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Université Lumière Lyon 2 Année universitaire 2007-2008 Institut d’Etudes Politiques de Lyon Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM) Sandra LANAYRIE 4° année : secteur affaires publiques, parcours affaires juridiques Séminaire : Métiers du droit et pratique du droit dans les entreprises et institutions Sous la direction de M. André Vianes Mémoire soutenu le 2 septembre 2008 Membres du jury :M. André Vianes, Maître de conférences en économie à l’IEP de Lyon et M. Charles Lagier, Maître de conférences en droit public à l’IEP de Lyon

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Université Lumière Lyon 2 Année universitaire 2007-2008Institut d’Etudes Politiques de Lyon

Pour un principe de précaution effectif :l’exemple des organismes génétiquementmodifiés (OGM)

Sandra LANAYRIE4° année : secteur affaires publiques, parcours affaires juridiques

Séminaire : Métiers du droit et pratique du droit dans les entreprises et institutionsSous la direction de M. André Vianes

Mémoire soutenu le 2 septembre 2008

Membres du jury :M. André Vianes, Maître de conférences en économie à l’IEP de Lyon et M. CharlesLagier, Maître de conférences en droit public à l’IEP de Lyon

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Table des matièresRemerciements . . 5Introduction . . 6Partie 1 - Circonscrire les risques potentiels liés à une innovation scientifique auxconséquences encore mal maîtrisées : l’objectif fondamental du principe de précaution . . 12

1.1 Les OGM, terrain de prédilection de l’application du principe de précaution . . 121.1.1 Protéger le futur des conséquences incertaines d’une innovation scientifique :la raison d’être du principe de précaution . . 121.1.2 Les risques potentiels liés aux OGM . . 16

1.2 Un principe de précaution raisonné : la nécessité d’un calcul coûts/avantages avec laprise en compte des bénéfices possibles . . 18

1.2.1 Les bénéfices attendus du développement et de l’utilisation d’OGM . . 191.2.2 La question de la compétitivité économique de la France . . 211.2.3 Les enjeux des OGM pour les pays du Sud . . 24

Partie 2 - Parfaire l’encadrement juridique du principe de précaution et des OGM : la placedu droit dans le débat sur le principe de précaution . . 29

2.1 L’écriture juridique du principe de précaution : un principe de « droit mou » pour inviterles Etats à agir ou une norme juridiquement contraignante ? . . 29

2.1.1 L’émergence d’un principe original et controversé . . 292.1.2 L’inscription en droit positif . . 332.1.3 Le juge responsable de l’application d’un principe au contenu mal défini . . 37

2.2 La réglementation des OGM : une législation développée sous l’égide du principe deprécaution . . 39

2.2.1 L’empreinte du droit international dans le domaine du droit desbiotechnologies . . 392.2.2 Un socle communautaire complexe et incomplet . . 422.2.3 La législation française sur les OGM . . 44

Partie 3 - Adopter et respecter des pratiques prudentes : l’indispensable rigueurprocédurale du principe de précaution . . 49

3.1 Les « dix commandements de la précaution » . . 493.1.1 L’analyse des risques en préparation à la décision . . 493.1.2 Le contenu et le suivi de la décision . . 50

3.2 Des procédures applicables à la gestion des OGM . . 523.2.1 La rigueur dans l’approche scientifique des OGM . . 523.2.2 La rigueur dans la gestion des OGM . . 553.2.3 La rigueur dans le respect des droits des populations et des consommateurs. . 60

Conclusion . . 63Bibliographie . . 65

Ouvrages . . 65Travaux législatifs . . 65Articles de doctrine . . 65Articles de presse . . 66Sites internet . . 66

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Annexes . . 68Annexe I : Le principe de précaution dans les textes . . 68Annexe II : La Charte de l’environnement de 2004 . . 69Annexe III : Les cultures OGM dans le monde . . 70Annexe IV : Synthèse de la directive 2001/18/CE du Parlement européen et duConseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'OGM59 . . 70Annexe V : Résumé de la communication de la Commission sur le recours auprincipe de précaution du 2 février 200060 . . 71

Résumé . . 74

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Remerciements

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RemerciementsJe tiens à adresser mes sincères remerciements à :

M. Vianes, Avocat au Barreau de Lyon et Maître de Conférences en économie à l’IEP de Lyon,pour sa disponibilité et ses précieux conseils ;

M. Lagier, Avocat au Barreau de Lyon et Maître de Conférences en droit public à l’IEP deLyon, pour avoir accepté de faire partie du jury ;

Ma famille, pour ses patientes relectures ;

Camille, pour son soutien moral.

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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Introduction

Tout a été dit à propos du principe de précaution, le pire comme le meilleur. Principesalvateur porté aux nues par les défenseurs de l’environnement ou frein au progrèsdécrié par les économistes libéraux, le principe de précaution attise les débats. Il aconnu depuis le début des années 1990 une ascension fulgurante, en droit internationald’abord, puis en droit communautaire et en droit français, jusqu’à acquérir une valeurconstitutionnelle avec son inscription dans la Charte de l’environnement entrée en vigueur

le 1er mars 2005. En parallèle, s’est développé en France à partir de 1996 le débat surles organismes génétiquement modifiés (OGM). Les plantes transgéniques constituent unterrain d’application idéal pour le principe de précaution. Dans ce chapitre introductif serontprésentées une rapide genèse du principe de précaution, ses tentatives de définitions ainsique les différentes écoles de la précaution. Ensuite il semble pertinent de dresser l’état deslieux de la situation mondiale des cultures de plantes génétiquement modifiées.

Le succès du principe de précaution en Europe, en France notamment, et soninscription progressive en droit positif ne sont pas un hasard. Les citoyens ont découvertque les sciences, même dites exactes, ne sont pas infaillibles et dans ce contexte le principede précaution représente pour beaucoup un rempart contre des innovations scientifiquesaux conséquences de plus en plus incontrôlables, voire effrayantes. Cette idée renvoie àune évolution récente dans la perception du progrès technique. En effet, le principe deprécaution constitue une remise en cause de l’idée moderne de progrès ; c’est le conceptmême de la science qui a évolué. D’une part, à cause de l’apparition de considérationsenvironnementales et sanitaires plus exigeantes à la lumière desquelles les innovationstechnologiques sont plus sévèrement jugées que par le passé. Le progrès technologique etindustriel était autrefois perçu d’une manière positive, sans se soucier des conséquences,dans le cadre d’une idéologie du progrès qui laissait entendre que la science, la techniqueapportent le bonheur universel. Les crises qui ont éclaté dans les années 1990 (lesdifférentes pollutions industrielles, les crises du sang contaminé et de la vache folle…)ont encore exacerbé cette défiance croissante face aux avancées technologiques. D’autrepart, du fait de la nécessité d’accepter l’incertitude scientifique quand la science a toujoursreprésenté un espace de certitude. Comme l’écrit Dominique Bourg, « le progrès étaitinséparable de la maîtrise des phénomènes ; force est de constater que nos techniquesne cessent d’engendrer des effets imprévisibles »1. Olivier Godard décrit le principe deprécaution comme le « concept pivot d’un changement de valeurs »2. Ainsi la devised’Auguste Comte « savoir pour prévoir, afin de pouvoir » ne semble plus correspondre ànos sociétés modernes car nous ne savons plus tout mais devons néanmoins agir : il fautdésormais pouvoir sans savoir, gouverner l’incertitude. L’objectif du principe de précautionest donc de prendre en compte à la fois les dangers inhérents à la modernité et lescarences du savoir scientifique.

1 BOURG Dominique, « Du progrès à la précaution », in ZACCAI Edwin et MISSA Jean-Noël, Le principe de précaution :significations et conséquences, Editions de l’Université de Bruxelles, 2000

2 GODARD Olivier, « Le principe de précaution », Projet, juillet 2006, n° spécial – « Risques partagés »

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Introduction

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En parallèle, on a pu constater dans nos sociétés occidentales une évolutiondes mécanismes de gestion des risques. Il s’agit des trois âges du risque distinguéspar François Ewald 3 , trois âges différents dans la manière de définir lesrapports sociaux autour de cette question du risque. Vient dans un premier tempsla prévoyance, qui naît avec le libéralisme au XIXème siècle et renvoie au conceptmoderne de responsabilité individuelle. Chacun doit prévoir individuellement et seprémunir contre les conséquences de ses actes. C’est la responsabilité déclaréemère de prudence qui doit discipliner les comportements des individus. Ainsi lesévénements qui peuvent les affecter leur sont directement imputables, sauf s’ilsrésultent d’une faute directe d’autrui. Face à des risques qui s’étendent au-delà dela capacité de maîtrise individuelle (risques domestiques, risque de maladies…),on constate une évolution vers des formes de mutualisation comme les systèmesd’assurance. On apporte donc à cette époque une première réponse collective faceaux risques. La prévention, deuxième âge du risque, repose quant à elle sur leprincipe de solidarité. En France, c’est la loi du 9 avril 1898 sur les accidents detravail qui assure la transition vers cette autre conception du risque : on assisteà la naissance de l’Etat-Providence grâce auquel la société devient solidaire desvictimes d’aléas. En effet, la réalisation de ces aléas n’est pas le résultat d’une fautequi pourrait être sanctionnée par le droit, mais représente une contrepartie négativeliée à des activités utiles à la vie collective. L’indemnisation des victimes devientdès lors le pendant de l’acceptation du risque industriel. La notion de responsabilitésans faute fait son apparition. On passe d’une appréhension individuelle à uneappréhension collective des risques, qui va au-delà de la simple indemnisation.Cette maîtrise du risque à un niveau collectif entraîne la mise en place derégimes d’autorisations administratives, le renfort des réglementations ou encoredes incitations économiques à l’évitement des accidents. Enfin la précaution apparaîtavec le développement de risques technologiques de moins en moins connus etmaîtrisés et la volonté d’agir très précocement sur ces risques potentiels, dès leurapparition.

Déterminer les causes de l’émergence du principe de précaution est une chose, endonner une définition précise et sans ambiguïtéest une tâche plus ardue. Nicolas deSadeleer considère très justement ce principe comme appartenant à « des concepts dont lacompréhension semble aller de soi mais qui ont tendance à se dérober au fur et à mesureque l’on cherche à les définir ».4

Il faut donc commencer par éclaircir le concept central lorsque l’on évoque le principede précaution, celui de risque. Le Petit Robert en donne une définition des plus simples : ils’agit d’un « danger éventuel plus ou moins prévisible », un danger étant « ce qui menaceou compromet la sûreté, l’existence d’une personne ou d’une chose ». A côté de ces deuxtermes, évoquons également celui d’aléa, qui désigne un événement imprévisible qui n’estpas connoté par un jugement de valeur. Prenons l’exemple de l’éventualité qu’un gène soittransféré d’une plante transgénique à une plante non génétiquement modifiée : on parlerad’aléa et non de risque tant que n’a pas été établi le danger induit par ce transfert. Notredéfinition du risque demande cependant à être affinée pour bien saisir l’objet du principede précaution. Ainsi, est-il essentiel d’établir une première distinction entre risque avéréet risque potentiel. On parlera d’un risque avéré si l’inconnu concerne la survenance d’un

3 EWALD François, « Le retour du malin génie. Esquisse d’une philosophie de la précaution », in GODARD Olivier (dir.), Leprincipe de précaution dans la conduite des affaires humaines, Edition de la maison des sciences de l’homme et édition de l’INRA, 1997

4 DE SADELEER Nicolas, Les principes du pollueur-payeur, de prévention et de précaution, Bruylant, 1999

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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risque connu. La définition « juridique » du terme de risque donnée par le dictionnaire le PetitRobert désigne en ce sens l’« éventualité d’un événement ne dépendant pas exclusivementde la volonté des parties et pouvant causer la perte d’un objet ou tout autre dommage ».Ce type de risques renvoie à des mécanismes de prévention et d’assurance classiques quidiffèrent d’une démarche de précaution. Celle-ci sera en effet introduite en présence derisques dits potentiels. Il s’agit là de risque de risque, c’est-à-dire de la probabilité qu’unehypothèse se révèle exacte. Malheureusement, la confusion est souvent faite par l’opinionpublique relayée par les médias et les politiques. Ainsi des accidents comme celui survenudans le tunnel du Mont Blanc en 1999 relèvent de la prévention, même si beaucoup sefourvoient et invoque le non-respect du principe de précaution dans cette affaire. Pourtantprincipes de prévention et de précaution, sans être opposés, sont de natures très distincteset appellent des mesures différentes. Ces deux approches peuvent même parfois se révélercontradictoires concernant un même sujet. C’est ainsi qu’en 1998, le principe de précautiona amené les autorités à supprimer la vaccination scolaire recommandée au titre de laprévention contre l’hépatite B, « en dépit d'un rapport bénéfices/risques très favorableà la prévention systématique »5. De plus, si beaucoup de risques avérés ont été parle passé des risques potentiels, de nombreux risques potentiels n’ont pas été avérés ;certaines craintes qui ont accompagné la naissance d’inventions révolutionnaires nous fontaujourd’hui sourire. Ainsi, à l’époque des débuts des chemins de fer a été sérieusementprise en compte l’hypothèse d’une asphyxie des passagers lors de la traversée des tunnels.De même, avec l’invention de l’automobile à la fin du XIXème siècle étaient apparues descraintes quant à la résistance de l’organisme à des vitesses supérieures à 20 km/h.

Revenons maintenant à une tentative de définition du principe de précaution. Lesjuristes s’accorderont à dire que le principe de précaution est aujourd’hui utilisé comme unenorme juridique par les juges communautaire et français, de manière relativement fréquente.Mais, le contenu de ce principe reste très controversé. Aucun texte le consacrant ne ledéfinit de manière précise et la doctrine est divisée sur le sujet. Pour certains, le principe deprécaution ne serait qu’un simple principe programmatoire, d’autres considèrent en vertude ce caractère flou qu’il peut être considéré comme un « standard juridique du droit del’environnement »6, que la bonne foi en droit des obligations. Pour d’autres encore, leprincipe de précaution constitue un principe d’action mettant en œuvre le véritable standardque serait le doute légitime7. Toutefois aucune appréciation tranchée ne semble adéquatecar, comme le souligne Nicolas de Sadeleer «l’identification du statut juridique du principede précaution réclame une appréciation nuancée plutôt qu’un jugement catégorique quimutilerait la souplesse inhérente caractérisant ce type de normes »8. Philippe Kourilskyet Geneviève Viney dans leur rapport au premier ministre de 1999 ont considéré que leprincipe de précaution définissait « l’attitude que doit observer toute personne qui prend unedécision concernant une activité dont on peut raisonnablement supposer qu’elle comporteun danger grave pour la santé ou la sécurité des générations actuelles ou futures, ou pourl’environnement. Il s’impose spécialement aux pouvoirs publics qui doivent faire prévaloir lesimpératifs de santé et de sécurité sur la liberté des échanges entre particuliers et entre Etats.

5 Voir à ce sujet l’article du Monde : NAUJean-Yves, « M. Kouchner suspend les campagnes scolaires de vaccination contrel'hépatite B », Le Monde, 3 Octobre 1998

6 JÉGOUZO Yves, « Les principes généraux du droit de l’environnement », Revue française de droit administratif (RFDA),1996, n°2

7 MARTIN Gilles, « Apparition et définition du principe de précaution », Les Petites Affiches (LPA), 2000, n°2398 DE SADELEER Nicolas, « Les avatars du principe de précaution en droit public : effet de mode ou révolution silencieuse ?

», RFDA, 2001, n°3

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Introduction

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Il commande de prendre toutes les dispositions permettant, pour un coût économiquementet socialement supportable, de détecter et d’évaluer le risque, de le réduire à un niveauacceptable et, si possible, de l’éliminer, d’en informer les personnes concernées et derecueillir leurs suggestions sur les mesures envisagées pour le traiter. Ce dispositif deprécaution doit être proportionné à l’ampleur du risque et peut être à tout moment révisé»9. A défaut d’être concise, cette définition du principe de précaution compte parmi les pluscomplètes et recouvre différents aspects essentiels. Cependant elle reste doctrinale et n’apas de valeur juridique réelle.

Une des principales difficultés de la transposition en droit positif réside danscette ambiguïté du principe. Le principe de précaution est en effet à la fois généralet spécifique. Il touche à une double réalité : conceptuelle d’une part dans sonacception générale comme une attitude sociale face à la nature incertaine del’évolution scientifique et technique ; contextuelle d’autre part en revêtant desdéfinitions spécifiques selon les contextes d’opérationnalisation. De plus, le principede précaution fait appel à des domaines très divers. L’éthique et la philosophie sontau cœur du raisonnement de précaution qui pose la question du niveau de risquepouvant être imposé à des tierces personnes, au sein de notre génération commepar rapport aux générations futures. L’économie est également concernée dans lamesure où la démarche de précaution va s’efforcer d’établir des fonctions coûts-avantages privés et sociaux des mesures envisageables. Le rôle du politique va êtrede composer avec les intérêts des différents groupes concernés pour déterminer uneévaluation sociale des risques et instaurer des limites socialement acceptables. Enfin unetransposition en droit positif de ce principe va permettre de déterminer un statut de laprécaution, ainsi que les procédures et modalités d’application de ce principe ou encore lessanctions applicables.

Cette traduction juridique pose également une difficulté majeure, celle de la sanctionjuridique d’une obligation morale, ce que le droit se refusait à faire jusqu’alors. Certes ledroit reconnaît deux types d’obligations : celle de ne pas nuire à autrui et celle, morale, desecours aux pauvres. Cependant seule la première est susceptible de sanction juridique,évitant le piège de la confusion entre morale et droit. Ainsi l’enjeu de cette écriture juridiqueréside dans la distinction entre une éthique de précaution, d’application universelle, et leprincipe de précaution, principe juridique effectif qui en assurerait la mise en œuvre dans uncontexte déterminé par la loi. Dès lors deux attitudes sont possibles, mêmes si elles ne sontpas exclusives l’une de l’autre. Une première attitude dite normative consiste à proposerune définition précise du principe de précaution, dans la continuité d’une tradition françaiseplutôt moralisante. Une seconde vision, dite positiviste, s’attache à dégager des référenceset des pratiques communes à partir des textes visant le principe de précaution.

Un examen des mesures prises et à prendre, à la lumière du principe de précautiondans un domaine précis, peut nous éclairer sur l’efficience de ce dernier. Les OGM, commenous le verrons plus précisément par la suite, constituent un véritable cas d’école pourl’application du principe de précaution : il s’agit d’une innovation scientifique aux dimensionscomplexes, marquée par l’incertitude. Essayons dans un premier temps de comprendrecette découverte et sa diffusion.

La définition des OGM n’est pas toujours homogène selon les textes. Le plus simpledans cette introduction est d’en donner une définition scientifique, quitte à revenir sur lesdifférentes déterminations effectuées par les textes législatifs. Ainsi l’Institut national pour

9 KOURILSKY Philippe et VINEY Geneviève, Rapport au Premier ministre sur le principe de précaution, Odile Jacob/LaDocumentation française, 2000

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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la recherche agronomique (INRA) définit-il les OGM comme « des organismes, végétaux,animaux ou microorganismes, issus de cellules dans lesquelles une information génétiqueétrangère a été volontairement introduite » Ils peuvent être utilisés à des fins de recherche« pour élucider les fonctions des cellules, les interactions entre organismes, caractériserla biodiversité, ou comprendre les fondements de la qualité des produits alimentaires »ou comme « des innovations potentielles telles que souches de microorganismes pourl'industrie, nouvelles variétés de plantes, animaux exprimant des caractères particuliers ».En des termes plus imagés, les OGM sont donc des « chimères génétiques ».

Les premières manipulations transgéniques sont effectuées au début des années 1970avec l’intégration de gènes étrangers dans une bactérie. Quelques années plus tard, ungène humain codant pour l’insuline est introduit dans la bactérie Escherichia coli, afinque cette dernière produise l’hormone utilisée dans le traitement du diabète. Aujourd'hui,cette insuline produite à partir d’OGM permet de couvrir les besoins des malades quene satisferait pas la production en provenance de pancréas d’origine animale. Au coursdes années 1980 enfin, les chercheurs ont développé une technique d’insertion de gènechez les végétaux : la première plante génétiquement modifiée voit le jour en 1983. C’està partir des années 1990 que les plantes génétiquement modifiées ont, dans certainspays, quitté les laboratoires pour être cultivées pour l'alimentation animale ou humaine. EnEurope, la Commission décide d’autoriser la commercialisation dans les pays de l’Unioneuropéenne d’un maïs transgénique en décembre 1996. Alors que l’Europe hésite toujoursentre autorisations et moratoires, des pays comme les Etats-Unis, le Canada ou l’Afriquedu Sud se lancent dans la culture à grande échelle de plusieurs variétés d’OGM, suivis parde nombreux pays en développement.

Le problème qui cristallise les débats reste en grande majorité celui de la culture deplantes OGM à des fins d’alimentation, animale ou humaine. En 2008 les OGM continuentde gagner du terrain sur les cultures conventionnelles. Le rapport10 publié cette annéepar l’ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications) fait étatd’une progression des cultures OGM de 12% entre 2006 et 2007. Ainsi en 2007, lesprincipales cultures OGM recouvraient 114,3 millions d’hectares, soit plus de 28 % dessurfaces mondiales en culture de canola, coton, soja et de maïs, représentant une valeurglobale de 6,90 milliards de dollars, dont 1,6 milliards de dollars concernaient les pays envoie de développement. Concernant les principaux pays producteurs, ils sont seulementsept pays sur vingt-trois à concentrer sur leur territoire97% de la superficie mondiale cultivéeen OGM. Les Etats-Unis se placent logiquement en tête avec 51% de la superficie descultures OGM sur leur territoire. L’Argentine et le Brésil cultivent respectivement 17% et13% de la superficie mondiale. Viennent ensuite le Canada, l’Inde, la Chine et le Paraguay.Il faut néanmoins noter que 90% des 12 millions d'agriculteurs utilisant des semencesOGM vivent dans des pays en voie de développement. Enfin, si les variétés cultivées enOGM ne sont pas pléthore, la proportion de semences OGM y est conséquente. Toujoursen 2007, 64% des cultures de soja, 43% des cultures de coton et 24% des cultures demaïs étaient génétiquement modifiées. De nouvelles plantes viennent tout de même grossirla liste des OGM cultivés dans le monde, comme les peupliers transgéniques résistantsaux insectes, plantés en nombre (250 000) par la Chine dans le cadre de son effort pourla reforestation. Dernière tendance récente dans le développement des cultures d’OGM,l’arrivée de plantes produites à des fins autres qu’alimentaire et vestimentaires, pour la

10 CLIVE James, État mondial des plantes biotechnologiques/GM commercialisées : 2007 , International Service for theAcquisition of Agri-biotech Applications (ISAAA), 2008, ISAAA Briefs n°37

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Introduction

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production d’agrocarburants. Un nouveau débouché qui devrait être appelé à s’étendre dansles prochaines années.

Malgré un succès croissant, un certain nombre de questions éthiques, sanitaires etenvironnementales subsistent à propos des OGM. Des interrogations qui rencontrent unécho tout particulier en France et plus globalement en Europe, où le développement desOGM est freiné par les invocations incessantes du principe de précaution. Il faut néanmoinsprendre conscience que la solution du moratoire choisie par plusieurs pays européens, dontla France, ne fait que repousser un problème qui appelle pourtant des décisions rapides etfermes. Les chiffres précités démontrent que les cultures OGM sont aujourd’hui une réalitéque nous ne pouvons plus ignorer. Aux autorités publiques de déterminer, en accord avecla société civile, des mesures de précaution efficaces, suffisantes mais non excessives.

La modération semble devoir diriger le principe de précaution. Nous devons veillerà ne pas tomber dans la paranoïa stérile des plus radicaux qui interprètent trop souventle principe de précaution comme un droit de veto contre les avancées scientifiques ettechnologiques qui les effraient. A l’inverse, nous ne pouvons transmettre en héritageaux générations futures un environnement vicié par nos expérimentations égoïstes etirresponsables. Trouver un juste milieu comporte son lot de difficultés mais les effortsdoivent être faits dans ce sens. A la fausse sagesse populaire qui dans le doute prônede s’abstenir, le principe de précaution répond « dans le doute, agis ». Le principe deprécaution peut être, et doit être, le fondement d’une dynamique positive et ainsi permettrela gestion raisonnée d’innovations scientifiques ou technologiques prometteuses maisencore incertaines. L’enjeu dès lors est de définir les contours d’une véritable politique deprécaution : comment formuler le principe de précaution de telle sorte qu’il ait un contenueffectif mais maîtrisable, sans pour autant être dépassé à la moindre évolution de la situationde fait ? De manière plus concrète, quelles mesures mettre en œuvre pour une applicationpositive et raisonnée du principe au cas des OGM, et tout particulièrement des plantesgénétiquement modifiées ?

Il importe dans un premier temps de préciser le champ d’application duprincipe de précaution, qui doit s’appliquer à des innovations dont les conséquencessont potentiellement dommageables pour l’environnement (partie 1). Le droit s’estprogressivement saisi de ce principe, aux fondements pourtant plus éthiques que juridiques,pour arriver à en faire une norme au pouvoir contraignant (partie 2). Néanmoins son contenureste mal défini. De ce fait, dans une exigence d’efficacité, il appartient au législateur dedéfinir des procédures d’application d’ordre général rendant le principe de précaution pluseffectif (partie 3).

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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Partie 1 - Circonscrire les risquespotentiels liés à une innovationscientifique aux conséquences encoremal maîtrisées : l’objectif fondamentaldu principe de précaution

La raison d’être du principe de précaution réside dans la circonscription des risquesqui peuvent survenir avec l’exploitation d’innovations scientifiques dont les tenants etaboutissants ne sont pas complètement connus et maîtrisés et peuvent présenter unemenace pour la santé ou l’environnement. Nous verrons que les OGM constituent unvéritable cas d’école pour l’application du principe (1.1.). Néanmoins cet objectif de maîtrisedes risques potentiels ne doit pas se matérialiser par une démarche paralysante : la miseen œuvre du principe de précaution doit être précédée d’une analyse coûts/avantagesmultidimensionnelle (1.2.).

