues par les avocats ou avocates représentant la poursuite ou la défense dans les procès d’envergure constituaient un problème important auquel des mesures correctrices doivent être apportées. Hormis les cas flagrants où il est possible et fortement souhaitable que le juge du procès intervienne sur le champ pour freiner une conduite répréhensible, il nous apparaît important pour le bon déroulement d’une affaire que le bureau du syndic saisi d’une plainte puisse informer l’avocat visé que celle-ci sera traitée rapidement et non pas uniquement à l’issue du procès. En ce qui a trait aux allégations touchant à l’honnêteté et à l’intégrité d’une partie, il est de la plus haute importance que celles-ci soient traitées sans délai. On ne peut laisser planer un doute sur l’honnêteté d’un officier de justice impliqué dans une affaire importante sans qu’une considération rapide ne soit apportée à ce type de plainte ou d’allégation. Une modification au Code de déontologie des avocats devrait être apportée afin d’obliger le membre du Barreau qui désire soulever la question de l’intégrité d’un confrère ou d’une consoeur à formuler par écrit les motifs à la base de ses allégations et produire, sous scellés, à l’attention du tribunal le document en expliquant les raisons.

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Une telle procédure ferait en sorte de préserver la réputation du plaideur visé par la procédure jusqu’à ce que l’affaire ait été décidée par le juge. LA CONTRIBUTION DES JURÉS Les études et rapports consultés portant sur le phénomène des mégaprocès n’ont pas identifié d’emblée l’abandon des procès devant jury comme pouvant constituer une solution aux problèmes associés au déroulement des affaires longues et complexes. L’impression souvent répandue à l’effet que les causes longues et complexes soient hors de portée de la compréhension des citoyens formant un jury doit, selon le Comité, être fortement nuancée. Il incombe au poursuivant et à l’avocat de la défense de rendre leur preuve compréhensible pour le citoyen ordinaire chargé de rendre un verdict. Nos tribunaux doivent se montrer plus ouverts à l’introduction dans notre procédure criminelle d’outils capables de faciliter la tâche des jurés. Le juge du procès est particulièrement habilité, en raison de son expérience et de ses connaissances des règles de preuve à « filtrer » ces outils de facilitation à la compréhension des jurés, d’autant plus qu’il aura invité au préalable les parties à fournir leurs commentaires à l’égard des documents dont on envisage de permettre l’utilisation par les jurés, exercice auquel ils doivent se prêter en raison de leur obligation déontologique de collaborer à une saine administration de la justice. Tous les acteurs du système de justice doivent se montrer davantage sensibles aux sérieux problèmes liés à la vie familiale et professionnelle avec lesquels sont amenées à composer beaucoup de personnes « choisies au hasard » pour collaborer pendant plusieurs mois, voire quelques années, au déroulement de certains procès. Une réflexion devrait être initiée par le ministère de la Justice en vue d’identifier les accommodements et les indemnités appropriées qui devraient être accordés aux jurés appelés à siéger dans un procès dont la longueur s’avère plus importante que celle normalement observée dans la majorité des procès avec jury. LE DROIT AU PROCÈS Le principe de notre système de justice qui consacre le droit à un procès juste et équitable n’a pas été inscrit dans les fondements de notre société au seul bénéfice des personnes accusées d’un crime. Les raisons de la tenue d’un procès en matière criminelle tiennent principalement, il est vrai, à l’obligation faite à l’État d’empêcher la condamnation d’une personne sans que la preuve de sa culpabilité, hors de tout doute raisonnable, n’ait été établie lors d’un procès public. Ce droit appartient à tous les accusés, sans égard à leur situation financière. Encore faut-il qu’un tel procès puisse se tenir, et surtout se conclure.

