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Nutr Clin Mdtabol 1997; 11:19-25 Pratiques hospitali6res en nutrition ent6rale : enquSte d'opinion Analyse des r6ponses de 598 cliniciens Gdrard Bleichner 1, Bruno Lesourd 2, Franqoise Simonet 3 1 Service de R6animation, Centre Hospitalier Victor-Dupouy, Argenteuil. 2 Unit6 de M6decine Nutritionnelle, Centre Hospitalier Charles-Foix, Ivry-sur-Seine. a Jacquemaire-Sant6, Villefranche-sur-Sa6ne. R~sum~ La nutrition ent6rale par sonde est couramment utili- s6e dans des contextes cliniques divers. Fond6es sur des connaissances physiopathologiques et des princi- pes th6oriques de mieux en mieux connus, les prati- ques varient cependant selon les services hospitaliers ; c'est pourquoi, il semblait important de connaltre l'opinion des m6decins sur leur pratique. Un question- naire a 6t6 soumis /t des cliniciens hospitaliers dans toute la France pour identifier leurs pratiques en nutrition ent6rale. Les r6ponses de 598 services ont 6t6 analys6es, parmi lesqnels 239 services de r6anima- tion et 110 services de g6riatrie. Les attitudes expri- m6es d6notent une prise en compte partielle des recommandations publi6es ; elles soulignent la n6ees- sit6 de poursuivre la recherche clinique afin de s'ac- corder sur les Bonnes Pratiques en Nutrition Ent6rale dans chaque sp6cialit6. Mots cles : Nutrition artificielle, nutrition ent#rale. La nutrition ent6rale par sonde est la voie pr&~ren- tielle de la nutrition artificielle chaque fois que l'6tat des patients l'autorise. Son utilisation s'est aujour- d'hui largement r6pandue dans de nombreux h6pi- taux, selon des modalit6s pratiques qui se sont pro- gressivement pr~cis6es [1, 2]. Les pratiques de certains services sp~cialis6s font l'objet de publications r6guli6res. Cependant, les pratiques individuelles de la majorit6 des services ne sont pas connues. En effet, tousles praticiens n'ont pas recours aux m~mes proc6d6s techniques ni aux m~mes protocoles nutritionnels, en raison des carac- Correspondance : Dr G. Bleichner, Service de R6animation, Centre Hospitalier Victor-Dupouy, 69, rue du Lieutenant-Colonel- Prudhon, 95100 Argenteuil. Regu le 24 juillet 1995, accept6 apres revision le 5 ao8t 1996. 19

Pratiques hospitalières en nutrition entérale : enquête d'opinion analyse des réponses de 598 cliniciens

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Nutr Clin Mdtabol 1997; 11:19-25

Pratiques hospitali6res en nutrition ent6rale : enquSte d'opinion Analyse des r6ponses de 598 cliniciens

Gdrard Bleichner 1, Bruno Lesourd 2, Franqoise Simonet 3

1 Service de R6animation, Centre Hospitalier Victor-Dupouy, Argenteuil. 2 Unit6 de M6decine Nutritionnelle, Centre Hospitalier Charles-Foix, Ivry-sur-Seine. a Jacquemaire-Sant6, Villefranche-sur-Sa6ne.

R~sum~

La nutrition ent6rale par sonde est couramment utili- s6e dans des contextes cliniques divers. Fond6es sur des connaissances physiopathologiques et des princi- pes th6oriques de mieux en mieux connus, les prati- ques varient cependant selon les services hospitaliers ; c'est pourquoi, il semblait important de connaltre l'opinion des m6decins sur leur pratique. Un question- naire a 6t6 soumis /t des cliniciens hospitaliers dans toute la France pour identifier leurs pratiques en nutrition ent6rale. Les r6ponses de 598 services ont 6t6 analys6es, parmi lesqnels 239 services de r6anima- tion et 110 services de g6riatrie. Les attitudes expri- m6es d6notent une prise en compte partielle des recommandations publi6es ; elles soulignent la n6ees- sit6 de poursuivre la recherche clinique afin de s'ac- corder sur les Bonnes Pratiques en Nutrition Ent6rale dans chaque sp6cialit6.

Mots cles : Nutrition artificielle, nutrition ent#rale.