1.1 Les OGM, terrain de prédilection de l’applicationdu principe de précaution

De part leur nature et de part les risques potentiels sont associés à leur développementet à leur utilisation, les OGM sont souvent, et à juste titre, présentés comme le terraind’application (ou d’expérimentation ?) idéal du principe de précaution. Dans un premiertemps, un retour sur les fondements philosophiques et éthiques (1.1.1.) du principe deprécaution permettra de mieux cerner le champ d’application de celui-ci. Dans une secondepartie plus factuelle, un exposé des risques potentiels associés aux biotechnologies (1.1.2.)nous aidera par la suite à mieux proportionner les mesures à mettre en œuvre dans le casprécis OGM.

1.1.1 Protéger le futur des conséquences incertaines d’une innovationscientifique : la raison d’être du principe de précaution

Approfondissons ici les deux causes principales du succès du principe de précaution,évoquées en introduction, qu’ont été la prise de conscience du besoin de préserver notreenvironnement pour les générations futures et le développement d’innovations scientifiquesdont les chercheurs ne connaissent ni ne maîtrisent toutes les conséquences.

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Partie 1 - Circonscrire les risques potentiels liés à une innovation scientifique aux conséquencesencore mal maîtrisées : l’objectif fondamental du principe de précaution

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1.1.1.1 Préserver notre environnement pour les générations futures : undevoir moralLe principe de précaution peut être défini comme une « vision actualisée de la sagesseancestrale qui préconise la prudence dans la conduite des affaires humaines »11 Aristotele premier a développé le concept phronesis. Cette prudence est pour Aristote la vertu dumonde humain, opposée à la sophia, vertu du monde des idées. Il s’agit d’un savoir quifait appel à la raison non plus théorique mais calculatrice, qui mesure les avantages etdésavantages, un savoir dont la fin n’est pas le savoir pour lui-même, mais qui est constituéen vue de l’action. Dans l’éthique à Nicomaque Aristote établit que l’homme prudent(phronimos) est capable de « délibérer correctement sur ce qui est bon et avantageuxpour lui-même […] et d’une façon générale ». Ainsi les phronimoi sont ceux qui, commele stratège athénien Périclès, « possèdent la faculté d’apercevoir ce qui est bon pour eux-mêmes et ce qui est bon pour l’homme en général ». L’homme prudent est doué de memoria,il retient les leçons du passé, d’intelligentia, il discerne l’essentiel dans le présent, et deprovidentia, il prévoit l’avenir ; il est donc capable de précaution et saura prévoir à long terme.Cicéron reprend ces idées et en retire la notion de prudentia – traduite par prudence. Dansla pensée du philosophe romain, la prudence est une vertu, définie comme « la capacitéde distinguer ce qui est bien de ce qui est mal »12. Une véritable éthique de la prudencecomprend dès lors différentes vertus, corollaires de son exercice : le concilium, soit la facultéde prendre une décision et de s’y résoudre ; la fortitudo, ou force d’âme ; la temperantia,l’art de limiter ses passions ; la justicia, la justice et l’humanitas. L’homme prudent, doté detoutes ces qualités, est pour Cicéron « celui qui prévoit ». La précaution devient dès lors uneffet empirique de la prudence. Ces idées, mêmes si elles ont été élaborées dans l’Antiquité,loin du développement scientifique et technique potentiellement destructeur actuel, peuventnous fournir certaines orientations éthiques dans notre démarche de précaution. Retenonsdonc que la précaution ne saurait exister seule sans une éthique de la prudence ausens aristotélicien. Elles se doivent cependant d’être complétées par des réflexions pluscontemporaines.

Attardons nous quelque peu sur cette prise de consciente relativement récente desdangers potentiels des technologies modernes et du besoin de transmettre à nos enfantsun environnement sain. Hans Jonas est le théoricien de l’attitude de précaution au niveauphilosophique et éthique. Le philosophe allemand a réfléchi tout au long de sa vie et deson œuvre aux problèmes éthiques posés par notre civilisation technicisée en rapportavec l’environnement naturel, et notamment avec la vie humaine et l’ensemble de labiosphère. Ainsi s’intéresse-t-il aux problèmes environnementaux ou encore aux problèmessoulevés par les techniques du génie génétique. La crise environnementale au-devant delaquelle nous courrons réclame une nouvelle éthique. Celle proposée par Hans Jonasest radicalement nouvelle car elle a comme objet central non plus l’homme – comme cefut le cas des principaux courants de pensée jusqu’à ce jour – mais la nature. Sa thèseest énoncée dans son œuvre principale, Le Principe responsabilité – une éthique pourla civilisation technologique, publié en 1979, et développée dans divers ouvrages, dontPour une éthique du futur publié au début des années 1990. La pensée de Jonas estguidée par une idée, celle de la responsabilité face aux générations futures dont nousavons l’exigence d’assurer la survie dans les meilleures conditions possibles. Ainsi est-ilstipulé dans Le principe responsabilité que nous nous devons d’« agi[r] de façon que les

11 VAN GRIETHUYSEN Pascal. « Le principe de précaution : quelques éléments de base », Cahier RIBios, Genève, mars 2004,cahier n°412 De inventione, II, 160

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effets de [notre] action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquementhumaine sur terre ». La notion de responsabilité chez Jonas ne renvoie donc pas à unedéfinition classique d’une responsabilité née de la propriété ou d’une obligation de réparerles dommages causés à autrui, mais à un devoir moral envers ceux qui nous succéderont.C’est pourquoi nous nous devons de contrôler l’innovation scientifique et technologique etnous assurer qu’elle ne conduit pas à dégrader l’environnement ou ne présente pas undanger pour la vie humaine. Pour Hans Jonas, l’urgence commande que l’on soit davantageà l’écoute des prophéties de malheur que des prophéties de bonheur.C’est ce qu’il nommel’ heuristique de la peur. Il faut sans conteste replacer ce concept dans l’ensemble de lapensée de Jonas : face au vide éthique de notre époque l’heuristique de la peur relève d’unretour au sacré. La peur n’est plus un sentiment égoïste de repli et de conservation de soimais devient une vertu d’ouverture aux autres êtres : nous ne devons plus avoir peur dequelque chose, mais avoir peur pour autrui. « La responsabilité est la sollicitude, reconnuecomme un devoir, d’un autre être, qui lorsque sa vulnérabilité est menacée devient un sefaire du souci ». Il s’agit dès lors d’imaginer le pire pour qu’il ne se produise pas. Bien sûrune telle idée exige de la nuance, ceux qui l’embrasse de façon inconditionnelle ne faisantque s’opposer systématiquement à certains progrès, ne voyant que les risques associés àcertaines innovations et non ceux de leur abandon. On peut bien sûr reprocher à la penséede Jonas son manichéisme et la diabolisation de la technologie qu’elle peut introduire sansune réflexion supplémentaire de la part du lecteur. Mais Le principe responsabilité et lesouvrages suivants ont été écrits dans l’urgence, dans une situation où nos technologiespossèdent un potentiel de destructions irréversibles indéniable. Gardons à l’esprit certainsde ces préceptes qui fournissent une justification éthique et philosophique au principede précaution. Il est absolument nécessaire d’accompagner les progrès de la science etde s’entourer de précaution face aux risques de l’avenir. Dans cette optique il convientd’articuler l’usage juridique de la précaution qui s’effectue à court terme, sur des cas précis àun usage éthique de la prudence qui peut nous dicter ce qui est bon sur le long terme. Cettedémarche de précaution doit néanmoins mobiliser la raison et la volonté pour ne pas glisservers la peur stérile. Une lecture nuancée des travaux de Hans Jonas nous montre que lavision de l’avenir est essentielle et a une fonction intellectuelle et une fonction émotionnellepouvant guider nos choix.

1.1.1.2 Une prise de conscience nécessaire : le risque zéro n’existe pasRevenons maintenant sur la raison d’être concrète du principe de précaution, à savoir ledéveloppement de l’incertitude dans la science. Il s’agit là du postulat de base du principede précaution. Une démarche de précaution ne peut et ne doit être mise en œuvre qu’enprésence d’une innovation scientifique aux conséquences incertaines, dans le cas donc,où des risques potentiels peuvent être identifiés. Il faut en effet accepter - aujourd’huidavantage encore – qu’en sciences le risque zéro n’existe pas. En effet si la dangerositéd’une technique peut être prouvée, l’absence de risque est beaucoup plus délicate àdémontrer. Ainsi même si à ce jour aucune étude scientifique n’a établi de façon catégoriquela nocivité des OGM, cela ne signifie pas pour autant que cette technologie ne présenteaucun risque. Il est aujourd’hui nécessaire pour Philippe Kourilsky de « prendre conscienceque la science contemporaine est fondée sur l’incertitude » et l’admettre. A cet égardl’invocation systématique et trop souvent inappropriée du principe de précaution apparaîtcomme « une quête insensée du risque zéro », toujours selon Philipe Kourilsky. Il fautaccepter de prendre certains risques afin de développer des projets prometteurs dont lesbénéfices attendus compenseront à l’avenir les risques encourus. C’est pourquoi, répétons-

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le encore, le principe de précaution ne doit pas être pensé comme un principe d’abstentionenrayant le développement scientifique et économique mais comme un principe d’action.

Les OGM rentrent incontestablement dans la catégorie des innovations scientifiquesconcernées par le principe de précaution. Les risques qui y sont associés ne sont eneffet ni démontrés, ni avérés mais potentiels. De plus il s’agit là d’une technologie dontles conséquences éventuelles, du moins sur l’environnement, s’avéreront probablementtrès difficilement réversibles, voire irréversibles. Cette question de la réversibilité que nousn’avons pas encore approfondie est centrale dans la décision de mettre œuvre le principede précaution et dans le choix de son degré d’application. Le premier élément à prendreen compte reste bien évidemment la gravité du ou des danger(s) envisageable(s) dufait de l’innovation, mais il faudra être beaucoup plus prudent lorsque ces conséquencespotentiellement néfastes se montrent malaisément réversibles. Ces deux critères sontd’ailleurs ceux retenus par la majorité des textes en vigueur, qui seront examinés dansla deuxième partie. Ce problème de l’irréversibilité est parfois contesté par les plusgrands opposants au principe de précaution. On peut ainsi noter que les économistesles plus libéraux refusent catégoriquement la mise en œuvre du principe de précautionqui entraverait le développement scientifique, technologique et économique de la société,l’abstention lui portant alors plus gravement préjudice que les dommages collatérauxindissociables d’un progrès scientifique non maîtrisé. Les détracteurs du principe deprécaution les plus virulents préconisent de ce fait de laisser les générations futures gérerles dommages provoquées par nos échecs, présumant que nos descendants disposerontun jour ou l’autre des technologies nécessaires pour faire face à leurs conséquences. C’estle cas du (très) libéral correspondant scientifique du magazine américain Reason, RonaldBailey, qui critique vertement le principe de précaution comme plaçant la protection del’environnement au-dessus de toute autre valeur (y compris la santé humaine) et paralysant

toute velléité d’innovation. Dans son article intitulé Precautionary Tale 13 il estime que

l’exigence introduite par le principe de précaution de démontrer de façon inconditionnellel’innocuité d’une technologie avant de la produire, voire avant même de l’expérimenter à uneéchelle conséquente, témoigne d’une méconnaissance d’une caractéristique essentielledu progrès. En effet le journaliste américain considère que « toutes les technologiesservent de passerelles vers d’autres technologies, vers de meilleures alternatives », citanten exemple la production d’énergies fossiles, certes polluantes, mais sans lesquellesl’humanité serait aujourd’hui incapable de développer la production d’énergie solaire,plébiscitée par les écologistes, une énergie coûteuse, nécessitant des connaissancestechnologiques avancées. De plus, aussi polluantes soit-elles, les énergies fossiles utiliséesactuellement le sont beaucoup moins que le charbon. Pour Ronald Bailey nous ne pouvonspas anticiper toutes les ramifications d’une technologie, encore moins deviner si celle-ci serévélera, à terme, bénéfique ou coûteuse pour l’humanité et l’environnement. Néanmoinsune position aussi extrême reste très minoritaire et s’attache à une vision caricaturale duprincipe de précaution. De plus une telle décharge sur les générations futures, suspenduesau bon vouloir de l’évolution des connaissances, apparaît au mieux comme égoïste, aupire comme suicidaire. Si, bien sûr, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et rejetertoute forme de progrès, nous pouvons néanmoins accepter et gérer des risques calculés,en appliquant non pas un principe de précaution intransigeant, mais un principe raisonné etraisonnable, qui tient compte des doutes comme des bénéfices attendus d’une innovationtelle que les OGM.

13 BAILEY Ronald, « Precautionary Tale », Reason , 1999, n°334

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1.1.2 Les risques potentiels liés aux OGMComme expliqué précédemment, les OGM doivent être abordés de manière prudente etsoumis au principe de précaution du fait que subsistent à leur sujet des doutes plus oumoins sérieux sur leur dangerosité. La plupart des OGM ne sont pas nocifs en eux-mêmesmais peuvent cependant générer des conséquences fâcheuses qui ne sont pas connuesde façon exhaustive ou qui ne sont pas maîtrisables. Ces risques hypothétiques concernentprincipalement deux domaines : celui de la santé humaine et celui de l’environnement. Noustenterons ici de dresser un panorama - non exhaustif et relativement simplifié - des risquesles plus souvent évoqués.

1.1.2.1 Les risques pour la santé des produits génétiquement modifiésUn certain nombre d’inquiétudes concernant la sécurité des OGM du point de vue de lasanté humaine ont été soulevées jusqu’à ce jour, sans qu’aucune ne soit formellementétayée. Force est de constater que depuis plus d’une décennie maintenant, des millionsde personnes ont consommés des aliments dérivant de cultures génétiquement modifiées(principalement du soja, du maïs et du colza) sans que l’ont ait constaté d’effets contraires.Quelques points d’interrogation subsistent néanmoins.

Des doutes peu étayés sur la toxicité des plantes génétiquement modifiéesConcernant la toxicité tout d’abord, des doutes subsistent à propos des plantes

génétiquement modifiées produisant des pesticides. La persistance de produits dérivés despesticides, dans la mesure où ces plantes y sont résistantes est considérée comme unpremier risque potentiel. Au sujet des produits génétiquement modifiés eux-mêmes, il fautsavoir que l’évaluation de la toxicité est d’un niveau de sécurité égal, voire supérieur, à celledes aliments courants. Des doutes peuvent néanmoins subsister pour ce qui est des effetspotentiels de ces produits sur les systèmes vitaux, c'est-à-dire les systèmes immunitaires,hormonaux et reproducteurs. Les tests de toxicité classiques sont des tests de toxicitéaiguë et ne permettent pas d’effectuer de prédictions sur le long terme relatives à la toxicitéchronique potentielle des OGM. Les tests sur longue période en laboratoire ne sont eneffet pas fiables à l’heure actuelle puisqu’ils ne permettent pas de distinguer les variationsbiologiques « normales » des effets éventuels de la consommation d’OGM.

Des doutes plus sérieux concernant quant à l’allergénicité des OGMLes doutes touchant à l’allergénicité des OGM sont un peu plus étayés, sachant que

la fréquence croissante des allergies alimentaires dans le monde implique une surveillanceaccrue du phénomène. A priori le plus grand risque d’allergénicité réside dans le mélangedes espèces rendu possible par la technique de la transgénèse. Un gène allergisant prélevésur une espèce peut en effet être intégré au patrimoine génétique d’une seconde espècequi ne devrait pas être susceptible de le contenir. Le risque réside donc principalementdans l’ignorance des consommateurs de la présence du gène allergène dans le produitqu’ils achètent. Jusqu’à aujourd’hui les tests classiques14 qui ont été effectués sur lesproduits génétiquement modifiés avant toute commercialisation ont permis de prévenir cesrisques. Par exemple les scientifiques ont pu mettre en évidence la présence de l’allergènemajeur de la noix du Brésil dans un soja transgénique et faire cesser la production decet OGM. Cependant les méthodes classiques risquent de se révéler insuffisantes avec ledéveloppement des OGM de deuxième génération. Notons également qu’il existe certaines

14 Il s’agit des tests effectués sur les aliments courants avant toute mise sur le marché, effectués en comparant les séancesprotéique avec les allergènes connus, ainsi que de tests in vitro et in vivo avec le sérum de patients allergiques.

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coïncidences troublantes, même si elles n’ont pas fait à ce jour l’objet de démonstrationscientifique. Ainsi, les cas d’allergies imputables à la consommation de soja ne cessentde croître. Or depuis quelques années on assiste à l’arrivée massive de variétés de sojatransgénique sur le marché.

Le problème de la résistance aux antibiotiquesEnfin la résistance aux antibiotiques est une des préoccupations majeures en matière

sanitaire, plusieurs OGM de première génération ayant été créés au moyen de gènesmarqueurs15 résistants aux antibiotiques. Or il a été prouvé que le transfert de gène d’uneplante génétiquement modifiée à une bactérie était possible : les plantes en se dégradantlaissent leur ADN dans le sol d’où il peut être intégré par certaines bactéries devenantde ce fait résistantes à une classe de médicaments, ceux contenant de l’Ampicilline entreautres exemples. Dès lors même si la probabilité reste faible, le gène de résistance auxantibiotiques peut être transporté, notamment par l’intermédiaire des nappes phréatiques.Cependant ce risque est d’autant plus faible que de telles variétés d’OGM ne sont plusdéveloppées aujourd’hui.

De l’avis général, les risques liés aux OGM pour la santé humaine sont très limités. Desdoutes beaucoup plus sérieux sont émis par la communauté scientifique dans son ensembleà propos des conséquences des plantes génétiquement modifiés pour l’environnement.

1.1.2.2 Les risques pour l’environnement liés aux OGMCe sont donc les risques concernant l’environnement qui sont les plus préoccupants àl’heure actuelle. Certains d’entre eux sont clairement identifiables, d’autres sont encore austade de l’hypothèse.

La dissémination involontaire des gènes manipulés dans l’environnementLe problème principal concerne la dissémination involontaire des gènes manipulés et la

contamination des populations sauvages ou des cultures avoisinantes. Ce transfert de gènes’effectue principalement par la pollinisation aérienne, mais peut également se produire dufait de fuites lors des transports, des résidus après stockage et de la présence humaine dansles champs ou encore par le sol avec le transfert d’un transgène vers une bactérie. Nousreviendrons plus largement par la suite sur ce problème de la contamination involontaire.

Les conséquences des OGM sur les insectes utiles non ciblésOn relève également la sensibilité de certains organismes non ciblés, les insectes non

nuisibles par exemple. Ainsi les maïs transgéniques Bt16 modifiés pour se défendre contreles insectes nuisibles comme la pyrale tuent également des insectes utiles. L’exemple le plusrévélateur étant celui des larves de chrysopes vertes, prédatrices des chenilles dévoreusesde maïs, qui sont empoisonnées par la toxine présente dans l’estomac de ces dernières,rendue plus nocive encore par le processus de digestion. Les gènes modifiés entrentainsi dans la chaîne alimentaire et peuvent provoquer des perturbations conséquentes deséquilibres écologiques entre les populations d’insectes.

Des risques indirects liés à l’augmentation de la pulvérisation d’herbicides totaux

15 Un gène marqueur est un gène que l’on rajoute à une construction génétique afin de mieux dépister les évènements detransformation génétique.

16 Les maïs Bt sont des variétés de maïs qui ont été modifiées génétiquement pour leur conférer une résistance aux principauxinsectes nuisibles du maïs par la sécrétion d’une toxine secrétée par une bactérie nommé Bacillus thuringiensis.

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L’utilisation accrue de produits chimiques en agriculture du fait du développementd’OGM tolérants aux herbicides totaux pose également un réel problème. La pulvérisationmassive de ces herbicides – Roundup et Liberty principalement – auxquels seules lesplantes génétiquement modifiées résistent tend à réduire dramatiquement la variété desplantes et donc à conduire à un appauvrissement de la biodiversité. En effet la destructionde certaines herbes attirant oiseaux, abeilles et papillons en réduit les populations. De plusl’apparition d’insectes nuisibles résistants à la toxine secrétée par la plante, si elle n’est pasavérée, est très probable. Ces insectes « super résistants » constitueraient une menacesérieuse pour les cultures, dès lors sans défenses. Une telle situation entraînerait biensûr la mise au point de nouveaux pesticides, toujours plus puissants et plus nocifs pourl’environnement. Les risques encourus du fait d’une utilisation exponentielle des herbicidestotaux auxquels résistent les OGM ne sont pas non plus négligeables lorsque l’on connaîtla toxicité de ces produits hypocritement présentés comme écologiques. Le Roundup esten effet la troisième cause de maladies liées à la manipulation des pesticides par lesagriculteurs américains et divers programmes de recherches ont mis en lumière ses effetscancérigènes. Pour exemple, les recherches du CNRS de Roscoff sur le Roundup menéesen 2002 sur des embryons d’oursin ont mis en lumière l’action de l’herbicide sur le régulateurde la division cellulaire, dont le dysfonctionnement est à l’origine du développement descancers. Selon des études plus récentes réalisées mai 2007 par l’équipe du professeurGilles-Eric Séralini, membre du Comité de recherche et d’information indépendantes sur legénie génétique, « on observe les premiers effets toxiques [du Roundup] à des doses 10000 fois moins concentrées que la formulation vendue en magasin ». Le Roundup est, enoutre, plus toxique que son principe actif (le glyphosate) alors que la majorité des tests avanthomologation sont conduits sur cette seule molécule. Ces résultats demandent bien sûr àêtre confirmés par des études plus poussées, mais ils n’en restent pas moins troublants.

L’ensemble de ces risques, plus ou moins hypothétiques, appellent une démarchede précaution, principalement en ce qui concerne l’exploitation agricole des techniquesdu génie génétique. Nous remarquerons en effet que la grande majorité de ces risquesconcerne l’utilisation d’OGM à des fins agricoles et alimentaires, non pas la recherchemédicale, principalement cantonnée aux laboratoires. Dans certains cas, notamment à desfins médicales, l’utilisation d’OGM ouvre en effet des perspectives enthousiasmantes, dontil serait irresponsable de se priver. Une démarche de précaution tempérée se doit certesd’examiner les risques potentiels, mais également l’ensemble des bénéfices attendus.

1.2 Un principe de précaution raisonné : la nécessitéd’un calcul coûts/avantages avec la prise en comptedes bénéfices possibles

Le principe de précaution se doit avant tout d’être appliqué à lui-même. Il est bien tropsouvent compris par l’opinion publique comme un droit de veto invocable dès lors quedes doutes et des peurs apparaissent. Pourtant, si le principe de précaution recommandela prudence envers des technologies nouvelles aux conséquences incertaines telles queles OGM, il ne doit pas représenter un frein à l’innovation. Bien que protéger notreenvironnement soit vital, il faut considérer que ne pas développer la recherche dans certainsdomaines peut être plus préjudiciable encore aux futures générations. Il est des découvertes

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dont l’humanité n’aurait pu et ne pourra se passer. Or les risques sont inhérents au progrès.Un principe de précaution effectif consiste dès lors à essayer de qualifier ces risques età voir dans quelle mesure ils sont acceptables. Ainsi doit-on analyser les technologiesdu génie génétique selon un calcul coûts/avantages et en déterminer tous les enjeuxsocio-économiques avant de mettre en place une démarche de précaution raisonnée etadaptée. En ce qui concerne les OGM, nous devons non seulement constater que denombreux bénéfices sont attendus de l’exploitation cette technologie dans divers domaines(1.2.1.), mais également évaluer le coût socio-économique de nos décisions, qui aurontpotentiellement un impact tant sur la compétitivité économique de la France (1.2.2.) que surle développement des pays en développement (1.2.3.).

1.2.1 Les bénéfices attendus du développement et de l’utilisationd’OGM

En écho aux risques évoqués précédemment, il convient de présenter ici les avantagespressentis des OGM, de manière générale. Deux domaines sont particulièrementconcernés : la protection de l’environnement, à travers l’amélioration des modes deproduction agricole et industrielle, et la santé.

1.2.1.1 Les applications des OGM pour les besoins industriels et agricolesLa création de plantes tolérantes aux herbicides et résistantes aux insectes

Bien qu’elle soit souvent présentée comme négative en terme d’impact surl’environnement – et les doutes en la matière sont légitimes - l’utilisation des OGM ne peutêtre considérée sans observer la réalité actuelle des pratiques agricoles conventionnelles.L’intérêt ou le danger des OGM doit être examiné en comparant le risque environnementalque pourrait induire un modèle d’agriculture qui recourt trop fréquemment et tropabondamment à divers pesticides et herbicides polluants.

La tolérance aux herbicides , elle, est obtenue par une modification génétique dela plante qui la rend à même de dégrader l'herbicide total qu'elle reçoit. Il s’agit d’une desprincipales avancées apportées par les OGM aux agriculteurs. Aussi cette technologie est-elle utilisée sur plus de 75% des surfaces cultivées en OGM dans le monde en 2007.Dans le même ordre d’idées, la résistance à l'égard des ravageurs (pyrale pour lemaïs ou autres espèces de papillons pour le coton) résulte de la sécrétion par la plantede biopesticides, c'est-à-dire de pesticides généralement issus de bactéries pathogènespour les insectes. La production par la plante elle-même de bactéries pathogènes pourles insectes est plus efficace dans la lutte contre les insectes que la pulvérisationjusqu'ici pratiquée dans la lutte biologique, même si certaines interrogations subsistent surl’utilisation de cette technique. Les plantes peuvent bien sûr combiner la tolérance auxherbicides et la résistance à l’égard des ravageurs.

Deux raisons principales sont en général avancées par les agriculteurs pourjustifier de la culture de plantes génétiquement modifiées. D’une part les économiesengendrées par la réduction des intrants et d’autre part l'assurance de régularitéde la production vis-à-vis des aléas tels que les attaques d'insectes ravageurs. Ainsiau Canada, l’utilisation de variétés de colza résistantes aux herbicides permettrait auxagriculteurs de faire l’économie d’environ 6 000 tonnes de produits désherbants (soit 40%des frais de désherbage) et de 30 000 tonnes de carburants, un gain net évalué pour les

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agriculteurs à 14 dollars par hectare17. Selon la même source, les traitements insecticidessur les cultures de maïs auraient été réduits d'un tiers aux Etats-Unis et de 60 à 90% enAfrique du Sud grâce à l'utilisation de variétés Bt dont l'efficacité s'est montrée supérieureaux traitements chimiques habituels.