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Ce droit appartient aussi à la société qui doit être rassurée à l’effet que le crime ne demeurera pas impuni seulement en raison d’une impossibilité à tenir le procès dans un délai raisonnable. Aucun de ces droits n’est prépondérant à l’égard de l’autre. Même si au Québec les tarifs de l’aide juridique révisés en 2010 afin de permettre à des avocats d’expérience d’accepter ce type de mandat ont permis à des accusés sans revenus suffisants de pouvoir bénéficier des services d’un avocat compétent pour les représenter dans une affaire longue et complexe, il nous faut constater que trop d’avocats inexpérimentés se voient choisis par des accusés parce que les avocats qualifiés acceptant habituellement les tarifs consentis par la Commission des services juridiques ne sont pas toujours disponibles ou parce qu’ils sont peu enclins à s’impliquer dans une affaire qui risque de les monopoliser pour plusieurs mois. Le Comité a pu constater que la Commission des services juridiques apporte une attention particulière à la façon dont les avocats bénéficiaires d’un mandat d’aide juridique délivré en vertu du chapitre III de la loi s’acquittent de ce mandat. Mais elle le fait dans la mesure des moyens de contrôle dont elle dispose. Un très grand nombre d’acteurs du système de justice que nous avons rencontrés, qu’ils soient policiers, poursuivants, juges ou avocats pratiquant en défense, nous ont affirmé, souvent sans que la question n’ait été abordée par le Comité, qu’un des problèmes importants entourant le déroulement des mégaprocès avait trait à l’octroi et à la gestion de l’aide juridique accordée à certaines personnes impliquées dans un processus judiciaire long et complexe. À la lumière de l’expérience vécue depuis maintenant plus de cinq années, le Comité est d’avis que l’octroi des certificats d’aide juridique et le contrôle de leur exécution en matière de procès longs et complexes doit faire l’objet d’un examen. Cet exercice devrait s’effectuer en collaboration avec le Barreau du Québec et les autres acteurs dans le déroulement des mégaprocès que sont la poursuite et la magistrature. Le Barreau du Québec, en raison de sa mission de protection du public et de surveillance de l’exercice de la profession, devrait endosser une plus grande part de responsabilité dans l’identification et l’implantation de mesures pouvant faciliter l’accès à la justice pour les particuliers ayant des revenus modestes tout en assurant la fourniture de services juridiques de haute qualité de manière efficiente et efficace compte tenu des sommes consacrées par l’État à la tenue des mégaprocès. La Commission des services juridiques devrait finalement être amenée, lors de cette révision, à identifier les mesures devant être mises en place pour lui permettre d’effectuer un véritable contrôle des procédures facturées par les avocats bénéficiant d’un certificat d’aide juridique dans les affaires longues et complexes.

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RECOMMANDATIONS 1o– Que la Ministre de la Justice et Procureure génér ale du Québec invite les principaux partenaires dans l’administration de la justice à participer à la création d’un forum permanent de discussion dont le premier mandat serait d’identifier les changements à apporter aux interventions de chacun dans le processus judiciaire en matière criminelle spécialement dans la gestion des mégaprocès. 2o– Que les plus hauts dirigeants de ces organisation s invitées à ce forum de discussion se réservent la responsabilité personnel le de participer à ces rencontres et s’engagent à en assurer le suivi aupr ès de leur organisation respective. 3o– Qu’un secrétariat permanent soit affecté au bon f onctionnement de ce forum afin d’en assumer la coordination et s’assurer du s uivi des mesures retenues et des engagements pris par les participants lors des rencontres. 4o– Que les autorités responsables de l’affectation d ’un participant à un dossier qui vraisemblablement nécessitera une longue périod e de temps avant sa conclusion devant le tribunal s’assurent de la disp onibilité de ce participant tout au long du processus judiciaire et qu’elles exigent des autres partenaires impliqués dans ce type de dossier un engagement sem blable en ce qui concerne les personnes qu’elles seront elles aussi appelées à désigner pour en assurer le bon déroulement. 5o– Que le Bureau de la grande criminalité et des aff aires spéciales du Directeur des poursuites criminelles et pénales soit saisi de l’existence de tout processus d’enquête criminelle ou pénale entrepris par les fo rces policières ou les organismes de régulation dès que ces derniers const atent que cette opération présente les caractéristiques normalement associées aux enquêtes à l’origine d’un procès long et complexe. 6o– Que le Bureau de la grande criminalité et des aff aires spéciales du Directeur des poursuites criminelles et pénales fournisse aux responsables de ces enquêtes d’envergure le support et le conseil jurid iques de façon à collaborer au déroulement ordonné et efficient des opérations pol icières menées lors de ces enquêtes en vue notamment d’aider à l’orientation d e l’enquête et faciliter l’admissibilité en preuve des informations ainsi re cueillies. 7o– Que l’École nationale de police élabore, en colla boration avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales, une formation sp écifique destinée aux responsables des enquêtes portant sur la criminalit é organisée de façon à développer chez ces policiers l’expertise nécessair e sur les techniques de gestion de la preuve et sur les exigences légales entourant son admissibilité en preuve. 8o– Que des séminaires de formation sur les rôles et responsabilités des partenaires dans la gestion des enquêtes d’envergur e et des procès longs et complexes soient organisées conjointement par le mi nistère de la Sécurité