La nutrition ent6rale par sonde est la voie pr&~ren- tielle de la nutrition artificielle chaque fois que l'6tat des patients l'autorise. Son utilisation s'est aujour- d'hui largement r6pandue dans de nombreux h6pi- taux, selon des modalit6s pratiques qui se sont pro- gressivement pr~cis6es [1, 2].

Les pratiques de certains services sp~cialis6s font l'objet de publications r6guli6res. Cependant, les pratiques individuelles de la majorit6 des services ne sont pas connues. En effet, tousles praticiens n'ont pas recours aux m~mes proc6d6s techniques ni aux m~mes protocoles nutritionnels, en raison des carac-

Correspondance : Dr G. Bleichner, Service de R6animation, Centre Hospitalier Victor-Dupouy, 69, rue du Lieutenant-Colonel- Prudhon, 95100 Argenteuil. Regu le 24 juillet 1995, accept6 apres revision le 5 ao8t 1996.

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t6ristiques de patients, des capacit6s mat6rielles du service, des diff6rences de formation du personnel ou des habitudes acquises empiriquement. Des nutri- ments vari6s ont 6galement 6t6 congus par l'industrie pour r6pondre aux exigences li6es /t chaque indica- tion. R6animateurs, g6riatres, canc~rologues, gastro- ent6rologues, internistes sont en effet confront6s fi des situations bien diff~rentes. I1 en r6sulte une grande diversit6 dans les pratiques de la nutrition ent6rale. Le but :de ce travail est de d6crire l'opinion des m6decins concernant leurs pratiques de la nutrition ent6rale, actuellement utilis6es /t l 'h6pital chez l'adulte en France.

Methodes

Le questionnaire

Un questionnaire a 6t6 61abor6 en essayant de pr6ci- ser l'ensemble des pratiques de nutrition ent6rale chez l'adulte /t l'hfpital. Quinze rubriques ont 6t6 cr66es et sont r6sum6es dans le tableau I. Les ques- tions 6taient le plus souvent des questions fi r6ponses ferm6es, sauf pour les indications.

M~thodes

Environ 800 questionnaires ont 6t6 remis de fagon al4atoirel en d6but d'ann6e 1994, /t des m6decins hospitaliers susceptibles de prescrire une nutrition ent6rale chez l'adulte. Un seul m6decin par service a 6t6 interrog6. La liste des cliniciens destinataires n'htait pas exhaustive e t a 4t4 r4alis6e en fonction des connaissances des 6tablissements hospitaliers. Cinq cent quatre-vingt-dix-huit m6decins ont rempli un questionnaire, soit un taux de r6ponse d'environ 75 %, taux 61ev6 expliqu6 par la relance par contact direct et personnel. Chacun de ces m6decins a pr6- cis6 l'orientation du service clinique qu'il repr6sen- tait (Tableau II). Ces services comptaient au total plus de 27 000 lits dont 15 000 de g6riatrie, pr6s de 3 600 lits de r6animation et plus de 2 500 lits de gastro-ent6rologie. Moins de 10 % appartenaient au secteur priv6. Le questionnaire a 4t6 rempli par le m6decin lui-m6me et retourn6 /t l'investigateur. Comme il s'agissait d'une enqu6te d'opinion, aucune exigence n'a 6t6 donn6e sur la fagon de r6pondre au questionnaire, en particulier, il n'6tait pas demand6 de r4pondre apr6s consultation de dossiers et il 6tait possible de r6pondre de fagon intuitive. Les r6ponses

Tableau I • Questionnaire sur les pratiques hospitalibres en nutrition entdrale (NE) adulte

1 Place de la NE dans la nutrition artificielle en % (6chelle analogique/t 9 cases)

2 Place en % des produits industriels et des produits artisanaux en NE (6chelle analogique/t 9 cases)

3 Modalit6 de la NE par nutripompe continue ou discontinue, par gravit6 avec ou sans r6gulateur de d6bit

4 Place de la pathologie digestive (6chelle analogique fi 9 cases)

5 Site d'instillation digestive (sonde gastrique, j6junale, stomie)

6 Utilisation des nutriments polym6riques, semi-616mentaires, 616mentaires (r6ponse en %)

7 Apports caloriques quotidiens (1 500, 2 000, > 2 000 kcal/jour)

8 Concentration calorique des nutriments (1 kcal/mL, 1,5 kcal/mL, 2 kcal/mL)

9 Place des formules sp6cifiques hyposod6es, hyperprot6iques, avec fibres, hyperlipidiques

10 Pr&~rence nutritionnelle des sources de prot~ines (animale ou v6g6tale)

11 Crit6res de choix des nutriments : osmolarit6, viscosit6, absence de gluten et de lactose, absence de saccharose, teneur 6levee en TCM, rapport phosphocalcique (tr~s important, important, secondaire, aucune, sans avis)