On retrouve ces propriétés principalement pour les cultures de maïs, de soja, decolza ou encore de coton qui font majoritairement l'objet d'une production agricoleintensive , recherchant une plus grande rentabilité. Ces avantages renvoient donc àun type d’agriculture bien précis et la pertinence de l’utilisation de ces OGM de premièregénération par des exploitations de plus petite taille, dans le cadre d’une agricultureraisonnée reste à démontrer. Rappelons également que des doutes quant aux risquespotentiels associés à l’utilisation de ces semences tolérantes aux herbicides ou résistantesaux insectes nuisibles subsistent, comme nous l’avons évoqué précédemment.

La création de plantes valorisant les éléments nécessaires à leur développement (eau,sels métalliques, nitrates …)

Même si les mécanismes de résistance à la salinité ou à la sécheresse sont encorepartiellement incompris, rien n’interdit d’espérer que les recherches en cours sur larésistance des plantes au manque d’eau ou encore au froid ou à la salinité contribuent àla fois à mieux préserver l’environnement par une moindre consommation d’une ressourcerare et à rendre possibles certaines cultures dans des pays qui en sont aujourd’hui privé.Ainsi le groupe Monsanto aurait-il élaboré et testé avec succès en milieu confiné des variétésde maïs et de soja résistantes à la sécheresse, en améliorant notamment l’efficacité de laphotosynthèse de la plante, permettant ne amélioration des rendements jusqu’à 30% dela production. De telles recherches sont également poursuivies en France par le groupeLimagrain – associé dans ce projet à l’INRA – mais ont pris un retard considérable du fait dela destruction en août 2004 des plants d’expérimentation par des militants anti-OGM. Nousreviendrons sur cette question des faucheurs par la suite.

La création de matériaux plus adaptées aux besoins industrielsLes technologies du génie génétique trouvent déjà diverses applications non

alimentaires dans l'industrie chimique. Ainsi la firme américaine Du Pont de Nemours a-t-elle développé en 2001 une fibre textile issue d'OGM, un polymère nommé Sonera.On peut ainsi obtenir diverses matières premières comme des biocarburants ou encoredes matériaux innovants comme des plastiques biodégradables. Les produits issus d’OGMsont généralement assez coûteux mais présentent néanmoins une meilleure qualité que lesproduits traditionnels ainsi que des avantages environnementaux non négligeables puisqueleur production est généralement moins polluante et moins gourmande en eau. Ainsi peut-on produire du bois avec une teneur réduite en lignine qui est un facteur de rigidité de cematériau et dont l’élimination est coûteuse et polluante du fait d’un usage massif de chlore.Ces produits génétiquement modifiés présentent aussi, comme signifié précédemment, lagrande qualité d’être biodégradables.

L’amélioration de la valeur alimentaire des plantesLes bénéfices des OGM pour les consommateurs restent à l’heure actuelle très

faiblement perceptibles, tout particulièrement du fait de la sensibilité aiguë du publicface aux risques dans ce domaine. Il est rarement communiqué sur les effets positifspotentiels de la consommation d’OGM, alors que la plus-value apportée par les OGMpourrait être de deux ordres : un prix moindre et des qualités nutritives supérieures. Ainsi

17 DOUCE Roland, « Les plantes génétiquement modifiées », Rapport sur la science et la technologie, Académie des sciences,2002, n°13

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certains produits OGM en vente aux Etats-Unis peuvent déjà présenter des caractèressusceptibles d'intéresser les consommateurs : des pommes de terre absorbant moinsde graisse à la cuisson et permettant d'obtenir des frites moins grasses ou encore destomates pouvant être cueillies à maturité et se conserver plus longtemps. Le développementprochain des OGM de seconde génération devrait particulièrement jouer sur la qualiténutritionnelle des produits puisque cette nouvelle technologie permettra de les enrichir. Eneffet, si les OGM de première génération ciblaient le développement de la productivitéet du rendement, le développement de cette nouvelle génération concerne davantageles qualités intrinsèques du produit (conservation, texture, qualités nutritionnelles…), ainsique le respect de l’environnement avec le développement des OGM S.A.G.E.18. Ainsi,la composition en acides gras des sojas, tournesols ou colzas pourrait être modifiéeafin d’obtenir des huiles de table meilleures pour la santé. De même la perspectived’un riz à teneur élevée en bêta carotène – riz doré - laisse envisager une utilisationdes OGM pour remédier à de graves déficiences nutritionnelles. Ouencore des variétésde riz hypoallergéniques pourraient être développées, une innovation considérable pourlespersonnes allergiquesau riz dans des pays où cet aliment est un aliment de base etamène un apport nutritif indispensable et bon marché.

1.2.1.2 L’usage thérapeutique des OGM : un développement indispensableIl est essentiel d’être conscient du fait que plus de 80 médicaments sont issus destechniques du génie génétique, comme l’insuline contre le diabète, l’érythropoïétine contrel’anémie, ainsi que certaines enzymes, hormones, anticorps...

La méthode du biopharming désigne la réalisation par transgénèse de plantesou d'animaux qui vont produire des produits pharmaceutiques. Pour le Professeur MichelThibier19, « l 'efficacité du biopharming peut être évaluée à mille fois plus que celledes techniques courantes, c'est à dire synthétisées artificiellement par l'homme ». Ainsi la société française BioProtein commercialise, des protéines utilisées dans letraitement du cancer contenues dans le lait produit par des lapines transgéniques. Ainsiplus de 15% des médicaments produits aujourd’hui sont issus du génie génétiqueet 60% des nouveaux médicaments sont liés aux biotechnologies . A la lumière deces informations il apparaît essentiel que nous ne pouvons pas nous passer des OGMà destination thérapeutique. Bien plus encore, il faut encourager la recherche dans cedomaine, le contraire irait à l’encontre d’un principe de précaution qui se doit d’engendrerdes actions profitables pour l’humanité.

1.2.2 La question de la compétitivité économique de la FranceLes questions sanitaires et environnementales ne sont pas seules à devoir être prisesen compte. La notion de « coût économiquement et socialement acceptable » revientfréquemment dans les définitions données du principe de précaution. Face à l’expansiondes cultures génétiquement modifiées (avec une augmentation de plus de 10% des surfacescultivées en OGM chaque année dans le monde) et à l’importance des enjeux économiquesqui sont attachés au développement des biotechnologies, se pose donc la question de

18 OGM « sans addition de gène extérieur » : grâce à cette technologie encore au stade expérimental, les OGM subissent unemutation génétique à partir de leur propre patrimoine génétique, sans aller chercher de gène appartenant à une autre espèce.

19 Audition du professeur Michel Thibier par la mission d'information sur les enjeux économiques et environnementaux desOGM du Sénat de 2003

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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l’opportunité d’un développement des cultures génétiquement modifiées en France et enEurope.

1.2.2.1 Conserver une agriculture forte dans un contexte de mondialisationdu secteurLa concurrence de plus en plus importante des producteurs étrangers OGM

Comme évoqué précédemment, sur le plan agricole les avantages liés aux OGMrelèvent principalement de deux ordres : la régularité des récoltes et surtout la baissedes coûts de production. Compte tenu de la concurrence dont sont victimes certainsagriculteurs français, compte tenu également des bénéfices que ces derniers pourraientretirer de la culture d’OGM en terme de revenu et de sécurité économique, il convientde s’interroger sur l’opportunité du développement des cultures commerciales en Europe,et tout particulièrement France. En effet le refus du développement des cultures OGMapparaît d’autant plus paradoxal que, dans le même temps, certains secteurs de l’agriculturefrançaise souffrent, de manière directe ou indirecte, de la concurrence de produitsgénétiquement modifiés importés. Le secteur de l’élevage en est un exemple éloquent. Leséleveurs français relevant de la filière traditionnelle n’ont pas accès aux techniques et auxproduits dont bénéficient leurs concurrents qui peuvent produire à des tarifs très compétitifs.Ils se trouvent donc pénalisés à l’exportation et concurrencés par l’importation d’animauxnourris avec des OGM, moins coûteux.

Les problèmes spécifiques liés à la dépendance agricole de l’Europe pour certainsproduits

La question de savoir si l’isolationnisme européen en matière d’OGM va restersoutenable dans les prochaines années se pose de plus en plus. Davantage encoreau regard de la dépendance en protéagineux de l’Union Européenne. Les agriculteurseuropéens consomment en effet chaque année afin de nourrir leur bétail plus de trentemillions de tonnes de tourteaux de soja20 qui doivent être importés puisque la productionde soja par l’Europe ne couvre que 1% des besoins des élevages européens. Concernantl'ensemble des productions riches en protéines végétales (pois, colza...), la productioneuropéenne ne parvient à satisfaire que 22% des besoins. Or près de 65% des culturesmondiales de soja le sont en soja OGM. Il va donc devenir de plus en plus complexe pourles pays de l’Union de s’approvisionner de façon massive en produits non-OGM et aucunemesure n’a vu le jour pour combler ce manque et se rapprocher de l’autosuffisance enprotéagineux. Ainsi le professeur Kym Anderson estime-t-il dans un article21 publié en 2002que si l’Union européenne persiste à ne pas vouloir développer les techniques du géniegénétique dans son système de production tout en en interdisant l’importation des OGM,elle subirait une perte économique évaluée à 4,3 milliards de dollars par an.

Pour certains observateurs il relève là d’une certaine forme d’hypocrisie de se refuserà développer des cultures OGM sur le territoire français et européens tout en étant de faitdans l’obligation, à terme, d’importer massivement des OGM en provenance des pays tierspour subvenir aux besoins nécessaires à l’alimentation animale.

Laisseren friche un champ de progrès technologique ?20 Les tourteaux sont les résidus solides obtenus après extraction de l’huile des graines ou des fruits oléagineux. Ils sont utilisés

en alimentation animale et constituent la 2ème classe d’aliments la plus importante après les céréales.21 ANDERSON Kym et POHL NIELSEN Chantal, « Cultures transgéniques et commerce international », Problèmes

économiques, 27 novembre 2002, n° 2786

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Partie 1 - Circonscrire les risques potentiels liés à une innovation scientifique aux conséquencesencore mal maîtrisées : l’objectif fondamental du principe de précaution

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Pour maintenir la compétitivité de son agriculture face à une concurrence mondialecroissante, la France ne se doit-elle pas d’explorer toutes les pistes de recherche possible ?L’enjeu de ces recherches concerne également des points cruciaux comme l’améliorationdes qualités alimentaires de nos productions, la santé publique ou encore la préservationde l'environnement. Des programmes de recherche relatifs à l'analyse du génome, au géniegénétique et aux plantes génétiquement modifiées sont des projets porteurs d'avenir etne peuvent être négligés.La France, deuxième producteur semencier mondial ne doit pasaffaiblir sa compétitivité en ce domaine en freinant les recherches et le développementdes cultures à partir d’OGM. En termes de chiffres, rappelons que ce secteur d’activitéreprésente un chiffre d’affaire d’environ 1,9 milliard d’euros, dont un tiers à l’exportation,et emploie 8600 personnes. Pour Pierre Pagesse, président du groupe Limagrain22,« l'agriculture doit développer sa propre recherche et ne pas laisser quelques géantsmondiaux de l'industrie imaginer son avenir à sa place ». L’entreprise qui investitdes millions d’euros dans la recherche sur les biotechnologies doit pouvoir valoriserses travaux en Europe, sous peine de disparaître face aux géants américains. Eneffet si l'Europe ne prend pas la mesure de l'enjeu biotechnologique, elle s'expose à degrands risques : dépendance à l'égard des détenteurs étrangers de procédés protégés par lapropriété intellectuelle, fuite des cerveaux, affaiblissement de ses capacités de croissance...

1.2.2.2 Les enjeux de l’appropriation du vivantUn second enjeu essentiel dans la bataille des OGM est celui de l’appropriation du vivant.Jusqu’à récemment, aucun organisme vivant n’était brevetable, il en va notamment làd’une question d’éthique. Or la production de semences OGM par les grandes firmesagrochimiques leur permet de s’approprier le vivant végétal en le brevetant, choseimpossible avec les semences classiques. Cette question de la propriété intellectuelledans le domaine des OGM a des conséquences à la fois sur le développement de larecherche et sur les relations entre les agriculteurs et les grandes firmes semencières. Sile brevet est conçu comme une incitation à la recherche, il peut rapidement en devenir unobstacle, en particulier dans le domaine du vivant. Le rapport du Sénat précité dénonceainsi « l’accumulation et l’imbrication des brevets, l’existence de redevances en cascade,la délivrance de brevets larges, la fragmentation des droits de propriété et l’étendue desrevendications sur les intentions en aval » qui constituent des obstacles trop importantsau « développement de la recherche et au soutien de la croissance économique » du fait« [d]es coûts, [d]es incertitudes et [d]es risques de procès qu’ils entraînent ». Ces freinsgênent tout particulièrement la recherche publique et les entreprises de plus petites tailles.De plus ce sont ces brevets qui interdisent aux agriculteurs de replanter leur récolte et lesrendent dépendants des gros semenciers.

On peut en effet imaginer sans peine la volonté de ces firmes de coloniser le cataloguedes espèces les plus consommées à l’échelle mondiale par des variétés transgéniquesbrevetables. Dans un article du 10 juin 200823, le quotidien Le Monde rapporte lestravaux d’un groupe d’action canadien indépendant, l’ETC Group (Action Group on Erosion,Technology and Concentration), qui révèle dans un rapport publié en mai que les grandsgroupes agrochimiques, Monsanto, Bayer, BASF et Syngenta, ont déposé 532 brevets surdes séquences génétiques favorisant l’adaptation au changement climatique. Le rapportde l’ETC Group dénonce ces dépôts de brevets pour trois raisons. Tout d’abord ces

22 Le groupe coopératif Limagrain se place au quatrième rang mondial derrière Monsanto, DuPont/Pioneer et Syngenta23 KEMPF Hervé, « Les grands semenciers brevètent les gènes d'adaptation au changement climatique », Le Monde, 10 juin

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recherchent prolongent le modèle agro-industriel actuel alors que la priorité serait desoutenir l’agriculture vivrière et les petits paysans. En outre de telles variétés de plantespeuvent être développées par des recherches agronomiques classiques qui n’aboutissentpas à des plantes brevetées. Ainsi des expériences ont-elles permis d’élaborer des variétésde riz non génétiquement modifiées adaptées à des conditions de grande sécheresse.Ensuite, comme évoqué précédemment, le dépôt de brevets sur des gènes de famillesde plantes constituent un obstacle pour les organismes publics de recherche puisque « siles compagnies multinationales contrôlent les gènes-clés de la résistance à la sécheressedans des cultures transgéniques [...], les chercheurs publics pourraient être accusés devioler les règles de propriété des gènes brevetés ». Enfin, les recherches dans ce domainesont encore incertaines. Ainsi si Monsanto s’est engagé le 4 juin dernier à « doubler laproductivité du maïs, du soja et du coton en 2030 par rapport à 2000 », à « développerdes semences qui réduiront d’un tiers les ressources requises » d’eau et d’engrais, et àaider « à améliorer la vie des paysans, dont cinq millions des plus pauvres, en 2020 », il estclair que ces démarches des grandes firmes semencières visent d’abord à leur assurer despositions commerciales profitables. Pour Pierre-Henri Gouyon, un des premiers chercheursà avoir mené en France des études sur la dissémination des OGM, « le problème le plusimportant posé par les OGM n'est pas scientifique, il est économique.Nous sommes en traind'entériner un système dans lequel les agriculteurs ne sont plus maîtres de leurs semences,et deviennent totalement dépendants de quelques grandes multinationales ». Si les payseuropéens veulent développer les OGM, leur usage agricole notamment, il leur faudra peserpour la révision d’un tel système de brevetabilité du vivant, qui créerait rapidement desproblèmes de dépendance des agriculteurs et freinerait la recherche publique.

1.2.3 Les enjeux des OGM pour les pays du SudNous venons de le voir, les biotechnologies constituent un enjeu considérable pour noséconomies et sociétés développées. Pour une analyse exhaustive des intérêts en jeu,il faut également prendre en compte la situation des pays en développement (PED)pour qui les OGM représentent l’espoir d’une solution aux problèmes de famine et demalnutrition qui font encore des ravages auprès de millions de personnes. Il faut noterque beaucoup plus de PED que de pays industrialisés ont déjà autorisé et adopté lescultures commerciales de plantes génétiquement modifiées. Ils représentent aujourd’huiplus de la moitié des pays producteurs d’OGM24. La croissance de la superficie de culturesde plantes génétiquement modifiées a été pour la première fois supérieure dans les paysen développement (7,2 millions d’hectares) à celle constatée dans les pays développés(6,1 millions d’hectares) entre 2003 et 2004. De plus 90% des « fermiers biotech », soit 11millions d’agriculteurs, étaient des fermiers à faibles ressources. Aujourd’hui neufs PED25

cultivent plus de 50 000 hectares de plantes génétiquement modifiées, ce qui permet d’avoirune perception globale du phénomène tout en disposant d’expériences variées attachéesaux bénéfices ou aux risques des OGM.

1.2.3.1 Les OGM, une réponse à la crise alimentaire ?

24 D’après le rapport 2007 de l’ISAAA sur la situation mondiale des plantes Biotech/GM, 23 pays cultivent désormais des plantesGM, dont 16 sont des PED.25 Il s’agit de l’Afrique du Sud, de l’Argentine, du Brésil, de la Chine, de l’Inde, du Mexique, du Paraguay, des Philippines et del’Uruguay.

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En 2003, la FAO (l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture)estimait le nombre de personnes sous-nutries à 854 millions, dont 820 dans les pays endéveloppement26. Dans quelle mesure les OGM peuvent-ils apporter une réponse cettecrise alimentaire ?

Un meilleur rendement ?Comme évoqué précédemment, la culture de plantes génétiquement modifiées permet

effectivement dans certains cas d’obtenir des récoltes plus abondantes et plus régulièreset d’accroître les revenus des agriculteurs, cela vaut bien sûr pour les PED où les culturessont bien souvent plus menacées, par les phénomènes climatiques notamment. D’aprèsun récent rapport de l’International service for the acquisition of agri-biotech applications(ISAAA)27, « des études menées en Inde et en Chine montrent que le coton biotechnologiquea augmentéle rendement de respectivement 50 % et 10 % ». Cette hausse de la productivitéaurait permis de faire croître le revenu par hectare des agriculteurs de 250 et 220 dollarsen Inde et en Chine en 2007. De plus, le rapport relève que 90% des agriculteurs indienset 100% des agriculteurs chinois ayant adopté cette technique ont choisi de poursuivreles cultures OGM l’année suivante. En apparence l’expérience est donc fructueuse et lescultures de plantes génétiquement modifiées se montreraient bénéfiques dans des pays oùl’augmentation des rendements est vitale.

Notons également que le recours aux OGM profiterait davantage aux petits agriculteursqu’aux grands exploitants : comme l’indique la FAO, « les petits agriculteurs sont autant,voire plus, susceptibles de tirer avantage du coton Bt que les grands exploitants »28. PourGilles Hirzel, représentant français de la FAO, « pour être favorable aux agriculteurs les plusdémunis, une technologie doit [en effet] répondre à trois critères : premièrement, pouvoir êtreutilisée par les petits agriculteurs aussi bien que par les grands exploitants ; deuxièmement,ne pas exiger de gros investissements ; troisièmement, être facile à appliquer ». C’est le casde certains OGM, comme les cultures de variété Bt.Il s’agit là d’une information intéressantelorsque l’on sait que dans ces pays la grande majorité des exploitations concernent uneproduction vivrière.

Pourtant, même si certains résultats sont très positifs, ils doivent être appréciésavec prudence. D’une part ils concernent principalement le coton. D’autre part il s’agitlà d’études à court terme qui ne peuvent mettre en lumière certains risques potentielssur le long terme évoqués précédemment. Enfin, les résultats varient fortement d’un lieuà un autre : si l’introduction du coton Bt au Gujarat, en Inde, a eu des résultats trèspositifs, une polémique se développe actuellement sur les rendements obtenus par lesagriculteurs de l’Andhra Pradesh, toujours en Inde, qui demandent des compensations àMonsanto. Un rapport29 de la coalition de la Société du Deccan pour la défense de labiodiversité, formée d’environ 140 organisations de la société civile indienne, dénonce lessemences génétiquement modifiées. Il établit que la réduction du recours aux pesticideset l’augmentation significative des rendements promis par le coton Bt se sont révéléesinsignifiantes, les profits des agriculteurs ayant en moyenne chuté de 9% entre 2003 et 2004.

26 SKOET Jakob et STAMOULIS Kostas, The State of Food Insecurity in the World 2006, FAO, Rome, 200627 « Douze années exceptionnelles de croissance à deux chiffres pour les plantes biotechnologiques, Les bienfaits socio-

économiques commencent à se voir chez les agriculteurs aux ressources limitées », rapport de l’ISAAA, 200828 La situation mondiale de l’alimentation et de l’agriculture 2003-2004, FAO, 200429 QAYAMAbdul et SAKKHARI Kiran, Bt Cotton in Andhra Pradesh - a three year assessment , Deccan Development Society,

Andhra Pradesh Coalition in Defence of Diversity, Permaculture Association of India, Mai 2005

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Ces conclusions établies après avoir recueilli des donné auprès de 164 petits agriculteursdes trois districts d’Andhra Pradesh rencontrés de façon bihebdomadaire contredisentclairement celles de l’enquête menée pour Monsanto par l’agence de marketing Nielsen30

qui avait déclaré une augmentation du profit des agriculteurs de 92% ! La collecte desdonnées par l’agence serait en cause, puisqu’un unique questionnaire a été distribué àun échantillon d’agriculteurs après la récolte, sans prendre en considération le fait que laplupart d’entre eux ne tiennent pas les comptes de leurs dépenses tout au long de l’année.S’il faut considérer l’écart des chiffres avancés par ces deux études de manière prudente, ilsemble néanmoins que les bénéfices des plantes génétiquement modifiées pour les petitsproducteurs du Sud ne soit pas indéniables.

Par ailleurs, la FAO estime que si les OGM peuvent se révéler utiles pour augmenterles rendements, ils ne constituent probablement pas une « solution-miracle » au problèmede la faim dans le monde. Ainsi pour Gilles Hirzel « p our arriver à nourrir les 840millions de personnes qui souffrent de malnutrition dans le monde à l’horizon 2015, ilsemble que les techniques simples d’intensification de l’agriculture puissent être suffisantes.Meilleurs maîtrise de l’eau, sélection des plantes adaptées, utilisation raisonnée d’intrants...Nous n’avons pas dans l’immédiat besoin d’une solution dite « miracle ». Et des solutionsmiracle contre la faim, nous n’en connaissons pas. Par contre, nous disons que la FAOn’a pas le droit de se fermer à l’apparition de nouvelles technologies. Sous réserve duprincipe de précaution à la fois pour l’homme et l’environnement31 ». Le recours aux OGMne doit nullement freiner le développement d’une agriculture durable. Bien au contraire,toujours selon Gilles Hirzel, « les biotechnologies modernes peuvent contribuer à la sécuritéalimentaire mondiale tout en s’inscrivant dans une démarche d’agriculture durable ».Demême Benoît Lesaffre, directeur général du Centre de coopération internationale enrecherche agronomique pour le développement (CIRAD) souligne que la seule introductiondes semences génétiquement modifiées ne résoudra pas le problème de la faim dans lemonde. Il s’agit avant tout de mettre en place « des systèmes de culture adaptés, unejuste rémunération des agriculteurs, des circuits de distribution efficaces – 30 à 50 % de laproduction agricole se perd, dans les silos ou faute de circuits de distribution. Un des grandspoints faibles du Sud tient au manque d’organisations paysannes ».

Des espoirs en termes de qualité nutritionnellesLe développement des OGM de seconde génération que nous avons évoqué

précédemment fait naître de plus grands espoirs encore que ceux liés à l’augmentationdes rendements. Ainsi les attentes sont grandes en ce qui concerne l’amélioration desconditions nutritionnelles, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. L’exemple du riz doré a étédéveloppé dans la partie relative aux bénéfices attendus des OGM. De telles expériencessont également menées pour accroître la teneur en vitamines et sels minéraux essentielsd’autres aliments de base tels que la pomme de terre ou le manioc.

De même, la mise au point de techniques permettant de réduire le risque de pertes derécoltes dans des conditions climatiques et biologiques difficiles, mais également d’étendreles terres cultivables, grâce à l’élaboration de plantes supportant la sécheresse ou lasalinité, suscite de nombreux espoirs. En effet aujourd’hui dans le monde 36 millionsd’hectares sont des sols salés et 30 à 40% de la surface terrestre est constituée dezones arides ou semi-arides, autant dire qu’il s’agit de zones quasi incultivables à l’heureactuelle. Le développement de plantes mieux à même de supporter la sécheresse se

30 Performance of Bollgard Cotton in 2003, ACNielsen, mars 2004,31 Propos recueillis le mercredi 30 mars 2005, par David CADASSE pour le site Afrik.com

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révélerait particulièrement intéressant pour beaucoup de populations. Dans des pays où larecherche de surfaces cultivables entraîne trop souvent une déforestation importante, lesOGM pourraient permettre de préserver la biodiversité. Cependant il faut préciser que cesrecherches ne sont pour le moment qu’à un stade expérimental, bien qu’elles constituentl’une des plus belles promesses des OGM pour les PED.

1.2.3.2 L’adaptation des OGM à la situation particulière des PED : unpréalable indispensableLa mise en place de cultures OGM dans les PED peut s’avérer utile, mais elle doit sefaire de manière éclairée, au cas par cas, en tenant compte des spécificités de l’agricultureet des paysages locaux et sans accroître encore la dépendance de ces pays vis-à-visdes pays industrialisés. C’est n’est malheureusement pas le type de démarche entrepriseactuellement par le leader mondial en matière de semences, Monsanto, pour ne citer que lui.