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publique et le Directeur des poursuites criminelles et pénales afin de favoriser une meilleure compréhension entre eux des besoins et co ntraintes auxquels ils sont confrontés dans l’exécution de leur mandat respecti f. 9o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales adopte une politique intégrée de gestion des causes longues et complexes qui verrait, notamment, un gestionnaire de la poursuite se voir confier la coo rdination de toutes les opérations liées à l’examen de la preuve, au dépôt des dénonciations et au déroulement du processus judiciaire entourant la te nue d’un mégaprocès. 10o– Que les poursuites judiciaires engagées par le Di recteur des poursuites criminelles et pénales à la suite d’une enquête pol icière d’envergure s’inscrivent dans le cadre d’un protocole de poursuite auquel to us les partenaires impliqués auront souscrit avant le dépôt des dénonciations et dans lequel ils y auront défini les besoins nécessaires à la conduite des procédure s jusqu’à leur conclusion ainsi que les limites de leur engagement. 11o– Que le protocole de poursuite énonce clairement q ue la décision de déposer des dénonciations devant la cour ainsi que le momen t de procéder à un tel dépôt, de même que les personnes visées par ces dénonciati ons relèvent de la seule autorité du poursuivant après consultation des resp onsables de l’enquête. 12o– Que toutes les demandes visant à la délivrance d’ un mandat de perquisition dans le cadre d’une enquête policière d’envergure f assent l’objet de discussions entre le poursuivant et les enquêteurs préalablemen t à leur présentation devant le juge de paix. 13o– Que soit confiée aux juges de paix magistrats dan s le cadre des perquisitions de serveurs informatiques, la tâche de superviser l ’ensemble du processus visant à extraire l’information contenue aux fichiers info rmatiques lorsqu’est soulevée par le saisi une objection à l’accès à cette inform ation fondée sur un privilège reconnu par la règle de droit. 14o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales revoit la politique de désignation des mandataires chargés de procéder à l ’examen des affidavits fournis par les policiers au soutien de l’obtention d’une autorisation judiciaire d’interception de communications privées en vue, no tamment, d’en confier la responsabilité exclusive aux gestionnaires de la po ursuite. 15o– Que l’examen des communications privées intercept ées qui sont susceptibles d’être protégées en raison du privilèg e du secret professionnel existant entre l’avocat ou le notaire et son client soit confié aux juges de paix magistrats de la manière suggérée par le Comité à l a recommandation 13 o du rapport. 16o– Que les gestionnaires de la poursuite nommés par le Directeur des poursuites criminelles et pénales soient formés à l a gestion administrative des ressources humaines, financières et matérielles aff ectées au déroulement des procès longs et complexes et que le programme de ce tte formation soit développé en collaboration avec l’École nationale d’administr ation publique.