12 Crit6res de choix des nutriments : place des acides amines, du lipidogramme, des oligo-616ments

13 Indications des r6gimes semi-61~mentaires et 616mentaires

14 Conditionnement des m61anges industriels (verre, plastique, autres)

15 Volume des conditionnements (< 500 mL, 500 mL, 1 000 mL)

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PRATIQUES HOSPITALII~RES EN NUTRITION ENTI~RALE

Tableau H: R4partition par spdcialit4 des 598 mbdecins ayant rempli un questionnaire

Nombre Nombrc Sp~cialit~ de m~decins % de lits %

R6animation polyvalente G6riatrie M6decine interne Gastro-ent6rologie Chirurgie R~animation m~dicale R6animation chirurgicale R~6ducation M~tabolisme-nutrition Canc~rologie TOTAL

150 25,1 2 018 7,3 110 18,4 14 998 54,2 77 12,9 2 495 9 71 11,9 2 583 9,3 63 10,5 2 035 7,3 47 7,9 688 2,5 42 7 866 3,1 19 3,2 1 112 4 15 2,5 611 2,2 4 0,6 300 1,1

598 100 27 706 100

concernaient la technique d'utilisation darts le ser- vice et n'apportaient pas d'information sur le nom- bre de malades trait6s. Les r6ponses aux questions ont 6t6 analys~es globa- lement et par sp6cialit6s, et sont exprim~es en pour- centage des r6ponses totales ou par sp+cialit& Seules les grandes tendances et les diff6rences notables par sp6cialit~ sont pr6sent6es.

R6sultats

Indications de la nutrition ent~rale

Les maladies digestives repr~sentent plus de 60% des indications dans 70% des services de gastro- ent~rologie, 54,8 % des services de r6animation chi- rurgicale, 33,4% des services de nutrition et 10,4% de l'ensemble des autres services. Globalement, la nutrition ent6rale repr6sente plus de la moiti6 des modalit6s de nutrition artificielle pour 71,4% des services interrog~s. Hormis en r6anima- tion chirurgicale off les m6decins d~clarent utiliser pr~f6rentiellement la voie parent6rale (39 % utilisent la voie ent6rale), dans tous les autres services, l'indi- cation de la voie ent6rale apparah la plus fr6quente : 63,7 % en gastro-ent6rologie, 76,6 % en r6animation m~dicale, 71% en r6animation polyvalente, 71,4% en chirurgie, 82,6 % en g6riatrie, 89,6 % en r66duca- tion (Figure 1).

Modalit~s de la nutrition ent~rale

Site d'instillation

Les m61anges nutritifs sont administr6s << le plus souvent >> par sonde gastrique pour 84,9 % des r6pon- ses. La sonde naso@junale n'est utilis6e pr6f6rentiel- lement que dans 4,8 % des services, particuli+rement

en gastro-ent6rologie et en nutrition (7,9%). Une stomie est pratiqu6e dans 10,3 % des services, notam- ment en g6riatrie (29,1%), r66ducation (21,4 %), gas- tro-ent6rologie (16 %) et nutrition (15,4 %).

Mode d'administration

La question ~tait ambigu~ et n'a pu ~tre totalement exploit6e ; cependant, on peut conclure qu'au moins 17,7 % des services utilisent la gravit6 sans r6gulateur de d~bit. I1 s'agit surtout des services de gastro- ent~rologie ou de chirurgie (environ 1/3 des servi- ces), et dans une moindre mesure la g6riatrie et la m6decine interne (environ 1/4 des services) ; cette modalit~ est rare en r+animation (6,3 %). Parmi les utilisateurs de pompes, 48,6 % nourrissent leurs patients de fagon discontinue, en particulier les trois quarts des g6riatres, des r+6ducateurs et des nutritionnistes. A l'inverse, dans les services de r6a- nimation, les trois quarts des m6decins pr&~rent utiliser le mode continu.