La prise en compte des spécificités de ces paysLa situation oligopolistique du marché des semenciers n’encourage pas à la prise en

compte des spécificités des pays du Sud qui adoptent trop souvent des technologies qui neleur sont pas adaptées. Les études menées actuellement concernent en effet principalementles variétés de plantes cultivées dans le Nord et se concentrent sur les problèmes rencontrésdans cet hémisphère. Pour avoir une réelle efficacité contre les difficultés alimentairesrencontrées par les populations des PED, il faudrait davantage orienter les recherches enfaveur des cultures vivrières de base des pays les plus pauvres, comme le manioc ou encorele millet. L’enjeu consiste donc aujourd’hui à concevoir un système d’innovation qui orientele potentiel de recherche vers les problèmes spécifiques des PED.

Le risque de dépendance des agriculteursLe risque de dépendance des agriculteurs vis-à-vis des firmes agrochimiques est

bien plus problématique pour les pays du Sud que pour les pays du Nord. Les firmesagrochimiques, en particulier les firmes américaines, mènent une politique particulièrementagressive dans les pays en développement usant du cadre de l’aide alimentaire. Dansle chapitre traitant de la question des OGM dans leur ouvrage consacré au principe deprécaution32, Corinne Lepage et François Guéry dénoncent cette politique et interrogentl’argument du développement des OGM en réponse à la crise alimentaire mondiale.N’assiste-t-on pas là plutôt à une tentative de justification éthique de pratiques commercialesinacceptables ? Selon Philippe Feldmann, délégué aux ressources biologiques au CIRAD,« tous ces pays sont l’objet de fortes pressions de l’US Aid, derrière lesquels ontrouve Monsanto et autres, pour mettre en place une réglementation leur permettantd’y commercialiser leurs semences ». Or ces produits créent une forte dépendance desagriculteurs du Sud à l’égard des grandes firmes agrochimiques. D’une part, les paysansse trouvent dans l’obligation d’acheter semences et produits phytosanitaires aux mêmesfirmes. D’autre part, les brevets interdisent aux agriculteurs de replanter leurs récoltes, cesderniers se retrouvent donc dans l’obligation de racheter leurs semences chaque année. Lacréation de plantes stériles par l’ajout d’un gène terminator répond à la même logique. Parailleurs, ces firmes pénètrent généralement les marchés des pays en développement ens’alliant à un semencier local. Ainsi, en Inde, Monsanto possède 26 % des parts du grandsemencier Mahyco qui produit notamment le coton Bt. Ce sont bien sûr les petits agriculteursqui sont les plus vulnérables face à ces stratégies des grandes firmes agrochimiques. Lesreprésentants de Biowatch, une association travaillant en Afrique du Sud, ont rapporté

32 LEPAGE Corinne et GUERY François, La politique de précaution , PUF, 2001

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que les multinationales et les organismes de recherche appliquée locaux profitaient del’illettrisme des paysans pour leur faire signer des contrats qui les rendent financièrementvulnérables.

L’argument altruiste avancé par beaucoup pour justifier le développement des OGMdans les PED est certes justifié par les espoirs suscités par cette technologie pour des paysqui ont parfois du mal à nourrir leur population, que ce soit en termes de quantité ou entermes de qualité. Néanmoins, une analyse complète des enjeux attachés à l’implantationde cultures OGM dans les pays du Sud révèle que, dans la configuration actuelle, celle-ci répond pour beaucoup à des impératifs économiques et aggravent dans bien des cas lasituation de dépendances de ces pays par rapport aux pays industrialisés.

L’application du principe de précaution à des innovations scientifiques ettechnologiques incertaines telles que les OGM reste donc soumise à une analyse préalableet multidimensionnelle des risques et des bénéfices potentiels, des coûts et des avantagespour utiliser un vocabulaire plus économique. L’examen et la hiérarchisation de cesconséquences, négatives ou positives doivent amener les décideurs à moduler l’applicationdu principe de précaution. Toutefois une telle démarche ne saurait être mise en place horsd’un cadre légal suffisamment développé.

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Partie 2 - Parfaire l’encadrement juridique du principe de précaution et des OGM : la place du droitdans le débat sur le principe de précaution

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Partie 2 - Parfaire l’encadrementjuridique du principe de précautionet des OGM : la place du droit dans ledébat sur le principe de précaution

Une application effective du principe de précaution passe avant tout par son inscriptionen droit positif. Pour Dominique Chagnollaud, « le principe de précaution s’inscrit dans latendance contemporaine à traduire juridiquement la demande sociale et politique »33. Aussise retrouve-t-on face à un principe flou, mal défini. Il s’agirait donc d’un principe de « droitmou », qui devrait être pensé comme un standard de jugement, « une norme qui a besoind’être complétée par des informations extérieures au droit pour pouvoir produire des effetsjuridiques ». Il semble malgré cela que le législateur ait voulu lui conférer un réel pouvoirnormatif, sans pour autant parvenir à lui attribuer un contenu tangible (2.1.). Nous verronsque le principe de précaution a néanmoins permis d’offrir à la fois un cadre, même imparfait,à l’élaboration de la législation sur les OGM (2.2.).

2.1 L’écriture juridique du principe de précaution :un principe de « droit mou » pour inviter les Etats àagir ou une norme juridiquement contraignante ?

Le principe de précaution est, nous l’avons vu, un principe au contenu évanescent, quidoit pouvoir s’adapter à des situations en perpétuelles mutation. Sa juridicité implique doncune évolution de la philosophie juridique traditionnelle (2.1.1.). Son écriture juridique s’estrévélée chaotique, ne fournissant pas de directives claires quant à sa portée et à son degréde contrainte (2.1.2.), abandonnant au juge la responsabilité de son application (2.1.3.).

2.1.1 L’émergence d’un principe original et controversé

2.1.1.1 La naissance du principe de précaution au cœur d’un droitnouveau et particulier : le droit de l’environnementIl est pertinent, pour mieux comprendre le cadre dans lequel s’inscrit le principede précaution, d’évoquer la genèse et les principales caractéristiques du droit del’environnement.

33 Dominique Chagnollaud, « Le principe de précaution est-il soluble dans la loi ? », Recueil Le Dalloz, , 22 avril 2004, n°16

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A l’origine : la prise de conscience des effets des activités humaines surl’environnement

C’est au cours des années 1960 que les scientifiques ont mis pour la première fois enlumière les effets pervers du développement technologique et économique de nos sociétésindustrialisées. En effet, les suites conjuguées d’une société industrielle, technologique,urbaine et consumériste ont abouti à de graves perturbations de l’équilibre écologiqueet à d’importantes pollutions des milieux naturel et urbain. La diffusion progressive deces informations ainsi que le constat de la dégradation des paysages et des ressourcesnaturelles ont amené une prise de conscience et une réaction de la société civile, entraînantune réponse politique. Dès la fin des années 1960 et au début des années 1970 sontprises les premières mesures destinées à combattre ces effets néfastes provoqués parnotre mode de développement. Les Etats ont alors mis en place au niveau mondial desprogrammes d’intervention et des lois dans un objectif de protection de l’environnement.Premier rassemblement du genre, la conférence internationale sur l’environnement humainqui se déroula à Stockholm en 1972, témoigne de l’émergence d’une conscience écologiqueà l’échelle planétaire.

La place du droit dans cette prise de conscienceLe droit cherche à établir ce qui doit être, ou ne pas être, et permet d’ordonner une

société en définissant les rapports entre ses membres, y compris ses institutions privéeset ses gouvernants. Dans les sociétés industrialisées de cette époque l’économie et latechnologie avaient tous les droits, quand la nature et l’environnement n’en avaient que troppeu. Les règles de responsabilité civile ou les règles sur la propriétés des biens ne s’avérantpas suffisantes, il revenait donc au droit d’en établir de nouvelles pour gouverner ceux quiétaient susceptibles de créer le désordre de part leur pouvoir de décision et d’action sur lesressources environnementales. On évoque par là autant les entreprises que les pouvoirspublics et les individus eux-mêmes. Le droit de l’environnement est donc né pour répondreà ces nouvelles préoccupations de la société civile.

Un droit aux caractéristiques originalesLe droit de l’environnement présente plusieurs caractéristiques qui lui sont propres par

rapport aux branches classiques du droit. Tout d’abord, sa dimension internationale estincontournable puisqu’il régit des phénomènes qui transcendent les frontières politiques etdoivent être régulés à une échelle planétaire. Ensuite, il fait appel de façon essentielle àla science et aux résultats de la recherche scientifique comme aucun autre domaine dudroit. De ce fait, il est en constante mutation, de part l'évolution des valeurs et des prioritésde la société civile, mais surtout en raison des progrès constants de la science. Ce droitnouveau fait également appel à des concepts nouveaux, fondés sur la notion de risque, quisont étrangers aux concepts juridiques traditionnels. Enfin, le droit de l’environnement estparadoxal car il fait appel dans le même temps à des principes juridiques mal définis (telle principe de précaution) qui sont souvent observés comme du droit mouet à des règlesnormatives strictes.

Le succès fulgurant du droit de l’environnementLe droit de l’environnement a connu un succès et une évolution remarquables au

cours des trois décennies de sa courte existence. De problématiques très localisées etvisibles (pollution visible, bruits…), le champ du droit de l’environnement s’est élargi àdes phénomènes planétaires identifiés progressivement grâce aux progrès des sciencesde la vie. C’est en étant à l’écoute des développements scientifiques et technologiques(à propos des systèmes de détections et de contrôle des pollutions par exemple) que le

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Partie 2 - Parfaire l’encadrement juridique du principe de précaution et des OGM : la place du droitdans le débat sur le principe de précaution

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droit de l’environnement s’est doté de règles s’attaquant à des problèmes nouveaux etglobaux tels que les pluies acides ou la production de gaz à effet de serre. Cette évolutiona permis de remplacer l'irresponsabilité à l'égard de l'environnement par l'attribution denouvelles responsabilités aux intervenants économiques, politiques et même au pouvoirjudiciaire. Parmi les diverses règles instaurées, certaines ont fait leurs preuves, commela généralisation des études d’incidence environnementale préalablement à la réalisationde projets d'aménagementou encorel'augmentation des amendes et sanctions contre lesentreprises et les dirigeants d'entreprises coupables d'infractions environnementales.

Un droit tributaire de la scienceUne des caractéristiques essentielles du droit de l’environnement réside dans ses

liens étroits avec la science et la recherche. Ce sont en effet les progrès scientifiqueset leurs applications technologiques et industrielles qui sont à l’origine des problèmesenvironnementaux majeurs auxquels nous sommes confrontés. Il ne faut néanmoins pasoublier que ce sont ces mêmes progrès scientifiques qui ont permis de mettre en exergueces effets nocifs et que c’est par l’intermédiaire de la recherche scientifique que nousleur trouverons des solutions. Ce sont également les scientifiques qui fournissent aulégislateur les mesures et les paramètres techniques dont ils ont besoin pour mettre en placecertaines normes environnementales, comme la quantité possible de rejets contaminantsdans l’environnement. Et c’est encore grâce aux informations fournies par la recherche queles décideurs peuvent choisir de développer ou non une nouvelle technologie. La science serévèle donc être un auxiliaire nécessaire au droit pour permettre à la justice de sanctionnersur le plan administratif, civil ou pénal, les comportements préjudiciables à l’environnement.

Les principes fondamentaux du droit de l'environnementTrois principes directeurs ont été formulés parmi les grands principes juridiques qui

ont façonné le droit de l’environnement durant trois décennies. Même s’il s’agit à bien deségards de règles de droit mou, ces trois principes ont été inscrits dans des dispositionsobligatoires d’un certain nombre de traités internationaux et dans le droit positif d’uncertain nombre d’Etats. Ces trois principes sont : le principe pollueur-payeur, le principe deprévention et le principe de précaution.

Le principe pollueur-payeur, apparu très tôt dans les règles du droit de l’environnement,est dérivé des règles de responsabilité civile, dépouillées des notions de fautes ou denégligences qui y sont traditionnellement associées. On se place ici plutôt dans le cadred’une responsabilité sans faute, dans une optique curative de réparation des dommagescausés à l’environnement. A l’origine, ce principe a été adopté en 1972 par l’Organisation decoopération et de développement économiques (OCDE) comme un principe économiquevisant l’imputation des coûts associés à la lutte contre la pollution. Le principe consisteà internaliser les coûts de la pollution par l’entreprise à l’origine de cette dernière, afind’éviter les distorsions dans le fonctionnement du marché. Enoncé en droit interne parl’article L 110-1 du Code de l’Environnement, le principe pollueur-payeur est un des principesfondateurs des politiques environnementales des pays développés. En France, il est parexemple appliqué avec des taxes sur l’assainissement de l’eau ou la taxe des orduresménagères.

Le principe de prévention a été défini comme suit par la Consultation Nationalepour la Charte de l’Environnement. Il s’agit de « l’un des principes généraux du droitde l’environnement, impliqu[ant] la mise en œuvre de règles et d’actions pour anticipertoute atteinte à l’environnement. Ces règles doivent tenir compte des derniers progrèstechniques. » Cette obligation de prévention a été reprise dans plusieurs déclarations

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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internationales dites de «droit mou» et dans plusieurs conventions internationales àcaractère obligatoire pour les États signataires adoptées ces trois dernières décennies.La prévention conduit à mettre en place diverses actions prévues par les réglementationsnationales. Parmi lesquelles, on retrouve les études d’impact, les régimes d’autorisationpréalable, la mise en place de normes… Ces mesures visent à restreindre les effets négatifsde certains projets sur l’environnement. Il faut bien veiller à ne pas confondre ce principede prévention avec le principe de précaution, dernier-né des principes directeurs du droitde l’environnement, qui vise à régir l’incertitude.

Alors que le principe du pollueur-payeur et le principe de prévention ont été conçus enfonction de faits et de risques connus, le principe de précaution s'immisce dans le règne del'incertitude, ce qui suscite de nombreuses interrogations.

2.1.1.2 La spécificité du principe de précaution parmi les normes du droit del’environnementL’écriture juridique du principe de précaution constitue un véritable défi, tant juridique quethéorique, relevant parfois même d’une véritable révolution de la philosophie du droit. Toutd’abord, l'introduction dans le doit positif d'un principe fondé sur l'incertitude constitue enelle-même une révolution, puisque la certitude fonde habituellement l'idée même de la loi etque le droit attend des sciences des réponses exactes 34. Le principe de précaution doit doncpouvoir s’adapter à des situations complexes et changeantes. Or, le processus de régulationtraditionnel (émergence d'un problème, prise de conscience par les autorités et inscriptionsur l'agenda public, négociation entre les différents intérêts concernés…) est lourd et longà mouvoir. Il en résulte un décalage permanent entre le développement scientifique etl'élaboration de mesures adaptées à son contrôle social. La précaution ambitionne derenverser cet anachronisme récurrent.

Ensuite, ne peut-on pas considérer que la juridicisation du principe de précaution relèved’une certaine confusion entre le droit et la morale, une confusion prohibée jusqu’alors parle droit moderne. Ainsi, si le Code civil établit au même titre que l'obligation de ne pas nuire àautrui, l'obligation morale de secours aux pauvres, il ne permet de sanctionner juridiquementque la première. L'enjeu d'une définition juridique de la précaution est donc de faire ladistinction entre une éthique ou une attitude de précaution, d'application universelle, et leprincipe de précaution, qui en assurerait la mise en œuvre dans des contextes déterminéspar la loi.

Enfin, la diversité des définitions du principe de précaution, comme la difficulté d’enétablir des contours précis, sont un véritable défi pour qui essaie d'en faire un instrumentjuridique effectif. Excessivement circonscrit, le principe de précaution se révélerait inutile,car obsolète à la moindre évolution du contexte scientifique. Pour comprendre les modalitésd’application du principe de précaution, il faut s’attacher à son caractère principiel. Leprincipe de précaution appartient en effet à la catégorie normative que constituent lesprincipes juridiques. A la différence des normes ordinaires, prévisibles et garantes de lasécurité juridique, les principes font preuve d’une plus grande flexibilité. Une malléabilitéqui, certes offre une latitude importante aux décideurs, mais qui empêche égalementd’en déduire des obligations avec le même degré de certitude. Les principes forment unedéfinition et une cristallisation normative des valeurs fondamentales de la société, indiquantles objectifs fondamentaux d’une société dans un domaine précis. Ce sont finalement des

34 OLOUMI Zia, « Le principe de précaution, outil effectif du processus de décision publique », Revue de l'Actualité juridiquefrançaise (RAJF) , 12 juin 2004

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normes programmatoires dont le législateur ou le juge auront la charge de préciser lecontenu.

2.1.1.3 Quelle force contraignante pour le principe de précaution ?Comme cela a été expliqué en introduction, la controverse doctrinale sur le principe deprécaution, notamment sur sa portée, n’est pas résolue. Si, pour la majorité des juristes il estaujourd’hui nécessaire pour les autorités publiques de se saisir du principe de précaution etd’en faire un outil de décision, plusieurs conceptions divergentes subsistent quant à la forcecontraignante qu’il doit revêtir. Dominique Bourg et Jean-Louis Schlegel définissent ainsitrois étapes marquant l'introduction plus ou moins avancée d'une recherche de précautiondans la sphère publique 35.

L'approche de précaution n'exige pas une norme juridique contraignante. Le principe deprécaution est conçu dans cette optique comme un fil directeur, une éthique d'action censéeguider l'action des gouvernements, des législateurs, et par extension, des décideurs publicsou privés. Cette conception, très souple et quelque peu idéaliste, est celle qui est contenuedans la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992. Dans ce cadre,seule la pression de la société civile peut exercer une influence suffisante sur les décideurs,dans la mesure où ceux-ci, soucieux d’assurer leur pérennité, soignent leur image.

Une deuxième étape, celle du principe juridique de précaution, permet d'assigner enjustice les Etats qui n'auraient pas adopté les mesures de précaution qui s'imposaientdans un contexte défini. Ce pas a été franchi en droit communautaire et dans certaineslégislations nationales, en France notamment. Cette reconnaissance formelle peutégalement concerner les acteurs privés, en les responsabilisant par la menace de sanctionsjudiciaires.

Enfin, le principe de précaution peut être considéré comme un véritable cadre d'actionpolitique, qui suppose un contrôle au niveau étatique de l'évolution des techniques et samise en œuvre à toutes les phases du processus de décision. Une telle portée du principede précaution supposerait selon Dominique Bourg et Jean-Louis Schlegel une concertationdes scientifiques et de la population pour atteindre un consensus autour de la nécessitéd'adopter davantage de prudence dans toute action de politique publique. La formationd’un tel consensus se heurterait malheureusement probablement aux divergences entreles experts, ainsi qu’à l'opposition et aux pressions des nombreux groupes d'intérêt,économiques ou civiques.

2.1.2 L’inscription en droit positifNous venons de le voir, malgré toutes les tentatives de définition, le principe de précautionreste un principe évanescent. Dominique Chagnollaud l’évoque comme un « objet juridiqueencore mal identifié » et considère avec circonspection les velléités de lui donner uncontenu et une portée. Puisqu’élevé au rang de principe juridique, il devrait raisonnablementéchapper à toute tentative de définition trop précise dans les textes. « En effet, le propred’une telle norme est précisément de ne pas faire l’objet d’une définition complète dansle droit positif dans la mesure où elle est appelée à s’adapter aux situations hétérogènes

35 BOURG Dominique et SCHLEGEL Jean-Louis., Parer aux risques de demain : le Principe de précaution , éditions du Seuil, 2001

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qu’elle rencontre »36. Il s’agit manifestement là de la voie retenue par le législateur, qui s’estbien gardé d’encadrer de manière trop stricte le principe de précaution.

2.1.2.1 Le développement du principe de précaution dans le cadre du droitinternationalLa notion de principe de précaution est apparue pour la première fois à la fin des annéessoixante en Allemagne. Les pouvoirs publics ont ainsi adopté le Vorsorgeprinzip, qui lesautorisait à prendre toutes « mesures nécessaires et raisonnables » pour faire face à desrisques éventuels, même sans disposer des connaissances scientifiques nécessaires pouren établir l’existence.

La première définition en droit international du principe de précaution se trouve dansla Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de juin 1992. Cette dernièreétablit que « pour protéger l’environnement, des mesures de précaution doivent êtrelargement appliquées par les Etats selon leurs capacités », et « en cas de risque dedommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit passervir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenirla dégradation de l’environnement ». Néanmoins, si ce texte marque un grand pas dans lareconnaissance du principe comme norme juridique effective, il n’en conserve pas moinsune portée seulement déclarative. La Convention de Paris pour la protection du milieumarin de l’Atlantique Nord-est du 22 septembre 1992 énonce à l’article 2-2 une nouvelleformulation du principe, établissant que « les Parties contractantes appliquent le principede précaution, selon lequel des mesures de prévention doivent être prises lorsqu’il y a desmotifs raisonnables de s’inquiéter du fait que des substances ou de l’énergie introduites,directement ou indirectement, dans le milieu marin, puissent entraîner des risques pourla santé de l’homme, nuire aux ressources biologiques et aux écosystèmes marins[…],même s’il n’ y a pas de preuves concluantes d’un lien causal entre les intrants et les effetssupposés ». On constate ici que si le principe de précaution reste limité à la fois sur leplan géographique et du point de vue de ses domaines d'application, sa portée est étendueaux risques susceptibles de porter atteinte à la santé humaine, et non plus seulementà l’environnement. Les initiatives restent néanmoins timides, se gardant de toute forcecontraignante.

C'est au niveau européen, sous l’influence des priorités allemandes en matièred'environnement, et grâce à une interprétation jurisprudentielle favorable, que le principede précaution a trouvé son premier relais vers une application effective. Le principe deprécaution a été introduit en droit communautaire par le traité de l’Union européenne, signéà Maastricht le 7 février 1992. L’article 130 R. §2, qui énumère les principes devant inspirerla politique environnementale de la Communauté, précisant que celle-ci « est fondée surles principes de précaution et d’action préventive, sur le principe de la correction, parpriorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur ».Bien qu’aucune définition claire n’accompagne son énonciation, le principe de précautions'est petit à petit juridicisé. Le contrôle du juge communautaire l'a progressivement érigéen principe-phare du droit européen étendant son champ d'application à l'ensemble desdomaines de compétence communautaire. Face au flou qui entoure toujours la portéeexacte du principe de précaution, une résolution du Conseil du 15 avril 1999 demandeà la Commission européenne « de se laisser, à l'avenir, guider davantage encore par le

36 DE SADELEER Nicolas, « Les avatars du principe de précaution en droit public ; effet de mode ou révolution silencieuse? »,

Revue Française de Droit Administratif(RFDA), 1er juin 2001, n°3

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principe de précaution (...) et d'élaborer, de manière prioritaire, des lignes d'application dece principe ». En réponse, la Commission adopte, le 2 février 2000, une communication surle principe de précaution37 dans laquelle elle estime que l’Union européenne dispose dudroit de fixer le niveau de protection de l’environnement, de la santé et des consommateursqu’elle juge appropriée généralisant ainsi la portée d’application du principe de précaution.Pour l’application de ce dernier, la Commission rappelle les règles devant guider lesmesures applicables, à savoir la proportionnalité, la non-discrimination, la cohérence,l’examen des avantages et des charges résultant de l’action ou de l’absence d’action et enfinl’examen de l’évolution scientifique. Enfin, le Conseil européen de Nice de décembre 2000a adopté une résolution sur le principe de précaution dans laquelle est évoquée la nécessitéd’en préciser les lignes directrices d’application. Le point central de cette résolution estd' « exclure toute application abusive du principe qui masquerait un protectionnismedéguisé », tout en écartant toute version minimaliste qui en diminuerait l'effectivité. Ainsi,les Etats-membres considèrent qu’« il y a lieu de recourir au principe de précaution dèslors que la possibilité d'effets nocifs sur la santé ou l'environnement est identifiée et qu'uneévaluation scientifique préliminaire sur la base des données disponibles, ne permet pas deconclure avec certitude sur le niveau de risque ».

Malgré cette inscription du principe dans le droit originaire et dans le droit déclaratoire,on note certaines limites opérationnelles de celui-ci. Pour reprendre l’expression de MichelJacquot, le principe n’existe en droit communautaire qu’en « pointillé ». Du fait deson manque de définition évoqué précédemment, le principe de précaution manque deconsistance. Ainsi la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), a rappelédans un arrêt38 du 11 septembre 2002 que les documents de la Commission précisant ceprincipe ne peuvent être considérés que comme des documents de réflexion, sans engagerla Cour elle-même, même si in fine elle valide la communication précitée du 2 février 2000.

2.1.2.2 L’inscription en droit national : une formulation tout d’abordrestrictiveProclamé en droit international et en droit communautaire dès le début des années 1990, leprincipe de précaution a un peu plus tardé à s'imposer dans le droit positif français. La loi du2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement, dite loi Barnierconstitue un premier tournant dans la direction d'une reconnaissance formelle du principe deprécaution. La loi énonce ainsi rétroactivement un des principes qui ont éclairé l’élaborationdes mesures de protection de l'environnement depuis les années 1970, et qui est appelé àréglementer les décisions futures. Ce faisant, le texte parvient à rendre visible le principede précaution, encourageant la création d’un sentiment d’écocitoyenneté nécessaire auxmesures à mettre en place en matière d’environnement.

Cependant la portée du texte reste limitée. La formulation du principe de précaution, ens’inspirant fortement de celle donnée en droit international, ne comble pas les lacunes desa définition. La loi établit qu’en « l’absence de certitude, compte tenu des connaissancesscientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l’adoption de mesures efficaceset proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles àl’environnement à un coût économiquement acceptable ». On retrouve dans ces lignesles mêmes termes que dans les textes internationaux : l’absence de certitude scientifique,

37 Communication de la Commission sur le recours au principe de précaution COM (2000)38 Arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 11 septembre 2002, Alpharma/Conseil de l'Union

européenne, , affaire T-70/99

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la gravité et l’irréversibilité des risques encourus ainsi que la nécessité d’une actionrapide. Seule la notion de « coût économiquement acceptable » semble apporter un peude nouveauté. Cette mention semble particulièrement pertinente, rappelant la nécessité,avant toute licence ou censure d’une innovation, d’établir un bilan coûts-avantages globalet honnête. Malgré cela, un élément fondamental manque toujours : une définitionincontestable du principe de précaution et de ses modalités d'application. En effet, leprincipe de précaution tel qu’il est énoncé ici a suscité la perplexité, sinon le scepticisme,chez beaucoup de juristes quant à sa portée matérielle et a donné lieu aux commentairesles plus imagés. Ainsi pour Michel Despax « tel qu'il est formulé, le principe de précautionqui doit guider les décideurs doit éclairer leur cheminement à égale distance du Charybdede décisions hâtives insuffisamment étudiées en leurs conséquences écologiques et duScylla d'une inaction tuant dans l'œuf toute innovation. La voie est étroite et le choix de laloi Barnier est très modéré : le principe de précaution ne peut se muer en un principe dumoratoire, ne joue que sur les modes de réalisation des progrès présentant des risques etpas sur cette réalisation elle-même ».