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17o– Qu’un conseiller juridique possédant une formatio n notariale intervienne au moment de la passation d’un contrat entre l’État et un collaborateur de justice afin de fournir les garanties que ce dernier a reçu tout es les informations relatives à ce contrat et tous les avertissements en ce qui a trai t à la nullité des promesses non dévoilées au contrat qui auraient pu lui être faite s dans le processus de négociation entourant son offre de collaboration. 18o– Que soit apportée une modification à l’article 94 de la Loi sur l’administration publique donnant suite à la recommandation formulée par la Commission Charbonneau visant à habiliter le Directeur des pou rsuites criminelles et pénales à autoriser la remise des dettes fiscales d’un collab orateur de justice en contrepartie de sa participation au processus judic iaire engagé par la poursuite dans les affaires longues et complexes. 19o– Qu’une priorité organisationnelle soit accordée p ar le Directeur des poursuites criminelles et pénales aux travaux déjà initiés visant à doter l’organisation d’outils de classement de l’informat ion accumulée par les enquêteurs de police et transmise au poursuivant da ns les situations d’enquêtes majeures pouvant conduire à la tenue d’un mégaprocè s. 20o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales rende obligatoire, pour toutes les forces policières ou autres organismes c hargés de la répression de la criminalité organisée, le recours à des logiciels p articuliers de traitement de l’information ainsi qu’aux formats de fichiers spéc ifiques à ces programmes informatiques dans la communication qui lui est fai te de la preuve ou autre information devant servir à la prise de décision su r les suites à donner aux enquêtes d’envergure, et que cette exigence fasse p artie des règles d’engagement contenues au protocole de poursuite intervenu entre le corps de police et le poursuivant. 21o– Qu’une séance d’information soit offerte conjoint ement par le poursuivant et l’enquêteur principal aux avocats représentant les personnes accusées le plus tôt possible après les arrestations et la comparution d e leurs clients et au cours de laquelle seraient, notamment, présentés la théorie de la cause du poursuivant, les grandes lignes de la preuve au soutien des accusati ons ainsi que les outils informatiques mis à leur disposition par la poursui te pour en faire la consultation. 22o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales confie à un gestionnaire de la poursuite la responsabilité de l a constitution d’une équipe de poursuite lorsque l’enquête policière dont il est s aisi revêt les caractéristiques d’une affaire longue et complexe. 23o– Que la constitution de l’équipe de poursuite s’ar ticule autour d’un responsable de la poursuite choisi en raison des qu alités et des aptitudes le qualifiant pour mener à terme les procédures judici aires susceptibles d’être engagées suite à l’examen des preuves accumulées lo rs de l’enquête policière. 24o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales s’assure que l’équipe de poursuite puisse bénéficier dans l’examen et la présentation devant le tribunal

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de la preuve qui lui est soumise des facilités que peuvent procurer les outils rendus disponibles par le développement des technol ogies de l’information et que tous les membres de cette équipe soient formés à le ur utilisation afin de rendre la preuve intelligible à tous les acteurs impliqués da ns le processus judiciaire auquel l’enquête policière aura donné naissance. 25o– Que les autorités gouvernementales responsables d e la distribution des crédits aux ministères et organismes reconnaissent l’importance de fournir au Directeur des poursuites criminelles et pénales les ressources nécessaires à l’accomplissement de la mission que lui confie l’Ét at de s’assurer que la lutte menée à la criminalité organisée sera conduite de f açon efficace jusqu’à la fin du processus judiciaire enclenché par les arrestations des auteurs de ces crimes. 26o– Que dans les cas d’enquêtes policières et de proc ès longs et complexes, un plan de poursuite soit élaboré par le responsable d e la poursuite le plus tôt possible dans le processus d’examen des preuves tra nsmises au poursuivant et que le gestionnaire de la poursuite soit chargé d’e n superviser la préparation et le suivi. 27o– Que la Ministre de la Justice adresse au Directeu r des poursuites criminelles et pénales une orientation en vertu de l’article 22 de la Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales et de l’article 3 c.1) de la Loi sur le ministère de la Justice invitant le poursuivant chargé de l’examen de la preuve recueillie lors d’une enquête policière d’envergure à ne pas autori ser le dépôt des dénonciations lorsque le rapport d’enquête policière ne contient pas tous les éléments exigés par le Directeur des poursuites criminelles et péna les au protocole de poursuite. 28o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales apporte des modifications à la directive ACC-3 traitant de la « Décision du procureur » afin qu’au chapitre des critères relatifs à la suffisanc e de la preuve, il soit précisé que le dossier doit être complet pour que le procureur autorise le dépôt d’une dénonciation et qu’au chapitre des critères relatif s à l’opportunité de poursuivre, il soit écrit que la faisabilité du procès, notamment la gestion des risques juridiques, financiers et stratégiques de l’affaire , doit être prise en compte avant que le procureur autorise le dépôt d’une dénonciati on. 29o– Que lorsque le responsable de la poursuite qui, a près examen de la preuve qui lui a été soumise, considère qu’il s’avère impo ssible de mettre en accusation tous les présumés auteurs des crimes révélés par un e enquête d’envergure, en raison de l’ampleur démesurée qu’elle risque de gén érer pour le système judiciaire, soumette au gestionnaire de la poursuit e les motifs justifiant sa décision de limiter le dépôt des dénonciations à l’ égard des auteurs les plus responsables et les plus impliqués dans les opérati ons criminelles enquêtées par les forces de répression et les organismes de régul ation. 30o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales maintienne et développe sa capacité organisationnelle de lutte au x produits de la criminalité en renforçant sa structure administrative de façon à a ssurer une gestion efficace des biens saisis et confisqués en raison de leur acquis ition par le biais d’opérations criminelles.