Choix des produits de nutrition ent~rale

Des m~langes industriels dans plus de 80 % des cas, sont prescrits par 93,5 % des m6decins. Seuls 4,5 % des services font ~tat d'une utilisation des pr6para- tions artisanales dans au moins la moiti6 des cas. Quatre-vingt-neuf pour cent des prescripteurs expri- ment leur pr6f6rence pour le conditionnement des m~langes industriels en flacon plastique (les princi- pales justifications exprim6es de cette pr~f+rence sont qu'il est incassable, l~ger, facilement maniable) ; 7,5 % pr6f6rent les pr6sentations en flacons de verre et 3,1% sous d'autres forme (bo~te m6tal, brique). La pr6sentation des produits en flacon de 500 ml est jug6e la mieux adapt6e/t l'usage courant pour 90 % des m+decins. Seuls 3,4 % pr~f+rent des flacons plus petits (notamment en r~ducation et nutrition) et

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100

80

% [ ] Voie ent6rale plus fr6quente

[] 50/50

[ ] Vole parenterale plus fr~quente

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Figure 1 ." Place de la nutrition entdrale dans la pratique de la nutrition.

6,6 % des flacons de 1 000 mL (services de r66duca- tion et nutrition). Quelle que soit leur spScialit6, la plupart des m6- decins prescrivent essentiellement des nutriments polym6riques ternaires (84,5% des r6ponses). Les nutriments semi-616mentaires ou 616mentaires repr6- sentent respectivement 14 et 1,5 % des prescriptions. Seuls les services de r6animation polyvalente et de gastro-ent6rologie manifestent un besoin significatif pour les pr6parations semi-61~mentaires (respective- ment 19,7% et 22,9%). Les indications les plus souvent cit6es des r6gimes semi-616mentaires sont le gr~le court (85 fois), les maladies inflammatoires du grSle et part iculi~rement la maladie de Crohn (39 fois), les pancr6atites (21 fois), mais aussi les reprises de nutrition ent6rale (29 fois). D'autres indi- cations sont occasionnellement cities : la d6nutri- tion, la diarrh6e, le SIDA, les suites op~ratoires, la pathologie digestive en g6n6ral. Seuls quelques servi- ces de r66ducation d~clarent avoir recours aux di6tes 616mentaires. Pour 90,6 % des r6ponses, les nutriments polym6ri- ques sont le plus souvent employ6s fi la concentra- tion de 1 kcal/mL. Une augmentation de concentra- tion fi 1,5 kcal /mL est utilis6e dans plus de 20 % des

services de nutrition et de r66ducation, dans 10 fi 15% des services de m6decine interne, chirurgie, r6animation chirurgicale, dans 7 /L 9 % en gastro- ent6rologie et g6riatrie, et darts moins de 5 % des autres services.

Niveau des apports nutritionnels

L'apport calorique moyen le plus souvent cit6 cor- respond fi un niveau de 2 000 kcal/jour (48,9 % des services), sauf en g6riatrie et en m6decine interne o3 un apport quotidien moyen de 1 500 kcal est men- tionn~ respectivement dans 55,7% et 55,4% des r6ponses. Les apports caloriques les plus 61ev~s ( > 2 000 kcal / jour) sont r6alis6s en chirurgie (23,2%), en r6animation polyvalente (20%) et en r6~ducation (14,3 %).

Composition des nutriments polymdriques ternaires

L'osmolarit6 des nutriments reste importante ou tr~s importante dans le choix de la prescription pour 88,1% des r6ponses (extr6mes : 73 fi 100% selon les sp6cialit6s). Les limites id6ales sont esti- m~es fi 263 + 59 m O s m / L pour le minimum et 347 + 104 mOsm/L pour le maximum.

