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Images en Dermatologie • Vol. VI • n o 6 • novembre-décembre 2013 143 À D É T A C H E R FICHE n° 1 Apis mellifera. 1 Guêpe poliste. 2 Réaction allergique locale à une piqûre de bourdon. 3 Fiche Sous la responsabilité de ses auteurs Prise en charge des piqûres d’hyménoptères Management of Hymenoptera stings A. Vial-Dupuy 1 , H. Gaouar 1 , C. Pecquet 1 , A. Soria 1, 2 ( 1 Service de dermatologie et d’allergologie, hôpital Tenon, Paris ; 2 Inserm U945 [Immunité et Infection] et UPMC, Paris) L’ allergie au venin d’hyménoptère est une cause fréquente d’anaphylaxie. Les principaux insectes responsables d’anaphylaxie sont les abeilles (figure 1), les guêpes (figure 2), les frelons et les bourdons (1). La prévalence des réactions anaphylactiques concerne 0,3 à 7,5 % de la population générale, et 14 à 32 % des apiculteurs (2). En France, la mortalité annuelle liée à une anaphylaxie sévère après piqûre d’hyménoptère est estimée à 0,48 par million d’habitants (2). Manifestations cliniques La réaction locale non allergique Chez tout individu, la piqûre d’hyménoptère entraîne une réac- tion locale montrant une papule œdémateuse et érythémateuse généralement inférieure à 2 cm, qui disparaît en quelques heures. Les réactions allergiques (ou immunologiques) Les réactions allergiques varient selon l’intensité et le méca- nisme physiopathologique mis en jeu. Les réactions locorégionales Elles surviennent de façon immédiate (30 minutes) ou parfois semi-retardée (quelques heures), entraînant un œdème dou- loureux et prurigineux (figure 3) de plus de 10 cm de diamètre, avec une extension régionale possible (jusqu’à deux articula- tions) et une durée supérieure à 24 heures (1). Les tests cutanés et/ou les IgE spécifiques au venin d’hyménoptère en cause sont positifs dans 30 à 80 % des cas (2),mais seuls 5 à 15 % des individus ayant présenté une réaction locorégionale risquent d’évoluer vers une réaction systémique lors de la prochaine piqûre (2).

Prise en charge des piqûres d’hyménoptères FICHE n° 1 · de conduite à tenir en cas d’urgence (3) ; • être adressé à un allergologue compétent dans la prise en charge

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Page 1: Prise en charge des piqûres d’hyménoptères FICHE n° 1 · de conduite à tenir en cas d’urgence (3) ; • être adressé à un allergologue compétent dans la prise en charge

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n° 1

Apis mellifera.1

Guêpe poliste. 2

Réaction allergique locale à une piqûre de bourdon.3

Fiche Sous la responsabilité de ses auteurs

Prise en charge des piqûres d’hyménoptèresManagement of Hymenoptera stingsA. Vial-Dupuy1, H. Gaouar1, C. Pecquet1, A. Soria1, 2 (1 Service de dermatologie et d’allergologie, hôpital Tenon, Paris ; 2 Inserm U945 [Immunité et Infection] et UPMC, Paris)

L’ allergie au venin d’hyménoptère est une cause fréquente d’anaphylaxie. Les principaux insectes responsables d’anaphylaxie sont

les abeilles (fi gure 1), les guêpes (fi gure 2), les frelons et les bourdons (1). La prévalence des réactions anaphylactiques concerne 0,3 à 7,5 % de la population générale, et 14 à 32 % des apiculteurs (2). En France, la mortalité annuelle liée à une anaphylaxie sévère après piqûre d’hyménoptère est estimée à 0,48 par million d’habitants (2).

Manifestations cliniques

•La réaction locale non allergiqueChez tout individu, la piqûre d’hyménoptère entraîne une réac-tion locale montrant une papule œdémateuse et érythémateuse généralement inférieure à 2 cm, qui disparaît en quelques heures.

•Les réactions allergiques (ou immunologiques)Les réactions allergiques varient selon l’intensité et le méca-nisme physiopathologique mis en jeu.