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31o– Que la confiscation des biens provenant d’activit és illégales selon les dispositions contenues à la Loi sur la confiscation , l’administration et l’affectation des produits et instruments d’activités illégales s oit systématiquement envisagée par le Directeur des poursuites criminelles et péna les en parallèle ou en lieu et place aux poursuites criminelles et pénales. 32o– Que la Ministre de la Justice propose l’adoption d’un décret de partage conformément à l’article 25 de cette Loi. 33o– Que le Directeur des poursuites criminelles et pé nales assume le leadership d’une plus grande concertation entre tous les parte naires chargés de la répression des crimes et du respect de la réglement ation gouvernementale afin de mener une lutte organisée, efficace et globale aux organisations criminelles et favoriser le déroulement ordonné des procédures jud iciaires. 34o– Que la Cour du Québec revoie le libellé du formul aire invitant les parties à recourir à la conférence de facilitation en matière criminelle et pénale de manière à ne pas laisser sous-entendre que l’accusé est dispo sé à reconnaître sa culpabilité en acceptant de participer à cet exercice. 35o– Que la Ministre de la Justice fasse des représent ations auprès de son homologue fédéral afin que l’article 551.3 du Code criminel soit modifié afin de conférer au juge de gestion le pouvoir de désigner le district où se tiendra le procès lorsque l’affaire à être entendue présente l es caractéristiques d’un procès long et complexe. 36o– Que cette désignation par le juge de gestion soit précédée d’une consultation avec les responsables au sein du ministère de la Sé curité publique chargés d’assurer la détention des personnes devant subir c e procès et du ministère de la Justice responsable du soutien logistique à apporte r à celui-ci. 37o– Que la Ministre de la Justice fasse des représent ations auprès de son homologue fédéral afin que l’article 551.3 du Code criminel soit modifié pour autoriser le juge de gestion à utiliser les pouvoir s conférés par les dispositions de cet article même si aucun acte d’accusation n’a enc ore été déposé par le poursuivant. 38o– Que les autorités administratives des tribunaux c hargées de l’affectation des juges accordent une attention particulière aux reco mmandations formulées par les auteurs des rapports produits à la suite de l’e xamen de la tragédie du vol 182 d’Air India en ce qui a trait au profil recherché c hez un juge à qui on désire confier la conduite d’un procès long et complexe. 39o– Qu’à l’occasion de la tenue d’une première rencon tre du forum de discussion, dont la création est fortement suggérée par le Comité à la recommandation 1 o du présent rapport, soit inscrit à l’ordre du jour un projet d’élaboration d’un protocole de gestion des causes longues et complexes s’inspirant de celui mis en œuvre en 2005 au Royaum e-Uni par les partenaires impliqués dans l’administration de la justice crimi nelle.