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PRATIQUES HOSPITALII~RES EN NUTRITION ENTI~RALE

La viscosit6 est consid6r~e comme un crit~re impor- tant pour 69,2 % des r6ponses. Darts l'ensemble des services, 68,4% des r6ponses expriment des besoins fr6quents en formules hyper- prot~iques (58,7 fi 83,3 % selon les sp~cialit~s). L'ori- gine animale ou v~g6tale des prot~ines est sans preference pour 77,7% des m~decins. Lorsque une pr6f6rence est exprim6e, elle porte sur les prot~ines d'origine animale dans 72,9% des cas. L'int6r~t d'une suppl6mentation en glutamine est spontan~- ment signal~e 37 fois, en arginine 10 fois. Des besoins fr6quents en formules hyperlipidiques sont rares (9,9% des services). Toutefois, ils sont plus frequents en r6animation m6dicale et polyva- lente (19,5 et 19,8 %). L'enrichissement en TCM est mentionn+ comme un crit6re important /t tr6s important dans 48,4% des r~ponses. Toutefois, chez plus de la moiti6 des g6ria- tres (68,9 %), des r~ducateurs (68,8 %), et des chi- rurgiens (62,5 %), la teneur en TCM des di+tes ent6- tales n'exerce qu'une influence secondaire sur le choix des prescriptions. Pour la majorit~ des pre- scripteurs, les limites id6ales de la teneur en TCM des nutriments polym6riques sont au minimum de 23,4 + 11,3% et au maximum de 33,6 + 14,4% des calories lipidiques. L'int6r& des acides gras polyin- satur~s n-3 est spontan~ment signal~ 10 fois. L'absence de saccharose dans les m~langes po- lym6riques est plut6t jugbe comme un crit6re secondaire pour 63,2% des m6decins sauf dans les services de maladies m6taboliques-nutrition (46,7 %). Un pourcentage important de prescripteurs (53,8 %) manifestent un besoin frequent de r6gimes avec fi- bres parmi lesquels une majorit6 de g+riatres (87,5 %). Les services de nutrition et de gastro-ent6- rologie y accordent moins d'importance (40/t 45 %). Le besoin en r6gimes hyposod6s est faible (15,9%) sauf en r6animation m6dicale (43,6 %). L'absence de gluten et de lactose est consid~r~e comme un crit6re important /t tr6s important pour 56,6 % des m+de- cins (extremes : 50 ~ 75 %). Le rapport phospho-calcique est un critbre de choix pour 43,5 % des mbdecins, notamment en g~riatrie, en chirurgie et en rb~ducation (plus de 50 %). L'int~- r& d'une suppl6mentation sp6cifique en vitamines et otigo-616ments est spontan6ment souvent soulignb, en particulier pour le s~l~nium (33 fois) et pour le zinc (49 fois).

Discussion

L'enqu&e sur les pratiques hospitali6res en nutrition ent6rale chez l'adulte est une enqu&e d'opinion [31. Elle renseigne sur le point de vue des m~decins en mati6re de pratique de la nutrition ent~rale. Elle

n'informe pas, de par sa structure, sur la fr6quence d'utilisation de cette technique ni sur les effets secon- daires. M6me si la m&hode utilis6e, le sondage, ne donne pas toutes les garanties de repr6sentativit~ de l'6chantillon malgr6 sa taille, cette 6tude apporte des 61~ments d'information dans un domaine pratique- ment inconnu : cetui de la r6alit6 des pratiques. Elle renseigne peu sur les indications. Sur 598 m6decins interrog~s, 239 exercent dans un service de r6animation m~dicale, chirurgicale ou polyvalente, soit 40 % des utilisateurs interrogbs re- pr6sentant 12,9 % des lits (3 572 lits). A l'inverse, la majorit6 des lits (54,2%) sont des lits de g6riatrie mais ne repr6sentent que 110 services (18,4% des services). N6anmoins, ces pourcentages rendent compte de l'importance des problbmes de nutrition en r~animation et en g6riatrie. I1 est utile, parmi ces r6ponses, de noter les pratiques les plus r6pandues dans ces deux domaines cliniques et de relever les .attitudes conformes aux recommandations publi6es ou celles qui s'6cartent des connaissances acquises dans ce domaine [1, 2]. - Sur le plan mat6riel, l'utilisation de sondes naso- gastriques reste tr6s largement majoritaire en r6ani- mation par rapport aux sondes naso@junales et aux stomies qui ne d6passent pas 10% des utilisations. L'instillation naso-gastrique des nutriments est ef- fectivement r~put6e bien tol~r~e. Cependant, au cours des agressions, l'existence de troubles de la vidange gastrique et une meilleure connaissance de la motricit+ du gr~le pourraient peut-&re,/t l'avenir, relancer l'int6r~t de la nutrition naso@junale [4] comme c'est le cas en gastro-ent6rologie et en nutri- tion dans cette 6tude. De m~me, la simplicit~ et l'innocuit6 de la gastrostomie percutan6e endosco- pique pourraient augmenter la fr~quence de son utilisation [5]. Ces raisons pourraient expliquer la plus forte utilisation de cette technique par les g6ria- tres et les r6~ducateurs [6]. - L e s pompes sont plus souvent utilis6es en r6ani- mation que dans les autres sp6cialit6s (63,9% vs 48,2 %). On a en effet mis en 6vidence que l'usage de << bolus >> +tait responsable de troubles du transit et que l'utilisation de r~gulateurs de d6bit am~liorait la tol6rance digestive [7] et diminuait la fr6quence des complications [8]. Cependant, il semble ~tonnant que la nutrition ent6rale par gravit~ est encore utili- s6e par 17,7% des services. En g6riatrie, la faible utilisation de r6gulateur de d6bit est un ph6nom6ne bien connu. I1 est possible que le m~diocre d6velop- pement de ce mode d'administration soit li6 /t la situation ~conomique de ces services et fi une insuffi- sance de formation [6]. L'enqu&e ne permet pas de savoir si, sous le vocable << nutripompe >>, on parle de r6gulateur de d6bit ou de pompe ~i r6cipient ouvert qui, m~me r6frig6r6e, favorise la pullulation micro- bienne dans les nutriments et la diarrh6e [9]. I1 est/t