Destiné à l’origine à la seule protection de l’environnement, le principe de précautiona peu à peu étendu son champ d’application à d’autres domaines. Dans une société où lademande de garanties va croissante, le principe de précaution a rencontré un vif succèsauprès des citoyens. Porté par cette popularité, le principe s’est rapidement étendu audomaine de la santé. La première extension du principe à la protection de la santé a lieuun an après la promulgation de la loi Barnier, avec la loi no 96-1236 du 30 décembre1996 relative à l'air et à l'utilisation rationnelle de l'énergie. Ainsi, même si ce texte nementionne pas directement le principe de précaution, il expose diverses obligations, parmilesquelles l'obligation de réaliser « pour tous les projets requérant une étude d'impact, uneétude des effets du projet sur la santé et la présentation des mesures envisagées poursupprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projetpour l'environnement ». De plus, la circulaire du 17 février 1998 relative à l'applicationde l'article 19 de la loi sur l'air et l'utilisation rationnelle de l'énergie précise que « leprincipe de précaution doit servir de référence dans la conduite et l'évaluation de ces

études ». C'est encore le principe de précaution qui a inspiré la loi du 1er juillet 1998relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire desproduits destinés à l'homme. Cette loi a été adoptée alors que la crise de l’encéphalopathiespongiforme bovine (dite crise de la vache folle) avait marqué l’opinion publique, en attentede décisions fermes et rapides de la part des pouvoir publics, garants de la sécurité sanitaire.Avec cette loi, l’Etat se dote donc d'une nouvelle organisation administrative avec la créationde l'Institut de veille sanitaire (IVS), puis de l'Agence française de sécurité sanitaire desaliments (Afssa), deux établissements publics dont les avis sont appelés à devenir deséléments de référence majeurs dans l'analyse du processus décisionnel.

2.2.1.3 La consécration constitutionnelle du principe de précaution intégré àla Charte de l’environnementEn 1999, Geneviève Viney et Philippe Kourilsky écrivaient dans leur rapport au premierministre que la perspective d’une constitutionnalisation du principe de précaution « nepourrait être sérieusement envisagée qu’à la condition que le contenu de ce principe aitété préalablement défini de manière précise, ce qui n’[était] pas encore le cas ». Ce n’étaittoujours pas le cas en 2005, lorsque la Charte de l’environnement contenant le principea été intégrée à la Constitution française. L’enjeu de cette écriture constitutionnelle étaitimportant tant sur le plan du contentieux de la légalité que sur le plan de la responsabilité. La

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définition du principe de précaution et de ses modalités d’application proposée par l’article5 de la Charte de l’environnement n’apporte pas de nouveauté majeure par rapport à cellecontenue dans la loi Barnier. Elle établit ainsi que « lorsque la réalisation d'un dommage,bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manièregrave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application duprincipe de précaution, à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d'éviterla réalisation du dommage ainsi qu'à la mise en œuvre de procédures d'évaluation desrisques encourus ». La mention de mesures « provisoires et proportionnées » éloigne lespectre d’un principe de précaution paralysant, même si la latitude laissée au législateur etau juge est conséquente. On peut par contre regretter la suppression de la notion de « coûtéconomiquement acceptable », présente dans la législation de 1995, qui obligeait à uneanalyse multidimensionnelle des intérêts en jeu.

Son inscription dans la Constitution a également posé la question du caractèredirectement invocable du principe. Conformément aux autres articles de la Charte, exceptél’article 1, ce principe est d’applicabilité directe puisque la loi ne vient pas préciser lesconditions de sa mise en œuvre. Les partisans du principe y voit là un moyen d’aller jusqu’aubout de sa logique, alors que ses opposants s’en inquiètent et réclament que la loi donneun contenu et des limites à son application. Pourtant ce débat est-il pertinent ? En matièred’environnement, la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en se fondant en particuliersur l’article 34 de la Constitution, réserve largement la compétence du législateur. Loin dedéposséder le législateur de ses prérogatives, la Charte de l'environnement apparaît aucontraire comme une forte incitation pour le législateur à intervenir dans le domaine del'environnement. Il incombe, en effet, au Parlement de mettre en œuvre les principes et droitsénoncés par la Charte, afin de les « rendre plus effectifs ou de les concilier avec d’autresrègles de principes de valeur constitutionnelle »39. En outre, le législateur peut intervenirpour préciser les conditions d'application d'un principe sans que la Constitution ne le prévoieexpressément40. Dans le cas du principe de précaution, l'intervention du législateur n'est passeulement fondée en droit, elle est indispensable pour donner des éléments d'interprétationplus précis au juge ordinaire. Restent à déterminer des procédures d’application appropriéesà la grande majorité des innovations, tâche ardue étant donné la multitude et l’évolutivitédes domaines concernés.

Dans le cas de l’absence de traduction législative, comme actuellement, se posela question de l’application du principe de précaution par le juge. L’applicabilité directenécessite une certaine prudence de la part du pouvoir judiciaire, qui a jusqu’à aujourd’huiparticipé au succès du principe de précaution.

2.1.3 Le juge responsable de l’application d’un principe au contenumal défini

C'est en effet la jurisprudence qui a conforté la position et étendu le champ d'application duprincipe de précaution en France. Le juge s'est en effet plusieurs fois émancipé des limitesposées par les textes pour effectuer un contrôle audacieux, anticipant sur la reconnaissanceréelle du principe comme norme contraignante.

Le principe de précaution s’est révélé particulièrement propice à la création de droitpar l'intermédiaire de la jurisprudence, contrebalançant la faiblesse des textes consacrant

39 Voir à ce sujet la décision n° 93-325 DC du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 relative au droit d'asile40 Conseil constitutionnel, décision n° 77-79 DC du 5 juillet 1977

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le principe. Le juge administratif français notamment s'est montré réceptif au principe deprécaution et l'a à plusieurs reprises mis en application, parfois même hors du domainetraditionnel du principe de précaution qu’est la protection de l’environnement. Néanmoins, ilest resté prudent en se bornant au maximum à un contrôle de la légalité externe des actes,même si l’on peut supposer que le contrôle de la légalité interne des actes sur la base duprincipe de précaution est également amené à se développer.

Les juridictions administratives semblent les mieux à même d’appliquer le principede précaution. En effet, « l'influence du principe de précaution est nettement plus diffuseet malaisée à définir dans le droit de la responsabilité civile, enfermé dans l'idée de laréparation a posteriori d'un dommage déjà survenu, que dans le droit administratif où il s'agitde poser des règles d'action a priori »41. Le Conseil d’Etat tout d’abord a progressivementdéveloppé son contrôle de légalité sur l’application du principe, en le « greffant » sur sesméthodes traditionnelles de contrôle. Bien que la jurisprudence privilégie le terme « mesuresde précaution » plutôt que « principe de précaution », « le raisonnement est analogue »pour Jean-Louis Dewost, président de section du Conseil d’Etat. Depuis 1993, une dizained’arrêts ont montré la volonté du Conseil d’Etat de prendre en compte le principe dans soncontrôle de la légalité des actes administratifs, sanctionnant notamment des mesures deprotection insuffisantes par rapport aux exigences du principe de précaution. Ainsi, deuxans avant la loi Barnier, on retrouve l’esprit du principe de précaution dans l’arrêt du Conseild’Etat, relatif à l’affaire du « sang contaminé »42. Ce dernier a en effet estimé, dans cetteaffaire, qu’une carence fautive des services de l’Etat était établie depuis la date du 22novembre 1984, date à laquelle il « appartenait à l’autorité administrative informée (...) defaçon non équivoque, de l’existence d’un risque de contamination des transfusés et de lapossibilité d’y parer par l’utilisation de produits chauffés qui étaient disponibles sur le marchéinternational d’interdire, sans attendre d’avoir la certitude que tous les lots de produitsdérivés du sang étaient contaminés, la délivrance des produits dangereux ». Le Conseild’Etat fera également référence à la nécessité d’une démarche précautionneuse dans sonarrêt Rossi du 4 janvier 1995, annulant un arrêté de déclaration d’utilité publique d’uncaptage d’eau destiné à la consommation humaine au motif que le périmètre de protectiondu captage était insuffisant pour garantir la qualité des ces eaux. Le rapport hydrogéologiquesur lequel était fondé l’arrêté a en effet été considéré comme insuffisant. L’affaire AssociationGreenpeace France concernant le maïs transgénique est particulièrement intéressante. LeConseil d’Etat a d’abord rendu un arrêt en référé, le 25 septembre1998, puis après unrecours préjudiciel à la CJCE, une décision au fond, le 22 novembre 2000. Dans cette affaire,l’association Greenpeace réclamait la suspension de l’application de l’arrêté ministérieldonnant l’agrément à trois variétés de maïs génétiquement modifié. Dans sa décision auréféré, le Conseil d’Etat a agréé cette demande au motif que le moyen tiré de la violation duprincipe de précaution était « sérieux et de nature à justifier l’annulation […] eu égard parailleurs à la nature des conséquences que l’exécution de l’arrêté attaqué pourrait entraîner ».C’est la première fois que le principe de précaution était retenu comme moyen principal,même si ce moyen a été écarté lors du jugement au fond en novembre 2000. D’autres arrêtsont fait appel au principe de précaution et il apparait clairement que la jurisprudence va dansle sens d’une protection renforcée de l’environnement et de la santé publique au moyende ce principe. Certains jugements récents de tribunaux administratifs s’aventurent mêmesur le terrain de l’appréciation technique et économique, comme le Tribunal administratif de

41 DE SADELEER Nicolas, « Les avatars du principe de précaution en droit public ; effet de mode ou révolution silencieuse?

», Revue Française de Droit Administratif(RFDA), 1er juin 2001, n°342 CE Ass., 9 avril 1993, M. G., Mme B. et M. D.

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Strasbourg dans sa décision du 22 février 2002 annulant une décision de l’Administration quiavait choisi un site pour le stockage de farines animales désormais interdites. En définitive,le principe de précaution offre au juge administratif « la possibilité d’élargir la portée duprincipe de prévention à une nouvelle catégorie de risques »43. Cependant, sa portée resteencore limitée puisque le juge semble, dans la grande majorité des cas, restreindre soncontrôle à l’erreur manifeste d’appréciation.

En réalité, assez inutile sur le plan formellement juridique, la consécrationconstitutionnelle du principe souligne en creux ce qu’il est resté : un standard de jugementaux effets latents bien supérieurs à la force normative de sa définition supposé. Une lacunemajeure dans cette construction juridique du principe subsiste : l'absence de texte juridiqueprécisant le processus d'application du principe de précaution. Aucun texte en effet, necodifie les étapes de mise en œuvre du principe de précaution, ce qui permettrait de lerendre plus aisément opérationnel. Il est clair qu’il appartient au législateur, sous le contrôledu Conseil Constitutionnel opérant la conciliation des principes de la Charte avec les autresdroits fondamentaux, de mettre en œuvre le principe de précaution au cas par cas. Malgrécette carence, le principe de précaution a su inspirer la production de règles encadrant lesOGM.

2.2 La réglementation des OGM : une législationdéveloppée sous l’égide du principe de précaution

Du fait des risques associés à l’utilisation des biotechnologies, la législation sur les OGM sedevait de répondre à un impératif de précaution. C’est effectivement sous l’égide du principede précaution qu’elle s’est développée, au niveau international (2.2.1.) et communautaire(2.2.2.), puis de façon parfois plus chaotique au niveau national (2.2.3.).

2.2.1 L’empreinte du droit international dans le domaine du droit desbiotechnologies

Tout comme le principe de précaution, les biotechnologies ont d’abord été encadrées pardes traités, conventions et accords internationaux. Deux objectifs principaux ont conduitl’édiction de ces réglementations qui répondent à un souci de précaution : la préservationde la biodiversité de notre environnement et la biosécurité.

2.2.1.1 Les ressources génétiques et le droit international : un objectif depréservation de la biodiversitéDepuis toujours, les hommes ont su utiliser le formidable potentiel de la biodiversité et puiserdans leur environnement les ressources nécessaires à l’alimentation, au développement demédicaments ou de l’industrie. Ces ressources naturelles sont qualifiées de « ressourcesgénétiques » du fait de leur nature héréditaire et elles concernent trois types d’êtres vivants :les animaux, les végétaux et les microbes. Or, si l'on veut assurer des conditions de vie

43 OLOUMI Zia, « Le principe de précaution, outil effectif du processus de décision publique », Revue de l'Actualité juridiquefrançaise (RAJF) , 12 juin 2004

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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optimales aux générations futures, nous devons conserver la diversité génétique qui est aucœur même de l'alimentation et de l'agriculture. C’est le premier objectif développé par lestextes internationaux en la matière et undes enjeux essentiels dans le débat sur les OGM.

D’après la résolution 1803 de 1962 de l’Assemblée Générale de l’Organisation desNations Unies (ONU), confirmée par les principes approuvés à la conférence des NationsUnies sur l'Environnement qui a eu lieu à Stockholm en juin 1972, ainsi que d’aprèsl’article 344 de la convention de Rio sur la diversité biologique de 1992, tous les Etatsdisposent de façon souveraine des ressources de leur territoire, y compris les ressourcesnaturelles. Ces ressources naturelles (auxquelles appartiennent les plantes et les animaux)constituent donc un bien public. Il s’agit de marchandises ayant une valeur, mais pas enterme de marché, du moins tant que ce marché n’a pas créé des législations appropriées etspécifiques (brevet, droits d’obtentions…) qui sont propres aux responsabilités des États.

Le cas des plantes de culture appelle quelques précisions supplémentaires. Depuisla naissance des modes de vie sédentaires et de l’agriculture, les paysans n’ont cesséd’accroître la diversité et la qualité des espèces cultivées en créant des nouvelles variétés,toujours mieux adaptées aux conditions diverses des territoires, produisant plus ou seconservant mieux… Ce savoir-faire propre à la filière dite de « semences fermières » a peuà peu régressé face à l’avènement de l’agriculture intensive, qui a appauvri la diversité desespèces cultivées avec des critères normalisés de stabilité et d’homogénéité. Les nouveauxenjeux autour de ces ressources génétiques ont impliqué la mise en place d’un arsenaljuridique et réglementaire, à l’échelle internationale. De cette nécessité est née l’Unioninternationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV) en 1961, regroupant plusde 50 pays et ayant pour objectif affiché la mise en place et la promotion d’« un systèmeefficace de protection des variétés végétales afin d'encourager l'obtention de variétés dansl'intérêt de tous ». Pourtant la mention de l’intérêt commun frôle l’hypocrisie lorsque l’onsait que d’une part cet accord prive les agriculteurs de la possibilité de conserver librementleurs semences pour leur utilisation personnelle et que d’autre part il permet de breveter lesvariétés développées. On assiste donc à une première étape dans l’appropriation du vivantpar des brevets verrouillant certaines ressources naturelles.

L’étape suivante a été réalisée en 1992 à Rio avec la Convention sur la Diversité

Biologique (CDB). L’article 1er de la convention expose ses objectifs, lesquels sont « laconservation de la diversité biologique, l'utilisation durable de ses éléments et le partagejuste et équitable des avantages découlant de l'exploitation des ressources génétiques,notamment grâce à un accès satisfaisant aux ressources génétiques et à un transfertapproprié des techniques pertinentes, compte tenu de tous les droits sur ces ressources etaux techniques, et grâce à un financement adéquat ».

Les accords de Marrakech de 1994, instaurant l’Organisation Mondiale du Commerce(OMC), comportent un volet important sur les accords des droits de propriété intellectuelleliés au commerce (ADPIC). Les Etats parties doivent impérativement se doter d’unsystème de propriété intellectuelle. Même si l’article article 27:3 b) qui traite des inventionsconcernant les animaux et les végétaux et de la protection des variétés végétales permetd’exclure les végétaux de la brevetabilité, cela n’est possible qu’« à la condition que lesvariétés végétales soient protégées par un système sui generis efficace », tel la ConventionUPOV.

44 L’article 3 de la Convention sur la diversité biologique dispose que « Conformément à la Charte des Nations Unieset aux principes du droit international, les Etats ont le droit souverain d'exploiter leurs propres ressources selon leur politiqued'environnement (…). »

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Enfin, le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l'alimentation etl'agriculture a été adopté par la FAO en 2001, après sept années d’âpres négociations.Il s’agit là de ressources indispensables pour nourrir la population mondiale puisqu’ellescomposent la matière première que les agriculteurs utilisent pour améliorer la qualité etla productivité des cultures. Cet accord réglemente la conservation et l'utilisation durabledes ressources phytogénétiques pour l'alimentation et l'agriculture, ainsi que le partageéquitable des avantages dérivant de leur utilisation (y compris ceux générés par leséchanges commerciaux). Il reconnaît également le droit des agriculteurs et met en place unsystème multilatéral d'accès et de partage des avantages dérivant des cultures concernéespar le traité, soit plus de 64 espèces cultivées et plantes fourragères importantes.

Au regard de ces dispositions adoptées pour que perdure la variété des ressourcesgénétiques, les OGM sont souvent considérés comme potentiellement dangereux pourla biodiversité. Les espèces « super résistantes » créées grâce aux technologies dugénie génétique se révèlent particulièrement « colonisatrices » puisqu’elles présentent unavantage certain sur les autres variétés non génétiquement modifiées du point de vue dela sélection naturelle. Se pose donc la question d’une réglementation spécifique aux OGMdans le sens de plus de sécurité.

2.2.1.2 Un impératif de biosécuritéLe protocole de Carthagène sur la sécurité biologique

La gestion des risques potentiels posés par les OGM au niveau international s’estdonc engagée dans cette direction avec le protocole de Carthagène sur la prévention desrisques biotechnologiques. Signé le 29 janvier 2000 et entré en vigueur le 11 septembre2003, le protocole de Carthagène vient compléter la CDB de 1992 et a pour objectif deprotéger la biodiversité des risques potentiels des OGM conformément à l’approche deprécaution du Principe 15 de la Déclaration de Rio. Ce Protocole, premier Traité des NationsUnies de nature contraignante pour les pays qui ont accepté d’en être Partie, a pour objet« d'assurer un degré suffisant de protection lors du transfert, de la manipulation et del'utilisation d'organismes vivants modifiés résultant de la biotechnologie moderne », quipeuvent avoir des effets défavorables sur la diversité biologique en tenant compte desrisques pour la santé. Il s’agit donc de garantir aux pays important un produit que touteprésence d’OGM leur sera préalablement signalée. Ceux-ci disposent dès lors de la libertéd’accepter ou de refuser ces importations. Cependant des distinctions sont à faire entre lesOGM destinés à être introduits dans l’environnement, les OGM destinés à l’alimentation ouà la transformation et les OGM destinés aux produits pharmaceutiques qui sont eux réguléspar d’autres accords ou organismes internationaux. Le protocole prévoit également quetout pays qui choisit d’utiliser des OGM directement destinés à l’alimentation humaine ouanimale sur son territoire doit en informer les autres états. De plus un mécanisme d’alerte estprévu en cas de mouvements transfrontières non intentionnels d’OGM dangereux. La miseen place progressive d’un régime de responsabilité et de réparation en cas de dommagesest également attendue. Enfin est prévue la création d’un centre d’échange d’information,destiné à devenir une base de données mondiale sur les OGM.

Le Protocole de Carthagène peut être considéré comme un minimum indispensablepour assurer le contrôle sur les échanges des OGM mais non suffisant. Des questionscomme celle de l’étiquetage ou de la traçabilité des OGM n’y sont en effet pas abordéesalors qu’elles sont essentielles. C’est pour cela que la réglementation internationale doit êtrecomplétée, au niveau communautaire comme au niveau national.

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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Le Codex Alimentarius : sécurité sanitaire des aliments et information desconsommateurs

La Commission du Codex Alimentarius a été créée en 1963 par la FAO et l'Organisationmondiale de la santé (OMS) afin d'élaborer des normes alimentaires, des lignes directriceset d'autres textes, tels que des Codes d'usages. Les objectifs principaux de ce programmesont la protection de la santé des consommateurs, la promotion de pratiques loyales dansle commerce des aliments et la coordination de tous les travaux de normalisation ayanttrait aux aliments entrepris par des organisations aussi bien gouvernementales que nongouvernementales.

La commission mixte de la FAO et de l’OMS du Codex Alimentarius a adopté, le 2 juillet2003, des principes généraux pour l’analyse des risques sanitaires des aliments dérivésdes biotechnologies, qu’il s’agisse de plantes ou de micro-organismes. Ce cadre commundéfinit également des orientations en matière de gestion des risques alimentaires et desurveillance après la mise sur le marché des produits. En 2005, les travaux en matièred’évaluation ont repris, l’objectif étant de rédiger des lignes directrices similaires pour lesanimaux génétiquement modifiés et les plantes modifiées à des fins nutritionnelles ou desanté (par exemple, enrichissement vitaminique ou réduction de l’expression de certainsallergènes) dans la perspective des applications futures des OGM.

Par ailleurs, le Codex travaille depuis plusieurs années à l’établissement d’unenorme sur l’étiquetage des aliments qui contiennent des OGM ou des ingrédients qui ensont dérivés. Le consensus n’a toujours pas été trouvé tant les approches en matièred’information des consommateurs diffèrent selon les pays.

2.2.1.3 La convention d’Aarhus et les droits des consommateursLa Convention d’Aarhus, ou Convention sur l’accès à l’information, la participation du publicau processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement a été signéele 25 juin 1998 par 39 Etats, dont la France. On touche là à un point crucial du principede précaution : la transparence des procédures et l’information des consommateurs. Laconvention prévoit en effet des obligations générales pour les pays signataires en matièrede transparence sur les questions écologiques par la diffusion des principales donnéesenvironnementales. Elle confère aux individus la « citoyenneté environnementale », quileur donne un droit d’accès aux informations qu’ils demandent – dans le respect dusecret industriel protégé par la loi-, un droit de participation à l’élaboration des politiquespubliques et des normes juridiques en matière d’environnement et un droit de participationaux décisions environnementales en ayant une réelle influence sur la décision finale. Laconvention d’Aarhus a été retranscrite en droit communautaire avec la directive 2003/4/CE.

2.2.2 Un socle communautaire complexe et incompletLa directive 90/219/CEE du Conseil du 23 avril 1990 relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés

Elle a été transposée en France par la loi n° 92-654 du 13 juillet 1992 relative aucontrôle de l’utilisation et de la dissémination des OGM. Modifiée par la directive 98/81/CEdu 26 octobre 1998, elle n’a pas subie d’évolution capitale. Seules les procédures ont étésimplifiées.

La directive 90/220/CEE du Conseil du 23 avril 1990, relative à la disséminationvolontaire d’OGM dans l’environnement, abrogée par la directive 2001/18/CE du Parlement

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européen et du Conseil du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d’OGM dansl’environnement

Il s’agit d’une directive-cadre dont l’objectif est d’accroître l’efficacité et la transparencedes procédures de dissémination volontaire (essais en plein champ) et de mise surle marché. Les mesures prescrites s’inscrivent explicitement dans une démarche deprécaution, puisque la directive précise que « les États membres veillent, conformémentau principe de précaution, à ce que toutes les mesures appropriées soient prises afind'éviter les effets négatifs sur la santé humaine et l'environnement qui pourrait résulterde la dissémination volontaire ou de la mise sur le marché d'OGM ». La directive prévoitnotamment une limitation de la durée d’autorisation de mise sur le marché, jusqu’alorsillimitée. Les autorisations sont donc valables dix ans, renouvelables sous plusieursconditions : une meilleure information du public grâce à l’établissement de registres,la surveillance de l’évolution des risques sanitaires et environnementaux postérieurs àl’obtention de l’autorisation de l’essai ou de la commercialisation, l’étiquetage et la traçabilitédes OGM commercialisés au-delà d’un seuil minimal de présence fortuite et enfin laconsultation de comités scientifiques dès lors que la Commission européenne ou un Etat-membre « soulève une objection à propos des risques que des OGM présentent pour lasanté humaine ou l’environnement ».

Les règlements n°1829/2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pouranimaux génétiquement modifiés et n°1830/2003 concernant la traçabilité et l’étiquetagedes OGM et la traçabilité des produits destinés à l’alimentation humaine ou animale produitsà partir d’OGM du 22 septembre 2003

Ces règlements constituent un complément à la directive 2001/18 évoquée au pointprécédent et prévoient, entre autres, la suppression progressive de l’utilisation de gènes derésistance aux antibiotiques avant le 31 décembre 2004 pour tous les OGM commercialiséset avant le 31 décembre 2008 pour les OGM à l’essai. On a là un excellent exempled’une application raisonnée du principe de précaution puisque que l’interdiction n’est pasgénérale, ne porte pas sur l’innovation elle-même, mais concerne une partie ciblée de cetteinnovation considérée comme trop risquée. Les règlements n°1829/2003 et n°1830/2003instaurent également diverses obligations. Tout produit alimentaire comprenant plus de0,9% d’OGM doit être étiqueté comme tel. L’étiquetage devient également obligatoire dansle cas de produits alimentaires dérivés d’OGM, même à destination des animaux. De plus estattribué à chaque OGM un identificateur unique, mesure indispensable pour gérer les casde contamination. Enfin une procédure centralisée d’évaluation scientifique et d’autorisationdes OGM dont la mise sur le marché est demandée est mise en place, les évaluations étantréalisée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA).