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40o– Que le Bureau du syndic du Barreau du Québec sais i d’une plainte à l’égard du comportement qu’aurait affiché un membre de cett e profession lors d’une audience ou dans le cadre du déroulement d’une affa ire pendante devant le tribunal procède au traitement de cette plainte san s délai et s’assure que les parties impliquées prendront les dispositions pour que leur participation à l’examen de celle-ci n’entrave pas le déroulement d es procédures en cours. 41o– Que le Code de déontologie des avocats soit modif ié pour prévoir que, dans le cas où un membre de la profession entend souleve r dans le cadre d’une procédure pendante devant la cour la question de l’ intégrité d’un autre membre du Barreau du Québec, les motifs à la base de ses prét entions soient obligatoirement formulés par écrit et produits sous scellés à l’att ention du tribunal qui verra à prononcer une ordonnance de non-publication concern ant cette requête jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à son égard. 42o– Que les juges appelés à siéger dans les affaires longues et complexes puissent recevoir le soutien d’une équipe formée de juristes et de techniciens qualifiés de façon à leur permettre entre autres de se concentrer sur les principaux points en litige et de rendre les décisi ons attendues d’eux dans des délais acceptables. 43o– Que le ministère de la Justice procède à une révi sion des formulaires, des assignations et de la documentation transmise aux p ersonnes appelées comme candidats à la fonction de juré afin de la rendre p lus conviviale et moins préoccupante pour les personnes à qui ils sont déli vrés. 44o– Que le ministère de la Justice procède à l’examen de la charge de travail actuellement assignée au personnel du bureau du shé rif afin de permettre à ces employés de fournir un soutien adéquat aux candidat s jurés ainsi qu’aux personnes qui ont été choisies pour agir comme juré es. 45o– Que le ministère de la Justice mette sur pied un service d’information personnalisé à la disposition des candidats à la fo nction de juré leur permettant d’obtenir toute l’information dont ils ont besoin d ès la réception de la sommation qui leur est faite, et ce, même en dehors des journ ées ouvrables. 46o– Que le ministère de la Justice fournisse gratuite ment à la personne choisie pour agir comme jurée le conseil juridique nécessai re au respect de ses droits à titre d’employé ainsi qu’une assistance juridique l orsqu’un recours judiciaire s’avère nécessaire afin de faire respecter ces droi ts. 47o– Que la compensation versée aux jurés fasse l’obje t d’une augmentation tenant compte des impacts que l’accomplissement de ce devoir peut avoir sur leur vie familiale et professionnelle lorsque la durée p révisible de leur assignation est supérieure à trois mois. 48o– Qu’un formulaire destiné à recueillir les comment aires et suggestions des personnes ayant agi comme jurées lors d’un procès, soit mis, par la Direction générale des services de justice, à la disposition de ces derniers à la fin du

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processus judiciaire auquel ils auront été amenés à collaborer et que les mesures nécessaires à la préservation de la confidentialité du délibéré soient associées au traitement des informations ainsi recueillies. 49o– Que le Code de déontologie des avocats soit revu pour prévoir de façon spécifique que les avocats impliqués dans le déroul ement d’un procès avec jury ont le devoir de faciliter le déroulement du proces sus judiciaire en apportant leur concours aux mesures à mettre en place pour que le procès se déroule dans des délais raisonnables et de collaborer à l’identifica tion et à l’implantation de mesures susceptibles de faciliter la compréhension de la preuve présentée aux jurés. 50o– Que le chapitre III de la Loi sur l’aide juridiqu e et sur la prestation de certains autres services juridiques prévoyant les conditions de délivrance des certificats d’aide juridique aux avocats de la pratique privée appelés à représenter un accusé impliqué dans un mégaprocès fasse l’objet d’une éva luation par le ministère de la Justice en collaboration avec les autres partenaire s dans l’administration de la justice à la lumière de l’expérience vécue depuis s on instauration en vue de définir les qualifications professionnelles requise s des avocats et avocates désirant se voir octroyer un tel certificat. 51o– Que la Commission des services juridiques procède en collaboration avec les autres partenaires dans l’administration de la justice à un examen des moyens propres à assurer un véritable contrôle et un suivi efficace de l’exécution des mandats d’aide juridique délivrés aux avocats de la pratique privée à l’occasion de la tenue d’un mégaprocès.

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BIBLIOGRAPHIE

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003 Canada, Services des poursuites pénales du Canada, Guide du Service des poursuites pénales du Canada, Ottawa, procureur général, septembre 2014;

004 Québec, Bouchard, M., Rapport d’enquête administrative concernant l’évasion par hélicoptère de l’Établissement de détention de Québec le 7 juin 2014, ministère de la Sécurité publique, août 2014, 76 p.;

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006 Bureau du ministre de la Justice et procureur général du Canada, communiqué, « Le projet de loi sur les “Mégaprocès” reçoit la sanction royale » (27 juin 2011);

007 Canada, Commission d’enquête relative aux mesures d’investigation prises à la suite de l’attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India, Le vol 182 d’Air India: Une tragédie canadienne, Rapport final, volume 3, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2010, 388 p.;

008 Canada, Comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice, Rapport sur la réforme du jury, Ottawa, ministère de la Justice, mai 2009, 45 p.;