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G. BLEICHNER

regretter que cette enqu~te n'ait pas mesur6 les effets secondaires. -L'enqu~te confirme la place pr6dominante prise par les prbparations industrielles prates ~i l'emploi qui repr~sentent 93,5 % des modalitbs de la nutrition ent~rale. Leur stabilit6, leur st6rilit6, la r6duction de la charge en soin libe /t leur emploi sont probable- ment l'explication de ce succ6s. La vari6t6 de ces nutriments r~pond en pratique fi presque toutes les exigences nutritionnelles e t a limit6 le recours aux prbparations artisanales. - E n ce qui concerne la nature des nutriments, le succbs des formules hyperprotidiques correspond bien/t l'blbvation des besoins azot6s qui peut attein- dre 350 mg/kg/j en r6animation. Les r6sultats montrent 6galement que bon nombre de m~decins manifestent un engouement pour les fibres alimentaires. Cette attitude repose encore es- sentiellement sur des bases physiopathologiques • prevention des troubles du transit, effet trophique sur la muqueuse digestive, ~quilibre de la flore, tol6rance hydrocarbonbe [10]. Cependant, certains essais cliniques ont montrb que l'utilisation de rbgi- mes constitubs de polysaccharides de soja n'apporte pas d'avantages cliniques, en particulier dans la prbvention des diarrh6es [11]. - D a n s ce travail, les r~gimes hyposod~s apparais- sent le plus souvent utilisbs en r~animation m6dicale ; ils correspondent lfi/t un besoin sp6cifique d'insuffi- sants cardiaques, r6naux ou h6patiques. Paradoxale- ment, les formules hyposod6es sont peu employees en gbriatrie (7 % l'utilisent fr~quemment), alors que les d6compensations cardiaques sont fr6quentes sous nutrition ent6rale [12]. Les g6riatres utilisent cepen- dant des apports quotidiens moyens plus faibles, afin de limiter les apports hydriques risquant de d6com- penser une insuffisance cardiaque. - Quatre r~sultats concernant les nutriments tbmoi- gnent de pratiques discutables. L'osmolarit~ des nu- triments appara~t comme un critbre important de choix de prescription confirmant des opinions rb- cemment exprim6es [13]. Bien que la majorit~ des nutriments air une osmolarit6 s'~cartant peu de l'iso- osmolarit6, ce facteur a peu d'importance pour la tol6rance digestive. Plusieurs btudes contrbl6es ont montr~ que l'hyperosmolarit6 dans les limites habi- tuellement utilis6es (250 /t 750 mOsm/L) n'est pas responsable de la diarrh~e [14, 15]. Par ailleurs, l'utilisation de pompe par 82,3% des utilisateurs rend 6tonnant l'int~r~t port6/t la viscosit6 (70 % des m6decins). I1 semble donc que les crit+res de choix de la qualit~ physique des produits ne soient pas en accord avec les pratiques ; ils gagneraient fi ~tre pr~cis~s. Les r6gimes semi-616mentaires sont utilis~s dans 14 % des indications de nutrition ent~rale ; il s'agit essentiellement de gr~le court et d'insuffisance pan-