▶ Les réactions locorégionalesElles surviennent de façon immédiate (30 minutes) ou parfois semi-retardée (quelques heures), entraînant un œdème dou-loureux et prurigineux (fi gure 3) de plus de 10 cm de diamètre, avec une extension régionale possible (jusqu’à deux articula-tions) et une durée supérieure à 24 heures (1). Les tests cutanés et/ ou les IgE spécifi ques au venin d’hyménoptère en cause sont positifs dans 30 à 80 % des cas (2),mais seuls 5 à 15 % des individus ayant présenté une réaction locorégionale risquent d’évoluer vers une réaction systémique lors de la prochaine piqûre (2).

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Test cutané intradermique positif au venin de guêpe et négatif au venin d’abeille.

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Fiche

▶ Les réactions systémiques immédiates (ou réactions anaphylactiques)

Les réactions anaphylactiques ont été classées par Müller selon 4 stades de gravité (tableau I) ; elles surviennent dans l’heure qui suit la piqûre (1). Un patient ayant eu une première réaction généralisée présente un risque de réaction systémique de l’ordre de 40 à 60 % lors d’une nouvelle piqûre (2). En cas de masto-cytose, les réactions anaphylactiques peuvent être sévères.

▶ Les réactions retardées et semi-retardéesMoins fréquentes que les précédentes, elles apparaissent quelques heures à quelques jours après la piqûre. Leur méca-nisme physiopathologique n’est pas toujours connu ; elles peuvent correspondre à des manifestations cutanées (urticaire retardée, pseudo-maladie sérique), neurologiques (encéphalopathie, poly-radiculonévrite), rénales (glomérulonéphrite) ou hématologiques (thrombopénie, anémie, CIVD).

•Les réactions toxiquesLes manifestations toxiques surviennent lorsqu’une grande quan-tité de venin est injectée par de multiples piqûres (plus de 50). L’effet des amines vasoactives contenues dans le venin peut mimer une réaction anaphylactique IgE médiée, et une envenimation massive peut conduire à la rhabdomyolyse, à l’insuffi sance rénale aiguë, puis à la défaillance multiviscérale. Le diagnostic différentiel de l’allergie vraie est posé grâce au contexte (piqûres multiples) et aux symptômes cliniques (réaction retardée, absence d’urticaire).

Traitement

•Traitement des réactions allergiques systémiquesLe traitement d’urgence de la réaction systémique repose sur la prise immédiate d’antihistaminiques, associés à l’adrénaline intramusculaire pour les stades II, III et IV (3).

Tout patient ayant présenté une réaction allergique systémique doit :• avoir une trousse d’urgence comprenant : un antihistami-nique, un bêta-2 mimétique inhalé à courte durée d’action, un corticoïde et 2 stylos auto-injecteurs d’adrénaline (par exemple,

JEXT® 0,30 mg pour un adulte, injection à renouveler à 15 minutes en cas de non-amendement des symptômes) ; avec un protocole de conduite à tenir en cas d’urgence (3) ;• être adressé à un allergologue compétent dans la prise en charge de l’allergie aux venins d’hyménoptères, pour tests cutanés (figure 4), dosage d’IgE spécifiques, mesure de la tryptase de base (pour dépister une mastocytose) et discussion d’une immunothérapie spécifi que (1, 3).

En effet, l’immunothérapie spécifi que est indiquée chez les patients ayant présenté une réaction systémique grave, ou une réaction systémique légère à modérée avec facteurs de risque de réaction sévère lors d’une piqûre ultérieure (tableau II) ou un degré d’exposition élevé. En pratique, elle est proposée à tous les patients ayant présenté une réaction systémique avec bilan allergologique positif (IgE spécifi ques et/ou tests cutanés). Seule l’immunothérapie spécifi que permettra en effet l’induction d’une tolérance face à d’éventuelles piqûres ultérieures, évitant ainsi la survenue d’une anaphylaxie mortelle (3, 4). Plusieurs protocoles ont été décrits : avec augmentation rapide des doses sur un ou plusieurs jours, avec doses d’entretien mensuelles pendant 3 à 5 ans (3, 4), et parfois à vie en cas de mastocytose (5).