Le règlement 641/2004 du 6 avril 2004Ce règlement précise les modalités d’information de l’AESA par tout Etat-membre

auprès duquel une demande de mise sur le marché pour un produit OGM est déposée. Ily est clairement stipulé qu’un Etat-membre ne peut autoriser une mise sur le marché demanière unilatérale. Il est néanmoins intéressant de constater qu’à l’inverse, la directive2001/18 permet aux Etats-membres de limiter ou d’interdire provisoirement l’utilisation oula vente sur son territoire d’un OGM ayant déjà bénéficié d’une autorisation de mise sur lemarché. C’est cette disposition qui a été invoquée par la France le au début de l’année 2008.

Des incertitudes juridiques persistent

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Ces incertitudes portent sur le taux de présence fortuite d’OGM dans les cultures, afinde pouvoir respecter le taux maximal de 0,9% dans l’aliment final. Il existe des désaccordsau sein de la communauté scientifique et de la Commission.

Ensuite, la législation communautaire reste encore trop lacunaire sur les règles decoexistence entre les différentes cultures. C’est donc aux Etats-membres de fixer les règlesde coexistence entre les différentes filières agricoles (OGM, traditionnelle, biologique). Cesdeux problèmes seront traités ultérieurement.

2.2.3 La législation française sur les OGMLa législation française sur les OGM résulte principalement de la transposition des normescommunautaires en la matière. Le sujet est sensible et les différents gouvernements onttrop souvent tenté de légiférer en catimini ou de repousser l’adoption des textes. Nousn’examinerons ici que les textes les plus récents, adoptés après la directive communautaire2001/18/CE.

2.2.3.1 Une transposition décriée : les décrets du 19/20 mars 2007Logiquement, la législation française sur les OGM applique les directives communautairesen la matière. Quelques spécificités du fait de la latitude de retranscription sont néanmoinsintéressantes à noter. Les débats entourant les projets de loi sur les OGM ont toujours étéhouleux, le sujet cristallisant les passions dans un pays où l’agriculture n’est pas seulementune question d’alimentation mais également de tradition.

En ce qui concerne l’application de la directive 2001/18/CE, il a fallu attendre le 20mars 2007 pour que deux décrets soient enfin publiés. Le choix d’une transposition pardécret plutôt que d’un examen devant les Assemblées a été fortement décrié, « privantle Parlement d'un débat démocratique sur des enjeux de société considérables » selonLylian Le Goff de la mission biotechnologies de France nature environnement. Mais legouvernement français a dû agir rapidement, sous la double menace d’une amende de 38million d’euros majorée d’une astreinte journalière de plus de 360 000 euros pour violation dela législation européenne réclamée par la Commission européenne en décembre 2006 et del’échéance présidentielle qui se rapprochait. Ces deux textes concernent donc la limitationde l'autorisation de la mise sur le marché pour une période de 10 ans, la consultation dupublic, la surveillance des cultures et l'étiquetage. Le premier décret impose aux agriculteursde fournir des informations sur les semis de cultures d'OGM, en précisant dans un dossier« les éléments d'information permettant d'évaluer l'impact des essais sur la santé publiqueet sur l'environnement » et un « plan de surveillance » pour en contrôler les effets. Le décretreprend également la limitation d’une autorisation sur le marché des produits contenant desOGM à une période de dix ans. Le texte permet de créer également un registre national quirecensera le nombre, la surface et la localisation des cultures OGM, le registre établi étantconsultable sur le site interministériel45 consacré aux OGM.

Le second décret tente de définir des règles de coexistence des différentes cultures.Ainsi les agriculteurs produisant du maïs génétiquement modifié devront-ils à l’avenirinformer les détenteurs de parcelles voisines et respecter une distance de sécurité de 50mètres, contre 25 mètres auparavant.

Un communiqué du ministère de l’Agriculture indique que ces dispositions renforcent« l'encadrement légal existant et ne remettent pas en cause la nécessité d'un débat devant la

45 http://www.ogm.gouv.fr/

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représentation nationale, au-delà de la transposition de la directive ». Pour de nombreusesassociations en effet, une loi seule permettra d’intégrer tous les enjeux majeurs que sontla protection de l'environnement, la préservation d'une agriculture non OGM, et donc dulibre choix alimentaire. Certaines lacunes de ces décrets sont mises en avant, ceux-ci netransposant pas de manière satisfaisante certains aspects de la directive européenne tel ledroit du public à l’information ou le rôle des principes de précaution et de responsabilité.

2.2.3.2 Le grenelle de l’environnement : le débat relancéLe 24 octobre 2007, le ministre de l'écologie Jean-Louis Borloo ouvrait la table ronde finaledu Grenelle de l'environnement, qui, après plusieurs mois de concertations devait durerdeux jours. Plusieurs avancées significatives sur le sujet des OGM ont résulté de ces débats.Tout d’abord ont été entérinés le principe d’une loi réglementant les OGM « dès janvier2008 », répondant de la sorte aux carences des décrets évoqués au point précédent, lamise en place d'une Haute autorité indépendante ainsi que les principes de responsabilité,de transparence et de précaution. Jean-Louis Borloo a également annoncé « le gel du Mon810 (maïs transgénique produit par la société Monsanto, le seul OGM cultivé en France)jusqu'au vote de la loi qui interviendra avant les prochains semis ». L'Etat recourt donc à laclause de sauvegarde comme l'y autorise l’article 23 de la directive européenne 2001/18/CEsur les OGM. D'autres Etats européens ont déjà pris une telle décision, comme l’Autriche,la Hongrie ou encore l’Allemagne… La procédure de suspension de la culture du maïsMon 810 sera finalement annoncée la 11 janvier 2008, la décision s’appuyant en vertu duprincipe de précaution sur les conclusions de la Haute autorité provisoire sur les OGM.En application de ce même principe de précaution, le ministre réaffirme également uneobligation de recherche avec « la nécessité de poursuivre la recherche sur les OGM, il fautdécider si ça se fera en milieu confiné ou ouvert ». Un arrêté du ministère de l’Agricultureest publié le 9 février 2008 au Journal Officiel, énonçant l’interdiction sur le territoire françaisde « la mise en culture, en vue de la mise sur le marché des variétés de semences de maïsissues de la lignée de maïs génétiquement modifié MON810». Saisi par des producteurs, leConseil d’Etat a confirmé dans une décision46 du 19 mars 2008 l’arrêté ministériel interdisantla culture du maïs OGM en 2008. L'institution devra encore se prononcer sur le fond dudossier, à une date qui reste à fixer.

Toujours sur le thème de l’agriculture, diverses annonces effectuées sont égalementencourageantes. Ainsi devraient êtres mises en place des mesures pour permettre laréduction de l'usage des pesticides à hauteur de 50%, sans date butoir, notamment grâceà l’utilisation de méthodes alternatives. Le ministre de l'Agriculture Michel Barnier a d'oreset déjà proposé l'interdiction de 47 des substances « les plus préoccupantes », précisantque s’ « il faut aller le plus vite possible pour la réduction de 50%, il [faut] protéger lescultures ». Enfin les accords de Grenelle ont décidé d’encourager le développement del’agriculture biologique, dont la part devrait passer à 6% de la surface cultivée en 2012 età 20% en 2020, contre 2% actuellement. Le bio devrait également pouvoir bénéficier d'unobjectif de 20% des commandes publiques pour la restauration collective. Ces mesures neconcernent pas directement le problème des OGM. Néanmoins ces mesures vont dans lesens de la conservation de la diversité qui caractérise l’agriculture française et préserventune alternative aux OGM si ceux-ci se révèlent néfastes.

2.2.3.3 La Loi n° 2008-595 du 25 juin 2008 relative aux organismesgénétiquement modifiés

46 Ordonnance du juge des référés du 19 mars 2008, ASSOCIATION GÉNÉRALE DES PRODUCTEURS DE MAIS et autres

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Au début de l’année 2008 un projet de loi sur les OGM a donc été rédigé, destiné cette fois-ci à être débattu devant le Parlement, ce qui ne s’est pas déroulé sans heurt. Les débatsautour de ce projet se sont révélés particulièrement virulents, du côté de l’opposition commede la majorité.

Le projet final adopté de après maints rebondissements apporte quelques réellesavancées, même se certains points restent encore à préciser. La loi n°2008-595 du 25juin 2008, conforme à la Charte de l'environnement, a été validée pour l'essentiel par leConseil constitutionnel47. Le texte comporte vingt-et-un articles répartis en six chapitres :le Haut conseil des biotechnologies, la responsabilité et la coexistence entre cultures, latransparence, les dispositions d'adaptation du Code de l'environnement et du Code de lasanté publique, le soutien à la recherche et les dispositions diverses.

La loi, destinée à encadrer l’utilisation en France des OGM, définit ceux-ci comme tout« organisme dont le matériel génétique a été modifié autrement que par multiplication ourecombinaison naturelles ». Un organisme étant « toute entité biologique non cellulaire,cellulaire ou multicellulaire, capable de se reproduire ou de transférer du matériel génétique ;cette définition englobe les micro-organismes, y compris les virus, les viroïdes et les culturesde cellules végétales et animales »

Le chapitre premier de la loi concerne la création d’un Haut Conseil des biotechnologies,dont la mission est « d'éclairer le Gouvernement sur toutes questions intéressant lesorganismes génétiquement modifiés ou toute autre biotechnologie et de formuler desavis en matière d'évaluation des risques pour l'environnement et la santé publique quepeuvent présenter l'utilisation confinée ou la dissémination volontaire des organismesgénétiquement modifiés, ainsi qu'en matière de surveillance biologique du territoire ». CeConseil devrait être composé d'un comité scientifique et d'un comité économique, éthique etsocial dont les membres sont nommés par décret, le Président étant un scientifique « choisien fonction de ses compétences et de la qualité de ses publications ». Il est égalementprévu que le comité économique, éthique et social compte parmi ses membres desreprésentants d’associations, intégrant ainsi la société civile au processus de décision. Deplus l'article 17 dispose que la « recherche publique développe les recherches consacréesà la génomique végétale, à la toxicologie, à l'épidémiologie et à l'entomologie, soutient ledéveloppement des techniques permettant de détecter les OGM et leur traçabilité dans lesproduits, d'étudier leur toxicité à long terme et d'intensifier les recherches sur la précisionde l'insertion du transgène et l'interaction entre l'insertion du gène et l'expression dugénome . Elle encourage les coopérations scientifiques avec les pays du Sud, soutientdes réseaux épidémiologiques performants et participe au développement d'un réseaueuropéen d'allergologie ».

Le point central du texte, énoncé à l’article 2, réside dans « la liberté de consommer etde produire avec ou sans OGM ». La production d’OGM doit bien sûr être possible, maisdans « le respect de l'environnement et de la santé publique, des structures agricoles,des écosystèmes locaux et des filières de production et commerciales qualifiées « sansorganismes génétiquement modifiés », et en toute transparence ». La loi place ces critèressous l’égide des principes de précaution, de prévention, d’information et des dispositionscommunautaires.

Concernant la liberté de choix des consommateurs, l’article 21 de la loi dispose que« les lots de semences contenant des semences génétiquement modifiées sont clairementétiquetés [et] portent la mention : contient des organismes génétiquement modifiés ». Il faut

47 Décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008

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Partie 2 - Parfaire l’encadrement juridique du principe de précaution et des OGM : la place du droitdans le débat sur le principe de précaution

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noter que cette disposition n’est pas applicable dans le cas de « traces accidentelles » ou« techniquement inévitables » en dessous d’un certain seuil. Le seuil retenu par la directiveeuropéenne est aujourd’hui fixé à un maximum de 0,9%. Néanmoins il est prévu dans laloi que ce seuil sera ajusté par décret, au cas par cas, « espèce végétale par espècevégétale ».

Plusieurs mesures sont prévues pour tenter de protéger la liberté de choix desexploitants agricoles et tenter de faire cohabiter les trois filières : OGM, traditionnelle etbiologique. Ainsi l’article 6 détermine-t-il les mesures destinées « à éviter la présenceaccidentelle d'organismes génétiquement modifiés dans d'autres productions ». Cesconditions techniques (conditions de mise en culture, de récolte, de stockage et de transportdes végétaux autorisés) seront fixées par arrêté du ministre chargé de l’agriculture etpar nature de culture. Elles devront définir les périmètres au sein desquels ne sont paspratiquées de cultures d'organismes génétiquement modifiés. Le respect de ces conditionssera contrôlé par des agents habilitéset elles pourront être révisées « sur la base detravaux scientifiques et des données de la surveillance biologique du territoire ». De plusles exploitants agricoles et les distributeurs de semences sont reconnus responsables detoute dissémination d’OGM, même involontaire, et ils doivent obligatoirement souscrireune assurance afin d’être en mesure de réparer le préjudice éventuel causé sur lesautres cultures. Les seront fixées par arrêté. Le pendant de cette (tentative de) protectionaccrue des filières non-OGM est la création d’un délit de destruction de parcelles (ditdélit de fauchage volontaire), sanctionné par des peines allant de 2 à 3 ans de prisonet 75 000 euros à 150 000 euros d’amende. L’article 7 prévoit également l’application desanctions similaires dans les cas de non-respect d’une ou plusieurs conditions techniquesrelatives aux distances entre cultures ou de refus des destruction ordonnées par l'autoritéadministrative en application de l'article L. 663-3.

En matière de transparence, l’article 10 impose qu’avant les semis « l'exploitant mettanten culture des organismes génétiquement modifiés ayant fait l'objet d'une autorisationde mise sur le marché doit déclarer auprès de l'autorité administrative les lieux où sontpratiquées ces cultures » afin qu’elles soient inscrites sur le registre national qui indique lanature et la localisation de parcelle. L’agriculteur doit également informer les exploitants desparcelles environnantes. Le non-respect de ces procédures est lourdement sanctionné, lespeines pouvant aller jusqu’à six mois d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.

Enfin, malgré la délivrance d’une autorisation et ce en vertu de l’article 21 de la directive2001/18/CE, l’article 14 prévoit une clause de sauvegarde qui permet à l’État de limiter ouinterdire, à titre provisoire ou définitif, l’utilisation ou la vente d’un OGM, et de prendre desmesures d’urgence, « lorsque l'autorité administrative a des raisons précises de considérerqu'un organisme génétiquement modifié autorisé présente un risque pour l'environnementou la santé publique en raison d'informations nouvelles ou complémentaires devenuesdisponibles après la délivrance de l'autorisation et qui affectent l'évaluation des risquespour l'environnement et la santé publique, ou en raison de la réévaluation des informationsexistantes sur la base de connaissances scientifiques nouvelles ou complémentaires ».

Ainsi le principe de précaution a-t-il été progressivement inséré dans l’ordre juridiqueinternational, communautaire, puis national, sans pour autant se voir attribuer un contenuet une portée effectifs, restant une norme inspiratrice vague dont ont pu se saisir, mêmetimidement, le juge communautaire et le juge administratif. Cependant, même insaisissable,le principe de précaution a su encadrer la législation relative aux OGM. Les dispositionsprésentes dans les différents textes répondent de façon satisfaisante à un objectif deprécaution puisqu’elles instaurent une veille scientifique et technologique, protègent la

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recherche ou encore prévoient l’investissement de la société civile dans le débat. Pourtantl’écriture juridique du principe de précaution reste imparfaite et restreint encore sonapplication.

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Partie 3 - Adopter et respecter des pratiques prudentes : l’indispensable rigueur procédurale duprincipe de précaution

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Partie 3 - Adopter et respecter despratiques prudentes : l’indispensablerigueur procédurale du principe deprécaution

Les OGM sont incontestablement une technique prometteuse qu’il faut encourager maisils sont également porteurs de risques qu’il faut également encadrer. Pour Marc Fellous,président de la commission du génie biomoléculaire (CGB), « il n’y a pas de bonsou de mauvais OGM. C’est l’utilisation qu’on en fait qui les rend bons ou mauvais ».Tout développement ou toute utilisation supplémentaire doit répondre à un impératif derigueur attaché au principe de précaution, que nous venons d’inclure dans notre corpusconstitutionnel. Reprenons ici les termes de Philippe Kourilsky, pour qui « en l’absence decertitude, la précaution consiste à privilégier la rigueur des procédures. » Le principe deprécaution est donc une affaire de procédures. Quelles sont-elles ? Dans quelle mesurepeuvent-elles être intégrées à la législation relative au principe de précaution et faire decelui-ci un outil effectif de gestion des risques? Nous verrons dans cette troisième et dernièrepartie qu’il est possible de définir un jeu de procédures applicables de façon généraleà toutes les situations réclamant la mise en œuvre du principe de précaution (3.1.) etmontrerons la viabilité de ces procédures, qui sont tout à fait aptes à guiderles décisions àprendre concernant les OGM (3.2.).

3.1 Les « dix commandements de la précaution »Nous l’avons vu dans la deuxième partie, la transposition en droit positif du principe deprécaution reste lacunaire. Pour répondre aux interrogations qui subsistent quant à la portéedu principe et par là le rendre plus effectif, il appartient désormais au législateur de produireun texte contraignant énonçant les principales procédures générales à mettre en œuvrepour l’application du principe de précaution. Sans trop circonscrire le principe, ce qui nuiraità son efficience, une telle précision permettrait à la fois d’éviter la confusion avec les casrelevant de la prévention et une application trop draconienne paralysant l’innovation. Ils’agit là de produire un encadrement juridique qui, sans être rendu obsolète à la moindreévolution de la situation scientifique, économique, politique ou sociale, facilite la mise enplace de mesures au cas par cas. Les dix commandements de la précaution énoncés parPhilipe Kourilsky et Geneviève Viney dans leur rapport au premier ministre de 1999 peuventparfaitement servir de base théorique à l’élaboration de ce cadre d’action.

3.1.1 L’analyse des risques en préparation à la décision

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Toute démarche de précaution trouve son origine dans une analyse des risques qui doitrépondre à plusieurs conditions afin de ne pas entraîner une mise en œuvre stérile – sinondommageable - du principe de précaution.

« Tout risque doit être défini, évalué et gradué ».L’analyse des risques doit tout d’abord procéder à leur rationalisation : il faut distinguer

les véritables risques potentiels des appréhensions ou fantasmes irrationnels déclenchéspar une innovation. Si le transfert d’un gène de résistance aux antibiotiques d’une plantegénétiquement modifiée à une bactérie est possible, bien que la survenance en resteincertaine, l’hypothèse d’une mutation génétique d’un mammifère ayant consommé desOGM relève de la science-fiction. De la sorte est effectué un premier tri entre les scénariosplausibles et ceux qui sont farfelus, duquel résulte une liste de risques potentiels qui vontdevoir être gradués selon leur gravité, leur probabilité…

« L'analyse des risques doit comparer les différents scénarios d'action et d'inaction ».La deuxième étape va consister en une comparaison des risques associés aux

différents scénarios envisageables, principalement le fait d’agir ou de ne pas agir. Ainsi ence qui concerne les OGM, cette technologie est probablement superflue pour l’alimentationde nos pays développés qui disposent de sources alimentaires abondantes et variées.Néanmoins nous ne pouvons vraisemblablement pas nous dispenser des recherches surles OGM dans le domaine médical, cette technique offrant des perspectives prometteuses.

« Toute analyse de risque doit comporter une analyse économique qui doit débouchersur une étude coûts/bénéfices (au sens large) préalable à la prise de décision ».

Il apparaît essentiel que toute décision en la matière soit prise au vu d’une analyseéconomique, même si cette idée d’inféodation de la gestion des risques à des considérationséconomiques rencontre le plus souvent une opposition farouche de la part du grand public.Cette analyse doit être globale et associer l’ensemble des points de vue et des donnéesayant été récoltées auprès de chacun des acteurs, afin de procéder à une comparaisonrisques/bénéfices.

« Les structures d'évaluation des risques doivent être indépendantes maiscoordonnées ».

Les auteurs du rapport mettent en évidence plusieurs volets dans la démarched’évaluation et de suivi des risques : l’acquisition de données, l’expertise et les diverscontrôles. Cette analyse des risques se doit impérativement d’être confiée à des instancesindépendantes des intérêts en jeu.

3.1.2 Le contenu et le suivi de la décisionUne fois les risques identifiés, un certains nombre de mesures « normalisées » doiventêtre prises pour parer à ces risques. Elles doivent être adaptées aux situations particulièresdans lesquelles s’applique le principe de précaution, à savoir des situations complexes,incertaines et touchant à des domaines divers.

« Sortir de l'incertitude impose une obligation de recherche ».Le rapport met ici en lumière une des règles fondamentales de la démarche de

précaution : celle de sortir de l’incertitude au plus tôt, de confirmer ou d’infirmer lesinquiétudes émises lors de l’analyse des risques. Cela implique une obligation de recherche

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Partie 3 - Adopter et respecter des pratiques prudentes : l’indispensable rigueur procédurale duprincipe de précaution

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qui a pour but non seulement le progrès de connaissance d’un phénomène, mais surtout larésolution de l’incertitude qui a conduit à mettre en place un processus de précaution.

« Les décisions doivent, autant qu'il est possible, être révisables et les solutionsadoptées réversibles et proportionnées ».

Compte tenu des progrès constants de la recherche scientifique, il semble naturel depenser que les connaissances du domaine concerné vont évoluer et entraîner l’apparitionde nouveaux savoir-faire qui permettront de gérer demain des problèmes pour lesquelsnous n’avons pas de solution aujourd’hui. Ainsi toutes les décisions prises doivent êtrerévisables et les solutions envisagées réversibles. Prenons l’exemple de l’enfouissementdes déchets radioactifs : nous sommes passés d’un enfouissement définitif à un systèmed’entreposage souterrain réversible qui nous permettra de résoudre cette question encas d’évolution scientifique majeure dans le traitement de ce type de déchets. Le rapportmet néanmoins en lumière certaines difficultés de mise en pratique de cette idée deréversibilité, qui constitue un véritable défi pour des structures lourdes et complexes tellesque l’administration publique.

Concernant la proportionnalité de la solution adoptée, elle ne doit pas se limiter auxseuls aspects économiques du problème mais résulter de l’évaluation d’un rapport globalcoûts/avantages évoquée précédemment. Il faut en effet, à risque comparable, privilégierla prévention sur la précaution, et privilégier l’analyse des risques potentiels étayés sur lesrisques potentiels plausibles. Pour prendre un exemple, dans le cas des OGM il s’agiraitde concentrer les moyens d’études davantage sur les risques environnementaux que surles risques alimentaires. De plus s’il est facile d’interdire, il l’est moins d’autoriser. De fait, laresponsabilité des décideurs sera plus aisément mise en cause pour défaut de précautionque pour excès, même si cet excès de précaution entraîne d’importantes conséquencesnégatives. Il faut donc trouver un juste milieu entre l’interdiction et la licence totale.

« Les circuits de décision et les dispositifs sécuritaires doivent être non seulementappropriés mais cohérents et efficaces ».

La cohérence des circuits de décision va découler d’une bonne coopération entre lescircuits administratif et politique ainsi que d’une bonne circulation des informations. Decette collaboration bien organisée dépend la rapidité de traitement des problèmes, signed’efficacité.

« Les circuits de décisions et les dispositifs sécuritaires doivent être fiables ».La fiabilité de ces circuits réclame que soient minimisées les erreurs commises en leur

sein et passe par une définition précise des procédures à mettre en œuvre.« Les évaluations, les décisions et leur suivi, ainsi que les dispositifs qui y contribuent,

doivent être transparents».Pour les auteurs, c’est « la qualité d’un système qui rend son fonctionnement

déchiffrable et compréhensible pour les individus qui lui sont extérieurs ». Cettetransparence requiert deux propriétés indissociables : la lisibilité de l’organisation et lavolonté d’informer. En contrepartie, cette transparence peut entraîner des malentendusmédiatiques, les OGM en sont un des exemples les plus parlants. Cependant cet effort detransparence se doit d’être fait, il constitue un des fondamentaux du principe de précaution.

La transparence implique également une meilleure répartition des responsabilitésentre la puissance publique et les citoyens, un processus qui peut notamment passerpar l’étiquetage des produits. Ainsi informés, les citoyens peuvent être mis en positiond’endosser la responsabilité du risque potentiel.

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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« Le public doit être informé au mieux et son degré de participation ajusté par le pouvoirpolitique ».

L’information du public, lorsque celui-ci est susceptible de courir des risques estindispensable : ce droit à l’information est d’ailleurs inscrit dans plusieurs textes de loi serapportant à des risques avérés. Pourquoi ne pas l’étendre aux risques potentiels étayés ?La participation du public peut également être assurée par une meilleure associationaux débats et par son intervention dans le processus de décision. C’est la positiondéfendue par l’école dialogique, représentée par Michel Callon, Pierre Lascoumes etYannick Barthe, pour qui le principe de précaution représente un levier de la démocratieparticipative. Ils proposent ainsi la création de forums hybrides, caractérisés par ladiversité des groupes engagés (scientifiques, décideurs, associations, journalistes…) etla variété des registres abordés. Ce système aboutirait selon eux à la définition d’uneaction mesurée, du fait notamment de la prise en compte du savoir des experts et d’unenrichissement démocratique.

En respectant les procédures citées précédemment, on aboutit à un processus deprécaution équilibré, réactif et positif, même s’il reste perfectible. De telles mesuresencadrent donc de façon adéquate la mise en œuvre du principe de précaution, commenous pourrons le voir avec l’exemple des OGM.

3.2 Des procédures applicables à la gestion des OGMLe rappel de ces dix « commandements » permet dans un premier temps de mieux cernerquelques dérives survenues dans la mise en œuvre du principe de précaution appliqué aucas particulier des OGM. Tout d’abord l’obligation de recherche induite par la nécessité d’uneévaluation constante et évolutive des risques a été gênée par les fauchages de culturesexpérimentales en plein champ. Notons également que la radicalisation du débat sur lesOGM interdit une véritable analyse comparative des risques, tant dans l’optique de l’actionque de l’inaction. Une analyse économique des risques qui invite à replacer ceux-ci dans uneperspective élargie facilitant un examen en coûts/avantages est également compromise parcette crispation des positions de part et d’autre. Certaines mesures doivent donc être misesen place, d’autres encouragées davantage encore, pour parfaire le processus de précaution.Voici donc un panel des mesures prises ou à prendre pour gérer les OGM à la lumièred’un principe de précaution efficient, des mesures encadrées par la « feuille de route »proposée précédemment. Nous nous limiterons ici principalement aux mesures concernantla gestion des plantes génétiquement modifiées. Trois axes semblent permettre d’encadrerun développement rigoureux des technologies du génie génétique dans cette perspective :la rigueur dans le processus de recherche et d’innovation (3.2.1.), la rigueur dans la gestiondes OGM autorisés (3.2.2.) et la rigueur dans la communication avec le public (3.2.3.).