cr6atique externe, off leur meilleure assimilation es~ d~montr~e. Toutefois, on trouve aussi des indica- tions abusives telles que la p6riode postop6ratoire l'insuffisance respiratoire, la d~nutrition, la r~ali- mentation ent@ale, le << relais >> de nutrition paren- t~rale : situations dans lesquelles il n'existe aucur argument exp6rimental ou clinique pour utiliser ur r~gime semi-616mentaire [16-18]. L'utilisation de r6gimes hyperlipidiques en r6anima- tion m~dicale ou polyvalente est importante (23 el 21,9 %). Elle a ~t6 propos~e en effet pour la renutri- tion des insuffisants respiratoires chroniques, ca1 l'oxydation des lipides est associ6e fi une productior de CO2 inf6rieure /t celle des glucides [19]. En pra- tique clinique, cet effet joue peu et la r6duction de l'apport calorique est plus important pour diminum la production de CO2 que le pourcentage de l'apporl calorique sous forme lipidique [20-22]. L'apport phosphocaicique est un crit@e de choi~ important pour des m~decins concern6s par des malades atteints d'ost6oporose : g~riatres ou r~6du- cateurs. L'int@~t d'un rapport phosphocalcique cor- rect (Ca/P = 1) est bien connu en g&iatrie, cepen- dant ce param~tre n'a pas 6t6 valid6 au cours de 1~ nutrition ent6rale des patients gtg6s. Toutefois, k risque de fracture du col du fbmur et le danger des hypophosphor6mies (troubles r6naux, malabsorp- tion intestinale, hyperglyc~mie), venant majorer des anomalies m6taboliques fr6quentes chez le sujet ~g~ malade [23], peut expliquer cet engouement des g6- riatres pour un certain 6quilibre phosphocalcique. II serait utile que de telles pratiques soient valid6es [24] - E n termes d'apports caloriques, le niveau moyen d6clar+ par les r6animateurs, 2 000 kcal/jour, doil ~tre compar6 aux apports habituellement recom- mand6s chez le malade agress6 qui se situent entre 25 et 35 kcal/jour. En g6riatrie, les apports moyens sont plus bas, pro- bablement en liaison avec les craintes d'apport d'un volume hydrique important et le faible poids des patients. I1 faut aussi rappeler que la nutrition ent6- rale est rarement exclusive en g6riatrie. Toutefois, les services qui utilisent fr6quemment la nutrition ent6- rale en g6riatrie ont recours /t des apports 6lev6s (d6penses 6nerg6tiques de repos x 2,5/t 3) [25]. - Enfin, il faut noter en r6animation chirurgicale la place pr~dominante de la nutrition parent6rale par rapport/t la nutrition ent6rale (61% v s 26 %). Cette attitude, diff~rente des autres services, est expliqu6e par la fr~quence des malades pr6sentant un il~us postop~ratoire. La place de la voie parent~rale pour- rait bien ~tre modifi6e/t l'avenir par l'utilisation de la nutrition ent6rale pr6coce dont certains auteurs ont montr6 qu'elle 6tait r6alisable tr6s pr~cocement apr~s l'agression ou l'intervention, qu'elle 6tait aussi efficace que la nutrition parent6rale et peut-~tre

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Page 7: Pratiques hospitalières en nutrition entérale : enquête d'opinion analyse des réponses de 598 cliniciens

P R A T I Q U E S HOSPITALII~RES E N N U T R I T I O N ENTI~RALE

grev6e de moins de complicat ions, en particulier infectieuses [26-28].

Conclusion

Cette 6tude, m~me limit6e ~i une enquate d'opinion, apporte des informations int6ressantes et originales sur la pratique de la nutri t ion ent6rale. Le caract~re limit6 de ces informations incite fi r~aliser des enqu6- tes de pratiques plus objectives, tenant compte 6ga- lement des pathologies et de la frbquence d'utilisa- tion, r6alis6es dans l ' ensemble des services sp6cialis6s ou non, prat iquant la nutrit ion ent6rale. Elles incitent 6galement for tement / t la rbdaction de recommandat ions de bonnes pratiques cliniques en nutrit ion entbrale.

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