009 Ontario, LeSage, P. J., Code, M., Rapport sur l’examen de la procédure relative aux affaires criminelles complexes, ministère du Procureur général de l’Ontario, novembre 2008, 216 p.;

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012 R-U, HC, Written Ministerial Statements, vol. 432, part 60, col. 78WS (23 mars 2005) (Ms Harriet Harman);

013 R-U, Court of Appeal, Criminal Division, Control and Management of Heavy Fraud and other Complex Criminal Cases—a Protocol issued by the Lord Chief Justice of England and Wales, [2005] All ER (D) 386 (Mar), Lord Woolf CJ, 22 mars 2005

014 R-U, Court of Appeal, Criminal Division, Protocol for the control and management of heavy fraud and complex criminal cases, Transcript of proceedings: 22 March 2005, Lord Woolf CJ;

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016 Canada, Groupe de travail du Comité FPT des chefs des poursuites pénales, Rapport sur la prévention des erreurs judiciaires, Ottawa, ministère de la Justice, septembre 2004, 170 p.;

017 Québec, Comité ad hoc du Comité en droit criminel sur les mégaprocès, Rapport Final, Barreau du Québec, février 2004, 29 p.;

018 Québec, Comité ad hoc du comité en droit criminel sur les mégaprocès, Rapport préliminaire, Barreau du Québec, Octobre 2003, 13 p.;

019 Québec, ministère de la Justice, Plan stratégique 2001-2004, Gouvernement du Québec 2001, 74 p.;

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2- Lois, règlements et projets de loi cités

Législation fédérale

030 Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c. 11 (R.-U.)];

031 Code criminel, L.R.C. (1985), c. C-46;

032 Loi modifiant le Code criminel (mégaprocès), L.C. 2011, c. 16;

033 Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois, L.C. 2002, c. 13;

034 Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29;

035 Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5;

036 Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, c. 19;

037 Loi sur le programme de protection des témoins, L.C. 1996, c. 15;

038 Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), c. C-34;

039 Loi sur les radiocommunications, L.R.C. 1985, c. R-2;

040 Loi sur le tabac, L.C. 1997, c. 13;

041 Règles de la Cour d’appel du Québec en matière criminelle, TR/2006–142;

042 Règles de procédure de la Cour supérieure du Québec, chambre criminelle (2002), TR/2002-46.

Législation québécoise

043 Loi sur l’administration fiscale, RLRQ, c. A-6.002;

044 Loi sur l’aide juridique et sur la prestation de certains autres services juridiques, RLRQ, c. A-14;

045 Loi sur le bâtiment, c. B-1.1;

046 Code de procédure civile, RLRQ, c. C–25.01;

047 Loi sur la confiscation, l’administration et l’affectation des produits et instruments d’activités illégales, RLRQ, c. C-52.2;

048 Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune, c. C-61.1;

049 Code civil du Québec, RLRQ, c. CCQ-1991;

050 Loi sur le Directeur des poursuites criminelles et pénales, RLRQ, c. D-9.1.1;

051 Loi sur la division territoriale, RLRQ, c. D-11;

052 Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques, c. I-8.1;

053 Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16;

054 Loi sur les jurés, RLRQ, c. J-2;

055 Loi sur le ministère de la Justice, RLRQ, c. M-19;

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056 Loi sur la police, RLRQ, c. P-13.1;

057 Loi sur les produits alimentaires, c. P-29;

058 Loi sur la protection du consommateur, c. P-40.1;

059 Loi sur la qualité de l’environnement, c. Q-2;

060 Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’œuvre dans l’industrie de la construction, c. R-20;

061 Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance, c. S-4.1.1;

062 Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, c. T-16;

063 Loi sur les valeurs mobilières, c. V-1.1;

064 Code de déontologie des avocats, RLRQ, C. B-1, r. 3.1;

065 Règlement de la Cour du Québec, RLRQ, c. C–25.01, r. 9;

066 Règlement sur la publicité foncière, RLRQ, c. CCQ, r. 6;

067 Règlement sur le registre des droits personnels et réels mobiliers, RLRQ, c. CCQ, r. 8;

068 Orientations et mesures du ministre de la Justice, RLRQ, c. M-19, r. 1;

069 Loi visant à accroître la compétence et l’indépendance du commissaire à la lutte contre la corruption et du Bureau des enquêtes indépendantes ainsi que le pouvoir du directeur des poursuites criminelles et pénales d’accorder certains avantages à des témoins collaborateurs, projet de loi no 107 (présentation – 8 juin 2016), 1re sess., 41e légis. (Qc).