3.2.1 La rigueur dans l’approche scientifique des OGMOn touche là au rôle fondamental des scientifiques et de la recherche dans l’applicationconcrète du principe de précaution. Il esten effet nécessaire d’entretenir la biovigilance,dans un monde en perpétuelle évolution.

3.2.1.1 Penser le processus de précaution comme un processus évolutif

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Les innovations concernées par le principe de précaution sont principalement desinnovations aux conséquences incertaines sur le long terme ou dont l’état actuel desconnaissances ne permet pas de déterminer précisément l’impact. Ce postulat établi, ilsemble logique de penser le processus de recherche de façon constante.

Considérons que sur de nombreux points, les scientifiques estiment que la rechercheactuelle a atteint ses limites. Pierre Feillet, entendu par la mission d’information sur lesenjeux des essais et de l’utilisation des OGM de l’Assemblée Nationale, confirme que« tous les travaux effectués par [les] biologistes moléculaires et par les toxicologues ontatteint un seuil indépassable, sauf peut-être sur un point, qui est l’expression éventuellede gènes silencieux ». Ainsi les recherches dans le domaine de la toxicologie ne pourront-elles véritablement redémarrer qu’avec l’apparition de nouvelles techniques scientifiquesd’analyse sur le long terme. La mise en place de mécanismes de veille technologiquepermettra de le faire au moment opportun. Dans l’intervalle le processus de recherche sedoit d’évoluer et de se concentrer sur des domaines encore explorables tels que les risquessériels48 ou les gènes silencieux49. Et il faudra bien sûr adapter les mesures prises auxrésultats issus de ces recherches, qu’elles prouvent ou invalident les hypothèses émisespour la mise en œuvre du principe de précaution. On constate ici la pertinence de lasixième recommandation du rapport de Philippe Kourilsky et Geneviève Viney, concernantla réversibilité des solutions adoptées. Ce problème se pose de façon aiguë pour ce qui estde l’autorisation de cultures OGM en plein champ, puisque l’on sait pertinemment que lacontamination des cultures non-OGM alentours est tout à fait probable. Ce problème précissera traité plus amplement par la suite.

3.2.1.2 Soutenir et dynamiser la rechercheIl y a peu de domaines du droit qui soient aussi liés à la science et à la rechercheque le droit de l'environnement. L’obligation de recherche contenue dans le principe deprécaution doit amener les décideurs à soutenir davantage la recherche ; ce soutienrecouvre plusieurs aspects tels que le financement et l’indépendance d’une recherchepublique, sa réorganisation et enfin la protection des travaux face au problème particulierdes faucheurs.

La priorité sera donc de financer les travaux de recherche des scientifiques tout enleur assurant l’indépendance la plus large possible. Une démarche qui doit logiquementpasser par une augmentation du soutien à la recherche publique dans un domaine encoretrop délaissé. Le différentiel entre l'Europe et les Etats-Unis concernant les investissementsdans les biotechnologies atteint des proportions de 1 à 10. En Europe les chiffres sontsans appels : l'objectif fixé par le Livre Blanc sur la compétitivité de Jacques Delors étaitun effort de recherche et développement de l'ordre de 3 %du produit intérieur brut (PIB),chiffre confirmé par le Conseil européen de Barcelone de mars 2002 est loin d’être atteint.Les derniers chiffres fournis par Eurostat50 montrent que la part du PIB européen consacréà la recherche stagne. En effet, en 2006, l’Union Européenne des 27 (UE27)a consacré1,84% de son PIB à la recherche et au développement (R&D). L’intensité de R&D, mesuréepar la part des dépenses de R&D en pourcentage du PIB, s’élevait également à 1,84%en 2005 et à 1,86% en 2000. Les dépenses de R&D dans l’UE27sont donc trop faibles.Les carences de la recherche européenne ne sont malheureusement pas compensées au

48 Les risques sériels sont des risques diffus et étendus, apparaissant sur le long terme.49 Il s’agit de gènes présents dans les cellules qui ne s’expriment pas, ou seulement en certaines circonstances.50 Communiqué de presse Eurostat 34/2008 du 10 mars 2008, « Science, technologie et innovation en Europe »

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niveau national. Ainsi en France, l'effort global (public et privé) consacré à la recherchene s'élève qu'à 2,1 % environ de notre PIB, ce qui représente une part plus faible quecelles consacrées par la Suède, la Finlande, le Japon ou encore les Etats-Unis. S'agissantplus précisément des biotechnologies, le déséquilibre entre la France et les Etats-Unis estparticulièrement marqué : le rapport entre le budget public de recherche en sciences de lavie est, par habitant, de 1 en France pour 3,3 aux Etats-Unis...51.

Un autre problème peut être soulevé concernant les recherches dans le domaine desbiotechnologies, celui de l’indépendance des scientifiques. Ces dernières années en effetles chercheurs qui ont fourni les informations nécessaires aux décisions en matière d’OGMont souvent fait l’objet de suspicions quant à la réalité de leur indépendance. A plusieursreprises l’indépendance et l’intégrité de certains chercheurs de la CBG et de l’Afssa ontété contestées, bien que ces experts signent des déclarations d’intérêts qui abordent nonseulement les intérêts économiques mais aussi intellectuels. Le cas de Christian Vélot,chercheur en génétique à l’Institut d’Orsay, et de son équipe témoigne de l’importancedes intérêts en jeux et des pressions qui peuvent s’exercer sur les scientifiques ou lesdécideurs. Le quotidien Libération relate dans son édition du 19 octobre 200752 les pressionssubies par le chercheur connu pour ses avis critique sur les OGM, qui s’est vu confisquerdes crédits, supprimer des étudiants… jusqu’à recevoir l’annonce de l’exclusion de sonéquipe en 2010. De même, la cacophonie autour de l’avis rendu le 9 janvier 2008 par laHaute Autorité provisoire sur les organismes génétiquement modifiés ayant ouvert la voieau moratoire sur la culture du maïs MON810 illustre bien la confusion qui peut régner surle sujet. Le sénateur Jean-François Le Grand avait en effet déformé les conclusions durapport des experts pour justifier le déclenchement du moratoire, faisant état de « doutessérieux » et « de faits scientifiques nouveaux négatifs », des termes que l’on ne retrouvaitpas dans l’avis de la haute autorité provisoire. De telles affaires sapent la confiance dugrand public envers la recherche sur les OGM et peuvent à terme décourager la miseen place de certains programmes, situation fort regrettable. Jean-François Le Grand retireune certitude de l’affaire évoquée plus haut : « la réponse à apporter aux doutes sérieuxne peut venir que d'une recherche publique indépendante disposant de moyens suffisantspour sortir de cette phase d'incertitude lourde de conséquences. » L’Etat se doit doncd’apporter un financement adéquat à des chercheurs afin de leur procurer la plus grandeindépendance possible. Les libertés d’opinion et d’expression garanties par la Constitutionde 1958 se doivent d’être garanties aux chercheurs. Il lui faut également s’assurer queles règles édictées pour garantir cette indépendance – notamment dans les déclarationsd’intérêt évoquées précédemment – soient bien respectées, voire renforcées.

Toutes ces mesures sont naturellement loin d’être suffisantes si l’on veut encouragerune recherche efficace. Il est nécessaire d’organiser la recherche et d’harmoniserl’interprétation des résultats. C’est ce qui commence à se mettre en place avec la création dela Haute autorité provisoire pour les OGM. Sa composition devra bien sûr être légèrementrevue afin d’inclure des membres qui n'auront aucun lien direct ou indirect avec des intérêtsOGM. Une meilleure coordination entre tous les organismes pouvant traiter du problème desOGM (Afssa, Comité de biovigilance, INSERM…) représente ici un impératif de la démarchede précaution à mettre en place.

Des mesures doivent enfin être prises concernant le problème spécifique desfauchages volontaires. Si nous voulons aller de l’avant sur ce sujet des OGM, la recherche

51 LENOIR Noëlle, Relever le défi des biotechnologies : rapport au ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie,Collection des Rapports officiels, éditons Lavoisier, 2002

52 PATRIARCA Eliane, « OGM: un chercheur sanctionné pour son esprit critique », Libération, 19 octobre 2007

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Partie 3 - Adopter et respecter des pratiques prudentes : l’indispensable rigueur procédurale duprincipe de précaution

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est indispensable. Or certaines recherches, que ce soit à des fins agricoles ou médicales,passent nécessairement par des essais en plein champ. Il n’est pas admissible que desindividus, quelles que soient leurs convictions, détruisent des travaux scientifiques menéspour certains depuis plusieurs années, retardant et décourageant la recherche dans undomaine prometteur. A cet égard la criminalisation de ces comportements opérée par la loidu 25 juin 2008 relative aux OGM, qui crée et sanctionne sévèrement un délit de fauchagevolontaire est exemplaire. Reste à savoir comment sera appliquée cette disposition par lestribunaux. La réponse ne devrait pas tarder à être connue puisque les premières opérationsde fauchage de parcelles OGM par des militants depuis la publication de la loi ont eu lieule 15 août 2008 dans la commune de Civaux, dans la Vienne.

3.2.2 La rigueur dans la gestion des OGMSi la recherche doit être encouragée afin d’accompagner l’évolution des mesures deprécaution mises en œuvre, il ne faut pas porter moins d’attention à ces procédures elles-mêmes. Elles doivent prendre en compte les exigences de réversibilité et de proportionnalitétout en étant efficientes.

3.2.2.1 Une meilleure organisation du contrôle administratif et uneclarification des règles d’évaluation et de suivi des OGMLe contrôle des semences et plants génétiquement modifiés

L’expérimentation en plein champ de plantes génétiquement modifiées relève duchapitre III du Code de l’environnement, relatif aux disséminations volontaires d’OGM. Il estprécisé à l’article Article L533-2 que le terme de dissémination volontaire désigne

« toute introduction intentionnelle dans l'environnement d'un organismegénétiquement modifié ou d'une combinaison d'organismes génétiquementmodifiés pour laquelle aucune mesure de confinement particulière n'est prisepour en limiter le contact avec les personnes et l'environnement et pour assurer àces derniers un niveau élevé de sécurité ».

Ces expérimentations sont donc (pour des OGM ne bénéficiant pas d’autorisation de misesur le marché) soumises à une autorisation des autorités administratives après avis du HautConseil des biotechnologies concernant les risques potentiels de la dissémination. Cetteautorisation précise les conditions dans lesquelles ces parcelles expérimentales peuventêtre implantées de façon à prévenir les risques pour l’environnement et la santé publique.

Ce sont alors les agents du Ministère de l’agriculture et de la pêche qui ont la chargede vérifier si les conditions dans lesquelles les parcelles expérimentales sont implantéesrespectent les exigences mentionnées dans l’autorisation. Ils sont habilités à dresser desprocès-verbaux pour transmission au Procureur de la République chaque fois qu’uneinfraction est constatée. Indépendamment des poursuites pénales, ces agents peuventordonner des mesures administratives telles que la destruction de la culture expérimentalesi elle ne respecte pas les conditions prescrites.

Des mesures et sanctions similaires encadrent la culture d’OGM à des fins de mise surle marché, dont l’autorisation est soumise à un avis du Haut Conseil des biotechnologies etdélivrée par l’autorité administrative compétente. Dans ce cas de la mise sur le marché, lesautorités doivent également procéder à une vérification de la conformité de l’étiquetage.

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Les modalités d’autorisation et de contrôle prévues par la législation semblent permettrel’application de mesures de précaution, si les organismes en charge de l’évaluation desrisques et de leurs évolutions effectuent un travail effectif et rationnel en amont.

Quel dispositif d’évaluation et de contrôle?Jusqu’à la loi du 25 juin 2008 relative aux OGM, les organismes scientifiques référents

en charge de l’évaluation des produits issus des biotechnologies étaient éclatés. Ledispositif d’évaluation d’un OGM pouvait en effet amener les autorités publiques à faireappel à la Commission du génie génétique (CGG), mais également à la CGB, à l’Afssa ouau Comité de biovigilance. Ces commissions, comités et agences ont des statuts différentset des compositions hétérogènes : si la CGG est exclusivement composée de scientifiques,le Comité de biovigilance comprend lui des membres issus de la société civile. Il est donclogique que ressortent parfois d’organismes si divers des avis, sinon contraires, du moinsdivergents.

La récente loi sur les OGM semble pallier à cette mauvaise organisation du suivi desOGM en créant un Haut Conseil des biotechnologies, qui devrait centraliser les résultatsissus des différentes recherches et homogénéiser les recommandations. Il faudra êtreattentif à sa composition et à l’équilibre entre ses deux comités, scientifique et socio-économique. Seul un dialogue effectif entre ces deux parties pourra en effet mener uneapplication raisonnée du principe de précaution concernant sur le sujet délicat OGM. Encorefaudrait-il également envisager une meilleure coordination au niveau européen, puisquel’on constate encore d’importantes divergences entre les interprétations des résultats desrecherches scientifiques. Le cas du maïs MON 810 est exemplaire : si la commissiond’évaluation française a estimé en janvier 2008 qu’il existait des « doutes sérieux »concernant cet OGM, ni les experts de l’Afssa ni ceux de l’AESA ne partageant ces doutes.

3.2.2.2 Des règles strictes mais réalistes de coexistence des culturesLe phénomène de dispersion involontaire d’une partie des transgènes des plantesgénétiquement modifiées aux cultures environnantes a été évoqué dans la partie concernantles risques environnementaux liés aux OGM. Il s’agit là d’un risque dont on sait aveccertitude qu’il peut se réaliser. L’inconnue réside dans la probabilité de la survenanceet l’étendue de la contamination, une ignorance qui appelle à la précaution du fait ducaractère irréversible d’une telle contamination. Précisons que le terme de contaminationest ici utilisé sans connotation négative apparentant cette contamination à la transmissiond’une maladie.La justification des mesures de coexistence des cultures relève de deuxexigences. D’une part, celle d’offrir aux agriculteurs la possibilité de choisir librementla forme d’agriculture qu’ils souhaitent pratiquer. D’autre part, donner par ce biais auxconsommateurs les moyens de consommer des aliments produits conformément à leurspréférences. Du fait de traditions agricole et gastronomique bien ancrées dans la culturenationale, les craintes liées à ce problème de la dispersion involontaire des OGM sonten France plus aiguës, tranchant avec l’indifférence que suscite cette question dansd’autres pays où la culture des OGM s’est répandue, comme les Etats-Unis ou l’Afriquedu Sud. Sans sombrer dans la paranoïa, il faut étudier les risques comme les différentesmesures possibles pour assurer le développement et le maintien des formes d’agriculturesbiologique, conventionnelles, et OGM.

Le fait est que l’on touche là à un problème dont les conséquences parassentdifficilement réversibles. En effet, une fois les plantes génétiquement modifiées disperséesdans la nature, il y a fort à parier que les transgènes qui leur donnent un avantage sélectifcertain au regard de la théorie de l’évolution des espèces se diffusent et colonisent les

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Partie 3 - Adopter et respecter des pratiques prudentes : l’indispensable rigueur procédurale duprincipe de précaution

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variétés traditionnelles. Un tel scénario de « contamination » aurait pour conséquence d’unepart d’annihiler progressivement tout espoir d’une agriculture non-OGM, traditionnelle oubiologique et d’autre part d’appauvrir le stock des espèces végétales. Est-ce acceptabledans un pays où pour beaucoup la qualité des aliments doit encore primer sur la quantité.Plutôt que de poursuivre l’expansion d’un modèle d’agriculture productiviste en s’engageantdans la voie des OGM, certains préconisent de faire le choix d’une agriculture traditionnelleraisonnée, limitant le recours aux herbicides et autres pesticides et privilégiant la qualité.Mais peut-on réellement se passer des cultures OGM ? Plusieurs problèmes tels que celuide l’indépendance concernant la production d’oléagineux laissent à penser que non. Dèslors il faut prendre des mesures fermes mais raisonnables de coexistence des différentescultures.

La possibilité de maintenir différentes formes d’agriculture constitue en effet lacontrepartie indispensable de l’acceptation de la présence d’OGM en plein champ, cequi suppose de pouvoir évaluer l’importance des dispersions involontaires d’OGM, maisaussi de définir des seuils techniquement et économiquement réalistes de présence fortuited’OGM et, enfin, de mettre en place des mesures permettant de limiter l’importance de cesdispersions sur le terrain.

Des mesures pour une meilleure évaluation des phénomènes de dispersionIl faut considérer que les phénomènes de dispersion et de pollinisation varient selon les

types de cultures et les spécificités de l’environnement. Il est indispensable avant de mettreen place une agriculture OGM à grande échelle de tenter de modéliser ce phénomène decontamination. A cette fin il faut mesurer les flux de gènes issus d’OGM, en serre mais aussien plein champ. Puis construire et valider des modèles théoriques permettant de prévoirces flux à partir de multiples paramètres (biologiques, géographiques, météorologiques).Dans son rapport d’activité 2003 la CBG estime que d’une manière générale « la dispersiondu pollen décroît rapidement avec la distance puis semble suivre une loi plus uniforme,c’est-à-dire que cette dispersion se maintient mais à un taux très faible (quelques pourmille) ». Malgré cela le principe de précaution impose que de telles études soient menéespour chaque nouvelle espèce OGM avant toute mise en culture. Une fois de telles donnéesrécoltées, il sera possible de prendre des mesures pertinentes de protection des culturesnon-OGM environnantes, tout en restant conscient que le « risque zéro » ne sera jamaisatteint.

La définition de seuils raisonnables de présence fortuite d’OGMLa coexistence de l’ensemble des cultures est incompatible avec un seuil de 0%

d’OGM dans les produits issus de cultures non-OGM, le risque zéro de contaminationn’existant pas. Puisqu’il est impossible d’éviter toute dispersion involontaire d’OGM, desseuils raisonnables de « présence fortuite » doivent être mis en place, sous peine de devoirséparer les cultures OGM et non-OGM par des distances inenvisageables de plusieurskilomètres. Pour évaluer la pertinence des différents taux, il convient donc de prendre encompte le surcoût engendré par la séparation des filières, qui est évidemment d’autant plusélevé que le taux maximal de présence fortuite d’OGM est bas. Ainsi dans un rapport de2003, il est estiméque « les coûts de ségrégation croissent logiquement à l’inverse du seuilde tolérance, mais de façon exponentielle »53.

Le taux maximum actuellement prévu par la réglementation communautaire s’élèveà 0,9 %. Il s’agit là d’un taux très exigeant et nettement supérieur à celui retenu par de

53 Rapport n° 301 du Sénat, « Quelles Biotechnologies pour la France ? », présenté par M. Jean-Marc PASTOR, rapporteurde la mission d’information sur les enjeux économiques et environnementaux des OGM présidée par M. Jean BIZET, 2003.

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nombreux pays, comme le Japon (5 %), la Suisse (3 %) ou les Etats-Unis (2 %, dans uncadre contractuel). De plus, force est de constater que des taux plus élevés que celui envigueur en Europe n’entravent en aucun cas le développement de l’agriculture biologique,puisque les surfaces consacrées à l’agriculture biologique aux Etats-Unis ont augmenté de74 % entre 1997 et 200154. Ce taux de 0,9% semble donc tout à fait raisonnable, mêmesi certaines associations de consommateurs telles que QUE CHOISIR réclament un tauxde présence fortuite maximum de 0,1%, un taux irréalisable à un coût économiquementacceptable.

Des règles de distance et de périodicité adaptées pour limiter les risques de présencefortuite d’OGM

Le recours à plusieurs règles simples permettrait de limiter les phénomènes decontamination entre cultures OGM et non OGM.

La première mesure, et la plus simple, à mettre en œuvre est l’instauration de distancesde séparation minimales entre parcelles OGM et non OGM. Si le risque de contaminationdécroît avec la distance, un principe de précaution raisonné recommande en effet non pasl’interdiction pure et simple de cultures OGM mais le respect d’une distance raisonnable au-delà de laquelle les probabilités de dispersion sont fortement réduites. En ce qui concerneles expérimentations en plein champ sur les maïs transgéniques, il est rapporté qu’uneséparation de 24,5 mètres permet d’obtenir une contamination inférieure à 0,9 %, unedistance de 50 à 60 mètres abaisse ce taux aux environs de 0,5%, alors qu’avec unéloignement de 80 mètres on atteint un taux de 0,3%. On peut également imaginer unedistance plus importante pour les cultures biologiques, dont les critères de labellisationsont très exigeants. Ainsi aux Pays-Bas, un accord conclu le 2 novembre 2004 entre lesorganisations agricoles et le ministère chargé de l’agriculture prévoit une séparation de 25mètres, étendue à 250 mètres pour le maïs biologique. Un éloignement raisonnable entre50 et 100 mètres permettrait donc d’obtenir des résultats tout à fait satisfaisant, du moinsdans le cas du maïs.

Cette distance minimale obligatoire, fixée actuellement en France à 50 mètres, se doitd’être adaptée en fonction de l’espèce des plantes génétiquement modifiées concernées,certaines étant en effet plus fertiles. De même les conditions météorologiques ou géologiquepeuvent avoir une influence et doivent être considérées pour arrêter le choix des distancesminimales nécessaires. Par ailleurs, ces études ne doivent pas dispenser les autoritéspubliques d’une veille environnementale sur ce sujet de la dispersion involontaire enobservant toute évolution inattendue. De même ces distances se doivent d’être réévaluéeslorsqu’il s’agit d’essai en plein champ, sur des espèces expérimentales alimentairesn’ayant pas encore reçu d’autorisation de mise sur le marché. Enfin, un procédé simplemais néanmoins efficace devrait être généralisé concernant ce problème. Les zones deséparation entre les cultures OGM et non-OGM pourraient en effet, pour plus d’efficacité,être plantées en maïs (ou colza, soja… selon l’espèce concernée) afin de jouer le rôle de« zones tampons », freinant la dispersion des pollens.

Un autre procédé doit être davantage exploré pour faciliter la coexistence des différentstypes de cultures, à savoir la création d’un décalage chronologique des semis entreparcelles OGM et non-OGM d’une même espèce. Echelonner ainsi les semis permettrait delimiter fortement, voire de supprimer, les risques de pollinisation, compte tenu du décalagedes périodes de fertilité des plantes.

54 Rapport de l’Economic Research Center de l’United States Department of Agriculture: « US Organic farming in 2000-2001:adoption of certified system », Agriculture Information Bulletin n° 780

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Toutes ces mesures permettant de circonscrire les cultures OGM et de protéger lesproducteurs des filières conventionnelle et biologique répondent précisément dans l’objectifde réversibilité que doivent respecter les mesures prises au nom du principe de précaution.En effet, si les OGM s’avèrent trop dangereux pour l’environnement ou la santé humaine, ilsera plus facile, si de telles mesures de coexistence ont été prises, de stopper les culturesde plantes génétiquement modifiées.

3.2.2.3 Renforcer les règles de responsabilitéEnfin, avant de produire des OGM à une échelle nationale, un nouveau régime deresponsabilité doit être mis en place afin de rendre assurable le risque de présencefortuite d’OGM. Pour François Ewald, « Les mécanismes juridiques de sanction desresponsabilités ne sont guère adaptés aux situations de précaution. La responsabilitéjuridique est un mécanisme a posteriori de sanction d’un dommage, qui s’exprime, saufen matière pénale, par sa compensation financière. […] en matière de précaution, il s’agitd’éviter le dommage a priori, exercice qui ressortit d’abord de la police administrative. » Ilfaut pourtant trouver des solutions pour réparer les dommages potentiels, qui sont de deuxordres : environnementaux et sanitaires d’une part, économique d’autre part.

Les dommages environnementaux et sanitairesS’agissant des préjudices environnementaux ou sanitaires susceptibles d’être causés

par des OGM, il convient de rappeler que les autorisations de mise sur le marché relèvent dela compétence communautaire et que les autorisations d’expérimentation sont délivrées auniveau national.Ainsi si de tels préjudices devaient être constatés, les dispositifs actuels demise en cause de la responsabilité trouveraient à s’appliquer, selon les cas, à l’encontre desorganes communautaires ou des autorités nationales. Même si, à ce jour, la jurisprudencen’a jamais reconnu explicitement l’engagement de la responsabilité des décideurs surle fondement de la méconnaissance du principe de précaution, l’importance croissanteaccordée au principe n’écarte pas cette possibilité.

On peut également envisager de mettre en cause la responsabilité des semenciers,qui fabriquent les OGM. Certes la question de la protection de l’environnement ou de lasanté par l’assurance est complexe, puisque par essence on ne peut pas, ou difficilement,définir de prix chiffré dans de tels domaines. Ce serait alors aux autorités publiques, entant que garant et protecteur de l'environnement, d’exiger un dédommagement en casd’atteinte à l’environnement. Ce dédommagement ne compenserait certes pas le préjudicesubi, par nature inestimable, mais permettrait d’en limiter l’impact. Cette responsabilitédes semenciers dans d'éventuelles atteintes à l'environnement pourrait être couvertepar un fond de mutualisation des risques, abondé par des cotisations obligatoires desentreprises de semences OGM, sous le contrôle de l'Etat. Un tel système se révèleraitnéanmoins très délicat à mettre en pratique du fait de la diversité des nationalités des grandsgroupes semenciers et des règles commerciales internationales dans le cadre de l’OMC.

Les dommages économiquesIl paraît irresponsable d’autoriser les cultures OGM tant que les conditions

d’indemnisation des agriculteurs dont les parcelles non-OGM auraient été « contaminées »n’ont pas été précisées. Il faudrait éviter que les filières non-OGM n’aient à supporterle coût de la mise en œuvre de modes de production auxquels elles n’ont pas adhéré,comme aux Etats-Unis, où les producteurs de cultures non génétiquement modifiées sontresponsables de la pureté de leur production. La solution adoptée par la France est plusmesurée. L’article 8 de la loi du 25 juin 2008 relative aux OGM énonce que « tout exploitant

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agricole mettant en culture un organisme génétiquement modifié dont la mise sur le marchéest autorisée est responsable, de plein droit, du préjudice économique résultant de laprésence accidentelle de cet organisme génétiquement modifié dans la production d'unautre exploitant agricole ». Bien sûr certaines conditions doivent être réunies pour établirla contamination. Dès lors l’exploitant mis en cause doit indemniser le producteur. Afin depouvoir acquittercette indemnisation, les agriculteurs mettant en culture des OGM doivent« souscrire une garantie financière couvrant [leur] responsabilité ».