Tableau I. Classification des réactions anaphylactiques aux piqûres d’hyménoptères selon Müller.

Stade Signes cliniques

I Urticaire généralisée, prurit, sensation de malaise général et d’anxiété

II Stade I + symptômes suivants : angio-œdème, oppression thoracique, douleurs abdominales, nausées, diarrhée

IIIStade II + symptômes suivants : dyspnée, dysphagie, dysphonie, sibilants, stridor laryngés, confusion, impression de mort imminente

IV Stade III + symptômes suivants : hypotension, collapsus cardiovasculaire, perte de connaissance, détresse respiratoire

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Fiche Sous la responsabilité de ses auteurs

•Traitement des réactions allergiques locorégionalesLe traitement consiste en l’association d’un antihistaminique et d’un dermocorticoïde. En cas d’atteinte articulaire, une courte corticothérapie orale peut être proposée. Chez ces patients, il n’y a pas d’indication à la désensibilisation, même si les IgE spé-cifi ques ou les tests cutanés sont positifs, raison pour laquelle ces explorations ne sont pas recommandées (1). Enfi n, le risque de réaction systémique lors d’une prochaine piqûre étant faible, la prescription d’un stylo auto-injectable d’adrénaline n’est pas recommandée, d’autant que cette prescription peut être source d’anxiété et de conduite d’évitement majeur, altérant la qualité de vie du patient.

Allergie aux autres insectes piqueurs

En dehors des hyménoptères, d’autres insectes peuvent être responsables, en France, de manifestations cutanées locales allergiques (urticaire de contact immunologique avec les che-nilles processionnaires, certains papillons et les larves de der-mestes) ou infl ammatoires (moustiques, puces, taons, punaises). Les manifestations anaphylactiques sont ici exceptionnelles et ne relèvent pas d’une immunothérapie spécifi que.

Références bibliographiques1. Bilo BM, Rueff F, Mosbech H, Bonifazi F, Oude-Elberink JN; EAACI Interest Group on Insect Venom Hypersensitivity. Diagnosis of Hymenoptera venom allergy. Allergy 2005;60(11):1339-49.2. Bilo MB, Bonifazi F. The natural history and epidemiology of insect venom allergy: clinical implications. Clin Exp Allergy 2009;39(10):1467-76.3. Krishna MT, Ewan PW, Diwakar L et al. Diagnosis and management of hymenoptera venom allergy: British Society for Allergy and Clinical Immuno-logy (BSACI) guidelines. Clin Exp Allergy 2011;41(9):1201-20.4. Roers A, Hunzelmann N. Immunotherapy of hypersensitivity to hymenoptera venom. Expert Opin Biol Ther 2005;5(10):1349-58.5. Niedoszytko M, de Monchy J, van Doormaal JJ, Jassem E, Oude-Elberink JN. Mastocytosis and insect venom allergy: diagnosis, safety and effi cacy of venom immunotherapy. Allergy 2009;64(9):1237-45.

A. Vial-Dupuy déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

Tableau II. Facteurs de risque de réactions anaphylactiques sévères.

• Antécédents de réaction sévère (avec symptômes cardiovasculaires ou respiratoires)

• Sujet âgé• Type d’insecte (abeille, frelon européen et asiatique)• Comorbidité cardiovasculaire ou asthme• Traitement par bêtabloquant• Mastocytose ou tryptase de base élevée

CE QU’IL FAUT RETENIR

Une réaction allergique locorégionale, une réaction toxique ou une réaction retardée au venin d’hyménoptère ne néces-sitent pas de bilan allergologique (ni IgE spécifi ques, ni tests cutanés) et relèvent d’un traitement symptomatique simple. Il n’y a pas d’indication à une immunothérapie spécifi que chez ces patients.

Une réaction allergique systémique nécessite :• une trousse d’urgence comprenant un stylo auto-injecteur d’adrénaline (et l’éducation du patient à l’utilisation du stylo) ;• d’adresser le patient à une équipe d’allergologues compétents dans la prise en charge de l’allergie aux venins d’hyménoptères, pour exploration allergologique et discus-sion d’une immunothérapie spécifi que.