Législation et réglementation ontarienne

070 Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43;

071 Règlement 186 : désignation des régions, R.R.O. 1990.

Royaume-Uni

072 An Act to make provision about criminal justice (including the powers and duties of the police) and about dealing with offenders; to amend the law relating to jury service; to amend Chapter 1 of Part 1 of the Crime and Disorder Act 1998 and Part 5 of the Police Act 1997; to make provision about civil proceedings brought by offenders; and for connected purposes (Criminal Justice Act 2003), 2003 c. 44;

073 An Act to make provision about justice and security in Northern Ireland, 2007, c. 6;

074 Northern Ireland (Emergency Provisions) Act 1973, 1973, c. 53

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3- Jurisprudence citée

Cour suprême du Canada

075 R. c. Jordan, 2016 CSC 27;

076 R. c. Auclair, 2014 CSC 6;

077 Chatterjee c. Ontario (Procureur général), 2009 CSC 19;

078 R. c. McNeil, 2009 CSC 3;

079 Personne désignée c. Vancouver Sun, 2007 CSC 43;

080 R. c. Taillefer; R. c. Duguay, 2003 CSC 70;

081 Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général); White, Ottenheimer & Baker c. Canada (Procureur général); R. c. Fink, 2002 CSC 61;

082 Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65;

083 R. c. Hynes, 2001 CSC 82;

084 R. c. Pan; R. c. Sawyer, 2001 CSC 42;

085 R. c. Find, 2001 CSC 32;

086 R. c. Jacquard, [1997] 1 R.C.S. 314;

087 R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411;

088 R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326;

089 R. c. Storrey, [1990] 1 R.C.S. 241;

090 Kirzner c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 487;

091 Boucher v. The Queen, [1955] S.C.R. 16.

Cour d’appel du Québec

092 R. c. Construction De Castel inc., 2014 QCCA 1125;

093 Pasquin c. La Reine, 2014 QCCA 186;

094 R. c. Auclair, 2013 QCCA 671;

095 Québec (Procureur général) c. 9148-5847 Québec inc., 2012 QCCA 1362;

096 Seck c. La Reine, 2007 QCCA 1089;

097 Thresh c. La Reine, J.E. 2003-1729, 17 CR (6th) 326, [2003] J.Q. no 11326 (CA) (QL).

Autres cours d’appel canadiennes

098 R. v. Felderhof, 2003 CanLII 37346 (Ont. C.A.);

099 R. v. Bengert, 53 C.C.C. (2d) 481 (BCCA), [1980] B.C.J. No. 721 (QL).

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Tribunaux québécois de première instance

100 R. v. Bordo, 2016 QCCS 477;

101 Berger c. La Reine, C.S. Montréal (Ch. crim.), no 500-01-094385-132, 9 octobre 2015, j. Brunton;

102 Beaulieu c. La Reine, C.S. Montréal (Ch. crim.), no 500-01-094385-132, 13 février 2015, j. Brunton;

103 Weinberg v. The Queen, 2014 QCCS 6820;

104 Auclair c. La Reine, 2011 QCCS 2661.

Autres tribunaux canadiens de première instance

105 R. v. Pan, 2014 ONSC 6055;

106 R. v. Sipes, 2008 BCSC 1257;

107 R. v. Bengert, Robertson & al. (No. 13), 48 C.C.C. (2d) 314 (BCSC), [1979] B.C.J. No. 2050 (QL);

108 R. v. Stinert, 2015 ABPC 4;

109 R. v. Chan, 2003 ABQB 759.

4- Articles de journaux cités

110 Hugo Dumas, « Moi, juré no 4 », La Presse, 20 octobre 2015;

111 Adam Lusher, « No regrets : The juror accused of precipitating the collapse of the £60m Jubilee Line fraud trial by going on strike’ », Telegraph Media Group Limited, 27 March 2015;

112 Caroline Davies, « Marathon trial cost juror her wedding and a job », Telegraph Media Group Limited, 25 March 2015;

113 Jamie O’Meara, « A sobering, exhilarating civic duty », The Gazette, 27 avril 2013.