3.2.3 La rigueur dans le respect des droits des populations et desconsommateurs

Le principe de précaution exige l’association de la société civile à la prise de décision.Les décisions des autorités concernant les OGM touchent en effet les populations. Lesconsommateurs y sont confrontés au quotidien dans le choix de leur alimentation, mais sontégalement concernés par les risques encourus dans le cas d’une mauvaise décision. Lespopulations ont donc un droit à l’information, et il s’agit là d’un minimum. Il est également dudevoir des pouvoir publics de leur garantir la liberté de choix ou encore le droit de participeraux décisions qui les affecteront directement ou indirectement.

3.2.3.1 Le droit des citoyens à la transparenceAméliorer la perception des OGM par le grand public

Depuis le 28 février 2005, la constitution française reconnaît aux citoyens « le droit[...] d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autoritéspubliques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence surl’environnement ». Sur un sujet aussi sensible que les OGM, l’information et la transparenceenvers le public sont essentielles, ne serait-ce que pour leur offrir une vision globale duproblème. Une majorité de citoyens associe en effet les OGM à l’idée confuse d’un risquemais reste favorable à la recherche et est choquée par les destructions d’essais, souhaitantsurtout disposer d’informations accessibles pour comprendre les enjeux du débat et seforger une opinion. Contrairement aux idées reçues, même si les Français se déclarent peuenclins à consommer des aliments transgéniques, ils ne désapprouvent pas pour autant lesessais d’OGM. Ainsi 67 % d’entre eux se déclarent favorables à l’expérimentation, 63 %aux essais en plein champs et 74 % très hostiles aux destructions de parcelles de cultureexpérimentale55. La grande majorité des citoyens semble donc avoir une lecture plutôtouverte d’un principe de précaution qui ne s’oppose pas à la poursuite des essais, maisconstitue justement un appel à la recherche de connaissances plus approfondies.

La problématique de l’information dans le débat sur les OGM porte sur l’inadaptation decelle-ci à la demande du grand public, ce qui explique son faible niveau de connaissances etsa confusion sur le sujet. Le premier responsable de cette incompréhension des enjeux desbiotechnologies par l’opinion publique est le prisme déformant des médias. Les informationsdiffusées par les médias sont en effet trop souvent biaisées, relayant les arguments les plusalarmistes, qui sont aussi les plus vendeurs, amplifiant les craintes collectives. Si le fonddes articles est souvent informatif et équilibré, certains titres prêtent à confusion. Ainsi undes articles qui a lancé le débat sur les OGM à l’automne 1996 a été publié par le quotidienLibération, dont la une titrait : « Alerte au soja fou ». En pleine crise de la « vache folle »,de tel propos avaient de quoi entretenir la confusion, pourtant absurde, entre les OGM et

55 Sondage CSA du septembre 2004

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l’ESB. De même les informations positives telles que la mise au point du « riz doré », sontsouvent moins traitées que les rapports inquiétants.

La mauvaise communication des informations scientifiques disponibles n’est passeulement imputable au traitement médiatique du sujet. Les scientifiques eux-mêmespeinent à rendre accessible un phénomène aussi complexe que celui de la transgénèse.Ces-derniers tiennent de plus un discours souvent rigoureux et nuancé, inaudible face auxslogans martelés par les associations anti-OGM et aux grèves de la faim de José Bové. Deleur côté, les semenciers n’ont pas orienté assez tôt leur communication vers la « sociétécivile », se contentant d’informer les agriculteurs, ce qui a été fortement préjudiciable àleur image et au développement de leurs recherches dans le domaine des biotechnologies.Même si des efforts sont faits aujourd’hui dans ce sens, notamment par le leader français

et européen, Limagrain 56 , dont le site développe des efforts considérables de pédagogie

et de communication.Enfin, les pouvoirs publics ont tardé à ouvrir le débat avec les citoyens et à mettre

en œuvre une véritable politique de transparence. Les inquiétudes des associations et dugrand public devaient être prises en compte par l’administration, afin de dissiper les crainteset les malentendus et d’écouter leurs attentes vis-à-vis de la recherche. Un effort réel estaccompli dans ce sens depuis plusieurs années : la première « conférence de citoyens » aeu lieu en 1998 à l’initiative de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques ettechnologiques et les chercheurs de l’INRA participent régulièrement à des débats locaux.Cependant cet effort doit encore être amplifié, la diffusion des informations scientifiques versune frange la plus large possible de la population est indispensable pour que les citoyens,éclairés, puissent participer à la prise de décision.

L’étiquetage et la traçabilité des produits OGML’information et la liberté de choix du public passe également et nécessairement par

l’étiquetage des produits contenant des OGM. Pour attester de la fiabilité de l’étiquetagedes produits destinés aux filières de l’alimentation humaine et animale, leur traçabilité doitêtre garantie. Tout d’abord un suivi documentaire doit être assuré « du champ à l’assiette ».Ensuite avec chaque demande d’autorisation de mise sur le marché doivent être fourniesles méthodes de détection et d’identification de l’OGM en question.

L’inscription des parcelles OGM sur des registres consultables par tousEnfin, un dernier élément essentiel dans l’information du public, et tout spécialement

des agriculteurs non-OGM, est la tenue de registres indiquant l’emplacement et la naturedes parcelles OGM mises en cultures. Un tel registre existe aujourd’hui et est consultable surle site internet intergouvernemental sur les OGM précité. Cette transparence revendiquéepar beaucoup d’associations notamment est tout à fait légitime. Néanmoins elle impliqueen contrepartie le respect de la propriété d’autrui, bien souvent oublié par les faucheursvolontaires. D’autres moyens d’expression et de participation peuvent en effet être pensésdans le cadre de la légalité.

3.2.3.2 Le droit à la participationL’article 9 de la directive européenne relative aux OGM prévoit que les Etats-membresfixent dans un « délai raisonnable » les modalités de consultation du public. Laréglementation française connaît encore quelques carences dans ce domaine. Il apparaîtdonc indispensable de mettre en place une procédure de consultation valable du public, à

56 http://www.limagrain.com/index.cfm

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travers un échantillon représentatif de la population. La consultation des acteurs tels queles associations de défense de l’environnement est aussi souhaitable, dès lors qu’ils neparalysent pas le processus d’élaboration des normes.

Le principe de précaution peut donc s’appliquer de manière positive, au-delà d’unesimple et stérilisante interdiction. Bien sûr un moratoire sur une technologie peut êtreutile et donner le temps à la recherche de progresser, mais il ne doit pas constituer unefin en soi. Des procédures de référence peuvent être définies et institutionnalisées pourguider les décisions à prendre concernant les innovations appelant la précaution. Enoncéesdans un texte législatif, ces procédures qui touchent principalement à la promotion de larecherche, au contrôle des applications autorisées de l’innovation et à la communicationavec le public, permettraient un meilleur encadrement juridique du principe, et combleraientainsi les lacunes de son écriture actuelle. On aboutirait alors à un principe d’application plusévidente, plus rigoureuse et surtout plus efficiente.

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Conclusion

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Conclusion

La raison d’être du principe de précaution réside dans la gestion des risques qui peuventsurvenir avec le développement et l’utilisation d’innovations scientifiques qui ne sont pasencore complètement maîtrisées et peuvent présenter une menace pour la santé oul’environnement. Les OGM, du fait des nombreuses incertitudes qui subsistent quant à leurseffets, notamment à long terme, constituent un domaine d’application idéal de ce principe.Trop souvent interprété de façon absolutiste et décrié en raison de son potentiel paralysant,le principe de précaution est en apparence tout aussi incontrôlable que les innovations qu’ilest appelé à encadrer. Il peut pourtant se révéler être un excellent outil d’inspiration del’action publique.

Nous l’avons répété, cet objectif de maîtrise des risques potentiels ne doit pas seconcrétisé par une démarche stérilisante : la mise en œuvre du principe de précaution doitêtre précédée d’une analyse coûts/avantages multidimensionnelle et accompagnée d’uneobligation de recherche. En tant que principe juridique, le principe de précaution à été tôtreconnu en droit international, même s’il reste cantonné à la catégorie des principes de« droit mou ». Son intégration au droit communautaire, puis au droit national représententune avancée certaine. Même s’il reste privé d’un contenu tangible, le principe de précautionest progressivement saisi par le juge communautaire et par le juge administratif françaisqui vont s’efforcer, même timidement, d’appliquer cette nouvelle norme dans le domaineenvironnementale, élargissant de surcroît son champ d’application au domaine de la santé.La constitutionnalisation du principe en 2005 relance le débat sur son applicabilité. En effet,bien qu’elle ait été relativement rapide et ait rencontré un vif succès, la transposition en droitpositif du principe de précaution, que ce soit à l’échelle internationale, communautaire ounationale, n’a pas permis d’éclairer de façon certaine ses modalités d’application.

Certes, il est possible de considérer le principe de précaution comme une normesupérieure dont la définition doit rester assez générale . Néanmoins, rien n’empêchele législateur de lui offrir un contenu effectif en définissant des procédures « standard »encadrant sa mise en œuvre. Nous proposons ici de s’inspirer des « dix commandementsde la précaution » énoncés par Philippe Kourilsky et Geneviève Viney, qui offrent un cadreà la fois suffisamment précis et général pour assurer la mise en œuvre d’un principe deprécaution maîtrisé et efficient. Force est de constater qu’appliquées au cas des OGM, cesprescriptions en permette une gestion mesurée. Il s’agit là d’un encadrement procéduraldu principequi a pour but de faciliter la mise en place de mesures au cas par cas, sansêtre rendu obsolète à la moindre évolution de la situation de fait, tout en laissantunecertaine latitude d’action aux décideurs. Bien sûr, ces procédures restent perfectibles, maiselles garantissent la possibilité d’une mise en œuvre mesurée du principe, évitant l’excèscomme le défaut de précaution. Ainsi, malgré la persistance de quelques ambiguïtés danssa définition, l’application du principe de précaution se révèle de plus en plus pertinenteau vue des progrès scientifiques et technologiques qui s’annoncent. Le domaine desnanotechnologies57, notamment, se développe sans faire grand bruit. Pourtant, les risquesqui y sont associés sont potentiellement aussi grands, sinon plus, que ceux susceptiblesde résulter du développement des biotechnologies. Ainsi, l'Agence française de sécurité

57 Les nanotechnologies sont les activités scientifiques et technologiques menées à l'échelle atomique et moléculaire.

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sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset) a en effet estimé que « les étudestoxicologiques, in vitro et chez l'animal, sont encore très peu nombreuses mais établissentl'existence de risques potentiels de toxicité » et le comité éthique du CNRS a appelé à une« vigilance éthique et sociale »58. Il est donc urgent que le principe de précaution se voitconférer un contenu efficient, permettant aux décideurs, publics et privés, et à la justice degérer les risques à venir.

58 Voir à ce sujet l’article du Monde : Les dangers des nanoparticules sont encore mal connus, Pierre Le Hir, 06 Décembre 2006

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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Sites internet

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Bibliographie

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Site interministériel français sur les OGM : http://www.ogm.gouv.fr/

Site interministériel québécois sur les OGM : http://www.ogm.gouv.qc.ca/

Site de l’ISAAA : http://www.isaaa.org/

Site de l'INRA : http://www.inra.fr/

Site de la FAO: http://www.fao.org/index_fr.htm

Eurostat : http://epp.eurostat.ec.europa.eu/

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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Annexes

Annexe I : Le principe de précaution dans les textesLe principe de précaution dans les textes internationaux

Art. 15 de la déclaration de Rio sur l’environnement et le développement du 12 août1992 :

« Pour protéger l'environnement, des mesures de précaution doivent être largementappliquées par les Etats selon leurs capacités. En cas de risque de dommages graves ouirréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pourremettre à plus tard l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation del'environnement. »

Convention sur la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est(OSPAR) du 22 septembre 1992 :

« Les Parties contractantes appliquent : le principe de précaution, selon lequel desmesures de prévention doivent être prises lorsqu’il y a des motifs raisonnables de s’inquiéterdu fait que des substances ou de l’énergie introduites, directement ou indirectement, dans lemilieu marin, puissent entraîner des risques pour la santé de l’homme, nuire aux ressourcesbiologiques et aux écosystèmes marins, porter atteinte aux valeurs d’agrément ou entraverd’autres utilisations légitimes de la mer, même s’il n’ y a pas de preuves concluantes d’unlien causal entre les intrants et les effets supposés ».

Le principe de précaution en droit communautaireArt. 14 du traité d’Amsterdam, reprenant les dispositions déjà introduites par le

traité de Maastricht de 1992 :«La politique de la Communauté dans le domaine de l’environnement vise un niveau de

protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régionsde la Communauté. Elle est fondée sur les principes de précaution et d’action préventive,sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement etsur le principe du pollueur- payeur… »

Le principe de précaution en droit interneArt. 1er de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 relative au renforcement de la

protection de l'environnement, dite loi Barnier :« Les espaces, ressources et milieux naturels […] font partie du patrimoine commun de

la nation. Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leurgestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise àsatisfaire les besoins de développement des générations présentes sans compromettre lacapacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre deslois qui en définissent la portée, des principes suivants:

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Annexes

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- le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu desconnaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption demesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves etirréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable; »

Charte de l’environnement de 2004Voir annexe II.

Annexe II : La Charte de l’environnement de 2004

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Pour un principe de précaution effectif : l’exemple des organismes génétiquement modifiés (OGM)

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Annexe III : Les cultures OGM dans le mondeCarte des pays producteurs de cultures OGM en 2007

Evolution de la superficie mondiale cultivée avec des plantes biotech depuis 1996

Annexe IV : Synthèse de la directive 2001/18/CE duParlement européen et du Conseil du 12 mars 2001relative à la dissémination volontaire d'OGM59

Conformément au principe de précaution et au vu des risques pour l'environnementet la santé humaine que peut entraîner la dissémination d'organismes génétiquementmodifiés (OGM), la présente directive vise à renforcer le cadre législatif relatif à ladissémination volontaire et à la mise sur le marché des OGM. En particulier, la directiveaméliore l'efficacité et la transparence de la procédure d'autorisation de disséminationvolontaire et de mise sur le marché des OGM, met en place une méthode communed'évaluation des risques et un mécanisme de sauvegarde, et rend obligatoire laconsultation du public et l'étiquetage des OGM.Conformément au principe de précaution et au vu des risques pour l'environnement et la santéhumaine que peut entraîner la dissémination d'organismes génétiquement modifiés (OGM), laprésente directive vise à renforcer le cadre législatif relatif à la dissémination volontaire et à lamise sur le marché des OGM. En particulier, la directive améliore l'efficacité et la transparencede la procédure d'autorisation de dissémination volontaire et de mise sur le marché desOGM, met en place une méthode commune d'évaluation des risques et un mécanisme desauvegarde, et rend obligatoire la consultation du public et l'étiquetage des OGM.

Cette directive a principalement pour but de rendre la procédure d'autorisation dedissémination volontaire et de mise sur le marché des organismes génétiquement modifiés(OGM) plus efficace et plus transparente, de limiter cette autorisation à une durée de 10 ansrenouvelables et d'introduire un contrôle obligatoire après la mise sur le marché des OGM.

Elle prévoit également une méthode commune d'évaluation des risques associésà la dissémination des OGM (les principes applicables à l'évaluation des risques pourl'environnement se trouvent à l'annexe II de la directive) et un mécanisme permettant lamodification, la suspension ou la cessation de la dissémination des OGM lorsque l'ondispose de nouvelles informations sur les risques associés à cette dissémination.

La présente directive rend obligatoire la consultation du public et l'étiquetage desOGM. Le système d'échanges d'informations contenu dans les notifications, tel qu'établipar la directive 90/220/CEE , est maintenu. La Commission est obligée de consulter lescomités scientifiques compétents sur toute question susceptible d'avoir des effets sur lasanté humaine et/ou l'environnement. Elle peut aussi consulter des comités d'éthique.L'établissement de plusieurs registres concernant des informations sur les modifications

59 Source : Europa, site portail de l’Union Européenne

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Annexes

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génétiques d'OGM et sur la localisation des OGM est rendu obligatoire. Le fonctionnementde ces registres est décrit dans la décision 2004/204/CE (voir rubrique Actes liés).

Tous les trois ans, la Commission publiera une synthèse des mesures prises dans lesÉtats membres en vue de la mise en œuvre de la présente directive. La Commission doitpublier, tous les trois ans, un rapport sur l'expérience recueillie en matière de mise surle marché d'OGM (le premier rapport aurait dû être publié en 2003). Un rapport sur desquestions éthiques sera aussi publié chaque année. Cette directive a invité la Commission àprésenter une proposition de mise en œuvre du protocole de Carthagène sur la biosécurité,ce qui a abouti à l'adoption du règlement (CE) n° 1946/2003 du Parlement européen et duConseil sur les mouvements transfrontières des organismes génétiquement modifiés .

La directive 90/220/CEE relative à la dissémination volontaire d'organismesgénétiquement modifiés dans l'environnementest abrogée par la présente directive àcompter du 17 octobre 2002.

Annexe V : Résumé de la communication de laCommission sur le recours au principe de précautiondu 2 février 200060

1. Quand et comment utiliser le principe de précaution, tant dans l'Union européenne quesur la scène internationale, est une question qui suscite de nombreux débats et donnelieu à des prises de position diverses, et parfois contradictoires. De ce fait, les décideurssont confrontés à un dilemme permanent, celui d'établir un équilibre entre les libertés et lesdroits des personnes, des secteurs d'activité et des organisations, d'une part, et la nécessitéde réduire le risque d'effets négatifs sur l'environnement et la santé humaine, animale ouvégétale, d'autre part. Par conséquent, trouver l'équilibre adéquat permettant de prendredes décisions proportionnées, non discriminatoires, transparentes et cohérentes requiert unprocessus de prise de décision structuré, fondé sur des données scientifiques détaillées etautres informations objectives.

2. Les objectifs de la présente communication sont au nombre de quatre:· présenter dans ses grandes lignes l'approche que la Commission entend suivre dans

l'application du principe de précaution;· mettre au point des lignes directrices de la Commission pour l'application de ce

principe;· établir un accord sur la manière d'évaluer, d'apprécier, de gérer et de communiquer

les risques que la science n'est pas en mesure d'évaluer pleinement;· éviter tout recours injustifié au principe de précaution en tant que forme déguisée de

protectionnisme.La communication vise également à donner une impulsion au débat en cours sur le

principe de précaution à la fois au sein de la Communauté et au niveau international.3. Le principe de précaution n'est pas défini dans le Traité, qui ne le prescrit qu'une

seule fois pour protéger l'environnement. Mais, dans la pratique, son champ d'application60 Source : EUR-Lex ( http://eur-lex.europa.eu/fr/index.htm)

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est beaucoup plus vaste, plus particulièrement lorsqu'une évaluation scientifique objectiveet préliminaire indique qu'il est raisonnable de craindre que les effets potentiellementdangereux pour l'environnement ou la santé humaine, animale ou végétale soientincompatibles avec le niveau élevé de protection choisi pour la Communauté.

La Commission considère qu'à l'instar des autres membres de l'OMC, la Communautédispose du droit de fixer le niveau de protection, notamment en matière d'environnement etde santé humaine, animale et végétale, qu'elle estime approprié. L'application du principede précaution est un élément essentiel de sa politique, et les choix qu'elle effectue à cettefin continueront d'influer sur les positions qu'elle défend au niveau international quant à lamanière d'appliquer ce principe.

4. Le principe de précaution devrait être considéré dans le cadre d'une approchestructurée de l'analyse du risque, fondée sur trois éléments: l'évaluation du risque, la gestiondu risque et la communication du risque. Il est particulièrement pertinent dans le cadre dela gestion du risque.

Le principe de précaution, que les décideurs utilisent essentiellement dans le cadrede la gestion du risque, ne doit pas être confondu avec l'élément de prudence que lesscientifiques appliquent dans l'évaluation des données scientifiques.

Le recours au principe de précaution présuppose que les effets potentiellementdangereux d'un phénomène, d'un produit ou d'un procédé ont été identifiés et quel'évaluation scientifique ne permet pas de déterminer le risque avec suffisamment decertitude.

La mise en œuvre d'une approche fondée sur le principe de précaution devraitcommencer par une évaluation scientifique aussi complète que possible et, si possible,déterminant à chaque stade le degré d'incertitude scientifique.

5. Les décideurs doivent être conscients du degré d'incertitude lié aux résultatsde l'évaluation des informations scientifiques disponibles. Juger ce qui est un niveau"acceptable" de risque pour la société est une responsabilité éminemment politique.Les décideurs confrontés à un risque inacceptable, à une incertitude scientifique et auxpréoccupations du public ont le devoir de trouver des réponses. Par conséquent, tous cesfacteurs doivent être pris en considération.

Dans certains cas, la bonne réponse pourrait consister à ne pas agir ou du moinsà ne pas prendre une mesure juridique contraignante. Une vaste gamme d'initiatives estdisponible en cas d'action, depuis une mesure légalement contraignante jusqu'à un projetde recherche ou une recommandation.

La procédure de décision devrait être transparente et associer dès le début et danstoute la mesure du possible la totalité des parties intéressées.

6. Si une action est jugée nécessaire, les mesures basées sur le principe de précautiondevraient notamment :

Etre proportionnées au niveau de protection recherché;Ne pas introduire de discrimination dans leur application;Etre cohérentes avec des mesures similaires déjà adoptées;Etre basées sur un examen des avantages et des charges potentiels de l'action ou de

l'absence d'action (y compris, le cas échéant et dans la mesure du possible, une analysede rentabilité économique);

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Annexes

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Etre réexaminées à la lumière des nouvelles données scientifiques;Etre capables d'attribuer la responsabilité de produire les preuves scientifiques

nécessaires pour permettre une évaluation plus complète durisque.La proportionnalité signifie l'adaptation des mesures au niveau choisi de protection. Le

risque peut rarement être ramené à zéro, mais une évaluation incomplète du risque peutlimiter considérablement le nombre d'options disponibles pour les gestionnaires du risque.Une interdiction totale peut ne pas être dans tous les cas une réponse proportionnée à unrisque potentiel. Cependant, dans certains cas, elle peut être la seule réponse possible àun risque donné.

La non-discrimination signifie que des situations comparables ne devraient pas êtretraitées différemment et que des situations différentes ne devraient pas être traitées de lamême manière, à moins qu'un tel traitement soit objectivement justifié.

La cohérence signifie que les mesures devraient être d'une portée et d'une naturecomparable avec les mesures déjà prises dans des domaines équivalents où toutes lesdonnées scientifiques sont disponibles.

L'examen des avantages et des charges signifie qu'il faut établir une comparaison entrele coût global pour la Communauté de l'action envisagée et de l'absence d'action, tant àcourt qu'à long terme. Il ne s'agit pas d'une simple analyse de rentabilité économique : saportée est beaucoup plus vaste et inclut des considérations d'ordre non-économique, tellesque l'efficacité d'options possibles et leur acceptabilité par la population. Dans la mise enœuvre d’un tel examen, il faudrait tenir compte du principe général et de la jurisprudencede la Cour qui donnent la priorité à la protection de la santé par rapport aux considérationséconomiques.

L'examen à la lumière des nouvelles données scientifiques signifie que les mesuresbasées sur le principe de précaution devraient être maintenues aussi longtemps que lesinformations scientifiques sont incomplètes ou non concluantes et que le risque est toujoursréputé trop élevé pour le faire supporter à la société, compte tenu du niveau approprié deprotection. Les mesures devraient être réexaminées périodiquement à la lumière du progrèsscientifique, et modifiées selon les besoins.

L'attribution de la responsabilité de fournir les preuves scientifiques est déjà uneconséquence fréquente de ces mesures. Les pays qui imposent une autorisation préalable(autorisation de mise sur le marché) pour les produits réputés a priori dangereux renversentla charge de la preuve en les traitant comme des produits dangereux à moins et jusqu'àce que les entreprises réalisent les travaux scientifiques nécessaires pour démontrer qu'ilsne le sont pas.

Lorsqu'il n'y a pas de procédure d'autorisation préalable, il peut appartenir à l'utilisateurou aux pouvoirs publics de démontrer la nature d'un danger et le niveau de risque d'unproduit ou d'un procédé. Dans de tels cas, une mesure de précaution spécifique pourraitêtre prise pour placer la charge de la preuve sur le producteur, le fabricant ou l'importateurmais ceci ne peut devenir une règle générale.

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Résumé

Tout a été dit à propos du principe de précaution, le pire comme le meilleur. Il a connu depuisle début des années 1990 une ascension fulgurante, en droit international d’abord, puis endroit communautaire et en droit français, jusqu’à acquérir une valeur constitutionnelle avec

son inscription dans la Charte de l’environnement entrée en vigueur le 1er mars 2005. Tropsouvent interprété de façon absolutiste et décrié en raison de son potentiel paralysant, leprincipe de précaution est en apparence tout aussi incontrôlable que les innovations qu’ilest appelé à encadrer. Il peut pourtant se révéler être un excellent outil d’inspiration del’action publique. En parallèle, s’est développé en France à partir de 1996 le débat surles organismes génétiquement modifiés (OGM). Du fait des nombreuses incertitudes quisubsistent quant à leurs effets, ils constituent un terrain d’application idéal pour le principede précaution. Quelles sont les mesures qui assureront une mise en œuvre d’un principede précaution maîtrisé et efficient ? Nous verrons à travers l’exemple des OGM que cedernier peut être, et doit être, le fondement d’une dynamique positive et ainsi permettre lagestion raisonnée d’innovations scientifiques ou technologiques prometteuses mais encoreincertaines.

Mots-clés : principe de précaution, OGM, droit de l’environnement